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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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1.2.b Une relation d'interdépendance entre soignants et surveillants qui demeure pourtant conflictuelle

L'autonomie de la profession médicale a été initialement perçue par le personnel de surveillance comme une dévalorisation et une perte de pouvoir de leur fonction au sein de la prison. Il semblerait néanmoins qu'elle ait également permis, comme l'estime le rapport IGAS-IGSJ d'évaluation de la réforme, une « clarification des rôles » facilitant le recentrage des activités sur la mission de garde490(*). Le personnel aurait désormais tendance à établir une séparation entre les deux fonctions afin d'éviter toute responsabilité, et à recourir ainsi d'autant plus facilement au service médical: « Ce sont eux qui sont demandeurs quand ils ont repéré qu'un détenu ne sortait pas de sa cellule ou ne se levait pas ou un problème particulier [...] Les surveillants essayent de se décharger un maximum sur le service médical [...] Maintenant, à chaque fois qu'il y a des problèmes en détention ils n'ont pas intérêt à ce qu'il se passe quelque chose sur leur étage et donc ils en réfèrent tout de suite à leur chef ou à l'administration ou au service médical »491(*). Cette attitude peut est-elle toutefois être qualifiée de coopération ? Même s'il n'existe désormais aucune relation de dépendance entre le personnel pénitentiaire et soignant, cette position demeure insuffisante, comme le souligne un médecin: « Ceci dit, on ne peut pas s'en tenir à ce raisonnement là, nous sommes dans une interdépendance quotidienne »492(*). La loi du 18 janvier 1994 n'attribue pourtant aucun rôle au personnel de surveillance qui demeure, selon Dominique Lhuilier, le grand absent de cette réforme. La loi du 18 janvier 1994 aurait même contribué à l'inverse à accroître le conflit entre le personnel médical et le personnel de surveillance en amplifiant davantage l'écart matériel et symbolique qui sépare les deux fonctions :

« La création des UCSA a introduit dans les prisons un îlot de richesse dans un océan de pauvreté [...] On a créé deux missions parallèles, une mission noble, habituellement reconnue comme telle, qui est la mission de soins, et une mission mercenaire qui est celle de sécurité. Cela ne peut que conduire à un affrontement »493(*).

La loi du 18 janvier 1994 aurait accentué les oppositions entre les personnels pénitentiaire et sanitaires. Dans une recherche sur la mise en place de la réforme de la médecine pénitentiaire, Marie-Hélène Lechien constate en effet que l'arrivée du personnel hospitalier « réactive des systèmes d'opposition durables [...] Système d'oppositions entre des missions sécuritaires et répressives -ici celles des personnels pénitentiaires- et des missions plus « humaines » celles des soignants qui portent secours à des personnes incarcérées »494(*). Ce phénomène est visible à travers les mécontentements des différents personnels. Les soignants reprochent fréquemment aux surveillants de faire obstruction aux soins notamment à travers les retards durant les consultations495(*) tandis que le personnel de garde dénonce l'existence d'un « pouvoir médical ». Le soin implique de nombreux enjeux au sein de la détention. La suppression de la distribution des médicaments par les surveillants, qui leur permettaient de « gérer un certain type de relations», a été vécue, selon un formateur associatif, comme une perte de contrôle496(*). Le pouvoir médical est d'autant plus mal perçu que le personnel sanitaire oppose des arguments qui sont souvent mal compris de la part des surveillants497(*). Les soignants sont alors suspectés de privilégier, sous couvert du secret médical, la vie du détenu plutôt que celle du surveillant, notamment lors d'un refus de révéler l'identité des personnes séropositives ou tuberculeuses498(*). Le soin est perçu comme un contre-pouvoir au sein de la détention pouvant faire obstacle au bon fonctionnement de l'établissement : « Quelquefois il peut y avoir des rivalités importantes, c'est-à-dire que j'ai entendu dire aussi nettement que ça : "Vous savez, ce n'est pas le directeur qui est le patron ici, c'est le médecin" »499(*). Le pouvoir exercé par les soignants au sein de la détention ne semble cependant pas nouveau. Les médecins pénitentiaires disposaient avant la réforme de 1994 d'une place centrale dans les relations entre détenus et surveillants par le bais des certificats médicaux, tel qu'en témoigne un psychiatre :

«Les médecins n'ont plus le pouvoir qu'ils avaient avant. Avant le médecin avait un pouvoir énorme, ne serait-ce que parce qu'il rythmait beaucoup la vie de la détention au point de vue social [...] Les médecins faisaient des certificats pour tout. [...] Le médecin avait le pouvoir de dire que l'état de santé de monsieur untel suppose qu'il bénéficie de tel privilège.»500(*)

Il semblerait que ce ne soit pas tant le pouvoir effectivement exercé par les soignants qui ait changé au sein du milieu carcéral que sa nature et sa représentation. Le certificat du médecin justifiait alors certains pratiques que ne cautionne désormais plus le personnel sanitaire intervenant en prison. Auparavant perçue comme un élément de régulation de la vie en détention, la puissance médical serait maintenant considérée comme un « contre-pouvoir » devenu incontrôlable en raison de la disparition du rapport de subordination antérieur.

Ce rapport d'opposition semble cependant peu présent sur les prisons de Lyon. Le personnel sanitaire considère que les relations entretenues avec le personnel pénitentiaire sont satisfaisantes. Les soignants affirment la nécessité d'adopter un respect mutuel501(*). C'est par exemple le cas du chef de service des UCSA qui estime que les deux personnels se situent dans une situation d'interdépendance qui rend la coopération nécessaire : « J'ai reçu ce main la nouvelle équipe d'internes et je leur ai dit qu'ici il y avait deux équipes, une équipe en bleu et une équipe en blanc, et si on voulait que l'équipe en bleu respecte l'équipe en blanc, il faut que vous respectiez la leur. Si on met délibérément le personnel de surveillance en difficulté [...] alors le pire est à craindre »502(*). Il ne s'agit pas, selon un médecin des maisons d'arrêt de Lyon, d'opposer les deux missions des personnels mais de travailler dans un rapport de respect et de reconnaissance mutuel :

« Si on respecte bien le travail de l'administration pénitentiaire, ils respectent notre travail [...] Nous on a de très bonnes relations avec eux parce qu'on les respecte beaucoup [...] Parce qu'on a l'impression de faire partie du camp des "pour" en opposition au camp des "contre". On oppose les surveillants qui sont les vilains et les soignants qui sont les gentils. »503(*)

Bien qu'initialement l'arrivée du personnel médical en détention a pu être perçue comme une intrusion par certains surveillants, il semblerait qu'une relation de respect mutuel se soit engagée comme c'est le cas sur les prisons de Lyon. Cette attitude traduit avant tout la conscience d'une interdépendance réciproque et ne peut, par conséquent, probablement pas être qualifiée de coopération car, comme le rappelle un soignant, « les relations [...] sont forcément bonnes car si elles n'étaient pas bonnes, elles seraient franchement mauvaises »504(*). L'un des enjeux de la réforme est pourtant de réhabiliter la mission du personnel de surveillance en lui accordant un rôle prépondérant dans la promotion de la santé du détenu, tentant ainsi d'aller à l'encontre du rapport conflictuel qui a toujours existé entre les surveillants et les détenus.

* 490 IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.37.

* 491 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 492 Entretien n°8, Docteur Barlet, responsable de l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud.

* 493 Entretien n°8, Docteur Barlet, responsable de l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud.

* 494 Lechien Marie-Hélène, « L'impensé d'une réforme pénitentiaire », Actes de la recherche en sciences sociales, mars 2001, n°136-137, pp.15-26.

* 495 Entretien n°3, Mme Marié, directrice adjointe des prisons de Lyon depuis 1999.

* 496 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 497 C'est par exemple le cas lorsque le médecin refuse la mise en quartier de détention d'un détenu pour des motifs de santé comme l'explique une psychologue  : « Quand un détenu les agresse [...] le directeur peut décider de mettre le détenu en quartier d'isolement [...] Pour les surveillants, c'est logique car ils disent "je dois être reconnu comme agressé et ils doivent être punis". Seulement, voilà où arrive le pouvoir médical [...] Le médecin dit "C'est trop dangereux car le détenu risque de se suicider". Parce que les suicides arrivent là-bas la plupart du temps. Donc, on le retire. Et là le surveillant est blessé mais vraiment blessé parce que lui peut se faire agresser. Et le risque envers le détenu est plus pris en compte que le risque d'agression du surveillant ». Entretien n°14, Chantal Escoffié, psychologue auprès du personnel pénitentiaire des prisons de Lyon.

* 498 Cet extrait de tract permet de rendre compte de la méfiance qui caractérise les relations entre soignants et surveillants : « Le 2 février 1998, un détenu, placé depuis quelques jours en isolement médical, pour suspicion de tuberculose suivant une radio de dépistage, a pu assister à la grande efficacité du docteur suprême affecté au D4. En effet, ce grand manitou, assuré de sa compétence et de son autonomie, a jugé nécessaire d'enlever cet isolement. Bien mal lui en a prit, puisque plusieurs heures plus tard, celui-ci s'est aperçu de son erreur et a aussitôt replacé le détenu en isolement médical, sans juger utile d'informer ou de rassurer les personnels des risques qu'il a pu faire encourir. Bravo et merci docteur, bravo pour votre haute compétence et merci surtout pour votre courage, puisque aucun personnel de surveillance n'a été averti dans cette affaire ». Syndical local UFAP Fleury-Mérogis, tract distribué dans l'établissement pénitentiaire, 13 février 1998, Cité in Observatoire international des prisons, Prisons : un état des lieux, op.cit., p.140.

* 499 Entretien n°14, Chantal Escoffié, psychologue auprès du personnel pénitentiaire des prisons de Lyon.

* 500 Entretien n°17, Pierre Lamothe, médecin psychiatre responsable du SMPR de Lyon.

* 501 Cet avis se fonde bien sûr uniquement sur la position du personnel soignant

* 502 Entretien n°8, Docteur Barlet, responsable de l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud.

* 503 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 504 Entretien n°8, Docteur Barlet, responsable de l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud.

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