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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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1.2.b Les extractions médicales : un système de contraintes inconciliable

Les transferts des détenus vers l'hôpital, appelés « extractions médicales », constituent une procédure difficile à mettre en oeuvre car ils nécessitent la coordination de trois administrations différentes : celles de l'établissement pénitentiaire, de l'hôpital et du personnel soignant. Les extractions ont ainsi toujours donné lieu à des rivalités entre les personnels pénitentiaires et médicaux. En adoptant la réforme de 1994, le législateur pensait résoudre le problème des extractions médicales. L'amélioration de la qualité des soins fournis en milieu carcéral aurait permis, comme le pensait le Haut comité national en santé publique en 1993, de réduire les transferts vers les hôpitaux684(*). Le résultat de la réforme fut cependant inverse puisque le nombre d'extractions médicales n'a pas cessé d'augmenter depuis685(*). Le recours à un plateau technique plus développé aurait engendré une augmentation prévisible des transferts vers l'hôpital, l'offre créant la demande686(*). Cette augmentation est le plus souvent mal perçue de la part de l'administration pénitentiaire qui considère que l'UCSA ne gère pas suffisamment les soins des détenus et développerait une vision « luxueuse» de leur santé en recourant de façon excessive à l'hôpital687(*) :

« La loi avait au départ pour objectif de réduire les extractions médicales et de réduire les sorties de détenus [...] Or ça n'est pas ce qui s'est passé puisqu'on a assisté à une explosion des extractions médicales [...] L'offre créée la demande, comme à l'extérieur, donc on a beaucoup d'extractions médicales. Ce qui a des répercussions sur notre fonctionnement. »688(*)

La loi de 1994 ne semble pas avoir amélioré à court terme les conditions de consultation en milieu hospitalier puisque le nombre de demandes est en augmentation constante tandis que les hôpitaux demeurent réticents à recevoir dans leurs services des patients détenus qui font souvent mauvaise impression aux autres patients, provoquant ainsi un allongement des délais d'attente689(*). Ces difficultés ont mis le problème des extractions médicales au premier plan. En cas d'impossibilité d'organiser un transfert vers l'hôpital, qui ne propose que des plages horaires réduites pour les détenus, la consultation est alors annulée, ce qui est ressenti par le service hospitalier comme une gêne supplémentaire. Les extractions médicales donnent souvent lieu à des affrontements ouverts entre personnels. A ces problèmes d'organisation, s'ajoute un problème de compétence entre l'administration pénitentiaire et les services de police ou de gendarmerie qui rend difficile l'organisation des escortes ce qui perturbe le fonctionnement des extractions : « Quand il n'y a pas d'escorte suffisante car il n'y a pas de personnel pénitentiaire suffisant, on accompagne la consultation en dernier lieu. Les hospitalisations de courte durée devraient se faire par l'hôpital de rattachement et là aussi il faut une escorte, il faut que le responsable de gendarmerie délègue une escorte, ce qu'il ne fait pas toujours »690(*). Une solution fut cependant trouvée à Lyon par la mise en place d'une escorte-hôpital spécifiquement attribuée aux transferts médicaux bien que celle-ci ne semble pas suffisante selon un médecin des UCSA de Lyon691(*).

Le déroulement des extractions médicales s'effectue dans un cadre où les contraintes des milieux pénitentiaire et hospitalier se cumulent. Le personnel de surveillance, habitué à contrôler chaque déplacement qui a lieu en prison, est à cette occasion dessaisi de l'un des actes de la vie carcérale. Le contraste est d'ailleurs manifeste avec la situation italienne où le personnel pénitentiaire reste le « référent » des extractions médicales notamment en cas d'hospitalisation non programmée692(*). Les soignants de l'UCSA sont en revanche pris dans un double système de contraintes qui les oblige à articuler les exigences hospitalières et pénitentiaires. Ils se situent dans une position ambiguë dans laquelle ils sont tenus pour responsable des retards hospitaliers mais également des problèmes d'escorte. Les hospitalisations offrent ainsi un aperçu du système de contraintes dans lequel doivent travailler les personnels soignants :

« L'hôpital rechigne pas mal pour ces consultations parce qu'il y a la police qui est avec eux, ça entraîne des problèmes dans la salle d'attente [...] et ça désorganise l'hôpital. Ils ne sont pas très contents parce qu'eux aussi ils ont une liste d'attente et puis nous on est coincé parce que [...] l'escorte ne peut emmener personne d'autre. Ces difficultés de fonctionnement sont difficiles à expliquer à l'hôpital. Nous, des fois, ça nous met la pression et c'est pénible »693(*)

Les extractions médicales permettent de souligner la difficulté à concilier les principes de garde de soin. La loi du 18 janvier 1994 a amplifié cette contradiction en situant le personnel soignant de l'UCSA à l'intersection d'une double série de contraintes, hospitalières et pénitentiaires. L'affrontement entre le mode de fonctionnement hospitalier et les règles du système carcéral donnent lieu à des situations inconciliables comme en témoigne le déroulement des hospitalisations.

* 684 Le rapport du HCNSP prévoit parmi les avantages de la future réforme de 1994 que suite à la création des services hospitalier de soin pour détenus (UCSA), « la qualité des soins à l'intérieur et leur diversité évitent un certain nombre d'extractions pour consultations extérieures et hospitalisations ». Haut Comité de la Santé Publique (HCSP), Santé en milieu carcéral, op.cit., pp.44-45

* 685 En volume global, on observe une augmentation du nombre d'extractions de 25 % de 1997 à 2000 (passant de 46.939 à 58.452), pour plus de trois quart due à l'augmentation des consultations et hospitalisations de jour. Source : DAP. Cité in IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.57.

* 686 On peut également mettre cette augmentation en lien avec l'intervention du personnel hospitalier plus habitué que les médecins pénitentiaires à recourir à un équipement de pointe mais doté aussi d'une autre conception du soin, beaucoup plus techniciste.

* 687 IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.58.

* 688 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

* 689 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 690 Entretien n°15, Marie-José Communal, médecin à la DRASS Rhône-Alpes chargée de la médecine en prison.

* 691 Entretien n°3, Mme Marié, directrice adjointe des prisons de Lyon depuis 1999 ; Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 692 Entretien n°30, Ivano Carbonaro, commandant de la police pénitentiaire à la Terza casa.

* 693 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand