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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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2.1.1.b Une démarche de décloisonnement sur le long terme

Des actions d'éducation pour la santé avaient déjà lieu en milieu carcéral avant la loi du 18 janvier 1994, notamment au sujet des maladies infectieuses. L'introduction de cette démarche en tant que ligne directrice des politiques sanitaires en prison a cependant permis de multiplier les initiatives999(*) et d'initier un processus établi davantage sur le long terme et reposant moins sur des actions ponctuelles. La réforme de 1994 a ainsi été suivi d'un colloque consacré à ce thème afin d'insuffler une nouvelle logique et d'en faire une démarche sur le long terme : « De faire moins d'opérations hyper ponctuelles mais de voir comment impliquer un peu plus les différents personnels par cet aspect là. Ne pas faire de l'éducation pour la santé une pièce rapportée mais essayer d'en faire un élément du projet d'établissement »1000(*). Ce changement de démarche est manifeste à travers l'exemple des actions en matière de prévention des maladies infectieuses qui sont passées du statut d'initiatives, essentiellement symboliques, construites autour de la date du 1er décembre à celui de plan de prévention1001(*). C'est le cas par exemple d'un groupe de parole organisé auparavant à la prison de Saint Quentin Fallaviers qui fut entrepris à la suite d'actions ponctuelles ayant eu lieu au 1er décembre de chaque année. Le médecin qui en était responsable justifie ce changement de démarche par les contraintes du milieu carcéral qui imposent d'établir une action dans le long terme afin de gagner la confiance aussi bien des personnels de surveillance que des détenus :

« Une action d'éducation pour la santé ne peut pas être envisagée de façon seulement ponctuelle, comme on faisait au début pour le premier décembre [...] Ce n'est qu'au bout de plusieurs mois de rencontres et de fonctionnement, qu'on a pu obtenir une véritable implication des surveillants. Pour obtenir de vrais changements il faut du temps. Pour les détenus, c'est la même chose [...] L'éducation pour la santé ça demande de s'impliquer sur le long terme. C'est une démarche de projet, pas d'actions ponctuelles. »1002(*) 

Le passage d'une logique d'action à une démarche de projet est visible sur les prisons de Lyon où cette attribution a été déléguée de l'Antenne toxicomanie à un groupe d'éducation pour la santé constituée en 1998 de façon informelle sur l'initiative de quelques médecins1003(*). Ce groupe a permis, selon la personne qui était auparavant responsable de l'éducation pour la santé, d'adopter une « démarche beaucoup plus globale »1004(*). Ce changement s'est accompagné d'une ouverture des actions d'éducation à d'autres thèmes que les maladies infectieuses, ainsi qu'à de nouveaux outils de prévention1005(*).

Les projets d'éducation par la santé sont souvent l'occasion de faire intervenir des acteurs extérieurs à la prison, comme c'est le cas sur les prisons de Lyon. Ce recours à des professionnels non spécifiques au milieu carcéral constituerait une opportunité relationnelle vis-à-vis des détenus pour qui l'intervention d'un expert médical extérieur peut représenter une forme de gratification, tel que le constate un médecin ayant participé à un groupe de parole: « J'étais présentée comme une experte aux yeux des détenus et donc c'était très valorisant pour eux. C'était complètement un acte de reconnaissance ; le fait de reconnaître qu'on leur attribuait une importance »1006(*). Outre les bénéfices que peuvent en retirer les patients, la participation de personnes extérieures permet aux soignants travaillant en milieu pénitentiaire d'être davantage « crédible » à l'égard des détenus. Il s'agirait d'un moyen, comme le souligne un médecin des UCSA de Lyon, d'affirmer ainsi une continuité entre la médecine en milieu carcéral et le reste de la société :

« Et le souci qu'on a en prison, c'est d'être un peu crédible auprès les détenus et de faire en sorte, de faire entrer le plus possible des gens de l'extérieur [...] Des fois on a l'impression que c'est une médecine spéciale pour détenus. C'est pas vrai. L'idée c'était de dire qu'on va essayer de travailler avec des gens qui sont aussi à l'extérieur »1007(*).

Cette ressource semble cependant limitée et insuffisamment mise à profit. La non-connaissance du milieu carcéral peut tout d'abord représenter un handicap et être perçu comme un manque de crédibilité. Par exemple à l'occasion d'une formation à destination des surveillants, certains formateurs n'étaient pas en mesure de fournir des réponses adéquates aux spécificités du milieu carcéral, ne répondant ainsi pas aux préoccupations du personnel qui y travaille. A l'inverse, l'intervention la plus appréciée a été réalisée par deux médecins rattachés aux prisons de Lyon qui connaissaient très bien le thème abordé1008(*). En second lieu, le fait que l'intervenant soit extérieur à la prison peut ne pas être forcément perçu par les destinataires, notamment les détenus. Un médecin qui effectue des consultations de dépistage aux prisons de Lyon regrette que les détenus ne perçoivent pas qu'il n'appartient pas à l'établissement, le considérant avant tout comme un soignant. Son extériorité constituerait même, comme il l'indique, un inconvénient :

« Les détenus ne s'en rendent pas compte. Pour eux je suis un médecin. D'ailleurs le gros problème, c'est comme je suis extérieur à la prison, je n'ai pas à intervenir dans les traitements [...] Ça serait peut-être mieux si j'étais un médecin de l'UCSA. Car dans ce cas, je pourrais leur prescrire ce qui leur faut.»1009(*)

Il semblerait en revanche que l'intervention d'associations extérieures soit davantage favorable à modifier le rapport relationnel avec les détenus notamment lors des groupes de parole. Le rôle des groupes d'auto-support constituerait ainsi une ressource importante en matière de toxicomanie1010(*). On peut cependant regretter que le collectif d'éducation pour la santé des prisons de Lyon n'ait pas recours à cette ressource, probablement en raison des difficultés à établir une communication entre l'établissement pénitentiaire et l'extérieur1011(*). L'objectif initial de la réforme, décloisonner l'institution carcérale, s'en voit cependant amoindri.

La démarche d'éducation pour la santé a été reconnue en milieu carcéral pour la première fois en France et en Italie lors de la réforme de la médecine pénitentiaire. Cette transformation s'inscrivait alors dans le projet de décloisonner les services soignants en accentuant leur lien avec le reste du dispositif sanitaire. L'arrivée de nouveaux intervenants implique t-elle pour autant un véritable décloisonnement de l'institution carcérale ? L'éducation pour la santé peut-elle permettre la mise en oeuvre d'une démarche d'action collective en détention ?

* 999 Un bilan des actions d'éducation pour la santé en milieu carcéral relève l'explosion du nombre d'établissement menant des projets, chiffre qui est passé de 15 à 127 entre 1996 et 1999. Administration pénitentiaire, Direction générale de la santé, Etat des lieux des actions d'éducation pour la santé menées en milieu pénitentiaire, document dactylographié, 200, 5p.

* 1000 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1001 Depuis de nombreuses années, les établissements pénitentiaires se sont appuyés sur la journée mondiale de lutte contre le Sida du 1er décembre pour mobiliser les personnes détenues sur les risques infectieux. Un bilan établi en 1998 faisait apparaître que la journée du 1er décembre conserve un caractère symbolique, mais que la sensibilisation à la lutte contre le Sida tend à s'intégrer au fonctionnement quotidien des établissements pénitentiaires et à s'inscrire davantage dans la durée avec le développement de véritables actions de formation et d'éducation à la santé. Dhérot Jean, Stankoff Sylvie, Rapport de la mission santé-justice sur la réduction des risques, op.cit., p. 42.

* 1002 Entretien n°7, Docteur Gilg, médecin à la Consultation de dépistage (CDAG) de l'Hôpital Edouard Herriot.

* 1003 On peut remarquer la particularité des prisons de Lyon en ce domaine qui disposent au sein du SMPR d'un poste de médecin de santé publique ce qui a fortement contribué à dynamiser la politique d'éducation pour la santé au sein de l'établissement.

* 1004 On peut citer parmi les actions du groupe d'éducation pour la santé des prisons de Lyon une formation en secourisme assurée par les pompiers, un atelier cartes postales, l'intervention d'une esthéticienne auprès de la prison pour femmes, Montluc, l'intervention d'une diététicienne afin de conseiller les détenus.

* 1005 Le rapport cité auparavant note ainsi, de 1996 à 2000, le passage d'actions « de type informatif et ponctuel » organisées à l'occasion du premier décembre à des « programmes d'éducation pour la santé » qui incluent souvent des ateliers qui « s'inscrivent dans la durée ». Administration pénitentiaire, Direction générale de la santé, Etat des lieux des actions d'éducation pour la santé menées en milieu pénitentiaire, op.cit.

* 1006 Entretien n°7, Docteur Gilg, médecin à la Consultation de dépistage (CDAG) de l'Hôpital Edouard Herriot.

* 1007 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 1008 Entretien n°1, G. Leponer, chargée de mission au Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1009 Entretien n°12, Patrick Caillon, médecin effectuant une Consultation de dépistage aux prisons de Lyon.

* 1010 Les groupes d'autosupport ou « de pairs » existent pour de nombreuses pathologies et ont en commun un type de compétence légitimée non par un diplôme mais par une expérience vécue. Il s'agit avant tout de militants qui prétendent occuper un rôle spécifique au nom de leur compétence personnelle. Les groupes d'autosupport ont connu un important développement en France en matière de soin de la toxicomanie au début des années quatre-vingt-dix et ont bénéficié d'une forte reconnaissance des autorités publiques.. Faugeron Claude, Kokoreff Michel, « Il n'y a pas de société sans drogues » : Un processus de normalisation ?, in Faugeron C., Kokoreff M., Société avec drogues. Enjeux et limites, op.cit, p.29.

* 1011 Les seuls intervenants extérieurs, mis à part quelques professionnels soignants, sont les sapeurs-pompiers de Lyon, une esthéticienne ainsi que l'association du CRAES. Aucune association d'auto-support n'intervient en matière de Sida ou de toxicomanie. Nous avons ainsi pris contact avec plusieurs associations lyonnaises qui ont déclaré n'effectuer aucunes actions en prison ; certaines ont d'ailleurs évoqué les difficultés à établir un contact avec l'établissement.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery