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Naissance médiatique de l'intellectuel musulman en France (1989-2005)

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par Tristan WALECKX
Université Montpellier 3 - Master Histoire 2005
  

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Conclusion

Après une étude dévoilée par Le Monde en 2001, Franck Fregosi, sociologue de l'islam à l'université Robert-Schuman de Strasbourg et chercheur au CNRS, tire les conclusions suivantes :

 « On pensait jusqu'ici que l'ascension sociale entraînait presque inévitablement un détachement de la religion. Or, ce que révèle ce sondage, c'est l'émergence progressive d'une future élite musulmane en France. A rebours d'un certain discours simplificateur, selon lequel les musulmans de France ne pourraient s'intégrer qu'en renonçant à leur foi, l'enquête montre qu'il est parfaitement possible d'être intégré à la société française et respectueux des prescriptions musulmanes268(*). »

Notre travail, qui a tenté de montré une quadruple naissance médiatique de l'intellectuel musulman depuis une quinzaine d'années, est peut-être une modeste illustration de cette analyse. Il faut certes souligner les limites d'une telle classification qui, non seulement est loin d'être étanche, mais traite de surcroît d'une période trop proche de nous pour pouvoir affirmer qu'elle restera pertinente dans la durée. De la même façon, la catégorisation en champs peut paraître brutale et conforte une vision probablement un peu machiavélique de l'élite musulmane. Bien qu'il existe un « marché médiatique de l'intellectuel musulman », il ne faut évidemment pas penser que tout est matière à calculs et surtout ne pas oublier que la plupart des intellectuels évoqués précédemment le sont, faisons leur ce crédit, par conviction.

C'est bien avec la médiatisation nouvelle dès 1989 de sujets concernant directement ou non l'islam que des journalistes entreprennent de rechercher un « avis musulman » sur des thèmes bien précis. Comme l'explique Thomas Deltombe à propos de l'affaire Rushdie, le monde médiatique n'est pas préparé à s'adresser à ce nouveau type d'intervenants : « Pressés de savoir ce qu'en pense la `communauté islamique' en France, les journalistes ne se préoccupent pas de savoir si une telle `communauté' existe réellement ni d'en étudier les éventuels contours269(*).» Par conséquent, c'est sur une réalité virtuelle et mouvante, tenant plus de la construction médiatique, que s'appuie depuis sa naissance l'intellectuel musulman qui se veut représentatif.

Toujours est-il que dès son origine, l'intellectuel musulman médiatique français a pour rôle de s'exprimer sur des sujets « musulmans », des problématiques impliquant plus ou moins directement l'islam. N'est-ce pas en contradiction avec la vocation universaliste de l'intellectuel ? S'il veut subsister, l'intellectuel musulman devra donc sortir de ce que Houari Bouïssa, historien des idées, nomme la « ghettoïsation de la pensée270(*) ». Il faudrait que cette figure intellectuelle éclaire la communauté scientifique dans des domaines autres que spécifiquement islamiques. Qu'aurait-on par exemple retenu du philosophe protestant Paul Ricoeur, récemment disparu, s'il s'était cantonné à ne traiter que des questions spécifiques au protestantisme ?

Mais il est peut-être temps de revenir à l'interrogation suscitée par la réflexion de Mohamed Arkoun en avant-propos. Si l'intellectuel musulman est entrain de naître en tant que tel dans les médias français depuis grosso modo l'affaire Rushdie, nous ne pouvons nier que cette naissance est partielle. En effet, cette catégorie d'intellectuel a pu apparaître parce qu'elle proposait une manière de pensée nouvelle, distincte, prête à concurrencer un relatif universalisme supposé supérieur car instauré par l'Occident. Ainsi, Mohamed Arkoun n'hésitait pas au début des années 1990 à soulever violemment la controverse :

« Il faudrait aussi qu'un débat sérieux s'instaure en Occident sur la légitimité d'une disqualification brutale de toute une culture, de toute une religion à partir de postulats à prétention philosophique qui n'ont pas subi, en Occident même, toutes les épreuves d'une validation intellectuelle, ou les tests d'une efficacité culturelle quand ils sont transférés à d'autres contextes historiques, religieux et psycho-sociaux271(*). »

Or que constate-t-on si l'on essaie de tirer le bilan des quatre catégories que nous avons différencié ici ? Tout d'abord, la première, celle de l'intellectuel avant-gardiste musulman, est par définition une figure partielle puisque les individus qui la composent n'affichent pas leur foi comme identité première, encore moins comme brevet de notoriété. Concernant la catégorie des intellectuels officiels, en sus des problèmes inhérents au statut d'intellectuel organique, par opposition à l'intellectuel critique, nous avons vu combien elle avait du mal à instaurer sa légitimité.

Les deux autres catégories mises en lumière ici, respectivement les réformateurs et les acteurs du monde social et politique, posent également un problème. Comme nous l'avons vu, les personnalités qui défendent un point de vue trop singulier par rapport au « bien-penser » occidental sont marginalisées et voient leur statut d'intellectuel souvent contesté. Pour gagner leurs galons d'intellectuel musulman, ces derniers sont sans cesse obligé de donner des gages de  républicanisme, de modération à l'égard de leur culture présentée comme dialectiquement opposée à celle de l'Occident, au détriment de la singularité, composante essentielle de leur existence.

L'intellectuel musulman serait-il donc mort-né ? Sans être prophète, cela paraît peu concevable. Au contraire, la vigueur et la visibilité nouvelle des débats au sein de la communauté musulmane dans la période allant de 1989 à aujourd'hui marque très certainement un tournant historique. Cela ne nous empêche pas de soulever les limites voire les contradictions de ce statut. Si l'intellectuel musulman doit se distinguer de l'intellectuel occidental pour exister, il ne doit pas non plus trop s'en différencier, au risque de se voir contester sa posture d'intellectuel. A l'inverse, à trop se rapprocher du « politiquement correct », la pensée intellectuelle musulmane peut vite être diluée dans le reste du monde intellectuel. La perpétuation dans l'avenir ou non de la figure de l'intellectuel musulman dépendra en réalité de la question essentielle suivante : la France est-elle prête à accepter le relativisme culturel, y compris dans le domaine intellectuel ?

* 268 Entretien de Xavier Ternisien avec Franck Fregosi, Le Monde, 5/10/2001.

* 269 Thomas Deltombe, « L'islam au miroir de la télévision », Le Monde Diplomatique, mars 2004.

* 270 Houari Bouissa, « Pour une définition de l'intellectuel musulman », Oumma, 12/2/2005.

* 271 Mohamed Arkoun, « Retour à l'affaire Rushdie », in Pour Rushdie, La Découverte, 1993

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