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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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2) La prise de distance définitive avec le marxisme péruvien

L'expression faîte par Mariategui de son adhésion au mouvement apriste dans les années vingt, les origines marxistes de la pensée de Haya de la Torre ou la maturation d'un noyau communiste au sein de l'APRA, étaient autant de signes, qui illustraient la confusion qui pouvait exister à la lecture des origines communes, des deux principales forces de la gauche péruvienne. Cette question ne demeurait en rien une particularité péruvienne, on peut même dire, qu'elle englobait tous les débats qui eurent lieu dans les partis socialistes des années vingt. Le premier point de filiation entre l'APRA et le marxisme péruvien, résidait dans le fait, qu'ils se déclaraient tous les deux socialistes. Les débats autour du vrai sens à accorder à ce terme, nourrirent de nombreux affrontements entre chacune des parties, qui cherchèrent à se réapproprier cette notion dans le dessein d'affirmer leur autonomie. Pour l'apriste Luis Heysen, le socialisme qu'incarnait l'APRA, offrait « une solution par nous, dans nos terres et richesses nationales, dans notre indépendance face à la voracité yankee ou à l'ours, éveillé et sans chaînes soviétique »161(*) . Critiquant la pensée de Mariategui qu'il qualifiait de « bolchévique d'annunziano », il défendait l'idée que le socialisme ne pouvait pas s'atteindre par des « idées irréelles et fantastiques crées par l'imagination »162(*), mais par une action construite dans le cadre d'une lutte régionale contre l'impérialisme. Ces débats n'étaient en rien une évidence pour une population très peu réceptive de ces débats idéologiques. Pour beaucoup encore, les dirigeants apristes demeuraient, au même titre que Mariategui, le symbole de la résistance héroïque contre un dictateur, que le gouvernement de Velasco ne se privait pas de critiquer. Les apristes restaient assimilés à la revue Amauta, et personne ne comprenait réellement avec clarté, la séparation qui eût lieu entre les deux forces à la fin des années des années vingt. Forcé de se livrer à une défense de la singularité de son parti, Luis Alberto Sanchez entreprit un travail d'explication et d'éclaircissement sur les circonstances historiques et les raisons qui poussèrent à cette séparation.

a) Le problème du rapprochement par le passé

La question des références intellectuelles communes entre socialisme et communisme a toujours été un thème qui a suscité des controverses et des polémiques de part et d'autres. Dans le cas péruvien, les principales figures de gauche (Haya de la Torre, Mariategui, Meza) vouèrent au début des années vingt, une certaine dévotion aux anarchistes russes, Bakounine et Kropotkine, et à l'anarchiste péruvien de Gónzalez Prada. Ils voyaient dans ce dernier, le fondateur du renouveau politique péruvien, et prônaient dans ce sens, la nécessité de bâtir une nouvelle nationalité et une nouvelle culture, autour des idées de Prada. Ils en célébraient ensemble son statut de défenseur des indiens, et sa violente hispanophobie. Luis Alberto Sanchez revenait d'ailleurs dans ses Mémoires, sur la sociabilité politique que créaient ces figures parmi la jeunesse péruvienne, et d'autre part, sur la fascination qu'exerçait la Révolution russe sur la génération de la Réforme péruvienne. Cependant, il cherchait à relativiser cette passion commune pour des auteurs qui bercèrent leur jeunesse, mais qui selon lui, demeuraient des découvertes intellectuelles intéressantes, faisant parti d'un cheminement intellectuelle, mais dont la radicalité ne pénétra jamais la pensée apriste née quelques années après. Il détachait pour cela Prada des anarchistes russes, ne reprenant finalement que sa dimension sociale et sa radicalité d'esprit, le rendant ainsi plus amène à figurer en précurseur d'un parti qui se voulait révolutionnaire par sa dimension réformatrice, mais qui refusait de prendre le pouvoir par la violence.

Indépendamment de cette proximité intellectuelle, la question de l'imbrication des réseaux entre apristes et futurs fondateurs du Parti Communiste péruvien demeurait également un autre thème sensible pour les apristes, d'où l'obligation pour Luis Alberto Sanchez, de hiérarchiser ces rapports, et de montrer le rôle politique joué par Mariategui, sans faire de l'ombre à Haya de la Torre. Il présentait le parcours journalistique de Mariategui, de ses débuts en 1915 comme simple employé des ateliers de la Prensa, à son zénith comme directeur de l'Amauta. Mais plus que dresser un historique de son évolution, il mettait en évidence le rôle joué par Haya de la Torre dans la carrière de celui-ci. Il en magnifiait le fait que, sans une décision du leader apriste de 1923, Mariategui n'aurait jamais participé politiquement au combat de résistance contre Leguia. Pour l'historien apriste, la décision de Haya de la Torre de le nommer directeur substitut de la revue Claridad, correspondait à la véritable entrée en politique de Mariategui, et à son premier contact avec les Universités Populaires. Cherchant à souligner la supériorité de Haya de la Torre dans l'action et les réalisations politiques, il caricaturait parfois la figure de Mariategui, en le dépeignant davantage comme un homme de lettres que comme un homme d'engagement. Mariategui était en effet peint en animateur des milieux littéraires liméniens, en intime d'écrivains tels que Valdelomar163(*), et comme quelqu'un cherchant à nier en permanence son passé littéraire.

Même la maladie de Mariategui entra dans le schéma mit en place par Sanchez pour marquer la supériorité de Haya de la Torre. Il écrivit à ce sujet, en surexposant le rôle qu'il joua et que joua Haya de la Torre lors d'un des moments les plus critiques de la maladie du fondateur de l'Amauta. Il relata d'ailleurs, l'action qu'il entreprit pour venir en aide à ce dernier, et comment il se battit pour aider son ami, pour qui il « lança un appel dans les pages de la revue Mundial afin de collecter des fonds pour venir en aide à la famille meurtrie de Mariategui... »164(*). Il associa même à cette entreprise Haya de la Torre alors en exil, en soulignant la force de la solidarité et de la compassion de ce dernier: « Je te remercie de ce que tu as fait pour J.C.M. Tu l'as fait comme si ça avait moi. C'est un frère »165(*). Les Mémoires servirent de ce fait à propager la grandeur de l'esprit de fraternité que cultivaient les jeunes apristes dans les années vingt. L'auteur y retraçait le rôle qu'il joua pour venir en aide aux prisonniers politiques injustement emprisonnés sous Leguia. Or le cas de Mariátegui permettait de montrer que, s'il pouvait exister certes un rapprochement par le passé entre marxistes et apristes, il avait toujours servit au premier comme échappatoire face au danger. L'historiographe officiel de l'aprisme parachevait par exemple cette exposition des faits, en montrant que Mariategui pu sortir de prison en 1929, grâce aux apristes, et que sans Luis Alberto Sanchez, une personne malade innocente aurait pu mourir en prison.

Ainsi présenté, le passé commun entre marxistes et apristes tournait en faveur des seconds. Il permettait de dépasser les dangers d'une association trop rapide, pis, de montrer une certaine supériorité en actes et en valeurs. Le fait d'insister sur la solidarité envers Mariategui n'était en rien anodine. Elle rappelait le rôle joué par les futurs apristes dans la carrière de celui dont la junte militaire en faisait son héros, au même titre que Tupac Amaru. Elle permit de clarifier également la spécificité de l'aprisme, et de souligner la primauté de l'APRA en faits et dans la lutte contre l'autoritarisme. Non content de se limiter à la période de collaboration, Luis Alberto Sanchez poursuivit son travail explicatif sur la rupture. Là, non seulement il reprit les schémas antérieurs, mais il la transforma en symbole politique.

* 161 Luis Heysen, in Arico José, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.19

* 162 Carlos Manuel Cox, in Arico José, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.19

* 163 « La figure et la conduite de l'auteur du Comte de Lemos avait crée une école. Mariátegui s'y intégra avec ferveur. En peu de temps, il en devînt le principal prêtre. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.182

* 164 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.197

* 165 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.198

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault