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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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Université Paris VII-Denis Diderot

U.F.R. Géographie, Histoire, Sciences de la société (GHSS)

Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A :

Témoignages et production historiographique

Daniel Iglesias

Mémoire de Maîtrise d'Histoire

Réalisé sous la direction de :

Pr. Zacarias Moutoukias

Année universitaire 2004-2005

A Nathalie, pour ton soutien, ton amour, ton amitié, et toutes les indénombrables choses que tu m'as données, et qui m'ont permit de réaliser ce mémoire

Ici habite Manongo Aquí descansa Manongo

De pure race latine De pura raza latina

Son grand-père émigra de Chine Su abuelo emigró de China

Sa mère vint du Congo Su madre vino del Congo

Manuel Gonzalez Prada, Grafitos, Paris, 1937, p.175

(Inscription sur la porte de la maison d'un étudiant péruvien dans le Quartier latin, à Paris)

SOMMAIRE

INTRODUCTION

I) LA CONSTRUCTION JOURNALISTIQUE D'UNE FILIATION (1926-1929)

A) L'ÉMERGENCE D'UNE CONTESTATION JOURNALISTIQUE FACE À UN RÉGIME AUTORITAIRE (1919-1926)

1) De l'illusion à l'autoritarisme

a. Les paradoxes d'un système népotique

b. L'instauration d'un Etat policier

2) La montée en puissance de la presse contestataire

a. Le rôle de la presse dans la Réforme universitaire de 1920

b. De l'expansion à la persécution

B) LE TEMPS DE LA COLLABORATION ENTRE L'AMAUTA ET L'A.P.R.A

1) Une revue politique progressiste

a. La recherche d'une régénérescence par la culture

b. Le renouveau nationaliste

2) Le travail de présentation des origines

a. La défense des signes précurseurs du renouveau

b. La sacralisation de Gónzalez Prada

II) L'ÉMERGENCE D'UNE HISTORIOGRAPHIE DE « L'ÂGE D'OR »

A) UNE NÉCESSAIRE RÉPONSE STRUCTURÉE EN TEMPS DE CRISE (1969)

1) L'A.P.R.A à l'épreuve du Pérou de Velasco

a. Une tradition de rapports conflictuels entre l'Armée et l'APRA

b. La réappropriation du programme apriste par le gouvernement militaire

2) La prise de distance avec le marxisme péruvien

a. Le problème du rapprochement par le passé

b. Le symbolisme politique de la rupture avec Mariátegui

B) UNE RESTRUCTURATION AUTOUR DE LA PURETÉ DES ORIGINES

1) La mise en valeur des luttes du passé

a. La Réforme universitaire péruvienne

b. Le leadership dans la lutte contre la dictature de Leguía

2) La sacralisation de Haya de la Torre

a. Le culte du héros

b. La figure du chef

c. La figure de la victime

III) LA CONSOLIDATION DU DISCOURS APOLOGÉTIQUE SUR LES ORIGINES (1975-1981)

A) L'HEURE DU BILAN ET DU CHANGEMENT

1) Le temps de la restructuration dans un pays en crise (1975-1980)

a. Le désengagement politique progressif des forces armées péruviennes

b. La mise en place d'une Assemblée Constituante

2) La recomposition de la gauche péruvienne

a. Le débat autour des origines de la gauche péruvienne

b. La question de l'expérience réformiste de Velasco

B) UNE SACRALISATION EN GUISE DE CHARISME OBJECTIVÉ

1) Le travail de finition de la symbolique populaire apriste

a. Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A

b. La défense de la qualité d'héritier légitime de González Prada

c. Le raffermissement de la culture de la singularité

2) La recherche d'une assise populaire durable pour la figure d'Haya de la Torre

a. La mythification de la victoire lors de la lutte pour la Journée de Huit heures

b. Le développement d'une culture du chef intemporel

CONCLUSION

La place de l'activité discursive dans la vie politique a été de tout temps, une donnée incontournable dans la construction d'une légitimité et dans la modification éventuelle des rapports de forces. Les hommes politiques, les partis structurés, voire tous les acteurs de l'univers politique en ont fait une ressource de pouvoir, dont l'objectif premier est de peser sur une société en véhiculant un message, une idée ou un imaginaire. Les discours politiques sont difficilement repérables à première vue comme tels, faute de critères internes permettant de les classer en « politiques » ou « non politiques », « ne serait-ce que parce que les discours les moins politiques par leur contenu peuvent produire des effets évidents (à commencer par la dépolitisation) »1(*). La première difficulté réside donc, pour celui qui se prête à l'étude d'un ou plusieurs discours politiques, dans l'extrême plasticité et multiplicité de l'objet. Car les discours politiques englobent des discours publics, de la propagande, des programmes électoraux, des motions de congrès, bref, l'ensemble de la production émanant des différents acteurs de la vie politique.

Les témoignages d'hommes politiques et la production historiographique peuvent être qualifiés de discours politiques, par la nature de leurs auteurs, les informations politiques qu'elles contiennent, voire l'incessant flux d'idées politiques qu'elles peuvent véhiculer. Ils sont une autre forme de communication politique que celle inclue dans les corpus classiques, et gardent des mécanismes qui les rendent parfois indépendants des critiques que subissent les autres discours publics, souvent stigmatisés pour leurs lourdeurs formelles ou leurs caractères mensongers. Dans le cas étudié, nous nous pencherons sur les témoignages des principaux leaders de l'Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine (APRA), ainsi que sur la production historiographique officielle de ce parti politique péruvien. Notre étude cherche à proposer une interprétation de la portée, tant politique que publique, de la déformation, voire de l'utilisation de l'histoire par l'APRA. De ce fait, notre travail se veut un éclaircissement du recours à l'histoire par ce parti politique, et des motifs politiques qui l'ont conduit à agir de la sorte. Il s'efforce de montrer, suivant les différentes façons de réfléchir à l'usage politique du passé qu'examinent Jacques Revel et François Hartog dans Les usages politiques du passé, comment des discours historiques sont susceptibles de devenir pour des raisons politiques, un élément de propagande politique. Cette question demeure, à notre sens, d'autant plus significative pour le cas apriste, qu'il n'existe aucune historiographie sur l'APRA qui ne s'émancipe de la tutelle du parti ou qui ne soit l'oeuvre d'une campagne politique à son encontre. Car à l'exception du livre de l'historien américain Peter Klaren, Formación de las Haciendas Azucareras y los origenes del APRA, l'historiographie non-apriste et non partisane sur l'APRA demeure un champ vide. Renforcé par la monopolisation de l'écriture sur les origines par les historiens apristes, ce vide contraint donc l'historien à se pencher sur « des interprétations simplificatrices et impropres »2(*), et à suivre des démarches comme celle de l'historien français Raoul Giradet. Ces dernières en effet, ambitionnent expliquer une historiographie engagée à partir du contexte, en tissant des ponts permanents entre les voix discursives et un contexte politique plus large, dans le but de rompre avec la résultante des « passions politiques et religieuses mal cantonnées par l'absence de tradition scientifique »3(*).

L'examen de ces discours embrasse une expérience discursive qui s'est bâtie au cours de trois grandes étapes de la vie politique de l'APRA (ses débuts à partir de 1926, sa plus grave période de crise à la fin des années 1960, et sa fin en tant qu'aprisme historique à partir de 1975). Elle vise à comprendre l'évolution du discours et de ses modalités sur une longue période, afin de vérifier la corrélation entre le contexte politique et la production littéraire, tout comme l'évolution des positionnements stratégiques de l'APRA. Le discours étudié ici est présenté en trois grands ensembles, que nous avons sélectionnés en fonction du lien indissoluble entre le travail d'écriture et les mutations politiques et sociales. Les témoignages et la production historiographique regroupent, dès lors, des données de trois périodes distinctes, que nous avons classées, hiérarchisées, et présentées de manière chronologique.

Ces témoignages sont le principal recueil de textes du leader historique de l'APRA, Víctor Raúl Haya de la Torre (Testimonio y mensaje, Obras Completas de 1977), les Mémoires de l'historien et universitaire Luis Alberto Sanchez (Testimonio personal de 1969), celle de l'indigéniste Luis Varcarcel (Memorias), les impressions du leader syndical Julio Rocha, et pour finir, les souvenirs de l'historien péruvien Jorge Basadre (La vida y la historia), qui bien que n'étant pas apriste, nous livre des informations vitales, de par sa qualité de témoin, pour comprendre le pourquoi de ces écrits sur les origines du parti.

La production historiographique quant à elle, comprend tout le travail historiographique formulé par les membres du parti à ses débuts dans les années vingt, et à sa fin comme « aprisme historique » à partir de 1975. Cette historiographie s'ouvre avec le travail de présentation des origines effectué par les apristes dans les pages de la revue Amauta dès 1926, au temps de la collaboration entre les partisans de Haya de la Torre et ceux de José Carlos Mariátegui. Ce qui correspond à tous les articles publiés par le magazine sur les origines et les thématiques développées par l'aprisme, alors que celui-ci ne s'était pas encore consolidé en parti politique structuré. Pour ce qui est de la période 1975-1980, cette historiographie regroupe des écrits jugés officiels par le parti, et qui correspondent aux formulations classiques de l'APRA sur ses origines en ce qui concerne le parcours historique de son chef (Sanchez Luis Alberto, Víctor Raúl Haya de la Torre o el político), les luttes politiques (Murillo Percy, Historia del APRA 1919-1945; Sanchez Luis Alberto, Apuntes para una biógrafia del APRA, Los primeros pasos 1923-1931; Villanueva Valencia Victor, El Apra en busca del poder 1930-1940, Villanueva Valencia Victor, El Apra y el ejercito) ou encore la formulation des actes fondateurs de l'APRA comme la Révolution mexicaine, la Réforme universitaire de Cordoba, et les luttes étudiantes contre Leguía.

Prétendre analyser un discours politique, cela ne signifie pas uniquement délimiter les frontières d'un objet dans le temps et dans l'espace, ou encore choisir les corpus les plus accessibles, c'est, avant tout, proposer un angle d'attaque pour mieux en saisir la portée et l'intérêt historique. Tout discours politique ne peut, par nature, s'émanciper de la réalité dans laquelle il s'insère. Plus généralement, ce dernier condense parfois les logiques sociales, les angoisses, ou tout simplement l'état d'esprit qui préside à leur production et à leur réception. Dans cette recherche de pertinence, il convient de proposer une approche analytique qui saisisse le discours politique dans son rapport à son temps de production. Il s'agit en effet d'essayer de dresser des ponts entre les logiques textuelles et le réel, plutôt que de penser le discours comme un tout indépendant de son contexte de naissance, ce qui nous amène à opter pour une approche qui présente, dans un premier temps, le contexte politique et social, et dans un second, le discours lui-même. Cette démarche repose sur l'idée qu'une production discursive émanant d'un parti politique reste avant tout une manifestation sociale ou plus précisément un incessant flux d'idées qui irrigue le champ et la vie sociale d'un pays. Voilà pourquoi nous consacrons la moitié de l'explication discursive de chacune des trois parties chronologiques, au travail de recentrage historique à partir des témoignages eux-mêmes et de travaux historiographiques sur ces périodes. Par ailleurs, nous revenons également en introduction de chacune des parties, sur l'historique de ces discours politiques, en essayant, chaque fois ,d'en souligner leur portée, en vue d'une meilleure compréhension des liens pouvant exister entre une production séparée dans le temps. Notre but est de tisser les liens entre les débuts du travail historiographique de l'aprisme « primitif » de 1926 et la naissance d'une historiographie officielle dans les Mémoires de Luis Alberto Sanchez en 1969, puis entre cette dernière et le corpus de témoignages apparus suite à l'avènement de la junte militaire présidée par Morales Bermudez en 1975.

Présentation historique des luttes du parti, de l'oeuvre politique de son leader charismatique Víctor Raúl Haya de la Torre, entreprise de légitimation ou de filiation, ces sources n'en restent pas moins l'expression, sinon le vecteur d'une pensée dominante et structurée. Crée en mai 1924, par Víctor Raúl Haya de la Torre alors en exil au Mexique, ce mouvement à vocation continentale apparut dès ses débuts comme une synthèse de plusieurs courants. Comme le souligne Pierre Vayssière, l'aprisme prétendait, « se situer au carrefour de l'idiosyncrasie américaine et de l'ouvriérisme européen ; son idéologie complexe était condensée dans un slogan : `'Contre l'impérialisme, pour l'Unité politique de l'Amérique latine, pour la réalisation de la Justice sociale !'' »4(*). L'APRA devînt dès lors l'un des principaux animateurs de la scène politique péruvienne et latino-américaine, développant au passage un programme attaqué par la IIIe Internationale et les Partis communistes de México et de la Havane. Lancé en 1936 par son « caudillo », dans son célèbre ouvrage L'anti-impérialisme et l'APRA (El Anti-imperialismo y el APRA), ce programme, en effet, proposait cinq points directeurs (lutte anti-impérialiste, nationalisation des terres et solidarité des classes opprimées, unité continentale, internationalisation du canal de Panamá) qui allaient, par la suite, forger durablement l'image et l'imaginaire politique autour du parti. Ce dernier se voulait avant tout social, plus encore porteur d'un espoir de justice sociale. L'indigénisme et l'agrarisme hérité de la Révolution mexicaine prirent ainsi une place centrale dans cette nouvelle réflexion politique que l'on commençait déjà à connaître sous le nom d'« hayatorisme ».

Ainsi conçu, l'aprisme, dont la donnée fondamentale restait à ses débuts l'internationalisme prolétarien mais sans lutte de classes, cherchait à s'ouvrir vers l'extérieur. Haya de la Torre croyait fermement à la possibilité d'étendre l'idéal apriste en créant plusieurs mouvements analogues partout sur le continent latino-américain. Uni autour d'un nationalisme continental pour mieux se prévaloir contre les attaques portées par l'impérialisme « yankee », la mission première du parti était de concevoir et de diffuser, une révolution culturelle à l'échelle du continent. Mais, très vite interdit à partir de 1932, puis pourchassé suite à l'assassinat du président Sanchez Cerro le 30 avril 1933, l'APRA ne dépassa jamais la sphère péruvienne. Reste que, même si cette Internationale ne pu jamais se réaliser, il convient cependant d'affirmer qu'il a existé une famille de partis apristes qui créèrent entre eux une chaîne de solidarité. Cet ensemble éphémère, réussit cependant à réunir le Mouvement National Révolutionnaire bolivien, l'Action Démocratique du Venezuela, le Parti Colorado en Uruguay, les Febreristas au Paraguay, le parti de la Libération nationale au Costa Rica, et même le futur parti révolutionnaire dominicain de Juan Bosch et le parti du gouverneur Muñoz Marin à Porto Rico. Ces affinités donnèrent même naissance à la revue politique Combat (Combate), publiée à San José de Costa Rica.

Aux cours des décennies suivantes, l'APRA fut interdit puis réapparut éphémèrement. Cette oscillation nourrit progressivement l'hostilité croissante de l'armée et de la droite péruvienne à son encontre. Au point que ces derniers agitèrent à plusieurs reprises la peur de l'aprisme pour légitimer des coups d'Etat, voire de très sévères purges dans l'armée. Cette situation renforça dès lors la position de victime du parti. Il dut dès lors penser à sa survie et faire face à la censure et aux persécutions, tout en continuant à se forger une identité depuis l'exil. Les principaux chefs en exil s'efforcèrent d'entretenir la mémoire des luttes des années 1920-1930. Ils forgèrent ainsi une sociabilité politique autour de symboles et d'un imaginaire collectif dont la personne de Haya de la Torre en signifiait la grandeur. La question de la consolidation identitaire était d'autant plus importante que l'APRA ne réussissait jamais à prendre le pouvoir du vivant de Haya de la Torre. Contraints de s'allier, au risque de voir s'instaurer un nouveau coup d'Etat, comme en 19455(*) ou en 19566(*), ou bien , vaincu électoralement par la coalition Action Populaire-Démocratie Chrétienne, menée par Fernando Belaunde Terry en 1963, le parti ne put jamais véritablement gouverner, voire se maintenir dans l'appareil exécutif. Les expériences de 1945 et de 1956 qui virent des coups d'Etat militaires se substituer aux régimes démocratiquement élus, témoignèrent même de la vigueur de l'anti-aprisme des forces armées, et de la peur que suscitait encore pour certains la secte7(*). L'espoir de gagner les élections, et de voir Haya de la Torre devenir président du Pérou après plusieurs tentatives, s'estompa après le coup d'Etat militaire de Velasco Alvarado et l'avènement de la « Révolution péruvienne ». Bien qu'il ne réussît jamais à prendre le pouvoir sous la direction de son leader et fondateur historique, l'histoire de l'APRA n'en reste pas moins l'une des données structurelles les plus importantes et les plus illustratives de l'histoire politique contemporaine péruvienne. Car, malgré une absence de commandement institutionnelle, le parti réussit à se doter d'une base militante solide, de fiefs électoraux imprenables, ainsi que d'une symbolique populaire inébranlable qui demeure encore jusqu'à nos jours. Ce fut alors grâce au travail de construction identitaire, à ses alliances à l'étranger ou encore à son potentiel de mobilisation sociale que le parti put survivre puis s'instaurer définitivement sur le paysage politique local. Tributaire d'une évolution idéologique, sans pour autant s'écarter des fondements de l'hayatorisme, l'APRA réussit finalement à prendre le pouvoir en 1985 en la personne de Alan García Perez. Ce dernier, en effet, l'emporta au premier tour des élections présidentielles contre le candidat marxiste Barrantes (Gauche Unie, Izquierda Unida).

Plusieurs facteurs peuvent à l'évidence expliquer la survie de l'aprisme jusqu'à la victoire de Alan García, mais tel n'est point notre propos. Mais, ce qui est indéniable, c'est que la recherche identitaire ou plus encore la réponse à la question « Qu'est-ce l'aprisme ? »8(*), ont été l'un des points de réflexion autour desquels s'est construit le parti. Poussé par les évènements ou tout simplement sensible à l'évolution de la pensée marxiste au 20ème siècle, l'APRA a su progressivement répondre à cette question. Haya de la Torre lui-même en guida l'évolution, infléchissant progressivement sa radicalité politique au regard des mutations socio-économiques que connaissait la société péruvienne. Au-delà de la réponse apportée, il y a la manière, plus spécifiquement le moyen ou les moyens d'y répondre. L'APRA commença son travail de production historiographique sur ses origines dans les pages de la revue Amauta deux ans à peine après la naissance de celle-ci Soucieux de se faire connaître dans leurs pays d'origines, les fondateurs de l'APRA en exil, Haya de la Torre en particulier, commencèrent dès lors à articuler leur travail de séduction, autour des origines politiques et intellectuelles du mouvement émergent. La nécessité de se justifier, de construire une légitimité, de présenter un tout actif et décidé, va devenir par la suite un des leitmotivs de l'aprisme. Cette nécessité va s'accroître après le coup d'Etat de 1968, qui va plonger le parti dans ses années les plus sombres. Puis elle va se prolonger après 1975, grâce au retour progressif de la démocratie au Pérou, faisant du modèle historiographique lancé en 1926, un modèle d'écriture historique adaptable à un autre genre littéraire : les mémoires.

Quels éléments a-t-on donc utilisé pour faire exister une expérience collective vouée au service d'une cause nationale et continentale ?

Dans quelle mesure la nécessité de construire une image de parti cohérente, gratifiante, enracinée, tournée vers l'avenir, mobilise-t-elle des ressources offertes par le passé ?

De quelle manière a-t-on mis en avant la trajectoire d'un leader politique censé incarner non seulement les luttes de son pays mais également celles d'un continent ?

De quelle manière a-t-on mises en évidence des preuves sur lesquelles étayer la légitimité de Haya de la Torre en tant que leader politique péruvien ?

Indépendamment de ces questions, cette construction historiographique sur plusieurs années témoigne également de la complexité idéologique de l'APRA. Elle est non seulement la manifestation d'un usage politique du passé, mais surtout l'expression d'un certain type de discours populiste. Ce dernier point est ce qui fait, à nos yeux, la singularité de ce parti. Il découle d'un caractère populiste omniprésent, dans la mesure où, le discours que nous nous proposons d' examiner ne s'appuie pas tant sur une idéologie ou une doctrine, mais plutôt sur une manière de faire ressentir et de présenter le passé. Du fait de la nature du populisme comme mouvement politique, du recours à l'imaginaire politique national ou simplement de la convergence du discours vers la personne de Haya de la Torre, ces discours traduisent même une volonté politique de prolonger la communication du parti en utilisant les avantages offerts par les mémoires et l'histoire. Cette question prend tout son sens, si l'on tient compte du contexte politique et social dans lequel il s'insère. Car, comme le souligne Raoul Girardet, toute production historiographique, aussi déformée ou partielle soit-elle, n'en garde pas moins un lien étroit avec le réel. Elle fournit même selon ce dernier, « un certain nombre de clés pour la compréhension du présent, une grille à travers laquelle semble s'ordonner le chaos déconcertant des faits et des évènements »9(*). Voilà pourquoi, nous considérons que nous ne pouvons dissocier l'histoire du discours sur les origines de l'APRA et l'histoire politique péruvienne contemporaine. Outre que ce dualisme en figure une explication plus concrète du discours lui-même, il nous fournit par ailleurs des éléments pour discuter le vrai sens politique à leur accorder. D'après ces éléments donc, dans quelle mesure l'ensemble de ces discours sur les origines sont-ils fondateurs d'un double mythe populiste ? Mais encore, dans quelle mesure sont -ils ce que Girardet définit comme des signes « révélateurs de quelques-unes des crises les plus profondes et les plus constantes propres à un certain type de culture et de civilisation. »10(*) ?

Replaçant en permanence notre étude discursive dans son contexte de production, nous examinerons par conséquent,le caractère représentatif, tant au niveau politique que social, de chacune de nos sources. Nous y retracerons avec précision la corrélation entre la volonté de communiquer autour des origines de l'APRA, et l'histoire du parti, et du Pérou. Nous procéderons alors de manière chronologique, analysant dans une première partie, le contexte, et l'éclosion d'une historiographie sur les origines, née dans les pages de la revue Amauta. Prolongeant notre approche historiographique, nous reviendrons dans une seconde partie, sur les Mémoires de Luis Alberto Sanchez, en l'insérant davantage dans l'histoire de l'APRA. Puis dans une troisième partie, nous insisterons sur la consolidation de ce travail de présentation des origines de l'APRA et du parcours politique de Haya de la Torre, tout en revenant brièvement sur le contexte politique péruvien.

I) La construction journalistique d'une filiation (1926-1929)

Très proche des idées du Front des Travailleurs Manuels Intellectuels11(*), fondé en 1923 par Víctor Raúl Haya de la Torre, la revue Amauta publia dès sa naissance en 1926, l'ensemble de l'historiographie sur les origines produites par les cadres de l'APRA. Son directeur, José Carlos Mariategui, n'hésitait pas à déclarer que le magazine pouvait offrir aux apristes une renommée si grande, qu'il figurait la phase de définition des idées avant-gardistes proposées par Haya de la Torre. Amauta servit de relais dans l'opinion publique péruvienne pour ce mouvement fondé à peine deux ans auparavant, tout comme il contribua à entretenir l'esprit de sacrifice que cultivaient les apristes en exil. En effet, ces derniers, expulsés en 1923 alors qu'ils étaient étudiants, se servirent du journal pour continuer à peser sur la vie politique de leur pays d'origine, quant bien même ils étaient contraints à l'exil à Paris, au Mexique (pour Haya de la Torre) et en Argentine (pour Manuel Seoane et Manuel Cox). Une crise éclata finalement en 1928, suite à des désaccords politiques portant sur la question du marxisme, ce qui profilait déjà la rupture irrémédiable de 1930.

Reste qu'à ses débuts, la revue Amauta se plaçait effectivement sur le même terrain rénovateur que l'APRA, dont elle divulguait les communiqués, les symboles12(*) et en magnifiait les origines, à tel point que ce fut dans ses colonnes que se fondèrent les mythes mobilisateurs que l'on retrouve dans toute l'historiographie apriste. C'est ainsi que se créa progressivement durant deux ans, à travers des publications intermittentes, tout un ensemble de références autour desquelles va être fondé en 1930, le Parti Apriste Péruvien ou PAP. Différents articles de Haya de la Torre, de Manuel Seoane, de Carlos Manuel Cox, d'Antenor Orrego, illustrèrent alors le caractère novateur de l'aprisme, et en soulignèrent ses composantes nationalistes et culturelles. La culture péruvienne et latino-américaine fut introduite sous une connotation politique, car les proches de Haya de la Torre estimaient que la rénovation de l'esprit demeurait une arme aussi puissante que le glaive dans tout processus révolutionnaire. La revue publia pour cela des articles touchant à l'histoire, et à la « péruanité » dans une optique purement nationaliste, où émergeait d'ores et déjà l'idée que, le chemin du changement commençait par une revalorisation du patrimoine historique et culturel national et continental, véritable barrière face à la menace impérialiste.

A) L'émergence d'une contestation journalistique face à un régime autoritaire (1919-1930)

1) De l'illusion à l'autoritarisme : le régime d'Augusto B. Leguía

Le bilan des « Onze ans » (Oncenio) a toujours donné lieu à de multiples interprétations, entre ceux qui voit en Leguía, le modernisateur qui permit au Pérou d'entrer dans la modernité, et d'autres au contraire, qui soulignent plutôt (c'est le cas des apristes, de l'ensemble de la gauche péruvienne depuis 1930, et des principaux intellectuels péruviens) son penchant autoritaire et népotique. Déjà en 1930, l'intellectuel catholique conservateur, Víctor Andres Belaunde dénonçait dans son essai, La realidad nacional, le caractère tyrannique du nouveau président élu en 1919, et qui se maintît au pouvoir en 1924 au détriment de la Constitution et des dispositions institutionnelles. Cet intellectuel et diplomate voyait dans cette victoire électorale, un recul sensible pour la vie politique de son pays, tant elle statuait selon lui, une trahison à la patrie que le président cultiva durant son mandat13(*). D'autres comme par exemple, Jorge Basadre, alors étudiant à San Marcos, se souviennent de cette période comme un temps obscur et contestataire, où Leguía faisait tout pour se maintenir au pouvoir, y compris utiliser la répression policière contre ses opposants14(*). Ces lectures très critiques, contrastent avec la vision qu'entretiennent les partisans d'un régime fort dans le pays, et qui défendent le fait que, La Nouvelle Patrie15(*) marqua partiellement la fin de l'oligarchie politique16(*), tout comme elle permit l'émergence sur la scène politique des classes moyennes liméniennes et provinciales autour de la figure du caudillo charismatique ou encore la naissance du « Pérou moderne »17(*). Reste qu'au-delà de ces débats sur les bienfaits du léguiisme, les promesses électorales non tenues de Leguía (l'instauration d'une République décentralisée, libérale, et parlementaire) entraînèrent des contestations sociales dans le pays, spécialement dans les milieux universitaires et ouvriers. Progressivement, le « Maître de la Jeunesse »18(*), même s'il mit fin à la « République aristocratique »19(*), inaugura un nouveau caudillisme dans le pays. C'est d'ailleurs justement, ce que dénonce dans leurs écrits postérieurs à cette période, l'ensemble des acteurs s'étant opposé au régime.

a) Un système népotique

Malgré les critiques lancées contre lui, la victoire de Leguia aux élections présidentielles de 1919, au détriment du candidat civiliste, Antero Aspíllaga, n'est en rien contestée. Même Víctor Andrés Belaunde, pourtant l'ennemi juré du caudillo Leguía, estimait que cette victoire était légitime, et répondait correctement aux impératifs juridiques20(*). Ce succès exprimait la volonté d'un large front populaire, où se mêlait diverses sensibilités jusque là écartées du pouvoir, mais dont le coeur était dominé par des représentants des classes moyennes et des étudiants réformistes. Très vite, le président élu se dit prêt à moderniser le pays, et à tout faire pour le sortir de l'immobilisme en place. Il dota le Pérou d'une nouvelle Constitution plus parlementaire, et prôna un renforcement de la stabilité politique en limitant le mandat présidentiel à cinq ans non renouvelable. Face aux pressions exercées par les intellectuels de la Sierra (proches des mouvements indigénistes et de la Réforme universitaire péruvienne de 1920), il afficha une volonté de protéger le statut de l'indien.

Cependant, comme le dénonçaient ses détracteurs, son gouvernement mena progressivement une politique économique nettement orientée vers le capital américain. Selon l'historien et homme politique péruvien de centre-gauche, Franklin Pease, cette politique permit alors à l'Etat et au président, d'asseoir leur domination sur l'économie nationale, et de mettre en place un système dont la famille de ce dernier en fut la première récompensée21(*). Pour Belaunde d'ailleurs, la famille de Leguía était si favorisée de la pénétration des entreprises nord-américaines et anglaises, qu'elle s'enrichissait à tel point qu'elle pouvait se permettre de se payer les places vacantes dans les deux assemblées, ce qui avait transformé progressivement ces lieux en des temples où « Fraude, corruption et clientélisme n'auront jamais été aussi florissant »22(*). Décriée avec force par Belaunde23(*), cette gestion de l'économie péruvienne par La Patria Nueva révélait pour celui-ci, une volonté du chef de l'Etat d'utiliser les ressources nationales à son profit. Elle traduisait même une politique qui offrait aux entreprises étrangères des enclaves agricoles et minières sur le sol péruvien. Critiquée comme la manifestation d'une corruption généralisée et institutionnalisée, cette ouverture de l'économie péruvienne aux capitaux étrangers était en ce sens perçue comme un moyen pour le président Leguia d'assouvir les appétits de sa famille24(*). Cette corruption était telle, selon Victor Andres Belaunde, qu'elle souillait le pays au point de lui ôter son identité, son honneur, ne lui laissant finalement qu'une dette en forte augmentation et les caisses de l'Etat vide25(*) .

Cette situation de corruption généralisée ne restait pas moins paradoxale. Car elle voyait également Leguia prendre des mesures sociales comme la Loi de Huit Heures de travail quotidien, le salaire minimum, et la mise en place d'un programme d'éduction primaire pour les quartiers ouvriers dans Lima. Mais malgré ces avancées sociales notables, le clientélisme continuait à nourrir de plus en plus les mécontentements dans le pays. Assurer la sécurité devînt dès lors un impératif pour Leguía, lui qui déclarait que cette question demeurait un des leitmotivs de son action gouvernementale : « Je suis venu non seulement pour liquider le vieil ordre établi, mais également pour freiner les progrès du communisme dont l'avènement prématuré aurait des conséquences désastreuses sur notre société »26(*). Car les mécontentements ne manquaient pas, surtout parmi les classes laborieuses, les étudiants, et les ouvriers, qui commençaient à se restructurer à partir de 1924, et à mener des manifestations contre « ce qui n'avait jamais eu lieu au Pérou, la réélection d'un Président, pour ce qui avait été nécessaire de changer la Carte politique, ce dont le gouvernement lui-même se chargea de faire dès 1920 »27(*)

b) L'instauration d'un Etat policier 

Le renforcement autoritaire du régime d'Augusto B. Leguía ne toucha pas immédiatement la population péruvienne. Cette dernière en effet, bien qu'elle condamnait « les emprisonnements, les attaques contre la presse, la main mise sur le pouvoir judiciaires »28(*), n'exprimait guère son rejet de manière publique, et semblait parfois indifférente à la donne politique. Elle était en somme endormie selon les termes de Víctor Andres Belaunde, par une amélioration sensible des conditions de vie suite à un contexte international favorable aux exportations péruviennes, ce qui avait fait doubler les entrées du fisc, et permit une régression du chômage. Mais un évènement majeur vînt entériner la rupture irrémédiable entre le président et des forces sociales qui, dans leur grande majorité, lui apportèrent tout leur soutien lors des élections présidentielles de 1919. Comme le confirment des témoignages, comme celui de l'indigéniste Luis Valcarcel ou de l'historien Basadre, le revirement de la politique sécuritaire de Leguia intervînt suite aux manifestations du 23 mai 1923 contre la consécration du Pérou au Sacré-Coeur, perçue par ouvriers et étudiants comme « un artifice politique et réactionnaire »29(*). Ce qui fut le premier signe politique fort de tous les opposants à Leguía, vit alors se dresser des manifestants farouchement convaincus d'une ruse de celui-ci pour garder le pouvoir, et pour favoriser sa réélection présidentielle. Ce qui commença comme une timide manifestation des forces anti-cléricales très largement minoritaires (francs-maçons, protestants, anti-catholiques se réclamant de la loi française de Séparation entre l'Eglise et l'Etat de 1905) se transforma soudainement en grand rassemblement des forces d'opposition. Ce rejet contre ce que certains considéraient comme une légitimation de l'autoritarisme en place, fit même apparaître des contestations dans le propre camp présidentiel. L'archevêque Clemente Palma, pourtant député et fervent léguiiste, se déclarait par exemple contre cette mesure au nom du libéralisme en matière religieuse. L'article que ce dernier publia dans la presse locale, poussa les étudiants de l'Université San Marcos à se joindre à la fronde contre cette prise de décision en matière religieuse. Jusque-là endormis depuis la fin mitigée du mouvement réformiste, les étudiants réapparurent divisés sur la scène politique. Néanmoins, l'évènement ralluma la flamme revendicatrice exprimée lors de la Réforme péruvienne de 1920, ce qui fit dire à Belaunde que : « son centre est à nouveau l'Université »30(*). Certains étudiants de tendance civiliste dénonçaient la mesure au nom de la rupture avec la tradition romaine de l'Eglise péruvienne. D'autres, se réclamant de la jeunesse de gauche y voyait le signe d'un renforcement de l'autoritarisme. Ces mouvements se rallièrent enfin en un seul bloc qui manifesta le 23 mai 1923, ce qui donna lieu à des graves incidents avec la police, qui se conclurent par la mort d'un ouvrier et d'un étudiant, alors que du côté, de la police, on comptait également des morts et des blessés. Finalement nous livre Luis Valcarcel, cet évènement « alluma la mèche de la contestation contre Leguia, qui dès lors du recourir aux persécutions pour se défaire de ses opposants qui étaient de plus en plus nombreux »31(*).

Or malgré cette insistance sur le caractère anti-tyrannique (anti-Leguia) des évènements du 23 mai 1923 chez Basadre ou chez Víctor Andres Belaunde, l'historiographie apriste quant à elle ne retient de cet épisode que l'extrême violence avec laquelle les policiers s'en prirent aux étudiants, et surtout à leur leader Haya de la Torre. Pour Luis Alberto Sanchez, le jeune leader étudiant Haya de la Torre fut d'ailleurs la principale cible des forces de l'ordre dans le cortège, au point qu'« un soldat se précipita contre le groupe dans lequel se trouvait Haya »32(*). Luis Alberto Sanchez, acteur et témoin direct de ces journées, revînt par exemple dans ses Mémoires, sur la participation des futurs apristes aux évènements, la décrivant sous le prisme d'une dramaturgie guerrière. Il y montrait une scène où tous les éléments extériorisaient une connotation sanguinaire, et un esprit de sacrifice et de courage de la part d'hommes qui résistèrent même si « en partant la police laissait de nombreux blessés, et deux morts : l'ouvrier Salomón Ponce et l'étudiant Alarcón Vidalón »33(*). Il peignait un tableau où il exposait le dualisme d'une scène, qui voyait des ouvriers et des étudiants sans défense subir les foudres d'une force capable d'envoyer « une groupe de policiers fermer le pas aux étudiants et ouvriers, alors qu'un autre les attaquait par derrière »34(*). Ceci créait ainsi une martyrologie autour de cet épisode, renforçant dès lors l'esprit de sacrifice qui était l'une des qualités innées du bon apriste. D'un autre côté, cette vision dotait l'APRA d'un statut encore plus nationaliste, puisqu'il décrivait l'attachement éternel de ses hommes aux valeurs nationales, et leur volonté de sauvegarder l'intégrité et de l'indépendance religieuse du Pérou, au moment même où le pays passait de plus en plus sous tutelle extérieure. Elle montrait pour finir leur amour à la nation ou plutôt aux fondements de la nation, dans un pays où n'existant pas de séparation entre l'Eglise et l'Etat, la religion demeurait l'un des piliers de la citoyenneté, et de l'esprit national, chose que comme le démontrait Victor Andres Belaunde, le président Leguía ne cessa de souiller durant ses onze ans de gouvernance sans partage.

Contraint de réagir contre la montée des mécontentements (surtout après son choix de 1924, de briguer un second mandat présidentiel qui lui était constitutionnellement interdit) Leguia décida de persécuter ses adversaires. L'indigéniste Luis Valcarcel raconte à cet égard dans ses Mémoires, qu'il fut lui-même victime de cette violence d'Etat en 1927, date à laquelle il fut capturé puis envoyé à l'île San Lorenzo35(*) accusé de complot contre le président. Cette répression poussa d'autres à l'exil. Ce fut par exemple le cas du leader de la Fédération des Etudiants Péruviens, Víctor Raúl Haya de la Torre, que l'on accusa de promouvoir le désordre et l'anarchie parmi la jeunesse péruvienne, et qui du s'enfuir au Mexique en 1923, là où il fonda un an après l'APRA. Pourtant, et malgré cette répression et l'existence de la censure, une opposition journalistique, née dès la prise de pouvoir de Leguia, continua à exister. Elle réussit non seulement à se maintenir, mais également à devenir progressivement, un moyen de se socialiser politiquement. C'est notamment grâce à ces premiers points de ralliements, que va naître quelques années après, la revue Amauta. Ce maintien d'une opposition journalistique n'est pas pour conclure, sans lien avec l'émergence de l'Université San Marcos sur la scène contestataire, puis sa résistance face à un contexte devenu progressivement de plus répressif.

2) La montée en puissance de la presse contestataire

Selon François Bourricaud, la mobilisation politique des années vingt au Pérou, a pour caractéristique majeure qu'elle développe un très net parallélisme avec la prise de conscience idéologique. Il souligne même que « les divers moments de la prise de conscience idéologique correspondent plus ou exactement aux divers moments du processus de mobilisation »36(*). L'évolution de la presse contestataire n'est pas étrangère à cette évolution, sans pour autant y adhérer complètement. Elle reste porteuse d'un message politique, voir pour certains journaux d'une empreinte nationaliste. Mais la presse anti-gouvernementale ne fut pas à proprement parler, un vecteur d'une idéologie définie et pensée dans le cadre d'un parti ou d'une organisation. Elle fut à l'image de la contestation étudiante qu'elle soutenait, une entreprise souterraine, puis publique, qui va évoluer en fonction d'un régime de plus en plus impopulaire. La prise de conscience idéologique que souligne Bourricaud, va se développer ultérieurement, dans les pages de l'Amauta. Reste que la naissance de cette revue, comme le souligne Valcarcel dans ses Mémoires, est largement tributaire d'un éveil journalistique datant de 1919, et des luttes étudiantes qui l'accompagne.

a) Le rôle de la presse dans la Réforme universitaire de 1920

L'explication de la consolidation d'un noyau contestataire à partir de 1919, dans les principales universités péruviennes, peut donner lieu à de multiples interprétations. Nul ne doute pourtant, de l'influence jouée par le mouvement réformiste argentin de 1918 sur l'expérience péruvienne qui vit le jour quelques temps après. Certains, nous le verrons ultérieurement, voient dans cette suite, la manifestation d'un réveil politique continental, voir les origines d'un possible ensemble structurel à l'échelle de l'Amérique du Sud. D'autres se revendiquent pour des questions politique de l'héritage argentin, en s'en présentant comme les garants idéologiques. Hormis quelques allusions chez certains historiens péruviens, la question de l'influence jouée par d'autres facteurs explicatifs sur ce mouvement, semblent avoir été ignorés. Pour Bourricaud au contraire, ce phénomène repose sur des liens sociaux unissant les étudiants37(*), voir sur leur capacité à pouvoir assimiler un discours de nature idéologique. En revanche, ils sont peu à revenir sur le contexte social de l'époque ou à examiner d'éventuels facteurs internes plus locaux qui auraient pu jouer sur la naissance d'une socialisation étudiante.

Le cas de la presse semble pourtant un élément qui nous permet d'éclaircir la montée de la contestation, sans pour autant y voir un lien de cause à effet. La participation de Mariátegui et de Falcón dans les colonnes des journaux Le Temps (El Tiempo) d'abord, puis La Raison (La Razón) ensuite, nous en illustre même certaines de ces composantes, et la rapidité avec laquelle peuvent se constituer des liens de solidarités. La Razón fut l'un des fers de lance de cette contestation, menant directement campagne à faveur de la Réforme péruvienne dans ses colonnes38(*). Elle en fut, à en croire Jorge Basadre, la mèche qui alluma le feu, tant « le mouvement étudiant de la Faculté de Lettres y trouva un écho favorable »40(*). Cette complémentarité était d'ailleurs si grande, que les deux voix « coïncidaient dans l'essentiel »41(*). Les étudiants en effet, retrouvaient dans les mots de ces deux journalistes, des observations et des critiques sur leur quotidien, parfois si difficile. Car comme le dénonçait la Razón et le Tiempo, les contraintes économiques se faisaient de plus en plus pesantes chez les universitaires, au point que certains d'entre eux ne pouvaient plus mener à terme leur formation. Ces contraintes freinaient leur progression académique, les empêchant de respecter l'obligation d'une assiduité obligatoire, ce qui poussa finalement les grands mouvements étudiants à réclamer l'assistance libre aux cours (Asistencia libre)42(*). Ce journal introduisit une sensibilité nouvelle parmi ces étudiants, surtout parmi ceux qui étaient salariés, et confrontés à ces problèmes. Dans son éditorial, Mariategui y critiquait très sévèrement les responsables universitaires, qu'il jugeait responsables de l'échec des étudiants, en raison de leur incapacité à anticiper, pis à faire face aux problèmes causés par l'élargissement du corps des élèves suite à l'exode rural43(*). Dès lors, la lecture de journal devînt un point de ralliement de la lutte pour l'amélioration du statut étudiant. Forts de leur légitimité parmi leurs jeunes lecteurs, les deux journaux insufflèrent un vent nouveau à la campagne contre l'immobilisme dans l'Université, permettant à cette occasion aux dénonciations contre les méfaits du système universitaire, de prendre place dans l'opinion publique péruvienne. Ils donnèrent dans ce sens une voix publique au mouvement réformiste, ce qui se traduisit très rapidement par une pénétration des critiques contre le corps professoral dans les débats politiques, tant ces accusations avaient un large écho dans l'opinion. La lecture des énoncés du mouvement réformiste donnèrent lieu à des débats, à des échanges, et accrurent le dialogue entre les élèves et les responsables du mouvement étudiants. Elle créa même un tel enthousiasme parmi les jeunes, qu'elle brisa les barrières séparant les élèves d'années différentes, au point que comme s'en souvient Basadre, « à peine les articles de La Razón sortis, et ce qui les suivirent plein de franchise, d'honnêteté, de clarté et de grâce, il y eût une réunion chez l'un des plus importants élèves de deuxième année : José Léon Bueno »44(*) . S'y rendirent les plus entreprenants auteurs de cette audacieuse entreprise. », La juxtaposition entre cette presse et certains étudiants devînt telle, que comme s'en souvient Luis Alberto Sanchez dans ses Mémoires, « tous les matins à onze heures, on se réunissait dans la salle de rédaction, à la vue et patience de Mariategui, qui assistaient souriant à nos joyeuses et belliqueuses sessions»45(*).

Le retentissement médiatique dès le début du mouvement fut tel, que progressivement d'autres journaux de diverses sensibilités accrurent le débat autour des revendications étudiantes. Des journaux comme L'Actualité (L'Actualidad), La Cronique (La Crónica), et même le journal de culture très conservatrice, La Presse (La Prensa), prirent part au débat, soulevant parfois des protestations en défense des professeurs ou des soutiens à l'encontre d'intellectuels proches du mouvement réformiste46(*). Les principales demandes de étudiants réformistes (orientation nationaliste des programmes, participation de représentants étudiants au Conseil d'administration de l'Université, renvoi des professeurs jugés inaptes par les élèves, suppression des listes de classes et des récompenses) traversèrent parfois les rédactions des journaux, où commençait déjà à se politiser le débat. La question étudiante servit progressivement à alimenter les prétentions politiques des grands chefs politiques, qui se prononçaient pour ou contre les étudiants, en qui ils voyaient des électeurs potentiels. La presse prit une part importante dans cette politisation, ce qui entraîna des scissions parmi des journaux. Comme par exemple à El Tiempo, qui vit partir Mariategui et Falcón ne supportant pas le virage pro-Leguia de leur journal. Ces départs expliquent la radicalisation de la campagne menée par La Razón, dont la naissance découle justement de cette scission. Libre de toute contrainte éditoriale, Mariátegui et Falcón se livrèrent alors, jusqu'à leur exil forcé à peine un mois après, à travailler à créer les conditions pour la réunification de toutes les tendances réformistes. Cette indissociabilité entre le mouvement réformiste et le journal fait même dire à Luis Alberto Sanchez, que la naissance du journal et celle de la Réforme est double47(*) .

L'expérience de coopération entre La Razon et le mouvement universitaire naissant dura peu. Quelques temps après la parution des premiers numéros, le gouvernement de Leguia décida déporter Falcón et Mariategui en Europe. Coupables de galvaniser les foules à son encontre, le président les expulsa, tout en leur versant une somme pour leur voyage. Ceci va alors provoquer une vive polémique, surtout parmi les proches du second, qui vont crier à la traîtrise. C'est en Europe que Mariategui se nourrit des idées de Sorel, du marxisme, et de l'ouvriérisme européen, ce qui le poussa à son retour à fonder une revue pouvant introduire ces idées au Pérou afin de briser le pouvoir de celui qui l'expulsa en 1919. Pour finir, cet épisode éphémère du début du mouvement réformiste qui dura jusqu'en 1923, marqua la première grande manifestation journalistique contre le pouvoir de Leguia. Elle fut porteuse en cela d'un éveil journalistique qui, quelques années après, se développa davantage en réaction au renforcement de l'autoritarisme dans le pays.

b) De l'expansion à la persécution

La première crise qui révèle le début de la rupture entre le président fraîchement élu et les forces sociales qui le firent élire, ne fut pas à proprement parler un événement politique. Pourtant, la rupture du président avec son neveu, Germán Leguia Martinez, fut plus qu'une simple scission parmi les proches du président. Bien que la séparation entre les deux hommes peut paraître anodine à première vue, voir sans rapport réel avec un contexte politique très chargé, elle signifia la perte pour le président à peine élu, des hommes chargés de mener à terme les objectifs de la Patria Nueva. Le départ de ces jeunes collaborateurs provinciaux connus comme « germancistas », compliqua les plans du président en matière de main mise sur les élites régionales. Il perdit en effet des hommes très appréciés dans les grandes villes péruviennes par leurs idées développées dans les pages de leur journal Germinal. Ces derniers commençaient à se distinguer dans des activités où se distinguait jusqu'alors uniquement des liméniens issus des grandes familles oligarchiques, ce qui séduisait alors des élites locales friandes de plus de pouvoir. Leguia se priva dès lors, des plumes qui contribuèrent à son élection dans les grandes villes péruviennes, et dont il se servit pour rallier les intellectuels de la Sierra à son programme. Mais plus grave pour lui, il du se résigner à voir se former des noyaux indigénistes hostiles à ses projets autour de ce groupe. Passés dans l'opposition où ils dénonçaient la trahison du président à ses promesses en matière de régionalisation et d'ouverture vers des thématiques sociales locales, les « Germancistas » appelèrent à la mobilisation sociale. Dénonçant la situation alarmante du système éducatif péruvien, certains se joignirent, comme par exemple José Antonio Encimas, aux forces contestataires autour de la revue Amauta. D'autres jouèrent un rôle majeur dans la naissance du Front des Travailleurs Manuels et Intellectuels, fondé en 1923 par Víctor Raúl Haya de la Torre. Les principaux rédacteurs de Germinal rejoignirent eux, au nom de la lutte contre l'hydrocéphalie qu'incarnait la capitale, les grands journaux contestataires des villes de Cuzco et d'Arequipa. Quant à ses deux principales figures, Erasmo Roca ou Carlos Doig Lora, elles prirent part à la fondation de la revue Amauta en 1926.

Au-delà de cette rupture venue de l'intérieur, la première campagne journalistique proprement dite contre le nouveau régime, date de janvier 1921. Elle fut orchestrée par le journal de droite de tradition très conservatrice, La Prensa. Dans ses éditoriaux, son directeur Luis Fernán Cisneros y lançait de très sévères critiques contre un président, coupable selon lui, de mener une politique clientéliste et tournée exclusivement vers les intérêts de sa famille. Le gouvernement répondit par l'expropriation du journal, qui passa aux mains d'un des proches du président, et par l'emprisonnement de son directeur accusé de subversion et d'atteinte à la sûreté de l'Etat48(*). Ces deux faits soulevèrent de nombreuses protestations parmi les conservateurs. Le philosophe Víctor Andrés Belaunde, revînt sur le devant de la scène publique pour dénoncer cette atteinte à la liberté de la presse, et en profita même pour critiquer très durement Leguia sur le terrain des libertés individuelles et de l'autonomie de la justice. Il décida de se rallier aux protestations étudiantes que l'affaire avait poussé dans la rue, et « ne cacha pas sa volonté de remplir un devoir qu'il mettait en relation avec la nécessité de célébrer dans la dignité le centenaire de l'Indépendance du Pérou »49(*). Cette obstination rallia à sa cause une partie du personnel diplomatique, duquel il faisait parti en tant qu'ambassadeur. De nombreux diplomates, dont la plus part étaient basés en Europe, renoncèrent à leur charge en guise de protestation contre la politique menée par le gouvernement. Cette fronde diplomatique gagna aussitôt le monde judiciaire50(*) , dont les présidents des principales juridictions, ainsi que le Doyen du Collège des Avocats, Julián Guillermo Romero, émirent de très sévères commentaires à l'encontre des décisions gouvernementales. Ils accusèrent même le pouvoir exécutif, de « violer les droits civiques en ne respectant les mandats des juges s'étant prononcés contre ces transgressions »51(*) .

Cette contestation journalistique ne se limita aux principaux journaux de la capitale. Elle s'exprima également dans les grandes villes péruviennes, surtout dans celles où l'influence intellectuelle des indigénistes et des germancistas demeurait importante. Menés par la plume de Luis Valcarcel, les lettrés du journal El Sol (Le Soleil) firent de Cuzco la nouvelle place forte de la contestation journalistique. Bénéficiant de son prestige grâce à ses écrits sur l'histoire incaïque et les coutumes indigènes, Valcarcel poursuivit plus âprement son travail de critique entamé à Lima, dans les pages du journal El Comercio. Il fit de sa colonne politique, « un instrument de dénonciation et de polémique politique »52(*), ce qui lui causa d'ailleurs des problèmes, et poussa certains de ses détracteurs à l'agresser physiquement. Ces derniers ne supportaient pas en effet ses prises de position contre un président « qui s'entourait de ses proches, et profitait de sa charge pour s'enrichir »53(*). Malgré son aversion contre ce dernier, il ne cacha de voir en lui « un chef d'Etat de premier ordre »54(*). Loin de se limiter à sa seule position dénonciatrice des mensonges de Leguia, Valcarcel raconte dans ses Mémoires, que son journal joua également de sa force sociale pour parachever certains combats politiques contemporains. Il se rappelle à cette occasion, qu'il se pencha sur le problème de la campagne pour un plébiscite sur le statut des provinces péruviennes du sud perdues lors de la Guerre du Pacifique. Il encouragea alors son journal à prendre position en faveur du retour de ces provinces dans le territoire national. L'auteur de Tempête dans les Andes se souvient même que El Sol publia d'évocatrices premières pages avec des titres tels que : « Tacna, Arica, Tarapacá péruviens ! »55(*). L'autre grande ville intellectuelle de province, Arequipa, ne resta pas en marge de ce phénomène d'éveil journalistique. Elle compta même comme nous l'indique Valcarcel, avec «l'un des plus furibond opposant à Leguia, dans la personne le directeur des journaux Voix du Sud (Voz del Sur) et Heraldo d'Arequipa, Alberto Seguin »56(*). Ce dernier mena de telles critiques contre le régime en place, qu'il finit par être déporté en Bolivie. La répression politique ne se limita pas à ce simple cas. Elle toucha directement les auteurs de Cuzco, surtout à partir de 1926 avec le durcissement des critiques contre la réélection de Leguia. L'Etat réagit dans les colonnes du journal partisan La Nation (La Nación), où les opposants y étaient systématiquement critiqués, ce qui fit naître dans le pays, de vifs combats journalistiques. Ne voyant cesser les contestataires, Lima finit par nommer un militaire chargé d'éliminer les journalistiques au poste de préfet de Cuzco. Valcarcel et les siens furent alors persécutés. Ils réussirent quant même à s'en sortir, grâce des sympathisants et à une organisation souterraine bien encadrée. Pour finir, le gouvernement ne pu jamais véritablement imposer une censure totale à l'encontre de tous les journalistes. Certains comme Valcarcel, entretirent au contraire, des liens étroits avec la junte qui fit tomber Leguia en 1930.

Ce lien étroit entre La Réforme universitaire péruvienne et la presse marque une étape importante dans l'évolution interne péruvienne. Elle permit la rencontre de figures qui vont par la suite un grand rôle social et politique. Cette évolution, tout comme la vague réformiste s'estompèrent à partir de 1923, avec l'instauration d'un véritable Etat policier dans le pays. Suite aux événements de mai 1923, le gouvernement chassa du pays les principaux leaders réformistes (Haya de la Torre, Luis Heysen), et reprit en main l'Université. Pourtant, une nouvelle socialisation politique va progressivement resurgir de ces cendres, au cours de la seconde moitié des années vingt. Elle va être l'expression d'un renforcement des liens autour de positionnements politiques, et donner naissance à de nouvelles formes contestations, non plus dans le cadre d'un mouvement purement revendicatif, aux demandes purement universitaires, mais plutôt comme un front plus politique contre l'autoritarisme.

Témoin et acteur de cette évolution, Mariategui va en être l'une des premières victimes. Finalement accusé d'encourager la violence et de propager des idées jugées dangereuses pour la stabilité du pays, Mariategui du de quitter le Pérou en 1919. C'est par suite, au cours de son expérience en Italie, que celui-ci va découvrir le marxisme, l'ouvriérisme, les idées de Sorel, et se doter d'éléments, qui vont le pousser à vouloir fonder une revue qui regroupe l'avant et l'après période réformiste.

B) Le temps de la collaboration entre l'Amauta et l'A.P.R.A

1) Une revue politique progressiste

Fondée à Lima en 1926 et fruit de la convergence d'un certain nombre d'intellectuels et d'artistes péruviens57(*), la revue péruvienne Amauta demeure l' une des expériences journalistiques les plus singulières de l'histoire contemporaine péruvienne. Publié et dirigé par le journaliste et essayiste péruvien José Carlos Mariátegui, ce périodique contestataire se présenta dès sa parution comme le signe évocateur d'un renouveau intellectuel, culturel, et politique, pour le Pérou et l'Amérique latine. Se voulant « une tribune ouverte à tous les vents de l'esprit»58(*), il incarnait, selon son directeur, un catalyseur idéologique porteur d'un message et d'un esprit. Il était même selon son directeur, la « voix d'un mouvement et d'une génération »59(*) dont les idées avant-gardistes, qu'elles soient socialistes ou communistes, devaient rapidement créer un phénomène de polarisation et de concentration. Son approche contestataire du régime en place, poussa également ce périodique à faire de la pluralité une de ses lignes directrices, avec aussi bien la publication d'articles nationaux qu'internationaux, et une large palette de sujets allant de la politique à la littérature, passant par les problèmes économiques mondiaux.

a) La recherche de régénérescence par la culture

Dès son premier numéro de septembre 1926, la revue se donna pour objectif, « de soulever, d'éclaircir et de connaître les problèmes péruviens à partir d'une approche doctrinaire et scientifique, tout en plaçant le Pérou dans un panorama mondial »60(*). Son titre symbolisait à cette occasion, la volonté de rendre hommage à la culture incaïque, tout en cherchant à refonder la culture nationale en la rattachant aux autres cultures61(*) . Partant d'un désir d'universalisme culturel62(*), Mariategui et les siens étudièrent tous les grands mouvements avant-gardistes dans le monde, introduisant au Pérou de nombreux textes philosophiques, artistiques, littéraires, et scientifiques. Il plaçait d'ailleurs ce travail d'introduction d'idées dans un pays en proie à l'autoritarisme, comme une mission de rénovation sociale en vue de créer « un Pérou nouveau dans un monde nouveau »63(*). La culture en conséquence était appréhendée non pas comme une regroupement des manifestations de l'esprit, mais plutôt en tant que sphère complémentaire du champ politique et de la lutte en vue de l'amélioration des conditions sociales au Pérou et dans le monde. Cette volonté de faire de la culture l'un des prolongements de l'idéologie sociale défendue par la revue, poussa les collaborateurs d'Amauta à publier des extraits des textes de Marx, de Lénine, de Sorel ou encore à encourager l'introduction dans le pays, de l'art indigéniste émanent de la Révolution mexicaine comme les fresques et de peintures de Diego Rivera. Sachant très bien que leur entreprise ne pouvait rencontrer un écho unanime parmi la population, ils décidèrent de recentrer leur choix d'articles autour d'une ligne directrice de plus en plus revendicatrice contre le régime en place, cherchant non plus à séduire uniquement les classes lettrées, mais surtout à mobiliser les forces qui s'étaient exprimées lors de la Réforme universitaire de 1920 à laquelle ils participèrent pour la plus part. Il s'agissait d'acquérir une nouvelle maturité dans la phase revendicative, en cherchant dans les idées venues d'Europe ou d'Amérique latine (la notion de « race cosmique » de Vasconcelos par exemple), des éléments constitutifs d'un ordre, afin de ne point commettre les mêmes erreurs de la première phase contestataire du début des années vingt. Dès lors la littérature, l'art, la poésie, la peinture, devinrent elles aussi, des signes d'un renouveau intellectuel capable de bâtir une nouvelle unité, et de libérer le peuple du joug de Leguia. Or, des premiers signes d'une nouvelle socialisation politique ou plutôt d'une multiplication des liens et de l'affectivité autour d'une même cause politique, dont la revue encourageait la réussite, commençaient à se manifester dans la société péruvienne. Se basant sur ces premières réussites, Mariátegui ne se privait pas d'insister sur la portée historique de sa revue, en exhibant d'ailleurs le symbolisme de sa fondation, qui pour lui, était un fait historique incontournable64(*).

Vitrine médiatique des progrès du Front des Travailleurs Manuels et Intellectuels péruvien, le périodique était le relais des grands rassemblements partisans du mouvement, qu'elle transformait en lieux de communion culturelle, militante et sportive. Des réunions comme celle la Fête de la Plante65(*), devinrent ainsi des symboles du renouveau syndical et social dans le pays. Cette fête du prolétariat, qui réunissait les délégués des syndicats et membres des Universités Populaires Gonzalez Prada66(*), se posait en chantre des valeurs sociales et de solidarité autour desquelles devait se bâtir le renouveau culturel donc politique La poésie le matin, le sport l'après-midi, puis le cinéma le soir, en étaient l'expression, et le vecteur. Lors de cette manifestation, la culture se chargeait de « revendiquer l'histoire, la littérature, l'art vraiment péruvien, et d'en éliminer tous les éléments étrangers, artificiels et bourgeois. »67(*). Cherchant à briser le monopole culturel exercé par le civilisme et une Université, qui selon Mariátegui, n'avait aucun esprit national68(*), la poésie prit une part importante dans ce dispositif régénérateur. Accueillant un concours de poésie où s'illustrèrent des poétesses comme la future grande dirigeante apriste, Magdal Portal, les organisateurs de la Fête de la Plante donnèrent à la poésie d'avant-garde, le rôle d'ériger l'hymne des Travailleurs. Les jurés en effet, José Carlos Mariátegui, Jorge Basadre, Arturo Sabroso, ne devait point juger les qualités artistiques des textes, mais au contraire y dénicher l'esprit prolétaire qui soit en meilleure adéquation avec les revendications et la nature du Front des Travailleurs Manuels et Intellectuels. Ces manifestations qui avaient lieu dans le quartier ouvrier de Lima de Vitarte, servaient également de tribune pour les idées de l'aprisme naissant. Des lettres de l'exilé Haya de la Torre étaient lues aux assistants, et on en profitait pour manifester du soutien au parti, tout en soulignant l'indissociabilité entre l'évènement en cours et les Universités Populaires Gonzalez Prada. Profitant de la portée sociale de l'évènement, Haya de la Torre affichait la réussite des Universités Gonzalez Prada, dont il en faisait un modèle dans la réalisation d'un « programme de total de rédemption du peuple exploité »69(*). Prolongeant son engagement envers l'Amauta de novembre 1926, il ne se privait pas d'appeler les masses à la mobilisation pour la justice sociale et la liberté. Se dirigeant directement à l'auditoire, et utilisant le « nous », il en appelait même à la lutte commune pour la réalisation d'un idéal duquel il fallait en être le soldat70(*) .

Porteuse d'espoir social, la collaboration entre l'Amauta et l'APRA datait des premiers numéros de la revue. Elle portait en germe une attente ou plutôt un pacte que Haya de la Torre avait proposé à Mariátegui depuis Londres. Dans une lettre envoyée à la Rédaction, et publiée par la revue lors de son quatrième numéro, le fondateur de l'APRA exprimait en effet sa volonté de faire de l'entente entre les deux forces, un vecteur de la régénérescence culturelle pour le pays. Il s'agissait de porter sur le devant de la scène, une idéologie nouvelle et synonyme de justice sociale pour « le Pérou que le civilisme méprise »71(*). Le projet visait à exposer un visage culturel nouveau, plus proche des réalités nationales et des aspirations des masses opprimées. Le rôle de l'Amauta dans cette construction, était de véhiculer les valeurs artistiques et culturelles des provinces péruviennes72(*), et de les sortir de l'ignorance dans laquelle le civilisme les enfermait depuis toujours. Outre son soutien à la Fête de la Plante, Haya de la Torre manifestait également dans ses messages pour Amauta son soutien à la fondation de la revue, à qui il rendait hommage et lui souhaitait de réussir son entreprise culturelle. Dès lors la convergence entre les deux parties se fit quasi-naturellement. L'Amauta publia en priorité les messages politiques de Haya de la Torre et ses textes historiques, ainsi que ceux des apristes comme Luis Heysen ou Antenor Orrego. La revue édita même durant deux ans, tous les textes politiques officiels du parti, et la correspondance de ses principaux membres73(*). Elle reprit surtout la définition active de la culture qu'approuvait le mouvement, en publiant beaucoup de textes de l'un des amis d'enfance de Haya de la Torre, l'universitaire Antenor Orrego. Cette volonté de faire de la culture l'un des points essentiels de sa mission mobilisatrice, vit d'un autre côté le périodique, oeuvrer pour la constitution d'une littérature et d'une culture servant de rempart à la « dictature intellectuelle »74(*), responsable selon lui, d'avoir rendu le continent et le pays inertes face à sa singularité culturelle. La réflexion et la recherche de la singularité culturelle, politique et surtout historique, devînt alors l'un des enjeux majeurs pour cette revue, si ce n'est le principal, si bien qu'Antenor Orrego se demandait : « Quelle culture créera l'Amérique ? »75(*). Présentée comme « une aventure, le grand croche-pied de Colomb, la fille du fortuit et de l'inespéré. »76(*), l'Amérique latine ne pouvait se doter d'un renouveau culturel, qu'en posant au préalable la question de l'héritage et des conséquences de la conquête espagnole. Reprenant le caractère libérateur de la culture que cultivait les apristes, l'Amauta poursuivit son travail de publication en encourageant davantage sur la recherche de constitution d'un front intellectuel en Amérique latine. Cette question, au coeur même du projet apriste de 1926, servit alors à prolonger le travail de présentation d'auteurs et d'intellectuels qui furent mêlés aux principaux mouvements que connaissait le continent sud-américain, comme par exemple, José Vasconcelos pour la Révolution mexicaine ou Palacios pour la Réforme de Córdoba. Partant de l'idée lancée par Edwin Elmore de prolonger « les mots de feu avec lesquels les penseurs d'aujourd'hui sont entrain de défier les détenteurs du pouvoir dans le monde, et qui sont reçus dans les âmes des jeunesses d'Amérique latine comme l'écho d'un battement propre »77(*), les rédacteurs approfondirent dès le quatrième numéro, leur quête de mobilisation sociale en Amérique. Prolongeant dans les faits, l'appel lancé par Haya de la Torre en 1926, Mariategui et les siens multiplièrent les appels à la solidarité et au partage entre les universitaires et les intellectuels latino-américains. Ils approfondirent d'ailleurs l'idée d'intégration continentale que prônait Haya de la Torre, en créant une filiation des grands penseurs de l'intégration où ils placèrent Bolívar, Martí, Gonzalez Prada, Vasconcelos, et bien sûr, le fondateur de l'APRA. Ils rappelèrent alors la grandeur de la pensée unificatrice de Bolivar, saluèrent le courage de Martí, l'intelligence de Vasconcelos, la dimension pérégrine de Gonzalez Prada. Ces quatre hommes furent érigés en hérauts de la cause apriste, car porteurs d'une volonté éternelle de doter le continent de structures politiques capables d'apporter la justice sociale. Quant à Haya de la Torre, il fut exhibé en héritier légitime de ce courant de pensée, voire en porte parole d'un nouveau paradigme, celui qui avait enfin compris, le besoin de s'unir pour se prémunir contre l'impérialisme. Or, le seul moyen de le combattre pour les hommes de l'Amauta, était l'union entre les peuples, la solidarité continentale, la prolétarisation de la culture et, principalement, la culture au service de la justice sociale. Les pays d'Amérique latine devaient, en conséquence, commencer par réagir contre les méfaits de l'esprit colonial sur leur société, en encourageant et en partageant les idées nées dans les mouvements porteurs d'espoir tels que la Révolution mexicaine, la Réforme de Córdoba, et surtout la fondation de l'APRA.

Le rapport entre culture et politique fut une constante dans la revue Amauta. Ce rapport témoignait d'une volonté de changer les esprits avant de changer le politique, surtout à partir de 1928, date à laquelle la revue choisit de s'ériger en porte- parole des luttes de l'Union Latino-américaine78(*). Cette question devînt l'une des principales armes contre le pouvoir en place qui, de son côté, se présentait aussi en rupture avec l'élitisme intellectuel hérité du temps de la colonisation espagnole. Le périodique répondit par conséquent sur le même terrain mais de manière critique. Il choisit de dénoncer les différents régimes successifs, en les accusant d'être tous coupables d'avoir perverti l'identité locale au détriment d'une rationalité européenne incompatible avec la sensibilité latino-américaine. Antenor Orrego fit même de l'antagonisme entre les deux cultures et les deux intellects, l'une des raisons qui expliquaient le mieux « le naufrage des délicatesses et de l'excellence culturelle européenne lors de leur arrivée en Amérique et leur substitution par leur nature la plus monstrueuse »79(*). Soudé autour d'une volonté de tout rebâtir à partir de définitions nouvelles et d'une histoire critique, le nationalisme apriste fut introduit par la publication de tout un ensemble de textes historiques et nationalistes. Ces derniers furent même la manifestation de cette recherche prônée par Orrego, si ce n'en furent les outils. Car, tout comme l'Amérique latine demeurait pour les auteurs une fonte des races et des peuples80(*), elle n'en était pas moins à leurs yeux une terre d'Histoire et un passé.

b) Le renouveau nationaliste

Par son rapport à la vérité, l'histoire devînt au fil des numéros, l'un des éléments essentiels du construit intellectuel, voulu par la revue, qui fut orienté vers une purification et une appréhension sociale nouvelle du terme « nationalisme ». C'est pourquoi, la revue publia à de nombreuses reprises, différents articles touchant à cette question, en lui donnant une signification épurée des acquis culturels trop proches du legs colonial. L'article «Nacionalismo verdadero y Nacionalismo mentiroso», du jeune apriste péruvien à Buenos-Aires, Manuel A. Seoane, dénonçait par exemple le terme de « péruanité » en vigueur, en détaillant dans une liste exhaustive, toutes les entraves à ce qu'il qualifiait de « vrai nationalisme ». Pour celui-ci, l'objectif politique recherché par l'APRA (l'intégration politique des pays d'Amérique latine) ne pouvait s'atteindre qu'en éloignant les individus des facteurs contraignants qu'imposaient la conception aristocratique de la « nation ». Le rôle premier des apristes étaient donc de modifier par la culture la vision étroite qu'avaient les latino-américains d'eux-mêmes, et qui reposait sur une vision de la nation comme le fruit d'une histoire commune, mais qui ne tenait en compte le facteur social ni même l'égalité. Il consistait à les « détacher de certaines frontières inconscientes qui éloignent les individus de certaines zones humaines à cause d'apriorismes de race et de culture »81(*), afin de pallier au « manque de sensibilité universaliste »82(*) que le legs colonial faisait encore sommeiller dans le continent, et qui demeurait une contrainte extrêmement lourde83(*) pour tout projet unificateur. Ce fut ainsi que l'Amauta introduisit dans la société péruvienne en crise, « une énergie utile pour la société »84(*), que Mariátegui et les siens désiraient prolonger afin de renverser Leguía. Développant  la définition de « nationalisme » prônée par le Front des Travailleurs Manuels Intellectuels et l'APRA, la revue ne cessa d'appeler au réveil nationaliste ou plutôt aux «bons et authentiques nationalistes qui devaient orienter leurs écrits vers la nécessité de purifier le concept de patriotisme, en le libérant par un recentrage national de toute connotation affective inutile en vue d'un avenir meilleur »85(*). Le nationalisme, que défendait Seoane, devait dès lors permettre de briser la stagnation culturelle en place, et ainsi favoriser la réorientation des Péruviens vers une « adhésion coopératrice à une grande finalité internationale que n'a pas atteint le Pérou de Leguía »86(*). La régénérescence culturelle prenait ainsi tout son sens, de part sa capacité à expliciter sous un autre angle, des revendications politiques que l'on pouvait hisser au niveau régional en faisant appel à l'histoire et à la culture ou en quelques mots, à tout ce qui pouvait réunir les pays latino-américains au-delà de leur spécificités locales.

Question morale, question identitaire ou encore enjeu politique, la question nationale telle qu'elle fut traitée par la revue, n'en gardait pas moins une forte connotation historique. Influencée par la proximité du centenaire de l'Indépendance péruvienne de 1821 et les idées de Renan, la revue cherchait à porter la question historique au coeur de la société péruvienne. Elle puisa alors dans le passé de ses principaux collaborateurs, qui pour la plus part, jouèrent un rôle important dans le tournant nationaliste que prit la Réforme universitaire péruvienne de 1920. Celle-ci en effet avait été pour eux, au-delà de sa dimension purement contestataire, et portant sur des sujets propres à l'organisation de l'Université, leur première grande manifestation nationaliste. Ce fut au cours de ces manifestations, qu'ils effectuèrent d'ailleurs leur premier essai pour rompre avec une lecture unique de l'histoire nationale, et avec la tradition universitaire péruvienne, en organisant le Conservatoire Universitaire de 1919, véritable laboratoire historiographique en pleine fronde étudiante. Ce qui fut une série de conférences dictées par des étudiants ou autres autour d'un thème central, où on s'efforça d'étudier, en marge de tout critère traditionnel, les origines et le développement du renouveau émancipateur du Pérou et au Pérou, marqua en réalité, leur première épreuve de rupture historiographique. Les fondateurs de ce mouvement, que l'on allait retrouver par la suite pour la quasi-totalité, dans les pages d'Amauta (Jorge Guillermo Leguía, Víctor Raúl Haya de la Torre, Jorge Basadre, Luis Alberto Sanchez), s'étaient alors efforcés, de projeter un message émancipateur et indépendant de tout legs du passé, afin de doter le pays d'une nouvelle réflexion qui puisse mieux inclure tous les éléments nationaux. Des essais évocateurs, écrits par de futurs grands historiens péruviens alors simples étudiants comme Lima au 18ème siècle, de Jorge Guillermo Leguía ou Les poètes de la Révolution, furent ainsi découverts par un public plus large, car les textes étaient systématiquement vendus à des prix accessibles à tous.

Nourri de cette expérience fondatrice, l'Amauta se dirigea donc presque naturellement, vers une lecture historique étroitement liée à ses convictions nationalistes. Indépendamment du fait que « tout discours historique est susceptible d'usages politiques, que cela soit le fait de son auteur, de ses destinataires ou encore qu'il faille l'attribuer au rapport particulier que les seconds entretiennent avec le premier »87(*), ce fut surtout dans leur rapport à la construction d'une identité nationale que furent ici pensés et sélectionnés, différents articles historiques. Cette question demeurait d'autant plus importante pour ces forces contestataires, que la société péruvienne des années vingt restait encore très marquée par le souvenir de la défaite contre le Chili lors de la Guerre du Pacifique (1879-1883). En réponse à ce contexte de crise identitaire nationale, les rédacteurs de la revue répondirent en reprenant les grandes lignes de la pensée de Renan sur la « nation ». Fervents connaisseurs de l'oeuvre de Renan (comme le souligne très bien l'historien Luis Alberto Sanchez en le citant en français dans un passage de ses Mémoires portant sur sa période de collaboration à l'Amauta88(*)), ils reprirent à leur compte l'idée que l'histoire était entre autre chose : « le capital social sur lequel on assied une idée nationale »89(*). L'histoire nationale en fut exaltée, et si l'on reprend Ernest Renan, appréhendée comme « l'héritage que l'on a reçu individis »90(*) qu'il fallait transmettre, perpétuer et légitimer dans un rapport constructif avec le présent. Elle fut complétée par des idées française arrivées au temps du gouvernement de Piérola, qui avait alors permit aux milieux lettrés du début du 20ème siècle, de découvrir le culte français de la nation, et en particulier les idéaux de la Révolution française. Luis Alberto Sanchez présentait d'ailleurs l'idéal révolutionnaire français comme l'un des vecteurs de socialisation politique qui fut utilisé contre Leguía, si ce n'est l'un des symboles universels de la lutte des opprimés contre le despotisme91(*). L'histoire fut dès lors traitée, dans son rapport au fait national tel qu'il était pensé par l'aprisme émergent, tout comme elle prolongeait la mission éducatrice envers les plus démunis qu'avaient inaugurée les Universités Populaires Gonzalez Prada en mai 1923.

Résultante d'un contexte d'anomie suite aux méfaits de La Patria Nueva, reflet des mutations structurelles qui frappèrent le pays, partie prenante et complémentaire par nature de tout projet nationaliste, cette lecture historiographique n'en demeurait pas moins avant tout, une vision du passé. Le rapport des auteurs à leur sujet demeurait ici central, surtout si l'on prend en considération les données structurelles du Oncenio. Certes, avant d'être une vision nationaliste d'un objet historique précis, tout discours aussi apriste ou réformiste soit-il, reste tributaire d'une mobilisation de ressources du passé. Ceci contraint donc les auteurs à suivre une certaine logique, à entreprendre un travail de hiérarchisation, et enfin, à structurer ces dernières autour d'un objet, faute de quoi, tout discours n'est point appréhendable par les différentes rationalités des destinataires. Bien que la société péruvienne des années vingt comptait une grande majorité d'analphabètes, ce discours était un discours public, et ouvert malgré la censure. La situation d'anomie et de crise politique que traversait le pays, poussèrent les rédacteurs de la revue à choisir des textes et des sujets présentant un discours destiné à toucher un public dont l'appréhension consciente de la désillusion et sa manifestation inconsciente en favorisait une plus grande réceptivité émotionnelle. Jouant la carte de la connotation communautaire, l'Amauta choisit des textes historiques capables d'éveiller les sensibilités nationales. Des thématiques historiques autour de l'incaïsme ou le legs colonial prirent une place majeure dans cette publication, surtout sur le plan qualitatif. Non seulement Mariátegui et les siens leur donnèrent une importance en nombre92(*), mais singulièrement, ils proposèrent également d'autres d'auteurs comme Karl Marx, Léon Trotski, ou Georges Sorel93(*), et ceci malgré l'existence de censure et de violence politique envers des auteurs contestataires venus de l'extérieur94(*). Cette volonté d'éveiller les forces du renouveau, poussa alors le périodique à illustrer l'histoire péruvienne dans un souci d'explication, mais également de mobilisation, en regardant dans le passé politique péruvien, les éléments sensibles d'éveiller un sursaut de fierté nationale.

Fidèle à son nom, l'Amauta insista tout particulièrement sur l'histoire Inca, plus précisément sur ce nous nous proposons d'appeler son « âge d'or », plus précisément « l'âge d'or de l'Empire inca ». Sa vision historiographique traduisait des relations importantes avec la réalité politique, et ceci d'autant plus, que ses thématiques s'inscrivaient dans une société marquée par des affrontements internes entre le centre et la périphérie. L'article «Sumario de Tawantisuyo»95(*) du journaliste et indigéniste péruvien Luis Valcarcel (lui-même opposant et farouche combattant du régime en place), en faisait par exemple un large écho. Valcarcel, était en effet de ceux qui dans la revue Amauta, développèrent l'idée que l'expérience incaïque n'était rien de plus que le symbole suprême de l'unité, tant géographique que politique, de la nation péruvienne96(*). Il représentait l'histoire précoloniale comme un tout figé, solidifié, cristallisé, reprenant de ce fait attentivement les principaux caractères de la définition de « mythe » introduit par Georges Sorel dans ses Réflexions sur la violence. Ainsi dessiné comme un ensemble lié d'images motrices, cette vision de l'Empire inca prolongeait l'appel à l'action que l'on retrouvait dans l'ensemble des numéros du magazine. Cette lecture historiographique exerçait aussi une fonction explicative, fournissant aux péruviens désorientés face aux mutations structurelles, un certain nombre de clefs pour la compréhension du présent. Ce rôle explicatif complété par une grille de lecture des méfaits de la conquête espagnole, véhiculait un dynamisme prophétique. De ce fait, l'Amauta nourrissait avec plus de vigueur la contestation politique, relayant dans cette fuite hors du temps une certaine forme de malaise, d'inquiétude et d'angoisse sociale. Le psychisme des péruviens était par conséquent pénétré par un passé historique glorifié et idéalisé qui les renvoyait, de par ses thématiques, à « leur psychisme primitif étant considéré comme indéracinable ». Ce qui favorisait ainsi la juxtaposition entre un passé individuel vécu et un passé historique reconstitué à partir d'éléments objectifs,97(*) et contribuait à renforcer le mécontentement social dans le pays. Désormais, la nation péruvienne avait un autre passé, un legs à poursuivre, des bases sur lesquelles bâtir un nouveau modèle capable de freiner les inégalités sociales dans le pays. Il ne s'agissait plus de séparer la sphère sociale du passé, mais de les réunir par des modifications économiques dans un tout qui vienne recouvrir un temps qui avait gommé l'essence et le principe même de nation péruvienne.

Cependant, conscients des limites d'un discours purement apologétique, les hommes d'Amauta complétèrent leur relecture de l'histoire nationale en signifiant la décadence nationale que connaissait le pays depuis la conquête espagnole. Ils ne cherchaient plus à exalter un passé idéalisé ni d'en apologiser les composantes, mais au contraire à légitimer leur volonté de reconstruire un nouveau modèle nationale, en désignant un responsable aux maux du présent. L'article « L'Eglise et l'Etat »98(*) s'y employa minutieusement, tout comme il en profita pour témoigner de la sympathie de la revue au marxisme. Complétant partiellement la conception mythologique de l'Empire inca développée par Valcarcel, Eugenio Garro présentait une lecture singulière et critique des rapports du pouvoir religieux et du pouvoir civil chez les Incas. A la lumière des enseignements de la pensée marxiste autour du rapport entre l'Eglise et le capital, il en examinait les liens et en soulignait les bienfaits pour le monde andin. Il défendait l'intime liaison existante entre l'autocratie et la religion, et en concluait que le pouvoir théocratique, bien qu'aliénant, était la condition sine qua non à la réalisation d'une répartition d'un bien commun comme la terre. Il voyait dans la division du travail imposée par la théocratie inca, « une forme de droit politique ». Pour lui, la religiosité des individus constituait non pas un enfermement, mais au contraire, le socle sur lequel reposait l'édifice institutionnel qui allait permettre à chacun de « profiter de la liberté que lui permettaient son état de membre d'une communauté et sa vie collective »99(*). La décadence qu'avait amené la conquête était si grave pour lui, qu'elle avait déréglé puis éliminé progressivement cette organisation, privant au passage l'indien de sa terre. Car, en introduisant une autre religion dans l'espace public, les Espagnols avaient redéfini les rapports économiques et sociaux chez les indiens, ce qui ôta la terre aux indiens au profit de l'Eglise et l'Etat. L'auteur prolongeait même sa réflexion en voyant dans ce phénomène, l'illustration d'une histoire qui avaient donné les moyens à l'Eglise de « gouverner l'Etat par procuration grâce à ses pouvoirs délégués »100(*). Plaidant la cause d'une unicité institutionnelle dans l'histoire péruvienne à travers l'exemple Inca et celui de la confiscation des terres par l'Eglise, l'Amauta transférait sur le terrain historique, le combat pour une réforme agraire dans le pays. Cette vision du passé péruvien n'était pas qu'une simple amplification des distorsions, sous l'effet d'un grossissement polémique, mais au contraire, comme toute dénonciation, un réponse à un climat psychologique et social très tendu. Or, le Pérou connaissait une certaine américanisation de son économie, qui se traduisait notamment par l'arrivée des capitaux étrangers sur son sol et par la réorganisation des finances du pays par des experts états-uniens dès 1921. Soutenues par ces capitaux, les énormes haciendas de la côte, notamment, celles dont les grands propriétaires tiraient de grands bénéfices de la modernisation de l'agriculture avaient pu en effet accroître leur assise économique et territoriale dans un pays où, l'oligarchie contrôlait la quasi-totalité de la terre arable. Cette critique de l'expropriation des terres par les « blancs » prolongeait de ce fait la vision entretenue par Haya de la Torre, qui défendait l'idée que cette dernière n'était rien de moins que la manifestation d'un déclin progressif des conditions de vie des Péruviens dans le cadre d'une évolution dialectique. Le jeune leader apriste demeurait d'ailleurs le défenseur d'une interprétation dialectique de la colonisation espagnole, grâce à laquelle il expliquait le déclin d'un monde andin stable et érigé en modèle de développement, au détriment d'un autre modèle qui vînt créer « une nouvelle négation avec la colonisation »101(*). Il voyait même dans l'expression de la domination de « la classe créole, héritière de la race conquérante »102(*), une nouvelle antithèse qui supplanta le modèle colonial et qui finalement produisit « une nouvelle antithèse déterminée par les conditions économiques »103(*). Reprenant ainsi la méthodologie hégélienne de laquelle il se réclamait ouvertement104(*), Haya de la Torre montrait le poids de l'action des hommes sur la destinée d'un pays, et invitait à saisir la spécificité du cas latino-américain. Il cherchait alors à montrer l'importance du relativisme historique qui frappait l'Amérique latine, fruit non seulement du métissage, mais également de la naissance d'une « race cosmique » avec l'arrivée des Espagnols. Forts de cette dénonciation, Garro et Haya de la Torre poussaient pour finir encore plus loin la volonté de la revue de rebâtir le pays à partir d'une culture historique des méfaits d'une colonisation dévastatrice. Ils la présentaient comme l'antithèse de tout modèle plausible au bien être national, car responsable selon eux, d'une privation injuste de la terre, pis de la naissance de contraintes sociales incompatibles avec l'avènement d'un vrai modèle national dans le pays.

Sachant très bien de la distance que pouvaient éprouver les forces vives à qui elle se dirigeait vis-à-vis d'une histoire lointaine, la revue se pencha également sur l'histoire constitutionnelle contemporaine péruvienne. Son discours ne se plaçait plus en simple plaidoyer pour un temps révolu qu'il s'agissait de revigorer, mais au contraire, en analyse minutieuse et sérieuse de la vie politique péruvienne105(*). Il prolongeait la réflexion autour du renouveau national en étudiant le phénomène d'occidentalisation de l'ordre politique péruvien à partir des tendances constitutionnelles. Très critique de la confusion entre la sphère présidentielle et la sphère parlementaire, qu'il qualifiait de « danger pour la vie politique du pays »106(*), l'article de Fidel Zarate, «El parlamentarismo y el presídencialismo en el Perú», dénonçait par exemple le mimétisme entre les idées politiques européennes et les caractéristiques générales des régimes péruviens. Zarate y insistait sur le fait que le choix des principes constitutionnels résultait plus d'une répercussion d'évènements étrangers que d'une évolution sociale et politique locale107(*). Se servant de cette critique, la revue prolongeait alors la contestation politique et sociale, contre un régime identifié à ses débuts aux revendications des classes moyennes, prolétaires, et intellectuelles de la Sierra, mais qui désormais était perçu comme népotique. Dénonçant ce népotisme, Zarate s'obstinait sur le fait qu'il n'existait aucune filiation entre mimétisme et régime présidentiel, mais plutôt la manifestation évidente d'une idéologie nourrie d'ambition personnelle108(*), comme c'était le cas sous Leguía. Cette réflexion autour des méfaits du caudillisme au niveau constitutionnel, s'inscrivait dans le prolongement des graves problèmes constitutionnels que connaissait le Pérou de l'époque. Le pays subissait, en effet, de nombreuses manifestations de l'opposition contre Leguía, suite à l'annonce de ce dernier de modifier la Constitution afin de briguer un second mandat109(*). Perpétuant les critiques contre le régime en place, l'Amauta traita la question du régionalisme libéral, en accentuant le fait que le régime en place avait promis un transfert de compétence vers les périphéries qui s'était soldé par la consolidation du centralisme politique favorable aux grands propriétaires. Reprenant la critique du régionalisme de Mariátegui exprimée dans la plus part des éditoriaux de la revue, l'article de Fidel Zarate dénonçait les principes constitutionnels de répartition des pouvoirs entre le centre et la périphérie. Zarate y concluait que cette répartition n'était en réalité que la toile de fond de l'accroissement du pouvoir des grands propriétaires au nom « d'un certain type de régionalisme ». Il démontrait pour cela, que le régionalisme demeurait un leurre dans un pays où il n'avait jamais servi à démocratiser la vie politique. Selon lui, il avait tout au contraire permit aux propriétaires terriens de se doter d'énormes fiefs au nom d'une libéralisme fédéraliste, ce qui s'était à la longue soldé, par la consolidation d'une place forte à Lima à partir de laquelle la classe dirigeante « asseyait la domination du caciquisme et l'exploitation de la part des fiefs régionaux »110(*). Cette critique se nourrissait, pour finir, d'immenses accusations contre les conséquences sociales de cette donne chez les indiens. L' Amauta y répondait dans sa qualité de « support à une littérature de combat » selon Haya de la Torre, en offrant au contraire, un espoir à cette population, en véhiculant un certain nombre de mythes, de croyances, et en ravivant la « saga » de la Conquête qui sommeillait dans la mémoire populaire. Il s'agissait bien sûr non pas de se diriger directement à une classe sociale analphabète, mais de se forger une proximité avec les classes métisses, voire avec les élites indiennes, en se faisant connaître comme la voix du peuple opprimé, et du prolétariat indien, ceux à qui personne n'avait jamais parlé.

Se voulant l'héritier de la Révolution mexicaine et de la Réforme de Córdoba, Amauta prolongea également au Pérou le débat nationaliste ouvert par ces deux évènements majeurs. Ce fut ainsi que la revue permit la découverte, puis l'intégration au langage politique péruvien, de la pensée politique du philosophe Argentin José Ingenieros dont l'ouvrage posthume Fuerzas Morales fut partiellement publié par celle-ci. Cet ouvrage joua un rôle décisif dans la structuration du nationalisme péruvien, si bien que Haya de la Torre lui rendit hommage en le nommant « Précurseur » non seulement de ce mouvement, mais aussi de l'aprisme en général111(*). En tout cas, la pensée d'Ingenieros introduisit une vision plus sociale et plus morale de la « nation » dans la génération de la Réforme qui saluait en ce dernier la volonté de bâtir un concept libre de toute influence européenne112(*). La revue saluait d'un autre côté, la figure du philosophe et intellectuel José Vasconcelos en publiant régulièrement des éloges à sa pensée et à son oeuvre. Peint comme le penseur du renouveau continental, José Vasconcelos fut introduit au Pérou comme la plus brillante plume luttant pour la défense de la souveraineté économique et politique de l'Amérique latine face à l'invasion de l'impérialisme nord-américains (yankee). Insufflé par la légitimité que portaient ces figures, le nationalisme apriste réinventé sous un prisme plus social, préconisait un internationalisme volontaire en Amérique latine. Il exhortait les pays à créer les conditions sociales et économiques nécessaires à sa bonne réalisation, et il en appelait à poursuivre la conception bolivarienne113(*). Ce réveil des peuples que souhaitait le mouvement, avait pour corollaire un vaste projet politique à l'échelle continentale. Il ne s'agissait rien de plus que de créer les conditions locales pour la poursuite d'un désir ardent de bâtir « une grande maison Indo américaine, une grande fédération de peuples tournée vers la future concorde du monde »114(*). Ainsi posée, la question nationale était désormais une quête de liberté face aux aliénations et face aux problèmes sociaux que rencontraient tous les peuples sud-américains. L'Amauta se posait à cet égard en vecteur d'une socialisation nouvelle, cherchant par tous les moyens, à fomenter l'éveil d'un nationalisme révolutionnaire aux objectifs sociaux clairement définis, au point qu'il serait même capable « d'apporter le bonheur à la masse exploitée de paysans indigènes et d'ouvriers citadins »115(*). Ce nationalisme, « plus vaste que le petit et mesquin dont les gouvernants se sont chargés de propager à toutes les époques, au détriment des intérêts les plus chers des peuples »116(*), se faisait alors porteur de justice sociale, plaçant de ce fait le peuple et ses intérêts au coeur d'un large processus de transformation sociale. D'un autre côté, ses objectifs ne se limitaient pas uniquement à l'Amérique latine. Le nationalisme révolutionnaire dont les apristes, Luis Heysen, Carlos Manuel Cox et bien sûr, Víctor Raúl Haya de la Torre, en étaient les auteurs, prônait en effet l'universalisme, voire la rédemption pour tous les peuples opprimés117(*). Ceci les poussait à se solidariser avec d'autres mouvements nationalistes dans le monde, en particulier avec ceux en proie à des luttes anti-coloniales. L'Amauta contribua à cette vaste entreprise, en publiant des textes appelant à la décolonisation et les appels répétés de Romain Rolland, où il exhortait une prise de conscience universelle, et en appelait à la solidarité entre les peuples. Le meilleur exemple de cette solidarité s'exprima en 1927, lors de l'invasion américaine au Nicaragua, qualifiée par Romain Rolland118(*), de « partie prenante d'un plan largement orchestrée par l'impérialisme yankee en vue de mettre la main sur le continent américain119(*)». La revue relaya cet appel dans l'opinion péruvienne, où commencèrent progressivement à se former, surtout dans les milieux universitaires de San Marcos, des groupes de soutien contre « cette mort de la liberté sur terre »120(*). La présentation élogieuse du personnage et de l'oeuvre de José Vasconcelos dans les pages d'Amauta, ne résultait pas uniquement d'une adhésion intellectuelle à sa pensée. Elle témoignait à travers lui, d'un éloge beaucoup plus général envers la Révolution mexicaine dont l'aprisme se réclamait. Il en allait de même pour la Réforme universitaire de Córdoba, avec la publication d'articles écrits par ses principaux protagonistes (Del Mazo, Palacios), ainsi que par des critiques très élogieuses retraçant cet évènement. Dès lors, l'aprisme naissant chercha à se forger une réputation d'héritier logique et légitime de ces signes du renouveau intellectuel. Cherchant à réaffirmer ses positionnements nationalistes et ses idées de régénérescence par la culture, l'APRA cultiva les analogies avec ses deux faits majeurs de l'histoire latino-américaine du début du 20ème siècle.

2) Le travail de présentation des origines

Conscients de la montée des mécontentements dans le pays et des désillusions créées par la Patria Nueva, les apristes comprirent que les situations structurelles avait dépourvu de repères la population péruvienne. Malgré cela, le pays n'était pas étranger à l'impact qu'avaient la Réforme de Córdoba et la Révolution mexicaine, en tant que symboles de renouveau salutaire et de lutte contre l'immobilisme. Forts de leur contact avec les principales figures de ces deux mouvements dans le cadre le l'Union Latino-américaine, les apristes décidèrent de se réclamer, voir de se porter comme l'émanation directe de ces évènements. Il s'agissait de se forger des origines illustres et de présenter les signes précurseurs d'un âge d'or, afin de mieux introduire une pensée politique encore méconnue et qui demeurait handicapée par son éloignement géographique, du fait de sa fondation au Mexique, de la présence d'une cellule apriste à Paris, voire de la présence de certains de ses grands maîtres à penser à Buenos-Aires. Enjeu de communication politique, les origines du parti prirent une part très grande dans la stratégie politique de Haya de la Torre et les siens, envers un peuple qui les identifiait encore aux évènements de mai 1923. La Réforme universitaire de Córdoba et la Révolution mexicaine furent alors décrites en rapport direct avec la naissance de l'aprisme. La figure de l'anarchiste péruvien, Gónzalez Prada quant à elle, fut aussi récupérée, à telle point, que désormais ce dernier, prit le nom de « l'apôtre »121(*) de l'APRA.

a) La défense des signes précurseurs du renouveau

La Réforme universitaire de Córdoba et sa corollaire péruvienne prirent un part importante dans les pages de la revue Amauta. Les mots abondaient pour la décrire comme « la première étape consciente de l'américanisation de l'Amérique latine »122(*) ou bien comme le point de départ d'un long et glorieux combat. Sa dimension historiographique était puissante, car elle s'insérait dans un contexte politique en crise, et qu'elle « correspond ainsi à une certaine forme de lecture de l'histoire, avec ses oublis, ses rejets et ses lacunes, mais aussi avec ses fidélités et ses dévotions, source jamais tarie d'émotion et de ferveur »123(*). Le but n'était pas de présenter un fait historique dans sa globalité, mais d'en magnifier la portée à tel point que ce dernier puisse cristalliser toutes les puissances du rêve jusqu' à devenir un mythe. Le mythe de la Réforme universitaire de Córdoba tel qu'il fut présenté dans les pages de l'Amauta, servit alors de système explicatif, d'éléments de mobilisation, et d'objet de croyance pour des masses confrontées au déclin sensible de la légitimité présidentielle, accusée par ailleurs de livrer le pays au capital étranger. Or la Réforme de Cordoba était formulée comme l'antithèse de la politique gouvernementale, comme la manifestation d'une émancipation contre un passé paralysant et « porteur des vices et des limitations européennes »124(*). Cette lecture de l'évènement réformiste se composait d'une structure fonctionnant par analogies, où chaque marque historique était sensée rappeler aux lecteurs la décadence politique péruvienne, alors qu'au contraire, les acquis de Réforme de Córdoba permettaient de s'ériger contre l'anachronisme éducatif et politique que cultivait une structure sous le joug d'« une tyrannie en place que le civilisme exerçait depuis l'Université depuis qu'il avait prit le pouvoir politique »125(*). Ainsi, les apristes introduirent leur mouvement dans la lignée d'un combat légitime pour la modernisation et les méfaits de la stagnation sur les esprits. Haya de la Torre, introduit comme le leader de la manifestation péruvienne de ce mouvement, en était le symbole et le continuateur logique de l'expérience argentine. Les réussites de ce dernier (la fondation des Universités González Prada, la loi universitaire de 1920) demeuraient même la preuve du bien-fondé de l'appel de Córdoba, parce qu'il avait permit de mettre fin à la domination civiliste. Le parallélisme entre le succès de la Réforme argentine et les ex-étudiants réformistes devenus apristes (Luis Heysen, Carlos Manuel Cox, et autres collaborateurs de la revue Amauta) visait à créer une continuation naturelle des deux mouvements, donnant aux leaders apristes une légitimité dans le combat contre les méfaits du régime civiliste, au moment où ce dernier était de plus en plus assimilé à l'Oncenio de Leguía. Ils apparaissaient investis d'une connaissance des réalités locales malgré l'exil, et surtout, ils prouvaient par l'histoire, qu'ils étaient capables de mener à terme des actions politiques visant à améliorer les conditions sociales péruviennes. Ce temps d'avant, de la grandeur, de la noblesse dans la lutte contre l'oppression, était enfin synonyme d'un certain bonheur qu'il appartenait au peuple de retrouver. Guidé par l'aprisme ou plutôt la manifestation politique continentale de la Réforme de Córdoba, le pays pouvait connaître de telles réussites, et sortir de la crise qu'approfondissait le gouvernement de Leguía. Ce fut d'ailleurs sur cette seule et fondamentale opposition entre le jadis et l'aujourd'hui ou dans la culture d'une nostalgie guerrière, que cette mythologie de l'âge d'or tendit à s'affirmer. Elle permit aux apristes de passer outre leur absence de la scène politique durant trois ans d'exil, et elle redonna l'espoir à certains par l'histoire, là où personne ne faisait plus rien pour eux.

Le cas de la Révolution mexicaine restait lui aussi très significatif, pour la manière avec laquelle la revue Amauta en fit un usage politique du passé. Cela ne signifie pas pour autant que cet évènement fut inventé, car il existe toujours des parts de réel dans toute entreprise de mythification. La présentation de la Révolution mexicaine correspondait plutôt à une volonté de répondre aux attentes sociales témoignant « d'une forme relativement proche de malaise, d'inquiétude ou d'angoisse»126(*). Cet évènement qui entraîna la mort de milliers de personnes, fut présenté comme un bloc, comme la manifestation d'un tout figé, dont l'objet était uniquement de faire saisir aux lecteurs, la portée et la réussite de l'entreprise. La revue publia de nombreux éloges à cette révolution, en la décrivant comme le berceau du nationalisme continental, et en soulignant l'esprit de résistance du peuple mexicain. La doctrine Carranza et la Constitution de 1917 furent ainsi érigées en modèle à suivre dans la lutte contre l'impérialisme nord-américain. La doctrine Carranza par exemple, fut élevée en tant que programme politique à appliquer sur tout le continent en vue de la réalisation d`une justice sociale à grande échelle. Elle en était d'ailleurs le « drapeau en Amérique latine »127(*) selon Ramos, de part sa nature anti-impérialiste avérée lors de la confrontation avec les Américains suite à la Révolution mexicaine. D'un autre côté, et revenant sur la période d'affrontements entre les Etats-Unis et le Mexique, Rafael Ramos Pedruezuela glorifiait les symboles de la lutte contre l'impérialisme yankee. Il utilisait pour cela des symboles animaliers pour mettre en évidence le combat entre les deux ensembles, reprenant ainsi des traditions locales dont les codes étaient très proches, en tout cas facilement assimilables par la population péruvienne128(*). Pour Eudocio Ravines, fondateur de la section apriste de Paris, la Révolution mexicaine était le Thermidor mexicain. Elle marquait une immense victoire sociale pour le peuple contre toutes les composantes de la classe dominnate, et exprimait la première manifestation politique contre l'impérialisme nord-américain. Cet évènement portait également une symbolique sociale très forte, qu'incarnait le front commun que formèrent les classes opprimées contre une domination héritée de la conquête espagnole. Cette dimension sociale de la révolte se manifesta alors sans organisation de classes, et le prolétariat fusionna avec la petite bourgeoisie insurrectionnelle dans un seul mouvement solidaire qui balaya « la domination du féodalisme, des caciques et de sa clientèle d'intellectuels, de docteurs et licenciés »129(*) . Cette fusion, la victoire contre l'impérialisme, les conquêtes constitutionnelles firent de cette révolution, «l'évènement social de la plus grande magnitude en Amérique latine, durant ces années»130(*). Elle fût même pour Ravines, une manifestation populaire autonome et sans apports étrangers, qui ne peut être cataloguée comme émanation d'une quelconque influence européenne131(*).

Ainsi définie comme un âge d'or de la lutte sociale, le rôle de l'aprisme était de s'édifier en gardien intellectuel de la Révolution mexicaine et d'en appuyer la réalisation des présupposés révolutionnaires. Selon l'uruguayen proche de l'APRA, Oscar Cosco Montalvo, il en résultait même une mission pour les sympathisants des acquis de la Révolution. Cette mission consistait donc à « exhiber objectivement, à toute occasion propice, ce qu'il y a d'impersonnel, d'idéologiquement pur et de réalisation effective dans la grande épopée de la révolution mexicaine »132(*). Il était alors question de manifester un attachement sans faille à un évènement qu'on ne se privait pas de présenter comme une authentique victoire latino-américaine contre l'impérialisme, tant culturel qu'économique.Arboré comme fils d'une révolution aux acquis sociaux et symboliques palpables, l'aprisme se voyait investi d'une mission légitime, et d'un legs à poursuivre. Fondé à Mexico en 1926, le mouvement cherchait à se poser en interloctuteur connu, puisque résultante d'une révolution, au moment même où les conditions politiques et sociales le permettaient. Cette mythologie de l'âge d'or s'introduisait en effet dans une société où existaient des poussées d'effervescence mythique, de par la précipitation de l'évolution économique et sociale, et l'accélération des changements qui bouleversaient les anciens équilibres. L'APRA apparaissait comme le garant de la continuité de ce modèle à suivre dans la lutte face à la menace impérialiste, car il était potentiellement capable d'apporter la justice sociale et des acquis sociaux (Réforme agraire par exemple) de par sa filiation en hommes, en idées et en projets avec le mouvement mère. Haya de la Torre reprit pour cela, la symbolique utilisée lors de la Révolution, faisant de l'écusson de l'Université de Mexico133(*) , l'emblème officiel de l'Alliance Pour la Révolution Américaine.

b) La sacralisation de Gónzalez Prada

Cette création d'une identité ne se limita pas à des origines conjoncturelles étrangères. Elle nécessitait une figure locale de qui se réclamer. Le choix se porta sur l'anarchiste Gónzalez Prada, un personnage très controversé de son vivant, mais qui demeurait inébranlablement identifié à la lutte anti-civiliste et au combat pour le droit des indiens. Se basant sur leur expérience personnelle avec cet éminent intellectuel péruvien, certains collaborateurs de la revue se lancèrent au fil des numéros à une entreprise de sacralisation de ce dernier, tout en publiant à de nombreuses reprises des extraits des oeuvres les plus importantes de celui qui incarna, «la possibilité d'un Pérou nouveau»134(*). Gonzalez Prada consacra en effet de nombreux ouvrages à la recherche de ce renouveau, et se forgea au fil des années, une réputation de combatif et de farouche critique envers un pays qu'il qualifiait « d'organisme malade : où l'on pose le doigt, le pus coule »135(*). Malgré sa mort en 1917 et même s'il ne s'imposa jamais comme chef politique, sa radicalité demeurait encore vivace dans les esprits des années vingt, surtout parmi les étudiants universitaires. Cette radicalité était même pour Bourricaud, à l'origine de l'idéologie de la génération des années vingt. Elle traduisait un doute radical des structures en place, alors que les légitimations traditionnelles devenaient caduques et qu'une obligation de « trouver autre chose » et de « faire quelque chose » était de plus en plus ressentie par une population confrontée à un régime corrompu. Gónzalez Prada et sa pensée personnifiaient la remise en cause de l'oligarchie et de la lutte contre le « tout venant, la fournée des amis du président recrutée plus ou moins hâtivement, et qui ne survit pas à la fortune politique du chef de l'exécutif. »136(*). Ce doute radical portait sur les causes de la domination oligarchique et sur les raisons qui continuaient à maintenir un système reposant sur l'exclusion de l'indien et l'immobilisme culturel. Il fustigeait la période coloniale, dans laquelle il voyait la source des maux que subissait le pays et qui se traduisait par de l'injustice sociale, dans le cadre d'une féodalité favorisant l'oppression de l'indien et l'immoralité politique.

Ainsi présentée, la figure de Gónzalez Prada revînt sur le devant de la scène grâce à la revue Amauta. Annoncé par Haya de la Torre au son d'un « Nous avons recupéré Prada, l'arrachant du chauvinisme civiliste, pour l'offrir au peuple »137(*), cette récupération fit de Prada une icône. Il s'agissait pour l'aprisme, de se réclamer de l'unique figure qui ne succomba pas à la tentation civiliste, et qui dédia sa vie à la lutte pour la justice sociale. Ce travail d'exposition par procuration, visait à ce que l'on puisse identifier l'APRA, non seulement à Gónzalez Prada, mais aussi à ses idées en matière de lutte contre les vices, les corruptions, et les crimes des classes dominantes. Mêlant l'héritage de Vasconcelos et celui de Gónzalez Prada, la lutte pour la défense de l'indien que prophétisait Haya de la Torre, devait servir de base à la libéralisation progressive du continent latino-américain du joug de son passé. La pensée de « l'apôtre » fut également présentée comme un signe précurseur du renouveau politique du continent américain. Sa fécondité intellectuelle fut placée au même rang que celles des « précurseurs de futur »138(*) ou en quelques mots, les précurseurs du projet apriste : Bolivar, Sarmiento, Montalvo et Martí. Plaçant Prada au même rang que ces grandes figures de l'histoire latino-américaine, les apristes souhaitaient en effet revendiquer le rôle joué par la pensée péruvienne dans le processus de construction régionale, et surtout faire de ce dernier, le chaînon entre les figures du 19ème siècle et le tout nouveau mouvement émergent.

La collaboration entre l'APRA et l'Amauta permit l'introduction progressive des thématiques apristes sur le sol péruvien. Plus encore, elle en présenta les composantes, tout en dotant ce mouvement politique d'origines illustres telles que la Réforme universitaire de Córdoba, la Révolution mexicaine, les luttes des étudiants contre Leguía ou l'action politique contestataire de Gónzalez Prada. Elle bénéficia pour cela de l'éclatement des forces contestataires, dont les forces vives n'appartenaient à aucun parti politique organisé. Il n'existait en effet, aucun organe encore capable de réunir les forces progressistes dans un front commun, ce à quoi l'aprisme se hâta de se consacrer dans les colonnes du journal. La situation politique du pays ne favorisait pas non plus la constitution de mouvements de masse. Le régime de Leguía en effet, menait une politique très active contre les partis traditionnels, ce qui entraîna leur disparition progressive, au détriment de l'unique figure du caudillo. Des complications surgirent à partir de 1928, autour de la question des rapports éventuels que pouvaient entretenir l'APRA avec l'Internationale communiste. En outre, la question des statuts de l'APRA créa des affrontements internes et des jalousies avec le directeur d'Amauta. Il s'agissait de savoir si l'APRA devait rester un mouvement politique, une simple alliance anti-impérialiste où coexisteraient socialistes, communistes et bourgeois libéraux, au bien s'il devait se prévaloir de statuts et se transformer en un véritable parti politique de masse. La crise éclata dans le courant de l'année, lorsque fut fondé le Partido Nacional Libertador, qui cherchait à structurer les idées apristes dans la cadre d'un parti, en vue de lancer la candidature de Haya de la Torre à la présidence de République péruvienne. Le directeur de la revue Amauta, José Carlos Mariategui refusa son adhésion au parti, ce qui marqua la fin de la collaboration avec l'aprisme. Des articles très critiques envers les non-communistes furent publiés par la revue, et des sujets qui jusqu'alors jouissaient de l'unanimité générale, servirent de prétexte à des affrontements idéologiques. Le rôle du prolétariat mexicain durant la Révolution mexicaine fut, par exemple, critiqué par Eudocio Ravines, car celui-ci oublia de jouer son rôle historique de classe révolutionnaire. S'en suivit la dissolution de la cellule apriste de Paris, dirigé par Eudocio Ravines et à laquelle s'était associé temporairement Mariátegui, le 1er mai 1929. Des premiers groupes communistes firent leur apparition à Cuzco, alors qu'au contraire, certains collaborateurs de la revue comme Luis Alberto Sanchez, rejoignirent l'APRA. La séparation fut finalement scellée en 1930, avec la fondation à un mois d'intervalle, du Parti Communiste Péruvien et du Parti Apriste Péruvien. Cette rupture marqua dès lors la division de la gauche péruvienne en deux grands blocs rivaux et antagonistes, qui s'opposèrent dans la rue, par les mots, et qui nourrirent sensiblement la culture politique péruvienne.

II) L'émergence d'une historiographie de « l'âge d'or »

La publication des Mémoires de Luis Alberto Sanchez intervînt alors que le pays connaissait depuis octobre 1968, une expérience révolutionnaire qui vînt balayer l'organisation oligarchique de la société et des structures de production péruvienne. Ce déblocage politique, avec des militaires de gauche qui imposèrent « une révolution par le haut », aurait pu signifier la victoire de l'aprisme et de ses idées nées en 1926, puis consolidées dans les années 1930. Haya de la Torre aurait même pu reconnaître cette victoire contre l'oligarchie qu'il critiquait tant. Il ne le fit pas. Le parti était en effet en pleine phase de reconstruction politique, suite aux voyages de son leader en Europe de l'Est, et à l'annulation par l'armée de sa victoire aux élections présidentielles de 1963. Contraints à la « révolution par la conscience », l'APRA passa les années 1963 à 1968 retranché dans ses locaux, à « meubler les heures »139(*) et à repenser son rapport au marxisme. Ce fut au cours de ces discussions, que Haya de la Torre livra à ses camarades, l'élargissement de son jugement sur l'URSS, qu'il décrivait comme un vaste empire despotique (ce qui était assez inhabituel en pleine Guerre Froide au sein de la gauche). Influencé par ces discussions, et marqué par l'arrivée au pouvoir de l'armée avec laquelle l'APRA n'entretînt jamais de bon rapports, l'historien Luis Alberto Sanchez entreprit de lever le voile sur les diverses expériences qui menèrent à la formation de l'APRA, ainsi que sur les liens qui existèrent durant les années 1920 entre les principaux membres de la génération dite de la « Réforme ». Même s'il se garda d'énoncer que sa description du passé était « un ensemble d'images, de jugements et de portraits organisés selon ses souvenirs »140(*), il en profita pour approfondir la thématique des origines illustres du parti, et pour clarifier sa position vis-à-vis marxisme. Celui qui avait été successivement professeur puis recteur de l'Université San Marcos, se livra même à une hagiographie du leader apriste, dont les défaites électorales, les alliances successives avec les autres partis, et l'enthousiasme populaire envers le vélasquisme, en avait nettement affaibli l'image. Ceci prolongeait de fait la publication parallèle du livre Víctor Raúl: biografía de Haya de la Torre de l'apriste Cossio del Pomar, où ce dernier revenait longuement sur la vie et la personnalité du leader apriste, sans pour autant y préciser des informations relatives aux victoires politiques qui eurent lieu durant la jeunesse du « Jefe ». Témoin direct de toutes les batailles depuis la Réforme de Córdoba et caution intellectuelle de l'APRA, Luis Alberto Sanchez utilisa un support à priori anodin, pour montrer la singularité, la nature sociale, et la légitimité, de l'APRA. Contraint à réagir suite au départ d'une partie de son intelligentsia vers le vélasquisme, l'APRA devait en effet à nouveau, comme au temps de l'exil, construire un imaginaire à partir de son passé. Cette question des origines du parti apriste était d'ailleurs une préoccupation centrale pour Luis Alberto Sanchez, qui, dès 1934, publia depuis son exil à Panama, le livre Víctor Raúl Haya de la Torre o el político, où il exaltait les vertus du fondateur de l'aprisme, et en glorifiait l'activité politique dans les années vingt. Ces Mémoires marquèrent ainsi, une restructuration dans l'écriture de l'histoire de l'APRA pour celui qui en demeurait l'historiographe officiel et unique du parti. Car cet écrit lui ouvrait la possibilité d'expliciter pour la première fois le long cheminement qui eût lieu durant les années 1920, et auquel toute une génération participa. Ce livre introduisit pour finir l'histoire de l'APRA ou plutôt son écriture, au premier rang d'une nouvelle dynamique qui visait renforcer l'identification populaire au parti. Les origines de l'APRA servaient alors à se prémunir contre ceux qui, par voix officielle, niaient en bloc l'existence d'une quelconque dimension sociale chez les apristes dans le passé.

S'inscrivant dans un contexte de restructuration interne du parti, ces Mémoires répondaient à la nécessité de développer un langage médiatique qui puisse venir pallier le retrait de la parole et de l'imaginaire apriste de la scène publique. Ils visaient à développer des logiques d'actions autour de la genèse du parti, en rendant le langage opportuniste et en ajustant la rhétorique aux circonstances. Cette présentation des origines était, reprenant la théorie de Goffman, « un jeu de représentation, et un acte théâtrale par quoi s'accomplit l'échange entre soi et les autres et une mutuelle reconnaissance »141(*). Pour se faire, l'historien péruvien racontait les luttes du passé et la figure de Haya de la Torre, de manière théâtrale, transformant des circonstances historiques en un effet mobilisateur par le moyen de la « dramatisation associée à du spectacle »142(*). Le poids de l'imaginaire dans cette construction venait transfigurer l'histoire politique du parti, en mystique, selon le mot de Péguy, transposant des mythes, le symbole de Haya de la Torre, des valeurs sociales et des malheurs, en des vecteurs ayant pour fonction, d'unir en créant une solidarité supérieure. Comme le défend Alexandre Dorna en parlant du paradigme populiste latino-américain, cette syntaxe de l'histoire de l'APRA visait à placer au coeur d'un large « processus progressiste de réformes qui se situe entre les traditions libérales et socialistes, devant l'injustice sociale »143(*), tout un ensemble de points symboliques. La place de la symbolique autour de la figure de Haya de la Torre jouait ici un rôle déterminant. Elle permettait de véhiculer avec plus de facilité, une histoire complexe et souvent contradictoire, en transmettant par l'insistance sur la nature charismatique d'un homme, des émotions et un imaginaire nécessaire à la survie du parti. Ainsi présentée, la figure de Haya de la Torre, pour reprendre Goleman, servait de « révélateur formidable des vérités cachées à l'aide d'une émotion rationnelle »144(*). C'est pourquoi, Luis Alberto Sanchez procéda à une structuration des luttes du passé, tout comme, il prolongea son entreprise de sacralisation de Haya de la Torre, née trente ans auparavant.

A) Une nécessaire réponse structurée en temps de crise (1969)

1) L'A.P.R.A à l'épreuve du Pérou de Velasco

Lorsque parurent les Mémoires de Luis Alberto Sanchez, la junte militaire présidée par le général Velasco Alvarado s'apprêtait à célébrer la victoire d'un courant réformateur qui « initiait une étape de la vie républicaine du Pérou, et qui à son terme devait instaurer une société nouvelle, distincte, et juste »145(*). Lors du discours commémorant le premier anniversaire (1er octobre 1969) de ce que Velasco considérait non pas comme un coup d'Etat militaire mais comme l'avènement d'une nouvelle ère146(*), la junte de la voix de son chef, déclarait haut et fort son intention de mener à terme tout un ensemble de réformes structurelles qui, pour qui ne l'avaient pas compris, marquait l'avènement d'une révolution dans le pays. Il comparait dans ce sens, la révolution péruvienne à la révolution française, dans laquelle il voyait la meilleure expression d'une substitution d'un « système politique, social et économique par un autre qualitativement différent »147(*). Non content de défier encore davantage l'oligarchie, il exaltait pour finir le potentiel rénovateur du processus en cours qui, selon lui, « ne fut pas fait pour défendre l'ordre établi au Pérou, mais pour le transformer de manière profonde dans tous ses aspects essentielles »148(*).

Velasco Alvarado proclamait même le besoin de poursuivre les réformes entamées qui avait déjà considérablement transformée la vie quotidienne en chassant du pays l'oligarchie et en redonnant sa fierté au pays. Il soulignait les victoires de la junte149(*), et annonçait la poursuite des réformes escomptées. Cette transformation devait dès lors toucher tous les secteurs de production du pays, et tous les Péruviens. Comme l'indiquait l'un des hauts responsables du CAEM (Centre des Hautes Etudes Militaires), le processus révolutionnaire devait tout faire pour recréer un bien commun qui, « doit être considéré comme une situation à atteindre, une situation idéal afin que se donne les conditions favorables pour que l'homme se réalise dans sa plénitude d'être humain »150(*). L'année de publication des Mémoires de Luis Alberto Sanchez vit ainsi une consolidation des mesures sociales et politiques, qui s'accélèrent durant l'année, comme par exemple, la réforme agraire, qui marquait selon ses instigateurs, le début « d'un processus irréversible qui assoira les bases d'une grandeur nationale authentique, c'est-à-dire d'une grande cimentation de la justice sociale et de la participation réelle du peuple à la richesse et à la destinée de la patrie. »151(*). Longtemps préparé dans les couloirs du CAEM152(*), ces réformes n'en gommaient pas pour autant leurs inspirations apristes, ce qui contrastait nettement avec les difficultés que rencontraient le parti suite à l'arrivée au pouvoir de son ennemi de toujours.

a) Une tradition de rapports conflictuels entre l'Armée et l'APRA

Le coup d'Etat militaire de Velasco d'octobre 1968 intervînt un an avant une échéance électorale qui aurait pu donner la victoire à l'APRA, tant le parti se situait en position de force, suite l'incapacité de la coalition gouvernementale de centre-droit (Action Populaire du président Belaunde élu en 1963, et la Démocratie chrétienne) de mener à bien les réformes promises. Cette coalition était même mêlée à un scandale politique, en raison de la cession en août 1968, du potentiel pétrolier péruvien à l'entreprise nord-américaine, International Petroleum Company. Indépendamment des motivations conjoncturelles, et de la conviction partagée par les militaires, que les civils étaient incapables de mener à terme les réformes nécessaires, ce coup d'Etat fut aussi une réponse à la menace apriste. Il poursuivait alors une longue tradition de coups d'Etat contre le parti, dont les origines remontaient à des actes fondateurs, qui se développèrent pratiquement en même temps que l'essor national du parti de Haya de la Torre.

La première confrontation entre les deux camps datait en effet du lendemain de la chute de Leguía. Elle commença lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 1931, qui vit s'affronter Haya de la Torre, et le général Sanchez Cerro, le tombeur de Leguía. Cette élection, qui marquait le retour du pays à la démocratie après onze ans d'un pouvoir autoritaire, donna pour la première fois le droit de vote à tous les hommes âgés de vingt-et-un ans sachant lire et écrire. Les analphabètes et les paysans exclus, cette élection resta essentiellement un phénomène urbain auquel ne participa que 7,4% de la population153(*). Après une campagne houleuse, où les deux adversaires menèrent une campagne populiste, la victoire de Sanchez Cerro, après l'annulation des votes d'un département remporté par l'APRA, marqua le début des rancoeurs apristes contre l'armée.

Les apristes crièrent haut et fort à la fraude, et menèrent dès lors de vastes campagnes de mobilisation sociale contre le régime, tout en utilisant l'importante minorité dont ils disposaient à l'Assemblée constituante. L'élection Sanchez Cerro marquait la victoire des classes moyennes et des membres de quelques vieilles familles aristocratiques, particulièrement sensibles à la question de l'intégrité territoriale. Or, l'APRA, et surtout Haya de la Torre, étaient suspectés d'entretenir des liens avec l'étranger, et même d'être le parti de l'étranger. En février 1932, la crise entre les partisans de Sanchez Cerro et les apristes devînt de plus en plus grande. La majorité ultranationaliste refusa les mesures sociales prônées par l'APRA à l'Assemblée, et finit par expulser les vingt-sept députés apristes en vertu de leur appartenance à une organisation internationale, tout en arrêtant Haya de la Torre. En réponse à cette expulsion et à l'arrestation de leur chef, une insurrection apriste éclata en juillet 1932, dans la ville de Trujillo, dont Haya de la Torre était originaire. Elle fut marquée par la prise de l'hacienda sucrière de Laredo par des ouvriers agricoles (peones) proches du parti, et par l'installation d'un préfet apriste à Trujillo. Elle vit surtout l'assassinat de plusieurs officiers dans la caserne de la ville. Cet acte ébocha le début de l'haine vouée par l'armée contre le parti, présentée comme une organisation antimilitariste. L'insurrection fut finalement brisée par la force, et se traduisit par l'exécution de centaines de militants apristes dans les ruines de Chan Chan, aux portes de Trujillo.

Un autre acte encore plus symbolique vînt par la suite accroître les différences. En 1933, le président Sanchez Cerro fut assassiné et son meurtre fut attribué à l'APRA. Le parti fut dès lors identifié comme menace pour la sûreté de l'Etat, et ses partisans persécutés. L'armée reçut comme consigne de persécuter les apristes, ce qui se résumait à une seule formule : « lutte à outrance contre l'APRA »154(*). Après la mort du président, le Congrès nomma le général Benavides à la tête de l'Etat. Il se hissa comme garant de l'ordre institutionnel155(*), et arrêta de nombreux militants apristes et ferma les locaux du parti. Sachant qu'une bonne partie de la clientèle apriste se recrutait parmi les officiers de l'armée en raison de leur position sociale156(*), il chargea un groupe de policier-enquêteurs d'infiltrer l'armée pour y démanteler d'éventuels groupes subversifs. Parallèlement à cela, le nouveau chef d'Etat décida d'interdire le parti, justifiant sa décision en invoquant la constitution de 1933 qui privait de droits politiques les partis « qui prétendent détruire l'ordre moral et la discipline dans l'armée »157(*). D'un autre côté, Haya de la Torre fut interdit de briguer un quelconque mandat, toujours à raison de l'appartenance de son parti, à « une organisation internationale ».

Ces actes fondateurs de la répression à la violence apriste, nourrirent dès lors l'idée, dans l'armée, que le projet initial de l'APRA préconisait « la subordination des forces armées au pouvoir civil et leur substitution par une armée de partisans. »158(*). Le gouvernement de Benavides interdit lui-aussi le parti jusqu'en 1945, sauf durant une brève parenthèse en 1934. En 1937, il adopta d'ailleurs des lois très strictes pour se prémunir contre une éventuelle menace apriste. Ces dernières s'inspirèrent largement des législations de défense nationale adoptée dans plusieurs pays d'Amérique latine--notamment le Brésil, l'Argentine et le Chili--contre le péril communiste. Elles interdisaient en effet, tout acte de propagande et les « doctrines communistes ou dissolvantes, par quelques moyen de publication o diffusion qu'elle s'exerce : livres, journaux, tracts, annonces, dessins, inscriptions murales, instruments acoustiques ou lumineux, cinéma ou radio...en interdit l'introduction sur le territoire national, la production, la vente et l'acquisition, la distribution159(*). D'un autre côté, le CAEM poursuivait cette politique de lutte contre la menace apriste sur le terrain de l'enseignement, faisant de l'anti-aprisme, l'un de ses piliers formateurs, à tel point que celui-ci «faisait partie de l'éducation des cadets dans les écoles militaires, et constituait le principal facteur de cohésion des forces armées«160(*). L'APRA répondit durant ces années par la violence. Se basant sur une rhétorique proche de la martyrologie, et cultivant l'esprit de sacrifice parmi ses membres, en exhibant des « saints » apristes torturés et tués pour la gloire du parti, il mena des opérations résonantes. En 1935, le parti assassina par exemple le directeur du journal anti-apriste, El Comercio, Antonio Miro Quesada. Quelques années plus tard, en 1948, le parti fut impliqué dans une mutinerie d'une partie de la flotte mouillée au Callao, contre le président Bustamante Rivero.

En somme, l'arrivée au pouvoir des militaires, en 1968, représentait une menace potentielle pour le parti, voir un danger. Mais Velasco, malgré des pressions internes issues des principaux instructeurs du CAEM, ne poursuivit la politique de persécution et d'interdiction contre le parti. Mis à part, quelques déportations isolées, il estimait que le mouvement était caduc, et que le coup d'Etat de 1963, avait déjà suffisamment déstabilisé le parti. Il garda un oeil sur le parti mais ne molesta pas directement Haya de la Torre, et toléra les manifestations commémorant l'anniversaire du parti. Contraint au silence après l'arrivée au pouvoir de l'ennemi éternel, l'APRA traversa une longue période de crise. Il du se recroqueviller, et penser une manière de revendiquer sa force sociale sans pouvoir l'exprimer par des manifestations sociales de grande ampleur. La menace virtuelle que représentait un gouvernement militaire s'accrut même pour le parti, lorsque certains de ses cadres rejoignirent l'équipe gouvernementale de Velasco. Dès lors frappé en son sein, l'APRA du faire face à une nouvelle menace. Il ne s'agissait plus de se prémunir contre une éventuelle action à son encontre, mais plutôt, de lutter contre une menace encore plus grande : la réutilisation de ses idées par l'ennemi juré.

b) La réappropriation du programme apriste par le gouvernement militaire

Ironiquement, le coup d'Etat de 1968 mena au pouvoir des militaires qui utilisèrent largement les idées de l'APRA, et la théorie économique développée par Haya de la Torre dans son ouvrage, El antiimperialismo y el Apra de 1936. La junte militaire bénéficia à cet égard, de l'apport et de l'assistance de renégats de l'aprisme, qui déçus de la politique de collaboration parlementaire menée par le parti, estimaient que le temps était venu d'appliquer, le programme apriste des années 1930. Cette scission débilita d'autant plus le parti, que certains de ses cadres, voir le secrétaire personnel de Haya de la Torre, Carlos Olivera, reçurent comme mission des militaires de définir les plans structuraux de la Révolution péruvienne. Menés par la conviction que l'attitude de Haya de la Torre durant les années 1960 avait fait perdre au parti sa dimension révolutionnaire et réformiste, les transfuges transformèrent le système économique péruvien en un modèle socialiste avec une réforme agraire radicale, la nationalisation de tous les secteurs économiques (banque, pêche, assurances, mines, assurances), ainsi que le développement du coopérativisme rural. Reprenant la thématique de la lutte anti-impérialiste chère à Haya de la Torre, le gouvernement militaire cultiva la rhétorique anti-impérialiste, continuant à instrumentaliser la menace qui faisait peser sur le Pérou l'impérialisme américain. Comme illustration de ce positionnement, Velasco protesta au sein de l'Organisation des Etats Américains (OEA) contre l'ostracisme à l'égard de Cuba, et appuya les revendications de Panamá sur le canal. Or, cette mesure était l'un des cinq piliers du programme apriste des années 1930. Plus encore, reprenant la vision universaliste que l'APRA cultivait dans la revue Amauta, les militaires proclamèrent que leur choix du tiers-mondisme et leur refus de l'alignement sur Moscou, résidait dans une vaste stratégie de solidarité contre l'anti-impérialisme, ce qu'ils firent lors des sommets du groupe des 77, dont l'une des sessions eût d'ailleurs lieu à Lima en 1970.

Cette réappropriation des valeurs de justice sociale et de progrès social, par les militaires réformistes, débilita le parti apriste. Il perdait en effet son identité, en voyant d'autres appliquer des réformes qu'il avait lui-même conçues. D'autre part, le parti comprit vite que son choix de la convivencia (vie commune) qu'il fit entre 1956 et 1968, lui avait fait perdre son image de victime isolé et revendicative. Ses collaborations, d'abord Pardo, puis avec Odria, représentant militaire de l'oligarchie, avaient non seulement produit une scission interne, mais pis, faussé les repères identitaires qu'il avait forgé durant les années vingt. En pleine quête identitaire, l'APRA décida de réagir en posant le problème de la définition de sa singularité et de son unicité. Afin de montrer la vraie nature de l'aprisme, il prit un tournant décisif dans son autodénomination, choisissant de tourner définitivement le dos à son passé marxiste et à ses liens plus qu'étroits avec le mariatéguisme. Luis Alberto Sanchez s'y attacha dans ses Mémoires, jouant la carte de l'anecdote et de l'objectivité historique, que lui offrait son dualisme de témoin et historien.

2) La prise de distance définitive avec le marxisme péruvien

L'expression faîte par Mariategui de son adhésion au mouvement apriste dans les années vingt, les origines marxistes de la pensée de Haya de la Torre ou la maturation d'un noyau communiste au sein de l'APRA, étaient autant de signes, qui illustraient la confusion qui pouvait exister à la lecture des origines communes, des deux principales forces de la gauche péruvienne. Cette question ne demeurait en rien une particularité péruvienne, on peut même dire, qu'elle englobait tous les débats qui eurent lieu dans les partis socialistes des années vingt. Le premier point de filiation entre l'APRA et le marxisme péruvien, résidait dans le fait, qu'ils se déclaraient tous les deux socialistes. Les débats autour du vrai sens à accorder à ce terme, nourrirent de nombreux affrontements entre chacune des parties, qui cherchèrent à se réapproprier cette notion dans le dessein d'affirmer leur autonomie. Pour l'apriste Luis Heysen, le socialisme qu'incarnait l'APRA, offrait « une solution par nous, dans nos terres et richesses nationales, dans notre indépendance face à la voracité yankee ou à l'ours, éveillé et sans chaînes soviétique »161(*) . Critiquant la pensée de Mariategui qu'il qualifiait de « bolchévique d'annunziano », il défendait l'idée que le socialisme ne pouvait pas s'atteindre par des « idées irréelles et fantastiques crées par l'imagination »162(*), mais par une action construite dans le cadre d'une lutte régionale contre l'impérialisme. Ces débats n'étaient en rien une évidence pour une population très peu réceptive de ces débats idéologiques. Pour beaucoup encore, les dirigeants apristes demeuraient, au même titre que Mariategui, le symbole de la résistance héroïque contre un dictateur, que le gouvernement de Velasco ne se privait pas de critiquer. Les apristes restaient assimilés à la revue Amauta, et personne ne comprenait réellement avec clarté, la séparation qui eût lieu entre les deux forces à la fin des années des années vingt. Forcé de se livrer à une défense de la singularité de son parti, Luis Alberto Sanchez entreprit un travail d'explication et d'éclaircissement sur les circonstances historiques et les raisons qui poussèrent à cette séparation.

a) Le problème du rapprochement par le passé

La question des références intellectuelles communes entre socialisme et communisme a toujours été un thème qui a suscité des controverses et des polémiques de part et d'autres. Dans le cas péruvien, les principales figures de gauche (Haya de la Torre, Mariategui, Meza) vouèrent au début des années vingt, une certaine dévotion aux anarchistes russes, Bakounine et Kropotkine, et à l'anarchiste péruvien de Gónzalez Prada. Ils voyaient dans ce dernier, le fondateur du renouveau politique péruvien, et prônaient dans ce sens, la nécessité de bâtir une nouvelle nationalité et une nouvelle culture, autour des idées de Prada. Ils en célébraient ensemble son statut de défenseur des indiens, et sa violente hispanophobie. Luis Alberto Sanchez revenait d'ailleurs dans ses Mémoires, sur la sociabilité politique que créaient ces figures parmi la jeunesse péruvienne, et d'autre part, sur la fascination qu'exerçait la Révolution russe sur la génération de la Réforme péruvienne. Cependant, il cherchait à relativiser cette passion commune pour des auteurs qui bercèrent leur jeunesse, mais qui selon lui, demeuraient des découvertes intellectuelles intéressantes, faisant parti d'un cheminement intellectuelle, mais dont la radicalité ne pénétra jamais la pensée apriste née quelques années après. Il détachait pour cela Prada des anarchistes russes, ne reprenant finalement que sa dimension sociale et sa radicalité d'esprit, le rendant ainsi plus amène à figurer en précurseur d'un parti qui se voulait révolutionnaire par sa dimension réformatrice, mais qui refusait de prendre le pouvoir par la violence.

Indépendamment de cette proximité intellectuelle, la question de l'imbrication des réseaux entre apristes et futurs fondateurs du Parti Communiste péruvien demeurait également un autre thème sensible pour les apristes, d'où l'obligation pour Luis Alberto Sanchez, de hiérarchiser ces rapports, et de montrer le rôle politique joué par Mariategui, sans faire de l'ombre à Haya de la Torre. Il présentait le parcours journalistique de Mariategui, de ses débuts en 1915 comme simple employé des ateliers de la Prensa, à son zénith comme directeur de l'Amauta. Mais plus que dresser un historique de son évolution, il mettait en évidence le rôle joué par Haya de la Torre dans la carrière de celui-ci. Il en magnifiait le fait que, sans une décision du leader apriste de 1923, Mariategui n'aurait jamais participé politiquement au combat de résistance contre Leguia. Pour l'historien apriste, la décision de Haya de la Torre de le nommer directeur substitut de la revue Claridad, correspondait à la véritable entrée en politique de Mariategui, et à son premier contact avec les Universités Populaires. Cherchant à souligner la supériorité de Haya de la Torre dans l'action et les réalisations politiques, il caricaturait parfois la figure de Mariategui, en le dépeignant davantage comme un homme de lettres que comme un homme d'engagement. Mariategui était en effet peint en animateur des milieux littéraires liméniens, en intime d'écrivains tels que Valdelomar163(*), et comme quelqu'un cherchant à nier en permanence son passé littéraire.

Même la maladie de Mariategui entra dans le schéma mit en place par Sanchez pour marquer la supériorité de Haya de la Torre. Il écrivit à ce sujet, en surexposant le rôle qu'il joua et que joua Haya de la Torre lors d'un des moments les plus critiques de la maladie du fondateur de l'Amauta. Il relata d'ailleurs, l'action qu'il entreprit pour venir en aide à ce dernier, et comment il se battit pour aider son ami, pour qui il « lança un appel dans les pages de la revue Mundial afin de collecter des fonds pour venir en aide à la famille meurtrie de Mariategui... »164(*). Il associa même à cette entreprise Haya de la Torre alors en exil, en soulignant la force de la solidarité et de la compassion de ce dernier: « Je te remercie de ce que tu as fait pour J.C.M. Tu l'as fait comme si ça avait moi. C'est un frère »165(*). Les Mémoires servirent de ce fait à propager la grandeur de l'esprit de fraternité que cultivaient les jeunes apristes dans les années vingt. L'auteur y retraçait le rôle qu'il joua pour venir en aide aux prisonniers politiques injustement emprisonnés sous Leguia. Or le cas de Mariátegui permettait de montrer que, s'il pouvait exister certes un rapprochement par le passé entre marxistes et apristes, il avait toujours servit au premier comme échappatoire face au danger. L'historiographe officiel de l'aprisme parachevait par exemple cette exposition des faits, en montrant que Mariategui pu sortir de prison en 1929, grâce aux apristes, et que sans Luis Alberto Sanchez, une personne malade innocente aurait pu mourir en prison.

Ainsi présenté, le passé commun entre marxistes et apristes tournait en faveur des seconds. Il permettait de dépasser les dangers d'une association trop rapide, pis, de montrer une certaine supériorité en actes et en valeurs. Le fait d'insister sur la solidarité envers Mariategui n'était en rien anodine. Elle rappelait le rôle joué par les futurs apristes dans la carrière de celui dont la junte militaire en faisait son héros, au même titre que Tupac Amaru. Elle permit de clarifier également la spécificité de l'aprisme, et de souligner la primauté de l'APRA en faits et dans la lutte contre l'autoritarisme. Non content de se limiter à la période de collaboration, Luis Alberto Sanchez poursuivit son travail explicatif sur la rupture. Là, non seulement il reprit les schémas antérieurs, mais il la transforma en symbole politique.

b) Le symbolisme politique de la rupture avec Mariátegui

L'interprétation de la rupture entre Haya de la Torre et Mariátegui demeure l'une des données les plus significatives de la culture politique péruvienne. Elle résulte d'une longue lutte qui commença dès 1929, et qui se prolongea parmi les proches de chacun de ses deux icônes. Les Mémoires de Luis Alberto Sanchez se placèrent elles aussi dans ce débat, et elles en alimentèrent les rivalités, tant ce livre présentait un fourmillement de données historiques. La nouveauté qu'introduisit Luis Alberto Sanchez, pourtant très proche dans sa jeunesse de l'homme de l'Amauta, fut qu'il développa un dispositif de mise en concurrence entre Mariategui et Haya de la Torre. Il procéda pour cela à de multiples comparaisons entre les deux hommes, et ne se priva pas mettre en avant le paternalisme et la précocité qu'avait le leader apriste sur l'auteur de Sept Essais d'Interprétation de la Réalité Péruvienne. Les livres les plus significatifs de ces derniers entrèrent dans cette logique, faisant de l'oeuvre de Haya de la Torre, le caractère précurseur du renouvellement de la gauche péruvienne du fait que « son livre Pour l'émancipation de l'Amérique latine de 1927, édité par Gleizer, à Buenos-Aires, avait circulé sans obstacles, bien avant les Sept Essais d'Interprétation de la Réalité Péruvienne de Mariategui... »166(*). Revenant sur l'expulsion de Mariátegui et Falcón de 1919, l'ouvrage signalait que le retour au pays du premier avait été très difficile. Mariategui en effet, avait souffert de la polémique autour de son départ en exil167(*), et ça avait été Haya de la Torre en personne qui lui avait permit de revivre politiquement. Le chef de l'APRA, alors président de la Fédération des Etudiants Péruviens, s'était alors chargé de le faire réintroduire dans les mouvements contestataires, en jouant de tout son charisme pour le faire accepter parmi les ouvriers et les réticents. Il lui avait même permit de devenir professeur des Universités Populaires qu'il avait créées. Luis Alberto Sanchez se basait pour finir sur ce fait, pour défendre l'idée que ce fut grâce Haya de la Torre que commença l'activité sociale et politique de Mariategui168(*). Ce paternalisme de Haya de la Torre se poursuivait également, selon Luis Alberto Sanchez, sur le terrain idéologique. Pour lui, il existait plus qu'une filiation aux niveau des idées, entre la revue Amauta et le Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels. Il s'agissait plutôt d'un enfantement, qui permit à Mariategui de mener à terme son projet de revue politique progressiste169(*). Comme le soutenait l'auteur en citant Mariátegui, les milieux contestataires péruviens vivaient à l'époque dans l'expectative des apports et de l'expérience de Haya de la Torre alors en exil en Europe170(*).

Parallèlement à ces éclaircissements, Luis Alberto Sanchez mit en place une véritable instrumentalisation de la rupture entre marxistes et apristes. Il cultiva la théorie du complot, mettant ostensiblement en avant, la lâcheté des premiers face au courageux projet préparé par les exilés apristes en vue de renverser Leguia. Il les accusa d'avoir fait échouer le projet, d'avoir provoqué des arrestations dans les rangs de l'APRA, et de n'avoir disposé d'aucun courage politique d'opposition171(*). La présentation de la trahison d'Eudocio Ravines quant à elle, marqua le sommet du retournement de position des marxistes. Ayant assisté au Congrès Anti-impérialiste de Bruxelles avec Haya de la Torre, Ravines fut présenté comme le grand instigateur de la rupture, jouant à cette occasion un rôle de « trompe-l'oeil », qui fit que Mariátegui « confondit cette campagne dynamique et politique de Haya de la Torre contre Leguia, comme une expression de l'individualisme du caudillisme »172(*) . Critiqué comme un séparatiste pour avoir quitté le secrétariat de la Cellule Apriste de Paris, Eudocio Ravines était d'autant plus traître, que dès qu'il posa un pied sur le territoire péruvien, il qualifia son ancien compagnon de voyage en Europe, Haya de la Torre, de « totalitaire, de néofasciste, d'ambitieux, et d'individualiste»173(*). Cette critique se poursuivit finalement en rappelant que leurs anciens collaborateurs livrèrent des documents de Haya de la Torre au gouvernement de Leguia, qui s'empressa de les publier dans la presse officielle, accompagnés de commentaires salaces.

Ainsi présentée, cette rupture servit aux apristes pour exprimer leur origine et remettre à l'ordre du jour leur image de « cavalier seul contre tous », que les alliances parlementaires avaient brisées. Elle permit surtout de signifier leur positionnement sur l'échiquier politique péruvien, et de quantifier les injustices à leurs égards. La rupture servit pour monter la connivence d'intérêts entre la droite dictatoriale et « la gauche européiste » ou le mariatéguisme. Présentée comme une permanence, cette connivence fut introduite comme une atteinte à la démocratie, dont l'APRA restait le principal supporter. Cette manifestation, nous disait Sanchez, vérifiait la nécessité d'opter pour des partis qui puissent lutter contre la menace que représente le totalitarisme. Pour finir, la rupture des années 1920 faisait du marxisme l'Adversaire, voire l'ennemi à abattre, qu'il fallait critiquer, même par des coups bas174(*). La prise de distance définitive avec le marxisme permit à l'APRA de se restructurer autour de son passé. Non content de signifier la nature non marxiste de son parti, l'auteur prolongea son travail de réveil identitaire en revenant sur les faits marquants des origines de l'aprisme. Il fallait dès lors, faire renaître les symboliques apristes, et raviver l'épopée des années 1920, que les participations au pouvoir avaient partiellement effacées.

B) Une restructuration autour de la pureté des origines

1) La mise en valeur des luttes du passé

A partir de circonstances historiques déterminées, Luis Alberto Sanchez cultivait un discours antagoniste, en divisant la société en deux camps opposés : le peuple contre l'oligarchie ou plutôt, l'APRA contre ses ennemis. Il en faisait un étroit système de filiations, d'assimilations et d'équivalences, entre des faits historiques (La Réforme universitaire péruvienne, l'opposition à Leguía, l'action politique de Haya de la Torre) et les valeurs propres au parti. Tantôt description objective d'une réalité passée, tantôt passé collectif des apristes élaboré en tradition de lutte sociale, son récit des luttes visait à reconstituer une légitimité perdue, une crédibilité mise à mal depuis l'arrivée au pouvoir de la junte. Pour cela, l'imaginaire éclairait le phénomène apriste dans sa subjectivité et dans sa totalité. Apportant des images, des sensations, une théâtralité constructive, le récit historique devait correspondre à ce que les Péruviens désiraient trouver chez un leader et un parti politique. L'auteur cherchait donc à présenter une voix où chacun est censé se retrouver, de la sorte à que chaque péruvien, puisse s'incérer dans un consensus autour de l'acceptation de l'idée, qu'Haya de la Torre était le parti, le peuple, le Pérou. C'est pourquoi, Luis Alberto Sanchez procéda à une instrumentalisation d'événements politiques, tout comme, il prolongea son entreprise de sacralisation de Haya de la Torre, née trente ans auparavant.

a) La Réforme universitaire péruvienne

L'histoire à laquelle font allusion les mythologies de l'âge d'or, correspond à des ensembles immobiles, il faudrait mieux dire immobilisés. Elle formule des circonstances historiques avec un rapport avec le réel, et repose sur une structure logique dont « l'élémentaire simplicité contraste singulièrement avec le foisonnement des images, des représentations et des symboles et qui n'est rien qu'autre que la décadence »175(*) que combat le parti. Cristallisant autour d'elle des valeurs et tous les rêves de justice sociale, la représentation du temps d'avant était un mythe au sens le plus complet du terme : « à la fois fiction, système d'explication et message mobilisateur »176(*). Présentée comme point de départ de la lutte pour le combat social au Pérou, la Réforme universitaire péruvienne s'inscrivait de ce fait, comme la première référence historique se rattachant à ce schéma. Fille du mouvement réformiste argentin177(*), cette manifestation contestataire était introduite selon une scénographie qui cherchait à présenter l'action politique d'une communauté close, et étroitement resserrée « dans la chaleur de son intimité protectrice »178(*). L'auteur y décrivait avec précision les différents rapports entre les étudiants réformistes, en tissait les liens, voir en racontait les origines familiales. Il s'attardait surtout sur les futurs apristes, revenant longuement sur leur participation directe au combat étudiant, les plaçant à cet égard en première ligne179(*). Il soulignait l'importance que jouait la Réforme comme vecteur de la socialisation politique étudiante parmi des jeunes dirigeants universitaires, dont les réunions180(*) et la passion pour le sport181(*) préméditaient déjà, la base de camaraderie et des valeurs de compagnonnages qui caractérisera plus tard le parti apriste. Il en montrait l'unité, revenant sur une sociabilité constructive qui lança les bases, non seulement du renouveau universitaire péruvien, mais également du réveil social et nationaliste péruvien.

La description faîte par l'auteur du Conservatoire Universitaire de 1919, permettait par exemple, de défendre l'idée que, ce mouvement étudiant largement encadré par des futurs cadres apristes, fut la première grande expression d'un renouveau intellectuel au 20ème siècle dans le pays. Elle était même, en raison de la nature de ses leaders et de leur forte culture historique182(*), la première manifestation d'une rupture avec une lecture unique de l'histoire nationale. Le Conservatoire universitaire, nous disait Luis Alberto Sanchez, représentait une véritable manifestation de la volonté de rompre avec la tradition universitaire péruvienne. En outre qu'il cultivait le souvenir d'une expérience dont les idées introduirent des questions nouvelles dans le débat politique péruvien, cette description cherchait aussi à projeter les valeurs culturelles et le nationalisme singulier du parti. Revenant sur la francisation de la société péruvienne de l'époque183(*), et sur les connaissances de l'oeuvre de Renan par ces étudiants réformistes en le citant en français184(*), Luis Alberto Sanchez rappelait de ce fait le caractère nationaliste et en rien anodin de ce projet. Il spécifiait l'importance historique de cette expérience intellectuelle, qui pour lui, avait servit d'échappatoire pour une société encore très marquée par le souvenir de la défaite contre le Chili lors de la Guerre du Pacifique (1879-1883). Rappelant l'ouverture en direction des plus défavorisés, il soulignait l'un des piliers de l'aprisme que le vélasquisme leur avait ôté : l'ouverture de la culture péruvienne au plus grand nombre. Mettant en lumière l'expérience du Conservatoire universitaire dont il citait l'importance historiographique, et la volonté de ces hommes de rompre avec l'immobilisme et le conservatisme universitaire185(*) du début du siècle, il rendait compte du rôle des apristes dans le renouveau nationaliste et culturel pour leur pays.

En vérité, plus qu'une simple description d'une contestation, cette histoire de la Réforme péruvienne autorisait les lecteurs à apprécier une réponse structurée face à une élite composée de riches héritiers qui dominait l'Université186(*), et le pays. Elle traduisait un essai d'exposition d'une première grande réponse structurée face à l'injustice et aux mépris de l'oligarchie. Soulignant l'élan de coopération entre ces principaux leaders, et les qualités de ces derniers187(*) , l'auteur contait un groupe dynamique, confronté à des résistances brisées par la figure charismatique de Haya de la Torre. L'historique de ces victoires face « aux étudiants civilistes, dépendants de la argolla (petit cercle) professoral »188(*) servait en effet à l'aprisme, pour rappeler le lien du leader charismatique avec son entourage, et à sa capacité à gérer les passions politiques189(*). Ce lien était d'autant plus fort, que celui qui « dessinait les grandes lignes de la Réforme »190(*) avait à l'époque poussé ses camarades à former un Comité de Réforme ad-hoc, dans lequel ils exercèrent leurs droits. Nourri d'un « dynamisme contagieux qui entraîne une attirance irrésistible »191(*), le groupe que décrivait Luis Alberto Sanchez, se livrait à réformer le système. Victoire après victoire, il expulsait les mauvais professeurs, cassait le cercle népotique, ouvrait l'Université aux plus démunis, bref, étendait un cercle fermé au plus grand nombre, et même au ouvriers. Menée par un groupe de purs nationalistes, la Réforme de Manuel Seoane, de l'auteur, de Haya de la Torre, avait donc mit l'accent sur les problèmes sociaux du monde contemporain, et de la nation péruvien. Bien avant le vélasquisme, comme le sous-entendait Luis Alberto Sanchez, cette expérience réformiste avait redonné un espoir au peuple, en lui offrant des lois universitaires qui « répondait à nos attentes »192(*). Ce témoignage sur la Réforme correspondait à une campagne aux allures de combat, nettement pointé de dramaturgie politique. L'auteur se livrait en conséquence à une présentation d'un combat inégal, entre petits et grands, entre oligarques et étudiants héros, entre les tenants de la modernité et tenants de l'ordre établi. Il revenait sur l'esprit de sacrifice des étudiants réformistes, sur les dangers193(*) ou encore sur le courage face l'injustice194(*). Sans en faire des martyrs, Luis Alberto cherchait à susciter une émotion autour de ceux, qui pour lui, s'étaient offerts en sacrifice pour le bien d'une institution archaïque. Célébrant le Congrès étudiant de Cuzco comme un acte fondateur qui « proportionna les idées matrices du futur Front des Travailleurs Manuels et Intellectuel »195(*), il détachait ce mouvement de la sphère marxiste, en le transformant en corollaire d'une révolution universitaire largement dominée par les futurs apristes. Ainsi, l'une des grandes victoires d'un mouvement plus global, se convertissait en l'acte fondateur d'un mouvement fondé par Haya de la Torre, et dont il s'était servit pour tisser les réseaux qui aboutirent à la création de l'APRA en 1924.

Présentée comme une mythologie de l'âge d'or, la présentation des origines étudiantes de l'APRA gardait un caractère nettement mobilisateur. Elle prétendait signer l'entrée en politique et dans la vie contestataire des grandes figures du parti. Haya de la Torre était d'ores et déjà, introduit comme un leader charismatique, et ses compagnons, comme des figures résistantes et combatives. Vecteurs d'émotions, cette historiographie où la victoire était décrite comme totale196(*), servait à remémorer, sinon commémorer des luttes qui forgèrent l'identité de l'APRA. Elle permettait également de montrer les capacités du parti à se structurer, et à réussir des avancées sociales significatives. C'est pourquoi, cette écriture de la période de la Réforme fut un mythe. Non pas qu'elle ait été une fabulation ou une déformation du réel, mais plutôt, une explication du passé servant de véhicule à un dynamisme prophétique.

b) Le leadership dans la lutte contre la dictature de Leguía

La revendication du passé combatif de l'aprisme ne se limitait pas au début des années vingt. Elle englobait également, les luttes étudiantes qui secouèrent le pays à partir de 1923, et les méfaits de l'autoritarisme du régime de Leguia. Jouant la carte d'une écriture parfois manichéenne, Luis Alberto Sanchez exhibait une rhétorique qui séparait d'un côté les dépositaires de l'autoritarisme, et de l'autre, les représentants du peuple et de ses privations. Il s'agissait de faire de l'oligarchie, l'incarnation de l'inauthentique ou de l'étranger, du mal, de l'injustice, et de l'immoralité. Les étudiants eux au contraire, extériorisaient des qualités authentiques, bonnes, justes, voir morales. Ce discours visait à montrer qu'il n'y avait aucune possibilité de compromis ni de dialogue, avec des hommes qui défendait crapuleusement un régime népotique, autoritaire, et tourné vers les intérêts du capital étranger. Luis Alberto Sanchez y dénonçait les injustices en radicalisant les connotations émotionnelles du passé, tout en cherchant à éveiller des sentiments communautaires en exposant des faits historiques qui « célébraient la libération temporelle de la vérité officielle et de l'ordre établi ; marque de la suspension de toutes les hiérarchies de rangs, de privilèges, de normes, et de prohibitions »197(*).

Du fait de cette description, l'APRA résultait alors la résultante logique d'un combat, si ce n'est du réveil social, contre un Etat oligarchique qui excluait la majorité de la population, et qui entretenait des relations de « domination/subordination »198(*) avec cette dernière. En d'autres termes, le parti avait pour origine une lutte encadrée qui se consolida progressivement et sans violence. Cette maîtrise affichée des risques de débordements populaires et de la violence, contrastait l'image de parti insurrectionnel que lui collait l'armée péruvienne, et faisait du parti, comme l'indique Di Tella, un « intermédiaire dans l'acceptation »199(*), c'est à dire, un organe assimilable par tous les partisans du statuo quo. Mythifiée comme un temps obscure, la période du Oncenio symbolisait pour l'auteur, le temps de la répression policière, et de la trahison, où Leguia était passé du statut de « maestro de la juventud » à celui de « Huiracocha »200(*). La description de cette période servit dès lors à l'aprisme, pour remémorer ses origines étudiantes, et rappeler à ceux qui l'avait oublié, son autorité au sens où l'entend Simmel201(*). Paradoxalement, ce fut l'exposition du système autoritaire de Leguia qui contribua à remplir cette fonction sociale d'importance. Explication d'autant plus convaincante, qu'elle se voulait totale et d'une exemplaire clarté, la description de la Patria Nueva relevait en conséquence d'une « logique apparemment inflexible, à une même et unique causalité, à la fois élémentaire et toute puissante ».202(*) Après avoir nommé son chapitre « scherzo contre Leguia », Luis Alberto Sanchez y passait au détail toutes les affaires de corruption et de fraude auxquelles avait été mêlées la famille du dictateur. Ce schéma véhiculait l'image d'un régime népotique profondément clientéliste, où chacun des membres de la famille de Leguia recevait son dû203(*). Ne se privant de dénoncer tous les acteurs de cette institutionnalisation de la corruption dans le pays, il critiquait l'armée comme complice passive d'une entreprise qui visait à contrôler tous les organes du pouvoir. L'apriste décrivait à cette occasion, le rôle des proches de Leguia dans l'asservissement consenti de l'armée204(*), et en illustrait les mécanismes de coopération. Au point que l'exemple du fils du Président, Juan Leguia, qui terrorisait députés, maires ou commissaires, se plaçait en miroir d'un système où « l'on organisait des cocktails à l'honneur des châtiés »205(*). Prolongeant sa critique contre l'autoritarisme, il fustigeait la non séparation des pouvoirs, et le fait que durant ces années, « aucune décision n'était prise sans l'approbation du Président »206(*). D'autre part, il ironisait sur les mécanismes du clientélisme présidentiel, et sur le culte de la personnalité que cultivait Leguia. Luis Alberto Sanchez en faisait même des fresques humoristiques, où l'on suivait des yeux l'omniprésence présidentielle, et son infatigable volonté de figurer partout207(*). Construit critique et agressif, ce discours cherchait ainsi à faire de chaque image, de chaque signe ostentatoire de richesse, de chaque expression symbolique de la richesse, une résonance

harmonique, que Bachelard nomme doublet-psychique. Il créait un rapprochement avec le quotidien de chacun, et soulignait le sentiment de rejet envers des formes immorales de gestion des affaires courantes. Travaillant une dénonciation de l'utilisation de fonds publics pour satisfaire des vanités personnelles, Luis Alberto Sanchez visait à faire renvoyer toute une symbolique, au plus profond et au plus intime du moi individuel. Il y fustigeait la frivolité de Leguia, son goût pour l'argent208(*) ou son caractère narcissique209(*) afin de que le lecteur renvoie tout cet univers à son vécu.

Face à un régime autoritaire et policier, la contre-attaque étudiante était exposée sous le signe de l'unité. Au delà de ses connotations populistes, cette thématique implantait une logique visant à perpétuer l'idée de la résistance héroïque des étudiants face au tyran. Grâce à une scénographie politique210(*) tissée autour de points victoires symboliques contre Leguia, l'auteur dépeignait progressivement une trame où « la démonstration de pouvoir reste toujours la manifestation de puissance »211(*). Il y explorait la montée en puissance de la vague contestataire, et en magnifiait les confrontations entre les parties212(*). Il faisait de l'organisation d'un front commun entre autorités et élèves de San Marcos, le véritable fer de lance contre le régime. Chacun était introduit sous de bons hospices, notamment les intellectuels Víctor Andres Belaunde et le poète José Galvez (tous les deux étant démissionnaires de leur poste à l'étranger), qui étaient revigorés comme les chefs d'une « intelligentsia universitaire et journalistique contre le pouvoir en place »213(*). Plus encore, chacune des venues du Président à l'Université San Marcos étaient exposées comme des marques tangibles de la rupture, entre les partisans de l'oligarchie, et une opinion publique guidée par des étudiants organisés et dynamiques. Garants de l'ordre constitutionnel que violait le chef de l'Etat, les étudiants formaient les postes avancées pour la défense du progrès et des droits pour tous de bénéficier d'une Université égalitaire. Célébrées par Sanchez, comme la première pierre qui tombait de l'édifice gouvernemental, les propositions de ce mouvement proposaient en effet, de « nettoyer l'Université de tous les éléments rétrogrades et incapables »214(*). Même si elles ne réalisèrent jamais, faute d'accord avec le gouvernement, elles symbolisaient la volonté de certains, de résister contre le non-respect des garanties constitutionnelles, voir de se porter garants d'un projet alternatif. Cette unité d'un bloc qui résista malgré les intimidations, et dont les liens avec la revue Amauta demeurait palpables, devint dès lors source de la légitimation de l'APRA. Elle transposa des valeurs de solidarité, de camaraderie, bref, d'un esprit de sacrifice qu'inaugurèrent Haya de la Torre et l'auteur en 1923, lorsqu'ils n'entrèrent pas en cours en solidarité avec les grévistes.

Le poids de l'image dans la construction d'une mythologie de l'âge d'or demeure une donnée essentielle. Elle permet non seulement de véhiculer un message mobilisateur, mais encore, de mettre en scène « un pouvoir qui uniquement exposé sous le seul éclairage de la raison aurait peu de crédibilité »215(*). Il s'exprime par la transposition d'attentes et de valeurs sur des évènements historiques singuliers, et par la répétition de situations orchestrées pratiquement comme un cadre cérémoniel. Ce mouvement descriptif vers un passé glorieux, héroïque, plus dynamique, rappelait de ce fait, les valeurs autour desquelles se fonda l'APRA. Ces valeurs d'amitié, de communion, de justice sociale, telles qu'elles étaient transposées par l'auteur, cherchaient à exprimer la nature de l'aprisme. Au point qu'elles visaient à défendre l'idée qu'elles structurèrent la naissance de l'aprisme, en tant que vecteur politique dont le leitmotiv était tourné vers la gloire et la rédemption d'un pays, et d'un continent. Conscient de l'indissociabilité dans l'imaginaire collectif, entre le parti et son leader charismatique, Luis Alberto Sanchez compléta ce travail sur les origines, en présentant sa principale figure politique. Il revînt alors sur la destinée d'un homme, écarté du pouvoir à maintes reprises, et qui continuait depuis son bureau, à incarner les luttes et l'espérance de beaucoup.

2) La sacralisation de Haya de la Torre

De tout temps, les leaders charismatiques ont évoqué des mythes, et cultivé un imaginaire fascinant autour de leurs vies et de leur trajectoire politique. Assimilés à des icônes, ils demeuraient dans certains cas, la personnification d'une époque ou des luttes de tout un peuple. Marque d'un moment charismatique216(*), ils émergeaient au cours de périodes, où des situations particulières fragilisaient les structures en place, et où l'espérance du salut se tournait vers une image salvatrice. Jouant le rôle de sauveur, ces hommes s'exhibaient comme les garants de la rénovation complète du système, et proclamaient ouvertement leur désir de lutter contre l'angoisse sociale et les inégalités. En Amérique latine, les exemples d'Evita Perrón (la madre dolorosa) ou de José María Velasco marquèrent même par leur aboutissement, le sommet de ce phénomène. Condition à la survie du parti en raison des persécutions et de l'abnégation à leur encontre, le recours à la symbolique politique autour de Haya de la Torre fut fréquente dans le discours apriste. Il ne datait donc pas des Mémoires de Luis Alberto Sanchez, ni de la restructuration de la fin des années 1960. Sa réintroduction répondait à son importance communicationnelle, tout comme à la volonté de lui adjoindre une série de codes et de représentations. Reprenant la dimension religieuse qu'exprimait Haya de la Torre dans ses discours de par l'utilisation d'un langage biblique, les Mémoires prolongèrent ce sentiment mystique et absolument nécessaire, pour le succès politique du parti. Haya de la Torre fut utilisé comme « clé de voûte de toute la construction politique »217(*), jouant à cet égard, un puissant rôle de vecteur sociologique parmi les destinataires. Les cibles ; les déçus de l'aprisme, son électorat classique, et une couche transversale touchant toutes les couches de la population; devaient alors ressentir un appel qui leur était exclusivement dirigé. Explicatif d'un vécu personnelle et intime, Luis Alberto Sanchez extériorisait par l'anecdote, un certain nombre de pans méconnus du leader apriste. L'action politique de Haya de la Torre était racontée selon la même logique de théâtralité politique que les origines de son parti, à différence près, qu'elle alternait l'hagiographie et la tragédie dans de grandes scènes d'une théâtralité tournée vers la pédagogie. Manifestant une proximité et un éloignement du fait de son statut de héros, la vie de Haya de la Torre témoignait la volonté de se rapprocher des formes populaires d'expression, ainsi que des préoccupations sociales de la vie courante. Les échanges du leader apriste avec ses interlocuteurs ou avec ses détracteurs lors de ses combats politiques, étaient racontés de manière accessible, « avec une vivacité et souvent une spontanéité presque festives, qui laissent les marques de sympathie durables dans la mémoire des interlocuteurs même inconnus »218(*). Langage simple, interventions limpides, la description de ses interventions était pensée pour véhiculer une énergie contagieuse pouvant être appréhendée et sentie par tous.

Peinte à travers la complexité d'un système mythique, la vie de Haya de la Torre visait à prendre une certaine ampleur collective. Elle tendait à combiner plusieurs systèmes d'images retraçant son parcours, avec des représentations sociales traduisant de l'injustice, afin de projeter dans l'imaginaire du lecteur, un enchevêtrement d'aspirations et d'exigences sociales les plus variées. Au point que, Le Chef (El Jefe) devenait plus qu'un simple homme politique luttant pour la justice sociale. Il en incarnait la phase revendicative dans la globalité, dans sa totalité historique nationale, honorant au passage, la mémoire de ceux qui étaient tombés pour ses idéaux. La question de la temporalité jouait le rôle d'instrument légitimant, puisqu'elle replaçait ses luttes dans une chronologie, et de ce fait, en pérennisait les traits spécifiques. Grossissement du réel, elle idéalisait la dimension guerrière de Haya de la Torre, autant qu'elle amplifiait sa volonté de casser tout déterminisme social, et tout conditionnement lié au statut. Haya de la Torre devenait dès lors au fil de chacune de ses victoires, le porteur d'une dimension affective très forte, qui transmettait des émotions, des ferveurs, et des espérances à partager. Cette dimension affective se voulait d'ailleurs la fenêtre d'une dévotion plus grande et plus encadrée, à l'image de celle existante dans le parti. La vie du leader charismatique était pensée en conséquence comme un moyen de reconstituer les fidélités, de restructurer la vie collective, voir de consolider une nouvelle trame sociale. Comme le souligne très bien Raoul Girardet en prenant l'exemple de Maurice Barrès, le leitmotiv de ce type représentation visait à tisser une sociabilité politique encore plus forte, autour d'un nouveau et plus puissant « agent de socialisation des âmes »219(*). Incarnation d'un dynamique permanente, le rôle ou plutôt les rôles du leader apriste étaient nettement mis en valeur. Toile de fond « d'un dynamisme contagieux et qui entraîne une attirance irrésistible »220(*), le portrait de Haya de la Torre portait successivement les traits du héros, du chef, et de la victime.

a) Le culte du héros

Le poids de la sphère symbolique a toujours été à la fois une constante dans la vie politique d'une société quelque qu'en soit sa nature. Les dispositifs symboliques, les pratiques codées conduites selon un rituel, l'imaginaire, sont d'autant d'éléments qui ont toujours prévalues, au point que Paul Valéry affirmait que le domaine politique était celui où « tout en tient que par magie ». La fonction sociale du héros quant elle, a toujours structuré la scénographie politique, la production des discours politiques, et les procédures menant à la conquête du pouvoir. La charge symbolique de la figure du chef ne pouvait se maintenir sans un appel et une utilisation raisonnée, des ressources du pouvoir. Une figure qui règne, même sur un parti, ne pouvait dès lors se prévaloir d'un travail de mythification héroïque, même symbolique. La lecture imaginaire permettait de rendre dans le cas de Haya de la Torre, une intelligibilité perdue, à l'histoire d'un homme dont les interprétations restaient si hétérogènes qu'elles en dispersaient la part de réel. Grâce au passage de l'ombre à la lumière, son temps historique symbolisait mieux les aspirations du parti, et en hiérarchisait mieux les luttes. Sur les débris de croyances fausses et étonnées, cette nouvelle lecture de la vie du caudillo transformait un passé méconnu en un ordre immanent. Elle préfigurait un nouveau cadre, par l'utilisation d'un imaginaire fournissant de nouveaux éléments de compréhension, et d'adhésion, rendant ainsi à Haya de la Torre, sa place de premier ordre dans les coeurs et les consciences des Péruviens.

Transformant un passé rompu par une participation au pouvoir éphémère et perçue comme une trahison, Luis Alberto Sanchez transposait l'image d'un homme redevenue lisible grâce à son vécu. Son récit reprenait tous les éléments se rattachant au leader apriste, et en faisait une « projection d'un idéal »221(*) , dans le but de transformer un homme politique en déclin, en un objet de culte, et de vénération. Présentation idéalisée du fondateur de l'APRA, elle retraçait le parcours de quelqu'un personnifiant une force quasi-surnaturelle. Haya de la Torre prenait alors successivement le visage du sauveur dans des faits anodins de sa vie antérieure à l'action politique. La période de l'enfance de ce dernier, permettait notamment de créer une sorte de déterminisme autour de sa personne, où chaque élément préfigurait déjà, le statut de leader qui allait être le sien, dix voir vingt années plus tard. Nourri de trait prophétique, ce récit de l'enfance d'un chef incluait en premier chef, les premier pas de l'Elu sur le terrain social. Chacune des grandes périodes menant à la vie adulte était décrite dans un rapport étroit aux thématiques sociales apristes. La naissance de Haya de la Torre quant à elle, symbolisait un commencement absolu qui s'était exprimé lors de la venue au monde d'un bébé dont les parents en auraient présagés le futur politique en annonçant peu de temps avant la naissance que « si c'est un garçon, il sera un révolutionnaire »222(*). Pressage d'autant plus symbolique selon Sanchez, que la naissance du bébé avait eu lieu à l'époque, dans « une atmosphère chargées de pressages funestes », fruit d'une « révolution qui avançait à travers tous les sentiers de la sierra péruvienne »223(*).

Véritable hagiographie, cette présentation produisait un discours socialiste, et socialisant, où sous couvert d'anecdotes autour de l'enfance224(*), des jeux225(*), et des rapports amicaux de l'enfant Haya, se dessinait un travail de juxtaposition entre un homme et la politique. L'auteur montrait pour cela un enfant hors norme, qui n'hésitait point à prendre la parole en public, y compris lors de situations profondément pénibles pour tous, comme par exemple après la mort d'un camarade de classe où « comme il avait déjà une voix éloquente, les professeurs et élèves le désignèrent pour prononcer un discours nécrologique sur la tombe de Espinoza. Les yeux humides, mais la voix entière, Victor Raúl fit l'adieu au camarade définitivement parti. »226(*). Ces descriptions cherchaient de ce fait à légitimer la construction progressive d'un héros politique, en donnant à toutes ses actions, une connotation politique et sociale. L'éveil politique227(*) de ce dernier traduisait par exemple, l'indissociabilité existante depuis toujours, entre la personne et le combat politique, entre l'homme et l'intérêt désintéressé pour autrui. Il décrivait un jeune homme précoce, impatient, mais déjà pleinement prédisposé, à servir son peuple et à se battre pour le bien de tous, sans intérêts personnels, et au nom de valeurs. Conscient du poids de la force physique dans l'imaginaire collectif péruvien, Luis Alberto Sanchez revenait d'un autre côté, longuement sur ce sujet, cherchant en permanence, à créer une corrélation entre le jeune Haya et les valeurs liées à la sportivité. Il véhiculait le caractère sportif de Haya de la Torre228(*), faisant même de ce dernier, une sorte d'Hercule très proche des valeurs de camaraderie et de discipline que portaient certains sports, au point qu'il avait fondé avec son cousin Agustín, « un club sportif, le Jorge Chavez, dans lequel ils organisaient les futurs championnats régionaux. »229(*). Enfant doué, rapide230(*), dynamique, ses qualités physiques étaient dessinées comme de signes précurseurs d'une force d'esprit et de caractère, qui le guidait depuis ses débuts en politique. De longues lignes sur son physique231(*) prolongeaient cette toile d'un homme vigoureux et viril. Elles manifestaient la présence d'un étudiant intègre, charismatique, et absolument persuasif. Cette capacité à s'imposer, sa force de persuasion, son goût pour relever des challenges, préfigurait même la force et l'expression d'un esprit guerrier et tellement puissant que « dans les instants les plus difficiles, lorsque les esprits se chauffaient autour d'un but refusé, le sourire saint et optimiste de Víctor Raúl apaisait les esprits, et ramenait au calme des esprits prêts à en découdre»232(*). L'auteur cultivait pour cela, la mémoire d'un homme droit, et honnête233(*). Ainsi, Haya de la Torre devenait en quelque sorte, le reflet vivant de toutes les valeurs personnelles nécessaires à un homme politique souhaitant focaliser l'attention dans un pays de culture très enclin à la corruption.

Héros herculien, guerrier social, la figure de Haya de la Torre était tantôt célébrée, tantôt mystifié dans une perspective émotive à forte portée sociale. L'enfance d'un chef, la représentation de l'enfance mettait en avant, les qualités de direction du leader apriste, et par conséquent de l'APRA. Voilà pourquoi, l'auteur mettait autant de vigueur dans le récit autour de sa force de commandement, et non uniquement sur l'explicatif de sa destiné.

b) La figure de caudillo

Question inextricable pour certain comme Luc Ferry qui invite à « laisser de côté la question intéressante, mais probablement insoluble de l'origine de l'autorité personnelle »234(*), objet difficilement appréhendable pour d'autres qui insiste sur le fait qu'il « n'existe pas de traits universels pour identifier le leadership »235(*), le leadership a toujours donné lieu à de multiples interprétations sur sa nature et ses liens avec le corps social. Selon les travaux de Bass, le leadership s'explique dans la capacité d'un homme à manier les outils symboliques, en vue de pénétrer la sphère publique et privée, et d'y installer durablement son image sociale. Or cette définition, semble très bien convenir à la tradition apriste, où les discours n'ont cessé d'exhiber une image d'un parti proche de la population, avec un chef identifié au peuple comme un « homme de la rue ». Les Mémoires de Luis Alberto Sanchez ne virent en rien modifier cette logique, et cette construction d'un imaginaire politique structurant. Pis, ils le structuraient d'avantage par le recours à de nouvelles formes d'expression du pouvoir de Haya de la Torre. Ils réaffirmaient les compétences politiques de ce dernier, et son pouvoir de commandement inégalé.

L'utilisation d'anecdotes, de souvenirs ponctués d'un degré élevé de spiritualisme et de symbolisme, jouait alors un rôle déterminant dans l'extériorisation des compétences du leader apriste. Revenant ponctuellement sur les premières activités politiques de ce dernier, le récit propulsait le travail d'affermissement de l'idée d'une autorité naturelle et rationnelle chez Haya de la Torre. Tenu à l'intérieur d'étroites limites, du fait de la complexité de lieux et des faits décrits par l'auteur, cette démonstration visait à transformer un exercice ponctuel du pouvoir, en une manifestation de puissance, et de ce fait, légitimer son autorité. En d'autres termes, cette utilisation du passé politique du jeune Haya montrait un jeune homme qui possédait toutes les capacités pour commander et se faire obéir. Car comme le souligne très bien Xénophon dans son Apologie de Socrate : « En toutes affaires, les hommes consent à obéir à ceux qu'ils jugent supérieurs ». Illustrant cette vocation à diriger par l'anecdote sur son choix d'orientation professionnelle236(*) ou pour le récit de l'arrivée de Trujillo, l'auteur témoignait longuement sur les qualités et le parcours d'un jeune hors normes, et déjà sensiblement inquiet au sujet des problèmes sociaux237(*). Luis Alberto Sanchez portait cette inquiétude, en montrant la portée revendicative du jeune étudiant Haya de la Torre, au sein d'un univers fermé comme l'Université238(*). Mais encore, il en soulignait le passé combatif dans sa ville d'origine, en y indiquant qu'il luttait à chaque occasion à coté des ouvriers et des premières victimes du fléau impérialiste.

Discours simple et précis, la description du leadership de Haya de la Torre transmettait la vision d'un homme faisant propre des valeurs communes. Cette proximité avec des vérités établies, était établie en tant que vecteur de socialisation autour de sa personne, tant elle intégrait des idées propres à un « large spectre social »239(*). L'ambiguïté de ce message résidait dans sa capacité à revendiquer sa proximité au peuple, tout en créant à la fois une mythologie d'une figure supra sociale. Sentant la douleur des ouvriers de Trujillo, découvrant le mode d'organisation des animaux, son enfance traduisait sa force de caractère et la conviction dans ses idéaux. Scénographie de par sa nature volage et dynamique, elle remplissait les coeurs et l'esprit d'images et de symboles d'une forte puissante évocatrice. Loin de rester dans la simple sphère commémoratrice, Luis Alberto Sanchez cherchait également à approfondir le poids symbolique de Haya de la Torre en le qualifiant de victime. Son récit tourna dès lors vers la construction d'un passé de victime, qui transférait la mémoire de victime du parti à sa personne.

c) La figure de la victime

L'utilisation politique de la figure du bouc émissaire a toujours fait partie intégrante des ressources de l'aprisme. Parti sorti des catacombes grâce à la force de son imaginaire politique, l'APRA a successivement utilisé la revendication de la condition de victime, comme point de ralliement à ses valeurs de camaraderie, de solidarité, et de sacrifice. Il avait alors développé une religiosité séculaire en son sein, explicitant par le moyen d'une rhétorique religieuse ou par la commémoration de cérémonies en honneur des martyrs apristes, son statut de « nouvelle religion »240(*). Référence naturelle dans une société de tradition catholique, l'imaginaire sacrificiel était une composante essentielle du champ et du lexique religieux qu'utilisait la société péruvienne. Son utilisation par Luis Alberto Sanchez s'inscrivait comme un complément aux différentes techniques dramatiques utilisées, afin de simplifier et d'ouvrir au plus grand nombre, les actions politiques et la singularité du caudillo apriste. Elle prolongeait d'autant plus ce travail de pédagogie, qu'elle utilisait un langage ouvert et tourné vers l'appropriable. Par ailleurs, elle ressortait certains éléments d'un passé obscur et méconnu, et en faisait des objets de fierté pour l'APRA. C'était ainsi que Luis Alberto Sanchez retraçait des évènements assez isolés de la lutte anti-oligarchique de la fin des années 1910, comme des vérités cachées, qui dénotaient la montée la peur des puissants face à la force montante de Haya de la Torre. Il détaillait en conséquence, des points très symboliques où l'on pouvait facilement apprécier des marques d'injustice ou de violence des grands contre les petits. Jouant encore une fois, sur sa qualité de témoin direct, il revenait sur le passé étudiant de son « camarade de classe occasionnelle en troisième année de Lettres »241(*), et y détaillait l'exemplarité et le courage de ce dernier. Revenant par exemple, sur l'affrontement universitaire puis médiatique entre Haya et le professeur Miró Quesada, il montrait la dureté de la répression contre les ennemis du statu quo à San Marcos. Il en faisait alors un combat symbolique, et décrivait la vengeance de la famille oligarchique, à laquelle appartenait ce professeur de lettres. Il énumérait alors les campagnes de désinformation et de silence médiatique242(*) menées par la presse et surtout par cette famille, en signalant ouvertement l'importance d'Haya de la Torre aux yeux d'ennemis qui « décidèrent de le considérer comme un ennemi encore plus grand que Leguia, et de l'attaquer de toutes les formes les inimaginables et à leur disposition »243(*). Montrant la connivence d'intérêts entre les Miró Quesada et un gouvernement autoritaire, il faisait ressortir le déséquilibre des forces, et de ce fait, forgeait un imaginaire autour de l'esprit de courage et de sacrifice d'un seul homme. D'où l'accentuation sur le parallélisme entre le combat d'un étudiant et le futur du pays, ce qui renforçait le caractère décisif de l'action de Haya de la Torre sur la destinée d'un peuple. Voilà pourquoi l'historien péruvien porta cette scène à priori anodine, au regard de l'histoire contemporaine péruvienne, au rang de point de départ d'un affrontement politique dont « ce fut le Pérou qui paya de son sang et de sa bile pour cet épisode juvénile »244(*).

Alimentant un univers déjà chargé de références symboliques, ce bref historique permettait de compléter des données cachées de la vie de Haya de la Torre. Il prolongeait les travaux antérieurs de l'auteur, et confirmait sa volonté de structurer l'image d'un homme dévoué à son peuple sur le plan moral et politique. Cette image de victime aux prises aux forces d'une oligarchie surpuissante, recentrait des informations souvent éparpillées dans le texte, en raison de sa nature et de son caractère non doctrinaire. Héros, chef, et enfin victime, cette description fournissait une grille de lecture simple de la vie d'un homme, et redonnait une fierté au pays en le présentant comme son bras combatif. Même s'il n'avait pu à de nombreuses occasions venir à bout de l'oppression, Haya de la Torre demeurait quant même un homme d'action. Cette présentation pour finir, même si elle ne régla les problèmes du parti suite au coup d'Etat militaire de 1968, clarifia tout au moins par son niveau d'ouverture, les origines de l'APRA.

Pour Ernesto Laclau, la singularité des phénomènes populistes résident non pas dans leur idéologie, mais plutôt dans leur capacité à articuler leurs discours. Dans le cas étudié, il s'agissait de revenir sur le passé politique de Haya de la Torre, ainsi que sur les origines de l'APRA. Ainsi entendue, la proposition de cet ouvrage était de simplifier le passé, par une opération « d'interprétation /constitution »245(*), grâce à l'utilisation d'un langage et d'un imaginaire populaire. Reposant largement sur un système binaire (APRA face à l'oligarchie, étudiants face à une Université rétrograde, APRA face aux marxistes, Haya de la Torre face à Mariátegui, Haya de la Torre face aux inégalités sociales), cette oeuvre utilisait une rhétorique à forte coloration émotive, cherchant par conséquent à isoler les dépositaires des valeurs du peuple, soit les apristes, des autres, c'est-à-dire les véritables responsables (l'oligarchie, l'armée, le totalitarisme) de tous les maux. L'histoire de Haya quant à elle, traduisait une garantie de pureté par-dessus toute chose, et ceci d'autant plus, qu'elle qualifiait la personne à partir de sa force de caractère et de sa personnalité extraordinaire. Cet Haya historique diffusait des mythes de grandeur, tout comme un ensemble de représentations qui identifiaient le peuple à un tout collectif, dont il fallait en être fier. Il en était le légitime dépositaire, tant par son passé étudiant, que par chacune de ses manifestations. En outre qu'ils manifestaient un effet de puissance, ces exemples représentatifs introduisaient également, un « aspect quasi socratique, voir sophistique »246(*). Ces récits ponctuels et en rien ordonnés (d'où à notre sens, leur force), formaient en effet une dialectique historique247(*), où chaque anecdote suivait une logique où « tout s'enchaîne avec simplicité, humour plus qu'ironie et surtout conviction »248(*). Dans ce registre ouvert et pédagogique, le parcours de cet homme apportait aux masses péruviennes, des révélations sur leur histoire, et cultivait l'image d'une évolution où « les portes de l'histoire ne s'ouvrent pas sans un grand vacarme et une dose admirable d'audace »249(*). Cette description des habilités du jeune Haya (ascension depuis Trujillo, assurance face à un professeur oligarque et injuste, valeurs sociales dès l'enfance, résistance au stress, contrôle émotionnelle face à un auditoire lors de l'enterrement d'un camarade) s'inscrivait dans une perspective jamais abandonnée par le parti, celle de l'aprisme révolutionnaire. Certes le parti n'était plus celui des années 20, ni celui des années 30, mais il gardait encore une rhétorique officielle de nature révolutionnaire. Situation paradoxale tout de même, car cette revendication se faisait alors que le parti statuait sa rupture avec le marxisme et le socialisme utopique, et défendait son image de parti de cadres et de gouvernement. De plus, cette revendication entrait en jeu, quant bien même, la junte militaire commençaient à mettre en oeuvre ses idées révolutionnaires. Historiquement, les Mémoires de Luis Alberto Sanchez ne réglèrent en rien les déboires du parti. Elles servirent néanmoins à remettre à l'ordre du jour les combats du passé, et surtout, la grandeur du Guide. Confronté à l'attente depuis le coup d'Etat de 1968 ; l'APRA passa les années suivantes dans le mutisme, et dans l'attente d'un bouleversement qui puisse lui redonner son rang et sa chance d'atteindre le pouvoir. Ce fut ironiquement, le déclin progressif dès 1975, des mesures empruntées à l'hayatorisme, qui retourna la donne en sa faveur. Après l'appel de Morales Bermudez à oeuvrer à la tenue d'élections via une transition démocratique, l'APRA se lança dès lors dans la campagne. Mais les cadres vieillissants, la consolidation de la paupérisation au Pérou, les changements générationnels, poussaient à la réflexion sur l'attitude à adopter, et sur l'adéquation de l'aprisme avec son temps. Le temps était venu de refonder le parti, et de trancher à partir de cette évolution, sur le positionnement du parti sur l'échiquier politique. Le débat fit rage entre autour de la position à adopter. Ce travail entraîna en conséquence une réflexion autour de la nature de l'APRA. Or ce débat passait obligatoirement, par un regard sur les origines.

III) La consolidation du discours apologétique sur les origines (1976-1981)

Lorsque les compilateurs (Luis Alberto Sanchez, Carlos Manuel Cox, Nicanor Mújica, Andrés Townsend, Carlos Roca) décidèrent de publier un recueil des principaux textes de Haya de la Torre, ce dernier était déjà revenu en force sur le devant de la scène politique péruvienne, à tel point, que sa victoire aux élections de 1980 semblait acquise faute de concurrents. Sa figure était redevenue très populaire grâce à son rôle de chef de l'Assemblée Constituante, et les divers ouvrages historiques sur les origines du parti s'étaient très bien vendus. Edité alors que son auteur bordait les quatre-vingt dix ans, le livre Obras Completas prolongeait un vaste travail historiographique de parti entamée en 1975, par l'entreprise de démystification d'Armando Villanueva dans le premier tome de son livre El Apra en busca del poder 1930-1940 (L'APRA en quête du pouvoir 1930-1940)250(*). Celui-ci en effet avait publié un ouvrage où selon ses propres mots, il cherchait à expliquer et à aller à l'encontre de croyances toutes faites autour de la violence apriste, et l'implication d'Haya de la Torre dans les violences de Trujillo de 1931 et contre Sanchez Cerro251(*). Il y reprenait une tradition où se mêlaient parallèlement les contraintes de l'histoire péruvienne et la volonté politique de transmettre un état d'esprit qui avait brassé quatre générations de militants qui avait défendu « un idéal supérieur : celui de la pleine liberté et de la justice sociale »252(*). Ce besoin d'écrire et de transmettre l'histoire du parti inclut dès lors toutes les principales figures intellectuelles apristes. Conscients de leur âge avancé et de la force de leur parole, dans laquelle ils voyaient l'expression ultime d'une génération253(*) qui appréhendait le présent « avec l'espérance au coeur, et la funeste expérience du démembrement, comme l'enseignement de ce que peuvent apporter les erreurs dans la vie des peuples »254(*), ces hommes livrèrent un témoignage sur l'évolution du parti en jouant sur leur légitimité historique. Ils montrèrent ainsi l'importance de la biographie de Haya de la Torre dans la consolidation d'une mémoire, en insistant notamment sur son parcours personnel. Ils voyaient dans la synthèse des écrits de leur leader, le meilleur témoignage de sa vie, et encourageaient donc vivement la lecture et l'examen du livre. Par ailleurs, ils défendaient tous la grandeur de l'aprisme, dont la portée était telle selon Andres Townsend, qu'elle avait frappé des écrivains nord-américains255(*), et jusqu' au professeur anglais et grand commentateur de Marx, G.D.H Cole qui l'avait décrit comme « la plus notable contribution à la formulation d'un mouvement social de gauche pécuniairement latino-américain »256(*). Dans la préface du livre de Percy Murillo, Historia del APRA 1919-1945, Andres Townsend en montrait d'ailleurs son caractère novateur, l'élevant au rang « d'interprétation philosophique de l'histoire du continent »257(*), ce qui lui permettait de renforcer son idée qu'Haya de la Torre « nia et continua dialectiquement le marxisme de par sa théorie de l'espace et du temps »258(*). Elevée au niveau de Marx, la pensée de Haya de la Torre fut introduite comme l'expression même de la singularité et de l'indépendance. Elle portait les germes du renouveau, car unique et de nature latino-américaine. Pour Germán Arciniegas, ceci représentait même une nouveauté si grande pour le continent, qu'il n'y eût plus dans le monde un mode d'expression qui ne traita de cet acte fondateur de la pensée politique latino-américaine259(*).

Publiés et commercialisés à différentes dates, ces ouvrages cherchaient à dépasser la simple routine électoraliste, et ambitionnaient de convaincre un vaste public de déçus, en misant sur la mise en relief du passé glorieux et combatif de l'APRA et d'Haya de la Torre. Ils s'appliquaient à réintroduire dans un débat public péruvien, des thèmes refoulés par la junte militaire, et éclipsés par l'accélération des réformes qui éliminèrent définitivement le système oligarchique. En plus de cela, ils renforçaient l'image d'un parti secondaire aux yeux des réussites et du parcours de son leader charismatique. Confronté à la nécessité de se repenser dans un cadre nouveau, le parti opta pour la reconquête d'une clientèle fidèle promue au rang de peuple de substitution, par un « mécanisme de « sociation'' »260(*) destiné à accentuer la singularité des apristes. Ces divers livres revinrent en conséquence sur un passé héroïque, sur les qualités sociales de l'aprisme, et finalement, sur tous les éléments capables de créer « la satisfaction qu'un homme éprouve à travailler avec le dévouement d'un croyant au succès de la cause d'une personnalité et non pas tellement au profit des médiocrités abstraites d'un programme»261(*). Face à l'inconnu qu'offrait une situation politique de plus en plus instable, cette lecture du passé de l'APRA s'édifiait sur les débris des croyances mortes (échec des mesures économiques et sociales du vélasquisme censées apporter la prospérité au pays), et fournissaient de nouveaux éléments de compréhension du passé et d'adhésion à l'idée de progrès. Cet imaginaire mythique jouait alors un rôle explicatif pour une société en crise de repères, lui permettant ainsi de « se réarmer dans un présent reconquis, de reprendre pied dans un monde redevenu cohérent, redevenu en effet clairement lisible»262(*). L'enjeu était d'autant plus grand que progressivement la situation politique se dégrada tellement, que la nouvelle junte en appela à une Assemblée Constituante et mit en place un processus de transition démocratique. Cependant, ce processus de conquête du pouvoir fut interrompu le 2 août 1979, par la mort de Víctor Raúl Haya de la Torre des suites d'un virulent cancer aux poumons. Le rêve de voir un jour, el jefe (le chef) s'asseoir au Palais de Pizarre s'évanouit subitement. Néanmoins, le travail de publication de témoignages et de production historiographique se poursuivit avec encore plus de vigueur. Cela était dû á la spécificité de l'APRA, mais surtout à la mémoire de celui dont « les restes reposent au cimetière Miraflores de sa ville natale, sous une stèle qui porte comme épitaphe : `'Aqui nace la luz'' (Ici naît la lumière) »263(*)

A) L'heure du bilan et du changement

1) Le temps de la restructuration dans un pays en crise (1975-1980)

Après la mort de Velasco en 1975, dont la maladie qu'il traînait depuis 1973 avait considérablement affaibli le pouvoir des partisans des réformes, la nouvelle junte présidée par Morales Bermúdez décida de tourner le dos à l'idéologie en place. La nouvelle junte fut rapidement identifiée par les fidèles du régime264(*) et par la population, à la fin de la Révolution péruvienne, malgré des déclarations officielles où l'on qualifiait cette nouvelle phase d'« étape de consolidation et d'approfondissement de la révolution » ou « gradualisme ». Cet abandon d'une politique de réformes structurelles profondes au détriment d'un retour au réalisme, témoignait d'une volonté de revenir progressivement au vieux libéralisme dépendant, et surtout, de relancer une économie complètement paralysée en raison de l'échec des réformes menées pendant sept ans. Il s'agissait en réalité, de relancer la moyenne et la petite industrie, ainsi que de freiner l'opposition croissante des couches moyennes de la société, souvent indisposées par la nature autoritaire du régime. Ce changement de cap intervînt alors que le pays connaissait une montée sensible des forces d'opposition, surtout au niveau syndical, en raison du rôle très actif que jouait l'APRA, dans l'encadrement et la socialisation de ces groupes de pression. Cette contestation englobait également les organisations paysannes particulièrement touchées par la situation économique déclinante, et qui acceptaient de moins en moins bien, l'encadrement de la population à travers le SINAMOS265(*). En effet, les populations rurales supportaient très mal les dispositions gouvernementales de 1971 qui cherchaient à établir des liens directs entre l'ensemble des forces productives et l'Etat, à partir d'un système qui faisait du travailleur le pilier de la Révolution et que Velasco défendait en affirmant que « sans la participation de tous les péruviens à l'effort créateur d'un nouvel ordre social, économique et politique dans le pays, celle-ci ne pourrait réaliser tous les objectifs qu'elle s'est tracée»266(*). Conçues comme le prolongement législatif de l'idéologie de sécurité nationale, elles visaient une meilleure récupération des initiatives de mobilisation. Malheureusement pour la junte de Velasco, ce programme fut très mal appliqué, et il donna lieu à l'instauration d'un réseau de clientèles, de par la fonction distributive du Sinamos, qui répartissait des aides en fonction de l'attachement au régime.

Fragilisés par le rejet progressif de sa tentative d'incorporer les couches populaires défavorisées urbaines et rurales, afin de développer le pays, les militaires durent se résoudre à ouvrir l'espace public et à prendre des mesures permettant au pays de sortir de la crise. Profitant d'une ouverture du régime, les mouvements d'opposition redoublèrent leurs activités, et encouragèrent l'agitation dans les universités, les grèves dans les mines, le secteur bancaire, la pêche, et l'administration municipale. Revenant sur sa position initiale, le gouvernement répondit dès juin 1976, en prenant un certain nombre de mesures autoritaires (suspension des droits constitutionnels et fermeture de la presse d'opposition) et économiques (gel des salaires, compression des dépenses publiques, dévaluation de la monnaie, augmentation du prix de l'essence, des transports et de la plus part des biens de consommation). Néanmoins, cette période donna lieu à un processus de transition démocratique, et de relative ouverture quant aux partis politiques. La preuve, ce fut l'APRA lui-même qui joua un grand rôle lors de l'Assemblée Constituante appelée par Morales Bermudez en 1977.

a) Le désengagement politique progressif des forces armées péruviennes

Affaiblie par les grèves de février 1975, qui traduisaient le mécontentement généralisé devant la détérioration de la situation économique, et l'abandon des réformes, l'armée comprit vite qu'elle disposait d'une légitimité plus que limitée aux yeux de la population. Ces grèves lui montrèrent l'absence d'une structure d'appui à leur action gouvernementale, et surtout, elles lui signifièrent l'échec palpable du Sinamos. Elles lui ouvrirent les yeux sur la radicalisation profonde d'une partie de la société civile, ce qui la poussa à réprimer très durement la gauche et surtout l'extrême gauche. Dès août 1975, les militaires, tolérant de moins en moins bien les critiques, interdirent la publication de la revue Marka (proche du PC), et ordonnèrent la déportation de personnalités appartenant à toutes les tendances de l'opposition : dirigeants syndicaux, journalistes, politiciens membres de l'APRA et d'Acción Popular. Après avoir joué un rôle décisif dans l'instauration d'un régime réformateur, les généraux réformistes péruviens perdirent progressivement du terrain. Les premières contestations émergèrent en réalité dès 1973, avec la constitution d'un mouvement frondeur au sein de l'armée, qui contestait le choix présidentiel de se maintenir au pouvoir au-delà du temps proscrit par les institutions militaires. L'usure du pouvoir267(*), parfois démoralisante pour des hommes se pensant comme les dépositaires du changement historique268(*), joua également un rôle important dans la décision de rendre le pouvoir à une classe politique élue au terme d'un processus démocratique. Ce revirement militaire s'effectua en raison de la montée en puissance d'un groupe d'officiers militaires, connue sous le nom de La Misión (La Mission), et qui entretenait des liens avec une partie du secteur privé national, particulièrement avec des industriels liés au capital étranger, qui ne supportaient plus d'être accusés, d'avoir péché et d'être responsables de tous les maux du pays269(*). Ces derniers en effet n'acceptaient plus un ordre économique qui statuait un contrôle étatique du secteur industriel270(*), qui selon eux, constituait un frein pour le développement industriel du pays. La défense d'intérêts corporatistes tendit davantage une situation d'affrontement interne, ce qui poussa l'armée, à prendre conscience du danger de se maintenir au pouvoir.

Menacée dans son intégrité, l'armée privilégia la sauvegarde de l'unité interne, et introduisit des civils dans l'appareil gouvernemental. En mai 1978, la junte nomma l'économiste Javier Silva Ruete au portefeuille de l'Economie et des Finances, avec comme mission d'engager des réformes afin de sortir le pays de la crise dans laquelle il était de plus en plus plongé. Morales Bermudez s'assuma rapidement dans son poste, et devînt même populaire en défendant l'idée qu'il fallait assumer le positif et le négatif de la Révolution péruvienne. Sur le plan économique, il prit des mesures économiques plus libérales et fit appel au capital privé, aussi bien national qu'étranger, tout en maintenant certaines nationalisations qui lui paraissaient irréversibles. D'un autre côté, la prise de conscience de son illusoire supériorité sur les civils en matière de gestion des affaires courantes du pays, poussa l'armée à superviser le déroulement d'une transition démocratique. Celle-ci mit alors en place un processus démocratique qui fut le plus long en Amérique latine (à peu près six ans), que certains auteurs qualifièrent de «transition forcée« ou encore «incomplète«271(*). Cette durée significative s'expliquait en effet par la frilosité de la junte à associer la société civile, alors même que les grèves se multipliaient, et qu'elle prenait des mesures répressives à leur encontre. Les pressions externes contribuèrent également à rallonger le temps de décision des militaires, tant les demandes formulées par le gouvernement américain notamment, divisaient les officiers entre « duros et blandos »272(*) (durs et mous). Affaibli sur le plan social, ruiné économiquement, poussé de l'extérieur, le gouvernement de Morales Bermúdez décida dès lors, de se livrer à une entreprise, très contestée parmi les proches du président défunt Velasco Alvarado, l'organisation d'une sortie institutionnelle à la crise.

b) La mise en place d'une Assemblée Constituante

Finalement, après avoir obtenu des conditions de sortie et des garanties pour l'avenir, l'armée décida de mettre en chantier une Assemblée Constituante (élections en 1978 et installation le 28 juillet 1978), soumise au contrôle sans faille de ses généraux. Les participants durent se plier aux exigences des militaires, qui leur imposèrent leurs prérogatives en matière de libertés individuelles, tout comme ils les obligeaient à s'aligner sur la continuité du processus révolutionnaire. Les forces en présence se devaient en conséquence d'institutionnaliser les réformes imposées par Morales Bermúdez, car comme les avait prévenu le chef de l'Etat avant leur élection, l'Assemblée serait dissoute si elle remettait en cause les politiques du régime273(*)». Néanmoins, elle offrit pour la première fois depuis plus de dix ans, la possibilité d'analyser avec un plus grand critère, les réformes et réalisations de la Révolution péruvienne. Mais, les mesures proposées par la société civile ne purent jamais s'émanciper de la tutelle militaire, et elle vit toutes ses tentatives d'entériner la réforme agraire, et la main mise de l'Etat sur l'économie s'estomper.

Le grand vainqueur de cette entreprise de transition constitutionnelle fut sans aucun doute l'APRA. Il su faire peser tout son poids de parti de masse et de mobilisation en sa faveur, assumant même un rôle central en tant que médiateur entre la junte et les forces politiques civiles, au moment où ses ennemis d'extrême gauche subissaient les foudres du régime. Le charisme de Haya de la Torre, son aura de par son passé et son rayonnement international, ainsi que l'anti-communisme à présent déclaré du parti, firent de lui un interlocuteur incontournable sur la table de négociation. Sa base électorale, son poids syndical croissant depuis 1975, ses liens étroits avec une partie des officiers au pouvoir, firent de l'APRA, la force politique la plus en apte à mener à bien en partenariat avec l'armée, ladite transition. Cette convergence d'intérêts facilita d'ailleurs l'élection de Haya de la Torre comme président de l'Assemblée Constituante, lui rendant ainsi une place de premier ordre sur un échiquier politique en pleine mutation, et dont les regards commençaient déjà à se tourner, vers les prochaines élections au suffrage universel.

Paradoxalement, ce fut le parti jadis conspué, persécuté, et instrumentalisé comme le pire ennemi, qui devînt en quelques années, le principal partenaire de l'armée, en vue de trouver un débouché à une grave crise politique et de légitimité. Certes, la junte de Morales Bermúdez détenait encore la force dans le pays, mais elle ne bénéficiait plus d'une investiture, même symbolique, du pouvoir, sans quoi elle ne pouvait réellement le transformer en autorité. Malgré ce retour politique fracassant et l'élection de son caudillo à la tête de l'Assemblée Constituante, l'APRA souffrait d'une usure et d'un vieillissement de ses cadres, et de son idéologie. Le temps était dorénavant venu de repenser l'aprisme, au moment même où, Haya de la Torre était déjà donné vainqueur des élections présidentielles à se tenir en 1980. L'APRA devait dès lors se prémunir de toutes erreurs, afin de refonder sa crédibilité, et de se repositionner au sein de la gauche péruvienne. Or, la gauche péruvienne, tout comme les autres mouvements analogues dans le monde, connaissait à la fin des années soixante-dix, des remous internes, suite à la prise de distance face au marxisme-léninisme, à l'idée de lutte des classes, ou encore à la nature du socialisme. Elle se livrait alors dans ses organes de presse à un examen de conscience, sans pour autant cesser de clamer haut et fort son anti-aprisme grandiloquent, et son intention d'empêcher l'APRA d'accéder au pouvoir.

2) La recomposition de la gauche péruvienne

Le guide de la Révolution péruvienne mort quelques jours avant Noël 1977, les forces réformistes péruviennes entamèrent la période de transition démocratique en position de faiblesse. En réponse, une partie de la gauche décida d'ouvrir un vaste débat idéologique dans ses rangs, poussant à cette occasion, ses sympathisants à se positionner clairement face aux acquis du vélasquisme, et à l'attitude à adopter face à la nouvelle situation du pays. Pour sa branche la plus marxiste, incarnée par la revue Socialismo y Participación (Socialisme et Participation), la mort du « Général » ne devait en aucun cas être prise comme un signe de renoncement face à une politique sociale volontariste. S'appuyant sur le soutien de Velasco et de son legs274(*), et s'articulant autour de figures contestataires ((Hector Bejar et des universitaires comme Carlos Franco), ce magazine s'afficha comme la vitrine médiatique et surtout intellectuelle, des idées héritées de la Révolution. Publiée pour la première fois en octobre 1977, et offrant la parole aux mécontents du revirement politique de Morales Bermúdez, de tradition anti-apriste et contestataire. Socialismo y Participación permit aux forces de gauche, d'échanger des points de vue autour de notions (gauche socialiste, économie planifiée), de perspectives d'avenir, et de la lutte à mener contre l'impérialisme. Cette revue publia des articles tant nationaux qu'internationaux, où se mêlaient des plumes comme Regis Debray275(*) ou Franscisco Sagasti (grand journaliste péruvien), et chercha à redynamiser des forces écartées du processus de transition démocratique, et victimes de la violence militaire. Plus spécifiquement, elle servit surtout à republier des textes fondateurs de la gauche péruvienne, jouant même parfois un rôle commémoratif autour de personnages historiques devenu des mythes, comme par exemple José Carlos Mariátegui. Ce fut donc dans ses pages, qu'émergea un vaste débat sur la nature de la gauche péruvienne, sur le rapport entre l'hayatorisme et le marxisme, et sur la traîtrise de l'APRA au regard de ses promesses révolutionnaires.

a) Le débat autour des origines de la gauche péruvienne

S'emparant des habits du « propagandiste »276(*) léniniste, le comité de rédaction de Socialismo y Participación basa son travail de restructuration autour d'une propagande sur la « pulsion combative »277(*) des figures de José Carlos Mariátegui et de Manuel Gonzalez Prada. L'article de José Aricó, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», revînt lui longuement, sur la singularité de la pensée du fondateur d'Amauta, et s'empressa de le défendre en critiquant ouvertement ses détracteurs apristes. José Aricó y célébrait l'immense apport théorique de Mariátegui à la pensée marxiste, voyant même dans son oeuvre majeure, Siete ensayos interpretación de la realidad peruana (Sept Essai d'Interprétation sur la réalité péruvienne), «le plus grand effort théorique réalisé en Amérique latine en vue de l'introduction d'une critique socialiste des problèmes et de l'histoire d'une société concrète et déterminée»278(*). Au delà de commémorer les cinquante ans de la publication de cet ouvrage (republié pour l'occasion en 1977), il cherchait à défendre la singularité et l'originalité des penseurs qui influencèrent largement le processus révolutionnaire péruvien mené par les forces armées. Aricó célébrait pour cela l'expérience de la revue Amauta comme la première manifestation d'une émancipation culturelle sur l'oligarchie, et le premier regard porté sur un peuple souffrant pour lequel elle se battit pour créer un éveil révolutionnaire279(*). Chantre de la «péruanisation» de la pensée nationale et de la culture, Mariategui personnifiait, pour l'auteur, une force unique et une détermination sans égale dans la lutte pour les droits des indiens280(*). Prenant à contre-pied la tradition apriste, il voyait dans celui-ci le seul héritier de Gónzalez Prada, c'est à dire du premier intellectuel péruvien qui ouvrit le débat autour de l'exclusion des indiens, de leur état de soumission, et de leur exploitation281(*). Prolongeant son animosité contre l'APRA, l'auteur estimait que la décision que prit Haya de la Torre de fonder un parti politique à la fin des années vingt, priva le Pérou de la tant attendue révolution qui allait venir apporter la justice et l'égalité pour tous. Cette séparation en effet signifiait la fin d'une possible entente entre communistes et internationalistes, en vue de former un front suffisamment puissant pour venir à bout de tout ce que dénonçait à juste titre Gónzalez Prada.

Hiérarchisant les origines de la gauche péruvienne, magnifiant la rupture d'un processus révolutionnaire de par la naissance du Parti Apriste Péruvien, la revue défendait le caractère socialiste du processus révolutionnaire péruvien. Sans pour autant faire de Mariategui une figure communiste, José Aricó montrait l'importance de la problématique de ce dernier, au moment même où une partie de la gauche péruvienne, mais pas uniquement, construisait une réflexion autour du rapport entre le marxisme et la culture dominante de son époque (la tradition bourgeoise et l'économie de marché). Revenant aux sources pour mieux resurgir, ce courant de la gauche péruvienne jouait son identité, et son avenir. Elle voyait donc dans Mariategui, sa ligne directrice, son fer de lance, et son orientation, celle du maintien à tout prix de la lutte pour l'instauration d'un socialisme péruvien. Or, c'étaient les qualités que revendiquait sans cesse, le père spirituel de la revue, Juan Velasco Alvarado, dans la quasi-totalité de ses discours. Mais cette interprétation des origines était loin de faire l'unanimité parmi la gauche péruvienne. Prolongeant la complexité des attitudes adoptées suite à l'arrivée au pouvoir de la junte en 1968, son courant le plus radical commençait en effet à publier un certain nombre d'ouvrages à l'encontre de l'expérience vélasquiste. Socialismo y Participación réagit dès lors en revenant dans plusieurs de ses numéros sur la grandeur de la Révolution péruvienne. Sa plume la plus connue, Héctor Béjar, répondit d'ailleurs aux critiques en défendant le caractère réformateur de cette Révolution, et son aboutissement historique, prenant de court ses détracteurs qui étiquetait cette idéologie de «réformisme bourgeois»

b) La question de l'expérience réformiste de Velasco

Les forces apristes ne furent pas les seules à profiter de la période de transition politique pour tenter de se restructurer internement et idéologiquement. Les autres composantes de la gauche péruvienne en profitèrent elles aussi pour se repositionner sur un échiquier politique en pleine mutation. Les divers courants de la gauche non apristes commencèrent tout d'abord par essayer de tirer un bilan de l'expérience vélasquiste, tout en gardant en tête la volonté d'afficher leur spécificité. Cependant, les critiques du vélasquisme émanant de courants de la gauche péruvienne ne dataient pas exclusivement de la fin des années 70, ni de l'échec économique des réformes escomptées. Tout d'abord, la gauche péruvienne avait adopté quatre attitudes distinctes face au processus révolutionnaire. La première avait été de se rallier à la révolution, et de travailler parmi les nouvelles structures, tout en assumant le nouveau régime comme porteur d'une idéologie pouvant mener au socialisme. La seconde avait visé à s'en approcher afin de gagner des positions en vue d'inscrire le processus dans la voie du socialisme historique. La troisième au contraire, avait cherché à s'éloigner du régime, et à critiquer sa compromission avec le capitalisme, en signalant son caractère « réformiste-bourgeois ». La dernière enfin, avait tendu à le combattre sur tous les fronts, et à le dénoncer publiquement comme un régime fasciste. Suite aux multiples répressions, exils, seule la seconde branche contestataire survit au temps et à l'usure. Elle en sortit même renforcée après la prise du pouvoir de Morales Bermudez et le virage libéral de la nouvelle junte. Ceci permis donc à un groupe autour d'un modérateur, le journaliste Mirko Lauer, de publier un ouvrage intitulé El Reformismo burgués (Le Réformisme Bourgeois) où il faisait la synthèse de son positionnement idéologique. Recueil de discussions, ce livre était perçu par ses auteurs comme « la meilleur et la plus juste version testimoniale de ce qui signifia le réformisme bourgeois pour la gauche péruvienne »282(*). Ils y dénonçaient ouvertement les limites du processus réformiste, son incapacité à transformer les structures économiques du pays, à l'industrialiser, et à le développer. Par ailleurs, ils en fustigeaient les relations avec les anciens membres de l'oligarchie, et soulignaient que la junte n'avait pas pu véritablement fonder une nouvelle société, voire le modèle coopérativiste tant promis aux masses. L'un des discutants, Arias Schreiber voyait même dans le gouvernement de Velasco, un échec de plus dans le cheminement des masses vers leur autonomie283(*). S'empressant de réagir à la fin de l'année 1978, Socialismo y Participación répondit en critiquant leur étroite vision du « réformisme ». Héctor Béjar montrait que la révolution péruvienne ne pouvait en rien être qualifiée de « réformiste » et de « bourgeoise », car aucune réformes n'avait été menée ni par la bourgeoisie, ni dans leur sens, mais qu'au contraire, le bourgeoisie péruvienne s'était vivement opposée aux mesures284(*). Il célébrait même les réussites sociales de Velasco, son courage politique, et la vie de ce dernier, qui comme le légitimait un article écrit par des chercheurs nord-américains, « avait affectée non seulement son pays, mais aussi le mouvement des pays en voie de développement vers leur libération et la découverte de leur propre chemin »285(*).

Ces débats n'étaient en rien des éléments éloignés de l'évolution politique de l'APRA. Encore classé à gauche, et partageant des visions communes avec ces gauches, comme par exemple la question de l'impérialisme, le parti comprit que ces débats pourraient lui être nuisibles dans une perspective électorale. Car, ils partaient toujours de l'idée que, aussi négatif qu'aie pu être le gouvernement de Velasco, il avait mit fin à la domination oligarchique que l'APRA avait soutenu de par son entente politique avec Acción Popular et les partisans d'Odría dans les années soixante286(*). Décrit comme un parti ayant abandonné sa nature contestataire au détriment d'une obsession du pouvoir, dont le mythe nourri par la gauche d'un Haya de la Torre avide de gloire immortalisait, l'APRA commença son travail de publication d'ouvrages historiographiques avec la solide conviction qu'il devait rassembler afin de l'emporter. Les diverses publications s'y attachèrent, soulignant tous les bienfaits de l'aprisme, et gommant à cette occasion, son passé sombre et assimilé par tout un imaginaire, à un caractère violent quasi naturel.

B) Une sacralisation en guise de charisme objectivé

1) Le travail de finition de la symbolique populaire apriste

Messianique, l'histoire de l'APRA telle fut présentée par ses auteurs, ne se limitait pas à une célébration de toute la splendeur des idées de son fondateur et guide. Elle transformait des évènements historiques comme la Révolution mexicaine et la Réforme de Córdoba en des signes annonciateurs de l'avènement de l'aprisme et de son combat social. De même, elle accentuait la singularité et l'originalité du parti, tout comme elle revendiquait l'héritage de Gónzalez Prada alors que le vélasquisme se l'était réapproprié durant ses années au pouvoir. Mais surtout, cette lecture des origines était essentiellement placée sous le signe de la célébration des luttes du chef ou en quelques mots, comme le reconnaissaient les apristes eux-mêmes, de celui dont la date d'anniversaire passa à être une fête du peuple péruvien287(*).

a) Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A

La vie politique du parti apriste fut marquée depuis son commencement par une dimension affective très grande, à telle point que l'affectivité politique permit au parti de se prémunir contre de violentes attaques contre ses leaders. Ce besoin de justification permanente avait alors fait naître l'idée de recourir à un passé idéalisé en vue d' assurer l'adhésion des militants aux objectifs explicites définis par leur leader, mais aussi de forger une « certaine identité des sensibilités »288(*). Cette entreprise de protection reposait sur la reproduction parfois partielle, et d'autres cas totales, des origines du parti. La Réforme universitaire de Córdoba et sa corollaire péruvienne, tout comme la Révolution mexicaine servaient par conséquent de référents historiques d'une structure socio-affective qui englobait le culte d'un leader et « d'un parti symbolisant à lui seul le règne du peuple »289(*). Cette passion était entretenue par l'idée que la Réforme de Córdoba avait été une vague contestataire étudiante profondément internationaliste290(*), et qui avait unit, après le coup de tonnerre mexicain, le continent, ce qui préfigurait déjà l'APRA291(*). Voilà pourquoi, les auteurs, Haya de la Torre en particulier en défendaient le caractère non marxiste292(*), préférant n'en garder que son caractère social et libérateur293(*), qui avait servit de baptême politique pour toute une génération continentale294(*). Cette lecture d'un évènement moteur et de ses liens avec la naissance de l'APRA permettait aux apristes de souligner leur capacité passée à mener à terme des desseins continentaux. Elle légitimait en conséquence le lien entre le parti et la Réforme, à travers tout un ensemble de références qui énuméraient ; comme par exemple, les allusions directes des principaux protagonistes, tel que Gabriel del Mazo295(*) ; le fait que l'APRA était devenu à court terme l'aboutissement politique du processus réformiste argentin. Elle reprenait également les réussites de la Réforme universitaire péruvienne, ce qui affermissait encore plus l'idée d'une filiation quasi naturelle entre les deux mouvements. Ce dernier point donnait ainsi l'occasion à l'APRA, de magnifier encore plus ses origines, en montrant que la réponse étudiante de 1920 contre la mainmise de l'oligarchie sur l'Université, avait introduit dans le pays des convictions nouvelles (panaméricanisme, unité régionale, libération des peuples du joug culturel hérité de l'époque coloniale, transformations des universités en des organes politisés) bénéfiques au peuple. Haya de la Torre en accentuait même les transformations que le Réforme péruvienne produisit à l'Université San Marcos, où grâce au mouvement qu'il guida en tant que chef des étudiants contestataires, cet établissement avait pu se livrer d'un archaïsme qui l'avait transformé en « la plus vieille et rongée de toutes les universités d'Amérique »296(*). Et, cette rupture avait été telle selon Haya, que la Réforme réussit « en expulsant dix-sept professeurs en plein processus de momification, et en changeant radicalement les systèmes, en obligeant une servile assemblées parlementaire à nous respecter, et en lui soufflant un air frondeur qui était un vent révolutionnaire argentin, fort, et immense, mais d'un force salutaire»297(*), à enfin faire rentrer San Marcos, dans une modernité que cette Université préférait ignorer pour cause de conservatisme exacerbée. Décrite comme un « cri annonçant à l'Amérique un pas de plus vers le chemin de nos peuples vers l'objectif tant attendue de la Justice »298(*), la Réforme de Córdoba était de ce fait, placée au même rang que l'autre signe précurseur officiel de l'aprisme : la Révolution mexicaine.

Point de départ d'une dynamique de combat anti-impérialiste selon la formulation officielle du parti, la Révolution mexicaine ne fut pas décrite avec la même profondeur que sa « soeur révolutionnaire argentine ». Bien que sachant que l'APRA avait été fondée à Mexico en 1924, les apristes se limitèrent aux faits majeurs de cette révolution. Par contre, ils en intensifièrent son caractère révolutionnaire non marxiste, l'exposant fièrement en tant que « première révolution sociale, non socialiste du 20ème siècle »299(*). Parallèlement, ils en élargirent sa portée jusqu'à en faire un symptôme, à l'instar de l'expérience argentine, du réveil légitime des peuples300(*) en vue de l'extension d'une vague révolutionnaire sur tout le continent301(*). Cette revendication de la condition de descendance de la Révolution mexicaine donnait ainsi à l'APRA, une image encore plus sociale, purement latino-américaine302(*), qui au même titre que son nom et son lieu de naissance (le Mexique), mettait en évidence son empreinte révolutionnaire, et son indépendance de toute influence non latino-américaine.

L'entretien des sentiments d'appartenances à une communauté historique a toujours été l'un des caractéristiques majeures de l'aprisme. Cet exposé des origines cherchait de ce fait à continuer à entretenir la fierté au regard de leur passé collectif, et des entreprises réalisées. Mythes au sens de construits mobilisateurs, la Révolution mexicaine et la Réforme de Córdoba jouaient le rôle de pôles d'appartenance, à partir duquel l'APRA cumulait les appartenances au peuple, à la nation, et à l'Amérique latine. Elles en appuyaient la double identité (nationale et continentale) du parti, renforçant de ce fait, sa singularité par rapport aux autres partis politiques péruviens. Touché au coeur depuis la Révolution péruvienne, l'APRA poursuivit également son travail de fidélisation de ses adhérents en revenant sur l'autre élément qui fondait sa singularité doctrinaire : l'héritage de Gónzalez Prada. La publication des OEuvres Complètes de Haya de la Torre répondit alors à tous ce qui s'étaient réappropriés l'auteur de Páginas libres et Horas de lucha, en spécifiant de par la qualité de proche de Gonzalez Prada de son auteur, qu'Haya de la Torre était bien le seul et l'unique fils spirituel de cet intellectuel péruvien.

b) La défense de la qualité d'héritier légitime de González Prada

Dans la consolidation d'un langage idéologique, le poids de l'imaginaire tend parfois à devenir tel, que la revendication d'un penseur politique s'avère comparable à ce qui existe dans l'univers religieux. L'historiographie apriste autour de l'anarchiste péruvien, Gonzalez Prada, répond très bien à ce cas de figure. Tradition née dans les pages de la revue Amauta, ce travail de mythification fut longtemps le seul terrain gardé de l'APRA. Mais, la junte militaire commandée par Velasco Alvarado brisa cet ensemble monolithique303(*) en citant dans de nombreux discours des phrases célèbres de Prada, le rendant ainsi précurseur de la Révolution péruvienne de 1968. Contraint à réagir face à la dépossession de son « père spirituel », le parti se livra dès 1976, à une revalorisation du legs de Prada et de ses liens avec l'APRA. Percy Murillo le premier, commença par exhiber le rôle d'Haya de la Torre et de Luis Alberto Sanchez dans la sauvegarde la pensée de Gonzalez Prada. Il fit de ces deux chefs apristes, les seuls vrais héritiers304(*) de Prada, et balaya tous les prétendants à cet héritage en revendiquant la primauté des expériences apristes où préfigurait un hommage à l'illustre penseur péruvien305(*). Luis Alberto Sanchez quant à lui, poursuivit cette réappropriation en fustigeant les faux fidèles de l'apostol (apôtre), qui niait l'influence de celui-ci dans la consolidation de l'APRA comme organe politique structuré. Il étalait pour cela, l'omniprésence de références intellectuels de Gonzalez Prada dans l'organisation du Parti Apriste Péruvien, comme dans le cas des Jeunesses Apristes, qui s'étaient édifiés en reprenant les conseils moraux et politiques développés par l'anarchiste dans son ouvrage Horas de lucha306(*).

Comme le montrait Luis Alberto Sanchez307(*), cette revalorisation de l'interconnexion entre l'APRA ou plutôt Haya, et Gonzalez Prada passait également par un travail d'exhibition de faits historiques, qui puissent prouver la primauté des apristes parmi ceux qui se revendiquaient de Prada. Voilà pourquoi, les compilateurs des OEuvres Complètes de Haya de la Torre inclurent dans ce livre, l'un des textes les plus connus du chef apriste, `'Mes souvenirs Gonzalez Prada'', préalablement publié en 1925 dans la revue argentine Sagitario (Sagitaire). Dans ce texte, Haya de la Torre dépeignait tout un ensemble de souvenirs autour de sa rencontre et son amitié avec l'auteur de Páginas libres (Pages libres). Il y décrivait dans une scénographie politique très détaillée ses rapports avec « une figure qui règne mais ne gouverne pas »308(*), dont la force d'évocation était telle, qu'il lui laissait après chaque discussion, « une impression de fraîcheur, de force, une grande envie de courir, comme après un bain... »309(*). Cette description détaillée du rapport du sage et du disciple, entre un jeune homme enthousiaste et un vieil homme, traduisait l'attirance grandissante du jeune étudiant Haya de la Torre pour la politique et la pensée sociale d'un homme, qui commençait déjà à le fasciner au point qu'il lui donnait envie de se battre pour la justice sociale310(*). Non seulement maître mais également ami311(*) et guide, les qualificatifs employés par Haya de la Torre cherchaient à faire de cette rencontre le point déterminant de son engagement politique. Avant tous les autres, sa filiation avec le penseur était bien plus qu'intellectuelle. Elle était personnelle, et naturelle, un signe émouvant d'une reconstruction imaginaire, où « l'intensité émotionnelle de la dépendance filiale »312(*) faisait de cet instant un rite de passage entre deux hommes qui possédaient en leurs mains la force du changement. Rencontre sourde aux dialogues coupés, la rencontre entre Haya de la Torre et Gonzalez Prada gardait par ses temps morts, et l'observation entre les deux acteurs, un univers symbolique où « les chantres du pouvoirs ont traditionnellement cherché à surmonter cette éventuelle indifférence et à engager chacun dans le mime, dans les langages corporels qui exhiberont les bons sentiments et aussi les inculqueront »313(*). Malgré le peu de dialogues, ce contact tel qu'il fut décrit par Haya, le transposait en héritier, au simple fait que ses entrevues avec Gonzalez Prada lui offrirent la possibilité de s'ouvrir au monde des idées, et de la lutte sociale. Son témoignage restait la seule trace directe d'un dialogue entre le maître et ses disciples présumés, ce qui faisait de Haya, la seule personne pouvant affirmer une paternité dans la longue liste des héritiers. Cette clarification de la condition de « fils spirituel » de Gonzalez Prada, témoignage à la clé, visait de ce fait à rappeler le caractère unique de l'APRA, et surtout, défendre son unicité, au moment même où le parti était confronté à une restructuration idéologique.

c) Le raffermissement de la culture de la singularité

Aucun parti politique ne peut échapper à la nécessité de produire et de diffuser des messages afin de fidéliser ses adhérents, et de peser de tout son poids social. Ainsi construits, ces messages forment un univers partisan qui offre des réponses spécifiques aux questions éventuelles qui peuvent naître autour du parti. L'efficacité politique de cette matérialisation de tous les éléments relatifs au parti repose alors sur son aptitude « à maintenir l'intensité des croyances »314(*) en fidélisant autour de caractéristiques majeures. La revendication du caractère singulier de l'APRA tant au niveau doctrinaire et qu'historique correspondait parfaitement à ce cas de figure. Cette prétention à l'originalité absolue a d'ailleurs toujours joué un rôle très important dans le travail pédagogique du parti d'Haya de la Torre. Poursuivant une tradition née dans les années 1920, l'historiographie apriste prétendait créer une persistance dans le temps de la pensée apriste, et celle de son leader, Víctor Raúl Haya de la Torre. Elle s'appuyait pour cela sur l'originalité doctrinaire de l'aprisme, et sa condition unique dans la constellation des pensées politiques des différentes gauches. Andres Townsend, dans sa préface du livre de Percy Murillo mettait en évidence la rupture que reflétait l'aprisme aux yeux du marxisme doctrinaire, qui selon lui s'était trompé car « l'expérience de notre temps donnait tort au prophète »315(*) mais qui trouvait son salut avec Haya de la Torre, car celui-ci « écrivit le chapitre que Marx oublia d'écrire, et que le socialiste hindu, Asoka Metha signalait comme la grande absente du philosophe du Capital : la théorie révolutionnaire pour les pays en voie de développement»316(*).  Il corroborait de ce fait le caractère authentique de l'aprisme en soutenant son caractère purement latino-américain317(*), surtout dans sa dimension anti-impérialiste, désigné comme « un schéma de transition, à travers lequel les pays se libèrent comme nations et les classes exploitées rompent le cycle de leur exploitation »318(*). Célébré comme « le premier penseur politique d'Amérique latine qui formula une interprétation philosophique du continent »319(*), Haya de la Torre personnifiait la force d'anticipation d'un mouvement politique qui, le premier selon Townsend, devança de plusieurs années l'orientation idéologique prise par la sociale-démocratie européenne320(*). Se basant sur la portée des travaux sur l'unité économique du continent de Haya, Townsend voyait même en lui le pionnier de l'idée d'intégration régionale. Il le décrivait en père d'un « unionisme scientifique »321(*), qui bien avant les autres, avait défendu la nécessité d'une intégration économique et politique pour l'Amérique latine afin de se prémunir contre la menace impérialiste. Faisant appel à la précocité de la pensée d'un autre apriste, Antenor Orrego, il concluait sur le caractère singulier de l'APRA, en montrant que le terme de « peuple-continent » d'Orrego de 1939, devançait de bien des années, les analyses du CEPAL des années cinquante sur les perspectives en Amérique latine322(*). Cette prétention à l'unicité véhiculait aussi l'idée que l'APRA demeurait le seul parti politique péruvien avec un esprit de sacrifice que légitimait la dimension héroïque des luttes passées323(*). Ce courage cachait dès lors d'autres qualités morales324(*) et physiques qui caractérisaient les apristes, expressions fragmentés d'une virilité à toute épreuves qui contrastait avec « l'efféminement, l'inconstance et la mollesse des autres Péruviens»325(*) .

La singularité de l'aprisme telle qu'elle était exposée par l'historiographie apriste, marquait la volonté d'exalter un passé, qui en faisait sa spécificité. Transmettant l'originalité doctrinaire et psychologiques de ses fondateurs, les apristes reprenait une vieille formulation qui depuis, reste comme un des symboles du parti : « Apriste, sois orgueilleux de ton parti ». Ils rendaient ainsi leur passé plus accessible, car plus facile à appréhender, puisque porteurs de réalités palpables. Conçu à la base comme devoir326(*), cette volonté de se faire respecter traduisait l'une des caractéristiques majeurs de l'aprisme : sa nécessité de cultiver son image social. Née de la pensée philosophique d'Haya de la Torre, négateur et continuateur de Marx pour Townsend, ce choix de répéter sans cesse l'originalité de l'APRA, montrait enfin que le parti, ne possédant ni bilan d'exercice du pouvoir, ni expérience dirigeante, ne pouvait se priver d'une exaltation de ses origines et de sa singularité. Car, elle lui conférait le statut d'organe bénéfique dans l'histoire péruvienne et latino-américaine de par ses réalisations. Voilà pourquoi, les apristes développèrent avec autant de zèle, le bilan politique et historique de leur leader.

2) La recherche d'une assise populaire durable pour la figure d'Haya de la Torre

Dans un parti structuré et dépositaire d'une longue histoire comme l'APRA, la question de la légitimité passait par une interprétation de ses victoires sociales. Il s'agissait pour Haya de la Torre, de démontrer qu'il avait toujours suivi la ligne sociale du parti, et qu'il était « le véritable disciple de ses grands ancêtres »327(*), alors que ses adversaires s'étaient écartés de cette ligne. Ce travail idéologique cherchait à cimenter l'affectivité collective autour d'un construit historiographique qui aspirait à « redonner à chacun le sentiment de faire partie d'une histoire légitime »328(*). Haya de la Torre évoquait pour cela son passé d'acteur dans des luttes sociales, sous forme de témoignages descriptifs proches de l'histoire romancée « qu'un sujet se donne à lui-même et qui soutient les identifications et les exclusions »329(*). Dans cette présentation, que parachevait l'historiographie apriste, l'acquisition de la journée de travail de huit heures (1918-1919) par les ouvriers de Lima servait de préhistoire du mouvement apriste, et de son caractère revendicatif en matières de droits sociaux et de l'amélioration de la condition ouvrière. Quant à l'exposition de la persistance du leadership chez Haya de la Torre, elle poursuivait la volonté de renouveler le culte du fondateur de l'APRA, de créer un lien direct entre les adhérents apristes et leur chef, et d'exalter l'unité du parti. Dans cette hiérarchisation de l'organigramme apriste, l'illustration de la condition d'Haya de la Torre en appelait aux sens des lecteurs à travers un caractère quasi érotique qui visait un attachement intense. Ce discours le dépeignait alors comme un guide suprême qui ne jouissait pas « du plaisir d'exercer son pouvoir, ni même de la satisfaction d'être reconnu pour sa compétence, mais du plaisir d'incarner l'idéal des adhérents et d'être aimé à ce titre. »330(*).

a) La mythification de la victoire lors de la lutte pour la Journée de Huit heures

Les revendications ouvrières pour une modification du temps de travail au Pérou commencèrent à la fin de l'année 1918. Mais selon Percy Murillo, ces revendications sociales trouvaient leur origine dès 1905, dans les propositions formulées par la Fédération des Boulangers dans son programme d'inspiration Gonzalez-Pradiste, et dans les positions du Groupe du Nord auquel participa activement Haya de la Torre dans sa ville natale dans les années 1910 et dont « on ne peut oublier le rôle que joua dans les luttes sociales » de cette région sucrière »331(*).  Percy Murillo faisait même de ce groupe de lettrés de Trujillo, où « on trouvait des noms comme César Vallejo, Alcides Spelucin, Francisco Xandoval, Macedonio de la Torre, José Eulogio Garrido, Oscar Imaña, Eloy Espinoza, Juan Espejo Asturriaga et Federico Esquerre »332(*), l'organe précurseur des idées avant-gardistes en matière de législation sociale, du fait de son positionnement en faveur des réclamations des travailleurs des haciendas sucrières des vallées de Chicama et de Santa Catalina333(*). Les apristes convoitaient ainsi le fait d'affermir leur présence, même indirecte, en tant qu'étudiants, dans un mouvement ouvrier qui paralysa la capitale péruvienne par ses grèves.

Se basant sur son amitié avec le dirigeant ouvrier, Nicolas Gutarra334(*), et sa renommée parmi les ouvriers, Haya de la Torre, estimait que ce lien demeurait beaucoup plus étroit, puisqu'il avait lui-même participé aux manifestations, et en avait été l'un des meneurs. Prolongeant la démarche explicative entamée par Murillo, le leader apriste livrait dans ses OEuvres Complètes, son témoignage de combattant actif durant les journées les plus dures du mouvement gréviste. Il y détaillait dans un texte nommé `'Jornada de las 8 horas'' (La Journée de Huit Heures), préalablement publié en 1941 dans la revue clandestine du Parti Apriste, Lecturas Obreras (Lectures Ouvrières), sa participation aux évènements, et surtout son rôle dans la victoire des demandes formulées par les ouvriers, à qui s'était jointe une partie des étudiants de San Marcos. Haya utilisait pour cela une rhétorique fortement empreinte de connotations dramatiques, voire d'une théâtralité dont il était à la fois le héros, et le narrateur. Cette dramatisation formulait de manière chronologique tous les éléments exprimant une montée de la tension ou de la menace de la part des forces de l'ordre335(*). Elle illustrait la communion populaire entre les ouvriers et les étudiants, transformant cette dernière en cri de révolte nationale, véritable expression d'une légitimité enfin dévoilée. Les ouvriers y brillaient par leur force et leur courage, manifestant par la vigueur de leur hymne336(*), leur prédisposition à mener un combat proportionnel à l'enjeu. D'un autre côté, le leader apriste cultivait son image de garant de la justice sociale en revenant sur les dialogues qu'il échangea furtivement et en pleine manifestation, avec les forces de l'ordre. Il s'y montrait ostensiblement en permanente position de force face au commandant chargé de freiner les manifestants, à qui il répondait « sur le même ton »337(*) tout en lui rappelant qu'il « commettrez un crime »338(*) s'il pensait tirer sur la foule. L'inclusion de ces dialogues lui permettait de manifester sa force de commandement, et sa virilité. Ces dialogues lui servaient pour personnifier davantage le combat339(*), et la responsabilité déployée pour manoeuvrer des foules tendues par l'exposition à la violence policière, et la prodigalité des conseils des anarchistes qui voulaient affronter les forces de l'ordre. Ils singularisaient également la prise de décision340(*) qui s'effectua autour de la position stratégique à tenir face à la menace d'assaut des forces de police, ce qui mettait en lumière sa capacité à se hisser en héraut du peuple. Quant au tableau de la victoire finale, il exposait les instants décisifs de façon encore plus symbolique, examinant l'acquiescement du gouvernement de manière précise, racontant même que ce fut « cinq heures dix minutes de l'après-midi du 15 janvier 1919, que la voiture du Ministre du Travail s'arrêta devant le local de la Fédération des Etudiants, au Palais de l'Exposition »341(*). Cette illustration de sa détermination imbattable le portait d'un autre côté, à déplacer le combat social autour de l'instant où il reçut le texte de loi et que « convaincu que c'était le même que l'on avait accordé avec le ministre »342(*), il prit la parole pour annoncer la bonne nouvelle. Haya de la Torre relevait à cette occasion le caractère esthétique de la victoire, montrant un peuple quasiment en délire après qu'ait été prononcée la nouvelle si attendue de la modification du code du travail, et si heureux que « les manifestations de joie durèrent plus d'une demi-heure »343(*) jusqu'à voir « les troupes laisser la voie libre aux manifestants »344(*). Il donnait simultanément un caractère de charnière à cette conquête sociale, la transposant en acte fondateur d'organisations syndicales345(*) plus structurées, qui ne se contentaient point de la journée de huit heures de travail pour les ouvriers, mais qui demandaient une revalorisation de la condition ouvrière et des salaires.

Exposées par Haya de la Torre et l'APRA comme le point de départ des luttes sociales péruviennes au 20ème siècle, les manifestations ouvrières de 1918-1919 pour une modification du temps de travail, réussirent à obtenir la journée de huit heures pour les ouvriers. Pour Haya de la Torre, ces journées de lutte anticipaient la Réforme universitaire péruvienne et les Universités Populaires Gonzalez Prada346(*). Elles avaient été scellées par sa fermeté, sa capacité à négocier, et à s'imposer face aux dérives potentielles que porte toute manifestation sociale. Ce récit contribuait dès lors à renforcer la légitimité qu'il pouvait avoir, et qui s'était exprimé à juste titre par le passé, même à son plus jeune âge. Il lui conférait ce statut de leader inné, de chef intemporel, que les apristes ne doutaient pas de mettre en avant dans chacun de leur discours. Cet évènement passa dans la longue liste des conquêtes attribuées à Haya de la Torre, ce qui nourrit par conséquent les débats autour de son rôle durant ces journées, ce qui fit même dire à Basadre : « à mon sens, la conquête des huit heures de travail furent des journées uniquement ouvrière»347(*).

b) Le développement d'une culture du chef intemporel

Comme l'explicitait en son temps Aristote dans Rhétorique, le langage politique traditionnel utilise largement des mots, dont le caractère persuasif est dans la plupart des cas, une évidence. Pour les auteurs, le but est de transmettre une idée ou un message de la manière la plus directe possible, en ayant recours à des mots symboliques qui puissent traduire l'idéal-type de l'homme politique. Après avoir énoncés le parcours politique de leur chef, d'autres témoignages d'apristes, portaient leur choix sur ce qu'évoquait chez eux le souvenir de leur illustre leader. Ils faisaient alors allusion par des termes relatifs au pouvoir, plus précisément au leadership, à l'image de Víctor Raúl Haya de la Torre. L'utilisation de cette terminologie briguait la persistance dans le temps de ce dernier, par une reproduction permanente de caractères vertueux et héroïques. Dans certains cas même, cette manifestation de la puissance d'un homme reléguait le décor historique en second plan, rendant le chef apriste quasi-intemporel, tant les souvenirs ne conservaient que tout ce qui le concernait. Dans certains témoignages, comme celui du syndicaliste apriste, Julio Rocha (1981), l'action politique d'Haya de la Torre devenait l'élément central du récit. Elle était à la source de tout processus politique péruvien, et de toute modification dans la vie politique de ce pays, de manière à exprimer la convergence de tous les phénomènes politiques d'un temps donné vers une seule personne. Utilisant des caractères hagiographiques, Julio Rocha dessinait un passé qui témoignait uniquement des bienfaits du jefe (Le chef), et qui ne pouvait être compris sans lui. Rocha défendait sa position en se basant sur sa propre expérience militante démarrée en 1922 suite à un discours public d'Haya de la Torre. A la question sur les raisons de sa ferveur envers son chef de parti, il répondait en disant qu'elle s'expliquait uniquement par « la sympathie, l'amour et les aspirations qu'il avait envers nous tous »348(*). Cette sympathie d'Haya envers son peuple, était d'ailleurs colorée d'une dimension universelle349(*), qui entretenait toute une liste de vertus qu'on lui attribuait, mais dont la plus évocatrice demeurait le don de la parole et le poids de son verbe350(*). Ce témoignage livrait également le souvenir d'un leader héritier d'une longue tradition351(*) qu'il transforma pour mieux l'utiliser, et dont il en fut l'illustre, mais parfois incompris guide, sans qui les Péruviens n'auraient pu atteindre le bonheur et la grandeur352(*). Mais également, Julio Rocha transposait l'esprit de sacrifice apriste à la seule conviction de lutter pour l'oeuvre et la personne du Jefe353(*). Elle justifiait selon lui, l'histoire du parti, l'engagement durant toutes les années où Haya de la Torre vécu, et les motivations qui continuaient à habiter le parti, où moment même où des luttes intestines rongeaient l'APRA. En effet, le parti se trouvait en pleine crise de succession, et il était tiraillé entre son courant syndical qui joua un grand rôle social durant la phase de transition politique de 1975-1980, et le positionnement des vieux cadres « aristocratiques » (Luis Alberto Sanchez, Andres Townsend, Armando Villanueva), qui refusaient la poursuite des mesures héritées du vélasquisme. Son courant intellectuel, anti-marxiste et auteur de l'historiographie officielle, nomma finalement Armando Villanueva aux élections générales où il perdit avec 24,4% des voix contre 45,37%, du vieux rival de Haya de la Torre, Belaunde.

Les apristes firent un portrait historique d'Haya de la Torre hautement symbolique. Déjà dans ses OEuvres Complètes, celui-ci montrait la voie en évoquant son combat social pour la Journée de Travail de Huit heures, à travers tout un ensemble de mots qui, « là où ils parlent, éveillent des connotations positives »354(*). Ces mots, voire l'inclusion de dialogues lui servaient à hisser sa figure historique en force motrice pour le peuple et en héros d'un panthéon séculier. Ils explicitaient des luttes qui remontaient à soixante ans en arrière, et qui complétaient une vie longue et complexe, dont « les trois quarts furent dédiés au combat, avec tous les risques que cela comportait pour celui qui joue sa vie en pleine aventure»355(*). Combattant social ou « dynamo en marche » comme le nommait Luis Alberto Sanchez, Haya de la Torre symbolisait pour les siens, l'esprit de sacrifice dont il fallait s'inspirer, au point de se sacrifier pour lui. Car indépendamment de ses réussites et de son esprit, de sa personne et de ses idées, il demeurait, ce que Julio Rocha résumait en quatre mots : « el jefe, Víctor Raúl » (le chef Víctor Raúl).

Parce qu'elle n'est point une improvisation tactique, la parole politique, sous ses multiples formes, revêt une forte dimension dramaturgique. L'attention est fixée, principalement, sur les effets sensitifs que peut provoquer la médiatisation généralisée à l'intérieur du champ social. Cette extériorisation d'idées ou de symboles cherche à offrir une « impression idéalisée » de tout ce qu'incarnent les forces en présence, en persuadant ceux auxquels elle s'adresse, de la correspondance absolue des visées politiques des acteurs avec la réalité. Les témoignages des cadres historiques de l'APRA et leur production historiographique sur les origines de leur parti, fournissent eux aussi, malgré leur apparente liberté de ton et de style, des indications qui viennent corroborer des processus politiques visant à la conquête du pouvoir. C'est à notre sens, cette caractéristique majeure de l'aprisme, qui justifie et légitime l'utilisation du terme « populisme » pour désigner ce parti politique péruvien. Car comme nous l'avons démontré au cours de travail, l'utilisation de l'histoire par l'APRA répondait à sa volonté d'étendre le postulat de l'unité du peuple, l'évocation de sentiments populaires et une assurance péremptoire avec laquelle son chef suprême se posait en « reflet des aspirations et des craintes populaires »356(*). Ce recours au passé permettait d'ailleurs à l'APRA, d'exposer sa version des origines jusqu'à la transposer en lecture unilatérale et officielle d'un passé caractérisé comme évangélique, et d'enraciner durablement son histoire dans l'imaginaire collectif péruvien. Le parti pouvait de ce fait continuer à entretenir son image de garant de la cause sociale et anti-impérialisme au Pérou et en Amérique latine, même si de nombreuses évolutions idéologiques s'étaient produites en son sein, au point de passer d'une composante farouchement anti-impérialiste (années vingt et trente) à une autre « farouchement anti-communiste et pro-U.S »357(*) (années cinquante et soixante), pour enfin se transformer en un parti « dit social-démocrate » dans les années soixante-dix.

Née dans les pages de la revue Amauta en 1928, cette lecture des berceaux de l'aprisme a su successivement s'adapter en fonction des bouleversements de la vie politique péruvienne, sans pour autant perdre sa spécificité et son unité en thèmes, en lieux, et en personnes. Elle a su mobiliser des ressources du passé telles que la Réforme universitaire de Cordoba et sa soeur péruvienne de 1920, la Révolution mexicaine, la légitimité de Gonzalez Prada, ou des expériences plus locales comme la Journée de Huit heures, jusqu'à en faire les signes annonciateurs d'une histoire qui commença le 7 mai 1924. Ce qui, peu à peu, traduisait une volonté de révéler la spécificité de l'aprisme, se convertit finalement en sceau d'une lecture incontestable d'un passé qui témoignait à répétition de la nature unique et de la grandeur de l'APRA sur la scène idéologique mondiale. Ce discours s'arrogeait pour cela le droit d'affirmer que l'avenir du peuple péruvien dépendait quasi exclusivement d'un seul homme, Víctor Raúl Haya de la Torre. Celui-ci était d'ailleurs esquissé en relation directe avec le peuple dans son ensemble, loin de tout clivage partisan et reflétant à chacune de ses interventions, la volonté générale. De ce fait, les récits se multipliaient pour raconter les entreprises réalisées par cet homme à différentes étapes de sa jeunesse, comme si finalement, la seule origine du parti qui soit, demeurait l'enfance, l'adolescence, et la fleur de l'âge d'Haya de la Torre. La rhétorique utilisait pour cela de manière sélective des sentiments (angoisse, anomie, malaise) que ressentait la population péruvienne dans son ensemble. Elle s'en nourrissait d'ailleurs, au gré des humeurs et des désillusions face aux échecs répétitifs de la classe dirigeante, dans tout les cas, moins pour présenter un programme ou des propositions concrètes, que pour exploiter les défaillances des régimes successifs dont les mesures prises, avaient plongé le pays dans des crises successives.

Cette écriture de l'histoire exploitait parallèlement le rayonnement d'évènements passés sous le ton de l'agressivité polémique, non tant dans la forme, que dans l'affirmation tranchée d'un temps de la grandeur, des réussites en matière économique et sociale, bref, de tout ce que l'on pouvait revigorer en se ralliant à la cause apriste. Cette lecture historiographique puisait alors ses ressources dans divers thèmes, aussi variés que l'anti-impérialisme de la Révolution mexicaine, que la rénovation culturelle propre aux Réformes universitaires ou que les appels à la justice sociale d'un Gonzalez Prada, proche de l'APRA par son amitié avec « el Jefe ». Mais elle gardait les connotations les plus importantes pour les expériences de Víctor Raúl Haya de la Torre, hissé à la fois en héros sportif qu'en enfant solidaire. Les exploits sportifs de l'enfant Haya, par exemple, symbolisaient au mieux son esprit de camaraderie et sa force de commandement, dans la mesure où il entretenait, comme au basket, « une démarcation affective entre l'équipe des bons, dont il renforce la cohésion, et celle des méchants ou des hypocrites, dont les déboires réjouissent »358(*). Unissant par son vécu le peuple, le chef charismatique s'en voulait également l'expression. Il en était d'ailleurs à la fois le guide, l'interlocuteur et l'acteur. Cette pluralité des charges lui conférait ainsi un statut au dessus de tous dans son parti, voire sur la scène politique péruvienne et latino-américaine, car elle témoignait effectivement de la prétendue efficacité imparable de cet homme qui, parti de rien, réussit à s'imposer d'abord comme leader étudiant, puis comme chef du Front des Travailleurs Manuels et Intellectuels, jusqu'à attiser les foules au simple son de sa voix. Elle légitimait sa capacité à gouverner, à être un Président de la République inoubliable, car son vécu avait été si grand, que le futur ne pouvait être que plus glorieux. Car, Haya de la Torre était non seulement un homme de terrain qui combattit à côté de son peuple, il le représentait aussi par sa qualité de penseur et d'idéologue, d'esprit au service de sa dévotion la plus chère : le peuple péruvien.

La question des usages politiques du passé ne se limite en rien au simple cas de l'APRA. Elle résulte en réalité, de l'un des paradoxes de toute production historiographique, voire du métier d'historien, tant « à vrai dire, tout discours historique est susceptible d'usages politiques, que cela soit fait de son auteur, de ses destinataires ou encore qu'il faille l'attribuer au rapport particulier que les seconds entretiennent avec le premier »359(*). Mais ce qui fonde la spécificité du cas apriste ou plutôt de son usage du passé à des fins politiques, c'est sa capacité à juxtaposer le réel et le discours historique, « comme s'il existait une relation nécessaire entre le texte et la réalité dans laquelle le texte historique représenterait un monde défini et doté de sens »360(*). Cette juxtaposition explique d'ailleurs selon nous, ce qui permit au parti d'instaurer un consensus historiographique autour de ses origines, ce que des publications telles que The politics of Reform in Peru : The Aprista and other Mass parties of Latin America de Hilliker Grantde (1971) ou El movimiento Aprista Peruano de Kantor Harry (1964), s'empressèrent de reprendre, ni voyant pas le poids de cette historiographie à sens unique. L'effort de ce Mémoire était à cette occasion, d'expliciter et de contextualiser l'historiographique apriste afin de mieux saisir les raisons qui ont fait de cette lecture historique, un double mythe populiste. Il visait ainsi à montrer le poids d'une lecture des origines qui, bien qu'entrecoupée, réussit à sacraliser l'APRA en tant qu'institution indépendante des hommes qui la dirigent, et comme symbole collectif de l'unité du peuple péruvien, au point d'en faire une version officielle reprise par tous. Mais surtout, il cherchait à montrer comment progressivement les apristes réussirent à faire d'Haya de la Torre, un objet de culte d'une religion séculière, dont la mémoire demeure encore de nos jours, liée à la lutte sociale pour tous les Péruviens et aux injustices qui l'empêchèrent d`être président. Ce qui finalement avait pour but, d'expliquer les raisons historiques qui firent de l'historiographie apriste, une réussite, au point que les Péruviens cultivent encore l'idée qu'« APRA es Haya y Haya es APRA » (L'APRA, c'est Haya et Haya c'est l'APRA).

Annexes

Annexe n°1

Amauta, Année II, n°9, avril 1927, p.9

Annexe n°2

Ecusson de l'Université de Mexico

Annexe n°3

Marsellaise apriste

Parole : Arturo Sabroso

Musique : Rouget de Lisle

Contra el pasado vergonzante

Nueva doctrina insurge ya

Es ideal realidad liberante

Que ha fundido en crisol la verdad

Tatuaremos con sangre en la historia

Nuestra huella pujante y triunfal

Que dará a los que luchen mañana

Digno ejemplo de acción contra el mal

Peruanos abrazad

La nueva religión

La Alianza Popular conquistará

La ansiada redención

Que viva el APRA compañeros

Viva la Alianza Popular

Militan

Tes puros y sinceros

Jamás desertar

Reafirmemos la fe en el aprismo

Que es deber sin descanso luchar

La amenaza del imperialismo

Que a los pueblos quiere conquistar

Apristas a luchar

Unidos a vencer

Fervor, acción, hasta truinfar

Nuestra revolución

Annexe n°4

Amauta, 1927

BIBLIOGRAPHIE

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« La Unión Latino-Americana», Amauta, Année III, n°11, janvier1928, p.36

b) Revue Socialismo y Participación:

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c) Le Monde

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction................................................................................ p.7

I) La construction journalistique d'une filiation (1926-1929)................... p.17

A) L'émergence d'une contestation journalistique

face à un régime autoritaire (1919-1926).......................................... p.18

1) De l'illusion à l'autoritarisme.......................................................... p.18

a) Les paradoxes d'un système népotique............................................... p.20

b) L'instauration d'un Etat policier...................................................... p.22

2) La montée en puissance de la presse contestataire.................................. p.26

a) Le rôle de la presse dans la Réforme universitaire de 1920........................ p.26

b) De l'expansion à la persécution........................................................ p.30

B) Le temps de la collaboration entre l'Amauta et l'A.P.R.A......................... p.35

1) Une revue politique progressiste....................................................... p.35

a) La recherche d'une régénérescence par la culture....................................... p.36

b) Le renouveau nationaliste............................................................... p.43

2) Le travail de présentation des origines................................................ p.57

a) La défense des signes précurseurs du renouveau....................................p.57

b) La sacralisation de Gónzalez Prada................................................... p.62

II) L'émergence d'une historiographie de « l'âge d'or »...........................p.66

A) Une nécessaire réponse structurée en temps de crise (1969).......................p.69

1) L'A.P.R.A à l'épreuve du Pérou de Velasco.......................................... p.69

a) Une tradition de rapports conflictuels entre l'Armée et l'APRA.................. p.71

b) La réappropriation du programme apriste par le gouvernement militaire......... p.75

2) La prise de distance avec le marxisme péruvien..................................... p.77

a) Le problème du rapprochement par le passé.......................................... p.78

b) Le symbolisme politique de la rupture avec Mariátegui............................ p.81

B) Une restructuration autour de la pureté des origines................................ p.84

1) La mise en valeur des luttes du passé.................................................. p.84

a) La Réforme universitaire péruvienne.................................................. p.85

b) Le leadership dans la lutte contre la dictature de Leguía........................... p.90

2) La sacralisation de Haya de la Torre ................................................. p.95

a) Le culte du héros ........................................................................ p.97

b) La figure du chef ........................................................................ p.101

c) La figure de la victime .................................................................. p.103

III) La consolidation du discours apologétique sur les origines (1975-1981)...p.109

A) L'heure du bilan et du changement ...................................................p.113

1) Le temps de la restructuration dans un pays en crise (1975-1980) ............... p.113

a) Le désengagement politique progressif des forces armées péruviennes ......... p.115

b) La mise en place d'une Assemblée Constituante.................................... p.117

2) La recomposition de la gauche péruvienne .......................................... p.119

a) Le débat autour des origines de la gauche péruvienne ............................. p.120

b) La question de l'expérience réformiste de Velasco ................................. p.123

B) Une sacralisation en guise de charisme objectivé .................................. p.125

1) Le travail de finition de la symbolique populaire apriste .......................... p.125

a) Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A ................................................. p.126

b) La défense de la qualité d'héritier légitime de González Prada .................. p.129

c) Le raffermissement de la culture de la singularité .................................. p.132

2) La recherche d'une assise populaire durable pour la figure d'Haya de la Torre p.135

a) La mythification de la victoire lors de la lutte pour la Journée de Huit heures... p.136

b) Le développement d'une culture du chef intemporel ............................... p.140

Conclusion................................................................................... p.144

Annexes.......................................................................................p.149

Bibliographie................................................................................ p.154

Table des matières..........................................................................p.162

* 1 Le Bart Christian, Le discours politique, Paris, PUF, 1998, coll. « Que sais-je ? », p.5-6

* 2 Revel Jacques Hartog François (sous la dir.), Les usages politiques du passé, Paris, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2001, coll. « Enquête », p.8

* 3 Ibid, p.13

* 4 Haya de la Torre, El anti-imperialismo y el APRA, Obras Completas, Lima, Ed Juan Mejia, 1977.

* 5 En 1945 se produit au Pérou un grand mouvement en faveur de la démocratie et des libertés publiques dont l'expression politique fut le Front Démocratique National. L'APRA, proscrit en 1932 revînt à la légalité en 1945 comme Parti du Peuple. Une très large partie de l'opinion, un vrai Front composée de mouvements politiques, porta José Luis Bustamante-Rivero au pouvoir qui l'emporta lors des élections contre le général Eloy G. Urreta. » Tamayo Herrera José, Nuevo Compendio de Historia del Perú, Lima, Centro de Estudios País y Región, 1995, 352 p.

* 6 « Des élections libres furent célébrées en 1956. Manuel Prado-Ugarteche fut élu grâce au soutien de l'APRA. Un régime nouveau, `'convivencia'', se mit en place. On restitua les libertés démocratiques, on revînt aux institutions de la Constitution de 1933, et on légalisa tous les partis politiques. », Ibid, 357p.

* 7 Nom donné par le journal liménien El Comercio au parti suite à l'assassinat de son directeur Antonio Miró Quesada et de son épouse en 1935, par des militants apristes.

* 8 « Qué es el APRA ? », du nom d'un article signé par le poète communiste Julio Antonio Mella et paru dans la revue Amauta en 1932. (Julio Antonio Mella, « Qué es el APRA ? », Amauta, Année V, n° 32, août-Septembre 1930, p. 24-37

* 9 Girardet Raoul, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, p.13.

* 10 Ibid, p. 207

* 11 « José Carlos était complètement d'accord avec les grandes lignes du Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels. Il prétendait même incorporer tous ce qui n'étaient pas des civilistes ou c'est à dire, des oligarques farouches et fascistes. », Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, Lima, Ed. Villasán, 1969, p.306

* 12 Voir annexes p. 1

* 13 « Le régime de Leguía s'instaura sous le signe d'une véritable trahison à la patrie. Il cherchait à détourner la conscience collective de la pondération de ce crime, par le recours aux plus audacieuses promesses, et à la plus répugante comédie réformatrice. », Belaunde Víctor Andres, La realidad nacional, Lima, Editorial Horizonte, 1991 [1930], p.178-179

* 14 « Les affrontements entre les jeunes et la police, extrêmement fréquents depuis 1923, augmentèrent en 1924, au moment de la succession à la présidence de la République », Basadre Jorge, La vida y la historia, Lima, Sin Edit, 1981, p.254

* 15 Autre nom donné au régime de Leguia pour signifier sa volonté de rompre avec la tradition oligarchique en place qui se manifestait politiquement, socialement, économiquement et culturellement

* 16 L'oligarchie domina la vie politique nationale (1899-1919) grâce à son organe hégémonique le Parti Civiliste. Leguia lui-même arriva au pouvoir en 1908 grâce aux civilistes qui voyait en lui un financier capable de développer une économie nationale très frappée par la crise mondial de 1907.

* 17 « L'Oncenio fut une époque crucial dans l'histoire national au 20ème siècle, car elle permit l'émergence du Pérou moderne et la gestation de mouvements vraiment rénovateurs dans les tripes de la Patria Nueva »,

Tamayo Herrera José, op. cit., 326p.

* 18 Leguía joua un rôle très important à faveur des étudiants péruviens du mouvement de la Réforme universitaire à tel point qu'on le, surnommait « El maestro de la juventud ». Cette union avec les étudiants contribua par ailleurs largement à sa victoire électorale de 1919.

* 19 Tamayo Herrera José, op.cit., p.312.

* 20 « Difficile d'énoncer un jugement sur les élections de 1919, il semble, néanmoins, que, dans le cadre des conventions légales, Leguía obtînt la majorité. », Belaunde Víctor Andres, op. cit., p.178

* 21 « Un des fils du président devînt d'un jour à l'autre grand officier aéronautique. Des proches du chef de l'Etat dirigeaient le Congrès, d'autres étaient haut placés dans les ministères ou dans les hautes fonctions administratives. », Pease Franklin, Historia contemporánea del Perú, Mexico, Fondo De Cultura Económica, 1995, p.167

* 22 Bullick Lucie, Pouvoir militaire et société au Pérou au XIXe et XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p.77

* 23 « La gestion économique de la dictature fut critiqué par beaucoup de mes compagnons d'exil, principalement par les patriotiques campagnes du journal La República [La République], dirigé par Felipe Barreda et Laos. », Belaunde Víctor Andres, op. cit., p.178

* 24 « Dans sa nécessité d'argent, non seulement pour les services de l'Etat, dont les paiements étaient en retard, mais pour satisfaire les appétits de sa famille et à petit feu, ce qui rejoignait la fatal agonie du régime ; le gouvernement, dans le comble de la démence et du crime, pensait attribuer définitivement les réserves pétrolières du Pérou à une entreprise étrangère. », Belaunde Víctor Andres, op. cit., p.197

* 25 « Les centenaires se fêtaient avec un faste byzantin, et en triste contraste avec la misère de notre peuple. Dans des actes de générosités sans pareil, on offrit des palais aux délégations étrangères, afin d'offrir aux anciens propriétaires des prix élevés. Ne suffit le duplication de la rente, on augmenta la dette externe, laissant ainsi à sec le crédit national. », Belaunde Víctor Andres, op. cit., p.196

* 26 Manuel A. Campuñay, Leguía : vida y obra del constructor del Perú, Lima, 1952, p.151

* 27 Basadre Jorge, op. cit., p.255

* 28 Belaunde Víctor Andres, op.cit., p.196

* 29 Sanchez Luis Alberto, Víctor Raúl Haya de la Torre o el político. Crónica de una vida sin tregua, Lima, Enrique Delgado Valenzuela, 1979 [1933], p.86

* 30 Belaunde Víctor Andres, op.cit., p.202

* 31 Valcárcel Luis, Memorias, Lima, IEP, 1981, p.225

* 32 Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op.cit., p.87

* 33 Sanchez Luis Alberto, op.cit., p.87

* 34 Sanchez Luis Alberto, op.cit., p.87

* 35 Minuscule île face au port de Callao, où traditionnellement sont envoyés les prisonniers politiques péruviens.

* 36 Bourricaud François, Pouvoir et société dans le Pérou contemporain, Paris, Armand Colin, 1967, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences Politiques, n°149, p.4

* 37 « Le seul lien qui les unit--outre l'identité provinciale ou des institutions comme le compadrazco--c'est un ensemble d'orientations plus ou moins vagues. Ces individus mobiles, parce qu'ils ont bénéficié de quelque instruction, sont beaucoup plus ouverts à un endoctrinement idéologique que leurs sucesseurs, les paysans indiens, qui viendront par la suite s'entasser dans des barriadas. », Bourricaud François, Ibid.

* 38 « Le 26 juillet 1919, nous lûmes dans le journal La Razón, que dirigeait José Mariategui et César Falcón, un article sur le mauvais état de l'enseignement à l'Université, suivi d'un descriptif des professeurs de première et deuxième année de Lettres. Il coïncidait avec os propres observations. », 39 Basadre Jorge, La vida y la historia op. cit., p.185

* 40 Basadre Jorge, op. cit., p.185

* 41 Basadre Jorge, op. cit., p.185

* 42 « Asistencia libre, cette revendication visait à soustraire l'étudiant du contrôle d'assiduité. A première vue, elle ne soulevait donc qu'une question mineure de discipline. A y regarder de plus près, elle substituait une image nouvelle à l'image de l'étudiant traditionnel. Si le señorito pouvait passer tout son temps à l'Université, c'est qu'il était déchargé des soucis matériels par les libéralités de sa famille. Le cholo débarqué de sa province doit travailler pour subvenir à son entretien ; aussi attend-il de ses professeurs une préparation surtout professionnelle et il est moins sensible que ses prédécesseurs aux beautés de la culture classique. », Bourricaud François, op. cit.

* 43 « Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'à partir des années 1920, le système éducatif--à la fois secondaire et universitaire--touche une population de plus en plus nombreuse et qu'il devient ainsi un des canaux de circulation et de passage les plus efficaces. Du coup, l'Université entre dans une crise dont elle n'est pas sortie. », Bourricaud François, op. cit.

* 44 Basadre Jorge, op. cit., p.185

* 45 Sanchez Luis Alberto, op. cit., 435p.

* 46 « Le mouvement étudiant de la Faculté de Lettres trouva un écho favorable parmi les journaux La Razón et l'Actualidad. Ce soutien s'exprima aussi par des articles où s'exprimaient des sympathies à faveur du docteur Enrique Paz Soldán, comme ceux parus dans la Chronique (Crónica) du 29 juillet ou encore ceux de Ezequiel Pinillos dans la Prensa. », Basadre Jorge, op. cit., p.187

* 47 « Après s'être séparés du journal El Tiempo, Mariategui, Falcón, et Del Aguila fondèrent la Razón, avec l'aide d'Alfredo Piedra Salcedo, cousin de Leguia, et d'autres amis, parmi lesquels Sebastián Llorente, Balthazar Caravedo dans de modestes installations situés rue Pileta de La Merced, à peine à trente mètres du Jirón de la Unión, Ce fut là où naquit la Réforme universitaire péruvienne, ou du moins où, se consolida et s'orienta le mouvement. », Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.299

* 48 « Emprisonné, ce grand écrivain (Luis Fernán Cisneros) fut envoyé à l'île San Lorenzo, comme intégrant d'un plan subversif. », Basadre Jorge, La vida y la historia, op. cit, p.244

* 49 Basadre Jorge, op. cit, p.245

* 50 Les membres de l'oligarchie péruvienne occupaient à l'époque les hautes charges diplomatiques et judiciaires. Ce qui explique assez facilement cette solidarité de classe ou plutôt de famille.

* 51 Basadre Jorge, op. cit,, p.246

* 52 Valcárcel Luis, Memorias, op. cit., p.223

* 53 Valcárcel Luis, op. cit, p.224

* 54 Valcárcel Luis, op. cit, p.224

* 55 Valcárcel Luis, op. cit, p.223

* 56 Valcárcel Luis, op. cit, p.229

* 57 Antenor Orrego de Trujillo, l'historien originaire de Tacna Jorge Basadre, des anciens exilés en Europe comme César Falcón, des artistes comme Camilo Blas et José Sabogal, des intellectuels comme Alberto Ulloa Sotomayor, Enrique Bustamente y Ballivián, Hugo Pesce, Alcides Spelucín, Oquendo de Amat, César A. Rodriguez, ainsi qu'une cinquantaine d'écrivains et d'artistes qui y contribuait.

* 58 --«No hace falta aclarar expresamente que Amauta es una tribuna libre abierta a todos los vientos del espíritu», Mariategui José Carlos, Amauta, Année I, n°3, novembre 1926, p.1.

* 59 Ibid, p.1

* 60 Ibid, p.1.

* 61 « Cette revue rattachera d'abord les nouveaux péruviens aux autres peuples latino-américains, et ensuite aux peuples du monde entier. », Ibid, p.1.

* 62 « Tout l'humain est nôtre », Ibid, p.1.

* 63 Mariategui José Carlos, Ibid, p.1.

* 64 « Il faut être très peu perspicace, pour ne pas se rendre compte qu'il naît actuellement au Pérou, une revue historique », Ibid, p.1.

* 65 Fiesta de la Planta. Nom donné en hommage à l'Arbre de la Liberté de la Révolution Française. La plantation d'un arbre en était le signe distinctif.

* 66 Fondées en 1920 par Víctor Raúl Haya de la Torre, sur le modèle des Universités Populaires créées au moment de l'affaire Dreyfus par un ouvrier libertaire, Georges Deherme.

* 67 Haya de la Torre Víctor Raúl, « Nuestro frente intelectual», Amauta, Année I, n°4, décembre 1926, p.3

* 68 « L'éducation nationale, n'a par conséquent, aucun esprit national : elle a plus un esprit colonial et colonisateur... », Mariátegui José Carlos, Siete ensayos interpretación de la realidad peruana, Lima, Empresa Editora Atahualpa, 1977 [1928], p.106

* 69 « La fiesta de la Planta», Amauta, Année II, n°6, février 1927, p.34

* 70 « Pensons en la responsabilité que suppose mener à bien notre programme de revendication, et de liberté face à l'exploitation. Il ne suffit pas de compromettre la justice à notre lutte, il faut en être le soldat, et tout faire pour que le peuple nous suive derrière nos drapeaux », Ibid, p.35

* 71 Víctor Raúl Haya de la Torre, op. cit., p.4

* 72 « Revendiquez ce qu'il y a dans le Pérou populaire, dans le Pérou des producteurs, dans le Pérou des montagnes oubliées. Revendiquez les écrivains et les artistes provinciaux, victimes de tous le mépris du civilisme national », Víctor Raúl Haya de la Torre, op. cit., p.4

* 73 « L'Amauta publia dans ses dix-sept premiers numéros, tous les communiqués, déclarations, votes, et motions de la section parisienne de l'APRA, aux mains de Luis Heysen et Eudocio Ravines », Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.306

* 74 Orrego Antenor, Cultura universitaria y cultura popular», Amauta, Année III, n°16, juillet 1928, p. 35

* 75 Orrego Antenor, « El gran destino de América. Qué es América?», Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.13-14

* 76 Ibid, p.14

* 77 Elmore Edwin, « La batalla de nuestra generación», Amauta, Année I, n°3, novembre 1926, p.5

* 78 Association politique regroupant les principales figures de la gauche non marxiste latino-américaine qui luttait pour l'instauration d'une nouvelle culture nationaliste à l'échelle du continent.

* 79 Orrego Antenor, op. cit., p.14

* 80 « L'Amérique latine est un noeud. En elle se croise les chemins de toute les races. Elle est la convergence historique de l'Orient et de l'Occident. » Orrego Antenor, op. cit., p.14

* 81 Seoane Manuel, « Nacionalismo verdadero y nacionalismo mentiroso », Amauta, Année I, n°4, décembre 1926, p.19

* 82 Ibid, p.19

* 83 « Je pense que lorsque le monde avancera et disparaîtront alors pour lui un certain régionalisme politique in nécessaire, subsistera encore pour longtemps un certain régionalisme spirituel. », Ibid, p.19

* 84 Ibid., p.20

* 85 Ibid., p.20

* 86 Ibid., p.20

* 87 Hartog François, Revel Jacques (sous la dir.), op.cit., p.206

* 88 « L'oubli, et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la formation d'une nation et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger », Renan Ernest, in Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20., op.cit., p.375

* 89 Renan Ernest, Renan Ernest, Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Editions Mille et une nuits, 1997 [1869], p.31

* 90 Renan Ernest, Ibid, p.31

* 91 « Cela ne surprit personne qu'éclatèrent un 14 juillet 1930, date anniversaire française, d'immense sifflements contre la dictature si bien apparurent à l'écran les Sans Culottes attaquant la Bastille au son belliqueux de la Marseillaise alors que l'on projetait un film allusif à la Révolution au théâtre Exelsior en présence de Leguía. Une étincelle s'était allumée. Un mois après éclata la mutinerie d'Arequipa et chutait le dictateur, alors que demeurait le système » Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20., op.cit., p.376

* 92 La rédaction de l'Amauta en effet publia trois articles sur l'histoire de l'Amérique latine, neuf sur l'histoire du Pérou, trois d'histoire général, quatre sur l'histoire d'Espagne, et pour finir cinq sur l'histoire de la Russie.

* 93 Marx Carlos, « Espartero », Amauta, Année IV, N°24, juin 1929, p.1-9

Trotzky Léon, « Vladimiro Ullich Lenin», Amauta, Année II, n° 9, mai 1929, p.15-20

Sorel Jorge, « Defensa de Lenin », Amauta, Année II, n°9, mai 1929, p.25-27

* 94 « Haya de la Torre qui planifiait depuis le Mexique un mouvement révolutionnaire au nord du Pérou afin de renverser Leguía vit confisquer certaines de ses lettres. Des lettres signées à Berlin qui lui furent attribuées servirent de prétexte à des persécutions contre des apristes de Cusco. Nous étions en 1928, et il existait déjà plusieurs groupes apristes affiliés au mouvement (pas au parti) juvénile continental fondé à Mexico le 7 mai 1924 à Trujillo, Cusco et Lima. » Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.250

* 95 Valcarcel Luis E., «Sumario de Tawantisuyo», Amauta, n°13, p.29-30

* 96 « Extension géographique et apogée politique des confédérations des tribus quechuas. Ses bases furent :une grande vitalité, une colonisation réciproque, une langue officielle, la complémentarité entre une économie centralisé et une économie tribale, le caractère des conquêtes, le tribut. Le travail. », Ibid, p.29

* 97 « Le psychisme primitif étant considéré par définition comme indéracinable, le passé infantile surtout étant admis comme toujours présent dans l'inconscient adulte, toute agression extérieure, toute situation conflictuelle risque de se traduire par un retour, à la limite une fixation névrotique, vers un stade inférieur à la formation de la personnalité. Passé individuel vécu et passé historique reconstitué peuvent ainsi se rejoindre à travers une même quête, une même vision, celle de la lumière perdue du premier bonheur, celle aussi d'une intimité close, d'une assurance paisible depuis longtemps disparues. »

J. Laplanche et J-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967, article « Régression » 

* 98 Garro J. Eugenio,«La Iglesia y el Estado», Amauta, n°19, p. 31-36

* 99 Ibid, p.34

* 100 Ibid, p.36

* 101 Haya de la Torre, Víctor Raúl, « El problema historico de nuestra América », Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.22

* 102 Ibid

* 103 Ibid

* 104 « Je pense que la meilleure méthode pour analyser et comprendre nos phénomènes historiques reste la méthode hégélienne, c'est-à-dire la dialectique », Ibid

* 105 « Plus qu'une tentative de poser une problématique, il obéit à un essai d'étudier la vie politique péruvienne, dans le but de saisir les évolutions et les différents courants qui se manifeste dans l'opinion publique... », Zarate, «El parlamentarismo y el presídencialismo en el Perú», Amauta, n°25, p.28

* 106 Ibid, p.33

* 107 « Le libéralisme péruvien s'est toujours caractérisé par être une application d'évènements étrangers, comme ce fut le cas en 1823 pour toute l'Amérique latine qui fut influencée par les idées libérales anglaises, colorée par le sentimentalisme lyrique et révolutionnaire de Rousseau ou celui des principes sociaux de la révolution française de 1848 qui forma spirituellement les hommes de la Convention progressiste et libérale de 1856... », Ibid, p.32

* 108 « D'autres fois il obéit [le régime présidentiel péruvien] à la forte idéologie d'un seul homme dominé par une immense ambition politique qui pénètre la destinée d'un seul continent, telle qu'elle se manifeste dans la Constitution bolivarienne. », Ibid, p.33

* 109 Le Président Leguiá, élu en 1919, balaya en effet la Constitution libérale de 1920 qui fut approuvée par une Assemblée Constituante qui établissait le mandat présidentiel pour une durée de 5 ans non renouvelable.

* 110 Ibid, p.33

* 111 Haya de la Torre Víctor Raúl, Testimonio y mensaje, Obras Completas, op. cit.

* 112 « Une communauté d'origine, de parenté raciale, d'assemblage historique, de similitudes des coutumes et croyances, d'unité linguistique, d'assujettissement à un même gouvernement.

Il est donc indispensable que les peuples régis par les mêmes institutions se sentent unis par des forces morales que naissent de la communion de la vie civile. », Ingenieros José, « Terruño, Patria, Humanidad», Amauta, Année I, n°2, octobre 1926, p.18

* 113 « Mais si l'internationalisme absolu est inconscient et fictif, il en existe un autre qui possède des causes palpables et immédiates, et celui peut devenir réalité. C'est à cette catégorie qu'appartient le mouvement--si prodigalement baptisé--qui doit unir, en amplifiant la conception bolivarienne, les nations d'Amérique centrale et du sud, ce qui est en réalité, un mouvement de nationalisme continental comme le baptisèrent ses inspirateurs argentins », Seoane Manuel A, op. cit, p.20

* 114 Cox Carlos Manuel, « Revolución y peruanidad», Amauta, Année II, n°8, avril 1927, p.26

* 115 Ibid, p.26

* 116 Ibid, p.26

* 117 « Les luttes en Chine, en Egypte, au Maroc, de tous les peuples opprimées, sont des luttes nationalistes compatibles, même si cela paraît paradoxal, avec l'idée de civilisation oecuménique universelle. », Ibid, p.26

* 118 Haya de la Torre fut son secrétaire durant six mois en Suisse durant ses années d'exil (1923-1930). Les deux hommes entretinrent par la suite une correspondance politique.

* 119 Roland Romain, « Al comité de la A.P.R.A», Amauta, Année II, n°6, février 1927, p.4

* 120 Ibid, p.4

* 121 « el apostol »

* 122 Orrego Antenor, op. cit., p.14

* 123 Giradet Raoul, op. cit., p.105

* 124 Orrego Antenor, op. cit., p.14

* 125 Haya de la Torre, « Nuestro frente intelectual», Amauta, Année I, n°4, décembre 1926, p.3

* 126 Girardet Raoul, op. cit., p.133

* 127 Rafael Ramos Pedrezuela, « La revolución mexicana frente a yanquilandia », Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.34

* 128 « Venant du nord de notre frontière, le vautour impérialiste s'avance avec une vibrante voracité. Dans nos ciels bleus, sous le soleil qui illumine l'Anáhuac, s'élève glorieusement l'aigle mexicain qui bat des grands coups d'ailes avec les pupilles fixes malgré le rayonnement du soleil, détruisant entre ses griffes le serpent de toutes les tyrannies. », Ibid, p.35

* 129 Ravines Eudocio, « El Termidor méxicano», Amauta, Année IV, n°23, 1929, p.78

* 130 Ibid, p.78

* 131 « Mexico offrit au prolétariat latino-américaine un précieux enseignement, une expérience typique qui ne peut être qualifiée d'étrangère, ni peut être accusée d'apporter le sceau de l'importation. », Ibid, p.79

* 132 Cosco Montaldo Oscar, « Defensa de la revolución », Amauta, Année III, n°18, octobre 1928, p.87

* 133 Voir annexes p.2

* 134 Orrego Antenor, « Prada, «hito de juvenilidad en el Perú», Amauta, Année III, n°16, juillet 1928, p.1

* 135 González Prada Manuel, Páginas libres/Horas de lucha, Caracas, Biblioteca Ayacucho, 1976

* 136 Bourricaud François, op. cit.

* 137 Haya de la Torre, Obras Completas, op. cit., p.34

* 138 Haya de la Torre, Obras Completas, op. cit., p.34

* 139 Neira Hugo, « Relire aujourd'hui Haya de la Torre. De l'identité culturelle à l'identité politique », Caravelle, 1983, p.97-104

* 140 Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.8

* 141 Balandier Georges, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, coll. « Fondements », p.151

* 142 Ibid, p.157

* 143 Dorna Alexandre, Le leader charismatique, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p.71

* 144 Ibid, p.26

* 145 Velasco Alvarado, Message à la Nation comme motif du 148ème anniversaire de l'Indépendance National (28 juillet 1969), La Revolución peruana, Argentine, Eudeba, 1973, p.21

* 146 Ibid, p.21

* 147 Ibid, p.55

* 148 Ibid, p.55

* 149 « Tout ceci et plus encore, a été réalisée en à peine un an de gestion du gouvernement. Il y en a qui disent que le pouvoir de la propagande est grand. C'est possible que ce le soit. Mais aucune propagande ne peut gommer l'appréhension de tous les Péruviens, de la conviction que ce gouvernement est entrain de réaliser des choses qu'aucun gouvernement n'avait jamais encore fait. », Ibid, p.58

* 150 Chavez Jorge, Reflexiones sobre el CAEM : objetivo, política y estrategia, CAEM, Lima, 1974.

* 151 Velasco Alvarado Juan, Message à la nation pour motif de la promulgation de la Loi de Réforme Agraire (24 juin 1969), op. cit., p.7

* 152 Le directeur du CAEM, le général Pardo, exprimait déjà en 1959, cette nécessité d'agir au niveau politique contre la pauvreté et le problème de la répartition de la terre : « Il n'est pas possible--affirmait-il--de poser les problèmes de défense nationale séparément de ceux du développement économique et social de la nation», Vayssière Pierre, op. cit., p. 210

* 153 Sulmont Denis, El movimiento obrero en el Perú, 1900-1956, Lima, PUC, Fondo Editorial, 1975, p.127

* 154 Bullick Lucie, op.cit., p. 93

* 155 « Le général se porte une fois de plus à la rescousse de l'oligarchie, au nom de l'harmonie de la famille péruvienne. », Message du général O.R. Benavides, in Jorge Basadre, Historia de la República del Perú, 1822-1933, t.XIV, p.408

* 156 « Dans l'armée de terre, les conscrits sont à 95% des gens de la sierra...analphabètes, célibataires, et sans responsabilité familiale, qui manquent de sensibilité sociale et de conscience civique....En revanche, les unités blindés, emploient un personnel relativement qualifié. En ce qui concerne la flotte, les engagés, qui représentent 50% de l'effectifs, sont d'authentiques professionnels, venant pour la plus part de la côte, qui souffrent toutes les pénuries des gens pauvres...En outre, ils ont des contacts avec les civils et s'intéressent aux questions qui les concernent directement. Ils sont donc accessibles à la propagande politique. C'est parmi ces soldats-ouvriers que l'Apra a recruté le plus grand nombre d'adhérents. Mais les officiers de l'armée de terre, les officiers de la police et de la gendarmerie sont en général des gens d'origine modeste : sur eux, les mots d'ordre de l'Apra sont efficaces », Villanueva Valencia Victor, El Apra y el ejército, 1940-1950, Lima, Editorial Horizonte, 1977.

* 157 Message présidentiel, 8 déc. 1936, Archives diplomatiques, 28 déc. 1936, in Bullick Lucie, op.cit., p.95

* 158 Cotler Julio, « Crisis política y populismo militar », in F.Fuenzalida Vollmer (éd), Perú Hoy, Mexico, 1975, p.87-174

* 159 Archives diplomatiques, 3 mai 1937, In Lucie Bullick, op. cit., p. 96

* 160 Macera Pablo, Vision historica del Peru, Lima, Ed. Milla Bastres, 1978, p.258

* 161 Luis Heysen, in Arico José, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.19

* 162 Carlos Manuel Cox, in Arico José, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.19

* 163 « La figure et la conduite de l'auteur du Comte de Lemos avait crée une école. Mariátegui s'y intégra avec ferveur. En peu de temps, il en devînt le principal prêtre. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.182

* 164 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.197

* 165 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.198

* 166 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.318

* 167 « A ce moment se murmurait que tous les deux avait été acheté. La chose fit son chemin. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.302

* 168 « Haya de la Torre compromit Arturo Sabroso, Conde, Nalvarete, Posada, Rios, et à tous les leaders ouviers sous son influence directe, pour qu'ils accordent un affidavit temporel à Mariategui. Ce fut le début de l'activité sociale et socialiste de Mariátegui. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.302

* 169 « La planification d'Amauta se fit dans les lignes directrices du le Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels, lancé par Haya de la Torre et l'APRA. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.306

* 170« Victor Raúl est en ce moment en Russie, il va certainement nous apporter des choses nouvelles », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.304

* 171 «...Cette opération [l'invasion du Pérou par le nord du pays] échoua à cause de la négative au projet de la part du groupe de l'Amauta autour de Mariategui, tout comme l'intervention de la diplomatie américaine présente à Pánama et lié à Leguía », Luis Alberto Sanchez, op. cit.,

* 172 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.319

* 173 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.319

* 174 «...l'histoire idéologique de l'auteur de Siete Ensayos suvait le rythme de ses problèmes physiques... », Seoane, in Luis Alberto Sanchez, op. cit.

* 175 Girardet Raoul, op. cit., p.105

* 176 Girardet Raoul, op. cit., p.98

* 177 « Nous entrâmes en scène, suite au cri de Cordoba lancé le 15 juin 1918, pour liquider le statut feudal de l'Université », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 178 Girardet Raoul, op. cit., p.127

* 179 « Je connus `'Manolo'' (Manuel Seoane) en 1917, en entrant à San Marcos. Il était inscrit en Faculté de Sciences, car il voulait devenir médecin. L'année suivante, il changea d'opinion, et se changea à Lettres. L'année qui suivit, nous vus comme en première ligne de la Réforme Universitaire. On participait tous les deux au Comité pour la Réforme de Lettres que présidait Jorge Guillermo Leguia, et qui avait pour secrétaires Ricardo Vegas, et lui. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 180 « Nous étions dans la première moitié de 1918. Porras habitait les hauteurs de la rue Mariquitas (troisième bloc du Jirón Moquegua). Nous nous réunissions, Jorge Guillermo Leguía, Guillermo Luna Cartland, Pablo Abril de Vivero, José Luis Llosa Belaunde (qui était à l'époque fiancé d'une des soeurs de Porras, avec laquelle il se maria après), Carlos Moreyra, José Quesada Larrea, Manuel Abastos, Víctor Raúl Haya de la Torre, Riacardo Vargas García y Jorge Basadre. On lisait des chapitres entiers de divers livres, mais aussi des articles et des commentaires. On échangeait également des opinions, des informations, et des rumeurs.», Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 181 « Ce fut autour de Porras et de sa maison, que nous consolidâmes notre amitié, Victor Raúl et moi. Nous séparés les intérêts intellectuels, mais nous rapprochés l'enthousiasme pour la culture et le sport.. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 182 « Raúl Porras, Jorge Guillermo Leguía, Victor Raúl Haya de la Torre, Ricardo Vegas García, Guillermo Luna Cartland, Carlos Moreyra Paz Soldán, José Quesada, José Luis Llosa Belaunde, Jorge Basadre, Luis Alberto Sanchez », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 183 Démarrée au temps du gouvernement de Piérola, le Pérou connaissait en effet au début du 20ème siècle une sensible pénétration de cette culture, et en particulier des idées véhiculées par la Révolution française : Luis Alberto Sanchez les présentait même comme l'un des vecteurs de socialisation politique contre Leguía, si ce n'est l'un des symboles universels de la lutte des opprimés contre le despotisme : « Cela ne surprit personne qu'éclatèrent un 14 juillet 1930, date anniversaire française, d'immense sifflements contre la dictature si bien apparurent à l'écran les Sans Culottes attaquant la Bastille au son belliqueux de la Marseillaise alors que l'on projetait un film allusif à la Révolution au théâtre Exelsior en présence de Leguía. Une étincelle s'était allumée. Un mois après éclata la mutinerie d'Arequipa et chutait le dictateur, alors que demeurait le système » Sanchez Luis Alberto, op. cit., p.376

* 184 « L'oubli, et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la formation d'une nation et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger », Sanchez Luis Alberto, op. cit, p.375

* 185 « L'Université correspondait exactement à la mentalité et à la réalité économique de ce temps. Elle était une Université de nature coloniale avec des docteurs en toges et en costumes, fermés face dans leur conception de la vie. L'Université civiliste exigeait des étudiants, une adhésion aveugle et un respect soumis. Le civilisme avait plasmifié son type d'université », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 186« Les aristocrates et leur clientèle la plus dépendante gagnaient presque toujours tous les prix. Les directeurs, loin de favoriser les étudiants pauvres, gratifiaient les étudiants les plus riches. Ceci s'expliquait par le fait, que selon les autorités compétentes, `'l'Université est le patrimoine des minorités appelées à diriger la destinée nationale», Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 187 « On bénéficiait de deux forces alliées : la capacité captatrice et organisationnelle de Haya de la Torre, et l'agressivité mordante de Raúl Porras Barrenechea. Sans eux, la Réforme n'aurait jamais été possible. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 188 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 189 « Dans ce registre d'influence affective, l'attitude charismatique (l'enthousiasme, l'énergie, l'attirance) apporte aux masses une révélation politique : les portes de l'histoire ne s'ouvrent pas sans un grand vacarme et une dose admirable d'audace. », Dorna Alexandre, op. cit., p.27

* 190 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 191 Dorna Alexandre, op. cit., p.28

* 192 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 193 « Comme épisode de l'affrontement, il y eut des duels au pistolet et au sable entre les membres de la Fédération des Etudiants et le Comité de la Réforme », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 194 « Je perdis l'année universitaire de 1921 à cause de la fermeture de San Marcos imposée par les directeurs civilistes », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 195 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 196 « Le nouveau gouvernement, celui de Leguia, promulgua les lois 4002 et 4004, qui répondait à toutes nos exigences », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 197 De la Torre Carlos, In Alvarez Junco José et Gónzalez Leandri comp, El populismo en España y América, Madrid, Catriel, 1994, Coll. «Ensayo», p. 51

* 198 Ibid, p. 48

* 199 Ibid, p.49

* 200 « Leguia était habitué à un turbulent jeu d'adulations et de prodigalités, et surtout à recevoir le surnom de Huiracocha, c'est à dire Dieu. C'est comme ça que l'appelait sa clientèle, et même l'ambassadeur des Etats-Unis, le riche journaliste et jovial nord-américain Moore, qui le compara même à Périclès et à Bolivar. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 201 « L'autorité, et par extension le pouvoir, ne peut se comprendre que dans une interrelation concrète entre individus agissant dans des situations historiques précises, et pas seulement motivées par la calcul et l'intérêt rationnel. », Dorna Alexandre, op. cit., p.20-21.

* 202 Girardet Raoul, op. cit., p.55

* 203 « En 1928, Leguia leva la prohibition des courses de chiens, dans le but de favoriser l'un de ses neveu, Alberto Ayulo, qui venait d'ouvrir une affaire ou `'Kennel Park'', Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 204 « Un des cousins du Président, don Alfredo Piedra Salcedo, exerça durant plus d'une décennie, une influence décisive parmi les jeunes officiers », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 205 « Vers 1927 ou 1928, arriva à Lima, le général allemand William Fauppel, en provenance d'Argentine et de Bolivie. Fauppel fut nommé Inspecteur Général de l'Armée Péruvienne. Suite à l'arrestation de l'insubordonné comandant Lega, on organisa un cocktail très concouru au Palais Concert en son honneur. On y proclama de très virulents discours contre Inspecteur Général de l'Armée. Celui-ci alla voir le Président, et démissionna. Leguia n'accepta pas sa démission, sans avoir préalablement envoyé son fils, le commandant Leguia, hors du pays, dans un espèce d'exil doré », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 206 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 207 « Un jour, on lui organisa un hommage dans le Lawn Tennis. A la sortie, certains de ses amis les plus enthousiastes, parmi lesquels un médecin très connu qui devînt député de Chincha, voulurent se substituer aux chevaux qui tiraient le carrosse présidentiel : un gravure des pages de Histoire de la République de Basadre vient perpétuer ce fait. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 208 « Lors de l'inauguration de son troisième mandat à la tête de l'Etat, le Comercio et la Banque offrirent à Leguia un banquet au Thêatre Forero ; les menus étaient en or et en argent, la table d'honneur en hauteur, et les invités étaient debout. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 209 « Aucun autre président ne reçut autant de distinctions que Leguia. Il reçut à peu près, le grade numéro 33 de l'Ordre Maçonnique, et la Grande Croix de l'ordre du Christ envoyé par le pape. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 210 L'idée est prise ici au sens où l'entend Georges Balandier, c'est à dire que « tout univers politique est une scène ou plus généralement, un lieu dramatique, où sont produits des effets », Balandier Georges, op. cit., p.111

* 211 Balandier Georges, op. cit., p.108

* 212 « Jamais Leguia, homme adulé et populaire, n'avait senti le poids d'une opposition, aussi petite et hostile à la fois, que lorsqu'il entra au Salon Général de San Marcos en 1928. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 213 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 214 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 215 Balandier Georges, op. cit., p.16

* 216 « Un moment charismatique représente le moment où la levée de l'angoisse se réalise », Dorna Alexandre, op. cit., p.9

* 217 Dorna Alexandre, op. cit., p.74

* 218 Dorna Alexandre, op. cit., p.76

* 219 Girardet Raoul, , op. cit., p.95

* 220 Dorna Alexandre, op. cit., p.28

* 221 Martin Arranz, In Alvarez Junco, op. cit., p.45

* 222 Sanchez Luis Alberto, op., cit. , p.45

* 223 Sanchez Luis Alberto, op., cit. , p.45

* 224 « Dans leurs jours de divertissement, Vîctor Raúl et Cucho partaient en excursion avec leur cousin Macedonio, et Gónzalez Obergoso. Ils escaladaient des collines, jouaient à revivre des scènes incaïques, revisitant l'histoire du Pérou. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 225 « Le groupe se consacrait à l'élevage de ver de terre et d'abeilles. Ils observaient comment les ruches formaient des républiques ordonnées et discrètes, et comment les vers terre manifestaient des formes d'abnégation et de travail incroyables. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 226 Sanchez Luis Alberto, op. cit.,

* 227 Nous étions en septembre 1908. Les élèves du Séminaire de Trujillo réalisaient une excursion. A quatre heures de l'après-midi, Victor Raúl demanda la permission pour rentrer en ville.

--Pourquoi es-tu si pressé ?--l'interrogea son professeur français, P.Biand

--Car les nouvelles du changement de gouvernement doivent être arrivées de Lima

--Et toi, qu'as-tu à voir avec la politique, petit.

--Oh !--répondit Víctor Raúl--moi je m'interesse beaucoup à la politique.

--Ce garçon fera parler de lui--commenta Briand, regardant le petit Haya de la Torre alors âgé de treize ans. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 228 « Sa figure haute et menue se fit incontournable dans les amphithéâtre de San Marcos. Il était un dynamo en marche. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 229 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 230 « Macedonio était fatigué comme d'habitude, avant tout le monde, car il était maigre et fragile. Victor Raúl et les Gónzalez Orbergoso rivalisaient au contraire en athlétisme. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 231 « Quant il riait, il montrait des dents de travers, tous révoltés les en contre les autres pour obtenir la meilleure place : dentaire exemple d'un mouvement social en marche », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 232 Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 233 « Haya de la Torre était le neveu de don Agustín de la Torre-Gónzalez, le vice-président de Leguía durant son gouvernement de 1908 à 1912, et de don Agustín Ganoza, le vice-président en office durant celui de 1919 à 1923. Par conséquent, il disposait des moyens pour profiter des avantages et des cadeaux, ce qu'il ne fit jamais. Son refus de toutes ces faveurs ne faisait aucun doute. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 234 Luc Ferry, Le Point du 28 février 1998

* 235 Dorna Alexandre, op. cit., p.32

* 236 « `'--Je ne serai pas un simple huissier, mais un avocat. Je défendrai les causes justes.''

`'--Alors tu mourras de faim--rumina Agustín''

`' -- Cela peu importe, mais je ne serai pas un petit huissier'' », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 237 « Les discussions avec les ouvriers lui ouvrirent de nouveaux horizons. Des braves travailleurs de Cartavio, de Laredo, de Chiclín, évoquaient les injustices patronales. Chacun avait une offense subie à partager. », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 238 « A Trujillo, Víctor Raúl entra à l'Université de la Libertad. Dans son désir de réunion et de coopération, il créa le Centre Universitaire, qui l'élut d'abord comme secrétaire, puis comme vice-président », Sanchez Luis Alberto, op. cit.

* 239 Alvarez Junco, op. cit.

* 240 Arturo Sabroso, La Marseillaise apriste, Hymne officiel de l'APRA. Voir annexe, p.3

* 241 Sanchez Luis Alberto, op. cit., p.317

* 242 « Lorsque le Comercio de Lima, laissant de côté son animosité avec Leguia, applaudit chaleureusement les mesures répressive contre les étudiants et les ouvriers dans leur majorité proches des Universités Populaires, Haya de la Torre répondit par une violente lettre de protestation et de dénonciation, qu'il adressa à Joaquin García Monje, qui la publia dans son inoubliable et autorisée revue Repertorio Americano (1927). Les termes de cette missive étaient dédiés à la famille Miró Quesada. Ces derniers, Sanchez Luis Alberto, op. cit., p.317-318

* 243 « Le journal exproprié à la famille Durand, reproduisait chaque communiqué de Haya en le faussant, alors que le Comercio ne les publiait pas, mais couvrait son auteur d'injures. », Sanchez Luis Alberto, op.cit., p.317-318

* 244 Sanchez Luis Alberto, op.cit., p.318

* 245 Alvarez Junco, op. cit., p.21

* 246 Dorna Alexandre, op. cit., p.27

* 247 Ce caractère n'est pas sans rappeler l'hégélianisme de Haya de la Torre dans « El problema histórico de nuestra América» (Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.21-23

* 248  Dorna Alexandre, op. cit., p.27

* 249  Dorna Alexandre, op. cit., p.27

* 250 « Dans ces pages nous nous proposons d'éclaircir les relations existantes entre les deux institutions politiques nationales [l'APRA et l'armée] les plus importantes de ce présent siècle. Nous prétendons détruire quelques-uns des mythes existants qui, au fil du temps, se sont consolidés jusqu'à s'introduire dans la société, au point que certains qui souhaitaient faire de l'histoire, honnêtement peut-être, mais sans étudier suffisamment les faits, élèvent en vérité historique de simples versions populaires, dont la majorité sont inspirées par des nécessités partisanes. », Villanueva Villanueva Victor, El Apra en busca del poder 1930-1940, Editorial Horizonte, 1975, p.7

* 251 « Nous voulons démontrer en outre, que l'agressivité et l'esprit belliqueux que montra l'APRA, à peine proclamée la victoire de Sanchez Cerro en 1931, ne furent pas le fruit de la véhémence de Haya de la Torre pour arriver au pouvoir, comme on le dit généralement. », Ibid, p.7

* 252 Haya de la Torre Víctor Raúl, Testimonio y mensaje, Obras Completas, Lima, Ed Juan Mejia, 1977, p.15

* 253 Nous la génération de Víctor Raúl, qui est aussi la mienne avec l'espérance au coeur,. », Germán Arciniegas, Recuerdos en torno a Víctor Raúl, (Rome, octobre 1976), In Haya de la Torre, Ibid., p.17

* 254 Ibid

* 255 «... l'histoire contemporaine de l'Amérique latine commence avec Haya de la Torre », Goodwin Richard, `'Our Stake in a Big Awakening'', Life, Ed. norteamericana, Vol.62, n°15, 14 avril 1967, In Murillo Percy, Historia del APRA 1919-1945, Lima, Editor: Enrique Delgado, 1976, p.5

* 256 Ibid, p.5

* 257 Ibid, p.9

* 258 Ibid, p.10

* 259 « Ce fut considéré comme si nouveau dans le monde, qu'il n'y eût ni revues, ni livres, ni conférence où l'on ne mit le doigt sur le fait qu'il s'agissait d'une nouvelle solution pour les problèmes dans le monde », Arciniegas Germán, In Haya de la Torre Víctor Raúl, op. cit., p. 19

* 260 Hermet emprunte ce concept à Max Weber, pour qui il signifiait la formation d'espaces sociaux et idéologiques exclusifs, séparés du reste de la société, et accueillant en son sein, des membres, sans discrimination aucune. Hermet Guy, Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique XIXe-XXe siècle, Paris, Fayard, coll. « L'espace du politique », p.61

* 261 Weber Max, Le savant et le politique, Paris, 10/18, 2002, coll. « bibliothèques 10/18 », 186p.

* 262 Girardet Raoul, op. cit., p. 181

* 263 www. Apra.org.pe /victorraul.asp

* 264 « Le 3 octobre, nous avons fêté le 10ème anniversaire du début du processus révolutionnaire mené par le Général Velasco Alvarado et interrompu le 29 août 1975 par une action de Morales Bermúdez et des hauts gradés des Forces Armées », Editorial, Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.5

* 265 Système National d'Appui à la Mobilisation Sociale

* 266 Velasco Alvarado, Message à la Nation comme motif du 151ème anniversaire de l'Indépendance nationale (28 juillet 1972), op.cit., p.231

* 267 Le président péruvien Morales Bermúdez expliquait dans un article du monde d'avril 1979, que l'usure du pouvoir était quelque chose de beaucoup plus pesant pour les forces armées que pour les civils, « Un entretien avec le président du Pérou », Le Monde, 13 avril 1979

* 268 « Nous sommes conscients que ce qui est en jeu, n'est rien d'autre que le signe et l'orientation de l'histoire future du Pérou. Notre dépendance, notre sous-développement, notre pauvreté et notre retard sont le fruit d'un système économique, politique et social, dont le maintien rend logiquement impossible tout effort pour dépasser les maux profonds du Pérou. Voilà pourquoi, le gouvernement des forces armées sait que remplir le compromis qu'elles ont scellé avec le pays, représente nécessairement, l'abandon définitif d'un système socio-économique en place jusqu'au 3 octobre 1968. Seulement comme ça, il sera possible d'asseoir les bases d'un nouvel ordre social que la révolution se propose de construire. », Velasco Alvarado Juan, Message à la Nation pour motif du 149ème anniversaire de l'Indépendance (28 juillet 1970), op. cit., p.93-94

* 269 « Et de tous les péchés commis contre le Pérou et son peuple, aucun n'est aussi douloureux ni aussi opprobre que celui de servir les intérêts d'une entreprise étrangère. Nous n'accusons pas les institutions. Nous accusons les hommes qui les dirigèrent. Nous n'accusons pas les partis politiques, ni ses militants. Nous accusons les dirigeants qui sont les vrais responsables. Ils eurent les rênes de l'Etat, et ils en furent responsables. La révolution mit fin à cette honteuse situation, qui humilia notre patrie », Velasco Alvarado, Discours lors du premier anniversaire de la Journée de la Dignité National (Talara, 9 octobre 1969), op. cit., p. 77

* 270 « La nouvelle loi établit, en premier lieu, le contrôle étatique de l'industrie de base comme une priorité, assurant la fonction directrice de l'Etat dans le processus d'industrialisation du pays. », Velasco Alvarado Juan, Message à la Nation pour motif du 149ème anniversaire de l'Indépendance (28 juillet 1970), op. cit., p.120

* 271 P.W. Zagorski, Democracy vs National Security : Civil-Military Relations in Latin America, Boulder (Col.), Lynne Rienner, 1992, Chap 2, In Lucie Bullick, op. cit., p. 258

* 272 Lucie Bullick, op. cit., p. 258

* 273 Pease Garcia Henry et Filomeno Alfredo (éd.), Perú 1977. Cronología Política, t.VI, Lima, Desco, 1979, p.2778

* 274 « En présence de nouvelles conditions, il est nécessaire de préserver le legs révolutionnaire, et affronter unis l'historique devoir de construire dans notre patrie, une société socialiste vraiment indépendante et national, une démocratie participative basée sur la propriété sociale et la participation directe de notre peuple au pouvoir politique. Aujourd'hui comme hier, il est nécessaire de faire une effort pour unir les hommes et les organisations populaires ; pour accroître la confiance dans la capacité à affronter de nouveaux problèmes ; de diffuser la foi et conforter la conviction dans nos possibilités de forger la société que la révolution se promit d'instaurer au Pérou. Avec la ferme espérance que Socialismo y Participación contribue à de tels objectifs, il me plaît de vous exprimer mes plus affectueuses salutations. », Velasco Alvarado d'octobre 1977, « El legado de Velasco », Socialismo y Participación., p.11

* 275 Regis Debray, Socialismo y Participación, n°4, septembre 1978.

* 276 « Il [Lénine] distinguait nettement deux fonctions différentes dans la propagande, portées par deux types d'agents : le propagandiste, qui touche beaucoup moins de personnes (des centaines dit-il), parce que, selon nous, c'est celui qui tâche de persuader, à gagner des futurs militants, et l'agitateur, qui a affaire à des dizaines de mille, qui doit chercher les mettre en mouvement (c'est selon, nous, la propagande émotive), en les sensibilisant et entraînant. Ainsi se créent des milliers de canaux, par lesquels se répandent facilement les mots d'ordre, lancés par les centres, si ces mots d'ordre correspondent aux besoins aigus d'une classe et d'une époque... », Tchakhotine Serge, Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952, p.334

* 277 Ibid, p.334

* 278 Arico José, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.33

* 279 « On peut parler avec propriété d'une véritable `'redécouverte de l'Amérique'', d'une annonce dans le processus de recherche d'une identité nationale et continentale à partir de la reconnaissance, de la compréhension, et de l'adhésion aux luttes des classes populaires. », Ibid., p.27

* 280 « En refusant de le considérer comme un « sujet national », Mariategui rompit avec une tradition solidement consolidée. Indexant le problème indigène sur le problème de la terre, c'est-à-dire sur le problème des rapports de production, Mariategui trouva dans les structures agraires, les raisons du retard de la nation et de l'exclusion de la vie culturelle et politique des masses indigènes. », Ibid, p.29

* 281 « Ne forment pas partie du vrai Pérou, les regroupements de créoles et de blancs qui habitent la frange de terre entre les Andes et le Pacifique ; la nation est formée par les populations indiennes disséminées dans la bande orientale de la Cordillère. Lorsque nous un peuple sans esprit de servitude, et des hommes politiques à la hauteur de ce siècle, nous récupérerons Arica et Tacna, et alors, et seulement alors, nous marcherons sur Iquique et Tarapaca, et donnerons le coup décisif, le premier et le dernier. », Manuel González Prada, Páginas libres/Horas de lucha, Caracas, Biblioteca Ayacucho, p.44

« A l'indien, il ne faut pas lui inculquer l'humilité et la résignation, mais l'orgueil et la révolte. Qu'a-t-il gagné avec trois cents ou quatre cents de conformité et de patience ? L'indien ne se lèvera que grâce à son amour propre, et non par l'humanisation de ses oppresseurs. Tout blanc est, à peu près un Pizarro, un Valverde ou un Areche », Ibid, p.45-46

* 282 Lauer et al., El Reformismo Burgués. (1968-1976), Lima, Mosca Azul editores, 1978, p.13

* 283 « Avoir maintenu avec le glaive des positions si discrépentes...ne contribua en rien à la lutte du peuple pour sa libération ni pour la prise de conscience parmi les travailleurs que cette lutte reste sans aucun doute, la chose la plus importante. », Ibid, p.74

* 284 « Curieusement le gouvernement de Velasco serait en sorte un régime réformiste bourgeois sans bourgeois au gouvernement et sans une classe social bourgeoise. Avec un discours politique, un langage et des manières qui ne correspondent en rien à la bourgeoisie. Et qui cherchait appui dans les secteurs populaires », Béjar Hector, «Velasco: reformismo burgués?», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.77

* 285 Vaneck Jaroslav, Reinert Erick, `'La tercera vía del presidente Velasco : una estratagia para el cambio'', Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.61

* 286 « N'est-ce pas l'année 1968 qui était caractérisée par le grand accord entre les partisans de Belaunde, l'APRA, et ceux de Odría sur le terrain politique, et les magnats de la pêche, les banquiers et les compagnies impérialistes sur le terrain économique ? », Béjar Héctor, In op. cit., p.81

* 287 Arciniegas Germán, In Haya de la Torre Víctor Raúl, Obras Completas, op. cit., p. 19

* 288 Ansart Pierre, La gestion des passions politiques, Lausanne, Age de l'Homme, 1983, coll. « Pratiques des sciences de l'homme », p.109

* 289 Hermet Guy, op. cit., p.206

* 290 « La Réforme Universitaire est née en Argentine, mais elle possède un caractère légitimement latino-américain. Des pays où l'augmentation de la population ne s'est produite de manière aussi rapide qu'en Argentine; où l'immigration est élémentaire, et où l'irigoyénisme ne peut contenir la portée ; ont aussi des champs de bataille, des centres d'action, et des piliers des conquêtes de ce mouvement », Haya de la Torre, `'La Reforma Universitaria'', Obras Completas, op.cit., p.205

* 291 « Nous étions tous des camarades : on se tenait main dans la main, et on projetait une internationale latino-américaine, ce qui fut la base de la fondation de l'APRA », Arciniegas Germán, In Haya de la Torre, op. cit., p.19

* 292 « Marx et le marxisme étaient très peu connus par notre génération protagoniste de la Réforme universitaire entamée en 1918 à l'Université de Córdoba. », Haya de la Torre, `'La Reforma Universitaria y la realidad social'', Obras Completas, op.cit., p.125

* 293 « Elle marque le début de la fin du médiévisme intellectuel. Il n'aurait été point erroné d'affirmer que les universités étaient les vice-royautés d'un esprit vaincu par le mouvement libertaire de la jeunesse. », Ibid., p.126

* 294 « D'elles surgirent des hommes qui rejoignirent la droite comme la gauche. Au Chili, à Cuba, comme en Argentine et au Pérou, la Réforme est le baptême de sang de beaucoup de leaders révolutionnaires, sauf dans les cas, où se fut le début des hommes qui prirent des postures de néo-chevaliers réactionnaires. », Haya de la Torre, `'La Reforma Universitaria'', op.cit., p.210

* 295 Del Mazo Gabriel, La reforma universitaria : Documentos relativos a la propagación del movimiento en América Latina, 1918-1927, Buenos-Aires : Ferrari-Bme Mitre, 1927, 460p.

* 296 Haya de la Torre, «La Reforma Universitaria y la realidad social », op.cit., p.126

* 297 Haya de la Torre, «La Reforma Universitaria y la realidad social », op.cit., p.126

* 298 Haya de la Torre, `'La Reforma Universitaria'', op.cit., p.214

* 299 In Murillo Percy, Historia del APRA 1919-1945, op.cit., p.18

* 300 « La Révolution mexicaine n'est pas une révolution socialiste, mais tout comme les étudiants réformistes, la manifestation du droit sacré à l'insurrection (droit sacré la révolte) », Haya de la Torre, op. cit.

* 301 «...la première tentative sociale autonome et guidée par les masses populaires dans une aguerrie lutte pour une seconde indépendance qui un jour s'étendra et aura lieu, lorsque nous réussirons notre intégration continentale. », Haya de la Torre, op. cit

* 302 «...cette révolution a au moins un rare mérite : elle fut mexicaine. Elle ne copia aucun pays. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.18

* 303 « Durant de nombreuses années, l'aprisme défendit solitairement le legs révolutionnaire de Gónzalez Prada aux nouvelles générations. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.26

* 304 « On a publié de nombreuses études sur sa pensée philosophique, et on lui a reconnu un place prépondérante dans la littérature péruvienne. Pour cela, il fallut batailler durement, et ceci est le mérite que l'on doit sans contestations attribuer spécialement à Haya de la Torre et à Luis Alberto Sanchez, qui sont les deux écrivains péruviens qui se sont le plus identifiés avec cet illustre précurseur des temps nouveaux. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.26-27

* 305 « Son nom fut immortalisé dans les Universités Populaires que fonda Haya de la Torre dans les premières années de la lutte livrée en défense des classes opprimées. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.26

« Et pour s'il existe encore un doute sur la condition de précurseur de l'aprisme qu'a Gonzalez Prada, il suffirait d'indiquer que ce fut lui qui signala le chemin pour la formation du Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels que l'aprisme prit sous son aile afin de maîtriser un puissant mouvement politique qui avait combattu les vices et cicatrices que le maître combattit par le verbe et la plume le siècle passée. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.27

* 306 « Beaucoup plus tard, on verra reproduite ou reflétée cette influence dans le Code de la Jeunesse Apriste de 1934 (FAJ), dont les premiers préceptes ordonnaient : `'prépare toi pour l'action, non pour le plaisir'' », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.24

* 307 « Les élèves-ouvriers des Universités Populaires rénovaient leur promesse au Recteur absent : en réalité il le faisait à leur futur leader politique. », Sanchez Luis Alberto, Apuntes para una biógrafia del APRA, Los primeros pasos 1923-1931, Miraflores, , Mosca Azul Editores, 1978, p.24

* 308 Balandier Georges, op.cit.

* 309 Haya de la Torre, `'Recuerdos Gonzalez Prada'', Obras Completas, op cit., p.224

* 310 « Dans le mois, qui suivit sa mort, je sentis faim pour la première fois, et je commença à comprendre le douleur des autres. », Haya de la Torre, `'Recuerdos Gonzalez Prada'', op cit., p.224

* 311 « Combien de fois dans mes amères journées de solitude et de privations, surgissait le souvenir de ce vieil ami, le seul que j'ai eu, sans qu'il le sache peut-être, à une époque dans laquelle il alluma en moi la foi dans une nouvelle vie », Haya de la Torre, `'Recuerdos Gonzalez Prada'', op cit., p.224

* 312 Ansart Pierre, La gestion des passions politiques, op.cit., p.76

* 313 Ansart Pierre, op.cit., p.75

* 314 Ansart Pierre, op.cit., p.115

* 315 Townsend Andres, In Murillo Percy, Historia del APRA 1919-1945, op.cit., p.10

* 316 Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.10

* 317 « L'aprisme est le premier effort pour donner une réponse latino-américaine aux problèmes latino-américain », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.11

* 318 Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.10

* 319 Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.9

* 320 « Non moins significative, pour confirmer l'anticipation apriste, a été la nouvelle direction prise para la social-démocratie européenne de l'après seconde guerre mondiale. En particulier lorsque lors du Congrès de Frankfort et du Programme de Bad-Godesberg, les partis socialistes européens se définissent comme `'partis du peuple'' et cessent d'être des `'partis de classe'', comme ils l'avaient été depuis leur fondation. », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.10

* 321 « ...un unionisme `'scientifique'' fondé sur une réalité économique, une politique anti-impérialiste, et un dénominateur commun démocratique, sont les apports de l'aprisme », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.11

* 322 « Au schéma primordial de Víctor Raúl, il faudrait ajouter la perspicacité d'Antenor Orrego qui, forgea le terme majeur de `'peuple-continent''. Dans ce livre de 1939 que porte ce nom, Orrego, découvrit, quatorze ans avant le CEPAL, un terme qui concluait en disant que, que qu'à peine finit le processus de désintégration, commencera en Amérique latine, un processus corrélatif d'intégration. », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.11

* 323 « Nous autres, les apristes, qui avons su résister sans nous laisser intimider, sans demande de faveur, sans nous plaindre, nous sommes les seuls qui, par notre entourage, donnons un démenti à ces affirmations. », Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', Obras Completas, op. cit..

* 324 « L'aprisme est une école d'éducation de la volonté, et un grand redresseur pour les individus inconsistants. », Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', op. cit..

* 325 Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', op. cit..

* 326 « Notre devoir est de nous faire respecter où que nous nous trouvions. », Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', op. cit..

* 327 Ansart Pierre, La gestion des passions politiques, op.cit., p.126

* 328 Ansart Pierre, op.cit., p.126

* 329 Ansart Pierre, op.cit., p.126

* 330 Ansart Pierre, op.cit., p.117

* 331 Murillo Percy, op. cit., p.28

* 332 Murillo Percy, op. cit., p.28

* 333 Ces deux haciendas se situent au nord de la ville de Trujillo, et à l'époque, elles étaient la possession de la famille péruvienne d'origine allemande Gildemeister.

* 334 « Dans les premiers jours du conflit, et en veille de la grève générale, je m'était lié d'amitié avec un des plus efficaces et spontanés agitateur de masses que j'ai jamais connu : Nicolas Gutarra. », Haya de la Torre, revue Apra, In Murillo Percy, op. cit., p.30

* 335 « Mes deux compagnons de délégation Bueno et Quesada, revinrent de façon agités, m'amenant la nouvelle que la troupe était entrain de placer des fusils-mitrailleurs le long du parc correspondant à l'Institut d'Hygiène, et que le commandant en charge, le lieutenant-colonel Juan Carlos Gómez, envoyait la notification péremptoire à l'assemblée pour qu'elle lève la grève générale. », Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', Obras Completas, op.cit., p.230

* 336 « Venez tous les camarade à la lutte, car aujourd'hui s'engage l'incarné et libre enseignement, qui flotte ai soleil de l'avenir. », Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.231

* 337 Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.230

* 338 Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.230

* 339 « Le commandant le parlait depuis son cheval imposant ; moi je lui répondais sur le même ton. Cependant, lorsque je lui dis :''consultez avec vos supérieurs et vous verrez qu'il y a d'autres manières de gérer l'affaire, et vous commettrez un crime si vous tirez sur les ouvriers'', je vis que mes paroles lui avaient causé une certain effet. », Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.230

* 340 « Minuit passé, je me suis dirigé vers le coin de la rue du centre où se trouvait le commandant Gomez et un groupe de militaire, et je leur dis que tout était prêt.

`'-Et ceux qui présidaient l'assemblée où sont-ils ?

-Celui qui présidait l'assemblée au moment de sa dissolution c'était moi, et me voici.

-J'avais besoin d'ouvrier et vous m'avez trompé, je vais vous arrêter !

-Je vous avais dit de faire ce que vous voudriez, et vous me faîtes par peur

-Pourquoi vous criez ?

-Parce que vous criez !

-A moi, vous ne me m'agressez pas 

-Ni vous à moi !'' », Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.230

* 341 Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.236

* 342 Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.236

* 343 Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.236

* 344 Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.236

* 345 « Vingt quatre heures après, se réunissaient au local de la Fédération des Etudiants au Palais de l'Exposition, les dirigeants des syndicats ouvriers du textile pour commémorer la victoire de la journée de huit heures. Je les invitai à constituer la Fédération des Travailleurs Textiles du Pérou. Je rédigeai l'acte et fut fondée la plus puissante organisation ouvrière du pays, dont l'histoire des luttes pour l'amélioration de la classe des travailleurs a 25 ans d'honneur. », Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.237

* 346 « Comme cela, on lança les bases du grand front ouvrier et étudiant qui , deux ans plus tard, également un jour de janvier mais en 1921, s'affirmait indestructiblement avec la fondation de la première Université Populaire, qui portait le nom glorieux de Gonzalez Prada. », Haya de la Torre, `'La jornada de la 8 horas'', op.cit., p.238

* 347 Basadre Jorge, La vida y la historia, op.cit., p.194

* 348 Rocha Julio, In Vega Centeno Imelda, Aprismo popular : mito, cultura e historia, Lima, Tarea, 1985, p.20.

* 349 « Un gentleman, qui nous appréciait tous, du grand au petit, et du plus grand au plus petit, du millionnaire au plus pauvre. Ceci ne peut être fait par tout le monde. Dans ses manifestations par exemple, il serrait toutes les mains, et témoignait d'une grande affection. Voilà pourquoi, nous le suivîmes dans la lutte qu'il mena, pour sortir de notre situation, et pour utiliser nos droits de l'homme, que nous devons tous avoir. », Ibid, p.21

* 350 « La chance a voulu que durant plus d'un demi-siècle, il ne perdit jamais le don de la parole évocatrice. Il le maintient comme l'enchantement et l'ensorcellement de son ardent magistère verbal. », Ibid, p.21

* 351 « Tout conduisait à l'apparition de grands leaders comme ce qui furent les précurseurs, Gonzalez Prada, Ingenieros, Rodó, Vasconcelos. Parmi les plus jeunes, surgit Víctor Raúl. », Ibid, p.21

* 352 « Dans toutes mes années d'affiliation au parti, sa lutte [Haya de la Torre], sa politique ont été très bonnes. Si nous avions tous compris cette lutte qui nous était favorable, on aurait une autre maison, on vivrait heureux, on ferait un grand Pérou, si on travaillait tous ensemble. », Ibid, p.22-23

* 353 « En hommage aux milliers de martyrs, de héros anonymes qui contribuèrent à forger généreusement à pérenniser l'oeuvre forgée par Víctor Raúl Haya de la Torre... », Ibid

* 354 Ansart Pierre, op.cit, p.70

* 355 Arcienigas Germán, In Haya de la Torre, op. cit., p.17

* 356 Hermet Guy, op. cit., p.104

* 357 Löwy Micheal, «Le populisme en Amérique latine», in Gallissot René (dir.), Populismes du Tiers-Monde, Paris, L'Harmattan, 1997, coll. « L'homme et la société », p.118

* 358 Hermet Guy, op. cit., p.104

* 359 Revel Jacques Hartog François (sous la dir.), op. cit., p.14

* 360 Giovanni Levi, « Le passé lointain. Sur l`usage politique de l'histoire », in Revel Jacques Hartog François (sous la dir.), op. cit., p.26






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