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La liberté du sujet éthique chez Kant et Fichte

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par Christophe Premat
Université Paris I - DEA d'Histoire de la Philosophie 2000
  

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3) L'État comme force d'éthicisation c'est-à-dire de moralisation publique chez Kant : analyse de la publicité du droit.

Le droit est une réalité à double face, puisqu'il appartient à la fois à un ordre technico-pragmatique concernant l'ensemble des faits du droit et à l'ordre des dispositions morales, sa normativité se gère par conséquent suivant cette double appartenance, car comme l'écrit André Tosel, nous avons le "droit-fait" et le "droit-Idée"76(*). Le droit est un moment de la raison pratique qui révèle sa force dans la réalisation des dispositions technico-pragmatiques, dispositions qui prennent en charge le devenir de l'espèce humaine : le droit est nécessaire pour l'ensemble des conditions rendant possible la coexistence d'individus. Il est alors la mise en oeuvre d'une contrainte qui s'accorde avec la liberté selon des lois universelles. "Si un certain usage de la liberté même est un obstacle à la liberté suivant des règles universelles (c'est-à-dire est injuste), alors la contrainte, qui lui est opposée, en tant qu'obstacle à ce qui fait obstacle à la liberté, s'accorde avec cette dernière suivant des lois universelles, c'est-à-dire qu'elle est juste; par conséquent une faculté de contraindre ce qui lui est nuisible est, suivant le principe de contradiction, liée en même temps au droit."77(*) La contrainte, loin de s'opposer à la liberté, s'oppose à ce qui s'oppose à la liberté : liberté et contrainte sont complémentaires dans l'aire juridique. Tout comme pour Fichte, la contrainte est l'auxiliaire de la liberté (Zwang zur Freiheit), la finalité du droit étant la justice, à savoir la juste détermination de la coexistence des libertés individuelles. La contrainte caractéristique de l'ordre juridique indique donc la prévalence du droit politique sur le droit naturel, et du droit public sur le droit privé et est une manière d'arracher le juridique à la sphère de l'individualisme sans qu'il y ait de répression de la liberté individuelle au sens d'autonomie. Simplement, le sujet individuel ne peut pas créer un ordre normatif par lui-même, son autonomie n'est valable que s'il reconnaît un ordre juridique extérieur à lui, donc hétéronome. Comme l'écrit Hans Kelsen au chapitre 19 de la Théorie générale des normes, "seule la norme d'un ordre hétéronome peut être reconnue ; car de la part d'un sujet qui crée la norme le tout premier, cette norme n'a pas besoin de reconnaissance."78(*) La moralité a besoin pour se constituer du secours du droit, la liberté du sujet éthique ne se comprend pas dans une transcendance par rapport à la sphère du droit et on peut dire que, dans une certaine mesure, le dualisme du droit et de la morale n'empêche nullement un phénomène de complémentarité entre eux. L'ordre juridique n'est pas une simple médiation puisque obligation juridique et obligation morale ont tous deux une vocation pratique. Il s'agit de la collaboration entre deux ordres normatifs, qui permet la complémentarité entre le point de vue de la morale de la conscience individuelle et celui du droit étatique.

La contrainte est ce qui rend possible l'affirmation de l'autonomie au sein d'un ordre hétéronome. Kant insiste beaucoup sur cet aspect, notamment dans ses Réflexions et notes sur l'anthropologie puisqu'il écrit : "Nécessité de la contrainte civile à cause de la méchanceté des hommes. La méfiance réciproque rend possible et durable la contrainte d'une autorité supérieure. La violence rend nécessaire la contrainte civile. La contrainte sociale. La contrainte de la conscience : d'ordre moral. Le principal effet de l'état civil est de contraindre à l'activité."79(*) La contrainte canalise la violence issue de l'insociable sociabilité, elle évite l'éclosion de la passion pour la liberté au détriment de la liberté des individus. Il y a une analogie structurante entre la contrainte morale et la contrainte juridique, l'ordre juridico-politique assumant au niveau collectif la même tâche que l'éducation pour l'individu. Les relations intersubjectives doivent être gouvernées par des principes juridiques. L'efficacité de la contrainte doit être corrélative à une validité des normes et c'est cette corrélation qui définit un bon ordre juridico-politique. À l'égalité créée par une sujétion commune doit succéder la liberté, fondatrice des principes de toute constitution conforme au droit : le statut de sujet se complète par celui de citoyen. L'État n'est pas simplement un moyen technique, dépendant de l'efficacité d'un appareil répressif, il doit se régler sur une constitution, dont la réalisation devient sa règle et sa fin.

L'éthicité n'implique pas une suppression de l'État mais une sublimation de celui-ci ; il devient une instance éducative, une force d'éthicisation c'est-à-dire de moralisation publique. Cela n'est possible que s'il y a une publicité du droit. "Toutes les actions relatives au droit d'autrui, dont la maxime n'est pas susceptible de publicité, sont injustes."80(*) Le droit, par la formule de la publicité, se détermine comme mise en accord de la morale et de la politique. La publicité est au coeur de la médiation nature-liberté, c'est-à-dire de la médiation juridique elle-même, elle est ce qui confère une assise véritable à la philosophie du droit et ce qui permet de réévaluer les rapports entre droit et morale. Car "ce principe n'est pas seulement moral et essentiel à la doctrine de la vertu ; il est aussi juridique et se rapporte également au droit des hommes."81(*) Si je refuse de publier une maxime, cela signifie qu'elle est irrecevable et entachée d'injustice : "une telle maxime ne peut devoir qu'à l'injustice dont elle les menace cette opposition infaillible et universelle dont la raison prévoit la nécessité absolue."82(*) Une maxime montre sa faiblesse et anticipe son rejet dans le refus même d'être publiée. Il n'y a plus lieu d'évoquer une opposition entre la politique et la morale car la compatibilité des maximes avec la publicité assure à la communauté une cohésion juridique et une assise éthique : "Toutes les maximes qui pour avoir leur effet ont besoin de publicité, s'accordent avec la morale et la politique combinées."83(*) Le droit public ne s'oppose pas au droit privé, il est au contraire son accomplissement, la différence n'étant qu'une différence formelle et non de contenu.

Le droit révèle sa forme propre dans le droit public et c'est en ce sens qu'on peut parler d'un ordre éthico-politique. Le droit public n'est pas seulement au centre de la philosophie du droit, il est au centre du rapport entre légalité et moralité : en effet, le droit est à la fois anticipation et réalisation partielle d'une vie morale qui le déborde : demeurant empirico-intelligible, il reste toujours affecté par le besoin et le désir, alors que la loi morale lui trace une perspective d'un royaume intelligible de volontés unies de l'intérieur. On passe d'un ordre juridico-politique à un ordre éthico-politique, parce que le droit réalise son essence qui est cette connexion entre une dimension empirique et une dimension intelligible.

* 76 André TOSEL, Kant révolutionnaire Droit et politique, éditions PUF, coll. Philosophies, Paris, 1988, p.35.

* 77 KANT, Doctrine du Droit, §D, Trad. PHILONENKO, éditions VRIN, 1971, Paris, p.105.

* 78 Hans KELSEN, Théorie générale des normes, Trad. Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI, éditions PUF, Paris, 1996, p. 105.

* 79 KANT, Réflexions sur l'anthropologie, 1499, cité par Monique CASTILLO, in L'avenir de la culture, éditions PUF, Paris, 1990, p. 258.

* 80 KANT, Projet de paix perpétuelle, Ak. VIII, 381, coll La Pléiade, tIII, p.377.

* 81 Ibid., p.377.

* 82 Ibid., p.378.

* 83 KANT, Projet de paix perpétuelle, Appendice II, Ak.VIII, 386, p.382 (tIII).

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