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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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Deuxième partie : les caractéristiques et les manifestations phénoménales de l'utilité

Pour déterminer ce qu'est l'utilité, il ne suffit pas d'effectuer une définition, c'est-à-dire une simple exposition de son essence mais il faut au contraire essayer de repérer ses différents avatars. Comment l'utile s'inscrit-il dans le phénomène, quelle coloration particulière donne-t-il à ce dernier ? Deux concepts sont ici à introduire pour déterminer ces manifestations phénoménales : celui de modalités ou de figures (Gestalten) en termes hégéliens, et celui de rapport. Les modalités sont l'ensemble des modes qui régissent les manifestations de l'utilité et les rapports définissent les acteurs qui interviennent car l'utilité est uniquement un processus relationnel.

Chapitre III : la manifestation de l'utilité comme une diversité de modes chez Heidegger

Heidegger met en lumière les différentes modalités de l'utilité à travers les modalités de l'ustensilité dans Être et Temps. Ses réflexions d'après-guerre nous livrent un autre regard sur les modalités de l'utilité technique. Ces deux discours se contredisent souvent mais ils permettent d'enrichir une description de ces divers modes mis en action.

Les modalités de l'ustensilité : modalités premières de la préoccupation mondaine

Il ne faut pas oublier que l'être-là préoccupé n'est pas d'abord et distinctement en rapport avec l'ustensile, mais avec l'oeuvre (Werk). C'est l'oeuvre présente qui oriente la découverte de l'ustensile. "L'oeuvre inclut le complexe référentiel au sein duquel se rencontre l'ustensile. »38(*) Ainsi, le caractère propre de l'ustensile, l'être-sous-la-main (Zuhandenes), ne nous frappe pas directement dans la préoccupation quotidienne : l'étant-sous-la-main ne se manifeste pas comme un étant particulier, il s'insère dans un complexe (Ganzheit) "ustensilier" qui est à notre disposition.

l'ensemble de ces modalités forme un complexe référentiel

Phénoménologiquement, la cohérence du monde lui vient certes de ce qu'il s'offre à notre praxis quotidienne comme un complexe d'ustensiles, qui, renvoyant les uns aux autres (le marteau au clou, le clou au mur), forment par leurs finalités réunies le système complet et synthétique du monde disponible. Avant d'étudier ce complexe référentiel (Verweisungsmannigfaltigkeit), précisons le concept d'ustensilité et ses diverses modalités c'est-à-dire ses expressions dans le réel. Nous traduisons par "ustensile "ce que Heidegger appelle "Zeug ».Ce mot se retrouve dans la plupart des termes qui désignent les choses qui nous entourent comme dans Näh-zeug, Schreib-zeug, Werk-zeug, Schuh-zeug, Fahr-zeug : ce qui sert à...coudre, écrire, travailler, chausser, transporter. Il faudrait en fait traduire ce terme par une périphrase : " ce qui peut servir à... "car l'ustensile a une destination (Bewandtnis). Ce que je rencontre dans le monde n'est pas seulement un ustensile mais plutôt un utilisable. Cet utilisable se caractérise par sa Zuhandenheit (son être-disponible) qui me renvoie immédiatement à une Zeugganzheit. Évoquer les modalités de l'ustensilité revient à éclairer cette notion d'utilisabilité. L'utilisable désigne l'étant présent en tant qu'il est présent pour quelque usage. L'utilisabilité offre encore l'avantage de dire pourquoi l'étant rencontré au sein du monde par le Dasein est présent : pour être Zeug. Nous avons un réel problème de traduction : signalons que Gérard Granel avait proposé de rendre Zeug par le terme grec "pragma "plutôt que par outil. François Vezin a choisi de rendre sensible le détournement de sens effectué par Heidegger (qui fait toujours une espèce de torsion au langage) en reprenant l'orthographe ancienne de Montaigne et propose "util "; nous bénéficions avec cette traduction d'un jeu de mots perspicace entre util et utilisable, util étant d'ailleurs très proche de la racine latine d'ustensile uti qui veut dire se servir. Pour cet exposé, nous garderons la traduction classique de Zeug par ustensile et de Zeughaftigkeit par ustensilité. En outre, il faut distinguer soigneusement ustensilité (Zeughaftigkeit) et instrumentalité (Zuhandenheit). L'instrumentalité est plutôt un caractère général de l'ustensilité parce qu'elle manifeste son être-disponible, sa disponibilité. Quand nous convoquerons ce concept, ce sera pour transcrire cette disponibilité au monde environnant (Umwelt). L'ustensile ne peut être considéré qu'à l'intérieur d'un complexe d'ustensiles (Zeugganzes) qu'il présuppose nécessairement. Le complexe n'est pas une simple somme d'ustensiles mais une unité bien ordonnée.

Les trois principales modalités de l'ustensilité sont : la serviabilité (Dienlichkeit), la maniabilité (Handlichkeit) et l'employabilité (Verwendbarkeit). Elles renvoient à un type d'utilité précis et elles nous permettent de dresser une typologie de l'utilité. L'utilité, en tant que dérivé de l'ustensilité est en correspondance étroite avec ces trois modalités. La modalité selon laquelle l'ustensile est référé au Dasein est la "maniabilité "(Handlichkeit) : l'ustensile est "être-sous-la-main "(Zuhandensein) c'est-à-dire que son premier mode d'être, son caractère "en-soi "(an-sich), c'est de pouvoir être manié. Nous avons vu les exemples d'ustensiles que donnait Heidegger : " l'écritoire, la plume, l'encre, le papier, le sous-main, la table, la lampe, les meubles, les fenêtres, les portes, la chambre. "Il classe par ordre croissant les objets qui l'entourent dans son quotidien. Analyser ce qu'est l'outil, c'est analyser ce à quoi il renvoie parce que l'utilité est ce rapport de l'outil au complexe référentiel. Nous voyons d'abord le complexe avant de voir l'outil lui-même : Heidegger prend l'exemple de la chambre ; la chambre se découvre à nous comme un outil d'habitation avant d'être un "vide délimité par quatre murs »39(*). En effet, «un complexe d'outils doit déjà s'être découvert, avant qu'un de ceux-ci puisse être discerné »40(*). C'est parce que nous avons découvert cette chambre que nous pouvons comprendre ce qu'est une chaise, une table, une armoire ; une sorte de regard perspectif se dévoile dans ce complexe référentiel. Ce dernier réfléchit l'ustensile et c'est par cette réflexion qu'il le constitue pour nous. En se servant de l'ustensile, l'être-là découvre sa maniabilité. Le seul terme "maniabilité "(Handlichkeit) indique déjà la relation de l'ustensile à la main car l'ustensile est un objet sous la main qui n'est pas présent comme un objet isolé. La deuxième modalité constitutive de l'ustensilité est la serviabilité (Dienlichkeit), le pouvoir-servir à. "La référence "serviabilité "est une détermination ontologico-catégoriale déterminant l'essence même de l'ustensile "(eine ontologisch kategoriale Bestimmtheit des Zeugs als Zeug)41(*). La serviabilité se concrétise dans l'indication : elle indique le "à quoi "(Wozu) concret d'un outil. Par exemple, le marteau possède une référence constitutive car il sert au martèlement. Elle détermine "l'essence même de l'ustensile "en révélant un "bon-pour "(Um-zu), une direction ou plutôt une orientation c'est-à-dire une direction concrétisée. La troisième modalité de l'ustensilité, l'employabilité (Verwendbarkeit), référence typique du matériau, exprime de quoi (Woraus) est fait l'ustensile ; cette modalité met en relation l'ustensilité à la nature qui est révélée à la lumière des produits naturels. La visée (Hinblicknahme) d'utilisation s'appuie fondamentalement sur cette disponibilité du matériau : pour utiliser un outil, il faut au préalable que je le sélectionne en fonction de sa résistance et de son matériau. Un matériau doit être approprié à son outil. La nature elle-même est découverte en même temps que le monde ambiant. "La forêt est une réserve de bois, la montagne une carrière de bois, la rivière une force hydraulique, le vent "gonfle les voiles »42(*). C'est la visée d'utilité qui fait le lien entre la "montagne "et la "carrière de pierres "car c'est elle qui prévoit la transformation. La nature se déploie comme un potentiel destiné à être utilisé mais qui pour cela nécessite l'attention de l'homme. En outre, nous avons une autre spécificité de l'ustensilité : Heidegger distingue la propriété (Eigenschaft), qualité d'un étant simplement donné, de l'appropriété d'un ustensile (die Geeignetheit) ; l'appropriété est le fait d'être propre à..., d'être bon pour... Les qualités (propriétés) de l'ustensile (par exemple la forme du manche d'un marteau) sont liées à son appropriété (par exemple pour un marteau, le fait d'être bon au martèlement). Si le marteau n'était pas compris comme un ustensile destiné au martèlement, la préoccupation ne percevrait pas l'existence du manche, ni la forme spéciale de ce manche. On s'aperçoit ainsi que l'utilité n'est pas simplement un mode dérivé de l'ustensilité mais constitue la relation que le Dasein effectue avec l'ustensile. Si l'ustensilité est une structure ontologique de l'utilité, il n'empêche que l'utilité est essentielle à la constitution du concept d'ustensilité. Cette relation est découverte en même temps que l'outil puisque quand je considère un outil, je considère son degré d'utilité et je le sélectionne en fonction de son utilité. L'utilité est la mise en oeuvre du "bon-pour "(Um-zu) et est une relation fondamentale qui confère une unité au monde. "L'ouvrage qui s'offre en premier lieu à la préoccupation, le travail en chantier, manifeste d'emblée, dans l'utilité qui lui est essentielle, le pour-quoi de son utilité »43(*). Cette phrase montre bien que l'utilité n'est pas une propriété de l'ustensile mais une appropriété. Elle est ce qui lie organiquement les diverses modalités de la maniabilité, de l'employabilité, de la serviabilité et ce qui les oriente vers un "à quoi final "(Worumwillen).

* 38 Martin HEIDEGGER, SuZ, Trad. Franç. Rudolf BOEHM et Alphonse DE WAEHLENS, éditions Gallimard, Paris, 1964, p.70.

* 39 Martin HEIDEGGER, SuZ, Trad. Franç. Rudolf BOEHM et Alphonse DE WAEHLENS, éditions Gallimard, Paris, 1964, p.92.

* 40 Ibid., p.92.

* 41 Ibid. p.78.

* 42 Martin HEIDEGGER, SuZ, Trad. Franç. Rudolf BOEHM et Alphonse DE WAEHLENS, éditions Gallimard, Paris, 1964, p.94.

* 43 Ibid., p.93.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard