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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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Chapitre II : l'utilité se caractérise-t-elle par une affirmation ou un refus de la métaphysique ?
l'utilité est un concept antimétaphysique destiné à refuser un au-delà de l'essence : caractère désontologique de ce concept chez Hegel

Pour la pure intellection, il n'existe de monde que si celui-ci est réel. Le Soi s'est formé une universalité (c'était le processus de la culture) et sait réduire tout contenu qui lui paraissait étranger à lui-même. Pour surmonter son aliénation (Entfremdung), il lui faut achever un combat contre la foi, relier l'essence absolue affirmée par la foi au pour-soi de l'utilité. Il est clair que l'utilité vise à nier toute métaphysique de la foi, c'est-à-dire toute prétention de celle-ci à affirmer un contenu absolu qui échapperait à la réalité. L'utilité est l'affirmation d'une réalité en tant que celle-ci est une, totale et effective : son but est comme le dit Henri Niel dans son ouvrage De la Médiation dans la Philosophie de Hegel, d'effectuer la "ruine du monde de l'en-soi »13(*), monde qui a été patiemment construit par le monde de la foi. Cette foi est une foi déjà intellectualisée, qui est l'affirmation de l'en-soi, une "fuite "de la réalité effective et une élévation de cette dernière dans le domaine de l'universalité abstraite. Du point de vue de la pure intellection, l'essence n'est pas "au-delà "de ce monde mais elle fait partie de celui-ci. La foi incarne le monde de l'en-soi, la pure intellection et le monde de l'utilité incarnent le monde du pour-soi ; ils sont nécessairement dans une relation exclusive et dogmatique : l'utilité, en tant que catégorie de la pure intellection, est un refus catégorique d'une métaphysique, d'un au-delà de la physique et de la nature. De plus, c'est une opposition qui surgit au sein de l'Esprit puisque la conscience effective s'illustrant à travers le concept de l'utilité, s'oppose à la conscience de l'essence de l'Esprit ; le monde de l'utilité est le monde de l'en-deçà opposé au monde de l'au-delà ou plutôt opposé à ce monde indépendant de l'au-delà. À la limite, on pourrait dire que le monde de l'utilité pourrait accepter le monde de l'au-delà à condition qu'il soit le pur reflet de l'en-deçà. Le royaume de l'utilité est le royaume de l'effectivité réaménagée de manière basique et il est légitime de prétendre que l'utile est ce qu'il y a de plus effectif dans l'effectif d'où peut-être une certaine platitude, une certaine rudesse. L'utilité est en fait un sursaut de l'effectivité, un sursaut de la conscience effective qui se méprend sur son compte et qui refuse un dédoublement du réel.

Dans le monde de l'utilité, le monde de la foi et de sa métaphysique est un tissu de préjugés et d'erreurs : la pure intellection réduit alors la foi à une superstition, une croyance en une essence chimérique. Les Lumières ne refusent pas l'essence absolue, elles refusent une coupure de cette essence avec le monde mais elles ne voient pas qu'elles participent inconsciemment à cette fracture. C'est pourquoi l'utilité nie toute réalité ontologique qui serait transcendante au monde réel ; cette certitude de l'homme des Lumières s'oppose à la certitude de l'homme croyant. L'homme des Lumières veut faire reconnaître sur terre le concept, il lui montre qu'il ne faut pas se courber devant une réalité étrangère qui lui a été imposée par l'artifice des prêtres. Pour les Lumières, l'essence absolue est produite par la conscience de soi et la foi est donc vidée de son contenu ; la pure intellection se satisfait de son processus de négation qui lui permet de s'installer dans un royaume de l'utilité tandis que la foi reste "perpétuellement insatisfaite »14(*) Si l'utilité est le moyen par lequel les Lumières détruisent toute idée métaphysique d'une réalité double, cela ne signifie pas que l'époque des Lumières soient une époque antimétaphysique.

L'Aufklärung est l'époque d'une instauration d'un nouveau type de métaphysique : c'est l'époque de "la pure pensée et [de] la pure matière ».15(*) On sait que l'Aufklärung a donné naissance au matérialisme philosophique le plus absolu, matérialisme s'incarnant dans des positions telles que celles d'Holbach et d'Helvétius. La raison se nie en tant qu'objet apparaissant à elle-même, elle est donc nécessairement amenée à conférer de la réalité à son autre absolu : la matière. La conscience est donc partagée entre son processus propre, dont elle fait un en-deçà de l'objet et l'objet lui-même. Cependant, cette dichotomie entre un en-deçà et un au-delà n'est pas seulement l'expression du matérialisme mais aussi celle du spiritualisme. Les spiritualistes qui appartiennent à un genre déterminé de l'idéalisme, identifient cet au-delà de la conscience à la «pure pensée "tandis que les matérialistes appellent celui-ci «pure matière ». Hegel renvoie dos à dos ces deux positions fondamentales du XVIIIe siècle : ce que ne supporte pas l'homme des Lumières, c'est l'altérité radicale et irréductible affirmée par la foi. L'altérité doit être réduite et relative ou elle n'est pas : il faut qu'elle soit spécifiquement de même nature. Tandis que la foi attache une valeur absolue au monde de l'au-delà, la pure intellection y attache une valeur relative. Il faut qu'il y ait relativité car la relativité est le fondement d'une déterminabilité finie. Pour la pure intellection, on n'a pas de fini et d'infini séparés parce que l'infini est le reflet du fini et il est le fini infinitisé, le fini dans sa réalité la plus complexe. Le contenu des Lumières s'exprime véritablement à travers un idéalisme-matérialiste ou plutôt un matérialisme-idéaliste puisque les deux positions se confirment. Il existe une métaphysique matérialiste ou déiste qui pose la pure essence comme la substance matérielle des choses ou comme l'être suprême. La religion, vidée de sa substantialité, devient une religion d'un monde réel et naturel. Le XVIIIe siècle a connu de nombreux débats qui ont mis à l'ordre du jour le thème de la religion naturelle, thème célèbre au siècle précédent dans certaines réflexions comme chez Tolland. Si l'utilité est un concept antimétaphysique, on trouve également une métaphysique de l'utilité qui s'enracine dans en matérialisme plat. La platitude du pour-soi qui combat résolument toute réalité métaphysique et ontologique transcendante, se perd elle-même dans un contenu métaphysique : on a comme un retour en force de la métaphysique au moment des Lumières et la conscience de l'Aufklärung ne s'en rend pas compte. La métaphysique se retourne en elle-même, et l'altérité absolue n'est plus "au-delà "mais "en-deçà », c'est la matière. L'illusion de l'Aufklärung vient du fait qu'elle prend "la pure pensée "ou la "pure matière "pour des objets plus réels que ce qu'affirmait la foi. La pure intellection ne comprend pas que ce qu'elle a nié, à savoir le contenu de la foi, c'est elle-même : elle se méprend sur son essence, et sa critique se retourne contre elle-même. Elle juge la foi mais elle ne voit pas qu'à travers la foi, c'est aussi elle-même qu'elle juge. L'utilité est un concept antimétaphysique qui se constitue métaphysiquement et qui accomplit un processus d'autonégation non consciente : elle lutte contre son propre fondement et cela est l'assurance de la sortie des Lumières.

* 13 Henri NIEL De la Médiation dans la Philosophie de Hegel, éditions Aubier, Paris, 1945, p.154.

* 14 Henri NIEL De la Médiation dans la Philosophie de Hegel, éditions Aubier, Paris, 1945, p.162

* 15 G.W.F HEGEL Phéno, Trad. Franç. Jean HIPPOLYTE, éditions Aubier, Paris, 1939-1941, tome II,.p.123.

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