WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'utilité chez Hegel et Heidegger

( Télécharger le fichier original )
par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

b) l'époque utilitaire comme accomplissement d'une programmation métaphysique

Il faut inscrire la question de l'utilité dans l'histoire parce que le règne utilitaire ne surgit pas au hasard ; il apparaît au contraire dans une fin de l'histoire, fin à la fois nécessaire et inévitable. En frappant l'histoire du sceau de la finitude, on la prend dans un sens non hégélien : l'histoire cesse d'être la dimension suprêmement englobante, elle est finie, elle s'est récapitulée et ramassée dans cette époque utilitaire, époque qui est aussi une épochè, c'est-à-dire un suspens du temps historique et une entrée dans l'an-historique. Cette époque, Heidegger la nomme époque de la technique et fin de la métaphysique : " Nous prenons la technique en un sens si essentiel qu'il équivaut à celui de la métaphysique achevée. »31(*) La technique est alors la fin d'une époque historique, la fin de la métaphysique occidentale. Pourtant, curieusement, cette fin était prévue par la métaphysique elle-même : ce futur était un futur antérieur, un futur minutieusement programmé. Ainsi, l'achèvement de la métaphysique est l'accomplissement d'une programmation, terme qui nous mène tout droit dans le champ de l'informatique. Si cette époque est programmée, cela signifie que la métaphysique est une fatalité (Verhängnis) : son futur est un passé. "la métaphysique est aussi passée en ce sens qu'elle est entrée dans son tré-passement. Ce trépas dure plus longtemps que l'histoire jusqu'ici accomplie de la métaphysique. »32(*) La fin de l'histoire, la mort de l'histoire, dure plus longtemps que l'histoire elle-même. L'utilité est le signe de cette non-historialité : elle n'est en fait pas tant une transition qu'un entremêlement entre l'historial et le non-historial. L'époque utilitaire est la pleine actualisation du dépassement (Überwindlung) de la métaphysique. D'une certaine façon, l'histoire survit à sa propre mort, comme chez Hegel, puisque le futur de la technique se trouve déjà inscrit, programmé à l'avance dans le passé de la métaphysique. Ce passé est une eschatologie, une anticipation prophétique de la fin. L'Eschaton est cette limite où dans le dispositif technologique mondial, l'histoire réalise jusqu'au bout son programme, constitué dans le passé le plus reculé.

Le principe d'utilité est une effectuation et un développement du principe de raison suffisante leibnizien qui s'énonçait selon ces termes : " Nihil est sine ratione », c'est-à-dire que tout a une raison. La raison, en tant que puissance d'objectivité, est suffisante pour déterminer les contours de l'objet. Pour Heidegger, à l'époque moderne, ce principe se trouve réactivé sous plusieurs formes : planification, production économique optimisée, machines cybernétiques, logicisation de l'information. L'histoire, morte en son principe, règne de façon d'autant plus tyrannique qu'elle accomplit, exécute, dans la technique, de façon totalement oublieuse, les anciennes propositions spéculatives. Ce qui fut jadis étonnement, doute, critique devient opération, calcul, effectuation. L'avenir de la planète se réduit au devenir effectif de quelques vieilles propositions spéculatives ; la philosophie n'échappe pas à la règle car c'est elle qui est devenue une philosophie de l'utilité. Nous avons ici l'impression que l'utilité est l'application des principes d'une vieille métaphysique, cette application se formant non pas dans un temps et un espace donné, mais dans un non-temps, une non-histoire et un espace généralisé. Il n'y a plus d'histoire et de philosophie au sens véritable mais des résidus d'histoire, de philosophie qui se fondent dans une applicabilité universelle c'est-à-dire un ensemble d'applications qui se veulent concrètes. De cette fausse concrétisation résulte une abstraction de l'essence humaine. Alors que l'homme se saisissait comme être historique, il est renvoyé à lui-même et n'arrive plus à se saisir objectivement. Non seulement l'homme n'arrive plus à se saisir comme tel mais il n'a même plus le sens des choses.

« La rationalisation technico-scientifique qui régit l'époque présente a beau établir son droit d'une manière chaque jour plus saisissante par une effectivité dont nous pourrons à peine prévoir ce qu'elle peut devenir : cette effectivité ne sait rien de ce qui, plus originellement, ouvre la possibilité même du rationnel et de l'irrationnel. »33(*) L'homme est en train de perdre sa dimension symbolique et la phrase de Heidegger sonne comme un avertissement. L'ère de l'applicabilité universelle et de l'utilité comme application de principes conceptuels forgés pendant plusieurs siècles se caractérise par une "rationalisation technico-scientifique », car c'est cette collusion entre science et technique que se joue et se déroule la modernité ou plutôt la post-modernité puisque nous vivons la fin de l'histoire qui n'en finit pas de finir. L'épochè technique est un véritable suspens qui dure plus longtemps que ce qui l'a produite. Quand Heidegger évoque "la rationalisation technico-scientifique », il ne faudrait pas entendre cela au sens où nous aurions une technique conçue comme l'application de la science, sinon Heidegger aurait employé le terme de rationalisation scientifico-technique. Bien au contraire, c'est la science qui est soumise à la technique et à son essence, car "la science ne pense pas. »34(*), elle ne saurait donc penser sa différence d'avec la technique. Cette ère utilitaire se manifeste par un impératif de la productivité et de l'application ; la science n'est qu'un moyen efficace au service de cette application. Nous sommes empêtrés dans l'engrenage de l'effectivité comme nous le montre Heidegger dans cette phrase extraite de Questions IV et nous ne savons même plus comment elle s'effectue et ce qui la rend possible. Il existe un risque non négligeable d'aliénation à ce principe d'effectivité qui a synthétisé et absorbé tous les autres principes. L'effectivité tourne à vide et cette vacuité se fait de plus en plus menaçante. Elle ignore les limites du rationnel, elle ne fait qu'être effectivité et non plus effectivité effectuante, elle est donc coupée de tout. Si un oubli de l'être qualifie cette époque selon Heidegger, peut-être vaudrait-il mieux parler d'un oubli de l'historicité, l'historicité étant cette capacité qu'a l'homme de réfléchir sur son histoire. Nous nous situons dans une "fracture de l'histoire "comme l'écrit Michel Haar, c'est-à-dire une cassure irréparable dans laquelle nous sommes embarqués, au sens pascalien du terme. Il revient aux hommes de penser cette fracture, de penser métaphysiquement la métaphysique et de l'achever puis de tenter d'envisager un autre type de pensée qui permette de sauver l'être humain en tant qu'être symbolique, car il y a danger.

* 31 Martin HEIDEGGER, Ess.et Conf., Trad. Franç. André PRÉAU, éditions Gallimard, coll. TELL, 1958, p.92.

* 32 Ibid. p.81.

* 33 Martin HEIDEGGER, Questions IV, Trad. Franç. Collective, éditions Gallimard, coll. TEL, Paris, 1976,p.3O4.

* 34 Martin HEIDEGGER, Qu'appelle-t-on Penser ? Trad. Franç. Gérard GRANEL et Aloys BECKER, éditions Quadrige, Paris, Mai 1992, p.26.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"