WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Des Etats particuliers libres à l'organisation sociale mondiale


par Raphaël BAZEBIZONZAS
Saint Pierre Canisius - Bachelier en Philosophie 2006
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    0. INTRODUCTION

    Le monde actuel est caractérisé par une sorte de tension paradoxale entre d'une part, la détermination des Etats à jouir pleinement de leurs libertés fondamentales et, d'autre part, l'exigence d'une société mondiale, ou mieux, d'une mondialisation de la société humaine. En témoignent d'une part l'inter-dépendance des hommes entre eux et, d'autre part, les inter-actions entre les Etats qui se disent pourtant « souverains ». Cette prise de conscience des problèmes communs à toute l'humanité est tellement grande aujourd'hui que l'individu ou l'Etat qui déciderait de se frayer seul son chemin dans la modernité se jetterait assurément dans une fosse.

    Le phénomène de la modernité, avec ses nouvelles technologies, conduit à une société humaine réellement unifiée sans pour autant devenir uniforme. Plus le monde tend à s'unifier, plus aussi les hommes et les nations particulières tiennent à sauvegarder leurs indépendances fondamentales. C'est comme si indépendances et désir d'universalisation s'exigeaient mutuellement tout en se repoussant. Paradoxe, équivoque ou simplement absurdité ?

    Comment penser la réconciliation entre le vent fort de l'unification universelle et la volonté de maintenir les cultures particulières fragiles, vulnérables ? Où trouver les repères susceptibles d'assurer la cohésion entre les Etats autonomes et la société universelle ? Ou encore, comment satisfaire cette double tendance, audacieuse et paradoxale, d'une soif d'être soi-même à tout prix, tout en voulant et désirant s'identifier aux autres ?

    Face à la complexité de cette problématique, le débat se limite trop souvent à une condamnation ou à une approbation collective. Pour certains, l'universalisation méconnaîtrait l'irréductibilité de chaque particularité, au point qu'il faudrait s'en isoler en se refermant sur les identités passées, habillées alors de toutes les vertus. Pour d'autres, l'organisation sociale mondiale serait capable de tout résoudre pourvu qu'elle ne soit pas étouffée par les Etats. Le débat, pour ou contre, se limite au surplus aux aspects économiques et politiques, délaissant le reste, tout aussi important cependant.

    Il n'est du pouvoir de personne de s'abstraire totalement de l'organisation de la société mondiale ou de la refuser en bloc. En elle, il s'agit, sans doute, de l'épiphanie d'une civilisation planétaire dont tous les hommes sont partie prenante. Mais alors, comment accueillir un mouvement qui reconnaîtra l'autonomie de chaque Etat et appréciera sa place et son rôle dans toute société, et surtout dans la société moderne ?

    L'Etat occupe une place privilégiée dans l'organisation et l'orientation de l'action des individus. Il est le lieu « où la liberté de chacun pourra coexister avec la liberté de tous », où « l'homme sera ce qu'il y a sur terre de plus grand pour l'homme »1(*). Sa vocation est de conduire les hommes à une vie digne et sensée, en leur procurant le minimum vital, l'éducation, la loi, la discussion responsable. Mais tout cela, sous la tutelle de la société universelle dans laquelle il s'insère.

    Les lignes qui vont suivre ne sont pas signées par un expert en politique. Loin de nous la prétention d'indiquer l'action à accomplir ou le geste à poser. Nous voulons tout simplement présenter une clé de lecture, parmi tant d'autres, pour comprendre l'Etat et le vent fort de l'unification universelle. Sans pour autant sous-estimer la complexité du problème, nous ne démissionnons pas devant la tâche de transformer la réalité, le monde, « en le comprenant dans ce qu'il a de sensé »2(*).

    Notre réflexion comportera trois chapitres. Le premier veut comprendre l'Etat et sa place dans la société. Il sera question de définir l'Etat weilien en présentant, de manière succincte et sélective, ses tâches, ainsi que ses rapports avec l'individu. Le second chapitre exposera les éléments de l'organisation sociale mondiale à travers un exposé, aussi objectif que possible, de l'aspect phénoménologique de l'organisation mondiale, de son mécanisme et des conditions d'une approche éthique. Le dernier chapitre est un essai portant sur l'anthropologie de l'organisation sociale mondiale. Il s'agira, dans cette partie, de comprendre les jeux et enjeux du problème, en abordant successivement, l'implacable logique du travail social, la constitution d'une organisation sociale mondiale, la place du continent africain dans cette réflexion. Une petite conclusion biographique récapitulera l'essentiel de notre réflexion.

    CHAPITRE I : DE L'ETAT WEILIEN

    La situation mondiale se révèle aujourd'hui toujours plus complexe : la blessure tenace de la violence sous toutes ses formes et de la corruption, les bouleversements du droit, l'arbitraire des plus forts, l'exploitation accentuée des plus faibles, l'énorme fossé entre les Etats riches et les Etats en voie de développement, l'utilisation insensée des ressources de la planète, la diffusion des armes de destruction massive, l'expansion de certaines biotechnologies qui ne respectent pas la dignité de l'être humain, exposent l'humanité à des catastrophes sans retour et à une vie quotidienne marquée par la peur et l'incertitude permanentes.

    N'est-il pas déconcertant que dans notre temps, il y ait encore des personnes qui meurent de faim, qui restent condamnées à l'analphabétisme, qui manquent des soins médicaux les plus élémentaires, qui n'aient pas de toit où s'abriter ? Le tableau de la pauvreté peut être étendu interminablement, si nous ajoutons les nouvelles formes de misère que l'on découvre surtout dans des secteurs et des catégories non dépourvus de ressources économiques, mais exposés à la tourmente du non-sens, au piège de la drogue et de l'alcool, à la solitude du grand âge ou de la maladie, à la discrimination sociale.

    Dans une telle société, l'homme est comme ballotté parce qu'il n'a plus aucune conscience de sa dignité ni de sa destinée. C'est l'insatisfaction totale. Il va falloir que la communauté qui s'était organisée rationnellement en société s'organise aussi raisonnablement en une entité étatique, en Etat : là où seront réunies les conditions de « la satisfaction de l'homme dans et par la reconnaissance de tous et de chacun par tous et par chacun ». C'est cela l'Etat chez Eric Weil : cette conscience raisonnable d'une communauté engagée dans l'action. Selon Weil, le but de l'Etat est tout simplement de durer comme organisation consciente de la communauté, pour garantir les conditions qui rendent possible une existence sensée de l'individu dans la communauté-société.

    1.1. L'Etat, conscience raisonnable d'une communauté organisée pour le travail3(*)

    Eric Weil définit l'Etat comme cette « organisation d'une communauté historique »4(*). Comme organisation, il peut prendre des décisions en vue des fins raisonnables à poursuivre et mesurer les moyens rationnels pour les atteindre en fonction de la réalité historique qui est la sienne. Le monde dans lequel l'homme vit est un monde structuré, un monde sensé, un espace moral et raisonnable. Et c'est dans ce cadre bien défini qu'il se trouve engagé et responsable.

    Chacune des communautés particulières où il se trouve est saisi comme un ensemble de valeurs traditionnelles qui constituent la morale vivante et historique de cette communauté. Mais de manière réciproque, cette moralité ne peut survivre qu'en s'ouvrant pleinement à l'universel concret ; « la morale vivante ne peut exister qu'en vertu d'une organisation rationnelle qui la soutienne et la consacre »5(*). Pour Eric Weil, c'est cette réciprocité qui permet à la communauté de survivre dans son sacré, en le justifiant devant le sacré de la rationalité qui sera devenu le juge6(*). C'est l'union de ces deux réalités fondamentales qui définit de manière objective l'Etat. La recherche de ce pacte passe par l'éducation des citoyens. Dans ce cadre, le grand éducateur est la « nécessité », qui appelle les gouvernants à la « prudence ».

    L'individu trouve dans l'Etat, surtout dans l'Etat constitutionnel7(*), un oasis historique, rationnel et raisonnable pour son accomplissement en donnant sens à son existence. La définition positive de ce sens relève de la liberté et n'est plus de l'ordre de la politique. Mais en réalité, quelles sont les tâches spécifiques assignées à l'Etat pour la satisfaction intégrale de l'homme ? Ou mieux, en quoi l'Etat constitue-t-il l'instance où la communauté est protégée contre les dangers qui la menacent8(*) ?

    1.2. L'Etat, organisation du pouvoir politique

    L'Etat serait né d'un besoin de rationalisation de la société à travers la création d'une autorité qui puisse dépasser les clivages entre particuliers pour servir avant tout l'intérêt collectif. Ceci n'a malheureusement point empêché dans l'histoire que certains usent de l'Etat pour asseoir leurs intérêts particuliers au détriment du bien commun. Toutefois, l'Etat demeure la seule forme moderne fondée sur une constitution qui définit les pouvoirs, organise les relations9(*). Cet Etat garantit certains droits à l'individu qui peut, ou non, participer activement aux activités de la civitas. Eric Weil s'inspire en grande partie de Hegel qui a fait de l'Etat la réalisation de l'idée morale, la capacité ultime et unique de réalisation de la liberté subjective, le lieu potentiel enfin de la résolution de toute contradiction. Pour lui, c'est seulement dans l'Etat que l'homme peut se réaliser comme liberté. Dans la même perspective, Spinoza a brossé un commentaire très particulier sur l'Etat. Il écrit ceci :

    La fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle des bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté.10(*)

    Mais pour s'organiser et exercer concrètement le pouvoir de décision, la communauté doit se doter d'institutions, « par lesquelles elle pense et élève à la conscience, la tâche qui est proprement la sienne, celle de durer en se développant et se développer en choisissant »11(*). En ce sens, l'Etat s'incarne dans ces organes, moyens matériels, concrets, de prise de décision et devient alors l'ensemble des institutions via lesquelles la communauté opère des choix judicieux et fait ainsi son histoire. Le parlement est « l'institution qui caractérise principalement l'Etat constitutionnel »12(*), dans la mesure où il permet et contrôle l'action du gouvernement, lui donnant par là « de maintenir l'unité et la cohésion intérieure de la nation »13(*). Pour Weil, « le parlement est le lieu où le désir traditionnel, voire le besoin, les préférences, les goûts, toute la vie morale entrent en contact avec les nécessités de la rationalité, pour se les soumettre en s'y soumettant »14(*).

    Ici, l'Etat se comprend à partir d'un principe calculateur, matérialiste. Cela peut nous amener à poser un jugement négatif vis-à-vis de ces institutions si nous considérons l'Etat historique comme l'unique oasis où le chemin de l'homme est mieux défini. Certes, l'Etat comporte un aspect technique que doit prendre en compte toute compréhension de la réalité politique. Mais il serait déraisonnable de vouloir réduire la réalité étatique à la seule organisation technique. L'Etat est à comprendre comme ensemble organique de ses différentes institutions, c'est-à-dire comme totalité vivante des institutions se supposant et se supportant en toute réciprocité, dans le respect du droit. Mais quelle est en définitive la finalité de l'Etat ?

    Pour Weber par exemple, la finalité donnée à l'Etat c'est lui-même et non pas un processus objectif doté d'un sens immanent et dirigé vers une fin : l'Etat n'existe que sous la condition de la soumission des dominés aux dominants15(*). C'est avant tout l'organe qui a la direction des conflictualités dans les limites imposées par la rationalité formelle. Par contre, pour Weil, l'Etat régularise les concurrences par couches, et, partant, a donc la capacité de traduire pour le plus grand nombre les affrontements concrets des couches en ce qu'ils génèrent de sensé et de rationnel. Dans ce travail interprétatif, l'Etat résorbe les affrontements en s'appuyant sur une conflictualité régulante ayant valeur juridictionnelle16(*). C'est donc bien la relation qui engendre et génère, ici encore, rationnel et sens. C'est elle qui est privilégiée dans la gestion - non formelle - du penser weilien. Par cette différence de vues, le terrain de la rationalité, celui du sens, sépare Weil de Weber. A la thématique wébérienne de l'homme rationalisé, incapable de donner sens à sa vie17(*), Weil substitue la catégorie de Cosmos, et reprend cette idée de monde de connexions, où nous vivons, et où il nous appartient de choisir de lui donner un sens.

    1.2.1 L'Etat du droit

    Ce qui caractérise l'Etat moderne, c'est la loi, qui règle sa vie, son action ainsi que « les rapports des citoyens entre eux, avec la société et avec l'Etat pour autant que ces relations peuvent donner lieu à l'emploi de la violence »18(*). L'Etat moderne est, selon Eric Weil, « l'Etat du droit »19(*). Cette définition a le mérite d'inclure, en la précisant, celle qui détermine habituellement l'Etat par le monopole de la violence ; elle insinue entre autres qu'« il ne l'emploie cependant que dans certaines circonstances qu'il est seul à définir par la loi et en dehors desquelles il s'interdit lui-même de s'en servir »20(*). Mais en réalité, qu'est-ce que la loi pour une communauté ?

    « Au niveau politique [selon Eric Weil], la loi est la forme dans laquelle l'Etat existe en se pensant. »21(*) ; « C'est à elle de donner la forme de la conscience aux buts derniers de la communauté »22(*) où l'homme est plongé, engagé dans un espace de relations et d'interactions ; où l'homme dépouillé par sa morale individuelle, rencontre par contre une autre loi : la loi positive de la communauté particulière.

    Non pas sans doute qu'il lui faille tout de suite adhérer à ces « maximes empiriques » et identifier à la loi positive, sa morale intérieure. Non, le divorce peut exister quelquefois. Car tout individu reste exposé à la tension entre la loi morale et la loi positive. Cette tension reste inévitable dans la mesure où l'histoire n'est pas achevée et où la loi des communautés particulières doit encore découvrir son accomplissement. Mais c'est une tension qu'il faut se garder de trancher en rejetant l'un des termes de l'alternative. Car la loi positive permet à la loi intérieure de l'éthique de pouvoir s'affirmer, survivre dans l'espace et durer dans le temps. Et, sans la loi morale, la loi positive reste sans contenu, incomplète et insuffisante, faisant abstraction des nobles exigences de la réalisation des libertés fondamentales. La morale est au service de la loi positive, sans laquelle cependant, elle ne pourrait s'exercer.

    C'est ici que Weil préconise la notion non moins importante du droit naturel, sorte de point d'articulation entre la morale et l'histoire. Le droit naturel fournit son critère à l'appréciation critique des institutions représentant « l'histoire faite ». Mais, il fournit aussi les concepts grâce auxquels une sensibilité politique, au lieu de s'exprimer par la violence, se donne la forme d'un discours rationnel et raisonnable. Il amène le philosophe animé d'une exigence éthique à participer à l'histoire se faisant, en aidant autrui à donner à son propre sentiment du juste et de l'injuste la forme d'une volonté agissante, c'est-à-dire, capable de convaincre.

    En définitive, on peut dire que les deux composantes de la théorie weilienne du droit naturel correspondent à la dualité de la forme et du contenu. La forme correspond à la loi naturelle réinterprétée en termes kantiens. C'est l'égalité des êtres raisonnables, principe intemporel et immuable en tant que principe formel, mais pour cette même raison, principe vide et indéterminé. Le contenu est donné par le sentiment du juste et de l'injuste, sentiment concrètement déterminé par les conditions sociales et politiques d'une époque donnée : c'est le juste de nature qui correspond à la structure et aux représentations, aux sentiments éthiques propres à une certaine forme de société, en l'occurrence la société moderne. Le concept weilien du droit naturel articule ces deux aspects : c'est le principe formel qui se détermine comme principe d'appréciation critique des institutions existantes et comme principe d'explication du sentiment concret du juste et de l'injuste. C'est le principe intemporel qui se concrétise de façon variable selon les époques. Ce qui permet de dire que le droit naturel est essentiellement historique. Mais ce paradoxe est celui de l'homme même, puisque sa nature est précisément d'avoir une histoire.

    Telle est, chez Eric Weil, la justification du recours au concept de droit naturel. Ce concept permet d'explorer les multiples articulations de la morale et de la politique, de l'histoire et du droit. Il prend place dans une tentative de penser le droit dans son rapport à l'évolution sociale et politique, pour saisir à quoi tient l'apparition des droits nouveaux, la transformation des institutions existantes et le déclin parallèle de certaines formes juridiques. Il permet de formuler, dans leur complexité deux problèmes fondamentaux : celui de l'évolution du droit et celui de la formation du jugement politique. C'est pourquoi la notion du droit naturel, dans la Philosophie politique, conduit à une théorie de l'éducation. Au fond, l'originalité d'Eric Weil est de n'avoir jamais séparé les deux questions qui traversent toute l'histoire de la philosophie politique depuis Platon : celle de la justice et celle de l'éducation.  

    1.2.2. L'Education

    L'éducation intervient comme un support indispensable à la morale ; car, c'est elle qui ouvre l'individu à l'universel. Dans la réalité quotidienne, l'individu ne vit pas toujours selon la raison. Weil dira que « sa volonté peut se faire diabolique »23(*). Toute sa vie et son action sont une recherche du profit et de l'intérêt personnels. Même lorsqu'il parait et se soumet à l'universalité de la loi positive, c'est encore pour sauvegarder ses intérêts. « Ils le font parce qu'ils y trouvent leur intérêt ou parce que de cette manière ils évitent ce qu'ils craignent »24(*). L'éducation vise essentiellement à corriger les passions de façon positive en prenant appui sur elles. Eduquer, c'est donc vaincre un désir par un autre. Mais pourquoi l'éducation ?

    L'éducation est destinée à socialiser l'homme, c'est-à-dire à l'insérer dans les moeurs et usages d'une communauté particulière. Elle veut conduire l'homme à agir selon la morale historique de sa communauté, morale qui exprime pour cette communauté le droit naturel et la raison. L'éducation humanise l'homme. Elle « ne mène qu'au seuil de la morale, sans elle ce seuil sera infranchissable, voire invisible : rien d'humain ne se fait, rien d'humain ne s'est jamais fait sans éducation »25(*). Mais plus encore, son « but dernier est de faire de l'éduqué un éducateur, éducateur de lui-même autant que de tous ceux qui ont besoin d'éducation »26(*). L'éducateur témoigne à la fois de la morale abstraite, qui justifie son action visant à conduire l'humanité animale par l'animalité dans l'homme à la raison et à la liberté raisonnable (...) à former des hommes capables de décider raisonnablement à leur place dans le monde et d'agir raisonnablement, sachant ce qu'ils font et pourquoi ils le font27(*), et du caractère sensé de la communauté historique dont il est porte-parole. L'éducateur est porte-parole de sa communauté parce que l'éducation de l'individu à la raison passe nécessairement par l'insertion de l'individu dans les moeurs de sa communauté historique, en tant que celles-ci offrent déjà la possibilité d'une réalisation concrète de la liberté raisonnable. « L'éducateur est au point de suture de la morale et de la politique »28(*). En réalité, l'éducation conditionne la survie de l'Etat. Eric Weil voit en l'éducation une action de socialisation et moralisation. L'éducateur inculque aux citoyens le respect des règles sociales, une forme de comportement qui correspond aux valeurs de la société. « L'attitude correcte que donne l'éducation est alors celle qui fait que l'individu agit à sa place comme il convient d'y agir »29(*). Mais l'éducateur doit tout juste donner la méthode pour penser l'essentiel. Car, « c'est dans (et par) la réflexion sur ce qui est nécessaire que se fait l'éducation des citoyens (y compris des gouvernants). Elle s'effectue sous la forme de la discussion »30(*).

    1.2.3. La discussion

    Le progrès du droit dépend, en partie, de l'influence de la discussion publique sur les instances du pouvoir. Le droit naturel, comme exigence formelle d'égalité et d'universalité, est le critère de cette discussion. A la différence de la conception kantienne, cependant, la discussion publique ne concerne pas seulement, chez Weil, une communauté semi-fermée de savants ou de professionnels éclairés. Du point de vue social, elle s'inscrit dans le contexte d'une éducation de masse. D'un point de vue politique, elle correspond à la définition principielle de la démocratie : un mode de gouvernement où les décisions sont préparées puis expliquées au moyen d'une discussion à laquelle chaque citoyen est, de droit, partie prenante. Dans ce contexte, la discussion menée à l'aide du critère du droit naturel participe d'une sorte de pédagogie politique. D'une part, parce qu'elle doit permettre au citoyen de s'approprier le contenu rationnel des lois, et donc d'y adhérer au lieu de leur être purement et simplement soumis. D'autre part, parce qu'elle doit permettre au sentiment de l'injustice et à l'exigence de justice, potentiellement violents en tant que formes de la sensibilité et principes de révolte, de s'élaborer et de s'expliciter dans la forme d'un discours.

    La discussion publique - et avec elle le droit naturel qui lui sert de critère - participe ainsi d'une pédagogie politique qui remplit une double fonction. Elle doit permettre à l'individu de « se reconnaître » dans les institutions qui structurent la société et l'Etat auxquels il appartient, et de reconnaître ce qu'il y a de sensé dans ces institutions. Mais, là où ces institutions sont arbitraires ou ressenties comme telles, la discussion publique a pour fonction de favoriser l'élaboration de la révolte en un discours, le passage de la sensibilité éthique à la forme d'une volonté politique. La discussion doit aider la société à prendre conscience de ce qu'elle veut, à expliciter en un discours le sentiment du juste et de l'injuste. Il s'agit de passer de la réactivité du sentiment à l'action d'une volonté fondée sur un discours rationnel. Et par là, il s'agit aussi de dépasser le moment de la révolte violente, mais stérile, pour aboutir à l'action débouchant sur un progrès effectif des institutions. Ce n'est qu'ainsi que l'Etat peut être transformé d'une vallée de dictatures en un espace de liberté personnelle.

    1.3. L'Etat, espace de liberté personnelle

    Eric Weil définit l'action politique comme le lieu de l'effectuation de la liberté raisonnable. Il reconnaît ainsi que dans la société moderne, l'individu surgit non seulement comme conscience du mécanisme social qui le conditionne, mais comme conscience de la liberté inconditionnée, qui entend se soumettre l'univers du mécanisme social et lui conférer un sens.

    A l'encontre, à la place des philosophies de l'intériorité qui exaltent la liberté en tant que pouvoir d'auto-détermination, Eric Weil propose une philosophie de la liberté concrète, qui a pour enjeu la synthèse de la liberté et de l'institution. Ici, Weil rejoint en fait Paul Ricoeur pour qui, « une liberté sensée est une liberté qui se coordonne avec d'autres libertés dans une institution... »31(*). Pour prendre corps et consistance, la liberté est appelée à dépasser son moment de pure indétermination et à s'investir dans la condition historique. Le lieu où se réalise ce dépassement est l'institution proprement politique : l'Etat dont l'action doit tendre à « la coïncidence de la puissance publique avec l'exercice des libertés individuelles »32(*). Dans le refus de tout machiavélisme, comme de tout moralisme, Weil peut reprendre et renouveler la conception aristotélicienne et hégélienne de l'Etat en tant que condition co-essentielle au développement rationnel de l'individu. C'est en son sein que la liberté personnelle s'épanouit et devient effective. A ce sujet, Weil affirme que

    L'individu n'est rien sans Etat, ou, pour être plus précis, sans l'Etat, il n'est qu'un animal ou une machine ; mais la fin de l'Etat est l'individu libre et satisfait dans la raison. C'est dans l'Etat que l'homme se développe - et il peut s'y développer au point d'être raisonnablement mécontent de tout Etat historique. C'est là qu'il pense sa morale - et peut la penser contre la morale traditionnelle, en partant de cette morale. C'est là encore qu'il se sait libre - et peut se savoir moins libre que les conditions du monde ne lui permettraient de l'être. C'est là que, grâce au travail social, il se trouve protégé de la violence de la nature extérieure, du besoin naturel et de la passion humaine - et qu'il peut constater qu'il n'est pas suffisamment protégé, ou au contraire, que cette lutte avec la nature est devenue lutte sans fin33(*).

    Mais tout cela suppose que l'individu éduqué ait quitté aussi bien la grossièreté de son individualité empirique que la passivité du pur sacrifice et se soit élevé à la pensée raisonnable et rationnelle34(*). Cependant, l'Etat ne constitue pas la condition suffisante de l'accomplissement que l'individu donne à sa vie. C'est à la personne individuelle qu'il revient de se réaliser librement en lui et d'accéder ainsi à la « vertu ». C'est l'individu raisonnable qui, en lui-même, devra réaliser sa satisfaction intégrale,

    Le but de l'Etat, considéré du côté de l'individu dans une société qui le protège, par laquelle, ensemble avec tous les autres, il se protège lui-même de la violence de la nature extérieure, et dans une communauté dans laquelle, ensemble avec tous les autres membres de cette communauté particulière, il trouve et donne un sens à son existence35(*).

    Si l'on s'en tient à cette réflexion, comment dès lors, penser les rapports individu-Etat ? La réponse à cette question, c'est l'histoire qui nous l'apportera. Mais quoi qu'il en soit, nul au monde ne pourrait nier le rôle précieux de l'Etat, dans la socialisation et la moralisation des citoyens. Le jour où la logique de l'efficacité et celle de la morale se révéleraient opposées, c'en serait fait de la réalité politique, puisque la tâche propre de l'Etat est de les unir. Mais en fait, si ces logiques ne parviennent pas encore à s'entre-pénétrer, et si leur opposition fait paraître la possibilité d'une guerre, cette opposition ne devient absolue qu'en vertu d'une abstraction qui sépare totalement la politique de l'histoire.

    En réalité, la constitution d'une organisation sociale mondiale, selon les exigences de l'universalité rationnelle, apparaît de plus en plus comme la condition sine qua non pour sauvegarder les morales concrètes des communautés particulières. C'est cela la tâche qui s'impose aujourd'hui aux Etats particuliers libres : réaliser une société universelle où ils pourront se développer librement, sans perdre leurs indépendances respectives.

    CHAPITRE II : LE PHENOMENE DE L'ORGANISATION SOCIALE MONDIALE

    La question nodale dans ce deuxième chapitre est simple : Comment nous apparaît l'organisation sociale mondiale ? L'Etat moderne weilien comme nous le savons, cherche comment unir la morale vivante de la communauté historique avec la rationalité de la société de travail. Quand ces doubles exigences - l'efficacité et la justice - sont en disharmonie, la possibilité de la violence guerrière reste inévitable. C'est à ce niveau que l'organisation mondiale intervient pour orienter les politiques particulières des Etats. De telle sorte qu'aux rumeurs de la violence succède le chant de la liberté, cette « sorte d'«Etat universel » qui selon Simon Decloux, [va] réconcilier à un niveau supérieur, les antagonismes que chaque Etat tranchait à l'intérieur de ses propres frontières. C'est cela l'organisation mondiale : l'espace unique de normes juridiques et éthiques, les organisations multinationales nées après 1945. Peu ou prou, tout cela concerne tous les Etats de la planète. Tout cela conduit à une société humaine réellement unifiée qui prend conscience de problèmes communs à toute l'humanité sans pour autant devenir uniforme.

    2.1. Comment nous apparaît l'organisation sociale mondiale ?

    La situation géopolitique actuelle du monde, ou le phénomène de mondialisation36(*), peut en quelque sorte nous aider à nous faire une idée juste de ce que serait l'organisation sociale mondiale. Que voyons-nous aujourd'hui, dans le concret de notre vie sociétale ? Il se pourrait que la mondialisation soit en train de préfigurer une réponse possible à cette énorme et redoutable question de la société mondiale.

    Par les télécommunications, l'espace mondial peut se « condenser » en un seul repère. De même, une grande partie du monde est accessible physiquement en moins d'une journée à partir de n'importe quel endroit de cette partie. On assiste à une rapide concentration des entreprises, particulièrement dans les branches où les économies d'échelle sont importantes : automobile, pétrole, transport aérien, aviation et armement. De grandes firmes nationales s'unissent pour donner naissance à des groupes mondiaux. D'autres firmes cherchent de plus en plus à se « mondialiser » en concevant leurs produits pour un marché mondial. Deux niveaux d'intégration se dégagent pragmatiquement. D'abord le niveau planétaire avec les organisations multilatérales nées après 1945 - ONU, FMI, BIRD, UNESCO, OMS, FAO, plus récemment OMC. Puis le niveau régional, avec des Associations « inter nationes », dont l'Union Africaine. Un espace unique de normes juridiques et éthiques se superpose de plus en plus aux espaces purement nationaux. De nombreuses conventions internationales définissent un nouvel espace juridique du droit public supérieur aux droits nationaux. Eric Weil avait constaté que « l'époque moderne a...vu la naissance de tribunaux internationaux et d'organisations conçues pour administrer, sur un plan supra-national, certaines affaires concernant plusieurs Etats »37(*). Sous l'impulsion des ONG, de l'ONU et de diverses autorités morales, un corps de normes pour les Droits Humains s'impose peu à peu en dépit de nombreuses résistances. Pour toutes ces raisons, le droit et les juges prennent une importance sociale et politique accrue, un véritable « intérêt général » mondial commence à apparaître. A l'occasion de famines, de guerres civiles, d'atteintes aux Droits de l'Homme, de destructions d'espèces vivantes ou de milieux naturels, une opinion publique planétaire commence à se manifester et à peser sur les décisions politiques ou économiques. « Un problème des relations internationales existe pour tout gouvernement moderne. Ce monde n'est [plus] seulement celui des Etats historiques : il est aussi [devenu] celui de la société moderne, mondiale par son principe et en principe »38(*). Voilà pourquoi la lutte contre l'exclusion devient prioritaire et le « travail social » une question essentielle.

    Mais Eric Weil va un peu plus loin. Il envisage une grande organisation dont le but est la satisfaction des hommes raisonnables à l'intérieur d'Etats libres. Cette organisation confiée à la politique de tout Etat moderne est appelée « Etat mondial ». Terme approprié quand on pense à cette part de l'activité de l'Etat qui échoit à l'administration du travail social. Mais terme ambigu si l'on pense à l'appareil construit par l'action extérieure de l'Etat, essentiellement a-morale et fondée sur la possibilité de la violence. Sans compter que cet Etat se caractérisera par une absence de politique extérieure. « Au sens courant du mot Etat, qui découlerait de l'histoire, ce serait, au contraire d'un Etat, une organisation coordonnant le travail de communautés dont chacune aurait pour but et pour sens le développement de sa morale, de son univers particulier concret. »39(*)

    2.2. Mécanisme de l'organisation sociale mondiale

    Weil définit le mécanisme social comme étant un système de lois auquel l'individu se trouve toujours soumis et sur lequel en même temps il s'appuie pour obtenir le prix de sa personnification dans la société. Trois catégories résument le mécanisme de la société universelle : le calcul, le matériel et le mécanique. La société mondiale est calculatrice dans la mesure où elle recherche en tout l'efficacité et le profit :

    Toute décision, toute transformation des procédés du travail ou de l'organisation, tout emploi des forces disponibles...doivent être justifiés par la démonstration que la domination de l'homme sur la nature s'en trouve renforcée, que, en d'autres termes, le même résultat mesurable est atteint avec une moindre dépense d'énergie humaine ou que plus de forces naturelles sont mises à la disposition de l'humanité...qu'il ne serait possible avec les méthodes antérieures.40(*)

    Elle est mécaniste dans la mesure où tout problème est transposé en problème de méthodes de travail et d'organisation et de ce fait ne relève que du mécanisme social. Elle est matérialiste en ce que l'élément pertinent pour ses décisions est le quantifiable, donc les facteurs matériels. Quel est l'esprit qui caractérise cette organisation ?

    L'esprit de l'organisation sociale mondiale est sans aucun doute la rationalité, non pas une rationalité abstraite, mais une rationalité concrète ou mieux pragmatique puisqu'elle débouche sur la technique. On pourrait alors affirmer sans risque de se tromper que l'esprit qui sous-tend l'organisation universelle est un esprit technico-rationnel.

    C'est cet esprit empiriste, moteur de la modernité et de la modernisation, qui caractérise les sociétés contemporaines quand bien même chacune d'elles participe à cette modernité à des degrés très divers. Cette différence entre les sociétés se concrétise dans les rapports entre les Etats et entre les hommes du monde. Cela révèle un malaise dans la mondialisation actuelle et remet en cause l'esprit rationnel qui la sous-tend. En réalité, le rationalisme de la société mondiale n'est pas un rationalisme de fait mais de principe. L'unité de la société mondiale n'est que technologique. Dans la pensée de Weil, la société mondiale homogène n'existe pas en fait, mais seulement en principe.

    2.3. Approche éthique de l'organisation sociale mondiale

    Le « principe d'universalité »41(*) aide à comprendre éthiquement l'importance d'une organisation sociale mondiale. Eric Weil pense que la question se pose avec acuité : « elle vise la possibilité de la présence de l'universel dans la pluralité des particularités qui le rendent concret »42(*). Comment ouvrir les Etats souverains, autonomes au flot de l'universel formel du travail social, de l'efficacité ?

    Les communautés historiques ont été interpellées par la violence de la nature extérieure. Pour se défendre et conserver ce qu'elles ont d'historique, elles ont dû travailler et sont devenues des sociétés. Ces sociétés, une fois au contact de la modernité, ont été obligées à rendre leur travail plus efficace, plus opérationnel via la rationalité. Bref, la modernité les a obligées à dépasser la lutte progressive avec la nature, faute de quoi, elles auraient accepté de « s'immoler sur l'autel de [leurs] sacrés traditionnels »43(*).

    L'Etat particulier qui, en quelque sorte, est la conscience d'une communauté organisée pour l'action, est aussi à comprendre selon cette logique de rationalité. Sa vocation n'est-elle pas d'éduquer, par le biais de ses institutions, la morale vivante des individus à l'universalité de la raison ? La clef d'intelligibilité de cette éducation, c'est que pour que les communautés, puissent survivre, avec tout ce qu'elles ont d'historique et d'irrationnel, elles doivent assumer la rationalité de la société et en accepter les conditions essentielles qu'elle exige. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut tout simplement dire que la communauté, devenue société et Etat en définitive, « devra accepter d'abandonner celles parmi ses valeurs qui ne sont pas conciliables avec cette efficacité sans laquelle aucune de ses valeurs ne survivront »44(*).

    Mais en fait, et dans le concret, la réalisation d'une société mondiale, selon les exigences de l'universalité rationnelle, apparaît de plus en plus comme la condition sine qua non pour sauvegarder les morales particulières. « Ce n'est qu'après la réalisation d'une société mondiale - pense Eric Weil - que les morales concrètes pourront se développer librement, que l'éducation des citoyens pourra devenir le seul but du gouvernement et de tous les citoyens. »45(*)

    Le génie de Weil est d'avoir suggéré la création d'une organisation sociale mondiale qui aura pour mission la promotion de la rationalité globale, laquelle rationalité se traduirait dans l'« égalisation des niveaux de vie des différentes sociétés »46(*) et la possibilité pour chaque Etat historique et particulier, de « faire place à la loyauté morale envers une tradition vivante, une vertu concrète, un groupe humain uni, non pas par les liens de la nécessité et de la peur, mais par l'adhésion à un sens »47(*). « Ce n'est qu'alors - poursuit Weil - que le mot amitié pourra reprendre ce sens moral et politique qu'il a perdu dans le monde moderne au profit d'une signification privée et sentimentale. »48(*) Eric Weil donne ainsi une conscience, mieux encore, une âme à l'organisation sociale mondiale en réconciliant l'universel et le particulier, le rationnel et l'historique. Ainsi donc, dans la logique d'une telle société, tout Etat doit tendre à l'universel tout en gardant une touche de particularité.  

    CHAPITRE III : L'ANTHROPOLOGIE DE L'ORGANISATION SOCIALE MONDIALE

    L'organisation dont il est question se caractérise dans sa logique du travail social. En réalité, la mission de cette organisation n'est pas de fixer le sens vrai de l'existence - la seule loi qui gouverne la société mondiale est la loi formelle de l'entendement, l'élimination de l'usage de la violence -. Mais de rendre possible l'épanouissement de l'individu à l'intérieur d'Etats particuliers. Les Etats particuliers demeureront, les lieux par excellence où l'individu se découvre plus et mieux homme.

    3.1. L'implacable logique du travail social

    Si la société mondiale est un fait irréversible qui s'impose à tous, le philosophe ne doit pas s'écarter du circuit actif ; mais bien au contraire, il devra s'approprier la situation en y participant activement sur le plan éthico-politique. Son rôle n'est-il pas de comprendre le monde en ce qu'il a de sensé ? Dans cette perspective, commençons par examiner la logique du travail social dans la société moderne.

    Aujourd'hui par exemple, les transactions financières transfrontalières et les investissements à l'étranger sont d'excellents indicateurs de cette homogénéisation du travail. Alors que les investissements nationaux dans le monde ont seulement doublé de 1980 à 1996, ceux effectués à l'étranger ont été multipliés par six ! Ces quelques chiffres permettent de voir le caractère massif de l'universalisation du travail social et de l'ouverture des économies.

    Ces mouvements ne se font pas au hasard. Ils obéissent strictement à la logique qui gouverne les sociétés. Celle-ci n'est rien d'autre que l'impératif catégorique de la rentabilité, dont aucune firme ne peut s'abstraire sous peine de disparaître. L'unification de la société entraîne l'application de cette logique à toutes les nations, et dans chacune d'elles à la société entière, à laquelle elle s'impose sous peine de voir le chômage s'étendre, puisque les productions peuvent désormais migrer sans entraves. Tout tend alors à se juger à l'aune du profit possible, les nations comme les hommes. Cette volonté de puissance d'une rationalité, celle de l'efficacité, entraîne la chosification de l'homme, - « [L'homme] apprend à se considérer comme force productive...Le mécanisme agit sur lui, et lui, il collabore à la bonne marche de ce mécanisme... S'il veut vivre et participer aux avantages du travail social, il doit se faire objet utilisable dans et pour le travail. »49(*)-, dévalorise ou étouffe toute autre approche du réel. Substituant son discours au sacré des communautés historiques, elle oublie sa propre relativité et devient une arme meurtrière qui asphyxie toutes les autres dimensions de l'homme, celles de l'intuition et de la créativité50(*). Un pays modèle sera celui où le la « société constitue une communauté de travail »51(*), car « la conscience d'une communauté donnée correspond, par conséquent, aux possibilités « matérielles » du groupe, à sa richesse sociale, à l'état de ses techniques, à la forme de son organisation »52(*).

    Malheureusement cette logique, poussée à l'extrême, ne peut que renforcer partout les forts et affaiblir les faibles. Elle augmente les écarts sociaux et « entre les individus à l'intérieur d'une société donnée, la distribution des biens produits se fait de manière inégale »53(*). C'est bien ce qui se produit en Europe : la richesse croît vite, mais aussi la marginalité et le chômage, introduisant la violence au coeur de la société, dans la rue et à l'école. De ce fait, les différences entre pays développés et sous-développés se réduisent : l'exclusion côtoie partout la richesse, au coeur même des nations. Pour autant, les écarts moyens de développement sont loin de se réduire. En dépit de taux de croissance parfois élevés dans les pays émergents, les différences de richesse moyenne par personne continuent à croître et rien ne permet d'envisager le renversement de cette évolution. De toutes les façons, « certaines sociétés sont encore loin d'avoir atteint la pleine maîtrise dans l'emploi de cette technique »54(*). La question du développement n'est pas résolue par l'extension progressive de l'homogénéisation économique. Celle-ci, toutefois, en transforme la problématique : hier, il y avait d'un côté des pays développés, sans chômage ni exclusion, de l'autre des pays totalement sans avenir. Aujourd'hui, tous sont plus ou moins affrontés aux mêmes défis, tout en restant très différents par leur richesse moyenne.

    La logique du travail social peut donc se révéler tout à fait contraire à la fin visée, à savoir la satisfaction des individus raisonnables, en réduisant l'homme à un facteur de production, « sous la pression des circonstances »55(*). Un totalitarisme calculateur, matérialiste et mécaniste se répand. Comment promouvoir l'efficacité sans chosifier l'homme ? Cette question est loin d'être nouvelle. Elle s'est posée en Europe dès le siècle dernier, avec la naissance du capitalisme. Plusieurs réponses furent alors données. On pouvait changer complètement la propriété et la société : ce fut l'utopie communiste, propagée par le Manifeste de Karl Marx de 1848. On pouvait aussi instaurer un Etat totalitaire fondé sur une idéologie unique imposée, absorbant ainsi la société entière dans l'ordre politique : ce furent les réponses stalinienne, nazie ou fasciste. On pouvait enfin accepter le développement capitaliste et tenter de l'équilibrer, soit par une action redistributive de l'Etat en concertation avec le patronat et les syndicats, soit par la vigueur d'une société civile très active, soit enfin combiner les deux.

    Jusqu'à présent, les faits ont plutôt tranché en faveur de ce dernier groupe de réponses, les deux premières réponses n'ayant apporté qu'une barbarie pire que celle du capitalisme. On peut donc penser que la réponse efficace aux indiscutables méfaits sociaux de l'homogénéisation économique résidera dans la mondialisation de la social-démocratie alliée au libéralisme, sans exclure par principe que des formes nouvelles de socialisme puissent répondre également à la question, y compris à partir des idées de Marx, mais elles sont encore à naître. Tant que cette évolution ne sera pas accomplie, l'unification économique restera sauvage, comme le fut le capitalisme à sa naissance.

    Sur ce chemin se dresse un obstacle de taille : le décalage des espaces économiques et politiques. Ce décalage existait peu au siècle dernier, lorsque les économies étaient peu internationalisées. La situation actuelle est différente. Alors que l'économie et les finances se déploient sur un seul espace unifié et globalisé, le politique reste trop fragmenté en espaces institutionnels disjoints. Le pouvoir politique ne peut de ce fait agir globalement sur l'espace le plus pertinent, celui du monde unique. Un premier progrès est permis par les Associations Régionales d'Etats comme l'Union Africaine. 

    Toutefois, la question ne sera pleinement résolue qu'avec la réalisation d'une organisation sociale mondiale spécialisée, seule capable d'obliger à une redistribution mondialisée et à des normes sociales générales. Cet organe n'existe pas encore sous les formes adéquates - l'actuel système international mis en place après 1945 en est encore très éloigné -. Travailler à sa création est une tâche urgente pour les Etats particuliers, tout autant que la promotion de la coopération entre Etats. C'est ainsi que pourra se réduire, sinon disparaître, le décalage croissant entre les espaces politiques et l'espace économique globalisé, problème central si l'on veut préserver les particularités. Eric Weil, constate avec réalisme, que « la communauté du travail est devenue, de par le principe de sa technique et d'organisation, une communauté englobant l'humanité entière »56(*). Il est convaincu que « seule une organisation mondiale serait en accord avec la technique dont dispose l'humanité au présent, d'après les critères de cette technique même : elle seule permettrait d'arriver aux meilleurs résultats avec la dépense la plus réduite d'efforts humains »57(*).

    L'universalisation des méthodes de travail se fait de plus en plus manifeste, elle engendre une production accrue de richesses avec des conséquences sociales parfois très négatives à cause du primat absolu de la rentabilité qui engendre un nouveau type de totalitarisme. Ces conséquences ne pourront être maîtrisées que par la constitution d'une société politiquement mondiale.

    3.2. La constitution d'une société mondiale

    Est-ce nécessaire de constituer une société mondiale ? Dans l'Ethique à Nicomaque, Aristote remarque que tout art, toute recherche, toute activité tend vers un but ou encore vers un bien. Quel est le bien spécifique d'une telle organisation ? Où trouver les repères susceptibles d'assurer la cohésion entre les Etats autonomes et la société universelle ? C'est à ces questions que ce point voudrait répondre, sans pour autant sous-estimer la complexité d'une telle problemata.

    3.2.1. L'urgence d'une organisation sociale mondiale

    L'organisation sociale mondiale est, dans la perspective weilienne, essentiellement économique. Il est donc juste de dire que la réussite de l'homogénéisation s'harmonisant avec le respect des particularités historiques se trouve dans la maîtrise et la moralisation de l'économie et de l'homme qui en est l'acteur. Il faudrait effectivement commencer par rationaliser l'économie mondiale de sorte qu'advienne la société mondiale organisée pour les meilleurs résultats dans la production des richesses. Concrètement, les nations les plus riches doivent se montrer solidaires envers celles qui manquent du minimum vital.

    Sur le plan socio-politique, Eric Weil montre que, « la réconciliation des morales historiques avec une organisation mondiale de la lutte contre la nature extérieure est le problème du monde moderne ; la contradiction entre elles ne se résoudra que dans la libération des morales, non malgré, mais par l'organisation de la société mondiale »58(*) et que c'est de l'intérêt des Etats particuliers « de travailler à la réalisation d'une organisation sociale mondiale »59(*). Cela, sans doute, permettra à chaque Etat « de préserver la particularité morale qu'il incarne »60(*), tout en faisant partie de la société universelle. Dans la solution que suggère Weil, il ne s'agit pas de partir des Etats particuliers pour montrer comment à partir de l'intérieur, chacun pourrait s'ouvrir à l'organisation mondiale. Weil part au contraire, d'un regard englobant la totalité des Etats particuliers pour montrer comment chaque Etat pourrait adhérer à l'universalisation. Il propose dès lors, la création d'une organisation sociale mondiale qui aura souci de la rationalité globale. Dans le concret, cela reviendrait à créer une organisation mondiale de type administratif capable de réguler les disparités économiques toujours plus affolantes entre les puissants et les faibles. L'importance d'un tel organe jaillit de la logique même du vent fort de l'homogénéisation. Les administrateurs de cette organisation devront se soumettre au contrôle des dirigeants et des citoyens. Mais tout cela suppose que les Etats particuliers renoncent à la violence historique, et également à l'hégémonie qui les caractérisaient. Ce n'est que de la sorte que pourront naître ce que Weil appelle, les « Vrais Etats » qui se reconnaissent souverains, autonomes, particuliers à l'intérieur de la société mondiale.

    3.2.2. La coopération mondiale des Etats

    « L'organisation de la société universelle incombe aux Etats tels qu'ils existent dans le monde contemporain. »61(*) Au niveau universel se déploie l'ensemble des structures de l'ONU, fondées en 1945 à Bretton-Woods, et de ce qui a subsisté de la Société des Nations, comme le Bureau International du Travail. L'Organisation des Nations Unies elle-même se présente comme un Parlement ouvert à tous les Etats. Mais cette Assemblée n'est pas élue directement ; simple « Sénat des Etats », sans moyens financiers ni militaires propres, elle est très loin d'un gouvernement mondial. Une pléiade d'organisations multilatérales spécialisées gravite autour d'elle, les dernières en date étant l'OMC - Organisation Mondiale du Commerce - et la Cour Criminelle Internationale dont la création vient d'être décidée. Dans l'espace de la puissance, l'astre du G8 contrôle le mouvement des affaires monétaires, financières et économiques importantes du monde. Au plan juridique, plusieurs conventions internationales commencent à organiser un droit public mondial commun à tous les Etats à partir du moment où une fraction suffisante d'entre eux les ont ratifiées. Cet ensemble passablement disparate, annonciateur de l'organisation sociale mondiale, appelle au moins trois remarques.

    Si tous les Etats qui le souhaitent peuvent y participer, tous les Etats n'y sont pas pour autant égaux. Les Etats-Unis et les vainqueurs de 1945 y jouent un rôle central, ainsi que le Japon, l'Allemagne et quelques autres pays européens. L'influence des Etats n'est pas forcément en lien avec leur puissance réelle. Cette distorsion, patente au Conseil de Sécurité, n'est certainement pas un facteur d'efficacité. En dernier ressort, toute action internationale lourde repose en fait sur la puissance et les volontés américaines. Les exemples abondent et sont connus de tous. C'est d'ailleurs en vue de protester contre les pratiques mafieuses des institutions financières internationales que le professeur Joseph STIGLITZ a démissionné de son poste de vice-président de la Banque Mondiale. Dans son livre intitulé La grande désillusion, il dénonce le musellement de l'économie mondiale par les pays industrialisés. « L'occident, dit-il, a organisé la mise en place de la mondialisation de façon à recevoir une part disproportionnée de ses bénéfices aux dépens du monde en développement. »62(*) Abordant dans le même sens, Jean ZIEGLER taxe la mondialisation d'être un archipel de prospérité flottant sur un océan de misère63(*). On restera toujours en dehors de l'unification mondiale de la société tant « que la compétition des sociétés particulières reste le moteur principal du progrès matériel ».64(*)

    A quoi sert l'ONU ? A question simple, réponse malaisée si l'on veut dépasser les a priori et les jugements légers. Conçue au départ pour maintenir la paix et faciliter le développement économique - chacun avait alors en mémoire que la crise de 1929 avait favorisé les fascismes -, elle n'a pas pu éviter de nombreux conflits ni répandre rapidement le développement. Certains pensent que l'équilibre de la terreur a été plus efficace pour éviter une troisième guerre mondiale ; les pays qui ont su se développer vite, en Asie par exemple, l'ont fait davantage en utilisant au mieux le libéralisme qu'à travers l'aide publique au développement. Il est clair cependant que ce fouillis institutionnel, déconnecté des citoyens, sert à éviter la propagation des crises de tous ordres, ce qui n'est déjà pas si mal. Les problèmes se multiplient parce « qu'une organisation centrale n'existe pas encore »65(*)

    L'important n'est peut-être pas dans les résultats concrets mais dans la symbolique et la société. Nous nous trouvons devant un gigantesque processus d'auto-apprentissage du travail en commun par des Etats très différents. Un tel processus ne peut manquer de se traduire par l'apparition progressive d'une société mondiale de la gouvernance et de l'approche des problèmes. L'ONU n'est certainement qu'un symbole d'une réelle communauté mondiale des Etats, décidant de concert et ayant les moyens réels d'intervenir. Mais sans le symbole, parfois réduit à un simulacre, pourrait-on avancer plus vite ? Certainement pas. Cet auto-apprentissage planétaire de l'humanité ne se cantonne pas au niveau des Etats. Lorsque l'ONU traite de l'environnement, de la démographie, des femmes ou des Droits de l'Homme, ce sont les sociétés et les personnes qui peuvent entrer en débat. Nécessairement, des éléments communs de culture se dégagent peu à peu ainsi que des lignes de partage claires. Discuter, entendre les autres, c'est déjà appartenir symboliquement à une même société66(*). Ainsi se prépare, de manière plutôt involontaire, le jour où l'on basculera de la symbolique à la pratique, le jour où des forces sociales suffisantes exigeront que ce niveau politique universel soit plus démocratique et plus effectif, moins soumis à une seule puissance. Alors se posera vraiment le problème de la coexistence des Etats avec ce niveau politique universel.

    3.2.3. Vers une nouvelle organisation sociale mondiale ?

    Obligés de coopérer pour survivre, les Etats particuliers profitent de la mondialisation actuelle, pour sortir de leur isolement et se lier entre eux de multiples façons. Ce faisant et sans le vouloir explicitement, ils deviennent les briques d'un Lego politique planétaire renouvelant les concepts de la politique. A long terme, ce mouvement pourrait aboutir à une sorte d'« Etat mondial », s'ajoutant aux Etats actuels sans les supprimer, sans nécessiter cependant la création d'un « gouvernement mondial » qui paraît fort peu probable. Après tout, l'Etat reste incontournable. Eric Weil pense qu'« il n'y a pas d'organisation internationale comparable à l'organisation de l'Etat ; mais puisque chacun doit craindre les résultats de l'emploi de la violence, tous ont un intérêt commun à l'établissement d'une telle organisation »67(*). Il reste convaincu qu'« il est possible et licite d'envisager l'état à venir de l'humanité - à venir (...), non au sens d'une prédiction, mais au sens d'un but à atteindre et qui sera ou non atteint »68(*). Et quel est ce but ? Le but d'une telle organisation « est que la compétition entre les sociétés particulières disparaisse en même temps que la lutte entre les Etats historiques »69(*). Ainsi, tout individu accédera à la gestion des intérêts communs du monde. Il pourra saisir la justice et obtenir par là le respect de ses droits les plus fondamentaux, fondés ici sur la structure même de la société du travail.

    3.3. Et l'Afrique dans tout cela ?70(*)

    Après avoir fait une lecture compréhensive de l'Etat et de l'organisation sociale mondiale, nous voulons maintenant tirer quelques implications philosophiques de la pensée politique d'Eric Weil pour une lecture de la politique en Afrique. Nous empruntons le terme Afrique pour signifier tous les pays du continent africain qui accusent et éprouvent un certain malaise dans leur politique qui se veut moderne, malgré leurs contrefaits.

    3.3.1. Qu'est devenue l'Afrique ?

    De tous les continents, le continent africain est le plus marqué par la pauvreté. Nous le savons, l'efficacité du travail passe par la médiation techno-scientifique qui, tout en réduisant l'effort animal à déployer, concourt efficacement à la maximisation de la production pour la satisfaction des besoins de l'individu. C'est donc à juste titre qu'Ernest Cassirer vente les mérites de la science.

    La science, dit-il, constitue la dernière étape du développement intellectuel de l'homme et peut être considérée comme la réalisation la plus haute et la plus caractéristique de la culture (...) Aucune force dans le monde moderne, ne peut être comparée à la force de la pensée scientifique. Elle représente le sommet et l'aboutissement de toutes les activités humaines, le dernier chapitre de l'histoire de l'humanité et la matière la plus importante d'une philosophie de l'homme.71(*)

    A cet égard, il est dommage que l'Afrique ne se soit pas dotée de structures fiables pour une plus grande productivité et scientificité. Cette crise d'intelligence pratique en matière scientifique et technologique obscurcit le poumon social de l'Afrique, l'écartant ainsi du circuit actif dans la marche du monde. Et, comme si tout cela ne suffisait pas, des guerres qui blessent l'optimisme et brutalisent les consciences non pas tant en raison de leur cruauté - qui n'est pas sans précédent, en Afrique comme ailleurs - mais parce qu'elles paraissent, irrationnelles, suicidaires, sans principe, en dehors de toute logique politique, et encore moins révolutionnaire. Parce qu'elles s'enchaînent, comme au Congo, sans espoir apparent d'en sortir, sans leçons tirées, sans même se donner le temps de reconstruire. Ou que - s'agissant des conflits les plus emblématiques en Cote-d'Ivoire - leur déclenchement semble marquer l'échec de toute une période, l'écroulement d'une montagne d'efforts, avec le sentiment d'une pente toujours plus longue et hasardeuse à remonter.

    Les causes de ces affrontements sont multiples : centralisation excessive du pouvoir politique et économique, engendrant corruption et népotisme ; refus de certains dirigeants de rendre des comptes et d'accepter l'alternance politique, en particulier dans les pays de la mouvance « francophone » ; mépris des minorités ou, au contraire, monopolisation du pouvoir par des groupes particuliers (ethniques, régionaux, militaires, etc.), et absence de systèmes de représentation efficaces ; coopération insuffisante de part et d'autre de frontières qui séparent artificiellement une même communauté ; disputes sur des tracés territoriaux hérités de la colonisation, pour un accès à la mer, au pétrole ou à d'autres gisements de matières premières ; excès de certains budgets militaires, difficultés du retour à la vie civile pour les ex-combattants, insuffisance de contrôle de la circulation des armes légères...

    Tel est le cadre dans lequel naissent, vivent et meurent des dizaines de millions d'habitants qui sont privés des conditions de vie décente, ne disposant pas d'éléments aussi vitaux que la nourriture, l'eau, le logement et les soins de santé, sans parler de l'éducation et de la formation. Sait-on qu'en Afrique subsaharienne 313 millions de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour, soit 86 millions de plus qu'en 1990. Dans son ensemble, l'Afrique subsaharienne voit le problème de la faim s'aggraver et l'environnement - on songe à la désertification - se dégrader. S'il est vrai que ces pays ont connu récemment une croissance du PIB estimée à 5 pc, la démographie galopante et non contrôlée, d'une part, et une distribution très inégale des revenus, d'autre part, ont réduit l'impact de cette croissance sur la pauvreté. Face à cette situation, comment réagir ?

    3.3.2. Le mythe de l'originalité

    Mais qui sait ? Peut-être que tous les malheurs qui arrivent aux Africains, sont dus à la contradiction entre la rationalité à laquelle ils doivent s'ouvrir et l'historique qu'ils portent toujours en eux. Est-ce que l'Afrique a vraiment assumé la rationalité moderne aussi bien dans l'ordre des faits que dans celui des principes, ou se complaint-elle encore dans son mythe de l'orignalité culturelle ?

    En effet, le mythe de l'originalité culturelle naît d'une soif d'être coûte que coûte soi et pas un autre, selon un ordre qui exclut toute forme d'aliénation, d'assimilation, de dépendance puérile. Mais au fond de cette quête d'être soi, se cache l'idéologie ruineuse de se libérer de la présence en soi d'un Occident oppresseur. Pour Paulin Houtondji,

    A vouloir coûte que coûte défendre nos civilisations, nous avons fini par les figer, par les momifier. Nous avons trahi nos cultures d'origine en voulant à tout prix les donner en spectacle, en faisant des objets de consommation externe, des objets de discours, des mythes. Nous faisons ainsi inconsciemment le jeu de l'Europe contre laquelle nous prétendions au départ nous défendre. Et nous ne trouvons au bout du chemin que cette même platitude, cette misère étalée, ce renoncement tragique à penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes : l'esclavage.72(*)

    Cette obsession culturelle plonge l'Afrique dans « une pure passivité, une porosité sublime qui attend dans une posture d'ouverture féminine d'être fécondée par l'Autre, l'Occident »73(*). Mais revenons à l'intuition du départ. L'ordre des faits, qui peut nous ouvrir à la compréhension de l'ordre des principes, nous manifeste une Afrique en contradiction : d'une part, une Afrique qui veut vivre de la rationalité, et d'autre part, une Afrique refermée dans ce qu'elle a d'historique et d'irrationnel74(*). Aussi assistons-nous à une rationalité qui s'impose en même temps qu'elle s'oppose à ce que les communautés africaines ont d'historique et de traditionnel. Au fond, l'apport des civilisations étrangères, notamment occidentales, ont créé et continuent de créer deux types d'hommes qui s'opposent en plusieurs domaines ; ce qui est cause de tourments et d'une multitude d'instabilité au sein de nos sociétés. Sur des structures anciennes créées et basées sur la tradition, l'administration moderne a posé les siennes, ignorant ou mésestimant ce qui était avant. En réalité, une nouvelle vie s'est construite, sans aucun rapport de l'une à l'autre. Insuffisante est encore l'assimilation des connaissances techniques, des principes et des lois qui rythment la société moderne pour s'adapter. Cette situation contradictoire entre la tradition et la rationalité est compréhensible dans la logique de la pensée weilienne. Pour Eric Weil, la communauté en tant qu'historique a son sacré qui s'exprime dans sa morale vivante et historique, et la société moderne a aussi son sacré, qui est le travail rationnel, efficace et technique. De cette façon, toute communauté qui se veut moderne est inévitablement confrontée aux deux sacrés déjà mentionnés.

    3.3.3. Oser le « je »

    Dans son fameux ouvrage, « Et si l'Afrique refusait le développement ? », la camerounaise Axelle Kabou constate avec tourment que les Africains ont fait de l'Occident un bouc émissaire qui les disculpe de toute responsabilité face au désastre du continent. Tous les malheurs de l'Afrique seraient le fait de l'homme blanc qui, pour imposer son hégémonisme, machinerait subtilement pour maintenir le continent noir dans une situation d'instabilité75(*). En réalité, l'Afrique ne sortira pas de l'ornière par la générosité, dont on ne peut nier les effets bénéfiques, mais en osant le « je », en s'intégrant dans l'économie mondiale, et surtout en s'ouvrant à la rationalité où se forge l'histoire du monde moderne. Les communautés africaines se doivent simplement de renoncer aux valeurs historiques et irrationnelles qui sont incompatibles avec la rationalité. En dernière analyse, il faudrait renoncer à une certaine mentalité superstitieuse qui pousse l'homme à se comprendre dans la nature au lieu de s'affirmer devant elle : « Il faut parfois [se] délester de certains acquis, renoncer aux rentes de traditions vénérables ; bien plus, il faut perdre sa vie pour la sauver »76(*). Pour Weil, c'est cette première attitude qui permet à la communauté de survivre dans son sacré de la rationalité qui sera devenu le juge :

    Il est impossible de fixer a priori une limite à ce sacrifice des valeurs : le sacré, que la communauté voulait défendre en acceptant la lutte avec la nature extérieure sous forme de lutte progressive, devra maintenant se justifier devant le sacré de la technique, devant l'efficacité.77(*)

    Or, l'Afrique semble encore marcher sur une voie où la tradition sacrifie la rationalité en la limitant. Par conséquent, en voulant clouer la rationalité, l'Afrique refuse la possibilité de préserver ses traditions dans une société mondiale moderne.

    Cette crise des sociétés a des répercussions sur leur organisation en Etats. En effet, à l'égard des Etats africains, « on est en droit de parler de la « faillite complète de l'Etat-Postcolonial »78(*). Si effrayante que soit cette affirmation, elle nous demande de penser réellement l'Etat moderne en Afrique : « L'Etat ne peut défendre son intérêt qu'en se fondant sur la société, le travail, la richesse »79(*). Le verbe « fonder » est bien chargé. Il indique que les Etats africains se fondent sur leurs sociétés. Et leur agir provient d'elle.

    Les catégories de droit, de discussion, de bonne gouvernance, de liberté démocratique que Weil aborde sous l'idée d'Etat constitutionnel, ne seront appliquées effectivement et efficacement qu'à partir d'une éducation à la rationalité. Sans celle-ci, tout Etat qui se prétend moderne accuse un certain malaise dans l'application des principes politiques modernes : L'Etat constitutionnel ne peut pas durer là où la société moderne n'existe pas encore, et il est peu probable (en tout cas, il est sans exemple dans l'histoire) que cette société naisse spontanément, en l'absence de toute contrainte à la rationalité.80(*)

    Mais tout cela est insuffisant pour relever le défi de la pauvreté. En réalité, l'Afrique ne se sauvera pas toute seule. Mais en s'intégrant dans l'économie mondiale. Les Etats Africains ont besoin de l'organisation sociale mondiale pour entrer dans le temps de l'efficacité, de la rationalité. L'union fait la force, dit-on ; chaque Africain en est conscient et convaincu. L'union suppose pourtant le rassemblement des choses disparates, des choses contraires même pour faire un tout homogène.

    La rationalité moderne permet la survie et l'affirmation positive des traditions. Le principe de l'universalité rationnelle, qui engendre l'unification de toutes les communautés modernes en une société universelle du travail rationnel, interpelle les Etats africains. Le docteur K. Nkrumah, à travers son célèbre ouvrage, Africa must unit, a jeté les bases de la nécessité pour les peuples et les Etats africains de s'unir81(*). L'organisation sociale mondiale est le cadre historique et universel dans lequel chaque Etat peut durer en tant qu'organisation consciente d'une communauté en action, développer sa morale et sa tradition, et rendre possible le sens de l'existence de ses citoyens. Qui sait ? Peut-être qu'avec la constitution d'une organisation sociale mondiale, les malheurs de l'Afrique disparaîtront car « le gouvernement mondial administrerait ; il exercerait son action sur le plan d'une éducation à la rationalité, celle-ci comprise comme possibilité de la morale ; il n'aurait pas besoin d'une loyauté aveugle et n'aurait aucune comparaison à vaincre »82(*). Mais à quand cette organisation sociale mondiale ? Nous laissons à l'histoire des hommes le soin de répondre à cette question.

    CONCLUSION

    Je m'en voudrais de conclure cette modeste réflexion sans parler de l'homme dont la pensée nous a guidé. Voici donc, pour conclure, le meilleur portrait d'Eric Weil, que je connaisse. Nous sommes à Urbino au début d'octobre 1975 :

    Ce fut presque la dernière apparition publique de philosophe, il était déjà marqué par la mort qui devait le prendre quelques mois plus tard (le 1er février 1977). Il avait maigri, la voix sonore et traînante, si caractéristique, s'était voilée ; le regard, bon et gai, s'était légèrement éraillé. Mais il avait gardé son sourire, son enjouement, ses grosses moustaches, son fume-cigarette. Il se sentait chez lui à Urbino, où tant d'affection et d'admiration l'entouraient (...). Grand penseur exigeant, Weil était un maître et un sage. Un maître non au sens autoritaire et seigneurial du terme, mais un pédagogue et un « prof », comme il disait à l'emporte-pièce. Il ne cherchait pas les disciples, mais qui se mettait sous sa direction perdait le repos, devait s'astreindre à l'effort harassant du concept. Ce n'était pas lui qui tenait la férule, la chose même s'en chargeait. Pourtant la sérénité du sage était plus contagieuse encore que l'énergie du penseur. Il aimait discuter, mais en dévidant le fil de la causerie, il émaillait son propos de boutades, d'anecdotes amusantes. Il n'était pas pressé ni impatient, il était insensible à ces petites et grandes contrariétés de la vie qui défont brusquement le calme d'esprits que l'on croyait mieux trempés. Lui-même ne courait pas après les honneurs ni les succès ; il était établi une fois pour toutes à cette hauteur d'humanité, équanime et lucide, profondément éthique, d'où les épreuves et les désillusions ne l'ont pas fait descendre.83(*)

    Qu'ajouter encore ? La vie d'Eric Weil nous éclaire assez pour comprendre sa réflexion. A chacun de nous d'en tirer aujourd'hui profit pour envisager l'avenir. Mais avant de boucler ces divagations, je voudrais faire quelques observations fragmentaires. Notre époque est ce qu'elle est et, nous ne pouvons la comprendre qu'en fonction de ses morales historiques et de sa politique. Le devoir de l'homme de donner sens à sa vie passe maintenant par la dynamique de la société qui produit, de l'Etat qui décide et donc éduque et de l'organisation sociale mondiale qui recherche et maintient les différents équilibres. Weil traduit en fait - en la remplaçant dans l'histoire comme lieu où les mécanismes sociaux, et donc aussi moraux et politiques, se configurent, - l'idée transcendantale, de l'ordre cosmopolite.

    BIBLIOGRAPHIE

    A. OUVRAGES D'ERIC WEIL

    WEIL, E., Philosophie politique, quatrième édition, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 6, Place de la Sorbonne, Vè. 1984, 261 pages.

    _________ Economie et Société, Trad. J. Freund, Plon, Paris 1971.

    _________ Hegel et l'Etat, Vrin, Paris, 1950.

    B. ARTICLES

    WEIL, E., Christianisme et politique, in Critique, août-septembre, 1953.

    _________ « Catégorie de Cosmos », in Essais et conférences, Plon, Paris 1970, t. I, 268.

    _________ « Faudra-t-il de nouveau parler de morale ? » (1976), in E. Weil, Philosophie et Réalité, Paris, 1982.

    A. OUVRAGES DES AUTRES AUTEURS

    ROBERT, A., L'Afrique au secours de l'Occident, Paris, Les Editions de l'Atelier / Les Editions ouvrières, 2004.

    KABOU, A., Et si l'Afrique refusait le développement ? Paris, L'Harmattan, 1991.

    CASSIRER, E., Essai sur l'homme, Paris, Edition de minuit, 1975.

    ZIEGLER, J., Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard, 2002.

    BASILE, J., Des nouveaux sculpteurs d'hommes, Ed. Renaissance du Livre, 1997.

    STIGLITZ, J., La grande désillusion, Traduction de l'anglais par Paul Chemla, Paris, Fayard, 2002.

    Kä MANA, L'Afrique va-t-elle mourir ? Bousculer l'imaginaire africain. Essai d'éthique Politique, Paris, Ed. Cerf, 1991.

    NKRUMAH, K., Africa must unit, London, Panaf Books Limited, 1963 / 1974.

    HOUTONDJI, P., Sur la philosophie africaine, Paris, François Maspero, 1976.

    SPINOZA., Traité théologico-politique, cité par D. HUISMAN et A. VERGEZ, in Histoire des Philosophes, Editions Nathan 1996.

    LAIDI, Z., Un monde privé de sens, Fayard, Paris, 1994.

    B. ARTICLES

    EBOUSSI, B, F., « Education, syndicat et démocratie. » in Lignes de résistances.

    ______________ « Restaurer Babel » in Lignes de résistances.

    BESCOND, L., « Eric Weil et le choix de l'Etat constitutionnel », in Sept études sur Eric Weil, réunies par Gilbert KIRSCHER et Jean QUILLIEN.

    TILLIETTE, X., « Portrait d'Eric Weil », dans les Archives de Philosophie (juillet-septembre 1980, t. 43, Cahier 3).

    RICOEUR, P., « Le philosophe et la politique devant la question de la liberté », in La liberté et L'ordre social (Rencontres internationales de Genève, 1969), Neuchâtel, la Braconnière, 1969, p. 17. 10.

    ____________ « Histoire et Vérité », Collections, « Esprit », Seuil, paris, 1995, p. 262.

    DECLOUX, S., « La philosophie politique d'Eric Wei »l, in Nouvelle revue théologique, 96è Année, N°2, février 1964. Tome 96.

    TABLES DE MATIERES

    0. INTRODUCTION 1

    CHAPITRE I : DE L'ETAT WEILIEN 4

    1.1. L'Etat, conscience raisonnable d'une communauté organisée pour le travail 5

    1.2. L'Etat, organisation du pouvoir politique 6

    1.2.1 L'Etat du droit 8

    1.2.2. L'Education 10

    1.2.3. La discussion 12

    1.3. L'Etat, espace de liberté personnelle 13

    CHAPITRE II : LE PHENOMENE DE L'ORGANISATION SOCIALE MONDIALE 16

    2.1. Comment nous apparaît l'organisation sociale mondiale ? 16

    2.2. Mécanisme de l'organisation sociale mondiale 18

    2.3. Approche éthique de l'organisation sociale mondiale 19

    CHAPITRE III : L'ANTHROPOLOGIE DE L'ORGANISATION SOCIALE MONDIALE 22

    3.1. L'implacable logique du travail social 22

    3.2. La constitution d'une société mondiale 26

    3.2.1. L'urgence d'une organisation sociale mondiale 26

    3.2.2. La coopération mondiale des Etats 27

    3.2.3. Vers une nouvelle organisation sociale mondiale ? 30

    3.3. Et l'Afrique dans tout cela ? 30

    3.3.1. Qu'est devenue l'Afrique ? 31

    3.3.2. Le mythe de l'originalité 32

    3.3.3. Oser le « je » 34

    CONCLUSION 37

    BIBLIOGRAPHIE 38

    TABLES DE MATIERES 40

    * 1 Eric Weil, Christianisme et politique, in Critique, août-septembre, 1953. p.772

    * 2 Eric Weil, Philosophie politique, quatrième édition, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 6, Place de la Sorbonne, Vè. 1984, p. 57. Désormais cité sous l'abréviation PP.

    * 3 C'est ici la rencontre de Max Weber et d'Eric Weil, lorsque celui-ci décrit la « Société », calculatrice, matérialiste, mécaniste du point de vue d'une rationalité purement formelle. Mais Weil se sépare de Weber, en insistant sur le rôle du conflit, extrapolé jusqu'au niveau mondial en concevant l'Etat comme arbitre et régulateur, puis, en maintenant contre Weber, l'unité de la morale et de la politique.

    * 4 PP., p. 57.

    * 5 Simon Decloux, La philosophie politique d'Eric Weil, in Nouvelle revue théologique, 96è année, N°2, février 1964. Tome 96. p. 165.

    * 6 PP., p. 70.

    * 7 Weil accorde un rôle prépondérant à l'Etat constitutionnel. Lucien Bescond, « Eric Weil et le choix de l'Etat constitutionnel », in Sept études sur Eric Weil, réunies par Gilbert KIRSCHER et Jean QUILLIEN, p. 60. affirme que l'Etat moderne « revient en effet à un devenir de conscience, rationnel et politique de la communauté »

    * 8 PP., p. 140.

    * 9 PP., p. 131.

    * 10 Spinoza, Traité théologico-politique, cité par D. HUISMAN et A. VERGEZ, in Histoire des Philosophes, Editions Nathan 1996. p. 125.

    * 11 PP., p. 126.

    * 12 PP., p. 167.

    * 13 PP., p. 182.

    * 14 PP., p. 171.

    * 15 Eric Weil, Economie et Société, Trad. J. Freund, Plon, Paris 1971. Lire surtout le ch. III.

    * 16 Le titre du § 33 de la Philosophie Politique est significatif à cet endroit : « L'Etat moderne se réalise dans et par la loi formelle et universelle » (loc. cit. p. 142). La loi formelle ici en question n'ayant rien d'un formalisme instrumental - elle est bien plutôt formatrice, réalisatrice du sens et du rationnel.

    * 17 Eric Weil, In Essais et conférences, Plon, Paris 1970, t. I, 268.

    * 18 PP., p. 143.

    * 19 Ibid.

    * 20 Ibid.

    * 21 PP., p. 144.

    * 22 Ibid.

    * 23 Eric Weil, « Faudra-t-il de nouveau parler de morale ? » (1976), in E. Weil, Philosophie et réalité, Paris, 1982, p. 273.

    * 24 PP., p. 44.

    * 25 PP., p. 48.

    * 26 Ibid.

    * 27 PP., p. 57.

    * 28 Paul Ricoeur, « Histoire et Vérité », Collections, « Esprit », Seuil, paris, 1995, p. 262.

    * 29 PP., p. 51.

    * 30 PP., p. 202.

    * 31 Paul Ricoeur, « Le philosophe et la politique devant la question de la liberté », in La liberté et l'ordre social (Rencontres internationales de Genève, 1969), Neuchâtel, la Braconnière, 1969, p. 17.

    * 32 Ibid., p. 55.

    * 33 PP., p. 255.

    * 34 Eric Weil, Hegel et l'Etat, Vrin, Paris, 1950, p. 54.

    * 35 PP., pp. 256-257.

    * 36 Je signale en passant, qu'il existe plusieurs définitions du concept « mondialisation » et que j'entendrai par là « le processus d'intégration des économies nationales grâce à l'action d'une série d'institutions chargées de favoriser la croissance des échanges économiques entre différents régions du monde ». Cf. Zaki LAIDI, Un monde privé de sens, Fayard, Paris, 1994.

    * 37 PP., p. 227.

    * 38 PP., p. 225.

    * 39 PP., p. 240.

    * 40 PP., p. 71.

    * 41 C'est justement grâce à l'assomption du critère de l'universalisation que Weil peut préfigurer un modèle socio-politique fondé sur la valeur absolue de la personne humaine destinée à fonder et à garantir les conditions extérieures de la moralité, c'est-à-dire une forme d'ordre social dans laquelle la personne puisse toujours être considérée en tant que but et jamais en tant que moyen. Dans ce sens, la dimension politique va être strictement liée à la dimension morale, car c'est à elle qu'il appartient de mettre en oeuvre les conditions de cette éducation à la liberté raisonnable qui est, dans la conception weilienne, son but dernier.

    * 42 PP., p. 248.

    * 43 PP., p. 70

    * 44 Ibid.

    * 45 PP., pp. 244-245

    * 46 PP., p. 240.

    * 47 PP., p. 245.

    * 48 Ibid.

    * 49 PP., p. 77.

    * 50 Lire à ce propos Joseph BASILE, Des nouveaux sculpteurs d'hommes, Ed. Renaissance du Livre, 1997.

    * 51 PP., p. 61.

    * 52 PP., p. 64.

    * 53 PP., p. 78.

    * 54 PP., p. 69.

    * 55 PP., p. 77.

    * 56 PP., p. 69.

    * 57 Ibid.

    * 58 PP., p. 240.

    * 59 PP., p. 225.

    * 60 Ibid.

    * 61 PP., p. 244.

    * 62 Joseph STIGLITZ, La grande désillusion, Traduction de l'anglais par Paul Chemla, Paris, Fayard, 2002, p.31.

    * 63 Cf. Jean ZIEGLER, Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard, 2002.

    * 64 PP., p. 241.

    * 65 Ibid.

    * 66 Selon Eric Weil, « on reproche souvent à ces institutions - supra-nationales - d'être inefficaces et de ne produire que des bavardages ou des proclamations de foi aussi morales que creuses. De telles critiques sont compréhensibles ; elles sont en même temps injustes : c'est dans des bavardages et des proclamations, dit-il, que naissent l'efficacité et les discours vrais. PP., p. 228.

    * 67 PP., pp.237-238.

    * 68 PP., p. 242.

    * 69 Ibid.

    * 70 Nous nous en voudrions de ne pas penser l'Afrique à travers quelques aspects de la philosophie politique d'Eric Weil.

    * 71 Ernest Cassirer, Essai sur l'homme, Paris, Edition de minuit, 1975, p. 285.

    * 72 Paulin Houtondji, Sur la philosophie africaine, Paris, François Maspero, 1976, p. 44.

    * 73 Kä MANA, L'Afrique va-t-elle mourir ? Bousculer l'imaginaire africain. Essai d'éthique politique, Paris, Ed. Cerf, 1991, p. 18.

    * 74 Nous ne sommes pas contre les traditions africaines. Nous en reconnaissons d'ailleurs les valeurs nobles. Et comme Anne-Cécile Robert, nous sommes convaincu que l'Afrique « exprime des valeurs et des mentalités « autres » qui pourraient rendre service à un monde au bord du gouffre (...) Parce qu'elles travaillent à contre-courant de l'ordre capitaliste et de ses principes directeurs, les valeurs qui traversent le continent noir pourraient être le levier d'une remise en cause de la mondialisation libérale ». Cf. Anne-Cécile Robert, L'Afrique au secours de l'Occident, Paris, Les Editions de l'Atelier / Les Editions ouvrières, 2004, pp. 23-24.

    * 75 Cf. Axelle Kabou, Et si l'Afrique refusait le développement ? Paris, L'Harmattan, 1991.

    * 76 Fabien Eboussi BOULAGA, « Education, syndicat et démocratie. » in Lignes de résistances, p. 21.

    * 77 PP., p. 70.

    * 78 Fabien Eboussi BOULAGA, « Restaurer Babel » in Lignes de résistances, p. 66.

    * 79 PP., p. 231.

    * 80 PP., p. 175.

    * 81 K. Nkrumah, Africa must unit, London, Panaf Books Limited, 1963 / 1974, 229 p.

    * 82 PP., p. 241.

    * 83 Ce portrait a été tracé par le P. Xavier Tilliette dans les Archives de Philosophie (juillet-septembre 1980, t. 43, Cahier 3, p. 520.).






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire