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Des Etats particuliers libres à l'organisation sociale mondiale


par Raphaël BAZEBIZONZAS
Saint Pierre Canisius - Bachelier en Philosophie 2006
  

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1.2. L'Etat, organisation du pouvoir politique

L'Etat serait né d'un besoin de rationalisation de la société à travers la création d'une autorité qui puisse dépasser les clivages entre particuliers pour servir avant tout l'intérêt collectif. Ceci n'a malheureusement point empêché dans l'histoire que certains usent de l'Etat pour asseoir leurs intérêts particuliers au détriment du bien commun. Toutefois, l'Etat demeure la seule forme moderne fondée sur une constitution qui définit les pouvoirs, organise les relations9(*). Cet Etat garantit certains droits à l'individu qui peut, ou non, participer activement aux activités de la civitas. Eric Weil s'inspire en grande partie de Hegel qui a fait de l'Etat la réalisation de l'idée morale, la capacité ultime et unique de réalisation de la liberté subjective, le lieu potentiel enfin de la résolution de toute contradiction. Pour lui, c'est seulement dans l'Etat que l'homme peut se réaliser comme liberté. Dans la même perspective, Spinoza a brossé un commentaire très particulier sur l'Etat. Il écrit ceci :

La fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle des bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté.10(*)

Mais pour s'organiser et exercer concrètement le pouvoir de décision, la communauté doit se doter d'institutions, « par lesquelles elle pense et élève à la conscience, la tâche qui est proprement la sienne, celle de durer en se développant et se développer en choisissant »11(*). En ce sens, l'Etat s'incarne dans ces organes, moyens matériels, concrets, de prise de décision et devient alors l'ensemble des institutions via lesquelles la communauté opère des choix judicieux et fait ainsi son histoire. Le parlement est « l'institution qui caractérise principalement l'Etat constitutionnel »12(*), dans la mesure où il permet et contrôle l'action du gouvernement, lui donnant par là « de maintenir l'unité et la cohésion intérieure de la nation »13(*). Pour Weil, « le parlement est le lieu où le désir traditionnel, voire le besoin, les préférences, les goûts, toute la vie morale entrent en contact avec les nécessités de la rationalité, pour se les soumettre en s'y soumettant »14(*).

Ici, l'Etat se comprend à partir d'un principe calculateur, matérialiste. Cela peut nous amener à poser un jugement négatif vis-à-vis de ces institutions si nous considérons l'Etat historique comme l'unique oasis où le chemin de l'homme est mieux défini. Certes, l'Etat comporte un aspect technique que doit prendre en compte toute compréhension de la réalité politique. Mais il serait déraisonnable de vouloir réduire la réalité étatique à la seule organisation technique. L'Etat est à comprendre comme ensemble organique de ses différentes institutions, c'est-à-dire comme totalité vivante des institutions se supposant et se supportant en toute réciprocité, dans le respect du droit. Mais quelle est en définitive la finalité de l'Etat ?

Pour Weber par exemple, la finalité donnée à l'Etat c'est lui-même et non pas un processus objectif doté d'un sens immanent et dirigé vers une fin : l'Etat n'existe que sous la condition de la soumission des dominés aux dominants15(*). C'est avant tout l'organe qui a la direction des conflictualités dans les limites imposées par la rationalité formelle. Par contre, pour Weil, l'Etat régularise les concurrences par couches, et, partant, a donc la capacité de traduire pour le plus grand nombre les affrontements concrets des couches en ce qu'ils génèrent de sensé et de rationnel. Dans ce travail interprétatif, l'Etat résorbe les affrontements en s'appuyant sur une conflictualité régulante ayant valeur juridictionnelle16(*). C'est donc bien la relation qui engendre et génère, ici encore, rationnel et sens. C'est elle qui est privilégiée dans la gestion - non formelle - du penser weilien. Par cette différence de vues, le terrain de la rationalité, celui du sens, sépare Weil de Weber. A la thématique wébérienne de l'homme rationalisé, incapable de donner sens à sa vie17(*), Weil substitue la catégorie de Cosmos, et reprend cette idée de monde de connexions, où nous vivons, et où il nous appartient de choisir de lui donner un sens.

1.2.1 L'Etat du droit

Ce qui caractérise l'Etat moderne, c'est la loi, qui règle sa vie, son action ainsi que « les rapports des citoyens entre eux, avec la société et avec l'Etat pour autant que ces relations peuvent donner lieu à l'emploi de la violence »18(*). L'Etat moderne est, selon Eric Weil, « l'Etat du droit »19(*). Cette définition a le mérite d'inclure, en la précisant, celle qui détermine habituellement l'Etat par le monopole de la violence ; elle insinue entre autres qu'« il ne l'emploie cependant que dans certaines circonstances qu'il est seul à définir par la loi et en dehors desquelles il s'interdit lui-même de s'en servir »20(*). Mais en réalité, qu'est-ce que la loi pour une communauté ?

« Au niveau politique [selon Eric Weil], la loi est la forme dans laquelle l'Etat existe en se pensant. »21(*) ; « C'est à elle de donner la forme de la conscience aux buts derniers de la communauté »22(*) où l'homme est plongé, engagé dans un espace de relations et d'interactions ; où l'homme dépouillé par sa morale individuelle, rencontre par contre une autre loi : la loi positive de la communauté particulière.

Non pas sans doute qu'il lui faille tout de suite adhérer à ces « maximes empiriques » et identifier à la loi positive, sa morale intérieure. Non, le divorce peut exister quelquefois. Car tout individu reste exposé à la tension entre la loi morale et la loi positive. Cette tension reste inévitable dans la mesure où l'histoire n'est pas achevée et où la loi des communautés particulières doit encore découvrir son accomplissement. Mais c'est une tension qu'il faut se garder de trancher en rejetant l'un des termes de l'alternative. Car la loi positive permet à la loi intérieure de l'éthique de pouvoir s'affirmer, survivre dans l'espace et durer dans le temps. Et, sans la loi morale, la loi positive reste sans contenu, incomplète et insuffisante, faisant abstraction des nobles exigences de la réalisation des libertés fondamentales. La morale est au service de la loi positive, sans laquelle cependant, elle ne pourrait s'exercer.

C'est ici que Weil préconise la notion non moins importante du droit naturel, sorte de point d'articulation entre la morale et l'histoire. Le droit naturel fournit son critère à l'appréciation critique des institutions représentant « l'histoire faite ». Mais, il fournit aussi les concepts grâce auxquels une sensibilité politique, au lieu de s'exprimer par la violence, se donne la forme d'un discours rationnel et raisonnable. Il amène le philosophe animé d'une exigence éthique à participer à l'histoire se faisant, en aidant autrui à donner à son propre sentiment du juste et de l'injuste la forme d'une volonté agissante, c'est-à-dire, capable de convaincre.

En définitive, on peut dire que les deux composantes de la théorie weilienne du droit naturel correspondent à la dualité de la forme et du contenu. La forme correspond à la loi naturelle réinterprétée en termes kantiens. C'est l'égalité des êtres raisonnables, principe intemporel et immuable en tant que principe formel, mais pour cette même raison, principe vide et indéterminé. Le contenu est donné par le sentiment du juste et de l'injuste, sentiment concrètement déterminé par les conditions sociales et politiques d'une époque donnée : c'est le juste de nature qui correspond à la structure et aux représentations, aux sentiments éthiques propres à une certaine forme de société, en l'occurrence la société moderne. Le concept weilien du droit naturel articule ces deux aspects : c'est le principe formel qui se détermine comme principe d'appréciation critique des institutions existantes et comme principe d'explication du sentiment concret du juste et de l'injuste. C'est le principe intemporel qui se concrétise de façon variable selon les époques. Ce qui permet de dire que le droit naturel est essentiellement historique. Mais ce paradoxe est celui de l'homme même, puisque sa nature est précisément d'avoir une histoire.

Telle est, chez Eric Weil, la justification du recours au concept de droit naturel. Ce concept permet d'explorer les multiples articulations de la morale et de la politique, de l'histoire et du droit. Il prend place dans une tentative de penser le droit dans son rapport à l'évolution sociale et politique, pour saisir à quoi tient l'apparition des droits nouveaux, la transformation des institutions existantes et le déclin parallèle de certaines formes juridiques. Il permet de formuler, dans leur complexité deux problèmes fondamentaux : celui de l'évolution du droit et celui de la formation du jugement politique. C'est pourquoi la notion du droit naturel, dans la Philosophie politique, conduit à une théorie de l'éducation. Au fond, l'originalité d'Eric Weil est de n'avoir jamais séparé les deux questions qui traversent toute l'histoire de la philosophie politique depuis Platon : celle de la justice et celle de l'éducation.  

* 9 PP., p. 131.

* 10 Spinoza, Traité théologico-politique, cité par D. HUISMAN et A. VERGEZ, in Histoire des Philosophes, Editions Nathan 1996. p. 125.

* 11 PP., p. 126.

* 12 PP., p. 167.

* 13 PP., p. 182.

* 14 PP., p. 171.

* 15 Eric Weil, Economie et Société, Trad. J. Freund, Plon, Paris 1971. Lire surtout le ch. III.

* 16 Le titre du § 33 de la Philosophie Politique est significatif à cet endroit : « L'Etat moderne se réalise dans et par la loi formelle et universelle » (loc. cit. p. 142). La loi formelle ici en question n'ayant rien d'un formalisme instrumental - elle est bien plutôt formatrice, réalisatrice du sens et du rationnel.

* 17 Eric Weil, In Essais et conférences, Plon, Paris 1970, t. I, 268.

* 18 PP., p. 143.

* 19 Ibid.

* 20 Ibid.

* 21 PP., p. 144.

* 22 Ibid.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault