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Radiographie de l'interactivité radiophonique

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par Blandine Schmidt
Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 - Master 2 recherche Sciences de l'information et de la Communication 2008
  

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« Trois moments de l'Occident:
sous l'Ancien Régime, la vie privée vécue comme une cérémonie;
au XIXe siècle, comme un roman secret, au XXe siècle, la vie privée vécue en public
»

Octavio Paz

Courants Alternatifs,

1972

REMERCIEMENTS

Par ces quelques mots, je souhaite adresser ma gratitude à Monsieur Jean-Jacques Cheval, pour avoir accepté de diriger ce mémoire, pour son soutien, ses conseils avisés, et sa patience.

Je tiens aussi à remercier Madame Annie Lenoble Bart pour avoir accepté de faire partie de mon jury.

Enfin, je souhaite remercier tous ceux qui m'ont soutenue et encouragée pour la réalisation de ce travail : Romain pour son aide et son dévouement; ma mère (Françoise) pour m'avoir donné vie, pour sa confiance et pour son ancrage dans la vie, mon père pour la petite graine et pour son appui malgré la distance; Armelle, Christiane, Laurence, Paul pour leurs corrections et leurs encouragements.

Sans oublier: Mathieu (frère de sang et de coeur), Romann (ami bavard), Jérôme (Breton voyageur), Maude (douceur), Jérome (heureuse année), tout ceux qui entendent ce que je vois, le romarin (qui parfume ma vie avec volupté), Aya de Yopougon (voyage africain), les amis grenoblois (Céline, Manina et Alexis), Lo'jo, Nicolas (le clown marin à la montagne), Albert Londres, Noam Chomsky, Manu Larcenet, Matt Groening, les framboises, les ceris es et les cannelés, l'équipe d'Arte Radio, le soleil, la grosse cloche, Yann Parantho`n (magicien du son), Edouard -Léon Scott de Martinville (pour le phonautographe) et bien sûr Marconi pour la radio.

SOMMAIRE
INTRODUCTION 7

1 ère PARTIE : LA PAROLE DES ANONYMES A LA RADIO 10

I. La relation interactive radiophonique 11

A. La parole des auditeurs, une longue tradition radiophonique française 11

1. Les prémices 11

2. Europe 1, le direct et le téléphone 14

3. Menie Grégoire, un remède radiophonique ? . . . 16

4. Un nouveau genre radiophonique : la confession 18

5. Mai 1968, révolution radiophonique ? 19

6. Des radios libres à la suppression du monopole 21

B. L 'interactivité sur la bande FM de nos jours 24

1. Les radios nationales privées généralistes 24

2. Les radios publiques 28

3. Les radios jeunes 32

4. Les radios associatives et communautaires 33

C. Les émissions service 37

II. L'interactivité en question 41

A. La notion d'interactivité à la radio et ses outils 41

B. La parole en question 54

III. Le cas de trois émissions service radiophoniques 65

A. Le terrain d'étude: description des émissions étudiées 65

1. «Service public » sur France Inter 66

2. « Ça peut vous arriver» sur RTL 67

3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info 69

B. Méthodologie de travail 78

2ème PARTIE : LES ÉMISSIONS SERVICE, UNE TENDANCE À LA

SPECTACULARISATION ? 84

I. La radio, intermédiaire ou centre du processus de médiation ? 85

A. Analyse des trois émissions 85

1. « Service public » sur France Inter 85

2. « Ça peut vous arriver» sur RTL 96

3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info ...108

B. Des dispositifs interactifs aux différentes vertus 120

II. Entre service et spectacle 126

A. L 'interactivité radiophonique: un dispositif aux nombreux bénéfices 126

B. Sphère privée/sphère publique: la rupture médiatique 130

C. Mise en scène de ces émissions et limites 134

CONCLUSION 139

BIBLIOGRAPHIE 141

ANNEXES 152

INTRODUCTION

Nous sommes tous Alice. Nous avons en tout cas, comme elle, la possibilité de passer «de l'autre côté du miroir» grâce aux médias. Lewis Carroll en 1871 imaginait un monde où tout est inversé ; de nos jours, le public a franchi la frontière invisible qui le séparait de l'espace médiatique. De récepteur, il est devenu énonciateur au sein de la sphère publique.

Phénomène omniprésent dans l es médias contemporains, l'interactivité est aujourd'hui très prisée par les professionnels. La radio est le média qui fait le plus appel à son public en l'invitant à participer à l'antenne à la création du contenu. Loin d'être récentes, les émissions interactives radiophoniques occupent une place importante au sein des grilles de programmes. Des radios jeunes aux stations généralistes, en passant par les radios associatives, toutes ouvrent leur antenne aux auditeurs sur des thèmes variés englobant de nombr euses sphères de la société. Prônant leur rôle d'agora par l'exercice d'une démocratie directe, les radios revendiquent la liberté d'expression des auditeurs sur les ondes. Toutefois les médias pratiquant cette ouverture sont souvent accusés d'instrumentaliser la parole des individus vers une logique utilitaire et / ou commerciale.

Le mémoire que nous avons entrepris se concentre sur la nature de la relation interactive établie dans le cadre médiatique. Pour qu'il y ait interactivité, l'échange doit être entretenu par deux entités distinctes fournissant une participation égale, active et réciproque. Les émissions interactives ont bousculé les fondements de la relation entre un média et son public. L'auditeur, ayant la possibilité de sortir du silence en intervenant à l'antenne, induit une modification dans sa position de récepteur, en devenant à son tour émetteur. Notre travail distingue en conséquence les auditeurs actifs, c'est-à-dire ceux qui entrent en contact avec une radio pour participer à une émissi on et les auditeurs passifs appelés aussi «écoutants ». Ce terme, correspondant à la traduction littérale de listener en anglais, qualifie les auditeurs qui ne souhaitent pas entrer dans le jeu de l'interactivité, mais qui écoutent toutefois ce type d'émission.

Les émissions interactives ont pu se développer grâce à l'arrivée et à la généralisation (tardive) du téléphone dans les foyers français. En effet, le téléphone est l'élément sine qua non de l'interactivité radiophonique. De nos jours, la modernisation des outils de communication tels que le téléphone (téléphone mobile, SMS), ainsi que la démocratisation de l'usage d'internet ont engendré des mutations au sein des médias. Les grandes radios ont su adapter leurs grilles de programmes en fonction de ces nouveaux usages par l'intégration de contenu multimédia, via la mise en place d'interfaces spécifiques: SMS, e-mails, chat, forum, blogs sont autant de moyens mis à la disposition de l'auditeur pour établir une relation avec le média radiophonique.

Nos recherches préliminaires nous ont conduits à faire émerger une particularité commune à un grand nombre d'émissions interactives. La volonté de rendre service aux auditeurs est un leitmotiv récurrent dans les médias. Les émissions service, comme nous avons décidé de les nommer, souhaitent aider, soutenir et accompagner l'auditeur dans sa vie quotidienne. Ces dernières couvrent de nombreux domaines, assurant à l'auditeur une assistance pour tous ses petits tracas. Chaque émission a sa spécificité et son champ d'action: consommation, généalogie, voiture, travaux domestiques, jardinage, animaux domestiques, soutien psychologique, sexualité, etc. Ainsi l'auditeur, anonyme de par son statut, est pris en charge dans tous les domaines de la vie ordinaire.

Les émissions service sont pour nous le révélateur d'une évolution des rapports sociaux dans la France du début du XXIe siècle. Nous souhaitons ainsi mettre à jour et comprendre la place qu'occupe le média radiophonique dans notre société. Nous postulons que les émissions service actuelles révèlent et reflètent de nouvelles orientations dans la pratique et les usages des médias; mais en ce cas, les stations de radios sont-elles actrices ou simplement outils de médiation? Les publics sont -ils instrumentalisés vers une logique de spectacle ou se saisissent-ils de ces espaces médiatiques de manière autonome? L'assistance apportée par le média est-elle effective ou ne constitue -t-elle qu'une stratégie de fidélisation de l'auditeur, répondant à une logique d'audience?

Pour répondre à ces questionnements, notre travail, par une démarche pluridisciplinaire, s'appuie sur des éléments théoriques complétés par une analyse de terrain. Celle-ci se compose d'une analyse de contenu de trois émissions service: «Service public» sur France Inter, « Ça peut vous arriver» sur RTL et « Lahaie, l'amour et vous» sur RMCInfo. Toutes trois portent sur des sujets différents, illustrant l'éclectisme de ces émissions. La première traite de thèmes liés à la consommation, la seconde aux arnaques en tout genre, et la troisième de l'intimité et des problèmes qui en découlent. Nous nous sommes attelé à comprendre et à analyser le dispositif mis en place pour chacune de ces trois émissions, en accentuant notre attention sur l'animateur.

Notre première partie: « La parole des anonymes à la radio » s'attache à définir et à délimiter notre champ de recherche. Des origines à aujourd'hui, nous souhaitons retracer les différentes étapes de la prise de parole des anonymes à la radio afin de mettre en perspective le phénomène actuel. Nous questionnerons la notion d'interactivité, tout en définissant les conditions et la nature des prises de parole au sein de l'espace médiatique. Notre seconde partie: « Les émissions service: une tendance à la spectacularisation » expose l'analyse des résultats de notre terrain de recherche. Nous apportons un éclairage sur les dispositifs mis en place dans les trois émissions étudiées, avant de fournir une analyse comparative. Enfin, sur la base des résul tats de notre travail, nous tenterons d'apporter une vision générale de ce type d'émission entre service et spectacle.

1ère PARTIE:

LA PAROLE DES ANONYMES A LA RADIO

I. La relation interactive radiophonique

A. La parole des auditeurs, une longue tradition radiophoniquefrançaise

1. Les prémices

La radiodiffusion a toujours dû associer l'auditeur à ses programmes. L'attrait pour ce nouveau média a mobilisé les curieux, passionnés ou simples utilisateurs dans les coulisses des radios. L'auditeur est aussi considéré par les radios comme un simple «consommateur» qu'il faut séduire et fidéliser afin de garantir la survie de la radio. Les écoutants ont ainsi, depuis le début de la radio, participé aux programmes de manière plus ou moins directe, à la fois dans les radios privées et dans la radio d'Etat. Toutefois, ils restent absents de l'antenne.

Le secteur public décide de confier à la société civile, au travers d'associations d'auditeurs, la gestion des stations. Pour Cheval, « ce système initial apparaît comme une tentative de gestion démocratique, associant le service public, des personnalités locales et des représentants des auditeurs, autour de cette nouvelle forme de communication dont on sous estime encore généralement les potentialités. »1 La radio d'Etat associe l'auditeur à la gestion des programmes, à travers des Conseils de gérance. Le décret du 24 novembre 1923, fixant le statut initial de la Radiophonie Française, permet la fondation de l'Association Générale des Auditeurs de TSF en 1924, qui organise la gestion des émissions de Paris PTT et de ses stations régionales sous forme tripartite. Il est ainsi mentionné que dans un but d'intérêt général, la gestion des programmes doit être assurée avec la collaboration de l'Etat, des producteurs et des usagers, sous l'autorité et le contrôle de l'Etat. Georges Mandel, ministre des PTT, s'attelle à organiser tout cela par deux décrets le 13 février 1935, fixant les rôles de chacun. Il est précisé que les Conseils de gérance (des stations régionales) sont composés de cinq délégués des services publics, de cinq représentants des sociétés de producteurs intellectuels et de dix membres élus par les auditeurs eux-mêmes.2 Des élections sont

1 CHEVAL Jean Jacques, Les radios en France, histoire, état et enjeux, Rennes, Apogée, 1997, p 32

2 HUTH Arno Georges, La radiodiffusion, puissance mondiale, Paris, Gallimard, 1937, p 96-97

organisées, conviant tous ceux qui s'acquittent de la redevance, instituée en 1933 pour tous les détenteurs d'un récepteur radiophonique. Le président de conseil est, quant à lui, désigné parmi des membres par le ministre des PTT. Enfin, le tout est encadré par un Conseil supérieur de la radiodiffusion: le ministre y nomme des personnalités devant représenter «toutes les formes de l'activité intellectuelle du pays »3. En mai 1935, les premières élections radiophoniques sont organisées, ne mobilisant que 11 % de l'électorat. Pourtant, les quelque 220 000 votants permettent à Georges Mandel d'évincer d'anciens dirigeants des postes publics qu'il souhaite écarter.4

Les postes privés considèrent l'auditeur plus comme un consommateur. Financés par la publicité, une grande écoute est la condition sine qua non à leur existence. Dans ce sens, ils vont créer un certain nombre d'événements pour attirer et fidéliser l'écoute. La radio entre même en contact direct avec les écoutants. Des excursions et des voyages collectifs sont organisés aux frais de la radio pour les adhérents de l'association regroupant leurs auditeurs. Par exemple, Radio Cité (créée en 1934 par Marcel Bleustein) organise pour son public plusieurs croisières de Bordeaux à Marseille en passant par le Portugal, le Maroc, l'Algérie et la Corse, à bord de paquebots spécialement loués à cet effet.5

De nombreuses organisations d'auditeurs se sont constituées à cette époque. Celles-ci permettent aux auditeurs d'avoir une influence bien plus grande que dans la plupart des pays européens selon Huth. Plusieurs associations regroupent donc les auditeurs de TSF ou « sansfilistes », et les représentent au sein des Conseils de Gérance. «L'Association de Radiophonie du Nord », créée en 1927 à Lille, est la plus importante, rassemblant quelque 50 000 membres. Toutes ces associations sont regroupées par la «Fédération Nationale de Radiodiffusion» à Paris, qui compte près de 100 000 membres. Plusieurs radios privées, comme le Poste Parisien, ont créé des associations du même type.

3 CHEVAL Jean Jacques, op. cit. p 33

4 Ibid.

5 DELEU Christophe, Les anonymes de la radio, Paris, De boeck, 2006, p21

Parallèlement à ces associations, on peut constater la présence de radio -clubs, eux aussi regroupés en fédérations. Un grand esprit de corporation leur permet de tous s'unir au sein de la «Confédération Nationale des radio-clubs de France et des Colonies », fondée en juillet 1923 à Paris. En 1936, on compte 17 fédérations avec plus de 400 radio-clubs réunissant près de 80 000 membres. Ces associations ont vu le jour dans le but de défendre les auditeurs contre les perturbations électriques et pour la lutte active contre les parasites. En effet, les mauvaises conditions de réception sont à l'époque les principales causes de revendications des auditeurs.6

Les auditeurs sont aussi présents dans les programmes à travers le courrier qu'ils envoient à la radio. Après sélection, les lettres sont lues à l'antenne, ce qui permet à l'auditeur d'intervenir directement à l'antenne, mais par procuration. Les raisons de la rédaction sont multiples : protestations, félicitations, insultes, opinions, plaisanteries.

Enfin, l'auditeur va pouvoir intervenir à l'antenne dans les seules émissions de divertissement. Le premier jeu est diffusé sur Paris PTT en 1927. Les deux premières personnes qui appellent la station reçoivent un cadeau offert par des firmes commerciales. Radio Luxembourg organise en 1936 le premier radio crochet, permettant aux auditeurs de chanter afin de montrer leur talent.7

Pour finir, il est intéressant de souligner que l'auditeur, dans les débuts de la radio, n'est jamais associé aux programmes d'information. Outre le climat de censure qui règne sur la radio à cette époque,8 il existe pour Deleu deux raisons qui expliquent ce phénomène. Dans un premier temps, les auditeurs sont surtout intéressés par des questions d'ordre technique, la réception n'étant pas aussi bonne qu'aujourd'hui. Puis, les auditeurs passionnés de TSF peuvent à l'époque, sans trop de difficultés, créer leur propre radio. René Duval rapporte ainsi

6HUTH Arno Georges, op. cit. p 109

7DELEU Christophe, op. cit. p22

8 JEANNENEY Jean-Noël, Une histoire des médias, Paris, Seuil, 1996, p 156

les propos d'Antoine Bonnefous, créateur de Radio Béziers en 1927 : «Pourquoi n'être qu'un auditeur passif, quand on peut émettre ? »9

2. Europe 1, le direct et le téléphone

Créée par Charles Michelson en novembre 1954, Europe n°1 bouleverse le paysage les l'époque. 10

radiophonique français en exploitant différentes innovations techniques deLa

station va se rapprocher de son public et le faire intervenir à l'antenne. Comme le disent Albert et Tudesq: «avant Europe 1, la radio avait vécu longtemps sinon dans l'ignorance de son public (les radios commerciales utilisèrent très vite les techniques d'enquête sur l'écoute pour justifier les tarifs de publicité), du moins dans la conviction que ses réalisateurs savaient mieux que le public ce qui lui convenait pour ses divertissements ou son information. »1 1 La priorité est donnée à l'information, les journalistes se déplacent hors des studios et diffusent en direct les évènements. Le magnétophone Nagra, qui remplace l'encombrant «camion son », leur permet une grande mobilité pour enregistrer les sons, en vue d'une diffusion a posteriori. Sabbagh raconte cette anecdote: « Un jour, Antoine Pinay, chef du gouvernement, débarque à Orly. Les micros se tendent.
· «Vous permettez, dit -il aux journalistes, que je garde mes informations pour le Président de la République. » Il se dirige alors vers les journalistes de la presse écrite.
· il peut leur parler, ils ne publieront pas avant quelques heures. Parmi eux, avec son Nagra, le reporter d'Europe 1 fait mine de prendre des notes et enregistre. Il paraît qu 'à son arrivée à l 'Elysée le président dit à Antoine Pinay.
· «Je sais, merci ! »
»12

Radio dynamique, Europe 1 va donner la parole aux auditeurs dans les émissions de divertissement mais aussi dans les émissions d'informations. On peut ainsi entendre l'auditeur à l'antenne dans l'émission de Pierre Bellemare : «Vous êtes formidables» créée en 1956. Le principe de l'émission est de mobiliser la solidarité des Français en faveur des sans-logis de la

9 DUVAL René, Histoire de la radio en France, Paris, Alain Moreau, 1979, p 185

10DELEU Christophe, op. cit. p25

11ALBERT Pierre et TUDESQ André-Jean, Histoire de la radio -télévision , Paris, PUF, Que sais-je, p 105 12 SABBAGH Antoine, La radio, rendez-vous sur les ondes, Paris, Découverte Gallimard, 1995, p 74

région parisienne, pour les mineurs sinistrés en Belgique, etc. Les auditeurs répondent avec enthousiasme aux injonctions insistantes et amicales de l'animateur, conteur de grands malheurs comme des petits tourments de la vie.13

La grande innovation de cette radio réside dans le fait que pour la première fois les auditeurs peuvent prendre la parole dans les émissions politiques. Dans «Cent mille Français ont raison », créée en 1955, les auditeurs sont interrogés par sondage sur leurs opinions politiques. Mais la trop grande liberté de ton de l'émission va la conduire à sa perte. Deux mois après sa création, elle est supprimée de l'antenne sur ordre du directeur de la station. Cette décision fait suite à une émission sur la guerre d'Indochine, où les auditeurs sont conviés à donner leur avis. Le fait qu'une majorité d'entre eux se prononce contre, déplaît au gouvernement, qui le fait savoir au directeur. 14 Ainsi, la station devra davantage encadrer la parole des auditeurs à l'antenne.

C'est dans ce contexte que Franck Ténot et Daniel Filipacchi créent en 1959 la célèbre émission «Salut les copains ». Ne pouvant s'exprimer que sur leur chanteur favori, les auditeurs devront attendre 1964 pour pouvoir poser des questions aux hommes politiques. Ce dernier point constitue néanmoins une nouveauté sur les ondes, Maurice Siegel qualifiant ce type d'initiative d'inconsciente. 15 Europe 1 joue donc la carte de la convivialité, créant une relation personnelle avec l'auditeur. Pour Deleu on ne peut toutefois pas qualifier la radio de participative, car «les interventions des gens à l'antenne demeurent parcellaires et très encadrées, introduites dans des concepts où les animateurs et les journalistes conservent la maîtrise du programme ».16

Pour Jeanneney «cette influence renouvelée de la radio la rétablit dans sa situation d'enjeu politique et cela ne pousse pas le gouvernement, de Gaulle et les siens, à alléger leur mainmise ». En 1966, de Gaulle menace la survie de la station en déclarant à son Premier

13 SABBAGH Antoine, op.cit. p 75 14DELEU Christophe, op. cit. p27 15Ibid.

16Ibid. p28

ministre, Georges Pompidou, que «l'existence des postes périphériques domiciliés à l'étranger, soustraits de ce fait à l'emprise de nos lois et de nos règlements, (...) constitue une anomalie décidément inacceptable. (...) Il s'agit qu'elle prenne fin... »17 Cet avertissement suffira à calmer le ton d'Europe 1. Mais l'Etat voulant conserver le monopole va tenter à plusieurs reprises de prendre une participation dans le capital du groupe, par le biais de la Sofirad qu'il possède. En 1959, l'Etat obtiendra 46,85 % des voix, pouvant désormais faire peser une épée de Damoclès sur la station. Dès lors, Europe 1 sera tenue de pratiquer l'autocensure jusqu'en 1986 où l'Etat vendra sa participation à l'entreprise privée Hachette.18

3. Menie Grégoire, un remède radiophonique?

L'arrivée de Menie Grégoire sur RTL en 1967 bouleverse le paysage radiophonique en proposant le premier programme de confession radiophonique. Rien ne présageait, à l'époque, que l'engouement des auditeurs aurait été si grand. L'émission a commencé de manière hasardeuse comme le dévoile l'animatrice, à l'époque journalistefree lance: «c'était au tout début de l'année 1967. Un ami venait d'entrer à RTL avec Jean Farran, le nouveau directeur. Il s'appelait Jean Namur. Il m'appelle et me demande de venir déjeuner avec son patron. Ils arrivent : Farran est un grand type, très beau et assez mystérieux. Je sens que, comme moi, il est passé par l'école de la psychanalyse. Il dit avoir décidé de faire parler les auditeurs, au lieu de leur parachuter informations et distractions, ce qui ne s'était jamais fait nulle part dans le monde. Un vrai pari. « Vous connaissez les femmes, paraît-il. Pouvez-vous les faire parler ? Ó, «Oui... De quoi? Ó, «N'importe ! De ce qu'elles voudront bien. On verra. Ó »19

L'émission débute quelques mois plus tard, suite aux lettres reçues après un article paru dans Elle, osant aborder la vie sexuelle du couple et ses problèmes. Menie Grégoire choisi une de ces lettres, la lit à l'antenne et fournit une réponse personnelle. Le lendemain,

17JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 251

18 Ibid.

19 GREGOIRE Menie, Comme une lame de fond, 100 000 lettres qui disent le mal-être des corps et des coeurs 1967-1981, Paris, 2007, p 10

une trentaine de lettres arrivent, le surlendemain cinquante et des appels téléphoniques; la deuxième semaine, cinq cent lettres.20 Un nouveau genre radiophonique est né.

Pour Deleu, plusieurs facteurs concomitants ont contribué à l'arrivée sur la bande FM du premier programme de confession. «Cette confidence radiophonique s'inspire largement de la confession religieuse, même si elle n'inspire ni faute ni pardon (É). La mise en place de ce type de dispositif est également permis par le développement du téléphone dans la seconde moitié du XX e siècle. Coïncidence troublante, la psychanalyse, le téléphone et la radio, les

e

trois composantes de la parole divan en ondes, sont nés en même temps, à la fin du XX siècle, et comme ils reposent chacune à leur façon sur la parole, devaient tôt ou tard se trouver associés. »21

Quotidiennement, de 15 heures à 15 heures 30, l'animatrice, après avoir lu et répondu à la lettre d'un auditeur, entre en dialogue en direct avec trois ou quatre anonymes, préalablement sélectionnés au standard. La conversation dure de six à neuf minutes Pour Cardon, l'émission accueillait moins des questions ou des témoignages que des appels à l'aide ou des confessions. Les auditeurs intervenaient à l'antenne dans une situation de conflit, de dispute ou de trouble en ce qui concerne la vie intime, familiale ou professionnelle. L'engagement émotionnel des appelants était de ce fait très important, l'animatrice adoptant tour à tour les rôles de consolatrice, thérapeute ou accusatrice.22

L'émission de Menie Grégoire s'est parfaitement insérée au sein d'une société vivant des mutations sociales importantes. En effet, durant cette période s'est mis en place un nouveau type de discours basé sur l'intime, et en particulier sur la sexualité. «La revendication d'un droit au plaisir et la promotion de spécialistes du plaisir sexuel dispensant conseils et traitements, ont trouvé un espace particulièrement accueillant dans la très

20 GREGOIRE Menie, op. cit. p 11

21 DELEU Christophe, cite in MEYER Michel, Paroles d'auditeurs, Paris, Syrtes, 2003, p274

22 CARDON Dominique, « Chère Menie: émotions et engagements de l'auditeur de Menie Grégoire », Réseaux, n° 70, Paris, 1995

populaire émission de Menie Grégoire qui a su épouser, sur ces questions comme sur d'autres, les transformations de la société française des années 1970. »23

L'émission de Menie Grégoire constitue ainsi la première émission service qu'aient connue les Français. La minutie et la rigueur de Menie Grégoire offrent, des années plus tard, un terrain d'étude complet; comme un arrêt sur image des moeurs de la société sur une période de 14 ans (de 1967 à 1981). De nombreux documents sont aujourd'hui disponibles, constituant une base de travail de prédilection pour les chercheurs en Sciences de l'Information et de la Communication. Il s'agit des carnets noirs de Menie Grégoire, sur lesquels l'animatrice notait ses impressions à la fin de chaque émission, 100 000 lettres d'auditeurs et 1 500 bandes sonores stockées et classées aux Archives Départementales d'Indre-et-Loire. Prolonger les recherches sur la relation interactive établie par Menie Grégoire et l'impact de son émission au niveau sociétal, nous permettrait, par l'adoption d'une démarche historique, de mettre en perspective nos travaux universitaires.

4. Un nouveau genre radiophonique : la confession

Le succès de Menie Grégoire fut tel qu'un certain nombre d'émissions de confession radiophonique est apparu ensuite. Conseillers, voyants, astrologues, psychothérapeutes assurent des consultations en direct. Nouvelles confidentes, les grandes radios voient à l'époque leurs standards submergés d'appels.

À partir de 1967, Françoise Dolto, alias "Docteur X" répond en direct aux anonymes de tout âge sur Europe 1. Même si l'émission connaît un excellent taux d'écoute, la psychanalyste ne souhaite pas poursuivre cette expérience au-delà de 1969, regrettant principalement les contraintes imposées par le dispositif radiophonique. Le dialogue haché par les nécessités du direct et de la publicité ne lui permet d'aller assez en profondeur. En

23 CARDON Dominique, «Droit au plaisir et devoir d'orgasme dans l'émission de Menie Grégoire », Le temps des Médias, n° 1, 2003, p 77 -94

1976, elle accepte à nouveau une émission sur France Inter : "Lorsque l'enfant paraît", à condition d'y répondre aux lettres des auditeurs.24

En septembre 1970, Madame Soleil envahit l'antenne d'Europe 1, en mélangeant astrologie et psychologie auprès des auditeurs appelants. De son vrai nom, Germaine Soleil, a remonté le moral des auditeurs suspendus à son verdict, durant 24 ans, toujours énoncé sur un ton chaleureux. Georges Pompidou l'avait rendue célèbre lors d'une conférence de presse où, butant sur une question d'un journaliste, il avait lancé : «Je ne suis pas Madame Soleil !» L'astrologue quitte l'antenne en 1994 à l'âge de 80 ans ; mais l'expression perdure.

5. Mai 1968, révolution radiophonique?

Le mouvement étudiant va avoir un impact important sur la radio en France. Les pratiques et les programmes sont bouleversés. Diffusant l'information à chaud via les postes périphériques, la radio acquiert un véritable poids politique. Pour Jeanneney la radio confirme son « rôle capital dans l'histoire républicaine (É) au moment du mouvement de Mai 1968 où elle offre de grands atouts aux étudiants dans leur stratégie urbaine. »25

La construction de la première barricade au Quartier latin est annoncée sur Europe 1 le vendredi 10 mai à 20 heures 55 ; toute la nuit les journalistes de cette station ainsi que ceux de RTL transmettront les nouvelles, minute par minute. Leurs radio-téléphones captent le fracas des explosions comme divers leaders étudiants. 26

les déclarations des Qualifiés de «radio

barricades », les postes périphériques donnent de la voix au mouvement. Derrière leurs transistors, les Français réalisent en temps réel l'ampleur du mouvement alors que France Inter reste muette, obéissant aux consignes officielles qui interdisent tout reportage sur le sujet. Pendant les directs des radios périphériques, les manifestants s'emparent des micros pour faire connaître leurs opinions, et transmettre les mots d'ordre comme les lieux de

24 http://www.francoise -dolto.com/bio.htm (consulté en juin 08)

25 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p250

26 SABBAGH Antoine, op.cit. p 84

rassemblements. Toutefois, ces éléments peuvent-ils suffire pour qualifier Mai 1968 de révolution radiophonique? Par exemple, aucune radio pirate n'a vu le jour durant cette période. Dans tous les cas, une telle liberté de ton n'avait été jusqu'alors jamais entendue sur les ondes françaises. Le poids et l'impact politique d'une telle pratique radiophonique sont conséquents. «A Paris, déclarera Daniel Cohn -Bendit, une manifestation décidée à 15 heures réunissait vingt mille personnes deux heures plus tard sans un seul tract grâce à la radio »27

A partir de ce moment là, les auditeurs ne pourront plus être absents de l'antenne, que ce soit sur les postes privés, ou sur la radio d'Etat. En effet, suite à un mouvement contestataire à France Inter, où, dès le 13 mai 1968 les journalistes ont refusé de censurer l'information, la radio d'Etat a connu un régime de liberté durant trois semaines. Et «malgré la sévère épuration que connaît l'ORTF les mois suivants, la crise a imposé la nécessité d'une information affranchie du pouvoir» selon Sabbagh.28

L'auditeur est dorénavant invité à parler à l'antenne. Sur France Inter, Roland Dhordain et Jacques Chancel créent Radioscopie. La première version de cette célèbre émission consistait à faire venir un anonyme pour qu'il se raconte. Autre exemple, en septembre 1968, un débat de trois heures entre Edgar Faure et un étudiant en médecine a lieu sur Europe 1. « Le Téléphone sonne» créé en 1978 sur France Inter ouvre son antenne aux anonymes afin qu'ils puissent poser des questions en direct sur l'actualité. Sur Europe 1, le téléphone rouge leur permet de signaler à la station des faits-divers et des nouvelles inattendues.29

L'auditeur n'est plus absent, il participe désormais directement aux émissions, même si l'espace qui lui est accordé reste faible.30 Cependant, comme disait Claude Villers,

27 SABBAGH Antoine, op. cit. p 85

28Ibid. p86 29Ibid.p 87 30DELEU Christophe, op. cit. p29

sillonnant la France à partir de 1975 pour donner la parole aux gens ordinaires, «ce n'est pas vous qui écoutez la radio, mais la radio qui vous écoute. »31

6. Des radios libres à la suppression du monopole

L'expression «radio libre» naît vers 1968 - 1969 en Italie. A cette époque, le Groupe Danilo Dolci émet clandestinement depuis la Sicile, afin d'exposer sur la place publique les injustices dont les citoyens de Belia (Sicile) ont été victimes.32

En France, cette appellation désigne les radios clandestines qui ont émis entre 1969 et 1982, date à laquelle le monopole d'Etat prend fin. Les évènements de Mai 1968 ont montré à la population à quel point la radio constituait un bon instrument pour la communication sociale.33 Forts du célèbre slogan: «il est interdit d'interdire », beaucoup vont se lancer dans un combat actif et militer pour la liberté d'expression à la radio. Profitant des avancées technologiques (développement de la modulation de fréquence qui améliore considérablement la qualité sonore), les radios clandestines vont s'empresser d'occuper cette bande presque vierge qu'est alors la FM.34

Au lendemain de Mai 1968, les projets de radios libres n'aboutissent pas, à l'exception de Radio Campus. Créée en mars 1969 à Villeneuve d'Asq par des étudiants, cette station va peu à peu prendre du poids. Dès 1972, des débats sont organisés sur des questions universitaires où les étudiants sont invités à prendre la parole. Mais à partir de 1974, des descentes régulières de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), de TDF (Télédiffusion De France) et de la police, font tout pour faire cesser les émissions.

31DELEU Christophe, op. cit. p29 32JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 255 33DELEU Christophe, op. cit. p32 34Ibid.

En parallèle, des radios commencent à émettre dans le reste du territoire français

35

(Radio active à Paris en 1975, Radio Uylenspiegel à Hazebrouck en 1976).Le mouvement est donc impulsé dans les années 1970. Plus tard, un évènement mettra au grand jour le mouvement des radios libres. Comme le rapporte Jeanneney: «le coup d'envoi des radios libres est donné, paradoxalement à la télévision. Au moment des commentaires politiques sur les élections municipales de mars 1977, un jeune leader écologiste, Brice Lalonde, surgit sur les écrans, (É) et soudain il s'écrit «J'ai une bonne nouvelle à vous donner Ó, sort un poste de radio qu'il avait sur ses genoux, le pose devant lui et annonce : «Ecoutez bien, vous entendez pour la première fois une radio privée qui s'appelle Radio Verte. Ó »36

A partir de là, le mouvement va se développer à grande échelle, les acteurs politiques devant prendre position sur la liberté d'expression. La radio devient le média que l'on associe le plus à l'idée d'expression démocratique. Les militants favorables aux radios libres sont convaincus que la parole du peuple est rendue possible à travers la radiodiffusion, et que l'accroissement de la liberté de l'individu fera disparaître les injustices sociales. Tout ceci dépend donc de la suppression du monopole d'Etat.37

Toutefois, d'autres types de revendications émergent des radios libres. On trouve en effet sur la bande FM une multitude de petites radios à destination d'un public restreint. A Longwy, la CGT (Confédération Générale du Travail) crée en pleine

crise de la métallurgie et de la sidérurgie, «Radio Lorraine Coeur d'Acier », venant relayer «Radio SOS Emploi », La première radio ouvrière de France. L'antenne est ouverte aux travailleurs inquiets de perdre leur emploi. Toutefois, faute de moyens, la station va disparaître. A Lyon, « Radio Active » lutte en 1976 contre la construction de la centrale nucléaire à Creys Malville. En région parisienne, une dizaine de radios libres est née: «Radio Fil Rose» à destination de la communauté homosexuelle, «Radio 93 » en faveur des libertés publiques mais aussi «Radio onz'débrouille », «Radio Massipal », «les Nanas radioteuses », etc. Parfois, elles sont à peine audibles à quelques centaines de mètres, et elles sont souvent brouillées par la police.38

35DELEU Christophe, op. cit. p33

36 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 256

37 DELEU Christophe, op. cit. p34

38 SABBAGH Antoine, op. cit. p 90

Il faut ajouter à cela les nombreuses saisies de matériel, auxquelles les stations doivent faire face. A l'exception de «Radio Lorraine Coeur d'Acier» qui dispose de locaux permanents à la mairie de Longwy, les autres n'émettent jamais du même endroit. Il faut trouver de nouvelles manières pour faire intervenir l'auditeur, l'utilisation du téléphone étant dans ces conditions impossible. C'est pourquoi, soit l'auditeur se déplace jusqu'au lieu de résidence temporaire de la radio, soit la radio se déplace jusqu'à lui. Dans ce sens, «Radio Verte Fessenheim» choisit d'émettre à partir d'une maison d'un village différent chaque jour et elle fait participer les habitants de la maison au programme.39

La prolifération de ces radios a néamoins la vertu de remettre clairement en cause le monopole d'Etat. Les radios libres espèrent beaucoup de l'arrivée des socialistes à la présidence de la République. En effet, même si le Parti Socialiste n'est pas unanime pour condamner le monopole, François Mitterrand prend la parole le 28 juin 1978 sur «Radio Riposte» pour soutenir le mouvement. Pour Deleu « l'affaire «Radio Riposte» identifie François Mitterrand (malgré lui) et le Parti Socialiste au combat en faveur des radios libres. »40 Après son élection, la loi du 9 novembre 1981 prévoit une dérogation au monopole et le 29 juillet 1982 (date symbolique faisant écho à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) est promulguée la loi qui stipule dans son premier article: « la communication audiovisuelle est libre ».41

Toutefois, un grand nombre de radios légitimait leur existence par le combat pour la fin du monopole. A partir du moment où la liberté des ondes est acquise, un certain nombre de stations va disparaître, n'ayant plus de réelle motivation. Pour Deleu «dans un grand nombre de stations, ce sont avant tout les responsables d'associations (É) qui ont hérité de la mission de parler à la radio, alors que le projet de départ des membres des radios libres était de donner la parole au peuple ».42

39DELEU Christophe, op. cit. p35 40Ibid. p37

41 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 257 42DELEU Christophe, op. cit. p36

B. L 'interactivité sur la bande FM de nosjours

Depuis longtemps, les auditeurs sont associés aux programmes des radios; mais l'espace qui leur est consenti n'a pas cessé d'évoluer. Aujourd'hui, l'interactivité est un phénomène omniprésent sur la bande FM française, emmenant les auditeurs à écouter du matin au soir leurs semblables. Toutefois la nature et la durée du don de la parole sont propres à chaque station, voire à chaque émission. Afin d'illustrer nos propos, nous allons tâcher de présenter un panorama des programmes interactifs en France. La diversité de l'offre proposée nous a conduit à classer, dans une optique de clarté, les émissions par « type

» de radios.

1. Les radios nationales privées généralistes

La concurrence accrue au sein des médias privés a engendré une course à l'auditeur, ayant comme principale conséquence une mutation des programmes. Pour certaines radios, il s'agissait même de survie. Selon Michel Meyer, les paysages radiophoniques européens et nord-américains ont été marqués, dès les années 1990, par la naissance de nouvelles radios

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affirmant face à leurs aînées généralistes des identités ou des vocations thématiques fortes. Les radios généralistes privées ont ainsi dû moderniser leurs programmes afin de les rendre plus attrayants. Prenons l'exemple d'Europe 1. Après plusieurs années de déclin et d'hésitation, l'existence de la station, possédée majoritairement par le groupe de Jean-Luc Lagardère, est menacée. C'est dans ce contexte d'urgence que Jérôme Bellay prend la tête de la station en septembre 1996. Il considère que la seule issue d'Europe 1 est de se différencier en devenant une «radio parlée ». La grille de programmes est dès lors entièrement remaniée; les jeux, les émissions de divertissement et les séquences musicales sont éliminés de l'antenne, pour placer l'auditeur au centre de la démarche radiophonique. Pour Michel Meyer, si Jérôme Bellay s'est engagé dans cette formule talk radio «c'est bien parce qu'il savait que le reste des genres radiophoniques était irréversiblement « occupé »par d'autres. La

43 MEYER Michel, Paroles d'auditeurs, Paris, Syrtes, 2003, p 178

musique était devenue le monopole des NRJ, Skyrock et autres RFM et Nostalgie, et l'information la marque de fabrique de France Info ».44

Aujourd'hui, malgré l'arrivée de Jean-Pierre Elkabbach à la direction de la station en 2005, Europe 1 continue à forger son identité en donnant la parole aux auditeurs dans de nombreuses émissions. Toute la journée, l'auditeur peut intervenir dans les émissions matinales telles que «La question du jour» où les auditeurs peuvent poser leurs questions sur des thèmes d'actualité; mais aussi en journée avec «Faut qu'on en parle» présenté par Faustine Bollaert, une émission entièrement dédiée aux interventions des auditeurs sur des faits de société; sans oublier les émissions de nuit. La place laissée à l'auditeur varie selon les émissions, mais l'interactivité demeure un point d'ancrage fort de la radio. Ceci est confirmé par les nombreuses possibilités mises à la disposition de l'auditeur pour entrer en contact avec la station: appels téléphoniques, SMS, forum, chat, blog. Certains de ces services sont toutefois surtaxés, illustrant la nature commerciale de cette radio. Dans ce sens, l'ouverture de l'antenne aux auditeurs n'est-elle que la conséquence directe d'une logique marketing?

Pour assurer son financement, une radio privée vend des espaces publicitaires à des annonceurs. La tarification de ces spots d'environ 30 secondes diffusés à l'antenne répond à une logique de flux. En effet, plus une tranche horaire bénéficiera d'une audience cumulée élevée, plus les espaces seront vendus chers et plus l'entreprise médiatique pourra faire du profit. La vitalité d'une station privée dépend donc de son auditorat. Les émissions interactives font partie des émissions les plus écoutées par les auditeurs, garantissant ainsi de bonnes audiences.

Il est intéressant à ce stade d'évoquer l'exemple de RMC, qui était au bord de la faillite avant d'être rachetée par Nextradio. Au début de l'année 2001, Alain Weill, aux commandes de la station, renommée RMC-Info, a pris l'initiative de modifier la grille des programmes afin d'imposer progressivement le concept «news and talk ».45 Même si la radio

44MEYER Michel, op.cit. p 178

45 Le Monde, La nouvelle formule de RMC, 14janvier 2001, http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13- 0,37-683733,0.html, consulté en mai 2008

a tendance à privilégier les émissions d'actualité et sportives, nous pouvons entendre sur cette antenne des émissions aux thématiques très variées afin de cibler un public le plus large possible. La quasi-totalité des émissions de RMC-Info ouvrent leurs antennes aux interventions des auditeurs. Plus de cent personnes prennent la parole chaque jour, permettant le débat entre auditeurs, la confrontation avec les journalistes, et les dialogues avec les animateurs. C'est l'appartenance même du média qui est ici remise en question. Les propos d'Alain Weill l'illustrent: «Pour séduire, une radio doit se comporter comme si elle appartenait à ses auditeurs. Et leur laisser beaucoup d'espace. »46

Le talk show possède plusieurs caractéristiques propres à ce type de programme; Charaudeau et Ghiglione se sont attachés à les définir. L'analyse développée ici pour le média télévisuel est tout à fait applicable au média radiophonique. D'abord, le talk show prend une place particulière dans l'espace public, en élargissant le champ de celui-ci par l'intégration des domaines du privé, de l'intime, des jugements et des affects individuels, tout en les socialisant. Puis il se donne à voir dans sa propre mise en scène, rendant la parole tellement visible qu'elle se vide de son contenu. «A vouloir révéler à tout prix et rendre tout visible, cette parole se donne comme un pur signifiant sans signifié ». De plus, on peut y entendre une parole du «moi-nous ». Ce «moi» individuel, «moyen », est considéré comme plus grand dénominateur commun, et de par sa banalité, de par son abstrait, il devient exemplaire, valant pour tous, «jouant le rôle de figure emblématique d'un symptôme collectif dans lequel chacun doit se retrouver ». Dans ce sens, les auteurs qualifient le talk show de tautologie identitaire. «Malgré tous les discours de justification produits par les auteurs des talk shows sur l'interactivité et la participation du téléspectateur, un «moi »sans «vous », un «je » sans «tu », puisque le «vous » et le «tu » sont intégrés dans le «moi-miroir-de-moimême »etÉ «des autres» ». Pour finir, le talk show exalte une nouvelle norme d'opinion publique, incluse dans un débat public véhiculé par le média, et y apportant une réponse (qui n'en est en fait pas une) de réparation au désordre social. Il est aussi à l'origine d'un nouveau spectacle par le mélange des thèmes des espaces public et privé, des genres du sérieux et du divertissement. Enfin, il est porteur d'une nouvelle idéologie « car sous prétexte de faire découvrir la vérité et d'y impliquer de façon interactive le téléspectateur, c'est à la consommation d'un fantasme de vérité « inessentielle » à laquelle celui-ci est convié sans

46 Télérama, n°2946, 28juin 2006

qu'il ait droit à la parole. »47 Les deux auteurs apportent ici une vision détaillée et critique de ce nouveau genre discursif qu'est le talk show . Il est important toutefois de préciser la popularité du dispositif. RMC -Info en est l'illustration. Alors que l'audience se trouvait au plus bas fin 2001 / début 2002, avec moins de 2 % d'audience cumulée, les résultats de la station se sont progressivement améliorés depuis la refonte des programmes. Même si l'audience cumulée n'est pas très importante sur la période janvier/mars 2008: 5,7 %, la durée d'écoute par auditeur est, quant à elle, élevée : 2h07, révélant la fidélité des auditeurs. L'ouverture de l'antenne aux auditeurs n'est pas la seule cause de la renaissance de cette radio. Il s'agit d'un phénomène global, répondant à des stratégies marketing, basées sur les courbes d'audience. La radio doit dans ce sens satisfaire l'auditeur devenu cible commerciale. Toutefois cette démarche n'exclut pas toute dérive comme en juge Michel Meyer: « RMCInfo est sur la pente du populisme. La tentation est énorme. Mais tout le monde sait, dans le monde médiatique, que le trash populiste reste en France un genre interdit. »48

Pour finir ce survol de l'interactivité au sein des stations généralistes privées, nous souhaitons nous concentrer sur RTL, première radio de France en terme d'audience. Encore une fois, de nombreuses émissions de cette station font intervenir les auditeurs en direct. Mais le grand rendez-vous proposé par RTL est bien celui programmé de 13 h à 14 h 30, du lundi au vendredi: «Les auditeurs ont la parole », créé par Nicolas Angel, qui officie depuis 1982 sur les ondes de RTL, après les informations. Depuis sa création, les présentateurs se succèdent à l'antenne, la place est aujourd'hui occupée par Jérôme Godefroy. «Son public est en radio celui de cette France profonde qui nourrit les reportages télévisés du 13 h de Pernaud sur TF1. » 49 Ce sont les «vrais gens » de la France profonde, Monsieur et Madame tout le monde qui prennent la parole pour intervenir sur des thèmes d'actualité. Les débats à l'antenne sont souvent houleux, animés, conséquence directe de la démarche de l'émission de recueillir les impressions des auditeurs à chaud. Il est utile de signaler que ce type d'émission peut être victime de son succès, avec des pics d'appels importants lors d'événements d'actualité forts. Par exemple, au lendemain du premier tour des élections présidentielles du 22 avril 2002, la station a du traiter 10 000 appels, dépassant outre mesure la moyenne (déjà élevée) de 1 500 appels par jour. Un filtrage important des auditeurs est donc mis en place,

47CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, La parole confisquée, Paris, Dunod, 1997, p 88-89

48 MEYER Michel, op.cit. p 178
49MEYER Michel, op. cit. p 189

respectant un protocole strict et permettant d'éviter toute dérive. Les appelants sont dans un premier temps invités à laisser leur nom, leur numéro de téléphone et le sens de la question ou de l'avis qu'ils souhaitent poser ou exprimer. Les standardistes établissent ainsi une fiche par auditeur. Selon les thèmes des émissions, un équilibre pour / contre est recherché. C'est l'assistant de l'émission, qui, sur la base des fiches, dresse la liste d'une dizaine d'auditeurs, avant de les interroger lui-même sur leurs motivations à intervenir à l'antenne. Proportionnellement, seule une faible minorité des appelants intervient en direct, ne représentant qu'une faible partie de l'auditoire.50

2. Les radios publiques

De toutes les radios ayant un rayonnement national à Radio France, France Inter est sans contexte celle qui ouvre le plus son antenne aux auditeurs. De l'aube au crépuscule, de nombreuses émissions offrent à entendre des témoignages, questions, remarques d'auditeurs; certaines d'entre elles étant entièrement dédiées à cela.

Parmi elles, le rendez-vous historique, de la station incarné par «Le téléphone sonne ». Créée en 1978, l'émission est aujourd'hui entre les mains d'Alain Bédouet de 19 h 20 à 20 h. L'émission traite de thèmes d'actualité, de faits de société et de politique. Les auditeurs sont invités à poser leurs questions ou à faire leurs remarques; les invités présents sont là pour y répondre. Le présentateur est maître de l'antenne, c'est lui qui donne et reprend la parole à tous les intervenants. Le dispositif est classique, pourtant l'émission rencontre une forte adhésion de la part des auditeurs de la station. Pour Alain Bédouet, «le dialogue avec l'auditeur est aussi vieux que la radio elle-même. Phénomène ancien, il répond cependant à un besoin nouveau. Je sens quant à moi pointer ce regain pour la prise de parole en direct depuis au moins dix ans. Aujourd'hui, on appelle cela libre antenne. C'est une mode. Et on mêle l'interactivité à toutes les sauces. On feint de découvrir le genre. Mais est-ce bien autre chose que l'expression du besoin des gens de défier par leurs questions ceux qui incarnent l'autorité ou le savoir, les experts, les journalistes, les hommes politiques? Ce que je sais, c'est que les auditeurs sont de plus en plus demandeurs, éclairés et exigeants. Ils sont las de

50MEYER Michel, op.cit. p 189 - 190

s'entendre expliquer le monde sans pouvoir réagir, mettre leur grain de sel dans les débats de l'époque. Les écouter est essentiel, car on apprend beaucoup de leurs centres d'intérêt, de leurs perceptions du monde. Cela rend la gent journaliste plus humble, plus rigoureuse et analytique. Ne jamais céder à la facilité, tant ceux qui nous écoutent sont lucides et jamais dupes de rien. Quoi que l'on croie, il y a des soirs où ce sont les auditeurs et non pas l'expert invité qui sauvent l'émission par la qualité de leurs interventions. »51 Un audi teur qui devient sauveur du contenu des émissions ? Ces considérations illustrent bien la place fondamentale occupée dès lors par l'auditeur au sein d'une radio. Sommes-nous actuellement en train d'assister à une réappropriation du média par les pratiques? Ou est -ce la manifestation, nullement spontanée, d'une ouverture plus importante de la part des radios? Pour Jean-Paul Cluzel, président de Radio France : «une radio publique n'est la propriété de personne. Elle appartient à la République. Ses auditeurs sont au centre, mais n'en sont pas propriétaires. Il est vrai que nous sommes sous la pression de certains d'entre eux. (É) Les Français paient une redevance pour que nous fassions du reportage, des fictions, des émissions élaborées. Nos auditeurs sont exigeants, cela ne les intéresse pas d'entendre ce qui se dit au café du Commerce... La grande leçon de ces dernières années a été de comprendre que le récepteur n'est pas inférieur à l'émetteur. »52 Pourtant à l'antenne, une fois que l'auditeur a posé sa question ou apporté sa remarque, il est basculé hors antenne, ne pouvant pas réagir à la réponse qui lui a été donnée. On ne lui accorde pas de droit de suite, sans doute par peur du dérapage. Il est donc nécessaire de ne pas être aveuglé par la liberté octroyée au sein d'un dispositif rigide.

Les anonymes ont la possibilité d'intervenir sur l'antenne de France Inter dans un type de dispositif différent du don de la parole. «Là-bas, si j 'y suis» dirigée par Daniel Mermet, est une émission qui ouvre son antenne aux auditeurs par la diffusion de leurs messages laissés sur le répondeur de l'émission. De plus, l'émission propose des reportages centrés sur des anonymes. Deleu distingue de façon schématique deux genres d'émissions assez différents : d'abord celles qui donnent la parole à des victimes d'injustices, «Là-bas, si j 'y suis» étant marqué par un engagement social fort; puis les émissions qui souhaitent raconter à l'auditeur une «histoire» par le traitement d'un sujet original dans lequel le

51 MEYER Michel, op.cit. p206

52 Télérama, n°2946, 28juin 2006

journaliste donne la parole à des individus qu'il met en scène. Parfois ces deux genres se

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mélangent au sein d'une même émission.L'anonyme qui prend la parole adopte soit le statut de «victime» soit celui de « personnage-héros ». Tout est mis en place pour justifier ces statuts. D'une part, il faut à tout prix que l'auditeur puisse plaindre la victime et de l'autre, la construction du « personnage-héros» s'établit par la place accordée à la personne interviewée, le contenu des séquences, etc. Dans ce disposi tif, le registre de l'émotion tient une large place et contribue à la réalisation du projet de parole. L'animateur revendique la volonté de toucher un public cosmopolite, ce qui correspond aux objectifs de la radio de service public. Le dispositif mélange pour cela le savant et le populaire, le tout pour créer de la proximité avec l'auditeur.

On retrouve des objectifs similaires dans le réseau de stations locales de Radio France. France Bleu bénéficie d'un ancrage local fort tout en bénéficiant d'une couverture de diffusion importante dans les régions françaises. Il paraît logique, compte tenu de ces éléments, que les stations jouent la carte de l'interactivité. Sur les 43 stations, toutes ouvrent leurs antennes aux auditeurs afin qu'ils s'expriment sur les actualités locales et régionales, ainsi que nationale et internationale. Les matinales sont consacrées à des sujets de service ou d'intérêts pratiques, les après-midi étant plus réservés aux émissions de confidence, de joies et peines de coeur.54 Les locales de Radio France, fortes de leur ambition d'utilité publique demeurent proches géographiquement (et sentimentalement) de leurs auditeurs. Le média radiophonique a très tôt contribué au maintien des liens sociaux, tout en mettant à jour la persistance de certaines solidarités collectives dans des circonstances difficiles voire d'urgence. En effet, comme nous l'expliquent Cheval et Tudesq, depuis ses débuts, « la TSF devenue la radio s'est affirmée comme le média des temps de crise. Elle assume alors un rôle d'alerte, d'information. Elle se met aussi au service d'actions collectives en réaction aux situations rencontrées. »55

53DELEU Christophe, op.cit. p 170

54MEYER Michel, op. cit. p209

55 CHEVAL Jean-Jacques et TUDESQ André-Jean « Radiodiffusion et solidarité » in Les solidarités, le lien social dans tous ses états, sous la direction de Guillaume Pierre, 2001 p 57

Les stations de France Bleu ont toujours été présentes dans des moments d'urgence pour jouer, bien évidemment, un rôle informatif, mais aussi exceptionnellement d'assistance, comme le raconte Gabriel Valdisserri, qui, sous l'égide de Christiane Chadal, déléguée de Radio France pour le Sud-Méditerranée, pilota les actions de la station de Nîmes lors des inondations monstres de l'automne 2002. «Au plus fort du déluge, sur la commune de Chusclan, un homme s'est réfugié sur le toit de sa maison, prisonnier des flots avec ses trois enfants. Dans l'impossibilité de joindre une unité de secours, il a réussi à se connecter avec notre station via son portable, les réseaux n'étaient pas encore coupés à ce moment là. Le sinistré était fou d'angoisse et nous implorait pour qu'on lui vienne en aide. Les pompiers du Codis, fidèles auditeurs et très à l'écoute à cet instant, ont entendu cet appel désespéré et envoyé un hélicoptère sur place. Les enfants et leur père ont été hélitreuillés et sauvés ! »56 Au delà de l'anecdote, les stations restent présentes et à l'écoute des auditeurs, une fois les moments les plus difficiles passés.

Lors des tempêtes de 1999 en France, les radios du réseau France Bleu ont informé les auditeurs durant les intempéries mais elles ont poursuivi les émissions pendant et après la tempête pour contribuer à rassurer les personnes isolées. Puis elles ont rendu compte, relayé, et suscité des actions concrètes de solidarité pour apporter aide et soutien aux victimes. Le don de la parole aux gens, a été semble-t-il à l'époque, un exutoire à une angoisse générale contenue. Certaines stations sont même devenues physiquement les plaques tournantes des initiatives d'entraide et de

solidarité. Par exemple, les locaux de Radio France Périgord (ancêtre de France Bleu) ont à l'époque vu plusieurs centaines de personnes défilant du matin jusqu'au soir venant offrir ou rechercher entre autres choses, des piles (pour les postes de radio) et des bougies (pour s'éclairer).57

Ainsi, Radio France souhaite se démarquer des autres programmes interactifs, revendiquant une certaine conception de service public. La radio, dans ce cadre, joue-t-elle ce rôle essentiel de médiation entre les individus?

56MEYER Michel, op.cit. p212

57 CHEVAL Jean-Jacques et TUDESQ André-Jean, op.cit. p 57 - 58

3. Les radios jeunes

Que ce soit NRJ, Fun radio ou Skyrock, toutes offrent un programme de libre antenne, en soirée. Actuellement, ce concept d'émission permettant aux auditeurs de s'exprimer à l'antenne dans un cadre a priori libre de contraintes, semble être l'élément incontournable à la réussite d'une radio ciblant les jeunes. En effet, ce type d'émission est perçu comme sans tabou, sans limites, où toute transgression devient possible. L'ambiance est extrêmement décontractée, allant du bon enfant aux propos les plus «crus ».

Sur Fun radio, l'équipe du « Talk» (Sandra, Mélanie, Jeff, Pipo et Clément) officie de 21 heures à minuit depuis la rentré 2007, alors que sur NRJ « L'émission sans interdit» débute à 20 heures pour se terminer à minuit. Sur Skyrock, Difool et son équipe (Marie, Romano, Cédric, Samy, Momo, Karim) restent maîtres de la libre antenne, les soirs de la semaine de 21 heure à minuit, mais aussi le matin pour le « Morning» de 6 heures à 9 heures. La « Spéciale» rediffuse le dimanche les meilleurs moments de la semaine. Cette émission est sans conteste la plus populaire des libres antennes, Difool s'étant forgé au fil des années une certaine notoriété auprès de son public. Le concept de l'émission est simple: pas de conducteur, pas de sujets préparés ; les débats sont orientés par les auditeurs qui appellent, précise le coordinateur de l'antenne, Frédéric Musa, lors d'un entretien avec Michel Meyer. « Pas question de rédiger des fiches détaillées sur les auditeurs qui appellent. Un numéro de téléphone à nos deux standardistes afin de pouvoir rappeler la personne suffit. On se contente de repérer au feeling les loulous qui ne viennent à l'antenne que pour dire des insanités. Le but est de faire dialoguer les auditeurs, de nourrir une discussion entre des adolescents qui représentent 70 % de notre écoute. Difool, dans ce jeu -là, n'est ni un psychologue, ni un Monsieur-je-sais-tout. (É) En simple intermédiaire pour des gamins qui ont entre quinze et dix-neuf ans. Il n'invite que très rarement des invités en studio. En cas de dérapage, très rare, il gère la situation avec son habitude de la libre antenne. »58 Difool est ainsi considéré comme un expert, ayant su créer une symbiose totale avec son jeune auditoire.

58 MEYER Michel, op. cit. p 75

Le succès de ce type d'émission est expliqué sociologiquement par Glevarec. D'abord, la libre antenne peut être associée à un lieu de passage (analogie avec le rite de passage théorisé par Van Gennep) au moment de l'adolescence. Les radios jeunes travaillent les frontières qui séparent l'enfance de l'âge adulte. La libre antenne constituerait une sorte de «rites d'initiation» de l'adolescence. L'écoute des radios libres correspond à une certaine temporalité; le rejet de ce type d'émission correspond à la volonté de grandir, la fin de l'adolescence. La radio est un espace particulier, correspondant avec la culture de la chambre. L'adolescent souhaite ici s'émanciper du reste de sa famille. Ce type d'émission propose une ambiance particulière, entre un état d'esprit peu contraignant et une configuration sociale libérale. Cette ambiance permet la constitution d'une communauté, composée de l'animateur, de son équipe et des auditeurs. La notion de groupe est très importante à cet âge. De plus, l'espace de transgression qu'est la libre antenne plaît aux jeunes. Les libres antennes sont le révélateur du processus de socialisation, propre à la jeunesse contemporaine. Elle indiquent une forte intrication du privé et du public: le souci de soi et la responsabilité sociale. Elles montrent aussi qu'il existe pour les jeunes générations un autre espace symbolique structurant, en parallèle de la famille et de l'école.59 C'est parce que la libre antenne est en adéquation totale avec son public qu'elle connaît une adhésion et un succès aussi importants.

4. Les radios associatives et communautaires

Les radios associatives ouvrent aussi leurs antennes aux auditeurs ou à des anonymes. Ces radios ne fonctionnent pas sur le régime de l'audience, dans la mesu re où elles ne sont pas financées par la publicité. Ceci leur permet d'être un instrument efficace sur le plan local au niveau politique ou social. Elles couvrent une faible partie du territoire (une municipalité ou un département) offrant ainsi une grande proximité à leurs auditeurs. Proximité renforcée par la mise en onde de leurs propos. Créant du lien social, il s'agit d'associer les gens aux décisions et projets locaux.

59 GLEVAREC Hervé, «Le moment radiophonique des adolescents : rites de passages et nouveaux agents de socialisation », Réseaux n°119, p 27 - 61

Deleu évoque le projet initial de Radio G (à Genevilliers) voulant rendre public le

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débat sur les finances municipales et favoriser la participation populaire à ce débat.La parole des auditeurs a ici un poids important et peut influencer la politique locale. La faible couverture de la radio constitue sa force: les auditeurs résidant tous dans le même espace géographique, l'impact de la parole des gens s'en trouve renforcé.

Une étude sur les auditeurs de Radio Courtoisie (Paris), réalisée par Sébastien Poulain61, montre l'attachement que les auditeurs témoignent pour leur station. Cette radio associative se distingue par son attachement aux idées d'extrême droite et par son ultra conservatisme. Les liens forts qui unissent la radio à ses auditeurs sont le résultat de l'appartenance à une même communauté idéologique. Par le biais de cette radio, les auditeurs confessent leurs idées et opinions, qu'ils ne peuvent pas exprimer ailleurs. Pour l'auteur, «l'expression de cette idéologie permet aux auditeurs de se sentir représentés, légitimés, sécurisés, défoulés, apaisés. »62 En effet, ils se considèrent exclus de la société, de par leur faible représentation dans les médias. Radio Courtoisie devient une arme contre la sous- représentation, et les propos diffusés à l'antenne permettent aux écoutants de se sentir légitimés dans leurs idées. «Radio Courtoisie, en tant que média, peut donner une plus grande visibilité à cette communauté. Cela fait partie du «contrat d'écoute »qui la lie à ses auditeurs. La communauté doit légitimer la radio. (É) Les auditeurs donnent un soutien économique et moral. En échange, la radio doit légitimer la communauté. Elle doit la rendre visible. Elle doit «l'exprimer»».63 L'interactivité est donc importante dans cette radio. Les auditeurs peuvent intervenir à la radio par voie postale, mais ils ont aussi la possibilité de se rencontrer lors de manifestations organisées par celle-ci. L'anonymat garanti par les messages lus à l'antenne leur offre une plus grande liberté de parole. Ainsi, la radio offre à ses auditeurs un espace médiatique pour exprimer leurs idées. On peut ici se questionner sur l'impact démocratique. En effet, les auditeurs sont invités à donner leur opinion, ils participent de ce fait au débat démocratique. Toutefois, les messages diffusés ne sont entendus que par les

60DELEU Christophe, op.cit. p45

61 POULAIN Sébastien, Les auditeurs de Radio Courtoisie, mémoire de DEA, sous la direction de Brigitte Le Grignou, Paris, Université Paris I, 2004

62 Ibid. p91

63 Ibid. p 99

auditeurs de la radio, eux-mêmes (plus ou moins) en accord avec les propos tenus. L'interactivité est-elle ici au service de la démocratie ou de la communauté?

Les radios communautaires accordent aussi une place importante à l'interactivité. En effet, Deleu les définit comme offrant «un service à la communauté qui l'a créée ou à laquelle il s'adresse, tout en favorisant l'expression et la participation de celle-ci. »64 L'auteur poursuit en ajoutant qu'elle promotionne la convivialité, la démocratie et l'identité culturelle. Les auditeurs sont souvent conviés à s'exprimer, renforçant le lien social entre les individus et l'appartenance à une même communauté.

Ce tour d'horizon sur les émissions interactives de la bande FM démontre la grande variété de l'offre. Si l'on se concentre sur le type d'intervention, nous pouvons constater que les prises de parole des auditeurs peuvent être regroupées et classées, malgré la diversité des thématiques proposées par les radios. Deleu s'est attaché à établir une typologie de plusieurs dispositifs radiophoniques d'octroi de la parole, en distinguant trois types de parole:

- La parole forum : par téléphone, l'auditeur pose des questions ou donne son avis en direct sur tel ou tel sujet

- La parole divan: l'auditeur appelle un psychologue à l'antenne pour lui faire part d'un problème

- la parole documentaire : ici l'interview est montée, le journaliste ou l'animateur donne la parole à une personne racontant une expérience.65

Cette typologie se base sur les propos entendus à l'antenne. Une même émission peut être amenée à faire entendre différents types de parole. Elle nous permet toutefois de mettre à

64DELEU Christophe, op. cit. p45
65DELEU Christophe, op. cit. p 12

jour et de délimiter l'espace octroyé à l'auditeur pour qu'il puisse intervenir au sein des émissions interactives.

Notre démarche se concentre sur un type particulier d'émission interactive, ne pouvant transparaître dans cette typologie. Notre réflexion se concentre sur un dispositif radiophonique très répandu aujourd'hui : le média pénètre dans le quotidien des auditeurs afin de les aider à régler un problème. Nous avons décidé de qualifier de service ce type de programme.

C. Les émissions service

Nos recherches préliminaires sur les émissions interactives radiophoniques ont fait émerger un axe de réflexion, une particularité dans ce type de programme. En effet, de plus en plus de radios offrent une assistance, dans des domaines divers, à leurs auditeurs. Nous avons fait le choix de qualifier ces émissions de service. A la différence de Deleu, qui a mis en place une typologie des types de parole des anonymes à la radio, notre démarche souhaite mettre à jour un objectif commun à beaucoup d'émissions interactives. Nous souhaitons nous concentrer sur la manière dont le média se positionne par rapport à son public, ne correspondant pas for cément à un type ou à une thématique d'émission en particulier.

Afin de

légitimer notre terminologie, nous allons justifier le choix et l'exactitude de cette appellation.

Ainsi, pour offrir une définition complète du terme « service », nous allons nous arrêter sur les origines de ce mot, par l'adoption d'une approche étymologique et historique. Issue du latin servitium (servitude) et servus (esclave), il définit étymologiquement l'état, la fonction ou la condition d'un esclave ou d'un domestique: «le service de la chambre ». Dès l'ancien français, dans le vocabulaire religieux, le « service de Dieu» qualifie le soin de se consacrer aux oeuvres de piété ; alors que dans le vocabulaire médiéval, le « service féodal » est employé pour désigner les devoirs auxquels un vassal était obligé envers son seigneur:

e

« service de l 'ost », puis à la fin du XVIIIsiècle : « service militaire ». L'ancien français l'utilisait aussi au sens de « l'activité particulière que l'on doit accomplir auprès d'un maître », en particulier dans le vocabulaire amoureux: « service auprès d'une femme ». Au XVIe siècle, il désigne l'ensemble des opérations par lesquelles on fait fonctionner quelque chose: « mettre en / hors service ». A partir du XVII e siècle, il est utilisé dans le domaine sportif pour qualifier la mise enjeu de la balle, d'abord au jeu de paume puis par extension au tennis. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle, qu'il va exprime la manière ou l'action de servir à table. Au XIXe siècle, il apparaît dans le vocabulaire administratif, comme une fonction d'utilité commune, publique: « service public, services des postes »66.

66BAUMGARTNER Emmanuèle et MENARD Philippe, Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, 1996, p 732 - 733

Aujourd'hui, les acceptions de ce terme sont multiples. Nous avons décidé de l'utiliser comme qualificatif d'un genre particulier de programme radiophonique: les émissions service. L'utilisation du terme «service» nous paraît particulièrement adapté à l'objet de notre recherche.

Avant tout, le terme « service » peut être utilisé comme formule de politesse pour dire à quelqu'un que l'on est son humble serviteur: «je suis à votre service ». Dans le langage familier, il se dit à une personne qui paraît vouloir nous demander quelque chose : « Qu Õy a-t- il pour votre service? » Par prolongement, ce terme qualifie aussi l'assistance que l'on donne, l'aide que l'on prête à quelqu'un: « rendre service à quelqu'un ». Dans ce sens, les émissions service sont des programmes qui se mettent à la disposition des auditeurs pour les aider à résoudre leur problème. Le média se positionne comme un soutien, un conseiller se mettant au service de son public. La notion d'assistance est ici très importante. De plus, pour qu'une émission soit considérée comme service, il est nécessaire qu'elle annonce ouvertement cet objectif. Il est aussi nécessaire que le programme soit à l'écoute physiquement des auditeurs; l'émission service est par essence interactive : les auditeurs peuvent intervenir à l'antenne. La radio, dans la mission qu'elle s'est donnée, peut adopter une position distante avec l'auditeur: l'écouter, l'orienter, le conseiller ou prendre une attitude plus active, en devenant acteur dans la vie de l'auditeur. Le média peut ainsi prendre le rôle de médiateur, mais aussi proposer directement les solutions et les outils à la résolution des problèmes des auditeurs. Ainsi le type d'assistance proposée dans le cadre d'une émission service va dépendre de la station, voire de l'émission elle-même.

De plus, l'appellation « émission service » fait implicitement référence à deux notions contemporaines : celle de numéro service et celle de service public. En effet, les numéros service tels que « SOS Amitiés» invitent les individus en détresse à joindre l'association, qui a mis en place une permanence téléphonique, afin de les aider et de les soutenir par la parole. Les émissions service peuvent se rapprocher de cette démarche, invitant les auditeurs à joindre le standard ; toutefois le dialogue s'instaure pour l'un dans un cadre intime et pour l'autre médiatisé. Nous assistons à une rupture entre la sphère privée et la sphère publique.

Puis, nous souhaitons emprunter l'idée de service public, que de nombreuses émissions service, appartenant ou non au service public s'approprient, pour justifier notre choix. En effet, par extension, le service public se définit comme une activité considérée comme devant être disponible pour tous, s'appuyant sur la notion d'intérêt général. Ainsi les émissions service entrent dans cette démarche, proposant à chaque auditeur de lui venir en aide.

Les émissions service programmées par les radios nationales sont nombreuses, et leurs thématiques variées. Les radios viennent en aide à leurs auditeurs pour tous les petits tracas de la vie quotidienne. Par exemple, sur RMC-Info, une série d'émission: «Tout surÉ » se consacre soit aux problématiques liées au domaine de la voiture, soit à celles liées au domaine de la maison, mais encore à celles liées au jardinage ou enfin à celles liées aux animaux domestiques. Les émissions service peuvent aussi proposer un soutien psychologique : sur Europe 1 par exemple, Caroline Dublanche, diplômée en psychologie clinique et pathologique, propose la nuit une «consultation» en direct aux auditeurs en adoptant une attitude d'écoute et de conseil. Les émissions service couvrent aussi les domaines juridiques avec «Ça peut vous arriver» sur RTL, ou ceux de la consommation avec «Service public» sur France Inter. Une ribambelle d'émissions service s'affirme ainsi peu à peu sur la bande FM, s'insérant dans ce mouvement croissant de programmes interactifs.

Ces programmes se démarquent de l'offre radiophonique par leur omniprésence mais illustrent aussi la (nouvelle?) place tenue par la radio dans la société. En effet, les auditeurs sont pris en charge par l'émission, qu'ils ont contactée afin de régler leurs conflits, permettant ainsi au média d'entrer, par le traitement du cas par cas, dans l'intimité des auditeurs. Peut-on dans ce sens considérer que les émissions service permettent au média radiophonique de devenir un acteur social de premier plan, empiétant sur le terrain des instances traditionnelles?

L'émission service se considère d'utilité sociale. En effet, elle accompagne un inconnu dans la résolution d'un de ses problèmes durant le temps de l'émission. Cette assistance est donc médiatisée et exposée à un large public. Les émissions service offrent donc à leurs auditeurs des actions concrètes. Les auditeurs écoutants peuvent s'appuyer ou prendre

exemple sur des propos tenus à l'antenne pour résoudre par eux-mêmes des difficultés similaires.

Jusqu'alors les médias étaient présents sur la scène publique, informant le citoyen afin qu'il puisse exercer en toute conscience ses devoirs civiques. L'arrivée et la multiplication des émissions service permettent aux radios de prendre part de manière plus active et de s'insérer dans le quotidien des individus. De plus, ce type d'émission, par son interactivité, stimule la création et l'affirmation d'une relation de proximité avec les auditeurs. Le média prend ici une position noble, soutenant et aidant les individus dans le besoin. Mais les intentions du média sont-elles dépourvues d'intérêt? Les émissions service apportent -elles une aide concrète ou fictive aux auditeurs ? Ainsi nous souhaitons nous interroger sur la nature de ces émissions.

Il est primordial à ce stade de se questionner sur le dispositif mis en place dans le cadre d'une relation interactive radiophonique.

II. L'interactivité en question

A. La notion d'interactivité à la radio et ses outils

Par ses multiples acceptions, l'interactivité est une notion complexe et variée utilisée dans de nombreuses disciplines Il faut donc nous arrêter, un instant, sur le sens de ce terme, afin de le définir et de délimiter son usage dans le cadre de notre travail.

Le terme d'interactivité fut à l'origine utilisé dans le domaine informatique et dans le cadre de la relation entre l'homme et la machine. Il entre dans le langage courant avec l'apparition du discours sur les télécommunications. En fait, Jean-Louis Donnadieu corrèle l'apparition de la notion d'interactivité avec le développement de l'informatique, la télématique, les réseaux câblés, etc. Les médias plus anciens (radio, télévision, presse, cinéma) ne seraient pas considérés comme interactifs à cette époque. 67

Aujourd'hui son acception s'est accrue ; l'interactivité est devenue une notion plurielle, utilisée dans de nombreux domaines tels que les sciences de l'information et de la communication (SIC). Schématiquement la communication se résume par la transmission d'un message entre un émetteur et un récepteur. Des recherches plus poussées ont permis de préciser et de compléter ce schéma de base. Notons ici l'apport de Norbert Wiener avec l'apparition de la notion de rétroaction (feedback), dans son article «Behavior, purpose and Teleology »68 écrit en collaboration avec Arturo Rosenblueth, et Julian Bigelow en 1943. Ils souhaitent démontrer qu'une analyse comportementale est applicable à la fois aux machines et aux organismes vivants. Wiener considère ainsi la cybernétique comme « la science du contrôle et de la communication dans l'animal et la machine ». C'est avec l'apparition d'une

67DONNADIEU Jean-Louis, La relation auditeur / animateur radio par téléphone: un modèle d'interactivité?, Thèse, sous la direction de LAULAN Anne-Marie, Bordeaux, Université Bordeaux III, 1986, p 12 68ROSENBLUETH Arturo, WIENER Norbert and BIGELOW Julian, Behavior, purpose and Teleology, http://www.scribd.com/doc/946095/Behavior-Purpose-and-Teleology-Rosenblueth-Wiener-Bigelow consulté en mai 2008

nouvelle forme de machine (la machine informationnelle) qu'a pu se formuler un cadre théorique englobant tous les phénomènes mettant en jeu des mécanismes de traitement de l'information69. Le mathématicien Claude E. Shannon vient compléter les travaux de Norbert Wiener in Cyberbetics, ou control and Communication in the animal and the machine (1948) dans son ouvrage The mathematical theory of communication (1949). Ancien élève de Wiener, Claude E. Shannon propose un cadre conceptuel pour définir et caractériser les notions d'information et de communication. Ces théories sont aujourd'hui appliquées et élargies au domaine social. Dans ce sens, la sociologie utilise le principe de rétroaction dans le domaine de la communication interpersonnelle. Elle s'intéresse à l'échange de messages entre deux sources d'information, partant du postulat selon lequel tout message envoyé entraîne en retour un autre message. Même si la rétroaction semble absente, elle doit être supposée. La cybernétique ouvre ainsi des horizons permettant de relativiser les qualités d'émetteur et de récepteur. Pour finir, nous devons souligner que des études s'opposent à l'idée d'une communication réduite au principe d'échange de messages verbaux et volontaires70. Considérant dans ce sens que l'acteur social ne se trouve jamais en situation de ne pas communiquer: « Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. Il faut bien comprendre que le seul fait de ne pas parler ou de ne pas prêter attention à autrui ne constitue pas une exception à ce que nous venons de dire »71 . Ainsi l'étude du contexte et du milieu social des individus devient aussi importante que le contenu des messages échangés.

Notre problématique se concentre sur la relation établie dans le cadre d'une émission médiatique. Les théories précédemment développées accompagnent notre réflexion à propos de la relation entre un émetteur (la radio) et un récepteur (auditeur). En faisant participer l'auditeur aux programmes, les radios ont bousculé les fondements de la relation classique entre un média et son public. En effet, le média a pour fonction première d'émettre une

69 MEUNIER Jean-Pierre, Approches systémiques de la communication: systémisme, mimétisme, cognition, Paris, De Boeck, 2003, p 12 / 13

70 DE COSTER Michel, BAWIN-LEGROS Bernadette, PONCELET Marc, Introduction à la sociologie, Paris, De Boeck, 2001, p 127

71 WATZLAWICK Paul, JACKSON Don De Avila, BEAVIN Janet, Une logique de la communication, Paris, Seuil, 1979

information pour un public. A la radio, l'auditeur écoute passivement le programme, il consomme une émission. Si celle-ci n'est pas à sa convenance, il a la possibilité de changer de station, sans avoir à justifier son choix. Avec l'apparition et la multiplication des émissions interactives, c'est la pratique du média qui va être modifiée permettant à l'auditeur de devenir à son tour émetteur. Peut-on toutefois qualifier cette relation d'interactive?

Pour qu'il y ait interactivité, les deux entités sociales doivent être présentes et offrir

72

une participation active.L'interactivité induit la notion de réciprocité dans la relation. La communication établie va dépendre de la relation entre les deux acteurs, chacun interagissant l'un par rapport à l'autre. Notre recherche souhaite comprendre quels sont les éléments de cette interactivité. Comment les deux entités sociales se comportent-elles l'une envers l'autre?

Il est nécessaire de prendre des précautions en ce qui concerne les notions d'interactivité et d'interaction. L'interactivité peut être considérée comme un simple système de sélection et de manipulation des données permettant des commandes prises en compte par le système mettant en relation des informations, ou comme moyen de communication (ce qui tendrait plus vers l'interaction). L'interaction se définit plus comme une action réciproque entre émetteur et récepteur, alors que l'interactivité se rapproche plus d'une activité de dialogue entre un être humain et un programme informatique.73

Pour Françoise Séguy, il est nécessaire de considérer l'interactivité aujourd'hui comme un outil d'accès et de manipulation de l'information. Pour elle, les écritures interactives n'apparaissent plus comme un processus de création des contenus (ceux-ci étant

72 VIDAL Geneviève, Contribution à l'étude de l'interactivité, les usages du multimédia de musée, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2006, p 10

73VIDAL Geneviève, Ibid. p 11

très rarement inventés) mais comme «une mise en forme de ses contenus adaptée au sujet traité, à l'utilisateur et au support utilisé. »74

Les outils de l'interactivité à la radio sont nombreux et induisent des usages et des types d'interventions variés. Nous pouvons toutefois constater que ces derniers se sont multipliés ces dernières années. L'apparition de nouvelles technologies de communication a été prise en compte et appropriée par le média radio. Ainsi l'apparition d'internet et du téléphone mobile induit de nouvelles pratiques interactives. La multiplication des moyens de communication pour entrer en contact avec la radio augmente-t-elle les interventions des auditeurs en direct? L'ouverture de l'antenne aux auditeurs est -elle plus importante grâce à ces nouveaux outils ?

Avant de répondre à ces questionnements, nous souhaitons nous arrêter un moment sur les différentes possibilités pour un auditeur de faire entendre sa voix.

+ Le téléphone:

Il est l'outil historique de la parole des auditeurs à la radio. Il permet la transmission directe de la voix. A l'antenne, hormis la qualité de transmission, l'auditeur appelant se trouve au même niveau que l'animateur; tous les deux s'expriment exclusivement oralement. Le téléphone fait partie des équipements multimédias les plus répandus dans les foyers français, même si ces derniers ne se sont équipés que tardivement. Son usage courant peut ainsi être considéré comme relativement récent en France. Selon l'INSEE (Institut National des Statistiques et des Etudes Economiques), 86,5 % des ménages étaient équipés de téléphone fixe, et 69,6 % de téléphone portable en 2004. 75 Son utilisation est très étendue dans la

74 SEGUY Françoise, Les questionnements des écritures interactives, http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Seguy/index.php consulté en novembre 07

75 INSEE, Equipement des ménages en multimédia par catégorie socioprofessionnelle, http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle fiche.asp?ref id=NATSOS05 11 8&tab id=43 1 consulté en mars 08

société, permettant d'entretenir un lien interpersonnel avec des individus plus ou moins éloignés géographiquement.

Cette invention de Bell en 1876 constitue l'illustration de l'interaction permanente entre technique et société, c'est-à-dire qu'il est à la fois le résultat d'un processus d'innovation et d'un processus de socialisation où la technique devient un phénomène social de par son appropriation et son usage par des individus.76 En tant qu'outil, le téléphone peut être employé à différents usages.

Jean-Louis Donnadieu expose trois usages sociaux du téléphone. Dans un premier temps, il va permettre la réduction des distances entre les personnes, par la mise en relation des individus physiquement absents. Puis, il permet de rompre la solitude, à tout moment, il est possible de décrocher son téléphone et de rentrer en communication avec quelqu'un. Durant la conversation, l'individu a l'impression d'être en contact étroit avec son correspondant. Toutefois, une fois le téléphone raccroché l'individu retourne dans sa solitude. C'est ce que l'auteur nomme la «solitude paradoxale : une relation avec l'absent». Enfin, le téléphone va permettre la mise en place de «cercles », de réseaux. En effet, Jean-Louis Donnadieu évoque ici les numéros dits «de service» tel « SOS Amitié ». Le téléphone crée ici des liens qui lui sont propres entre personnes qui ne se connaissent pas. Dans ce sens, posséder un téléphone signifie être connecté à ce réseau, ne pas être exilé.77

Nous pouvons ici établir un parallèle avec internet. Les travaux de Jean-Louis Donnadieu étant assez anciens (1986), nous prolongeons cette analyse en l'ouvrant à des technologies plus récentes. Internet est dans ce domaine un terrain de prédilection pour la constitution de réseaux. De nombreux outils existent sur la toile afin d'entrer en contact tant avec des personnes de notre entourage qu'avec des inconnus. Au sein de cette offre abondante, les radios souhaitent constituer, elles aussi, des communautés. Les internautes n'ayant comme point commun que d'écouter la même radio voire la même émission. En effet,

76DONNADIEU Jean-Louis, op.cit. p27 77Ibid. p 29 /30

la plupart des services offerts sur internet (forum, chat, e-mail) sont conçus pour les auditeurs de la radio. Ils viennent la plupart du temps en appui d'une émission interactive. Certains contenus sont même dévoilés à l'antenne. Nous reviendrons plus loin sur ces éléments.

Il est important de signaler que se sont ajoutés aux numéros dits «de service » évoqués par Jean-Louis Donnadieu, des numéros (parfois payants) revendiquant des objectifs similaires sans être spécialisés dans l'aide à la personne. Nous pensons ici aux médias qui ont multiplié ces dernières années des espaces d'interactivité où le public vient se confier et / ou demander un soutien à l'antenne. Notre étude se concentrant sur les émissions service radiophoniques, il est impératif de questionner l'usage du téléphone dans ce cadre. En effet, la relation interpersonnelle établie lors de la conversation téléphonique n'est plus la même. A la radio, même si l'auditeur n'a pour interlocuteur que l'animateur de l'émission, son témoignage est entendu par un très grand nombre de personnes.

Le téléphone, outil de communication, véhicule de par ses usages sociaux un certain imaginaire. Celui-ci est tourné vers l'idée d'intimité. D'abord, il est le révélateur de certaines attitudes propres à chacun (griffonnant un bout de papier, jouant avec le fil du téléphone, assis, en mouvement, etc.). Le téléphone permet d'entrer dans une bulle, de s'isoler de son environnement matériel. De plus, le téléphone, faisant exclusivement appel à la voix, stimule l'imagination, les individus sont hors d'atteinte dans le noir. Ceci engendre une sensation de liberté, l'utilisateur peut se sentir plus clairvoyant, plus audacieux, hors d'atteinte, voire

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couvert par l'an onymat. Le téléphone peut alors avoir une fonction exutoire.Les auditeurs appelant ont ainsi plus tendance à entrer dans la confidence. Nous pouvons toutefois nous questionner sur ce paradoxe: la relation téléphonique lors d'une émission interactive favorise un climat d'intimité tout en étant entendu par un nombre important de personnes.

Conscientes de l'importance de la téléphonie, les radios proposent différents moyens à l'auditeur pour témoigner à l'antenne. Il peut intervenir en direct sur les ondes par le biais d'un insert téléphonique, après une sélection faite au standard. En effet, les auditeurs qui

78 DONNADIEU Jean-Louis, op. cit. p 30/ 31

appellent une radio doivent passer à travers un filtre. Les standardistes accueillent les personnes, et ils notent leurs intentions de participation à l'antenne. D'autres éléments complémentaires sont notés comme leurs noms, âges, professions. Il serait instructif d'étudier un corpus de fiches standard afin de s'interroger sur la sélection des auditeurs.

Puis, une intervention différée est possibl e en laissant un message sur le répondeur de la radio ou de l'émission concernée. Même si la parole de l'auditeur n'est pas en direct, l'interactivité est ici importante. En effet, le répondeur permet d'introduire une rétroaction dans la communication radiophonique initialement unidirectionnelle. De plus, ces fonctions sont diverses. L'auditeur peut appeler pour se plaindre, pour demander un renseignement, pour apporter un complément d'information, pour donner son avis sur l'émission, pour entrer en contact avec d'autres auditeurs, ou pour tout simplement diffuser une information.

Les utilisations des messages des auditeurs sont multiples. Dans un premier temps, l'émission ou la radio peuvent décider de ne pas utiliser cette ressource à l'antenne. Il reste un outil interne à la rédaction, qui a un retour positif ou négatif sur le contenu de l'émission. Dans un second temps, l'émission peut aussi choisir d'agrémenter son contenu, en faisant part aux écoutants des remarques des auditeurs qui ont appelé. De manière indirecte, en retranscrivant à l'antenne les propos laissés sur le répondeur. Mais aussi de manière directe, en diffusant les messages des auditeurs. On peut citer en illustration l'émission de Daniel Mermet, «Là bas, si j'y suis », sur France Inter. Les messages diffusés en début d'émission sont pour Deleu le résultat d'une recherche de proximité avec l'auditeur. Daniel Mermet

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répond même à ces messages en direct de manière humoristique . Les messages permettent aussi de créer un espace commun pour les auditeurs. En effet, ceux-ci peuvent s'interpeller, se répondre, se donner rendez-vous, etc. Tous ces éléments favorisent la création d'une communauté d'auditeurs. La relation interactive génère une certaine proximité entre les auditeurs ; mais elle a pour autre conséquence de légitimer l'émission elle-même.

79DELEU Christophe, op.cit. p200

L'auditeur peut aussi entrer en contact avec la radio de manière indirecte à travers l'envoi de SMS (Short Message System). La participation de l'auditeur se fait à la demande de l'animateur ou du journaliste. Il peut soit être amené à participer à un jeu, la sélection s'effectuant par ce biais, soit pour interagir au contenu d'une l'émission. Dans ce cas de figure, l'animateur lit à la volée les messages des auditeurs. Ce type de communication est extrêmement développé dans les radios destinées aux jeunes. Via les SMS, les auditeurs participent à l'émission, car ils réagissent sur le vif aux propos diffusés à l'antenne.

Glevarec cas envoyés Skyrock 80

s'est arrêté le

sur des messages à . Reprenant les idées

d'Abercrombie et de Longhurst, il montre comment un nouveau type de relation est aujourd'hui instauré entre le public et le média. L'interaction devient décisive pour comprendre la constitution même des publics. Glevarec montre ainsi que les messages envoyés à une station manifestent « la relation irréductible d'une part des auditeurs à la seule écoute des programmes »81 . De plus, les messages envoyés à l'antenne montrent une certaine familiarité que l'auditeur entretient avec la radio. Il doit avoir une connaissance relative du direct, le message doit être compris dans un contexte en particulier. Enfin, le message envoyé s'adresse directement aux animateurs de l'émission, mais l'auditeur espère qu'il sera lu à l'antenne, qu'il aura une portée publique. «Le message a bien un truchement, l'équipe, mais il peut viser les auditeurs. Il ne répond pas à un autre message, il est envoyé à l'antenne: il répond à l'antenne. »82

Le succès des SMS envoyés sur les radios jeunes n'est pas négligeable, constituant une nouveauté dans les usages du téléphone devenu mobile. Dans ce sens, il serait instructif de poursuivre notre réflexion sur les conséquences de la démocratisation du téléphone portable dans le cadre de la relation interactive radiophonique. De plus, une étude plus approfondie sur la nature et les fonctions des SMS des auditeurs dans le cadre d'une émission radio interactive est à envisager.

80 GLEVAREC Hervé, Libre antenne, la réception de la radio par les adolescents, Paris, Armand Colin, 2005, p 155

81Ibid.

82Ibid.p 156

Le deuxième outil majeur utilisé par les stations radio pour construire une relation interactive avec les auditeurs est l'internet.

+ Internet:

Ces dernières années ont été marquées par l'arrivée et l'expansion d'internet dans les foyers français. Alors que moins de 10 % des ménages possédaient internet en 1999, ils étaient 30,3 % en 2004.83

Les médias ont su réagir et s'adapter progressivement à cette nouvelle technologie par la création de sites internet sur lesquels les auditeurs disposent d'informations et de fonctionnalités complémentaires. En terme d'interactivité, certaines radios multiplient les outils en créant des espaces électroniques permettant la mise en relation de la radio avec les auditeurs mais aussi entre auditeurs ; nous pensons ici au forum, chat mais aussi aux courriers électroniques dits e-mails en anglais. Toutefois, la relation établie grâce à ces outils peut être considérée comme indirecte. En effet, celle-ci n'est qu'épistolaire.

Les chats sont des lieux d'échange en ligne ouverts à tous, mais la participation est conditionnée par une inscription gratuite en ligne. Le dispositif ne permet pas la mémorisation des contenus produits collectivement. Ceux-ci s'inscrivent dans une dynamique d'immédiateté, proche de l'oralité. Les internautes sont réunis dans un même lieu virtuel appelé «salon », qu'ils sont libres de quitter à tout moment. Ainsi les participants entrent et sortent de l'espace de communication, faisant de la discussion un moment discontinu. 84

83 FRYDEL Yves, INSEE première, n1011, Mars 2005, www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP1011.pdf consulté le 24.04.08

84BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, «La parole des jeunes sur Internet. Approche des dispositifs interactifs et des discours », Les cahiers du CREDAM, Paris, 2005

Les forums sont des espaces de communication thématique en ligne. Toutefois, à la différence du chat, les contenus n'appartienn ent pas au domaine de l'immédiateté. Les messages sont rédigés et postés sur le site par les internautes au fur et à mesure; permettant l'archivage des productions.

Les chats et les forums sont des espaces interactifs proposés par la radio afin de rassembler les auditeurs. Ils sont dépendants des émissions, certains contenus peuvent être utilisés en direct par l'animateur. Un grand nombre de radios nationales au-delà de proposer une interface spécifique à chaque émission, offrent en plus aux auditeurs un blog rédigé par l'animateur de l'émission. Les auditeurs de l'émission peuvent réagir aux messages publiés par l'animateur via des commentaires. Les éléments composant le blog sont divers et variés selon les radios, même si une grande partie est dédiée à l'émission. En effet, nous pouvons trouver au sein des blogs des animateurs de nombreuses références à l'émission elle-même: retour sur la thématique, compléments d'informations, extraits sonores, etc. Que cela soit lors des chats, des forums ou des commentaires laissés sur les blogs, tous sont régulés par un modérateur. Mais à quel degré les propos des auditeurs sont-ils contrôlés ? Quels types de contenu sont retirés ? En effet, même si la modération est discrète, elle reste omniprésente.

Il est fondamental de se concentrer sur ces contenus interactifs et leurs conséquences. Comme nous l'expliquent Becqueret et Gago la diversité des contenus «tient aux différents indicateurs discursifs (modification de la langue), aux spécificités techniques (le supp ort d'énonciation) et à la reconnaissance de ces dispositifs par les utilisateurs. Bien que leurs structures soient distinctes, ils ont en commun une codification socio-langagière très spécifique. »85 Ceci engendre plusieurs conséquences dont deux directes pour les auteurs:

L'expression du moi

Le succès de ces espaces interactifs est l'illustration d'une soif d'expression individuelle au sein de l'espace public. Pour Cauquelin, ces sites internet sont une recherche

85BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op. cit.

86

identitaire, une quête où l'exposition d e « soi » prime.Toutefois, d'autres auteurs comme Jauréguiberry y voient un espace où des identités réelles et des identités virtuelles se superposeraient. Les premières permettraient une reconnaissance sociale pour les personnes qui n'en auraient pas dans le monde réel. Pour les secondes, les personnes auraient la possibilité de vivre des différemment réel. 87

expériences inédites, du

vécues monde Ainsi

chaque utilisateur trouve un terrain propice à l'expression de sa différence par l'affirmation de son identité. La parole est ainsi orientée vers le témoignage personnel.

Un jeu discursif particulier

Pour Becqueret et Gago, «nous assistons à l'émergence de nouveaux contrats de communication, spécifiquement liés aux situations discursives électroniques. L'apparition de ces modes discursifs n'est pas étonnante: à chaque situation doivent correspondre des cadres de références. Ils sont nécessaires car ils permettent aux membres d'une communauté sociale d'entrer en interaction. (É) Or, dans la situation analysée, ce cadre est extrêmement complexe, puisqu'il nécessite à la fois la maîtrise d'un outil technique constitué d'interfaces particulières, impliquant une réorganisation générale des discours écrits hors normes. »88

Enfin, le dernier type d'utilisation d'internet favorisant la relation interactive est l'envoi d'e-mails. La plupart du temps, les auditeurs sont invités par l'animateur à les envoyer sur le site de l'émission. Ceux-ci pourront aider à la création du contenu de l'émission; l'animateur ayant la possibilité de lire une partie ou la totalité de la lettre électronique à l'antenne. Ces témoignages et / ou questions sont des supports attrayants pour la radio. En effet, l'émission va pouvoir se prétendre interactive car elle donne à entendre des propos d'auditeurs; tout en contrôlant le contenu. Grâce aux e-mails , l'animateur peut à la fois sélectionner les messages, mais aussi s'émanciper de toute dérive, possible lors d'une intervention téléphonique en direct. L'animateur est ici maître du contenu.

86CAUQUELIN Anne, L'exposition de soi, du journal intime aux webcams, Paris, Eshel, 2003 87JAUREGUIBERRY Francis, PROULX Serge (sous la direction de), Internet, nouvel espace citoyen, Paris, L'Harmattan, 2002

88BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op. cit.

L'e-mail constitue aussi une passerelle vers l'antenne. En effet, après lecture de celui- ci l'animateur peut décider d'appeler la personne afin qu'il raconte son expérience de manière orale. Ceci à l'avantage d'être plus vivant, et surtout plus authentique.

Le dernier type d'outil dont dispose l'auditeur pour communiquer avec une radio est le courrier manuscrit. De tout temps, les auditeurs se sont emparés de leur plume pour apporter un témoignage, poser une question, donner leur avis, participer à un jeu, etc. Aujourd'hui encore, certains auditeurs préfèrent entrer en contact de manière manuscrite avec une radio. Les lettres peuvent même être lues à l'antenne.

Glevarec (2005) revient sur l'acte d'écriture qui réside dans l'envoi de messages à la radio de manière manuscrite ou par extension virtuellement sur internet (via les e-mails, chat et forum), mettant à jour trois dimensions. La première est une dimension d'acte de langage. Il s'agit de savoir pourquoi la personne écrit, le but de son message écrit. La deuxième dimension relève de la réception pragmatique. Il faut ici comprendre comment le message s'articule à l'émission: celui-ci peut-être très «situé », il est alors en lien avec ce qui est dit à l'antenne, ou le message est « désindexicalisé », l'intervention étant plus d'ordre général. La dépendance pragmatique du message

s'articule autour de deux phénomènes interdépendants: l'auditeur réagit aux propos tenus à l'antenne, mais il manifeste aussi une certaine familiarité (conscience et connaissance de l'antenne).

Enfin la troisième dimension relève de l'acte d'écriture; il faut savoir à qui s'adresse le message. Mais aussi comprendre la place que le sujet a dans le discours. Pour l'auteur, ce qui rapproche les trois axes est « une modalité de réception participative. »89

En conclusion, nous souhaitons nous interroger afin de savoir si la multiplication des outils interactifs mis à disposition de l'auditeur rend le média plus accessible. En effet, les innovations de ces dernières années favorisent une expression indirecte (e-mail, SMS, chat, etc.). Ces derniers viennent-ils remplacer la voix de l'auditeur à l'antenne, ou sont-ils une offre supplémentaire? Favorisent-ils l'expression de certains auditeurs ne souhaitant pas

89GLEVAREC Hervé, op. cit. p 160

parler à l'antenne ? Pour Lamizet et Silem, c'est dans l'interactivité que «réside le caractère révolutionnaire des nouveaux médias ; l'interactivité leur allouant de plus en plus d'autonomie, et les émancipant de leur simple fonction-outil, jusqu'à les amener à un rôle de partenaire de l'utilisateur humain, avec qui un véritable dialogue est instauré. »90

90LAMIZET Bernard, SILEM Ahmed, Dictionnaire encyclopédique des sciences de l'information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997, p. 312-313

B. La parole en question

Le média radiophonique demeure par essence le média de l'oralité et de la parole. Les professionnels de la radio, des speakers aux journalistes, ont longtemps accaparé les ondes, laissant peu de place aux auditeurs. Aujourd'hui, ce phénomène a tendance à s'inverser, de plus en plus de programmes se basant sur le don de la parole au public. Avant d'apporter une présentation des locuteurs, nous souhaitons nous interroger sur la parole elle-même.

En français, « parole » est une contraction du mot «parabole» apparue aux alentours

e

du XVIsiècle. Une parabole est d'abord un propos que l'on ne peut pas tenir directement, un détour du langage que nous sommes obligés de faire, par l'utilisation courante d'analogies. Mais pour Breton, la parabole est surtout une parole qui a un but, appelant au changement. Elle n'est pas là que pour platement informer son auditoire. «Elle est comme un détour qui permet d'aller vers l'autre, dans toutes les situations sociales que nous connaissons, pour lui proposer un changement. La parole est un appel. »91 Ainsi la parole permet d'entrer en communication avec autrui, c'est ce qui peut nous (re)lier aux autres. Dans ce sens, la radio peut être considéré comme l'outil permettant d'amplifier cette parole, tant en terme de distance, qu'en terme de nombre de récepteurs. En effet, les émissions interactives assurent cette mission auprès de leurs auditeurs en les faisant intervenir sur les ondes. Dans le cadre des émissions service, les auditeurs viennent exposer au grand jour leurs problèmes. Le contenu de leurs propos est valorisé, légitimant leurs problèmes de par leur passage à l'antenne. Les auditeurs écoutant sont les té moins de l'aide ou du soutien apportés par la radio; mais ces derniers peuvent aussi contribuer à la résolution du problème, en contactant à leur tour la radio. Il faut toutefois préciser que la radio adopte ici une position particulière dans la communication établie, tout en imposant à l'auditeur appelant, cloisonné dans un rôle défini, des conditions d'expression. Pour Bourdieu, les rapports de communication que sont les échanges linguistiques, sont aussi des rapports de pouvoir symbolique, actualisant les rapports de force entre les locuteurs. Tout acte de parole est considéré comme une rencontre de séries causales indépendantes: d'un côté «les dispositions, socialement façonnées de l'habitus linguistique» ; c'est-à-dire une compétence à la fois technique (la capacité de parler)

91 BRETON Philippe, Eloge de la parole, Paris, La découverte, 2003, p 19

et sociale (la capacité de parler d'une certaine manière, socialement marquée); et de l'autre
«les structures du marché linguistique qui s'imposent comme un système de sanctions et de

92

censures spécifiques », contribuant à ori enter par avance la production linguistique.L'acte de parole en société ou sur les ondes n'est ainsi pas anodin, ni sans conséquences. La radio, faisant intervenir des non professionnels, laisse place à une parole brute, illustrant l'appropriation et l'usage d'une langue. Dans ce sens, Malandain affirme que « les témoignages recueillis sont des échantillons représentatifs du français parlé que le linguiste ou le professeur de français (en France ou à l'étranger) peuvent légitimement considérer comme une base de travail indispensable.»93 Les propos tenus à l'antenne peuvent aussi être utilisés dans le cadre de notre recherche en Sciences de l'Information de la Communication. Dans ce sens, nous allons nous interroger sur la nature du don de la parole au sein des émissions interactives radiophoniques.

Au préalable, nous allons nous focaliser sur le statut des appelants et la place qui leur est consentie. Les émissions interactives donnent à entendre la parole d'hommes et de femmes inconnus dans la sphère publique, communément appelés Monsieur et Madame tout le monde. Michel de Certeau parle d'un «homme ordinaire. Héros commun. Personnage disséminé. Marcheur innombrable. (É) Ce héros anonyme vient de très loin. C'est le murmure des sociétés... »94.

Ce statut d'anonyme est la plupart du temps imposé par le média, lors de son arrivée à l'antenne. Seul le prénom de l'auditeur est annoncé, pouvant éventuellement être complété par l'âge ou le lieu de résidence. Cet anonymat est renforcé par le média radiophonique, qui ne dévoile pas physiquement la personne, à l'inverse de la télévision ou de la presse écrite. Les vertus de l'anonymat dans ce type de dispositif communicationnel ne sont pas négligeables. Elles peuvent faciliter l'acte de parole. Sachant qu'il ne sera pas reconnu à

92BOURDIEU Pierre, Ce que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques , Paris, Fayard, 1982, p14

93 MALANDAIN Jean-Louis, « Le statut de la parole donnée » in Audiences, publics et pratiques radiophoniques, sous la direction de Jean-Jacques Cheval, Pessac, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 2003, p 31

94 DE CERTEAU, L'invention du quotidien. 1. Arts de faire , Paris, Gallimard, Folios Essais, 1990, p 11

l'antenne, l'auditeur se livre plus facilement, il se permet de donner son avis, alors qu'il ne l'aurait pas forcément fait publiquement.

A l'inverse du porte-parole, dont le pouvoir des paroles ne réside que dans le pouvoir

95

qui lui est délégué , l'anonyme parle en son nom propre. Il n'est investi d'aucun rôle, d'aucune responsabilité. Ce statut ne permet pas à l'auditeur d'imposer son originalité ou de légitimer ses propos en fonction de ses connaissances potentielles. Il peut être un professionnel, un fin connaisseur ou un simple amateur : peu importe, toutes les interventions étant placées au même niveau. L'anonymat peut induire une certaine infantilisation de l'auditeur, et par ce biais décrédibiliser ses propos. L'auditeur est assimilé à « Madame Michu ». Mythe professionnel des journalistes, «Madame Michu» n'existe pas. C'est une figure inventée à laquelle les journalistes se réfèrent dans leur travail, incarnant l'auditeur peu cultivé, influençable, réagissant de façon émotive, le «bon sens » populaire sans aucun argumentaire semble lui suffire.96 Or l'auditeur peut être une personne ayant des connaissances et un savoir à transmettre. Dans ce sens, il est légitime de se demander si l'anonymat est au service de l'auditeur ou s'il ne le désavantage pas.

Malgré son statut d'anonyme, l'auditeur intervenant dans une émission interactive peut avoir deux types de statuts différents. L'anonyme citoyen, dont on attend «une "parole de témoignage» sur des problèmes de citoyenneté [ou celui de] Monsieur / madame Tout le monde, autre anonyme, dont on attend également une «parole de témoignage», mais cette fois par rapport au rôle (victime, bénéficiaire, accusateur, etc.) qu'il / elle a été amené à tenir du fait de ce qu'il / elle a vécu et de ce pourquoi on lÕa convoqué(e) 97 Dans une même émission, ces statuts peuvent être co-présents. Mais leur distinction reste importante, car c'est le contenu de l'émission, voire l'impact des propos qui vont être modifiés. Au sein des émissions service, l'auditeur adopte la plupart du temps une parole de témoignage venant illustrer les propos tenus à l'antenne; ou pour solliciter une aide extérieure, et contribuer à alimenter le contenu de l'émission.

95BOURDIEU Pierre, op. cit. p 105

96 LE BOHEC Jacques, Les mythes professionnels des journalistes, Paris, L'harmattan, 2000, p 210 - 211 97CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p48

Les émissions interactives donnent la parole à leurs auditeurs, qui constituent une communauté. En effet, c'est en faisant intervenir un auditeur lambda, celui qui dans ses idées englobe les opinions d'une partie des écoutants, ou celui qui permettra aux auditeurs de s'identifier à lui par sa situation spécifique, que la radio réunit ses auditeurs. En effet, les émissions interactives jouent sur cette idée que la réponse qu'elles apportent à un auditeur en particulier peut aider d'autres auditeurs vivant une expérience similaire. Même si l'écoutant n'a pas lui-même évoqué la question sur les ondes, il suffit que quelqu'un d'autre le fasse à sa place pour le contenter. Ceci fait référence au principe de la «main invisible» d'Adam Smith qui considère que dès qu'un individu vise la satisfaction d'un intérêt personnel, cela favorise l'intérêt général. Pour Meyer, il s'agit d'une «loi qui s'adapte de fait aux émissions interactives en ce sens qu'un auditeur appelant par intérêt personnel oeuvre largement, pour ne pas dire à tous les coups, en faveur de l'intérêt général. Ainsi, en répondant aux attentes d'un seul auditeur, une émission interactive apporte une réponse générale à la multitude. »98 En ce sens l'anonymat permet de généraliser le statut de la personne qui parle, et l'auditeur écoutant peut s'identifier à l'auditeur dans anonymat. 99

intervenant car il lui ressemble son

Pour Becqueret l'émission interactive «est non seulement le miroir de la société mais aussi le miroir de son public. »100 Ce rôle de miroir constitue un élément fondamental pour la communauté. En effet, si l'être social parvient à se reconnaître dans les représentations de la collectivité (comportements, valeurs), il prend conscience de son « soi collectif». Ces mêmes représentations aident à la structuration du champ social dans l'espace public.101

En règle générale, les appelants sont des auditeurs, parfois réguliers, de cette même radio. Par conséquent, avant même d'intervenir, l'auditeur a conscience de ce que doit être son intervention à l'antenne, il connaît les normes imposées par la radio. La personne sait si elle peut donner ou non son opinion, si elle ne doit poser qu'une question, si elle a la possibilité d'intervenir après la réponse qui lui a été formulée, etc. Il existe donc un contrat de

98 MEYER Michel, op. cit. p 190

99CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p 86

100BECQUERET Nicolas, «Les émissions interactives à la radio: la parole par téléphone », Les cahiers du CREDAM, Paris, 2002, p 85 - 91

101 CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p 32

communication implicite dans ce type d'émission, auquel l'auditeur doit préalablement adhérer. Ainsi «dans les émissions interactives la représentation préexiste, et concourt au futur bon déroulement de l'interaction. (...) Il faut connaître et partager (plus ou moins) les idées, le langage choisi et mis en avant par l'instance médiatique et les autres

»102

intervenants. Dans ce sens, les émissions interactives ne sont pas ouvertes à tous, mais

bel et bien à une certaine catégorie de personnes qui partagent des représentations mentales et collectives communes. On peut donc constater une certaine restriction quant aux personnes intervenant dans ces émissions. La notion de communauté, voire de tribu est ici fondamentale. En effet, le public d'une émission interactive peut être considéré comme un microgroupe : les personnes écoutent la même émission et ont des connaissances communes. Maffesoli (1988) qui a travaillé sur le tribalisme à l'époque post -moderne note que «la métaphore de la tribu [...] permet de rendre compte du processus de désindividualisation, de la saturation de la fonction qui lui est inhérente, de l'accentuation du rôle que chaque personne (persona) est

»103

appelée à jouer en son sein. Le rôle des auditeurs est ici d'appeler la radio pour participer

à l'émission. Sans eux, l'émission ne peut pas exister. Les auditeurs agissent et réagissent aussi les uns par rapport aux autres, à travers le répondeur de l'émission, ou en direct, lorsqu'une émission fait se confronter deux personnes qui ont des opinions divergentes.

Ainsi, tout le monde n'intervient pas dans les émissions interactives. Il faut faire attention à ne pas trop généraliser le public qui y participe. Même si l'émission semble ouverte à tous, dans la réalité ce n'est pas toujours le cas; une grande partie des auditeurs n'intervient jamais à l'antenne que ce soit par choix ou par dépit.

Tout d'abord, certains ne souhaitent pas s'exprimer à l'antenne: la majorité silencieuse. Ils ne font pas la démarche d'appeler la radio pour différentes raisons. Ils ne ressentent pas le besoin de s'exprimer à l'antenne, donner leur opinion ou poser une question ne les intéresse pas. Ils préfèrent écouter ce qui se dit, plutôt que de faire partager leur point de vue. D'autres pensent qu'ils n'ont rien à apporter au débat, ils ne voient pas l'intérêt de leur parole. D'autres encore n'osent pas intervenir. Les raisons peuvent être multiples:

102CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p 32

103 MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus, Paris, La table ronde, 2000, 3°ed, p 18 - 19

timidité, peur d'être reconnu par d'autres, mauvaise élocution, etc. Ainsi la majorité silencieuse tend à s'exprimer peu ou pas dans les médias. L'auditeur ne souhaite pas devenir énonciateur, et profiter de la possibilité d'intervenir à l'antenne. L'existence même d'une majorité silencieuse ne permet pas à l'émission d'être représentative de tous ses auditeurs. Pour Meyer: «il serait illusoire de penser que le nombre des appels téléphoniques est

»104

proportionnel au niveau d'écoute d'une radio. Selon lui, seuls des inactifs ou des

auditeurs pressés de poser une question ou de donner leur avis prennent le temps de téléphoner aux radios. Il affirme que les lignes sont tellement saturées, que seulement 2 % des appels arrivent jusqu'aux équipes des standards.

Toutefois, ce genre de programmes est de plus en plus courant. La parole des anonymes tend à se banaliser. A l'antenne, certains anonymes revendiquent la nouveauté de cette démarche, n'étant jamais intervenu auparavant. Qu'est-ce qui est à l'origine de ce basculement? Quel est le déclencheur de cette initiative? L'omniprésence de la parole des auditeurs à l'antenne doit contribuer à faciliter, voire encourager, la prise de parole des individus au sein d'un média. Apparaissant accessible à tous, les programmes interactifs stimulent le public à intervenir, le nombre d'appelants étant de plus en plus nombreux. De ce fait, la majorité silencieuse ne se fait-elle pas de plus en plus entendre? Englobe-t-elle toujours une majorité des auditeurs? Prenons garde toutefois: même si l'ouverture des médias aux interventions du public s'accompagne d'une augmentation des personnes souhaitant s'exprimer, cela ne signifie pas que l'accès à l'antenne sera facilité. En effet, les sollicitations étant plus nombreuses, la sélection opérée par le média se trouve plus conséquente. Quelles sont les chances pour un auditeur d'intervenir à l'antenne, compte tenu de l'existence d'une concurrence importante?

Il existe ainsi un certain nombre de personnes qui souhaitent intervenir à l'antenne mais qui ne sont pas sélectionnées au standard. La sélection est opérée afin de contrôler le contenu de l'émission, assurant la cohérence de celle-ci. Ceci fait ainsi émerger l'existence d'un dispositif de don de la parole. Il est ainsi légitime de se questionner sur la place qui est consentie à l'auditeur dans les émissions service. Notre étude de terrain souhaite contribuer à

104MEYER Michel, op.cit. p 191

éclaircir cette question. Toutefois il nous faudrait envisager de poursuivre notre démarche au sein des émissions elles-mêmes afin de comprendre quelle est la sélection qui s'opère en amont de l'antenne. Ces questionnements sont légitimés par le fait que certains auditeurs détournent volontairement le dispositif afin d'intervenir à l'antenne. Dans ce type de situations, l'appelant propose un thème d'intervention fictif au standard pour être sélectionné; puis une fois à l'antenne, il s'exprime sur un tout autre sujet. Ces transgressions ont longtemps été une des plus grandes craintes des animateurs et journalistes aux commandes d'une émission interactive. Toutefois, ces derniers adoptent aujourd'hui une attitude plus confiante dans ce cas-là. En 1995, Stéphane Paoli, présentateur de la tranche matinale de France Inter, déclarait: «Depuis six ans que je fais le 7-9, je n 'ai connu que quatre ou cinq incidents. Le plus important c'est le contrat de confiance entre les auditeurs et l'antenne. Celui qui rompt, qui pose une autre question que celle qu'il s'était engagé à poser, je le mets

»105

devant sa responsabilité. Une telle assurance est le résultat de deux facteurs

interdépendants: les animateurs, au fil des années, ont acquis une certaine expérience, leur permettant de réagir de manière plus raisonnée ; mais les programmes ainsi que les filtres mis en place ont aussi évolué, permettant de repérer de manière plus précise les «imposteurs ». Les subterfuges mis à l'Ïuvre par certains appelants nous font nous questionner sur la nature de leurs motivations. Leur démarche est-elle militante? Sont-ils animés par le simple désir de transgresser des règles? Ou sont-ils convaincus qu'il s'agit de l'unique moyen pour que leur appel soit sélectionné? Existe -t-il de « bonnes » interventions qui assureront à l'auditeur d'être choisi ? De même, existe -t-il des thématiques qui excluront d'office l'auditeur? Toutefois, l'existence même de stratégies de contournement, voire de transgression, induit que les émissions interactives répondent à un certain dispositif.

Ce dispositif, plus ou moins rigide selon les émissions, contribue à éviter les dérapages

106

trop importants, ou comme le dit Deleu pour échapper à « une parole qui fait peur ».Celle - ci se décline en deux pans: le journaliste ou l'animateur d'une émission interactive peut être attaqué sur l'émission ou sur son contenu. Ceci justifie que certains adoptent dans le dispositif, une position d'intermédiaire entre les auditeurs et les invités, pour se protéger des attaques le visant. Il ne souhaite pas être pris en otage par un auditeur. Craignant les critiques,

105 Télérama n 2882, 6 avril 2005 106DELEU Christophe, op. cit. p 76 - 88

il a peur d'être perçu comme un ignorant ou d'être décrédibilisé par les propos dÕun auditeur. Dans ce sens, son statut d'intermédiaire le protège, n'étant pas là pour prendre position. Il s'assure seulement du bon déroulement de l'émission. Le deuxième pan de la «parole qui fait peur », et non des moindres, réside dans les dérapages des auditeurs à l'antenne. L'émission se déroulant en direct, le média n'est pas à l'abri de propos racistes, antisémites, négationnistes, discriminants, injurieux, etc. Ce type de dérapages est condamnable (car interdit par la loi) par le CSA, qui a la possibilité d'utiliser différents degrés de sanctions, du simple avertissement, à la cessation temporaire ou définitive de l'autorisation d'émettre. Des dérapages, moins graves, (surtout de type langagier) peuvent avoir lieu, choquant une partie de l'auditoire. Ce genre de propos reste assez difficile à traiter pour le journaliste ou l'animateur, le degré d'acceptation de l'auditoire variant avec l'évolution des moeurs. Pour éviter ce type de dérives, certains talk shows américains ont adopté un dispositif de léger différé, permettant de contrôler en amont les propos du public, comme l'explique Phil Boyce, directeur de programmes de 77 WABC, à New York: «Pour tous nos talk shows nous utilisons un système qui décale la diffusion de sept secondes, le temps d'intervenir si des propos sont jugés choquants ».107 Toutefois ce type de système reste difficilement envisageable en France, le public français étant très attaché à la notion de direct pour ses qualités d'authenticité et de spontanéité.

Les auditeurs livrent à l'antenne des émissions interactives un témoignage. Celui-ci a la vertu d'être considéré comme authentique, dans la mesure où il est le récit d'une expérience vécue. Pour Charaudeau et Ghiglione (1997) les sociétés occidentales ont attribué à la parole «le pouvoir de dire la vérité »108 . Pour eux, même si la parole se distingue de la vérité, elle constitue la condition pour l'atteindre. Dans nos sociétés, la parole a donc une très grande valeur symbolique. Lorsqu'une personne livre un témoignage, il est considéré comme un exemple, comme une illustration, une preuve, la véracité de ses propos est rarement remise en doute. Pour Charaudeau, le témoignage dans les médias «instaure l'imaginaire de la vérité vraie ».109 Il faut toutefois préciser que, dans la pensée de Charaudeau et de Ghiglione

(1997), une parole individuelle, c'est-à-dire celle directement attachée à une personne, est considérée comme suspecte car trop subjective. Il est donc nécessaire que cette parole soit confrontée à

107 Télérama n 2882, 6 avril 2005

108CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p 28 109 Cite in BECQUERET Nicolas, op. cit.

d'autres paroles pour être dégagée de toute intentionnalité. En faisant intervenir différents auditeurs, eux-mêmes face à la parole du journaliste ou de l'invité, les émissions interactives résolvent le dilemme de la parole suspecte, par l'apparition d'une parole autre.110

De plus, les émissions interactives sont la plupart du temps des émissions quotidiennes (du lundi au vendredi), et à heure fixe. La régularité de ce rendez-vous renforce l'idée de familiarité. Ceci a pour conséquence de créer une certaine proximité, anesthésiant notre sens critique.

La parole des anonymes dans les émissions interactives n'est pas le simple fruit du hasard. L'auditeur doit tenir compte des conditions spécifiques dans lesquelles sa parole va s'insérer. En effet, le contrat de communication varie en fonction du genre de l'émission interactive. Dans les émissions concernant l'actualité, le contrat de communication est informatif, le but étant de réagir

à chaud sur l'information. L'auditeur formule la plupart du temps des questions simples à un journaliste ou à un expert. Pour Becqueret, «il s'agit de la confirmation de l'existence de ce dont on parle dans l'émission, par la narration d'une

»111

expérience personnelle corroborant les dires. Dans les émissions traitant de faits de

société, nous sommes dans le cadre d'un contrat. L'auditeur livre un témoignage ou une expérience à un expert qui va tenter de lui apporter une réponse. L'auditeur est poussé à témoigner afin de mieux échanger avec lui. Le dernier type de contrat auquel l'auditeur peut être confronté au sein d'une émission interactive est celui d'assistance. Sa visée actionnelle permet au média de venir en aide à l'auditeur et l'assister dans la résolution de son problème

112

qu'il ne parvient pas à régler seul.

Dans ce sens, l'auditeur endosse plus ou moins consciemment un rôle en fonction du contrat de communication qui lui est imposé par le média. Pour Becqueret, l'auditeur bénéficie toutefois d'une certaine liberté; il peut décider de mettre en avant ou non son statut,

110CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p28 - 29

111 BECQUERET Nicolas, «Le témoignage des auditeurs à la radio », Les actes du colloque des journées d'études de l 'Ecole Doctorale ASSIC, Paris, 2004, p 66 - 69

112 Ibid.

il ou moins l'interaction. 113

décide plus sa

de place dans Mais ce rôle le contraint à adopter un

certain type de discours. L'appelant, dans la mesure où il appartient à la communauté d'auditeurs, sait préalablement ce que doit être son intervention. Dans ce sens, la parole n'est pas totalement libre. Un auditeur modifiera sa mise en forme discursive en fonction de l'émission dans laquelle il intervient pour s'adapter au contrat de communication préexistant.

Compte tenu de tous ces éléments, il paraît légitime de s'interroger sur la liberté de parole de l'auditeur. Pour Charaudeau et Ghiglione (1997) « dire que la parole est libre c'est dire que les citoyens ordinaires [É] ont tout pouvoir de subvertir le pouvoir de l'animateur par leur parole et par conséquent de laisser celle-ci aller son cours, fut-ce au prix de la confusion »1 14 Dans l'émission interactive, l'anonyme, l 'animateur et le journaliste ne sont pas sur un pied d'égalité. La libre parole dans ces émissions n'est qu'un leurre, elle est encadrée. L'auditeur doit respecter les règles du jeu évoquées précédemment. La place de l'animateur ou du journaliste est ici centrale, car c'est lui qui, par différentes stratégies, contrôle les propos tenus à l'antenne. Le contrat de communication tel qu'il est perçu à l'antenne est celui de la liberté de parole pour tous. Mais ce dernier n'est qu'apparence, car une parole libre nécessite que les partenaires de l'échange co-construisent les univers référentiels qui structurent le débat. Ainsi chacun pourrait prendre la parole à tout moment, sans autorisation préalable 115 . Mais ce n'est pas le cas: dans les émissions radiophoniques, la parole de l'anonyme dépend en grande partie de l'espace que lui accorde le journaliste ou l'animateur. Il faut donc prendre garde à l'apparente liberté de parole des émissions interactives.

Pour conclure, nous souhaitons préciser, en continuité avec la pensée de Bourdieu, que chaque entité participe à la construction de l'émission interactive, la parole engageant chacun des protagonistes. Appelants et animateurs, comme simples écoutants, tous jouent un rôle dans la construction du contenu interactif. «Ce qui circule sur le marché linguistique, ce n'est pas «la langue Ó, mais des discours stylistiquement caractérisés, à la fois du côté de la production, dans la mesure où chaque locuteur se fait un idiolecte avec la langue commune,

113BECQUERET Nicolas, op. cit.

114CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, op. cit. p 102 115Ibid. p 120

et du côté de la réception, dans la mesure où chaque récepteur contribue à produire le
message qu'il perçoit et apprécie en y important tout ce qui fait son expérience singulière et

»1 16

collective.

116 BOURDIEU Pierre, op.cit. p 16

III. Le cas de trois émissions service radiophoniques

A. Le terrain d'étude: description des émissions étudiées

Comme nous l'avons montré, les émissions interactives à la radio sont nombreuses et variées. Afin d'illustrer nos propos, et dans le souci de confirmer ou d'infirmer nos hypothèses de départ, nous avons décidé d'étudier plusieurs émissions interactives présentes sur la bande FM.

Pour ce premier travail sur les émissions services, l'analyse de contenu nous semblait être l'approche la mieux appropriée à notre recherche. Cette démarche nous permet, grâce à des instruments méthodologiques, de décortiquer des «discours» (contenus et contenants), mêlant la rigueur de l'objectivité à la fécondité de la subjectivité. L'analyse de contenu nous permettra ainsi de relier nos hypothèses et intuitions de départ à des interprétations définitives.117 Nous souhaitons par l'analyse mettre en avant des phénomènes récurrents présents au sein des émissions service.

S'agissant d'un mémoire, le temps de notre étude de terrain nous était compté. Nous n'avons donc pas pu appliquer le principe de saturation. Nous avons donc défini préalablement le nombre d'émissions radios que nous allions étudier pour chacune des trois émissions suivantes : «Service public » sur France Inter, «Ça peut vous arriver» sur RTL «Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info. Après avoir choisi aléatoirement une semaine « type », nous avons constitué notre corpus avec deux émissions en début de semaine (lundi 11 février et mardi 12 février 2008) et une en fin de semaine (vendredi 15 février 2008). Nous allons maintenant nous attacher à définir le contenu de notre corpus.

117BARDIN Laurence, L'analyse de contenu, Quadrige, PUF, Paris, 2007 (1ère éd. 1977), p 13

1. « Service public » sur France Inter

« Service public » est une émission proposée par France Inter et animée par Isabelle Giordano. Programmée le matin (de 10 h à 11 h du lundi au vendredi) « Service public» existe depuis moins de deux ans. L'émission se veut au service du citoyen vivant dans une société de consommation de masse. Ce dernier est considéré comme « conscient de ses droits et peu enclin à supporter davantage les manquements ou défaillances des grandes marques et des grandes enseignes commerciales ». Dans cette optique, l'émission s'est donné comme buts d'informer, de conseiller, d'enquêter et d'alerter les auditeurs, tout en leur offrant la possibilité d'intervenir à l'antenne.

Cette émission peut-elle faire office de révélateur quant à la place du citoyen dans notre société contemporaine? Traditionnellement, le citoyen est considéré comme un être politisé ayant des droits et devoirs dans un Etat démocratique. «Service public » fait de cet individu un être économique préoccupé par sa consommation. On remarque ainsi un basculement du politique vers l'économie. Ce phénomène est peut être à mettre en relation avec un désintérêt croissant des individus pour la vie politique. Peut-on ainsi considérer que les préoccupations actuelles des citoyens gravitent plus autour de la consommation? Ne sommes-nous pas face à des problématiques plus individualistes ? La radio, par la thématique même de l'émission, n'induit-elle pas un système de comportement défini auprès de ses auditeurs?

Chaque émission porte sur un thème précis lié à la consommation comme par exemple : les cigarettes bonbons, les jeux vidéo, les franchises commerciales, l'électroménager, etc. L'animatrice est accompagnée en studio d'invités : ces derniers peuvent être des professionnels, des experts, des chercheurs, des membres d'associations de consommateurs, des journalistes, etc. Le ou les invités sont en lien avec la thématique choisie, et ils sont la plupart du temps en promotion (livres, articles, reportages, etc.). Cet élément nous questionne sur la nature de cette émission. En effet, les thèmes sont-ils choisis en fonction des besoins des auditeurs ou répondent-ils plus à l'actualité promotionnelle des invités ou partenaires?

L'émission a aussi mis en place un partenariat avec deux associations de consommateurs : «UFC, que choisir» et « 60 millions de consommateurs ». Il s'agit des deux principales associations françaises de consommateurs. Ce partenariat se concrétise par des émissions en correspondance avec les dossiers publiés dans la presse par ces deux associations.

Les auditeurs ont aussi accès à un site internet réservé à l'émission. Ce dernier présente la thématique de l'émission du jour, les personnes invitées, la programmation musicale. On y trouve aussi le numéro de téléphone du standard dans le but d'apporter un témoignage, une réaction ou de poser une question. Le site internet donne aussi accès à une présentation de l'émission, aux archives ainsi qu'au thème de la prochaine émission. Enfin, les auditeurs ont la possibilité de réécouter l'émission en ligne ou de lapodcaster.

Pour finir, l'émission radio se prolonge sur la toile grâce à un blog. L'animatrice publie un billet quotidien après l'émission et les auditeurs ont la possibilité de poster des commentaires qui seront publiés sur le blog.

Les relations interactives sont multiples. Tout d'abord, les auditeurs peuvent appeler le standard; si leur intervention est sélectionnée, ils pourront passer à l'antenne. Ensuite, les auditeurs ont la possibilité d'interagir sur internet. Le site de l'émission propose un sondage en ligne sur le thème du jour, ainsi que la publication de commentaires durant l'émission, puis sur le blog, une fois l'émission terminée. Nous reviendrons en détail sur les différentes possibilités proposées à l'auditeur pour intervenir à l'antenne.

2. « Ça peut vous arriver » sur RTL

«Ça peut vous arriver» est une émission proposée par RTL depuis 2001 et animée par Julien Courbet du lundi au vendredi durant deux heures (de 9 h 30 à 11 h 30). L'animateur est accompagné d'une avocate (Maître Nathalie Felloneau). Hormis les émissions spéciales, «Ça

peut vous arriver» n'a pas de thématique principale. L'émission traite des difficultés que peuvent rencontrer les auditeurs dans leur vie quotidienne: emploi, immobilier, consommation, voyages, droits de succession, arnaques, etc. L'émission revendique sa détermination à résoudre les problèmes des auditeurs en direct, en appelant les protagonistes. «Ça peut vous arriver » se considère comme le dernier recours des auditeurs. Dans ce but, l'animateur invite les auditeurs à confier leurs soucis afin de proposer soit un recours à l'amiable, soit une procédure juridique. Durant les deux heures d'émission, les auditeurs se succèdent à l'antenne, mais des rubriques récurrentes viennent agrémenter l'antenne : "Ça peut vous arriver pratique", "La foire aux arnaques", "L'arnacophone", "Le bilan de l'émission".

Il est important de signaler que l'émission radio a un doublon télévisuel sur TF1 depuis 1994: «Sans aucun doute ». D'autres émissions, traitant des mêmes thématiques mais différentes en ce qui concerne le dispositif, sont diffusées régulièrement sur la même chaîne (Les rois du système D, Les dix commandements desÉ, La grande soirée du logement). Julien Courbet est donc au coeur de nombreuses émissions traitant des problèmes que «Monsieur et Madame tout le monde » peuvent rencontrer au quotidien. Dans la même lignée, il existe un site internet ainsi qu' un magazine intitulés «Stop arnaques ». Julien Courbet est connu du grand public pour ses émissions télévisuelles. Le succès de l'émission radio n'est sans doute pas le fruit du hasard. Julien Courbet est au centre d'un star system. Son image est utilisée afin de développer de nombreux rendez-vous dans les médias, sites internet, magazines et livres. Nous pouvons nous interroger: l'émission radio doit-elle son succès à la popularité de l'animateur?

«Ça peut vous arriver » dispose également d'un site internet sur lequel est indiqué le numéro de téléphone du standard, ainsi qu'un appel à témoignage pour les émissions à venir. On y trouve également l'adresse e-mail de l'émission dans le but de réagir en direct. Pour participer à l'émission via internet, il est nécessaire de créer un compte RTL. Ce dernier n'est pas spécifique à l'émission «Ça peut vous arriver », il englobe tous les services et avantages proposés par RTL. Par exemple, cette inscription est aussi valable pour participer aux différents jeux organisés par RTL. Le questionnaire à remplir, outre les coordonnés, demande

quels sont les centres d'intérêts de la personne qui s'inscrit. On peut y voir une manière pour la station de mieux connaître son auditoire.

Enfin, des informations annexes sont présentes sur le site de l'émission. Tout d'abord, nous pouvons constater la mise en place d'un partenariat avec la chaîne de télévision TF1. En effet, les auditeurs de RTL sont invités à regarder les émissions télévisuelles de Julien Courbet. Le site nous informe ainsi de la date et de l'horaire de la prochaine émission, de son thème. Pour finir, le site présente la série de livres de Julien Courbet : «Stop Arnaque ». Un lien hypertexte nous permet d'acheter ces publications en ligne.

La présence de produits dérivés sur la page internet de l'émission, comme la promotion d'émissions télévisées sur une chaîne privée, nous interroge sur la place accordée à la publicité et à la promotion dans le cadre de cette émission. L'image de Julien Courbet n'est-elle pas utilisée à des fins commerciales? Dans ce sens, ne sommes-nous pas face à un show radio, où l'animateur / star occupe une place centrale dans l'émission?

3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info

« Lahaie, l'amour et vous» est une émission proposée par RMC-Info du lundi au vendredi de 14 h à 16 h depuis 2001. Cette émission propose aux auditeurs d'intervenir à l'antenne afin d'apporter des témoignages, réactions ou questions tournant autour des thèmes de l'intimité et de la sexualité. L'animatrice est parfois accompagnée à l'antenne d'experts qui la soutiennent dans les réponses apportées. L'émission se présente comme «l'unique espace d'intimité, de liberté et de dialogue autour de la sexualité. », où la liberté de ton est de rigueur, sans pour autant entrer dans des propos vulgaires. De plus, l'émission revendique le fait que chacun a sa place à l'antenne, que tous les sujets méritent d'être traités. Est-ce réellement le cas ? N'y a t-il pas une sélection faite au standard?

Cette émission se démarque de l'offre radiophonique générale proposée en journée, ceci ayant fait couler beaucoup d'encre. En effet, c'est la première fois sur une radio nationale que l'on peut attendre une émission réservée aux adultes en plein milieu de l'après midi. Ce type d'émission était traditionnellement programmé le soir. De plus, la présentatrice, Brigitte Lahaie, a été à l'origine de nombreuses remarques, étant une ancienne actrice dans des films pornographiques. Nous sommes une fois de plus confrontés à la présence d'une animatrice vedette. Ici la légitimité de l'animatrice se fonde sur son expérience professionnelle ; et non pas sur ses facultés à animer une émission radio. Il est probable que la radio ait fait ce choix par souci de provocation, mais aussi pour garantir aux auditeurs un interlocuteur qui s'exprime sans tabou. En effet, Brigitte Lahaie est connue du grand public pour sa carrière dans des films X, son expérience en terme de sexualité et son ouverture d'esprit ne sont donc pas négligeables. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur sa légitimité en terme d'intimité et de relations amoureuses.

Le site internet de l'émission comprend lui aussi de nombreux éléments qu'il convient de décrire. En plus d'inciter à l'appel par la diffusion du numéro de téléphone, et la possibilité de podcaster l'émission, les internautes sont invités à participer au forum de l'émission à tout moment de la journée ou au chat durant le déroulement de l'émission. Le forum offre la possibilité à chaque internaute de proposer à la communauté un sujet en lien avec la thématique de l'émission; chacun peut ainsi interagir et contribuer à cette conversation différée.

Le chat se distingue par l'immédiateté de l'échange. Il s'agit d'une conversation électronique en temps réel, à laquelle les auditeurs sont invités par l'animatrice, en début d'émission, à participer. «Lahaie, l'amour et vous» est la seule émission de notre corpus à mettre en place un chat en parallèle de l'émission radio, ce qui a retenu notre attention quelques instants. Nous avons cependant adopté une attitude d'observation, ne souhaitant pas participer au chat afin de ne pas en influencer le contenu.

Avant d'accéder à cet espace interactif, une inscription en ligne gratuite est obligatoire. Ici aucune information personnelle n'est demandée, hormis une adresse e-mail.

Ainsi après avoir indiqué un «pseudo » (pseudonyme) et un mot de passe, il est possible d'accéder aux différents espaces virtuels dits « salons ». Un « salon» est réservé à « l'émission en direct» ; « Lahaie, l'amour et vous » n'étant pas la seule émission de RMCInfo à proposer cette fonctionnalité. L'interface du « salon» est comme ci-dessous:

Fenêtre de conversation privée :

Ce type d'interface est similaire à celui des messageries instantanées. Il est possible d'entretenir deux types de conversation: soit sur l'espace commun, lu par tous; soit en privé avec un autre internaute (en cliquant sur son «pseudo ») via une fenêtre indépendante. Plusieurs échanges privés simultanés sont envisageables.

En début d'émission, Brigitte Lahaie fait intervenir la modératrice du chat, appelée la «châtelaine », encourageant ainsi les auditeurs à se connecter. Son intervention courte fait un rappel du thème de l'émission tout en posant une problématique. Les auditeurs sont invités à y répondre sur la toile. Le dispositif de l'émission incite les auditeurs à adopter une attitude active: écoute + appel et/ou écoute + chat et/ou écoute + forum. Le média met-il ici tout en place pour satisfaire l'auditeur ou souhaite-t-il séduire l'auditeur afin qu'il ne se rende pas chez des concurrents (radios et interfaces internet). ?

Les observations qui suivent ne sont que d'ordre général, ne s'agissant pas d'une analyse de contenu.

Une fois le direct assuré, la « châtelaine » se connecte dans le «salon », ouvert quelques minutes auparavant, puis elle salue les personnes présentes. Les interventions de la «châtelaine» sont facilement distinguables. La typographie de ses écrits est différente : plus gros, en gras et en rouge. Le ton est assez décontracté voire familier. L'interaction de certains participants indique qu'ils ont déjà dialogué ensemble, que ce sont des habitués. Ce dispositif est-il ainsi favorable à la fidélisation des auditeurs ?

La « châtelaine » poursuit rapidement en annonçant cette fois-ci sur le chat le thème et la problématique du jour. Les réponses des internautes arrivent très rapidement, montrant un certain intérêt. Le débat épistolaire qui s'instaure se rapproche facilement d'une conversation orale. Certains donnent leurs opinions, d'autres interviennent pour manifester leurs désaccords.

La «châtelaine» laisse les internautes débattre lorsque les interventions s'enchaînent rapidement; lorsque le rythme ralentit, elle intervient soit en relançant un internaute, lui demandant de développer ses propos, soit en questionnant l'ensemble de la communauté.

La majorité des propos tenus sur le chat sont en lien avec la problématique. La plupart d'entre eux sont dans un registre sérieux, d'autres sont plus décontractés. Il peut aussi y avoir des propos provocateurs et désinhibés. La «châtelaine » joue un rôle important. Si l'échange commence à dégénérer, elle intervient afin d'avertir les agitateurs, les incitant à modérer leurs propos. Lors de notre observation, un internaute s'est fait «éjecter» (il ne peut plus rédiger de messages) ayant adopté une attitude « désagréable ».

Nous pouvons également constater l'intérêt et l'engagement des internautes sur le chat. En effet, certains d'entre eux arrivent après le début du débat. Très vite, ils interrogent les autres sur le thème du jour. Cette familiarité nous permet de penser que ce chat est un rendez-vous régulier voire quotidien pour une partie de la communauté. Mais quelles sont leurs motivations?

Une fois par heure la « châtelaine » intervient sur l'antenne afin de rapporter l'opinion des «chateurs» aux auditeurs. Elle résume le contenu du débat qui s'est tenu tout en citant, en illustration, les propos de quelques internautes.

Nous pouvons ici établir un parallèle avec l'étude de Becqueret et Gago sur la parole des jeunes sur internet.118 Nous avons en effet constaté quelques éléments communs entre le chat lycéen de Voila.fr et dans celui de Brigitte Lahaie.

Dans un premier temps, le style d'écriture : réécriture de la langue orale et réappropriation des signes typographiques (smileys, onomatopées, etc.). Les travaux de

118BECQUERET Nicolas et GAGO Laurent, op.cit.

Becqueret et Gago ont révélé que les jeunes «chateurs» adoptaient lors de leur échange sur internet six grands types de places énonciatives: la conversation, le témoignage, la mise en scène égocentrée, l'accompagnement, l'annonce et la provocation.

Une étude de contenu plus précise serait nécessaire afin de savoir si les « chateurs » de l'émission de Brigitte Lahaie adoptent des positions similaires. En effet, le contexte de dialogue ainsi que les participants sont ici différents. Le premier est une fonctionnalité proposée par un moteur de recherche à destination des jeunes; le second est proposé par une radio à destination d'adultes, auditeurs de l'émission.

Les recherches sur l'approche de ce type de dispositif interactif ne se sont concentrées que sur les interfaces à destination des jeunes, étant les plus fréquentées. Afin de compléter les travaux déjà publiés, l'étude du chat de l'émission de Brigitte Lahaie est une piste de recherche à envisager. Pour cela, nous pensons qu'il serait nécessaire de mettre en place un protocole d'observation participative au chat. En effet, lors de notre première observation, il a été assez complexe de ne faire qu'observer, de nombreux internautes essayant très régulièrement d'établir une conversation privée par l'envoi de messages. Ainsi une observation participative nous permettrait de mettre à jour les attentes des internautes sur ce chat.

Pour finir notre description du site de l'émission «Lahaie, l'amour et vous », il faut signaler la présence d'un mini sondage en ligne, à destination des internautes, pour savoir ce qui leur a plu ou non dans l'émission ainsi que de donner des propositions afin d'améliorer son contenu. Ce sondage internet s'intéresse au sexe, à la tranche d'âge, ainsi qu'à la régularité de l'écoute. Nous pouvons, dans ce sens, nous interroger sur le traitement de ces données. Quel impact cel a a-t-il sur l'antenne? RMC-Info souhaite-t-il être une radio à l'écoute de ses auditeurs ? Est-ce une stratégie commerciale ?

Nous pouvons constater que les sites internet des émissions interactives sont foisonnants de fonctionnalités. Certains d'entre eux sont des outils complémentaires mis à

disposition de l'auditeur pour entrer en contact avec l'animateur et / ou apporter sa participation à l'émission. Nous ne pouvons pas ici nous concentrer sur les sites internet des émissions, même s'il nous a semblé nécessaire d'en faire une présentation. Analyser les fonctionnalités des sites internet des émissions interactives serait un axe de recherche complémentaire à notre étude sur le contenu radiophonique.

En conclusion, nous souhaitons signaler que ce corpus va nous apporter un éclairage conséquent sur le dispositif des émissions interactives. Dans ce sens, les émissions services nous offrent un spectre d'analyse par la transversalité des thématiques des contenus radiophoniques. De plus, les radios étudiées au sein du corpus semblent être les stations les plus appropriées à notre recherche.

France inter, radio généraliste, est la station de service public radiophonique faisant le plus appel à la participation des auditeurs à l'antenne. De plus, il s'agit de la radio cumulant la plus grande part d'écoute de Radio France. Il nous semblait donc légitime de sélectionner une émission en son sein.

RTL est la radio qui bénéficie des meilleurs taux en terme d'audience cumulée (12,6 %) et en durée d'écoute par auditeur (2h36) sur la période janvier/mars 2008 d'après Médiamétrie.119 Ces indicateurs nous permettent d'avoir une vision générale, le premier mesurant le contact des auditeurs avec une station, le second nous montre la durée moyenne d'écoute d'un auditeur. Depuis plus de dix ans, RTL détient le leadership de l'audience en France. Même si l'ouverture du panel de Médiamétrie aux plus jeunes en 2002 a permis à NRJ de rattraper RTL dans les chiffres. RTL étant la radio généraliste en France la plus écoutée, nous avons choisi d'intégrer à notre sélection une de ses émissions.

119Médiamétrie, étude des « 126 000 », radio,janvier/mars 2008, http://www.mediametrie.fr/resultats.php?rubrique=rad&resultat_id=532, consulté en avril 2008

Enfin, nous avons choisi une émission de RMC-Info par rapport à son passé tumultueux et à la modification radicale de sa programmation. À ce jour, cette station est la seule à s'afficher ouvertement talk. Alors que la station était au bord de la faillite, le changement de cap effectué sous l'égide d'Alain Weill s'affirme peu à peu, permettant à cette station de regagner des auditeurs. Compte tenu de ces éléments, nous avons jugé nécessaire de sélectionner une émission de RMC-Info.

B. Méthodologie de travail

La réalisation du travail de mémoire doit pouvoir confronter aux éléments théoriques des éléments pratiques. Afin d'apporter une réflexion poussée sur notre sujet, il a ainsi été nécessaire de déterminer un terrain d'étude avant de choisir un protocole d'analyse, adapté à ce dernier. Dans ce sens, nous avons décidé de travailler sur les émissions service elles- mêmes. Le choix de nos documents sonores, tout comme la définition de la métho dologie à adopter, répondent à un certain nombre de critères. Nous souhaitons ici exposer les différentes étapes qui ont permis la mise en place de ce terrain d'analyse riche et solide.

Dans un premier temps, nous avons navigué sur les sites internet de nombreuses radios françaises. L'étude des grilles de programmes ainsi que les sites des émissions interactives, nous a confirmé l'omniprésence ainsi que la diversité de ces dernières sur la bande FM. Présentes aux différentes tranches horaires (matinée, après-midi, soirée), les émissions interactives couvrent un large panel de public.

Nous avons procédé à l'élimination des émissions qui n'entraient pas dans notre catégorie. Par exemple, nous avons exclu les émissions interactives tournées vers l'actualité, la politique, le sport, ainsi que les libres antennes sur les radios jeunes, etc. En adoptant un spectre d'écoute large, nous nous sommes familiarisé avec les différents types d'émissions service. En collaboration avec notre maître de mémoire, nous avons à ce stade commencé à définir les critères pour constituer notre corpus.

Ne pouvant être exhaustifs, nous souhaitons néanmoins réaliser un large examen de ces programmes. Notre recherche se focalise sur les émissions service, afin d'en étudier les mécanismes et tenter de faire apparaître des tendances générales au niveau sociétal. Il fallait donc que les émissions étudiées bénéficient d'un taux d'écoute important. Nous nous sommes donc concentré sur l'offre des radios ayant un rayonnement national et proposant plusieurs programmes interactifs dans leurs grilles. Nous pouvons schématiser l'offre radiophonique française en trois grands ensembles. Le secteur privé commercial, le secteur public et le

secteur associatif non commercial.120 Ce dernier regroupe toutefois essentiellement des radios n'ayant qu'un impact local. Notre choix a donc dû tenir compte de cette division proposant l'analyse d'émissions issues tant du secteur public que du secteur privé.

Les émissions service occupent une place importante au sein des grilles de programmes des radios, en particulier en semaine. De plus, la quotidienneté des émissions service constitue un élément d'analyse à ne pas négliger. Nous avons donc éliminé les émissions programmées le week-end. De même, nous avons exclu les émissions de nuit, le régime d'écoute ainsi que l'auditoire étant spécifiques à ces tranches horaires.

L'éclectisme des thématiques devait aussi transparaître dans notre sélection. Ne voulant écarter aucun type de public, nous avons éliminé les émissions traitant de sujets trop spécifiques, pour nous concentrer sur des thématiques ordinaires pouvant potentiellement intéresser un grand nombre de personnes. Dans ce sens, nous avons sélectionné trois émissions : «Service public », «Ça peut vous arriver », «Lahaie, l'amour et vous» sur France Inter, RTL et RMC-Info. Nous avons ainsi une émission du service public, et deux émissions proposées par des stations privées.

Après avoir défini notre corpus, nous avons mis en place un protocole d'analyse, afin d'infirmer ou de confirmer nos hypothèses. Malgré la diversité des émissions, il a été nécessaire de trouver des dénominateurs communs aux trois émissions, notre objectif étant de fournir une analyse comparative.

Avant de mettre en place une grille d'analyse, nous nous sommes immergé dans notre corpus en fournissant une écoute active quotidienne des émissions. « Service Public» et « Ça peut vous arriver » ont des horaires qui se chevauchent. Nous avons de ce fait opté pour le podcast de l'émission « Service Public », la deuxième n'étant écoutable qu'en direct. Cette

120 CHEVAL Jean Jacques, op.cit. p 168 / 169

pratique nous a permis de mieux connaître leurs contenus, la manière dont elles sont construites. En effet, une émission suit un conducteur précis et minuté, ayant pour but de l'encadrer. Il indique le moment où l'animateur prend la parole, celui où les invités sont interrogés, mais aussi les moments dédiés aux interventions des auditeurs, sans oublier les coupures musicales, voire publicitaires s'il y a lieu. De cette manière, nous avons pu nous faire une idée en substance des programmes avant d'entrer plus dans le détail et le décorticage du contenu. Une écoute prolongée offre la possibilité de distinguer certains éléments qui ne seraient pas nécessairement présents dans notre corpus ; par exemple, une émission spéciale, la mise en place d'un partenariat, ou des évènements plus exceptionnels tels qu'un auditeur trompant le standard par l'annonce d'un thème d'intervention fictif. Ces interventions ont été notées, afin d'être utilisées dans l'analyse des émissions.

Puis, nous avons commencé à relever les éléments à intégrer dans notre étude de terrain. La relation interactive établie dans le cadre des émissions services a été notre point d'entrée afin de mieux comprendre la nature du dispositif. Notre écoute nous a permis d'en distinguer différents types. Dans ce sens, notre grille d'analyse se divise en trois grandes catégories:

- L'évocation de l'interactivité: il s'agit de toutes les occurrences faisant référence à l'interactivité. Par exemple, lorsque l'animateur incite les auditeurs à intervenir à l'antenne, un jingle diffusant le numéro de téléphone du standard, etc. Ici, aucune intervention d'auditeur n'est relevée. Cette catégorie nous permet d'analyser comment l'animateur attire les auditeurs sur l'antenne et à quelle fréquence.

- La relation interactive « indirecte »: nous faisons référence aux différentes contributions des auditeurs au contenu de l'émission qui sont relayées par l'animateur (lecture de témoignages laissés au standard, SMS, e-mails) ou par un média (lorsqu'un auditeur laisse un message sur le répondeur de l'émission et que celui-ci est diffusé à l'antenne).

- La relation interactive « directe »: cette catégorie comprend les interventions téléphoniques des auditeurs en direct. Nous pouvons entendre sa voix, il exprime (dans la mesure du possible) son témoignage de lui- même. Il peut interagir avec l'animateur et les autres participants de l'émission.

Ces différentes catégories nous permettent de considérer indépendamment la prise de parole des auditeurs à l'antenne. De plus, cette division tripartite nous offre la possibilité de nous questionner sur la place de l'animateur dans le dispositif pour chacune des émissions. Nous souhaitons comprendre comment l'animateur incite les auditeurs à appeler. Comment leur donne-t-il la parole? Quels usages sont faits de leurs témoignages? Et de ce fait, quelle est la place consentie à l'auditeur ?

Afin de répondre à ces questions, notre grille d'analyse comprend plusieurs sous catégories. Chaque intervention est relevée et décortiquée: de quelles informations dispose-t- on de l'auditeur ? De quel type d'intervention s'agit-il ? L'auditeur bénéficie-t-il d'un droit de suite? Mais aussi, quel rôle joue l'animateur? Comment annonce-t-il les auditeurs à l'antenne?

Nous avons adopté le même type de comportement pour chaque émission. Lors de l'écoute, nous avons retranscrit chaque situation où l'interactivité est en question. Chaque occurrence est temporalisée; ceci nous permettant de conserver la chronologie des évènements une fois sortis de leur contexte, de calculer le temps d'expression des auditeurs, mais aussi de percevoir les éventuels changements de comportement de l'animateur entre le début et la fin de l'émission. L'étape suivante a consisté à intégrer ces différents éléments dans nos trois tableaux d'analyse, en réunissant au sein de sous-catégories les données identiques, dans un souci de clarté. Malgré la similitude d'analyse des émissions, nous avons dû assouplir notre protocole afin d'intégrer des éléments annexes et / ou spécifiques pour chacun des programmes.

> L'émission « Service Public » fait relativement peu appel aux auditeurs par

rapport aux deux autres émissions étudiées. De ce fait, nous avons décidé ainsi de retranscrire une émission afin d'entrer dans le détail des propos. Toutefois, nous nous sommes cantonné aux interventions pouvant être intégrées à nos tableaux d'analyse. De plus, les auditeurs de « Service public» entrent très rarement en contact direct avec les invités de l'émission. Nous n'avons donc pas jugé nécessaire de faire apparaître les interventions des invités. Enfin, nous avons décidé de considérer à part le reportage proposé par l'émission. En effet, en début d'émission, un reportage effectué par un journaliste vient illustrer la thématique du jour. Les personnes interviewées sont des anonymes, mais aucun indice ne nous permet d'affirmer qu'ils sont auditeurs de l'émission. Même si le reportage n'est pas intégré au tableau dédié à la relation interactive indirecte, il nous a semblé important d'en tenir compte dans notre réflexion, dans la mesure où nous sommes en présence d'un acte de don de la parole à un ou plusieurs anonymes.

> Pour « Ça peut vous arriver », il nous a fallu adapter nos différents tableaux

afin de rester fidèle au contenu de l'émission lors du traitement des données recueillies. Arrêtons-nous un instant sur le tableau dédié à la relation interactive directe. Julien Courbet n'est pas le seul intervenant sur les ondes, même si son temps de parole est largement supérieur aux autres. Ces derniers, avocats, huissiers, juristes et médiateurs, font partie de l'équipe de l'émission, ils sont les soutiens de Julien Courbet dans sa mission. La plupart du temps, les auditeurs ne parlent qu'à Julien Courbet, mais il peut arriver qu'ils s'adressent directement à l'avocat ou au médiateur. De plus, lors du traitement du « dossier » (qualifié ainsi par l'animateur), l'auditeur n'intervient quasiment pas. Dans ce sens, nous avons intégré les interventions des collaborateurs de l'animateur dans notre tableau ; sans pour autant entrer dans le détail, étant considérées comme des éléments secondaires. L'autre spécificité de la relation interactive dans cette émission réside dans le fractionnement du traitement des «dossiers ». En effet, il est très courant que Julien Courbet revienne plusieurs fois sur le cas d'un auditeur lors d'une émission, faisant transparaître les étapes dans la résolution de l'affaire. Les interventions propres à chaque « dossier» sont réunies linéairement dans le tableau réservé à la relation interactive directe, pour une meilleure lisibilité et une meilleure compréhension. Enfin, le tableau dédié à

l'évocation de l'interactivité a dû être organisé, compte tenu de la récurrence des interventions de l'animateur, en les réunissant par thématique.

> Enfin « Lahaie, l'amour et vous » s'inscrit dans un format classique

d'émission de libre antenne. Les auditeurs se succèdent durant les deux heures de l'émission, entrecoupées de pauses publicitaires et musicales. Les émissions sur lesquelles nous avons travaillé sont issues du podcast, fonctionnalité mise en place sur le site de RMC-Info. Il faut signaler que les versions en ligne sont exemptées de publicités, et qu'il n'y a qu'un extrait de la musique diffusée. Ceci est la conséquence de règlementations divergentes entre la diffusion sur les ondes hertziennes et la diffusion sur internet, en particulier dans les domaines des droits d'auteur et celui des droits publicitaires. Il a été ainsi plus complexe de déterminer précisément la durée des coupures publicitaires et musicales. Nous avons chronométré ces différents éléments lors d'une émission en direct, afin de pouvoir intégrer ces données à notre analyse comparative. Autre spécificité de l'émission, l'existence d'un chat en parallèle de l'émission. Une partie du contenu produit en ligne par les internautes trouve un écho sur l'antenne. Nous avons donc intégré les prises de parole de la «châtelaine» (modératrice du chat) au sein du tableau consacré à l'interactivité indirecte. En effet, les propos du chat ne sont pas recueillis et lus par l'animatrice, mais par un autre membre officiel de l'émission. Il est donc légitime que nous les intégrions dans notre étude. Enfin, « Lahaie, l'amour et vous» invite régulièrement (mais pas systématiquement) un invité. Ce dernier peut intervenir à tout moment dans l'émission, même si des séquences d'interview lui sont consacrées. Il peut toutefois arriver que l'invité s'adresse directement à l'auditeur, ou vient compléter les propos de l'animatrice. Nous avons intégré les interventions de l'invité seulement lorsqu'elles étaient en lien avec un auditeur.

2ème PARTIE:

LES ÉMISSIONS SERVICE,

UNE TENDANCE

À LA SPECTACULARISATION?

I. La radio, intermédiaire ou centre du processus de médiation?

A. Analyse des trois émissions

1. « Service public » sur France Inter

«Service public » sur France Inter est une émission service proposant de soutenir le consommateur / citoyen dans ces problématiques quotidiennes. Traitant de faits de société, elle souhaite informer les auditeurs, par l'interview d'invités / experts selon la thématique journalière. Cette émission est considérée comme interactive dans la mesure où les auditeurs ont la possibilité d'appeler le standard pour laisser leurs questions ou points de vue, d'intervenir à l'antenne pour offrir un témoignage, ou de participer à la réflexion via l'envoi de messages par internet. Notre terrain d'étude comprend trois émissions de chaque programme. Nous avons décidé de prendre comme journée de référence le lundi 11 février 2008. Le schéma ci-dessous nous permet d'avoir une vision générale et simplifiée de la composition de l'émission.

Figure 1 : « Service public » du 11 février 2008

Malgré l'identité interactive de cette émission, nous pouvons constater que seul 16 % du temps d'antenne est réservé aux interventions en direct des auditeurs. Précisons toutefois la spécificité de l'émission : la majorité des interventions des auditeurs s'effectue indirectement par le biais de l'animatrice; les auditeurs laissent leurs remarques et questions au standard ou via internet; après sélection, l'animatrice les relayera sur l'antenne. Le schéma ci-dessus ne fait pas apparaître cette donnée, ce qui justifie en partie le pourcentage important du reste de l'émission (67 % du temps d'antenne). Toutefois, une majorité de l'émission est consacrée à l'interview du ou des invités présents dans les studios.

Le temps réservé à la publicité durant l'émission demeure faible, avec moins de 2 % du temps d'antenne. Cette moindre présence de la publicité correspond aux cahiers des charges de Radio France, très rigoureux. En 2007, la durée moyenne quotidienne de la publicité sur France Inter s'élevait à 12'05 minutes. Il convient de préciser qu'en règle

générale les espaces publicitaires de cette station se placent en fin d'émission, ne venant pas interrompre son déroulement.

Notre étude de terrain s'est consacrée à la relation interactive dans le cadre des émissions service, nous permettant de mettre à jour des mécanismes et de mieux comprendre la nature de la relation établie par et avec le média. Signalons qu'il s'agit ici des prémices d'une recherche que nous souhaitons poursuivre. Les résultats obtenus sont une première base de travail ; certaines questions restent ainsi posées.

+ Le statut de l'animatrice

Après avoir co-animé l'émission avec Yves Decaens, Isabelle Giordano est aujourd'hui seule aux commandes, le contenu éditorial étant resté le même. L'animatrice se veut au service des auditeurs, prenant à coeur la mission de service public de la station généraliste de Radio France. « On est le poste d'observation de tous

les problèmes liés à la consommation au sens large du thème : consommation culturelle, citoyenne, syndicale... Ne dépendant pas de la publicité, on a sur France Inter la garantie d'une vraie liberté d'expression. Dire du mal des marques, c'est possible ici. (É) On n'hésite pas, par exemple,

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à contester les chiffres de l'INSEE en ma tière d'inégalités du pouvoir d'achat déclare -t-

elle en 2006. «Service public» se revendique émancipé de toute contrainte économique , ceci garantissant une liberté de parole, à la fois pour l'animatrice mais aussi pour les auditeurs. Mais est-ce vraiment le cas? Avant de pouvoir répondre à cette question, nous souhaitons nous interroger sur le statut de l'animatrice dans le cadre de l'émission interactive.

Grâce au traitement des données issues de notre étude de contenu nous avons pu déterminer plusieurs axes dans le dispositif interactif adopté par l'animatrice dans l'émission «Service public»: l'animatrice comme intermédiaire, l'animatrice comme porte-parole des auditeurs, l'animatrice comme faire-valoir des propos des auditeurs.

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Télérama n 2964, 1novembre 2006


· L'animatrice comme intermédiaire

Un des rôles les plus courants de l'animatrice est d'être un intermédiaire entre la parole des auditeurs et les invités, ceux-ci n'ayant quasiment pas de relation directe entre eux. L'animatrice fait le lien entre eux, donnant la parole aux uns et aux autres, ajoutant des commentaires transitifs. Ce rôle d'intermédiaire est tenu lors de l'échange direct avec un auditeur, mais aussi lorsque l'animatrice fait intervenir de manière indirecte un auditeur.

Durant l'émission, l'animatrice agrémente ainsi le contenu de l'émission par de nombreuses citations d'auditeurs. Notons que les interventions indirectes sont deux fois plus nombreuses que les directes, une dizaine d'auditeurs en moyenne intervenant de cette manière. Tout laisse à penser que l'animatrice reste fidèle aux propos des auditeurs ayant laissé leurs commentaires au standard ou par le biais d'internet. L'animatrice annonce en effet les interventions de la sorte: « Je voudrais vous citer quelques messages qui sont arrivés au standard», « Je voudrais vous faire part des questions des auditeurs », « C'est ce que nous dit également une auditrice ». L'animatrice s'adresse ici aux invités de l'émission. Toutefois, avant de leur donner la parole pour qu'ils puissent répondre aux auditeurs, elle émet un commentaire, sans émettre d'opinion: « Je me tourne vers vous, Nadia Million pour Système U », « Qu'est -ce que vous en pensez Sylvain Lambert ? » Distante, l'animatrice ne fait que transmettre les interventions des auditeurs.

Ce statut est aussi adopté par l'animatrice lors des interventions des auditeurs en direct. Après avoir accueilli l'anonyme en le saluant, elle lui passe la parole de manière neutre: « je vous écoute », « on vous écoute » ou en intervenant de façon plus directive précisant le thème de l'intervention: « Vous aviez une question ou une observation peut être à faire », « vous vouliez réagir en comparant É ». L'animatrice, légèrement plus interventionniste dans ce dernier cas, délimite le contenu de l'intervention, réduisant ainsi sa marge à évoquer un sujet différent que celui qu'il avait annoncé au standard. De plus, ceci garantit à l'animatrice que l'auditeur entrera rapidement dans le vif du sujet. Durant son récit, l'animatrice émet régulièrement des signaux d'écoute: « Hum hum », étant son principal interlocuteur. L'animatrice laisse généralement l'auditeur exprimer, voire dialogue avec lui, le

questionnant sur son opinion ou le faisant développer ses propos. Toutefois, l'animatrice peut aussi lui couper la parole, une fois son idée générale exprimée, ne le permettant pas de développer. A la fin de son intervention, l'animatrice s'exprime systématiquement avant de donner la parole aux invités: « un avis tout de suite en studio ». Souvent elle reformule les propos de l'appelant, voire apporte une idée complémentaire: « vous posez en fait Hélène la question de l'émission, est-ce que les MDD vont tuer les marques? Yves Puget, on a essayé déjà d'y répondre. Pour vous, la réponse est non. Mais quand vous écoutez Hélène, vous vous dites effectivement qu'il y a des consommateurs qui trouvent qu'y a peut être trop de place, trop d'importance donnée aux MDD. La raison c'est pas que la qualité. (É) Si les gens achètent des MDD, c'est aussi parce qu'ils ont des points parfois sur les cartes (É) qu'ils obtiennent. » Elle peut aussi compléter les propos de l'auditeur en direct en citant d'autres anonymes: « Merci beaucoup Frederik. Je poursuis avec ce que vous nous dites Frederik (É) avec les réflexions de quelques auditeurs qui se demandent si finalement vous n'arrivez pas à vendre moins cher. Je me tourne vers vous Nadia Million pour Système U». Dans son rôle d'intermédiaire, l'animatrice assure la transition entre l'auditeur et les invités, sans prendre parti dans la réponse donnée. Enfin, elle le congédie de différentes manières. Elle le remercie systématiquement: « merci Vincent pour cette réaction ». Toutefois, elle décide de lui redonner la parole ou pas, même si la plupart du temps, l'auditeur ne bénéficie pas d'un droit de suite.

L'animatrice relayant et assurant le truchement des propos des anonymes se place au service des auditeurs. Le ton de l'émission est assez décontracté, le statut d'intermédiaire permettant d'éviter les dérapages et polémiques. Toutefois, si un appelant parvient à passer par les mailles du filet et tromper le standard par l'annonce d'un faux thème, l'animatrice le met face à ces responsabilités, l'accusant de ne pas respecter le principe de la transparence et du direct.


· L'animatrice comme porte-parole

Isabelle Giordano, dans la relation établie avec les auditeurs de l'émission, adopte aussi une attitude de porte-parole. Tout d'abord, elle va généraliser le statut des auditeurs intervenants, les regroupant au sein d'une même entité. Par exemple, l'animatrice annonce: «je vous propose d'écouter l'avis des auditeurs » ou « les auditeurs réagissent », alors qu'un seul d'entre eux va intervenir. Ce type de propos tend à favoriser l'existence et l'affirmation d'une communauté d'auditeurs, créant de la cohésion ainsi qu'une proximité dans la relation interactive. De plus, ceci a pour conséquence d'aplanir les différences sociales, tous les auditeurs logeant à la même enseigne. Cette pratique peut aider certains auditeurs, n'ayant pas l'opportunité de prendre la parole dans leur quotidien, de par leur statut social, d'intervenir à l'antenne. Dans la mesure où l'animatrice demeure le seul interlocuteur de l'auditeur, celle-ci intervient auprès des invités, au nom des auditeurs. Par le relais des propos tenus à l'antenne, l'animatrice adopte la fonction de porte-parole.

De plus, l'animatrice tend à faire transparaître dans ses propos les opinions et remarques récurrentes des auditeurs. « Chantal n'est pas la seule à poser cette question », « c'est une question qui revient au standard», « deux questions qui reviennent au standard, il y en a plusieurs qui vont dans ce sens », « d'autres auditeurs posent la même question ». Ainsi, l'animatrice se fait le porte-parole des auditeurs, relayant les opini ons majoritaires des appelants. Intervenant pour souligner qu'il s'agit d'une thématique fréquemment évoquée par plusieurs auditeurs, elle aborde par ce biais les auditeurs qui n'accèderont pas à l'antenne : « quelques messages qui nous sont arrivés au standard de Service public ». Ceci permet à l'animatrice, indirectement, d'insister sur la vitalité du standard, mettant en avant la relation interactive elle-même. Très régulièrement l'animatrice souligne que de nombreux auditeurs souhaitent participer à l'émission: « et la discussion continue avec nos auditeurs qui veulent absolument réagir à tout ce qui s'est dit », «je voudrais vous faire part des questions des auditeurs, qui nous arrivent déjà nombreuses ». Ce type de remarque permet aussi à l'animatrice de légitimer l'existence et le dispositif de l'émission.

Enfin, notre étude de contenu nous a permis de mettre au jour un procédé rhétorique permettant à l'animatrice d'adopter le statut de porte-parole. En effet, lorsqu'elle prend la parole, il est courant qu'elle s'inclut du côté des auditeurs: « la question qu'on peut se poser », « on se demande », « ça nous change ». Elle peut parler en leur nom, tout en exprimant sa propre opinion. Ce rapprochement avec les auditeurs permet de créer une certaine proximité entre Isabelle Giordano et son public, favorisant la relation interactive et le succès de l'émission.


· L'animatrice comme faire-valoir des propos des auditeurs

Pour finir, l'animatrice de «Service public» adopte une attitude de valorisation des auditeurs. Elle approuve les interventions de manière positive: « c'est une bonne question, il fallait la poser », « très bonne question Stéphanie », « ah, ça nous intéresse », « votre explication est très convaincante », « c'est avec beaucoup de bon sens qu'une auditrice nous dit É ». Ce comportement bienveillant a deux conséquences directes. Dans un premier temps, il permet de créer un climat de confiance pour les auditeurs. Confortés dans leurs propos, ils sont de ce fait encouragés à intervenir, l'animatrice considérant que les interventions de ces derniers sont importantes, voire fondamentales, pour le débat engagé. De plus, il arrive que l'animatrice soutienne et défende les auditeurs face aux invités: « en même temps, on comprend la colère des auditeurs ». Dans un second temps, l'attitude valorisante de l'animatrice permet de justifier la relation interactive elle-même. Mettant en avant la justesse, et l'importance des thèmes évoqués par les auditeurs, Isabelle Giordano légitime le don de la parole aux auditeurs en les soutenant dans leurs interventions. La valorisation des propos des auditeurs par l'animatrice est-elle ainsi au service des auditeurs ou permet-elle seulement de justifier le dispositif?

+ Le statut de l'auditeur

Le statut des auditeurs intervenant dans les émissions interactives constitue un terrain d'analyse riche et complet. Souhaitant comprendre la place du média dans la relation établie,

notre étude de contenu s'est intéressée plus partiellement aux auditeurs. Toutefois, nous souhaitons exposer les éléments récurrents, propres au statut de l'auditeur, aidant à mieux cerner les limites de l'interactivité radiophonique.

· Un auditeur présent mais souvent sans voix

La parole des auditeurs ne constitue pas la majorité du temps d'antenne sur « Service public » contrairement à d'autres émissions interactives. En effet, cette dernière les fait intervenir, mais la démarche de l'émission est plus informative. Une petite quinzaine d'auditeurs contribue à la création du contenu, dont quatre directement à l'antenne. En effet, tout au long de l'émission, Isabelle Giordano intervient en dévoilant elle-même les questions et opinions des auditeurs: « est-ce que cela veut dire que vous êtes d'accord avec l'opinion d'un auditeur, je vous la cite très rapidement », « c'est ce que nous dit également une auditrice » « autre avis, je vous le donne rapidement ». Peu d'informations sur ces auditeurs sont données (prénom et lieu de résidence) ne leur permettant pas de sortir de leur statut d'anonyme. Ce procédé d'interactivité indirecte garantit à l'animatrice un contrôle de l'émission, minimisant les débordements ; tout en assurant dynamisme et authenticité. En fait, les propos des auditeurs cités par l'animatrice viennent agrémenter le contenu de l'émission, en gage d'illustration de la «réalité ». Les interventions viennent apporter un soutien à l'émission elle-même, l'animatrice utilisant les propos des auditeurs, assidûment sélectionnés, pour interroger ses invités.

· Un auditeur anonyme et pressé

Malgré le statut d'émission interactive, « Service public » ne donne la possibilité qu'à quelques auditeurs d'intervenir en direct. Notons que la parole des anonymes est absente de la première partie de l'émission. Les appelants sont la plupart du temps des fidèles. Ils manifestent ainsi leur attachement en remerciant souvent en début d'intervention l'existence de l'émission pour sa qualité: « Merci pour vos émissions toujours de très bonne qualité », « J'écoute votre émission avec toujours beaucoup d'intérêt ». Les opposants ou rétracteurs à

l'émission n'accède pas à l'antenne, garantissant ainsi un climat calme et peu hostile. Le schéma ci-dessous apporte des informations quant aux temps de parole et au sexe des auditeurs appelant.

Figure 2 : Service public du 11 février 2008

Durée de l'émission : 54 min

Temps total des interventions des auditeurs : 8 min 44

Premièrement, nous pouvons constater qu'autant d'hommes ou de femmes interviennent à l'antenne, le temps imparti par auditeur n'étant toutefois pas le même. En effet, les premiers auditeurs qui arrivent sur l'antenne ont la possibilité de s'exprimer plus longtemps que les suivants. En moyenne, le temps de parole accordé à un auditeur est d'environ deux minutes, lui imposant une intervention concise et rapide. Ceci ne lui laisse pas

la possibilité de développer ses propos et de rentrer dans les détails. Cette pratique n'est ainsi pas favorable à l'instauration d'un dialogue entre les différents participants.

Comme pour les interventions indirectes, l'auditeur parlant à l'antenne conserve un statut d'anonyme, l'animatrice annonçant seulement son prénom et son lieu de résidence. Toutefois, l'appelant a ici la possibilité de s'identifier de manière différente; il peut faire le choix compléter cette présentation sommaire. Un anonyme peut mettre en avant son statut de professionnel, légitimant ainsi son discours: « moi je suis fabricant pour la grande distribution ». Mais cette pratique demeure rare, les auditeurs acceptant implicitement le contrat de communication imposé par la station.


· L'auditeur appelant, illustration de la réalité

« Service public » entretient une relation particulière avec ses auditeurs. Alors que d'autres émissions service vont privilégier un rapport d'assistanat avec leurs auditeurs en proposant un soutien personnalisé, « Service public » souhaite aider les auditeurs en les informant. En effet, l'auditeur est ici responsabilisé; l'émission est au service de tous les auditeurs, et non pas de quelques-uns en particuliers. Cette considération a des conséquences directes sur le type d'intervention des auditeurs. Ils participent en direct à l'émission pour fournir un témoignage, une opinion, en ouvrant parfois leurs propos vers une question d'ordre général : « je voulais juste rapporter mon expérience personnelle », «je voulais, moi, apporter mon témoignage », «je voulais demander ». Nous constatons que les auditeurs adoptent une attitude constructive, favorisant la réflexion et la connaissance : « on se pose la question de savoir pourquoi y 'a autant de différence de prix; moi, il me semble, c'est très simple ». Le contenu des interventions des auditeurs se base sur des évènements personnels, des faits vécus; le « je» étant prédominant: « moi, il me semble », « ce que je constate », « ce dont j 'ai peur». L'auditeur est considéré comme le témoin de la réalité. Il se distingue ainsi de l'expert, l'un basant ces connaissances sur ses expériences personnelles, l'autre par l'étude «objective» d'un phénomène global. En effet, certains auditeurs justifient et légitiment leurs opinion par ce qu'ils ont vécu : « je le sais, puisque je le constate avec mes propres produits ». C'est l'idée d'authenticité qui démarque les deux types de discours.

L'émission se sert ici des récits des auditeurs pour illustrer les dires des invités présents en studio. L'auditeur n'est ainsi pas sollicité pour ses connaissances mais pour son expérience.

2. « Ça peut vous arriver » sur RTL

«Ça peut vous arriver» est une émission se mettant au service des auditeurs afin de les aider à régler leurs problèmes en direct, apportant un soutien juridique si nécessaire. Les auditeurs sont invités à confier leurs «dossiers » à la station, qui va devenir actrice de la résolution de l'affaire. Ici les problèmes sont réglés au cas par cas, la plupart du temps par téléphone. L'auditeur est invité à envoyer son dossier, accompagné des pièces justificatives, afin que l'émission accède à sa requête. L'équipe qui soutient Julien Courbet dans sa tâche est constituée d'avocats et d'huissiers. Le graphique ci-dessous montre la composition de l'émission.

Figure 3 : « Ça peut vous arriver » du 11 février 2008

Ce graphique nous permet de constater que les interventions des auditeurs occupent une place prédominante dans l'émission ; 60,5 % du temps d'antenne leur sont consacrés. Contrairement à l'émission précédente, la majorité des auditeurs interviennent en direct. En effet, seul un auditeur par émission intervient indirectement via un message laissé sur le répondeur de l'émission. L'interactivité est donc importante au sein de cette émission. En tant que radio généraliste, une part importante de l'émission est dédiée aux pauses musicales, totalisant 23,5 % du temps d'antenne. Enfin, il faut signaler que les pauses publicitaires sont omniprésentes dans «Ça peut vous arriver ». Le pourcentage total de la publicité durant l'émission s'élève à 14,2 % du temps d'antenne. Toutefois, ce chiffre ne permet pas de montrer la récurrence des coupures publicitaires. En effet, ces dernières sont diffusées à un intervalle allant de dix à quinze minutes. Notons qu'il ne s'agit pas d'une spécificité de l'émission; en tant que radio privée, RTL diffuse les spots publicitaires de ces nombreux annonceurs, pour assurer son financement. Tout au long de la journée, les publicités reviennent à intervalles réguliers; chaque demi-heure, trois coupures d'une durée d'une à trois minutes sont diffusées. La publicité constitue donc une part importante de la programmation de RTL.

Le contenu à étudier pour cette émission était très riche en informations dans la mesure où les procédés interactifs sont multiples. Il nous a donc fallu classer nos données afin de fournir une présentation des résultats claire et complète. Nous avons distingué les informations relatives au statut de l'animateur, et celles faisant référence au statut de l'auditeur.

+ Le statut de l'animateur

Julien Courbet est une star incontestée dans les médias, le succès de son émission télévisée sur TF1 en deuxième partie de soirée, «Sans aucun doute », en apporte la preuve. Ce dernier a bâti sa carrière dans les médias en aidant des anonymes dans leurs tracas quotidiens. Son domaine de prédilection: les arnaques en tout genre. Même si les procédés employés à la télévision sont quasi similaires à ceux de son émission radiophonique, la

relation interactive mis en place avec les anonymes n'est pas la même. Notre étude de contenu nous a permis de distinguer plusieurs axes de réflexion.


· Un animateur maître du show radiophonique

La mise en scène de l'émission peut s'apparenter à celle d'un spectacle où le rôle principal serait tenu par un animateur vedette, et les seconds rôles par les auditeurs. Le contenu de l'émission alterne entre décontraction et sérieux, passant de la plaisanterie à la connaissance par l'énoncé de lois et réglementations en vigueur. «Ça peut vous arriver» flirte ainsi avec le concept de divertissement. Au sein de ce show, l'animateur est la figure centrale du dispositif pour plusieurs raisons.

Tout d'abord c'est lui qui distribue et reprend la parole aux différents intervenants. La manière dont il traite les auditeurs est toujours la même. Dans un premier temps, il salue: « nous commençons tout de suite avec Martine. Bonjour Martine », « sur RTL, nous accueillons Joselyne, bonjour », « nous avons maintenant en ligne Patrice. Bonjour Patrice » et lui demande d'où il appelle. Puis, il présente le dossier de ce dernier : « Alors Marc de Nîmes, vous avez commandé un lave -linge (É) et on vous livre un frigo », « Céline, vous vous demandez si un recours est possible », « Alors Denise, je raconte votre histoire ». Ce procédé ne laisse à l'auditeur que la possibilité de confirmer sa présentation : « tout à fait », « voilà », « exactement ». Ensuite, l'animateur pose quelques questions à l'auditeur afin qu'il développe lui-même son récit: « est-ce que vous avez des problèmes de santé suite à cela ? », « un impayé de combien ? », « qu'est-ce que vous avez découvert ? ». Il s'agit ici d'un procédé rhétorique faisant feindre l'interactivité, dans la mesure où l'animateur connaît déjà les réponses. En effet, les dossiers des auditeurs sélectionnés ont été dûment décortiqués et étudiés avant le passage à l'antenne, la marge d'inconnu étant très faible. Il va entrer un maximum dans le détail. Les questions de l'animateur sont orientées afin que l'auditeur évoque précisément ce qu'il souhaite être mentionné. Malgré la relation interactive, l'animateur reste maître des propos tenus à l'anten ne ; la parole des auditeurs ne pouvant pas être considérée comme libre.

Notons que Julien Courbet n'est pas la seule personne présente en studio pour régler les problèmes des auditeurs. Une équipe de professionnels du droit se relaye à l'antenne et elle assiste l'animateur dans sa tâche. C'est ce qui fait la spécificité de l'émission, offrant des consultations juridiques en direct; avocats et huissiers donnent de la crédibilité à l'émission. En effet, leurs statuts assurent que leur parole sera rarement remise en cause.

Après avoir explicité le cas de l'auditeur, l'animateur fait systématiquement intervenir un des collaborateurs, avocat ou huissier, afin qu'il émette un point de vue juridique : « Maître Olivier, on sait qu'il y a des choses à faire. Quels sont les recours pour les locataires dans ce genre de cas ? », « Je vais passer la parole à Maître Gick pour qu'il nous explique ». Parfois, les conseils des avocats peuvent suffire à résoudre l'affaire, exposant à l'auditeur la marche à suivre. Toutefois, la majorité des affaires se traite par des négociations en direct. Pour cela, l'émission joint en direct la personne et l'entreprise incriminée par l'auditeur appelant.

L'appel peut avoir lieu tout de suite après la présentation du dossier à l'antenne, ou être reporté quelques minutes plus tard, après une coupure publicitaire et / ou musicale : « nous allons appeler dans quelques instants », ou plus rarement à un autre jour: « A tout de suite Patrice. D'ici demain, on va essayer de joindre quelqu 'un absolument ». Cette pratique est très courante dans l'émission; prolongeant ainsi le temps consacré à un même auditeur. Nous reviendrons toutefois plus loin sur cet élément qui contribue à spectaculariser l'émission.

Le dispositif mis en place lors du coup de téléphone est révélateur de l'attitude générale adoptée par Julien Courbet au sein de son émission. Comme nous allons le montrer l'auditeur n'intervient quasiment pas lors de la négociation, plaçant l'animateur comme principal interlocuteur. Julien Courbet, accompagné de son équipe de juristes, plaide la cause de l'auditeur en direct. Nous assistons au show d'une réalité touchant, à ce stade, au domaine privé, des poursuites judiciaires n'ayant pas été systématiquement engagées.

« Nous l'appelons maintenant », Julien Courbet annonce le moment où il passe à l'action. Valorisant son procédé: « le coup de fil est très important », l'animateur se positionne comme un intermédiaire, souhaitant avoir connaissance des différentes versions de l'histoire : « on va l'appeler pour lui demander confirmation », « on va l'appeler pour lui demander sa version des faits », « nous appelons maintenant cette dame pour qu'elle puisse avoir sa vérité et une discussion », « nous allons écouter la version de la partie adverse ». L'animateur souhaite adopter le statut de médiateur. Mais intervenant au service d'un auditeur, il ne peut être considéré comme un intervenant extérieur, objectif et dénué de tout intérêt. Toutefois, même s'il n'est pas impartial, il se protège de toute fausse accusation. En effet, l'animateur a le devoir d'être vigilant quant aux accusations portées à l'antenne, sous peine d'être accusé de diffamation.

Au moment où le téléphone décroche, l'animateur se présente tout en informant la personne au bout du fil qu'elle est en direct sur RTL. Dans certains cas, un jingle de la station est diffusé, contribuant à la mise en scène. La personne peut avoir été avertie par avance au standard qu'il allait intervenir à l'antenne. Toutefois, le plus régulièrement, l'effet de surprise est de règle, pouvant déstabiliser la personne incriminée. Julien Courbet annonce très rapidement le motif de son appel, faisant comprendre qu'il intervient au nom de l'auditeur en question. L'animateur peut faire confirmer oralement la présence de ce dernier : « vous êtes là Joselyne ? », « Marc, vous m'entendez ? ». Puis un jeux de questions / réponses s'instaure entre l'animateur et l'interlocuteur au bout du fil. Il l'interroge dans les détails afin de confirmer ou d'infirmer les faits dont il a connaissance: « attention, ce n'est pas une question, c'est une affirmation ». La confrontation peut durer quelques minutes. L'animateur reste néanmoins prudent: «je ne suis pas là pour dire qui a tort ou raison », « moi je voulais juste vous informer ». Selon les cas, l'auditeur peut intervenir sur invitation de l'animateur: « qu'est-ce que vous avez à lui demander ? » Dans ce type de situation, le dialogue a tendance à être plus vif, les deux parties élevant leur voix afin de défendre leur point de vue. Il arrive aussi que la personne incriminée reconnaisse ses torts, et qu'elle soit disposée à trouver un arrangement. En cas de désaccord persistant, un des collaborateurs prend la parole afin de témoigner en faveur de l'auditeur usant de ses connaissances juridiques et législatives. Son intervention, sur un ton sérieux, peut demander des précisions à l'interlocuteur, expliquer la situation, et les procédures légales dans ce type de situation. L'animateur par la suite met la personne incriminée devant ses responsabilités, espérant un dénouement positif.

Selon les situations, le dossier peut être résolu rapidement; pour d'autres, des démarches complémentaires sont nécessaires. Dans la majorité des cas, un accord à l'amiable est conclu, permettant d'éviter les procédures judiciaires. L'animateur redonne systématiquement la parole à l'auditeur: « content Marc ? », « Ça vous va Didier comme solution ? »; ceux -ci ne pouvant qu'exprimer leur joie à l'antenne. Selon nous, le charisme et la réputation de l'animateur contribuent à favoriser la résolution des « dossiers ». En effet, étant connu du grand public, Julien Courbet s'est affirmé dans l'espace médiatique comme le justicier des victimes d'aberrations en tous genres. De plus, la négociation ayant lieu en direct, les protagonistes ont tout intérêt à trouver un accord. Si l'incriminé est un anonyme, il peut souhaiter ne pas être décrédibilisé sur l'antenne d'une radio nationale. S'il s'agit d'une société privée, les répercussions en termes d'image peuvent être négatives. Étant exposée sur la scène publique, l'entreprise peut faire preuve de bonne foi en trouvant un arrangement. Le taux de résolution des cas varie selon les émissions. Précisons toutefois que l'émission résout la plupart des dossiers présentés à l'antenne. Par exemple, le 12 février 2008, sur cinq dossiers traités, quatre ont trouvé un dénouement positif. Mais ce succès n'est-il pas la conséquence directe d'une sélection drastique ? En effet, l'émission reçoit chaque jour de très nombreuses demandes. Afin d'assurer la crédibilité et la réussite de l'émission, les dossiers ne sont-ils pas choisis sur des critères de faisabilité ? La radio ne s'assure-t-elle pas une fin positive avant de médiatiser une affaire? Il serait nécessaire de poursuivre les recherches dans ce sens lors de futurs travaux au sein des radios elles-mêmes.

Lorsqu'un dossier ne trouve pas d'issue positive, l'animateur propose à l'auditeur de revenir ultérieurement dessus : « c'était intéressant. Nous allons y revenir d'ici 11 h 30 j'espère ». En effet, les conditions ne sont pas forcément remplies. L'interlocuteur peut ne pas être le bon ou être injoignable, de nouvelles démarches peuvent être nécessaires, etc. Dans ce genre de situation, l'animateur s'engage auprès de son auditeur. La suite se déroulera hors antenne: « On vous passe Maître Felloneau pour qu'elle puisse vous expliquer la suite ». Le dossier de l'auditeur sera mis à l'ordre du jour d'une nouvelle émission. En effet, une même émission comprend des dossiers anciens et d'autres nouveaux. Une fois que le dossier est conclu, l'animateur fait intervenir l'auditeur, afin qu'il annonce par lui-même l'aboutissement de l'affaire. Ceci est l'occasion pour l'émission de valoriser sa contribution dans ce dessein. L'animateur rappelle en direct les faits : « et pour nos auditeurs, nous allons revoir ce qui s'est passé, pour que les auditeurs puissent comprendre. » Son résumé est accompagné de

flash back sonores extraits d'émissions antérieures. Étape par étape, le dossier est re-dévoilé, illustrant «les grands moments de cette affaire ». Julien Courbet interroge ensuite l'auditeur, feignant de ne pas connaître la situation: « Quelle nouvelles avez-vous à nous annoncer ? » L'auditeur raconte alors comment son problème a pu être réglé grâce à l'émission. Ce procédé n'a que pour but de légitimer le dispositif tout en gratifiant l'émission elle-même.


· Une relation de proximité avec les auditeurs

Une des principales caractéristiques permettant de distinguer « Sans aucun doute» sur TF1 et « Ça peut vous arriver» sur RTL tient dans la relation établie entre l'animateur et son public. Le dispositif interactif radiophonique favorise la proximité. Le ton de l'émission radio est plus décontracté, l'animateur se permet quelques fois de plaisanter avec ses acolytes comme avec les auditeurs. De plus, l'animateur dialogue avec l'auditeur de manière amicale: « alors qu'est ce qu'on fait dans ce genre de cas là? On doit avoir un petit rire » voire chaleureuse: « je vous fais un gros bisou. Mes amitiés à votre mari ». Le voussoiement demeure cependant de règle.

Puis l'animateur se rapproche de ses auditeurs en les «victimisant ». À de multiples reprises, Julien Courbet n'hésite pas à s'apitoyer sur la situation de la personne: « cette histoire malheureuse », « Carole, on raconte l'histoire et on essaie de vous aider. Ça devient un vrai calvaire pour vous ». L'animateur, très docile avec l'auditeur, le rassure: « on va vous aider, ne vous inquiétez pas », « est-ce que ce que vous venez d'entendre vous rassure ? », créant un climat de sécurité et de confiance. Ce procédé rhétorique joue avec la corde sensible de l'auditorat en stimulant son empathie.

Enfin, l'animateur met en avant sa détermination à aider les auditeurs, à être à leur service, en s'engageant à trouver une issue positive pour chaque cas exposé à l'antenne: « bon écoutez Paulette, on va pas traiter ça en quelques secondes à la radio. Quelqu'un vous rappelle dans l 'après-midi. (É) Je m 'y engage personnellement ». Nous soupçonnons qu'un tel engouement n'est pas innocent. Ce comportement altruiste permet à l'animateur de valoriser son statut, tout en restant proche de ses auditeurs devenus fidèles et assurant la pérennité de l'émission.

+ Le statut de l'auditeur

Comme pour l'émission précédente, nous allons détailler quelques attitudes récurrentes chez les auditeurs passant à l'antenne de «Ça peut vous arriver », afin d'apporter un éclairage supplémentaire sur la relation interactive radiophonique. Avant cela, arrêtons- nous un instant sur les auditeurs intervenus à l'antenne le 11 février 2008 de manière plus générale.

Figure 4: "Ça peut vous arriver du 11 février 2008 Durée de l'émission: 1 h 54

Temps total des interventions des auditeurs: 1 h 09

«Ça peut vous arriver» fait intervenir entre six et sept auditeurs par émission. Concernant notre journée de référence, nous constatons qu'il existe une certaine parité des

auditeurs passant à l'antenne. Toutefois ce schéma nous montre que le temps consacré à chaque auditeur est très variable. Une lecture superficielle nous inciterait à croire que l'animateur accorde le temps nécessaire à chaque auditeur. Toutefois, la réalité est plus complexe. Dans un premier temps, une des pratiques courantes de l'émission est de traiter un même cas par intermittence. L'animateur ne reste jamais plus de quinze minutes successives avec un auditeur. Le dossier est traité, au sein d'une même émission, en plusieurs étapes. Les temps d'interventions des auditeurs correspondent à la somme de ces différentes étapes.

L'auditeur 2 coïncide à une opération spéciale, «l'opération duplex », menée sur le terrain et diffusée en direct. Un des collaborateur de l'émission : Damien Stevens prend le cas d'un auditeur personnellement en charge. Il est sur le «terrain », en présence de l'auditeur pour rencontrer la personne incriminée. Ce dispositif, par sa particularité, explique le temps conséquent consacré à cet auditeur. En effet, ce dernier implique un certain investissement de la part de la radio, qu'il convient de rentabiliser par une diffusion prolongée à l'antenne.

En ce qui concerne les auditeurs 1 et 3, le dispositif adopté explique là encore la durée de l'intervention. Le traitement de leur dossier a donné lieu à des coups de téléphone en direct aux personnes incriminées. La durée varie en fonction de l'interlocuteur et de sa disposition à la négociation. Toutefois le temps consacré à l'auditeur dans ce cas-là est en moyenne de dix minutes. Nous pouvons en déduire que le temps imparti à chaque auditeur dans ce type de situation est défini par avance.

Enfin les dernières interventions sont d'une durée inférieure à 5 minutes. Ici, aucun dispositif en particulier n'est mis en place. Soit le cas de l'auditeur est réglé à l'aide des collaborateurs juristes de l'émission, soit le dossier est reporté à une date antérieure.

Nous allons maintenant tâcher de décrire les différentes positions adoptées par les auditeurs appelant dans la relation interactive établie avec le média.


· Un individu ordinaire mis en exergue

«Ça peut vous arriver » est une émission dynamique, faisant se succéder à l'antenne les dispositifs interactifs. L'un d'entre eux: «les rois du système D », (D pour débrouille), offre à l'auditeur la possibilité d'intervenir en direct, en flattant sa personne pour son sens pratique. En effet, cette rubrique incite les auditeurs à appeler afin qu'ils partagent publiquement leur astuce pour faire des économies au quotidien. Sur RTL, chaque jour, un auditeur accède au statut de «roi du système D ». Notons que Julien Courbet anime sur TF1 une émission exclusivement consacrée à cela.

De prime abord, nous pouvons observer que ce dispositif s'inscrit pleinement dans les problématiques sociétales contemporaines. Le pourvoir d'achat est aujourd'hui considéré comme une des principales préoccupations des Français. L'émission s'adapte à l'agitation ambiante en proposant aux auditeurs de relayer leurs différents stratagèmes pour dépenser moins. Ceci concourt à l'affirmation d'une communauté d'auditeurs, solidaires, s'échangeant de «bons tuyaux » de consommateurs. La radio assure un rôle d'intermédiaire en mettant les auditeurs en relation. De plus, les astuces des auditeurs ont l'avantage d'être réalisables par un grand nombre d'entre eux, ces derniers se ressemblant dans leur anonymat. Toutefois, ce type de dispositif a des conséquences très positives pour le média, stimulant les appels au standard. Compte tenu du nombre très élevé de sollicitations, l'auditeur qui accède à l'antenne devient l'heureux privilégié. Ceci le valorise dans son statut d'anonyme, devenant un expert de la vie ordinaire.

En continuité avec la couleur sonore de l'émission, Julien Courbet façonne une mise en scène ayant tendance à « spectaculariser » l'interactivité. L'animateur se place à l'écoute de l'auditeur, voulant apprendre de l'auditeur: « quelle est votre astuce ? ». L'auditeur s'exécute : « alors moi, je vais dans des ventes aux enchères », « c'est une petite astuce. Je la pratique depuis longtemps. En fait, je ne fais jamais le plein de ma voiture pour limiter la surcharge ». Il l'interroge afin qu'il présente en détail son « système D »: « l'économie est de combien ? », « donc expliquez-moi en quoi ça permet de faire des économies ? » Il met parfois au jour les côtés négatifs: « chaque système D a ses inconvénients ». Néanmoins,

l'animateur exalte le témoignage de l'auditeur: « c'est une bonne idée », « alors merci. Excellent système D. Vos idées valent de l'or ». L'auditeur se sent valorisé, considéré, et reconnu au sein de la sphère publique.

· Un auditeur assisté

L'attitude générale de l'animateur pousse l'auditeur dans ses retranchements. Comme nous l'avons montré, Julien Courbet est maître du dispositif, parlant au nom de l'auditeur lors des négociations. L'auditeur intervient succinctement pour confirmer ou infirmer ce qui se dit à l'antenne.

Un autre dispositif de l'émission place l'auditeur dans une situation d'assistanat: «l'opération duplex ». Le dispositif est exalté à outrance: « opération duplex sur RTL avec Didier qui est en ligne pour une histoire hallucinante », « nous allons intervenir dans quelques instants ». Le collaborateur et l'animateur vont à la rencontre de la personne incriminée, tout en restant en ligne. La scène se déroule donc en direct, côtoyant l'idée de spectacle.

· Un auditeur heureux

Pour finir, il est important de signaler que l'auditeur est la plupart du temps satisfait de la médiation de « Ça peut vous arriver» ayant permis de trouver un dénouement positif à son «dossier ». L'anonyme n'hésite pas à exprimer sa satisfaction à l'antenne. Notons, que l'animateur sollicite les auditeurs, une fois l'affaire résolue dans ce but. Les réactions peuvent être modérées: « merci à vous pour tout ce que vous faites pour tout le monde », « merci à vous à votre équipe et merci à tout le monde », « parfaitement oui, si c'est réglé vendredi et qu'on arrive à avancer avec RTL pour ce dossier. Je vous remercie infiniment », ou être plus passionnées: « Je voudrais vous remercier, vous et toute l'équipe. (É) J'ai toujours été informée de la situation. Vous me sauvez la vie. Tout le monde m 'a laissé tomber. Sij 'ai fait

appel à vous c'est parce que c'était mon dernier recours. Je suis très émue. Quandje vois les cas que vous arrivez à résoudre; vous devriez avoir depuis longtemps la légion d'honneur. Je suis sérieuse ». Un tel engouement est aussi la conséquence d'une sélection des cas traités. En effet, l'animateur insiste sur le fait que les auditeurs doivent s'adresser à lui en dernier recours. Ainsi la plupart du temps, cela fait déjà plusieurs mois que l'auditeur subit des difficultés. La médiatisation et la résolution de son problème procure chez lui un enthousiasme certain. De plus, en décidant d'aider les plus faibles, l'émission se garantit une grande popularité. La mise en scène spectaculaire de l'émission contribue à mettre en avant les succès de l'émission, donnant comme impression à l'écoute que l'animateur, au service des auditeurs, multiplie les succès par le traitement de cas apparemment complexes.

3. « Lahaie, l'amour et vous » sur RMC-Info

« Lahaie, l'amour et vous» est une émission qui se met au service de ses auditeurs pour les aider dans les domaines de l'amour, de la sexualité et de l'intimité en général. Sans tabou, cette émission rompt avec une certaine tradition radiophonique, étant diffusé entre 14 heures et 16 heures. Communément, les émissions interactives ayant un caractère intime sont programmées en soirée, moment considéré comme plus propice à la confession. Brigitte Lahaie invite les auditeurs à intervenir à l'antenne pour parler des difficultés dans leur vie intime, ou pour apporter un témoignage. L'animatrice, selon les jours, peut être soutenue dans sa mission d'assistance par un invité. Ce dernier est la plupart du temps un professionnel appartenant à la communauté médicale : psychologue, psychiatre, sexologue, etc. Il intervient à l'antenne à tout moment, complétant les réponses de l'animatrice à l'auditeur. L'invité prend aussi la parole pour répondre à l'animatrice, qui lui consacre plusieurs minutes d'interview tout au long de l'émission. Le schéma proposé ci-dessous nous offre un aperçu global de la composition de cette émission.

Figure 5 : « Lahaie, l'amour et vous » du 11 février 2008

Ce graphique nous confirme que cette émission accorde une place conséquente à l'interactivité. En effet, plus de la moitié du temps d'antenne (58,7 %) est consacrée aux interventions des auditeurs en direct. La publicité est présente à l'antenne de RMC-Info, élément sine qua non d'une radio privée. La place occupée par les messages publicitaires est ici prépondérante, occupant 17,3 % du temps d'antenne. Le graphique ne nous permet pas d'observer à quelle fréquence interviennent les coupures publicitaires. Même si à l'écoute de « Lahaie, l'amour et vous », la publicité nous semble moins omniprésente que dans l'émission «Ça peut vous arriver» sur RTL, la réalité est toute autre. Notons que les coupures publicitaires interviennent sur RMC-Info toutes les 15 à 20 minutes. Brigitte Lahaie est ainsi moins interrompue par la publicité dans son émission que Julien Courbet. Mais la durée des spots publicitaires est plus longue sur RMC-Info que sur RTL. Nous sommes face à deux conceptions marketing de gestion des espaces publicitaires, l'une préférant interrompre régulièrement l'émission mais pour une courte durée, l'autre laissant plus de temps d'antenne entre chaque coupure publicitaire, mais pour une interruption plus longue. Signalons pour

finir, que quelle que soit la stratégie adoptée, la publicité envahit les programmes des radios privées, rendant la tâche difficile pour un auditeur souhaitant l'éviter. Le reste de l'émission (24 % du temps d'antenne) est consacré aux différentes annonces de l'animatrice, à l'interview de l'invité, mais aussi à la « châtelaine », intervenant à plusieurs reprises afin de donner un aperçu des propos des internautes sur le chat de RMC -Info. Pour finir, signalons que la musique est absente de l'antenne, quelques extraits inférieurs à 30 secondes sont quelquefois diffusés, en guise de transition.

Après cette présentation générale, concentrons-nous sur la relation interactive établie dans le cadre de cette émission. Comme pour les émissions précédentes, nous avons distingué le statut de l'animateur de celui de l'auditeur. Les résultats de notre étude de contenu font apparaître différents types de prise de position pour chacun des protagonistes au sein du dispositif interactif radiophonique.

+ Le statut de l'animatrice

Sur l'antenne de RMC-Info, Brigitte Lahaie est à la radio des années 2000 ce que Menie Grégoire incarnait trente ans plus tôt. L'heure est la même, le dispositif également. Les deux émissions pénètrent dans l'intimité des auditeurs appelants afin de leur venir en aide. Le contenu des émissions est bien évidemment différent, compte tenu de l'évolution des moeurs. Toutefois Menie Grégoire, tout comme Brigitte Lahaie, a brisé certains tabous en osant aborder à travers le média radiophonique des thématiques totalement absentes des autres stations. En effet, aucune autre radio ne s'aventure dans le domaine de la sexualité chez l'adulte et du plaisir qui en découle (ou de son absence). Loin de vouloir faire polémique, l'animatrice accorde une grande importance à la sexualité dans la vie quotidienne. « La sexualité traduit nos forces et nos faiblesses. Ce n'est pas seulement une porte vers la connaissance d'autrui, c'est un objet en soi» confie -t-elle à Libération lors d'une interview en 2007.122

122 Libération nO 8219, 10 octobre 2007

L'étude de contenu réalisée sur trois émissions de Brigitte Lahaie a fait émerger trois types d'attitudes adoptées par l'animatrice avec les auditeurs dans le dispositif radiophonique.


· Une oreille confidente

Brigitte Lahaie accueille des auditeurs souhaitant s'exprimer sur leur vie intime. Thématique propice à la confession, elle impose à l'individu une introspection. Sur un ton doux et chaleureux, Brigitte Lahaie incite les auditeurs à se confier à l'antenne, s'immisçant dans leur vie privée.

Durant les deux heures qui lui sont octroyées, l'animatrice fait se succéder à l'antenne les auditeurs les uns après les autres. Adaptant ses propos à chaque interlocuteur, l'animatrice procède toutefois de la même manière avec chacun d'entre eux. Elle interpelle l'auditeur en début d'intervention, afin qu'il confirme oralement qu'il se trouve bien à l'antenne; un «bonjour» est échangé entre les deux.

Rapidement, l'animatrice précise la raison de l'appel de l'auditeur. Ceci lui permet de contrôler le contenu de l'émission, ne laissant d'autres choix à l'auditeur que de débuter son récit sans perdre de temps. Elle entre ainsi dans le vif du sujet: «vous nous appelez car vous avez résolu vos problèmes de plaisir rapide », «vous avez connu une rupture difficile », «vous avez 48 ans et vous vivez une relation fusionnelle », «vous avez 60 ans et votre femme vous a quitté pour votre meilleur ami ». L'animatrice adopte une attitude conviviale et décontractée : «alors qu'est ce que vous allez nous raconter de coquin?»

A partir de là, une conversation s'engage entre Brigitte Lahaie et l'auditeur. Le dialogue est libre, pouvant parfois s'apparenter à un échange entre deux amis: «remarquez, ça fait du bien aussi ». L'animatrice va inciter l'auditeur à détailler ses propos en le questionnant: «elle a envie de garder cet enfant? », «alors sexuellement, ça se passe comment ? », «racontez-moi comment ça s'est traduit. Vous souhaitiez être dans les bras l'un

de l'autre ». Les questions très ciblées lui permettent d'obtenir un maximum d'informations pour lui apporter un conseil. L'animatrice montre aussi de l'intérêt au cas de l'auditeur, « attendez, j'essaie de comprendre la chronologie de votre histoire ».

Néanmoins, « Lahaie, l'amour et vous» se rapproche du dispositif des émissions divan, comme les appellent Deleu. Le dispositif de celles-ci repose sur les vertus d'une parole libre. C'est en extériorisant ces problèmes que ces derniers pourront être résolus. L'animatrice assure donc une consultation radiophonique aux auditeurs par l'usage d'une méthode cathartique: «j'espère que d'en parler, cela vous a aidé ». Afin que l'auditeur se dévoile un maximum, l'animatrice reformule régulièrement ces propos: «c'est-à-dire, vous vous organisez pour vous masturber; et c'est comme ça que vous avez résolu votre problème », « tout pour l'autre, c'est proche d'une relation fusionnelle », « donc vous vous êtes fait du bien ». Cette pratique permet de relancer l'auditeur, tout en ciblant la suite de son intervention. L'animatrice laisse l'auditeur s'exprimer le temps qu'il le souhaite, ne lui coupant que très rarement la parole. Durant le récit, l'animatrice émet des signaux d'écoute: « Hum hum », « oui », « d'accord», confirmant oralement son attention.

Dans sa mission d'assistance, l'animatrice rassure l'auditeur et le conforte dans son récit. Elle va d'abord aller dans son sens: « oui, vous avez raison », « votre analyse Laurent est tout à fait juste », « oui, je comprends bien, c'est ce que je dis souvent », « c'est important ce que vous dîtes ». Mais elle peut aussi reformuler les propos de l'auditeur, lui explicitant son histoire avec l'intention de lui ouvrir les yeux : « Christophe, on s'imagine bien qu'il y a de l'affection. Mais en même temps, on voit que sexuellement c'est terminé depuis longtemps », « vous êtes perdu, je pense qu'il est important que vous fassiez la part des choses », « en même temps, votre relation est conjuguée au passé ». Enfin, l'animatrice peut donner de l'espoir à l'auditeur: « mais ça va marcher un jour, c'est tout ce que je vous souhaite », «je pense que vous avez droit d'être heureux », « Michel, en continuant à vivre, vous continuez à faire vivre cet amour », « moi j 'ai quand même l'impression que c'est pas très grave ce qui vous arrive» ; voire éprouver de la compassion pour lui: « bien sûr je vous comprends », « moij'aime ce témoignage car il montre bien ce que l'on vit dans ce genre de situation », « attendez, c'est terrible ce que vous me racontez ». L'animatrice, par ces différentes attitudes, établit une relation de proximité avec l'auditeur afin que ce dernier se

sente en sécurité. Le rôle principal de Brigitte Lahaie est d'être à l'écoute des auditeurs en créant un espace favorable à la confidence.

? L'implication personnelle de l'animatrice

«Lahaie, l'amour et vous» ne se résume pas au seul dispositif de l'émission. Brigitte Lahaie elle-même est un élément fondamental à la réussite de l'émission. Son expérience passée dans les films X lui confère une certaine crédibilité auprès de son auditoire; sa personnalité attachante contribue à facilité la relation établie dans le cadre médiatique. La particularité de cette émission réside dans l'implication personnelle de l'animatrice. En effet, les auditeurs ne viennent pas sur l'antenne pour avoir un simple conseil, ils veulent un conseil délivré par Brigitte Lahaie.

L'animatrice entretient avec les auditeurs une relation privilégiée, n'hésitant pas à se dévoiler elle-même: «Des fois, on rencontre des hommes qui nous emporte nt au delà du raisonnable », «moi je dis souvent que j 'ai besoin d'oxygène, quand j 'ai des personnes autour de moi ». Cette pratique l'humanise, son statut de personne publique s'estompe pour dévoiler sa position d'être sensible, ayant elle-même déjà été confrontée à des situations similaires.

De manière plus distante, l'animatrice n'hésite pas à donner ses impressions personnelles. Ces dernières peuvent être positives : «moi je pense que vous avez acquis un grand contrôle de vous même », «je crois que vous vivez une belle relation d'amour », ou plus critique: «cette relation vous fait du mal », « moi je crois Olivier que vous avez tous les deux certaines inhibitions ». Elle n'hésite pas à être franche avec les audite urs, restant toutefois modeste sur la valeur de son jugement: «je ne pense pas que c'est mort. Je pense que la réalité est là. (É) Après je ne connais pas ses sentiments », «Marc, on ne peut jamais dire qu'elle ne reviendra jamais. Je ne suis pas devin ». Les remarques faites aux auditeurs dans ce cadre ne s'appuient que sur sa propre expérience. L'animatrice ne fait pas appel à des

connaissances scientifiques ou des procédés psychologique. L'animatrice s'implique pleinement dans la relation interactive.


· Du conseil à la pédagogie

En tant qu'émission service, l'animatrice assure à l'auditeur une écoute, lui permettant de se libérer de ses problèmes. Toutefois, à chaque témoignage, elle lui délivre un conseil. Ici, l'invité de l'émission peut venir compléter les propos de Brigitte Lahaie. Ce dernier est soit sollicité par l'animatrice: «Déjà Irène Monty, c'est pas facile de tomber amoureux de quelqu'un qui est déjà en couple », soit il décide de prendre la parole après la réponse de Brigitte Lahaie.

Après avoir écouté et interrogé l'auditeur, Brigitte Lahaie apporte une réponse personnalisée à ce dernier. Le conseil peut prendre différentes formes. Il peut s'agir d'un conseil d'ordre général: «il ne faut pas vous sentir coupable» ou d'une suggestion de marche à suivre pour améliorer la situation: « prenez de la distance », «moi je crois qu'il faut que vous soyez plus ferme », «on ne peut que vous conseiller de le quitter ». Mais l'animatrice peut aussi adopter une attitude plus directive: «Brigitte, vous devez être dans votre position de femme, de maîtresse du foyer, et ne pas envenimer les choses », «je crois qu'il faut vraiment que vous la mettiez face à ses responsabilités ». Les conseils délivrés peuvent aussi être de l'ordre du pratique : « il faudrait repartir en faisant l'amour, mais en lui donnant du plaisir à elle. Vous allez lui demander ce qu'elle aime », «la prochaine fois, vous attendez que l'érection vienne, mais vous ne la pénétrez pas ».

L'animatrice fait aussi preuve de pédagogie dans le soutien qu'elle apporte aux auditeurs : «Sylvie, ce qu'il faut que vous compreniez, c'est que vous n'avez pas à céder », «ce qu'il faut faire c'est ne plus du tout voir cette personne », «ce qu'il faut c'est que vous arriviez à vous séparer de temps en temps », «vous avez deux possibilités pour vous soigner ». Ce rôle pédagogique est accentué par une rubrique de l'émission dite «Love conseil ». Ce dernier peut être délivré par une personne du corps médical. Dans ce cas,

l'animatrice diffuse l'interview réalisée plus tôt avec un professionnel sur une thématique précise comme par exemple la prostate. Sinon, c'est l'animatrice elle-même qui apporte des conseils sur un thème précis comme par exemple « comment faire une bonne fellation?» Le «Love conseil » permet à l'animatrice d'aborder certains sujets d'ordres généraux qui ne sont pas évoqués à l'antenne. Enfin, pour les auditeurs qui ont besoin d'informations précises, l'animatrice conseille des ouvrages pouvant les aider et les informant plus précisément. Ceci dispense l'animatrice de fournir une réponse à l'auditeur.

L'animatrice, même si elle demeure maîtresse du dispositif interactif, assure sa mission de soutien et d'assistance aux auditeurs de la station. Toutefois, ces derniers sont-ils satisfaits de cette médiation?

+ Le statut de l'auditeur

Comme pour les émissions précédentes, nous n'allons offrir qu'un aperçu du statut de l'auditeur dans la relation interactive. Avant de se concentrer sur le contenu énonciatif, nous souhaitons fournir une analyse globale des interventions des auditeurs dans l'émission «Lahaie, l'amour et vous ».

Figure 6: "Lahaie, l'amour et vous" du 11 février 2008 Durée de l'émission: 1 h 44

Temps total des interventions des auditeurs: 1 h 01

En un seul coup d'oeil, ce schéma permet de distinguer l'utilisation à outrance du dispositif interactif. Pas moins d'une douzaine d'auditeurs interviennent chaque jour sur l'antenne de «Lahaie, l'amour et vous ». Ceci est la conséquence directe de la politique éditoriale de RMC -Info. En effet, se revendiquant radio talk, l'antenne est submergée par la parole des anonymes. La majorité des émissions de la station sont tenues de diffuser les opinions, suggestions et questions des auditeurs . Toutefois, malgré le nombre important d'interventions, au sein de l'émission de Brigitte Lahaie, les auditeurs semblent pouvoir s'exprimer librement et sans être pressés. Sans pour autant dire que les auditeurs peuvent rester à l'antenne le temps qu'ils souhaitent, nous avons constaté, lors de l'écoute des émissions de notre corpus, que les auditeurs ont le temps de s'exprimer et d'interagir avec l'animatrice. La plupart du temps, un droit de suite est possible. En fait, l'animatrice adapte la

durée d'int ervention de l'auditeur en fonction de sa nature. En ce sens, un témoignage durera moins longtemps qu'un auditeur venu chercher des réponses à un problème. Ceci nous permet d'expliquer les écarts importants dans les durées d'interventions des auditeurs, allant de 39 secondes à 7 minutes 43. Nous souhaitons toutefois remarquer que les interventions ont tendance à durer moins longtemps en fin d'émission. Face à ces paradoxes, nous pouvons nous questionner: le dispositif nous donne-t-il l'illusion d'une parole libérée de toute contrainte temporelle? Une recherche plus approfondie dans les locaux de la station nous permettrait de compléter nos premières observations.

Ce graphique nous montre qu'autant d'hommes que de femmes prennent la parole, dans l'émission de Brigitte Lahaie. Nous pouvons toutefois constater qu'en terme de durée, les hommes sont plus présents. Ont -ils un besoin plus important de s'exprimer ? Précisons que l'émission est écoutée à 70 % par des hommes.123 Il est donc compréhensible que ces derniers occupent une place plus importante à l'antenne.

Notre étude de contenu a fait émerger deux grands axes de réflexions quant à la nature des propos tenus à l'antenne par les auditeurs.

? Une parole de témoignage

Une partie des interventions des auditeurs se compose de témoignages. Souhaitant partager leur expérience, les auditeurs passent à l'antenne pour se confesser: «avec mon mari, nous vivons une relation fusionnelle depuis 10 ans; on ne fait qu'un », «alors moij 'ai une histoire d'amour à raconter. Ça c'est passé en Inde dans un monastère. (É) Et il s'est mis à me peloter, il voulait tout vérifier le côté anatomique de la femme ». La nature exhibitionniste de certains propos n'est pas à négliger. Ne s'agissant pas de la majorité des interventions, nous ne pouvons pas généraliser ce phénomène à toute l'émission.

123 Libération n 8219, 10 octobre 2007

En plus des interventions classiques, Brigitte Lahaie a mis en place une série de rendez-vous quotidiens, incitant les auditeurs à prendre la parole. «La coquine du jour» passe à l'antenne pour raconter une expérience intime peu commune, un fantasme, ou une pratique sexuelle particulière. «La testeuse du jour» a été quelques jours auparavant sélectionnée au standard pour essayer un jouet sexuel. Cette dernière décrit l'objet, ses fonctions, et les sensations qu'il procure. A la fin de sa présentation, l'auditrice évalue le jouet par une note. «Le quitte ou double» est un dispositif particulier. L'auditeur fait le choix de laisser l'animatrice décider de la marche à suivre dans sa vie intime. L'auditeur apporte son témoignage, l'animatrice décide ensuite si l'auditeur doit poursuivre sa relation amoureuse ou s'il doit la stopper. Ces rendez-vous contribuent à « spectaculariser» la parole des individus. En effet, les auditeurs entr ent dans un dispositif ayant pour but de les valoriser dans leur statut d'anonyme. Conscient du contrat de communication qu'il lui est imposé l'auditeur devient, durant quelques minutes, le héros de l'émission. Toutefois, ces rendez-vous sont un moyen pour le média de stimuler les appels des auditeurs.


· Un auditeur dans le besoin

La majorité des auditeurs intervenant dans l'émission de Brigitte Lahaie sont à la recherche d'une assistance psychologique ou d'un conseil. Toutes sortes de problèmes sont exposés à l'animatrice. Par exemple, il y a les problèmes physiques : « çafait deux ans que je suis atteinte de vaginisme et j'aimerais savoir comment je pourrais résoudre ce problème », les déceptions amoureuses: «tout à fait, je vis actuellement une rupture très difficile. (É) C'est une personne troublée, j'ai tout fait pour elle », etc. Dans tous les cas, nous rentrons dans le domaine de l'intimité: « Donc en fait, moi j'appelle pour avoir quelques précisions sur moi-même ». Certains auditeurs considèrent que seule l'animatrice peut leur assurer un dénouement positif: «ma situation est cauchemardesque. (É) Je me demande comment je dois agir », s'en remettant à son seul avis. Les auditeurs, souvent fidèles de l'émission, ont confiance dans le jugement de l'animatrice.

Pour parer à ce grand besoin d'assistance psychologique, l'émission a mis en place un service d'assistance téléphonique, directement accessible depuis le standard, mettant l'auditeur en relation avec un psychothérapeute.

Pour conclure sur cette émission, nous souhaiterions citer Meyer, qui malgré sa vision très critique des émissions interactives, accorde une certaine crédibilité à « Lahaie, l'amour et vous»: «Radio marchandise. Oui, on y est bien, et plus que jamais. Mais peut-on nier qu'il s'agisse d'une réelle écoute humaine, voire celle d'une authentique assistance à des êtres qui, sans être au dernier stade de la détresse, n 'en sont pas moins en manque d'humanité? (É) Certains après-midi, dans un style inimitable, mais un zeste plus crue que ses consoeurs, elle offre une qualité d'écoute et de présence surprenante »124 . L'émission de Brigitte Lahaie a su trouver un équilibre dans sa formule afin d'apporter un réel soutien aux auditeurs lors de leur passage à l'antenne. Il ne faut toutefois pas négliger les motivations économiques de la station. Mais Brigitte Lahaie, loin de l'agitation ambiante de la radio, semble se démarquer du reste de la station en établissant une proximité familière avec les auditeurs : « j'aime ce que je fais et je me sens libre. Je fais du bien, les auditeurs me le disent ou me l'écrivent. Cela me réchauffe le coeur. (É) En fait, j'accouche les âmes. »125

124MEYER Michel, op.cit. p203 125 Télérama nO 2979

B. Des dispositifs interactifs aux différentes vertus

La diversité de notre corpus d'émissions service : «Service public» sur France Inter, « Ça peut vous arriver» sur RTL, et « Lahaie, l'amour et vous» sur RMC-Info, nous offre un panel d'observation hétérogène. Afin de mettre au jour de grandes tendances, nous allons tenter de fournir une analyse comparative des trois émissions.

Ces émissions aux thématiques différentes, mais motivées par le même désir de porter assistance à son auditoire, n'emploient pas les mêmes moyens pour arriver à leurs fins. Certains éléments du dispositif sont toutefois similaires. Par exemple, quelle que soit l'émission, l'animateur est maître du dispositif. C'est lui qui donne et reprend la parole, qui oriente, par des questions précises les propos de l'auditeur, et qui s'investit au service de celui-ci.

Malgré cela le dispositif radiophonique, tout comme le contrat de communication, sont propres à chacune de ces émissions, induisant plus ou moins la spectacularisation de la parole des anonymes. L'interactivité est certes présente dans toutes les émissions mais à des degrés différents. En effet, les radios ont deux principales possibilités pour faire intervenir les auditeurs à l'antenne; de manière directe : l'auditeur s'exprime en direct sur les ondes, et de manière indirecte: l'animatrice répercute à l'antenne le témoignage ou la question d'un auditeur, préalablement laissé par ce dernier au standard ou sur le site internet de l'émission. Le schéma ci-dessous nous donne une vision générale de la répartition des types d'intervention des trois émissions étudiées.

Figure 7 : Proportion des types d'interventions des auditeurs de trois émissions service le 11 février 2008

Ce schéma a été élaboré à partir des résultats bruts issus de notre étude de contenu. Pour chaque émission, nous sommes parties du nombre total d'intervenants avant de distinguer la voix empruntée pour accéder à l'antenne. Nous pouvons aisément distinguer les différences de traitement de la parole des auditeurs à l'antenne. Sur «Service public », les prises de parole directes des auditeurs ne représentent qu'un tiers du total des interventions. A l'inverse de « Ça peut vous arriver », l'animatrice privilégie les lectures d'e-mails et la diffusion de messages laissés au standard, lui permettant de maîtriser la parole des auditeurs. Ceci s'explique par la nature informative de l'émission, privilégiant une prise de conscience collective au traitement au cas par cas. Les interventions viennent soutenir ce qui se dit à l'antenne, en guise d'illustration. Le fait que ces dernières soient principalement indirectes permet à l'animatrice de gonfler le nombre d'interventions.

«Ça peut vous arriver» se situe en parfaite opposition. Cette émission assure à l'auditeur une prise en charge active et personnalisée. L'essentiel des interventions, à 87,5 %, sont directes. L'auditeur passe à l'antenne pour exposer son cas, et l'animateur, dans la mesure du possible, tente de résoudre son problème en direct, en contactant par téléphone les personnes incriminées. Les collaborateurs de Julien Courbet étudient en amont le «dossier » de l'auditeur, ayant ainsi toutes les clés en main pour s'assurer d'un dénouement positif. Le dispositif explique aussi cet écart de traitement. Durant deux heures, les auditeurs se succèdent à l'antenne, induisant une certaine instrumentalisation de leur parole. En effet, malgré son statut d'émission service, «Ça peut vous arriver » peut s'assimiler à un show mettant en scène la réalité.

Enfin, «Lahaie, l'amour et vous » fait intervenir autant d'auditeurs de manière directe (54,2 %) que de manière indirecte (45,8 %). Cette équité s'explique par la multiplication des outils mis à la disposition de l'auditeur pour participer à la création du contenu. En effet, l'émission de Brigitte Lahaie propose aux auditeurs un espace interactif, le chat, sur lequel les internautes dialoguent sur le thème de l'émission. Une modératrice intervient à plusieurs reprises à l'antenne afin de citer les propos tenus sur la toile. Le dispositif interactif est ici bien maîtrisé, les auditeurs ayant, en théorie, des chances égales d'intervenir à l'antenne selon la méthode qu'ils décident d'employer.

Les trois émissions service ne mettent ainsi pas les mêmes moyens en oeuvre pour établir une relation interactive avec leur auditeur. La proportion des interventions directes et indirectes dépend en grande partie de la méthode usitée pour aider l'auditeur. Si davantage d'auditeurs ont droit de citer à l'antenne de «Ça peut vous arriver », c'est par ce que cette émission décide d'agir concrètement pour la résolution de leurs problèmes. «Service public » préférant informer ces auditeurs, a plus recours aux interventions indirectes, illustrant les propos des invités experts.

Le deuxième élément que nous souhaitons mettre en avant pour cette analyse comparative réside dans le dispositif d'incitation à l'appel. Il constitue pour nous, un des éléments pouvant révéler la tendance à la spectacularisation de certaines émissions.

Figure 8 : comparatif des occurrences faisant référence à l'interactivité de trois émissions service le 11 février 2008

Lors de notre étude de contenu, nous avons jugé nécessaire de relever le nombre de fois où l'animateur fait référence à l'interactivité. En effet, cette pratique courante au sein des émissions services permet de stimuler les appels. Nous avons relevé trois grands types de procédés : les jingles, les incitations à l'appel formulées par l'animateur et les annonces des auditeurs déjà sélectionnés au standard, mais n'étant pas encore intervenus à l'antenne. Ce graphique a dû tenir compte des différentes durées des émissions afin d'équilibrer les données entre elles. Pour cela, nous avons effectué une moyenne des occurrences en nous adaptant à la durée de chacune d'entre elles. Les chiffres présents sur le graphique correspondent à la proportion de ces moyennes sur le nombre d'occurrences total de chaque émission.

L'émission qui ressort de la manière la plus flagrante de ce graphique est «Ça peut vous arriver ». Cette dernière cumule le plus grand nombre d'occurrences faisant référence à

l'interactivité, toutes catégories confondues: 73,3 % des jingles, 50 % des occurrences incitant à l'appel et 58,8 % des occurrences annonçant les futurs auditeurs. Ceci est le révélateur d'une pratique générale et omniprésente dans la réalisation de l'émission. En effet, l'animateur, Julien Courbet, profite de la moindre occasion à l'antenne pour évoquer le dispositif. Sans cesse, et à une fréquence dépassant le raisonnable, l'animateur va annoncer et re-annoncer les «dossiers» des auditeurs à venir. L'animateur tient l'auditeur écoutant en haleine, tout en créant un certain suspens. L'effet d'annonce constitue un élément majeur dans la mise en scène spectaculaire de cette émission. Les interventions des auditeurs sont utilisées pour justifier le dispositif lui-même. L'auditeur est dépossédé de son témoignage, n'étant toujours pas intervenu à l'antenne. Il est incontestable ici que l'auditeur est utilisé, voire abusé par le média pour la mise en place du show radiophonique.

«Lahaie, l'amour et vous» est plus raisonnable dans ce domaine. L'interactivité est certes évoquée durant le déroulement de l'émission, mais dans des proportions moindres que «Ça peut vous arriver ». La particularité de l'émission réside dans le fait qu'aucun jingle faisant référence à l'interactivité n'est diffusé. Ceci correspond à la couleur sonore générale de «Lahaie, l'amour et vous ». A l'opposé de «Ça peut vous arriver », l'émission de Brigitte Lahaie est épurée, privilégiant ainsi le contenu (les propos des auditeurs) au contenant. Toutefois, l'animatrice incite les auditeurs à joindre le standard afin d'intervenir à l'antenne. Les incitations à l'appel pour cette émission englobent 40,9 % des occurrences de cette catégorie. Emission d'une radio se revendiquant talk, ce pourcentage se justifie par la nature même du dispositif général de la station. Notons néanmoins que l'animatrice intègre discrètement à son discours ces éléments, lui permettant d'être moins insistante que Julien Courbet au sein de «Ça peut vous arriver ».

Enfin, «Service public », fidèle à elle-même, est l'émission faisant le moins référence à l'interactivité. Dans ce sens, cette dernière se distingue des deux autres par la nature de son dispositif, moins enclin à la «spectacularisation» de la parole des anonymes. Faisant intervenir peu d'auditeurs à l'antenne, «Service public» reste modeste en ne stimulant pas à l'excès ces derniers afin d'entrer en contact avec la station.

Pour conclure, nous souhaitons mettre en avant que l'aide apportée aux auditeurs dépend du dispositif adopté par chaque émission. «Service public» vient en aide aux auditeurs en les informant. Ces derniers ne sont pas directement pris en charge par l'émission comme c'est le cas pour les deux autres émissions. Leurs interventions, questions ou témoignages, aident à la constitution des contenus. La participation au jeu de l'interactivité permet à l'animatrice d'orienter ses propos en fonction des thèmes les plus fréquemment abordés par les auditeurs. Le contenu de l'émission est ainsi plus ou moins flexible aux attentes des auditeurs. Ce dispositif contribue à responsabiliser l'auditeur, à le faire intervenir sans pour autant favoriser une parole spectaculaire. Mais l'auditeur demeure toutefois seul face à lui-même pour résoudre ses problèmes. « Lahaie, l'amour et vous» et « Ça peut vous arriver» ont, quant à eux, plus tendance à mettre en scène l'auditeur, contribuant à faire émerger une parole spectaculaire. La première émission conseille les auditeurs et leur apporte un soutien psychologique. La thématique générale, ainsi que les sujets abordés à l'antenne contribuent à l'évolution des moeurs. Même s'il ne s'agit pas de la première émission du genre, Brigitte Lahaie se fait l'intermédiaire de toutes les pratiques intimes, sur un ton débridé sans être vulgaire. La seconde émission met l'action concrète au centre de son dispositif. Le média prend ici en charge l'auditeur, et lui assure un suivi jusqu'à la résolution de son « dossier ». Les individus sont ici montrés dans des situations de détresse, alors que le média et Julien Courbet en particulier prennent l'apparence de sauveurs. Ultime recours des individus, l'émission utilise la misère sociale et les difficultés rencontrées par tout un chacun. Ceci contribue à mettre en avant la place du média dans la société, le rendant par conséquent indispensable à l'amélioration du quotidien des gens ordinaires.

II. Entre service et spectacle

A. L 'interactivité radiophonique: un dispositif aux nombreux bénéfices

L'omniprésence actuelle des émissions interactive dans les médias s'explique, entre autres, par les nombreux avantages qu'elles offrent. Loin d'être récents, le dispositif et les techniques permettant à l'auditeur d'intervenir en direct ont su év oluer et s'améliorer, tout en réduisant les contraintes inhérentes à ce type de programmes.

Tout d'abord, les émissions interactives offrent à une radio un dynamisme sonore. La variété des voix lutte contre une certaine monotonie de l'antenne. Les auditeurs appelant de France et de Navarre font voyager les écoutants par les accents et expressions de leur région. Puis le dialogue entre les auditeurs et l'animateur est souvent vivant et animé. Une radio doit en effet arriver à captiver son auditoire, si elle veut bénéficier de bonnes audiences. La concentration fournie en situation d'écoute est très courte, il est donc nécessaire d'attirer l'attention de l'auditeur régulièrement. Ce dernier ne doit pas s'ennuyer, l'offre radiophonique étant importante, il a vite fait de changer de station. Les programmes interactifs assurent la vitalité des échanges, tout en variant les sujets abordés au sein d'une même émission.

Puis les émissions interactives garantissent à la radio de bonnes audiences. Quelques soient leurs genres, ou leurs publics, les auditeurs sont fidèles au poste. Pour illustrer nos propos, nous évoquerons les libres antennes du soir sur les radios jeune. Dès leur apparition, le succès a été tel que ces émissions ont recueilli les meilleures audiences sur cette tranche horaire toutes radios confondues126. Ceci a incité d'autres radios à intégrer ce dispositif à leur programmation, en l'adaptant à leur auditoire. Une étude auprès des auditeurs serait nécessaire pour comprendre les raisons d'une telle attirance du public pour les émissions interactives.

126BECQUERET Nicolas, op.cit.

Ensuite, il faut signaler que les émissions interactives impliquent de faibles coûts de production. Outre l'animateur, le personnel nécessaire à la réalisation de ces émissions peut être partagé entre plusieurs émissions: réalisateurs, standardistes, techniciens, etc. Ceci permet au média de minimiser les coûts salariaux. De plus, le contenu de l'émission dépendant en partie des appels des auditeurs, la préparation du direct est minimisée: pas besoin d'envoyer des journalistes sur le terrain ou de réaliser des reportages. Par ailleurs, de nombreuses émissions interactives font appel à des invités. Ces derniers sont le soutien de l'animateur pour répondre aux interrogations des auditeurs. Cette pratique permet à la radio de faire des économies, dans la mesure où il n'est plus nécessaire d'embaucher des spécialistes. Les invités, se déplaçant à leurs frais, assurent l'émission sans rémunération. Toutefois ces derniers ont souvent une actualité (articles, livres, documentaires, etc.) dont ils doivent faire la promotion. Cet élément nous fait nous questionner sur le danger d'une telle pratique. Est -ce que les thématiques des émissions interactives sont choisies en fonction des attentes des auditeurs, ou ne son t-elles que le résultat d'une démarche commerciale?

Au-delà des faibles coûts de production, les émissions interactives peuvent rapporter de l'argent aux radios. Premièrement, l'audience importante de ces programmes permet à la radio de vendre plus cher ses espaces publicitaires. Deuxièmement, certaines radios ne sont accessibles que via des numéros surtaxés. Les auditeurs appelants payent donc un tarif élevé dans le but d'accéder à l'antenne. L'envoi de SMS peut aussi être surtaxé. Compte tenu du grand nombre d'appels et d'envois de SMS, les radios ont trouvé ici un mode de financement complémentaire pour rentabiliser leur activité.

Nous pouvons à ce stade nous questionner sur les devoirs et les responsabilités d'un média, quant à la qualité du contenu diffusée à l'antenne. Filons la métaphore, les émissions interactives ne sont-elles pas à la radio ce que les compagnies low cost (bas coût) sont aux opérateurs aériens ? Peut-on parler de radios low cost? Dans la mesure où les émissions interactives sont de plus en plus présentes sur la bande FM, les radios ne cherchent-elles pas à baisser un maximum leurs coûts de production? Au sein des émissions interactives, les auditeurs interviennent, donnent leur opinion, voire leur analyse de la situation. Même si certains d'entre eux peuvent être de fins connaisseurs, la plupart du temps, il s'agit d'anonymes s'étant forgé un avis en fonction de leurs expériences personnelles. Leurs

raisonnements ne sont nullement le résultat d'une analyse objective issue de recherches confrontant différentes sources. Aucune méthodologie particulière n'est utilisée pour justifier les observations avancées. Les opposants aux émissions interactives dénoncent l'ampleur de la place donnée à la parole des anonymes. Pour eux, la radio deviendrait une sorte de porte- parole d'une opinion publique fictive. En effet, les émissions interactives n'établissent pas un panel des auditeurs intervenant à l'antenne, ne leur permettant pas d'être représentatives. Une des craintes inhérentes à la multiplication des émissions interactives réside dans la peur de la disparition du journaliste. En effet, les auditeurs sont considérés comme des acteurs de la vie ordinaire, conférant à leur parole une certaine authenticité. Mais est-ce pour cette raison qu'ils peuvent devenir meilleurs éditorialistes que les professionnels, allant jusqu'à les faire disparaître? Nous répondrons par la négative à cette interrogation. Toutefois, la parole des anonymes, occupant de plus en plus de place dans le champ médiatique, restreint le temps de parole des professionnels. Ces derniers doivent s'adapter, redéfinissant leur place dans le média. Afin de conserver une certaine qualité du contenu diffusé, les radios doivent être vigilantes quant à un certain excès du don de la parole. La politique du bas coût a tendance à favoriser le populisme au détriment d'une information fiable et de qualité.

Les émissions service apportent des avantages complémentaires aux stations, tout d'abord de par leur nature. Le principe de venir en aide ou en soutien à quelqu'un est très noble et populaire. Qui aujourd'hui n'a pas besoin d'un coup de pouce pour résoudre un problème? La proposition est très attrayante au sein d'une société de plus en plus tournée vers l'individualisme. Le soutien apporté est «gratuit» pour les personnes. En effet, à l'exception de la prise de contact qui peut être facturée indirectement (surtaxes téléphoniques), le média radiophonique offre ses services aux auditeurs. Il faut toutefois prendre garde à ne pas exagérer la nature altruiste des médias.

Les médias occupent une place incontestable dans notre société contemporaine. Avec les émissions services, les radios élargissent leur champ d'action, se mettant à la disposition du public. Jusqu'alors la radio et les médias occidentaux en général avaient comme rôle principal et traditionnel d'informer les individus. D'autres fonctions annexes comme le divertissement, l'éducation, la création du lien social ne doivent pas être oubliées. Aujourd'hui, avec l'affirmation des émissions service, le média radiophonique pénètre dans le

quotidien des auditeurs, les guidant, ou les prenant directement en charge. Par ce biais, la radio ne cherche -t-elle pas à se rendre indispensable au sein de la société, préférant le statut d'actrice à celui d'outil?

Les émissions service assurent aussi une proximité avec le public, étant à son écoute et à son service. Le ton des émissions est la plupart du temps convivial, amical voire chaleureux. Le rapport positif avec les (quelques) auditeurs intervenant à l'antenne permet au média d'entrer en relation avec son public. En séduisant son public par l'établissement d'une relation privilégiée, la radio veille à fidéliser l'écoute.

Enfin, sa mission d'assistance confère à la radio une certaine notoriété, qui lui garantit par conséquent à un certain engouement du public. Ce dernier est pris à témoin pour attester de l'efficacité apparente de ce type de dispositif, révélant de manière directe l'utilité du média dans la société.

Derrière l'engagement pris auprès des auditeurs, les médias bénéficient des nombreuses retombées positives propres à ces programmes, tant en terme économique que d'image. La nature noble de leur engagement permet de dissimuler certaines réalités. Le public en a-t-il conscie nce ? En ce sens, les auditeurs ne sont -ils pas instrumentalisés par le média radiophonique ?

B. Sphère privée /sphère publique : la rupture médiatique

Les émissions interactives, de par leur dispositif qui intégre la parole d'anonymes dans leur contenu, ont fait entrer la sphère privée au sein de l'espace public. Ce glissement impulsé par la radio, et repris à la télévision, a été à l'origine de nombreuses polémiques.

Dès l'arrivée de Menie Grégoire sur les ondes de RTL, les premières critiques se font entendre. En 1968, l'émission de Menie Grégoire et celle de Françoise Dolto sur Europe 1 furent attaquées par l'Ordre des médecins dans Le Figaro dans un article les qualifiants de «radios strip-tease ». La direction de RTL a subi des pressions afin que soient interdites les «consultations radiophoniques ». Ce sont les auditeurs qui vinrent au secours de l'émission en répondant massivement par courrier à l'appel à mobilisation d'un médecin favorable à l'animatrice. Mais les hostilités ne s'arrêtèrent pas là, comme le raconte Cardon: « en décembre 1976, ensuite, Menie Grégoire fut violemment prise à partie lors d'une émission de télévision, «L'homme en question », que FR3 [devenu France 3] lui avait consacrée à une heure de grande écoute. Soumise à un long interrogatoire, l'animatrice ne put contenir ses larmes devant son public et ses accusateurs (le journaliste du « Nouvel Observateur », Guy Sitbon, et la psychanalyste, Ginette Michaud). Dans un climat de tension peu fréquent dans un débat télévisé, l'animatrice fut tour à tour sommée de s'expliquer sur: 1) son appartenance à la «bourgeoisie », qui rendait suspect le «maternage » du « public populaire »,
· 2) son statut de « vedette », qui lui interdisait de partager l'expérience des personnes ordinaires qu'elle convoquait dans son émission ,
· 3) l'imposture du recours à la référence psychanalytique (interventionnisme directif, caractère incontrôlé de ses «analyses expresses », etc.),
· 4) l'inconséquence thérapeutique de sa médiation, qui risquait de produire des effets névrotiques,
· 5) enfin, le fait que le type de relation qu'elle entretenait avec les auditeurs contribuait tacitement à la dissimulation des rapports sociaux et à leur

»127

reproduction. Ce récit nous montre bien l'indignation de certaines hautes sphères de la

société face à un nouveau phénomène. Plébiscitée par un public qui a grand besoin de sortir du silence, Menie Grégoire fut le bouc émissaire de tous les maux potentiels que pouvaient engendrer la rupture entre la sphère privée et la sphère publique.

127CARDON Dominique, op. cit.

Aujourd'hui, même si certaines critiques persistent, nous pouvons constater que ce phénomène s'est affirmé et continue d'évoluer dans la société contemporaine. Les médias (principalement la télévision, la radio) intègrent à leurs programmes de nombreuses émissions s'immisçant dans la vie privée des anonymes. En effet, la banalisation de l'intrusion des médias dans la sphère privée est partie intégrante d'un mode radiophonique en pleine expansion. Peu à peu les émissions interactives grignotent les moindres recoins du domaine privé. Les émissions service, par l'ampleur des thématiques abordées, en sont l'illustration.

Les émissions service souhaitent aider les anonymes dans tous les domaines de leur vie quotidienne. La radio apparaît a insi comme l'interlocuteur privilégié des individus, en se positionnant de manière valorisante. «Ça peut vous arriver» sur RTL utilise à outrance ce dispositif, se mettant au service des auditeurs vivant des situations sinon complexes du moins spectaculaires. La mise en scène dans cette émission est un élément primordial. L'animateur, figure centrale du dispositif, s'introduit dans la vie privée d'un individu victime d'un abus. Plus qu'un médiateur, il devient acteur du quotidien d'un auditeur, prenant la parole à sa place tout en lui dictant la marche à suivre. La proximité établie entre les deux parties n'est qu'illusion. En effet, l'échange engagé à l'antenne entre l'animateur et l'auditeur est convivial, décontracté voire amical. Mais une fois les micros coupés, l'auditeur retourne dans la solitude de son quotidien. La radio, loin de vouloir établir une relation durable, s'insère dans la vie privée pour créer un contenu médiatique mettant en scène la réalité. Le cas d'un auditeur devient une histoire à suspense, où la victime prend le rôle de héros de sa propre vie. Le nombre élevé d'appelants est la preuve que ce dispositif est très convoité par le public.

Les auditeurs sont en effet très nombreux à vouloir participer à ces émissions, leurs motivations ne pouvant se résumer au seul besoin d'assistance. Dans ce sens, les individus sont animés par un besoin de sortir de leur statut d'homme ou de femme ordinaire pour être propulsé au sein de l'espace public. Pour Ehrenberg, prendre la parole au sein d'un média à titre privé est un moyen pour l'anonyme d'accéder à une dignité humaine via une marque de reconnaissance incarnée par le passage à l'antenne. Dans ce sens, «le manque de retenue ou l'impudeur en sont peut-être la conséquence, mais non la cause, parce qu'une dose minimale de narcissisme est la condition de l'action individuelle et que cette dose implique elle-même

un minimum de reconnaissance de soi par un autre »128 , pouvant être dans notre cas, la globalité des auditeurs d'une station. Le «spectacle de la réalité », tel que le nomme cet auteur, joue sur une sensibilité collective. L'accès à l'antenne certifie l'authenticité du problème de l'auditeur, tout en amplifiant la crédibilité de ce dernier.

L'émission qui incite l'auditeur à dévoiler les aspects les plus intimes de sa personne est celle de Brigitte Lahaie sur RMC-Info. «Lahaie, l'amour et vous », de part son champ d'action: l'amour, la sexualité, et l'intime, pénètre dans l'intimité des relations amoureuses, brisant les tabous qui peuvent encore exister aujourd'hui. Les témoignages proposent un large panel de pratiques sexuelles, sous les conseils avisés de l'animatrice. En effet, même si cette dernière est à l'écoute des auditeurs, sa place dans le dispositif est bien celle qui émet un point de vue, qui donne un conseil, voire qui dispense un savoir. Pour cela, l'auditeur est tenu de se mettre «radiophoniquement» à nu. Nous pouvons nous interroger sur ce qui incite l'auditeur à franchir la frontière menant à la confession publique? Meh l, qui a analysé les émissions divans à la télévision expose les différentes motivations des individus à participer à ce type de programmes. Dans un premier temps, il vient rechercher une aide pour résoudre un problème, ou une délivrance cathartique. Puis il peut vouloir adresser un message à un proche, en se protégeant derrière un intermédiaire, incarné ici par le média. Il peut aussi à l'inverse vouloir toucher un plus large public afin de défendre une cause personnelle. Enfin, il peut espérer une certaine reconnaissance sociale, une intégration en dépit dÕun problème.129 L'intervenant espère ainsi tirer bénéfice de son passage à l'antenne. Il sacrifie sa vie privée à un dessein plus cher à ses yeux.

Nous souhaiterions conclure en mettant en avant le danger de ce type de raisonnement. En effet, les intervenants se donnent tout entier aux médias, qui spectacularise leur récit personnel. L'homme ordinaire peut avoir l'impression, parfois à juste titre, que ses souhaits ont été exaucés, même si ce n'est pas systématiquement le cas. Dans ce sens, la relation médiatique pose un problème de responsabilité au niveau sociétal. Le recours dÕun individu à un média, afin que ce dernier, à un degré d'implication plus ou moins élevé résolve son

128 EHRNBERG Alain, L'individu incertain, Paris, Calman Lévy, 1995, p 190

129MEHL Dominique, La télévision de l'intimité, Paris, Le Seuil, 1996 cite in DELEU Christophe, op. cit.

problème, ne peut pas être considéré comme un remède universel. Brigitte Lahaie ne pourra jamais remplacer une consultation suivie auprès d'un psychologue ou d'un sexologue ; Julien Courbet ne pourra dispenser le recours aux services d'un avocat, d'un huissier ou d'un Médiateur de la République. Il reste difficile de délimiter dans quelles proportions les médias sont les révélateurs et les témoins de certaines pratiques sociales ou s'ils sont acteurs, voire prescripteurs, de remèdes sociétaux. La poursuite des recherches dans ce sens, afin de comprendre la portée du média dans la société, offrirait une continuité dans la réflexion engagée.

C. Mise en scène de ces émissions et limites

Notre travail s'est attaché à définir le dispositif radiophonique tel qu'il existe au sein des émissions service. Quelles que soient les émissions, une mise en scène plus ou moins spectaculaire est instaurée. Il paraît légitime de se questionner pour savoir à quel degré la situation d'assistanat est mise en scène à l'antenne ? Les auditeurs dans le besoi n ne seraient- ils pas la «poudre à canon» de médias animées par une logique de marchandisation du spectacle?

Aucune radio n'est en mesure de reconnaître sa participation, plus ou moins grande, à faire de la relation interactive entre un animateur et ses auditeurs un spectacle médiatique de la réalité. Pourtant, cet élément constitue une des bases de ces émissions, chacune l'exploitant à sa manière. Notons ici une distinction entre les radios publiques et les radios privées. Pour Deleu, «la parole spectaculaire, c'est la singularité de la radio privé. Il en va autrement du service public. La libre parole de l'auditeur est certes également considérée comme un élément de mise en scène de l'actualité. C'est un élément de spectacle indéniable. Mais il n'est pas provoqué par un dispositif qui rechercherait le spectaculaire. Et c'est une différence fondamentale entre l'approche des radios privées et celle des radios publiques. Toute parole est spectacle, mais elle ne devient spectaculaire que dans une mise en scène, délibérément

»130

provocatrice résultant d'un dispositif de don de parole adéquat. Nos recherches

confortent cette idée. Alors que «Service public» cherche à responsabiliser l'auditeur en l'informant un maximum, « Ça peut vous arriver» montre l'auditeur comme une victime, utilisant sa détresse à des fins spectaculaires. La première émission revendique une certaine mission de service public émancipée de toute contrainte économique. Même si la publicité est peu présente sur l'antenne de France Inter, la logique d'audience n'est pas absente de l'antenne. Nous ne pouvons pas négliger que cette contrainte est de plus en plus au coeur des préoccupations des dirigeants des radios publiques. France Inter a toutefois toujours entretenu un rapport particulier avec ces auditeurs. Ainsi le service public radiophonique arrivera-t-il à préserver la parole des auditeurs?

130MEYER Michel, op.cit. p 156

Cette question prend toute son ampleur à l'heure où des changements importants sont annoncés sur le service public audiovisuel français. Nous pensons en particulier à l'annonce faite par France 2 de programmer à la rentrée 2008 une émission animée par Julien Courbet. Cette nouvelle émission souhaite conserver l'esprit de «Ça peut vous arriver» sur RTL, comme en témoigne l'animateur à travers une interview accordée au Figaro: «Mon concept correspond vraiment à l'image du service public, c'est dans ce sens que je continuerai, du lundi au jeudi, en direct, à défendre les consommateurs, à soigner les petits bobos du public, mais dans le même esprit de convivialité que celui que je pense avoir réussi à instaurer

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chaque matin sur RTL. Mais est-il possible de calquer un dispositif radiophonique pour

l'adapter au média télévisuel? Programmée entre 18 heures et 20 heures, la chaîne met beaucoup d'espoir dans cette émission. En effet, cette tranche horaire dite «d'accès à la première partie de soirée » est cruciale pour les grandes chaînes, servant de tremplin aux audiences du journal télévisé de 20 heures et aux programmes de la soirée. Les émissions service sont donc aujourd'hui convoitées pour les résultats qu'elles obtiennent en terme d'audience, tout en établissant une relation de proximité induit dans le dispositif.

Les émissions service se disent à la disposition des auditeurs pour résoudre leurs problèmes. Mais dans quelle mesure répondent-elles à leurs attentes? Les thématiques qui encadrent ces émissions sont-elles basées sur les besoins réels des auditeurs ou répondent- elles à une autre logique? Nous ne pouvons répondre précisément à ce stade de notre réflexion, mais nous avons toutefois quelques pistes de travail.

Les thématiques des émissions service qui invitent à l'antenne des experts afin de répondre aux problèmes des auditeurs sont souvent choisis en fonction de l'actualité de ceux- ci. En effet, dans l'émission «Lahaie, l'amour et vous », lorsqu'un invité est présent en studio, c'est souvent parce qu'il est en campagne promotionnelle. Il s'agit la plupart du temps de la publication d'un ouvrage en relation avec la thématique générale de l'émission de Brigitte Lahaie. A l'antenne, l'animatrice oriente les interventions des auditeurs vers des problématiques en lien avec cette publication. Même si les auditeurs ne sont pas cantonnés à

131 MAIRE Jean-Michel, « Julien Courbet : «J'en ai rêvé, France 2 l'a fait» », Le Figaro, 26 mai 2008, http://www.lefigaro.fr/culture/2008/05/26/03004 -20080526ARTFIG00478 -julien -courbet -j-en-ai-reve-france -la-fait-.php consulté en mai 08

intervenir sur ces thèmes en particulier, la séle ction effectuée au standard en tient compte. D'autres émissions cloisonnent les interventions des auditeurs au seul thème de l'émission, prédéfinis par le choix des invités. En effet, les témoignages ou questions des auditeurs sont destinés aux invités. Isabelle Giordano sur France Inter ne s'engage pas personnellement dans la réponse donnée à l'appelant; contrairement à Brigitte Lahaie. Si l'auditeur ne peut pas intervenir en fonction de ses besoins, cela ne signifie pas pour autant que l'émission ne lui vient pas en aide. Les thèmes choisis dans le cadre de l'émission n'intègrent certes pas les problèmes individuels de chaque auditeur, mais ils peuvent coller à une réalité sociétale. Par exemple, «Service Public» a mis en place un partenariat avec des associations de consommateurs. Ces dernières sont invitées lors de la parution d'un dossier spécial. Réunissant ainsi les consommateurs eux-mêmes, les thèmes choisis doivent être en continuité avec leurs problématiques. Nous pouvons toutefois nous questionner sur la véritable nature de cette démarche. En continuité avec les travaux de Bourdieu, ne sommes-nous pas en présence d'une « censure invisible » ? Les thématiques des émissions étant définies par avance, les auditeurs ne sont pas libres d'exprimer sur les sujets de leurs choix. La « censure invisible» consiste à parler de choses futiles, afin d'en cacher d'autres plus importantes. De ce fait, il

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s'exerce sur les individus une « violence symbolique », à laquelle ils sont impuissants. Enfin, « Ça peut vous arriver » traite au cas par cas les «dossiers» des auditeurs, répondant à leurs attentes individuelles. Quelques émissions spéciales sont toutefois réalisées ; l'animateur incite les auditeurs à venir exposer leurs problèmes dans le cadre d'une thématique précise. Ces trois émissions service sont le révélateur de deux logiques distinctes de prise en charge de l'auditeur. La première s'attache à proposer un cadre d'intervention, un espace clairement délimité comprenant plusieurs facettes du sujet. Les besoins des auditeurs doivent de ce fait correspondre avec la thématique de chaque émission quotidienne. Le média décide de satisfaire une masse d'individus en abordant des cas plus ou moins ordinaires. La seconde traite individuellement des besoins de l'auditeur en lui proposant un soutien personnalisé. Ici le dispositif a plus tendance à être spectaculaire, les situations des auditeurs se démarquant du cas général. Des recherches complémentaires nous permettraient de délimiter les avantages et les limites de chacun des dispositifs de soutien radiophonique.

132BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, Raisons d'agir, Paris, 1996

La deuxième piste de travail que nous souhaiterions explorer est tournée vers l'idée d'indépendance éditoriale des émissions service. En ce sens, les émissions traitant par exemple des problèmes des consommateurs, telles que celles de Julien Courbet sur RTL, ne subissent-elles pas des pressions quant aux entreprises incriminées ?s Au standard, un auditeur est-il évincé en fonction de la nature de son problème? Quel est le poids des annonceurs publicitaires de la radio dans ce genre de situation? Si une arnaque est constatée incriminant une entreprise payant des espaces publicitaires à la station, le cas de l'auditeur est-il diffusé à l'antenne. A contrario, les émissions service du service public sont -elles émancipées de toutes pressions extérieures?

Pour terminer, il est nécessaire de se questionner sur la portée et l'efficacité des émissions services. Notre début de réponse se base sur les trois émissions étudiées. Ces dernières ne nous permettent pas de tirer des conclusions globales, mais elles sont un échantillon de ce type de programme, reflétant des dispositifs radiophoniques contemporains.

L'émission «Service public» sur France Inter apporte un soutien particulier à ses auditeurs, décidant de l'informer afin de le responsabiliser dans son quotidien. Les auditeurs interviennent à l'antenne essentiellement pour apporter un témoignage. Les questions posées, même si elles se basent sur une expérience personnelle, sont d'ordre général. Aucun suivi des auditeurs n'a lieu. L'anonyme est donc seul face à ses problèmes; le média l'incitant à devenir acteur de sa propre vie.

L'émission «Lahaie, l'amour et vous» sur RMC-Info propose aux auditeurs des consultations personnalisées se basant sur une démarche cathartique. L'animatrice écoute, donne son point de vue et conseille l'auditeur dans sa vie intime. L'aide apportée par le média se situe plus dans le domaine du soutien. La nature brève de l'entretien ne permet pas à l'animatrice de s'impliquer pleinement dans la résolution du problème de l'auditeur. L'assistance proposée n'est que superficielle. Toutefois, pour parer à cette contrainte, la station a mis en place une assistance téléphonique directement accessible depuis le standard. Hors antenne, la radio poursuit sa démarche de soutien, assurant une continuité dans le dispositif.

L'émission «Ça peut vous arriver» sur RTL assure à l'auditeur une prise en charge complète de son problème jusqu'à son dénouement. En effet, l'animateur devient le porte- parole officiel de l'auditeur dépossédé, organisant à l'antenne des confrontations avec les différents acteurs de l'affaire. Etape par étape, l'émission fait intervenir un même auditeur plusieurs fois le même jour. De plus, une pratique courante de l'émission consiste à revenir sur le « dossier » d'un auditeur jusqu'à que ce dernier obtienne satisfaction. Le taux de résolution est important, même si le dispositif favorise et amplifie à outrance ce constat.

Ces quelques pistes de réflexions méritent d'être poursuivies en élargissant notre corpus d'émission, et soutenu par des entretiens auprès des animateurs et des auditeurs. Le hors-champ du dispositif nous paraît fondamental pour comprendre et analyser l'efficacité et l'utilité sociale des émissions service.

CONCLUSION

A travers la mission qu'elle s'est donnée, c'est-à-dire celle d'aider les auditeurs à résoudre leurs problèmes, la radio, par le biais des émissions service, s'immisce de plus en plus dans le quotidien des individus. La frontière qui sépare la sphère publique de la sphère privée est aujourd'hui rompue, permettant aux médias de multiplier les dispositifs de don de la parole. Diversifiant ses champs d'actions, les émissions service sont le révélateur des nouveaux rapports entretenus entre un média et son public.

Notre travail s'est attaché à définir et à analyser les émissions service, à travers un échantillon de trois émissions: « Service public » sur France Inter, « Ça peut vous arriver » sur RTL et « Lahaie, l'amour et vous ». Notre étude de contenu nous a permis de faire émerger les différents dispositifs mis en place dans ce type de programme. La première émission souhaite responsabiliser l'auditeur dans sa place de consommateur en lui donnant toutes les clés nécessaires pour qu'il agisse au meilleur de ses intérêts . Les interventions des auditeurs viennent illustrer le contenu informatif de l'émission. Ce dispositif ne favorise pas une parole spectaculaire. La deuxième émission propose à l'auditeur une prise en charge totale pour l'aider dans une situation difficile, qu'il n'est capable de résoudre seul. La plupart des cas traités concernent des arnaques subies par les auditeurs. L'animateur, assisté d'une équipe de juristes, sort de sa place de médiateur pour devenir pleinement acteur dans le dénouement de l'affaire. L'auditeur présenté comme une victime des temps modernes est utilisé pour la création d'un show radiophonique, où l'animateur tient le rôle principal. Sa parole est instrumentalisée à des fins spectaculaires. Enfin, la troisième émission propose aux auditeurs un espace d'expression et de confession pour tout ce qui concerne le domaine intime. La radio apporte son aide aux médias en lui offrant une assistance psychologique et en le conseillant dans sa vie personnelle. L'animatrice créée un climat serein et détendu permettant l'expression d'une parole « libre» dans une démarche cathartique. Il est important de signaler la nature quelque peu exhibitionniste de cette émission. Chacune à sa manière, les émissions service se mettent à l'entière disposition de l'auditeur. Mais qu'est ce que ce phénomène révèle de notre société contemporaine?

Le mémoire réalisé dans le cade du Master 2 recherche en Sciences de l'Information et de la Communication nous a permis de mettre au jour plusieurs axes de recherche, qu'il serait nécessaire de poursuivre par la réalisation d'une thèse.

Tout d'abord, nous pensons que les émissions service sont le révélateur d'un certain éloignement des personnes des institutions traditionnelles. P our résoudre ses problèmes, l'individu a aujourd'hui moins tendance à faire appel à un professionnel: médecin, avocat, association, etc. Ceci est la conséquence directe d'une banalisation des interventions des anonymes à la radio. L'auditeur confiant sait par avance quel type de moyen la radio va mettre en oeuvre. Ce dernier se donne en toute confiance aux médias, qui va profiter d'une manière ou d'une autre de sa situation. Dans ce sens, l'auditeur est-il utilisé, voire abusé? Sa parole est-elle systématiquement instrumentalisée?

L'arrivée et le développement des nouvelles technologies a permis la mise en place de nouveaux outils favorisant l'interactivité, par leur intrusion et / ou imbrication avec des formes médiatiques plus traditionnelles. Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour mettre en lumière les relations de corrélation ou de causalité, voire de concomitance qui relient les évolutions en cours et leurs accommodations par les publics.

Enfin, nous envisagerions de poursuivre nos travaux par la mise en place d'une approche comparative diachronique. En se basant sur les précurseurs des émissions service, tel que Menie Grégoire, nous ambitionnons de mettre en perspective les émissions d'hier et d'aujourd'hui pour comprendre le rôle du média radiophonique et ses conséquences au niveau sociétal.

La radio est un média ancien qui ne cesse d'évoluer avec son temps. S'adaptant avec aisance aux nouvelles technologies, la poursuite des recherches dans ce sens pourrait contribuer à mettre au jour un phénomène global au sein des médias français voire internationaux.

Dans ces conditions, il semble intéressant de s'interroger sur l'avenir de la radio, et sur la place que nous, auditeurs, avons à tenir. Pouvant participer à la création du contenu, il est de notre responsabilité d'assurer sa pérennité et la qualité de ses programmes.

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Le site cnsacré à Françoise Dolto: http://www.francoise-dolto.com (consulté en juin 08)

ANNEXES

Annexe 1 : Grille d'analyse de « Service public », sur France Inter, le 11 février 2008 ......153
Annexe 2 : Grille d'analyse de « Service public », sur France Inter, le 12 février 2008 ......161

Annexe 3 : Retranscription partielle de l'émission « Service public », sur France Inter, du 12 janvier2008 172

Annexe 4 : Grille d'analyse de « Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008 187

Annexe 5 : Vision générale de « Service public », sur France Inter....220 Annexe 6 : Répartition des auditeurs de « Service public», sur France Inter, le 11 février

2008 ........222

Annexe 7 : Vision générale de «Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008 224

Annexe 8 : Répartition des auditeurs de « Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008

226

Annexe 9 : Vision générale de «Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février 2008

228

Annexe 10 : Répartition des auditeurs de « Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février2008 230

Annexe 11 : Proportion des types d'interventions des auditeurs de trois émissions service le 11 février2008 232

Annexe 12 : Moyennes des occurrences faisant référence à l'interactivité 234

Annexe 1 : Grille d'analyse de « Service public », sur France Inter, le 11 février 2008

154

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Annexe 2 : Grille d'analyse de « Service public », sur France Inter, le 12 février 2008

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Annexe 3 : Retranscription partielle de l'émission « Service public », sur France Inter, du 12 janvier 2008

La retranscription qui suit n'est pas exhaustive. Notre travail de terrain se concentre essentiellement sur la relation interactive établie entre l'animateur et les auditeurs appelant sur l'antenne. Les propos tenus par les invités sont ici annexes. Ainsi les interventions des invités n'ont pas été relevées, quelques indications sur ces dernières sont toutefois indiquées dans un souci de compréhension.

Codification

Anim: Isabelle Giordano, l'animatrice

Journaliste : Antoine Ly

Invité 1: Nadia Million

Invité 2 : Yves Puget

Invité 3 : Alain Caparros

Nathalie : mère de famille interviewée par Antoine Ly

Le texte en italique correspond aux propos tenus à l'antenne, retranscrit dans leur totalité.

Début de l'émission: 10h04

Jingle au début de l'émission avec le nom de l'émission

L'animatrice présente la thématique de l'émission, et elle donne quelques chiffres sur le nombre de hard discounter. Puis, elle pose la problématique de l'émission : les marques distributeurs vont-elles faire mourir les marques ?

1'18

Extrait du reportage d'Antoine Ly

Nous pouvons entendre une conversation entre une cliente et le journaiste à la sortie d'un supermarché en Allemagne; son charriot est plein.

1 '34

L'animatrice désannonce l'extrait du reportage.

1 '48

Anim : vous pouvez vous exprimer, 01 45 24 7 000. Allez-vous dans des magasins hard discount? Ou achetez-vous des marques distributeurs ? Préférez-vous acheter un produit, du lait, du beurre de l'eau, ou préférez-vous acheter des marques?

Puis annonce les invités présents pour parler autour de ces questions.

Ces derniers prennent la parole chacun à leur tour. Puis s'engage un jeu de questions / réponses entre l'animatrice et les invités.

10'19

Anim: je voudrais vous faire part des questions des auditeurs, qui nous arrivent déjà nombreuses, sur cette question des Marques Distributeurs. Avant de partir en Allemagne avec Antoine Ly. Question de Joël à Brest : quelle est la différence entre les marques premiers prix ou les Marques Distributeurs. Est-ce que la qualité des ingrédients? On a déjà un petit peu répondu à Joël É

L'invité 1 apporte une réponse en se basant sur la réglementation. L'animatrice lui fait préciser ces propos.

11'22

Anim: est-il vrai nous demande Sylvie à Marseille, est-il vrai que certaines grandes marques fabriquent aussi des Marques Distributeurs pour les hypermarchés? Oui, parfois le même fabricant...

Réponse affirmative des deux invités

Puis l'animatrice poursuit en ouvrant la question au type de consommation des invités, et des consommateurs en général.

14 `46

Anim: Antoine Ly s'est donc rendu en Allemagne accompagné d'une mère de famille, maman de deux petites filles, elle fait ses courses en Allemagne, elle est prof d'all emand et elle vit à Creutzwald en Moselle. En quinze minutes en voiture elle se retrouve à Lisdorf donc de l'autre côté de la frontière. Elle s'y rend une fois par mois pour faire le plein, euh, pour remplir son chariot. Sa première motivation, on l'a comprend, c'est faire des économies. Alors écoutez bien, puisqu'en Allemagne, euh, ce n'est pas du tout comme en France. Les supermarchés sont silencieux, pas de musique, pas de promos criardes,
· ça nous change... Ca nous change de « U » aussi...

15'17 début reportage

Ambiance : bruit chariot

Nathalie: alors donc ici on est dans un magasin qui s'appelle « DM», ce qui signifie en fait Drogerie Markt, euh, dans lequel on y trouve tout ce qui est détergent, euh tous les produits d'hygiène,
· que ce soit maquillage, shampoing gel douche. Ce genre de chose. C'est pas un magasin discount, étant donné qu'il y a des produits de marque, plus, les produits propres à l'enseigne.

Je prends ma liste. Il faut déjà du shampoing pour Eric (son mari)

En fait, on prend toujours de la marque « DM», donc la marque du magasin. C'est là! Journaliste: c'est combien

Nathalie: 65 centimes, même quand on achète les produits de marque, parce qu'il y a certains produits qu'on achète néanmoins la marque. On est assez surpris de voir la différence de prix, pour vraiment exactement le même produit.

Du shampoing « Heads & shoulders », ça je m 'en suis rendu compte cet été. Quand on était en vacances Donc on l'a acheté en France. On était effrayé par le prix pratiqué en France.

Apparemment le papier aluminium n'est plus au même endroit. Je vais juste aller demander où il est.

Ambiance : conversation en Allemand avec une vendeuse

Journaliste : y 'a une gosse différence entre ce magasin là et ceux en France? Nathalie : oui, là pour ce magasin là, c'est énorme la différence.

Journaliste: la différence pour...

Nathalie: ben pour le lait pour enfant. Donc on a acheté une boite une fois en France et il me semble que c'était au delà de 15 euros la boite ; pas en pharmacie en supermarché. Et en Allemagne la boite c'est je crois 8,95 (euros). Elles ont pris ça à un moment, pendant un moment. Et ensuite le DM, il a instauré en fait sa propre marque. Donc on a testé avec une boite. C'était un autre parfum, mais les filles l'ont bu, de la manière quoi, elles ont apprécié. Et donc depuis on prend; et ça c'est encore moins cher.

Ben on va aller le chercher tout de suite comme çaj'oublie pas. Làje crois c'est 4,95 (euros). Ben non même pas 4, 25 (euros). En fait, en France j'aurai une boite pour le même prix. Là j 'en ai quatre ».

Ambiance : bruit chariot et conversation en allemand.

Nathalie : j 'ai l'impression que de plus en plus de Français viennent. Y'a de plus en plus de voitures immatriculées en France sur le parking. Quand on voit les clients sortir du magasin, c'est avec un caddie bien plein.

Journaliste: c'est votre cas d'ailleurs

Nathalie : oui déjà oui, etj 'ai pas fini.

Journaliste: c'est moi qui le pousse mais je sens qu'il est bien rempli Nathalie : benje suis désolée, il faut que je continue mal gré tout.

Rire

Nathalie : par exemple, je suis enseignante. Etj'enseigne l'allemand, et euh, même les élèves qui disent qu'ils ne parlent pas allemand, qu'ils aiment l'Allemagne, mais euh, ils me disent systématiquement qu'ils viennent par exemple, acheter les Cds, les Cds vierges en Allemagne, leurs vêtements. Ils ont vraiment intégré ça aussi. Ah depuis un moment, on a l'impression qu'en France, on en a pour 80 euros, et on a rien dans le chariot. Alors que là, pour 80 euros, quand je vais faire les courses une fois par mois, donc en achetant quand même des couches, du lait, enfin ce genre de produits qui sont très très chers en France. On en a pour maximum 100 euros. Mais on en apour un mois.

Je crois qu'on afini. On va passer en caisse.

Ambiance : bruit de caisse et conversation en allemand.

Jingle : Service public, 01 45 24 7 000

19 '00

Anim : un chariot bien rempli en Allemagne, 80 euros, contre 100 euros en France. Comment appliquer le système allemand en France ? Est -ce possible?

Interpelle les deux invités : « est-ce que vous avez un début de réponse»

L'invité 2 donne sa réponse, il cite quelques chiffres. Pour lui la comparaison est difficile. Il fournit une analyse développée en trois points. (Réponse assez sérieuse)

Anim : Merci pour cet éclairage

Puis elle annonce la discussion avec le troisième invité au téléphone. 21'27 : musique

24'44

L'animatrice désannonce la musique, puis elle annonce l'interview téléphonique en reformulant le thème de l'émission.

L'invité 3 réagit aux propos tenus précédemment à l`antenne.

Anim: (coupe la parole) est-ce que ça veut dire que vous êtes d'accord avec l'opinion d'un auditeur, je vous la cite très rapidement, c'est très court. Didier nous envoie un mail depuis Montpellier pour nous dire : pourquoi est-ce que les mêmes produits sont 30 % moins chers en Allemagne qu'en France. Et bien la vraie raison, c'est que les grandes enseignes se sont fait voter des lois qui anéantissent la concurrence et leur garantissent des marges arrière. Le consommateur français est une vache à lait ? C'est votre discours ou pas ?

Invité 3 corrobore les propos de l'auditeur. L'animatrice poursuit ensuite l'interview.

35'35

Anim: et la discussion continue avec nos auditeurs qui veulent absolument réagir à tout ce qui s'est dit. Euh, voilà débat qui se continue, qui continue pardon, avec Frederik. Bonjour Frederik

Frederik: oui bonjour à tous

Anim : je vous écoute, je crois que vous patientez depuis un petit moment et vous vouliez absolument réagir en comparant, encore là justement la France et l'Allemagne.

Frederik: oui, enfin bon, moi je, je n 'ai pas la possibilité de faire mes courses en Allemagne. Mais j'ai la chance dans ma petite ville d'avoir à ma disposition un discounter allemand, euh, avec un « Super U». Donc ça tombe bien, puisque sur le plateau vous avez un représentant « Super U».

Anim : on l'a entendu, oui.

Invité 2 : oui, oui

Anim : donc vous comparez « Super U » et « Aldi » pour ne pas le citer.

Frederik:comparer, euh, on se pose la question de savoir pourquoi y 'a autant de différence de prix, euh moi il me semble, c'est très simple à partir du moment où l'on considère que les produits, la qualité des produits de hard discounter est parfaite. Car, moi j'insiste beaucoup là dessus. Je pense que la qualité de ces produits là est parfaite. Euh, il me semble que la différence de prix va se situer plutôt d'un côté du culturel, ou du structurel. Euh, quand par exemple chez un discounter, vous voyez que les palettes sont posées au milieu du magasin,
· quand tout le monde tourne autour. Que c'est souvent un très très, un agencement très sobre, voire même spartiate. Y'a pas de musique effectivement, euh quasiment pas de marketing à part, euh, peut être les gratuits dans les boites aux lettres. Mais il n'y a pas de spots de pubs à la télévision.

Anim : humm

Frederik: que vous avez deux employés dans un magasin, ils font absolument tout. C'est à dire qu'il décharge le camion, ils mettent en rayon, ils sont à la caisse et qui ferment les portes. Euh, on a vite fait le tour, et on sait pourquoi les produits sont moins chers.

37'24

Anim: merci beaucoup Frederik. Je poursuis avec ce que vous nous dites Frederik. Euh, je poursuis avec les réflexions de quelques auditeurs qui se demandent si finalement vous n'arrivez pas à vendre moins cher. Je me tourne vers vous, Nadia Million pour Système « U». Est-ce que ce n'est pas en rognant un peu le salaire des caissières, des ouvriers, le salaire des employés,
· ou sur peut être une moindre reconsidération de l'écologie et de l'environnement. C'est une question qui revient au standard.

37'47

L'invité 1 va aller dans le sens de l'animatrice. Elle insiste sur le fait qu'il n'est pas possible de comparer un supermarché et un hard discounter. Elle finit sur le fait que U a aussi des premiers prix et des produits biologiques.

39'13

Anim : autre question de Jean-Pierre à Lille. Bonjour Jean-Pierre.

Jean-Pierre:bonjour.

Anim :je vous écoute. Vous aviez une question ou une observation peut être à faire.

Jean-Pierre: oui une observation. Moi je suis fabricant pour la grande distribution de, de, de MDD, en autre...

Anim : ah, ça nous intéresse. Humm, humm

Jean-Pierre: oui ce que je veux dire, c'est que d'abord que la MDD a des conséquences directes sur l'emploi.

Anim : humm, humm

Jean-Pierre : je m'explique, euh dans le contrat que je signe avec la grande distribution, à partir du moment où y a MDD, Marque De Distributeur, on le marque noir sur blanc qu'on a plus besoin de la force commerciale. Donc il est clair que j 'ai besoin de moins de commerciaux quand je fais de la MDD. Donc, déjà, ça a un impact négatif sur l'emploi des commerciaux. Ça c'est une réalité. Vous pouvez interroger tous les commerces de France et de Navarre à ce sujet là. Ils ne sont pas intéressés sur les produits de Marque De Distributeur. L'autre phénomène que je me suis aperçu, c'est qu'on a un produit référent dans un rayon et le distributeur veut la même chose de sa marque. Et bien, il va donc déshabiller le produit industriel, le pousser à 4 à 5 fois moins cher que si c'était un produit marqueté. Mais par contre, quand il va le mettre dans le linéaire, il va le mettre au prix du produit de référence. C'est à dire qu'en réalité au lieu de faire un coefficient 2 par exemple

ou un et demi, il va faire un coefficient 3, 5. Donc en réalité, les marques, les marges dégagées sont encore plus fortes grâces aux MDD pour la grande distribution.

Anim (lui coupe la parole) : Nadia Million, non, vous n'avez pas l'air d'accord.

Invité 1:non, non en l'occurrence, je ne suis pas d'accord. Par ce qu'on constate un différentiel, et ça Yves Puget pourrait le dire puisque un certain nombre d'étude corrobore. On a un différentiel de prix qui est clair entre la marque nationale et la MDD. Donc c'est pas vendu au même prix et les coefficients...

Jean-Pierre : si Madame, si madame, on a augmenté Invité 1 : ah non

Jean-Pierre: on a augmenté le prix référent. Je le sais puisque je le constate avec mes propres produits, qui souvent sont dans les linéaires à côté, donc mes produits ont été augmentés. Ensuite les positionnements de MDD ont pris mon positionnement. Mais le coefficient de, j'ai bien dit, de marge, a été multiplié par 4 ou par 5. Et çaje peux le prouver par A + B. Bien sûr, je ne le ferai pas sur l'antenne, vous vous en doutez bien. Je vais pas faire fermer mon entreprise qui est une PME, pour ce genre de chose.

Anim : non mais votre explication est très convaincante. Vous pourrez peut être poursuivre le débat hors antenne. Non ? Nadia Million ...

Invité 1 : euh, absolument. En l'occurrence je n 'ai pas ce genre de relation avec mes partenaires fournisseurs...

Réponse se poursuit. L'animatrice demande si le deuxième invité a quelque chose à rajouter.

42'02

Anim: encore un témoignage d'auditeur. Là encore, il joue toujours le rôle de vigie et d'alerte. J'aime beaucoup ce petit mail qui vient de nous arriver. « J'ai devant moi, nous dit cet auditeur, deux produits que j 'ai acheté chez Leclerc. Eau de source « Eco+ », premier prix, 79 centimes d'euros, Eau de source de Montagne, repère MDD, 1 euros 19. Il s'agit de la même eau, rigoureusement la même provenant de la même source. 50 % plus cher. Dans quelle poche va la différence ? On se demande. N'est ce pas...

42'30

Anim: autre témoignage d'auditeur. Nous avons Guy ou Hélène... qui prend la parole en premier? Guy, je vous écoute

Guy: oui, euh moi je voulais juste vous rapporter mon expérience personnelle pour avoir essayer les produits qui sont de, des, des MDD si vous voulez.

Anim : humm

Guy: sur trois exemples. Vous prenez le film alimentaire ou alu de chez « Albal » et vous comparez le temps d'utilisation et le non gaspillage que vous faites avec le produit de marque par rapport, euh, au sous -produit de MDD qu'on trouve dans le commerce. Euh, vous avez le même exemple avec les eaux bleues de Canard et les eaux bleues de MDD où vous avez une consommation beaucoup plus rapide, j'allais dire une dissolution dans l'eau de ces produits là à une vitesse, euh, incroyable par rapport au produit de marque. Euh, et le troisième exemple, c'est les produits de vaisselle, tout simplement. Vous voyez, je suis très terre à terre etje ne théorise pas ces...

Anim: (coupe la parole et parle sur la voix de l'auditeur) très concret, merci et donc pour vous, vous dites que, vous dites non aux MDD...

Guy: ... au lave vaisselle, vous mettez trois gouttes d'un produit vaisselle, euh, de marque bien connu, et, vous mettez un verre de liqueur d'autres produits pour obtenir le même résultat.

Anim : humm

Guy: euh, donc en définitive, payer moins cher pour consommer plus vite donc plus. Je ne crois pas que ce soit un gain pour le consommateur. Voilà le témoignage que je voulais apporter.

44'0 1

Anim : merci beaucoup Guy, autre.

Guy : je vous en prie.

Anim: autres témoignages. Rester bien à l'écoute Guy, je pense que ca va vous intéresser. On va écouter maintenant Hélène, qui nous appelle de Jurançon. Bonjour Hélène, vous travaillez dans l'agro-alimentaire...

Hélène : oui, bonjour, je, allo, allo? Anim : oui, je vous écoute

Hélène: je voulais moi apporter mon témoignage moi sur les MDD car je les trouve terriblement séduisante, dans la mesure où..

Anim: (coupe la parole) donc pas du tout comme Guy, hein, l'avis inverse

Hélène: ben c'est à dire, je, je, je rejoins Guy en disant qu'elles sont dangereuses parce que moi je trouve qu'elles sont toujours de bonnes qualités. Puisque, ben, euh, je pense qu'elles sont fabriquées par les mêmes industriels que ceux qui fabriquent les marques. Donc peut être avec des cahiers des charges un petit peu moins compliqués et rigoureux. Mais, en tout cas, moi j 'ai rarement été déçu en temps que consommatrice par la qualité des MDD. Par contre, ce que je constate c'est que dans mon supermarché, les MDD prennent de plus en plus de place. Donc...

Anim : humm humm

Hélène: donc tout forcement, les produits de marque, les rayons des supermarchés sont pas extensibles.

44' 51

Anim: (coupe la parole) c'est ce que nous dit également une auditrice. Elle nous dit, « c'est dommage, on a quand même de moins en moins de choix, et de plus en plus de MDD et de moins en moins de marques.

Hélène : voilà, et ce que je constate c'est que pour les MDD pour une qualité qui me satisfait, benjefais en général moins cher, elles sont plus faciles à trouver et bon, on évite de chercher les prix, c'est bien référencé au niveau des yeux. Hop, on attrape son paquet de MDD et le tour est joué. Par contre ce dont j 'ai peur, moi, c'est que les MDD prennent de plus en plus

de place, que les gammes se différencient, qu'on est des MDD bas de gamme, des MDD, des hauts de marque et que ce soit au final toujours des MDD. Et que notre achat, un petit peu de facilité, d'économie dans un premier temps, nous amène finalement à nous trouver devant des supermarchés qui vont faire encore plus la loi au niveau des prix. Parce que de toute façon, tous les produits seront, euh, fabriqués par eux, enfin, sous leur contrôle économique.

Anim : humm

Hélène : par nos industriels à nous qui du coup n'auront pas plus besoin, enfin, n'auront plus le loisir de payer leurs commerciaux, leurs services de communication ou de marketing. Et qu'au final on va se retrouver, ben encore une fois avec pas de choix. Nos MDD seront redevenues aussi chères que nos marques nationales actuellement. De toute façon, y 'aura plus que çaÉ

45'57

Anim: (coupe la parole) vous posez en fait Hélène la question de l'émission, euh, est-ce que les MDD vont tuer les marques? Yves Puget, on a essayé déjà d'y répondre. Pour vous, la réponse est non. Mais quand vous écoutez Hélène, vous vous dites effectivement qu'il y a des consommateurs qui trouvent qu'y a peut être trop de place, trop d'importance donnée aux MDD. La raison c'est pas que la qualité. On a pas du tout parlé des systèmes de fidélisation, les systèmes de cartes à points, etc. Si les gens achètent des MDD, c'est aussi parce qu'ils ont des points parfois sur les cartes, euh, qu'ils ont, qu'ils obtiennent.

Invité 2 apporte une réponse courte, avec une pointe d'ironie. L'important pour lui c'est que la balance entre les deux soit bien équilibrée.

46' 58

Anim: oui, deux questions qui reviennent régulièrement au standard, y 'en a plusieurs qui vont dans ce sens. D'une part, euh des auditeurs nous disent: est-ce que les MDD ne pourraient pas, euh, être plus tournées, plus soucieuses de l'environnement, donc favoriser les produits verts, les produits bio. Et puis également, euh, beaucoup de gens se demandent

pourquoi y 'a pas le lieu de fabrication ou l'indication du fabricant sur les, sur les produits MDD.

47'18

Les deux invités formulent leurs réponses.

Discussion entre l'animatrice et des invités sur le thème de l'environnement.

48'02

Anim: question de Chantal dans le Périgord. Il paraît qu'il y a beaucoup plus de graisse et de sucre dans les produits MDD, dans les sous -marques. C'est É Chantal n'est pas la seule à poser cette question, ou à faire cette observation.

48'11

Réponse de l'invité 1 qui se justifie en disant que ces éléments sont connus, et que la marque essaie de faire des efforts.

48 '44

Animatrice annonce la musique

Jingle: « Service public sur France Inter »

52'33

Anim: avant de se quitter, je voudrai quand même vous citer un témoignage de la part de Céline, euh, maman, deux enfants à charge. C'est un témoignage qui ressemble un petit peu au portrait que l'on a pu voir en page 3 du Monde, il est encore en vente, Le Monde d'hier, un très beau portrait d'une famille qui essaie de s 'en sortir avec, euh, avec son budget. Alors

Céline nous dit: alors moi je vais maintenant chez les hard discounter, que des produits courant notamment riz, pate, gâteaux, couches, etc. Les produits sont corrects, alors pourquoi participer à l'enrichissement de grandes enseignes qui étranglent les petits producteurs. Pour le reste, je vais au marché, etje ne met plus jamais les pieds dans les supermarchés Leclerc, Champion et compagnie. Euh voilà, petit témoignage de fin.

53'10

Animatrice remercie les invités

Anim: et je conclurai peut être avec un autre message. Les auditeurs se refilent des informations. Par exemple Gilles nous dit qui se cache derrière les Marques Distributeurs. Yoplay fait les yaourts pour Leader Price et Florette fait les salades, notamment la roquette, également chez Leader Price. Donc finalement l'information passe comme ça. Elle passe par internet. On se refile les infos.

Merci et au revoir

Fin de l'émission

Annexe 4 : Grille d'analyse de « Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008

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Annexe 5 : Vision générale de « Service public », sur France Inter

Figure 9 : Service public du 11 février 2008

Annexe 6 : Répartition des auditeurs de « Service public», sur France Inter, le 11 février 2008

Figure 10 : Service public du 11 février 2008

Durée de l'émission : 54 min

Temps total des interventions des auditeurs : 8 min 44

Annexe 7 : Vision générale de « Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008

Figure 11 : « Ça peut vous arriver » du 11 février 2008

Annexe 8 : Répartition des auditeurs de « Ça peut vous arriver », sur RTL, le 11 février 2008

Figure 12: "Ca peut vous arriver du 11 février 2008

Durée de l'émission: 1 h 54

Temps total des interventions des auditeurs: 1 h 09

Annexe 9 : Vision générale de « Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février 2008

Figure 13: Lahaie, l'amour et vous du 11 février 2008

Annexe 10 : Répartition des auditeurs de « Lahaie, l'amour et vous », sur RMC-Info, le 11 février 2008

Figure 14 : « Lahaie, l'amour et vous » du 11 février 2008

Durée de l'émission: 1 h 44

Temps total des interventions des auditeurs: 1 h 01

Annexe 11 : Proportion des types d'interventions des auditeurs de trois émissions service le 11 février 2008

Figure 15: Proportion des types d'interventions des auditeurs de trois émissions service le 11 février 2008

Annexe 12 : Moyennes des occurrences faisant référence à l'interactivité

Figure 16 : Moyennes des occurrences faisant référence à l'interactivité de trois émissions service le 11 février 2008






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo