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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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III. 1. 2. Platon : le roi-philosophe ou le leadership à la dermiurgos79(*)

Pour Hannah Arendt, Platon serait le pionnier du maniement de la politique et la gouvernance de l'Etat d'après la technique des métiers. Selon la philosophie politique de Platon, en effet « la politique est une technè, un art comparable à des activités comme la médecine ou la navigation où, de même que dans la danse ou le jeu de l'acteur, le « produit » est identique à l'acte qui s'exécute.»80(*)

D'après Hannah Arendt, c'est dans le domaine du `faire' que Platon prend ses exemples pour démontrer la plausibilité de ses propos politiques : le règne du roi-philosophe est un moyen pour persuader la multitude de suivre les normes du petit nombre, ou pour établir la domination du petit nombre sur le grand nombre. De la sorte, la polis devient un corps politique fait des dogmes de la contemplation du roi-philisophe et non une mise en commun des paroles et des actions de tous : la soi-disant idée éternelle unique du philosophe domine une multitude d'hommes et instaure une doctrine de la permanence et de l'unicité du modèle du guide d'après lequel l'Etat peut être fabriqué.

Il est certain que la division entre savoir et faire, si étrangère à l'action, est une expérience quotidienne de la fabrication dont les processus se présentent en deux temps : d'abord la perception de l'image ou la forme (eidos) du produit futur, ensuite l'organisation des moyens et le début de l'exécution. C'est pourquoi Hannah Arendt affirme que la philosophie politique de Platon entend combattre la frustration triple de l'agir à plusieurs : résultats imprévisibles, processus irréversible et auteurs anonymes. C'est donc une tentative erronée de vouloir trouver un substitut à l'action dans l'espoir d'épargner au domaine des affaires humaines le hasard et l'irresponsabilité morale qui sont les marques signalétiques de la pluralité d'agents.81(*)

En conséquence de ce qui vient d'être exposé, le leader politique chez Platon se présente comme le Démiurge, du grec demiurgos, artisan : il s'agit d'échapper aux calamités de l'action en se réfugiant dans une activité où l'homme, isolé de tous, demeure maître de ses faits et gestes du début à la fin.82(*) Il y a donc un lien entre le Démiurge et le roi-philosophe. Comme le Timée le décrit, le Démiurge ou l'Artisan fabrique l'âme et le corps du monde en tenant son regard fixé sur les Formes, modèles éternels, tandis qu'il travaille un matériau préexistant. Tout comme le roi-philosophe, Gardien et incarnation du savoir, `fait' la polis à partir de la contemplation de la Forme du Bien. C'est grâce à ces Formes éternelles que le roi-philosophe arrive à diriger l'état, sur lequel il exerce le pouvoir absolu.

Il faut noter que dans l'Etat idéal de Platon, d'après la République, les gardiens auxiliaires ou les soldats, bien qu'ayant pour tâche de garantir la sécurité de l'Etat à l'extérieur, s'emploient de l'intérieur à la soumission des autres citoyens au roi-philosophe. En outre, bien que Platon évoque la structure d'une gouvernance collégiale des philosophes se consacrant à tour de rôle à la direction de l'Etat, il s'agit toujours d'un pouvoir absolu, requis pour l'homo faber, le fabricant, et les oeuvres de ses mains.83(*)

A lire Platon avec attention, on se rend compte que le roi-philosophe est le pendant politique du Démiurge, car tous deux n'agissent pas : ils `font' ou `fabriquent' la république à partir de leur contemplation qui est pour Hannah Arendt une fuite du monde des affaires humaines, de la vraie apparence entre égaux. Le roi-philosophe comme le Démiurge, Artisan de l'âme et du corps du monde, `fait' la politique dans l'exigence de l'isolement indispensable pour l'activité de l'`oeuvrer' où l'homo faber s'isole avec l'idée de l'objet futur à créer.

En concevant l'espace public à l'image d'un objet fabriqué, Platon pose comme condition qu'une maîtrise ordinaire, une expérience dans l'art politique est comparable à celle que l'on peut avoir dans tous les arts et métiers. Dans ce sens, Platon est le premier, selon Hannah Arendt, à fournir un plan de montage pour fabrication d'Etats ; il reste en outre l'inspirateur de toutes les utopies : « Dans la République, le roi-philosophe applique les idées comme l'artisan ses règles et ses mesures ; il « fait » sa cité comme le sculpteur sa statue ; et pour finir, dans l'oeuvre de Platon ces idées deviennent des lois qu'il n'y a plus qu'à mettre en pratique. »84(*)

Il est évident que le leadership platonicien oppose une fin de non recevoir à la condition humaine de pluralité, qui est la conditio sine qua non et conditio per quam de l'espace de l'apparence, celui du domaine public :

le moyen le plus simple de se protéger contre les dangers de la pluralité est la mon-archie, l'autorité d'un seul, dans ses nombreuses variétés, depuis la franche tyrannie d'un homme dressé contre tous, jusqu'au despotisme bienveillant et à ces sortes de démocratie dans lesquelles le grand nombre forme un corps collectif, le peuple étant « plusieurs en un » et se constituant en « monarque ». La solution platonicienne du roi-philosophe dont la « sagesse » résout les énigmes de l'action comme si elles étaient des problèmes de la connaissance, n'est que l'une des variétés - certainement pas la moins tyrannique- du gouvernement d'un seul. L'inconvénient de ces formes de gouvernement n'est pas qu'elles soient cruelles, ce qui bien souvent n'est pas le cas, c'est plutôt qu'elles fonctionnent trop bien.85(*)

Ce que Hannah Arendt veut affirmer par ces lignes, c'est que la répartition des trois classes ou rangs sociaux que Platon préconise dans la République instaure une tyrannie subtile sans se livrer à une violence instrumentale qui a caractérisé la tyrannie dans le monde moderne :

les tyrans, s'ils savent leur métier, peuvent fort bien se montrer « doux et bons en toute chose » [...] Mais ils ont tous en commun le bannissement des citoyens que l'on proscrit du domaine public en leur répétant de s'occuper de leurs besognes privées pendant que seul le souverain prendra soin des affaires publiques ». Certes, voilà qui [tend] à favoriser le commerce et l'industrie privée, mais les citoyens ne [voient] dans ces mesures qu'une manoeuvre pour les priver du temps nécessaire à la participation aux affaires communes. C'est des avantages immédiats de la tyrannie, des avantages évidents de stabilité, de sécurité, de productivité, qu'il faut se méfier, ne serait-ce que parce qu'ils préparent une inévitable perte de puissance, même si le désastre ne doit se produire que dans un avenir relativement éloigné.86(*)

Platon favorise le roi-philosophe qui bannit tous les autres citoyens de la gestion des affaires publiques. Cette expérience n'est possible qu'en dehors de la pluralité des hommes. On sait bien le voir avec le mythe de l'antre souterrain : « c'est ce que nous enseigne, dans la République, la parabole de la Caverne, où le philosophe, s'étant délivré des liens qui l'enchaînaient à ses compagnons, s'éloigne en parfaite « singularité » [...] car nul ne l'escorte, nul ne le suit.»87(*) Politiquement parlant, le roi-philosophe, par sa contemplation, cesse d'être parmi les hommes. Il traite les affaires humaines non pas par l'interaction et l'interlocution issues d'une polis d'égaux, mais par les règles immuables, éternelles, de l'expérience de la contemplation.

Hannah Arendt refuse toute politique gardant une affinité avec la contemplation, comme fuite du monde marquée par la pluralité humaine, telle que le veut Platon. Un des ressorts principaux de la pensée arendtienne est précisément que la pratique, praxis, ne peut guère s'appuyer sur un modèle artificialiste.88(*) D'où, il faut refuser que le roi-philosophe `fabrique' l'Etat à partir des idées qui semblent être en dehors de l'`inter-action' et de l'`inter-locution' des hommes réunis dans une polis. Celle-ci ne doit pas être fabriquée à la manière du demiurgos qui fabrique tout à partir d'un modèle éternel et immuable.

Par ailleurs, Hannah Arendt stigmatise un autre aspect du leadership platonicien : le concept de gouvernement traduisant l'idée qu'il n'y a de `vivre-ensemble' légitime et politique parmi les hommes que lorsque les uns sont chargés de commander et les autres d'obéir. A ce niveau, Platon n'est pas le seul à blâmer, car Aristote trouve aussi la nécessité qu'une communauté politique soit faite de ceux qui gouvernent et de ceux qui sont gouvernés. En substituant l'action par le gouvernement, Platon et Aristote renforcent ce changement au moyen d'une interprétation plus plausible encore en termes de faire ou de fabrication. Bien plus, Platon savait fort bien que ses analogies favorites empruntées à la vie familiale, les rapports entre maître et esclave ou entre berger et troupeau, exigeraient du souverain une vertu quasiment divine pour le distinguer de ses sujets aussi nettement que le berger se distingue des moutons ou le maître des esclaves.89(*)

En séparant les gouvernants et les gouvernés, Platon montre à suffisance que les expériences sur lesquelles repose son leadership sont aussi celles du foyer où rien ne peut se faire si le maître de la maison ne sait ce qu'il faut faire et ne donne des ordres aux esclaves qui doivent les exécuter sans savoir. Platon opère un changement révolutionnaire de la polis en appliquant à son administration les maximes communément approuvables pour un ménage bien ordonné. Ainsi se creuse un fossé sans pareil entre les deux modes de l'action, archein (commencer) et prattein (achever). Entreprendre (archein) et agir (prattein) deviennent deux activités complètement séparées : le leader devient un chef, archôn, qui n'a pas à agir, mais il gouverne ceux qui sont capables d'exécuter. Il faudrait donc, pour lui, savoir entreprendre et gouverner dans les cas les plus graves en se transformant en un opportuniste. L'agir à plusieurs est éliminé au bénéfice de l'exécution des ordres. Le guide politique c'est celui qui sait sans agir et les citoyens ceux qui agissent sans savoir. Son savoir est assimilé au commandement, à l'autorité, à l'obéissance, à l'exécution. C'est donc un leadership de domination où tous les citoyens agiraient sûrement comme un seul homme, sans une possibilité de dissension, moins encore de luttes partisanes : au moyen du gouvernement du roi-philosophe, les citoyens ne font plus qu'un.90(*)

* 79 Cette section se présente totalement comme une critique de Hannah Arendt à l'endroit de Platon. Il est question d'une lecture arendtienne de la République, du Politique et de Lois. Nous tenons à respecter l'opinion de notre auteur sur la philosophie politique de Platon.

* 80 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 233.

* 81 Idem., p. 253.

* 82 Idem., p. 247.

* 83 Platon, République, Livre II.

* 84 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 255.

* 85 Idem, p. 248.

* 86 Idem, pp. 248-249.

* 87 Idem, p. 29.

* 88 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 42.

* 89 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 255.

* 90 Idem, p. 250.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand