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Analyse anthropologique sorcellerie personnalité de base du la utte tradtionnelle chez les Fang du Woleu Ntem

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par Olivier P. NGUEMA AKWE
Université Omar Bongo - Master 1 anthropologie 2006
  

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UNIVERSITÉ OMAR BONGO
FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
DÉPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE

THEME

Analyse anthropologique du rapport sorcellerie / personnalité de base dans la lutte traditionnelle chez les Fang du Woleu-Ntem

Option : SOCIETES

Présenté par : Sous la Direction de

NGUEMA AKWE Olivier P. M. MINKO MVE Bernardin

Étudiant en quatrième année Socio ethnologue (Maître

Assistant CAMES)

Libreville, septembre 2007

SOMMAIRE

PAGES

EXERGUE 3

DEDICAS 4

REMERCIEMENTS 5

INTRODUCTION 6

Première partie : Approche théorique et méthodologique 25

Chapitre 1 : Cadre théorique 26

Chapitre 2 : L'enquête de terrain 38

Deuxième partie : Théorie explicative de la sorcellerie et du mesing. 44

Chapitre  3 : Historiographie de la sorcellerie et du  mesing . 45

Chapitre 4 : Relation ontologique sorcellerie personnalité de base. 56

Troisième partie : Le mesing en question. 70

Chapitre 5 : Le mesing  et prohibition 71

Chapitre 6 : Méthode pratique du mesing. 79

CONCLUSION 94

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 95

ANNEXES 104

? EXERGUE

« La sorcellerie est une tradition primordiale de l'humanité, car, dans la nuit des temps : Un homme hirsute, couvert des peaux de bêtes, achève sur une paroi rocheuse, la représentation d'un auraclis (...) le premier acte Magique est posé. La Sorcellerie est née. »

Julien TONDRIAU, L'occultisme, Paris, Mouton, 1964.

INTRODUCTION

« Nous n'avons donc pas de raison de supposer chez les Africains (...) quelque chose de spécifiquement différent, au point de vue logique, de ce qui se passe chez nous. Il suffit de savoir que les croyances et les expériences mystiques communes à son groupe rendent raison de ses paroles et de ses actes. Une fois donné leurs idées de la spiritualité, de la guerre, de l'anormal, de la mort, de la puissance et des maléfices des sorciers, le reste s'ensuit ».

Lucien Lévy-Bruhl, Les carnets, Paris, PUF, 1949, p.58.

Notre étude est une analyse du rapport entre la sorcellerie et « la personnalité de base » à partir de la lutte traditionnelle fang (mesing). Cette question met en jeu un double champ théorique. Celui des études portant sur les processus sorcellaires et celui des travaux dédiés au concept culturaliste de « personnalité de base ». La perspective qui résulte de la mise en convergence des deux domaines d'étude est cependant inédite. Cette recherche voudrait la fonder sur le plan de théories de la documentation et des terrains d'enquête. Certains aspects de cette question ont été abordés par un certain nombre d'auteurs, qui en ont relevé des aspects pertinents. Parmi les auteurs du premier champ théorique, nous avons particulièrement tenu compte des travaux de Margaret Mead dans Coming of Age in Samoa (1948), dans lequel elle affirme que la personnalité de base est directement liée à l'éducation familiale. De même, Ralph Linton dans Le fondement de la personnalité (1968), déclare que la culture est la base de la configuration des comportements appris et de leurs résultats.

Pour le deuxième champ théorique nous nous sommes appuyés sur les travaux de Georges Balandier dans Sociologie actuelle de l'Afrique Noir (1955), où il déclare que l'expansion coloniale a transformé l'homme fang en conquérant contrarié dans son développement des techniques de combats traditionnels. Claude Lévi-Strauss aussi, dans son étude sur Le totémisme aujourd'hui (1962), montre l'existence d'une relation mystique et spirituelle entre les Fang et l'animal ou le végétal, c'est-à-dire d'une relation entre l'homme et les autres espèces vivant dans la nature. Emile Durkheim, dans Les formes élémentaires de la vie religieuse (1968), considère qu'il existe deux conceptions de l'étude des croyances et que la religion est une pratique sociale. Enfin, Marcel Griaule, dans Dieu d'eau (1948), affirme que «l'africain est profondément religieux et mystique, tout acte de sa vie est imprégné d'une relation de spiritualité». En outre, nous avons retenu l'observation de A. Foumeau dans son oeuvre Au vieux Congo français (1932), où il affirme avoir vu, lors de son expédition en pays fang, au cours d'une lutte à mort entre deux clans rivaux, «un homme volant d'arbres en arbres sous forme d'aigle, l'autre rugissait à la ressemblance d'un fauve des mers de Chine ». Ces auteurs ont privilégié les rapports symboliques homme/nature.

Dans cette perspective, notre recherche se propose de définir l'eseneya1(*) utilisé dans la lutte traditionnelle fang (mesing), notamment dans les aspects spécifiques au sein desquels sont situés les phénomènes communément groupés sous le nom de totémisme. Pour cela, nous avons mené une enquête principalement sur les questions liées à la transformation de « la personnalité de base ». Notre enquête a eu lieu à Oyem, où elle s'est principalement focalisée sur les quartiers : Tougou-Tougou, Adzougou, Ngouema et Eyenassi du 10 au 28 mars 2006, et du 24 mars au 30 juin 2007 avec un échantillon de 37 personnes à savoir 26 hommes et 11 femmes. Nous cherchions dans cette enquête à saisir le processus par lequel l'homme devient sorcier par la transmission de l'eseneya du mesing.

Au terme de notre recherche, nous avons abouti à la conclusion que le mesing est une émanation d'une force suprême qui exprime des conceptions et des comportements liés à la culture fang dans sa tentative de dépasser le monde visible pour atteindre le monde invisible.

Il existe des phénomènes qui, en milieu social, dépassent l'entendement humain et introduisent un questionnement sur le véritable sens de l'existence. Telle se présente la question de départ hautement spirituelle relative au mesing (lutte traditionnelle fang) que nous aborderons dans ce travail. Nous précisons par ailleurs que les forces (ou la force) occultes sont généralement assimilées chez les Fang à des forces sorcellaires, donc à la sorcellerie.

En abordant le thème des forces occultes, donc de l'invisible, dans la lutte traditionnelle fang appelée mesing, nous avons voulu par là montrer que le fait sorcier (sorcellaire) est la base (ou à la base) de l'homme fang (de la formation de la personnalité de l'homme fang). En effet, avec la dynamique sociale des siècles derniers, les institutions sociales ont été et sont encore marquées par le fait religieux, par la spiritualité. Les forces occultes constitueraient, pour ainsi dire, le support de toute valeur pour asseoir sa personnalité, l'homme fang actualiserait ainsi ses valeurs culturelles à travers de telles pratiques.

Ce faisant, le Fang réinterprète sa culture, une culture constituée de valeurs spirituelles, mystiques et morales. Mais le vocabulaire lui-même impose des précautions extrêmes d'une réalité désespérément complexe et fugace, mouvante et particulièrement dynamique. Sans toutefois prétendre dégager en quelques pages et encore moins en quelques lignes une définition générale de mesing, nous essaierons simplement de rappeler quelques définitions courantes.

Le mot mesing est généralement défini comme un art martial ou un sport de combat, et le mot eseneya comme un esprit ou une entité avec lequel l'homme tisse un lien spirituel. En effet, d'après Julien Tondriant dans L'occultisme (1964), les préhistoriens sont les premiers à reconnaître l'existence d'un très ancien «Art Martial » à travers le mobilier lithique ou des dispositions des restes osseux. « Les fauves à travers leur lutte, l'homme couvert de peaux de bêtes imite les gestes pour les reproduirent : l'Art Martial est né »2(*). L'Art du latin (ars, artis) est selon le dictionnaire Micro Robert de poche (1995), une aptitude, habilité à faire quelque chose ; et Martial du latin (martialis), de mars, relatif au dieu de la guerre, caractère de ce qui manifeste des dispositions combatives, belliqueuses, guerrières.

Cependant, Il y a lieu de faire une nette distinction entre les termes Sports de Combats et Arts Martiaux. Car, d'après le dictionnaire le Robert de poche : Sport de Combat signifie activité physique pratiquée sous forme de jeux, d'exercices individuels ou collectifs en observant certaines règles. Ainsi, qui dit sport dit jeu, dit enfantillage. Or, les enfants ne font généralement pas la guerre. La guerre n'est pas un jeu et il n'y a pas d'enfants ni de règles. Le sport a des règles à suivre alors que dans la guerre, il n'existe en principe, aucune règle, aucune loi sauf celle du

plus fort. Le sport s'oppose donc à l'Art Martial définit plus haut comme étant ce qui manifeste des dispositions belliqueuses et guerrières en relation avec le dieu de la guerre. Le mesing d'après Tsira Ndong Ndoutoumou, dans Le Mvett tome 1 (1975), n'est autre chose que «La volonté pratique déterminante des méthodes de combats traditionnelles 3(*)», les Fang du Gabon figurent en tant que peuple peu stabilisé car l'expansion coloniale les a transformé en « conquérants en disponibilité 4(*)» ; un peuple dont la mobilité a développé les techniques de combat. La technique de combat du Fang primitif était la lutte ; une lutte pure et dure. Un exercice de force musculaire et de stratégie liée à une capacité spirituelle sans précédent imprégnée d'une très forte présence mystique. Le mesing consiste en effet, à terrasser l'adversaire par l'exécution des techniques de saisies, de projections, des enfourchements.

A l'origine, la lutte chez les Fang était, d'après Tsira Ndong Ndoutoumou (1975), une activité guerrière et réservée spécialement aux grands guerriers tels que : Asseng Mbane Ona, Elone Kam Afé, Engouang Ondo, Obiang Medza, Nzé Medang, Ntoutoume Mfoulou, Angone Nzok, Nguema Nsing Béré, Ondo Biyang et Medza me Mfoulou, Mais cette tradition de la lutte s'est perpétuée de générations en générations. Donc, mesing a son équivalent en français : l'art martial. Dans son livre « La voie du  » le Maître Li juon fan alias "Bruce Lee", défini l'art martial comme étant un mode de vie, une valeur morale, une philosophie cultivant réflexe et maîtrise de soi. Etant donné que l'art martial présente un caractère universel par l'existence des pratiques diversifiées notamment en Europe, avec la pratique de la lutte gréco-romaine, en Asie, avec le Sumo et en Afrique avec la lutte traditionnelle, notamment au Gabon avec le mesing chez les Fang. Notons que toutes ces différentes formes de lutte utilisent les bras pour l'exécution des techniques de combat. Dans la perception qui est la nôtre, c'est justement cette définition du mesing comme un sport de combat, que nous contestons. Pour nous, le mesing est à l'origine un art martial car il fait intervenir à la fois l'aspect mystique et spirituel, ce que ne fait pas le sport de combat.

Corpus photographiques et iconographiques

Iconographie 1 Dessin ancestral de l'arène de lutte traditionnelle fang [mesing]

Source : Jean Emile MBOT, Un siècle d'histoire du Gabon raconté par l'iconographie, Libreville, Nkoussu Productions, 1984.

Cette icône présente l'arrivée d'un des lutteurs dans l'arène. Celui-ci est accompagné de ses supporters qui visiblement chantent et dansent en battant la cadence avec des lamelles de bambou. Le lutteur (ainsi que ses accompagnateurs d'ailleurs) est torse nu et porte cache sexe. Le nsing (singulier de besing (lutteurs)) a au bras et aux mollets, des « bandeaux », un collier de dents de panthère constituant probablement ses gris-gris attaché à son cou. Un os est enfoncé dans sa narine gauche. Sa tête est recouverte d'une huppe de plumes de rapace. Enfin, une besace contenant, probablement des fétiches de lutte est accroché à son épaule gauche. Nous remarquons également la présence des chiens au milieu de ce cercle.

D'une manière générale, nous dirons que la lutte traditionnelle se passait en pleine journée et dans la cour, devant une assistance d'admirateurs qui chantant et battant la cadence, entourent les lutteurs pour renforcer la bravoure et le courage de ceux qui sont dans le cercle. La musique jouée par les autres besing a pour rôle d'accroître l'énergie mystique et spirituelle des combattants, et surtout d'éveiller les eseneya (esprits de guerre) de ceux-ci.

Le lien entre cette image et notre thème est celui de montrer la disposition de l'espace réservé à la lutte traditionnelle et surtout d'affirmer l'existence de cette pratique bien avant l'arrivée des occidentaux et asiatiques et leurs arts. Car, les habitations que nous observons sont construites en écorces d'arbres témoignant le manque de matériel industriel moderne quand bien même les gens construisent encore de la sorte aujourd'hui.

Avant de voir les aspects spécifiques du lutteur (nsing) fang, rappelons qu'étymologiquement, le verbe asing (lutter) dérive du terme asíng (haïr, détéster). Mesing (La lutte), elle, dériverait ainsi de zing (la haine). Par glissement, c'est la haine (zing ou síng) qui entraine la lutte (asing). Cette haine va donc entraîner la personne à asing (lutter), contre la personne haïe. La lutte révèle alors un caractère belliqueux dans ses origines. Mais avec les transformations sociales liées à l'évolution, le mesing connut des changements véritables, et avec le temps, est devenu un jeu, un sport de combat, d'exhibition pour les Fang.

Aspect et spécificité du lutteur

Le lutteur fang appelé Nsing est généralement un homme robuste, de grande taille, d'aspect effrayant, ayant un regard méchant ferme. Il a un accoutrement particulier du fait de la présence sur lui de certains objets spécifiques aux rôles bien précis. Un homme qui maîtrise le contact avec les ancêtres, c'est-à-dire capable de transmettre à ces derniers les doléances que présentent les villageois. Le Nsing est un homme peu bavard, souvent en retrait du reste du groupe. Il semble mener une vie solitaire malgré la présence de sa femme et de ses enfants. Sa façon d'être à l'intérieur du groupe fait de lui une personne crainte dont les voisins évitent tout contact.

Iconographie 2 : Dessin ancestral d'un lutteur fang [nsing]

Source : Jean Emille MBOT, Un siècle d'histoire du Gabon raconté par l'iconographie, Libreville, Nkoussu Productions, 1984.

Ce dessin représente un lutteur fang prêt à combattre. Il s'agit d'un homme, très grand de taille, robuste, ayant sur sa tête une de huppe de plumes d'oiseaux et vêtu d'une ceinture d'écorce, un collier de dents de panthère. Il se bouche une narine et garde enfoncé dans l'autre un bout de roseau fermé par une de ses pellicules. Autour de son bras gauche, se trouve un reliquaire sûrement le support de son pouvoir mystique « eseneya ». Ses pieds son couvert de bracelets. A son cou est suspend un os est enfoncé dans sa narine gauche. Sa tête est couverte d'une huppe de plume de rapace. Enfin, un sac contenant, probablement des fétiches de lutte est accroché à son épaule tour de cou est lié par un bracelet de dent de panthère qui traduit le fauve qu'il incarne.

A voir ce dessin, nous comprenons que la lutte traditionnelle fang mesing était, dans le temps, la panache des grands guerriers. Et pour être lutteur, c'est-à-dire nsing, et mieux encore nsing (un lutteur qui ne perd jamais son combat) il fallait remplir des conditions spécifiques telles qu'être grand et musclés, posséder l'evu5(*) qui consistera à apprivoiser l'eseneya.

Le rapport dans cette image avec notre travail se situe au niveau de la représentation du port d'un reliquaire par le lutteur. Ce qui montre la forte présence de la sorcellerie dans le mesing. En effet, le nsing a bien besoin de l'eseneya pour parfaire sa pratique guerrière qui est la lutte traditionnelle. C'est celui-ci (eseneya) qui le rendrait invincible.

L'esprit de l'homme est par essence le principe même de la vie, considéré spécialement comme le siège des énergies vitales les plus fortes et les plus actives. Dans un contexte analogique, l'esprit de Dieu est la force divine, l'agent par l'opération duquel sont attribués les nombreux et extraordinaires pouvoirs et activités humaines. D'une manière singulière, cet esprit est considéré comme convenant d'avantage aux hommes pour leur travail et leur vie. L'homme étant par excellence un être spirituel, nous apercevons également, et cela s'accorde spécialement avec notre objet, que le mot esprit est employé pour décrire le siège des émotions, véhicule de la conscience humaine, et la source de l'intelligence et de la volonté comme l'affirme Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage (1962). La spiritualité se définit comme relevant de la part immatérielle de l'homme, c'est elle qui fonde le niveau moral de la vie humaine, celui de la vie religieuse et de l'éthique du comportement.

En effet, il est généralement admis que la vie humaine se mêlant au déploiement d'autres vies est souvent portée à s'écouler d'après les courants qui la conduisent dans des voies de facilité, au niveau le plus bas, vulgaire, où la personnalité se noie et se perd dans l'informe moyen commun ; dans ce que les anthropologues et les philosophes comme Claude Rivière et Martin Heidegger ont qualifié d'existence "inauthentique". En ce que l'homme refuse l'effort pour reconnaître d'abord les difficultés objectives des conditions de la vie humaine dans le monde, avec les résistances de tous ordres qu'il rencontre sur son chemin pour se réaliser en s'élevant au plus haut de son idéal, qui ne peut être que du niveau de ce qui spécifie l'homme par rapport à toute autre créature.

Ainsi, l'eseneya ou ésenga désigne selon Philippe Laburthe Tolra (1985), l'alliance qu'un individu scelle avec toute autre conscience qui n'est pas humaine et qui constitue un double de son allié. L'eseneya est mis au service du nsing (lutteur) comme moyen d'attaque et de défense. Ils forment une seule et même personne. Pour paraphraser Ludovic Mba Ndzeng (2006), «leur intimité est si profonde que toute atteinte faite à l'animal touche nécessairement son allié humain6(*) ». Le terme eseneya recouvre donc deux relations idéalement fondées entre deux entités; une naturelle et l'autre culturelle. La série naturelle comprend d'une part, des individus et des choses. L'entité culturelle, comprend des groupes d'animaux et des personnes avec l'usage qu'ils ont des animaux. Tous ces termes désignent deux modes d'existence, individuelle et collective, car, chaque être humain peut être maître et possesseur d'un eseneya particulier

.

Tableau de classification des animaux `eseneyanique' (tableau non exhaustif)

Conception et réalisation NGUEMA Olivier

ESSENEYA FOEGNE

(Esprit annonceur de nouvelles)

ESSENEYA NSOM

(Esprit chasseur)

ESSENEYA MENSING

(Esprit de lutte)

Evubap (Papillon)

Nzé (Panthère)

Nzé (Panthère)

Otane (Chauve souris)

Mbwewbwen, (Lion)

Ndun (Aigle)

Akung (Chouette)

Nzok (Eléphan)

Nvôm (Boa)

Ngnô (Serpent)

Osen (Ecureuil)

Ngô (Silure)

Fuin (Fourmi)

Nvu (Chien)

Ngi (Gorille)

Nguén (Lulle, mille pattes)

Nduigne (Aigle)

Nguiet (Buffle)

Ndang (Rat)

Nvôm (Boa)

Nsalamedén (Mente religieuse)

Ici, il existe une classification nette et précise des eseneya. Cette classification se fait à trois niveaux. Le premier niveau ou la première classe d'eseneya est appelée : eseneya foegne, c'est-à-dire esprit «annonceur de nouvelles ». Cet eseneya va visiter la famille à laquelle il appartient, à chaque fois qu'il y a soit un invité qui arrive dans la famille, soit à chaque fois qu'une femme de la maison est enceinte, mais aussi lors d'un éventuel deuil. L'eseneya, dans cette première forme de classification, est soit un papillon qui va momentanément visiter la maison pendant un certain nombre de jours, généralement deux avant l'arrivée effective du visiteur. Cet eseneya n'est qu'au premier degré. Cet eseneya est en quelque sorte inoffensif.

La seconde forme ou classe d'eseneya est l'eseneya nsom c'est à dire «esprit de chasse » ou encore «l'esprit chasseur ». Cet eseneya est le plus souvent une panthère et est destinée à pourvoir le détenteur en gibier. Il chasse pour cette personne et en même temps, il lui sert de moyen de locomotion lors des déplacements de grande distance. Le propriétaire montera sur son eseneya qui, dans ce cas précis, est souvent la panthère, ou le lion. D'une manière générale il s'agit d'un félin. C'est l'eseneya au deuxième degré. Il peut ne pas être inoffensif.

Enfin, la dernière classe d'eseneya est celle que l'on appelle eseneya me yirane ou encore «mesing » qui veut dire  « esprit de lutte » ou fait pour la lutte, la guerre, la bagarre. C'est l'eseneya au troisième degré et c'est ce type d'eseneya qui fait l'objet de notre étude. Car il est encré dans la personne et agit en temps et au moment voulu. L'animal le plus souvent utilisé est un félin, c'est donc un eseneya agressif (offensif).

Nous devons signaler que ce tableau ne tient pas compte de la catégorie de l'eseneya mekone ou l'eseneya de la production des bien nutritionnels caractérisé par la possession des mvép (hérisson). A cela s'ajoute l'eseneya asum (esprit de jalousie), qui sert à nuire à autrui, par exemple ravager les champs par l'intermédiaire de l'okpwa (la pétrie) ; d'autres pour rendre les femmes stériles en prenant leurs menstrues. L'agent de cette dernière catégorie est  Evina ngnô le (serpent noir).

Au total, on peut retenir de tout ce qui précède que seuls certains eseneya donc certains animaux (puisqu'en fait, les eseneya de lutte ne sont pratiquement et uniquement que des animaux) sont destinés à être des eseneya. C'est ainsi qu'il n'est pas rare d'entendre citer certains animaux (toujours les mêmes, ou presque) quand on parle d'eseneya de la lutte, à savoir : nze (la panthère), pour son agilité et sa souplesse, le mbwémbem (le lion), pour sa force, ngô (le silure), pour son caractère glissant, donc difficile à attraper, Nzock (l'éléphant), pour sa force, etc.

Mais avant d'aller plus loin dans notre étude, nous allons d'abord essayer de faire une différence entre le terme totémisme et celui d'eseneya. D'après Claude Lévi-Strauss, dans la pensée sauvage (1962), les anciens ethnologues se sont laissés duper par une illusion sur le totémisme en le généralisant à tous les aspects mystiques liés à la pensée sauvage. D'après lui en effet, il ne suffit pas d'identifier avec précision chaque animal avec son mode d'existence, il faut aussi savoir quel rôle la culture céleste d'après les initiés leur attribue au sein d'un système culturel. Ainsi, le totémisme est une vieille religion antique telle que l'animisme.

Le totémisme est, selon le dictionnaire d'ethnologie, toute association entre un segment social et une espèce naturelle. Ainsi, l'animal ou le végétal associé à chaque groupe est appelé « totem » ; il fait l'objet d'un culte, d'une vénération. Le totem est considéré comme l'ancêtre du groupe d'après le dictionnaire d'ethnologie et d'anthropologie de Bonte et Izard. (2000). Claude Lévi Strauss écrit que « Le totem est d'abord une projection hors de notre univers et comme par un exorcisme, d'attitudes mentales incompatibles avec l'exigence d'une discontinuité entre l'homme et la nature que la pensée chrétienne tenait pour essentielle7(*). » En effet, par le totem, les peuples arrivent à établir la parenté qui, elle, régit le fonctionnement des sociétés dites « traditionnelles ». C'est dans cette mesure que Goldenweiser (1948) dans Socialisation des valeurs émotionnelles, affirme que « l'origine du totémisme est liée à trois phénomènes : l'organisation clanique, l'attribution aux clans de noms ou emblèmes animaux et végétaux ; et la croyance en une parenté entre le clan et son totem ». Cette définition montre que le totémisme n'est qu'une représentation fictive, immatérielle de la réalité.

Rappelons que notre étude est d'analyser le problème relatif à la force occulte donc à la sorcellerie et la personnalité de base à travers le mesing chez les Fang du Woleu-Ntem. Dans son sens étymologique, la racine du mot sorcellerie est attribuée à (sorcerie) ou à sorcier qui se rattacherait au terme sorcerius, lequel provient du latin populaire sortiarus « diseurs de sorts ». Une autre généalogie linguistique renvoie la sorcellerie aux termes anglais sorcer et sorcery dont l'origine est elle-même attribuée au basque (sergin) ou au breton (sorcer). La sorcellerie est liée au « sort » et dans son sens général « la sorcellerie est tout ce qui touche à l'intervention d'agents non naturels dans la vie humaine8(*) ». C'est à dire que toutes manifestations ou réalisations qui échappent à la conception naturelle des choses ne peuvent avoir des explications d'ordre physique.

Ainsi, la croyance occidentale affirme-t-elle que la force occulte (donc l'invisible) est différente de la magie en ce sens qu'elle n'est pas une science et c'est pourquoi d'ailleurs elle n'affecte que les populations de campagne. Les premiers anthropologues post-coloniaux ont défini la sorcellerie comme une arme ayant pour but de maîtriser ou calmer les phénomènes de la nature, de punir les déviants d'une coutume, d'une loi.

Ainsi, la définition la plus courante de la sorcellerie est celle donnée par Jean Palou qui la qualifie généralement de « magie populaire, force occulte ou invisible», rudimentaire et archaïque, en insistant sur le caractère secret, illicite et surtout effrayant des pratiques : incantations maléfiques, invocations des morts, appels aux esprits malfaisants ou autres envoûtements. « La sorcellerie est alors une imploration constante et l'aspect le plus poussé des craintes des hommes, la sorcellerie c'est signer un pacte avec le diable»9(*). En effet, la sorcellerie met en relation l'homme avec les forces surnaturelles dont il désire être maître et possesseur, pour mieux contrôler, maîtriser la nature et soulager la misère humaine qui est une constante.

Les textes antiques comme le `'Livre des morts'' et `'La cabale'' situent l'origine de la force occulte donc de la sorcellerie en 589 avant Jésus-Christ. Il semble qu'elle ait deux origines :

La première est celle faite par la transmission orale des vieilles religions antiques telles que le totémisme et l'animisme. Le totémisme qui est, selon le dictionnaire d'ethnologie, la relation existant dans une société segmentée entre un ensemble d'animaux ou plus rarement de végétaux ou de phénomènes naturels et un ensemble de groupes humains. Ainsi, l'animal ou le végétal associé à chaque groupe est appelé « totem » ; il fait l'objet d'un culte, d'une vénération. Le totem est considéré comme l'ancêtre du groupe.

L'animisme, quant à lui, est une théorie illustrée par Tylor postulant que « le premier stade de l'évolution religieuse de l'humanité consistait en la croyance que tout dans la nature possède une âme ». Ces vieilles religions ont disparu devant l'avancée du christianisme. En face de la religion dominante, célébrée en pleine lumière, notamment la journée au vu et au su de tout le monde, sans secret ni interdiction exagérée, se maintient, à travers les âges, un culte nocturne aux divinités, dit-on, vaincues par le christianisme. Il s'agit d'esprits malveillants ayant pour fonction première de détourner l'homme de la vérité céleste. Les divinités du christianisme mettent l'accent sur les dons visibles du Saint-Esprit à travers la personne de Jésus-Christ et prônent la vérité céleste accessible à tous à travers le Salut.

L'autre origine place la sorcellerie comme étant « une protestation conséquente aux pouvoirs politique; elle découlerait de la misère10(*) » car, chaque fois qu'une famille a des malheurs économiques ou sociaux elle fait appel à Dieu, Le Père créateur : « le Souverain Bien » comme l'appelait Epicure, mais les effet attendus se faisant attendre, la misère engendre alors la sorcellerie, c'est-à-dire suggère le suprême appel au Diable, puisque Dieu ne répond plus à ses créatures inquiètes. Il a ainsi été prouvé que le suprême appel au Diable, instaure une pratique de nuisance face aux personnes pour lesquelles la pratique de ce suprême appel est inconnue.

Ainsi, selon l'anthropologue fonctionnaliste anglais Evans-Pritchard « la force occulte n'est rien d'autre qu'une capacité innée et souvent inconsciente de nuire grâce à sa seule qualité ontologique»11(*), ce qui revient à dire que le sorcier a pour vocation première de faire du mal à ses semblables même s'il ne le désir vraiment pas car, le mal est ancré dans le propre de la sorcellerie depuis la nuit des temps. Ainsi, d'après Evans-Pritchard, tout sorcier est naturellement nuisible.

Il est en effet généralement admis que la force occulte, donc la sorcellerie a un côté négatif comme l'affirme Evans-Pritchard il faut cependant souligner qu'elle n'est pas foncièrement mauvaise car il existe des effets bénéfiques et positifs de la sorcellerie selon le but et la finalité de l'opération entreprise. Marcel Mauss, dans sa Théorie de la magie et de la sorcellerie (1904), affirme que : « La sorcellerie est le niveau le plus élevé de la magie ayant un pouvoir spirituel capable de procurer à son acteur les bienfaits du monde insensible »12(*). C'est justement cette définition qui fait de la sorcellerie un pouvoir positif contribuant au bien-être social, que nous adoptons pour notre étude.

Cependant, les chercheurs analysent la sorcellerie africaine à l'aide de critères et de méthodologies appartenant à la culture occidentale. En procèdent de cette manière, il s'ensuit qu'ils passent à côté de cette réalité fondamentale et même de l'essence de la sorcellerie africaine. En effet, les définitions que l'on peut trouver dans les dictionnaires sur les mots sorcellerie, sorcier et pouvoir sorcier ne reflètent pas la nature profonde du phénomène de la sorcellerie telle que la conçoit la riche culture ésotérique traditionnelle du continent noir. Voilà pourquoi nous nous proposons d'analyser le phénomène sorcier avec les yeux et les valeurs propres à l'Afrique noire. Au Gabon, notamment chez les Fang du Woleu-Ntem, la tradition ne regarde pas la sorcellerie comme étant un bloc ou un monolithe inamovible. Les Fang considèrent la sorcellerie comme une sorte de triptyque autour duquel s'articulent trois éléments : le sorcier, la sorcellerie et la semence de la sorcellerie.

S'agissant maintenant de la notion de la personnalité de base, celle-ci est liée à l'éducation qui, elle-même, est liée à la culture. La personnalité de base est alors comprise comme le processus de transmission d'une culture singulière. Et la culture est pour ainsi dire, la spécificité de l'espèce humaine et constitue à cet effet l'un des concepts fondamentaux de l'anthropologie. Au fil des années, plusieurs anthropologues ont tenté de la cerner. Tylor dans Primitive Society (1871) définit la culture comme un ensemble complexe incluant les savoirs, l'art, les moeurs, le droit, les coutumes : disposition ou usage acquis par l'homme vivant en société. Cette définition fait ressortir le caractère universel et inhérent à l'espèce humaine, un «attribut distinctif » selon les mots de Claude Lévi-Strauss13(*) rapportés par Bonte et Izard (1955), tout en pointant le débat entre l'inné et l'acquis. La culture est le partage et la transmission de l'ensemble des comportements car «modifiable ». Cet ensemble de comportements a un poids psychologique sur la personnalité en formation c'est-à-dire la personnalité de base ; l'impact de la culture sur l'aspect individuel démontre ainsi l'importance des facteurs psychosociaux des membres d'un même groupe culturel. D'autre  part, la culture qui est la configuration des comportements appris et de leurs résultats est partagé et transmise par les membres d'une société ou d'une famille donnée, place, dans l'état actuel, le problème essentiel que soulève la définition de la personnalité de base est celui de la délimitation même du concept. Ainsi, « L'individu et son environnement constituent une configuration dynamique dont toutes les parties sont si étroitement confondues les unes dans les autres et s'influencent par une interaction si constante qu'il est extrêmement difficile de dire où il faut poser la frontière qui les distingue» affirme Ralph Linton (1968)14(*).  Dans la perception qui est la nôtre, nous donnerons au groupe de mots personnalité de base, le sens d'« agrégat organisé des processus et des états psychologiques qui relève d'un individu »15(*). C'est le comportement explicite de l'individu et le rapport apparent de ce comportement avec ses besoins et son environnement qui constituent nos seuls clés pour la personnalité, nous dit Margaret Mead dans coming of Age in Samoa16(*) (1948).

Ainsi donc, nous pouvons dire que c'est à partir de ce type de comportement explicite de l'individu, mais aussi le rapport avec son environnement, que la notion de personnalité de base prend son véritable sens dans notre étude. L'homme fang, par l'éducation qui est, selon la tradition, l'initiation parvient à léguer un patrimoine mystique à son enfant. La personnalité de base est alors la somme totale des connaissances transmises par l'éducation depuis le bas âge jusqu'à l'acquisition complète des facultés attendues.

* 1 D'après L.Mba Ndzeng (2006), L'Eseneya, esprit avec lequel un homme tisse une alliance et devient son double.

* 2 J.Tondrian, L'occultisme, Paris, Mouton, 1964.

* 3 Tsira Ndong Ndoutoumou, Le Mvett t. 1, Paris Nathan, 1975.

* 4 G.Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique Noir, Paris, Puf 1955.

* 5 Evu, organe charnel, semence de la sorcellerie chez les Fang.

* 6 Ludovic Mba Ndzeng, « Para société » et pouvoir politique au Gabon, thèse de doctorat N/R, Paris .Sorbonne, France, 2006.

* 7

Claude Lévi Strauss, le totémisme aujourd'hui, Paris, Puf, 1962.

* 8

Lionel Obadia, La sorcellerie; Paris, édition le cavalier bleu, 2000.

* 9

OP.cit. p 5

* 10

Jean Palou, La sorcellerie, dixième édition, Paris, Puf, 2003.

* 11

Evans Pritchard, Sorcellerie, orales et magies chez les Azande, Paris, Gallimard, 1937.

* 12 M. Mauss, Théorie de la magie et de la sorcellerie, Paris, Gallimard, 1904

* 13 Claude Levi-Strauss, Bonte et Izard, Paris, Dunor, 1955

* 14 R Linton, Le fondement culturel de la personnalité, Paris, Dunor, 1968

* 15 Durfrenne, La personnalité de base, Paris ; Puf, 1963

* 16 Margaret Mead, coming of Age in Samoa, 1948

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