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Job en quete de consolation: un modele d'esperance pour les victimes du SIDA

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par Wendegoudi Yves OUEDRAOGO
ITCJ -  2001
  

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INSTITUT DE THEOLOGIE DE LA COMPAGNIE DE JESUS

Abidjan - RCI


JOB EN QUETE DE CONSOLATION :

UN MODELE D'ESPERANCE POUR LES VICTIMES DU SIDA

(Job 19,25)

Auteur : Directeur :

OUEDRAOGO Wendegoudi Yves Prof. Chukwuemeka Orji, s.j.

Année Académique 2006-2007

Introduction

Ø Notre point de départ

Dans la solitude de leur angoisse, dans l'incompréhension du sort qui s'abat sur eux, les sidéens sont nombreux aujourd'hui à endurer l'atrocité incommunicable du drame du Sida. Coupables ou victimes, ils sont déroutés et ne comprennent pas le malheur qui leur arrive. Pour tous ceux-là, nous prenons Job à témoin. Déconcertés comme lui, ils sont accablés comme lui. Et comme lui, ils quêtent un soulagement à leur épreuve.

Ø La problématique

Au coeur de cette souffrance invincible, des questions se posent inévitablement : pourquoi Dieu a-t-il permis cela ? Y a-t-il encore des rayons d'espoir et de consolation en faveur des Sidéens ? Ont-ils des raisons d'espérer une possible réhabilitation au même titre que Job ? Dans quelle mesure peuvent-ils vivre ce tourment sans perdre le sens de la vie ? Quelles justes attitudes adopter envers ces malades ? Quelles leçons de courage et d'espérance l'expérience de Job nous offre-t-elle ?

Ce sont ces questions au coeur de l'absurde que nous désirons explorer dans cet essai. En retraçant l'itinéraire de Job, nous nous promettons de découvrir, à travers son expérience et ses attitudes, des repères utiles aux malades sidéens désorientés par le mystère de la souffrance.

Ø Méthode et démarche

Pour élucider ces questions de fond, nous procéderons de la manière suivante : Nous interpréterons d'abord l'épreuve de la déchéance que traversent les Sidéens aujourd'hui, en lien avec le malheur de Job (I). Ensuite, nous dénoncerons les justifications erronées des amis de Job qui mettent à l'épreuve sa quête de consolation. Cette analyse sera mise en rapport avec nos attitudes souvent incongrues qui, au lieu de consoler, ne font qu'aggraver les souffrances et l'accablement des malades du VIH/Sida (II). Enfin, nous explorons l'horizon d'une vraie théologie de la maladie capable de soulager et d'aider les malades à assumer dignement leur souffrance et à redécouvrir le sens de la vie à la manière de Job (III).

I. L'Epreuve de la déchéance : estime perdue et légitime révolte face une souffrance incomprise

1. Job et les douloureuses déchéances des Sidéens

Le livre de Job met en scène le dilemme d'un homme prospère et fidèle fervent, dont la vie se désagrège subitement et fatalement. Job est présent parmi nous dans les personnes porteuses du VIH/Sida qui subissent dans le silence la dure épreuve de la maladie, de la déchéance et du tourment de la mort.

a. L'épreuve de la maladie. Job 2, 7-8

La souffrance n'est pas une idée, elle est l'épreuve même dans sa concrétude. Le Sida en est une des manifestations les plus cruelles. Comme la lèpre de Job, le Sida ronge et enlaidit le corps de ses victimes : la force se déprime, la tristesse inhibe toute expression de bonheur, la faiblesse existentielle arrive à son comble. Jean-Claude LARCHET décrit cette déchéance en ces termes: « In the corruption and suffering of the body, one experiences the weakness of one earthly being, the ephemeral character of one's existence in this world, and, generally speaking, one's fragility, inadequacy, contingency and personal limits »1(*). Cette expérience éprouvante a été assumée par Job lorsque, après avoir perdu ses biens et ses enfants, il est frappé par une lèpre sévère. Il préfigure en quelque sorte les patients du VIH/Sida, défigurés par multiples infections. Nul ne peut résister à l'effet de pitié et de révolte que suscite leur condition lorsqu'ils sont en phase terminale : fragilisés, ces malades ne sont plus que de squelettes vivants qui attendent anxieusement la fin de leurs jours. Ils incarnent, in vivo et de manière tragique l'image de Job gisant dans la cendre2(*), expression de son dénuement total.

b. Pauvreté et annihilation du soi

Job a tout perdu : son avoir, sa famille, son être, son pouvoir, son prestige, son bonheur, sa santé ; bref, tout ce qui constituait pour lui une juste raison d'aimer la vie. Successivement il voit périr son bétail (boeufs, ânesses, moutons, chameaux), ses serviteurs et ses enfants3(*). Tout son espoir est perdu. C'est pourquoi Job se lamente : « Mon bien-être a disparu comme un nuage » (Job 30, 15). L'estime qu'il avait s'est aussi dégradée en déshonneur : « La risée des hommes, c'est le juste, le parfait » (Job 12,4). Job est subitement dans l'extrême pauvreté et l'anéantissement de sa personnalité. Cette situation est textuellement celle des malades de Sida particulièrement en Afrique. Comme Job, ils vivent le sentiment d'être la risée de tous, l'expérience de dépouillement, d'abandon, de solitude lugubre. En Afrique, le Sida est malheureusement encore une maladie qui isole et pèse parfois lourdement sur l'entourage du malade et, dans les cas les plus forts, lui fait parfois désirer en finir avec ses jours. Bref, le Sida déshumanise.4(*) Comme le serviteur souffrant, le sidéen « est méprisé et rejeté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l'on cache son visage »5(*). La maladie donne à l'homme le sentiment de son impuissance, de ses limites et de sa finitude. Le bonheur perdu est une sorte de découronnement, de déchéance. C'est dans cet état que beaucoup de sidéens consument leurs jours.

c. L'angoisse de la mort

L'épreuve de Job a une senteur de mort. Aucune garantie ne lui promet une prolongation de vie. Dieu, son ami, se fait silencieux, sa femme lui propose de le maudire avant de mourir, les amis l'accablent de paroles creuses, la maladie qui le ronge est pernicieuse. La mort est à bout de portée. Telle est précisément le sentiment des sidéens qui réalisent qu'il n'y a pas de soins curatifs pour leur mal. S'il existe des trithérapies de soulagement, leur prix est encore au-delà des moyens financiers de beaucoup d'Africains. Un malade sidéen sait donc d'avance que ses jours sont comptés. Cette perspective presque implacable suscite « crainte et tremblement » qui se solde en révolte et frustrations.

2. Job révolté et malades frustrés

a. Innocence et souffrance incomprise

« Combien ai-je de crimes et de fautes ? Ma révolte et ma faute, fais-les-moi connaître. » Job 13,23. Cette interrogation désespérée de Job dévoile que la souffrance d'un innocent est inintelligible dans la raison humaine. Job est incapable de justifier son mal. A ce titre, il reste pour notre Afrique le modèle continental de la souffrance incomprise : de nombrés bébés, coupables de rien, sont contaminés dès le sein de leur mère ; des millions d'enfants sont condamnés à vivre orphelins parce que le Sida a tué leurs parents. Devant ce drame, on ne peut s'empêcher d'interroger : Pourquoi ? Quelles fautes ont-ils commises ? Pourquoi ce sont les pauvres qui sont les plus touchés par le Sida ? Pourquoi c'est précisément dans l'Afrique qu'un tel malheur sévit le plus ? Face à cette absurdité, la tentation est de tomber dans le fatalisme et l'Afro-pessimisme qui poussent à penser que l'Africain est fait pour souffrir, que Dieu a maudit l'Afrique, que le Sida ne disparaîtra jamais de l'Afrique. C'est ce désespoir qui empêche les séropositifs de vivre décemment, de dompter leur maladie, d'espérer un jour leur restauration. D'où les frustrations et les regrets : « Qui me fera revivre les lunes d'antan » ? (Job 29,2). Ce cri de nostalgie surgi du désarroi de Job, est réitéré et répercuté aujourd'hui dans le soupir de détresse des sidéens mourants qui voient défiler les derniers souvenirs de leur passé radieux. 

En établissant un parallélisme entre la tragédie de Job et le Sida en Afrique, nous sommes conscients d'une disproportion démesurée. En effet le désastre causé par le Sida dépasse de loin celui de Job: «The magnitude of the HIV/AIDS crisis cannot easily be overemphasised...It transcends the Job tragedy in its magnitude and effects: it does not only cause the loss of children and possessions, but also directly affects women and men. Not only is it a tragedy on a personal level, but it has become a national and continental disaster, affecting the lives of everybody living in Africa and causing a loss to families, peoples and nations.» 6(*) Un regard sur les statistiques nous en démontre l'ampleur: 28,5 millions de séropositifs sont en Afrique sub-saharienne ; le Sida a fait 15 millions d'orphelins; au sud du fleuve Zambèze, il y a 2000 nouvelles infections par jour ; en Afrique du Sud, 10 % de la population (soit 5 millions) sont séropositifs.7(*) Ces chiffres sont très déconcertants et le sentiment qu'ils inspirent frise la révolte.

b. Malédiction et révolte 

Lorsque l'on vit une souffrance atroce, la première réaction est naturellement de se plaindre : « on parle sans arrêt de ses douleurs, de son problème, de ses angoisses. On a envie que tout le monde s'occupe de nous... je suis déçu des autres qui me laissent tomber, qui m'abandonnent »8(*). Et c'est précisément cela qui provoque la révolte chez Job : « Enfin, Job ouvrit la bouche et maudit son jour » (Job3, 1) :« Périsse le jour où j'allais être enfanté« Job 3,3. La situation des patients du VIH/Sida est plus ou moins identique. Aigris par l'intolérable situation qui est la leur, certains malades de Sida désespèrent et prêtent vite attention à la tentation de la femme de Job : « Vas-tu persister dans ton intégrité ? Maudis Dieu et meurs » Job 2, 9. Décontenancés, ils en viennent à se rebeller contre eux-mêmes et contre Dieu en ces termes: Pourquoi moi ? « Pourquoi m'avoir pris pour cible ?« Job 7,20 ; «Laisse-moi, je m'en moque«Job 7, 16.

Il n'y a rien de plus normal que cette réaction de révolte quand l'on se trouve dans une épreuve intense. Mais se révolter ne signifie pas maudire et insulter Dieu. La saine révolte consiste plutôt à protester contre le mal et l'absurdité de la souffrance. La révolte est chargée de message : elle exprime la quête d'explication devant l'absurde9(*); elle exprime la volonté de voir finir la souffrance ; elle exprime en définitive le désir de consolation et de soulagement.

II. La quête de consolation et l'illusion des fausses justifications

1. Les amis de Job et les faux consolateurs : Job 16, 2 ; Job 19,21

La souffrance est le lieu de beaucoup d'inquiétude. Il est donc normal pour Job et ses amis de chercher la source du mal qui le ronge : « Dans l'excès de sa douleur, il faut à l'homme un responsable »10(*). Elifaz, Bildad et Çofar refusent la passivité dans laquelle ils s'étaient installés pendant sept jours et sept nuits11(*). Ils décident enfin d'aider Job à résoudre son problème. N'avaient-ils pas convenu « d'aller le plaindre et le consoler »12(*) ? Seulement, ils en font trop en posant le problème du mal en termes de péché. C'est cela qui a consacré l'échec de leur médiation.

Devant un malade qui souffre, les grands discours n'ont pas leur place. Ce qui importe, c'est la présence discrète. Les soi-disant amis de Job n'ont pas compris ce principe. Ils l'abreuvent de discours insolents qui l'accablent davantage. C'est pourquoi Job proteste et se plaint à maintes reprises: « Jusques à quand me tourmenterez-vous et me broierez-vous avec des mots ? ...N'avez-vous pas honte de me torturer» (Job 19,2-3). « Taisez-vous, laissez-moi ! » (Job 13,13). « Piètres consolateurs, j'en ai entendu beaucoup sur ce ton, en fait de consolateurs, vous êtes tous désolants » (Job 16,2).

La déception de Job est évidente. Elle révèle que la consolation n'est pas une parade de rhétorique. De fait : « les bons sentiments n'ont jamais consolé personne. Les bonnes raisons n'apaisent pas la conscience »13(*). Prêcher la morale au nez de ceux qui souffrent est une inconséquence, un verbiage éthéré et égarant. Job nous enseigne que ce que le malade - en l'occurrence le Sidéen - attend pour sa consolation, ce ne sont pas d'abord de belles paroles, si pieuses soient-elles. Il a surtout besoin que son cri de coeur soit entendu par Dieu : « Je ne briderai pas ma bouche; le souffle haletant, je parlerai ; le coeur aigre, je me plaindrai » (Job7, 11). Par ces mots, Job plaide auprès de Dieu sa justification.

2. Les charlatans de la justification : culpabilité et victimisation

Job et ses amis sont emprisonnés par une logique très dangereuse de la rétribution selon laquelle Dieu punit les pécheurs et récompense le juste. Leur thèse principale inspirée de l'expérience (Job 15, 17) et la tradition de leurs pères (Job8, 8-10,15) est succinctement affirmée en Job 4, 8 : « les semeurs de misère en font eux-mêmes la moisson » et en Job, 15,20 : « pendant toute sa vie, le méchant se tourmente». Cette rhétorique des amis vise à démontrer à Job que son malheur (sa souffrance et sa misère) est le salaire de sa culpabilité. Tour à tour, ils tentent de le prouver : Jb4, 8-9 ; Jb 15,25 ; Jb 8, 13 ; Jb 18, 20 ; Jb 20, 19 ; Jb 34, 11 ; Jb 36, 5-6. Ils veulent culpabiliser Job pour le force à la conversion. Parce qu'ils préjugent que la souffrance de Job est due à son péché, ils le conseillent de se repentir pour mettre afin à sa peine14(*). Voici en substance ce que dit Elifaz : « réconcilie-toi donc avec lui et fais la paix. Ainsi le bonheur te sera rendu...Si tu reviens vers le Puissant, tu seras rétabli. » Job 22,21.23. N'est-ce aussi de cette manière que les malades du Sida sont victimes du jugement des autres ?

3. Nos attitudes inopportunes face à ceux qui souffrent : Job 21,2.

Nous aussi, nous nous étonnons ordinairement que des gens intègres subissent épreuves et mésaventures. Surtout, autour du Sida, les spéculations se multiplient pour condamner. Et nous disons naturellement : « Ah ! Et moi qui pensais que c'étaient de bonnes personnes. Comment se fait-il donc qu'elles subissent de si grandes souffrances et tribulations ? Alors que je croyais qu'il n'y avait pas de faute en elles »15(*) . A tort, beaucoup par exemple s'imaginent que le malheur d'un Sidéen vient nécessairement de sa faute, à savoir la fornication. Et l'on chuchote malicieusement : « Sûrement qu'il avait une vie dépravée ». Ceux qui tiennent à sauver l'honneur du malade soutiennent la thèse d'un empoisonnement, d'une sorcellerie, ou d'un mauvais sort qui fut jeté. Dans tous les cas, on trouve trop vite une source morale : la faute ou le péché.

Avec de tels préjugés on ne peut qu'être piètre consolateur comme les amis de Job. Nous voulons régulièrement juger la souffrance de l'autre par notre propre expérience et les catégories trop théoriques. Il nous faut pourtant nous garder de manipuler la parole de Dieu pour justifier nos propres errements théologiques. Car, comme dit Louis RETIF : «l'inaction, surtout quand elle est accompagnée de paroles vides et sonores, est une insulte à la chair et au coeur meurtris ».16(*)

La mauvaise attitude des amis de Job est aussi notre maladresse quand on entend des affirmation du genre : C'est la volonté de Dieu. Il éprouve ceux qu'il aime. De telles paroles sont irresponsables et manquent de charité envers les malades. D'ailleurs, l'on imaginerait mal un Dieu qui trouve son plaisir à faire souffrir ses amis.

L'échec des amis de Job nous interpelle à être modeste, car nous ne pourrons jamais comprendre le mystère de la souffrance des malades. Et ce serait une insolence de vouloir définir à leur place la souffrance qu'ils endurent.

En revanche, la peur de ne pas trouver l'attitude convenable devant les malades peut nous faire fuir. Nombreux sont en effet les Sidéens qui meurent dans l'isolement, non pas nécessairement parce qu'ils manquent d'amis, mais parce que ceux-ci ne supportent pas de le voir souffrir. Or, non ! L'amour exige que nous transcendions la peur de la souffrance et la répugnance de la maladie pour atteindre les victimes du Sida dans leurs tourments. En effet, "unless we see them et reach them where they are, we bring them no genuine saving help but mere theology and, who knows, a bad one"17(*). C'est dans cette proximité que commence la vraie consolation.

III. Les horizons de la vraie consolation : les leçons théologiques de Job sur la maladie du Sida.

Si le livre de Job n'est pas historique, il reste une littérature expérientielle, fortement inspirée de l'expérience passée, présente et future des hommes de tous les temps. A ce titre, le personnage de Job est très actuel ; sa détresse se répercute dans la lamentation des millions de malades de nos hôpitaux ; sa plainte rejoint le gémissement des agonisants qui meurent dans la solitude; son cri fait écho au hurlement des jeunes filles qu'on viole dans la nuit en transmettant le VIH18(*). La révolte de Job, c'est aussi la plainte et les interrogations de nombreux enfants orphelins du Sida qui subissent la solitude et le dénuement causés par la mort de leurs parents. Cette situation ne nous laisse pas le choix ; nous devons nous interroger à fond sur cette pandémie : Où est Dieu pendant que le Sida fait des ravages ? Où est notre responsabilité dans ce drame ? Comment soulager la souffrance des malades atteints du Sida ? Quelle attitude adopter face à ceux qui souffrent ?

Nous entreprise ne vise pas à offrir des réponses et solutions techniques à la maladie du Sida. Il s'agit de proposer un cadre spirituel et des repères théologiques capables d'éclairer le sens de la souffrance et de gérer la maladie de manière plus humaine et soulageante. Pour y arriver, il est impératif de commencer par évangéliser notre propre conception de la maladie et de la souffrance en général. De l'expérience très riche de Job se dégagent de nombreuses leçons qui pourraient être résumées dans les observations suivantes :

· La santé, comme le bonheur, n'est pas un dû

· Le Sida, comme la souffrance de Job, n'est pas un châtiment de Dieu.

· Au contraire, c'est en Dieu Seul que l'on peut trouver la vraie consolation dans les malheurs de la vie.

1. Le bonheur n'est pas un dû

Nous pouvons légitimement louer le personnage de Job et apprécier le rôle qu'il a joué. Il a une force de caractère et une foi édifiante. Et l'on est tenté de penser que sa prospérité de départ et sa restauration finale sont le fruit de son intégrité. Mais non ! Son bonheur n'est pas un dû, c'est une gratification de Dieu pour laquelle Job sait qu'il n'a pas de mérite, pas plus que le malheur. C'est pourquoi il se défend : « Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l'accepterions-nous pas aussi ?» (Job 2, 10). Si Job a été réhabilité, c'est certes par pure grâce de Dieu. Mais il est évident qu'il n'a pas démérité cette bienveillance divine. Car il est resté droit dans l'endurance de l'épreuve. En effet, en tous ses malheurs, « Job ne pécha point par ses lèvres » (Job 2,10). Il a parlé de Dieu avec droiture (cf. Job 42,7). Mais revenant à la réalité des choses, l'on ne peut s'empêcher de poser une question de fond au nom de tous ceux qui souffrent le Sida, sans pour autant espérer l'issue heureuse de Job : Comment peuvent-ils vivre leur maladie dans l'intégrité morale et spirituelle ?

Certes, l'attitude naturelle et humainement légitime est la révolte mais la foi nous convainc que Dieu ne nous doit rien et qu'il n'est pas responsable de nos maux.

2. La souffrance n'est pas un châtiment de Dieu

L'intégrité de Job ne justifie pas son bonheur. Inversement son malheur n'est pas la conséquence de son péché. De la même manière, la culpabilité des hommes n'implique nécessairement le châtiment de Dieu par le drame du Sida. Les préjugés de la théologie de la rétribution ne sont pas ici admissibles. Pourtant en Afrique, les Sidéens sont encore victimes du jugement des autres qui les considèrent comme des coupables châtiés par Dieu. Leur maladie est vite associée à une vie de désordre, à une vie d'adultère. Il y a pourtant bien d'innocents : le bébé contaminé dès le sein maternel, la fille violée et infectée par le VIH, le partenaire contaminé par son conjoint, l'infirmier imprudemment blessé par un instrument infecté, ...Ils n'ont rien fait de mal pour mériter le virus du Sida. De toutes les manières, le problème du Sida ne doit point être posé en termes de culpabilité et de châtiment. Car, dans cette perspective, on tomberait dans la désespérance et la résignation. Une lecture plus attentive de Job invite plutôt à ne pas tomber dans une religion de résignation. A bien voir, Job n'est pas un croyant résigné, mais bien un croyant révolté19(*). Il refuse les explications faciles et hâtives de ses amis ; il ne cède ni à la résignation ni à la culpabilisation. Au contraire, il prie, il cherche, il appelle, il proteste et plaide pour son innocence. En fin de compte, sa quête le conduit à admettre que le malheur n'est pas nécessairement une punition des péchés personnels : Dieu ne nous accable pas de la souffrance, il la partage avec nous, en vue de notre restauration.

3. Dieu, le Seul Consolateur 

Le sommet de l'aventure de Job est incontestablement sa confrontation avec Dieu et son acceptation du mystère. La leçon de son attitude est claire et simple : la foi prend le pas lorsque la compréhension faillit. La souffrance devient le lieu et l'occasion d'une expérience nouvelle de Dieu : « The book of Job serves as a paradigm for a certain experience of God with a special significance for us today »20(*). Dieu n'est ni auteur ni complice de la maladie. Au contraire « la volonté de Dieu est que nous luttions contre elle et que nous l'extirpions le plus possible de ce monde. »21(*) En entrant dans le monde par l'incarnation, Dieu a voulu justement prendre part à notre souffrance afin de nous soulager. C'est pourquoi dans son ministère, Jésus s'est évertué à guérir les malades et à consoler les affligés. Le partage divin dans la souffrance des hommes s'est parfaitement manifesté au Calvaire par l'épreuve de la croix et de la mort.

Le geste bienfaisant de Dieu est une providence inattendue pour son ami Job. Car nul autre auparavant n'avait pu le consoler. Pas même sa propre femme ni ses amis. Cette expérience de soulagement vécue par Job est riche d'enseignements pour le patient du VIH/Sida qui perd l'horizon de la consolation: « Dieu est celui en qui il peut et doit légitimement espérer pour supporter les maux qui l'accablent, et aussi pour en être délivré »22(*). De Pâques en Pâques, malgré les coups dans les heures sombres, les menaces de mal, les heurts collectifs, tout est chemin de Résurrection23(*). Tel est le message de consolation que Job adresse aux malades du Sida.

Mais Job n'est pas seulement un modèle d'espérance et de consolation ; il est aussi « un appel pour la compassion, l'amour, la solidarité envers tous les sidéens en qui Dieu est présentement souffrant et mourant »24(*). Au lieu de se borner à la recherche de coupables, l'humanité doit s'armer pour mener les varis combats contre le mal du Sida.

4. Notre responsabilité et notre solidarité envers les victimes du Sida

Le sida comme mal est la personnification du diable, l'Adversaire. Cet adversaire, c'est la méchanceté de ceux qui sans vergogne sèment le virus à tout vent et le transmettent à des innocents et ignorants ; cet Adversaire est l'irresponsabilité des hommes et des femmes qui, une fois séropositifs transmettent la maladie à leur conjoint ou la propage par la prostitution ; cet Adversaire, c'est la perversité de ceux qui violent des filles avec la méchante intention de ne pas mourir seul ; cet Adversaire, c'est encore l'égoïsme et l'insouciance des super-puissances qui ferment hypocritement les yeux sur la misère des malades alors qu'elles ont les moyens d'éradiquer le sida ; cet Adversaire, c'est aussi l'ignorance des pauvres qui sont mal informés sur les vrais moyens de protection contre le Sida. Tels sont les lieux de nos responsabilités et de nos combats.

Le premier combat à notre portée est le respect des malades. Par notre considération, nous soulageons énormément leur peine. John E. Fortunato notait: « While there is no answer to Job, or to the thousand men, women, and children who are expected to contract Aids every year, while there is no answer that will relieve the pain, nothing to do right now that will make go away; there is a response that will make it all bearable: it is to love »25(*). Seul notre amour peut aider le sidéen à retrouver l'espoir de vivre.

En plus des hôpitaux, des centres d'accompagnement de Sidéens sont nombreux aujourd'hui qui essaient d'offrir aux malades un cadre pour retrouver la chaleur de l'humanité et le sens de la vie. La souffrance des sidéens qui heurte notre sensibilité nous enseigne la véritable attitude à adopter : la solidarité. « Seule une solidarité qui tient compte aussi bien des aspects médicaux que les dimensions humaines, morale et religieuses de la vie, peut soulever l'espoir que le sida peut être contrôlée et combattue »26(*)Telle est l'attention des malades, telle est aussi notre aspiration.

* 1 Jean-Claude LARCHET, The Theology of Illness, St Vladimir's seminary press: Crestwood, 2002, p.59

* 2 Cf. Job 2, 8

* 3 Job 1,13-19

* 4 Cf. Xavier THEVENOT, La souffrance, Don Bosco : Paris, 1987, p.6

* 5 Is 53,3

* 6 Peet Van DYK, « The Tale of Two Tragedies. The Book of Job and HIV/AIDS in Africa», In Bulletin for Old Testament Studies in Africa, 16, 2004, p.9

* 7 Cf. Peet Van DYK, Idem.

* 8 Xavier THEVENOT, La souffrance, Don Bosco : Paris, 1987, p.27

* 9 La souffrance est une expérience de l'absurde, on n'y comprend rien.

* 10 Louis RETIF, La souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion : Paris, 1966, p.66

* 11 Cf. Job 2,13

* 12 Cf Job 2,11

* 13 Louis RETIF, La souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion : Paris, 1966, p.53.

* 14 Cf. Job 8,5-6

* 15 Maître Eckhart, La Divine Consolation, Payot et Rivages : Paris, 2004, p 83

* 16 Louis RETIF, La souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion: Paris, 1966, p.76

* 17 ORJI, C., «Vehementem Dolorem: Job and The much Suffering African Face (Job 2, 13)» Afrika Yetu, Vol 10 (April 2006), pV.

* 18 Une superstition est répandue selon laquelle un sidéen peut guérir en ayant des rapports sexuels avec une fille vierge. Cette intox est un des facteurs qui propagent le virus du Sida en Afrique.

* 19 Cf. André Kabasele Mukenge : « Une lecture populaire de la figure de Job au Congo » In Bulletin for Old Testament Studies in Africa, 16, 2004, p.5

* 20 Carl Gustav JUNG, Answer to Job, Princeton University press, 1973, p.4

* 21 Maurice NEDONCELLE, La souffrance, réflexions d'un chrétien, Blond et Gay, 1939, p8.

* 22 Jean-Claude LARCHET, Dieu ne veut pas la souffrance des hommes, Cerf : Paris, 1999, p.50

* 23 Cf. Louis RETIF, La souffrance pourquoi ? Ed. Du Centurion, Paris, 1966, p.166

* 24 Paterne-Auxence MOMBE, Rayons d'espoir. Gérer le VIH/SIDA en Afrique, Les Editions du CERAP, Abidjan 2005, p.29

* 25 John E. FORTUNATO Aids. The Spiritual Dilemma, Harper & Row: San Francisco, 1987, p.110

* 26 Paterne-Auxence MOMBE, Rayons d'espoir. Gérer le VIH/SIDA en Afrique, Les Editions du CERAP, Abidjan 2005, p 12

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