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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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    Université de Poitiers

    Maison des Sciences de l'Homme et de la Société

    Laboratoire MIGRINTER

    Réfugiés hmong à Montreuil-Bellay (Maine-et- Loire)

    Rapports aux lieux et diaspora

    Mémoire de Master 2ème année - 2006-2007

    Migrations Internationales : Espaces et Sociétés

    Philippe MICHEL-COURTY

    Sous la direction de Madame Véronique LASSAILLY-JACOB

    et de Monsieur Emmanuel MA MUNG

    Sommaire

    SOMMAIRE 1

    REMERCIEMENTS 3

    INTRODUCTION 4

    I. UN DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE ADAPTÉ À UNE POPULATION ÉTRANGÈRE 7

    1. Une minorité ethnique arrivée d'Asie et installée dans une très petite ville 8

    2. Problématique, cadre conceptuel et bibliographie 16

    3. Un terrain étudié progressivement 24

    Conclusion : une lecture géographique par des méthodes diverses 29

    II. D'UN LIEU À L'AUTRE : DISPERSION, ERRANCE ET ANCRAGE 30

    1. Une mobilité forcée dans des lieux géographiques fluctuants 31

    2. Une mobilité sous contrôle pendant l'exil 38

    3. Le choix de l'ancrage dans un milieu urbain 46

    Conclusion : d'une mobilité forcée, puis contrôlée, à une mobilité choisie 58

    III. LIEUX DU QUOTIDIEN ET « BASSINS DE VIE FAMILIAUX » 60

    1. Le partage de l'espace domestique et des espaces vécus 61

    2. Le jardin, un territoire féminin 76

    3. L'élargissement du bassin de vie familial par les mariages 86

    Conclusion : des espaces pratiqués centripètes et centrifuges 94

    IV. LIEUX DE LA DIASPORA : LIENS SOCIAUX ET SYMBOLIQUES 95

    1. Lieux divers reliés par des échanges fréquents 96

    2. Lieux festifs entre tradition et modernité 103

    3. Lieux symboliques et lieux de mémoire 110

    Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora toujours active 123

    CONCLUSION GÉNÉRALE 125

    ANNEXES 130

    1. Courriers 131

    2. Cérémonies traditionnelles 134

    3. Questionnaires d'enquête 140

    BIBLIOGRAPHIE 142

    INDEX DES AUTEURS 152

    TABLE DES ILLUSTRATIONS 153

    TABLE DES MATIÈRES 155

    Remerciements

    Pour Alexiane et Arnaud

    Mes remerciements vont en premier lieu à madame Véronique LASSAILLY-JACOB et à monsieur Emmanuel MA MUNG qui, grâce à leurs conseils, ont contribué à l'aboutissement de cette recherche. Je tiens à leur associer les chercheurs et documentalistes de la Maison des Sciences de l'Homme et de la Société de Poitiers pour leurs encouragements et leur disponibilité.

    A l'ensemble de la communauté hmong de Montreuil-Bellay et plus particulièrement à Ka-Gé TCHA et Teng CHIENG, j'adresse également mes remerciements : grâce à eux, j'ai pu pénétrer dans l'intimité de la vie familiale et recueillir les histoires personnelles qui, mises bout à bout, m'ont permis de mieux comprendre leur vie.

    Introduction

    En préambule nous tenons à préciser le cadre scientifique dans lequel s'inscrit cette recherche. En choisissant d'observer un groupe humain dans un contexte particulier de migration, nous ne voulons pas entreprendre une étude anthropologique et ethnologique visant à identifier les traits culturels de cette population préservés ou renouvelés dans la société d'accueil. En tant que disciplines des sciences humaines, l'anthropologie et l'ethnologie se proposent en effet d'étudier l'être humain sous tous ses aspects, la première s'appuyant sur l'étude ethnologique des sociétés et des peuples ayant préservé une culture spécifique originale. En synthétisant ces données dans le cadre d'une étude générale de l'espèce humaine, elle tente d'en prouver l'unicité à travers la diversité culturelle. On distingue plusieurs traditions en anthropologie, dont les plus importantes sont l'école sociologique française représentée par Marcel MAUSS (1873-1917) et plus tard par Claude LEVI-STRAUSS (1908-) dans une approche structuraliste. L'anthropologie sociale britannique, en particulier avec Bronislaw MALINOWSKI (1884-1942), privilégie l'observation participante lors des enquêtes de terrain. Enfin, l'anthropologie culturelle américaine est illustrée par Franz BOAS (1858-1942), représentant du diffusionnisme qui, prenant le contre-pied de l'évolutionnisme, considère que la culture se développe et se transforme par le biais d'emprunts culturels auprès des groupes humains ; Clifford GEERTZ (1926-2006), inscrit dans le sillage de Max WEBER, voit dans la culture un système de sens.

    L'étude de la société hmong exilée en France a été faite tout particulièrement par J. Pierre HASSOUN (1983, 1988, 1993...) qui s'est intéressé à cette population à son arrivée en France à partir des années 1980, mais aussi par Nathalie VERHAEGE-GATINE (1998, 1999) étudiant les groupes installés en Guyane française. Un travail universitaire a été réalisé en 1997 dans le cadre d'une maîtrise de sociologie1(*) par Stéphanie JAUNAULT sur « les traditions hmong à Montreuil-Bellay ». A chaque fois, il s'est agi d'approches sociologiques. Par ailleurs, des articles ont été publiés dans plusieurs revues scientifiques - Hommes et Migrations, Réfugiés... - pour éclairer des aspects particuliers de la société hmong2(*).

    Dans le domaine géographique par contre, on ne trouve que quelques publications dont celles de Fabrice MIGNOT : les travaux qu'il a consacrés aux Hmong3(*) concernent le territoire d'origine, plus particulièrement les villages du Laos dans lesquels des groupes familiaux ont été réinstallés après plusieurs années passées dans les camps de réfugiés thaïlandais. Aussi, suivant les préceptes de G. CONDOMINAS qui rappelle que « le choix d'un terrain dépend évidemment des études déjà faites sur l'aire culturelle dont il fait partie » (CONDOMINAS, 1965 : 176), nous souhaitons aborder cette « communauté ethnique locale » (HASSOUN, 1988 : 39) sous un éclairage nouveau, à savoir celui des rapports aux lieux entretenus dans le contexte de la migration forcée qu'elle a subie. En ce sens, nous nous plaçons d'abord dans une perspective géographique puisqu'il s'agira de nous centrer sur le «  », les espaces parcourus, les espaces pratiqués et ceux, moins visibles, que l'on peut qualifier de culturels ou symboliques. De quelles manières les individus pratiquent-ils ces différents lieux ? Quelles sont pour eux les significations des lieux ainsi pratiqués ? Quels sont les lieux choisis comme référents pour l'identité des membres de la communauté hmong ? Tel est le questionnement qui va guider notre propos. Cependant, sachant que l'on ne peut pas isoler un individu ou un groupe de sa culture et que les faits sociaux sont des « faits totaux [qui] mettent en branle la totalité de la société et de ses institutions (MAUSS, 1923 : 102), il ne sera pas fait abstraction d'observations sociologiques et anthropologiques, afin de mieux comprendre la nature des rapports qu'entretient cette communauté à l'égard des différents lieux dans lesquels elle est passée et évolue aujourd'hui.

    Notre travail est divisé en quatre chapitres. Le chapitre I présente le cadre théorique et conceptuel dans lequel se place cette recherche. Trois concepts ont été mobilisés : diaspora, intégration et territoire. Le dispositif méthodologique mis en oeuvre pour la collecte de données a privilégié d'abord l'observation des lieux - le quartier de la Herse à Montreuil-Bellay -, complétée par une enquête auprès des résidents non hmong de ce quartier. Une large place a été réservée ensuite aux entretiens menés avec des membres de la communauté hmong. De plus, la rencontre d'acteurs institutionnels et de travailleurs sociaux a permis une meilleure connaissance de la population concernée. Le chapitre II est consacré aux espaces parcourus pendant la migration qui a conduit les individus et les familles du Laos en France, et plus particulièrement à Montreuil-Bellay où ils ont rapidement constitué une communauté. Ce chapitre retrace l'histoire de ces parcours migratoires et montre comment après une période d'errance, les individus sont devenus davantage acteurs de leurs choix et ont pu envisager un ancrage dans un lieu d'installation. Après cette approche historique, le chapitre III s'intéresse aux « espaces vécus » actuellement, espaces du quotidien investis dans une situation matrimoniale particulière, puisque la polygamie est encore pratiquée par quelques familles et occasionne des contraintes économiques et financières, qui trouvent une solution dans l'exploitation de minuscules jardins familiaux. Ces espaces vécus s'élargissent progressivement en raison de la décohabitation et des mariages des enfants de la deuxième génération. Dans le chapitre IV, nous explorons enfin plus particulièrement les lieux symboliques et les lieux de mémoire en nous appuyant sur l'observation et l'analyse des pratiques festives et traditionnelles grâce auxquelles se renforcent les liens diasporiques. La conclusion, reprenant les principaux résultats de cette recherche, propose une typologie des lieux liés aux pratiques.

    I. Un dispositif méthodologique adapté à une population étrangère

    «  Le réfugié est un produit du monde moderne. »

    R. WALDINGER, 2006

    L'arrivée des Hmong sur le devant de la scène internationale se fait dans le contexte des guerres de décolonisation qui ensanglantent la péninsule indochinoise dans les années 1970 et s'accompagnent de vastes déplacements de populations cambodgiennes, laotiennes et vietnamiennes. Dans les camps thaïlandais sous contrôle du Haut Commissariat pour les Réfugiés aux Nations Unies (UNHCR), se côtoient souvent des familles de nationalités différentes mais toutes dans l'attente d'une solution : si l'intégration sur place est refusée par la Thaïlande, l'accueil dans un pays tiers est souvent souhaité. Au début des années 1980, les premières familles hmong arrivent à Montreuil-Bellay, petite commune du Maine-et-Loire, et s'y installent de manière durable.

    Nous évoquerons tout d'abord les problèmes rencontrés dans le recensement de cette population, en précisant alors qui sont les Hmong dans l'ensemble des peuples d'Asie du Sud-Est, puis, au regard de la problématique que nous avons retenue, nous fixerons le cadre conceptuel dans lequel se place cette étude et nous présenterons le dispositif méthodologique mis en place en fonction des caractéristiques de cette population.

    1. Une minorité ethnique arrivée d'Asie et installée dans une très petite ville

    Sachant qu'en France le comptage ethno-racial est interdit par la loi, le premier problème auquel se heurte le chercheur est lié à l'absence de données fournies par le recensement de l'INSEE. En effet, s'il est encore possible d'obtenir le décompte des Laotiens et leur localisation très approximative sur le territoire national, cela est absolument impossible en ce qui concerne les Hmong, sauf si l'on prend en compte la localisation des associations officiellement déclarées (carte n°17, p. 100). Jacques LEMOINE analysant les rites funéraires dans un village hmong de la province de Xaignabouli, remarquait qu'au cours de la cérémonie d'initiation du mort on évoquait les villages successifs où ce dernier avait résidé, et l'anthropologue de noter alors qu'« on peut ainsi se rendre compte à quel point une famille hmong peut se déplacer en l'espace d'une génération » (LEMOINE, 1983 : 20).

    Ce n'est donc que par le biais des réseaux familiaux et associatifs qu'il a été possible de recueillir des données numériques. En cela, le contexte local de la recherche a facilité cette collecte : dans une très petite ville de 4000 habitants comme Montreuil-Bellay4(*), il est aisé de comptabiliser l'ensemble des foyers et d'étudier leur composition. Les chiffres seront donc précis à la date de l'enquête mais soumis à d'éventuelles variations, d'autant que cette population conserve une mobilité résidentielle relative liée à deux facteurs. Le premier est économique : le chômage et/ou la recherche d'un nouvel emploi induisent des changements de résidence. Le second facteur est sociétal et caractéristique des petits nombres de ménages qui évitent la dispersion sur l'ensemble du territoire national et préfèrent résider à proximité. Ces deux facteurs sont par ailleurs intimement liés : en effet la recherche et l'obtention d'un emploi peuvent être facilitées en activant les réseaux de connaissances, et de cette manière favoriser les rapprochements familiaux.

    « Je suis Hmong » déclare Ka-Gé TCHA, 54 ans, au cours d'un entretien. Pourtant, il est de nationalité laotienne et bénéficie du statut de réfugié accordé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Lao ou Laotien ? Hmong ? Réfugié du Sud-Est asiatique ? Devant cette catégorisation et trois manières de désigner un même individu, on peut s'interroger sur la nature de ces identités multiples. De qui parle-t-on dans chacun des cas ?

    v Laotien ou Lao, identité nationale et identité ethnique

    Située dans la péninsule indochinoise (carte n°1), la République démocratique populaire lao est l'un des 6 Etats formant l'Asie du Sud-Est. Le pays est bordé au Nord par la Birmanie (Myanmar5(*)) et la Chine, au Sud par le Cambodge, à l'Est et à l'Ouest par le Vietnam et la Thaïlande. C'est un territoire d'une superficie de 236 000 km², en grande partie montagneux, traversé presque du Nord au Sud par le fleuve Mékong, qui prend sa source sur les hauteurs de l'Himalaya et se jette dans la mer de Chine méridionale. Avec 6 521 998 habitants6(*), c'est le pays le moins peuplé de la péninsule (tableau n°1) et celui dont la densité de la population est une des plus faibles d'Asie (26,9 h/km²). Les plus fortes concentrations se trouvent le long de la frontière thaïlandaise autour des villes de Vientiane, la capitale, Savannakhet et Paksé au Sud. Au Nord et dans les régions montagneuses, les densités chutent à moins de 15 habitants par km² (FRANCO, 1992 : 203).

    Carte n°1 : Le Laos dans la péninsule indochinoise

    Pays

    Superficie (km²)

    Population (estimations)7(*)

    Densité (h/km²)

    Laos

    236 000

    6 368 481

    26,9

    Birmanie (Myanmar)

    678 000

    43 382 633

    69,8

    Vietnam

    329 560

    84 402 966

    256,1

    Thaïlande

    514 000

    64 631 595

    125,7

    Cambodge

    181 035

    13 881 427

    76,7

    Malaisie

    328 550

    24 821 286

    75,5

    Tableau n°1 : La péninsule indochinoise - données démographiques

    Surnommé le «royaume au million d'éléphants» en raison du grand nombre d'éléphants qui vivaient auparavant sur le territoire, le Laos actuel est divisé en 17 provinces, elles-mêmes divisées en 142 districts et 11 386 villages (carte n°2). Du point de vue ethnique, cet Etat constitue une mosaïque très complexe de quelque 130 ethnies, sous-ethnies et en nombreux clans, sous-clans et lignées.

    Le Laos compte plus de minorités que n'importe lequel de ses voisins immédiats (Birmanie, Thaïlande, Cambodge et Vietnam), ce qui en fait le pays le plus hétérogène de tout le Sud-Est asiatique. En effet, environ 40 % de la population lao est constituée d'ethnies minoritaires d'origine montagnarde, dont les Hmong et les Khmou qui représentent les groupes les plus importants.

    Carte n°2 : Les provinces de la République démocratique populaire lao

    Le terme « Lao » s'applique à l'ethnie lao proprement dite (majoritaire au Laos, et qui a donné son nom au pays), alors qu'on appelle « Laotiens » toutes les personnes résidant normalement au Laos quelle que soit leur origine ethnique (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 200). Au sein du pays, on distingue les Lao Loum (ou Lao des Plaines) des Lao Theung (Lao des collines) et des Lao Soung (ou Lao des Montagnes) parmi lesquels figurent les Hmong, nettement minoritaires. A cela s'ajoute 1% de la population d'origine chinoise et vietnamienne.

    S'il est possible d'être à la fois Laotien et Hmong, l'inverse n'est pas vrai, puisque les membres de cette ethnie sont dispersés dans plusieurs pays asiatiques dont la Chine.

    v Les Hmong, un groupe ethnique

    Longtemps utilisé par les Hmong eux-mêmes pour s'autodésigner - Hmong figure dans la liste des prénoms choisis pour les garçons de certaines familles - ce terme renvoie à une identité ethnique. Il peut être pris dans une double acception : l'homme, à savoir le représentant de l'humanité, et le montagnard, celui qui vit « en-haut ».

    Descendants des San Miao, les Hmong ont progressivement quitté le bassin du fleuve Jaune pour les montagnes du centre et du Sud de la Chine, spécialement la région du Guizhou, d'où ils ont été repoussés au cours du XIXe siècle vers la péninsule indochinoise. Sur le plan linguistique, ils ne constituent qu'une branche des populations que les Chinois ont appelées Miao. Ce terme correspondait à une vague catégorie, quelque chose comme  « aborigènes », utilisée pour classer ceux qui n'étaient pas Han dans la Chine du Sud. Etre appelé Miao-tse au début du XXe siècle en Chine, écrit avec la clef du chien8(*), était particulièrement méprisant. En mandarin, ce terme signifie actuellement « jeune pousse de riz », idée que l'on retrouve, avec une coloration péjorative, chez les Vietnamiens, Lao et Thaï qui les appellent encore Mèo, ce qui signifie « riz cru ».

    La dénonciation de pratiques alimentaires vise à catégoriser des populations nomades peu intégrées. D'autre part, selon J. LEMOINE, Miao ou Mèo, homophones du mot « chat sauvage » dans les deux langues, sont à considérer comme des termes péjoratifs9(*). Cet exonyme illustre l'existence de « frontières ethniques » qui, à l'époque, séparent de la société laotienne les populations montagnardes (HASSOUN, 1997). En effet, lorsque le Laos est placé sous protectorat français en 1893, les Hmong sont contraints de s'installer dans des zones montagneuses où la seule technique agraire praticable est l'essartage - ou culture sur brûlis. Cette migration a donné lieu à des interprétations parfois étonnantes, comme celle-ci : « comme c'étaient des gens pacifiques, plutôt que de faire la guerre, ils se sont repliés sur les montagnes du Nord de l'Indochine - d'où leur nom de « Montagnards ». Ils vivent plus facilement sur ces flancs de montagnes où ils cultivent leur pavot » (DUPONT-GONIN, 1980 : 22).

    Le terme Hmong entre dans la littérature scientifique de l'école d'anthropologie française, impulsée par Claude LEVI-STRAUSS, grâce à Jacques LEMOINE qui, à partir des années 1960, en fait un sujet de recherche. Dans le contexte politique des années 1970, cette « population sans écriture et sans Etat propre [est] projetée dans l'Histoire moderne » (HASSOUN, 1997 : 15) et dispersée sur l'ensemble de la planète. L'approche scientifique que l'on en a alors est davantage sociologique : sous la plume de J. P. HASSOUN sont publiées plusieurs études portant sur les pratiques culturelles et rituelles des Hmong dans les nouveaux pays d'installation et tout particulièrement en France.

    Dans ce même contexte historique, c'est le discours politique, relayé par la presse, qui évoque les Hmong pour dénoncer, au nom des Droits de l'Homme, les persécutions dont ce peuple est l'objet de la part du gouvernement communiste laotien. Régulièrement, la presse française évoque cette situation. Le quotidien Le Monde a consacré, à partir des années 1950, un certain nombre d'articles à cette population10(*). Quelques titres peuvent nous éclairer sur l'évolution de la perception que l'on en a eue : Les Meos (1952), Le pays Meo (1953), Montagnards meo (1959), Plaine des Jarres : colonnes de montagnards meo (1961), Tribus meo (1970), les Mercenaires de Van Pao (1970), Le calvaire du peuple meo, petit peuple des collines transporté de camps de réfugiés en camps de réfugiés (1971), Hmong (1975), Les Hmong dans les Alpes françaises (1979), Les Meos restés au Laos et les Hmong (1980). Comme on peut le constater, si pendant longtemps cette population a été observée à la loupe de l'anthropologue étudiant les Meos, à partir des années 1970, il est question des Hmong, que l'on oppose aux Meos restés au Laos. Avec la dispersion hors des frontières du Laos, on assiste à l'émergence d'une véritable identité hmong englobée jusqu'alors dans le groupe ethnique Meo. Cela est dû en grande partie aux leaders hmong eux-mêmes et aux intellectuels qui ont voulu, pendant la guerre du Vietnam, reprendre le terme ethnique Hmong, inconnu du plus grand nombre, comme on a pu le constater à la lecture de la presse.

    Récemment toujours dans la presse, l'hebdomadaire l'Express affirmait : « Les Hmong qui, autrefois, défrichaient les collines pour y planter riz, légumes et pavots sont condamnés, à présent à creuser le sol pour en extraire ces longues racines qu'ils cuiront, recuiront et grignoteront deux ou trois fois par jour... Selon les estimations, entre 5 000 et 10 000 personnes, en majorité des Hmong, dont au moins la moitié d'enfants, répartis en une dizaine de communautés sur le territoire laotien, subissent le même sort »11(*). Les nouvelles technologies de communication et Internet vont alors servir de vecteur à la création d'une identité hmong revendiquée par ces déracinés qui recomposent avec leurs origines et tentent de préserver un héritage. Des sites tels que www.hmongarchives.org et www.hmongstudies.org témoignent de la vitalité de cette population dans la quête d'une reconnaissance identitaire. Nous sommes face à un paradoxe : « une population sans écriture » se trouve aujourd'hui productrice elle-même d'une importante littérature visant à faire connaître son histoire et à promouvoir sa culture et son identité. Est-ce le signe de la vitalité de la diaspora ?

    Il existe une carte, établie en 1972 par J. LEMOINE12(*) avant la réunification du Vietnam, permettant la localisation de la population hmong dans le Sud de la Chine et le Nord de la péninsule indochinoise, essentiellement au Laos, Vietnam et Thaïlande (carte n°3). Cette carte montre l'existence de très nombreux foyers de tailles très diverses et leur extrême dispersion sur « un territoire en archipel » (TAPIA, 2005), indépendamment des frontières politiques, et qui, selon l'auteur, à l'époque où il a établi le document, ne devait pas dépasser le 16ème parallèle. Les zones d'implantation des Hmong correspondent aux régions montagneuses, au delà de 2 000 m d'altitude, du Yunnan (Chine), du Nord du Laos, de la Thaïlande et du Vietnam. Au sud du 16ème parallèle, le relief beaucoup moins accidenté cède la place aux plateaux et aux plaines traversées par un très important réseau hydrographique. Ce n'est plus le domaine des Montagnards.

    Carte n°3 : Lieux d'implantation des Hmong dans la péninsule indochinoise

    Leur recensement précis paraît difficile voire impossible. Il a été toutefois tenté par les Etats concernés et les organisations internationales. Cela met à notre disposition un certain nombre d'estimations. Ainsi, en Chine, c'est le cinquième groupe ethnique en terme d'individus parmi les 56 nationalités, et le recensement chinois de 1989 estime leur nombre à environ 7 millions. L'ONU fournit des chiffres indiquant que les Hmong vivant au Laos représentent 7,4 % de la population laotienne13(*), soit environ 438 300 personnes. Ils font partie des 49 ethnies recensées par le gouvernement laotien en 1989. Le caractère approximatif de ces chiffres tient également au fait qu'aujourd'hui une partie des Hmong est encore réfugiée dans la jungle, dans la zone de Xaysomboun, traquée par les armées laotiennes et vietnamiennes pour avoir aidé les Français pendant la guerre d'Indochine, puis les Américains pendant la guerre du Vietnam. En 2005, ils n'y sont plus que 8 000 alors qu'ils étaient plus de 30 000 il y a une dizaine d'années14(*). Voulant s'opposer au régime communiste de l'époque, cette ethnie paye donc aujourd'hui un lourd tribut.

    Au cours des dernières décennies, une forte population de Hmong a été réinstallée aux États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada, Allemagne, Japon, Argentine et France (estimation à 30 000 selon Chô LY, 2004), dont environ 2 000 en Guyane française. La plus grande partie vit encore en Asie du Sud-Est : Chine, Vietnam, Laos, Thaïlande et Birmanie. Souvent assimilés à tort aux « boat people » vietnamiens, cette population entre dans la catégorie des réfugiés du Sud-Est asiatique.

    v Réfugié du Sud-Est asiatique, un statut juridique

    Cette troisième expression correspond au statut juridique adopté par la Convention de Genève (1951) qui définit, dans l'article premier du chapitre I, le « réfugié » : il s'agit d'une personne qui «  craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

    C'est un statut international unique, général, qui implique protection et assistance de la part de l'Etat d'accueil. Il fait suite à la très ancienne tradition d'asile qui renvoyait à des considérations religieuses, politiques ou philosophiques (BERTHELEU, 1999 : 23). Dans l'expression étudiée, le terme « réfugié » est complété par une localisation géographique très large, « l'Asie du Sud-Est » englobant Vietnam, Laos et Cambodge, entité dont l'Occident prend conscience avec la création du SEAC (South East Asia Command) en 194315(*) pour prendre en charge les opérations des Alliés dans cette partie du Monde. Dans le contexte de la décennie 1970, les « réfugiés » sont très souvent associés aux « boat-people » dont tous les médias occidentaux diffusent les images. L'UNHCR, dans un souci de classement, établit toutefois une distinction en introduisant la catégorie « land people », c'est-à-dire les populations qui ont quitté leur pays par la voie terrestre.

    Etre « Hmong », dans la communauté qui est l'objet de notre étude, est une revendication identitaire forte quelles que soient les générations et la nationalité. En effet, le statut juridique de réfugié n'a été accordé qu'aux individus quittant le Laos et pris en charge par l'OFPRA à leur arrivée en France, et la nationalité acquise selon le lieu de naissance peut varier à l'intérieur d'une même famille. Pour les enfants nés en France, l'acquisition de la nationalité française est considérée de plein droit, notamment en raison de la naissance et de la résidence en France. Depuis le 1er septembre 1998, tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans. L'acquisition anticipée par déclaration à partir de l'âge de seize ans est également prévue. Enfin, la nationalité française peut être réclamée, sous certaines conditions, au nom de l'enfant mineur né en France de parents étrangers, à partir de l'âge de treize ans et avec son consentement personnel (article 21-11 du code civil ). Et tout en étant aujourd'hui français, ces adolescents et jeunes adultes se revendiquent avant tout Hmong. C'est parce que « ce peuple puise sa force dans sa structure communautaire ancestrale fondée sur le clan» (MARTIN, 1992 : 29) qu'il demeure visible plus de vingt ans après son arrivée en France.

    2. Problématique, cadre conceptuel et bibliographie

    Considérant cette population en situation de migration forcée et de dispersion, nous avons été amené à revisiter le concept de diaspora appliqué à un groupe ethnique numériquement très faible dans le contexte régional et local. En choisissant de nous centrer avant tout sur « l'ici » et sur l'observation des pratiques spatiales, au cours de la migration et dans la société d'accueil, et celle des modes d'intégration dans la société d'installation, nous nous sommes interrogé d'une part sur la nature des liens susceptibles d'exister avec les autres pôles de la diaspora - lieux et pays de réinstallation et pays d'origine -, et d'autre part sur le rôle du contexte dans les rapports aux lieux entretenus par cette population. C'est pourquoi nous avons choisi d'organiser cette recherche à partir d'une problématique privilégiant la notion de rapport aux lieux.

    v Problématique et axes de recherche

    Au cours des ancrages/désancrages successifs des Hmong en transplantation du Laos en France, quels rapports aux lieux les individus, les familles, le groupe ont-ils entretenus et entretiennent-ils aujourd'hui ? Qu'en est-il dans un contexte d'une très petite ville où le nombre de familles appartenant à cette communauté est particulièrement réduit ? Ces rapports aux lieux révèlent-ils le maintien d'un lien avec le pays d'origine et l'existence d'une diaspora ?

    Cette recherche a été menée selon trois axes qui ont permis le recueil de données à la fois quantitatives et qualitatives : le premier est à dominante démographique, le second prend en compte la dimension spatio-temporelle de la migration, le troisième concerne les « espaces vécus », réels ou idéels.

    Le premier axe de recherche vise à repérer et quantifier l'objet d'étude, et à analyser son implantation dans le contexte urbain d'installation. Le recensement des membres de la communauté Hmong du Maine-et-Loire, qui semblait être le préalable indispensable, n'a pas été possible pour les raisons énoncées plus haut. Il aurait permis de spatialiser son implantation au niveau départemental et de vérifier l'existence de foyers polarisant cet espace. Ce travail a été mené exclusivement à l'échelle de la commune de Montreuil-Bellay, dont le choix peut, a priori, paraître arbitraire : nous nous sommes interrogé sur les raisons de la présence, dès les années 1980, d'une communauté hmong dans une très petite ville, fait unique dans l'histoire migratoire de cette commune. Une réserve doit cependant être émise quant à la fiabilité des données numériques sur le temps long, car nous sommes en présence d'une population toujours mobile, en particulier en ce qui concerne les individus de la deuxième génération. Cette première étape a également permis de recueillir des données sur les compositions familiales et les caractéristiques socioprofessionnelles des individus, et de mieux connaître les niveaux d'intégration sociale dans la société d'accueil. Cela conduit à s'interroger sur d'éventuelles variations selon l'âge et le sexe.

    Le deuxième axe porte sur l'observation des étapes migratoires : originaires du Laos, ces familles ont, au cours de leur exil, suivi des trajectoires migratoires diverses, partant de multiples villages, passant des camps de réfugiés thaïlandais aux centres d'accueil dans les pays de destination, avant de s'ancrer dans un lieu résidentiel, de manière durable mais pas forcément définitive. Nous avons pu ainsi étudier la part d'initiative individuelle dans les choix résidentiels, toutefois relative dans le cadre de cette transplantation forcée. Parallèlement, il a été possible de superposer sur cette mobilité résidentielle les évolutions de la cellule familiale (mariage, naissances, décès) au cours de la migration. Enfin, nous nous sommes interrogé sur les opportunités et les moyens qui avaient facilité les regroupements communautaires. Quel avait été le rôle des acteurs institutionnels ? Fallait-il voir dans la présence de cette communauté la marque de l'existence d'un lien direct avec les communautés villageoises d'origine et pouvait-on parler de « villages-bis » ?

    Le troisième axe concerne les « espace vécus » qu'ils soient matériels ou idéels et symboliques. Installés dans le Maine-et-Loire depuis plus de vingt ans, les Hmong se sont approprié des espaces et ont construit des territorialités spécifiques multiscalaires : le logement, le quartier, la ville, le département... Selon quelles modalités ces « espaces vécus » s'articulent-ils et se hiérarchisent-ils aujourd'hui pour l'individu, la famille et le groupe ? Existe-t-il des liens avec les populations des villes voisines et celles vivant dans les autres espaces de la diaspora et en particulier dans le pays d'origine ? Quelle est la nature de ces liens ? Quel attachement les individus ont-ils avec ce pays d'origine selon les générations ? Telles sont les questions principales que nous avons été amené à nous poser.

    v Cadre conceptuel et bibliographie

    L'élaboration de la bibliographie s'est structurée avant tout autour de trois concepts de base - diaspora, intégration et territoire - et des notions qui leur sont associées. Elle a été complétée par des lectures ethnologiques et anthropologiques sur les populations du Sud-Est asiatique et tout particulièrement la population hmong.

    Diaspora

    Le terme « diaspora » utilisé pour désigner « toutes sortes de phénomènes résultant de migrations de populations dans plusieurs pays à partir d'un foyer émetteur » (BRUNEAU, 1995 : 5) est d'un emploi récent dans la littérature scientifique. En effet, une définition essentiellement descriptive a longtemps prévalu pour désigner le destin du peuple juif après la destruction du Temple et l'annexion de la Judée par les Romains. Il prenait en français une majuscule : c'était « la » Diaspora qui correspondait à la « dispersion » dont ils avaient été victimes en 70 ap. J.C. Progressivement, à partir des années 1970, en l'appliquant à des contextes spécifiques et à des groupes ethniques précis - Arméniens, Grecs, Chinois...- la notion s'est construite, prenant en compte les territoires d'« origine » ou de « départ » et d'« accueil » ou d' « installation16(*) » et analysant la « multipolarité de la migration » (MA MUNG, 1995 : 164). Aujourd'hui, en 2006, il s'agit d'un concept indispensable pour l'analyse et la compréhension des relations internationales en l'appliquant à toutes les populations dispersées qui maintiennent des liens (SCHNAPPER, 2001).

    Nous aborderons successivement ces trois étapes, afin de préciser dans quel contexte théorique nous plaçons notre recherche.

    1. un terme descriptif à connotation religieuse

    Le mot grec diaspora est emprunté à l'historien Thucydide (460 - 385 av. J.C) évoquant dans « L'Histoire de la guerre du Péloponnèse » la fuite en ordre dispersé des populations qui fuyaient Egine, île grecque soumise par les Athéniens en 455 av. J.C. La dispersion présuppose l'existence d'un groupe (les habitants d'Egine) et implique l'idée de fuite sous la contrainte (la menace de l'armée athénienne). Utilisé pour désigner « la dispersion à travers le monde antique des Juifs exilés de leur pays » (dictionnaire ROBERT, 1985), le nom diaspora correspond aux diverses déportations des populations juives, en Mésopotamie d'abord au VIIIe siècle av. J.C., puis, à la fin du Royaume de Juda, avec la dispersion des Douze Tribus d'Israël17(*), enfin après la destruction du Temple par les Romains en l'an 70 de notre ère. Appliqué aux Juifs dispersés dans un grand nombre de territoires, ce terme se renforce d'une conscience identitaire forte, issue d'une relation privilégiée à un dieu unique (BRUNEAU, 1995).

    2. une notion

    Au cours du XXe siècle, dans la diffusion du terme, on assiste à sa progressive sécularisation. Les géographes vont faire d'un nom, qui correspond jusque là à une réalité historique précise, une notion. Max. SORRE18(*) utilise le terme pour évoquer « les minorités [envoyées] à des distances très grandes », comparables à « de véritables essaims qui gardent leur cohésion ». Il précise que ces minorités ne forment une diaspora que si elles « conservent leurs liens originels avec la mère-patrie ». Le phénomène diasporique semble alors tout à fait exceptionnel et, qui plus est, peu durable : on estime en effet qu'au fil des générations - la deuxième ou au plus la troisième - l'assimilation doit se réaliser dans le pays d'installation. Mais, dans les années 1980, face à l'échec de certaines politiques d'assimilation et au vu du multiculturalisme naissant dans les pays anglo-saxons, les sciences sociales s'emparent de la notion de diaspora. Elle couvre avant tout l'idée de dissémination et de diffusion de « toute collectivité ethnoculturelle... hors de son milieu naturel » (GEORGE, 1970), ce qui désigne de manière large tout groupe possédant une culture commune : langue, croyances, traditions, mode de vie... Le même auteur, quelques années plus tard, complète cette définition en substituant au nom collectivité le terme « entité... solidement constituée auparavant » (GEORGE, 1984). Le groupe ethnique possède une source territoriale ou espace de référence, dans lequel il a progressivement inscrit son histoire, sorte de « mère-patrie » évoquée par Max. SORRE et à qui Pierre GEORGE emprunte l'image de la dispersion considérée comme un « essaimage ». C'est en appliquant le terme à des peuples précis - Arméniens, Palestiniens... - que la notion va se construire progressivement. En premier lieu, sont analysées les causes de la diaspora. Yves LACOSTE, étudiant ces phénomènes d'exode massif, précise que « les causes ont été, au départ, moins la quête de meilleures conditions d'existence qu'une nécessité absolue sous l'effet de contraintes qui furent surtout de nature politique » (LACOSTE, 1989 : 8). En se référant implicitement au pays d'origine, il retient l'image de la fuite impérative face à la pression exercée par un groupe dominant et attribue aux diasporas des causes avant tout politiques. Cette idée est reprise et complétée par Roger BRUNET19(*) qui distingue trois causes aux diasporas : « la dispersion contrainte en l'absence de pays propre » - la dispersion a une origine politique -, « la difficulté d'existence plus ou moins momentanée » - la dissémination est provoquée par un motif davantage économique et demeurerait temporaire -, enfin « le choix d'activité et de mode de vie » - le processus a une origine culturelle, un « savoir-circuler » (TARRIUS, MISSAOUI, 1994) faisant partie de la culture, la tradition et le mode de vie du groupe.

    Cette typologie, si elle a la vertu d'expliciter des causes - encore qu'il soit parfois difficile de distinguer de façon stricte migration politique et migration économique -, ne prend nullement en compte les dynamiques qui se mettent en place dans le phénomène diasporique que Gabriel SCHEFFER avait déjà énoncées : « les diasporas modernes sont des minorités ethniques de migrants vivant dans des pays d'accueil mais conservant des liens affectifs et matériels forts avec leur pays d'origine » (SCHEFFER, 1986). Il précise encore mieux cette définition en dégageant trois traits caractéristiques propres aux diasporas, à savoir la conscience et la revendication d'une identité ethnique ou nationale, la participation du groupe dispersé à une vie associative riche et l'existence de contacts sous des formes diverses avec le territoire ou le pays d'origine.

    3. un concept

    La multiplication des études sur les peuples en diaspora, réalisées sous le double éclairage de la géographie et de la sociologie, et plus particulièrement celle de l'école américaine, a permis de conceptualiser ce qui était jusque là une notion ancrée dans des contextes spatiaux-historiques précis et de dégager les critères qui assurent une meilleure lisibilité du phénomène et rendent intelligibles des conduites et des échanges sociaux. En effet, outre le caractère multipolaire de la migration que le géographe peut décrire, cartographier et analyser, comme il le fait pour toute migration quelle qu'elle soit, il existe un second élément à prendre en compte qui est celui de l'ensemble des relations tissées entre les différents pôles (MA MUNG, 1992), que d'aucuns ont nommé « l'ici », « le là-bas » et « l'ailleurs » (HOVANESSIAN, 1995, 1998 ). Et c'est effectivement « l'interpolarité des relations » qui prend appui sur de multiples réseaux, tant économiques que culturels, qui permet de distinguer la diaspora d'une migration dite classique. Les liens communautaires transnationaux volontairement créés et entretenus contribuent à renforcer une solidarité non seulement avec le lieu d'origine mais aussi entre les différents lieux d'installation, comparables à « un territoire en archipel » (TAPIA, 2005), indépendamment des frontières politiques. Ainsi les échanges matériels, symboliques ou même imaginaires alimentent la fidélité au passé et à une culture partagée dans une identité ethnoculturelle. Pourtant cette dernière peut-elle résister à l'épreuve du temps si elle n'est pas alimentée par un désir profond, ce que reprend Dominique SCHNAPPER en affirmant que « la condition diasporique implique une conscience et une volonté » (SCHNAPPER, 2001) ? En la définissant en terme de projet identitaire, la problématique des diasporas fait partie intégrante de la sociologie des relations interethniques.

    Intégration

    L'accueil des populations immigrées fait depuis longtemps en France l'objet de politiques et de théories spécifiques.

    L'assimilation fut longtemps une doctrine de la politique coloniale française que le législateur, dans l'ordonnance du 19 octobre 1945, concevait comme étant une manière de « se distinguer aussi peu des nationaux par le langage, la manière de vivre, l'état d'esprit, le comportement à l'égard des institutions françaises ». Le sujet assimilé est ainsi condamné à changer ou périr (GERARD, STOETZEL, 1953). Avec la décolonisation et les nouvelles donnes imposées par l'accroissement des flux migratoires internationaux, cette doctrine fut abandonnée, et au lieu de parler d'assimilation on préféra le terme intégration ainsi défini, en 1991, par le Haut Comité à l'Intégration comme étant « un processus spécifique [par lequel] il s'agit de susciter la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents , tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l'ensemble s'enrichit de cette variété, de cette complexité ». Nous serons ainsi amené à poser la problématique de l'intégration dans le cadre des diasporas.

    Contrairement aux migrations de travail d'individus seuls dont le projet migratoire inclut théoriquement le retour définitif au pays natal et qui, par conséquent, limitent au strict minimum leur implication dans la société « de travail », les diasporas concernent des groupes ethniques familiaux transplantés dans des Etats et des sociétés qu'ils n'ont pas toujours choisis. Dans la mesure où le retour au pays d'origine n'est qu'un rêve, « à l'étranger domicilié se pose le problème de la greffe ou de l'insertion dans une nouvelle `patrie'... De par sa lignée l'individu appartient à un ailleurs dont il peut garder la nostalgie, même s'il ne caresse plus l'idée de la revoir » (MORINEAU, 1993). Le repli communautaire semble peu conciliable dans la société française qui reste attachée à une conception élective de la nation reposant sur « le désir clairement exprimé de continuer la vie commune » (RENAN, 1882).

    Dans le cadre d'une immigration que l'on peut considérer comme définitive, on a affaire à la rencontre de deux populations socialisées chacune dans sa culture. P. BERGER et T. LUCKMAN distinguent deux formes de socialisation : la socialisation primaire qui est « la première socialisation que l'individu subit dans son enfance, et grâce à laquelle il devient un membre de la société » et la socialisation secondaire qui consiste en « tout processus postérieur qui permet d'incorporer un individu déjà socialisé dans des nouveaux secteurs du monde objectif de la société »20(*). Même si, pour celui qui arrive, les relations avec la population locale peuvent se réduire au contact public obligé, il est nécessaire de trouver un dénominateur commun qui leur serve de lieu et d'occasion de communication pacifique. L'élément indispensable est alors l'acquisition de la langue du pays d'accueil qui peut être considérée comme la première étape de socialisation secondaire et en cela de re-socialisation.

    Socialisation, cohabitation, insertion, assimilation sont autant de termes utilisés pour désigner différents modes d'adaptation de l'individu dans la société, qui pourraient correspondre aux étapes progressives de son intégration (KHELLIL, 1997). Pourtant, dans le cas des diasporas, comment concilier liens et solidarité communautaires et intégration individuelle ? Si cette dernière consiste en une re-socialisation de l'individu aux normes et valeurs essentielles de la société d'installation qui exerce un pouvoir dominant, elle implique l'abandon de tout ou partie de sa culture, « la perte du cadre culturel intérieur » (NATHAN, 1988 : 183), qui correspondra à une acculturation. L'observation des comportements matrimoniaux des enfants nés pour la plupart en France peut illustrer cette forme de « déchirure » : si les mariages endogames contribuent au maintien de la famille dans sa cohésion traditionnelle, le choix de l'union libre ou du mariage « mixte » indique une certaine désintégration du « noyau dur » culturel. L'intégration par l'acquisition de nouveaux modes comportementaux empruntés à la société d'installation ne risque-t-elle pas de mettre en péril le fonctionnement même de la diaspora ?

    Territoire

    Le concept de territoire, qui est au confluent de l'anthropologie et de la géographie. Outre les premiers travaux menés par Elliot HOWARD - ornithologue anglais définissant la « société territoriale » d'un groupe d'oiseaux - cité par Joël BONNEMAISON, il faut attendre les années 1980 pour voir publiés les travaux de ce dernier, étudiant les mobilités et les territoires de groupes de Touaregs du Niger, « l'ensemble des lieux hiérarchisés et connectés à un réseau d'itinéraires » (BONNEMAISON, 1981 : 254). A la même époque paraissent les travaux de Paul CLAVAL qui s'inscrivent dans une nouvelle forme de géographie dite « culturelle » à laquelle contribue Armand FREMONT grâce à la notion d'  « espace vécu ». Cette géographie des identités s'attache aux rapport avec les lieux et les espaces. Elle cartographie les déplacements, établit des cartes mentales... A partir des années 1990, les « territoires du quotidien » sont explorés par Guy DI MEO. Des travaux complémentaires menés plus récemment se sont penchés sur les « territoires urbains de proximité » (GUERIN-PACE, 2003) ainsi que sur la « géographie des odeurs » (PITTE, 1998).

    Au concept de territoire est obligatoirement associée la notion de territorialité qui « englobe à la fois ce qui est fixation et ce qui est mobilité, les itinéraires autant que les lieux », balancement permanent entre le fixe et le mobile (BONNEMAISON, 1981 : 254). Jean-Luc PIVETEAU découpe l'espace territorialisé en trois auréoles concentriques : « le noyau du préservé, du privé, de l'intime ; la couronne du collectif, du public, de l'inconnu ; et à la conjonction des deux, une zone de lieux intermédiaires d'échanges, de survenances, de métissages » (PIVETEAU, 1995 : 24).

    La seconde notion associée directement au concept de territoire est celle d'appropriation. Selon André DAUPHINE, « le processus d'appropriation est consubstantiel au territoire ; ce processus marqué par des conflits, permet d'expliquer comment le territoire est produit, géré, ménagé et défendu dans l'intérêt du groupe dominant ». Il s'appuie pour cela sur les travaux de l'Ecole de Chicago qui a hiérarchisé les étapes d'appropriation des quartiers urbains (BAILLY, 2001 : 65). Yves LACOSTE reprend cette idée de territoire caractérisé par « l'expression d'une volonté d'appropriation plus ou moins exclusive soit par un groupe social, ethnique ou religieux, soit même par une famille ou une individu » (LACOSTE, 2003 : 380). C'est ainsi que l'on peut dire : «C'est mon territoire». Pour Joël BONNEMAISON, « l'appropriation ne vient qu'en deuxième instance... Le territoire est d'abord un espace culturel et d'identification ou d'appartenance » (BONNEMAISON, 2004 : 131). Pour Armand FREMONT : « l'espace vécu » est à la fois « un espace social,... un espace-mouvement et un espace-temps vécu,... une expérience continue » (FREMONT, 1999 : 68). Cet espace vécu résulte de « la somme des lieux fréquentés et familiers mais aussi des lieux connus, aimés, perçus et représentés » (BONNEMAISON, 2004 : 58). C'est un espace de reconnaissance et de familiarité lié à la vie quotidienne.

    3. Un terrain étudié progressivement

    La proximité de notre résidence personnelle par rapport au terrain d'étude a facilité les déplacements fréquents et n'a pas nécessité un séjour long, qui aurait toutefois permis une véritable immersion dans la vie du quartier. Nous avons procédé en premier lieu à une phase d'observation avant de passer aux entretiens et aux enquêtes de recueil de données, tout en mettant en oeuvre à chaque étape une méthodologie s'appuyant sur des outils spécifiques.

    v La connaissance et l'observation des lieux

    Avant d'entreprendre tout travail d'enquête et de conduite d'entretiens, la connaissance des lieux paraît indispensable : elle a nécessité une phase d'observation du quartier de la Herse, situé à l'Est de Montreuil-Bellay, à différents moments de la journée, dans la semaine et le week-end. On peut ainsi constater des différences aussi bien dans l'occupation des espaces que dans les pratiques de mobilité des habitants d'un quartier dont le parc immobilier fait coexister le logement social (immeubles collectifs et pavillons mitoyens) et le logement privé (pavillons). En l'absence de commerces, cet espace urbain n'a aucune polarité interne visible, hormis le centre social. Seuls les établissements scolaires - collège et école - drainent, aux heures d'entrée et de sortie, une population d'adolescents et de jeunes enfants souvent accompagnés. La population active quitte le quartier en début de journée et n'y revient qu'en soirée, si bien que la circulation automobile est faible une grande partie de la journée. Pendant le week-end, surtout en matinée, le quartier est davantage animé : les plus jeunes se retrouvent dans la rue ou sur les espaces verts, les adultes procèdent à des travaux de jardinage...

    Au cours de cette phase d'observation, nous avons également visité le cimetière tout proche à la recherche des tombes des Hmong inhumés dans la commune, et avons été surpris de découvrir d'autres lieux extérieurs au quartier, par exemple les jardins potagers souvent à la périphérie de la ville.

    v Enquête auprès des usagers des lieux

    Nous avons procédé, dans le quartier de la Herse, à une enquête avec questionnaire auprès de la population n'appartenant pas au groupe ethnique hmong, afin de recueillir les perceptions que les individus ont des lieux, qu'ils résident soit dans le quartier soit dans la commune. En introduisant, sans citer la communauté hmong, des questions sur la connaissance que les enquêtés ont de la population « étrangère » locale, il a été possible appréhender les rapports sociaux en présence, et parfois les phénomènes de rejet.

    L'enquête21(*) a été réalisée le mercredi 13 juin 2007, entre 9h et midi, dans les rues du quartier, les entrées d'immeubles et les aires de jeux, auprès de 22 passants.

    Age

    - de 20 ans

    20 - 30 ans

    30 - 60 ans

    + de 60 ans

    Total

    Hommes

    2

    3

    2

    2

    9

    Femmes

    1

    5

    4

    3

    13

     

    3

    8

    6

    5

    22

    Tableau n°2 : Composition de l'échantillon d'enquête

    Nous souhaitions interroger des individus d'âge et de sexe différents - l'âge étant un critère de discrimination. En effet, compte tenu de l'arrivée « ancienne » des familles hmong dans la commune, il semblait intéressant d'enquêter auprès de personnes pouvant témoigner de ces premières années d'installation. A l'inverse, les adolescents ou jeunes adultes pouvaient apporter un éclairage sur les perceptions récentes, en quelque sorte historisées, de la communauté. D'autre part, nous avons voulu rencontrer des employés des services techniques chargés de l'entretien des immeubles, qui pouvaient avoir une vision plus globale sur l'ensemble de la population.

    Il s'agit d'une enquête légère qui a eu comme avantage majeur d'être rapide et de laisser un espace de parole suffisant du fait de l'importance numérique des questions ouvertes (7 sur 10). Par contre, si elle a le défaut d'être basée sur un échantillon numériquement faible, elle a permis de mesurer des degrés de connaissance très différents de la communauté hmong, allant d'un savoir « historique » - des réfugiés politiques - à une familiarité évidente de bon voisinage, en passant par des stéréotypes - Ils vivent entre eux et ne se mélangent pas. L'analyse des réponses nous a permis de mieux comprendre la perception de « l'étranger » dans un contexte de très petite ville.

    v Les entretiens : modalités et outils de recueil des données

    Nous avons rencontré un certain nombre d'acteurs institutionnels en mairie qui nous ont communiqué des informations aussi bien sur la commune que sur la population étrangère, en particulier laotienne. Pendant les premières années qui ont suivi l'arrivée des familles originaires du Laos (1981-1987), un recensement nominatif de ces familles a été réalisé, permettant de suivre l'évolution de la composition des ménages et leur implantation résidentielle. Des informations en matière de politique d'accueil des réfugiés sur la commune nous ont été également communiquées : elles permettent de comprendre l'évolution quantitative de ces familles pendant la même période. La rencontre d'un assistant social plus particulièrement chargé du suivi des dossiers concernant ces familles a complété ce recueil de données factuelles. Il a été enfin possible d'entrer en contact avec madame Odyle GARRIGUES, résidant actuellement en Guyane, qui a été, dans les années 1980, formatrice dans le centre d'accueil des réfugiés de Port-Leucate : son témoignage sur l'organisation de centre a été précieux dans la mesure où n'existe, à notre connaissance, aucun document à ce sujet.

    Avant de mener les premiers entretiens, nous avions souhaité sélectionner des individus en fonction de critères spécifiques, en particulier la date d'arrivée sur la commune. Une arrivée ancienne ou récente assurait de recueillir des parcours migratoires différents. De même le critère de l'âge nous paraissait important car il devait permettre d'appréhender diverses modalités d'intégration et des approches peut-être différentes de la culture hmong. Enfin, le sexe des individus correspondait à un autre critère de sélection, afin de vérifier l'existence de certaines spécificités dans les mobilités et les rapports aux lieux. Les témoignages ont été recueillis au sein de 5 familles sur le 9 résidant dans la commune (familles Ka-Gé TCHA, Teng CHIENG, Tsiong-Yia TCHA, Neng TCHA et Pao CHA) au cours d'entretiens menés soit de manière semi-directive au domicile des enquêtés, soit plus informels à l'occasion de rencontres dans la rue ou lors de réunions de famille ou de fêtes communautaires. Ces entretiens ont été fait d'abord avec les pères de famille et ont été prolongés auprès des enfants.

    Il faut toutefois noter les difficultés rencontrées pour obtenir les premiers entretiens, les personnes se réfugiant derrière la barrière de la langue et prétextant la nécessité d'un interprète. La présence de ce dernier a eu à la fois des avantages - le discours ralenti permet une prise de notes plus facile - mais également des inconvénients, car, comme le fait remarquer G. CONDOMINAS, « s'il faut passer par un interprète, cela devient fastidieux. L'étranger pose une question, l'interprète la traduit ; on répond, l'interprète retraduit ; tous ces temps creux, pris par les traductions, allongent démesurément la conversation et risquent de faire perdre le fil du discours [...] Les confidences perdent de leur liberté [...] D'ailleurs, comment se confier vraiment, en passant par un intermédiaire ? Et si l'on « s'est mis à table », les temps d'arrêt qu'exige la traduction donnent à celui qui se confie l'occasion de réfléchir, ce qui change considérablement la teneur des confidences » (CONDOMINAS, 1965 : 203). Toutefois, même si la présence d'un interprète est demeurée indispensable avec certaines personnes - les femmes en particulier - afin d'obtenir des renseignements précis, le dialogue direct s'est instauré rapidement, ce qui, à nos yeux, a traduit une marque de confiance de la part des interviewés. De même, si dans les premiers temps, il était indispensable d'obtenir un « rendez-vous » officiel après en avoir clairement précisé les intentions, parfois au prix de plusieurs jours d'attente, la confiance qui nous a été peu à peu accordée nous a permis d'arriver à l'improviste au domicile de la personne que nous souhaitions rencontrer et d'être accueilli sans difficulté.

    Les entretiens ont été organisés selon 2 modalités de manière à recueillir méthodiquement les informations. Les parcours migratoires et les « histoires de vie » ont été recueillis à l'aide d'une matrice biographique, permettant de mettre en relation histoire, mobilité professionnelle et résidentielle de manière à caractériser l'évolution concordante et cohérente d'une période assez longue (DI MEO, 2005). Ces matrices ont été complétées progressivement, le recueil d'informations initial s'apparentant davantage à un « sommaire », détaillé par la suite, permettant ainsi à l'interviewé de « suspendre sa vie pour la regarder comme elle fut » (SAYAD, 1993 : 823)22(*). Nous avons procédé par ailleurs à des entretiens semi-directifs sur des thèmes précis : le mariage, la mort, les traditions... Il est à noter qu'il y a eu souvent interférence entre ces deux techniques, récits de vie et commentaires ou confidences se mêlant. Dans ce cas-là, le recours aux enregistrements a facilité le classement des informations.

    Il faut enfin reconnaître une difficulté majeure rencontrée au cours de ce travail de terrain, liée au statut de la femme placée sous l'autorité incontestable du chef de famille. La rencontre en dehors de la présence de l'époux n'a pas pu être réalisée.

    La familiarité qui s'est instaurée progressivement avec la communauté nous a permis de participer à des fêtes familiales et à des cérémonies traditionnelles. La première fut un mariage célébré entre Faty TCHA, un jeune homme hmong, et une jeune fille française, en mai 2007 ; la seconde, une séance de chamanisme au domicile de Ka-Gé TCHA, en juin 2007, dont le récit détaillé figure intégralement en annexe. L'intérêt de ces moments repose sur le fait que l'observateur se fond totalement dans le groupe et capte ainsi de multiples informations, que l'entretien ou la discussion même informelle ne permettent pas d'obtenir.

    Conclusion : une lecture géographique par des méthodes diverses

    En choisissant de travailler sur, et avec, la communauté hmong de Montreuil-Bellay, dans la perspective géographique des rapports aux lieux, nous voulons apporter un éclairage nouveau sur cette population qui est à la fois connue du fait de sa visibilité et de son ancienneté sur la commune, mais également méconnue en raison d'une sorte de « discrétion » que l'on pourrait prendre pour une forme de repli communautaire. Ce double aspect nous a amené à privilégier un dispositif méthodologique qui repose essentiellement sur des entretiens semi-directifs, guidés par une matrice biographique, en préférant « les faits aux opinions et attitudes car la remémoration des événements est plus facile et moins entachée de réinterprétation » (TRIBALAT, 1996 : 15), et sur l'observation de terrain rendue possible dès lors que nous avons été accepté dans le groupe communautaire.

    Pour rendre compte de ce travail et préciser les rapports aux lieux entretenus pas le groupe et les individus, trois dimensions spatiales seront successivement abordées : celle des espaces parcourus depuis le Laos jusqu'à la commune d'installation, celle des espaces « vécus » élargis progressivement, enfin celle des espaces symboliques et parfois rêvés qui renforcent les liens diasporiques.

    II. D'un lieu à l'autre : dispersion, errance et ancrage

    « ...de toute façon, on est toujours au bord d'une autre vie. »

    Alain QUELLA-VILLEGER

    Nous allons accompagner les familles de réfugiés hmong le long des parcours migratoires qui les ont conduites de leurs villages d'origine au Laos jusque dans une commune du Maine-et-Loire où elles se sont installées au terme d'un itinéraire que nous allons retracer. Cette succession d'étapes, variables dans leur durée, ont toutefois des points communs quant à certains lieux, qui ont permis des formes d'ancrages territoriaux, mais également en ce qui concerne le statut des individus. En effet, dans un premier temps le réfugié, à partir du moment où il a quitté son pays, n'a qu'une très faible marge d'initiative : il passe de camp en camp, de camp en centre d'accueil... Il va, dans un second temps, avoir la possibilité d'exercer des choix lui permettant une insertion dans la société d'accueil : choix professionnels et choix résidentiels en sont les composantes essentielles. Les témoignages recueillis permettent de reconstituer les conditions dans lesquelles s'est fait le départ du village d'origine et du Laos, puis l'accueil en Thaïlande dans les camps sous contrôle de l'UNHCR, avant qu'un pays tiers n'ouvre ses portes et permette à terme un nouvel ancrage, concrétisé pour quelques uns par l'accès à la propriété.

    1. Une mobilité forcée dans des lieux géographiques fluctuants

    a. La vie au village

    La littérature ethnologique a pendant longtemps présenté les Hmong comme un peuple semi-nomade (LEMOINE, 1972), des « mangeurs de forêt » pour reprendre l'image utilisée par G. CONDOMINAS23(*) à propos de la population Mnong Gar du Vietnam, vivant de l'agriculture sur brûlis. Si cette image a longtemps prévalu, il faut convenir que le contexte des guerres d'Indochine qui précède le départ des Hmong du Laos en a quelque peu modifié le caractère.

    Dispersés dans les collines et souvent à l'écart des axes routiers, les villages traditionnels se composent d'une quinzaine de maisons abritant chacune une dizaine de personnes. En réalité, ils se définissent « plus comme un communauté que comme un lieu géographique » (LEMOINE, 1972c : 33) car les familles appartiennent souvent au même clan. Cependant, la population d'un village hmong est rarement compacte et homogène. Loin de constituer une communauté fermée, le village est ouvert à tous les groupes qui veulent s'y joindre, de la même façon chaque famille ou chaque groupe qui veut le quitter le fait en toute liberté et en ne tenant compte que de ses propres intérêts. L'activité essentielle est l'agriculture extensive itinérante, complétée par un élevage de volailles, de bovins et de cochons. La guerre a pourtant modifié cette structure villageoise, les villages ont grossi sous l'effet des déplacements de population : Hmong Blancs et Hmong Verts24(*) cohabitent parfois, avec tout ce que cela entraîne de difficultés de communication, leurs langues étant quelque peu différentes. Au cours des entretiens, nous avons rencontré plusieurs chefs de famille, originaires de provinces différentes du Laos, dont les témoignages coïncident :

    Nous habitions dans un village dans la province de Luang Prabang. C'était un gros village de plus de 90 maisons en bambous toutes de plain pied... Je n'ai pas fait d'études. Comme mes frères et soeurs, je travaillais dans les champs... Je me suis marié au village, mais comme mon épouse ne pouvait pas avoir d'enfant, j'ai épousé une deuxième femme parce que j'avais peur de ne pas avoir d'enfants... Mon frère était chef de village, c'était un chef hmong... Il y avait un autre chef de village laotien, lui. (témoignage de K. T.)

    Ce « récit de vie », qui s'apparente davantage à un sommaire25(*), nous éclaire sur plusieurs points, en particulier la structure familiale, l'éducation et les rapports aux lieux.

    Une famille hmong est traditionnellement une famille nombreuse considérée comme une nécessité, ne serait-ce que pour les activités agricoles (ROBINSON, 1990). La pratique de la polygamie, qui sera précisée dans le chapitre III, en est l'origine. Le système de parenté englobe à la fois la famille conjugale, ou « nucléaire » (père, mère, enfants), et la grande parenté étendue à tous les liens familiaux plus ou moins lointains du côté de la mère et du père (TAILLARD, 1980). Lorsque certaines personnes nous ont été présentées comme étant des « cousins », nous avons essayé de démêler - en vain - l'écheveau familial. En réalité, la notion d'appartenance familiale est très large, allant du cousin ou du neveu direct à un vague parent issu d'une lointaine parenté. C'est un point important à souligner et qui sera repris ultérieurement dans le cadre de ce que l'on peut désigner sous le terme de reconstitutions familiales.

    Pour la plupart, les hommes interrogés ont un niveau d'études faible. Certains, issus de familles modestes, ont dû très tôt aider leurs parents dans les activités agricoles ; d'autres ont pu fréquenter, pendant quelques années, l'école du village ou de la ville voisine, et apprendre des rudiments de français. Compte tenu de leur âge au moment du départ du Laos - ils avaient souvent moins de 20 ans - et de leurs origines rurales, aucun n'a suivi d'études supérieures. Les femmes interrogées n'ont jamais fréquenté un établissement scolaire. Tous souffriront, à leur arrivée en France, d'une part, de la non-maîtrise de la langue française, mais surtout de l'analphabétisme car ils ne pourront alors compter que sur leur mémoire pour acquérir les bases d'une nouvelle langue. Les enfants ont pu, dans les camps, que ce soit à Ban Nam Yao ou Ban Vinaï, acquérir quelques bases linguistiques, mais c'est surtout à leur arrivée dans les pays tiers qu'ils entameront une scolarité « normale ».

    Ce qu'ils appellent « les champs » - ray - constitue un terroir fluctuant relativement éloigné du village, et cela pour éviter que les troupeaux - vaches, cochons, chevaux, volailles - laissés en liberté autour du village ne s'attaquent aux récoltes. Ainsi, une à deux heures de marche sont parfois nécessaires pour les atteindre. Ce sont des parcelles conquises sur la forêt dont les hommes ont, dans un premier temps, abattu les plus gros arbres. Ceux-là ne repousseront pas. Après brûlis, nettoyage et clôture de la parcelle, on peut ensemencer et procéder à la mise en culture. C'est là que poussent le riz, le maïs et le blé, et des légumes divers (piments, choux...). Même s'ils se disent aujourd'hui avoir été « propriétaires » de ces terres, il n'existait pas véritablement d'acte de propriété au sens où nous l'entendons en Occident puisqu'au bout de plusieurs années, la terre étant moins fertile, ils étaient obligés de préparer une nouvelle parcelle. Même la maison, dans la mesure où on peut être amené à déplacer l'ensemble du village, n'est qu'un lieu de vie provisoire, qui renferme cependant des lieux symboliquement importants, comme nous le montrerons en étudiant les cérémonies du mariage. Le territoire familial est donc « un ensemble de lieux hiérarchisés, connectés à un réseau d'itinéraires » (BONNEMAISON, 1981 : 254), qui relie la maison et les champs, mais aussi les habitations des autres membres du clan. Traditionnellement, l'autosuffisance est assurée par une agriculture extensive itinérante et la cueillette des « herbes sauvages » qu'ils appellent « salades ». N'étant pas propriétaire d'un lieu géographique, ils en disposent tant qu'il répond aux besoins du groupe.

    Aucune des familles rencontrées ne possède de photos de leur village. En voyant le document ci-dessous ils ont dit ne pas reconnaître le type d'habitat : leurs maisons étaient construites en bambous mais pas surélevées comme on peut le constater sur la photo.

    Photo n°1 : Un village « hmong » près de Luang Prabang,

    Source: J. P. Rodrigue. 2003. http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/la.html

    Par contre, ils ont été sensibles à l'environnement qui leur rappelait les lieux où ils avaient passé leur enfance. Monsieur T..., qui est revenu trois fois en Thaïlande depuis qu'il vit en France, confie avec un sourire : « Quand on voit la nature, les arbres, les bambous, ça ressemble au Laos, ça fait plaisir... ». Ces éléments paysagers correspondent à de « véritables médiateurs symboliques » et renforcent le lien identitaire (DI MEO, 2005 : 84).

    Du jour au lendemain, cette vie réglée sur le calendrier agricole, rythmée par les traditions d'une civilisation agraire ancestrale et dans laquelle chacun joue un rôle et a une fonction au sein de la communauté, cette vie va basculer brutalement et pousser sur les routes de l'exil ceux qui, jusque là, ne connaissaient que l'environnement immédiat de leur village et qui, pour certains, n'avaient du monde qu'une connaissance fondée sur les légendes transmises oralement par les anciens de la famille. J.P. HASSOUN, étudiant le terme « réfugié » dans les langues hmong et vietnamienne26(*) constate que dans l'exil de nouvelles expressions apparaissent alors : ils s'autodésignent comme « les gens qui éclatent de leur territoire » (neeg tawg teb chaw) (HASSOUN, MIGNOT, 1983 : 13). Plus que géographique, il s'agit davantage d'un espace social traditionnel en marge de l'Etat laotien.

    b. La fuite brutale improvisée dans l'urgence

    Nous étudierons en premier lieu, à partir de témoignages recueillis, les conditions de ce départ, puis nous élargirons cette étude de l'exil à l'ensemble de la péninsule indochinoise, afin de mieux percevoir les spécificités de chaque population.

    En 1975, il [le chef du village] a été arrêté et on a dit à mon frère : « Tu dois quitter le village ». On a eu peur et on est parti. On est passé de l'autre côté du Mékong. On est resté une semaine à Xaignabouli. Je cherchais mon frère... Quand je l'ai retrouvé, on est tous partis vers la Thaïlande. Nous étions à peu près cinquante de la même famille. On a marché pendant 7 jours... Les femmes, les vieillards, les hommes, les petits... Quand on est arrivé en Thaïlande, il y avait déjà des réfugiés laotiens sur place. On a été bien accueillis par les Thaïlandais... J'avais 17 ans... (témoignage de K. T.)

    En 1976, j'ai quitté le Laos avec mes parents et mes grands-parents. J'avais 15 ou 16 ans. C'était pendant les vacances scolaires. Je ne comprenais pas grand chose. Il a fallu préparer de la nourriture, quitter le village la nuit, laisser les animaux... On a pris de quoi manger, boire et s'habiller. Pour passer la frontière il a fallu choisir l'endroit, quelqu'un nous a montré le chemin... Il n'a pas fallu le payer... On a marché pendant 10 km pour arriver en Thaïlande...(témoignage de H.T.)

    L'exil se fait en deux étapes : d'abord on quitte, collectivement et dans la précipitation, le village et « on se met à l'abri » sur la rive droite du Mékong, avant de franchir la frontière et devenir un « étranger ».

    Le départ est collectif - il s'agit de groupes familiaux - et semble précipité27(*) : en quelques heures, il faut fuir en laissant derrière soi l'essentiel de ses biens sans ignorer les dangers auxquels on va être exposé. Pour franchir le Mékong, les premiers trouvent des barques où peuvent s'entasser jusqu'à 20 personnes. Bientôt, les suivants n'auront pas cette chance et devront se construire des embarcations de fortune, parfois simples flotteurs en bambous. Ils traversent ainsi le fleuve au risque de leur vie. Et même si la frontière thaïlandaise est « poreuse », elle n'est en pas moins surveillée par endroit par l'armée et nul n'est à l'abri d'une balle perdue.

    R. POTTIER, dans un rapport au Président de la République28(*), évalue à 350 000 le nombre total de personnes29(*) qui ont quitté ou cherché à quitter le Laos de 1975 à 1980, parmi eux, 125 000 montagnards environ, dont peut-être 100 000 Hmong (mais 75 000 seulement seraient arrivés vivants en Thaïlande), et sans doute 20 à 30 000 montagnards du Nord et du Sud Laos. On estime à 50 000 Laotiens (dont au moins 20 000 Hmong) ceux qui auraient péri en tentant de franchir la frontière. Comme on peut le constater, tous ces chiffres ne sont qu'approximatifs, la comptabilité étant impossible en raison des conditions de franchissement de la frontière et de la massivité des flux. D'autre part, on estime généralement que près de 80 000 Laotiens (pour la plupart Lao) ont réussi à se fondre clandestinement dans la population thaïlandaise en 1975-1976, un certain nombre ayant toutefois préféré par la suite rejoindre les camps de réfugiés pour échapper aux recherches de la police thaïlandaise, et afin de pouvoir bénéficier de la possibilité d'émigrer en France ou dans un autre pays (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 92).

    Le graphique n°1 permet d'élargir l'observation à l'ensemble de la péninsule indochinoise (Laos, Vietnam, Cambodge) et de comparer les situations des populations concernées. On peut constater deux phénomènes essentiels : d'une part l'importance des flux de réfugiés estimés globalement à près de 2 millions, d'autre part les situations très contrastées selon les nationalités et les années.

    Graphique n°1 : Nombre de réfugiés « land people » enregistrés dans les camps thaïlandais (1977-1987)

    Si le nombre de réfugiés originaires du Laos est constant pendant cette période, avec une légère baisse en 1983, celui des Cambodgiens connaît un pic important en 1979-1980 suivi d'une baisse progressive, alors que le nombre de Vietnamiens demeure très faible. Comment expliquer ces différences et ces contrastes ? Le contexte géopolitique est un facteur explicatif.

    Des trois pays de l'Indochine orientale, le Laos est celui dont les frontières sont les plus perméables. Le Mékong ne sépare pas le Laos de la Thaïlande, mais constitue, au contraire, un lien entre les deux pays. Les populations des deux rives du fleuve parlent la même langue et sont en fait d'ethnie lao. Entre la rive thaïlandaise et la rive laotienne, hommes et marchandises ont toujours circulé librement, et il est fréquent d'avoir des parents dans le pays voisin. Dès la prise du pouvoir par les communistes en 1975, la monarchie est abolie et la répression touche une partie très importante de l'administration et de l'armée qui avait collaboré avec les Américains et notamment les Hmong, ethnie minoritaire au Laos, répression se traduisant par une vraie chasse à l'homme (poursuite dans les jungles, meurtres, tortures, viols...). Une des conséquences de cette politique sectaire et répressive est alors l'exode de près de 10% de la population, débordant ainsi largement la classe aisée et les couches dotées d'une certaine instruction. Même lorsque les autorités laotiennes ont cherché à s'opposer à l'exode des populations, il a été presque impossible de contrôler efficacement les quelque 1 805 kms de cours du Mékong dans sa partie laotienne. Il est sans nul doute moins risqué pour un Laotien de franchir le fleuve, en pirogue ou même à la nage, que pour un Vietnamien de braver les périls de la mer.

    A l'inverse, jusqu'en 1979, le Cambodge sous les Khmers Rouges de POL POT était devenu « un vaste camp de concentration dont il était incroyablement difficile d'échapper » (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 127). Du fait de l'organisation minutieuse de la société, il n'était pas possible sous peine de mort de quitter le lieu auquel on avait été affecté. Pour renforcer la surveillance, les zones frontières avaient été minées : de là le très faible nombre de réfugiés cambodgiens enregistrés dans les camps thaïlandais jusqu'en 1979. En réalité le nombre de Khmers qui ont essayé de fuir le Cambodge est bien supérieur au nombre de ceux qui y sont parvenus. On estime à au moins 200 000 ceux qui auraient péri en route. De plus, contrairement à ce que l'on pouvait observer à la frontière laotienne, il ne s'agissait pas de groupes familiaux mais plutôt d'hommes seuls qui tentaient l'exil. Les vieillards et les jeunes enfants n'auraient eu aucune chance de réussir et les femmes devaient rester pour s'occuper d'eux. En 1979 les troupes vietnamiennes occupent le Cambodge et le gouvernement pro-vietnamien de Heng SAMRIN est mis en place : les Cambodgiens voient de manière inespérée la porte de leur prison s'ouvrir. On peut interpréter alors leur exode - en famille, cette fois - comme un phénomène de fuite différée.

    La faiblesse des flux de Vietnamiens pris en charge dans les camps de l'UNHCR thaïlandais pendant la même période - 10 000 environ - s'explique par l'absence de frontière commune entre la Thaïlande et le Vietnam. La voie terrestre est de fait beaucoup moins empruntée que la voie maritime. A titre de comparaison, toujours selon les statistiques du HCR, le nombre de « boat people » qui ont quitté le Vietnam entre avril 1975 et avril 1980 s'élèverait à 331 725 personnes.

    R. POTTIER rappelle dans son rapport que «  la majorité des populations de l'Indochine ont été continuellement ballottées d'une région à l'autre du fait des événements politiques et militaires, de sorte que les liens traditionnels qui les unissaient à leurs terroirs ont été rompus ». Il conclut en disant que « l'exode actuel [en France] doit être compris comme la continuation [...] d'un processus de déracinement qui s'est produit à l'échelle de peuples entiers » (CONDOMINAS, POTTIER, 1982 : 93). Ce déracinement constitue le premier véritable « désancrage » de cette population.

    Quels rapports aux lieux vont-ils désormais pouvoir établir ?

    2. Une mobilité sous contrôle pendant l'exil

    a. Le camp, le premier asile

    Ceux qui ont survécu au voyage et ont pu franchir la frontière sont parfois blessés ou malades ; ils sont conduits vers les postes de police pour vérification d'identité et transportés en camion dans les camps fermés où ils trouvent enfin le premier asile, après l'enregistrement obligatoire des familles, ce qui constitue la phase politico-policière du dispositif et donne droit aux rations alimentaires, phase économico-policière (BROCHEUX, 1983 : 201). Les camps de Ban Vinai, Nong Khai, Ban Nam Yao, et Chiang Kham, situés de l'autre côté de la frontière (carte n°4) accueillent essentiellement les familles Hmong. Entourés de barbelés, ils sont aménagés en villages et les sorties ne sont pas autorisées.

    Carte n°4 : Les camps de réfugiés sous contrôle de l'UNHCR en Thaïlande

    v Changement social

    Le camp de réfugiés modifie radicalement la condition et le statut des Hmong. Du point de vue des organisations internationales, ils sont reconnus comme réfugiés « de droit international ». Leur dépendance est extrêmement forte tant pour la nourriture - les rations sont fournies par l'UNHCR et les organisations humanitaires -, que pour les déplacements, puisqu'ils sont cantonnés dans l'enceinte du camp30(*). Pour celui qui a toujours vécu dans un village au sein d'une communauté en quasi-autarcie, où se pérennisaient les traditions, et où « la logique du lignage l'emporte généralement sur celle du voisinage » (TAILLARD, 1977 : 56), le camp représente une étape dans le changement social où se mêlent la découverte d'une certaine modernité - les enfants qui jusque là n'avaient pas été scolarisés reçoivent les premières bases - mais surtout celle de l'état de dépendance. Comme le fait remarquer G. CONDOMINAS à propos du camp de Ban Vinaï, et cela demeure applicable aux autres camps, « ces minuscules communautés éparpillées dans la jungle [...] se sont rassemblées en Thaïlande, comme jamais cela n'avait eu lieu au cours de leur longue histoire, en une agglomération de plusieurs dizaines de milliers d'individus » (HASSOUN, 1997 : 10).

    Les familles que nous avons rencontrées sont presque toutes passées par le camp de Ban Nam Yao - « village de la rivière sauvage » en thaïlandais - dans lequel elles sont restées plusieurs années avant de quitter la Thaïlande. En arrivant dans le camp, la première tâche qui attend les réfugiés est la construction de la maison en utilisant les matériaux locaux - bambous et chaume - fournis par l'UNHCR. Cet abri de fortune est pour eux un premier ancrage en terre étrangère sous contrôle des autorités thaïlandaises.

    J'avais 17 ans quand nous sommes arrivés dans le camp.

    Nous sommes restés 5 ans à Ban Nam Yao... Il y avait 14 000 réfugiés. La vie était compliquée. Au début, il n'y avait pas de toilettes, les gens n'avaient pas d'eau pour se laver... Pas d'électricité non plus... On n'avait pas de travail, il n'y avait pas de terre à cultiver, et on n'avait aucun moyen de gagner de l'argent pour acheter de la nourriture... On était enfermé et c'est l'ONU qui nous donnait la nourriture, l'eau... Toute la famille vivait ensemble... J'ai eu deux fils...

    (témoignage de K. T.)

    Le « food basket » se compose de riz, de poisson séché, de légumes secs et d'huile, complété parfois par des légumes frais. L'aide internationale cessera en 1999 et pourtant, deux ans après, des réfugiés sont toujours là, abandonnés cette fois. Un témoin, venu apporter des courriers et divers objets, confiés par des Hmong vivant en Guyane française et destinés à des membres de leur famille ou à des amis, décrit le lieu en ces termes :

    Imaginez des collines de terre ocre complètement déboisées et couvertes de petites maisons construites de bric et de broc et entourées de rigoles pour empêcher la pluie de les envahir. Il était difficile de connaître la population du camp mais elle était évaluée à plus de 20 000 personnes. Le camp ressemblait à une fourmilière avec des enfants partout. Il ne paraissait pas y avoir de plan précis et les maisons semblaient avoir été construites au hasard sur les pentes et étaient reliées par des chemins de terre qui serpentaient. L'hygiène était catastrophique. Sans doute y avait-il un ou plusieurs dispensaires mais je ne les ai pas vus. J'ai le souvenir d'un point d'eau avec un robinet au bout d'un tuyau posé à même le sol dans la poussière. Les femmes et les petites filles venaient faire la queue avec toutes sortes de récipients et repartaient vers leurs maisons.

    Certaines familles avaient des jardinets avec quelques légumes et des papayers. Il y avait très peu d'arbres. L'ensemble donnait une impression de désolation et je n'ose imaginer quel bourbier ce devait être à la saison des pluies.

    Certains réfugiés se débrouillaient pour sortir et travailler aux environs du camp. Les policiers thaïlandais étaient complices et laissaient faire, sans doute contre rémunération... (témoignage de madame O. G.)

    Il faut imaginer cette population de montagnards habitués à vaquer à leurs occupations dans beaucoup d'espace, à vivre de leurs mains en pratiquant agriculture et élevage, à subvenir à leurs propres besoins, se retrouvant désormais dans le plus complet dénuement, vivant dans des conditions sanitaires déplorables aggravées par la promiscuité et dépendant désormais totalement de l'aide internationale. Ajouté à cela un avenir incertain : le retour « là-bas » au Laos impossible et un « ailleurs » inconnu : « Quand on a pu partir en France, je ne savais pas où c'était ni comment c'était... » (K. T.). Et pourtant, on continue à vivre, on se marie, on fonde une famille, on organise des fêtes pour perpétuer les traditions et entretenir par la pensée un lien avec le village abandonné.

    v « Passer l'interview »

    Un jour, parce qu'on est « des gens à la moitié du chemin » (neeg tog kev), on se décide à « passer l'interview » (HASSOUN, 1983 : 14), à savoir se mettre en quête d'un visa délivré par un des pays tiers dont les représentants sont présents dans le camp. Comment choisir ? Vers quelle destination inconnue se tourner ? Peut-on réellement choisir ?

    On savait qu'on ne pouvait pas revenir au Laos... Toutes les ambassades de France, d'Australie, du Canada, des USA nous ont interviewés pour savoir si on voulait venir dans leurs pays... On a choisi la France... (témoignage de K.T.)

    Je suis resté 3 ans dans le camp, je me suis marié et j'ai eu un enfant. J'avais un oncle en France. C'est pour ça qu'on a choisi la France... (témoignage de H. T.)

    Il semblerait, selon le premier témoignage, que le réfugié ait eu un choix à faire : en réalité, il ne pouvait prendre la direction des pays anglo-saxons en raison de sa polygamie ; dans le second cas, nous sommes en présence d'un rapprochement familial facilité par la possibilité de donner l'adresse d'un parent déjà installé. Cela octroie une priorité dans la sélection des partants. A titre secondaire, on retient aussi la connaissance de la langue française ou anglaise, ou les anciens services rendus par ceux qui ont travaillé avec les Français ou les Américains. Par exemple, le père de Teng CHIENG était militaire au Laos, aux côtés des Français, à l'époque du protectorat. Il explique ainsi son départ pour la France :

    « L'Ambassade a vu que je peux venir en France, parce que nous avons des choses qui nous rapprochent des Français ».

    En réalité, les réfugiés ne choisissent pas le pays d'accueil car ils sont toujours prêts à tenter l'expérience d'une insertion dans le premier pays qui accepte de leur donner asile (CONDOMINAS, 1982 : 176). L' « ailleurs » vers lequel ils ont décidé de se diriger est toujours associé à un mieux-être économique et politique (HASSOUN, 1997 : 49).

    Pourtant, contrairement aux membres des autres nationalités, les tribus montagnardes enregistrent le taux de réinstallation le plus bas. De 1980 à 1983, 8 854 membres de ces tribus sont partis pour un pays tiers, contre 99 277 Cambodgiens, 36 422 Vietnamiens et 33 818 Laotiens des basses terres. Cela tient essentiellement au fait qu'elles constituent une société très soudée, dominée par un esprit de clan. Les membres de la tribu se conforment généralement aux décisions des chefs de clan, quelles qu'elles soient. Dans les camps, ils continuent d'exercer une autorité dans un cadre similaire à celui du village d'origine au Laos. La réinstallation impliquerait la dispersion des membres de la tribu et mènerait, dans un cadre étranger, à l'affaiblissement de l'autorité des anciens sur leurs proches (NA CHAMPASSAK, 1984 : 15).

    Le départ est encore un moment douloureux pour différentes raisons, car « la migration politique est celle qui laisse le moins de place au projet » (HASSOUN, 1997 : 81). De plus, outre l'appréhension du voyage - on prend l'avion pour la première fois - et la peur de l'inconnu, on quitte des membres de sa famille qui n'ont pu ou pas voulu obtenir un visa : un homme doit parfois abandonner l'une de ses femmes pour pouvoir accepter une offre de réinstallation (ROBINSON, 1990). On laisse sur place les amis que l'on a eus. La promiscuité et les souffrances partagées, ainsi que les moments de bonheur vécus dans l'enceinte du camp, tout cela a fait naître ou renforcer des amitiés. Et c'est tout ce passé que l'on abandonne, une fois de plus, pour une vie nouvelle « sab ntuj teb nraum no », c'est-à-dire « de l'autre côté du monde » (HASSOUN, MIGNOT, 1983 : 14).

    b. Les sas d'entrée dans le pays d'accueil : le réfugié réifié

    Comme il l'était dans le camp, le réfugié et sa famille sont dans un premier temps privés de toute initiative. Il y a d'abord la barrière de la langue qui rend difficile la moindre communication et nécessite de recourir à un interprète. Il y a surtout un nouveau mode de vie qui est imposé d'emblée : logement, alimentation, climat... Tout est nouveau et tellement différent. Ainsi, Teng CHIENG évoque, en souriant aujourd'hui, ses premières impressions :

    Quand je suis arrivé à Paris le 5 mai, il faisait froid.. J'ai vu que les arbres n'avaient pas de feuilles... ils étaient tout desséchés... mais je ne voyais pas de neige. Quand j'étais étudiant au Laos, j'avais appris qu'en France il y a beaucoup de neige à partir au mois de novembre jusqu'au mois de mars... J'ai cru que les arbres étaient morts... J'ai cassé une branche et j'ai vu qu'elle était dure. Les arbres n'étaient pas morts !... Après, j'ai vu les feuilles pousser... Ah ! c'est bizarre !...

    Au fil des semaines, une fois les « papiers » obtenus et les premiers apprentissages maîtrisés - ceux de la langue, en particulier -, une forme d'autonomie est acquise, qui va permettre une insertion progressive dans la société d'accueil.

    v « Créteil » : la prise en charge administrative

    A leur arrivée en France, les réfugiés sont hébergés à Créteil, chemin Vert-des-Mèches. C'est le plus ancien et le plus grand centre d'accueil d'exilés de France, créé en 1975 par France Terre d'Asile. A l'origine, le Centre de Créteil accueillait les victimes des dictatures militaires d'Amérique latine, plus tard, dans les années 1980, ce furent les réfugiés asiatiques. Le réfugié et sa famille sont alors pris en charge sur le plan sanitaire, mais surtout administratif afin d'entamer les démarches permettant l'obtention du statut de réfugié. La déclaration comme demandeur d'asile faite dans les délais les plus brefs auprès de la préfecture assure la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour (APS) sur déclaration d'adresse postale. Une fois son dossier transmis à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le réfugié obtient le récépissé de demande de séjour valable 3 mois, avant que son statut soit officiellement reconnu.

    Ainsi, au terme de deux semaines consacrées à ces démarches, H. T. s'est retrouvé à Port-Leucate, dans le département de l'Aude. Il s'agissait d'un « Centre provisoire d'hébergement éclaté », dont les anciens animateurs reconnaissent qu'à l'époque « tout le monde avait les bras ouverts... On avait du travail pour toutes les personnes... ». Il y eut effectivement une forte mobilisation pour les accueillir à leur arrivée, qu'il faut imputer en partie au sentiment de culpabilité de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies, où son influence était encore forte peu d'années avant les événements de 1975 (BERTHELEU, 1999 : 27). Nous avons pu recueillir auprès d'Odyle GARRIGUES, formatrice à Port-Leucate, des indications sur le fonctionnement de ce centre et sur les modes de prise en charge des populations réfugiées.

    v Le centre d'accueil de Port-Leucate : les premiers apprentissages

    Le centre de réfugiés fonctionne dans les locaux d'un centre de vacances situé sur la plage à Port-Leucate, station balnéaire construite dans le cadre de l'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, entre Narbonne et Perpignan. Les locaux sont loués par la Fédération Audoise des Oeuvres Laïques (FAOL) grâce à un budget de la DDASS. Sur place, oeuvrent des travailleurs sociaux, dont une jeune femme hmong, et un interprète. Les réfugiés sont logés dans de petits appartements de vacances réunis en « hameaux » avec des cours intérieures communes à 3 ou 4 appartements. Rapidement, ils vont s'approprier cet espace pour en faire un lieu de regroupement et reconstituer un semblant de lieu de vie communautaire : c'est là qu'ils se retrouvent, les hommes pour fumer leur pipe à eau, les femmes pour surveiller les enfants. Toutefois ces appartements ne sont pas équipés de cuisine, ce que regrettent les femmes qui cuisinent quand même parfois, en cachette, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d'hygiène et de cohabitation avec la direction du centre et d'autres résidents.

    La prise en charge immédiate est à la fois administrative et médicale. Les réfugiés ont souvent passé plusieurs années dans des camps thaïlandais de Ban Nam Yao ou Ban Vinai. Aucun n'est vacciné, il y a de nombreux enfants en bas âge et les femmes, souvent en mauvaise santé, souffrent de parasitoses, de problèmes dentaires, de maladies des yeux... Mais c'est surtout par l'apprentissage de la langue et des normes économiques que se fait l'aide à l'insertion dans la société d'accueil. Les adultes suivent une formation, essentiellement consacrée à l'apprentissage du français alternant avec des séances pratiques sur l'entretien d'une maison, des vêtements, et sur des notions d'hygiène... L'apprentissage du français par les Hmong est généralement plus lent que celui des autres Asiatiques car la majorité d'entre eux sont analphabètes et ne peuvent compter que sur leur mémoire pour progresser, avec l'aide de quelques cassettes. Les plus jeunes qui ont été scolarisés et écrivaient hmong ou même lao progressent plus rapidement. Des cours de cuisine constituent un support d'apprentissage différent et servent de prétexte à l'acquisition du vocabulaire des produits alimentaires de base et des appareils ménagers. Ils permettent aussi de découvrir de nombreux produits dont ils ignorent tout, et d'apprendre à les cuisiner... Un petit pécule de 10 à 12 fr. par jour est versé aux réfugiés, normalement thésaurisé pour leur installation à la sortie du centre, mais sur lequel ils peuvent obtenir des avances et ainsi se familiariser avec la monnaie et se rendre compte du coût de la vie. Enfin, compte tenu de l'isolement du centre, des sorties en bus sont organisées vers Narbonne ou Perpignan dans le cadre de la formation afin de leur montrer la réalité de la vie en France.

    L'aide à l'insertion repose donc sur deux piliers essentiels que sont les apprentissages linguistiques et économiques, indispensables pour prétendre à une insertion professionnelle et sociale dans la société d'accueil. Pendant les 2 ou 3 mois de séjour dans le centre, les réfugiés capitalisent le maximum de ressources qui doivent leur assurer rapidement une certaine autonomie.

    v La mobilité contrôlée

    Au terme de ce séjour dans le centre d'accueil, qui constitue un nouveau sas à franchir, l'individu ou la famille entreprend d'entrer réellement dans le « corps social » et, soit par la mobilisation des réseaux familiaux, soit par les opportunités qui leur sont proposées, prend une nouvelle destination. Nous retiendrons 2 exemples parmi les témoignages recueillis pour illustrer cette nouvelle forme de mobilité.

    J'ai travaillé une fois à Brive aussi. C'était là aussi un stage... Au foyer, ils voulaient que j'essaye d'élever les canards pour les foies... J'ai essayé pendant 2 mois, mais ça n'a pas marché...

    Ce premier témoignage permet de rappeler un principe qui avait été adopté à l'époque en matière de politique d'accueil des réfugiés. Afin d'éviter la formation de concentrations urbaines trop denses, mais également parce que « le mythe, en tant que discours politique, produit un idéal-type humain, une société, un paysage et un territoire » (DI MEO, 2005 : 79), on avait « une image du Hmong paysan des montagnes présenté comme un infatigable marcheur » (HASSOUN, 1997, 64), on tenta alors pour une partie d'entre eux, une insertion en milieu rural31(*), dans les Cévennes, le Limousin, la Corrèze. Lors de journées d'information et de réflexion de la scolarisation des enfants réfugiés de l'Asie du Sud-Est organisées par le CEFISEM32(*), en 1980, il avait été dit que « leur insertion en milieu rural concorde mieux avec leur tendance innée à se regrouper en famille. Il y a l'exemple de la Guyane dont le climat et la végétation rappellent beaucoup l'Indochine, où les Hmong semblent bien s'adapter. Il y a aussi l'exemple de la Lozère où depuis deux ans une action d'implantation de Hmong est engagée » (DUPONT-GONIN, 1980 : 23). Autant en Guyane on a pu constater un réel ancrage dans la durée, autant dans les départements de la métropole tous ces projets prirent fin au bout d'un à trois ans. Les « ruraux » partaient rejoindre des « parents » qui avaient été directement installés en ville. L'idéal-type construit par la société occidentale n'a pas résisté longtemps.

    Le second témoignage...

    Je suis arrivé à Paris en 1980. Je suis resté 15 jours dans un centre d'accueil, puis on a été amenés à Bourges dans un foyer. Là il a fallu attendre les papiers, les cartes de séjour, les cartes de travail... ça a duré 6 mois. Moi je n'avais pas de travail. Un jour, on nous a proposé du travail à Montreuil-Bellay : mes deux femmes pouvaient travailler dans les caves de champignon. On est arrivé à la fin 1980. Moi, je n'avais pas de travail, j'ai gardé les enfants à la maison. On habitait dans un appartement... J'ai fait de la couture...

    On distinguera plusieurs phases dans ces « histoires de vie » : la première, commune à tous les réfugiés enquêtés fait suite à la prise en charge par les dispositifs d'aide aux réfugiés, sous la responsabilité de France-Terre d'Asile qui gère les différents centres d'hébergement provisoire. Elle est marquée par une grande dispersion. Ainsi certains membres du clan TCHA se retrouvent dans le centre de la France (Bourges, Limoges), d'autres dans le Sud (Port-Leucate). C'est aussi une phase transitoire : encore assisté dans sa vie quotidienne, le réfugié acquiert peu à peu une forme d'autonomie qui passe d'abord par l'apprentissage de la langue et d'un mode de vie, symbiose de traditions et de nouveautés. La seconde phase est caractérisée par un changement de statut social de l'individu. Il devient désormais davantage acteur de sa mobilité et entame des migrations secondaires, qui permettent le regroupement communautaire sous la forme de petites concentrations de familles possédant une unité linguistique, culturelle et une histoire commune (CHORON-BAIX,1988). Ces migrations secondaires sont par ailleurs complexes car elles ne cessent jamais totalement33(*), d'où la difficulté d'établir une carte des localisations (HASSOUN, 1997).

    3. Le choix de l'ancrage dans un milieu urbain

    Quelle a été réellement la marge d'initiative laissée aux Hmong qui sont arrivés à Montreuil-Bellay ? Il nous paraît nécessaire de retracer brièvement l'histoire de la constitution de cette communauté ethnique, d'une part car elle illustre bien le fonctionnement des réseaux familiaux et relationnels qui en sont le fondement, mais aussi car elle permet de saisir le rôle que les politiques locales en matière d'accueil des réfugiés ont joué, attractives dans un premier temps mais dissuasives ensuite. Cette étude permettra aussi de vérifier dans quelle mesure certains ont pu réaliser un ancrage territorial.

    a. Politiques d'accueil à Montreuil-Bellay

    La municipalité de Montreuil-Bellay a procédé, en 1981, 1982 et 1987, à quelques recensements de la « communauté laotienne », véritable « communauté ethnique locale » (HASSOUN, 1988 : 39). Quelles étaient ses intentions d'alors ? Ces recensements n'ont-ils pas été réalisés à seule fin de mettre en place une politique migratoire ? Leur consultation nous a permis d'obtenir des informations quantitatives portant sur la date d'arrivée des chefs de famille, les compositions familiales (couples, ascendants, enfants) et les lieux de résidence.

    v Une vague d'arrivée favorisée puis freinée par décisions municipales

    Au cours de la période 1978-1987 (graphique n°2), on peut distinguer une première vague (1978-1981) au cours de laquelle arrivent 148 individus (45 adultes, 103 enfants, soit 19 familles), suivie d'une période d'arrêt total des arrivées, suivie elle-même d'une reprise de la migration (1986-1987) beaucoup plus faible cette fois-là (5 adultes, 15 enfants, soit 3 familles).

    Graphique n°2 : Familles hmong arrivées à Montreuil-Bellay (1978-1987)

    Comment expliquer ces importantes variations ? Les premiers arrivants vont bénéficier d'un contexte économique favorable associant des opportunités d'emploi et de logement, comme il est rappelé dans un courrier (annexe 1a) adressé au maire de Montreuil-Bellay  par monsieur L., secrétaire général de la mairie. Celui-ci déclare : « Vous savez qu'au début de l'année 1978, sans que n'existe aucun structure d'accueil, les premières familles laotiennes sont arrivées à Montreuil-Bellay, guidées par la disponibilité de logements et la possibilité de travail dans la région... ».

    Les emplois proposés sont des emplois faiblement qualifiés dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame, qui recrutent, par l'intermédiaire d'une assistante sociale, une main d'oeuvre essentiellement féminine, et dans une entreprise locale de menuiseries aluminium, UCP, rachetée par la suite par le groupe Euramax Industries. Quoiqu'en dise M. L., un comité d'accueil existe pourtant en la présence de Madame T., épouse d'un chef d'entreprise saumurois et responsable du « G.A.T.R.E.M. Indochine » (Groupe d'aide au travail, au reclassement et à l'éducation des migrants). C'est par le jeu de ses relations personnelles que des emplois dans l'industrie sont alors proposés. Ces réseaux relationnels ou professionnels jouent à ce moment-là un rôle capital car les familles hmong peuvent envisager de quitter le centre d'accueil provisoire dans lequel elles sont cantonnées depuis plusieurs mois.

    Le travail dans les champignonnières a été décrit par Pi CHA34(*) dans la revue Hommes et Migrations (1999). Les conditions de travail et le rythme imposé aux ouvrières - « huit à dix heures de travail dans ces galeries sombres, avec une pause de deux heures pour le déjeuner, et quelques autres courts arrêts... » - sont particulièrement rudes, mais la nécessité d'un revenu indispensable, en l'absence d'autres qualifications professionnelles, ne leur laisse qu'une faible marge de choix. Dans une famille, les deux épouses travaillent dans les champignonnières et le chef de famille reste au domicile, assurant la garde des enfants, tout en exerçant une activité de couture à façon.

    Les femmes qui n'ont pas de famille à Montreuil-Bellay logent dans une maison que leur employeur a mise à disposition, moyennant une petite rétribution financière, et où les enfants, pendant les vacances scolaires, peuvent résider en les attendant. Elles disposent également du jardin attenant au bâtiment où elles font pousser des légumes du Laos. Celles qui ont de la famille à Montreuil-Bellay sont hébergées par elle. En matière de logement, la commune s'est équipée, en quelques années dans le quartier de la Herse, de logements sociaux (photos n°2 à 5) régis par l'Office d'HLM d'Angers (Habitat 49), comprenant à la fois des appartements dans 6 immeubles collectifs de 4 étages (1969), une « tour » de 9 étages (1972), des pavillons appelés « Les Gémeaux » (1971) et enfin les « gradins-jardins » achevés en 1977. L'ensemble représente un parc locatif de 196 appartements et 60 pavillons35(*) (carte n°5).

    Carte n°5 : Logements sociaux du quartier de « la Herse » (Montreuil-Bellay)

     

    Immeubles collectifs

    Rue des Vignes

    En arrière plan la rue des Collèges

    (construction : 1969)

     

    « La tour », rue d'Anjou

    (construction : 1972)

     

    Les « gradins-jardins »

    (construction : 1977)

    Photos n° 2, 3, 4 : Trois types d'habitat collectif dans le quartier de la Herse

     

    Les « Gémeaux »

    Rue du Général de Gaulle

    Photo n°5 : Les Gémeaux, pavillons mitoyens, dans le quartier de la Herse

    v Les inquiétudes de la municipalité

    Peu de temps après les premières arrivées, la politique municipale en matière d'accueil se modifie, comme le prouvent deux courriers adressés en 1981, l'un, par le secrétaire général de la Mairie au maire de la commune et aux membres du bureau d'aide sociale (annexe 1a), l'autre, par le Maire de Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame, petite commune voisine (annexe 1b).

    Nous retiendrons de ce premier courrier quelques éléments qui permettent d'éclairer ce changement d'attitude et de réfléchir sur les fondements d'une politique migratoire dans une très petite ville. Il dénonce en effet, sans les nommer, deux « phénomènes » : l'un est l'atteinte d'un seuil de tolérance, l'autre, le risque de « conflits ethniques ».

    ...ces personnes [...] représentent environ 10% de la population du quartier, et s'ajoutent à quelques autres familles d'immigrés marocains ou turcs, vivant également dans ce quartier [...] le nombre de réfugiés a atteint un niveau qu'il serait dangereux de dépasser...

    ...des inconvénients graves, aussi bien pour ces familles que pour les familles vivant dans le même quartier, peuvent survenir dans les années à venir [...] Certains logements ont été quittés ou refusés parce que, sur le même palier, vivaient une ou plusieurs familles laotiennes, de jeunes enfants laotiens ont provoqué à plusieurs reprises des dégradations au stade...

    La notion de « seuil » est apparue dans les études de la sociologie américaine sur les distributions résidentielles des groupes ethniques. D'un outil empirique élaboré a posteriori pour rendre compte de l`évolution urbaine des années 1925-1950 en Amérique, il s'est mué, en traversant l'Atlantique, en explication a priori. En 1968, un rapport du Conseil Economique et Social lui attribue un fondement scientifique, réfuté explicitement par les sociologues, sur lequel s'appuie la politique des quotas et autres contingentements. Selon Véronique de RUDDER, la notion de « seuil » est dotée d'une aura scientifique qui répond à une triple imposture. D'une part, sa corrélation statistique n'a jamais été établie et la question des conflits ethniques n'est pas de nature quantitative. D'autre part, elle fonctionne sur une interprétation mécanique et biologique des conflits sociaux qui voudrait qu'au-delà d'une certaine proportion d'étrangers, le « corps social » réagirait sous la forme de conflits inter-ethniques. Enfin, elle usurpe une pseudo-scientificité en recourant aux outils mathématiques en usage dans les sciences de la nature (RUDDER, 1993 : 74). Pour l'élu de Montreuil-Bellay, le « seuil » - même si le terme n'est pas employé, il se lit en filigrane dans le substantif « niveau » - présente l'avantage d'autoriser et d'interdire simultanément les attitudes de rejet et de racisme.

    Le second courrier, postérieur de quelques semaines au précédent (28 août 1981), en est en quelque sorte sa mise en application, puisqu'il s'agit, non pas de refuser l'arrivée de nouveaux étrangers, « il est normal d'accueillir de nouvelles familles laotiennes dans la commune » - on s'interdit effectivement les attitudes xénophobes -, mais de proposer leur saupoudrage, une « répartition harmonieuse », afin que chacun prenne un peu de la part du fardeau qu'ils représentent :

    ...Il nous est apparu souhaitable que des communes voisines puissent accueillir des familles laotiennes désireuses de s'installer dans notre région, dans un souci de répartition harmonieuse qui conserverait ainsi la possibilité de se rencontrer fréquemment...

    Pour appuyer sa « théorie », l'émetteur avance un double argument « logique »  : la proximité géographique permettant des contacts faciles entre les membres de la communauté et le logement lié à la localisation de l'emploi :

    Je remarque que les demandes de logements formulées à Montreuil-Bellay concernent des personnes qui ont trouvé du travail dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame ; il m'apparaîtrait logique qu'elles puissent être logées sur place.

    Nous n'avons pas trouvé de trace de réponse du destinataire. En revanche, le maire de Loudun, commune proche au Sud-Est de Montreuil-Bellay, lui aussi vraisemblablement destinataire d'un courrier identique, fait savoir qu'il dispose de logements et serait même « favorable à l'accueil de réfugiés laotiens dans [sa] ville, si toutefois ces personnes avaient du travail [...] mais pour l'instant [il ne peut] leur offrir d'emplois à Loudun ».

    En réalité, que craignait la municipalité de Montreuil-Bellay ? En acceptant l'arrivée de nouvelles familles, favoriserait-elle une sorte d' « appel d'air » ? A ses yeux, les « réfugiés laotiens [constituaient], compte tenu de leur nombre, une entité culturelle, philosophique, voire religieuse » et parce qu' « étant les plus éloignés des exigences constitutives de l'existence `normale' [risquaient de produire] un effet d'entraînement vers le bas, donc de nivellement » (BOURDIEU, 1993 : 166). Quoi qu'il en soit, les effets de cette nouvelle orientation en matière d'accueil des Laotiens furent immédiats puisque, pendant 4 ans (1982-1985), aucune nouvelle famille ne put s'installer dans la commune. Uniquement 3 arrivèrent en 1986-1987. Quelles étaient alors et quelles sont aujourd'hui les caractéristiques de ces familles ?

    b. Une « communauté ethnique locale » dans une très petite ville

    Les familles hmong de Montreuil-Bellay constituent une « communauté ethnique locale » (HASSOUN, 1988 : 39), qui se construit en quelques années, alimentée par des arrivées successives. Il faut remarquer qu'au cours de cette période, on n'enregistre aucun départ. Faut-il y voir le signe d'une migration achevée ? Un contexte économique favorable qui donne à la commune une forte attractivité favorable à la sédentarisation ? Ou bien encore, l'expression de la force ancestrale du clan ? Nous avons déjà vu que les opportunités en matière d'emplois et de logements avaient facilité l'implantation des premières familles. On peut toutefois s'interroger sur la rapidité avec laquelle s'est constituée cette communauté, caractérisée par une unité culturelle, linguistique, une histoire et notamment un passé récent commun, et une insertion de même type dans la société d'accueil.

    Nous avons présenté antérieurement certaines de ces caractéristiques, en nous penchant plus particulièrement sur l'histoire récente des familles. Nous nous attacherons maintenant davantage à leur composition en étudiant les données fournies par le tableau n°3.

    Année d'arrivée

    Chef de famille

    Gd Père

    Gd Mère

    Mari

    Femme

    Enfants

    TOTAL

    (en 1987)

    1978

    CHIENG Teng*

     
     

    1

    3

    20

    24

     

    VANG Ya Dang

     
     

    1

    1

    1

    3

     

    CHA Yia

     
     

    1

    1

    6

    8

     

    YANG Say

    1

    1

    1

    1

    4

    8

     

    VANG Say Tchou

     
     

    1

    1

    2

    4

    1979

    TCHA Tsong Yia*

     
     

    1

    2

    12

    15

     

    TCHA Tsieng Sao

     
     

    1

    1

    4

    6

     

    YANG Li By

     
     

    1

    1

    6

    8

     

    VANG Ntcha

     
     

    1

    1

    6

    8

     

    YANG Youa Pao

     
     

    1

    1

    2

    4

    1980

    TCHA Va Neng

     
     

    1

    1

    3

    5

     

    CHA Seng Dua

     
     

    1

    1

    4

    6

    1981

    XIONG Ying

     
     
     

    1

    2

    3

     

    CHA Nay

     
     

    1

    1

    7

    9

     

    TCHA Yia

    1

    1

    1

    1

    6

    10

     

    TCHA Ka-Ge*

     

    1

    1

    2

    6

    10

     

    VANG Soua

     
     
     

    1

    3

    4

     

    TCHA Neng*

     
     

    1

    1

    5

    7

     

    VU Vatou

     
     

    1

    1

    4

    6

    1986

    YANG Heu

     
     

    1

    2

    12

    15

    1987

    TCHA Kou

     
     
     

    1

    2

    3

     

    CHA Mo

     
     
     

    1

    1

    2

     
     

    2

    3

    18

    27

    118

    168

    * familles ayant participé aux entretiens

    Tableau n°3 : Composition des familles arrivées à Montreuil-Bellay entre 1978 et 1987

    v Quelques familles polygames avec de nombreux enfants

    Sur les 22 familles recensées en 1987, 14 sont monogames, 4 polygames et 4 monoparentales. La plupart des mariages ont été contractés au Laos avant l'exil, ou au cours de la migration, en Thaïlande principalement, mais aussi en Argentine, ou dans une commune française de première installation (Rennes). Nous avons précisé plus haut que la polygamie, au moment de l'obtention d'un visa pour un pays tiers, avait empêché certaines familles de partir vers les Etats-Unis. Pourquoi alors la France l'a-t-elle permis, alors qu'on croit la polygamie interdite ? En droit, elle l'est. L'article 147 du code civil stipule qu' « on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ». La notion d'ordre public interdit à un étranger de contracter sur le sol français un mariage polygame. Mais qu'en est-il des unions célébrées à l'étranger ? En fait, la polygamie a longtemps fait l'objet d'une grande tolérance quand les mariages étaient contractés hors du territoire national. Cette pratique s'était développée en France, en même temps que le regroupement familial, pour certaines populations d'origine africaine, dans les années 1970, après l'arrêt de l'immigration de main d'oeuvre. Ainsi, « l'arrêt Montcho », rendu en 1980 par le Conseil d'État, avait légitimé cette tolérance. En effet, cet arrêt assimile le fait de vivre en état de polygamie à une vie familiale normale pour un époux de statut polygamique, ce qui permet l'exercice du droit de regroupement familial pour les personnes concernées. Par la suite, des mesures plus coercitives seront prises. La « loi Pasqua » de 199336(*) introduit, dans l'ordonnance du 2 novembre 1945, deux dispositions contre les polygames et leurs familles :

    Article 15bis : « La carte de résident ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d'un tel ressortissant. Une carte de résident délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit être retirée ».

    Article 30 : « Lorsqu'un étranger polygame réside sur le territoire français avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint. Sauf si cet autre conjoint est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ses enfants non plus ne bénéficient pas du regroupement familial ».

    Chez les Hmong, avoir plusieurs femmes répond à différentes préoccupations : un homme peut épouser d'autres femmes si la première est stérile ou n'a que des filles. La survie du clan dépendant de ses éléments masculins, l'homme doit avoir impérativement des descendants mâles. Un autre cas surgit lorsque l'homme exploite de nombreuses terres et que sa femme enceinte ne peut pas l'aider. Une seconde épouse pourra la suppléer aux champs. Autrement dit, c'est la survie du groupe qui est encore ici en jeu. C'est cette raison inconsciente et primordiale qui explique certainement la maintenance d'un taux de natalité très élevé. A leur arrivée à Montreuil-Bellay, chaque famille compte au moins 5 enfants en moyenne. D'autres naissances suivront. Si l'on prend l'exemple des familles CHIENG (3 épouses) et TCHA (2 épouses), on totalise 26 enfants (20 + 6) et 14 naissances ultérieures (4 + 10). Le nombre moyen d'enfants par épouse est 8, légèrement supérieur à des moyennes établies sur des échelles plus grandes : le nombre d'enfants par femme hmong dans les années 1990 et 2000 est de 6 à 7 enfants, que ce soit en France, au Laos ou aux Etats-Unis (YANG, 1999).

    Enfin, 3 familles regroupent sous le même toit 3 générations : les parents du chef de famille ont accompagné sa migration. Ils sont souvent trop âgés pour exercer une activité professionnelle mais jouent un rôle dans l'éducation des enfants et surtout dans la transmission de l'identité culturelle. Certains adolescents, rencontrés en entretien, nous ont dit leur attachement à ces ancêtres, connus ou pas, et en ont parlé en ces termes  :

    Les parents de ma mère sont morts pendant la guerre. Mon grand-père [paternel] avait une maladie, tu sais, tu perds tes doigts... la lèpre ? oui, c'est ça... il est mort comme ça... Ma grand-mère [paternelle] est venue en France. Elle est morte en 1996. Je me rappelle que tous les jours je lui apportais du riz dans sa chambre. J'étais toujours avec elle... (témoignage de Phong-Yu T.)

    On imagine sans peine les problèmes de suroccupation des logements mis à la disposition de ces premières familles ; les appartements correspondent aux normes de la taille des familles françaises et les plus spacieux sont des T5. Rapidement, comme nous le verrons en analysant la construction des « bassins de vie familiaux», les familles polygames obtiendront 2 ou 3 logements, permettant ainsi à chaque épouse d'organiser son propre foyer. Par ailleurs, il faut ajouter que l'Office d'HLM et la Caisse d'Allocations familiales auront quelques difficultés, au début, à « gérer » ce problème... Toutefois, en versant des allocations familiales, l'Etat occulte la polygamie et ne retient que la notion de famille en tant que « clé de voûte de la construction du monde » (BOURDIEU, 1994 : 144).

    v Le clan, facteur de regroupement et d'ancrage territorial

    L'accroissement rapide de la communauté ne s'explique pas exclusivement par le contexte économique. Il faut chercher un autre facteur explicatif. Pour cela, observons l'ordre d'arrivée dans la commune des 22 familles recensées en 1987 (tableau n°4).

     

    TCHA/CHA/CHIENG

    XIONG

    YANG

    VANG

    VU

    1978

    X

     

    X

    X

     

    1979

    X

     

    X

    X

     

    1980

    X

     
     
     
     

    1981

    X

    X

     

    X

    X

    1986

    X

     

    X

     
     

    1987

    X

     
     
     
     

    Tableau n°4 : Répartition des clans familiaux par dates d'arrivée

    On peut constater la dominante très marquée des familles TCHA/CHA/CHIENG appartenant au même clan dont, chaque année, une ou plusieurs nouvelles familles arrivent. Les YANG et les VANG se placent en deuxième position. Les XIONG et VU constituent apparemment des groupes isolés. L'arrivée de la première famille du clan CHIENG/TCHA semble avoir eu un effet « boule de neige ». Selon quel mode de communication ? A la question de savoir pourquoi d'autres familles sont arrivées, Teng CHIENG déclare :

    ...parce que quand j'étais au Laos, je suis un monsieur que tout le monde connaît bien, parce que au Laos j'ai fait la guerre, partout tout le monde me connaît bien, et même on arrive à la Thaïlande je suis le président du camp de réfugiés aussi, et tout le monde il me connaît bien aussi. Et quand je suis arrivé en France celui qui vient derrière, il connaît je suis en France, et quand il arrive tous les foyers d'accueil de réfugiés en France, même n'importe où, même à Marseille, même à Perpignan, à Lyon ou à Toulouse, à Lille il me connaît, c'est ça... et eux ils déménageaient pour me suivre... ils sont venus tous, ils sont venus d'ailleurs...

    La venue de nouvelles familles est à attribuer, selon Teng CHIENG, à la notoriété qu'il avait acquise déjà au Laos, liée à son statut de militaire, puis renforcée dans le camp de Ban Nam Yao où il devient « président du camp des réfugiés ». Ceux qui arrivent en France après lui (« celui qui vient derrière ») lui reconnaissent une autorité suffisante pour le rejoindre à Montreuil-Bellay. Il faut ajouter qu'il est déjà dans la place et sert d'intermédiaire dans l'obtention d'un emploi dans l'usine UCP : « Il m'a téléphoné que je travaille pour eux ». La commune exerce une attractivité en raison des emplois qu'elle offre mais surtout du fait de la présence d'un individu, capable à lui seul de polariser un vaste espace. Il n'a toutefois pas été possible de vérifier, en dehors de Perpignan non loin du camp de Port-Leucate, si toutes les origines qu'il énumère dans son propos sont exactes. Il veut avant tout montrer qu'il est reconnu comme « chef » au même titre qu'il aurait été chef de village au Laos. Cette autorité est encore effective car, en cas de problèmes qui normalement auraient dû être traités par le centre social de la ville, il semble qu'il y ait eu des difficultés à pénétrer dans les familles, le représentant du clan préférant régler les problèmes à l'interne. Il faut cependant signaler que cette « autorité » est aujourd'hui quelque peu remise en question par certains membres de la communauté hmong qui estiment qu'en France il n'est plus besoin d'un « chef », le maire de la ville pouvant exercer cette fonction.

    D'autres liens inter familiaux, générés par le biais des unions matrimoniales, permettent de mieux appréhender ce facteur de cohésion clanique. Chez les Hmong, le mariage ne peut se conclure que dans le cadre rigoureux de l'exogamie clanique : les gens portant le même nom se considèrent comme parents proches et ne peuvent pas se marier entre eux. Ce principe est vérifiable dans chaque foyer. En revanche, si l'on étudie le foyer de Ka-Gé TCHA, on constate une liaison directe avec le clan YANG dont sont issues les deux épouses. Les YANG eux-mêmes sont liés par le mariage aux XIONG et aux VANG, eux mêmes liés aux TCHA... On peut dès lors parler d'une vaste famille « élargie » dont les liens parentaux sont parfois éloignés mais toujours affichés, et qui trouvent un raccourci dans le nom « cousin ». Tel un arbre dans une forêt, le clan a une racine principale et, à sa cime, des rameaux en contact avec ceux de l'arbre voisin (BRUNET, 1993).

    Le regroupement de ces familles dans une petite commune a été facilité par l'activation de 2 types de réseaux, celui de la parenté dont la structure est en partie héritée du passé, considéré comme allant de soi, évident, quasi « naturel », par les migrants, et celui entre co-ethniques plus construit, consciemment entretenu et négocié dans la transplantation. Il est interprété et valorisé comme un réseau de parenté fictive, de parenté élargie au sens fréquemment usité de « cousins ». Ainsi, au terme de plusieurs années d'errance de camp en camp, un premier « ancrage » semble désormais envisageable, rendu possible par l'obtention d'un emploi et d'un logement dans une commune qui jusque là n'avait pas connu de vague d'immigration quantitativement aussi massive.

    Conclusion : d'une mobilité forcée, puis contrôlée, à une mobilité choisie

    Si, à l'origine, les Hmong ont eu une pratique de la mobilité dans des lieux géographiques fluctuants où prévalait la « logique du lignage » et que, n'étant pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en disposaient tant qu'il répondait aux besoins du groupe, ils se sont progressivement stabilisés avant que leur organisation soit, elle même, bouleversée par les guerres d'Indochine. Perdant brutalement leurs racines, ils vont connaître, au cours de l'exil, une mobilité sous contrôle, avec le temps de l'attente dans les camps du pays de premier asile, où s'effectuent des regroupement claniques temporaires suivis d'une dispersion au niveau mondial. Arrivés en France, ils sont ballottés de camp en camp qui constituent autant de sas d'entrée dans le pays d'accueil et leur permettent, à chaque fois, de franchir une nouvelle étape dans le processus d'intégration. Ils acquièrent, en premier lieu, la reconnaissance juridique en bénéficiant du statut de réfugiés, puis des compétences linguistiques et professionnelle permettant l'accès à un emploi, qui marque une nouvelle phase d'intégration. Autant l'ancrage leur a été temporairement impossible, autant il est désormais autorisé. En se regroupant dans une même commune et, qui plus est, dans un même quartier, ces familles vont gagner bien sûr en visibilité - avec en contre partie, les réactions parfois xénophobes de la municipalité et du voisinage - mais vont surtout construire, dans le quartier de la Herse, un territoire. Ce quartier est avant tout le lieu résidentiel, celui de la scolarité pour les plus jeunes fréquentant l'école et le collège voisins, le lieu des loisirs avec les parties de football et de toupie dans les espaces verts, le lieu des achats quotidiens dans le super marché tout proche... C'est avant tout le territoire où s'exerce la solidarité familiale et clanique, forme de solidarité « mécanique » dans laquelle la conscience collective est forte et homogène et où c'est l'identité entre les individus qui est source de solidarité (DURKHEIM, 1933). Celle-ci se manifeste de manière forte dès l'arrivée d'un nouvel élément : les repérages géographiques indispensables dans le quartier et dans la ville, les repas pris en commun, l'hébergement temporaire en attendant l'attribution d'un logement sont autant de liens qui renforcent le groupe et confortent l'existence de la « communauté ethnique locale ».

    III. Lieux du quotidien et « bassins de vie familiaux »

    « C'est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir. »

    Martin HEIDEGGER

    L'ancrage par l'emploi et la résidence dans un cadre urbain a été rendu possible au terme de plusieurs années d'errance. Selon quelles modalités les familles installées à Montreuil-Bellay vont-elles s'approprier l'espace ? Quelles pratiques des lieux vont-elles avoir ? Notre observation portera essentiellement sur les familles les plus anciennement installées. Depuis plus de vingt ans, elles « demeurent » à Montreuil-Bellay et se sont ancrées durablement dans le tissu urbain. Elles sont au nombre de 5, arrivées dans les années 1980, résidant toujours dans le quartier de la Herse, 3 d'entre elles sont polygames et 1 monoparentale. La cinquième est formée d'un couple dont tous les enfants majeurs ont décohabité pour des raisons professionnelles ou personnelles (mariage...). Les familles qui sont arrivées au début des années 2000 présentent des caractéristiques différentes : ce sont des couples jeunes - ils correspondent en fait aux enfants de la 2ème génération - avec un nombre d'enfants limité par rapport aux familles précédentes. On peut alors se demander dans quelle mesure la structure familiale initiale et en particulier la pratique de la polygamie ont joué, et jouent encore, un rôle dans l'appropriation de l'espace. Nous étudierons successivement les rapports à l'espace à trois échelles : tout d'abord l'échelle de l'espace domestique résidentiel, puis celle plus large de la commune de résidence en analysant plus particulièrement la fonction des jardins familiaux cultivés à la périphérie, enfin l'échelle des espaces de vie ou « bassins de vie » progressivement élargis à la suite de la décohabitation des enfants.

    1. Le partage de l'espace domestique et des espaces vécus

    Comme nous l'avons précisé, notre étude dans cette seconde partie s'appuie sur un échantillon réduit, constitué par les 5 familles installées à Montreuil-Bellay depuis 1980. Cette longévité permet d'affirmer que leur choix résidentiel est confirmé, pour ne pas dire définitif. Mais c'est avant tout à travers le filtre de la polygamie pratiquée dans trois familles que nous examinerons successivement le système résidentiel familial, à savoir selon la définition de E. LE BRIS « un ensemble articulé de lieux de résidence (unités d'habitation) des membres d'une famille étendue ou élargie » (LE BRIS, 1985), l'ensemble des lieux résidentiels qui participent à une forme particulière de mobilité. Puis nous pénètrerons dans l'espace domestique où, comme le remarque P. BOURDIEU, toutes les parties sont « sexuées » (BOURDIEU, 1998 : 21). Enfin, nous analyserons le rapport de l'individu aux lieux fréquentés à partir de l'observation des pratiques de l'espace urbain.

    a. La résidence

    Nous savons que la commune de Montreuil-Bellay a, dans les années 1970, mis en place un programme important de construction de logements sociaux, qui, compte tenu de la disponibilité, seront attribués aisément aux premières familles hmong qui arrivent dès 1978. Ces attributions ne prennent pas alors en compte la composition familiale, mais simplement le ménage, au sens statistique retenu par l'INSEE, à savoir l'ensemble des occupants du logement. Les deux familles que nous avons retenues - Ka-Gé TCHA et Teng CHIENG - sont arrivées respectivement en 1981 et 1978. De plus, en parlant de résidence et non d'habitat ou d'habitation, nous voulons distinguer deux termes que l'usage courant emploie pourtant indistinctement. Ainsi dans Les Mots de la géographie, H. THERY37(*) définit l'habitat comme « le lieu où l'on est établi, où l'on vit, où l'on est habituellement » (THERY, 1993 : 249) ; l'habitation est « la demeure quel que soit le statut social de l'habitant » (id., id. : 250). Par « habiter », il désigne le fait « d'avoir son domicile en un lieu » (id., ibid.). Le verbe est synonyme de demeurer, résider. Pourtant, on peut établir une distinction entre ces deux termes en s'appuyant sur la philosophie phénoménologique de M. HEIDEGGER38(*) qui définit habiter comme « le rapport des hommes aux lieux et par les lieux aux espaces39(*) ». Il établit une séparation radicale entre l'habiter qui est une mise en rapport « poétique » avec le monde et le fait de se loger qui est un simple acte fonctionnel. Le logement ne peut pas être confondu avec l'habitat, mais il s'y inscrit : « il est une unité résidentielle stable d'habitation » (LEVY, LUSSAULT, 2003 : 440). L'« habiter » doit être entendu comme la compétence des acteurs à organiser leur « habitat », à donner du sens aux lieux. L'espace de l'habitat est donc construit et reconstruit en permanence : c'est un agencement spatial et non pas un cadre inerte qui va « du logement, unité spatiale de base, à l'espace réticulaire du déplacement pendulaire, ponctué par les lieux et aires connus et fréquentés, via le voisinage, sans oublier le vaste monde qui s'offre potentiellement à tout un chacun par l'usage du transport et des télécommunications » (LEVY, LUSSAULT, 2003 : 442). On rejoint ici la notion d'« espace vécu » introduite dans le domaine de la géographie par A. FREMONT dans les années 1970. Il s'attache à reconnaître « les hommes-habitants... comme des sujets actifs et pensant de leurs propres territoires de vie » (FREMONT, 1999 : 9) et cherche à comprendre les rapports que les hommes établissent avec les lieux.

    Nous utiliserons désormais les termes « résider/résidence » à propos du logement en tant que lieu géographique, spatialement identifié par une adresse. « Habiter » sera, quant à lui, réservé aux pratiques que les hommes ont des différents lieux qu'ils parcourent et permettra de cerner leurs espaces vécus, en priorité au niveau urbain.

    v Plurirésidence liée à la polygamie

    La famille de Ka-Gé TCHA se compose à son arrivée du chef de famille, ses deux épouses, les deux enfants de la seconde épouse et sa mère âgée de 72 ans. Ils occupent alors un appartement dans un immeuble 18 rue du Poitou (carte n°6). Les naissances très rapprochées de 6 enfants entre 1982 et 1985 rendent très rapidement le logement inadapté à la taille de la famille, d'autant que Ka-Gé TCHA travaille à domicile et a besoin d'un espace pour installer son « atelier » de couture. Il obtient alors un pavillon « Gémeaux » rue du Général de Gaulle et s'y installe avec sa première épouse et ses 6 enfants. La seconde épouse, quant à elle, continue d'occuper l'appartement initial. En 2007, la situation résidentielle est inchangée, à la différence que 7 enfants sur 16 que compte aujourd'hui la famille ont quitté le logement familial et que la mère de Ka-Gé TCHA est décédée en 1996. La seconde épouse assure elle-même le paiement de son loyer mais rencontre plus de difficultés qu'auparavant depuis qu'elle a perdu l'emploi rémunéré qu'elle avait dans les champignonnières.

    Carte n°6 : Les mobilités résidentielles de la famille Ka-Gé TCHA

    L'exemple de la famille CHIENG présente de nombreuses similitudes avec l'exemple précédent, mais est toutefois plus complexe en raison de la composition familiale initiale (carte n°7). A l'arrivée en 1978, le ménage se compose du chef de famille, ses 3 épouses, 4 enfants (3 de la 1ère et 1 de la 2ème) et les parents de Teng CHIENG, soit 10 personnes. Un premier logement leur est attribué dans le lotissement des Gémeaux. Aux yeux des services sociaux, le pavillon est trop petit et un second logement de la même catégorie (pavillon Gémeaux) avec une chambre supplémentaire leur est proposé 5 mois après. Cependant, en raison des naissances successives, le même problème se pose 3 ans plus tard, ce qui conduit à un « éclatement » du groupe familial. La deuxième épouse et ses 3 enfants sont logés dans la « tour », tandis les 2 autres épouses cohabitent encore dans le pavillon, avant que la situation ne se modifie à nouveau - toujours en raison de l'accroissement du nombre d'enfants - et que la 3ème épouse à son tour ne parte avec ses enfants, d'abord dans un petit pavillon des Gémeaux, puis dans un immeuble collectif (22 rue des Collèges). Teng CHIENG décide alors d'accéder à la propriété et fait construire une maison dans le lotissement de la Grande Champagne qu'il occupe depuis avec sa 1ère épouse. Aujourd'hui en 2007, 5 enfants résident encore au domicile parental. Le père de Teng CHIENG est décédé et sa mère vit désormais chez un autre de ses fils à Saumur.

    Carte n°7 : Les mobilités résidentielles de la famille Teng CHIENG

    Ces exemples de mobilités résidentielles nous permettent avant tout de rappeler que les familles hmong ont eu plus que les autres la nécessité d'adapter régulièrement et rapidement leur logement à la taille de la famille au fur et à mesure de l'augmentation des densités domiciliaires ; mais ils nous montrent surtout combien s'est modifiée l'organisation familiale traditionnelle depuis l'arrivée en France. En effet, dans le cas des familles polygames, le type d'habitat disponible, ne permettant pas de réunir sous le même toit les épouses et leurs enfants, a provoqué un « éclatement » spatial de la famille en 2 ou 3 lieux pratiqués régulièrement par l'époux. La plurirésidence - bipolaire ou tripolaire - ou alternance résidentielle entre plusieurs logements, est par ailleurs, aux dires des intéressés, indispensable pour maintenir un équilibre harmonieux dans les relations entre les épouses et leurs enfants. « Quand il a plusieurs femmes, c'est la guerre, il y toujours des jalousies. Si mon père me fait un cadeau, l'autre femme dit : `Et mon fils !' », déclare un des fils de T. CHIENG, encore célibataire... De plus, non seulement l'époux mais aussi les autres membres la famille, et en particulier les épouses, pratiquent cette « plurirésidence polygame » au quotidien, en particulier dans les tâches ménagères et la garde des jeunes enfants, et cette pratique s'est accentuée au cours des dernières années avec la montée du chômage féminin lié à la fermeture des champignonnières. Le paiement du loyer du logement est à la charge des épouses qui ne résident pas avec le chef de famille, ce qui là encore est problématique pour elles en raison de la perte de leur emploi rémunéré. D'où l'importance accrue, comme nous le verrons dans la seconde partie, du jardinage familial. Remarquons enfin la présence dans ces deux familles, à un même moment, de trois générations, les parents âgés sans ressources propres, étant pris en charge par leurs fils et partageant le même toit.

    Enfin, il est important de souligner que sur l'ensemble de la communauté hmong de Montreuil-Bellay, un seul chef de famille (Teng CHIENG) a accédé à la propriété. Il justifie cette décision par souci d'indépendance et de respect du voisinage :

    ... J'ai une famille qui a beaucoup de cousins, de cousines et tout le monde me connaît et le samedi il y a beaucoup qui vient me voir... c'est pas facile, ça gêne les autres...

    Il est vrai que les pavillons Gémeaux sont mitoyens et que la promiscuité y est importante. D'autre part, les dimensions des pièces, en particulier celles de la cuisine (3m/3,50m) sont inadaptées aux familles nombreuses. Il en est de même dans les appartements.

    ...dans l'HLM, la cuisine c'est trop petit pour moi. A chaque fois s'il y a du monde qui vient, je dois manger dans la salle de séjour et après c'est pas facile de nettoyer, c'est pas facile de ranger tout ça...

    Alors, pour palier tous ces inconvénients, il fait construire une maison de 8 chambres, dont la cuisine est effectivement conçue pour de grandes réunions familiales (5m/6,5m), plus vaste que la salle de séjour elle-même, ce qui ne manqua pas de surprendre les visiteurs venus nombreux lorsque la maison fut terminée.

    Il faut voir dans cette accession à la propriété la marque indéniable du renforcement de l'ancrage, voire de l'enracinement40(*) : Teng CHIENG a un emploi stable - première forme d'ancrage professionnel et social - dans la même entreprise depuis son arrivée, il n'a jamais connu de période de chômage et il prendra sa retraite d'ici peu. Il a décidé de se fixer définitivement à Montreuil-Bellay. De plus, comme nous le verrons dans la seconde partie, il a fait l'acquisition de lopins de terre dont il compte tirer un revenu ultérieurement pour compléter sa pension. Pour lui, la propriété du domicile a servi d'ancrage, une base à partir de laquelle d'autres projets ont été envisageables, un point de départ dans la conquête de son monde (PAQUOT, 200541(*)). D'autre part, on peut interpréter tout cela comme une forme de valorisation sociale. En choisissant un terrain dans un lotissement privé, Teng CHIENG rompt géographiquement avec la communauté hmong qui réside dans le parc locatif public. Toutefois, cette rupture spatiale n'est en aucun cas identitaire mais plutôt la quête et l'affirmation d'un statut social reconnu.

    v Espaces masculins ouverts / espaces féminins fermés

    Que ce soit une maison ou un appartement, le logement d'une famille hmong est un lieu bruyant, animé, traversé par les enfants, les « cousins »... Très souvent la télévision fonctionne sans qu'on y prête une attention véritable. Chacun entre et sort selon ses envies ou ses besoins. Pourtant dans cet espace domestique, sous un désordre apparent, on peut percevoir une « organisation » que nous allons présenter. Que révèle-t-elle sur le fonctionnement de la cellule familiale ?

    Le visiteur est toujours accueilli dans la salle de séjour, espace ouvert indispensable aux lois de l'hospitalité lao, qui a fait l'objet de soins tout particuliers. On y trouve toujours le même type de mobilier : le « living », dans lequel sont encastrés le poste de télévision et le matériel hi-fi, occupe un pan de mur, plusieurs canapés juxtaposés, la table et les chaises. Aux murs, sont affichées de nombreuses photos qui se veulent à la fois « officielles » - le(s) couple(s) et les enfants en costume traditionnel - et plus intimes - les enfants, les jeunes couples, les petits-enfants... A chaque fois les sujets photographiés ont posé. Rares toutefois sont les photos venues du Laos, ce qui s'explique aisément compte tenu des conditions du départ. Pourtant Ka-Gé TCHA a un petit album de photos jaunies prises dans le camp de Ban Nam Yao. Par contre, lors des voyages effectués par la suite en Thaïlande (voir partie IV), les hommes ont fait de nombreuses photos et plus souvent des films et des cassettes vidéo qu'ils montrent fièrement à l'occasion. Çà et là, dans la salle de séjour, figurent des objets traditionnels : des instruments de musique parmi lesquels le khen - l'orgue à bouche -, des pendeloques brodées de motifs géométriques complétées de grappes de perles de couleurs vives enfilées... Dans cet environnement somme toute banal, ce sont les rares objets, bien modestes en apparence, qui traduisent l'attachement sentimental avec le pays d'origine.

    La salle de séjour est le lieu de la convivialité communautaire où se regroupe la famille lors des fêtes ou des rassemblements de fin de semaine. Mais c'est avant tout un espace masculin, celui du père de famille et des hommes, jeunes ou adultes qui s'installent pour de longues conversations souvent ponctuées d'anecdotes qui déclenchent les rires. Il est d'autant plus masculinisé, comme dans le cas de Ka-Gé TCHA qui a investi un coin de la pièce pour en faire son atelier de couture avec la piqueuse plate professionnelle et au sol les stocks de torchons ou de tablier à ourler... Dans ce cas, les espaces de résidence, de travail et d'échanges se confondent, même lorsque « dans le détail une savante organisation des lieux réserve des emplacements propres à chaque fonction » (FREMONT, 1999 : 162).

    Photo n°6 : Espace professionnel au domicile

    A l'inverse, la cuisine est le lieu féminin par excellence, comme le souligne Teng CHIENG :

    Et chez nous, chez les Hmong, les femmes elles veulent pas discuter dans la salle de séjour, elles veulent discuter dans la cuisine... C'est pour ça qu'il faut faire la cuisine plus grande que la salle de séjour... C'est compliqué pour vous les Français... Elles préfèrent rester dans la cuisine... Je sais pas, les femmes des Hmong elles aiment comme ça... elles viennent dans la salle de séjour à la fin manger, elles font rien du tout, elles s'assoient pour voir la télé...

    Le discours révèle avant tout une vision masculine de l'activité féminine, avec la dénonciation implicite du goût féminin pour le bavardage, et de la structure de l'espace domestique avec une « distribution très stricte des activités imparties à chacun des deux sexes, de leur lieu, leur moment, leurs instruments... L'ordre social fonctionne comme une immense machine symbolique tendant à ratifier la domination masculine sur laquelle il est fondé » (BOURDIEU, 2002 : 23). Mais cette déclaration de Teng CHIENG exprime également un « nous » identitaire opposé à un « vous ». Est-ce alors l'exclusion des dominants qui les a amenés à se constituer en un groupe particulier, un « nous » accentuant la communautarisation, et trouvant dans le répertoire culturel certains traits qui les spécifient ?

    b. Les pratiques de l'espace urbain

    Avant d'analyser les pratiques de l'espace urbain, il nous paraît important de rappeler que nous sommes dans un contexte de très petite ville ce qui, a priori, devrait faciliter l'accès aux différents lieux et services. En réalité, en dépit de sa modicité de taille, Montreuil-Bellay est une ville bipolaire (carte n°9). A l'Ouest, les quartiers anciens se sont développés à partir du château et de sa collégiale qui dominent la vallée du Thouet. De nombreuses demeures historiques bordent les rues étroites. A l'origine, l'ensemble était ceinturé d'imposants remparts datant des XIIIe et XVIe siècles et percés de 6 portes dont 4 sont encore en place. Au XIXe siècle, avec l'ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Bordeaux dans les années 1870-1880, la ville se dote d'une gare, construite à l'Est sur des terres agricoles. La ville franchit la voie ferrée après la Seconde Guerre Mondiale, avec les premiers lotissements pavillonnaires et plus tard la construction du quartier de la Herse. Parallèlement, se développent, dans le prolongement à l'Est, la Zone d'Activité de la Petite Champagne puis celle de Méron, spécialisées dans l'industrie agro-alimentaire, l'industrie métallurgique et le conditionnement.

    Carte n°9 : Extension urbaine de Montreuil-Bellay

    En réalité la voie de chemin de fer sépare désormais l'agglomération en deux entités socialement contrastées : à l'Ouest, les quartiers résidentiels historiques, à l'Est les quartiers récents avec l'enclave de la Herse (carte n°9). Quelles sont les pratiques de l'espace urbain dans un tel contexte ? Quel est le rapport de l'individu aux lieux fréquentés et la nature des activités qu'il déploie sur ces lieux ?

    Afin de répondre à cette question, nous avons recueilli auprès des membres de 3 familles l'ensemble des déplacements quotidiens effectués au sein de l'espace urbain, ainsi que les motifs et les modes de ces déplacements. Nous avons choisi deux journées non consécutives : la première en milieu de semaine, la seconde pendant le week-end afin de pouvoir comparer les formes de mobilités. Ne prétendant pas à un relevé d'informations exhaustif auprès de l'ensemble de tous les membres des familles, nous avons préféré sélectionner un échantillon en retenant pour critères l'âge et le sexe, et constitué à parts égales d'hommes et de femmes (tableau n°5).

    La constitution de l'échantillon est la suivante :

     

    - 15 ans

    16 - 20 ans

    20- 30 ans

    + 30 ans

    hommes

    2

    3

    4

    4

    femmes

    2

    3

    4

    4

    Tableau n°5 : Etude des mobilités quotidiennes (échantillon)

    v Analyse des données de l'enquête

    Au vu des résultats de cette enquête réalisée en période de vacances scolaires (juillet 2007), on peut effectuer un certain nombre de constats portant sur la différence importante des formes de mobilité selon le jour de la semaine et selon le sexe. On peut ainsi remarquer que, en milieu de semaine, le quartier est le lieu de base de la vie sociale des membres de la communauté. Les épouses (classe + 30 ans), depuis qu'elles n'exercent plus d'activité professionnelle dans les champignonnières, circulent quotidiennement à pied d'une maison ou d'un appartement à un autre, ou se rendent en voiture (elles ont toutes leur permis de conduire) dans les jardins qu'elles exploitent. Les hommes, quant à eux, sont une grande partie de la journée sur leur lieu de travail : au domicile (1) ou dans l'entreprise Euramax (9), située sur la zone d'activité de Méron (carte n°9) où ils se rendent en voiture, seuls ou en covoiturage selon leurs horaires. Les plus jeunes restent la plus grande partie de la journée au domicile des parents. Les garçons consacrent leur temps à la télévision, aux jeux vidéos... S'ils sortent, c'est le plus souvent sans but précis, pour « voir les autres ». Les filles quittent peu le domicile. Il est important de rappeler que ces données ont été recueillies en période de congés scolaires. Si l'enquête avait été faite à une autre période de l'année, nous aurions obtenu des informations différentes, pour les 2 classes les plus jeunes, avec en particulier les « navettes » domicile-établissement scolaire, ce dernier n'étant pas toujours à proximité du domicile. En effet les plus âgés scolarisés en lycée doivent aller à Thouars ou à Saumur, ce qui implique un morcellement du territoire, contrairement à celui qu'ils « habitent » pendant les congés et qui est beaucoup plus compact.

    En fin de journée, les hommes circulent d'une maison à l'autre, soit pour régler les « problèmes » du jour (l'organisation d'un mariage à venir, préparation d'un déplacement...), soit tout simplement pour discuter. Ils ont ensuite coutume de se retrouver sur une aire publique en terre battue où ils jouent jusqu'à la tombée de la nuit à un jeu de toupie, équivalent de la pétanque mais avec des règles beaucoup plus complexes.

     

    Ce jeu hmong se pratique par équipes de 4 ou 5 participants. Les membres de l'équipe 1 lancent successivement leurs toupies sur une plaque de métal qui devient la cible, puis les adversaires (équipe 2), placés à 6 mètres, doivent lancer à leur tour avec force et percuter les toupies. Le jeu comporte 6 phases successives de difficultés croissantes.

    La toupie, qui était à l'origine une arme, est utilisée désormais à des fins ludiques.

    Photo n°7 : Séance de jeu de toupie - joueur 1

    Photo n°8 : Joueurs 2 et 3

     

    Photo n°9 : Le joueur adverse

    Le retour au domicile varie selon les individus : il semble, en effet, qu'il n'y ait pas de contraintes imposées par des horaires de repas.

    Comme on peut le constater, on est essentiellement dans une mobilité de sociabilité induite par la prégnance du clan et, compte tenu de la géographie résidentielle de la communauté, dans une « mobilité de proximité » (MEDAM, 1992 cité par REMY, 1996 : 136)42(*) qui permet à chaque individu de se construire « une territorialité du quotidien » (DI MEO, 2001 : 83) dans un quartier qui possède dès lors le statut de centre, ce qui bouleverse l'ordre des centralités locales. En fait, la centralité repose sur une approche cognitive plus que morphologique. Elle est « définie selon les significations, les représentations et les pratiques spatiales des individus » (RAMADIER, 2002 : 118). Faut-il voir alors dans le quartier de la Herse un nouveau ghetto dans lequel l'individu vivrait « dans un monde étroit mais qui offre la chaleur de la vie familiale, une grande richesse de sentiments et la possibilité se d'exprimer au sein du groupe » (WIRTH, 1980 : 273) ? De plus, les formes de mobilité renforcent le clivage hommes/femmes et traduisent encore des modes d'habiter différents « avec l'opposition entre le lieu d'assemblée, réservé aux hommes, et la maison réservée aux femmes » (BOURDIEU, 1998 : 23).

    Par ailleurs, la ville n'est que partiellement investie : les quartiers anciens ne sont qu'exceptionnellement fréquentés, pour des démarches administratives à la Mairie, par exemple. Dans ces cas-là, on se déplace rarement seul et on préfère être accompagné d'un enfant qui assure la traduction si nécessaire. Quelquefois, s'il fait beau, la prairie des Nobis, au pied du château au bord du Thouet, est un but de promenade familiale. On peut enfin noter la tentative de Mme CHIENG qui a tenu pendant 2 ans un restaurant asiatique sur la place du château, mais la concurrence d'une crêperie voisine l'a contrainte à fermer cet établissement estimé peu rentable. Le contexte de très petite ville en est également responsable.

    En ce qui concerne les mobilités de fin de semaine, elles sont là encore marquées par la sociabilité mais à une échelle différente. L'espace n'est plus seulement celui du quartier ou de sa périphérie, mais des villes plus éloignées : Saumur, Cholet, Tours... Ces mobilités sont liées aux relations diasporiques qui demeurent fortes et que nous approfondirons dans la partie VI.

    Dès lors, comment cette communauté est-elle perçue par les habitants de Montreuil-Bellay ?

    v Stéréotypes et invisibilité

    Comme nous l'avions expliqué dans la première partie (p. 25), l'enquête menée auprès des usagers du quartier de la Herse, qu'ils soient anciens ou nouveaux résidents, simples passants, ou bien qu'ils y exercent une activité professionnelle, nous a permis de recueillir des informations sur les perceptions qu'ils avaient des familles hmong vivant dans le quartier. Nous allons d'abord exposer les principales conclusions auxquelles nous sommes arrivé, essentiellement à partir des réponses aux 2 questions suivantes :

    Dans le quartier vivent des étrangers. De quelle nationalité ?

    Est-ce un avantage ou un inconvénient pour vous ?

    Que savez vous de cette population ?

    Puis, nous confronterons ces perceptions au discours identitaire que les Hmong portent sur eux-mêmes.

    Le mot « étranger » conduit l'interviewé à un certain nombre de commentaires. Nous constatons en premier, à une exception près, une méconnaissance de l'Autre en tant qu'individu, en raison de l'absence de rapports directs avec lui, malgré une cohabitation étroite dans un quartier précis de très petite ville. Cela l'amène à fonctionner essentiellement par stéréotypes et « catégorisation de segments de population dans des catégories statutaires exclusives et impératives » (BARTH, 1995 : 217). Parmi l'ensemble des commentaires, nous retiendrons ceux qui touchent à la nationalité, au statut et, enfin, à la perception générale que l'interviewé a de la population hmong.

    la nationalité : « Laotiens... Vietnamiens... gens de couleur... »

    Sur l'ensemble de l'échantillon, 2 personnes parlent des « Hmong », l'une spontanément se souvenant d'une exposition organisée à Montreuil-Bellay « il y a 15 ans » (l'exposition a eu lieu en 1996) ; la seconde, après avoir évoqué les « réfugiés du Laos », précise qu'il s'agit de la « tribu hmong ». Pour tous les autres, ce sont des « Laotiens ». Une seule personne tente en vain de préciser l'origine de cette population : « Asiatiques... tout ce qui dépend de la Chine », pour terminer par un phénotype : « des gens de couleur ». A noter que deux autres nationalités sont évoquées sans commentaire particulier : un « Portugais » et une «  Brésilienne ». Quant à « la Noire », peut-être « Antillaise »..., elle est simplement « gentille comme tout ». Il est important de rappeler que nous sommes dans le contexte d'une petite ville sans tradition d'immigration et que la présence d'un seul « étranger » est très visible et fait figure d'exception. Par ailleurs, des Anglais et des Hollandais vivent sur la commune, mais pas dans le même quartier...

    le statut : « Exilés... réfugiés politiques... »

    Leur arrivée à Montreuil-Bellay est attribuée à « la guerre », ou à des conflits liés au « régime communiste » qui se résument rapidement en « truc de politique ». Un des deux interviewés, qui dit que ce sont des « réfugiés politiques », complète son propos en précisant qu'il ne s'agit pas d'une « immigration `choisie' », voulant signifier par là qu'ils n'ont pas été acteurs de leur choix. Le lapsus trouve son origine dans l'actualité politique et le débat sur la politique migratoire. La date d'arrivée, quand elle est donnée, est toujours floue : « les années 70 ». Cela renvoie à un passé lointain - certains n'étaient même pas nés - qui fait partie en quelque sorte de l'histoire de la commune, une histoire qui a été totalement intégrée. Les Laotiens font désormais partie du paysage urbain, sont en quelque sorte devenus des « éléments de l'environnement naturel » (BARTH, 1995 : 219) et par là sont totalement réifiés.

    La perception générale : « Je ne peux pas m'en plaindre... pas dérangeants, pas embêtants, pas désagréables... très discrets... »

    Le discours des interviewés est ici très prudent, le contexte de l'entretien empêchant sans doute une liberté de parole. Néanmoins, la construction syntaxique des réponses est signifiante. Ils procèdent d'abord par généralisation pour qualifier les membres de la communauté Hmong. Il s'agit avant tout de dire ce que leur présence NE provoque PAS, à savoir dérangement, embêtement ou désagrément, et très rarement ce qu'elle apporte (l'exposition). En réalité, il semble qu'ils soient seulement tolérés parce qu'ils sont « discrets » et qu'ils « restent entre eux ». Leurs comportements spatiaux deviennent alors des marqueurs sociaux. Leur quasi invisibilité ne fait donc pas d'eux, aujourd'hui, un groupe menaçant pour les habitants du quartier qui, pourtant, semblent avoir été très méfiants au moment de leur arrivée : « Tu ne seras jamais payée ! » a-t-on dit à cette nourrice qui gardait chez elle un enfant d'une famille hmong. Cette dernière a une vision tout autre, simplement parce que elle a eu des contacts directs avec des familles, par son travail d'abord, qui l'a amenée à les côtoyer directement, à participer ensuite à des fêtes familiales, mais surtout à entretenir des rapports de bon voisinage. Celle qui a priori était « lointaine » par sa culture, ses coutumes et son mode de vie, est devenue « proche » Une relation spécifique s'est mise en place, « fondée sur une lente découverte réciproque, qui fait accéder l'autre de l'exotisme, voire de la menace, à une proximité fraternelle » (RAPHAEL, 1996 : 90).

    Au regard des jugements portés par les habitants et usagers du quartier de la Herse, on peut constater que, s'il y a cohabitation, en réalité il n'y a pas ou peu d'interaction entre les adultes. Ainsi, la communauté Hmong constitue un « groupe ethnique » selon la définition de NAROLL (1964), reprise par BARTH (1995 : 206), qui retient 4 critères : une population qui « se perpétue biologiquement dans une large mesure » - ...il y a très peu de mariages mixtes..., ils ne se mélangent pas...-, qui « défend des valeurs culturelles fondamentales » - leur nourriture..., les jardins c'est pas comme chez nous... -, qui « constitue un espace de communication et d'interaction » - ... ils avaient fait une exposition..., ... ils vivent entre eux...-, et enfin qui est « identifiée par les autres comme constituant une catégorie spécifique » - ... des Laotiens..., ... des réfugiés politiques...

    Toutefois, comme le souligne BARTH, « le point crucial devient la frontière ethnique qui définit le groupe et non le matériau culturel qu'elle renferme » (BARTH, 1995 : 213). La frontière sociale - face externe43(*) - est tracée par le groupe majoritaire qui prescrit implicitement des codes et des valeurs qui structurent la vie sociale, et qui fixe des interdits qui conduisent à une absence d'interaction interethnique. L'ensemble aboutit à une réification du groupe, comme assigné à résidence dans une territoire limité, et empêche toute possibilité d'interaction. C'est même souvent en reprenant les traits mis en relief par les dominants pour établir la face externe de la frontière que les groupes minoritaires construisent la face interne (JUTTEAU, 1999).

    Le discours identitaire des Hmong révèle cette autre face de la « frontière » dressée en réaction. Ainsi à l'occasion d'un entretien, P... (20 ans) nous a déclaré :

    Je suis Hmong... Nous les Chinois...... je dis ça parce que depuis que je suis gamin on m'appelle Chinois... on a l'habitude... Mon père, dans les magasins, il se fait traiter de « chintok ». Il croit que c'est bien, il comprend pas, et il fait un sourire... Je suis pas un Blanc...

    Dans la même phrase, le locuteur utilise 2 termes antinomiques pour s'auto désigner : en tant qu'individu il s'affirme Hmong, ce qui correspond à la catégorisation ethnique évoquée avec fierté, et en même temps dit faire partie d'un groupe catégorisé par d'autres (nous, les Chinois), reprenant à son compte la stigmatisation dépréciative - chintok - du groupe dominant. Il recourt enfin au phénotype pour marquer l'ultime limite de la frontière, la couleur de la peau. Interrogé sur ce choix lexical, il affirme que « ils (les Français) ne font pas la différence entre les Laotiens, les Vietnamiens... Pour eux, on est tous des Chinois ».

    D'autres jeunes adultes présentent les Hmong comme des « guerriers » ou des « hommes libres », revendiquant ici une identité de valeur. Non seulement, ils se distinguent ou se protègent de l'Autre perçu comme dépréciateur, mais ils se sur-affirment plus ou moins agressivement et sont allés jusqu'à l'affrontement physique pour appuyer leurs dires :

    ...On est bien parce qu'on est ensemble. Mais ici, c'est pas terrible par rapport au racisme, à la discrimination... Quand t'es gamin c'est pas facile... On s'est battu pour se faire respecter, on s'est battu à fond...Maintenant on s'est fait des amis...

    On voit ici la force tirée de l'existence du groupe - ensemble... - sans lequel l'individu aurait, semble-t-il, du mal à trouver sa place dans le quartier - ici...- perçu d'emblée comme hostile, mais cependant progressivement habité.

    A la maison, « lieu de stabilité et d'identité » (FREMONT, 1999 : 49), la cellule familiale assure la continuité identitaire, par l'usage permanent de la langue, les modes alimentaires, les pratiques culturelles ; à l'extérieur, sur un territoire limité dans l'espace urbain, qui possède alors le statut de centre, et qui est construit par une mobilité de proximité, le groupe joue un rôle protecteur par l'existence d'une conscience collective forte et d'une « solidarité mécanique » (DURKHEIM, 1973). Ainsi s'est constituée une communauté culturelle, langagière et mémorielle dans un quartier qui, pour ses membres, est devenue, loin de celle d'origine, une « petite patrie » (MEDAM, 1996 : 113).

    2. Le jardin, un territoire féminin

    Parmi les lieux fréquentés quasi quotidiennement par les femmes, il en est un qui mérite maintenant notre attention : il s'agit des jardins potagers disséminés sur le territoire communal, exploités et entretenus avec soin par plusieurs d'entre elles. Nous rappelons que, traditionnellement, chez les Laotiens des Montagnes, les zones montagneuses sont le domaine de l'essartage, culture d'abattis-brûlis avec rotation des aires cultivées. Un pan de la forêt est coupé puis brûlé - « mangé 44(*)» - à la fin de la saison sèche, avant d'être ensemencé. Au cours de leur migration, les Hmong ont perpétué la tradition des pratiques agricoles, en particulier pour ceux qui se sont installés en Guyane française et pour qui on estime que ce sont « des activités qui leur sont coutumières » (OTT, 1984 : 32), mais aussi dans les départements du Sud de la France métropolitaine, en particulier dans le Gard autour de Nîmes, qui devient dans les années 1990 un pôle d'attraction du courant migratoire. A Montreuil-Bellay, à une échelle plus réduite, 5 familles continuent de cultiver des lopins de terre selon des méthodes que nous allons préciser à partir de l'observation de quelques exemples. Elles possèdent par ailleurs des petits élevages avicoles originaux. A quelle fin répondent ces activités ? Quelles sont leur fonction économique et leur originalité ? Peut-on percevoir dans un « jardin hmong » des marqueurs spécifiques qui en font un territoire culturel ?

    En préambule, nous souhaitons évoquer la présentation d'un « jardin » faite par Phong-Yu, un fils de Ka-Gé TCHA qui avait annoncé : « Un ami nous a donné un terrain à Montreuil. Il faut tout faire ». De quoi s'agit-il exactement ? Le terrain se trouve excentré, non loin de la route de Loudun, au bout d'un chemin de terre. En réalité, il s'agit d'une vaste parcelle non clôturée, en friche depuis longtemps. Le sol est parsemé de cailloux, des ronces et des chardons poussent un peu partout. Phong-Yu le montre avec fierté. Que reste-t-il à faire pour mettre en culture ce lopin de 2 000 m² ? « Nous allons tout faire à la main parce que nous n'avons pas de machines. Pendant les vacances (de Pâques), je vais commencer à nettoyer, arracher les plus grosses herbes... C'est le travail des garçons... Quand ce sera fait, ma mère et ma belle-mère sèmeront les piments, les pastèques et tous les légumes hmong... » Et pour l'arrosage ? «  Ma mère doit voir avec le propriétaire... ». Il n'y a pourtant ni puits, ni mare ou cours d'eau à proximité. Au centre du terrain, se dresse une construction inattendue : un poulailler de 20 m² fait de grillage et de panneaux en bois de récupération. A l'intérieur, une quinzaine de poules et de coqs s'ébattent. Phong-Yu parle de cet élevage :

    « Ces poules sont à mes grands frères (Tong-Tou, Faty et Hmong). Quand ils étaient petits, ils étaient toujours avec les poules... Quand mon père est arrivé (à Montreuil- Bellay) il a eu des poules et mes frères jouaient avec... Maintenant ils s'en occupent... Il y a des poules thaïlandaises, deux coqs japonais et puis des poules « françaises »... Les poules thaïlandaises, mon père les a ramenées de Thaïlande... Enfin non, il a ramené deux oeufs ! Ce sont des poules de pure race... Elles peuvent aller à des concours... Celles qui sont ici ne sont pas très belles... Les beaux coqs et les belles poules, on les a à la maison. Comme ça on ne peut pas nous les voler ! Les manouches, ils savent que ça vaut de l'argent, mais s'ils volent celles qui sont ici, ils n'en gagneront pas beaucoup... ».

    De cette conversation devant le poulailler, au milieu des champs, nous retenons plusieurs éléments. D'abord un discours identitaire et une manière de parler de soi en référence constante avec un mode de vie traditionnel. L'exploitation du « jardin » est avant tout l'affaire des femmes qui sont responsables des plantations, en particulier des « légumes hmong» (piments, pastèques...). De même pour l'élevage : à son arrivée en France, Ka-Gé TCHA s'est empressé de mettre en place un petit élevage avicole à usage domestique à l'identique de celui que ses parents avaient au Laos. Cette tradition a été transmise à ses fils aînés, sous la forme d'un jeu qui a pris par la suite une autre signification : les oeufs rapportés de Thaïlande à l'occasion d'un voyage ont permis de donner à cet élevage une nouvelle dimension. Il ne s'agit pas simplement d'élever des poulets pour une consommation de type familial, mais plutôt de reconstituer dans le pays d'accueil un « environnement hmong ». L'image surréaliste de ce poulailler fait de matériaux de récupération au beau milieu d'un terrain en friche devient le symbole à la fois d'un déracinement mais aussi d'une volonté d'ancrage dans un univers hostile. En construisant cet enclos, les TCHA s'approprient réellement une infime parcelle qui, à leurs yeux, devient un morceau symbolique du Laos. Les parents s'accrochent à leur passé, les enfants héritent d'un mode de vie transmis par l'exemple et le discours parental.

    Le jardin potager, une tradition hmong ? Oui, pour les plus âgés à savoir les parents. Les enfants, à une exception près, ne pratiquent pas le jardinage. Outre Teng CHIENG qui possède suffisamment de terrain autour de son pavillon, les jardins sont dispersés sur le territoire communal, parfois éloignés de plusieurs kilomètres. Quelles sont leur spécificité et leur originalité ? La « visite » de quelques jardins va permettre de répondre à ces questions.

    5 familles exploitent à elles seules 9 « jardins » selon des statuts d'occupation variables (carte n°10). Il peut s'agir de lopins de terre prêtés temporairement, de parcelles louées par la commune, enfin de terrains en propriété. Selon le cas, le mode d'exploitation présente quelques différences.

    Carte n°10 : Jardins hmong à Montreuil-Bellay

    v Un nouveau jardin  : le jardin de Ka-Gé TCHA

    Un lopin de terre a été mis à disposition par un agriculteur, beau-père d'une fille de Ka-Gé TCHA. Il s'agit d'une pièce de terre de 12 m de large sur 110 m environ, soit 1 400 m², non clôturée. Il se situe sur la commune de Montreuil-Bellay, à 6 km de la Herse à l'Est (carte n°10, jardin n°1). Il est caché de la route par un petit bois et on y accède par un chemin de terre. Orientée au Sud, cette lanière est bordée à l'Est et au Nord par un bois, au Sud et à l'Ouest par un champ de céréales. Ka-Gé TCHA dispose également d'une seconde parcelle plus vaste, sur laquelle ses fils et lui ont construit un petit poulailler. Ils exploitaient précédemment un jardin à Saumur. L'opportunité de ces 2 nouvelles parcelles prêtées gracieusement, à proximité de Montreuil-Bellay, leur a fait renoncer, par souci d'économie, à la location précédente.

    Le terrain a été mis en culture en avril et, grâce aux services d'un agriculteur complaisant, a été labouré par ce dernier, ce qui a évité un travail fastidieux de bêchage et de désherbage manuel qui aurait dû être réalisé par les enfants. Ce sont les deux épouses de Ka-Gé qui ont désormais la charge de la préparation du terrain et des semis. Les graines proviennent soit des récoltes de l'année passée, soit du Laos ou de Thaïlande envoyées par la famille. Pour seul outillage, elles disposent de deux binettes à sarcler à manche court dont le soc hémisphérique mesure environ 15cm de diamètre. Ces deux outils proviennent eux aussi du Laos, envoyés par des « cousins » : elles prétendent que « les outils français sont trop grands pour elles ». Deux bâches de plastique noir ont été tendues sur le sol, de manière à délimiter deux emplacements, couvrant la moitié de la surface totale, réservés à plusieurs variétés de concombres et de citrouilles. Elles sont maintenues au sol par des matériaux divers (cailloux, morceaux de bois, bouteilles en plastique pleines d'eau...). Ce dispositif évite la pousse des mauvaises herbes, et les végétaux rampants doivent progressivement s'étaler sur les bâches.

    Photo n°10 : Le « jardin » de Ka-Gé TCHA (8 juin 2007)

    Le reste de la parcelle est consacré à d'autres légumes (oignons, maïs, haricots, pommes de terre...) semés ou plantés en rangs approximativement parallèles très serrés. Enfin, à l'entrée du terrain, figurent quelques plantes médicinales pour les humains et les volailles, et quelques plants de tomates (carte n°11). Pour éviter de perdre de la place, aucune allée n'a été prévue : seule la bordure de la parcelle permet la circulation.

    Carte n°11 : Le jardin de Ka-Gé TCHA

    Les semis en poquets et les plantations ont été effectués au début du mois de mai. L'arrosage dépend exclusivement des précipitations.

    L'ensemble des récoltes, à partir du mois de juillet, est destiné à assurer l'alimentation familiale des deux ménages. Il semblerait qu'au cours de l'année ils ne fassent jamais l'achat de légumes en dehors de ceux qu'ils récoltent. L'hiver, ils sont approvisionnés par des « cousins » de Tours qui pratiquent des cultures sous serre et leur permettent ainsi de faire la « soudure ».

    v Un « jardin familial » : le jardin de madame Mo CHA

    La municipalité met à disposition des habitants de la commune des « jardins familiaux » sur deux sites, aux entrées Sud et Nord de la ville. Le tarif de location est symbolique : 0,08 € le m² pour l'année. Deux familles hmong louent chacune une parcelle, respectivement de 128 m² et 148 m², au lieu dit « Le Bas de l'Oie », à l'entrée Sud (carte n°10). L'ensemble est clôturé et divisé en 5 lots répartis de part et d'autre d'une allée centrale. Au milieu, une pompe à eau manuelle et un petit bâtiment en bois, fermé : 5 abris pour le petit matériel de jardinage.

    Le « jardin », loué pour 11,84 € par an, se compose de deux carrés non clôturés de 7m sur 10 m, séparées par l'allée centrale, divisées en « planches » (carte n°12). L'essentiel de la surface est consacré au maïs et à plusieurs variétés de courges, courgettes et melons. Des plantations complémentaires occupent les espaces interstitiels (tomates, coriandre, menthe...).

    Carte n°12 : Le « jardin » de madame Mo CHA

    Au vu de la surface ensemencée (148 m²), il ne peut s'agir que d'une activité exclusivement manuelle, ne nécessitant quasiment aucun outil si ce n'est une bêche ou une pelle ; les légumes plantés ici n'imposent qu'un faible entretien et le fait d'avoir bâché les carrés réservés aux cucurbitacées limite le travail de désherbage. Cependant, même s'il n'assure qu'un complément dans l'économie du foyer, ce minuscule jardinet renferme des ingrédients introuvables chez les commerçants locaux (coriandre, citronnelle...) et de consommation courante dans les préparations culinaires traditionnelles.

    v Un jardin de propriétaire : le jardin de Neng TCHA

    Le jardin de Neng TCHA se situe au Sud du territoire communal, au milieu de terrains agricoles (carte n°10). On y accède par un chemin vicinal. Il s'agit d'une lanière de terre de 120 m de long sur 10 m de large clôturée d'un grillage. On pénètre dans cet enclos en franchissant un petit pont de bois fait de planches qui enjambe un fossé. Une allée latérale le traverse sur toute la longueur. L'image de la mosaïque convient pleinement pour décrire ce jardin : en effet, cet espace complanté est formé de la juxtaposition de micro parcelles - la plus petite mesure moins d'un m² - réservées à une grande variété de légumes et de plantes condimentaires et médicinales (carte n°13). Comme dans les 2 jardins précédemment observés, on retrouve ici la citronnelle, la coriandre, les piments, le basilic, le maïs... autant de plantes utilisées au quotidien dans la cuisine.

    Carte n°13 : Le jardin de Neng TCHA

    Au centre, un puits et un poulailler soigneusement clôturé qui renferme une dizaine de volailles. Au fond, on trouve le « verger », alignement de pêchers, pommiers, pruniers, dont certains proviennent d'Asie du Sud-Est, mais aussi de 2 bananiers qui sous le climat local ont bien du mal à fructifier ! Quelques fleurs agrémentent le tout. Neng TCHA possède ce terrain depuis plus de 15 ans, comme en témoigne la taille des arbres fruitiers. Il construit actuellement un petit abri de jardin qui lui permettra de mieux ranger son matériel. Son épouse et sa soeur y travaillent tous les jours. Il les rejoint parfois en fin de journée, après son travail.

    Au terme de ces 3 études, nous pouvons faire un certain nombre de constats. Les lopins de terre mis en culture se caractérisent d'abord par leur superficie réduite, 1 500 m² en moyenne. Les plus vastes n'excèdent pas 5 000 m². Ils ont la taille de ce que l'on a coutume d'appeler un « champ asiatique » (MIGNOT, 1999 : 192). Et à cette modicité de l'étendue des parcelles s'ajoute la très faible mécanisation, cette dernière trouvant compensation dans l'utilisation d'une force de travail rapidement mobilisable. Les enfants sont ainsi fréquemment mis à contribution en début de saison pour les gros travaux de désherbage et pour certaines récoltes. En pleine saison de récolte, dès la mi-juin, les femmes sont présentes quotidiennement dans les jardins une partie de la journée. Pour elles, « la territorialité du jardin ne fait que prolonger, à l'extérieur, celle de la maison » (DI MEO, 2001 : 100). Le jardin devient l'appendice de la cuisine, avec ses bricolages et ses recettes maison.

    Photo n°11 : Une serre dans le jardin de madame Mo CHA

    Sous le désordre apparent, on découvre une organisation méticuleuse des espaces : la complantation est très fréquente, avec dans le même carré de terre plusieurs variétés de concombres, melons, maïs... Cette technique, en continuité avec un modèle initial laotien (MIGNOT, 1999 : 192), permet d'associer des végétaux à croissance différente, d'exploiter plus longuement l'espace cultivé et d'éviter toute place perdue (photo n°12). Dès lors, l'ensemble du terrain n'est mis en repos définitif qu'à la fin de l'automne. La complantation, c'est aussi l'association dans le même espace de plantes d'origines diverses et bien souvent asiatiques. A l'occasion des voyages en Thaïlande, les membres de la communauté ramènent dans leurs bagages des graines, des racines... qui, une fois semées ou plantées, donneront des pieds-mères et fourniront les semences de la prochaine récolte. On retrouve ainsi sous des latitudes et des climats différents de leur terroir d'origine, la citronnelle indispensable dans la cuisine, la coriandre, les concombres amers... et surtout une grande variété de plantes médicinales, soignant et vraisemblablement guérissant les maux les plus divers, allant des problèmes digestifs aux « pannes » sexuelles, aux soins des brûlures, fractures, etc. Tout cela a pu faire dire au philosophe Michel FOUCAULT à propos du jardin que « c'est la plus petite parcelle du monde et puis c'est la totalité du monde » (FOUCAULT, 1984 : 48).

    Photo n°12 : Un espace complanté (maïs, oignon, citronnelle...)

    Cette activité de jardinage essentiellement féminine, que M. MAUSS appelle « industries d'acquisition » pour désigner « un ensemble de techniques concourant à la satisfaction d'un besoin - ou plus exactement à la satisfaction d'une consommation » (MAUSS, 1947)45(*), a effectivement pour vocation première la consommation de la famille toujours entendue au sens très large. En cas de surproduction, les voisins sont parfois les bénéficiaires du surplus, comme en témoigne une habitante de l'immeuble où réside madame CHA depuis son arrivée en 1981 :

    Et puis CHA Mo, elle me donne des légumes... Elle a un jardin. Ah ! les jardins, c'est pas comme chez nous. Ils mettent du plastique et ils font des trous pour planter... C'est leur coutume... Ils font pousser des haricots longs comme ça (geste), des courgettes, de la citrouille... de la coriandre. C'est le persil laotien. Elle me dit : « T'en mets un petit peu, tu verras, c'est bon ! »... C'est fort...

    Parfois, cela se double d'une activité commerciale, tout particulièrement pour une épouse de Teng CHIENG qui vend sur un marché hebdomadaire de Tours les courgettes qu'elle récolte en abondance. Les conditions climatiques du début de l'été 2007 ont toutefois mis un frein à cette pratique. Par ailleurs, Teng CHIENG est propriétaire d'une parcelle plantée de camomille, dont une de ses épouses et sa fille récoltent quotidiennement les infloraisons.

     
     

    Photo n°13 : Récolte des fleurs de camomille

    Une fois séchées, les fleurs sont vendues à un herboriste du Maine-et-Loire. Nous sommes donc ici en présence d'une activité purement commerciale assurant un complément financier pour le propriétaire du terrain qui pense déjà à sa prochaine retraite et diversifie ses sources de revenus.

    Territoire avant tout féminin, le « jardin », malgré ses dimensions modestes, a donc une fonction économique incontestable. Il vise à couvrir les besoins familiaux en matière alimentaire, tout particulièrement lorsque le chômage provoque une baisse des revenus. Les femmes hmong qui travaillaient dans les champignonnières n'ayant pas, à leur fermeture dans les années 2000, retrouvé d'emplois, le « jardin » a alors permis de compenser la perte de revenus. Mais il se double d'une fonction culturelle en fournissant des bases de préparation culinaire, en particulier les plantes aromatiques et certains légumes difficiles à trouver sur le marché local, ainsi que les plantes utilisées dans la pharmacopée traditionnelle. Il se complète souvent d'un petit élevage de poulets, dans la cour de la maison dans le cas de Teng CHIENG, ou en plein champ, comme nous l'avons vu pour Ka-Gé TCHA. Ces volailles, originaires d'Asie du Sud-Est, sont de morphologie différente de celles que nous avons l'habitude de voir dans nos contrées. Coqs et poules de race sont sacrifiés à l'occasion des cérémonies familiales, comme nous avons pu le constater en assistant à un mariage. Ainsi, le jardin et le poulailler permettent de conserver et de pérenniser le lien avec des modes de vie traditionnels. Métaphoriquement, ils deviennent le pont qui, à l'image de Bifröst l'arc-en-ciel de la mythologie scandinave, relie les rives du Thouet où les Hmong se sont échoués à celles du lointain Mékong définitivement perdu.

    Par le jardinage qui permet de renouer avec les pratiques traditionnelles et de s'ancrer dans le contexte local, les familles hmong de Montreuil-Bellay s'approprient un espace qui constitue un prolongement à la fois économique et culturel de l'habitation. Cependant les bassins de vie initiaux se sont progressivement élargis. Selon quelles modalités ?

    3. L'élargissement du bassin de vie familial par les mariages

    Si le domicile, prolongé par le jardin, et le quartier sont vécus comme « un ancrage identitaire » (RAMADIER, 2002 : 121), ils constituent en quelque sorte pour les membres de la communauté un territoire approprié, un bassin de vie construit progressivement et dans lequel les lieux sont habités en pratiquant avant tout une « mobilité de proximité ». Pourtant ces « bassins de vie » que chaque famille a construits se sont peu à peu élargis : les enfants, pour leurs études, pour accéder à un emploi ou parce qu'ils se marient, se déplacent et changent de domicile. Quelle est la part de choix et de contrainte dans ces formes de mobilité ? La centralité identitaire du quartier est-elle alors remise en question ?

    v La scolarité et la recherche d'emploi contraignent à un éloignement temporaire

    Tous les enfants des familles arrivées dans les années 1980 dans le quartier de la Herse ont fréquenté l'école et le collège voisins (carte n°5), ce qui avait pu faire écrire au Maire de l'époque, s'adressant à son homologue de Saumur dans un courrier en date du 15 juillet 1981 (annexe 1a), que « les enfants de ces ressortissants représentent 20% de l'effectif du groupe scolaire du quartier ».

    Si les proportions ont diminué depuis cette date, il n'en demeure pas moins que les plus jeunes continuent d'être scolarisés au collège Calypso (9) et à l'école (3). La ville dispose d'un autre établissement d'enseignement secondaire, en l'occurrence le lycée professionnel agricole spécialisé dans la viticulture et l'horticulture. Pour les adolescents des familles hmong, les poursuites d'études se font obligatoirement en dehors de Montreuil-Bellay, généralement dans trois lycées proches : le lycée Jean Moulin à Thouars, les lycées Duplessis-Mornais et Sadi Carnot à Saumur. Cette proximité oblige ces jeunes à « navetter » quotidiennement entre Montreuil-Bellay et l'établissement scolaire. Ils demeurent en contact permanent avec leur quartier mais découvrent parfois un nouveau mode de vie en particulier dans le domaine alimentaire.

    ... Nous, on mange jamais français... on mange beaucoup de choses à la vapeur... on pose tout sur la table et on se sert... on n'a pas de couteau, seulement une fourchette... Chez nous la viande est déjà coupée... Je mange français à la cantine. Au début je demandais à Pierre [un camarade] de me montrer...

    (Phong-Yu, 19 ans)

    Demi-pensionnaires pour la première fois de leur vie, ils doivent faire l'apprentissage de nouveaux modes comportementaux et l'Autre devient le référent qui permet d'encoder de nouvelles règles. Nous avons pu effectivement constater, à l'occasion de repas pris dans des familles, l'absence de couteau à table et leur inutilité compte tenu des modes de préparation culinaires : viande déjà coupée et riz gluant accompagné de sauce ne nécessitant pas ce couvert dont un Occidental ne peut se passer. C'est au travers des parcours scolaires, contraints par l'absence de structure locale dans une petite ville, que se mènent au quotidien ces apprentissages indispensables pour « une population qui présente les caractéristiques d'une  `société de l'ailleurs' mais qui habite désormais la société d' `ici' » (ANTEBY, in SIMON-BAROUH, 1998 : 56). L'obtention d'un diplôme professionnel (CAP, BEP, Baccalauréat Professionnel) marque souvent la fin des études pour bon nombre d'entre eux et, dans le cas contraire, ils doivent aller à Angers ou à Poitiers, et, comme tout étudiant, faire l'apprentissage d'une certaine autonomie. La non poursuite d'études est souvent liée à des problèmes financiers et, par le réseau communautaire, les jeunes hommes trouvent du travail, comme leurs aînés, dans l'entreprise Euramax. Ainsi la décohabitation n'est que provisoire car très souvent, après quelques mois d' « indépendance », ils reviennent au domicile parental. Le quartier aurait-il sur eux un pouvoir attractif ? Cette hypothèse sera vérifiée par l'observation des comportements de jeunes hommes mariés ne résidant pas sur la commune.

    Cependant la cause essentielle de décohabitation demeure le mariage dont nous allons présenter certaines particularités en étudiant les pratiques matrimoniales en oeuvre dans 3 familles retenues dans l'échantillon. Il s'agit là encore de familles polygames (graphique n°3) dont le nombre d'enfants élevé - 56 enfants pour 7 épouses - va constituer un sous-échantillon. Cela correspond à un taux de fécondité particulièrement élevé - 8 enfants par femme - par rapport au niveau français - 1,94 (INSEE, 2005). De plus, on a un nombre de garçons nettement supérieur à celui des filles - 33 contre 23 soit un ratio garçons/filles de 143/100, alors qu'en France ce ratio est de 105/100. Ce profil démographique déséquilibré peut-il avoir des conséquences sur l'ancrage de la communauté ? Nous procèderons à un double niveau d'analyse : en premier lieu la forme du mariage, en distinguant les mariages « hmong » et les mariages « mixtes », puis le lieu de résidence, et ce afin de vérifier l'incidence éventuelle de l'un sur l'autre. Le graphique n°3 présente pour 3 familles la répartition des enfants par filiation maternelle et les couples constitués par les enfants mariés. Nous tenons toutefois à préciser que la notion de « mariage » est à entendre dans le sens où cela a donné lieu à une cérémonie familiale qui n'est pas toujours complétée par un acte d'Etat civil.

    v L'évolution progressive des configurations matrimoniales :

    Il faut d'abord rappeler le principe de base sur lequel repose la structure sociale de ces populations. Elle est fondée sur le clan à filiation patrilinéaire. L'exogamie clanique est rigoureuse : les gens portant le même nom se considèrent comme parents proches et ne peuvent pas se marier entre eux. Or, à Montreuil-Bellay, la plupart des familles appartiennent au même clan CHIENG/TCHA/CHA, ce qui va compliquer le choix des époux ou des épouses.

    Graphique n°3 : 3 exemples de configurations matrimoniales

    L'observation des 3 graphiques permet de constater qu'en 2007, près de la moitié des enfants des 3 familles sont mariés (46%). Nous savons que ces familles sont arrivées parmi les premières à Montreuil-Bellay avec des enfants très jeunes, nés soit au Laos soit dans les camps de réfugiés thaïlandais. 25 ans plus tard, devenus adultes, ils vivent en couple et ont eux-mêmes des enfants. Si l'on observe maintenant la répartition des mariages par catégorie sur l'ensemble des 3 familles, on voit que les « mariages hmong » (14 sur 26) dominent légèrement (53%).

    Cependant, l'étude par famille conduit à une autre conclusion : en effet, dans la famille CHIENG, sur les 9 mariages, 6 sont hmong (66%), dans la famille Tsiong-Yia TCHA, 7 sur 11 (64%), par contre chez Ka-Gé TCHA 1 sur 6 (17%). En l'absence de véritable explication de la part des intéressés - parents ou enfants -, nous proposons de justifier cette différence par 2 arguments. Le premier est lié à l'âge des pères. Ka-Gé TCHA est plus jeune de 10 ans. Aurait-il souhaité inconsciemment faciliter l'intégration de ses enfants dans la société française en acceptant ces unions mixtes ? Ses aînés, au contraire, en perpétuant un système matrimonial traditionnel, ont-ils voulu maintenir une cohérence familiale ? Le second argument s'appuie sur le lien de parenté qui existe entre CHIENG Teng et TCHA Tsiong-Yia : en dépit de leur patronyme différent, ils sont frères et ont été accompagnés par leurs deux parents dans leur migration. Ces derniers ont-ils alors joué un rôle, direct ou indirect, dans le choix des conjoints de leurs petit-enfants ? J. Pierre HASSOUN constatait en 1997 qu' « une quinzaine d'années après l'arrivée des premiers Hmong en France, les mariages à l'extérieur des clans hmong restent exceptionnels bien qu'il n'existe aucun interdit formalisé dans le fait de se marier ` à l'extérieur' ». Il justifie cette affirmation par « les réflexes `communautaires' que la faiblesse démographique de la population [hmong] en France peut provoquer ». Les jeunes, devant la difficulté d'insertion dans la société globale, opèrent alors « un retour à la tradition sous la forme d'une endogamie accentuée » (HASSOUN, 1997 : 79). On retrouve une fois de plus le renforcement des besoins de solidarité interne. Pour P. BOURDIEU, analysant ce qu'il appelle « le marché matrimonial », les femmes ont pour « fonction de contribuer à la perpétuation ou à l'augmentation du capital symbolique détenu par les hommes » (BOURDIEU, 2002 : 65). En choisissant une épouse hmong, les jeunes hommes, à l'instar de leur père polygame, affirmeraient ainsi, face à la communauté, leur « capital symbolique ».

    Quoi qu'il en soit, sur les 14 mariages « hmong », 10 sont contractés par des jeunes filles, contre 4 pour les garçons. Sont-elles plus respectueuses de la tradition ou ont-elles subi davantage de pression que leurs frères de la part de leurs parents ? Sans entrer dans le secret des transactions qui ont peut-être existé, ces mariages ont parfois des « histoires » liés à la mobilité des intéressés aux-mêmes. En effet, les 3 filles aînées de la première épouse de Teng CHIENG allaient, chez des « cousins » maraîchers à Nîmes, pour la cueillette des courgettes. Elles y ont fait la connaissance de jeunes Hmong qui sont devenus leurs époux. Une fille de Tsiong-Yia TCHA a épousé un Hmong venu des Etats-Unis passer des vacances à Montreuil-Bellay. Le fils aîné de Teng CHIENG, encore plus respectueux de la tradition, a fait spécialement le voyage en Thaïlande pour épouser une jeune fille hmong.

    Les mariages « mixtes » sont essentiellement le fait des garçons. Toutefois, la tradition est maintenue par tout le cérémonial qui entoure le mariage et en particulier le port par les époux et leurs témoins des costumes traditionnels (photo n°14)

    Photo n°14 : Mariage « mixte » à Montreuil-Bellay

    Enfin, il faut encore une fois tenir compte de la très petite taille de la communauté hmong de Montreuil-Bellay pour expliquer le nombre de mariages mixtes. A l'inverse, des communautés numériquement fortes, comme celles de Rennes ou Nîmes, peuvent maintenir effectivement l'intermariage (STREIFF-FENART, 2000).

    Qu'ils soient endogamiques ou mixtes, quelle va être l'influence des mariages sur la configuration des bassins de vie familiaux ? Pour cela, nous nous appuierons à nouveau sur les 3 familles précédemment étudiées en observant la localisation des lieux de résidence des enfants qui ont décohabité, soit pour des raisons professionnelles soit parce qu'ils sont mariés et ont quitté le domicile parental.

    v « Bassins de vie » en archipel

    Avec les mariages, on assiste à une seconde dispersion des membres du groupe communautaire, à l'image de celle subie à la suite de l'exil du Laos. Peut-on parler ici de « diaspora » ? Si l'on reprend la définition très générale de M. BRUNEAU, qui désigne sous ce terme « toutes sortes de phénomènes résultant de migrations de populations dans plusieurs pays à partir d'un foyer émetteur » (BRUNEAU, 1995), on retrouve effectivement un « foyer émetteur » - la commune de Montreuil-Bellay-, la « mère-patrie » évoquée par Max. SORRE, et les « migrations » en différents lieux, en France et aux Etats-Unis. Toutefois, on n'est pas face à un exode massif dont « les causes ont été [...] une nécessité absolue sous l'effet de contraintes qui furent surtout de nature politique » (LACOSTE, 1989). Aussi, nous préférons ici utiliser l'image de « l'essaimage » empruntée à Max. SORRE.

    L'observation de la carte n°14 montre, en France, l'existence de 3 pôles de fixation des enfants une fois mariés : l'Ouest (Rennes, Angers), le Sud-Est (Nîmes) et la région lyonnaise. On trouve des individus isolés à Poitiers, St-Nazaire et Pouzauges (Vendée). Il s'agit d'hommes dans le cadre de mariage mixtes. Les raisons de leur installation dans ces villes sont à chaque fois professionnelles, pour eux-mêmes ou par rapport à leur conjoint. Par contre si l'on considère des foyers d'installation comme Nîmes ou Lyon, on observe un nombre plus important d'individus originaires de Montreuil-Bellay : ce sont des femmes qui ont, par leur mariage, intégré un autre clan et, comme le veut la tradition, se sont installées dans le lieu de résidence de leur époux. On peut parler effectivement pour elles de « contrainte sociétale » qui, au même titre que pour leur mère auparavant, leur impose un changement de lieu de résidence, assorti d'une mobilité importante compte tenu de l'éloignement du nouveau foyer. Les importantes communautés, comme celles de Nîmes, Rennes ou Lyon, exercent alors un pouvoir polarisant que ne peut nullement avoir celle de Montreuil-Bellay du fait de sa faiblesse numérique. On a dans ce cas un mouvement centrifuge à partir de la commune d'origine.

    Carte n°14 : Implantation résidentielle des enfants mariés

    Ainsi, les bassins de vie familiaux s'élargissent-ils parfois considérablement à la fois sous l'effet des choix professionnels et en même temps des contraintes imposées par le principe de l'exogamie clanique sur lequel repose tout mariage endogame (cartes n°15 et 16). Les bassins de vie familiaux prennent alors la forme d'archipel, et toutes les « îles » sont reliées entre elles par la force du lien communautaire et identitaire (TAPIA, 2005).

     
     

    Carte n°15 : Bassin de vie de la famille Ka-Gé TCHA

    Carte n°16 : Bassin de vie de la famille Teng CHIENG

    Nous ne pensons pas que les jeunes adultes qui quittent la communauté de Montreuil-Bellay le fassent, comme l'estime P. BILLION pour « échapper aux relations et aux rapports obligés entre co-ethniques, se dégager d'une dépendance étroite ... vis-à-vis de la parenté, et gagner ainsi une certaine autonomie » (BILLION, 1988 : 337). En réalité, même s'ils n'y résident plus, ils conservent des liens permanents avec leur quartier d'origine, tout particulièrement pour les hommes. Ainsi Houa, qui travaille et réside à Pouzauges (Vendée), revient toujours en fin de semaine, avec son épouse française et son fils, au domicile parental ; de même Thé, qui pourtant a son propre logement à l'extérieur de Montreuil-Bellay, a récemment élu domicile dans l'appartement de sa mère et participe régulièrement aux parties de toupie... On assiste ainsi à un second mouvement, centripète celui-là, qui fait du quartier d'origine une « niche familière » (CLAVAL, 1995 : 156), un pôle attractif par lequel se renforce en permanence l'identité collective de cette communauté. Ainsi, comme le remarquait L. WIRTH, « le plus souvent, l'individu a tendance à revenir chez les siens, dans le groupe restreint, mais humain et chaleureux que représentent la famille et le Landsmannschaft au sein duquel il est apprécié et compris » (WIRTH, 1980 : 275). L'ancrage territorial se renforce ainsi par les hommes et se double d'un ancrage affectif qui se réfère à la fois à une communauté et à un espace de vie.

    Conclusion : des espaces pratiqués centripètes et centrifuges

    Ancrée dans le quartier de la Herse depuis bientôt 30 ans, la communauté hmong, faible numériquement, « habite » un territoire limité dans l'espace urbain, construit avant tout par une mobilité de proximité domocentrée. La résidence constitue par excellence le lieu où se construit l'identité, et la structure familiale polygame a un impact certain sur l'appropriation de l'espace, avec en particulier le principe de la plurirésidence et l'opposition entre lieux masculins ouverts et lieux féminins fermés. A l'extérieur, les comportements spatiaux au sein de l'agglomération sont régis par les rapports sociaux, qui renforcent l'image d'« une mobilité de sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117). L'identité communautaire est renforcée dans des « bassins de vie » compacts, qui incluent le quartier et souvent le jardin potager, prolongement à la fois économique et culturel de l'habitation. Si par leurs modes de vie, les adultes premiers arrivés peuvent paraître en marge de la société d'accueil tout en s'y étant installés avec la volonté de refaire leur vie, « unissant les deux dimensions contraires de la rupture et de l'appartenance » (SIMMEL, (1900) 198746(*)), les nouvelles configurations matrimoniales modifient la géographie des « bassins de vie » familiaux qui s'élargissent progressivement en archipel. Pourtant, ce mouvement centrifuge, résultant d'un faisceau de contraintes - professionnelles, économiques, culturelles...-, se double d'un mouvement centripète qui conduit les jeunes hommes qui ont quitté le domicile parental à y revenir régulièrement, compensant cette décohabitation par une appropriation « existentielle » qui doit être entendue comme « le sentiment de se sentir à sa place voire chez soi quelque part » (RIPOLL, VESCHAMBRE, 2005 : 12).

    IV. Lieux de la diaspora : liens sociaux et symboliques

    « Ce ne sont pas les lieux c'est son coeur qu'on habite »

    John MILTON

    Dispersés par l'histoire aux quatre coins du globe à partir de 1975, les Hmong ont formé rapidement des communautés plus ou moins importantes sans pour autant reconstituer des « villages-bis », mais plutôt en s'appuyant sur la force des clans. La petite communauté qui nous intéresse, installée depuis1980 à Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire, dont les bassins de vie familiaux se sont progressivement élargis, entretient par ailleurs tout un réseau de relations, « des liens affectifs et matériels forts » (SCHEFFER, 1986) avec d'autres communautés, plus ou moins lointaines, tant sur le territoire national que dans d'autres pays du monde. Si l'enquête réalisée sur les mobilités quotidiennes a révélé l'importance que prennent les déplacements de fin de semaine pour rendre visite à des « cousins » ou parents, il est aussi des liens plus idéels qui perpétuent la relation avec un « là-bas », comme si chacun recherchait dans le passé un point d'ancrage. Au-delà de la sociabilité et de la solidarité communautaire qui trouvent toute leur valeur à l'occasion des mariages par exemple, des forces particulières s'expriment dans des rapports aux lieux plus symboliques. Ce sont ces lieux et ces liens que nous proposons maintenant d'étudier en nous interrogeant sur leur nature dans le contexte de la diaspora. Qu'ils soient lieux d'échanges, lieux festifs, symboliques ou lieux de mémoire, dans quelle mesure assurent-ils la vitalité de la diaspora ?

    1. Lieux divers reliés par des échanges fréquents

    a. Instabilité dans la stabilité

    Nous avions mis en garde le lecteur sur l'exactitude du recensement des familles vivant à Montreuil-Bellay (voir p. 8) nous référant à J. LEMOINE forcé de « se rendre compte à quel point une famille hmong peut se déplacer en l'espace d'une génération » (LEMOINE, 1983 : 20). Nous ne pouvons qu'accréditer ce constat. En effet au début de notre enquête, alors que nous effectuions le recensement, une famille a quitté la commune pour aller s'installer à Rennes. Ils étaient auparavant passés par l'Argentine, la Guyane française avant d'arriver dans le Maine-et-Loire où ils étaient restés une dizaine d'années avant de reprendre la route. Faut-il voir dans cette mobilité une caractéristique de l'étranger qui « n'est pas rivé à un point fixe... sachant bien qu'il sera peut-être amené un jour à se remettre en route » (SIMMEL, (1900) 198747(*)) ? Dans le cas de cette famille, le départ a été motivé par la recherche d'un nouvel emploi et, une fois de plus, le réseau relationnel ethnique, véritable « service social lao » (BILLION, 1988 : 338) a permis au père de famille de retrouver un emploi salarié dans une compagnie de transport rennaise et a réorienté sa migration. On pourrait citer de nombreux autres exemples, confirmant la mobilité géographique et professionnelle que l'on peut qualifier d' « instabilité dans la stabilité » (GERAUD, 1993 : 733), car on ne se rend jamais qu'en « des lieux où résident d'autres Hmong et où l'on possède des parents » (id., ibid.). La mobilité est facilitée par ailleurs par le statut d'occupation du logement : être en location rend toujours possible la résiliation d'un bail. Ce n'est pas là l'objet central de notre étude car nous voulons plutôt vérifier l'existence des liens entre communautés géographiquement séparées. En dépit de la distancre, le réseau relationnel est-il suffisamment fort pour que ces liens ne se distendent pas ?

    b. Liens réels et matériels

    Les liens sont protéiformes et se concrétisent de différentes manières. Nous tenterons de les distinguer en nous inspirant du schéma de la communication humaine mis au point par Roman JAKOBSON48(*) et en prenant pour critère la nature des contacts : directs ou immédiats lorsque les individus sont physiquement en situation de face à face, indirects ou médiatisés si le contact se fait à distance.

    v Des contacts directs fréquents renforcés par l'association TCHA

    Il semble que la distance entre les individus ne soit jamais un obstacle insurmontable - on trouve dans chaque famille un ou plusieurs véhicules - et rares sont les week-ends sans réunion de famille, ainsi que le déclarait Teng CHIENG (voir p. 65). Puisqu'« on n'a pas la chance d'être ensemble [toute l'année] », on ne doit pas hésiter à se déplacer, et même si on n'est pas officiellement invité, « la porte est toujours ouverte ». Cette hospitalité généreuse est effectivement la première règle sur laquelle repose la vie communautaire hmong.

    Si nous nous appuyons sur l'observation des déplacements effectués par 2 familles hors de la commune de résidence au cours des mois de juin et juillet 2007, on peut remarquer à la fois une diversité dans les destinations mais aussi la répétition de certains lieux dont Saumur, Orléans et Rennes, avec toutefois une constante : on se déplace pour rencontrer d'autres familles hmong, ce qui confirme bien l'interpolarité des relations (MA MUNG, 1992 : 187). L'« ici » et l'« ailleurs » sont dès lors reliés.

    dates

    2-3 juin

    9-10 juin

    16-17 juin

    23-24 juin

    30 juin

    1er juillet

    7-8 juillet

    14-15 juillet

    21-22 juillet

    Famille 1

    Pouzauges

    Saumur

    Lyon

     

    Rennes

    Saumur

    Saumur

     

    Famille 2

     

    Saumur

     

    Castres

    Rennes

     

    Orléans

    Orléans

    Tableau n°6 : Déplacements hors de la commune (destination)

    On peut établir une typologie des déplacements en les classant selon leurs motifs. Tout d'abord, les grands événements familiaux : une naissance chez des « cousins » à Saumur a donné lieu à une fête (famille n°1), de même un mariage à Rennes (familles n°1 et 2). Le décès d'un « cousin » à Castres (Tarn) a nécessité le déplacement de 3 hommes de la famille n°2. Ensuite, viennent des motifs religieux : le rétablissement à la suite d'une opération de la belle-mère d'une fille de la famille n°1, à Lyon, devait être marqué par une cérémonie de « conciliation » des esprits ; un fils de la famille n°1 a emménagé dans une nouvelle maison : il fallait là aussi placer sous la protection des esprits l'habitation et ses occupants. Pour ce qui est du déplacement à Orléans, il a été organisé dans l'urgence, la mère d'une épouse de la famille n°2 étant tombée brutalement et gravement malade. Enfin, viennent les déplacements sans motif autre que celui d' « être ensemble ». Partager un moment de convivialité en fin de semaine à Saumur est chose aisée et appréciée de tous. A l'image de celle vécue dans le quartier, nous sommes toujours dans « une mobilité de sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117), à une échelle plus large cette fois.

    En dehors de la période d'observation que retenue, les familles ont effectué durent l'année d'autres déplacements dont le plus important a été motivé par la fête du Nouvel An organisée à Rennes au début du mois de janvier. Nous n'avons pas noté de déplacements vers Nîmes comme les années précédentes ni de voyages en Asie. Il faut pourtant aborder ce point et nous le ferons à partir des récits recueillis à l'occasion des entretiens, dont voici 2 extraits :

    Quand je suis arrivé en France, sur ma carte de réfugié on a marqué « Interdit le Laos et la Thaïlande »... mais la Thaïlande depuis 20 ans... après on a lâché... Au Laos pour l'instant, c'est interdit... Je suis parti en Thaïlande en 1999, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006... Je reste 3 semaines chaque fois... J'ai encore de la famille en Thaïlande, ma belle-mère... (Teng CHIENG)

    Je suis revenu 3 fois en Thaïlande. Une fois pour le Nouvel An... Ça fait plaisir... Quand on voit la nature, les arbres, les bambous, ça ressemble au Laos, ça fait plaisir...(Ka-Gé TCHA)

    Les voyages en Asie du Sud-Est ont été tardifs par rapport à la date d'arrivée en France. D'abord pour des raisons financières, compte tenu du prix du billet d'avion. Ensuite, pour des raisons politiques : le gouvernement laotien a interdit le retour avec un visa touristique de ses anciens ressortissants. Ceux qui ont opté pour le retour définitif l'ont fait sous le contrôle de l'UNHCR (MIGNOT, 1999). Lorsque l'entrée en Thaïlande a été possible à la fin des années 1990, les voyages ont commencé. La frontière laotienne, qu'ils ne peuvent cependant pas franchir, a bien sûr une fonction de discontinuité géopolitique mais surtout un « rôle de marquage réel et symbolique » (RAPHAEL, 1996 : 79). Selon les possibilités financières, ces voyages sont exceptionnels ou plus réguliers, pour Teng CHIENG par exemple. Ils sont toujours individuels et uniquement faits par les hommes. C'est l'occasion de retrouver des parents ou des amis, et surtout de se replonger dans ses souvenirs de jeunesse en revoyant des paysages familiers toujours en mémoire. On choisit aussi sa date pour participer à des fêtes comme celle du Nouvel An. Ka-Gé TCHA a ramené dans ses bagages un film vidéo qui le montre jouant longuement au lancer de balles traditionnel. Son visage est rayonnant. On n'hésite pas non plus à glisser au retour dans son sac des oeufs qui donneront naissance aux volailles que nous avions découvertes dans les poulaillers. Parfois, on va en Thaïlande pour trouver une épouse hmong, comme ce fut le cas du fils de Teng CHIENG. A l'inverse, on apporte peu de choses : les vêtements français sont inadaptés sous le climat thaïlandais. Si l'on peut, c'est surtout financièrement que l'on contribue à aider.

    La seconde destination est le continent américain : Teng CHIENG est allé rendre visite à une des ses filles qui vit en Géorgie dans une grande exploitation agricole. Le fils de Tsiong-Yia TCHA a passé un mois chez des cousins à Fresno (Californie) quand il avait 18 ans. Dix ans plus tard, il se souvient encore de son étonnement lorsqu'il avait constaté que les jeunes de son âge suivaient des cours de hmong assurés par des enseignants américains : « Moi, je ne sais ni lire ni écrire le hmong, je le parle simplement. Je comprends le sens mais je ne peux pas traduire littéralement ».

    Ces déplacements se doublent bien entendu de la venue dans la commune de parents ou d'amis qui vivent à l'extérieur. On retrouve le lien de proximité qui existe entre Saumur et Montreuil-Bellay et surtout l'attractivité exercée par les fêtes familiales. Nous avons pu assister à un mariage et recenser les origines des invités : à nouveau Lyon et Rennes, mais aussi Angers, Orléans, Aubigny-sur-Nère (Cher). Il est évident que la taille modeste de la communauté hmong de Montreuil-Bellay limite quelque peu le nombre d' « entrants », mais quoi qu'il en soit des contacts directs effectifs existent entre les pôles de la diaspora.

    Ces liens sont renforcés par l'existence d'une association (Loi 1901) officiellement appelée « Association Culturelle et Sociale Tcha » depuis 1997. A sa création en 1989 par Teng CHIENG, chef « historique » de la communauté, sous le simple nom « Tcha », elle avait pour but l'organisation des fêtes du Nouvel An et de manifestations sportives. Les statuts de l'association, rédigés en hmong et en français, prévoient la désignation d'un nouveau président tous les 2 ans, de manière à éviter l'autorité durable d'un seul individu. Actuellement, le président est Pao TCHA qui, depuis le début de l'année, vit à Rennes. En 2007, l'association regroupe 27 familles du clan TCHA réparties sur l'ensemble du territoire national (Montreuil-Bellay, Rennes, Tours, Amboise, Saumur, Lyon, Nîmes). Chacune verse en début d'année une cotisation de 30€ qui va alimenter une caisse de solidarité utilisée pour apporter ponctuellement une aide matérielle à ses membres, en cas de mariages, décès... L'association assure une fonction qui, dans les villages laotiens, n'avait pas besoin d'être explicitée. En février 2007, à l'occasion du décès d'un membre du clan résidant à Tours, les frais de déplacement du musicien qui devait jouer du khen (orgue à bouche) ont été pris en charge par l'association. De même, les enfants des familles qui obtiennent le baccalauréat reçoivent un « cadeau » de 150€. L'entraide prend parfois d'autres formes plus modestes comme l'approvisionnement en légumes, l'hiver, par ceux qui possèdent des serres dans la région de Tours. Cette « solidarité construite » (BILLION, 1988 : 347) permet de mieux répondre aux difficultés des uns et des autres et de les maîtriser. Une autre association similaire existe à Saumur, l'« Association culturelle et sociale hmong de Saumur » dont le but là encore est de préserver les coutumes et traditions hmong et de rassembler et aider sous diverses formes les Hmong de Saumur et de France. Elle unissait initialement les communautés de Saumur et de Montreuil-Bellay (« Association hmong saumurois et montreuillais, Traditions et maintien culturel »).

    De nombreuses associations Loi 1901 du même type ont été créées par les communautés hmong depuis leur arrivée en France. Nous avons recensé celles qui comportent la mention « hmong ». Elles sont au nombre de 122, inscrites au « Journal officiel », dont 110 en France métropolitaine et 12 Outre-mer (Guyane française).

    Carte n°17 : Associations « hmong » en France métropolitaine (2007)

    Elles se répartissent en 4 catégories : associations artistiques et culturelles (45 : 40+5), interventions sociales (33 : 30+3), religieuses (26) et enfin domaines divers (18 : 14+4). Leur répartition au niveau métropolitain est très inégale et correspond aux foyers d'installation des communautés hmong ancrées solidement dans le territoire national. Elle épouse la forme d'un arc, allant de la Bretagne à la Méditerranée par la région parisienne et l'axe rhodanien. Toutefois on peut remarquer de plus fortes concentrations dans certains départements dont le Gard (11), le Loiret (10), le Rhône et l'Aude (7), le Maine-et-Loire et l'Ille-et-Vilaine (5). La région Ile-de-France en compte à elle seule 17. Autre particularité de ces concentrations : la dominante dans l'Ouest de la France des associations religieuses de confession évangéliste. Ainsi, certaines agglomérations ont polarisé les flux de populations dispersées initialement à leur arrivée, mais rapidement regroupées à nouveau en raison des liens claniques qui les unissaient initialement : en choisissant la solution juridique de « l'association Loi 1901 », les Hmong reproduisent le principe organisationnel du clan et conservent ainsi la cohérence sociétale initiale. Cela participe aux modalités d'adaptation à la société d'accueil. Grâce à son association qui relie les différents pôles géographiques du clan, la communauté de Montreuil-Bellay réactive en permanence les liens ethniques et jette un pont vers le pays d'origine et le passé.

    A côté de ces liens qui établissent des contacts directs existent d'autres modes de relation qu'il convient de prendre en compte et qui compensent la dispersion par l'utilisation intensive de tous les moyens de communication. Par médias interposés les contacts sont entretenus.

    v Contacts indirects médiatisés

    ... Quand je suis quitté au Laos, je suis quitté avec mes trois femmes et les enfants, et mes parents, ils sont encore là, ils sont au Laos et quand je suis arrivé en Thaïlande, j'ai écrit une lettre pour donner à quelqu'un pour signaler à mes parents que j'ai quitté au Laos mais j'attends à la Thaïlande... (Teng CHIENG)

    Nous sommes en mai 1975, Teng CHIENG vient de franchir la frontière thaïlandaise avec ses 3 épouses et 5 enfants en bas âge. Ses parents sont encore au Laos. Il confie une lettre à un homme de confiance pour les tenir au courant de sa situation et les décider à le rejoindre. Le courrier va être le premier mode de communication utilisé au moment de la dispersion, parfois rédigé par un autre quand on ne sait pas écrire soi-même et réciproquement quand on ne sait pas lire, compte tenu du fait que la langue hmong est avant tout une langue orale qui connut tardivement l'arrivée de l'écriture.

    Le téléphone a rapidement supplanté l'écrit et sert régulièrement aux hommes pour entretenir des liens avec les autres membres du clan. On retrouve en effet dans l'usage du téléphone la division sexuée de l'espace : le contact avec l'extérieur est avant tout masculin. Les appels à l'étranger sont plus rares, réservés aux événements importants. Pour les plus jeunes commence à se poser le problème de la langue :

    Mes parents ont des contacts avec ma famille au Laos... Moi quand je leur parle ils comprennent pas grand chose, j'ai l'accent français... Cet accent est ancré... (T., 21 ans)

    L'ancrage est non seulement spatial, il est aussi linguistique ! Contrairement à ce qui s'est mis en place dans certaines grandes agglomérations, par le biais des associations ou plus officiellement à l'université comme c'est le cas aux Etats-Unis, le contexte de très petite ville n'a pas favorisé l'institutionnalisation de cours de hmong. Trop peu de candidats ? Plutôt manque de motivation chez les plus jeunes qui se contentent d'un minimum lexical, tout en regrettant par ailleurs de ne pas comprendre l'intégralité des textes et des chants qui accompagnent les cérémonies religieuses. Pour eux, « c'est du vieux hmong... ». Ils connaissent l'existence des sites Internet, toujours plus nombreux, consacrés aux Hmong, ils les consultent, ils envient les jeunes Américains, mais cela ne déclenche pas chez eux un véritable sursaut identitaire. Faut-il craindre réellement « l'effritement culturel » (CHA, 1999 : 75) dénoncé à la fin des années 1990 ?

    Le lien avec le « là-bas » est également entretenu par les cassettes vidéo enregistrées lors des voyages en Thaïlande, comme celles de Ka-Gé TCHA participant au Nouvel An. Il montre inlassablement à tous ces images, tout en les commentant avec le sourire. Plus qu'un film touristique, ces cassettes sont, au sein du domicile familial, un mode de transmission du patrimoine culturel, et « la référence au territoire d'origine traduite par un ensemble de liens matériels et symboliques est un élément fédérateur garant de la continuité communautaire » (CHIVALLON, 2004b : 19). Les CD trouvent aussi leur place dans l'entretien de la mémoire identitaire. Monsieur TCHA, assis toute la journée devant sa machine à coudre, écoute en permanence des enregistrements de musique de variété interprétés par des groupes hmong. Le Laos, « parfois magnifié par le souvenir, demeure pour lui un point d'ancrage » (RAPHAEL, 1996 : 89). Intimement associés aux liens matériels, des liens idéels existent par ailleurs, ils sont plus subtils mais se révèlent au détour des mots. Quels sont-ils et quelles formes prennent-ils ?

    c. Liens idéels  : le rêve et la pensée

    Au cours des entretiens sont toujours apparues des évocations du Laos. Images, anecdotes, récits de cérémonies, traditions s'entremêlent toujours avec le discours sur l' « ici », comme s'ils habitaient un territoire vital bipolaire et entretenaient avec le lieu originaire des rapports imaginaires et nécessairement nostalgiques. Trente ans après l'exil, la mémoire est encore vivante et conservée grâce à une modeste et précieuse photo punaisée (photo n°6) sur le lieu de travail : « J'avais 17 ans, et là c'est mes neveux ». Elle est olfactive et gustative, entretenue par les préparations culinaires et l'utilisation des plantes qui poussent dans les jardins. Les rêves participent aussi à la conservation des souvenirs.

    Je rêve encore au village... moins qu'avant mais la nuit, ça m'arrive encore... Je suis à la maison...

    (Teng CHIENG)

    Ce ne sont pas les « résidus diurnes », ainsi nommés par S. FREUD pour désigner les souvenirs de la journée, mais ceux enfouis dans une mémoire profonde consolidée par le traumatisme de l'exil. Mais lorsqu'on n'a jamais mis les pieds au Laos, comme c'est le cas de la majorité de ceux que nous avons rencontrés, la pensée se substitue au rêve :

    Le plus dur pour moi, c'est quand je pense que ma famille est au Laos et qu' elle crève là-bas. Mes tantes, elles vivent dans la forêt, tous les jours elles se font flinguer... Moi je me sens bien en France, mais notre peuple là-bas il va crever...

    (Phong-Yu, 19 ans)

    Comme le remarque Ida SIMON-BAROUH à propos des Cambodgiens réfugiés en France, « cette mémoire dont l'intense intimité ne se partage pas, alimente un imaginaire fabuleux et nostalgique dont s'imprègnent les plus jeunes, ceux qui [...] en échafaudent progressivement les contours sociaux » (SIMON-BAROUH, 2005 : 397). Si la mémoire conserve dans ses replis des images d'un passé douloureux et émotionnellement chargé, elle permet de transmettre aussi un ensemble de traditions qui trouvent toute leur expression à l'occasion de cérémonies et des fêtes organisées dans les familles ou par la communauté toute entière.

    2. Lieux festifs entre tradition et modernité

    Dans toutes les sociétés, certains événements sont prétextes à de grandes réunions familiales. Anniversaires, naissances, mariages, mais aussi décès sont autant d'occasions de se retrouver et de partager un temps de convivialité généralement autour d'un repas. Les familles hmong ne faillent pas à la tradition de la fête qui prend parfois des dimensions spectaculaires. Au décès de May TCHA en 1996, il a été nécessaire d'installer un chapiteau sur le stade pour accueillir plus de 300 personnes venues de la France entière et des Etats-Unis. C'est là un fait exceptionnel, mais il prouve le dynamisme de la solidarité clanique et communautaire qui s'exprime toujours avec autant de force. Dans ces conditions la distance n'est rien, ce qui compte avant tout c'est encore d'être ensemble. De plus, les conditions matérielles de logement à Montreuil-Bellay nécessitent une adaptation de la cérémonie : le contexte local a un effet sur les lieux de la fête. Le logement ne permettant pas d'accueillir autant de monde, il faut investir d'autres lieux mieux adaptés. Dans ce contexte local, comment les fêtes familiales se déroulent-elles ? Quelle part de tradition a pu être maintenue ? Quelles sont aussi les innovations ? Nous répondrons à cette question en prenant l'exemple des mariages afin d'apporter un éclairage complémentaire sur ce sujet abordé antérieurement.

    v Transmission des traditions et de l'histoire familiale

    Dans toutes les familles que nous avons rencontrées, chacun est particulièrement attaché à la tradition, la « coutume », qu'on se plait à montrer, à raconter, à décrire, même si on confie aussi  :

    ...En revenant à la maison [du défunt] il faut passer au-dessus d'un feu à l'entrée de sa maison pour brûler les esprits qui te suivent. Après on se lave les mains... C'est la coutume... Je sais pas pourquoi...  (Phong Yu, 19 ans)

    Ce respect des traditions, même si on s'y plie sans trop bien les comprendre, est un des piliers de la solidarité communautaire et du maintien de l'identité, que l'on revendique haut et fort dans chaque circonstance - « Nous, les Hmong...- en dépit des pressions exercées par la société d'accueil. On constate à la fois, chez les parents, la volonté de maintenir des traditions qui garantissent la cohésion du groupe, et, chez les jeunes, le sentiment d'appartenance à un groupe par le respect des coutumes. La tradition apparaît comme « la matrice en dehors de laquelle les individus ne sauraient exister » (GERAUD, 1993 : 739). Selon quelles modalités l'ensemble de ces traditions, et de ce que l'on appelle la culture, se transmet-il aujourd'hui ? Est-il possible d'identifier des lieux propices à cette transmission ?

    On peut distinguer deux modes complémentaires de transmission des traditions, mais relevant de deux démarches de la part de l'individu. L'un s'appuie sur l'oral, l'autre sur l'écrit et l'image. Le premier concerne l'aire familiale, relayée rapidement par le groupe communautaire, qui « joue un rôle déterminant dans le maintien de l'ordre social, dans la reproduction , non pas seulement biologique, mais sociale, c'est-à-dire dans la reproduction de l'espace social et des rapports sociaux » (BOURDIEU, 1994 : 141). C'est le lieu de la socialisation primaire  (BERGER, LUCKMANN, 1996), des apprentissages de la langue, des habitudes alimentaires et surtout de la transmission de la mémoire familiale sous la forme des récits faits à l'enfant qui lui permettent de s'enraciner dans un terreau vivant. Dans l'espace domestique s'établit le lien avec les ancêtres et le pays d'origine. C'est pourquoi tous les jeunes Hmong que nous avons rencontrés sont capables de parler de la vie de leurs parents au Laos ou en Thaïlande, du casque militaire que le père a dû laisser au camp de Ban Nam Yao, des morts vus au bord de la route en direction de la frontière...

    Ma mère me dit souvent que c'était affreux du village jusqu'à l'aéroport49(*) pour aller en Thaïlande, il y avait des morts partout... Les vieillards mouraient de fatigue... Ce qui l'a marquée, c'est une fille handicapée qui avait été laissée par sa famille... elle avait quinze ans... Elle est morte au bord de la route. Des morts, elle en a vu des centaines... Ses parents sont restés au Laos et sont morts à la guerre...

    (Phong-Yu)

    On voit que les attaches avec le pays d'origine pèsent lourd dans les vies des communautés d'immigrants, avec une mémoire de celui-ci transmise aux deuxième et troisième générations (WALDINGER, 2006). C'est dans l'aire familiale que se découvrent les rapports sociaux qui font dire aux jeunes hommes : « Nous les Hmong, on est macho... », reproduisant le modèle de l'autorité paternelle. En effet, comme l'a montré P. CLAVAL, tout groupe social possède sa culture transmise « par imitation inconsciente du milieu beaucoup plus que par enseignement explicite. [...] L'individu s'imprègne d'attitudes, de réflexes et des croyances dont il ne peut plus par la suite se défaire sans se remettre en cause » (CLAVAL, 1981 : 245).

    Il est fréquent que les jeunes de la deuxième génération cherchent à savoir davantage sur l'histoire de leur peuple que n'en fournit le discours familial. Ils savent qu'une littérature toujours plus abondante existe sur l'histoire des Hmong, leurs modes de vie traditionnels... La consultation des sites Internet pallie les manques et apporte des réponses à leurs interrogations. Ils sont conscients de l'existence d'une littérature anglo-saxonne en plein développement mais la barrière de la langue en limite toutefois l'accès. Les rares émissions de télévision consacrées aux Hmong sont enregistrées, visionnées et commentées de manière à s'imprégner de ce qui, à leurs yeux, est leur histoire. Ils se montrent soucieux de conserver leur identité et c'est par la connaissance et le respect des traditions que cela passe. L'écrit, au sens large, est ce second mode de transmission ou plutôt de quête des traditions par les jeunes partagés entre deux cultures, empruntant à la société d'accueil le concept d'anniversaire, par exemple. En effet, fêter les anniversaires de naissance est une nouveauté dans la communauté hmong, simplement parce qu' « en Asie cet événement n'existe pas. Chacun a un an de plus le jour de la fête du Nouvel An. C'est tout ! » (TANH, 1996 : 17)50(*). Qu'en est-il en ce qui concerne le mariage ?

    v Le mariage, un modèle de tradition

    Qu'il soit monogame ou polygame, le mariage traditionnel se doit avant tout de respecter le principe de l'exogamie clanique. Au Laos, les villages regroupant les familles appartenant souvent aux mêmes clans, les rencontres entre jeunes gens et jeunes filles de clans différents étaient rares. Seule la fête du Nouvel An avec son jeu de balle était propice aux rencontres. Ce jeu se pratique toujours. Les jeunes gens alignés d'un côté, les jeunes filles de l'autre se lancent une balle. Quand la balle n'est pas rattrapée, un gage est donné : il prend souvent la forme d'une chanson d'amour. Chaque partenaire doit avoir à sa disposition un nombre suffisant de chansons pour séduire l'autre. Nous sommes là dans une vision idyllique de la rencontre amoureuse car bien souvent c'étaient les familles qui manifestaient leur préférence. Quoi qu'il en soit les règles du mariage sont particulièrement complexes et comportent différentes étapes aux domiciles des deux familles. D'abord, chez la jeune fille, sont engagées les négociations par des intermédiaires représentant les deux familles, avec en particulier la fixation du « prix de la fiancée », suivies du repas de noces. Puis chez le jeune homme se déroule un second repas. L'ensemble de cette cérémonie, qui met en jeu une multitude d'acteurs, est très long et peut pendre parfois plusieurs semaines, voire des mois.

    Dans le contexte français, ces règles ont dû être adaptées à certaines exigences, en particulier professionnelles. Les mariages se déroulent exclusivement le week-end, ce qui permet aux participants venant parfois de loin de festoyer et de reprendre ensuite la route. Nous avons pu assister à un mariage au sein de la communauté de Montreuil-Bellay et c'est sur cet exemple que nous nous appuierons pour étudier les fonctions attribuées aux lieux où s'est déroulée cette fête, le 12 mai 2007.

    v Les lieux de la fête

    Le mariage entre Faty TCHA - fils de Ka-Gé TCHA et de sa première épouse - et une jeune fille française a fait comme tout mariage l'objet d'une intense préparation dans les jours qui précédaient pour organiser le dîner qui serait offert aux 200 invités, dans une salle réservée à Epieds, petite commune à une dizaine de kilomètres de Montreuil-Bellay. Contrairement au mariage traditionnel décrit précédemment, la fête va comporter deux temps forts : un temps dominé par le rituel et un temps festif que les Hmong ont emprunté aux Laotiens et aux Français.

    Le rituel se déroule au domicile des parents du marié, un pavillon « Gémeaux » rue du Général de Gaulle, en présence des membres de la communauté hmong locale, des parents et « cousins » venus pour la circonstance, et des parents de la mariée. Il comporte trois séquences qui s'enchaînent de 10h à 14h et au cours desquelles nourriture et boisson jouent un rôle important. Seule la troisième séquence se fait en présence des mariés. Le rituel est l'affaire exclusive des hommes, les femmes étant occupées à la préparation du repas dans la cuisine, le couloir donnant sur la cour et la cour elle-même. Les deux premières séquences font partie du rituel de la religion animiste face à l'autel dans la salle de séjour et sur le seuil de la maison, deux lieux symboliques dans l'espace domestique. Dans un premier temps il s'agit de se concilier les bons génies qui sont appelés face à l'autel où brûlent des bâtonnets d'encens et au pied duquel reposent en guise d'offrande deux poulets bouillis et du riz. Ils sont ensuite appelés et « nourris » sur le seuil de la maison, puis les volailles sont observées par les anciens : les pattes sont comparées, les becs sont examinés attentivement afin d'y déceler le moindre défaut. Le terme auspices retrouve ici tout son sens... Le second temps est celui de l'appel aux ancêtres et se déroule là encore face à l'autel. C'est une longue cérémonie menée exclusivement par le père de famille qui va, pour chaque personne invoquée, préparer des cuillères de riz mêlé de viande de poulet et arrosé d'alcool. Les ancêtres appelés doivent venir depuis le lieu où ils sont inhumés jusqu'au domicile où se déroule la cérémonie, long voyage dans le temps et l'espace. Leur présence est obligatoire pour le bonheur et la prospérité des futurs mariés. L'ensemble de ce rituel se déroule dans l'agitation d'une maison en plein préparatifs. Seul, Ka-Gé TCHA s'approprie deux espaces pendant que les autres, les femmes aidées des enfants, investissent cuisine et cour pour les préparations culinaires. Le partage sexué de l'espace domestique est encore très lisible, mais il s'accompagne par ailleurs d'une symbolique différente.

    Les photos qui suivent illustrent cette partition de l'espace domestique à l'occasion du mariage et les différents rapports aux lieux en présence à ce moment-là : d'un côté un espace féminin matériel, de l'autre l'espace masculin symbolique.

     
     

    Photo n°15 : Cuisine extérieure

    Photo n°16 : Cuisine intérieure

     
     

    Photo n°17 : L'invocation des ancêtres

    Photo n°18 : Les bons auspices

    La troisième séquence a lieu dans la salle de séjour - lieu public ouvert - et est exclusivement réservée aux hommes, très nombreux, assis autour d'une table qui traverse toute la pièce. Elle se fait en présence des mariés qui ont revêtu les costumes traditionnels (photo n°14). C'est ce que, dans la tradition hmong, on appelle les « négociations », qui s'accompagnent de déclamations, de chants et de libations de saké : « Il ne s'agit plus simplement d'hommes buvant de l'alcool, mais d'individus accomplissant un rite social, selon une étiquette, reflet du rite religieux imbriqué dans la cérémonie pour ne former qu'un tout avec celui-ci » (CONDOMINAS,1965 : 224). Le marié et son témoin se prosternent successivement devant chaque homme qui formule alors des voeux de bonheur. La mariée et son témoin assistent debout, imperturbables, à ces « tours de saké ».

     
     

    Photo n°19 : Remerciements du marié

    Photo n°20 : Formulation des voeux de bonheur

    Après ce première temps dominé par le rituel, le mariage va changer de lieu et prendre une autre signification. Pour l'accueil des invités la salle des fêtes a été réservée et c'est à partir de 18 heures que commence la soirée. La salle a été décorée de treillis de bambous où on a suspendu des lampions et des ombrelles en papier. Une immense table au centre sert de buffet : amoncellement de nems, de salades, de poulets grillés, de porc au caramel... (photo n°21). De chaque côté les tables pour les convives, au fond sur la scène des musiciens et un matériel de sonorisation... A l'extérieur, pendant que se font les derniers préparatifs, c'est la séance de photos. On est très loin des cérémonies de la matinée et du rituel conservé de la tradition hmong. Maintenant, c'est un mariage relativement banal, avec cependant la touche d'exotisme que l'on a voulu donner par la décoration, le menu et la musique, « cet élément de différence qui constitue justement un des traits essentiels de l'exotisme » (CONDOMINAS, 1965 : 222).

    La fête peut alors se résumer en trois séquences : l'accueil des participants par les familles des mariés, le repas avec la présentation des mariés et des parents aux invités et la formulation des voeux de bonheur, et le bal avec des danses laotiennes et modernes. On a à la fois une tradition respectée - celle du repas - et la juxtaposition additionnelle d'éléments empruntés - les danses laotiennes. Il y a donc une modification du contenu de l'identité ethnique avec l'intégration d'autres éléments culturels. Ainsi les Hmong ont emprunté les danses laotiennes comme le lamvong pour « montrer aux Français la culture hmong » lors des fêtes de rassemblement de la société en exil. Désormais aucun mariage hmong ne peut se dispenser de cette danse et cette tradition « inventée » repose sur « un processus de formalisation et de ritualisation caractérisé par la référence au passé, ne serait-ce que par le biais d'une répétition imposée » (HOBSBAWM, 2006 : 15).

    Photo n°21 : Tradition et exotisme

    Si fêter son mariage « en salle » est perçu comme valorisant, on constate que le cadre matériel et symbolique se complexifie, il y a enrichissement des apparats et modification des mises en scène de la gestuelle du corps. Il est donc plus juste de « parler de reproduction partielle de traits culturels que de reproduction d'une tradition » (BILLION, 1988 : 350). Toutefois, toute tradition fait appel à un univers symbolique que nous allons maintenant explorer.

    3. Lieux symboliques et lieux de mémoire

    L'installation en France a modifié les pratiques festives de la communauté hmong. Les traditions se sont à la fois simplifiées et enrichies d'éléments extérieurs au contact de la société d'accueil, qui réclame parfois de l'exotisme, ce qui prouve que « les éléments de la culture actuelle d'un groupe ethnique ne sortent pas tels quels de l'ensemble particulier qui constituait la culture de ce groupe dans une période antérieure » (BARTH, 1995 : 249). Pourtant, dans les pratiques rituelles, demeurent identifiables des lieux, que l'on peut qualifier de symboliques, et qui sont chargés de signification. Si tout rituel nécessite un lieu pour être pratiqué - l'autel dans l'église -, à l'inverse un lieu peut ne pas avoir une fonction exclusive pour une pratique rituelle. Ainsi, quand le chaman enferme dans un cercle invisible à nos yeux, tracé de la pointe de son épée, la famille réunie, il crée, le temps de la cérémonie qui se déroule dans la salle à manger, « un cercle magique, un templum » (MAUSS, 1902 : 33) qui est un « lieu » symbolique éphémère. De même, mais plus concret cette fois cet autre « lieu », lorsqu'il entoure le même groupe d'une corde qui part et revient à la tête de l'animal sacrifié. En procédant à l'étude des lieux symboliques, qui parfois n'ont d'existence que le temps d'une fête ou d'une cérémonie rituelle, et des lieux de mémoire, nous en analyserons l'organisation et nous mettrons en lumière les rapports que les Hmong entretiennent avec eux ainsi que la place qu'ils occupent dans leur culture.

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    a. L'autel domestique, le seuil de la maison et la table du Ki Tès

    La maison représente le centre de la vie religieuse. Alors que certaines communautés hmong sont catholiques ou protestantes parce qu'ayant fréquenté au Laos des écoles tenues par des missionnaires51(*) et ont des lieux de culte spécifiques - église ou temple -, la communauté de Montreuil-Bellay est demeurée animiste. Elle attribue des pouvoirs très particuliers aux génies dont il faut ménager en permanence la bienveillance. On les invoque lors des mariages bien sûr, afin qu'ils protègent le nouveau couple, mais aussi si l'on change de résidence, et plus particulièrement en cas de maladie. A chaque fois un rituel est organisé dans l'espace domestique et la maison devient « un lieu d'intercession quasi magique entre ses habitants et le monde » (FREMONT, 1999 : 163). Aux génies sont associés aussi les ancêtres qui, chez les Hmong, sont définis par une relation généalogique réelle : ce sont des ancêtres masculins appartenant aux trois générations précédentes dans le lignage. Les rites qui leur sont destinés servent, paradoxalement, à la fois à les tenir à l'écart des affaires des vivants et à solliciter leur intervention. Les esprits des ancêtres sont « nourris » à l'occasion des rites funéraires, des mariages et du Nouvel An. Les cérémonies auxquelles nous avons assisté - mariage et séance de chamanisme - nous amènent à privilégier trois « lieux » et les objets rituels qui les accompagnent : ce sont l'autel domestique, le seuil d'entrée de la maison et la table du Ki Tès ou Tong hou pli.

    v L'autel domestique

    Dans chaque logement, on peut observer un ou plusieurs petits autels dans la pièce principale, face à la porte d'entrée : c'est la « maison » des esprits (photo n°22). Il s'agit d'une petite table rectangulaire surélevée avec un pied central placée contre un mur. Recouverte de feuilles de papier blanc découpé formant des dessins géométriques, elle supporte un bol d'eau lustrale au pouvoir revivifiant, des tasses, des bougies, des bâtonnets d'encens, offrande sensorielle qui monte vers le ciel pour mettre en contact la terre et les esprits. Au pied de l'autel, un large gong. C'est sur cet autel qu'est rendu le culte des ancêtres, sous la forme d'offrandes, à l'occasion d'un mariage par exemple.

    L'officiant, en l'occurrence le père de famille, après avoir frappé trois coups de gong, récite des formules mêlant langue hmong et chinoise et dépose sur l'autel une cuillère de riz cuit mélangé à un peu de viande de poulet. Il brûle ensuite des offrandes de papier.

    Photo n°22 : La « maison » des esprits

    A l'occasion d'une séance de chamanisme, le chaman installe lui-même son propre autel au pied de l'autel domestique.

    Photo n°23 : L'autel et les instruments chamaniques

    Sur l'autel du chaman (photo n°23), on distingue à l'arrière les bols de riz avec un oeuf dans lesquels sont plantés des bâtons d'encens - qui brûlent en abondance pendant la transe -, de chaque côté les bols d'eau lustrale, au centre, les tasses pour le thé destiné aux esprits, devant, une tasse recouverte d'une feuille de papier percée d'un trou au milieu. Les instruments chamaniques complètent l'installation. Ce sont avant tout des instruments de musique : les grelots (1), le gong (2) et le cercle de sonnailles (4), qui accompagnent la transe en imitant le bruit des chevaux quand le chaman voyage dans l'au-delà. La corne de buffle fendue en deux (3), le Koua, a un pouvoir divinatoire. Elle est utilisée à plusieurs reprises au cours des rituels, soit devant l'autel soit sur le seuil de la porte.

     
     

    Photo n°24 : Lancer de la corne divinatoire

    Les deux morceaux de cornes tenus dans la main droite sont lancés à terre et, comme des dés ou des cartes, ils « parlent » : pour que le dialogue s'instaure, une partie doit tomber sur le « dos » (la partie bombée), l'autre sur le « ventre » (la partie plate). L'opération est répétée plusieurs fois.

    Marcel MAUSS dans un article52(*) publié dans L'Année sociologique 1902-1903, définit le chamanisme comme un rituel magique, d'une part, parce que la confidentialité de sa pratique dans l'enceinte du domicile l'oppose au « rite religieux [qui] recherche en général le grand jour et le public », d'autre part, parce que « les cérémonies comportent [l'usage] de tout un outillage, dont les pièces ont fini par avoir une valeur magique qui leur est propre ».

    Nous avons toutefois remarqué que ces objets pouvaient être manipulés par tous : seul le chaman exerce son pouvoir en s'en servant. M. MAUSS ajoute enfin que, contrairement à la religion qui « tend vers la métaphysique et s'absorbe dans la création d'images idéales, la magie sort, par mille fissures, de la vie mystique où elle puise ses forces, pour se mêler à la vie laïque et y servir ». A propos de la transe (photo n°25), il ajoute que, comme le magicien, le chaman est « le maître de sa possession ; il est capable de la provoquer et il la provoque en effet par des pratiques appropriées, comme la danse, la musique monotone, l'intoxication ».

    Photo n°25 : Le chaman en transe sur le cheval-dragon

    Pour les Hmong animistes, l'autel domestique et les « cercles » chamaniques représentent deux espaces mis en scène pour l'accueil des esprits et des génies, qui sont régulièrement sollicités pour protéger l'homme et son domicile ou guérir le malade, et à la rencontre desquels le chaman part, monté sur le « cheval-dragon » qui est une sorte de banc, un assemblage de morceaux de bois sans pièce métallique (photo n°26).

    Photo n°26 : Montage du « cheval-dragon »

    Dans ces « lieux » symboliques que sont l'autel, les « cercles » chamaniques et le « cheval-dragon » se concentre, le temps du rituel, la force de l'identité ethnoculturelle.

    Au même titre, la porte et son seuil, « grâce à [qui] on passe d'une vie personnelle au monde, mais aussi du monde à une vie personnelle » (SIMMEL, 1983 : 100), représentent un second lieu particulier dans l'ensemble du rituel animiste et dans la culture des Hmong.

    v Le seuil de la porte

    Le pas de la porte d'entrée est un lieu symbolique où se pratique un autre rituel à l'égard des génies de la porte, gardiens du territoire, qui protègent les biens de la famille et veillent à ce que les mauvais esprits n'entrent pas. Ils sont le symbole de l'unité domestique. A l'occasion du mariage, des offrandes de riz et de viande sont disposées dans un plat, enveloppées dans la fumée des bâtonnets d'encens (LEMOINE, 1972b).

    Photo n°27 : L'appel des génies sur le seuil de la porte

    Le contact entre le monde des hommes et celui des esprits est établi là encore avec la corne divinatoire. L'officiant frappe les deux montants de la porte plusieurs fois avec cette corne puis la lance à terre. L'accueil des génies se poursuit par l'observation des deux volailles. C'est également sur le seuil que l'on se place pour repousser les « mauvais » génies en crachant l'eau lustrale (photo n°28).

    Photo n°28 : L'eau lustrale repousse les mauvais génies

    Pendant la séance de chamanisme, un autre rite est organisé, destiné là encore à assurer la protection de tous les membres de la famille et qui consiste à franchir le seuil et à passer du « monde à une vie personnelle », de l'espace public à l'espace privé. Avant cela, la porte est préparée avec un simple arceau de bambous fendus et attachés entre eux par des fils de coton blanc, qui double les montants. Le bambou est choisi pour rappeler le matériau de construction des maisons traditionnelles au Laos. Il ne sera enlevé que plusieurs semaines après, assurant pendant tout ce temps une vertu protectrice.

    Photo n°29 : L'arceau de bambou

    Avant que la famille au complet ne se réunisse - les enfants absents sont cependant « présents » sous la forme d'un vêtement leur appartenant que portent les mères respectives -, l'animal sacrifié pour la cérémonie, en l'occurrence un porcelet, est placé en travers du seuil, surmonté d'un double « escalier » en bois taillé grossièrement, sur chaque marche est posé un couteau ou une copie en bois (photo n°30). Là encore, il s'agit de repousser les génies malfaisants. Les papiers placés à côté du porcelet seront brûlés à la fin de la cérémonie (photo n°32).

    Le rite du « franchissement du seuil » peut alors commencer, sous l'ordonnancement d'un ancien qui fait office de maître de cérémonie. Le père de famille est le premier à passer : après s'être lavé les mains, il enjambe le porcelet en « montant » et « descendant » l'escalier. Il est suivi de ses deux épouses. Passent ensuite l'un après l'autre les enfants, leurs conjoints et les petits-enfants (photo n°31).

     
     

    Photo n°30 : Porcelet sacrifié

    Photo n°31 : Franchissement du seuil

    Photo n°32 : Offrandes brûlées à la fin de la cérémonie

    Que ce soit à l'occasion d'un mariage, d'une séance de chamanisme, ou de la célébration du Nouvel An et des rites funéraires, l'autel et le seuil de la porte sont, dans l'enceinte domestique, deux lieux majeurs permettant d'éloigner les mauvais esprits et de perpétuer le culte des ancêtres qui sont, selon P. BOURDIEU, un « capital symbolique » (BOURDIEU, 2002 : 68). Dans le cadre des rites funéraires, nous avons pu recueillir le témoignage d'un jeune adulte qui explique ainsi la fin de la cérémonie :

    En sortant du cimetière on n'a pas le droit de se retourner parce que si tu vois l'esprit tu vas mourir avec lui... En revenant à la maison [du défunt] il faut passer au-dessus d'un feu à l'entrée de sa maison pour brûler les esprits qui te suivent. Je ne sais pas pourquoi...

    On pense ici à Orphée quittant le monde des morts pour celui des vivants, suivi par Eurydice... Comme le Styx, le seuil de la maison est une sorte de sas, espace symbolique marquant la limite entre un extérieur étranger et hostile et un intérieur habitable familier. De plus, le feu allumé à la porte a une fonction purificatrice. Nous remarquerons d'autre part dans ces propos la remarque finale traduisant le respect aveugle de traditions transmises par le groupe familial qui font que « l'individu s'imprègne d'attitudes, de réflexes et des croyances dont il ne peut plus par la suite se défaire sans se remettre en cause » (CLAVAL, 1981, 245).

    Un dernier « lieu » mérite notre attention, la table du Ki Tès (Tong hou pli) dressée à l'occasion d'un mariage, lieu éphémère s'il en est, puisque cette table est installée dans la salle le temps de la fête.

    v La table du Ki Tès

    On pourrait a priori n'y voir qu'un élément décoratif, ou une partie du buffet, dans la vaste salle louée pour la circonstance. Au pied de la scène sur laquelle sont installés les musiciens et leur sono, se dresse une longue table. A chaque extrémité, des fruits ont été disposés - bananes, pommes, oranges -, au centre, des grands bouquets de fleurs. Le même plat qui avait servi aux cultes rendus aux ancêtres, aux côtés d'un porcelet, figure dans le décor. Ce sont là encore des offrandes tant pour les ancêtres que pour les mariés et leurs convives. La cérémonie peut alors commencer : les mariés sont d'un côté de la table entourés de leurs parents ; de l'autre, l'animateur de la soirée, un cousin venu de Rennes pour la circonstance, « balaie » l'intérieur et l'extérieur des mains des mariés avec des fils de coton blanc enfilés sur une baguette. Les mariés tournent leurs paumes vers le ciel puis vers le sol pour que l'âme soit bien enfermée. Puis l'animateur distribue à chaque convive deux fils qu'il noue aux poignets des mariés en formulant des voeux de bonheur. La cérémonie est épuisante pour les mariés qui doivent tendre leur bras tant qu'il y a d'invités et de fils à nouer. Ils ne pourront les enlever qu'après un délai de trois jours, quelle que soit leur activité professionnelle. La même cérémonie est pratiquée pour les nouveaux-nés à l'occasion de leur baptême afin de leur assurer la protection des génies domestiques.

    Photo n°33 : La table du Ki Tès

    Photo n°34 : Nouage des fils blancs protecteurs

    La table du Ki Tès devient le pôle de convergence des génies, des ancêtres et des vivants, un lieu symbolique où le temps et l'espace sont annihilés et qui permet là encore d'associer ce qui est naturellement séparé.

    Au cours de toutes ces cérémonies, nous avons pu observer la permanence de pratiques culturelles, conservées au cours de l'exil. Elles n'ont pas été modifiées dans leur symbolique, mais adaptées au contexte de la société d'accueil car « les conduites des hommes sont le produit d'une interaction entre les traditions héritées et les exigences de la société d'installation » (SCHNAPPER, 2001 : 16). L'autel domestique, qui doit en principe se trouver dans l'axe de la porte d'entrée ne peut plus parfois occuper cette place dans les logements français. Seuls 5 fils de coton blanc accrochés au plafond de la pièce et par lesquels circulent les esprits, orientent l'espace en direction d'une sortie. Quoi qu'il en soit, ces gestes rituels ne sont jamais gratuits « même lorsque leur sens oublié les réduit au rang de survivance, ils traduisent tout un système de croyances, par lesquelles les hommes, même appartenant à une société aux horizons très limités, se situent dans l'Univers» (CONDOMINAS, 1965 : 224). Ultime exploration des lieux qui participent à l'organisation de l'espace culturel, les lieux de mémoire et la place faite aux morts dans la communauté hmong de Montreuil-Bellay. Quelles adaptations ont dû être réalisées dans le contexte local, permettant toutefois aussi le maintien d'un rituel traditionnel ?

    b. Le cimetière, un lieu de mémoire

    Dans le cimetière de Montreuil-Bellay, ont été inhumés 7 membres de la communauté hmong. Sans être regroupées dans un secteur spécifique, les tombes sont situées dans la partie la plus récente du cimetière, agrandi au fur et à mesure des besoins. Une seule est située dans la section réservée aux enfants. C'est une plaque anonyme sous laquelle a été inhumé un enfant décédé accidentellement à l'âge de 5 ans peu après l'arrivée de ses parents dans la commune.

    Noms, prénoms

    Naissance

    Décès

    TCHA Cha-Yi

    1909

    2003

    XIONG Djoua-Ja

    1931

    2002

    TCHA Tou

    15-02-1916

    12-08-1997

    TCHA May née XIONG

    1909

    1996

    TCHA Vaneng

    16-03-1921

    25-10-1992

    YANG Song-Xeu

    1926

    1989

    Tableau n°7 : Membres de la communauté inhumés au cimetière de Montreuil-Bellay

    Les personnes décédées sont toutes arrivées dans les premières années d'installation des familles dans la commune (avant 1981) et avaient suivi leur fils dans la migration depuis le Laos. On retrouve ici la marque de la responsabilité des garçons à l'égard de leurs parents, qu'ils prennent en charge à partir du moment où, trop âgés, ils ne peuvent plus exercer une activité professionnelle. Ils sont alors objet de respect et de soins de la part de toute le famille.

    Les parents de ma mère sont morts pendant la guerre. Mon grand-père [paternel] avait une maladie, tu sais, tu perds tes doigts... la lèpre ? oui, c'est ça... il est mort comme ça...Ma grand-mère [paternelle] est venue en France. Elle est morte en 1996. Je me rappelle que tous les jours je lui apportais du riz dans sa chambre. Moi, j'étais toujours avec elle... Quand elle est morte j'ai invoqué les esprits pour qu'ils viennent la chercher... (Phong-Yu)

    Les dates de naissance inscrites sur les tombes sont à prendre avec précaution, car bien souvent, en l'absence d'état civil au Laos, elles ont été attribuées de manière arbitraire lors de l'arrivée en France. Le plus âgé est mort à 94 ans, le plus jeune à 63. Sur chacune figure, en médaillon, une photo du défunt déjà âgé. L'un porte un béret basque : il avait adopté cette coiffure car il se plaignait toujours d'avoir froid. Sur une tombe, on découvre le visage sérieux d'un homme vêtu du costume traditionnel de fête et portant au cou un large collier, gravé à l'identique dans le marbre de la pierre tombale. Il est décédé aux Etats-Unis à l'occasion d'un voyage chez ses enfants, son corps a ensuite été rapatrié à Montreuil-Bellay.

    Photo n°35 : Tombe de Djoua-Ja XIONG - cimetière de Montreuil-Bellay

    Sur une autre tombe, figure le dessin du khen, l'instrument traditionnel utilisé lors des fêtes et des cérémonies funéraires. Quand il était jeune, Tou TCHA était un joueur renommé de cet instrument et ce souvenir perdure dans le marbre.

    Photo n°36 : Détail de la tombe de Tou TCHA, cimetière Montreuil-Bellay

    Par ces détails iconographiques, la tombe sert à rappeler aux vivants le visage et les qualités du défunt, qui lui conféraient une place reconnue dans la communauté locale. Ces tombes sont peu fleuries, parfois surmontées de plaques votives dont une est rédigée en hmong. Pourtant, là encore, la communauté a dû adapter les cérémonies funéraires au contexte local.

    Traditionnellement, la géomancie sert à déterminer le lieu d'inhumation : le choix de l'emplacement peut avoir des conséquences sur la descendance du défunt, sa réussite sociale ou au contraire ses difficultés. C'est pourquoi de nombreux paramètres interviennent dans la désignation du lieu. Dans le contexte français, il n'a pas été possible de maintenir cette tradition et ils ont dû se plier aux contraintes des règles administrative. En revanche, la partie privée des cérémonies est conservée intégralement. Nous résumerons les différentes étapes en nous appuyant sur les témoignages recueillis au cours des entretiens, complétés par les travaux de J. LEMOINE exposés dans l'article intitulé L'initiation du mort chez les Hmong publié dans la revue L'Homme en 1972. Les cérémonies funéraires se déroulent en trois temps : le corps est conservé 3 jours au domicile du défunt puis inhumé, 13 jours plus tard « l'âme vitale » de la personne décédée rend visite à sa famille. Dans l'année qui suit a lieu le « relâchement de l'âme », suivi du « sacrifice aux mannes du défunt ». Au cours des 3 premiers jours qui suivent le décès, après la toilette funéraire, a lieu le Kr'oua Ké, c'est-à-dire « montrer, enseigner le chemin », au cours duquel le joueur de khen joue un rôle capital. C'est lui qui, « chantant à mi-voix, sans aucun autre auditoire que le mort, l'instruit du chemin qu'il aura à parcourir dans l'Au-delà pour rejoindre ses Ancêtres et se réincarner » (LEMOINE, 1972a : 108). Il s'agit d'une véritable initiation car « en temps ordinaire, on ne peut chanter le Kr'oua Ké sans attirer la mort sur soi et sur sa maison » (id., ibid.). On peut s'étonner de ce chant alors qu'il s'agit d'une musique instrumentale : en fait, les notes émises par le khen correspondent à des paroles - la langue hmong a 7 tons -, et cette musique descriptive tient compagnie au mort, l'accompagnant et le guidant dans son périple pendant toute la durée des rites. Pendant ce temps, comme nous l'avons vu pour les mariages, les femmes préparent en abondance la nourriture destinée à la fois au défunt et aux membres de la communauté qui vont assister aux funérailles. Des animaux sont abattus : ils servent à la fois d'offrande et de nourriture. Traditionnellement, il s'agissait d'un buffle ou d'une vache. A Montreuil-Bellay, ce sont des cochons et des poulets. Compte tenu du nombre toujours très important des personnes présentes, chacun participe financièrement aux frais. Ce n'est qu'au terme de ces 3 journées que le corps est enfin inhumé. Au retour du cimetière, comme nous l'avons déjà précisé, un feu rituel est allumé sur le seuil de la maison du défunt et tous les participants aux funérailles doivent l'enjamber.

    Les rites funéraires sont « le support d'une mémoire collective et d'une ethnicité diasporique » et on peut les considérer comme « une force cohésive anti-assimilatrice » (HOVANESSIAN, 1998b : 311). Ils associent à la fois des lieux de l'enceinte domestique - la chambre du défunt, le seuil de la porte d'entrée -, de l'espace public - le cimetière - mais surtout de l'espace symbolique du récit mythologique que parcourt le défunt en quête de ses ancêtres, guidé par la mélodie du khen. La communauté hmong animiste conserve ainsi son unité culturelle et perpétue dans la société d'accueil, tout en s'adaptant à certaines contraintes, un héritage ancestral qui permet de résister au « morcellement culturel » (CAMILLERI, 1999 : 88).

    Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora toujours active

    La communauté hmong de Montreuil-Bellay conserve avec les autres membres du clan dispersées en France et à l'étranger des liens forts qui se concrétisent par des déplacements fréquents à l'occasion des fêtes traditionnelles et des rituels. Ces réunions assurent la maintien et la transmission des valeurs culturelles et l'association joue un rôle capital dans le contexte de la diaspora : elle garantit chaque famille d'un soutien permanent et permet de lutter contre l'isolement et l'acculturation. L'ensemble des relations tissées entre ces différents pôles prend appui sur de multiples réseaux, tant économiques que culturels, et c'est cette « interpolarité des relations » (MA MUNG, 1995 :164) qui donne à la diaspora toute son originalité par rapport à une migration classique. Les liens communautaires nationaux et transnationaux volontairement créés et entretenus contribuent à renforcer une solidarité non seulement avec le lieu d'origine mais aussi entre les différents lieux d'installation, comparables à « un territoire en archipel », à savoir « un espace discontinu, éclaté, où les relations intercommunautaires [...] passeraient par un espace étranger et en quelque sorte neutralisé » (TAPIA, 2005 : 290), indépendamment des frontières politiques. Ainsi les échanges matériels, symboliques ou même imaginaires alimentent la fidélité au passé et à une culture partagée dans une identité ethnoculturelle qui exprime toute sa force lors des grands événements familiaux, comme les mariages ou les décès, et qui constitue « le creuset de ressources symboliques... susceptibles de modeler un sentiment d'appartenance, de nouer des identifications plus ou moins liées à l'idée d'une « origine » commune » (HOVANESSIAN, 1998b : 310). Pourtant cette identité pourra-t-elle résister à l'épreuve du temps si elle n'est pas alimentée par un désir profond, « une conscience et une volonté » (SCHNAPPER, 2001) ?

    Conclusion générale

    La communauté hmong vivant à Montreuil-Bellay est numériquement faible et a su, depuis bientôt 30 ans, conserver son identité ethnoculturelle dans un contexte urbain où l'assimilation aurait pu être inévitable. A quoi tient ce phénomène de résistance ? Faut-il en rechercher les causes dans les rapports aux lieux entretenus par les individus, les familles et le groupe entier ?

    L'espace des géographes se déplie selon des niveaux de perception successifs qui vont de l'espace objectif ou parcouru, qui correspond à celui des structures géographiques, à l'espace subjectif, pratiqué ou vécu, et à l'espace culturel, lieu d'une écriture géosymbolique (BONNEMAISON, 1981). L'étude de ces 3 niveaux a permis de dégager différentes étapes dont on peut rappeler les aspects essentiels.

    A l'origine, les Hmong avaient une pratique de la mobilité dans des lieux géographiques fluctuants où prévalait la « logique du lignage ». N'étant pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en disposaient tant qu'il répondait aux besoins du groupe. Cette organisation traditionnelle va être bouleversée par les guerres d'Indochine qui mettent à feu et à sang la péninsule indochinoise au cours des années 1970. Pendant l'exil, qui les conduit jusqu'aux camps de réfugiés au-delà du Mékong, ils connaissent une mobilité sous contrôle tant qu'ils demeurent sous la responsabilité de l'UNHCR. C'est là que s'effectuent les premiers regroupements familiaux et que se constitue l'amorce d'un nouveau réseau relationnel qui sera activé ultérieurement. C'est aussi à partir des camps qu'a lieu la dispersion qui va les essaimer aux quatre coins du monde et marquer la rupture définitive avec une civilisation ancestrale : « The Hmong made one airplane flight from sixteenth to twentieth century. Within space of seventy-two hours these mountain people were taken from bamboo-thatched huts in refugee camp along the Mekong river and put into two or three bedrooms apartments... »53(*). En France, la prise en charge dans des centres d'accueil successifs rend l'ancrage temporairement impossible, car leur parcours migratoire est ponctué d'étapes et de lieux de destination sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir de décision. Chaque centre correspond au franchissement d'un sas d'entrée supplémentaire dans la société d'accueil, caractérisé par les apprentissages nécessaires pour permettre un début d'intégration : apprentissage de la langue, acquisition de compétences professionnelles sont autant de moyens qui doivent assurer l'obtention d'un emploi. Et c'est justement par l'accès à l'emploi salarié et au logement que le premier ancrage va être réalisable. Après plusieurs années, ils deviennent davantage acteurs de leurs choix. Au cours de ce périple, toutes les occasions ont été saisies pour reconstituer le clan et éviter l'isolement en milieu rural que les politiques d'accueil préconisaient pourtant. C'est ainsi que s'est constituée la communauté de Montreuil-Bellay, installée depuis près de 30 ans dans le quartier de la Herse.

    Plus qu'un lieu de résidence, ce quartier est d'abord un lieu d'habitation centré autour de la maison ou de l'appartement. C'est en effet le lieu exclusif de l'agglomération où se nouent les liens sociaux dans une pratique de « mobilité de sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117), essentiellement pour les femmes, qui dans un espace domestique sexué et parfois polygame, opposant espace public masculin et espace privé féminin, s'approprient des lieux spécifiques et font des jardins potagers à l'extérieur du quartier un prolongement économique et culturel de la résidence. Visible pour les autres habitants du quartier et en même temps invisible car on dit qu'« ils vivent entre eux », la communauté hmong entretient peu de rapports avec la population locale en dehors des contacts indispensables dans le cadre des activités professionnelles et « est en marge de la société d'accueil, mais, par ailleurs, [elle] s'y est installé[e] avec la volonté de refaire sa vie, tout en sachant bien qu'[elle] sera peut-être amené[e] un jour à se remettre en route » (SIMMEL, 1987 : 88). Les bassins de vie familiaux initiaux se sont progressivement élargis par le mariage ou l'entrée dans la vie professionnelle des enfants, mais ils restent domocentrés, en particulier pour les garçons qui demeurent attachés au quartier et au domicile parental, perpétuant ainsi dans une certaine mesure la tradition d'assistance auprès des parents. Ces jeunes adultes sont en possession d'une ressource exclusive importante constituée par ce que A. BOURDIN appelle « les savoirs autochtones » (BOURDIN, 1996 : 43). La connaissance des réseaux de relation locaux représente pour eux un « capital » et ils « ne peuvent utiliser cette ressource exclusive que là où elle a été constituée, donc par l'intermédiaire de la référence à un lieu » (id., ibid.).

    Malgré son isolement dans le contexte local qui pourrait paraître pour un repli identitaire et une forme de marginalisation, la communauté hmong de Montreuil-Bellay entretient des liens étroits et constants avec les autres membres du clan dispersés en France et à l'étranger et pratique une « mobilité de sociabilité » à une échelle plus large en effectuant des déplacements fréquents en direction des autres pôles de la diaspora. Par le biais d'une association, elle perpétue l'organisation clanique traditionnelle, tout en s'adaptant aux normes administratives de la société d'accueil. Ces contacts, qui permettent d'éviter l'isolement, se renforcent à l'occasion des mariages, des décès et des fêtes traditionnelles qui réunissent toute la communauté locale et les familles venues de plus loin appartenant au même clan. Cela assure la persistance d'une identité ethnoculturelle qui permet de résister à l'épreuve du temps et de minimiser les effets de la dispersion.

    Ainsi, de l'espace parcouru à l'espace culturel en passant par l'espace vécu, « toute société regroupe en un ensemble spatial plus ou moins harmonieux ou plus ou moins tendu ces différents niveaux de perception et donne à chacun de ces types d'espace une configuration au sol, une signification et un rôle particulier » (BONNEMAISON, 1981 : 258). Au terme de cette étude portant sur les rapports aux lieux entretenus par les membres d'une communauté hmong dans un contexte de très petite ville, quelle typologie des lieux est-on à même de dégager ? Nous les classerons en fonction de la signification attribuée aux lieux pratiqués. Nous distinguerons les lieux sociaux, festifs et symboliques.

    Le quartier de la Herse est par excellence le lieu social. La proximité des résidences permet aux membres de la communauté de se côtoyer quotidiennement, tant pour partager un moment de jeu pour les hommes que pour entretenir des relations familiales ou de voisinage dans le cas des femmes. L'attachement affectif qu'ils éprouvent pour ce quartier est une forme d'« appropriation existentielle » (RIPOLL, VESCHAMBRE, 2005 : 10) qui donne le « sentiment de se sentir à sa place voire chez soi quelque part. Le sentiment d'appropriation se transforme alors en sentiment d'appartenance » (id., ibid.). Le rapport aux lieux est vécu comme réciproque : un lieu est à nous parce qu'on est à lui, il fait partie de nous parce que nous faisons partie de lui. Cela permet d'affirmer qu'« on est bien parce qu'on est ensemble » (Tchy-Neng, 22 ans). La vie quotidienne de la communauté se déroule sur un territoire limité dans l'espace urbain, qui possède le statut de centre, excluant les autres quartiers de la ville à l'exception des jardins périphériques. En fait, plus que dans l'espace géographique, c'est dans la relation sociale que s'est réalisé un ancrage durable du groupe.

    Si les lieux ont une fonction sociale, ils ont par ailleurs une fonction festive qui leur est associée mais qui pourtant doit être distinguée car elle a pour cadre l'enceinte domestique de la résidence. C'est en effet essentiellement dans l'intimité résidentielle que se déroulent les rassemblements communautaires à l'occasion des fêtes familiales comme les mariages. Dans la tradition hmong, les rites matrimoniaux complexes se déroulent successivement au domicile de la famille de chacun des époux. Si la tradition s'est maintenue à Montreuil-Bellay, elle s'est quelque peu modifiée par l'innovation du « mariage en salle », rendue nécessaire par les conditions de logement, celles-ci ne permettant pas matériellement les grands rassemblements familiaux. Cette pratique nouvelle, qui par ailleurs est considérée comme valorisante, est un signe d'adaptation aux normes de la société d'accueil qui « apparaît lorsque d'anciens usages sont confrontés à de nouvelles conditions et que de vieux modèles sont utilisés dans de nouveaux buts » (HOBSBAWM, 2006 : 16), en l'occurrence ici la valorisation sociale. Toutefois, à l'intérieur de ces lieux festifs, il faut remarquer l'opposition entre ceux à dominance masculine - la salle de séjour où se rassemblent les hommes pour procéder aux différents rituels, en particulier les « tours de saké » -, et ceux à dominante féminine - la cuisine et ses annexes où se prépare le repas de fête.

    Enfin, dans l'espace domestique, on peut distinguer des micro-lieux qui ont une fonction symbolique. Ils sont liés à la tradition animiste de la communauté. Nous avons pu repérer l'importance accordée au seuil de la maison par lequel « on passe d'une vie personnelle au monde, mais aussi du monde à une vie personnelle » (SIMMEL, 1983 : 100), et surtout d'un intérieur sous la protection des génies et des ancêtres à un extérieur perçu comme hostile. C'est également face à l'autel domestique que l'on entre en contact avec les génies protecteurs, tout particulièrement lorsque leur intercession est rendue nécessaire en cas de maladie ou de convalescence, ou tout simplement afin d'obtenir la protection du toit familial et de ses occupants. Le chamanisme pratiqué régulièrement s'appuie également sur des lieux symboliques, qu'ils soient éphémères comme les cercles dans lesquels le chaman enferme les individus, ou même idéels comme ce voyage vers l'Au-delà dans lequel il s'engage sur son « cheval dragon ».

    L'ensemble de ces lieux sociaux, festifs et symboliques associés et imbriqués les uns dans les autres participe à la conservation d'une culture, alliance de traditions héritées et de modernité, que la communauté hmong a entretenue depuis son arrivée et qu'elle transmet aux jeunes générations. Contrairement à l'émigrant qui espère que « parce qu'il aura changé de lieu, jeté de son lieu dans le monde » aura changé « de peau, de vie, de mémoire et d'histoire » (MEDAM, 1996 : 104), les Hmong de Montreuil-Bellay sont détenteurs d'une culture et d'une histoire qu'ils préservent et réactivent en permanence grâce aux liens matériels et idéels entretenus avec les différents pôles de la diaspora. Leur identité culturelle est « la combinaison de représentations et de pratiques linguistiques, religieuses, alimentaires, éducatives, familiales... permettant de définir un univers singulier, plutôt qu'un territoire bien délimité » (RAPHAEL, 1996 : 80).

    Annexes

    1. Courriers

    1a. Courrier du secrétaire général de la mairie de Montreuil-Bellay (2 juin 1981)

    1b. Courrier adressé par le Maire de Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame (24 août 1981)

    2. Cérémonies traditionnelles

    Séance de chamanisme (30 juin 2007)

    3. Questionnaire d'enquête

    Enquête auprès des usagers du quartier de la Herse

    1. Courriers

    v Courrier du secrétaire général de la mairie de Montreuil-Bellay (2 juin 1981)

    A Monsieur le maire de Montreuil-Bellay

    Mmes et MM. Les membres du B.A.S.

    Monsieur le Maire

    Mesdames, Messieurs

    Je me permets d'attirer votre attention sur un phénomène inhérent à notre commune qui m'apparaît préoccupant : il s'agit dans un premier temps de la présence dans le quartier de la Herse de familles laotiennes réfugiées, puis dans un deuxième temps de l'arrivée dans ce quartier de nouvelles familles de réfugiés.

    Vous savez qu'au début de l'année 1978, sans que n'existe aucune structure d'accueil, les premières familles laotiennes sont arrivées à Montreuil-Bellay, guidées par la disponibilité de logements et la possibilité de travail dans la région. Cette arrivée s'est faite normalement, discrètement, sans heurt. Depuis, le nombre de ressortissants laotiens a augmenté assez rapidement, les premiers arrivants encourageant leur famille, leurs amis, à venir à Montreuil-Bellay ; de telle sorte qu'à ce jour, environ 130 personnes de nationalité laotienne vivent dans ce quartier.

    Il me semble que l'intégration de cette population malgré (ou peut-être à cause de) l'absence d'un comité d'accueil, s'est faite sans difficultés majeures. Cependant reprenant l'adage selon lequel « il vaut mieux prévenir que guérir », je pense qu'il est temps de réfléchir sérieusement à cette situation. Je constate en effet que ces personnes :

    - ont des moeurs, des coutumes, des modes de vie, très différents des nôtres ;

    - représentent environ 10% de la population du quartier, et s'ajoutent à quelques autres familles d'immigrés marocains ou turcs, vivant également dans ce quartier ;

    - constituent, compte tenu de leur nombre, une entité culturelle, philosophique, voire religieuse.

    Par ailleurs, le moyenne d'âge de ces familles est relativement basse et le taux de natalité y est très élevé.

    Toutes ces observations me conduisent à penser que des inconvénients graves aussi bien pour ces familles que pour les familles vivant dans le même quartier, peuvent survenir dans les années à venir. Des signes récents accréditent d'ailleurs ma thèse : certains logements ont été quittés ou refusés parce que, sur le même palier, vivaient une ou plusieurs familles laotiennes, de jeunes enfants laotiens ont provoqué à plusieurs reprises des dégradations au stade.

    Le problème est très délicat à traiter, mais il est à mon sens d'une extrême importance, et c'est pourquoi il mérite le maximum d'attention. D'autant qu'aux difficultés que j'ai déjà citées, s'ajoutent les problèmes liés à une situation de l'emploi difficile.

    Mais il ne s'agit là que d'un aspect du problème. La situation existe, il faut y faire face dans les meilleures conditions possibles.

    L'autre facette de mon propos concerne l'arrivée de nouveaux réfugiés et se justifie par un événement survenu au cours de la semaine dernière. Une personne laotienne de Montreuil-Bellay est venue demander deux logements, qu'elle savait disponibles, pour deux familles de sept membres chacune et vivant actuellement en centre d'accueil. Cette personne a d'ailleurs motivé sa demande en arguant du fait que les femmes des deux familles ont trouvé du travail dans les champignonnières de la région. La question qui se pose pour ces deux familles, et qui se posera à nouveau pour d'autres familles, est de savoir s'il est possible de refuser ces logements. Et dans cette hypothèse de refus d'un logement, quels arguments avancer ? Ce ne peut pas être pour des motifs liés aux ressources : ces familles apportant la preuve de leur solvabilité par le certificat d'employeur et la perception de prestations familiales. D'ailleurs, et d'après les renseignements fournis par l'O.P.D.H.L.M., aucune famille laotienne n'a de retard dans le règlement de ses loyers.

    Il convient donc à mon avis, de déterminer une politique précise dans ce domaine :

    - soit on considère qu'il est normal d'accueillir de nouvelles familles laotiennes dans la commune, et on ne fait aucun obstacle à leur arrivée. Il faut donc dans cette hypothèse, être conscient que des problèmes peuvent surgir dans un avenir assez proche ;

    - soit, on considère que le nombre de réfugiés a atteint un niveau qu'il serait dangereux de dépasser. C'est certainement la solution la plus difficile mais aussi la plus courageuse. C'est pour ma part celle que je propose. Il resterait alors à régler les moyens permettant de limiter cette arrivée. C'est une question à laquelle il faudra trouver une réponse si cette position est arrêtée.

    Encore une fois je mesure la difficulté qu'il y a à traiter ce problème. Je pense toutefois que la politique de l'autruche serait néfaste. Je souhaite que ce propos serve d'introduction à un débat permettant de contrôler ce phénomène au mieux des intérêts de tous.

    Je vous prie de croire, Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs, à l'expression de mes sentiments dévoués.

    Signé le Secrétaire Général J.N. LANDAIS

    v Courrier adressé par le Maire de Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame (24 août 1981)

    Monsieur le Maire et cher collègue,

    Depuis plusieurs années, la ville de Montreuil-Bellay héberge des réfugiés laotiens, dans un quartier neuf « La Herse ».

    Cette communauté laotienne occupe 18 logements, se compose de 130 personnes environ et les enfants de ces ressortissants représentent 20% de l'effectif du groupe scolaire du quartier.

    Les Laotiens établis dans notre ville encouragent leurs familles ou leurs amis à venir s'y installer également, dans un souci bien légitime de se regrouper pour compenser les effets de leur déracinement. Cependant, il n'est pas possible de laisser augmenter démesurément le nombre de réfugiés laotiens à Montreuil-Bellay, sans risquer d'atteindre un pourcentage trop élevé par rapport à notre population.

    Les familles laotiennes ne posent aucun problème particulier et s'intègrent parfaitement au milieu dans lequel elles vivent, que ce soit sur le plan du travail ou des rapports de voisinage.

    Après réflexion sur la situation créée par ce phénomène et rencontre avec les intéressés, il nous est apparu souhaitable que des communes voisines puissent accueillir des familles laotiennes désireuses de s'installer dans notre région, dans un souci de répartition harmonieuse qui conserverait ainsi la possibilité de se rencontrer fréquemment. C'est dans cet esprit que je prends la liberté de vous adresser ce courrier.

    Je remarque que les demandes de logements formulées à Montreuil-Bellay, concernent des personnes qui ont trouvé du travail dans les champignonnières du Puy-Notre-Dame ; il m'apparaîtrait logique qu'elles puissent être logées sur place.

    J'aimerais connaître votre position sur cet accueil éventuel et si des possibilités existent dans votre ville avant de reprendre contact avec vous.

    Je vous remercie de l' attention toute particulière que vous voudrez bien porter à ce dossier important.

    Croyez, Monsieur le Maire, et cher collègue, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

    Signé Albert ROUX

    2. Cérémonies traditionnelles

    v Séance de chamanisme (30 juin 2007)

    Une cérémonie de chamanisme est prévue aujourd'hui à Montreuil-Bellay, au domicile de Ka-Gé TCHA que l'on dit malade, et qui doit assurer sa protection et celle de toute sa famille. C'est un événement rare car il ne peut avoir lieu qu'en présence d'un chaman, c'est-à-dire un homme qui détient ses pouvoirs d'un membre de sa famille - parents, grands-parents - lui-même chaman. L'officiant du jour vient du Laos accompagné de son épouse, une petite femme silencieuse qui restera non loin de lui au cours de la cérémonie.

    J'arrive chez Ka-Gé vers 10h. Contrairement à la première cérémonie traditionnelle à laquelle j'avais assisté (le mariage), pas de petit déjeuner autour de la table de la salle à manger. Celle-ci a été déjà repoussée avant d'être sortie dans la cour, et à sa place se dresse une sorte de banc de 2 m de long, 25 cm de large environ. Il repose sur 4 pieds légèrement inclinés fixés deux à deux par une traverse. Le tout est assemblé sans pointe ou clou en métal. Les hommes en essaie la résistance en s'asseyant lourdement dessus. Il s'agit du « cheval » - tchonneng - qui servira pour le voyage symbolique vers le pays des esprits des ancêtres, « cheval dragon, vaisseau de vent et de nuées qui emporte le chaman dans les espaces aériens de l'au-delà » (LEMOINE, 1987 : 39).

    Photo n°37 : Préparation du « cheval »

    La discussion est animée jusqu'à que des garçons de la famille apportent un second « cheval », plus long et plus large et qui semble mieux convenir. Sa résistance est elle aussi testée. Pendant ce temps, la première épouse de Ka-Gé prépare des bâtonnets d'encens et allume des bougies. Au pied de l'autel familial, un second autel a été dressé : deux bols de riz cru surmonté d'un oeuf et piqué de bâtonnets d'encens, un bol d'eau, quelques petites tasses...

    Photo n°38 : L'autel du chaman

    De chaque côté, des monceaux de papier découpé par les soins du chef de famille, symbolisant l'argent. On apporte le gong, le cercle à sonnailles - txiab - un anneau métallique de 25 cm de diamètre sur lequel sont enfilés 9 disques de métal, et deux petits « grelots » en métal doré ou anneaux clochettes. Ce sont des anneaux de cuivre aplatis qui forment un cercle de 8 cm de diamètre entrouvert et qui laisse voir de petites billes de métal. Chaque instrument est orné de rubans rouges supposés effrayer les esprits. Les cornes de buffle sont posées sur l'autel. Pendant ce temps dans la cour, la première épouse découvre deux larges bassines dans lesquelles reposent les deux porcelets tués la veille et on les apporte dans la salle à manger en ayant pris soin auparavant d'étendre sur le sol un grand morceau de plastique épais. Au Laos, lors d'une telle cérémonie les cochons sont tués sur place, ce qui n'est pas possible en France. Trois animaux - 2 porcelets et un cochon - ont été abattus, la veille, à l'écart des regards dans un jardin à l'extérieur de la ville, ce qui a donné lieu à une réunion de famille, chacun participant soit à la découpe, soit au nettoyage des viscères...

     
     

    Photos n°39 et 40 : Abattage des cochons dans le jardin de Teng CHIENG

    Le chaman au cours de la cérémonie va procéder au « réveil » du cochon qui deviendra le protecteur de la famille. Un porcelet est mis à l'écart. Il servira plus tard. En France, on utilise exclusivement des cochons alors qu'au Laos, on peut choisir un boeuf, un buffle ou une chèvre. Cette dernière fait peur à « tous les fantômes qui sont dans le monde ».

    11h. Les conversations se taisent peu à peu quand le chaman arrive. Il est vêtu d'un pantalon noir tenu par une large ceinture noire et rouge et sa tête est couverte d'un voile noir. Pour l'instant il a le visage découvert. Il se tient devant l'autel et, tout en battant le gong de manière rythmée et rapide, il entonne un chant psalmodique.

    Photo n°41 : Le chaman

    En même temps, tout son corps se balance... Ka-Gé place devant lui, sur l'autel, un pot dont le couvercle est en papier blanc tenu par un simple élastique et percé en son centre d'un trou du diamètre d'un confetti. Et sur ce couvercle, autant de grains de riz que de membres de la famille de Ka-Gé : lui-même, ses deux épouses, ses enfants, petits-enfants, gendres et belles-filles françaises. Sous l'effet des vibrations engendrées par le gong, les grains de riz tombent peu à peu par l'orifice. Un seul résiste : il tourne sur lui-même et « refuse » de rejoindre les autres. Le chaman poursuit sa psalmodie faite de « mots spéciaux » destinés aux esprits qui doivent venir protéger la famille. Il transpire de plus en plus... Il brûle des poignées d' « argent » et jette au sol les cornes de buffle. Il faut attendre qu'elles « parlent », annonçant ainsi la bienveillance des esprits... Au bout de 30 minutes environ, alors que le chant toujours martelé par le gong n'a pas cessé, il s'approche du porcelet pour le « réveiller » afin que désormais il surveille la famille. Il dispose au sol des rectangles de papier en nombre suffisant pour tous les membres de la famille : chacun doit pouvoir y poser les deux pieds. Tous se regroupent alors, se serrant les uns contre les autres. Les deux épouses tiennent à la main des vêtements appartenant à leurs enfants respectifs absents ce jour-là. Un incident se produit alors : une des deux belles-filles refuse de se joindre à eux. Son mari insiste. C'est elle, le « grain de riz » qui tout à l'heure refusait de tomber dans le pot avec les autres. Le chaman peut alors la désigner ouvertement. Bon gré mal gré elle se joint aux autres. Son visage reste fermé. Le chaman pose sur l'épaule de chacun une tresse de papier découpé et, tout en chantant, encercle le groupe avec une corde dont une extrémité a été nouée au cou de porcelet. Il referme le cercle lorsqu'il atteint le porcelet. Dans cet espace symbolique délimité par la corde, les membres de la lignée se taisent, le visage sérieux. La cérémonie des grains de riz est faite à nouveau : cette fois-ci tous tombent dans le pot, sans exception. Pour souder la famille, Ka-Gé obstrue l'orifice par un petit morceau de papier humecté dans le bol d'eau lustrale. Pendant ce temps un « cousin » se tient sur le seuil de la porte d'entrée devant laquelle est posé un saladier de riz avec les oeufs et les bâtonnets d'encens rituels. Il jette plusieurs fois le corne de buffle pour appeler les esprits. Le chaman dénoue l'extrémité de la corde qui encercle le groupe et l'enroule, ramassant en même temps « toutes les choses mauvaises et les maladies » ; il tient un long poignard et lance le tout sur le seuil de la porte pour « chasser le mauvais ». Maintenant il faut rassembler les « bonnes choses » et pour cela, il tamponne le dos de chacun avec les « grelots » - l'un est masculin, l'autre féminin. La cérémonie va s'achever : la famille sort peu à peu du « cercle » en enjambant la corde et l'« argent » posé en tas.

    12h. La deuxième partie de la séance de chamanisme ne concerne que Ka-Gé et ses deux épouses. Ils se tiennent face à l'autel, Ka-Gé assis sur le « cheval », une épouse debout de chaque côté. Le chaman va procéder comme précédemment, le second porcelet ayant été posé derrière les participants. Il tourne autour du groupe en changeant de sens, enfermant dans le même espace les époux, le « cheval » et le porcelet protecteur. Identique à la première, cette cérémonie est néanmoins plus courte puisqu'elle se termine au bout d'une vingtaine de minutes.

    Pendant que le chaman se restaure - riz blanc, viande de porc bouilli, sang de porc cuit -, les hommes aménagent différemment l'espace. Le « cheval » est posé sur un tapis et on l'habille d'une selle faite d'un matelas de tissu sanglé par deux ceintures. Les conversations vont bon train, les rires fusent. On profite de cette pause pour manger : un buffet est dressé dans l'entrée, chacun se sert. L'oncle de Teng CHIENG arrive alors : c'est un vieil homme, blessé pendant la guerre et qui vit désormais à Saumur, après être passé par le centre d'accueil d'Epinay s/Seine et Limoges. Il a suivi ses enfants qui avaient trouvé du travail à Saumur.

    13h. La cérémonie reprend dans une toute autre atmosphère : maintenant le chaman a le visage voilé, les volets de la pièce sont baissés et c'est dans une pénombre relative que se déroule alors le voyage symbolique à la quête des esprits des ancêtres. Durant les 4 heures que va durer ce voyage, l'autel sera alimenté en permanence en bâtonnets d'encens et en bougies. Assis sur le « cheval » face à l'autel, le chaman tient dans ses mains les grelots et les sonnailles qui imitent les bruits faits par les chevaux dans le voyage vers l'au-delà. Il entonne un chant rapide et très rythmé accompagné par le gong que martèle Ka-Gé assis derrière lui. Deux hommes sont assis à chaque extrémité du cheval pour le maintenir tant il bouge sous les sursauts de l'officiant.

    Photo n°42 : Le chaman entreprend le « voyage »

    Au cours de la cérémonie, ils se relaieront régulièrement, de même le joueur de gong. Il poursuit son galop debout sur le cheval, maintenu par la taille. De temps en temps, il pousse un cri plus stridulent et jette le cercle à sonnailles à terre de manière à capturer les esprits vitaux en fuite. Les rondelles regroupées indiquent que les esprits sont pris au piège. Le gong s'arrête et, aussitôt, un des participants lance au coeur de l'anneau les 2 cornes de buffle qui doivent indiquer la bienveillance des esprits. Parfois, il saute à terre en s'accroupissant et remonte immédiatement sur le « cheval » par un saut arrière. Le chant, le gong et les disques métalliques entrechoqués emplissent l'espace. Les adultes assistent à cette scène en silence, assis autour de la pièce, les jeunes quant à eux sont dans la cour. Ils semblent indifférents à tout ce qui se passe à l'intérieur.

    Il y a bientôt 1 heure que la cérémonie a débuté. D'autres préparatifs commencent alors à l'extérieur.

    Photo n°43 : Préparation de « l'escalier »

    On taille dans 2 bûches de 50 cm de long des encoches régulièrement espacées qui vont représenter les marches d'un « escalier » qui sera ensuite placé sur le seuil de la maison, où un porcelet est allongé, chaque bûche matérialisant un escalier montant et descendant. Sur une marche de chaque escalier est posé un long couteau, sur les autres des couteaux en bois grossièrement taillés. Ils doivent empêcher l'entrée des « mauvais » esprits... L'encadrement de la porte est souligné par un arc de bambous fendus.

     
     

    Photos n°44 et 45 : « L'escalier » sur le seuil de la porte

    Le chaman poursuit son voyage intérieur toujours au son du gong. Il entre progressivement dans un état proche de la transe : soudain il bondit au sol et, toujours maintenu par la taille se précipite dans l'entrée et se jette à terre devant le porcelet, successivement à l'intérieur et à l'extérieur de la maison. Des enfants qui jouaient dans le couloir hurlent de peur, les témoins s'agitent, la famille de Ka-Gé se regroupe maintenant dans la cour. Au poignet, ils ont tous un ruban blanc noué. En file indienne ils contournent la maison en passant par la rue et attendent maintenant devant, dans le jardinet. Ils procèdent à une ablution des mains et, pendant qu'à l'intérieur le chaman poursuit son chant, ils vont l'un après l'autre, sous la conduite de Teng CHIENG, franchir l'escalier en enjambant le porcelet. Quand tout le monde est passé, Teng reste seul face accroupi à côté de l'animal et brûle « l'argent » qui doit assurer la bienveillance protectrice de l'animal. C'est un spectacle étonnant de voir cet homme solitaire le visage éclairé par les flammes du bûcher...

    Photo n°46 : Teng CHIENG brûlant l'argent

    Le cochon va être ensuite transporté dans la cour pour y être découpé en prévision du repas du soir où tous les membres de la communauté hmong sont conviés. Le chaman termine maintenant son « voyage » toujours aussi rythmé sous les martèlements du gong en remerciant successivement tous les esprits des ancêtres d'avoir accordé leur protection à Ka-Gé et sa famille. Il tombe au sol épuisé, son épouse et les hommes présents l'aident à se relever. La pièce est étonnamment silencieuse. Il recouvre progressivement ses esprits et, après avoir enlevé son costume de cérémonie, redevient l'homme ordinaire qu'il était le matin quand j'étais arrivé. Sur son visage se lisent les signes de l'épuisement. Il n'a rien bu pendant les 4 heures de la cérémonie et il lui faut un long moment pour reprendre des forces. La fête va maintenant se poursuivre avec le repas que les femmes ont préparé pendant ce temps. Le « cheval » est démonté, désormais cette monture magique reprend la forme de simples morceaux de bois. On les range en attendant une autre chevauchée au royaume des esprits ancestraux.

    3. Questionnaires d'enquête

    v Enquête auprès des usagers du quartier de la Herse

    Vous habitez ce quartier depuis

    Vous occupez un appartement, un pavillon

    Avez-vous des membres de votre famille dans ce quartier ? oui non

    si oui lesquels ?

    Où ?

    Composition familiale

    vous êtes célibataire marié autre

    nombre d'enfants dans le foyer

    Perception des lieux : ce qui...

    vous plait (avantages pour vous)

    ne vous plait pas (inconvénients pour vous)

     
     

    Perception des habitants du quartier

    un quartier pour :

    des familles jeunes des personnes âgées ne sait pas

    Rencontrez-vous vos voisins surtout

    dans la rue chez vous chez eux

    si vous ne fréquentez pas vos voisins c'est parce que...

    Dans le quartier vivent des étrangers. De quelle nationalité ?

    Est-ce un avantage ou un inconvénient pour vous ?

    Que savez-vous de cette population ?

    Aimeriez-vous rester ou quitter ce quartier ? Pourquoi ?

    H / F âge

    Bibliographie

    Les références bibliographiques sont présentées suivant les normes ISO 690-1 (AFNOR Z 44-005) de décembre 1987 et ISO 690-2 de février 1998

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    Index des auteurs

    ANTEBY, 87

    BARTH, 73, 74, 75, 111

    BERGER, 22, 105

    BERTHELEU, 15, 43

    BILLION, 93, 96, 100, 110

    BONNEMAISON, 33, 125, 127

    BOURDIEU, 53, 56, 61, 68, 72, 90, 105, 118

    BOURDIN, 127

    BROCHEUX, 38

    BRUNEAU, 18, 19, 92

    BRUNET, 20, 94

    CAMILLERI, 123

    CHA, 48, 83, 102

    CHORON-BAIX, 46, 94

    CLAVAL, 93, 105, 118

    CONDOMINAS, 5, 11, 27, 31, 35, 37, 39, 41, 76, 109, 120

    DI MEO, 28, 34, 45, 94

    DURKHEIM, 59, 76

    FOUCAULT, 84

    FRANCO, 9, 147

    FREMONT, 62, 67, 76, 111

    GEORGE, 20

    GERAUD, 96, 104

    GUERIN-PACE, 23

    HASSOUN, 5, 11, 12, 34, 35, 39, 41, 42, 45, 46, 47, 53, 90

    HEIDEGGER, 60, 62

    HOBSBAWM, 110, 128

    HOVANESSIAN, 21, 123, 124

    JUTTEAU, 75

    KHELLIL, 23

    LACOSTE, 20, 92

    LE BRIS, 61

    LEMOINE, 8, 11, 12, 13, 31, 96, 115, 122, 134

    LEVY, 94

    MA MUNG, 19, 21, 123

    MARTIN, 16

    MAUSS, 4, 5, 84

    MEDAM, 72, 76

    MIGNOT, 5, 39, 82, 94, 98

    MORINEAU, 22

    NA CHAMPASSAK, 42, 94

    NATHAN, 23

    OTT, 76, 148

    POTTIER, 11, 35

    QUELLA-VILLEGER, 30

    RAMADIER, 72, 86, 94, 98, 126

    RAPHAEL, 74, 94, 98, 102, 129

    RENAN, 22

    RIPOLL, 94, 127

    ROBINSON, 32, 42

    RUDDER, 94

    SAYAD, 28

    SCHEFFER, 20, 95

    SCHNAPPER, 19, 21

    SIMMEL, 94, 96, 115, 126, 128

    SIMON-BAROUH, 87, 103

    SORRE, 19, 20, 92

    STREIFF-FENART, 91

    TAILLARD, 32, 39, 148

    TAPIA, 13, 21, 93, 123

    TARRIUS, 20

    THERY, 61, 151

    TRIBALAT, 29

    VERHAEGE-GATINE, 5

    VESCHAMBRE, 94, 127

    WALDINGER, 7, 105

    WEBER, 4

    WIRTH, 72, 94

    Table des illustrations

    v Cartes

    Carte n°1 : Le Laos dans la péninsule indochinoise 9

    Carte n°2 : Les provinces de la République démocratique populaire lao 10

    Carte n°3 : Lieux d'implantation des Hmong dans la péninsule indochinoise 14

    Carte n°4 : Les camps de réfugiés sous contrôle de l'UNHCR en Thaïlande 38

    Carte n°5 : Logements sociaux du quartier de « la Herse » (Montreuil-Bellay) 49

    Carte n°6 : Les mobilités résidentielles de la famille Ka-Gé TCHA 63

    Carte n°7 : Les mobilités résidentielles de la famille Teng CHIENG 64

    Carte n°9 : Extension urbaine de Montreuil-Bellay 69

    Carte n°10 : Jardins hmong à Montreuil-Bellay 78

    Carte n°11 : Le jardin de Ka-Gé TCHA 80

    Carte n°12 : Le « jardin » de madame Mo CHA 81

    Carte n°13 : Le jardin de Neng TCHA 82

    Carte n°14 : Implantation résidentielle des enfants mariés 92

    Carte n°15 : Bassin de vie de la famille Ka-Gé TCHA 93

    Carte n°16 : Bassin de vie de la famille Teng CHIENG 93

    Carte n°17 : Associations « hmong » en France métropolitaine (2007) 100

    v Photos

    Photo n°1 : Un village « hmong » près de Luang Prabang, 33

    Photos n° 2, 3, 4 : Trois types d'habitat collectif dans le quartier de la Herse 50

    Photo n°5 : Les Gémeaux, pavillons mitoyens, dans le quartier de la Herse 51

    Photo n°6 : Espace professionnel au domicile 67

    Photo n°7 : Séance de jeu de toupie - joueur 1 71

    Photo n°8 : Joueurs 2 et 3 71

    Photo n°9 : Le joueur adverse 71

    Photo n°10 : Le « jardin » de Ka-Gé TCHA (8 juin 2007) 79

    Photo n°11 : Une serre dans le jardin de madame Mo CHA 83

    Photo n°12 : Un espace complanté (maïs, oignon, citronnelle...) 84

    Photo n°13 : Récolte des fleurs de camomille 85

    Photo n°14 : Mariage « mixte » à Montreuil-Bellay 91

    Photo n°15 : Cuisine extérieure 108

    Photo n°16 : Cuisine intérieure 108

    Photo n°17 : L'invocation des ancêtres 108

    Photo n°18 : Les bons auspices 108

    Photo n°19 : Remerciements du marié 109

    Photo n°20 : Formulation des voeux de bonheur 109

    Photo n°21 : Tradition et exotisme 110

    Photo n°22 : La « maison » des esprits 112

    Photo n°23 : L'autel et les instruments chamaniques 112

    Photo n°24 : Lancer de la corne divinatoire 113

    Photo n°25 : Le chaman en transe sur le cheval-dragon 114

    Photo n°26 : Montage du « cheval-dragon » 114

    Photo n°27 : L'appel des génies sur le seuil de la porte 115

    Photo n°28 : L'eau lustrale repousse les mauvais génies 116

    Photo n°29 : L'arceau de bambou 116

    Photo n°30 : Porcelet sacrifié 117

    Photo n°31 : Franchissement du seuil 117

    Photo n°32 : Offrandes brûlées à la fin de la cérémonie 117

    Photo n°33 : La table du Ki Tès 119

    Photo n°34 : Nouage des fils blancs protecteurs 119

    Photo n°35 : Tombe de Djoua-Ja XIONG - cimetière de Montreuil-Bellay 121

    Photo n°36 : Détail de la tombe de Tou TCHA, cimetière Montreuil-Bellay 121

    Photo n°37 : Préparation du « cheval » 134

    Photo n°38 : L'autel du chaman 135

    Photos n°39 et 40 : Abattage des cochons dans le jardin de Teng CHIENG 135

    Photo n°41 : Le chaman 136

    Photo n°42 : Le chaman entreprend le « voyage » 137

    Photo n°43 : Préparation de « l'escalier » 138

    Photos n°44 et 45 : « L'escalier » sur le seuil de la porte 138

    Photo n°46 : Teng CHIENG brûlant l'argent 139

    v Schémas et graphiques

    Graphique n°1 : Nombre de réfugiés « land people » enregistrés dans les camps thaïlandais (1977-1987) 36

    Graphique n°2 : Familles hmong arrivées à Montreuil-Bellay (1978-1987) 47

    Graphique n°3 : 3 exemples de configurations matrimoniales 89

    v Tableaux

    Tableau n°1 : La péninsule indochinoise - données démographiques 10

    Tableau n°2 : Composition de l'échantillon d'enquête 26

    Tableau n°3 : Composition des familles arrivées à Montreuil-Bellay entre 1978 et 1987 54

    Tableau n°4 : Répartition des clans familiaux par dates d'arrivée 56

    Tableau n°5 : Etude des mobilités quotidiennes (échantillon) 70

    Tableau n°6 : Déplacements hors de la commune (destination) 97

    Tableau n°7 : Membres de la communauté inhumés au cimetière de Montreuil-Bellay 120

    Table des matières

    SOMMAIRE 1

    REMERCIEMENTS 3

    INTRODUCTION 4

    I. UN DISPOSITIF MÉTHODOLOGIQUE ADAPTÉ À UNE POPULATION ÉTRANGÈRE 7

    1. Une minorité ethnique arrivée d'Asie et installée dans une très petite ville 8

    v Laotien ou Lao, identité nationale et identité ethnique 9

    v Les Hmong, un groupe ethnique 11

    v Réfugié du Sud-Est asiatique, un statut juridique 15

    2. Problématique, cadre conceptuel et bibliographie 16

    v Problématique et axes de recherche 17

    v Cadre conceptuel et bibliographie 18

    3. Un terrain étudié progressivement 24

    v La connaissance et l'observation des lieux 25

    v Enquête auprès des usagers des lieux 25

    v Les entretiens : modalités et outils de recueil des données 26

    Conclusion : une lecture géographique par des méthodes diverses 29

    II. D'UN LIEU À L'AUTRE : DISPERSION, ERRANCE ET ANCRAGE 30

    1. Une mobilité forcée dans des lieux géographiques fluctuants 31

    a. La vie au village 31

    b. La fuite brutale improvisée dans l'urgence 34

    2. Une mobilité sous contrôle pendant l'exil 38

    a. Le camp, le premier asile 38

    v Changement social 39

    v « Passer l'interview » 41

    b. Les sas d'entrée dans le pays d'accueil : le réfugié réifié 42

    v « Créteil » : la prise en charge administrative 43

    v Le centre d'accueil de Port-Leucate : les premiers apprentissages 43

    v La mobilité contrôlée 45

    3. Le choix de l'ancrage dans un milieu urbain 46

    a. Politiques d'accueil à Montreuil-Bellay 47

    v Une vague d'arrivée favorisée puis freinée par décisions municipales 47

    v Les inquiétudes de la municipalité 51

    b. Une « communauté ethnique locale » dans une très petite ville 53

    v Quelques familles polygames avec de nombreux enfants 54

    v Le clan, facteur de regroupement et d'ancrage territorial 56

    Conclusion : d'une mobilité forcée, puis contrôlée, à une mobilité choisie 58

    III. LIEUX DU QUOTIDIEN ET « BASSINS DE VIE FAMILIAUX » 60

    1. Le partage de l'espace domestique et des espaces vécus 61

    a. La résidence 61

    v Plurirésidence liée à la polygamie 63

    v Espaces masculins ouverts / espaces féminins fermés 66

    b. Les pratiques de l'espace urbain 68

    v Analyse des données de l'enquête 70

    v Stéréotypes et invisibilité 73

    2. Le jardin, un territoire féminin 76

    v Un nouveau jardin  : le jardin de Ka-Gé TCHA 79

    v Un « jardin familial » : le jardin de madame Mo CHA 80

    v Un jardin de propriétaire : le jardin de Neng TCHA 81

    3. L'élargissement du bassin de vie familial par les mariages 86

    v La scolarité et la recherche d'emploi contraignent à un éloignement temporaire 86

    v L'évolution progressive des configurations matrimoniales : 88

    v « Bassins de vie » en archipel 92

    Conclusion : des espaces pratiqués centripètes et centrifuges 94

    IV. LIEUX DE LA DIASPORA : LIENS SOCIAUX ET SYMBOLIQUES 95

    1. Lieux divers reliés par des échanges fréquents 96

    a. Instabilité dans la stabilité 96

    b. Liens réels et matériels 96

    v Des contacts directs fréquents renforcés par l'association TCHA 97

    v Contacts indirects médiatisés 101

    c. Liens idéels  : le rêve et la pensée 103

    2. Lieux festifs entre tradition et modernité 103

    v Transmission des traditions et de l'histoire familiale 104

    v Le mariage, un modèle de tradition 106

    v Les lieux de la fête 107

    3. Lieux symboliques et lieux de mémoire 110

    a. L'autel domestique, le seuil de la maison et la table du Ki Tès 111

    v L'autel domestique 112

    v Le seuil de la porte 115

    v La table du Ki Tès 118

    b. Le cimetière, un lieu de mémoire 120

    Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora toujours active 123

    CONCLUSION GÉNÉRALE 125

    ANNEXES 130

    1. Courriers 131

    v Courrier du secrétaire général de la mairie de Montreuil-Bellay (2 juin 1981) 131

    v Courrier adressé par le Maire de Montreuil-Bellay à son homologue du Puy-Notre-Dame (24 août 1981) 133

    2. Cérémonies traditionnelles 134

    v Séance de chamanisme (30 juin 2007) 134

    3. Questionnaires d'enquête 140

    v Enquête auprès des usagers du quartier de la Herse 140

    BIBLIOGRAPHIE 142

    Diaspora, diasporas 142

    Identité, Intégration 144

    Asie du Sud-Est, Hmong et Laos 146

    Territoire, territorialité 149

    Textes divers 150

    Dictionnaires, encyclopédies, atlas 150

    INDEX DES AUTEURS 152

    TABLE DES ILLUSTRATIONS 153

    v Cartes 153

    v Photos 153

    v Schémas et graphiques 154

    v Tableaux 154

    TABLE DES MATIÈRES 155

    Réfugiés hmong à Montreuil-Bellay (49)

    Rapports aux lieux et diaspora

    A l'origine, les Hmong semi-nomades avaient une pratique de la mobilité dans des lieux géographiques fluctuants. N'étant pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en disposaient tant qu'il répondait aux besoins du groupe. Contrains à l'exil pour des raisons politiques, ils quittent le Laos à partir de 1975 et trouvent refuge dans les camps thaïlandais sous contrôle de l'UNHCR. A leur arrivée en France dans les années 1980, ils sont pris en charge dans des centres d'accueil et acquièrent les compétences linguistiques et professionnelles qui leur permettent de s'intégrer désormais dans la société d'accueil. Les opportunités de logement et d'emploi offertes à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) permettent l'établissement et l'ancrage des premières familles qui sont à l'origine de la communauté actuelle installée dans le quartier de la Herse.

    Plus qu'un lieu de résidence, ce quartier est d'abord un lieu d'habitation centrée autour de la maison ou de l'appartement, le lieu exclusif de l'agglomération où se nouent les liens sociaux essentiellement communautaires. Mobilité résidentielle et plurirésidence sont les conséquences de la polygamie pratiquée par quelques familles. Les femmes, dans un espace qui oppose les territoires publics masculins aux territoires privés féminins, s'approprient des lieux spécifiques et font des jardins potagers à l'extérieur du quartier un prolongement économique et culturel de la résidence. Les bassins de vie familiaux initiaux se sont progressivement élargis par le mariage ou l'entrée dans la vie professionnelle des enfants, mais ils restent domocentrés, en particulier pour les garçons qui demeurent attachés au quartier et au domicile parental.

    Malgré son isolement dans le contexte local, la communauté hmong de Montreuil-Bellay entretient des liens étroits et constants avec les autres membres du clan dispersés en France et à l'étranger en effectuant des déplacements fréquents en direction des autres pôles de la diaspora. Par le biais d'une association, elle perpétue l'organisation clanique traditionnelle, tout en s'adaptant aux normes administratives de la société d'accueil. Ces contacts, qui permettent d'éviter l'isolement, se renforcent à l'occasion des mariages, des décès et des fêtes traditionnelles qui réunissent toute la communauté locale et les familles venues de plus loin appartenant au même clan. Cela assure la persistance d'une identité ethnoculturelle qui permet de résister à l'épreuve du temps et de minimiser les effets de la dispersion.

    RÉFUGIÉS, CAMPS, DIASPORA, PARCOURS MIGRATOIRE, INTÉGRATION, POLITIQUE MIGRATOIRE

    ANCRAGE, TERRITOIRE, MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE, PLURIRÉSIDENCE, BASSINS DE VIE FAMILIAUX, CLAN, POLYGAMIE, JARDINS FAMILIAUX,

    TRADITIONS, RITES, LIEUX SYMBOLIQUES

    * 1 Recherche dirigée par R. BRAND, maître de conférence en anthropologie à l'université François Rabelais, Tours.

    * 2 voir la bibliographie p. 145 et sqq.

    * 3 MIGNOT, F. 1999. Villages de réfugiés rapatriés au Laos. Paris : L'Harmattan. 229 p.

    MIGNOT, F. 2004. Santé et intégration nationale au Laos - Rencontre entre montagnards et gens des plaines. Paris : L'Harmattan. 359 p.

    * 4 4111 habitants (RGP 1999)

    * 5 Myanmar : dénomination utilisée par l'ONU depuis 1989

    * 6 The World Factbook, CIA (2007)

    * 7 id.

    * 8 Les « clés » ou « radicaux » sont les 214 caractères élémentaires de l'écriture chinoise dont la combinaison permet de former une multitude de sinogrammes.

    * 9 LEMOINE, J. 2005, What is the actual number of the Hmong in the World ? Hmong Studies Journal 6 : 1-8

    * 10 HASSOUN, 1997 : 65

    * 11 L'Express, 21/08/2003

    * 12 LEMOINE , J. 1972. L'initiation du mort chez les Hmong. L'Homme, XII, 1 p. 105-134

    * 13 Source : ONU (2003)

    * 14 Guerre secrète au Laos de Grégoire DENIAU, 2005 - France2

    * 15 Le SEAC est dissous en 1946.

    * 16 Ce terme est préféré pour sa neutralité par Dominique SCHNAPPER

    * 17 Lévitique 26, 33 : « Je vous disperserai parmi les nations, et je tirerai l'épée après vous. » et Deutéronome IV, 27 : « L'Eternel vous dispersera parmi les peuples et vous ne resterez qu'un tout petit nombre au milieu des nations où l'Eternel vous emmènera. » (traduction L. SEGOND - Cambridge 1926)

    * 18 SORRE, M., 1957, Rencontres de la géographie et de la sociologie. Paris, Marcel Rivière. 313 p

    * 19 BRUNET, R., FERRAS, R., HERVE, T. 1993. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Montpellier-Paris : Reclus - La Documentation française. 520 p.

    * 20 BERGER, P., LUCKMAN, T., 1994. La construction de la réalité. Méridiens- Klincksieck

    * 21 le questionnaire figure en annexe 3 page 139

    * 22 SAYAD, A. 1993. La Misère du monde (sous la direction de Pierre Bourdieu), Paris : éditions du Seuil. 947 p.

    * 23 CONDOMINAS, G. 1954. Nous avons mangé la forêt de la Pierre-Génie Gôo. Chronique de Sar Luk, village mnong gar (tribu proto-indochinoise des Hauts Plateaux du Vietnam central). Paris, Mercure de France.

    * 24 Les Hmong se divisent en sous-groupes : Hmong Xanh (vert), Hmong Do (rouge), Hmong Hoa (bariolé), Hmong Den (noir), Hmong Trang (blanc), et se distinguent entre eux par la langue, le costume et la coiffure.

    * 25 cf conditions de l'enquête p. 27

    * 26 ASEMI, XIV, 1-2, 1983

    * 27 J.P. HASSOUN remarque cependant que « la décision de fuir le Laos fut rarement prise dans la précipitation et s'est souvent accompagnée d'un choix difficile : se séparer de certains membres du groupe familial » .(HASSOUN, 1997 : 27).

    * 28 CONDOMINAS, G., POTTIER, R. 1982. Les Réfugiés originaires de l'Asie du Sud-Est. Paris : la Documentation française. 227 p.

    * 29 10% de la population estimée à 3,5 millions d'habitants, en 1980.

    * 30 HASSOUN, J.P., MIGNOT, M. 1983. Le terme «réfugié» dans les langues hmong et vietnamienne, ASEMI, XIV, 1-2

    * 31 CONNOIR, 1984 et HASSOUN, 1983.

    * 32 CEFISEM : centre de formation et d'information pour la scolarisation des enfants de migrants.

    * 33 «  On ne peut se fier aux estimations concernant les réfugiés asiatiques... à la suite des migrations secondaires » (SCARLETT, 1984 : 13)

    * 34 CHA, P. 1999. "Hmong dans le Maine-et-Loire." Hommes et migrations. p. 68-75.

    * 35 données Habitat 49 - Doué La Fontaine

    * 36 loi n°93-1027 (24 août 1993) relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France

    * 37 BRUNET, R., FERRAS, R., THERY, H. 1993. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Montpellier-Paris : Reclus - La Documentation française. 520 p.

    * 38 HEIDEGGER, M. 2004. Bauen Wohnen Denken. Stuttgart : Klett-Cotta

    * 39 « Bezug des Menschen zu Orten und durch Orte zu Räumen » (trad. M. STOCK)

    * 40 ATTIAS-DONFUT, C. (dir) 2006. L'Enracinement. Paris : A. Colin. 368 p.

    * 41 PAQUOT, T. 2005. Demeure terrestre. Les Editions de l'imprimeur. 190 p.

    * 42 REMY, J. Mobilités et ancrages : vers une autre définition de la ville (135-153) in HIRSCHHORN, M. et BERTHELOT, J.M. 1996 Mobilités et ancrages. Paris : L'Harmattan. 157 p.

    * 43 JUTTEAU, D. 1999. L'ethnicité et ses frontières. Presses Universitaires de Montréal. 230 p.

    * 44 CONDOMINAS, G. 1965. L'exotique est quotidien, la vie quotidienne d'un village montagnard du Vietnam. Paris : Plon. 664 p.

    * 45 MAUSS, M. 1947. Manuel d'ethnographie. PAYOT

    * 46 Cette citation de SIMMEL est extraite du texte Philosophie de l'argent. Paris : PUF, cité par RAPHAEL, F. p.79-92 in HIRSCHHORN, M. et BERTHELOT, J.M. 1996 Mobilités et ancrages. Paris : L'Harmattan. 157 p.

    * 47 voir note 46 p. 94

    * 48 JAKOBSON, R., 1969. Linguistique et poétique, in Essais de linguistique générale, Paris : Editions de Minuit. p. 209-248.

    * 49 Phong-Yu commet ici une erreur : ses parents ont quitté le Laos à pied. Ils prendront l'avion en Thaïlande pour venir en Europe

    * 50 Revue Ecarts d'identité, octobre 1996, n°78

    * 51 La carte n°17 permet de situer les associations religieuses, essentiellement évangélistes, dans l'Ouest et le Nord-Ouest de la France.

    * 52 MAUSS, M. Esquisse d'une théorie générale de la magie. Québec : Les classiques des sciences sociales. 94 p

    * 53 Spencer SHERMAN. Extrait de l'article Lost tribes of the central valley, publié dans le San Francisco Chronicle Examiner (15 septembre 1985)






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