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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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3. Lieux symboliques et lieux de mémoire

L'installation en France a modifié les pratiques festives de la communauté hmong. Les traditions se sont à la fois simplifiées et enrichies d'éléments extérieurs au contact de la société d'accueil, qui réclame parfois de l'exotisme, ce qui prouve que « les éléments de la culture actuelle d'un groupe ethnique ne sortent pas tels quels de l'ensemble particulier qui constituait la culture de ce groupe dans une période antérieure » (BARTH, 1995 : 249). Pourtant, dans les pratiques rituelles, demeurent identifiables des lieux, que l'on peut qualifier de symboliques, et qui sont chargés de signification. Si tout rituel nécessite un lieu pour être pratiqué - l'autel dans l'église -, à l'inverse un lieu peut ne pas avoir une fonction exclusive pour une pratique rituelle. Ainsi, quand le chaman enferme dans un cercle invisible à nos yeux, tracé de la pointe de son épée, la famille réunie, il crée, le temps de la cérémonie qui se déroule dans la salle à manger, « un cercle magique, un templum » (MAUSS, 1902 : 33) qui est un « lieu » symbolique éphémère. De même, mais plus concret cette fois cet autre « lieu », lorsqu'il entoure le même groupe d'une corde qui part et revient à la tête de l'animal sacrifié. En procédant à l'étude des lieux symboliques, qui parfois n'ont d'existence que le temps d'une fête ou d'une cérémonie rituelle, et des lieux de mémoire, nous en analyserons l'organisation et nous mettrons en lumière les rapports que les Hmong entretiennent avec eux ainsi que la place qu'ils occupent dans leur culture.

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a. L'autel domestique, le seuil de la maison et la table du Ki Tès

La maison représente le centre de la vie religieuse. Alors que certaines communautés hmong sont catholiques ou protestantes parce qu'ayant fréquenté au Laos des écoles tenues par des missionnaires51(*) et ont des lieux de culte spécifiques - église ou temple -, la communauté de Montreuil-Bellay est demeurée animiste. Elle attribue des pouvoirs très particuliers aux génies dont il faut ménager en permanence la bienveillance. On les invoque lors des mariages bien sûr, afin qu'ils protègent le nouveau couple, mais aussi si l'on change de résidence, et plus particulièrement en cas de maladie. A chaque fois un rituel est organisé dans l'espace domestique et la maison devient « un lieu d'intercession quasi magique entre ses habitants et le monde » (FREMONT, 1999 : 163). Aux génies sont associés aussi les ancêtres qui, chez les Hmong, sont définis par une relation généalogique réelle : ce sont des ancêtres masculins appartenant aux trois générations précédentes dans le lignage. Les rites qui leur sont destinés servent, paradoxalement, à la fois à les tenir à l'écart des affaires des vivants et à solliciter leur intervention. Les esprits des ancêtres sont « nourris » à l'occasion des rites funéraires, des mariages et du Nouvel An. Les cérémonies auxquelles nous avons assisté - mariage et séance de chamanisme - nous amènent à privilégier trois « lieux » et les objets rituels qui les accompagnent : ce sont l'autel domestique, le seuil d'entrée de la maison et la table du Ki Tès ou Tong hou pli.

v L'autel domestique

Dans chaque logement, on peut observer un ou plusieurs petits autels dans la pièce principale, face à la porte d'entrée : c'est la « maison » des esprits (photo n°22). Il s'agit d'une petite table rectangulaire surélevée avec un pied central placée contre un mur. Recouverte de feuilles de papier blanc découpé formant des dessins géométriques, elle supporte un bol d'eau lustrale au pouvoir revivifiant, des tasses, des bougies, des bâtonnets d'encens, offrande sensorielle qui monte vers le ciel pour mettre en contact la terre et les esprits. Au pied de l'autel, un large gong. C'est sur cet autel qu'est rendu le culte des ancêtres, sous la forme d'offrandes, à l'occasion d'un mariage par exemple.

L'officiant, en l'occurrence le père de famille, après avoir frappé trois coups de gong, récite des formules mêlant langue hmong et chinoise et dépose sur l'autel une cuillère de riz cuit mélangé à un peu de viande de poulet. Il brûle ensuite des offrandes de papier.

Photo n°22 : La « maison » des esprits

A l'occasion d'une séance de chamanisme, le chaman installe lui-même son propre autel au pied de l'autel domestique.

Photo n°23 : L'autel et les instruments chamaniques

Sur l'autel du chaman (photo n°23), on distingue à l'arrière les bols de riz avec un oeuf dans lesquels sont plantés des bâtons d'encens - qui brûlent en abondance pendant la transe -, de chaque côté les bols d'eau lustrale, au centre, les tasses pour le thé destiné aux esprits, devant, une tasse recouverte d'une feuille de papier percée d'un trou au milieu. Les instruments chamaniques complètent l'installation. Ce sont avant tout des instruments de musique : les grelots (1), le gong (2) et le cercle de sonnailles (4), qui accompagnent la transe en imitant le bruit des chevaux quand le chaman voyage dans l'au-delà. La corne de buffle fendue en deux (3), le Koua, a un pouvoir divinatoire. Elle est utilisée à plusieurs reprises au cours des rituels, soit devant l'autel soit sur le seuil de la porte.

 
 

Photo n°24 : Lancer de la corne divinatoire

Les deux morceaux de cornes tenus dans la main droite sont lancés à terre et, comme des dés ou des cartes, ils « parlent » : pour que le dialogue s'instaure, une partie doit tomber sur le « dos » (la partie bombée), l'autre sur le « ventre » (la partie plate). L'opération est répétée plusieurs fois.

Marcel MAUSS dans un article52(*) publié dans L'Année sociologique 1902-1903, définit le chamanisme comme un rituel magique, d'une part, parce que la confidentialité de sa pratique dans l'enceinte du domicile l'oppose au « rite religieux [qui] recherche en général le grand jour et le public », d'autre part, parce que « les cérémonies comportent [l'usage] de tout un outillage, dont les pièces ont fini par avoir une valeur magique qui leur est propre ».

Nous avons toutefois remarqué que ces objets pouvaient être manipulés par tous : seul le chaman exerce son pouvoir en s'en servant. M. MAUSS ajoute enfin que, contrairement à la religion qui « tend vers la métaphysique et s'absorbe dans la création d'images idéales, la magie sort, par mille fissures, de la vie mystique où elle puise ses forces, pour se mêler à la vie laïque et y servir ». A propos de la transe (photo n°25), il ajoute que, comme le magicien, le chaman est « le maître de sa possession ; il est capable de la provoquer et il la provoque en effet par des pratiques appropriées, comme la danse, la musique monotone, l'intoxication ».

Photo n°25 : Le chaman en transe sur le cheval-dragon

Pour les Hmong animistes, l'autel domestique et les « cercles » chamaniques représentent deux espaces mis en scène pour l'accueil des esprits et des génies, qui sont régulièrement sollicités pour protéger l'homme et son domicile ou guérir le malade, et à la rencontre desquels le chaman part, monté sur le « cheval-dragon » qui est une sorte de banc, un assemblage de morceaux de bois sans pièce métallique (photo n°26).

Photo n°26 : Montage du « cheval-dragon »

Dans ces « lieux » symboliques que sont l'autel, les « cercles » chamaniques et le « cheval-dragon » se concentre, le temps du rituel, la force de l'identité ethnoculturelle.

Au même titre, la porte et son seuil, « grâce à [qui] on passe d'une vie personnelle au monde, mais aussi du monde à une vie personnelle » (SIMMEL, 1983 : 100), représentent un second lieu particulier dans l'ensemble du rituel animiste et dans la culture des Hmong.

* 51 La carte n°17 permet de situer les associations religieuses, essentiellement évangélistes, dans l'Ouest et le Nord-Ouest de la France.

* 52 MAUSS, M. Esquisse d'une théorie générale de la magie. Québec : Les classiques des sciences sociales. 94 p

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