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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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2. Cérémonies traditionnelles

v Séance de chamanisme (30 juin 2007)

Une cérémonie de chamanisme est prévue aujourd'hui à Montreuil-Bellay, au domicile de Ka-Gé TCHA que l'on dit malade, et qui doit assurer sa protection et celle de toute sa famille. C'est un événement rare car il ne peut avoir lieu qu'en présence d'un chaman, c'est-à-dire un homme qui détient ses pouvoirs d'un membre de sa famille - parents, grands-parents - lui-même chaman. L'officiant du jour vient du Laos accompagné de son épouse, une petite femme silencieuse qui restera non loin de lui au cours de la cérémonie.

J'arrive chez Ka-Gé vers 10h. Contrairement à la première cérémonie traditionnelle à laquelle j'avais assisté (le mariage), pas de petit déjeuner autour de la table de la salle à manger. Celle-ci a été déjà repoussée avant d'être sortie dans la cour, et à sa place se dresse une sorte de banc de 2 m de long, 25 cm de large environ. Il repose sur 4 pieds légèrement inclinés fixés deux à deux par une traverse. Le tout est assemblé sans pointe ou clou en métal. Les hommes en essaie la résistance en s'asseyant lourdement dessus. Il s'agit du « cheval » - tchonneng - qui servira pour le voyage symbolique vers le pays des esprits des ancêtres, « cheval dragon, vaisseau de vent et de nuées qui emporte le chaman dans les espaces aériens de l'au-delà » (LEMOINE, 1987 : 39).

Photo n°37 : Préparation du « cheval »

La discussion est animée jusqu'à que des garçons de la famille apportent un second « cheval », plus long et plus large et qui semble mieux convenir. Sa résistance est elle aussi testée. Pendant ce temps, la première épouse de Ka-Gé prépare des bâtonnets d'encens et allume des bougies. Au pied de l'autel familial, un second autel a été dressé : deux bols de riz cru surmonté d'un oeuf et piqué de bâtonnets d'encens, un bol d'eau, quelques petites tasses...

Photo n°38 : L'autel du chaman

De chaque côté, des monceaux de papier découpé par les soins du chef de famille, symbolisant l'argent. On apporte le gong, le cercle à sonnailles - txiab - un anneau métallique de 25 cm de diamètre sur lequel sont enfilés 9 disques de métal, et deux petits « grelots » en métal doré ou anneaux clochettes. Ce sont des anneaux de cuivre aplatis qui forment un cercle de 8 cm de diamètre entrouvert et qui laisse voir de petites billes de métal. Chaque instrument est orné de rubans rouges supposés effrayer les esprits. Les cornes de buffle sont posées sur l'autel. Pendant ce temps dans la cour, la première épouse découvre deux larges bassines dans lesquelles reposent les deux porcelets tués la veille et on les apporte dans la salle à manger en ayant pris soin auparavant d'étendre sur le sol un grand morceau de plastique épais. Au Laos, lors d'une telle cérémonie les cochons sont tués sur place, ce qui n'est pas possible en France. Trois animaux - 2 porcelets et un cochon - ont été abattus, la veille, à l'écart des regards dans un jardin à l'extérieur de la ville, ce qui a donné lieu à une réunion de famille, chacun participant soit à la découpe, soit au nettoyage des viscères...

 
 

Photos n°39 et 40 : Abattage des cochons dans le jardin de Teng CHIENG

Le chaman au cours de la cérémonie va procéder au « réveil » du cochon qui deviendra le protecteur de la famille. Un porcelet est mis à l'écart. Il servira plus tard. En France, on utilise exclusivement des cochons alors qu'au Laos, on peut choisir un boeuf, un buffle ou une chèvre. Cette dernière fait peur à « tous les fantômes qui sont dans le monde ».

11h. Les conversations se taisent peu à peu quand le chaman arrive. Il est vêtu d'un pantalon noir tenu par une large ceinture noire et rouge et sa tête est couverte d'un voile noir. Pour l'instant il a le visage découvert. Il se tient devant l'autel et, tout en battant le gong de manière rythmée et rapide, il entonne un chant psalmodique.

Photo n°41 : Le chaman

En même temps, tout son corps se balance... Ka-Gé place devant lui, sur l'autel, un pot dont le couvercle est en papier blanc tenu par un simple élastique et percé en son centre d'un trou du diamètre d'un confetti. Et sur ce couvercle, autant de grains de riz que de membres de la famille de Ka-Gé : lui-même, ses deux épouses, ses enfants, petits-enfants, gendres et belles-filles françaises. Sous l'effet des vibrations engendrées par le gong, les grains de riz tombent peu à peu par l'orifice. Un seul résiste : il tourne sur lui-même et « refuse » de rejoindre les autres. Le chaman poursuit sa psalmodie faite de « mots spéciaux » destinés aux esprits qui doivent venir protéger la famille. Il transpire de plus en plus... Il brûle des poignées d' « argent » et jette au sol les cornes de buffle. Il faut attendre qu'elles « parlent », annonçant ainsi la bienveillance des esprits... Au bout de 30 minutes environ, alors que le chant toujours martelé par le gong n'a pas cessé, il s'approche du porcelet pour le « réveiller » afin que désormais il surveille la famille. Il dispose au sol des rectangles de papier en nombre suffisant pour tous les membres de la famille : chacun doit pouvoir y poser les deux pieds. Tous se regroupent alors, se serrant les uns contre les autres. Les deux épouses tiennent à la main des vêtements appartenant à leurs enfants respectifs absents ce jour-là. Un incident se produit alors : une des deux belles-filles refuse de se joindre à eux. Son mari insiste. C'est elle, le « grain de riz » qui tout à l'heure refusait de tomber dans le pot avec les autres. Le chaman peut alors la désigner ouvertement. Bon gré mal gré elle se joint aux autres. Son visage reste fermé. Le chaman pose sur l'épaule de chacun une tresse de papier découpé et, tout en chantant, encercle le groupe avec une corde dont une extrémité a été nouée au cou de porcelet. Il referme le cercle lorsqu'il atteint le porcelet. Dans cet espace symbolique délimité par la corde, les membres de la lignée se taisent, le visage sérieux. La cérémonie des grains de riz est faite à nouveau : cette fois-ci tous tombent dans le pot, sans exception. Pour souder la famille, Ka-Gé obstrue l'orifice par un petit morceau de papier humecté dans le bol d'eau lustrale. Pendant ce temps un « cousin » se tient sur le seuil de la porte d'entrée devant laquelle est posé un saladier de riz avec les oeufs et les bâtonnets d'encens rituels. Il jette plusieurs fois le corne de buffle pour appeler les esprits. Le chaman dénoue l'extrémité de la corde qui encercle le groupe et l'enroule, ramassant en même temps « toutes les choses mauvaises et les maladies » ; il tient un long poignard et lance le tout sur le seuil de la porte pour « chasser le mauvais ». Maintenant il faut rassembler les « bonnes choses » et pour cela, il tamponne le dos de chacun avec les « grelots » - l'un est masculin, l'autre féminin. La cérémonie va s'achever : la famille sort peu à peu du « cercle » en enjambant la corde et l'« argent » posé en tas.

12h. La deuxième partie de la séance de chamanisme ne concerne que Ka-Gé et ses deux épouses. Ils se tiennent face à l'autel, Ka-Gé assis sur le « cheval », une épouse debout de chaque côté. Le chaman va procéder comme précédemment, le second porcelet ayant été posé derrière les participants. Il tourne autour du groupe en changeant de sens, enfermant dans le même espace les époux, le « cheval » et le porcelet protecteur. Identique à la première, cette cérémonie est néanmoins plus courte puisqu'elle se termine au bout d'une vingtaine de minutes.

Pendant que le chaman se restaure - riz blanc, viande de porc bouilli, sang de porc cuit -, les hommes aménagent différemment l'espace. Le « cheval » est posé sur un tapis et on l'habille d'une selle faite d'un matelas de tissu sanglé par deux ceintures. Les conversations vont bon train, les rires fusent. On profite de cette pause pour manger : un buffet est dressé dans l'entrée, chacun se sert. L'oncle de Teng CHIENG arrive alors : c'est un vieil homme, blessé pendant la guerre et qui vit désormais à Saumur, après être passé par le centre d'accueil d'Epinay s/Seine et Limoges. Il a suivi ses enfants qui avaient trouvé du travail à Saumur.

13h. La cérémonie reprend dans une toute autre atmosphère : maintenant le chaman a le visage voilé, les volets de la pièce sont baissés et c'est dans une pénombre relative que se déroule alors le voyage symbolique à la quête des esprits des ancêtres. Durant les 4 heures que va durer ce voyage, l'autel sera alimenté en permanence en bâtonnets d'encens et en bougies. Assis sur le « cheval » face à l'autel, le chaman tient dans ses mains les grelots et les sonnailles qui imitent les bruits faits par les chevaux dans le voyage vers l'au-delà. Il entonne un chant rapide et très rythmé accompagné par le gong que martèle Ka-Gé assis derrière lui. Deux hommes sont assis à chaque extrémité du cheval pour le maintenir tant il bouge sous les sursauts de l'officiant.

Photo n°42 : Le chaman entreprend le « voyage »

Au cours de la cérémonie, ils se relaieront régulièrement, de même le joueur de gong. Il poursuit son galop debout sur le cheval, maintenu par la taille. De temps en temps, il pousse un cri plus stridulent et jette le cercle à sonnailles à terre de manière à capturer les esprits vitaux en fuite. Les rondelles regroupées indiquent que les esprits sont pris au piège. Le gong s'arrête et, aussitôt, un des participants lance au coeur de l'anneau les 2 cornes de buffle qui doivent indiquer la bienveillance des esprits. Parfois, il saute à terre en s'accroupissant et remonte immédiatement sur le « cheval » par un saut arrière. Le chant, le gong et les disques métalliques entrechoqués emplissent l'espace. Les adultes assistent à cette scène en silence, assis autour de la pièce, les jeunes quant à eux sont dans la cour. Ils semblent indifférents à tout ce qui se passe à l'intérieur.

Il y a bientôt 1 heure que la cérémonie a débuté. D'autres préparatifs commencent alors à l'extérieur.

Photo n°43 : Préparation de « l'escalier »

On taille dans 2 bûches de 50 cm de long des encoches régulièrement espacées qui vont représenter les marches d'un « escalier » qui sera ensuite placé sur le seuil de la maison, où un porcelet est allongé, chaque bûche matérialisant un escalier montant et descendant. Sur une marche de chaque escalier est posé un long couteau, sur les autres des couteaux en bois grossièrement taillés. Ils doivent empêcher l'entrée des « mauvais » esprits... L'encadrement de la porte est souligné par un arc de bambous fendus.

 
 

Photos n°44 et 45 : « L'escalier » sur le seuil de la porte

Le chaman poursuit son voyage intérieur toujours au son du gong. Il entre progressivement dans un état proche de la transe : soudain il bondit au sol et, toujours maintenu par la taille se précipite dans l'entrée et se jette à terre devant le porcelet, successivement à l'intérieur et à l'extérieur de la maison. Des enfants qui jouaient dans le couloir hurlent de peur, les témoins s'agitent, la famille de Ka-Gé se regroupe maintenant dans la cour. Au poignet, ils ont tous un ruban blanc noué. En file indienne ils contournent la maison en passant par la rue et attendent maintenant devant, dans le jardinet. Ils procèdent à une ablution des mains et, pendant qu'à l'intérieur le chaman poursuit son chant, ils vont l'un après l'autre, sous la conduite de Teng CHIENG, franchir l'escalier en enjambant le porcelet. Quand tout le monde est passé, Teng reste seul face accroupi à côté de l'animal et brûle « l'argent » qui doit assurer la bienveillance protectrice de l'animal. C'est un spectacle étonnant de voir cet homme solitaire le visage éclairé par les flammes du bûcher...

Photo n°46 : Teng CHIENG brûlant l'argent

Le cochon va être ensuite transporté dans la cour pour y être découpé en prévision du repas du soir où tous les membres de la communauté hmong sont conviés. Le chaman termine maintenant son « voyage » toujours aussi rythmé sous les martèlements du gong en remerciant successivement tous les esprits des ancêtres d'avoir accordé leur protection à Ka-Gé et sa famille. Il tombe au sol épuisé, son épouse et les hommes présents l'aident à se relever. La pièce est étonnamment silencieuse. Il recouvre progressivement ses esprits et, après avoir enlevé son costume de cérémonie, redevient l'homme ordinaire qu'il était le matin quand j'étais arrivé. Sur son visage se lisent les signes de l'épuisement. Il n'a rien bu pendant les 4 heures de la cérémonie et il lui faut un long moment pour reprendre des forces. La fête va maintenant se poursuivre avec le repas que les femmes ont préparé pendant ce temps. Le « cheval » est démonté, désormais cette monture magique reprend la forme de simples morceaux de bois. On les range en attendant une autre chevauchée au royaume des esprits ancestraux.

3. Questionnaires d'enquête

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci