WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

De ta tradition à  la modernité: étude du manichéisme discursif dans noces sacrées de Seydou Badian. Essai d'analyse sociocritique.

( Télécharger le fichier original )
par Sylvère DUSABIMANA
Université Nationale du Rwanda - Licence 2007
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT DE LANGUE ET LITTERATURE FRANÇAISES

OPTION : CRITIQUE ET CREATION LITTERAIRE

DE LA TRADITION A LA MODERNITE : ETUDE DU MANICHEISME DISCURSIF DANS NOCES SACREES DE SEYDOU BADIAN. ESSAI D'ANALYSE SOCIOCRITIQUE.

Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Licencié (Bachelor's Degree) en Langue et Littérature Françaises.

Par : M. Sylvère DUSABIMANA

Directeur : M. J-Paul KWIZERA

Butare, novembre 2007

DEDICACE

A L'Eternel Dieu, mon secours;

A ma chère épouse Christine, ma destinée;

A nos chers parents, nos êtres chers;

A nos bien-aimés Elisée et Rémy, nos bénédictions;

A toutes nos familles, nos conseillers et collaborateurs ;

A vous tous, pour qui nous gardons une dette morale ;

Ce mémoire est dédié.

REMERCIEMENTS

Nous exprimons notre profonde gratitude à toute personne qui, de près ou de loin, a contribué à la réalisation de ce travail.

Nos remerciements s'adressent plus particulièrement à Mr Jean-Paul KWIZERA qui a bien accepté de diriger ce mémoire. Ses remarques, ses précieux conseils et ses corrections nous ont été d'une grande utilité. Et, nous lui savons franchement gré pour ses permanents contacts. Nous lui disons « Merci ».

Nous aimerions témoigner notre gratitude aux professeurs et enseignants de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines qui ont assuré notre formation universitaire pour les conseils prodigués depuis la première année académique, sans lesquels ce travail n'aurait pas abouti à sa fin. Non seulement ils nous ont prodigué de suggestions fort utiles, mais ils nous ont aussi indiqué quelques ouvrages qui nous ont indispensablement servi.

Nous exprimons toute notre admiration à notre épouse Christine MUTUYIMANA et à nos deux fils Elysée et Rémy. Ils ont supporté toute notre absence et leur patience mérite un hommage reconnaissant. Sont à remercier également toutes mes soeurs, mon frère, mes cousins et cousines, oncle et tantes pour leur contribution matérielle et morale durant tout le parcours de mes études.

Nos remerciements s'adressent également à tous ceux qui nous ont soutenu tant moralement que matériellement notamment MUNYANGERI NGANGO Innocent, MUNYANEZA Sarto et tout le personnel du Tribunal de Grande Instance de Huye; puissent-ils être assurés que chacun de leur nom est présent dans mon esprit.

Que les camarades de classe trouvent eux aussi nos remerciements les plus distingués pour leur assistance et fraternité au cours de notre formation universitaire.

Sylvère DUSABIMANA

SIGLES ET ABREVIATIONS

N.S.  : Noces Sacrées

P.U.F. : Presses Universitaires de France

NEA : Nouvelles Editions Africaines

Al : alii : autres

TABLE DES MATIERES

DEDICACE I

REMERCIEMENTS II

SIGLES ET ABREVIATIONS III

TABLE DES MATIERES IV

INTRODUCTION GENERALE 1

0. PROBLEMATIQUE 1

0.1 Etat de la question 1

0.2. Choix du sujet 3

0.3 Bio-bibliographie de Seydou Badian 3

0.4. Justification du corpus 4

0.5. Méthodologie 5

0.6. Hypothèses et objectifs de travail 5

0.7. Répartition du travail 6

CHAPITRE I. LA SOCIOCRITIQUE COMME OUTIL D'ANALYSE LITTERAIRE : APPROCHE METHODOLOGIQUE 7

1.1. INTRODUCTION 7

1.2. DÉFINITION DE LA SOCIOCRITIQUE 7

1.2.1. La sociologie de la littérature 9

1.3. LES SOUBASSEMENTS DE LA THÉORIE SOCIOCRITIQUE 10

1.3.1 Georges Lukács 10

1.3.2 Lucien Goldmann 11

1.3.3 René Girard 14

1.3.4 Pierre Zima 15

1.3.5 Marc Angenot 16

1.3.6 L'influence de Marx et de Durkheim 17

1.3.7 Autres théoriciens 18

1.4 DE LA CARNAVALISATION DISCURSIVE À LA PEINTURE SOCIALE 20

1.5 CONCLUSION PARTIELLE 22

CHAPITRE II. ANALYSE LITTERAIRE DE NOCES SACREES 23

2.1 LE CORPUS 23

2.1.1 Le titre du récit et la littérature orale traditionnelle en Afrique 23

2.2 RÉSUMÉ DE NOCES SACRÉES 24

2.3 DYNAMIQUE DES PERSONNAGES 26

2.3.1 Le parcours narratif de N'tomo 26

2.3.2 Autres personnages 26

2.3.3 Représentation des personnages sur le modèle actantiel de Greimas 29

2.4. STRUCTURE DU RÉCIT 30

2.4.1. L'étude du temps et de l'espace 30

2.4.1.1. L'Afrique et l'Europe 30

2.4.2. Le temps romanesque 33

2.5. LES THÈMES 34

2.5.1. Le sacré 34

2.5.2. La permanence de la tradition 36

2.5.3. L'errance 39

2.5.4. La pénitence et la problématique du pardon 40

2.6. CONCLUSION PARTIELLE 41

CHAPITRE III. DE LA TRADITION A LA MODERNITE : LES SCHEMAS MANICHEENS DANS NOCES SACREES 42

3.1 INTRODUCTION 42

3.2. DIACHRONIE DU MANICHÉISME 43

3.2.1. Le manichéisme romanesque 43

3.3. LE TRAGIQUE PASSAGE DE LA TRADITION A LA MODERNITÉ 44

3.4. LA NÉGATION DU SACRÉ 46

3.4.1. Les concrétions discursives 46

3.4.2. Le discours antagonique : Le bien et le mal 48

3.5. L'INTENSITÉ DU TRAGIQUE DANS NOCES SACRÉES 49

3.5.1. La perte du non-être 49

3.5.2. La colère des dieux et des déesses 50

3.6. LA RECHERCHE DU PARADIS PERDU 50

3.7. CONCLUSION PARTIELLE 52

CONCLUSION GENERALE 54

BIBLIOGRAPHIE 56

INTRODUCTION GENERALE

0. PROBLEMATIQUE

0.1 Etat de la question

Depuis que nous avons abordé les études de littérature, nous avons pris contact avec les analyses des romans sous différents angles. Des méthodes et des techniques grouillent pour analyser telle ou telle oeuvre romanesque. Et comme le stipule Josias Semujanga, « aucune méthode n'est vraie ou fausse, elle est plus ou moins pertinente ». C'est pourquoi tout chercheur soucieux de faire une recherche en littérature doit choisir une méthode ou l'angle d'analyse selon que celui-ci s'avérera pertinent sur le corpus donné.

C'est cette même idée qui nous a poussé à choisir, parmi toutes les oeuvres que nous avons lues, l'oeuvre de Seydou Badian Noces sacrées  pour arriver à nos attentes. Sa lecture nous a amené à appliquer sur elle la méthode sociocritique que nous expliquerons dans la suite.

Comme le dit Lucien Goldmann dans son célèbre ouvrage critique Pour une sociologie du roman : « Le roman est l'histoire d'une recherche dégradée (que Lukács appelle démoniaque), recherche des valeurs authentiques dans un monde dégradé».

Cette recherche amorce un mal ontologique ou essentialiste plus ou moins avancé. Comme il se devait, toute recherche doit résoudre un problème donné et ainsi apporter du nouveau au monde et à la communauté scientifique en particulier. C'est pourquoi notre étude a comme noyau l'étude du passage de la tradition à la modernité mais, cela, dans un cadre purement manichéen, c'est-à-dire opposant le bien et le mal comme deux forces en perpétuelle opposition.

Le sujet a été choisi pour plusieurs raisons mais la plus importante est que la tradition africaine est actuellement la cible d'oblitération par la modernité. Dans Noces sacrées, elle est aux prises avec les valeurs occidentales difficilement mariables avec celles de l'Afrique, longtemps magnifiée par les poètes et les griots.

Le masque N'tomo qu'offense Besnier cause des maux insurmontables. Les lieux occidentaux que fréquente le héros enlevé ne sont pas un paradis retrouvé.

« En Angleterre, mon programme ne me laissait pas le temps de souffler [...]. Cependant, malgré cet emploi du temps éprouvant, je n'arrivais pas à me défaire de l'Afrique » (N.S. :31).

Ça c'est l'une des traces de la tradition négligée consciemment qui tourmente Besnier. A la même page, il dit : « La volonté de me libérer de l'emprise de mes souvenirs se développait en moi, du moins c'était mon sentiment.» (N.S. : 31).

Le récit nous montre également que l'offense fait à N'tomo aura des conséquences fâcheuses où « celui qui a arraché N'tomo à sa demeure a perdu tout ce qu'il croyait être les voies d'un « plus être ». Il n'a plus rien. Les dieux l'ont perturbé » (N.S. : 127).

Cette illustration veut tout simplement montrer une seule chose qui constitue le noeud de notre problématique : le refus social contre l'invasion de la modernité. Le schème manichéen Europe / Afrique, est le symbole du bien et du mal qui se retrouve dans plusieurs romans africains comme l'Aventure ambiguë de Sheikh Amidou Kane où le héros Samba Diallo est tué par un fou, quand il refuse de prier sur la tombe du maître Thierno. La méthode sociocritique que nous allons appliquer aux Noces sacrées consistera à expliquer les relations qui existent entre le texte et son contexte d'élaboration dans la société. Ainsi, pensons-nous que, dans l'ensemble, nous avons circonscrit le problème qui sera résolu dans cette recherche.

0.2. Choix du sujet

Ayant voulu faire un travail qui explique la société compte tenu des textes qui circulent sur la société, nous avons depuis longtemps constitué un corpus sur lequel nous devrions appliquer la méthode sociocritique (ceci pour impliquer l'absence du hasard dans le choix de notre sujet). Il s'agit en fait d'une réflexion qui date de longtemps au cours de nos études en littérature. C'est pourquoi nous avons choisi Noces sacrées de Seydou Badian, un auteur connu dans la littérature aussi bien africaine que mondiale. Et enfin, nous avons voulu appliquer la méthode sociocritique (pour assouvir notre appétit de connaissance et de contribuer à la compréhension idéale de la société et des textes qui s'y rapportent). La sociologie de la littérature nous aidera à mener cette recherche.

0.3 Bio-bibliographie de Seydou Badian

De son vrai nom Seydou Badian Kouyaté, né à Bamako au Mali le 10 avril 1928, a fait ses études secondaires en France, obtenant ensuite son doctorat en médecine à l'université de Montpellier en 1955. De retour au Mali en 1956 il est nommé médecin de circonscription avant de devenir, en 1962, ministre de l'Economie rurale, puis en 1965-1966, ministre du Plan. Il démissionne en 1966 et reprend son métier de médecin généraliste. A la chute du régime de Modibo Kéita, en novembre 1968, il est emprisonné et ne sera libéré que le 2 juin 1975 pour raisons de santé. Après s'être soigné en France, Seydou Badian vécut en exil à Dakar.

Le premier roman de Seydou Badian, Sous l'orage, a été publié en 1957 (Ed. les Presses Universelles). Il sera suivi, dix ans plus tard, de deux romans : Le Sang des Masques (R. Laffont, 1976) et Noces Sacrées (Présence Africaine, 1977).

Seydou Badian a également écrit une pièce de théâtre, La Mort de Chaka (Présence Africaine, 1963) et un essai, Les Dirigeants africains face à leur peuple (Maspero, 1964).

Médecin du corps, Seydou Badian entreprend de soigner l'âme et cherche à résoudre le problème, pour lui fondamental ; de l'intégration au modernisme sans se renier. Dans ses propos de citoyen libre, l'auteur de l'hymne national du Mali, n'a pas dérogé aux qualités qui font sa réputation : le franc-parler et le respect de l'autre : « Je suis comme l'homme de la rue : un patriote malien. Un des héritiers de ce pays qui a résisté aux colons et au colonialisme... Quels que soient les risques personnels, je ne peux pas me taire... Je parlerai toujours quand ce fabuleux héritage que nous ont laissé nos héros sera menacé dans son unité, dans ses valeurs suprêmes »1(*).

0.4. Justification du corpus

Beaucoup d'études ont été faites sur l'oeuvre de Seydou Badian, mais Noces sacrées semble être mise à l'écart parce que les mémoires qui ont porté sur cette oeuvre sont encore peu nombreux. Et si certaines études l'ont abordée, elles n'ont pas privilégié les études qui mettent en conjonction l'oeuvre Noces sacrées avec son contexte social. C'est-à-dire l'analyse sociocritique.

Bien plus, dans un univers littéraire ou celui des « belles lettres », nous sommes souvent contraints de nous confronter avec les ouvrages quelquefois déconcertants. Ceci rejoint les théories du « plaisir romanesque ». Mais, cela n'est pas notre objectif en tant que critique. Ce qui nous préoccupe ici, c'est le choix méticuleux d'un corpus qui va permettre l'accessibilité du texte dans le cadre de la recherche appuyée par la méthode sociocritique. Voilà les conditions justificatives qui ont dicté le choix de notre sujet.

0.5. Méthodologie

Nous avons opté pour la méthode sociocritique pour plusieurs raisons dont nous mentionnons les plus importantes :

La première raison est que Noces sacrées parle de l'histoire d'un peuple fictif qui rappelle un peuple réel. Ici, il faut dire que ceci est vraisemblable, car on ne peut comprendre un texte littéraire sans le replacer dans son contexte socio-historique, c'est-à-dire dans la société qui lui a donné naissance. C'est la retouche novatrice de la théorie de l'immanence qui préconisait l'auto-référentialité du texte sans tenir compte du contexte social, des éléments transhistoriques, transtextuels et transculturels qui jalonnent le texte.

La deuxième raison est que la sociocritique est la méthode la plus commode pour analyser une oeuvre littéraire africaine qui s'apprête à une transculturalité énorme et qui fait la peinture d'un univers anomique.

La troisième raison consiste à insinuer la célébrité de la méthode et à faire connaître aux étudiants et aux autres intéressés l'oeuvre Noces sacrées.

Etant donné que derrière chaque énoncé du texte se cache un sens ésotérique ou obscur, l'analyse de l'ironie et de l'humour qu'on rencontre dans les théories de Lukács et de René Girard auront une part importante dans l'application de la méthode sociocritique. Ce sens ésotérique peut comporter une signification idéologique.

0.6. Hypothèses et objectifs de travail

La première hypothèse est que le personnage N'tomo représente les humains dans leur quête pour le respect de leurs valeurs traditionnelles, en parlant de l'Afrique. Il est comme un individu qui incarne une vision et une conscience collectives dans la société du roman.

La deuxième hypothèse est que l'homme « idéal » s'intéresse toujours à la dégradation des valeurs d'une société qui tendrait pour « juste ». C'est pourquoi cette hypothèse veut montrer le manichéisme concernant les valeurs propres à la société occidentale et à la société africaine dont les personnages éprouvent toujours de la névrose.

La troisième hypothèse est de montrer comment, à travers beaucoup de romans, les valeurs changent constamment. C'est ce que les sociologues, dont Emile Durkheim, appellent « anomie ».

L'objectif est de montrer qu'il existe actuellement un combat acharné entre les valeurs anciennes et les apports de la modernité occidentale, tout ceci se faisant par le biais des intellectuels africains voulant garder leur « africanité ».

0.7. Répartition du travail

Ce travail est réparti en trois chapitres complémentaires :

Le premier chapitre consiste à étudier la méthode sociocritique dans sa diachronie comme outil d'analyse littéraire. Il a comme titre : « La sociocritique comme outil d'analyse littéraire ». Ce chapitre donne un parcours de cette méthode et son efficacité sur le corpus Noces sacrées.

Le second chapitre concerne l'analyse du corpus et porte comme titre : « Analyse littéraire de Noces sacrées ». 

Le troisième chapitre qui est réellement le coeur du travail, étudie les schémas discursifs manichéens dans Noces sacrées. Il est intitulé : « De la tradition à la modernité : Les schémas manichéens dans Noces sacrées. C'est ce cartilage qui soutient le corps de notre travail.

CHAPITRE I. LA SOCIOCRITIQUE COMME OUTIL D'ANALYSE LITTERAIRE : APPROCHE METHODOLOGIQUE

1.1. Introduction

Il y a beaucoup de méthodes d'analyse littéraire, mais il arrive que la pertinence de telle ou telle méthode soit beaucoup plus en vue sur un corpus donné et sur un sujet déterminé. La sociocritique comme outil d'analyse littéraire s'est avérée la bienvenue pour l'analyse de notre corpus, raison pour laquelle nous voulons d'abord parcourir cette méthode avant de l'appliquer.

Cette démarche est due à de multiples raisons. La première en est que l'auteur s'est fortement inspiré de la société et de ses péripéties parfois bizarres projetées dans la peinture de la société de fiction, une société où, par exemple les masques comme N'tomo gouvernent en souverain le bonheur des hommes.

En deuxième lieu, n'étant pas dans l'angle manifestement comparatif nous avons trouvé qu'il serait éloquent d'utiliser la méthode sociocritique car les heurts du mariage Occident-Afrique dans Noces sacrées retombent sur un échantillon de gens faisant partie de la société. D'où toute la société en est sensible. De ce fait, nous jugeons mieux de commencer par la définition des concepts clés.

1.2. Définition de la sociocritique

La sociocritique est une approche du fait littéraire qui s'attarde sur l'univers social présent dans le texte. Pour ce faire, elle s'inspire tant et si bien de disciplines semblables comme la sociologie de la littérature qu'on a tendance à les confondre. "La sociocritique", mot créé par Claude Duchet en 1971, propose une lecture socio-historique du texte.

En fait la sociocritique ne s'intéresse pas à ce que le texte signifie, mais à ce qu'il transcrit, c'est-à-dire à ses modalités d'incorporation de l'histoire, non pas seulement au niveau des contenus, mais aussi au niveau des formes.

Beaucoup d'auteurs ont étudié la méthode sociocritique comme outil d'analyse littéraire. Nous nous bornerons sur les auteurs que nous jugeons les plus connus.

Joëlle Gardes-Tamine et Marie-Claude Hubert voient la sociocritique comme une « Méthode de critique littéraire née au cours des années soixante, issue de la sociologie. Elle apparaît comme une tentative pour expliquer la production, la structure et le fonctionnement du texte littéraire par le contexte politico-social » (2002 : 198).

S'étant enraciné dans la société, Taine dans sa Philosophie de l'art (1865) a centré ses travaux sur l'émetteur dans une oeuvre, et a montré comment le milieu social de l'auteur conditionne l'oeuvre, et Lanson le critique du début du XXème siècle a centré ses travaux sur le récepteur et a insisté sur le rôle du lecteur dans l'évolution de la littérature.

Le concept de sociocritique, difficile à définir, recourt à des approches théoriques disparates, selon que les critiques se situent dans la mouvance des philosophes marxistes, comme Marx, Engels ou Durkheim, de Hegel ou de sociologues comme Marx Weber. Selon Daniel Bergez et al (1999 : 123) :

« Sociocritique sera employé par commodité, bien que le terme désigne depuis de nombreuses années une [...] démarche [...], la simple interprétation « historique » et « sociale » des textes comme ensembles aussi bien que comme productions particulières ».

Ceci pour impliquer que la sociologie du littéraire concerne l'amont (conditions de production de l'écrit) et que la sociologie de la réception et de la consommation concerne l'aval (lectures, diffusion, interprétations, destin culturel et scolaire ou autre).

Selon Claude Duchet, la sociocritique vise « le texte lui-même comme lieu où se joue et s'effectue une certaine socialité » (cité par Bergez et al, 1999 : 123).

Dans la lignée marxiste, se situent des théoriciens comme TH.W. Adorno et Pierre Macherery. Leur originalité est de souligner la dimension critique de la littérature qui n'est pas nécessairement en adéquation avec les discours idéologiques.

Robert Escarpit, quant à lui, dit que les structures culturelles ne sont pas seulement autonomes mais peuvent agir sur les structures sociales et économiques. Il s'apparente ainsi à Max Weber qui affirme qu' « Il faut séparer les jugements de valeurs des jugements du fait. » (Cité par Joëlle Gardes-Tamine et Marie-Claude Hubert, (2002 : 198)).

Lukács et Goldmann, excellents théoriciens sur la sociocritique, se réclament de Hegel à qui ils empruntent la théorie de la totalité. Dans un phénomène particulier se concrétise la problématique d'une époque. Goldmann cherche à dégager une structure qui rende compte de la totalité de l'oeuvre, et qui soit elle-même explicable par rapport à une structure englobante : la vision du monde d'un groupe social.

1.2.1. La sociologie de la littérature

La différence entre la sociocritique et la sociologie de la littérature n'est pas claire, mais les deux vocables sont différents. La sociocritique étudie le texte particulier et son contenu tandis que la sociologie de la littérature étudie des textes en général.

La sociologie de la littérature est donc « une socio-sémiotique car elle utilise des concepts issus à la fois de la sociologie et de la sémiotique. Cette méthode utilisée notamment par Julia Kristeva cherche à transposer les problèmes sociaux au niveau linguistique, s'attachant à la situation sociolinguistique dans laquelle un texte est produit, car cette situation porte l'empreinte des contradictions historiques et des conflits sociaux.

1.3. Les soubassements de la théorie sociocritique

Pour que notre méthode fût solidifié et pût être appliquée sur notre corpus, il y eut le concours de beaucoup de théoriciens dont nous allons voir dans la ligne de l'analyse littéraire. Nous citons quelques oeuvres à ce propos : Le Dieu caché (1965) et Pour une sociologie du roman (1964), de Lucien Goldmann et Théorie du roman (1963) de Georges Lukács qui nous semblent pertinents dans le liminaire de ce parcours.

1.3.1 Georges Lukács

Dans l'analyse du roman, nous avons beaucoup de théories de Georges Lukács. Selon Lucien Goldmann, « La forme du roman qu'étudie Lukács est celle que caractérise l'existence d'un héros romanesque qu'il a très heureusement défini sous le terme de héros problématique » (1964 : 23).

Pour cela, les analyses de Lukács permettent d'entreprendre une étude sociologique sérieuse de la forme romanesque. En tous cas pour Georges Lukács, le roman reste une histoire d'une recherche « dégradée » et Lukács appelle ça une « histoire démoniaque » car il y a en cela, la recherche de valeurs authentiques dans un monde dégradé lui aussi mais à un niveau autrement avancé et sur un monde différent.

Ainsi, tout lecteur devrait être capable de repérer la présence de ce héros (démoniaque) dans un roman. Mais la sociologie du littéraire comme celle de la réception au sens strict du terme se révèlent partiellement étrangères à l'essentiel de ce qui a lieu dans le texte. Ainsi, la sociocritique chez Lukács semble pouvoir les intégrer. Entre les déterminations et les conséquences, le texte est important pour les attirer dans sa lecture.

Dans les romans réalistes, Lukács insiste sur les concepts de totalité et de type où il construit un contraste manichéen entre le roman réaliste et le roman naturaliste.

Bergez et al, nous expliquent que dans cette entité typique et totale du roman,

« On n'oubliera pas que le projet sociocritique fut un projet précis et daté, mais aussi, par définition, un projet ouvert et qu'il le demeure, alors que la sociologie de « l'amont » comme celle de « l'aval » sont constamment guettées par le réductionnisme.» (1999 : 123).

Pour Georges Lukács, la situation problématique dans laquelle se trouve le héros est exhumée sous forme de ce qu'il appelle « ironie » dans une oeuvre romanesque. Lukács lui-même se montre le plus cohérent en ses propos :

« Une fois apparue la société de classes, la grande poésie épique ne peut plus tirer sa grandeur épique que de la profondeur typique des oppositions de classes dans leur totalité mouvante. Pour la nouvelle figuration épique, ces oppositions s'incarnent en tant que lutte entre des individus dans la société soulignée dans le texte ». (Le roman, in Ecrit de Moscou, cité par Bergez et al 1999 : 136).

Les personnages problématiques font donc irruption dans la société écrasée par l'intense production pour le marché, faisant naître des classes bien dessinées : les prolétaires et les producteurs. C'est pourquoi il fustige aussi un réalisme régressif dans son Roman historique (1964).

Il n'est donc pas étonnant que Georges Lukács a été le grand théoricien de la théorie sociocritique. Ses théories sont bien importantes parce qu'il fait (Lukács) ressortir du roman, ce qui nuit à la société moderne en provoquant l'essoufflement des valeurs traditionnelles.

1.3.2 Lucien Goldmann

Parler de la sociocritique sans parler de Lucien Goldmann serait une déroute. Lorsqu'il s'est agi de faire une analyse embrassant l'oeuvre en tant que produit de la société, Lucien Goldmann qui est le disciple de Lukács n'a pas cessé de retravailler la théorie sociocritique pour l'enrichir.

C'est pourquoi, en apportant sa quote-part sien sur les analyses de Georges Lukács, il en vint à parler du héros « démoniaque » de Lukács comme héros « problématique ». Dans un monde dégradé, un héros de roman comme Pierre Landu de Entre les eaux  de Valentin Yves Mudimbé ne peut manquer d'être problématique parce que sa quête ne sera jamais réalisée.

Nous avons montré le principe de l'Ironie dans les analyses de Lukács. Michel Laronde se montre tout cohérent en prenant les deux auteurs comme des gémellités : « L'ironie est présente [...] puisqu'elle est prise dans un sens large, la base rhétorique fondamentale [...].» (1996 : 13).

Lucien Goldmann, est convaincu que plus l'écriture s'attache à la forme, plus l'ironie se glisse subtilement dans les failles du canon de la langue par laquelle passe la culture.

Nous avons rappelé plus haut l'importance du marxisme pour éclipser les heurts causés par la société de production entraînée pour le marché. Ce n'est que dans cette société où les valeurs disparaissent.

Bergez lui-même abondera dans le sens de Goldmann :

« La sociocritique a de plus l'avantage de faire bouger cette avancée du marxisme en un domaine sensible et particulier : Le marxisme est en effet aujourd'hui la référence constante et obligée ; en même temps qu'en ses textes fondateurs et en ses pratiques il lui faut bien reconnaître que quelque chose se passe et s'est passé qu'à son stade canonique il n'avait pas conçu » (1999 : 123).

Parlant du héros problématique, Lucien Goldmann semblait déjà opposer ces deux idéologies dans l'univers romanesque.

Bergez ajoute : « Sociocritique désignera donc la lecture de l'historique, du social, de l'idéologique, du culturel dans cette configuration étrange qu'est le texte. » (1999 : 123).

L'explication de la littérature par les rapports sociaux et les luttes de classes est donc inévitable et programmée pour une théorie du superstructurel. Pour Goldmann, comme le droit, la politique, comme les idées et l'idéologie, la littérature et la culture devaient être repensées comme effets et comme moyens d'une dernière instance économique et sociale. L'héritage culturel devait donc être relu à la lumière de « la dialectique historique ». Le nouveau matérialisme faisant étrangement irruption dans le roman, Lucien Goldmann après Lukács allait analyser cette situation.

Goldmann se voit parmi les gens chosifiés et s'identifie à tout lecteur non encore conscient de cette « machinerie » où le monde romanesque est plongé. Ainsi pour Bergez et al « Tout lecteur est un moi, venu de relations parentales et symboliques qui, elles aussi, le déterminent et lui ouvrent des espaces de recherche et l'interprétation » (1999 : 144).

Dans l'exposition des idées sociocritiques de Goldmann, son oeuvre Pour une sociologie du roman  (1964) reste la plus célèbre. Pour Lukács, « le héros démoniaque du roman est un fou ou un criminel, en tout cas [...], un personnage problématique » (1964 : 24).

Tant que l'échange reste vraiment sporadique et vif, parce qu'il porte surtout sur les excédents ou qu'il a le caractère d'un échange de valeurs d'usage que des individus ou des groupes ne sauraient produire à l'intérieur d'une économie essentiellement naturelle, la structure mentale de la médiation n'apparaît pas secondaire. La transformation fondamentale dans le développement de la réification dans le monde romanesque résulterait de l'avènement de la production pour le marché.

Et Goldmann se résume ainsi : « La forme romanesque nous paraît être [...] la transposition sur le plan littéraire de la vie quotidienne dans la société individualiste née de la production pour le marché » (1964 : 36). Dans son Dieu caché, Goldmann insiste sur le caractère transindividuel d'une oeuvre dans la société.

Dans le corpus Noces sacrées  que nous traitons, il est remarquable que le masque - dieu N'tomo devient l'objet du commerce, ce qui rend son vendeur éminemment problématique. D'où le mariage est adéquat entre la théorie Goldmannienne et le roman Noces sacrées. Pour lui, il faut « confesser le bien et la vérité en face d'un monde radicalement mauvais » (1955 : 158).

1.3.3 René Girard

Nous ne dirons pas tant de choses sur la méthode « sociocritique » dans l'oeuvre de René Girard. Seulement, il évolue dans la même voie que Lukács et Goldmann. Il centre aussi ses idées sur la dégradation du monde des moeurs traditionnelles.

La seule différence qu'il y a entre la peinture du héros démoniaque et sa situation de dégradation, c'est Goldmann qui le stipule en ces termes :

« Essayons [...] de préciser un point essentiel sur lequel Lukács et Girard sont en désaccord fondamental [...]. La situation de l'écrivain par rapport à l'univers qu'il a créé est, dans le roman différente de sa situation par rapport à l'univers de toutes les autres formes littéraires. Cette situation particulière Girard l'appelle humour ; Lukács ironie (1964 : 30).

L'ironie étant le procédé discursif par excellence pour peindre la société, Girard dépasse la conscience de ses héros et ce dépassement (humour ou ironie) est esthétiquement constitutif de la création romanesque.

Au lieu de privilégier l'humour girardienne, la critique a privilégié l'ironie lukácsienne. Pour Girard, le romancier a quitté, au moment où il écrit son oeuvre, le monde de la dégradation pour retrouver l'authenticité, la transcendance verticale. Pour lui, la plupart des grands romans finissent par une conversion du héros à cette transcendance verticale et le caractère abstrait de certaines fins. Ceci se remarque dans Don Quichotte de Cervantès et dans Le Rouge et le Noir de Stendhal.

Goldmann parle encore de Girard : « Le roman analysé par [...] Girard ne semble plus être la transposition imaginaire des structures conscientes de tel ou tel groupe particulier ; [...] de la société » (1964 : 43).

1.3.4 Pierre Zima

Pierre Zima est célèbre par son Manuel de sociocritique. La sociocritique chez Zima est la plus élaborée par rapport à d'autres auteurs précités. Avant d'abonder dans la littérature, Zima plonge d'abord dans la sociologie. Pour lui, il existe « une scission historique indéniable, [...] de nombreux représentants des sciences sociales (et naturelles) qui considèrent comme indispensable la réflexion philosophique » (1985 : 14).

Zima trace d'abord les voies d'une rupture épistémologique à partir du socle principal qu'est la philosophie. De là, on a abouti à la sociocritique.

La dégradation apportée dans les théories de Girard et de Lukács peut aussi se remarquer par la démarcation entre la ville et la campagne et les héros veulent rétablir un monde équitable. Ainsi donc Zima dira : « Un autre élément important de cette recherche est l'opposition entre la ville et la campagne ». (1985 : 15).

C'est dans la suite que Zima se prononce sur le littéraire. Il préconise en fait que la sociocritique trouve ses soubassements dans les socles de la philosophie, de la sociologie puis de la sociologie de la littérature. Ainsi,

« Pour la sociologie du texte préconisé ici, il s'agit de devenir une science à la fois empirique et critique, capable de tenir compte des structures textuelles et du contexte social dont elles sont issues» (1985 : 16).

L'idéologie tient une importance capitale dans les théories de Zima. Elle est en fait vécue par la plupart des individus (les non scientifiques) comme naturelle, comme faisant partie de leur environnement social quotidien. Il tend à considérer les valeurs idéologiques qui déterminent leurs actions comme étant données, humaines et universellement valables.

Dans l'idée de totalité de Zima, l'on stipule que les jugements de valeur idéologiques et l'idéologie comme totalité plus ou moins cohérente permettent aux individus d'agir en tant que sujets.

Dans la société selon Zima, les individus s'identifient inconsciemment à certaines valeurs et normes qui font d'eux des sujets responsables de certaines actions. C'est dans ce contexte qu'il convient de lire la célèbre phrase d'Althusser citée par Zima (1985 : 23) « L'idéologie interpelle les individus en sujets».

1.3.5 Marc Angenot

Pour Zima, l'intérêt porté aux textes littéraires est mis en relation avec le contexte social. Selon Angenot, il s'agit de fonder une théorie du discours social qu'il définit comme « tout ce qui se dit et s'écrit dans un état de société, tout ce qui s'imprime, tout ce qui se parle publiquement ou se présente aujourd'hui dans les médias électroniques » (Angenot cité par Nsengiyumva, 2006 : 24).

En fait, les discours sont des faits qui fonctionnent indépendamment des usages que chaque individu leur attribue, qui existent en dehors des consciences individuelles.

Dans son esprit de refléter la société, la littérature devient une institution sociale. Angenot n'a pas, dans ses théories, ignoré des procédés littéraires traditionnels comme la symbolisation,...Ainsi, Austin Warren et René Wellek (1971 : 129) vont dire que « la littérature représente `' la vie `' et la `' vie `' est, dans une très large mesure, une réalité sociale, même si le monde de la nature et le monde [...] subjectif (interne) ont également fait objet d' `'imitation `' littéraire ».

Pour l'analyse du discours, les énoncés sont considérés comme les chaînes dialogiques. Ils ne suffisent pas à eux-mêmes et ils sont les reflets les uns des autres. Ils reflètent les échos et les rappels que pénètrent les visions des époques déterminées.

Dans les romans à caractère réaliste, le portrait physique des personnages se montre comme s'il était élaboré non pas à partir de l'observation des personnages réels, c'est-à-dire :

« Par la mise en oeuvre des traits bruts, mais à partir d'un système acquis, de caractéristiques fonctionnalisées, devenues les indices ou s'associent la notation physique et la connotation psychosociologique » (Henri Mitterand, 1980 : 49).

Mais pour Marc Angenot « tout s'analyse comme signe, langage et discours est idéologique » (Angenot, 1989 :19). Il s'agit donc pour un critique d'analyser une oeuvre tout en décelant le discours hégémonique qu'il recèle.

Dans ce sens, Angenot rompt aussi avec le monologisme des formalistes russes pour abonder dans le contexte social ; ceci dans la voie de Mikhaël Bakhtine pour qui le texte est un dialogue d'autres textes.

Citant Louis Althusser, Marc Angenot stipule que « la société fonctionne au discours comme les automobiles fonctionnent à l'essence » (1989 : 199).

Le discours social joue donc un rôle majeur dans la société. C'est pour ça que la sociocritique qui va nous servir dans notre analyse, tire son origine des méthodes sociologiques et surtout, comme nous l'avons dit, dans l'évolution de la sociologie de la littérature.

1.3.6 L'influence de Marx et de Durkheim

Parallèlement aux marxistes il s'établit vers les années 30 une école fondée sur la sociologie de Durkheim et menée par Jan Mukarovsky qui considère la littérature par le concept de conscience collective. Ce dernier l'applique à l' interprétation des textes par les sociétés, prétendant qu'elle se fera principalement en fonction d'une culture particulière, donnant ainsi une valeur polysémique à la lecture.

Jean Duvignaud appliquera le même concept mais cette fois-ci en tentant d'expliquer le phénomène de la création en réactions aux contextes sociaux tels que présentés dans des ouvrages comme Ombres collectives. Sociologie du théâtre (1965). Une fusion entre ces deux grands genres, le marxisme et le durkheimisme, se produisit plus tard chez des auteurs mettant en relation les idées des grands penseurs dont ils se réclament. Par exemple, Köhler utilisa la sociologie systématique inspirée par Durkheim au genre littéraire en y introduisant la notion de lutte des classes propre à Marx. Il résulte de ces différentes approches une sociocritique beaucoup plus méthodique et conceptuelle qu'auparavant et qui s'applique surtout aux phénomènes de la création et de l'interprétation littéraire.

1.3.7 Autres théoriciens

A côté de ceux dont nous venons de parler, nous ne pouvons pas ignorer Théodore W. Adorno et sa théorie sur la négativité ; Macherery et son absence de la conscience idéologique ; Duvignaud et la dramatique de l'anomie ; Léo Lowenthal ou le non conformisme ; ainsi que Walter Benjamin avec son aura et choc.

En commençant par Adorno, il convient de dire qu'il s'oppose à l'idée de la totalité vantée par Lukács et Goldmann. Sa négativité se hisse contre l'idéologie, la philosophie, et la pensée conceptuelle.

Zima, parlant de lui, parle de l'esthétisme comme point de départ de la production artistique (Zima, 1985 : pp. 38-39). L'objet littéraire dans les théories d'Adorno, ne serait pas confondu à l'instrument d'aliénation et d'exploitation de l'homme par l'homme. Cette exploitation fait comprendre la révolution des prolétaires qui trouvent refuge dans l'art comme le montre Zima (1985 : 81).

Et puis, vient Macherery et son absence de la conscience idéologique. Se hissant un peu contre d'autres théoriciens évoqués précédemment, Marcherery nie le caractère homogène du texte littéraire comme expression d'une vision du monde ou d'une idéologie. Pour Zima (1985 : 42), l'auteur peut exprimer la vérité sans le savoir. C'est ainsi que les propos de Zima fondent la conception de Macherery pour qui « l'idéologie se trouve dans l'inconscient».

Parlant du drame de l'anomie chez Duvignaud, il est bien de commencer par la définition de l'anomie selon Larousse (2001 : 69) : « un état de désorganisation, de destruction d'un groupe, d'une société due à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs communes à ses membres ».

Ainsi donc, Duvignaud adopte la théorie de Durkheim sur la division du travail. Pour lui, le drame rend compte de la situation anomique dans laquelle se trouve la population qui s'en trouve aliénée. Mais Zima critique Duvignaud à ce propos (1985) car selon Zima, celui-là (Duvignaud) ignore l'évolution du littéraire. Il nie en quelque sorte l'union intime entre le texte et la société.

En ce qui est de Leo Löwenthal, il refuse le conformisme et prône le non-conformisme. Il voit que le texte littéraire est réduit à un document historique. En ce sens que, si le roman décrit les moeurs et les coutumes d'une société, il est comme le dit Semujanga, « une fresque historique et un document ethnologique » (1999 : 38).

Löwenthal essaie donc de confronter dans les ouvrages des lettres les rapports entre la vie privée d'une personne et ses propres intérêts, puis les rapports entre sa vie publique et les intérêts étatiques. Pour Zima, l'image de l'homme comme celle de la littérature sont polymorphes donc instables. La littérature est pour cela réduite à une dimension dénotative.

Terminons ce parcours par Walter Benjamin qui parle des fluctuations du monde du roman à cause de la production intense pour le marché qui rend l'homme une sorte de « matériel ». L'homme est réifié.

L'art et la littérature reçoivent ainsi leur « aura » dans la transformation de la société. Zima, s'intéressant aux Fleurs du mal  de Beaudelaire en vint à dire que « le travail de la sociologie littéraire [...] cherche à la déconstruction de l'aura [...] en tant que processus linguistique » (Zima, 1985 : 74).

1.4 De la carnavalisation discursive à la peinture sociale

Parlant de la carnavalisation, il est nécessaire de rappeler que l'angle de travail est toujours le roman. Il ne faut pas aussi ignorer la place de l'humour de Girard et de l'ironie de Lukács déjà traité dans ce chapitre.

Selon Semujanga (2006), la carnavalisation reste le renversement des valeurs dans une oeuvre littéraire. La subversion des valeurs dans le Moyen-Âge a été un exemple type de la carnavalisation.

Dans le cadre du roman que nous allons analyser, Semujanga stipule : « L'histoire y semble moins conçue comme un moyen d'expliquer le présent que comme un signifiant mythique. Elle tient lieu de culte des ancêtres et de tradition sacrée dans un monde en perpétuel changement ». (1999 : 48).

Dans la carnavalisation romanesque l'histoire semble être étouffée pour décrire avec un renversement des valeurs « un monde en perpétuel changement » (1999 : 48). Il est nécessaire qu'on parle de la perspective de Bakhtine dans le carnaval, car il s'inscrit dans le cadre du dialogisme conçu comme dialogue des textes, des discours d'où la transtextualité et la transdiscurisivité.

Chez Bakhtine, ce n'est pas le décalage entre la conscience et le monde, entre le sujet et l'objet qui constitue le point de départ de la théorie du roman. Le carnaval est défini par Zima (1985 : 106) comme « un événement populaire critique dirigé contre le sérieux de la culture officielle (féodale). Les traits caractéristiques de l'événement carnavalesque sont : l'ambivalence, la polyphonie et le rire».

Dans le carnavalesque, la morale et les normes dominantes sont remises en question. Celles-ci sont présentées dans un contexte hétéronome caricatural et rendues ridicules.

Le rire carnavalesque comme force critique et destructrice s'oppose à quatre éléments importants dans la culture féodale, entre le Moyen-Âge et la Renaissance : Il nie d'abord la tradition en privilégiant la continuité et l'avenir : la transformation perpétuelle de ce qui est.

En deuxième lieu, il y a l'ascétisme spirituel de la religion médiévale. Le carnaval oppose la vie et le corps, en mettant l'accent sur les fonctions sexuelles et fécales de ce dernier.

La dernière opposition est celle entre la vie et la mort. Le carnaval qu'on rencontre dans les oeuvres africaines comme Une vie et demie de Sony Labou Tansi et même Noces sacrées de Seydou Badian ne reconnaît pas l'eschatologie de la théologie officielle : elle est niée et dépassée dans l'association de la mort à la naissance.

Comme le résume Isaac Bazié : « Le fait de ne pas lire le roman ressemble désormais à une sorte de délit de non assistance à la personne en danger (2003 : 90)»2(*).

Par ailleurs, on a su gré à Badian de rendre lisible un sujet aussi grave et réellement insupportable : l'horreur vécue par la culture africaine en impasse depuis la destruction des sanctuaires par les chemins de fer.

Pour Badian, la colonisation et surtout l'arrivée des Blancs est considérée comme un élément butoir de la richesse traditionnelle de l'Afrique. Noces sacrées est donc un témoignage fictif mais émouvant conçu pour dénoncer l'inadmissible sinon l'innommable désacralisation de l'Afrique.

1.5 Conclusion partielle

En guise de conclusion à ce chapitre théorique, nous avons tenté de donner un panorama de la théorie et de la méthode sociocritique comme l'un des outils excellents de l'analyse littéraire. Nous disons que c'est la méthode la plus en vue en critique littéraire, car elle est dans le plein ancrage de la société qui donne naissance au roman.

De prime abord, nous avons tenté de définir les termes clés pour éclairer le lecteur de ce travail. Au départ, nous avons levé la confusion qui pouvait s'établir entre la sociocritique et la sociologie de la littérature. Le plus important encore était de montrer les idées des grands théoriciens de la sociocritique.

Le point final a été posé par l'explication du carnavalesque comme l'un des procédés auxquels recourent les écrivains à côté de l' ''ironie '' (G. Lukács) ou de l' ''humour'' (René Girard), la dérision...

Par là, nous venons d'expliquer la méthode qui va appuyer notre analyse.

CHAPITRE II. ANALYSE LITTERAIRE DE NOCES SACREES

2.1 Le corpus

Noces sacrées est un roman, parmi d'autres romans de Seydou Badian, pour lequel nous allons insister dans la suite. Au niveau du vécu, Badian y a mis beaucoup de lui-même. Ce vécu est celui de l'enracinement de la longue mémoire, il signifie un retour à ce qui, en deçà des remous de l'histoire, manifeste la pérennité de l'être au sacré africain, lieu de permanence d'un savoir et de pratiques ancestraux.

En ce lieu réside le peuple noir entendu en sa masse immense, mais gardien légitime, loin du bruit, de la fureur et de la frivolité, de sa parole et de ses pouvoirs. Ce corpus, en exhibant les schèmes manichéens montre tout d'abord le drame de la violation du sacré africain en plein milieu initiatique, un monde protégé par les dieux - masques, habitant les lieux que nul humain non initié ne peut atteindre. Ainsi, du rapt de N'tomo et de son absence, naît le drame.

2.1.1 Le titre du récit et la littérature orale traditionnelle en Afrique

En pleine ère coloniale, Noces sacrées  recrée brillamment l'univers du sacré, l'univers allégorique et dramatique où la sous-estimation de la tradition africaine n'est plus autorisée. Sous une forme la plus détournée, Badian regrette la disparition de la tradition et déplore les dommages qui s'en sont suivis. Jacques Chevrier le dit aussi en ces termes :

« Si l'occident exerce sur l'Afrique une séduction dont les effets sont partout visibles, l'univers traditionnel reste encore néanmoins très présent dans l'oeuvre de la plupart des écrivains africains contemporains, qui paraissent hésiter entre le rejet brutal et la conciliation prudente à l'égard de l'héritage du passé. » (1990 : 255).

Avec Noces sacrées, dont la publication date de 1977, Badian apporte à ce débat un témoignage qui ne manquera pas de surprendre ou d'irriter.

En effet, le héros N'tomo construit par l'auteur refuse une trop facile antinomie entre l'Afrique et l'Occident. Noces sacrées s'apparente par là au Piège sans fin (1979) d'Olympe Bhêly-Quenum où : « L'Afrique est victime de tout un ensemble de croyances archaïques et pratiques occultes au moyen desquelles d'habiles imposteurs ont su établir leur empire sur les âmes faibles » (Chevrier 1990 : 255).

En guise de conclusion, Noces sacrées veut raviver la tradition africaine déjà en graduelle démolition. Comme l'a souligné Jacques Chevrier (1981 : 6), « Noces sacrées  [...], s'attache à revaloriser des attitudes et des modes de pensées hérités du passé ».

L'on ne peut pas passer sous silence le fait que la tradition est contestée dans d'autres oeuvres, surtout l'aspect en rapport avec la réification de la femme. Ramatoulaye héros révolutionnaire le témoigne dans Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ.

2.2 Résumé de Noces sacrées 

Noces sacrées parle du Masque appelé N'tomo qui vivait dans une chambre inaccessible chez Monsieur Soret, un instituteur qui prie chaque jour devant le masque. Monsieur Besnier, un Blanc, pense que N'tomo est du plus haut rang dans la hiérarchie des dieux. Il arriva un jour chez Soret et remarqua ce masque splendide qu'il prit pour cible afin de l'acheter. Il choisit Monsieur Jules pour aller voler N'tomo et le lui apporter. Le masque N'tomo volé par un Européen qui fait un trafic des objets d'art, échoit à Besnier qui perd, dès ce jour, la tranquillité, le masque le traquant sans répit. Dès que Jules lui a vendu ce masque, il « portera dans son esprit une poignée de fourmis et de termites » (N.S. : 97).

Les conséquences sont immédiates. Jules se retrouve dans une solitude oppressante. Il ne sait pas non plus où se trouve le sanctuaire de N'tomo pour le remettre.

Les maux ne s'abattent pas seulement sur Jules. Besnier n'est pas aussi épargné. Les éclaires, ...tous les monstres du monde accablaient sa chambre. Il décide de retourner à Marseille pour retrouver la paix. Mais là aussi sa vie dès sa première nuit là-bas est désagréable. Les hallucinations sont intenses. Ses rêves le poussent à abandonner le sommeil. Les déesses entourant N'tomo comme Faro, Onenemba attaquent Besnier de tous les coins. N'tomo, le dieu qui ne tue pas va tourmenter Besnier jusqu'au bout.

Dans ces tourments interminables, Besnier est envoyé à Londres où les tourments le poursuivent. Là, il n'arrive pas à se défaire de l'Afrique et du dieu offensé. Le dieu des jeunes tourmente le jeune Besnier. S'il ne le rend pas à ses fidèles, d'autres phénomènes plus sérieux interviendront et nul ne sait jusqu'où cela arrivera.

C'est Fotigui, qui parle aux esprits, qui résoudra le problème. Cependant, les déesses comme Faro sont toutes furieuses qu' « En Afrique, on ne pouvait rien cacher aux Africains ». Même les pères blancs comme Dufrane le savaient. Dans la suite Besnier devint sourd.

Retaud écrit à Besnier que Jules s'est suicidé à cause du rapt de N'tomo par le gardien du campement Nantouma. Les premières cérémonies d'initiation à ces dieux sont appelées « noces sacrées » (p. 143). Après la remise de N'tomo par le biais de Fotigui, Besnier se voit libéré. C'est ici qu'il découvre véritablement la part de la tradition.

2.3 Dynamique des personnages

« Qu'est ce qu'un personnage sinon la détermination de l'action ? Qu'est ce que l'action sinon l'illustration du personnage ». (Todorov, 1978 : 32).

L'histoire de Noces sacrées se lit à travers les personnages construits avec intelligence par l'auteur. Ce qui est spécial dans Noces sacrées, c'est que l'action principale est réalisée par un héros exceptionnel, N'tomo qui est enlevé et qui cause des tourments insaisissables.

En tout cas, si nous sommes du même avis que Claude Lévi-Strauss, le héros du roman c'est le roman lui-même. Ainsi donc, il occupe une place non négligeable avec d'autres personnages.

2.3.1 Le parcours narratif de N'tomo

N'tomo est le personnage le plus en vue. L'hermétisme de son caractère le différencie de tant d'autres personnages. Il est décrit sous forme d'un dieu avec une tête exceptionnelle avec des cornes. Il est le « plus haut dans l'hiérarchie des dieux » (N.S. : 13).

Dans l'univers romanesque, il est présenté d'abord comme un dieu inaccessible et sa désacralisation entraîne des tourments, causés par le dieu lui-même. L'un de ses caractères les plus connus, c'est que N'tomo ne tue pas : « Il n'est ni Dieu de haine, ni Dieu de sang ». Par certains côtés, il rappelle Dionysos » (N.S. : 27) et « Il tourmente » (N.S. : 27). Il est un dieu de la jeunesse.

2.3.2 Autres personnages

L'univers de Noces sacrées est dominé par des êtres fantastiques, des fétiches, des sorciers. Le reste du monde profane ou initié doit suivre les ordres en place imposés par l'autorité des ancêtres qui ont N'tomo comme descendant.

· Monsieur Soret :

Il est conservateur de la tradition car c'est dans sa maison que le fantastique N'tomo a été trouvé. Il qualifie Besnier d'idolâtre car il saccageait « avec plaisir tous les sanctuaires » (N.S. : 12). Pour lui, quand on approche un sanctuaire on le regrette toute sa vie. En effet, Soret a pris connaissance du mythe africain qu'il tend à assimiler.

· Docteur Besnier

Il travaille dans les contrées où habite Soret. Il a acheté le masque N'tomo des mains de Jules qui, lui aussi l'avait commandé à un autre pour le lui amener. Sa fiancée Mademoiselle Baune le regrettera aussi.

«Les yeux du commandant passaient de Mademoiselle Baune au docteur à la grande surprise de ce dernier » (N.S. : 70). Son fiancé (de Baune), n'avait pas tardé à remarquer la situation dans laquelle croupissait sa bien aimée : « Pauvre Mademoiselle Baune, [...] ceux qui vous entourent croient certainement plus que vous à ce savoir africain dont vous voulez seulement leur faire l'existence » (N.S. : 74).

· Monsieur Jules

Il a arraché N'tomo à ses propriétaires et voilà que le prix c'est la mort :

« Jules s'est suicidé. Un coup de pistolet en pleine tempe. Il a pensé ainsi résoudre ses problèmes. Naturellement, il était fait. Rien à dire. Mais de là à se supprimer. » (N.S. : 138). Monsieur Jules est le premier anti-héros qui appuie les Blancs dans leur désir de désacralisation.

· Fotigui

C'est le sorcier. Il parle aux esprits. C'est lui qui devient l'intermédiaire entre Besnier et les dieux : « Fotigui règne également dans la ville.» (N.S. : 125). Sur ce point, on a longtemps signalé la médiation entre les dieux et les hommes.

· Nantouma

Il est le gardien de nuit. C'est lui qui a enlevé N'tomo pour le donner à Jules afin que celui-ci pût le vendre à Besnier. Il était « le domestique du campement »  (N.S. : 93).

· Faro

C'est l'une des déesses qui n'ont pas été contentes du rapt de N'tomo. Elle vit dans les nuées (N.S. : 85). Il appartient au « panthéon » où N'tomo est le dieu des jeunes.

· Gnenemba

La déesse rebelle qui devait être gagnée par la panthère dans les nuées. Il doit ramener « son pagne de fibres d'étoiles pour la remise à neuf de l'habitat qui devra assurer sang et racines aux rêves des hommes ». (N.S. : 23). Elle appartient aussi au « panthéon »3(*) précité.

· Mornet

Il travaille avec Besnier. Il le met en garde pour ne pas transgresser les dieux africains car cela « a coûté la vie à un homme, un vieux fonctionnaire colonial qui s'était pris de passion pour l'univers secret des Bambara » (N.S. : 21).

Les personnages de Badian dans  Noces sacrées  sont un mélange étrange d'humains, de dieux et de déesses. Ils cohabitent par les intermédiaires. En tous cas comme le stipulerait Djibril Tamsir Niane : « Toute science secrète doit être un secret.»

Quand les Européens essayent de pénétrer l'univers secret des Africains, ils tombent en échec. C'est le même heurt qu'éprouve Clarence dans Le regard du roi de Camara Laye. Ce héros se retrouve perplexe dans un monde dominé par les dieux et les fétiches : « Lorsque Clarence atteignit l'esplanade, il se heurta à une foule si nombreuse qu'il désespéra d'abord d'y frayer passage. » (Le regard du roi, p. 11).

2.3.3 Représentation des personnages sur le modèle actantiel de Greimas

Destinateur

Destinataire

Objet

Adjuvants

Opposants

Sujet

- La tradition et ses tenants

-Respect du sacré africain (Sa conservation)

- L'Europe

- Les Blancs

- Fotigui

- Mornet

- Les dieux

- Les déesses

- Soret

- N'tomo

- Jules

- Nantouma

- Docteur Besnier

- Baune

A voir ce schéma, on remarque que le héros est au milieu de ses adjuvants et ses opposants. Après avoir causé des tourments à Jules et à Besnier, N'tomo retrouve son « respect » et continue à régner. Il n'est jamais « problématique » car dans sa spécificité, son objet de quête est atteint. Ce parti pris de bâtir un héros-fétiche court dans tout le texte et cache une dérision de la religion occidentale. Selon Denise Coussy (2000 : 44), il est décrit comme « le refuge souriant et patient de toutes ces enfances irradiées par leur présence constante et leur autorité [...] ».

2.4. Structure du récit

Ce point sera consacré à l'étude du temps et de l'espace dans Noces sacrées. Dominique M'Fouillou abonde dans le sens où se trouve le roman de Badian que nous étudions : « c'est le lieu des amours, sinon interdites, du moins cachées » (cité par Coussy, 2000 : 13). Mais Coussy est bien précise avec la situation où se trouve Besnier après le rapt du dieu-fétiche : « c'est là où des amoureux s'enfuient pour échapper aux diktats des dieux qui ont décrété leur mort » (2000 : 13).

Ça c'est pour l'espace où les tourments débutent en Afrique pour se transférer sur l'Occident (Marseille puis Londres) accompagnés par la mort de Jules qui s'est suicidé.

2.4.1. L'étude du temps et de l'espace

2.4.1.1. L'Afrique et l'Europe

2.4.1.1.1. L'Afrique des connaissances cachées

L'Afrique est restée un continent des connaissances cachées depuis les temps dont on ne saurait pas capable de dater avec aisance. Maints écrivains ont dépeint cela dans les romans ou dans les oeuvres critiques. Le roman Noces sacrées montre avec hermétisme ce monde caché et ses valeurs traditionnelles.

Djibril Tamsir Niane dans Soundjata ou l'épopée mandingue  en parlant des griots dit que « toute science véritable doit être un secret ». Ainsi l'arrivée de Besnier dans le monde noir n'est qu'une « descente aux enfers » métaphore utilisée par les écrivains et les critiques pour désigner la quête de l'artiste noir à la recherche de son identité problématique.

En face de mythe, Sartre a donné son titre à l'un des textes les plus importants de l'après-guerre : Orphée noir  en guise de préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française (1948) par L.S. Senghor.

Dans ce texte capital, Sartre se fait le porte-parole et le héraut des hommes du monde noir. C'est aussi ce surgissement du lyrisme et la profondeur de la parole noire qui se remarque dans cette oeuvre. Besnier se retrouve dans ce monde où les masques-dieux sont érigés en puissance.

Comme l'a dit Coussy (2000 : 11)

« Au sein de toutes ces inquiétudes, de tous ces questionnements, les points de repère qui structuraient la société africaine en viennent à s'estomper et même à disparaître et la littérature reflète cette anomie tout en essayant de la dépasser ».

Devant cette situation anomique, Badian essaie de raviver ce monde en disparition. Les féticheurs, les dieux et les déesses trônant dans les nuées abondent dans l'univers du roman. Et en parlant de ce monde des connaissances cachées le roman nous en éclaire suffisamment : « Tu porteras dans ton esprit une poignée de termites. J'éclatai de rire à nouveau » (N.S. : pp. 14-15).

Besnier, ayant démystifié le sacré africain, prenait tout à la légère. Il pensait tout en science matérielle oubliant la science secrète des Africains. Il ne connaissait pas « L'Afrique des vieux chasseurs hiératiques, hérissés d'amulettes, le bonnet couleur de terre avec ses franges de cuir ; ses cauris... » (N.S. : 29).

De la science exacte les écrivains dont Badian passent à la science secrète. La science de Besnier est très critiquée, car elle n'arrivera pas à le défaire des tribulations imposées par l'affabulation à l'égard du sacré africain : «  A mon avis, dit Mornet, la « science » n'est pas tout ; ou si vous aimez mieux, il n'existe pas qu'une science, la nôtre .» (N.S. : 41).

Dans Les yeux du volcan (1980), Sony Labou Tansi détourne cette situation de façon originale : « Toutes nos histoires et nos racontars tentent de nous sortir de la géométrie tracée par cette réalité moribonde où nous enferment le dénuement matériel de la déverginalisation de notre conscience. » (1980 : 143).

2.4.1.1.2. L'Europe et le mythe du noir

Il ne fait pas de doute que l'Afrique a fait l'objet du mythe du noir qui lui a trop coûté à travers les siècles. Il s'agit du passé qui est à la fois douloureux et honteux. La propagande colonialiste et esclavagiste l'a beaucoup montré. Le roman Noces sacrées contient les empreintes de ce mythe déjà ancien dans l'esprit de l'homme blanc (occidental).

Comme l'exprime de façon lumineuse Tzvetan Todorov, « A peine une aventure est-elle achevée que son héros rencontre quelque ermite qui lui déclare que ce qu'il a vécu n'est pas une simple aventure, mais le signe d'autre chose»  (1978 : 61).

Il est bien de voir comment se montre ce mythe dans Noces sacrées avec une certaine ridiculisation : « Je saccagerai avec plaisir tous les sanctuaires et j'emporterai les têtes des dieux pour mes petits copains en Europe. » (N.S. : 12).

Ceci montre que l'irréligion est mise en exergue dans Noces sacrées. Mais la suite avertit l'homme téméraire : « Approches un seul sanctuaire...tu le regretteras toute ta vie » (N.S. : 12).

Ceci ne cessa de faire des victimes : « Mais en dépit des mises en garde, il n'a pu résister à la tentation de vouloir révéler ce qu'il avait appris. Il a péri » (N.S. : 21). Pour Besnier, la religion dont il est question n'est que « le fruit de l'obscurantisme, de la superstition, cause du retard de l'Afrique » (N.S. : 80).

Dans tout cela, le roman de Seydou Badian raconte ce que le Noir a subi dans l'univers romanesque, dans la conscience du Blanc. Ainsi Zéraffa le précise en ces termes : « Le Roman c'est la vie, mais la vie écrite » (1971 : 55).

Dans la ligne de la tradition orale, Besnier s'érige en négateur de ces richesses traditionnelles faisant partie de la civilisation. Josias Semujanga, quant à lui, se montre de plus en plus affirmatif : « [...] le roman africain convoque nombre de motifs littéraires [...] ou des formes de la tradition orale » (1999 : 25). C'est pourquoi les adjuvants de N'tomo sont protégés par les connaissances ésotériques entre autres la mystique, la géomancie et une météorite qu'on rencontre fréquemment dans Noces sacrées.

2.4.2. Le temps romanesque

« Les romans sont toujours des machines à explorer le temps » (Georges Jean, 1971 : 49). Les raisons qui ont milité pour l'étude du temps romanesque à côté de la spatialité sont nombreuses, mais la principale est que tout roman se construit autour d'une narration soit ultérieure, soit postérieure. Dans ce sens, la narration dans Noces sacrées  concerne souvent le retour dans le passé d'où la narration analeptique ou ultérieure, et « les histoires enchâssées servent comme arguments.» (Todorov, 1978 : 37).

Dans tout cela, tout personnage, comme le dit Georges Bataille dans Le Bleu du ciel (1976 : 11), « est suspendu aux récits, aux romans, qui lui révèlent la vérité multiple de sa vie ».

« J'avais mis la main sur le secret de Soret. Il était membre d'une secte secrète » (N.S. : 11). Cette forme de narration est analeptique et les exemples ne manquent pas dans le roman : « j'étais furieux parce qu'il ne m'avait rien dit de ces choses. » (N.S. :11).

Concernant la narration proleptique, les exemples sont aussi nombreux : « André, tu sera plus jamais l'homme que tu a été » (N.S. : 14). « Approche un seul sanctuaire...tu le regretteras toute ta vie.» (N.S. : 12).

Nous disons sans grand risque de nous tromper que tout roman obéit à ces principes narratifs. Selon Gérard Genette, dans Figure II (1969), il peut s'agir de la narration ultérieure, antérieure [...]. D'où le temps s'appuie sur ces deux sortes de narration déjà mentionnées. Pour Todorov, « les aspects apparemment chaotiques et contradictoires [...] trouvent leur cohésion » (1978 : 156).

2.5. Les thèmes

L'essor des études de thèmes, il faut le reconnaître, s'est déployé parfois dans une certaine confusion des concepts et des définitions. Ils sont étudiés par une discipline spécialisée appelée thématologie.

Paul Van Tieghem écrit à propos des enquêtes thématologiques :

« De pareilles études sont ou paraissent faciles et intéressantes, et nous comprendrons pourquoi l'on compte par centaines les dissertations de doctorat étrangères, les articles, où [...] un thème est étudié méthodiquement dans deux, dans plusieurs, dans la totalité des formes qu'il a reçues, de manière à amuser l'esprit [...] mais sans grande utilité pour l'histoire de la littérature » (1931 : pp. 87-88).

Ce point se donne comme objectif d'étudier les thèmes majeurs dans Noces sacrées. Selon Raymond Trousson un thème est « l'expression particulière d'un motif, son individualisation ou, si l'on veut, le passage du général au particulier » (1981 : 22).

2.5.1. Le sacré

Le sacré, opposé au profane, est une notion permettant à un groupe ou une société humaine de créer une séparation spirituelle et/ou morale entre différents éléments qui la composent, la définissent ou la représentent (objets, actes, idées, valeurs...). La dichotomie sacré / profane ne repose sur aucun fondement étymologique.

Sacré signifie étymologiquement un objet de culte qui peut être mythologique ou théologique c'est-à-dire religieux ou idéologique.

Est profane ce qui est situé hors du temple. Sacré et profane ont au moins en commun le fait d'être non religieux. À l'origine, le terme est utilisé dans les groupes humains basés sur l'initiation ou la révélation pour en décrire les éléments constitutifs et fondateurs, ainsi que tout ce qui leur est relié (manifestations, organisations, etc.). Par exemple, dans la plupart des religions le sacré désigne tout ce qui a trait au divin, à ses manifestations sur terre et au clergé qui organise son culte. Dans le christianisme, l'expression le sacré désigne spécialement l' Eucharistie.

Cette notion est aujourd'hui utilisée de façon plus générale dans d'autres contextes : une nation peut définir comme sacrés ses principes fondateurs ; une société peut définir comme sacrées certaines de ses valeurs ; etc. Les anthropologues contemporains disent d'ailleurs que la notion de sacré est trop floue pour pouvoir être utilisée dans l'étude des religions.

Les éléments du sacré sont généralement considérés comme intouchables : leur manipulation, même en pensée, doit obéir à certains rituels bien définis. Ne pas respecter ces règles, voire agir à leur encontre, est généralement considéré comme un péché ou un crime, réel ou symbolique : c'est ce qu'on nomme un sacrilège.

La notion du sacré tel que le conçoit Mircea Eliade (écrivain et historien roumain) ne va pas être approfondi car le caractère de ce travail ne nous le permettrait pas. Plutôt nous allons déceler les éléments relatifs au sacré africain que recèle Noces sacrées comme son titre l'indique.

Mircea Eliade étant spécialiste de l'histoire des religions et de l'étude des mythes nous intéresse, en ce sens qu'il étudie le sacré et le mythe dans son acception générale. Le sacré est le thème principal dans ce roman.

Quels sont les éléments du sacré rencontrés dans Noces sacrées ? Nous allons relever quelques uns à titre d'illustrations : « Chaque fois que je rencontrais Soret dans une de ces cases sacrées [...], il priait face au même masque, un masque humain surmonté de cornes, c'était N'tomo » (N.S. : 13).

Dans la pensée de Besnier vint une idée mais perplexe : « Je crus qu'il s'agissait du plus haut dans la hiérarchie des dieux. Je le choisis pour cible » (N.S. : 13).

Nous avons également évoqué que N'tomo vivait dans un sanctuaire et à ses côtés vivaient des dieux et des déesses. En interdiscurisivité avec la mythodologie gréco-romaine, c'est Badian qui dit : « Celui auquel vous vous êtes attaqué, N'tomo, appartient à la jeunesse. Il est ni dieu de haine, ni dieu de sang. Par certains côtés, il rappelle Dionysos » (N.S. : 27).

Souvent Besnier est près pour un blasphémateur car dans le coeur des gens, le tumulte disait : « on a violé notre sanctuaire » (N.S. : 86). Le sanctuaire étant dans ce contexte, la demeure des ancêtres, logis des dieux et des déesses. Les cibles étaient ici Besnier et sa fiancée Baune.

Sans trop nous étendre, nous disons que le thème du sacré court dans tout le roman. En quelque sorte, l'ironie de l'écrivain montre les similarités des religions (Soret qui prie devant un masque) prouvant ainsi le caractère religieux du monde romanesque peint par Badian.

2.5.2. La permanence de la tradition

« Celui qui n'entend plus la voix de ses dieux se fait surprendre par le malheur » (Bernard Dadié, Béatrice du Congo).

Cette citation de Bernard Dadié va dans le sens de ce que nous allons montrer dans ce point. En effet, Badian dans Noces sacrées montre des traits dans lesquels se manifeste la fidélité à une tradition qui, en dépit des vicissitudes de l'histoire, continue d'inspirer beaucoup d'écrivains dont le plus important est ici Seydou Badian.

Jacques Chevrier parle de Noces sacrées en ces mots pour expliquer cette permanence : « Les hommes ont su garder intacte la foi ancestrale qui leur permet d'exorciser, le moment venu, les démons de la démesure et de restaurer dans l'union sacrée l'équilibre menacée du clan » (1981 : 6).

Les différents genres qu'on trouve dans Noces sacrées  appuient la mise en récit de cette permanence de la tradition. Dans Dynamique des genres dans le Roman africain (1999), Semujanga parle des genres comme faisant l'esthétique de l'oeuvre à analyser. Il stipule : « De cette aptitude au détour des genres constitués [...] se construit la dimension esthétique du roman » (1999 : 64).

Le roman Noces sacrées n'a pas manqué à faire mention de cette permanence de la tradition où on retrouve les devins, les sorciers, le culte des ancêtres, survivants par des forces extraordinaires, ...C'est pourquoi N'tomo dont on parle beaucoup dans ce roman est « un masque humain surmonté de cornes » (N.S. : 13). Le dieu de la jeunesse, à la fois masque humain témoigne de l'union entre les hommes et les dieux. Quand on violait l'interdit en Afrique traditionnelle, les conséquences pouvaient être immédiates. Besnier est le point de cristallisation des tourments causés par N'tomo : « Je revins dans la chambre, le même phénomène : l'éclair dans ma chambre, N'tomo en face de moi. J'en conclus que j'étais intoxiqué » (N.S. : 17).

Senghor dans Chants d'ombre, (1945), a chanté l'Afrique traditionnelle et cette magnification a accouché d'un poème célèbre Prière aux masques  qui fait l'éloge des masques comme dans Noces sacrées  à cause de la valeur intrinsèquement hermétique qu'ils tenaient dans sa société : « Masques [...], vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane vous distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes Pères » (1945 : 28).

Dans le monde des dieux, Besnier ne pouvait pas retrouver sa joie manquée. Fotigui intercédera pour lui, malgré qu'il est européen :

« Prépares-toi à faire des offrandes aux âmes que tu as offensées par tes attitudes de suffisance, trouve-moi un taureau, un bouc et un coq rouge, je vais tenter d'intercéder en ta faveur » (N.S. : 81).

Besnier est même considéré comme un vaurien : « Tu sais à présent que tu n'es pas grand-chose devant nos dieux, toi qui croyais détenir par ton savoir européen la clé de tous les mystères » (N.S. : 81).

Les aspects montrant la permanence de la tradition sont très nombreux. Pour en finir, donnons à titre d'illustration cet extrait qui montre les hommes les plus puissants, intermédiaires entre les humains et les dieux : « Dounamba [...], pour sauver les hommes, a dû, sur le dos d'un animal, s'élever jusqu'aux nuées pour séduire Faro » (N.S. : 85).

La critique de l'époque coloniale s'avère très méticuleuse à l'égard des Européens : « Mais à l'ère européenne, tout est possible. On ne respecte rien. Il faut restituer aux gens leurs biens » (N.S. : 85).

Ces énoncés sont plus parlants, car les Européens ont en tous cas, selon le roman, négligé tout le sacré africain. Les exemples ont été donnés. Le fait qu'ils ne respectent rien attire immanquablement les conséquences.

Seydou Badian veut raviver la tradition dont la négligence dans l'ère coloniale ruinera la société romanesque et par là, la société réelle dans laquelle il vit. Ainsi, les événements survenus en Afrique depuis la conquête coloniale et les discours qui les prennent en charge sont naturellement très nombreux. Au christianisme, Badian oppose la magie, tout aussi puissante à son avis.

2.5.3. L'errance

Le thème de l'errance se trouve le plus dans la mythologie grecque où un personnage ayant désobéi aux dieux est puni à errer infiniment dans la nature. C'est le châtiment qui se classe parmi les plus terribles que les dieux pouvaient donner. Nous avons aussi évoqué par analogie le Dionysos grec. Raymond Trousson nous explique ainsi : « [...] les thèmes sont bien autre chose que de simples sujets malléables et transformables à merci » (1981 : 79).

Il n'est pas alors étonnant qu'on retrouve ce thème dans la littérature africaine. Autant qu'Ulysse errait pour regagner son île d'Ithaque, autant Besnier errait de Marseille à Londres pour s'échapper de N'tomo mais en vain. Voyons d'autres exemples dans le roman :

« Ils jouaient leur dernière chance. Après elle le néant. Le Docteur était hanté par ce néant, ce qui rendait indifférent à ce déploiement de couleurs auquel la nature jouait sous leurs yeux. » (N.S. : 117).

Alors que tout devient « néant », Besnier erre de façon très sporadique pour retrouver la paix. Le voici en France :

« Il s'agit d'un masque sacré qu'il avait ramené d'Afrique, un dieu : N'tomo. Depuis, Besnier a connu certains phénomènes étranges. Il s'en est ouvert à moi le lendemain de son arrivée à Marseille » (N.S. : 36).

Dans son errance, les tourments venant de N'tomo le poursuivent. Besnier trouve en face de lui des visages d'hommes et de femmes qui lui parlent :

« Rictus, sourires amers, grimaces de douleur et de dérision, rires cruels. Je me sentis pris dans un univers, au milieu d'une foule, qui criait, parlait, riait, pleurait, et chaque mot, chaque cri, résonnait en moi, retentissait autour de moi avec une sonorité d'angoisse» (N.S. : 32).

Les tourments de N'tomo transportèrent Besnier, l'anti-héros, à Londres. Dans cette littérature mythique  l'auteur développe un cosmos où l'on nomme par l'humain le naturel et le surnaturel qui se livrent à une vaste et minutieuse partie d'échanges et de métamorphoses.

Michel Zéraffa le dit en ces mots :

« La pensée mythique n'oppose pas les dieux aux hommes. Elle divinise l'humain et humanise le divin. Elle fait d'une divinité le double supérieur de l'homme et symétriquement de l'animal ou du végétal les doubles inférieurs de l'humain » (1971 : 91).

C'est dans cet univers que Badian conçoit ses personnages. L'errance de l'anti-héros, Besnier, rappelle en évidence la mythologie grecque.

2.5.4. La pénitence et la problématique du pardon

Ce thème traverse toutes les mythologies qu'on lit en Littérature. Quand Prométhée était enchaîné, il restait le pardon des dieux offensés desquels il avait pris du feu. Mais son coeur se régénérait. C'est aussi l'exemple du mythe juif où Ahasvérus est puni à errer indéfiniment.

Ailleurs en Afrique occidentale, certaines cérémonies pouvaient amener à la repentance le condamné. L'on citera en exemple la libation qui se pratiquait au Sénégal.

Besnier finit par reconnaître sa faute et se repent devant les dieux offensés tout en remettant N'tomo à ses fidèles. Ceci, se faisant par l'intermédiaire des hommes doués de la puissance d'intercéder pour d'autres hommes auprès des divinités.

Fotigui occupe la première place : « Deux hommes seulement sont au sixième sommet, un seul au septième : Fotigui.» (N.S. : 145).

Après l'intercession, Doumbia dit au Docteur blanc : « Votre ami Besnier est libéré, mais son monde ne le reverra plus » (N.S. : 146).

Le pardon est accordé, mais la condition est qu'il ne reverra plus les siens. Il est [Besnier] seulement exempté des tourments de N'tomo. Comme les dieux grecs, les dieux africains ne punissent pas pour punir ; ils amènent les gens à la repentance, le purgatoire, par quelque châtiment. Ainsi, le thème reste-t-il « un élément sémantique qui se répète à travers un texte ou ensemble de textes.» (Delcroix et Hallyn : 1987 : 96). Le thème est, dans son acception la plus générale, appuyée par le motif qui est au fond de tout thème.

2.6. Conclusion partielle

L'analyse littéraire de l'oeuvre de Badian Noces sacrées  n'est pas l'une des plus aisées à faire, car le héros est un dieu, un masque : N'tomo. Le parcours narratif de N'tomo entouré des actants, (des adjuvants) et des opposants montre que l'objet de valeur est le « respect » du sacré africain.

Dans tout le roman, N'tomo enlevé ne parle que par des miracles et des tourments imposés à son offenseur. Avec une ironie aiguë, Badian montre que les dieux africains sont aussi puissants. Par là, le mythe sur le Noir vient d'être détruit par cette histoire romanesque.

Mais à propos des thèmes du roman Noces sacrées, nous n'en avons relevé que les plus importants, par analogie, qui nous transportent dans le monde entier et surtout dans la mythologie grecque. Le sacré, la tradition, l'errance (mythique) et la pénitence sont autant de thèmes majeurs de Noces sacrées. C'est Zéraffa qui nous renseigne que : « Lire un roman, c'est toujours aller ailleurs, voyager. Voyage qui est exploration et conquête du monde » (1971 : 51).

A remarquer aussi que le roman Noces sacrées  puise beaucoup dans les mythes, devons-nous le dire ; car du début à la fin, le roman devient tributaire des mythes africains et grecs.

« L'histoire y semble moins conçu comme un moyen d'expliquer le présent que comme un signifiant mythique. Elle tient lieu de culte des ancêtres et de tradition sacrée dans un monde en perpétuel changement » (Semujanga, 1999 : 48).

Ce sont ces mots de Semujanga qui expliquent le mieux la thématique du roman Noces sacrées.

CHAPITRE III. DE LA TRADITION A LA MODERNITE : LES SCHEMAS MANICHEENS DANS NOCES SACREES 

3.1 Introduction

La tradition est définie comme transmission par la parole des faits historiques, de coutumes, de légendes de génération en génération. La notion de tradition renvoie d'abord à l'idée d'une position et d'un mouvement dans le temps. La tradition serait donc un fait de permanence du passé dans le présent, tandis que la modernité est avant tout le projet d'imposer la raison comme norme transcendantale à la société.

La modernité est un mode de reproduction de la société basée sur la dimension politique et institutionnelle de ses mécanismes de régulation par opposition à la tradition dont le mode de reproduction d'ensemble et le sens des actions qui y sont accomplies est régulé par des dimensions culturelles et symboliques particulières. La modernité est un changement ontologique du mode de régulation de la reproduction sociale basée sur une transformation du sens temporel de la légitimité. L'avenir dans la modernité remplace le passé et rationalise le jugement de l'action associée aux hommes. La modernité est la possibilité politique réflexive de changer les règles du jeu de la vie sociale.

En construisant son roman sur les schémas discursifs manichéens, Badian s'est servi du monde magique pour parler du « mal »  qui est venu évincer le « bien » africain. Le merveilleux, l'onirique, les animaux magiques courent dans tout le roman.

Comme l'a dit José Wane Badika dans Sectes, Cultures et Sociétés (1994) : « Les africains sont des "indociles'' dans la mesure où ils demeurent fidèles, voire trop fidèles à l'égard de leur tradition spirituelle » (1994 : 557). Cette phrase montre combien les Africains demeurent conservateurs de leur tradition spirituelle.

C'est de prime abord Josias Semujanga qui a peint la situation manichéenne dans le roman de Sembène comme étant « une écriture qui raconte l'histoire vraie en opposant le bien au mal et le héros à l'antihéros » (2006 : 33). Ceci a été fait mention lors du chapitre concernant l'analyse. Comment alors se présente ce manichéisme dans Noces sacrées ? C'est le dessein dans lequel s'inscrit ce mémoire.

3.2. Diachronie du manichéisme

En parlant de cette diachronie, il est bon de dire en bref que le manichéisme est une religion de Mani fondée sur un strict dualisme opposant les principes du bien et du mal. Le manichéisme fut une religion missionnaire rivale du christianisme jusqu'au Moyen-Âge et son influence se fit sentir chez les bogomiles et les cathares.

La doctrine fondamentale du manichéisme est sa division dualiste de l'Univers, divisé en royaumes du bien et du mal : le royaume de lumière (esprit), où règne Dieu, et le royaume des ténèbres (matière), où règne Satan.

Ainsi, le manichéisme a été considéré comme une conception qui divise toute chose en deux parties, dont l'une est considérée toute entière avec faveur et l'autre rejetée sans nuance.

C'est d'ici que partit le manichéisme romanesque à partir de cette philosophie répandue en Perse. Le narrateur continue en déconstruisant sur le plan narratif le savoir européen qui se méfie du savoir africain.

3.2.1. Le manichéisme romanesque

Après cette conception purement religieuse, la critique s'est emparée du vocable de manichéisme pour l'appliquer au roman. Depuis lors, beaucoup de romans africains dont Noces sacrées peuvent porter ce sceau en ce qu'il dénonce « le mal» importé par l'Occident et « le bien » à magnifier, le passé africain et sa richesse.

Maurice Bruézière, parlant de ces deux forces contradictoires mais unies en manichéismes discursif, dit :

« Il vit dans notre coeur. Il vit dans le ciel... Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : Le bien et le mal. Il brille au Paradis. Il brûle à l'enfer. Il est douceur et torture». (1976 :337).

3.3. Le tragique passage de la tradition a la modernité

« Il s'en suit une littérature à la fois tragique et comique où les motifs du monde qui s'effondre [...] ou du pleurer-rire [...] s'interpellent, en de multitudes variantes, d'un bout à l'autre du continent » (Denise Coussy).

Comme Denise Coussy que nous venons de citer l'a expliqué dans son paratexte sur La littérature africaine moderne au sud du Sahara (2000), la littérature jaillit par une certaine célébration et une dérision où les lieux et les gens tentent de fonctionner en symbiose entre sacré et profane.

On remarque alors le passage tragique de la tradition à la modernité dans Noces sacrées. Cette dualité affecte évidement le verbe et on voit de plus en plus le classicisme bien tempéré des premières oeuvres s'imprégner de la vivacité de l'expression populaire moderne mais aussi des complexités du discours littéraire actuel.

Selon Coussy, il existe des « jeux de miroir (qui) autorisent l'Afrique à donner enfin d'elle même l'image complexe mais cohérente qui lui a été si longtemps dénié» (2000 : 21).

Badian a, dans son roman Noces sacrées, fait subtilement un retour sur le passé pour tenter de comprendre les causes de l'anomie actuelle qui se fait remarquer dans sa société.

Dans les temps reculés, la forêt était le lieu sacré par excellence, celui de l'initiation, des noces sacrées chères à Seydou Badian. Dans tout le roman, on remarque que c'est dans la forêt que les jeunes apprennent à survivre et c'est là qu'on leur transmet les règles et les interdits de la chasse mais aussi les mystères des plantes et des herbes.

Le tragique se trouve à ce niveau, car après la perte de ces lieux chers, le drame est grandissant. C'est pourquoi on lit dans Noces sacrées : « On a violé notre sanctuaire ? [...] Manque de sérieux, manque de vigilance peu soucieux des traditions » (NS : 86).

Plus l'ère coloniale affiche un mépris pour la tradition, plus les conséquences sont nombreuses. Dans la nature désacralisée, les animaux miraculeux sont aussi nombreux : « Mademoiselle Baune souleva un sac sous le lavabo et découvrit un gros serpent noir avec des reflets métalliques». (NS : 108).

Baune s'écria « c'est étrange » (NS, 108). Souvent le malheur se prédisait par les animaux de la nature. Besnier fut aussi la cible: « Perdreaux, tourterelles et engoulevents s'envolaient devant eux pour se poser plus loin, toujours sur le chemin » (NS : 116). En fait, le lieu sacré est violé dans le roman Noces sacrées.

Sans toutefois expliquer et citer tous les extraits, où les animaux prennent place dans le roman, nous pouvons dire que les tourments de Besnier sont représentés par les animaux qui saccagent tous les lieux que fréquente l'anti-héros après avoir commis un sacrilège contre les dieux en enlevant N'tomo.

C'est dans cette ligne que Jacques Chevrier écrit à propos des romans de Seydou Badian : 

« Il n'en va malheureusement pas de même dans la ville, contrepoint de la brousse, où les personnages de Seydou Badian [...] découvrent avec stupéfaction un monde dans lequel le mensonge, la tricherie [...] semblent avoir définitivement supplanté les vertus traditionnelles» (1981 :6).

Où se situe alors le drame dans tout cela ? Le drame est que, avec la désacralisation du sacré, et la violation des interdits, les Africains sont arrivés à des drames dus aux interdits violés. Ceci c'est évidement dans le cadre de l'analogie avec d'autres oeuvres qui complètent cette désacralisation. Le tabou déjà violé, les guerres fratricides, tribales et interétatiques étaient possibles. C'est ce qu'ont décrit beaucoup de romans africains comme Ville cruelle de Mongo Beti, Un poème dans la poche, un fusil dans main de Emmanuel Dongala, ...

D'une part, il y a des romans qui parlent des heurts et des drames de la vie coloniale, d'une autre, les révoltes se dressent contre les régimes dictatoriaux qui ont tété sur le sein des Blancs et qui n'avaient plus le sens du sacré. C'est à ce niveau que le passage de la tradition à la modernité a été tragique. Ainsi, la violation du sacré a été une base pour le tragique peint dans beaucoup de romans africains. Et dans Noces sacrées, Jules a subi les coups de ce drame: «Jules s'est suicidé» (N.S.:138).

3.4. La négation du sacré

Après avoir étudié comment la négation du sacré africain a conduit au drame, il convient de voir les concrétions discursives dans ce domaine qu'on trouve dans le roman. Dans la peinture de ce sacré, Badian, veut faire office de remparts contre la dérive sociale dans cette « anomie rampante qui affecte le monde africain» (Coussy 2000 :37).

3.4.1. Les concrétions discursives

Pour mettre le travail dans le bain de la sociocritique tout au long de son avancement, il nous est important de déceler les segments discursifs énonçant un lieu commun isolable du tissu narratif pour montrer la négation du sacré dans Noces sacrées.

Delcroix et Hallyn l'expliquent comme suit :

« C'est ici le lieu d'affirmer que la lecture sociocritique, si elle veut revendiquer le droit à la proposition, à la proposition généralisatrice, doit acquitter le prix de cette ambition, par une attention minutieuse portée au détail » (1987 :297).

Beaucoup de détails discursifs font, dans Noces sacrées, objet de dénaturation du sacré africain. Les personnages européens l'expriment mieux. Besnier ne se dérangeait pas devant la puissance des dieux : « je décidai que mon boy ou, quelque autre garnement me faisant une force. Je me mis au lit. Infernal bruit de vaisselle. Je ne me dérangeai pas ». (N.S. : 18).

Aux « Zeus » ou «Jupiter» africains, « N'tomo » au sommet de la hiérarchie des dieux », (N.S. : 27), Besnier substitue ses chefs européens : « Mais finie l'Afrique noire ! [...]. Mes patrons étaient puissants». (N.S.: 20).

La banalisation s'en suit : « Il n'a pu résister à la tentation de vouloir révéler ce qu'il avait appris. Il a péri. Comment? De la manière la plus banale» (N.S.: 21).

S'étant mis à l'écart par rapport aux lieux d'initiation, que possède l'Afrique, Besnier s'approche de la ville, lieu de vie européenne, mais la négation du sacré africain le poursuit : 

« A Paris, mon séjour fut bref cette année là. Six mois pendant lesquels j'organisai mon travail, me familiarisai avec les milieux qui m'intéressaient : banques, bureaux d'études [...] on voulait peut être me faire oublier » (N.S. : pp. 27-28).

Sur ce point, Noces sacrées  veut décoloniser l'esprit africain harcelé par rapport à l'européen en matière de déculturation avec tout ce qu'elle comporte de mal.

3.4.2. Le discours antagonique : Le bien et le mal

Les récits construits sur un schéma manichéen renferment ce discours dit antagonique. La société est la source de ce qui est écrit dans une oeuvre romanesque.

C'est en fait Droga-Bada qui le dit mieux : « [...] Personne ne met en doute aujourd'hui, que l'oeuvre d'art plonge ses racines dans la société ambiante». (1977, p.84).

L'ambiance du roman montre le mal qui a été introduit par Besnier avec la violation de ce qui fait réellement l'être profond de la société romanesque : le sacré. En fait, Besnier n'a pas seulement provoqué la colère des hommes, mais aussi celle des dieux.

Il y a donc l'antagonisme discursif entre deux mondes culturellement opposés. Au moment où les autres respectent leur sacré, Besnier « rien ne le surprenait [...]. Plusieurs générations étaient nécessaires pour vaincre cette mentalité». (NS : 72). Du côté de la société locale, « Le vieux [...] s'en prenait plutôt à l'école européenne qu'il accusait de dénaturer les enfants» (N.S. : 80).

Dans l'ironie aiguë, l'auteur écrit : « Mais à l'ère européenne, tout est possible. On ne respecte rien. Il faut restituer aux gens leur bien» (NS : 85).

Ainsi, Badian, en ôtant le voile de honte jeté sur l'Afrique traditionnelle par l'Occident, se place « dans le sillon de la réhabilitation des nos valeurs ancestrales » (Dailly, 1970 :179).

Malheureusement, l'anti-héros Besnier parmi d'autres actants « s'était bien gardé d'afficher le moindre optimisme » (NS : 87). Pour lui, avec le respect de la tradition africaine, tout irait mal, si nous restons optimistes.

3.5. L'intensité du tragique dans Noces sacrées 

3.5.1. La perte du non-être

Outre son élasticité sémantique, qui lui permet de coiffer des segments discursifs disparates, le roman Noces sacrées souligne la dimension psychique de l'anti-héros (Besnier) que la narration fait découvrir derrière les gestes habituels et les clichés qu'elle inventorie.

Ariès cité par Delcroix et Hallyn (1987 : 254) l'exprime comme ceci :

« Les grandes dérives qui entraînent les mentalités [...] dépendent de moteurs [...] secrets [...] enfouis à la limite du biologique et du culturel, c'est-à-dire de l'inconscient collectif. Il anime des forces psychiques élémentaires qui sont conscience de soi, désir d'être plus, ou au contraire sens du destin collectif, sociabilité, etc. ».

« La colère le gagnait, puis l'indignation. Son esprit errait de Mademoiselle Baune au commandant, de Besnier à N'tomo ». (NS : 96). Il s'agit ici des tribulations étranges. Pour Besnier il s'agissait de « Marcher hier et ramper aujourd'hui » (N.S. : 104), signe de dégradation vitale.

L'extrait suivant nous met dans la voie psychique que traverse Besnier : « Celui qui a arraché N'tomo de sa demeure a perdu tout ce qu'il croyait être les voies d'un plus-être. Il n'a plus rien [...] Bientôt il périra et la malédiction suivra sa famille » (N.S. : 127).

A travers ce point, l'on remarque que les gens de la société fictionnelle de Noces sacrées ont un manque à combler par un sourire porté sur le sérieux de son existence, des dieux,.... D'où, comme en Grèce, les dieux punissent gravement ses offenseurs.

L'écriture de Noces sacrées opère par un recyclage de toutes les informations pour créer sa propre iconographie du personnage multiforme qui est N'tomo à des qualités supra-humaines. Par là, se lit le paradigme de son penchant surnaturel à abonder dans le sens traditionnel de l'Afrique. C'est le seul pari pour l'armement mystique en Afrique. Mais on y voit le décryptage de l'allusion au réel qui a son socle dans le surnaturel africain.

3.5.2. La colère des dieux et des déesses

Noces sacrées oppose sur un schéma manichéen deux mondes radicalement opposés. Le sanctuaire des dieux et le monde urbain. Nous parlons du sanctuaire des dieux parce que, dans toute l'Afrique traditionnelle, les dieux vivaient en symbiose avec les humains et les cultes secrets les rapprochaient perpétuellement des ancêtres du monde abyssal4(*).

Le malaise touche aussi les dieux et les déesses car « les dieux morts sont puissants, un dieu ne vit ni ne meurt » (NS : 135). Et « Dounamba (du Kouroulami) [...] pour sauver les hommes, a dû, sur le dos d'un animal, s'élever jusqu'aux nuées pour séduire Faro, la déesse en colère » (N.S. : 85).

Noces sacrées peint donc le malaise de l'Africain face à la vie moderne. Il explore la vie africaine, dans sa société où la juxtaposition des cultures est de rigueur, dans toute son extrême complexité : « L'imaginaire flotte au réel ». Les traditions de l'Afrique naissent du conflit qui oppose la vieille Afrique à la nouvelle » (Dailly, 1977 : 33).

A la lumière de cette assertion de Dailly, il s'avère indispensable de reconnaître que les écrivains modernes n'ont pas entièrement rompu avec nos traditions ancestrales.

3.6. La recherche du paradis perdu

Dans la saison d'anomie, Besnier est dans le chancre de la dégradation spirituelle, ce qui l'amène à la recherche du paradis perdu. La punition est éternelle. Comme Orphée qui a voulu pénétrer la vie des enfers et le secret de son amante Eurydice aux enfers, Besnier lui aussi tombe dans cette ambiance du mythe de la connaissance. Ayant échoué, il est à la recherche du paradis perdu, alors que les dieux ne lui en donneront jamais la garantie.

Ce titre de Marcel Proust que nous avons même reproduit, évoque cet emblème mythique qui ne se retrouve jamais. C'est maintenant que Besnier se rend compte de son tort, de son mal. En face des Africains, il commit un tort grave en ignorant que les dieux sont le patrimoine culturel marqué pour un Africain. C'est cette réification dans le commun, qui a causé des fléaux encore présents en Afrique.

Comment est-ce que Besnier recherche son paradis perdu ? Lui-même le stipule : « je souffrais, réduit à mes dimensions. Je n'étais plus libre. J'étais en quarantaine parmi mes collègues » (N.S. : 30).

Besnier devient aussi comme un Africain. Les malheurs qui l'accablent l'obligent à « consulter quelques grands Maîtres dont Fotigui » (N.S. : 140). Pour retrouver son paradis perdu, Fotigui lui conseille : « Retourne N'tomo, apaise les dieux et quitte le pays. Si N'tomo ne revient pas malheur à toi, tu perdras l'esprit » (N.S. : 140).

L'extrait suivant résume la complication de la vie de Besnier qui sert de leçon aux destinataires européens : « Malheur à toi [...], tu perdras d'abord les esprits, la vie ensuite » (N.S. : 140). Besnier a compris qu'il n'est pas possible de tromper les dieux en détournant le malheur sur les autres : « D'ailleurs comme il y avait toujours quelqu'un dans la case où se trouvait N'tomo, votre ami Besnier ou sa fiancée, Monsieur Jules comprit qu'il pouvait réussir ce qu'il voulait » (N.S. : 141).

Il conçut alors, en dépit des mises en garde, l'idée d'éliminer Besnier. Il a cherché à agir par personnes interposées : « [...] le gardien Nantouma, le commandant ou les domestiques. Il croyait ainsi détourner la malédiction vers un de ceux- là. Malheureusement pour lui, on ne peut pas tromper les dieux » (N.S. : 141).

Une note de pessimisme pour Besnier marque sa recherche problématique du paradis perdu : 

« Chacun y vient par ses propres voies, j'allais dire par ses propres moyens. Votre ami Besnier [colonial] y est venu en jouant ...Je serai heureux [...] de vous revoir lorsqu'ils vous enseigneront les lieux qui existent entre le destin de l'homme et les jours» (N.S. : 143).

Bref, Besnier est victime avec Jules, d'un monde qu'ils ont rendu eux-mêmes problématique. C'est dans cette même perspective du manichéisme narratif adopté par Badian (consciemment ou inconsciemment) que Delcroix et Hallyn, disent en opposant le moderne et le traditionnel magnifié : « Nous risquerions plus d'une fois d'antidater le monde moderne ; le prix des textes est de nous faire assister de très près à sa genèse » (1987 : 265).

Dans tout ceci, c'est l'observation attentive et méthodique de ce que l'on peut appeler « société du texte » qui nous sert à déceler les éléments prouvant la recherche du temps perdu. La société du texte où vit Besnier nous aide également à faire une investigation psychocritique des protagonistes.

3.7. Conclusion partielle

Deux aspects majeurs résument ce chapitre qui est le plus important de notre travail. Le roman Noces sacrées veut d'abord restaurer les valeurs traditionnelles anéanties par l'ère coloniale dont les vices sont multiples.

Ensuite, il montre l'instauration d'une esthétique du refus contre les valeurs occidentales, tout cela autour d'un schéma manichéen opposant le bien (africain) et le mal (européen). Les concrétions discursives ont montré que la négation du sacré africain a conduit au drame à tous les niveaux : psychologique, psychique, physique...Ainsi, se fait voir le discours antagonique qui montre le combat acharné entre les valeurs occidentales et les valeurs africaines. Noces sacrées par un détournement subtil, veut endiguer cette invasion et montre le drame qui s'abat sur l'anti-héros. Il fait ainsi revivre le monde traditionnel avec ses dieux et déesses qui interviennent dans cette lutte axiologique.

La biographie non officielle entérine aussi dans Noces sacrées l'hypothèse de la misère du monde moderne et évoque sa précarité et même son incertitude vis-à-vis du monde heureux auquel aspire le héros et les autres protagonistes. Seydou Badian procède aussi par l'échafaudage de tout le mythe du sacré traditionnel qui reste le prototype (N'tomo) de la fétichisation en Afrique.

CONCLUSION GENERALE

Il serait une présomption de dire que cette étude a touché tous les coins nécessaires que l'analyse critique de cette oeuvre Noces sacrées peut permettre. La raison est que notre sujet était essentiellement limité à l'étude du manichéisme discursif en passant par les avatars du passage souvent dramatique de la tradition à la modernité.

Pour y arriver, nous avons d'abord procédé à l'explication de la méthode sociocritique comme outil d'analyse littéraire. Ce premier chapitre nous a aidé à montrer que toute oeuvre littéraire est ancrée dans la société qui lui a donné naissance. C'est pourquoi avec Delcroix et Hallyn « la socialité du littéraire s'est de plus en plus mesurée d'après un matériau déjà textualisé, de caractère symbolique ou sémantique » (1987 : 294). Par différents théoriciens de la sociocritique, nous avons montré qu'une connaissance de la formation sociale impliquée par les oeuvres est le préalable à toute démarche explicative.

Ensuite, nous avons passé à l'analyse littéraire de Noces sacrées comme une oeuvre faisant partie du thésaurus des textes de la littérature mondiale. Le parcours narratif de N'tomo a montré qu'il est un héros exceptionnel, « un héros fétiche » qui conduit souverainement toutes les principales actions du roman. Il impose des tourments à son offenseur et le châtiment devient tout éternel.

L'étude de temps est de l'espace a été plus importante, car elle a montré que l'inscription des références aux éléments esthétiques de l'oralité et leur mise en narration romanesque constitue des éléments constitutifs de la conservation de la tradition africaine.

Au niveau des thèmes, la trans-culture montre que Badian puise dans le mythe grec pour écrire son roman. Les thèmes du sacré et la permanence de la tradition en général restent les plus importants.

Avec cette analyse, il a été aussi montré que «toute science véritable doit être un secret » comme le dit Djibril Tamsir Niane dans son Epopée mandingue. Tout cela constituait le propos du deuxième chapitre.

Le troisième chapitre a été le plus important, car toutes les analyses précédentes devaient déboucher à l'analyse du manichéisme discursif dans Noces sacrées. Nous avons d'abord montré que la notion de manichéisme a été d'abord du domaine religieux surtout chez les Perses et était une philosophie qui opposait le bien et le mal comme deux forces régissant le monde. C'est par après que la critique littéraire s'est emparée du terme. Dans une ironie aiguë, nous avons montrée avec les concrétions discursives, que les discours antagoniques courent dans tout le roman.

Toute la société du roman est composée des êtres différents : les dieux, les déesses, les humains, les ancêtres qui font fantastiquement irruption dans la vie courante et veulent tout faire pour que le patrimoine culturel soit retrouvé. Noces sacrées est donc construit autour d'un schéma manichéen qui oppose, de façon directe ou détournée sous l'ironie et l'humour, l'Europe et l'Afrique, la tradition et la modernité, le bien (africain) et le mal (colonial).

Par ici, nous avons atteint notre objectif et vérifié nos hypothèses avec ce point final du manichéisme discursif ancré dans la narration soit ultérieure, soit postérieure dans la pleine culture africaine menacée par la culture occidentale.

BIBLIOGRAPHIE

I. CORPUS

1. BADIAN, Seydou (1977) Noces sacrées, Paris, Présence africaine.

II. OEUVRES CRITIQUES ET OUVRAGES GENERAUX

1. ANGENOT, Marc (1989), Théorie littéraire, Paris, PUF.

2. BAKHTINE, Mikhaïl (1978), Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard.

3. BARTHES, Roland (1964), Essais critiques, critiques, Paris, Seuil.

4. BATAILLE, Georges (1976), Le bleu du ciel, Paris, Edition 10/8.

5. BAZIE, Isaac (2003), « Ecritures de violence et contraintes de la réception ; Allah n'est pas obligé dans les critiques journalistiques française et québécoise », Présence francophone, n° 61, 2003, p 90.

6. BERGER, Daniel et al (1999), Introduction aux méthodes critiques pour l'analyse littéraire, Paris, Dunod.

7. BHÊLY-QUENUM, Olympe (1979), Un piège sans fin, Paris, Présence africaine.

8. BRUEZIÈRE, Maurice (1976), Histoire descriptive de la littérature contemporaine, Paris, Bergez Levrault.

9. CHEVRIER, Jacques (1990), Littérature, histoire et grands thèmes, Paris, Hatier.

10. CHEVRIER, Jacques (1984), Littérature nègre, Paris, Arman colin

11. COUSSY, Denise (2000), La littérature africaine moderne au sud du Sahara, Paris, Karthala.

12. CROS, Edmond (2003), La sociocritique, Paris, L'Harmattan

13. CROS, Edmond (1983) Théorie et pratique sociocritiques, Editions sociales, CERS.

14. DAILLY, Christophe (1977) « Vers une réévaluation idéologique de la littérature négro-africaine » Revue de littérature et d'esthétique négro-africaine, Abidjan, NEA.

15. DELCROIX, Maurice et HALLYN, Fernand (1987), Introduction aux études littéraires, méthodes du texte, Paris, Duculot.

16. ELIADE, Mircea (1957), Le sacré et le profane, Paris, Gallimard.

17. ECO, Umberto (1976), A theory of semiotics, Bloomington, Indian University Press.

18. FONKOUA, Romuald et HALEN, Pierre (2001), Les champs littéraires africains, Paris, Karthala.

19. GARDES-TAMINE, Joëlle (1992), La stylistique, Paris, Arman colin

20. GENETTE, Girard (1969), Figures II, Paris, Seuil.

21. GEORGES, Jean (1971), Le roman, Paris, Seuil.

22. GOLDMANN, Lucien (1964), Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard.

23. GOLDMANN, Lucien (1955), Le Dieu caché, Paris, Seuil.

24. GREIMAS, A.J (1986), La sémantique structurale, Paris, PUF.

25. HAZARD, Paul (1961), La crise de la conscience européenne, Paris, Fayard.

26. KANE, Mohamadou (1993), Des textes oraux au roman moderne. Etude sur les avatars de la tradition orale dans le roman ouest africain, Frankfurt, Verlaf Fur interkurturelle Kommunikation.

27. KANE, Mohamadou (1982), Roman Africain et tradition, Abidjan Dakar, NEA.

28. LABOU TANSI, Sony (1980), Les yeux du volcan, Paris, Hatier.

29. LARONDE, Michel (1996) L'écriture décentré, Paris, l'Harmattan.

30. LAYE, Camara (1954), Le regard du roi, Paris, Plon.

31. LEJEUNE, Philippe (1971), L'autobiographie en France, Paris, Armand colin.

32. LUKACS, Georges (1964), Le roman historique, Paris, Gallimard.

33. MAURON, Charles (1962), Des métamorphoses obsédantes au mythe personnel, Paris, corti.

34. MITTERAND, Henri (1980), Le discours du roman, Paris, PUF.

35. MOURALIS, Bernard (1993), L'Europe, l'Afrique et la folie, Paris, Présence africaine.

36. POUILLON, Jean (1946), Temps et roman, Paris, Gallimard.

37. RICOEUR, Paul (1975), La métaphore vive, Paris, Seuil.

38. SEDAR, SENGHOR, Léopold (1945), Chants d'ombre, Paris, Seuil.

39. SEMUJANGA, Josias (1999), Dynamique des genres dans le roman africain. Eléments de poétique transculturelle, Paris, l'Harmattan.

40. SEMUJANGA, Josias (1996), « Rhétorique de la critique littérature africaine » Tangence 51 :81-97.

41. SOYINKA, Wole (1986), Que ce passé parle à son présent, Paris, Belfond.

42. TODOROV, Tzvetan (1978), Poétique de la prose, Paris, Seuil.

43. TODOROV, Tzvetan (1970), Introduction à la littérature fantastique, Paris Seuil.

44. TROUSSON, Raymond (1981), Thèmes et mythes, Editions de l'Université de Bruxelles.

45. VAN TIEGHEM, Paul (1931), La littérature comparée, Paris, Armand colin.

46. WELLEX, René et WARREN, Justin (1971) La théorie littéraire, Paris, Seuil.

47. ZERAFFA, Michel (1971), Roman et société, Paris, PUF.

48. ZIMA, Pierre (1985), Manuel de sociocritique, Paris, Picard.

III. ARTICLES DE REVUES

1. DROGA-BADA, Emmanuel (1977), « Okonkwo ou la volonté d'un destin exemplaire » Revue de littérature et d'esthétique négro-africaine, Abidjan, NEA.

2. DUCHET, Claude (1976), « Introduction : socio-criticism », Sub-Stance, n° 15, Madison, 1976, p. 4.

IV. MEMOIRES

1. HABYARIMANA, Jean Paul (2006), Le roman comme investissement moral. Approche sociocritique de l'immoraliste d'André Gide, Butare, mémoire.

2. NSENGIYUMVA, Athanase (2006), Entre les eaux de Valentin Yves Mudimbé ou la tentation polyphonique de l'écriture romanesque, Butare, mémoire.

V. DICTIONNAIRES

1. Dictionnaire Larousse, 2001

2. Dictionnaire Robert, Paris, 1995.

3. GARDES-TAMINE, Joëlle (1996), Dictionnaire de critique littéraire, Paris, Armand Colin.

4. VAN GORP, Hendrik (2005), Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion.

VI. REFERENCES ELECTRONIQUES

www.mmsh.univ-aix.fr/iea/Clio/NUMERO/13/ANNEXES.pdf consulté le 06/10/2007

www.grioo.com/forum/viewtopic.php?t=5404.start=80 consulté le 09/10/2007

http://fr.allafrica.com/arts/ consulté le 09/10/2007

http://fr.allafrica.com.stories/200710051042.html consulté le 09/10/2007

http://fr.encarta.msm.com Consulté le 09/10/2007

http://revel.unice.fr/cnarra/document.html?id=24 consulté le 09/10/2007

http://www.mmsh.univ_aix.fr/iea/clio/numero/13/partie2.html consulté le 09/10/2007

* 1 http://fr.allafrica.com.stories/200710051042.html consulté le 09/10/2007

* 2 Isaac Bazié, « Ecritures de violence et contraintes de la réception : Allah n'est pas obligé dans les critiques journalistiques françaises et québécoises » n° 61, 2003, p. 90.

* 3 Nous le faisons par allusion à la mythologie grecque.

* 4 Monde des morts.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984