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Une gestion des terres conflictuelle: du monopole foncier de l'état à  la gestion locale des Mongo (territoire de Basankusu, République Démocratique du Congo).

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par Ulysse BOURGEOIS
Université d'Orléans - Maà®trise de géographie 2009
  

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Proverbes Mongo

La région où vit le peuple Mongo est essentiellement forestière. Pour donner un aperçu de la superficie forestière, prenons le cas de l'aire Maringa-Lopori-Wamba. Cet espace est composé de près de 93,5% de forêts. Il est important de préciser que cette aire a été délimitée car elle comporte de très nombreuses forêts. Il est donc nécessaire de comprendre et d'analyser les rapports de propriété en zone forestière dans le mesure où la forêt couvre quasiment tout l'espace. Il va donc exister des rapports très forts à la forêt car c'est un espace vécu, et plus que nécessaire à la survie des populations. La pauvreté de la région étant forte, la forêt, de part la « gratuité » de ses services tient une place considérable pour les populations. Parler de rapports très forts part d'un postulat, qui s'explique par le fait que les populations vivent, non pas seulement dans les zones rurales, mais également en zone forestière, et que la forêt influence les modes de vies, les activités, etc.

Plusieurs interrogations apparaissent :

§ Comment s'organisent les rapports de propriété forestière ?

§ Comment s'organisent les rapports fonciers, ainsi que les rapports entre les populations ?

§ Quel est l'attachement à la forêt ?

En effet, en observant les photographies aériennes ou satellites de la forêt de manière très brève, on peut conclure qu'elle est « vierge » (non-habitée et non-exploitée par l'homme). Les activités et le peuplement humain semblent très concentrés en certains points : le long des routes, autour de pôles urbains.

Ce constat est aussi celui de l'Etat en RDC. Le droit foncier parle de terres vacantes. Comme cela a été précisé dans la Partie I, cette enquête qui comporte des volets d'ordre socio-économique vise à connaître les utilisations du territoire concerné. L'Etat étant le propriétaire de la majeure partie des terres qui se trouvent sur son territoire, des jeux d'échelles vont donc avoir lieu, et ils ne sont ni simples, ni paisibles. Ce problème n'est pas nouveau, et la propriété des forêts est depuis longtemps un enjeu important, emprunt de conflits d'usages.

Voyons cela dans l'histoire récente. Récente car il n'y pas de sources disponibles dans la littérature avant la présence belge dans le bassin du Congo. Prenons comme exemple les travaux du père missionnaire Edmond Boelaert. Celui-ci fut un ardent défenseur des populations indigènes pendant les années cinquante, notamment par l'intermédiaire de la Commission pour la Protection des Indigènes 66(*). Cette analyse va porter sur l'Enquête menée par BOELAERT en 1954 sur la propriété foncière chez les Mongo dans le contexte colonial. Cette enquête comprend 45 entretiens réalisés par le père Boelaert, repris et édités par Honoré Vinck, l'actuel directeur de annales Aequatoria.

Les annales Aequatoria sont les publications du Centre Aequatoria, un Centre de Recherches Culturelles Africanistes. Leur domaine est très varié : on y pratique l' « étude des langues, des cultures et de l'histoire (pré-coloniale et coloniale) de l'Afrique sub-saharienne. 67(*)».

Les entretiens ont été réalisés au début de la décennie 1950, et dans l'actuelle Province de l'Equateur. Les personnes sont de différents milieux, on trouve ainsi beaucoup d'élèves, de moniteurs, de personnalités politiques (comme un Administrateur de Territoire ou des Chefs de District) un juge-conseiller, deux catéchistes et trois autres personnes sans véritable spécification. Les entretiens ont été réalisés par lettres (des questions), d'où une certaine exactitude des informations car les élèves ont eu la possibilité de questionner leurs familles et leurs chefs de lignages par exemple.

Boelaert E. part du principe qu'il y a un décalage entre la vision de l'Etat Belge et celui des populations autochtones. Selon l'administration, il y a des forêts sans propriétaire. C'est cela que conteste le père, et c'est pour le prouver qu'il réalisa cette enquête.

1. La propriété des forêts.

Sur les 45 entretiens, pas un seul ne conteste le fait que la forêt sans propriétaire n'existe pas.

A. Toute portion de terre a un propriétaire.

Pour ne citer que quelques exemples :

§ Pierre Mune, qui a la profession de moniteur dans une école à Bomputu s'exprime ainsi dans le troisième entretien: « Aucune forêt n'est sans propriétaire ; même les forêts qui ne sont pas trop souvent fréquentées par les gens à la recherche des biens, celle-là ont des propriétaires. ».

§ Joseph Batokwa explique aussi cela en d'autres termes, et avec un peu plus de précision : « Tu ne trouveras jamais des forêts sans propriétaires. Que ce soient des forêts vierges, des forêts distantes ou des forêts anciennes, elles ne sont pas sans propriétaires. »

B. Qui sont les propriétaires des forêts ?

Les entretiens révèlent qu'il a trois sortes de propriétaires qui se dégagent. Ces trois différents « entités » se réfèrent aussi à une échelle de temps particulière.

1. Le moins présent dans les entretiens, et le plus ancien dans le temps : Dieu (Njakomba)

§ « Le monde entier appartient à Dieu. Il avait partagé lui-même ce monde à ses enfants. Ce sont les hommes. Dans ce partage du monde, il avait tracé des limites tout en prévoyant la part de chacun. Dieu n'avait pas prévu que quelqu'un pourrait ravir la part de son semblable. » Tels sont les mots de Pierre Mune pour qui Dieu est le « propriétaire du monde ».

§ « Depuis les temps immémoriaux, nous savons que tous les hommes viennent d'Adam et d'Eve, les parents de tous les hommes. Comme ils avaient donné naissance aux enfants, ceux-ci à leur tour, ont donné naissance à leurs enfants et il y eut beaucoup d'hommes sur la terre. Il (Dieu) ne leur a pas dit de vivre sur un même endroit. C'est ainsi qu'ils se sont divisés en nombreuses familles en nombreuses villes. C'est ainsi qu'il y a beaucoup de villages et villes disséminés comme vous le voyez dans l'Histoire Sainte. Depuis la chute de la Tour de Babel il y eut diaspora de la race humaine. Certains avaient traversé la rivière et certains étaient restés sur place. Si y avait des gens un peu il partout. Chaque village avait reçu un lieu de travail. C'est à-dire la forêt. » Selon Gaston Efoloko, moniteur dans une école.

Nous percevons bien la dimension temporelle dans ces deux exemples. Dieu intervient dans l'histoire très ancienne, lors du début de la présence humaine. On retrouve très fréquemment l'expression « depuis les temps immémoriaux », et cela dans presque tout les entretiens. Nous constatons aussi l'influence de la religion chrétienne bien que celle-ci soit plus ou moins intégrée dans la culture locale. Néanmoins, on se réfère à Dieu pour ce qui est très ancien lorsque la mémoire humaine se perd.

Dieu est également une explication pour déterminer qui est propriétaire de la forêt . Après lui viennent les ancêtres  à qui il a donné la propriété de la terre. Le Dieu des Mongo est considéré comme un père biologique. Cette image du père est liée à une certaine conception de l'autorité : cette autorité de Dieu étant primaire et primordiale (Hustaert G., 1980). L'échelle de temps est donc plus récente. Les mots de Bassay Alphonse, lui aussi moniteur explicitent bien ces idées :

§ « Le propriétaire de nos forêts est Dieu, le créateur de toutes les choses. Viennent ensuite nos premiers ancêtres qu'il (Dieu) avait créés. »

2. Une référence obligatoire et primordiale : les ancêtres.

Les ancêtres tiennent une place très importante dans la culture Mongo, mais également pour l'ensemble des populations Bantou. En effet, Dieu en tant que créateur n'est pas vraiment l'objet d'un culte chez les Bantou. Des cultes ont lieu en ce qui concerne les esprits tutélaires, mais « leur véritable culte est le culte familial et tribal des mânes et des ancêtres 68(*)». Le culte des ancêtres est plus important que l'animisme vis-à-vis des puissances naturelles et spirituelles. Chez certaines populations, les ancêtres peuvent même être des divinités de premier ordre, plus important que Dieu (Thomas L.-V. et Luneau R., 1969). Quel est leur rôle dans l'appropriation des terres plus précisément dans celui des forêts, pour cette période ?

Voyons les mots des interviewés :

§ « Toutes les forêts ont des propriétaires et cela remonte aux temps de nos ancêtres. Ceux-ci sont les auteurs de notre terre. » Tels sont les dires de Bassay Alphonse.

§ « Les ancêtres sont les premiers possesseurs des forêts.» Selon Louis Bosio, chef catéchiste à Yali, aidé par quatre anciens du village, et Ambroise Bondamba pour l'écriture de la lettre.

Ce rôle est primordial car il détermine à qui appartient ensuite la forêt. C'est lié aux lignages, aux clans, et à la généalogie. Si tel ancêtre avait telle forêt, cela a perduré jusqu'aux générations vivantes.

Les ancêtres sont le « fil conducteur » dans le temps pour déterminer la propriété présente de la forêt. Les ancêtres peuvent être considérés comme des lignages intermédiaires entre l'homme et Dieu. Nous en venons au temps présent.

3. Le chef de lignage: le détenteur (présent) de la propriété sur les forêts :

Le propriétaire des terres est le père de la lignée. C'est le gestionnaires des forêts et par là même, des terres que lui ont laissées en héritage ses ancêtres. Il a le pouvoir sur la forêt tant qu'il est en vie. Le lignage tient donc une place cruciale dans l'appropriation des forêts. Ce système de propriété est très ancien et il est développé partout. Les détenteurs des forêts sont tous des hommes dans les entretiens réalisés par le Boelaert E.. Ces pères des lignées, puisqu'ils descendent d'ancêtres ayant la propriété des forêts, sont le prolongement familial. La propriété des forêts n'est donc pas concevable sans ces personnes au pouvoir considérable.

§ « Le père de la progéniture est le propriétaire de la forêt. C'est lui qui avait tracé des limites entre lui et les villages voisins, et il avait distribué à son lignage des portions de la forêt et il s'était réservé lui-même une portion. » Selon Joseph Bonkingo et les vieillards qu'il a interviewé pour répondre aux questions du père.

§ « C'est au géniteur que retient le problème de la forêt. Depuis les ancêtres, si le père n'a pas abattu une forêt, l'enfant n'aura pas une jachère. On parle d'une forêt depuis les ancêtres jusqu'au père qui t'a engendré. » Louis Efonge

§ « Pour ce qui concerne le village c'est le père de sa lignée qui est a sa source. On n'a un village que grâce au père de la lignée. Le village n'est pas une personne pour avoir une chose, c'est une personne qui peut l'avoir. C'est la raison pour laquelle le père de la lignée a une forêt. » Selon le moniteur à Ingende : Gabriel Ekonya.

On constate bien le rôle qui est attribué par les coutumes au chef de lignage. Ces compétences sont vastes puisqu'il a un pouvoir sur la terre mais aussi sur les hommes. En effet, le rôle des forêts étant déterminant dans la vie des villages, cela influence logiquement les hommes. Dans un même village, il peut y avoir plusieurs pères de lignées, et dans ce cas, chacun dispose d'un territoire forestier propre. Ce pouvoir des pères de lignées est justifié par la généalogie, et aussi par Dieu. Les trois « entités » se complètent pour donner une légitimité forte au propriétaire pour que ce pouvoir ne puisse pas être contesté.

Cette citation de Barthélémie Yefa explique cette idée :

§ « Le propriétaire de nos forêts c'est Dieu. C'est aussi le père de la lignée .»

On assiste ici à une comparaison entre Dieu (le Père) et le père de la lignée. Son pouvoir est donc aussi d'ordre religieux car il a reçu ses terres du partage effectué dans les « temps immémoriaux » par Dieu lui-même.

4. Qui hérite des forêts à la mort du père de la lignée ?

Une préoccupation forte est de ne pas laisser la famille sans héritage, et dans le même temps, de ne pas laisser la forêt sans propriétaires. Les deux se combinent et les règles d'héritage sont les suivantes :

§ « Même si le propriétaire est mort, ses arrières petits-fils y sont et ils doivent hériter la forêt. Ils ne devront pas abandonner sans raison le bien de leur ancêtre. C'est ainsi que toutes les forêts ont des propriétaires. » Gabriel Ekonya.

§ « On ne parle pas de l'héritage si ton ancêtre n'a rien laissé pour toi. Celui qui hérite c'est le fils aîné du père de la lignée. Il hérite comme les pères avaient eu en héritage les forêts de leurs grands-pères, les possesseurs des forêts : enfin c'est le tour du fils d'avoir une forêt. » Louis fonge.

C'est la coutume qui fixe les règles de succession, et c'est parce que les ancêtres (ici, les grands-parents, les parents) ont hérité de la forêt, que le fils lui aussi aura sa propriété. Si jamais la famille n'a pas de fils, ou si il y en a plusieurs, des règles existent pour établir qui hérite :

§ « Quand le propriétaire de la forêt meurt, son frère cadet ou son petit-fils hérite de sa forêt. Mais ; il est dit que s'il n'a pas de frères cadets ou des enfants, qu'on cédera la forêt même à un petit-enfant qui fait partie de ce lignage. La forêt ne reviendra pas à la famille maternelle. » Selon André Bondenge.

Il est même mentionné qu'un pygmée peut hériter de la forêt si le propriétaire de la forêt est son maître et qu'il n'a aucune descendance masculine.

Bien évidemment, ces règles qui organisent la propriété ne sont pas écrites, il ne s'agit que de règles orales transmises de générations en générations. Ce qui veut également dire que ce savoir est précieux et la personne qui hérite, en plus d'avoir des liens de parenté avec les ancêtres, doit aussi avoir la connaissance précise de ce savoir.

Ce savoir est vaste. Il faut connaître les délimitations, connaître la forêt, par exemple : savoir situer les endroits tabous ou interdits, ainsi que les zones dangereuses. Il faut aussi connaître où se trouvent les ressources précieuses pour la médecine, les rituels, etc. L'héritier doit aussi être quelqu'un qui a appris la gestion des terres, la diplomatie avec les autres villages ou les autres clans. Ces compétences sont larges car il faut agir comme un père envers la famille, le clan, être aussi instruit sur les rites religieux, les relations avec le monde surnaturel que sont les ancêtres, les esprits de la nature, etc. Il peut aussi avoir à agir comme un juge lors des conflits d'usages par exemple. Il est aussi le propriétaire et il doit donc agir en conséquence. Par exemple, défendre son bien (aspect primordial) mais il peut aussi vendre certaines terres ou les louer à quelqu'un.

Le chef de lignage n'agit pas tout seul, on trouve des notables, des anciens qui l'aident, le conseillent. Cela confère, aux personnes âgées, un rôle fort car elles ont les connaissances et donc la légitimitéaux yeux des villageois.

2. Les délimitations spatiales entre les différents propriétaires des forêts.

De la même manière que toutes les forêts ont des propriétaires, toutes les forêts ont logiquement des noms.

Puisque chaque forêt appartient à quelqu'un, il y a des limites de propriétés. Ces limites ne sont pas connues de l'Etat mais elles le sont des populations locales. C'est du moins ce qui ressort des enquêtes.

§ « En effectuant de longues distances dans ce monde, tu trouveras des limites entre les villages ou entre les lignages. C'est un véritable constat car ils avaient tracé les limites lorsqu'ils se partageaient les forêts. Dans nos villages, nous avons certaines forêts proches de nous, et si deux personnes font leur deux champs à proximité, ils doivent tracer la limite entre ces deux champs. » D'après Pierre Mune pour qui les limites sont des facteurs pour expliquer que toutes les forêts ont des propriétaires. 

§ « C'est entre les villages que nous voyons les limites des forêts. Ceux qui connaissent ces limites ne sont que les autochtones. » Pierre Célestin.

Ces limites sont la plupart du temps des frontières naturelles : les cours d'eau servent de délimitation dans de très nombreux exemples. Le réseau hydrographique étant très développé dans tout le bassin du Congo, c'est un élément qui fractionne l'espace, et les populations humaines ont utilisées les avantages de ce réseau. De plus, la pêche étant pratiquée par les Mongo, il est très important pour une famille ou clan par exemple, d'avoir un accès aux poissons et aux cours d'eau qui servent également de voies de communications.

Parfois, les limites sont définies avec une extrême précision, que les propriétaires se trouvent dans des situations confuses. Ghislain Nkonyi donne un exemple frappant :

§ « Quelqu'un avait reçu tout un lac, c'est-à-dire, les eaux du lac seulement, mais en voulant accoster sa pirogue sur le bord du lac, un certain lignage vint lui dire qu'il n'avait que les eaux du lac, et non le bord car son ancêtre n'avait pas été le propriétaire de cette partie de la terre. C'est étonnant mais c'est vrai. »

Ce cas précis et peu commun illustre bien le fait que les limites sont précises et qu'on ne s'approprie pas la terre de manière facile. Les règles de partages sont établies depuis longtemps et elles ne semblent pas avoir beaucoup évoluées depuis les lointains ancêtres.

Pour autant, si les règles ont peu changé, les limites de propriété ne sont pas figées. Les guerres les ont fait évoluées dans le temps, car pendant la période pré-coloniale elles fûrent majoritairement le seul moyen d'obtenir de nouvelles forêts.

§ « Du vivant de nos ancêtres jusqu'à maintenant, nous avons un problème sérieux relatif à la forêt. Les propriétaires des forêts n'ont jamais toléré qu'un certain village s'attribue leurs forêts. Si quelqu'un s'en attribue, il y aura une guerre, et beaucoup de gens auront à perdre la vie. » Selon Odilon Lokwa.

Lorsqu'un conflit foncier opposait deux protagonistes, et si aucune issue ne venait résoudre le conflit, c'est la guerre qui déterminait à qui devait appartenir la forêt.

L'Etat Belge, et l'Etat de la RDC aujourd'hui on un rôle d'arbitre des conflits. Cela explique pourquoi les guerres tribales concernant la propriété des forêts n'existent plus aujourd'hui.

3. Comment obtient-on une portion de terre ?

Les forêts et les terres étant toutes appropriées, la question de l'obtention de portions de terres se pose. Dans quelle mesure la forêt peut-être allouée à une personne du village, mais aussi à une personne étrangère telle qu'un immigrant ou bien un européen ? Voici ce que répond Marc Bolumbu aux questions du père Boelaert :

§ « Si les immigrants et les étrangers demandent au propriétaire de la forêt un endroit pour faire les champs ou pour construire des maisons, peut-être pour y habiter, le propriétaire de la forêt ne peut pas les interdire. Mais le propriétaire de la forêt ne peut pas leur céder la forêt pour toujours. Personne n'a le droit de vendre une portion de sa forêt. Car la forêt d'un homme n'est que la conservation de tous ses biens. Il capture des poissons, des gibiers, des chenilles et certaines choses à partir de sa forêt. Sauf les Blancs s'ils achètent une portion du terrain, et c'est à ce moment que le village leur donne une portion de terrain acheté. Mais l'on ne distribue pas la forêt. Non

On voit bien avec ces paroles que la forêt peut être cédée à une personne étrangère au village, mais il y a des règles précises pour obtenir cette propriété. M. Bolumbu affirme que l'on ne peut vendre la forêt, pourtant d'autres entretiens le contredisent comme Joseph Batokwa :

§ « Le propriétaire de la forêt peut vendre une portion de sa forêt. Comment peut-il la vendre ? Il la vend s'il a une dette, et comme il n'a pas d'argent à donner à son créancier, il lui remet une portion de sa forêt. »

Il est marquant de constater que la forêt peut servir de moyen de paiement. Ainsi, une portion de forêt peut servir pour payer une dette pour un mariage, ou pour payer une indemnité de mort. Cette indemnité de mort est demandée en cas de faute grave, et si l'accusé n'a pas l'argent pour payer la somme requise, il doit céder une portion de forêt.

Cependant, il n'est pas recommandé de vendre sa forêt car cela pénalise les générations futures du lignage ou du clan, qui disposeront de moins de terres et seront moins riches que leurs ancêtres. C'est pour cette raison que vendre sa forêt est parfois considéré comme un acte fou, insensé. C'est ce que résume ces mots de Arsène Pambi :

§ « Un père qui est riche mais imbécile, peut gaspiller sauvagement ses biens sans toutefois se rendre compte qu'il a derrière lui une grande famille. Et il peut aussi vendre sa forêt aux gens qui en manquent. Pense-t-il qu'il aura une autre forêt et d'autres biens ? Ils vont errer ça et là et ils deviendront des cancres. Nous ne pouvons pas distribuer nos forêts car Dieu ne viendra pas créer un autre monde. »

Ces paroles montrent bien quelles peuvent être les conséquences dramatiques d'une mauvaise gestion des forêts. Cela pénalise les futurs propriétaires des terres issu du même lignage. Les erreurs ne s'effacent pas, et lorsqu'une forêt est vendue, elle est perdue à jamais. Cela occasionne des tensions entre les nouveaux propriétaires et les anciens.

La mauvaise gestion de la propriété du clan, du lignage est donc la plus grave erreur qui puisse être commise. La forêt étant souvent tout ce dont dispose le clan ou le lignage, perdre cette richesse équivaut à être complètement démuni.

Être chef des terres est donc une responsabilité lourde qu'il ne faut pas prendre avec légèreté sous peine de se voir condamné à la pauvreté. De même, les cas d'adultère peuvent aussi être des raisons qui peuvent faire perdre des portions de forêts aux clans. La pauvreté est aussi une cause de la perte de forêt. Si le propriétaire est dans un état de besoin extrême, il peut être contraint de vendre une partie de sa forêt.

Après avoir tenté de comprendre comment les règles d'appropriation chez les Mongos en 1954, nous allons nous pencher en détail sur la situation actuelle d'un village. L'interrogation principale est la suivante : les pratiques foncières sont-elles similaires ? Quelles sont ces pratiques ? Selon quel type d'utilisation de l'espace (chasse, pêche, agriculture, plantations, etc) ? Nous allons aussi tenter de voir quelles sont les interactions spatiales entre la société et le domaine foncier.

Chapitre 4

Les règles foncières selon les modes d'utilisations de l'espace : étude de cas à l'échelle d'un village

Cette analyse reprend les recherches effectuées dans la localité de Boondjé. Ce village se situe le long de l'axe routier entre Basankusu et le groupement de Bongilima. Long d'environ quatre kilomètres, la population de ce village est répartie le long de la route. L'activité principale est l'agriculture, principalement le maïs et le manioc, viennent ensuite la chasse et aussi la pêche, lors de la saison sèche.

Les informations requises sur les pratiques foncières et la gestion locale ont été obtenues avec les populations d'une partie du village, toutes n'ont pas été consultées. Seulement quelques clans sont à l'origine de ce travail.

Cette partie va être donc consacrée à décrire les aperçus de la pratique foncière des populations Mongo. Par exemple, en comprenant quel est le rôle d'un chef de terre, ou encore en analysant les droits d'usages selon le type de ressource (forestières, agricoles, etc).

On distingue ici deux types d'espaces. Le premier est fortement approprié par les populations, cela va concerner les habitations, les zones cultivées, les plantations, etc. Le second se situe plus en zone forestière. Il va concerner les pratiques de chasse, mais aussi de pêche pour les ruisseaux.

Le premier type d'espace est situé le long des routes, et dans un périmètre peu éloigné autour des lieux d'habitations

1. Les espaces anthropisés.

A. L'habitat.

Il n'y a pas de restrictions pour l'établissement de maison à l'échelle du clan. Chaque personne d'un même clan a le droit de construire sa maison où il le souhaite. Le chef de lignage peut tout de même s'opposer à la construction d'une maison sur ses terres, mais dans la pratique, il ne refuse jamais à quelqu'un de son groupe de s'établir sur ses terres. Cela est beaucoup plus compliqué lorsqu'une personne étrangère au clan, ou au groupement demande la permission de s'établir sur les terres d'un clan. Bien que cette pratique d'accueil ait été fréquente dans le passé, il semble qu'aujourd'hui cela soit moins facile. La pression sur les terres étant plus forte qu'auparavant (avec l'augmentation des surfaces agricoles), des freins existent actuellement pour l'implantation de familles et de lignages étrangers au groupement. Au sein d'un lignage, lorsqu'un fils désire s'installer seul, le père de la lignée lui donne son accord, et lui choisit un lieu où s'implanter. Pourtant, les habitations ne donnent pas de droit de propriété sur le sol. Seul le travail permet de s'approprier la terre. C'est ainsi qu'une famille peut être accueillie par le clan A, mais c'est le clan B qui va donner une parcelle de terre pour l'agriculture ou pour réaliser une plantation. En effet, le clan A ne veut pas céder des terres, malgré le fait que la famille vive sur ses terres.

B. Les plantations : le droit de l'arbre.

Que ce soit des palmeraies ou des bananeraies, elles sont localisées très fréquemment à proximité des habitations, et cela pour plusieurs raisons. Il est plus pratique pour la cueillette que les plantations ne soient pas trop éloignés : donc pour faciliter l'usage. Il est également plus facile de surveiller les fruits vis-à-vis des voleurs, car lorsque la cueillette des fruits est proche, cela peut attirer la convoitise. Dans ce sens, certains propriétaires disposent des pièges pour protéger certains arbres fruitiers (par exemple, un piège à fils déclencheur relié à une brique de terre). Les principaux arbres fruitiers, autres que les palmiers et les bananiers sont les safoutiers et les papayers. Il y a aussi des raisons biologiques à l'établissement de plantations proche de l'habitation. Les déchets ménager, surtout ceux de la cuisine sont donc volontairement situés à côté de bananiers qui vont bénéficier de ces apports nutritifs. On trouve aussi des bananiers dans les jachères, ou dans les forêts secondaires, mais de manière diffuse et il ne s'agit pas de plantation en tant que telle. Le propriétaire de la bananeraie est la personne qui a planté les arbres.

Photographie 6

Une bananeraie située à quelques mètres derrière les habitations du propriétaire.

Photographie 7

Une bananeraie et son propriétaire.

Le type de plantation le plus répandu est la palmeraie. Les palmiers fournissent beaucoup de produits aux habitants (huile, balais, toitures, poutres, savon, etc.), ils sont donc un signe de richesse, et les arbres en général sont des ressources indispensables pour les populations, ils sont au coeur de l'économie rurale. Tout comme les bananeraies, les palmeraies appartiennent à la personne qui a travaillé pour l'obtenir. Elle nécessite par ailleurs un travail important, et c'est le rôle des hommes du lignage de les entretenir. Les palmeraies peuvent donc appartenir soit au clan, soit à une personne. Le cas le plus fréquent est l'appropriation par foyer. Le travail est encore une fois synonyme d'appropriation, si bien que, si quelqu'un n'entretient plus sa plantation et que les broussailles l'envahissent, le droit de propriété cesse. Lorsqu'une famille s'établit sur les terres d'un clan qui n'est pas le sien, les arbres qui se situent proche de son lieu de vie ne peuvent lui appartenir. Lors de l'abatage pour réaliser un champ, les arbres tombés reviennent au clan propriétaire. Sa propriété sera ce qui poussera par la suite. Une différence s'opère entre les autochtones et les allochtones.

La palmeraie est généralement située à côté de l'habitation du propriétaire. Cela rend l'utilisation facile d'autant plus qu'elle peut être fréquente. Cela facilite aussi la surveillance lorsque les fruits (noix) sont à maturités. Les plantations permettent également de faire une barrière de protection entre les habitations et les champs cultivés. En effet, l'élevage se pratique par « divagation ». Les chèvres, moutons et les rares porcs se déplacent librement, et les plantations les empêchent de se rendre dans les champs pour nuire aux récoltes. Certaines palmeraies peuvent être grandes, selon les ressources financières disponibles, car les plants sont chers. Cela explique pourquoi les palmiers utilisés sont souvent des races sauvages, les plants améliorés étant chers 69(*).

Photographie 8

Une petite palmeraie

.

Il existait avant la guerre des plantations de caféiers, mais elles semblent ne pas avoir perdurées jusqu'à lors. En effet, le café ne permet pas des revenus réguliers comme pour les palmeraies. Les rentes sont donc plus sporadiques. Et par ailleurs, cela ne permet pas se nourrir. La création d'une caféraie étant uniquement à but commercial. C'est également une culture exigeante par rapport au climat.

C. L'agriculture.

Chaque famille dispose de ses propres parcelles, et de ses propres jachères. Il n'existe aucune famille ni aucun lignage qui ne pratique pas l'agriculture. Très répandu, l'agriculture concerne principalement le maïs et le manioc, et plus rarement l'arachide, le niébé ou encore l'igname. Le maïs est plutôt une culture de rente et le manioc se situe entre l'autosubsistance et la culture de rente. La proximité de zone urbaine entraîne souvent ce type de cultures.

Lorsqu'une personne décide de défricher pour faire l'agriculture elle demande au père de la lignée. Un père d'une lignée ne peut refuser à un membre de sa famille une portion de terre. L'agriculture se pratique donc sur les terres lignagères. Le clan n'étant plus toujours une autorité forte sur les terres par rapport aux différents lignages qui le compose. Ainsi, lorsqu'un fils décide de ne plus travailler dans la parcelle de son père, il demande une portion de terre. Cette portion de terre (souvent une jachère), une fois cédée, appartient à la personne qui la travaille. Il devient donc propriétaire. La personne qui défriche une jachère pour faire son propre champ réalise elle-même les limites de son champ, dans la mesure où cela ne gène pas le père de la lignée, et les autres champs du lignage. Le père de la lignée peut favoriser un fils plutôt qu'un autre, en donnant une bonne terre à celui qu'il préfère.

Pour les personnes cherchant à cultiver sur des terres ne leur appartenant pas, il existe diverses possibilités. Il est possible de louer une partie de terre. La durée d'une location va dépendre des plantes cultivées. Cette durée peut être de quelques mois à quelques années. Ces contrats de locations peuvent être de différents types. Le propriétaire peut avoir recours à de la main d'oeuvre pour défricher. Dans ce cas, le défricheur peut avoir le droit de cultiver du maïs, mais il doit laisser une partie de la parcelle défrichée au propriétaire pour cultiver du manioc le plus souvent. Cette partie laissée au propriétaire dépend du contrat passé entre les deux personnes. Réalisé de manière orale, ce contrat est avantageux pour le défricheur qui ne dispose pas de terres pour cultiver, et le propriétaire bénéficie d'une partie du travail du locataire pour sa propre récolte. D'une manière générale, la partie laissée au propriétaire ne peut pas excéder le tiers de la superficie.

Un autre cas existe pour la location. Le propriétaire laisse à certaines femmes le droit de cultiver du manioc ou de l'igname sur une de ses parcelles de maïs. En échange de cette mise à disposition de terres, elles vont pratiquer le désherbage obligatoire pour la culture du maïs. Il y a donc une association de culture. Le plus souvent c'est le manioc qui est cultivé par ces femmes. Elles n'ont pas le droit de cultiver le maïs car cela nécessite d'autres contrats. Il est aussi possible de louer une terre à un propriétaire, et les droits de jouissances coutumiers seront définit entre les deux personnes. Il s'agit en général d'une partie des récoltes, souvent 10% de celles-ci, mais c'est au propriétaire de définir ce qu'il désire. Cela peut être de l'argent, des biens selon les besoins. Chaque demande de terre en location impose d'informer le chef du groupement ou le chef du village selon les cas, selon les disponibilités de chacune des autorités.

Photographies 9 et 10 :

A gauche, un champ défriché et les femmes y travaillant.

A droite, une jeune parcelle de maïs.

2. Les espaces naturels : forêts et cours d'eau.

On considère ici les espaces naturels comme des espaces peu marqués dans le paysage par l'activité humaine. Il s'agit donc des zones périphériques aux villages. Il y a une différenciation qui se fait en matière de droit foncier entre les ruisseaux, les rivières (les zones humides), et la forêt. Le système foncier ne régit pas de la même manière ces deux types d'espaces, car les usages sont différents. Les usages forestiers sont nombreux. Ils concernent la chasse, la cueillette d'arbres fruitiers, le bois, mais également toutes autres ressources forestières non-ligneuses.

A. La forêts : à l'origine de nombreuses ressources.

Chaque clan dispose de ses propres forêts. L'appropriation des forêts ne se fait pas vraiment au niveau du lignage, mais au niveau supérieur qu'est le clan. La forêt est revêtue d'une grande importance car elle pourvoit de nombreuses ressources essentielles aux Mongo.

Pour commencer nous allons nous intéresser à la chasse en relation avec les droits d'usages. Dans le village où se sont déroulés ces enquêtes, la chasse n'est plus une pratique très encadrée par des règles précises de propriété. En effet, les droits d'usages sont directement liés à la présence d'une ressource. De ce constat découle un « relâchement » vis-à-vis de la chasse. Tout le monde peut ainsi chasser sur les terres du village. Par exemple, une personne du clan A peut chasser sur les terres du clan B sans que cela pose des problèmes. Le chasseur est en effet le propriétaire du gibier qu'il a lui même chassé, et cela ne s'oppose pas au partage qu'il fait avec le propriétaire de la forêt.

Dans d'autres groupements, par exemple, en zone forestière très enclavée, où se trouve encore du gibier en abondance (singes, céphalophes, etc), des règles très précises encadrent cette pratique. Un chasseur étranger au clan ou au village où il se rend pour chasser à l'obligation de consulter le chef coutumier. Lors de cette consultation, le propriétaire des forêts peut demander des dons comme de l'argent, des cartouches de chasse, ou encore une portion de viande. Ces règles existent depuis longtemps mais elles semblent s'être assouplies par rapport à la situation qui prévalait il y a cinquante ans. En effet, chasser sans l'accord du chef sur les terres d'autrui pouvait être sévèrement punit : la punition pouvant aller jusqu'à la mort du chasseur. Dans ce cas, le propriétaire pouvait aller jusqu'à demander une « rançon de mort » : une somme à payer pour que la vie soit laissée au chasseur.

Un autre exemple illustre très bien le rôle que pouvait avoir le chef : lorsqu'un animal important était tué, il était obligatoire de faire un partage selon des règles très précises. Certains animaux étaient considérés comme royaux : le léopard (Nkoy), ou encore Bonkono (en lomongo cela désigne un félin de petit taille, tacheté comme léopard). Symbole des clans guerrier, la peau de léopard revenait au patriarche du clan. Aujourd'hui, il semble que cela ne se pratique plus que dans certaines forêts très enclavées. Malgré tout, quelqu'un qui se fait surprendre par le propriétaire coutumier des forêts peut se voir saisit de tout ces biens (armes de chasse, gibier abattu, etc.). Une croyance existe aussi concernant la chasse. Elle dit que celui qui ne se présente pas au chef ne pourra rien chasser car cet accord avec le chef coutumier est synonyme d'abondance de gibier. Autrement dit, c'est par la consultation du chef que le gibier sera chassé. Cette règle vaut aussi pour la pêche.

Un autre type de chasse existe : par piégeage. Ils sont disposés dans les forêts, parfois très loin des lieux d'habitations, et parfois, un chasseur peut en avoir plus d'une centaine. Ils vont concerner de petits mammifères (des rats par exemple), mais ils peuvent aussi concerner des singes ou des céphalophes. Il est possible que certains propriétaires refusent qu'une personne dispose des pièges sur ces terres, mais cela semble ne pas être le cas lors des enquêtes. Il y a souvent des arrangements entre les deux protagonistes : le piégeur offre s'il le faut, une portion de sa chasse au propriétaire de la forêt concerné. Le droit de regard sur la pratique de la chasse par les pièges n'est pas facile dans la mesure où certaines terres sont vastes.

B. Les lieux d'eau : sources, ruisseaux et rivières.

L'eau étant une ressource vitale, chaque lignage a établi ses habitations à proximité d'une source. Chaque source est donc appropriée par plusieurs familles (ou foyers). La répartition des sources explique en partie la répartition des lignages, et donc des populations. Cela peut être un facteur limitant l'implantation de population, lorsque toutes les sources proches des routes sont appropriées, où bien, lorsque les sources sont éloignées des routes et des zones de peuplement.

Photographie 11 Photographie 12

Source Ekiloko appartenant au lignage Nkoy Pose d'une nasse sur une clotûre de pêche

Les sources étant le point de départ d'un cour d'eau, les ruisseaux vont donc avoir des propriétaires. En effet, le poisson fait partie des ressources importantes pour les populations. Les Mongo pratiquent le piègeage à l'aide de nasses disposées selon le sens du courant, et selon la saison. D'une manière générale, chaque clan et chaque lignage qui est présent depuis longtemps sur les mêmes terres dispose d'une portion de ruisseau qui lui appartient. C'est-à-dire, que les ressources dispensées par le ruisseau sont appropriées, et il semblerait que ce soit l'administration coloniale qui ait réparti les différentes portions de ruisseau pour les clans et ensuite pour les lignages. Mune P. affirme même que les domaines de pêches peuvent, dans certains cas, appartenir à une personne. Un même ruisseau peut avoir différents propriétaires. Un ruisseau est donc divisé en portions bien délimitées selon les propriétaires. Certaines portions peuvent aussi être collectives : c'est-à-dire qu'une portion peut appartenir à un clan. Dans ce cas, l'appropriation se fait par le travail : quelqu'un qui attrape des poissons en est le propriétaire. En revanche, si le propriétaire d'une partie de ruisseau a recours à l'aide d'autres personnes (par exemple pour l'écopage collectif réalisé par les femmes, l'endiguement pour la réalisation de clôtures, ou bien la saisie des poissons), ces personnes recevront une partie des poissons capturés. Ce partage est très important. La pratique de la pêche se réalise de deux manières différentes, et ces deux manières ne sont pas gérées de la même manière. Ainsi, tout le monde peut pratiquer la pêche à l'hameçon. Aucune restriction semble exister pour cette pêche.

En revanche, la pose de nasses nécessite un accord passé avec le propriétaire. Entre l'individu et le propriétaire, la « location » d'une portion de ruisseau se réalise par des dons, également appelé des droits de jouissance. Le chef du lignage Bokewa explique ainsi qu'une personne du groupement voisin lui a remis un porc en échange de la pose de nasse sur une partie du ruisseau Kungu, et cela pour une année. Un problème s'est posé lorsqu'une fois l'année écoulée, les droits de jouissance n'ont pas été prolongé. Le « locataire » s'est donc vu interdire l'accès au ruisseau. Les droits de jouissance peuvent être très variés. C'est le propriétaire qui décide ce qu'il veut en échange. Cela peut ainsi être de l'argent, mais aussi une partie des poissons capturés, ou autre. Il semblerait que cette pratique ait évolué dans la mesure où la pose de nasse était non-restrictive auparavant (cf. Annexe 5 : Tableau récapitulatif des droits d'usage, p. 161).

Les forêts et les ruisseaux ont donc des règles de propriétés précises et distinctes. Il est possible que la forêt et un ruisseau à proximité aient différents propriétaires. Si un conflit existe entre les deux propriétaires, le propriétaire de la forêt peut en interdire l'accès en pirogue au pêcheur propriétaire.

3. Les limites entre les propriétaires.

Les limites sont très importantes. Il n'existe pas de carte, ni de cadastre agricole à l'échelle des villages, alors les limites sont liées à des éléments naturels. Il peut s'agir très souvent d'un arbre de forêt primaire (trop volumineux pour l'abattage), mais aussi les ruisseaux ou des buttes de terres (appelés collines). Il peut aussi exister des éléments servant de limites, crées uniquement à cet effet. Il peut s'agir d'arbres fruitiers, ou encore de rangées de fleurs. Les sentiers en dehors de la route servent aussi dans certains cas de limites de propriétés. Il est aussi possible que des troncs d'arbres soient disposés en ligne sur le sol pour différencier les propriétaires des champs. Ces limites concernent dans la majorité des cas l'agriculture et les plantations, les zones de forêts n'étant souvent pas appropriés de la même manière. La forêt ne peut appartenir à une famille précise, elle est la propriété d'un clan, et plus fréquement d'un lignage.

Les buttes ont une importance car elles servent de repères dans l'espace. N'ayant pas d'unité de mesure, les habitants estiment leurs propres superficies selon ces buttes. Par exemple un hectare est l'équivalent de deux buttes sur une même parcelle agricole.

Photographies 13 et 14

A gauche : limite lignagère (arbre Entandrofihragma Congoense ou

Lifake en lomongo)

A droite : limite clanique, située le long de la route, délimitant les clans Bokolo et Baolongo (arbre Dacryodes Eduli : Safoutier)

* 66 Instaurée dès 1896 par Léopold lui-même suite à la médiatisation d'exactions dans l'actuelle province

de l'Equateur liées à la sanglante récolte du caoutchouc. Cette commission semble avoir évolué dans le temps pour être de moins en moins un outils politique, mais plus pour défendre les droits des populations, dont les Mongo.

* 67 Site Internet du Centre Aequatoria : http://www.aequatoria.be/French/HomeFrenchFrameSet.html

* 68 Le Roy A. (1909). La religion des primitifs. Paris, p.275

* 69 Pour réalisé un hectare de palmeraie, il faut 144 plants, et le coût d'une graine est aux alentours de 2

dollars. Sans parler des concessions privées, les palmeraies ne font donc rarement plus d'1 hectare.

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