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Déviances scolaires et controle social à  Yaoundé: Essai d'approche Sociologique du quotidien des jeunes à  l'école

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par Mahamat ABDOULAYE
Université de Yaoundé I - DEA Sociologie 2009
  

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PREMIERE PARTIE

DEVIANCE, ECOLE ET CONCEPTION DE LA SOCIETE

INTRODUCTION

« Toute sociologie, écrit Jean Duvignaud, commence par s'interroger sur la sociologie, comme s'il fallait qu'une révision générale précédât l'analyse » (Duvignaud, 1966 : 7). Le fait d'amorcer cette première étape de notre réflexion par des considérations d'ordre général et théorique revient ainsi à sacrifier à une pratique ou «une coutume universitaire » (R. Aron, 1962 : 13, cité par Nga Ndongo, 1999R.) propre aux héritiers de Durkheim. Procéder, au début d'une entreprise sociologique, a des mises au point, justifier certains choix, fixer les idées, cela tient, en effet, à la nature même de cette science qui, aux dire de Raymond Aron, `'paraît être caractérisée par une perpétuelle recherche d'elle-même `' (idem).

Toute discussion supposant une analyse préalable, il convient donc tout d'abord de revisiter l'école en tant qu'institution qui n'est pas seulement le lieu de la socialisation, mais aussi le lieu des comportements déviants de tout genre. C'est dire que là première tâche du sociologue est de «diviser chacune des difficultés que l'on voudrait examiner en autant de parcelle qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre » (Descartes, 1981 : 138). Il s'agit bien là de la règle de l'analyse et de la signification des choses.

L'objet de cette première partie s'articule en quatre points. D'abord l'analyse de la conception sociale de la déviance, suivra ensuite, l'exposé de quelques figures paradigmatiques4(*) des foncions de l'école, le troisième chapitre présentera les logiques de l'école à partir de son cadre institutionnel et enfin, le quatrième point fournit au lecteur les informations indispensables à la compréhension des modalités de fonctionnement des rapports sociaux qui s'établissent entre les partenaires (enseignant ou éducateur, enfants ou adolescent, institution, parent), à savoir la relation éducative.

CHAPITRE I

APPROCHE ANALYTIQUE DE LA DEVIANCE SOCIALE

La sociologie de la déviance ou, plus précisément, la sociologie des faits de déviance, s'est principalement développée dans les pays de tradition anglo-saxonne, et plus particulièrement aux États-Unis, après la Première Guerre mondiale. Mais, le problème des «déviances sociales », c'est-à-dire des conduites, individuelles ou collectives, contraires aux modèles sociaux et aux normes instituées, est un de ceux qui posent le plus de questions à la sociologie du XIXe siècle et du début du XXe siècle. C'est à son sujet que Durkheim élabore la distinction du «normal » et du «pathologique »5(*). Il sera question dans ce chapitre de procéder à l'analyse de la notion de déviance. Ce faisant, nous allons tout d'abord définir la notion de déviance, ensuite, nous tenterons de cerner la réalité qu'elle recouvre et, enfin, de donner une typologie de cette réalité. Avant d'y arriver, et pour mieux saisir la notion de déviance, il importe, au préalable, d'examiner le concept de la socialisation et du contrôle social; car, en réalité, c'est au regard des résultats de la socialisation que la déviance est envisagée et prend tout son sens.

I.1. SOCIALISATION ET CONTROLE SOCIAL

Au même titre que tous les autres êtres et organismes vivants, les sociétés humaines se produisent et se reproduisent, et ce à travers un certain nombre de processus comme la socialisation.

I. 1.1. La socialisation

Notion fondamentale en sociologie, la socialisation est un processus d'influence entre une personne et une autre, processus qui aboutit à l'acceptation de modèles de comportement social et au fait de s'y adapter. Cela ne veut pas dire que la personne cesse d'être un individu. Pas plus qu'on ne peut dire qu'une personne «devient humaine » quand elle apprend à user de son intelligence, ni qu'une personne «devient sociale » quand elle apprend à se tenir parmi d'autres. L'être humain est une personne sociale depuis le commencement de son existence. Mais il subit tout au long de sa vie des adaptations et des changements continuels. C'est à ce juste titre que Valentin Nga Ndongo (1999 : 450) affirme que la socialisation permet de comprendre le processus social de l'action sociale et de l'interaction sociale, c'est-à-dire des rapports des individus entre eux, de leurs rapports avec la société, ce qui permet d'expliquer comment les collectivités humaines existent et se maintiennent et subséquemment, comment l'individu se rattache à ces collectivités. Ainsi, selon Guy Rocher (1968 : 132 ), la socialisation peut se comprendre comme

«Le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux significatifs et par là s'adaptent à l'environnement social où elle doit vivre. »

De cette définition, il ressort de façon implicite deux dimensions de la socialisation : objectivement, celle de la société agissante sur l'individu et subjectivement, celle de l'individu répondant à la société (Fichter, 1972 : 35) :

- Objectivement, la socialisation est le processus par lequel la société transmet sa culture d'une génération à la suivante et adapte l'individu aux modes acceptés et approuvés de vie sociale organisée. Ainsi, la fonction de la socialisation est de développer les aptitudes et les disciplines dont l'individu a besoin, de communiquer les aspirations, les systèmes de valeurs, les idéaux de vie en cours dans la société particulière, et spécialement d'enseigner les rôles sociaux que les individus ont à remplir.

Le processus de socialisation est constamment à l'oeuvre en dehors de l'individu. Il affecte non seulement les enfants et les immigrants quand ils entrent en contact avec la société, mais durant toute leur vie, tous ceux qui font partie de la société. Il agit sur eux ; il leur procure les modèles de comportement qui sont essentiels au maintien de la société et de la culture.

- Subjectivement, la socialisation est un processus par lequel passe l'individu en s'adaptant à ceux qui l'entourent. La personne reprend les manières d'agir de la société où elle vit. A partir de l'enfance elle «se fait » graduellement à la société. Comme le souligne Fichter (1972 : 35), c'est là un processus de longue haleine, qu'il implique une grande part de conformité subconsciente et que cela se particularise toujours dans le temps, à un endroit, dans une culture et dans une société déterminée.

Ainsi, la socialisation se comprend, finalement, comme le processus par lequel les individus acquièrent et adoptent la personnalité sociale de base du groupe auquel ils appartiennent. C'est en intériorisant cette personnalité de base et en l'intégrant à la structure de sa personnalité que l'individu s'adapte à l'environnement social dans lequel il évolue. Cette adaptation concerne la personnalité individuelle au triple plan biologique, affectif, et mental (Nga Ndongo, Op. cit.).

Le modèle de personnalité, encore appelé personnalité typique, mieux, la personnalité sociale de base, est le socle du processus de la socialisation. Elle est constituée d'un ensemble de manières collectives de faire, de penser, de sentir, c'est-à-dire de ce que Nga Ndongo a appelé un «corpus d'éléments socioculturels et de traits psychologiques sélectionnés et approuvés par le groupe », parmi lesquels les valeurs et les normes jouent un rôle important, car ce sont bien ces valeurs et ces normes sélectionnées par la société qu'il s'agit, pour le groupe, d'inculquer à ses membres, et pour l'individu, d'apprendre, d'intérioriser et d'intégrer à sa propre personnalité (Nga Ndongo, Op. cit.). D'après Morin (1996 : 142), la valeur, c'est

«Ce qui vaut, mérite d'être recherché, une fin à atteindre », par exemple, la justice, la solidarité, la liberté, etc. Les valeurs constituent ainsi des références pour les normes qui, comme le relève Morin, «sont des modèles de conduite (...) et qui sont sanctionnées socialement. Reflétant l'état des moeurs et des lois, les normes s'appliquent à une société ou à un sous-ensemble (profession, organisation) » (Morin, Op. cit., p. 144).

Si pour l'individu le processus de socialisation, comme il vient d'être relevé, plus haut, se poursuit toute la vie, c'est au cours de la tendre enfance que l'intériorisation des valeurs et des normes sociales est plus intense : la socialisation étant en fait une éducation et un apprentissage, il est normal qu'elle se déroule de préférence en cette période de la vie ou l'individu est encore réceptif et soumis aux apports de l'apprentissage social, où son champ de représentation est encore embryonnaire, sa personnalité pas encore formée et son acquis social peu développé (Nga Ndongo, Op. cit. ).

Le résultat normal de la socialisation, du point de vue sociologique, est comme le note Rocher dans son Introduction à la sociologie générale (1968 : t1, 137), de produire une conformité ou la normalité suffisante des «manières de faire, de penser et de sentir ». Une conduite est dite conforme ou normale lorsqu'elle correspond aux normes et valeurs approuvées par le groupe, lorsqu'elle répond aux traits, aux caractères de la personnalité typique du groupe. Ainsi, en circonscrivant les contours de la conformité et de la normalité à partir des normes et valeurs, le groupe entend, en quelque mesure, exercer sur ses membres un certain contrôle social. Celui-ci vise, en dernier ressort, l'intégration sociale des individus à la société considérée comme une totalité. C'est dans cet ordre d'idée que Duverger (1966 : 298-299) affirme :

« L'intégration est donc le processus d'unification d'une société, qui tend à en faire une cité harmonieuse, basée sur un ordre ressenti comme tel par ses membres (...) L'intégration comporte deux aspects, l'un négatif, l'autre positif. Unifier une société, c'est d'abord supprimer les antagonismes qui la divisent, mettre fin aux luttes qui la déchirent. Mais une société sans conflit n'est pas réellement intégrée, si les individus qui la composent restent juxtaposés les uns à côté des autres, comme une foule où, chacun est isolé de ses voisins, sans lien véritable avec eux. L'intégration suppose non seulement la suppression des conflits, mais aussi le développement des solidarités. En pratique, ces deux aspects sont parfois confondus »

Il ressort de cette remarque, tout le problème et toute l'ambiguïté et la complexité de la socialisation et du contrôle social. De fait, si la socialisation permet le passage de la nature à la culture, de l'inné à l'acquis, elle n'est pas toujours réussie ; elle ne débouche pas automatiquement sur la conformité et la normalité des conduites ou sur l'intégration des individus ou groupe d'appartenance. Selon Morin, «le respect des normes permet une (certaine) variance » (Morin, Op. cit. p. 144), dans la mesure où

« Les modèles culturels (...) ne s'imposent pas tous avec une égale force et n'appellent pas tous un même degré de conformité (...) On s'attend dans toute société à ce qu'un écart existe entre les modèles et les conduites effectives, parce que les modèles n'étant pas tous aussi aisément applicables, ne présentent pas les même degrés de «réalisme » (...) Généralement, la société offre un choix entre deux ou plusieurs modèles ; un des modèles peut alors être le plus généralement observé dans une société particulière et revêtir de ce fait un caractère préférentiel, le recours aux autres modèles étant alors permis ou toléré, selon le cas (...) L'orientation normative de l'action sociale comporte également et en même temps une part de décision. Les sujets, comme d'ailleurs les collectivités, doivent opter entre des modèles plus ou moins divergents. La marge laissée à la décision des individus et des groupes peut être plus ou moins grande, selon les sociétés et selon les situations ; elle peut être aussi plus ou moins apparente. Mais elle existe toujours en toute société » (Rocher, Op. cit. pp.64-66).

Étudiant les rapports de l'acteur au système, Crozier note qu' «il n'y a pas de systèmes sociaux entièrement réglés ou contrôlés » (Crozier, 1977 : 29), d'autant plus qu'il existe toujours une part de liberté dans toute relation de pouvoir. De plus, entre les spécialistes des sciences humaines et, en particulier, entre les sociologues, le débat sur les valeurs et les normes est loin d'être clos (Nga Ndongo, Op. cit.). A ce propos, Durkheim soutient que les valeurs constituent un ciment pour la société ; elles sont la condition de la cohésion sociale. L'adhésion à des valeurs communes est une source d'intégration à la société et permet l'acceptation, pour les individus, des contraintes collectives. Dans la même veine, Durkheim affirme qu'une société sans normes est menacée d'anomie, c'est-à-dire l'absence de normes, de régulation, de solidarité, d'équilibre. Cet « état de dérèglement » (Durkheim, 1930 : 281) découle d'une perte du sens des valeurs et débouche sur un relâchement des conduites, ce d'autant plus que,

« Tant que les forces sociales, ainsi mises en liberté n'ont pas retrouvé l'équilibre, leur valeur respective reste indéterminée et, par conséquent, toute réglementation fait défaut pour un temps. On ne sait plus ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est juste et ce qui est injuste, quelles sont les revendications et les espérances légitimes, quelles sont celles qui passent la mesure » (Durkheim, ibid. : 280-281).

Un tel relâchement ouvre la porte à la transgression des normes qui, elle-même, conduit à ce qu'on appelle la déviance, c'est-à-dire le recours à des modèles se situant à la marge (Nga Ndongo, Op. cit.)

Au regard des analyses qui précèdent, il appert que la perspective durkheimienne élude la notion de la variance mentionnée plus haut, et donc, par ricochet, celle de la hiérarchisation des valeurs. De ce fait, il se pose le problème de l'objectivité de ce qu'il est convenu d'appeler valeurs : les valeurs sont-elles extérieures à nous ou sont-elles intégrées à nos actes ? A rebours des thèses de Durkheim, Weber, appréhende les valeurs et les normes qui y afférent, comme une source non pas de cohésion sociale, mais « d'écartèlement et de dilemme pour l'individu, confronté à une multiplicité des valeurs, au demeurant en concurrence les unes avec les autres ». D'après Weber, beaucoup de nos actions ne sont pas rationnelles par rapport à un but par référence aux valeurs. Pour cette raison il suggère au sociologue de tenir compte et d'envisager cette référence à des valeurs lorsqu'il essaie de remonter d'un acte à son sens, s'efforcer autant que ce faire se peut d'adopter une attitude de « neutralité axiologique » (Wertfreiheit) qui lui évite d'immiscer ses propres jugements de valeur, lorsqu'il cherche justement à comprendre les actions d'autrui (Cf. Max Weber, 1971 : 22-23).

En dernière analyse, la socialisation, est-il besoin de le souligner, n'est pas un processus univoque, mais interactif, et comme telle, source de déviance ; déviance non seulement de la par des individus qui subissent la socialisation, mais aussi des instances socialisatrices telle que l'institution-Ecole qui l'imposent et n'admettent aucune résistance (qui serait pourtant naturelle et la manifestation même de la socialité au quotidien) à leur action. Et ceci grâce au contrôle social qui est une extension du processus de socialisation.

I.1.2. Le contrôle social

Nous avons vu que la socialisation, signifie en fin de compte que la personne sociale apprend et accomplit les schémas attendus du comportement approuvé. Le contrôle social est le mécanisme qui perpétue ce processus en induisant et en maintenant la conformité des individus aux modèles.

En réalité, parler du contrôle social revient à étudier la façon dont s'exerce la pression sociale. Le contrôle social fait peser sa pression sur les individus pour qu'ils se conforment au genre de modèles, de rôles, de relations et d'institutions qui sont hautement appréciées dans la culture.

La classification du contrôle social peut se faire de divers points de vue, suivant l'intérêt et le but que l'on poursuit dans l'étude de la société (Fichter, 1972 :220). Nous examinerons ici brièvement les trois classifications générales du contrôle positif et négatif, du contrôle formel et non formel, du contrôle de groupe et d'institution.

- Certains mécanismes positifs, comme la persuasion, la suggestion, l'éducation et les récompenses, sont utiles pour amener les gens à pratiquer les comportements et à apprendre les attitudes qui sont socialement, approuvés. D'autres formes de contrôle peuvent être appelées négatives, comme les menaces, les ordres, les commandements, les contraintes et les pénalités. Elles sont employées pour détourner les personnes des comportements et des attitudes antisociales.

Les sociétés et les groupes s'efforcent d'induire ses membres à faire certaines choses et à en éviter d'autres, mais ce contraste entre les contrôles positifs et négatifs ne peut se concevoir que dans l'abstrait. Les deux opèrent ensemble dans la réalité concrète pour atteindre leur but : l'individu peut suivre les voies socialement approuvées soit qu'il recherche des récompenses soit qu'il veuille éviter des peines ou simplement en raison des deux espèces de sanctions.

- Une autre classification est celle des contrôles formels ou non formels. Chaque société ou groupe établit certaines mesures qui sont formellement conçues pour procurer la conformité sociale. Ce sont les prescriptions publiques, les ordonnances et les lois par l'autorité politique ; ce sont les statuts et règlements d'un club de joueurs de football, les règlements et commandements d'une église, les règlements intérieurs d'une école, d'un lycée ou d'un collège, cas qui nous préoccupe dans cette étude. On les appelle formelles parce qu'elles sont soigneusement préparées, pleinement promulguées et rendues obligatoires pour toutes les personnes qui se soumettent à l'autorité des législateurs. Les contrôles formels comportent aussi d'habitude une sorte de procédure officielle de contrainte exécutive.

Les contrôles sociaux non formels sont plus subtils mais également effectifs. Ils sont employés pour contraindre à appliquer le genre de comportement dont «chacun sait » qu'il doit s'accomplir et pour prohiber des modèles qui sont manifestement désapprouvés au point de vue social. Les contrôles non formels opèrent positivement par l'applaudissement et par d'autres marques d'approbation, ainsi que par des gestes comme un signe de tête ou une tape dans le dos. Négativement ils se manifestent par la moquerie, la huée, le ridicule.

- Une troisième classification est celle des contrôles de groupe ou d'institution comme l'école. Le contrôle social du groupe obtient la conformité par une action consciente, volontaire et délibérée de la part tant du contrôleur que du contrôlé. Le contrôle institutionnel est une réponse subconsciente, souvent non rationnelle de l'individu au milieu culturel. Même sans y penser, la personne porte avec elle des modèles de comportement auxquels elle a été accoutumée par une longue expérience de sa culture particulière.

Ainsi, le processus éducatif, voie par laquelle la société transmet sa culture aux générations successives, a pour but social d'exercer des personnes à accepter les hautes normes de comportement de la culture et à s'y conformer. Elle agit à la fois par des systèmes formels et par des procédures non formelles, mais aboutit finalement à présenter une personne avertie de la différence entre les comportements approuvés et ceux qui sont désapprouvés et qui peut prendre place comme un «membre » dans la société.

I.2. LA DEVIANCE : LE DEVIANT ET L'ANORMAL

La déviance, pour certains sociologues, est en quelque manière que ce soit, un échec, et de l'éducation et de la pression sociale. Elle manifeste un retard ou une faiblesse de l'effort intégrateur de la société. A l'époque du père de la sociologie française, en l'occurrence Durkheim, cette conception représentait une heureuse façon nouvelle d'attirer l'attention sur les «responsabilités sociales » que les théories de l'autonomie de la personne négligeaient quelque peu. Mais, depuis Durkheim, la recherche sociologique et surtout la recherche psychosociologique se sont efforcées d'approfondir le problème de déviance, considéré par lui de façon un peu trop globale et unilatérale. On en fait peut-être peu la théorie, mais davantage l'étude clinique et thérapeutique. De nos jours, un accord s'est fait ou tend à se faire sur les points suivants (Virton, 1965, t2 : 372) : il existe, en toute société globale, quels que soient son système structural et ses normes institutionnelles, des gens qui ne sont pas pleinement accordés à la vie sociale de la société globale à laquelle ils appartiennent. Cette «déviance » n'est pas nécessairement coupable ; mais la société ne peut s'empêcher de la considérer comme «pathologique ». Cette constatation a permis aux adeptes de l'autonomie de la personne humaine d'accorder une plus grande importance aux conditionnements biologiques, psychiques et sociaux de l'individu. Il existe donc des déviances individuelles, mais aussi de véritables déviances collectives ; des groupes et des milieux existent, dans lesquels il est plus difficile à l'individu d'acquérir les comportements et les attitudes de la société globale que d'acquérir ceux de son propre milieu. Cela pose généralement des problèmes de reforme sociale. On doit aussi constater l'existence de facteurs personnels, irréductibles au collectif ou au social : des gens se conduisent de toute autre façon qu'ils ne devraient logiquement le faire, étant donné l'historique de leur vie et l'ensemble de conditionnement auxquels ils ont été soumis. Ainsi, pour le rappeler, l'homme n'est pas «déterminé » mais «conditionné » par son milieu ; qu'il s'en évade parfois ; que la société se transforme sous l'action de ses membres, action dont les membres peuvent fort bien, par ailleurs, n'avoir pas voulu ni même perçu toute la portée. Si le fait des déviances n'a plus de nos jours la même importance idéologique qu'il eut au début de la sociologie, il continue à garder une grande importance, soit pour connaître le pouvoir «intégrateur » d'une société déterminée, soit pour envisager, d'un plan clinique, les reformes sociales et les thérapeutiques individuelles qui sont nécessaires.

Ce paragraphe vise à étudier la typologie des déviances sociales, les causes de déviance, d'une part, et à démontrer que la déviance reste un étiquetage social, une stigmatisation du transgresseur des normes.

I.2.1. La typologie des déviances sociales6(*)

Les déviances peuvent être classées selon leurs formes (matérielle ou formelle), selon leurs valeurs (positive ou négative) ou d'après leurs origines (physique ou organique, psychique et sociale).

I.2.1.1. Déviance matérielle et déviance formelle

Sous ces concepts il s'agit des types de déviances qui s'appréhendent à partir de l'intentionnalité de l'individu déviant. En effet, l'acte déviant peut avoir un caractère involontaire (déviance matérielle) ou plutôt un caractère délibéré (déviance formelle).

I.2.1.1.1. La déviance matérielle

La déviance matérielle renvoie au comportement d'un individu au sein d'une collectivité ou d'un groupe, au sein d'une collectivité plus grande qui s'écarte du comportement en usage, sans que ce comportement divergent pose, à proprement parler, la question d'une opposition dans les attitudes ou les systèmes de valeur. De fait, cette opposition d'attitude et de valeurs peut fort bien exister, mais elle demeure sous-jacente. L'entourage social constate une différence de comportement, mais ne se trouve pas porté à mettre en question l'opposition d'attitude ou de valeur. Ainsi, quand un élève gaucher prend son crayon, on lui fait, peut-être fort maladroitement, des observations, on lui délivre peut-être des blâmes et des punitions, mais on ne pense généralement pas qu'il «le fait exprès », par principe bien arrêté.

I.2.1.1.2. La déviance formelle

La déviance formelle désigne la situation où l'individu et/ou la collectivité manifestent (ou sont réputés manifestés) par un comportement différent de ceux des autres qu'ils ont la volonté délibérée de s'écarter des modèles ou des normes en usage ; ils ont donc (ou bien on suppose qu'ils ont) des attitudes et des systèmes de valeurs divergents de ceux du groupe, du milieu ou de la société globale.

Cette typologie appelle deux observations : d'une part, il se peut que l'appréciation sociale considère comme déviance formelle ce qui n'est, en fait qu'une déviance matérielle, prêtant au déviant une intention qu'il ne possède pas. Il en est ainsi chaque fois qu'une autre personne juge «témérairement » les intentions d'une autre, parce que celle-ci agit d'une autre façon que la façon attendue. Et, inversement, elle peut également se tromper et ne voir qu'un comportement matériellement divergent dans des cas où il a réellement une déviation formelle.

D'autre part, il est constaté aussi que de telles divergences de comportement ou d'attitudes ne portent pas nécessairement sur toutes les valeurs. Il est très rare qu'un homme déteste absolument tout ce qu'aiment son entourage et la société globale à laquelle il appartient. Bien plus généralement il accepte l'ensemble des valeurs admises par les autres, à l'exception de l'une ou l'autre. Parfois même, il reconnaît les mêmes valeurs, mais ne les hiérarchise pas de la même façon. De deux hommes qui aiment l'argent, l'un sacrifiera sa fortune à soigner des parents pauvres et malades, tandis que l'autre, pour de l'argent, «serait capable de tuer père et mère ».

Bien qu'elles puissent exister toutes deux matériellement, c'est dans un contexte de déviance formelle que se comprennent le mieux les différences entre la déviance positive et la déviance négative.

I.2.1.2. Déviance positive et déviance négative

Chaque culture contient à la fois des modèles de comportement idéaux et réels. Les modèles idéaux, d'après Fichter (1972 : 232), interprètent les plus hautes valeurs ; ils s'expriment dans les principes de base auxquels souscrit la société, mais ils ne sont jamais pleinement réalisés. Ce n'est pas à eux mais aux modèles réels que les individus font recours comme à des normes de conformité ou de déviance. Les moeurs établies et les coutumes présentent donc les régularités et uniformités normales auxquelles le sociologue est tenu de faire référence pour mesurer la déviance.

I.2.1.2.1. Déviance positive

Il y a déviance positive quand un individu (ou une collectivité) s'écarte de la hiérarchie des valeurs couramment acceptée, par l'entourage ou par la société globale, pour réaliser, consciemment et délibérément, un système de valeurs qu'il estime plus élevé.7(*) Autrement dit, la déviance positive est celle qui se meut dans la direction des modèles idéaux de conduite. En effet, c'est une tentative de se rapprocher de ces normes idéales que la société considère elle-même comme supérieures et de ces formes de comportement que les gens appellent «plus vertueuses ». La personne ou le groupe orienté positivement et déviant vers le haut s'élève au-dessus des modèles réels de pensée et d'action qui sont banals et toujours répétés. Les déviants dont il s'agit ici sont les personnes extraordinaires, les saints, les modèles exemplaires de conduite. Il est souvent plus facile de discerner ce type de personnage dans la littérature d'un peuple que de le reconnaître dans les situations sociales concrètes.

Toutefois, certains personnages dans la vie terrestre ont été traités de radicaux et de fanatiques durant leur vie mais qui ont été reconnus plus tard comme des déviants positifs. Les révolutionnaires politiques et religieux ont été parfois persécutés. Les inventeurs et les découvreurs ont souvent été ridiculisés par leurs contemporains. Pareil traitement a été réservé aux réformateurs sociaux prophétiques et à des innovateurs dans le domaine de la peinture, de la sculpture, de l'architecture. Ces exemples montrent que la perspective du temps importe à la reconnaissance des déviants positifs et que la tolérance et l'objectivité sont requises à la fois par l'observateur scientifique.

I.2.1.2.2. Déviance négative

Il y a déviance négative, au contraire, lorsqu'un individu (ou collectivité) s'écarte de la hiérarchie de valeurs couramment acceptée, pour réaliser, consciemment et délibérément, un ordre de valeurs considéré comme inférieur, par son entourage ou par la société globale.8(*) De fait, la déviance négative est, sous ce rapport, un mouvement dans le sens du comportement désapprouvé, inférieur et inadéquat. Elle signifie la conformité à des modes de comportement qui se trouve en dessous de l'étalon culturel, c'est-à-dire plus bas que les modèles réels. Ce comportement inférieur est le sens le plus communément employé du mot «déviance » dans la littérature sociologique. Les ouvrages consacrés aux problèmes sociaux traitent de la conduite déviante négative parce que c'est un glissement vers le bas depuis le niveau de comportement normal, jugé acceptable dans une société. Les personnes et les groupes impliqués dans la déviance sont habituellement marqués d'un statut social inférieur, et sont regardés de haut par la société en général.

Ce qui est tout particulièrement intéressant dans ce concept de déviance, du point de vue sociologique, est moins la façon d'agir de l'individu ou de la collectivité que la réaction des autres. En fait, l'appréciation de l'entourage évoquée plus haut, n'est pas, faut-il le souligner, purement platonique, mais qu'elle se manifeste par des comportements qui constituent, sous de multiples formes, la «pression sociale » pour employer l'expression consacrée. La déviance, qu'elle soit positive ou négative, comme le souligne Virton (1965 : 376), « suscite, assez généralement, des réactions immédiates assez semblables ». Tout se passe comme si la société était animée surtout par une certaine «peur de l'inconnu », et comme si elle s'opposait de toutes ses forces, à ceux qui auraient prétention de changer l'ordre existant ; cet ordre est, spontanément, considéré comme «ordre naturel » ou comme «ordre moralement bon ».

Par contre, poursuit Virton,  le même acte de déviance suscite des réactions qui varient selon l'entourage et le milieu auquel cet entourage appartient. Le même comportement, impliquant une semblable attitude, sera loué ou blâmé selon que l'on passe d'un milieu à un autre.

De ce qui précède, il est aisé de conclure que la déviance positive ou négative, matérielle ou formelle, se rencontre partout et peut faire problème au niveau du petit groupe aussi bien qu'à celui des grandes sociétés globales ; elle peut se manifester aussi bien à propos des comportements les plus élémentaires qu'à propos des hautes normes institutionnelles et des normes juridiques, morales ou religieuses. Pour étudier ces déviances, il importe de les classer. On peut le faire en tenant compte de leur origine.

I.2.2.3. Étiologie de la déviance

Les déviants sont différents et anormaux en comparaison de la personne moyenne et du genre moyen de conduite. Mais il y a des genres de différences et des degrés d'anomalie dans toute société. Il peut s'agir de non-conformismes extrêmes ou seulement modérés, d'anormaux au point de vue physique, mental, moral ou culturel. Cette approche classifie plus qu'elle n'explique, mais à tout le moins une explication partielle de la déviance peut résulter du type de classification.

I.2.2.3.1. Des déviances d'origine physique

Il s'agit, en négatif, du cas des malades et handicapés ou impotents que leur état de santé empêche, au moins sur certains points, de mener une vie sociale normale, et qui sont, de ce fait, une gêne pour leur entourage, une source de dépenses pour ceux qui les prennent en charge. L'appréciation de l'entourage ou de leur milieu ou de la société globale est fort variable, allant de la plus pure charité fraternelle à des solutions de neutralisation et d'euthanasie.

I.2.2.3.2. Des déviances d'origine psychique ou mentale

La variété des cas est presque infinie. En négatif, elle va du simple trouble caractériel ou de l'originalité marquée à la démence proprement dite. En positif, elle va de l'intelligence supérieure et du tempérament énergique au «génie » et à la «puissance surhumaine ». Parfois, le positif et le négatif se côtoient et même interfèrent.

I.2.2.3.3. Des déviances d'origine sociale

Toutes les déviances citées dans ce chapitre ont, en effet, un aspect social, tant il est vrai qu'elles sont étudiées à cause de cela ; mais elles l'ont, pour le préciser, dans leurs conséquences. Il s'agit ici des déviances dont l'origine se trouve dans des circonstances sociales : ce sera, par exemple, le cas d'un individu qui ne reçoit pas de la société le «statut normal » que reçoivent «normalement » les autres membres : le cas de l'enfant orphelin ou abandonné, du chômeur, de la victime de la pénurie de logements, etc.

I.2.2.4. La délinquance et la criminalité

Les déviants délinquants ou les criminels sont sujets à un autre standard de jugement de la part de la société que les déviants mentaux, physiques et sociaux. Ils ont un aspect spécifique, sous l'angle de la responsabilité personnelle. Ce sont des non-conformistes qui délibérément violent les normes de valeur de la culture. C'est seulement parce qu'ils sont frappés de peines imposées par la société elle-même. Leur conduite déviante varie depuis les infractions sérieuses jusqu'aux plus légères et leurs irrégularités vont depuis des actions relativement habituelles jusqu'à des actes occasionnels.

En somme, en définissant la déviance comme une manière d'agir et de sentir différente de la manière d'agir et de sentir «des autres », c'est ce terme «les autres » qui demandera d'être sociologiquement précisé. En effet, le même acte, de chacun, sur ce théâtre de la vie sociale, se trouve apprécié simultanément par le groupe au sein duquel cet acte est accompli, mais aussi par l'entourage, et parfois par différents entourages. D'où l'étiquetage et la stigmatisation sociale.

I.3. TRANSGRESSION, STIGMATISATION ET ETIQUETAGE

Depuis Durkheim et Weber, le rapport déviance/anomie alimente les réflexions de bon nombre de sociologues.

Pour Merton, la société véhicule des buts légitimes et des moyens institutionnalisés. La société devient anomique, d'une part, si les buts l'emportent sur les moyens et, d'autre part, si les moyens l'emportent sur les buts. L'individu, quant à lui, s'adapte à la structure sociale des buts et des moyens de cinq manières : conformisme, innovation, ritualisme, évasion, rébellion. Ainsi, la déviance qui va de l'innovation à la rébellion, n'est, en effet, qu'un mode ou un ensemble de modes d'adaptations à la société révèle Merton (1997, (1953) :163 et sq.)

En postulant que les individus ne subissent pas les faits sociaux, mais qu'ils ne cessent de les produire, de les interpréter, d'assigner du sens aux objets, aux situations et aux symboles, l'analyse interactionniste va entièrement révolutionner les études sur l'anomie et la déviance, avec notamment les travaux de Becker et de Goffman. Ces derniers appréhendent la déviance comme un «processus social » (Lallement, 1993, t2 : 221). Pour ces deux auteurs, la déviance ne saurait être, en soi, le fait de transgression des normes, mais plutôt celui d'être qualifié comme délinquant par autrui. Becker, fait remarquer que, c'est le regard que les autres portent sur quelqu'un qui fait de lui un déviant. L'individu ainsi désigné a ensuite du mal à se défaire d'une telle étiquette, d'un tel label. En d'autres termes, la déviance est une construction sociale, «un processus social» par lesquels certains individus sont étiquetés, «labélisés » comme délinquants. Ainsi que le soutient Becker, «la déviance n'est pas une qualité de l'acte commis par une personne, mais plutôt la conséquence de l'application, par les autres, de normes et de sanctions à un «transgresseur ». Le déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette » (Becker, 1963 : 33). La déviance se comprend donc non pas comme une propriété du comportement lui-même, mais comme la résultante de l' « interaction » entre la personne qui commet un acte et ceux qui réagissent à cet acte : 

« On peut considérer la déviance et les déviants, qui incarnent ces concepts, comme le résultat d'un processus d'interaction entre des individus ou des groupes : les uns, en poursuivant la satisfaction de leurs intérêts propres, élaborent et font appliquer ( par le biais de divers appareils idéologiques, et de divers agents : entrepreneurs de morales et grands « stigmatiseurs ») des normes que transgressent les autres qui, poursuivant également de leur côté la satisfaction de leurs propres intérêts (qui sont divergents), commettent des actes qui seront qualifiés de déviants par les premiers. »

Dans cette perspective, la déviance apparaît, comme l'expliquent Durand et Weil (1989 :507), comme l'aboutissement d'un processus complexe, mettant en jeu divers partenaires sociaux et divers éléments de la vie collective. Le déviant est un individu qu'un autre individu ou qu'un groupe, ayant pouvoir de le faire aura stigmatisé et étiqueté comme tel. C'est à ce titre que Nga Ndongo note «qu'il s'agit là d'une sorte d'étiquetage par l'environnement social, de déviance secondaire, par opposition à l'acte de transgression de la norme proprement dit, qui serait une déviance primaire ».

Sous la grille théorique interactionniste, ce niveau secondaire joue un rôle important dans l'explication de la déviance. Pour Goffman (1975, 1963), c'est dans ce second processus que participent activement ceux qui, comme le médecin, le psychologue, la police, la famille proche, etc., porte leur regard sur les autres, notamment les handicapés mentaux, les malades et les exclus sociaux, non mentaux, les malades et les exclus sociaux, non seulement pour les étiqueter, mais les stigmatiser, les marquer. Un exemple pratique illustrant la réalité de ce phénomène de stigmatisation, et l'imposition de rôle qu'il est susceptible d'induire (le stigmatisé ayant tendance à conforter, en s'y conformant, l'image qu'on lui tend, et que l'on attend de lui), est fourni par la vie sociale : la stigmatisation porte, par exemple, sur les traces de maladie ou d'accident, les marques de l'alcoolisme, la peau du noir, le comportement du drogué, les élèves défavorisés, etc. Le stigmatiseur marque, en effet, une différence et assigne une place et un statut inférieurs à ces exclus. Le stigmatisé subit pour éviter un combat inégal, un conflit, voire un lynchage. En fait, deux types d'identités sociales rentrent en opposition de phase chez le stigmatisé : une identité sociale virtuelle, c'est-à-dire celle qu'autrui peut conférer sur la base d'attributs manifestes, et une identité sociale réelle fondée sur des attributs effectivement possédés ;

« Il offre l'image d'un moi précaire dont il peut jouer à son profit ou à l'inverse tenter de corriger la portée en s'appuyant sur certains traits de son identité virtuelle. Une autre option consiste à dissimuler, au prix de multiples petites stratégies, une facette de personnalité potentiellement dévalorisante, si elle était révélée, comme l'homosexualité ou, si elle était évidente, comme une infirmité physique. » (Nga Ndongo, Op. cit ).

A travers ces remarques, se confirment, en réalité, les travaux antérieurs de Goffman qui, trois ans durant, avaient porté sur l'observation du monde clos et contraignant de l'hôpital psychiatrique, sorte d'institution totalitaire où des individus mènent ensemble une vie de réclusion et dont les modalités sont imposées et minutieusement réglées. L'auteur essaie, dans une perspective interactionniste, de montrer que dans l'univers asilaire, la folie, forme d'aliénation mentale, se redouble d'une aliénation sociale qui enferme, au fond qui marque, étiquette et stigmatise les individus dans un rôle de fous (Goffman, 1961, 1968). Autrement dit, l'identité de la personnalité de l'univers asilaire obéit ainsi à la dualité interactionniste d'une déviation primaire et réelle (la folie) et d'une déviation secondaire (le marquage et l'étiquetage par la société). Cette double vie, comme le fait remarquer Nga Ndongo, n'est pas sans engendrer un conflit entre l'individu et la société. En fait, dans ce combat inégal qu'il engage contre ceux qui veulent lui imposer une étiquette ou un stigmate, l'individu perçu, à tort ou à raison, comme déviant, entre nécessairement en conflit avec les forces et les groupes dominants (Nga Ndongo, Op. cit.).

Faire abstraction de ces phénomènes de stigmatisation et d'étiquetage, serait alors proprement avaliser les valeurs et les normes de la société ou du groupe qui prononce le jugement de déviance, et substituer à l'analyse sociologique, une approche idéologique. En réalité, ce que l'étude des faits de déviance indique, c'est que la notion de déviance est fabriquée, construite, et qu'elle remplit une fonction sociale. Les théories de la stigmatisation montrent que celui qui est étiqueté comme déviant est souvent appelé à assurer un rôle de bouc émissaire. En cristallisant sur un personnage honni les images mythiques de la différence, le corps social proclame corrélativement l'affirmation de son identité mythique (Durand et Weil, Op. cit., pp. 507-508).

En somme, toute vie sociale se développe entre ces deux bornes que constituent l'identique et le différent, la norme et la transgression.  Pour qu'il n'y eût pas de déviance, écrit Durkheim,

«Il faudrait un nivellement des consciences individuelles qui (...) n'est ni possible, ni désirable ; mais pour qu'il n'y eût pas de répression (de réaction sociale), il faudrait une absence d'homogénéité morale qui est inconciliable avec l'existence d'une société » (Durkheim, 1930 (1897) : préface).

Ainsi, dans une société, les relations entre les conduites «normales » et les conduites, «déviantes » sont-elles généralement dans un rapport de complémentarité. Bien plus, la déviance d'aujourd'hui devient la norme de demain. Face à l'emprise toujours plus prégnante, dans nos sociétés, de la «rationalité technologique », qui très démocratiquement investit et contrôle les corps et les esprits, la présence des «outsiders », des déviants ou encore, de ces «étrangers » pour employer le terme de Camus ou Marcuse, manifeste, en définitive, l'ouverture inaliénable du champ de l'aventure humaine (Durand et Weil, ibid.)

Naviguant entre norme et transgression, entre singularité et altérité, la problématique de la déviance renvoie finalement à la problématique fondamentale de l'anthropologie. A ce sujet Durand et Weil s'interrogent :

« Le propre de l'homme n'est-il pas de s'inventer sans cesse, et la réalité anthropologique ne consiste-t-elle pas dans la production de différence (les cultures), à partir d'une matrice invariante (homo-sapiens) ? L'homme social n'est-il pas tout à la fois, un producteur de normes, mais aussi de différence ? » (Durand et Weil, ibid.).

En définitive, l'étude sociologique des faits de déviance enseigne que le déviant, c'est toujours «l'autre ». En inventant ses déviants qui sont les négatifs sur lesquels elle refond sans cesse les traits de sa propre image, la société ne fait, une fois de plus, selon l'expression de Mauss, que «se payer de la fausse monnaie de son rêve » (Mauss, cité par Durand et Weil, ibid).

Cette appréhension conceptuelle étant élucidée, il est idoine de s'intéresser à présent au corps de théories du procès éducatif et de son rapport à la société globale en tâchant de mettre à jours les modèles d'interrelation entre la société globale et le sous-système éducatif.

CHAPITRE II

ECOLE ET SOCIETE :

QUELQUES PARADIGMES SOCIOLOGIQUES DOMINANTS

Tout système scolaire porte la marque de la société qui l'a produit, et est organisé selon la conception de la vie sociale, des rouages de la vie économique, des rapports sociaux, qui animent cette société. C'est pourquoi les sociologues ont analysé, directement ou indirectement, les liaisons entre la relation éducative et le système social, l'éducation étant considérée par eux comme une institution destinée à socialiser les jeunes, par une procédure formalisée. S'inspirant des travaux de Postic (1979) sur la relation éducative, ce chapitre vise à présenter quelques paradigmes à partir des fonctions implicites ou explicites de l'école. Il s'agit, en effet, de parler de l'école en mettant en exergue les attentes et expectatives que la société et les individus placent en celle-ci (Binyegui, Op. cit. p. 40).

II.1. L'ECOLE, UN CONCEPT POLYSEMIQUE

L'école fait aujourd'hui l'objet des préoccupations des hommes de tout bord. Le concept de l'école est polysémique. Différentes approches permettent d'essayer de l'appréhender.

En effet, parler de l'école, c'est parler nécessairement de l'éducation. Les deux notions sont convergentes. L'école se réfère à des sens et significations aussi divers que variés. Dans le contexte de cette étude, l'école est appréhendée sous le sens d'un «ensemble complexe d'éléments participant de la formation physique, morale et intellectuelle de la jeunesse dans le cadre des institutions scolaires ». L'école reste ainsi un cadre d'échanges, de relations et de contacts où les notions d'«apprentissage » et d'«enseignement » occupent une place prépondérante (Binyegui, 2004 : 39). De fait, l'école suppose donc qu'il existe au moins quatre éléments caractéristiques : les apprenants et les encadreurs, d'une part ; un contenu, à savoir un programme d'enseignement et un cadre ou un code de transmission dudit programme, d'autre part. Le cadre de l'école peut être physique, concret, virtuel ou distant.

Dans la foulée des tentatives de définition de l'école, figurent en bonne place les travaux de Mendo Ze (2000). Ils révèlent que, dans la conscience d'un ancien élève, par exemple, l'école évoque tour à tour soit les affres des premiers contacts avec un milieu qui arrache une personne à sa famille, soit le souvenir de camarades ayant marqué l'existence de ce dernier, soit les plaisirs et les déplaisirs, les succès et l'échec dans un univers qui n'a pas cessé de se complexifier au fur et à mesure que l'école serrait l'étau sur une vie se densifiant en fonction des moments, des niveaux, de l'âge, des enseignants, du contexte et des méthodes de formation.

L'école peut également se saisir à partir de la pluralité des expressions que ce concept engendre. A l'exemple de «faire école » pour signifier le fait de se rallier autour d'un système imitateur et adepte. « Sentir l'école », c'est-à-dire avoir des manières gauches et pédantesques. « Tenir école » pour dire enseigner. « Travail d'école » pour désigner l'apprentissage. Et enfin, «basse école » qui traduit l'exercice que l'on obtient d'un cheval dressé.

Dans une démarche érudite, et pour mieux aborder les questions liées l'école, les travaux de certaines grandes institutions internationales telles que l'UNESCO ou l'UNICEF, révèlent que 130 millions d'enfants dans le monde n'ont pas accès à cette institution. La majorité d'entre eux, qui plus est, vivent dans le Tiers-Monde. A ceux qui vont à l'école, il faut 300 millions d'enseignants et d'encadreurs administratifs, 250 millions de salles de classes, des budgets nationaux conséquents, des infrastructures minimales, etc. (Mendo Ze, 2000 : 69).

Cette perspective sociographique présente l'avantage des statistiques relativement convaincantes, susceptibles d'illustrer efforts et déficits, avancées ou reculs de l'école : le taux d'analphabétisme, le taux de scolarisation, etc.

Pourtant, elle ne renseigne pas davantage sur le contenu des enseignements dispensés encore moins sur les problèmes de fond posés par les processus de formation.

Sur le plan de la pédagogie, programmes scolaires, méthodes d'enseignement, éthique de l'enseignant, environnement et encadrement de l'apprenant sont autant de domaines qui deviennent des centres d'intérêts. Des interrogations sont ainsi portées sur la capacité de l'école actuelle à procurer les savoirs dits fondamentaux : savoir lire, savoir écrire et savoir compter ; à garantir le savoir-faire : l'apprentissage pour l'insertion professionnelle et l'entrée dans le monde du travail, à cultiver le savoir-être : inculquer les comportements sociaux.

Cette analyse structurée autour d'éléments pédagogiques a cependant le défaut de focaliser l'attention sur l'apprenant et l'enseignant, évacuant en quelque mesure le milieu et la société. Si l'école produit la société, la société à son tour produit également l'école. Il existe donc une relation réciproque et dialectique de l'une sur l'autre.

L'école peut même être aperçue à travers l'éducation. Concept plus englobant qui aurait l'avantage d'impliquer l'école tout en la débordant. Cependant parler d'éducation risque de noyer la préoccupation de cette réflexion dans un flot de considérations applicables à d'autres instances d'instruction, de culture ou de socialisation, sans qu'on puisse faire la différence dans les idées et les concepts. En outre, d'autres approches de l'école existent. Mais il ne s'agit guère ici d'avoir la prétention de les connaître toutes et d'en produire ici une liste exhaustive, ni à plus forte raison, d'avoir toujours une maîtrise absolue de leurs développements. Mais davantage d'en étudier les fonctions.

II.2. LE PARADIGME DE LA DOMINATION

Durkheim est l'un des premiers à mettre en évidence la socialisation méthodique de la jeune génération par l'école et la fonction conservatrice de l'institution scolaire. Il montre que le système d'éducation ne vise pas, en premier lieu, à l'épanouissement de l'individu, et qu'il est avant tout le moyen, pour une société, de l'intégrer dans ses structures. Les fins de l'éducation sont déterminées par la société qui façonne à son image la jeune génération. Durkheim voit dans cette action exercée par le système éducatif le moyen de faire progresser l'humanité et il invoque la nécessité de concilier homogénéité et diversité dans la vie collective, de réaliser une unité et une complémentarité de fonctions sociales assumées par les individus. A ces besoins de la société, selon Durkheim, doit correspondre la diversification et la spécialisation de l'éducation, puisqu'elle « a pour objet d'adapter l'enfant au milieu social où est destiné à vivre ». Dès lors, on comprend que les attaques déclenchées par divers sociologues actuels contre cette position, parce que Durkheim admet que l'éducation se calque sur la division en classes et sur la division non seulement technique, mais sociale du travail. Selon Durkheim, l'éducateur est le représentant de l'État. A ce titre, il assume légitimement une position d'autorité à l'égard de l'élève.

« Ces deux conditions se trouvent réalisées dans les rapports que soutient l'éducateur avec l'enfant soumis à son action : 1° L'enfant est naturellement dans un état de passivité tout à fait comparable à celui où l'hypnotisé se trouve artificiellement placé. Sa conscience ne contient encore qu'un petit nombre de représentations capables de lutter contre celles qui lui sont suggérées, sa volonté est encore rudimentaire. Aussi est-il très facilement suggestionnable. Pour la même raison, il est très accessible à la contagion de l'exemple, très enclin à l'imitation ; 2° L'ascendant que le maître a naturellement sur son élève, par suite de la supériorité de son expérience et de sa culture, donnera naturellement à son action la puissance efficace qui lui est nécessaire... Bien loin que nous devions nous décourager de notre impuissance, nous avons plutôt lieu d'être effrayés par l'étendue de notre pouvoir » (Durkheim, 1966 : 54-55).

Cette conception du rapport éducatif du maître et des élèves, fondée sur la domination nécessaire de l'adulte, ne saurait se comprendre si l'on ne tient compte des conditions historiques et de la théorie générale de Durkheim dans l'analyse. En effet, Durkheim établit une relation entre la morale, conçue comme force d'intégration sociale, et l'éducation, pour démontrer la fonction sociale de l'enseignant qui détient un pouvoir moral supérieur à lui, dont il est l'organe, non l'auteur (Durkheim, 1966 : 131). De plus, les fins de l'éducation, les moyens pédagogiques et la domination de l'enseignant sont justifiés par sa thèse de la rationalisation de la morale. Durkheim est, pour le rappeler, conscient des conséquences extrêmes de sa théorie : il reconnaît que les rapports entre maîtres et élèves sont comparables à ceux que les colonisateurs entretiennent avec les colonies (ibid., : 161-162), et qu'ils risquent d'engendrer des excès, par une supériorité dont on se grise et qui s'affirme parfois sans objet, d'une façon brutale, mais il compte sur une régulation provenant du jeu de ce qu'il appelle l'esprit de discipline, et des contraintes morales imposées par la société.

Dans le prolongement de cette analyse, Filloux a montré comment Durkheim a analysé l'abus de pouvoir, car l'enseignant, l'éducateur, est le représentant de la loi, alors qu'il est attendu que sa position soit compatible avec l'apprentissage chez l'élève de l'esprit critique et de l'autonomie de la volonté. Aussi Durkheim envisage-t-il, pour y remédier, l'ouverture de l'école sur l'extérieur, la constitution d'une communauté dans le groupe-classe. Il s'avère donc, que le rôle du maître est de conduire le groupe, de l'aider à reconnaître la validité des règles de fonctionnement et même de l'aider à les élaborer. Dans ce sens, Filloux relève que Durkheim est « Paradoxalement conduit à légitimer une pédagogie plus autoritaire que son ambition de sauver au nom du respect des valeurs individualistes l'autonomie de la personne ne le laisserait supposer » (Filloux, 1978, p.83-98).

II.3. LE PARADIGME DE LA PRODUCTION

A rebours de Durkheim qui présente une justification sociologique de tout système éducatif, les sociologues actuels s'orientent plutôt vers l'analyse du fonctionnement institutionnel de l'éducation par rapport à des finalités explicites ou implicites. Ils poursuivent l'analyse, avec le souci de démontrer le mécanisme social et de dénoncer l'entreprise. Dans cette perspective, ils recherchent les fonctions du système scolaire, ils en examinent le fonctionnement et la logique interne.

Pour être plus précis, divers courants marxistes replacent les rapports sociaux introduits par l'école dans l'ensemble des rapports existant au sein d'une société. De fait, les hommes entrent en rapports déterminés, rapports de production dont l'ensemble constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique qui conditionne les processus de la vie sociale, politique, intellectuelle (Postic, Op. cit., p.26). Aussi l'ensemble des rapports sociaux est-il un tout défini, dérivé d'un principe fondamental. Or l'enseignant entre dans le circuit des rapports de production, sans en être toujours conscient. Comme l'écrit Lénine, « les hommes entrent dans des rapports de production, sans même se rendre compte qu'il s'agit de rapports de production sociaux » (Lénine, 1969 :15).

Dans le même ordre d'idée, Althusser, parlant de l'idéologie, postule que, à l'occasion de techniques et de connaissance, s'apprennent à l'école des règles qui régissent les rapports sociaux, selon la division sociale-technique du travail, «règles de l'ordre établi par la domination de classe ». Suivant le poste auquel on est destiné, on apprend, précise-t-il, les règles de convenance à observer : il s'agit d'être soumis à l'idéologie dominante pour les ouvriers, et d'acquérir la capacité à manier cette idéologie pour les agents de la domination. Par analogie, le système scolaire, un des appareils idéologiques d'État, que Althusser distingue de l'appareil répressif d'État à l'exemple de la police, de l'armée, des tribunaux, est celui qui assure avec efficacité la reproduction des rapports de production, par l'existence des niveaux de qualification qui correspondent à la division du travail, et par la pratique de l'assujettissement à l'idéologie dominante. Les filières qui existent à l'école sont le reflet de la division de la société en classes, et elles sont destinées à maintenir les rapports de classe (Althusser, 1970).

Dans la même veine, Baudelot et Establet (1971) montrent concrètement que l'école est au service de la division sociale du travail par l'existence de deux réseaux de scolarisation, déterminés par la séparation du travail manuel et du travail intellectuel, par opposition entre une classe dominée et une classe dominante ; un réseau primaire-professionnel et un réseau noble, secondaire-supérieur. Cependant, ils ne mettent pas en cause directement, dans cet état de fait, la relation pédagogique, parce que ni les origines sociales des élèves, ni les modalités pédagogiques, n'expliquent, selon eux, les différences fondamentales entre les élèves : elles transforment seulement les différences en divisions de classes, qui trouvent leur véritable justification dans la reproduction des rapports sociaux de production. Pour ces mêmes auteurs, la fonction de l'école apparaît être la sélection des enfants, fondée sur les inégalités qu'elle provoque, pour affermir la hiérarchie sociale. Dans cette logique, l'échec scolaire ne provient pas d'un mauvais fonctionnement de l'école ; il est, au contraire, nécessaire à son fonctionnement normal, qui implique une sélection opérée surtout par le retard scolaire.

Baudelot et Establet examinent aussi les fonctions globales de l'école, sur les supports techniques (apprentissage de la lecture par exemple qui servent à créer la division entre ceux qui accéderont à ce qu'ils ont convenu d'appeler « le réseau primaire-professionnel » et ceux qui seront dans « le réseau  secondaire-supérieur ». Pourtant, si l'objectif immédiat de leur analyse tient dans la critique de l'image mythique d'une école «unifiée et unifiante », il en découle par contre-coup une esquisse de ce qu'on pourrait nommer la structure contradictoire du rapport éducatif dans le système actuel. L'enseignant est voué à sélectionner une élite dans le moment même où il alphabétise la masse.

A contrario, le courant de la sociologie européenne, avec pour chefs de fils Bourdieu et Passeron, et le courant de l'analyse institutionnelle abordent plus directement les liaisons entre la relation éducative et les situations scolaires institutionnalisées, et ils en relient l'analyse à la logique de l'institution et aux conditions sociales dans lesquelles celle-ci fonctionne.

II.4. LE PARADIGME DE LA REPRODUCTION

Pour l'essentiel, Bourdieu et Passeron (1964, 1970) soutiennent la thèse selon laquelle le système éducatif est calqué sur la société hiérarchisée, et comme il est élaboré par une classe est élaboré par une classe privilégiée, qui détient la culture, c'est-à-dire les outils fondamentaux (savoir, savoir-faire, et surtout savoir-dire), il vise à la conservation du pouvoir culturel de celle-ci. Leur démonstration met en relief la contradiction entre l'objectif de démocratisation de l'enseignement avancé par le système, et le processus de sélection qui élimine une classe socioculturelle de jeunes et qui favorise les «héritiers ». Le système d'enseignement remplit « sa fonction sociale de légitimation de la culture dominante », de la « conservation » et de sélection ; il « contribue à la reproduction de l'ordre établi », en dissimulant sa fonction.

Les auteurs replacent ainsi la relation éducative dans un mécanisme social dont l'enseignant est un rouage fondamental. A ce propos, ils soulignent que :

« Réduire le rapport pédagogique à un pur rapport de communication, ce serait s'interdire de rendre compte des caractéristiques spécifiques qu'il doit à l'autorité de l'institution pédagogique ; le seul fait de transmettre en message dans un rapport de communication pédagogique implique et impose une définition sociale (d'autant plus explicite et codifiée que ce rapport est plus institutionnalisé) de ce qui mérite d'être transmis, du code dans lequel le message doit être transmis, ceux qui ont le droit de le transmettre ou, mieux, d'en imposer la réception, de ceux qui sont dignes de le recevoir et, de ce fait, contraints de le recevoir, et enfin, du mode d'imposition et d'inculcation du message qui confère sa légitimité et par-là son sens complet à l'information transmise » (Bourdieu et Passeron, 1970 : 136).

Au regard de cette affirmation, l'autorité de l'enseignant, pour Bourdieu et Passeron, provient du privilège qui lui a été conféré d'être le représentant de la culture instituée et d'être l'agent de sélection culturelle au moyen de l'instrument qu'est le verbe. Les auteurs placent au centre de leur analyse de la relation éducative le rôle joué par le langage, car ils considèrent l'acte pédagogique comme «action d'imposition ou d'inculcation d'une culture légitime » (ibid. p.134). Les élèves d'une origine socioculturelle modeste apparaissent comme défavorisés par leur handicap de langage. De nombreuses études ont précédé celles de Bourdieu et Passeron à ce sujet, celles de Sampson, de Mitchell, de Bernstein, de Girard et ses collaborateurs en France.

Par exemple, les travaux de Bernstein (1961) s'attachent à examiner les différences linguistiques anglo-saxonnes entre la classe populaire, chez qui se manifeste une résistance à l'éducation formelle, parce qu'elle possède une façon de percevoir, caractérisée par une sensibilité au contenu plutôt qu'à la structure des objets, et la classe moyenne, chez laquelle apparaît une rationalité qui lui permet d'accéder à ce type d'éducation. Pour cet auteur, non seulement le vocabulaire, mais surtout la manière d'organiser ce qu'on vit, ce qu'on apprend, manière concrète et descriptive dans la classe ouvrière, analytique et abstraite dans la classe non manuelle, agissent sélectivement sur le mode et le contenu des communications. Selon Bernstein, la structure sociale engendre des formes linguistiques ; la forme culturelle de chaque de chaque classe détermine les relations entre les individus, car la communication se poursuit sur un fond d'identifications étroitement partagées et d'empathie affective qui suppriment le besoin d'une expression verbale élaborée.

Ainsi, les difficultés rencontrées dans la relation éducative proviendraient du fait que les enseignants emploient un langage abstrait, correspondant à leur culture et dans lequel ils se meuvent facilement, alors que les élèves se distinguent entre eux par leurs possibilités de perception et de compréhension de ce langage informel, au code élaboré. Les enfants se différencient peu à peu par leur aptitude, en grande partie déterminée par leur origine sociale, à acquérir la forme linguistique en usage à l'école.

Cette analyse permet de tirer des conséquences intéressantes. La relation établie entre l'enfant issu d'une famille ouvrière et l'enseignant apparaît de nature conflictuelle, parce que les références culturelles sont différentes. C'est un changement d'identité culturelle que demande l'école aux enfants appartenant à des milieux sociaux dont la culture est singulière.

A partir de cette constatation, des travaux psychopédagogiques, partant de réformes linguistiques à l'école9(*), cherchent à favoriser une modification d'attitudes et de comportements de l'enseignant à l'égard des cultures extra-scolaires, et surtout à l'égard des enfants des classes sociales défavorisées. Le rôle du maître est, en effet, de permettre à l'enfant d'approprier les moyens qui lui permettront de communiquer et d'agir.

En revanche, cette notion de milieu, utilisée dans les travaux des chercheurs, est contestable, dans la mesure où elle ne rend pas compte de la réalité psychosociologique du concept de classe sociale (Moscato et Simonot, t.XXX, 1977 : 10-13). De plus, on peut reprocher à Bernstein, Bourdieu et Passeron qui ont des approches similaires de la réalité du langage scolaire, de rester à des généralités théoriques, et de ne pas analyser les mécanismes qui apparaissent au fur et à mesure de la scolarité de l'enfant. Lorsqu'ils cherchent un support concret à leur démonstration, ils se réfèrent à l'apprentissage du code linguistique de la philosophie (Bourdieu et Passeron, 1965) ou bien ils font appel à leur expérience de l'enseignement supérieur. Dans la communication scolaire, ils ne voient que le cours magistral et exposé. Il est facile de présenter l'enseignant comme une virtuose du verbe, faisant d'une exhibition dans l'espace traditionnel de la salle de classe, et de mettre en relief la situation de distance qui y est introduite par rapport aux étudiants.

« Entre toutes les techniques de distanciation dont l'institution dote ses agents, le langage magistral est le plus efficace et le plus subtil : par opposition aux distances inscrites dans l'espace ou garanties par le règlement, la distance que créent les mots semble devoir à l'institution. Le verbe magistral, attribut statutaire qui doit à l'institution la plupart de ses effets puisqu'il ne saurait jamais être dissocié de la relation d'autorité scolaire où il se manifeste, peut apparaître comme qualité propre de la personne alors qu'il ne fait que détourner au profit du fonctionnaire un privilège de la fonction » (Bourdieu et Passeron, 1967 : 136).

On voit par ce qui précède que la relation pédagogique, si l'on suit la pensée de Bourdieu et Passeron dans ses fondements institutionnels, reste une relation figurative, mais non dialectique, car elle élimine tout mouvement compensatoire, et elle établit une hiérarchie graduée de positions. Elle est dominée par un modèle culturel qui est le point d'aboutissement de l'effort pédagogique.

Pour l'essentiel, l'action de l'enseignant se présente, pour Bourdieu et Passeron, comme une transmission du modèle de culture dominante, et la relation éducative est, pour eux, le schème d'un rapport social, celui de la «perpétuation des rapports établis entre les classes dominantes. L'enseignant n'en est pas conscient, affirment-ils, parce qu'il a accédé au privilège de la culture et qu'il émet des jugements en fonction de celle-ci. Il attribue alors aux dons nombre d'inégalités qui sont d'abord des inégalités sociales » (Passeron, 1967 : 154).

En dépit d'une certaine séduction qu'exerce l'analyse générale du système éducatif faite par Bourdieu et Passeron, elle manque de support réel quant elle aborde la relation éducative.

Les critiques formulées par Snyders (1970) permettent de s'interroger sur le rôle de l'école dans la société. Selon lui, elle ne crée pas les situations d'inégalité par un parti pris, même inconscient, et les difficultés d'élèves des classes défavorisées sont plutôt l'expression de leurs difficultés générales provenant de la structure sociale. L'école « est un terrain où s'affrontent les forces du progrès et les forces conservatrices. Ce qui s'y passe reflète et l'exploitation et la lutte contre l'exploitation » (Snyders, 1970 : 98).

Boudon, quant à lui, reproche à Bourdieu et Passeron leurs positions finalistes. Ces derniers supposent que les structures sociales ont un effet de régulation sur les comportements des individus, et que ceux-ci se soumettent à des régularités perceptibles au niveau de la société tout entière.

S'agissant de la relation éducative proprement dite, on relève une contradiction interne chez les auteurs. Dans Les Héritiers, Bourdieu et Passeron (1964 :112) préconisent une pédagogie rationnelle ; notamment celle qui

« Devrait prendre en compte le contenu de l'enseignement ou les fins professionnelles de la formation, et, envisageant les divers types de rapports éducatifs, elle ne devrait pas oublier leur rendement différentiel selon l'origine sociale des étudiants. En toute hypothèse, elle est subordonnée à la connaissance que l'on se donnera de l'inégalité culturelle socialement conditionnée et à la décision de la réduire »

Pourtant, dans leurs travaux, est délaissée l'étude des divers types de rapports pédagogiques existant actuellement selon les types d'établissements et les modalités pédagogiques ; ils négligent l'analyse différentielle du rôle du langage et du rôle des activités manipulatoires et/ou opératoires, par exemple.

Dans une perspective critique, les partisans de l'analyse institutionnelle reprochent à Bourdieu et Passeron de mener une analyse du fonctionnement du système, en recherchant les facteurs déterminants dans la reproduction d'une discrimination socioculturelle, les mécanismes de sélection ayant pour but de maintenir les structures sociales. Cette position fonctionnaliste laisse de côté, selon Guigou (1971) les rapports dialectiques entre une institution éducative et la demande sociale, et elle risque de légitimer les appareils de contrainte sur le plan idéologique ou, plus insidieusement, de fournir des moyens de remanier le système. Lourau (1971), quant à lui, va attaquer vivement la vision «rationaliste » de Passeron. Celui-ci affirmait que «le rapport pédagogique actuel est à la fois peu efficace (dans la transmission d'informations comme dans la formation) » et il montre que tout comment toute évolution du rapport éducatif suppose une prise de conscience rationnelle des modifications fondamentales à apporter, notamment des «coûts » à assumer, c'est-à-dire des conséquences nécessaires (obligation des uns à l'égard des autres, contraintes matérielles et morales) entraînées par la modification. Pour Passeron (1967), renoncer au cadre traditionnel, c'est pour l'enseignant comme pour l'apprenant, perdre de la liberté : l'un à son isolement, à son indépendance, doit quitter le monologue pour s'ouvrir aux attentes des enseignés ; l'autre, en contrepartie, doit se soumettre à une régularité dans la présence et dans son travail. A contrario, Lourau suggère de «prendre comme objet de connaissance ce que les rationalistes considèrent comme altération ou obstacle extérieur à la connaissance », et il ne s'agit pas d'évaluer le degré de rationalité de l'intervention pédagogique, puisque c'est le système dans son ensemble qui est à considérer (Postic, Op. cit p. 34).

II.5. L'ANALYSE INSTITUTIONNELLE

Pour le courant de l'analyse institutionnelle, la question des relations enseignant-enseigné est une «question écran » (Guigou, 1971), car c'est d'abord le rapport que l'enseignant entretient avec les institutions, soit à l'occasion de la nature de la tâche (programme imposé par les instructions officielles, emploi du temps, contrôle, etc.), soit lors de son déroulement (discipline, règlement intérieur, relations dans l'établissement), qui a besoin d'être examiné en priorité pour que soit faite l'analyse des implications institutionnelles de l'enseignant dans la situation éducative.

Dans une démarche tout à fait opposée, Lourau (1971) fait observer que la fonction «bureaucratique » de l'enseignant apparaît, par ses actions de conservation, de diffusion, de contrôle et de sanction du savoir. L'enseignant, affirme-t-il, a acquis une autorité par le savoir, reflet idéologique de la société dominante, et il incarne la contrainte de l'Etat et de son pouvoir. Placé dans une situation d'ascendance sur l'élève, il reproduit dans la classe les modèles en usage dans la société qu'il représente. La structure de la relation éducative apparaît à l'auteur comme le reflet de la structure sociale hiérarchisée, et comme le produit d'un ordre rationnel.

L'analyse institutionnelle s'intéresse à la relation pédagogique pour appréhender l'effet analyseur qui «intervient chaque fois qu'une relation de pouvoir (comprenant ou non, officiellement, une relation au savoir) s'instaure dans la pratique » (Lourau, 1973). Ce sont surtout les éléments perturbateurs survenant dans l'organisation  qui, selon les tenants de cette approche, révèlent les déterminants de la situation. Il s'avère donc que, ces analyseurs peuvent être aussi bien des conflits entre l'enseignant et les élèves, entre un sous-groupe déviant et le reste de la classe, que le conflit entre l'enseignant et ses supérieurs hiérarchiques (chefs d'établissement, censeur, inspecteur, etc.). Chercher dans quelles circonstances un événement produit des effets analyseurs, c'est réunir les outils de la connaissance des implications institutionnelles dans la situation. Ainsi est mise en évidence la notion de pouvoir et de la séparation qui s'établit entre l'enseignant et l'enseigné par la distance au savoir. L'enseignant garde son privilège en conservant une partie de l'information, en n'accordant qu'une fraction ou même en conditionnant l'enseigné à accepter de ne pas savoir.

Mais le but de l'analyse institutionnelle n'est pas d'apporter à l'enseignant un feed-back, au sens où on l'entend en psychosociologie, qui donne les moyens d'une régulation et d'une révision de l'organisation. Expliquant l'évolution du mouvement, Lapassade (1973), montre que l'analyse institutionnelle a cherché, dans un premier temps en France, à transformer les institutions de l'intérieur afin de les rendre éducative ou thérapeutiques, qu'elle à évolué ensuite, sous l'influence des Anglo-Saxons, vers une interrogation des institutions, de l'extérieur, en s'attaquant aux principes, et qu'elle rejoint par là l'anti-école. Créer de nouvelles formes éducatives, même en rupture avec les structures institutionnelles, concourt à assurer la pérennité de l'institution, soutient Rouchy (1973). Toute contre-institution n'introduit qu'un «conflit de groupes ou d'organisations dans l'institution et au nom de celui-ci », et elle nie « la conflictualité sociale présente dans les organisations en la déplaçant », partant du principe que si les institutions changent, on pourrait changer subséquemment l'organisation de la formation.

Il ne s'agit pas pour l'analyse institutionnelle, de proposer des changements dans l'organisation de la situation pédagogique pour améliorer la relation et y introduire des formes plus libérales, et ce d'autant plus elle pose aussi comme principe que ce qui est institué limite les possibilités se l'instituant.

En somme, les études institutionnelles ont le mérite d'avoir montré que la relation éducative, jeu interpersonnel en apparence, provient de modèles sociologiques, et qu'elle calque ces modèles et les reproduit dans des manifestations quotidiennes. Elles ont souligné aussi la position-clé, politique, que l'école a dans la société ; l'école est toujours utilisée comme moyen en vue d'une fin qui la dépasse. L'enseignant est amené à voir lucidement sa place dans le réseau dans les rapports entre les élèves et lui-même. Il s'avère donc, à part de ce qui précède, qu'il est quasi impossible d'abstraire les rapports entre enseignants et enseignés de l'ensemble de l'organisation du système d'éducation, de ses fonctions sociales, de ses liens avec la société globale. Les processus de fonctionnement de la situation éducative résultent nécessairement des conditions qui s'établissent entre école et le système social, et qui introduisent des rapports de force entre les partenaires en présence, rapports qui reproduisent ceux qui existent dans la société. La relation éducative, dans ses formes instituées, apparaît alors comme la préfiguration des rapports que trouveront les élèves dans la société.

Les études sociologiques mettent en évidence que le mécanisme de pouvoir de l'action éducative est inséparable du pouvoir social, et que le pouvoir social commande le pouvoir pédagogique, en se servant de celui-ci pour s'affirmer et pour se consolider. Elles font apparaître les réalités observées de la relation pédagogique comme conséquences du fonctionnement du système global, notamment le rapport à base de domination de l'enseignant introduit dans la relation éducative, reflétant le système de stratification sociale. Et comme l'éducation, instrument d'action socialisante, permet l'intégration des normes chez les jeunes et le maintien des modèles, la pratique de la relation dans les institutions éducatives établit des règles dans les rapports et élabore des structures de rapports hiérarchiques entre les hommes.

Or actuellement, l'ensemble des normes régissant la relation éducative est contesté dans le monde et au Cameroun, parce ce qu'elles se fondent sur une structure destinée à faire respecter un pouvoir, d'autant plus aliénant qu'il est anonyme, d'autant plus angoissant qu'il s'exerce par l'intermédiaire de personnes qui s'expriment au nom d'une série d'autres personnes, totalement inconnues de celles qui exécutent. Ainsi pour les adeptes des analyses déterministes ou holistes de l'institution scolaire, la crise des systèmes éducatifs se rattache à la crise générale de la société, qui a ses racines dans le politique.

CHAPITRE III

LES FONDEMENTS DU SYSTEME EDUCATIF CAMEROUNAIS

Dans le chapitre précédent, nous avons voulu réaliser une synthèse unifiée de différents paradigmes sociologiques considérés aujourd'hui comme dominants, car, faut-il le souligner, tout système éducatif tire son intelligibilité des approches théoriques évoquées plus haut. Comme on peut le constater, l'école assume, aujourd'hui, des fonctions qui sont diversifiées et parfois dissimulées à l'examen superficiel : elle a la charge de la sélection, de l'endoctrinement, de l'instruction, pour le dire de façon laconique. Ce chapitre vise donc, à parler du système éducatif, en allant vers ce que l'on pourrait appeler «une phénoménologie de l'école ». Son étude doit nous permettre de mieux évaluer et d'appréhender son rapport avec les comportements déviants de la jeunesse scolaire.

III.1. EDUCATION ET MODELE EDUCATIF

Avant d'arriver à l'étude du système éducatif proprement dit, il y a lieu de préciser deux notions importantes. Il s'agit de la notion d'éducation et celle du modèle éducatif.

III.1.2. Le concept d'éducation

L'école est une expression privilégiée de la société qui lui confie le soin de transmettre aux enfants des valeurs culturelles, morales, sociales, qu'elle juge indispensable à la formation d'un adulte et à son intégration dans son milieu. Elle se présente donc comme le dépositaire des valeurs essentielles d'une société. Des sociologues français à l'instar de Comte, Durkheim en particulier, ont accordé à l'éducation une place considérable dans l'édification de leur théorie. La définition que Durkheim donne de l'éducation s'apparente à une conception sociologique de l'adaptation et confère à l'école une mission sociale (Mollo, 1969 : 6 ).

« La société se trouve donc, à chaque génération nouvelle, en présence d'une table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveau frais. Il faut que, par les voies les plus rapides, à l'être égoïste et asocial qui vient de naître, elle en surajoute un autre, capable de mener une vie morale et sociale... Elle ne se borne pas à développer l'organisme individuel dans le sens marqué par la nature, rendre apparentes des puissances cachées qui ne demanderaient qu'à se révéler. Elle crée dans l'homme un être nouveau » (Durkheim, 1966 : 42).

Fidèle à l'image antique du maître et de son disciple, l'éducation se présente avant tout comme une transmission du savoir. Au sens large et le plus commun, l'éducation s'oriente nettement vers une vocation sociale ; elle comprend tous les processus qui transmettent aux jeunes générations des connaissances ou des types de comportement déterminés qui garantissent la continuité de civilisation d'une société.

C'est sur cette conception sociologique de l'éducation qui tend à former dans l'homme l'être social que repose toute la théorie pédagogique de Durkheim : « L'homme que l'éducation doit réaliser en nous, ce n'est pas l'homme tel que la nature l'a fait, mais tel que la société veut qu'il soit » (Durkheim, 1966 : 90).

C'est en référence à cette idéologie qu'au Cameroun, l'école se donne pour mission de réaliser un homme qui sera un citoyen patriote, éclairé, bilingue (Français-Anglais) et maîtrisant une langue nationale enracinée dans sa culture, mais ouvert au monde, créatif, entreprenant, tolérant, fier de son identité, responsable, intègre, respectueux des idéaux de paix, de solidarité, de justice et jouissant des savoirs, savoir-faire et du savoir-être (cf. Etats généraux de l'Education au Cameroun, 1995).

III.1.2. Le modèle éducatif

En sciences humaines, le modèle est une forme particulière de représentation qui se caractérise par son aspect normatif. Nous rejoignons ainsi les considérations philosophiques qui préludent à toute définition de l'éducation. « Quel type d'homme, quel modèle d'homme vise-t-elle à former ? ». On peut alors comprendre l'éducation dans un sens très large, «comme une action tendant non seulement dans un aspect négatif à éviter la formation de personnalité d'allure pathologique, mais à orienter l'évolution (et c'est l'aspect positif) vers des formes de personnalités » (Mialaret, 1964, cité par Suzanne Mollo, 1969 : 12 ).

Cette définition pose ainsi le problème du profil d'homme qu'il s'agit de former. Malgré le caractère aigu de la crise qui a secoué, dès les années 1970, les systèmes éducatifs africains en général et camerounais en particulier, les réponses apportées à cette question peuvent être rangées dans ce que Mvesso (1998) a appelé «le modèle de `' l'École du comment'' »10(*), ce modèle d'école qui consiste, observe Mvesso, à faire «intérioriser les codes culturels européens, dans une langue européenne et à obtenir le label magique : le diplôme, véritable ticket-miracle pour l'intégration socioprofessionnelle » (2005 : 19). Tout le système éducatif camerounais actuel est ainsi largement tributaire du modèle des années soixante, c'est-à-dire, un ensemble de structures scolaires léguées directement par les puissances coloniales, en l'occurrence l'Angleterre et la France qui venaient «d'octroyer » l'indépendance au Cameroun (idem).

III.2. SYSTEME ET POLITIQUES EDUCATIVES

Parler des politiques éducatives, c'est parler à coup sûr du système éducatif. Celui-ci renvoie à un ensemble complexe d'éléments divers participant de la formation physique, morale et intellectuelle de la jeunesse dans le cadre des institutions scolaires. Il est donc constitué d'institutions physiques et morales à but scolaire, des politiques éducatives, des programmes scolaires, d'un système d'évaluation, de structures et infrastructure diverses concourant à l'oeuvre éducative (Binyegui, 2004 : 14). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette notion se confond avec celle d'école qui vient d'être défini, et ont un rapport d'équivalence. Aussi le système éducatif camerounais et école camerounaise renverront-ils au même réel.

Généralement employée au pluriel, la notion de politique (s) éducative (s) occupe une place importante dans tout système d'enseignement, dans la mesure où, ce sont les politiques éducatives qui définissent les conditions d'existence et de fonctionnement de celui-ci. La notion de politiques éducatives se réfère aux buts avoués du système éducatif. Dans cette perspective, G. Ntebe Bomba (2001 :111), observe que, les politiques éducatives «...expriment (...) la façon dont une société se pense elle-même, se veut, se projette dans l'avenir. Elles expriment donc aussi les rapports de force dans une société, la domination socio-économique, mais également la domination symbolique et culturelle ». Cela revient donc à dire que les politiques éducatives sont comme des vecteurs de la philosophie, de la vision du monde dont se dote un peuple. Plus précisément, la notion de politiques éducatives peut être assimilée à celle d'idéologie. C'est-à-dire un ensemble de croyances, de valeurs, de convictions et d'objectifs à atteindre que se fixent les valeurs à transmettre aux apprenants. C'est de ces politiques éducatives que découlent, en réalité, les conditions et les cadres de déroulement du processus enseignement-apprentissage. Elles sont à la base du processus de conception du système et l'orientent tout au long de sa mise en oeuvre. Même au sortir du système, ce sont elles qui, au travers des finalités qu'elles définissent, permettent d'apprécier le résultat en fin de formation. Quoi qu'il en soit, les politiques éducatives se fondent sur le `'modèle d'homme à former''. Réalité abstraite, subtile et toujours non observable de façon manifeste, les politiques éducatives sont au fondement du système éducatif et influent de tout leur poids sur la nature des institutions scolaires. En effet, le fonctionnement, l'organisation et la nature des institutions et structures participant de l'oeuvre éducative d'une société sont définis par les politiques éducatives.

Les politiques éducatives se matérialisent et se manifestent, dans les sociétés modernes, par des textes de loi et autres décisions administratives. Ces textes qui peuvent se présenter sous diverses formes ou formules (arrêtés, décrets, lois, circulaires, résolutions, etc.), posent et énoncent les buts ainsi que les objectifs poursuivis par l'entreprise éducative au sein du groupe social. C'est donc de cet ensemble de textes que se dégage ce qu'il est convenu d'appeler la `'philosophie du groupe social''. Celle-ci renseigne alors sur le `'modèle d'homme à former''.

La loi N°98/004 du 14 avril portant orientation de l'éducation au Cameroun se présente comme les lanternes des politiques éducatives du Cameroun. C'est cette loi qui fixe les grandes lignes et orientation normative du système éducatif camerounais.

III.2.1. Configuration du système éducatif camerounais

Le système éducatif camerounais renvoie en réalité à un ensemble composite de deux systèmes scolaires distincts et différents, l'un de l'autre. Il est organisé autour d'un sous-système anglophone et d'un sous-système francophone. Chacun des deux ensembles présente des traits caractéristiques particuliers qui le démarquent de l'autre. La loi de l'orientation de l'éducation au Cameroun, textes de référence du domaine scolaire au Cameroun, précise en son article 15

« (1) Le système éducatif est organisé en deux sous-systèmes, l'un anglophone, l'autre francophone, par lesquels est réaffirmée l'option nationale du biculturalisme.

(2) Les sous-systèmes éducatifs sus-évoqués coexistent en conservant chacun sa spécificité dans les méthodes d'évaluation et les certifications »11(*) .

Il est donc clair que le biculturalisme hérité de l'histoire coloniale qui fait du Cameroun un pays bilingue, partagé entre l'héritage britannique et patrimoine linguistique français, se répercute sur le système éducatif contemporain.

Selon la loi d'orientation au Cameroun citée plus haut, le système éducatif Cameroun est composé de cinq niveaux d'enseignement : maternel, primaire, post-primaire, normal, secondaire général et secondaire technique. De l'enseignement secondaire dont il est question dans cette, il ressort qu'il se subdivise à son tour en deux grandes branches : l'enseignement secondaire général et l'enseignement secondaire technique industriel et/ou commercial. Ces deux ordres d'enseignement sont respectivement dispensés dans les lycées et collèges d'enseignements secondaires techniques et commercial, avec dans certaines localités, une phase d'initiation dans les sections artisanales et rurales/sections ménagères.

D'une façon générale, la durée de la scolarité au niveau secondaire est de sept ans. Scindée en deux cycles. Un premier cycle d'une durée de quatre ans d'observation en tronc commun qui débouche sur le BEPC, enfin, intervient un second cycle d'orientation de trois ans. Le second cycle d'enseignement secondaire offre deux grandes filières d'études aux apprenants à savoir une filière littéraire (série A) et une filière scientifique (série C et D). Quant à ce qui est des conditions et modalités d'organisation et de fonctionnement du système scolaire au Cameroun, elles relèvent également du domaine de l'État. C'est le Ministère de l'éducation qui assure et oriente la gestion de l'enseignement au Cameroun.

C'est la loi d'orientation de l'éducation sus-mentionnée qui fixe les bases et les fondements du fonctionnement de l'institution scolaire au Cameroun. Elle en détermine les cadres, les moyens, les buts et les objectifs. De temps à autre, cette loi fondamentale est complétée par d'autres textes réglementaires. Pour ce qui est particulièrement du fonctionnement et de l'organisation du système scolaire du Cameroun, il convient de rappeler qu'ils sont du ressort du Ministère de l'Enseignement Secondaire. Plus concrètement, c'est au niveau des services centraux que sont prises (ou tout au moins élaborées, examinées et expertisées) toutes les décisions se rapportant à la question éducative. Une fois promulguées, ces décisions ont une implication nationale.

Au niveau des différentes unités administratives, le ministère est représenté par des services extérieurs : délégations régionales, délégations départementales, inspections d'enseignement qui sont des structures de relais et assurent la gestion et l'examen des questions de second ordre, de portée locale.

Les établissements scolaires sont à la base de la pyramide et constituent les piliers fondamentaux du système, en tant qu'ils arbitrent le couple apprenant-enseignant, noyau du "procès éducationnel" (Binyegui, 2004 : 66-67). 

III.2.2. Le paysage infrastructurel

De la définition de la notion du système éducatif retenue précédemment, il ressort que les infrastructures en sont un des éléments constitutifs.

Au Yaoundé, capitale politique du Cameroun, la plupart des établissements scolaires publics était depuis les années 1960 localisés sur le Plateau Atemengue, lointain héritage de la première école créée par les Allemands. De nos jours, ils sont, au même titre que les établissements privés (laïcs et confessionnels), disséminés dans les sept arrondissements que compte le département du Mfoundi. A titre illustratif, le tableau ci-dessous essaie ainsi de faire ressortir les différentes infrastructures et sites qui abritent les établissements d'enseignement du second degré public et privé qui sont au coeur de la vie sociale dans la capitale politique du Cameroun.

Tableau 1 : Répartition des établissements publics et privés par arrondissement de la ville de Yaoundé :

Arrondissements

Etablissements publics

Etablissements privés

Yaoundé I

Lycée d'Elig-Essono

Lycée d'Emana

Lycée de Mballa II

Lycée de Nkol-Eton

Collège de la Retraite

Collège de l'Unité

Collège Tana Ahanda

Institut bilingue d'Etoudi

ISDIC

Yaoundé II

Lycée de la Cité Verte

Lycée de Tsinga

Centre multifoncionnel de jeunesse et d'animation de Madagascar

Institut Jean Body Zibi

CPMS

Yaoundé III

Lycée Bilingue d'Application

Lycée Général Leclerc

Lycée de Nsam-Efoulan

Lycée Technique de Yaoundé

CES de Ngoa-Ekelle

Collège F.X. Vogt

Collège les Bambis

Institut des Sciences Economiques et Informatiques de Gestion (ESEIG)

Yaoundé IV

Lycée d'Anguissa

Lycée d'Ekounou

Lycée de Mimboman

Lycée de Nkoldongo

Lycée technique

d'Ekounou

IMOTEC

Yaoundé V

Lycée Bilingue de Yaoundé

Lycée de Ngousso-Ngoulemakong

Collège Mongo-Beti

Collège Larousse

Collège de l'Espérance

Institut-Samba

Yaoundé VI

Lycée Bilingue d'Etoug-Ebe

Lycée de Biyem-Assi

Lycée de Mendong

Collège Ebanda

Collège les Sapins

Collège du savoir

Institut des Techniques industrielles d'Etoug-Ebe

Institut Victor Hugo

Collège science technique

Yaoundé VII

Lycée de Nkolbisson

Lycée technique de Nkolbisson

 

Source : MINESEC /DDTFPM (Délégation départementale de l'enseignement technique et professionnel du Mfoundi) et enquête de terrain, janvier 200712(*)

Ce que ce tableau souligne, c'est le fait que Yaoundé pourrait passer pour une ville à scolarisation forte. Ce qui ressort des informations collectées sur le terrain et reportées sur ce tableau, c'est la multiplication des établissements (privés laïcs et confessionnels) à côté des établissements publics, tout ordre confondu.

Le relais pris par l'enseignement privé pour pallier l'insuffisance du public, n'est cependant pas sans poser des problèmes. Les statistiques montrent qu'en 2000/2001, on y comptait trois fois plus d'élèves par professeur que dans le public. Cette différence provient avant tout de la prolifération à Yaoundé des établissements privés laïc qui constitue probablement l'une des originalités de la ville et l'une des raisons de l'attrait, pour le rappeler, qu'elle exerce sur les jeunes de la région (Franqueville, 1984). Ils se sont multipliés au lendemain de l'indépendance et fonctionnent, selon Franqueville, avec un minimum de moyens et un maximum d'élèves : Collège Madeleine, Collège Montesquieu, Collège la Mefou, Institut-Samba, Institut-Siantou, entre autre ; tout en présentant l'avantage d'être souvent dans une position assez centrale. Là se regroupe les élèves refusés par l'enseignement public, faute de place, ceux qui ont échoué au cours d'entrée en sixième, ou encore ceux qui atteint la limite d'âge. Le trop grand nombre d'élèves, l'insuffisance des moyens pédagogiques déjà sensibles dans le public se trouvent encore aggravé dans ces établissements, et le nombre de ceux qui dispensent un enseignement technique (Collège IMOTEC, CPMS, Collège Science technique, ISDIC, ESEIG...) ne doit pas faire illusion. Les sections industrielles sont surtout celles du bâtiment, menuiserie, mécanique automobile, mécanique de fabrication, maintenance électroménager, électrotechnique, plomberie et électricité qui, à Yaoundé, regroupent les deux tiers des élèves, et ces établissements privés dispensent avant tout un enseignement commercial (secrétariat, dactylographie, commerce quantitative de gestion) pour lequel le matériel pédagogique nécessaire est généralement insuffisant. Une telle orientation rend compte du fort taux de féminisation du technique à Yaoundé. Mais il se comprend que, dans de telles conditions de formation, les employeurs reprochent à ces diplômés la faiblesse de leur apprentissage pratique et préfèrent embaucher du personnel formé sur le tas. D'une façon générale, le rendement de l'enseignement technique reste encore faible : 40% des élèves seulement terminent leur scolarité normale de quatre années, 22% abandonnent avant la 2e année et 18% au cours de la deuxième année (DSCN,- Annuaire statistique du Cameroun, 2000), venant grossir l'effectif des demandeurs d'emploi sans qualification.

Ce phénomène n'est pas cependant propre à Yaoundé, ni même à l'enseignement technique. Sans doute découle-t-il, en partie, d'après Franqueville (Op. cit.), d'un faible niveau général dont l'instruction primaire peu adapté est souvent responsable. Mais il a aussi pour cause l'importante privatisation de l'enseignement qui rend celui-ci fort onéreux pour les familles : la plupart des « semi-scolarisés » qui ont dû abandonner leurs études avant l'achèvement d'un cycle complet l'ont fait parce que plus personne ne pouvait subvenir aux frais de leur scolarité.

Dans ces conditions, on comprend fort bien que l'intéressé, venu à Yaoundé pour y acquérir une formation, s'obstine à poursuivre ses objectifs et tente, dès qu'il a le temps et l'argent suffisants, de reprendre ou de compléter cette formation pour «décrocher » le diplôme espéré.

En réponse à un tel besoin, est apparu un foisonnement de «cours du soir » dispensés un peu partout à travers la ville par des établissements privés confessionnels ou laïcs qui connaissent un vif succès. Adultes et élèves «déscolarisés » les fréquentent assidûment. C'est là, comme le souligne Franqueville, l'une des activités qui attirent, plus que celui de l'emploi, les jeunes ruraux vers la capitale : l'espoir d'obtenir un diplôme par un système d'enseignement parallèle pour ne pas dire déviante par rapport au système éducatif officiel, et, par-là, de trouver une place stable ou d'accéder à un poste supérieur (Franqueville, Op. cit.).

Au demeurant, Yaoundé reçoit des élèves de plusieurs départements repartis sur l'ensemble du pays. Les effectifs scolaires augmentent à une vitesse exponentielle, et l'on peut penser que, malgré la création de nombreux lycées et collèges dans les petites villes, les mouvements d'immigration scolaire se sont encore amplifié tant à cause du prestige de la capitale, ville universitaire, qu'à cause des facilités de rattrapage qu'elle offre (Franqueville, Op. cit.). Toutefois, il faut reconnaître qu'une tendance inverse existe aussi : il est de bonnes familles de Yaoundé où l'on préfère inscrire les enfants loin de la capitale, dans les établissements confessionnels réputés des banlieues environnantes.

III.2.3. Fréquentation et niveau de scolarisation

Au niveau national, le taux de scolarisation est plus élevé dans les centres urbains que dans les campagnes et l'écart s'accentue avec l'âge. En effet, à 6-15 ans, le taux est de 85% en milieu urbain contre 67% en milieu rural. Entre 16 et 20 ans, les jeunes des centres urbains sont deux fois plus scolarisés que ceux des zones rurales (50% contre 24%) et, à 21-24 ans, ces taux sont, respectivement, de 28% contre 6% (EDSC-II, 1998 : 20). Ces grands écarts de scolarisation selon l'âge et selon le milieu de résidence s'expliquent, d'une part, par une plus grande facilité d'accès à l'école des enfants du milieu urbain par rapport à ceux du milieu rural et, d'autre part, par une différence de comportement des parents de ces deux milieux surtout dans certaines régions du pays où la scolarisation des jeunes filles connaît quelques difficultés.

Comparée à l'ensemble du Cameroun, la scolarisation des enfants de la province du Centre est très forte : 95,1% pour les enfants de 6 à 14 en 2003 (INS/UNFPA, 2003). Quant à la moyenne nationale, elle est de 78% pour la même année. Pour la ville de Yaoundé, le taux de scolarisation est, elle aussi, plus élevée (95,3%), légèrement supérieur à celui des filles (94%) que pour les garçons (96,6%) en 2001 (INS/UNFPA, 2003). La différence de scolarisation par sexe est négligeable : moins de 3% (PNUD/OPS, 2000.). En dépit de cette légère lacune, l'égalité d'accès à l'éducation tendait progressivement à s'installer à partir de 1976. Toutefois, les tendances de la scolarisation depuis 1987 ne sont pas claires, encore que d'après certaines indications, la fréquentation scolaire semble avoir baissée non seulement à cause de la crise, mais aussi du sentiment que l'éducation n'est pas utile pour l'emploi (Banque mondiale, 1995).

S'agissant de l'indicateur d'alphabétisme, les statistiques de l'INS-Cameroun montrent que le taux d'alphabétisation des adultes de 15 ans et plus est de 94,4% pour la ville de Yaoundé.

En 1979-80, Yaoundé comptait déjà 19 établissements d'enseignement secondaire générale et 20 d'enseignement technique (lycée et collège d'enseignement technique), groupant 17 500 élèves pour les premiers et près de 9000 pour les seconds (MINEDUC 1980). En 2005, on note que les deux tiers des élèves du secondaire se trouvent dans des établissements d'enseignement général. Le nombre d'établissement d'enseignement secondaire général est deux fois supérieures (64, public et privé confondus) que celui de l'enseignement technique (29, tout ordre confondu). Cependant, il apparaît aujourd'hui que, dans l'une et l'autre branche, les établissements privés forment 80% du total et scolarisent les deux tiers des élèves (Franqueville, 1984). Ce qui pose du coup le problème non seulement de la capacité des infrastructures face à cet effectif important, mais aussi à leur fonctionnement.

III.3. NORMES ET NORMATIVITE

Les investigations sociologiques, après avoir constaté la correspondance entre le système éducatif et le système institutionnel global, s'attachent donc maintenant à analyser les conditions de fonctionnement de l'institution scolaire. C'est une démarche plus inductive, partant de l'étude des circonstances fonctionnelles ou de dysfonctionnements, pour remonter aux principes implicites du système, pour dégager le réseau de contraintes, pour faire apparaître, derrière la conduite des acteurs de la relation, le sens des rapports qu'ils entretiennent avec l'organisation institutionnelle de l'éducation.

III.3.1. La norme scolaire

Le concept de norme est ambigu.  Cambon (1968 : 187) explique cette ambiguïté de la norme tantôt associée à des références idéales (ce qui devrait être), tantôt à des références statistiques (ce qu'on rencontre habituellement selon une certaine fréquence statistique). La vie scolaire est réglée par des normes de forme quantitative (notes, coefficients, pourcentage d'accueil d'effectif scolaire, la vie active) ou de forme qualitative (connaissances sous forme de programmes, apprentissage à acquérir à tel niveau de la scolarité).

Des normes sont ainsi institutionnalisées, d'autres naissent dans le milieu éducatif, notamment par l'interprétation donnée aux textes officiels, par l'application plus ou moins rigide qui en est faite. Il suffit de voir comment les interprétations varient pour le passage de classe, selon les établissements, pour se rendre compte de l'importance des normes déviantes (informelle).

Par le système des filières, l'école oblige à orienter très vite l'apprenant vers des types spécialisés d'enseignement et détermine le type de pratique relationnelle entre les enseignants et les élèves, entre les acteurs scolaires et l'administration scolaire. Il est attendu d'un enseignant qu'il établisse le constat du niveau atteint par l'élève ; constat de ses connaissances et de ses performances sur la base du programme officiel, et non ses qualités personnelles et ses objectifs éducatifs qu'il a pu atteindre.

La société, quant à elle, par les normes qu'elle introduit, donne à l'enseignant le droit et le devoir d'attendre des élèves des résultats et de récompenser au moyen de grades et de diplômes. Les objectifs d'instruction deviennent une fin en eux-mêmes, plutôt que le moyen de parvenir à d'autres finalités. Parce que la nécessité de contrôler les élèves des résultats est davantage associée au rôle institutionnel qu'au rôle personnel des enseignants et encadreurs, ceux-ci sont conduits à accorder une prédominance au respect des règles dans la relation avec leurs élèves. Rouages centraux dans le mécanisme de filtrage et d'élimination des élèves, les éducateurs se rendent d'autant moins compte de leur implication personnelle qu'ils voient plutôt régi par un système global de critères institutionnels consignés dans les politiques éducatives. La norme se réfère ainsi au «bon » élève, celui dont le développement correspond au profil-type de l'évolution de ce que Postic (1979 : 44) a appelé «la pensée opératoire », et c'est par rapport à lui que l'administration scolaire et plus précisément l'enseignant situe tous les jugements. La voie noble, la plus largement ouverte, est donc réservée au «bon » élève, et les autres élèves sont progressivement rejetés, soit pour limite d'âge pour les établissements d'enseignements publics, soit pour mauvaise conduite ou pour travail en dessous d'un certain seuil.13(*) Les normes institutionnalisées conduisent ainsi les enseignants à orienter leurs actions pédagogiques en fonction d'un modèle abstrait d'élève, celui qu'on doit conduire de la sixième à la troisième, de la seconde en Terminale, celui qui devra atteindre un niveau précis d'exigences pour franchir le passage.

III.3.2. Les normes pédagogiques

Les normes pédagogiques, transmises par les instructions officielles, les circulaires, appliquées pour l'évaluation des conduites pédagogiques de l'enseignant par le corps d'inspection, contribuent à dresser un modèle de relation pédagogique. De fait, la relation enseignants-enseignés, dans l'enseignement secondaire camerounais, est fortement déterminée par la nature et le degré de contrainte de la tâche scolaire. L'un des contraintes est l'emploi du temps, qui prévoit le nombre et la durée des séances consacrées à chaque matière ; l'autre apparaît dans les programmes et les progressions à respecter pour franchir les étapes, plus ou moins impératifs, selon les matières. La relation éducative, structurée par l'organisation du temps et de la tâche s'inscrit dans le cadre défini de la « leçon ».

Le rôle moteur est donc confié au professeur, qui déclenche les activités des élèves, les organise en suivant des phases précises.

D'après Chobaux, la définition de la relation éducative qui se dégage des textes officiels se caractérise par une ambivalence :

« L'action du maître est sous-tendue par des attitudes à la fois confiantes et méfiantes à l'égard de l'élève. La relation éducative doit assurer la formation d'individus actifs, mais diriger toutes les activités des élèves ; elle veut former des individus responsables sans donner aux élèves la possibilité d'assumer des responsabilités. » (Chobaux, 1967, cité par Postic, 1979 :45).

III.3.3. L'école et son espace

Les lycées et collèges d'enseignement secondaire à Yaoundé, comme partout ailleurs au Cameroun présentent du point de vue de l'espace, une organisation matérielle et pédagogique compatible avec le système global qu'on veut préserver, c'est-à-dire le compromis entre les exigences de fonctionnement du système et les besoins de participation des élèves.

Sur le plan architectural, l'école camerounaise a hérité de ce vide structural et offre le visage d'une architecture faite de quelques rectangles autour d'un petit bâtiment qui abrite généralement un bloc de services administratifs où se démènent les proviseurs de lycées, les directeurs des Collèges d'enseignement secondaire (C.E.S), les fondateurs et les principaux des enseignements privés et leurs équipes respectives.

De façon beaucoup plus concrète, l'établissement scolaire, sur le plan physique, et un lieu vital, un cadre bien délimité, au sein duquel se répartissent des salles de dimensions différentes, plus ou moins équipées. Celles-ci sont construites suivant, plus ou moins, les normes de l'architecture scolaire traditionnelle, plus précisément, les salles se présentent sous la forme rectangulaire, avec une surface calculée sur la base du nombre d'élèves par classe. De cette manière, l'institution scolaire, par la disposition et l'aménagement des locaux, a voulu établir un ordre social et créer un certain type de rapports sociaux entre les élèves, d'une part, et entre les élèves, les professeurs et les administrateurs, d'autre part. Dans la salle de classe, l'élève demeure sous le regard de l'enseignant ; du couloir, le regard de l'administrateur s'exerce sur l'enseignant.

Les conditions de fonctionnement de la classe, telles qu'elles sont prévues par le système éducatif mettent en relation des élèves et un enseignant seul, même si, dans l'enseignement secondaire, plusieurs professeurs assurent successivement des cours différents. Ainsi, les élèves connaissent-ils les comportements des enseignants face à eux, et ils les évaluent à leur manière, les comparent, mais ils n'ont pas l'occasion de les observer dans leurs relations interpersonnelles ; sauf au hasard de rencontres dans les couloirs. Les élèves perçoivent l'enseignant, plus à travers la discipline qu'il enseigne et la manière dont il assume sa fonction qu'à travers sa personnalité d'adulte. Ils le situent d'une manière globale, en termes antithétiques (sévère ou non ; compétent ou non). Ils ne peuvent avoir de lui une connaissance différenciée que lorsqu'ils l'observent par rapport à d'autres adultes, et pas seulement par rapport à eux (Postic, 1979 : 48-49). L'enseignant reste socialement en relation avec les autres enseignants.

Renforcée par la standardisation qui prévaut dans l'architecture scolaire, l'organisation sociale, à l'intérieur des établissements scolaires est fondée sur la distance entre les êtres qui vivent dans l'espace scolaire. Dans ce sens, l'on peut faire une curieuse constatation : quand les baraquements existent, les espaces scolaires s'ouvrent plus ou moins selon les activités entreprises, selon le nombre d'élèves ; il en est ainsi du cas où les enseignants et les élèves se trouvent hors de la clôture de l'établissement, réunis, pour une activité fonctionnelle (travaux de groupe, d'expérimentation ou d'enquêtes) ou ludique (éducation physique et sportive [EPS]). Cette situation appelle ainsi les élèves, les enseignants, à vivre en communauté, à se rencontrer, à se concerter, à s'organiser suivant leurs besoins à un certain moment.

Les aires de jeux collectifs quand ceux-ci existent, sont réduites à leur portion congrue. Aucun espace de convivialité, sinon des restaurants de fortune offrant des repas chauds ou des friandises plus ou moins bien contrôlées, aux élèves, enseignants et autres encadreurs. Par ce dispositif spatial, il se dégage une conception qui réduirait l'école à leur seule fonction de transmission des connaissances (Mvesso, 2005 : 87).

En réalité, les espaces scolaires à Yaoundé restent, dans la plus part des cas, clôturés. Parce que pouvant entraîner chez l'enseignant un nouveau réseau de protection, l'expérience des écoles à aires ouvertes suscite une certaine méfiance de la part des administrateurs, tant il est vrai que le fonctionnement s'opère dans des conditions situées en dehors de ce qui est prévu par la législation scolaire, des contraintes et des règles fixées pour tous. La conception générale de l'acte d'enseignement est ainsi fixée par l'institution scolaire, tant par les normes prescrites que par celles qui proviennent des modalités de fonctionnement prévues par les textes officiels, à l'exemple du règlement intérieur.

III.4. LES REGLES DE FONCTIONNEMENT DE L'ECOLE

La loi d'orientation sur l'éducation du 14 avril 1998 accorde un rôle important à la communauté éducative. Pour donner vie à cette communauté éducative et lui apporter les moyens de sa mission, il était nécessaire d'en définir clairement les règles de fonctionnement ainsi que les droits et les obligations de chacun de ses membres : tel est l'objet du règlement intérieur. Celui-ci ne peut en aucune façon se réduire, comme c'est parfois le cas, à un énoncé de dispositions relatives aux obligations des seuls élèves et au régime des punitions et des sanctions les concernant. En effet, la communauté éducative est

«L'ensemble des personnes physiques et morales qui concourent au fonctionnement, au développement et au rayonnement d'un établissement scolaire. En sont membres : les dirigeants, les personnels administratifs et d'appui, les enseignants, les parents, les élèves, les milieux socio-professionnels ; les collectivités territoriales décentralisées. » (Loi n° 98/004 du 14 avril).

En matière des droits et obligations des élèves, le règlement intérieur indique les modalités de respect de leurs obligations, mais également les modalités d'exercice de leurs droits, dans le cadre scolaire.

Élaboré et réactualisé en concertation avec tous les acteurs de la communauté éducative et dans son application même, le règlement intérieur place l'élève, en le rendant responsable, en situation d'apprentissage de la vie en société, de la citoyenneté et de la démocratie.

Texte à dimension éducative, le règlement intérieur se conforme aux textes juridiques supérieurs tels que les textes internationaux ratifiés par le Cameroun, les dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires en vigueur, qu'il doit respecter. Il est lui-même l'expression notable, mais non la seule, du pouvoir de réglementation dont dispose l'établissement public local d'enseignement.

Dans le cadre de l'autonomie conférée par la nouvelle orientation de l'éducation au Cameroun, en matière pédagogique et éducative, le ministère de l'éducation secondaire (MINSEC) adopte les dispositions d'ordre général et permanent qui permettent à tous les membres de la communauté éducative de connaître les bases qui régissent la vie quotidienne dans l'établissement, ainsi que les décisions individuelles que le chef d'établissement peut prendre en application de ces règles. A ce titre, l'enceinte d'un établissement d'enseignement étant inviolables, les chefs d'établissement scolaire sont ainsi responsables du maintien de l'ordre dans leur établissement ; l'intervention de l'ordre ne peut alors y avoir lieu que sur réquisition expresse du chef d'établissement (Loi n° 98/004, Art. 27).

La juridiction administrative quant à elle n'a l'occasion de se prononcer que sur la régularité de certaines dispositions introduites dans des règlements intérieurs d'établissement scolaire, dont elle reconnaît qu'elles peuvent revêtir le caractère de décisions administratives opposables aux personnes qu'elles visent. La réglementation des droits et des obligations des élèves peut donc faire l'objet de recours devant les tribunaux administratifs. Cette dimension juridique et normative du règlement intérieur implique que chaque adulte doit pouvoir s'appuyer sur lui pour légitimer son autorité, en privilégiant la responsabilité et l'engagement de chacun. Il semble donc opportun de préciser les principes sur lesquels repose le règlement intérieur, son contenu et notamment les éléments essentiels et indispensables qu'il doit contenir, ainsi que les modalités selon lesquelles un tel règlement est adopté, élaboré, modifié.

III.4.1. L'objet du règlement intérieur

Le règlement intérieur permet la régulation de la vie de l'établissement et des rapports entre ses différents acteurs. Chacun des membres doit être convaincu à la fois de l'intangibilité de ses dispositions et de la nécessité d'adhérer à des règles préalablement définies de manière collective.

Ainsi que cela ressort implicitement dans le titre IV de la loi d'orientation de 1998, le règlement doit contenir les règles qui s'appliquent à tous les membres de la communauté éducative ainsi que les modalités selon lesquelles sont mises en application les libertés et les droits dont bénéficient les élèves. L'objet du règlement intérieur est en conséquence double : d'une part, fixer les règles d'organisation qu'aucun autre texte n'a définies et qu'il incombe à chaque établissement de préciser, telles que les heures d'entrées et de sorties, les modalités retenues pour l'attente des transports scolaires devant l'établissement ou encore les déplacements des élèves ; d'autre part, après avoir procédé au rappel des droits et des obligations dont peuvent se prévaloir les membres de la communauté scolaire en raison des lois et décrets en vigueur, déterminer les conditions dans lesquelles ces droits et ces obligations s'exercent au sein de l'établissement, compte tenu de sa configuration, de ses moyens et du contexte local.

S'agissant notamment des élèves, le règlement intérieur ne peut en conséquence se contenter de procéder à un simple rappel des droits et des devoirs qui s'imposent à eux, mais il convient qu'il précise les modalités selon lesquelles ces droits et ces obligations trouvent à s'appliquer dans l'établissement.

III.4.2. Le contenu du règlement intérieur

Normatif, le règlement intérieur est aussi éducatif et informatif : document de référence pour l'action éducative, il participe également à la formation à la citoyenneté des élèves et facilite les rapports entre les acteurs de la communauté éducative.

III.4.2.1. Les principes qui régissent le service public d'éducation

Le service public d'éducation repose sur des valeurs et des principes spécifiques que chacun se doit de respecter dans l'établissement : la gratuité de l'enseignement, la neutralité et la laïcité, le travail, l'assiduité et la ponctualité, le devoir de tolérance et de respect d'autrui dans sa personne et ses convictions, l'égalité des chances et de traitement entre filles et garçons, les garanties de protection contre toute forme de violence psychologique, physique ou morale et le devoir qui en découle pour chacun de n'user d'aucune violence.

Le respect mutuel entre adultes et élèves et des élèves entre eux, constitue également un des fondements de la vie collective.

Ce sont ces principes qui inspirent tout règlement intérieur, tout comme ceux relatifs aux droits de l'enfant institués par la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par le Cameroun.

III.4.2.2. Les règles de vie dans l'établissement

Le règlement intérieur permet de réguler la vie dans l'établissement et les rapports entre les différents membres de la communauté scolaire par des dispositions précises. La liste ci-dessous, qui concerne les règles de fonctionnement de l'établissement, d'organisation des études et celles qui régissent la vie quotidienne, peut être complétée utilement par d'autres points en fonction de la situation locale et de la spécificité de l'établissement :

- L'organisation et le fonctionnement de l'établissement ;

- Horaires, usage des locaux et conditions d'accès ;

- Espaces communs, usage des matériels mis à disposition ;

- Modalités de surveillance des élèves ;

- Mouvement de circulation des élèves ;

- Modalités de déplacement vers les installations extérieures ;

- Récréations et inter-classes ;

- Régime des sorties pour les internes et les externes ;

- Organisation des soins et des urgences ;

- L'organisation de la vie scolaire et des études ;

- Gestion des retards et des absences ;

- Utilisation du carnet de correspondance ;

- Évaluation et bulletins scolaires ;

- Organisation des études ;

- Modalités de contrôle des connaissances ;

- Usage de certains biens personnels (téléphone portable, baladeur, jeux-vidéo, ordinateur...).

- La sécurité ;

- Tenues incompatibles avec certains enseignements, susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes ou les règles d'hygiène ou encore d'entraîner des troubles de fonctionnement dans l'établissement.

- Toute introduction, tout port d'armes ou d'objets dangereux, quelle qu'en soit la nature, sont strictement prohibés.

- L'introduction et la consommation dans l'établissement de produits stupéfiants sont expressément interdites.

- La consommation d'alcool (excepté, pour les personnels, dans les lieux de restauration) et l'usage du tabac dans les établissements scolaires sont interdits. A ce sujet, l'article 28 de la loi d'orientation de 1998 stipule :

« Toute implantation des salles de jeux, de débits de boisson, de salle de cinéma, de commerce de tabac et de toutes autres nuisances est interdite dans l'enceinte ou la périphéries des établissements ; toutefois, la vente des boissons hygiéniques peut être autorisée au sein des établissements scolaires. »

III.4.2.3. L'exercice des droits et obligations des élèves

Les droits et obligations définis par la loi d'orientation sur l'éducation au Cameroun, s'applique aux collégiens et lycéens de l'enseignement secondaire de tous ordres (général et technique, public et privé). Ainsi, l'élève a droit aux enseignements prescrits par les programmes. Ce droit s'exerce dans le strict respect de la liberté d'expression, de pensée, de conscience et d'information de l'élève. Dans les collèges, les élèves disposent, par l'intermédiaire de leurs délégués du droit d'expression collective et du droit de réunion. Dans les lycées, les élèves disposent des droits d'expression individuelle et collective, de réunion, d'association et de publication. Ceux-ci s'exercent dans le respect du pluralisme, des principes de neutralité et du respect d'autrui. Pour ce dernier cas, les sévices corporels et toutes autres formes de violence sont proscrites. Tout propos diffamatoire ou injurieux peut avoir des conséquences graves. D'un mot, le système éducatif veille à ce que l'intégrité physique et morale des élèves soit garantie. Toutefois, l'exercice de ces droits ne saurait, rappelle-t-on, porter atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité.

Outre le rappel de leurs droits spécifiques, le règlement intérieur précise également, selon qu'il s'agit de collégiens ou de lycéens : les modalités d'exercice du droit de réunion et notamment les conditions auxquelles est subordonnée l'autorisation du chef d'établissement, les conditions d'affichage dans l'établissement en application du droit d'expression collectif (panneau d'affichage et sa localisation, texte obligatoirement signé...), la diffusion dans l'établissement, pour les lycéens, de leurs publications ainsi que le rôle de conseil et d'aide du chef d'établissement en la matière, les conditions de création et de fonctionnement des associations déclarées qui ont leur siège dans l'établissement. En cas de défaillance dans l'accomplissement de leur mission de maintien de l'ordre, les chefs d'établissement sont suppléés de plein droit par les autorités hiérarchiques ou de tutelle (Loi n° 98/004, Art. 27, alinéa 4).

L'obligation d'assiduité consiste à participer au travail scolaire, à respecter les horaires d'enseignement, ainsi que le contenu des programmes et les modalités de contrôle des connaissances. Un élève ne peut en aucun cas refuser d'étudier certaines parties du programme de sa classe, ni se dispenser de l'assistance à certains cours, sauf cas de force majeure ou autorisation exceptionnelle.

Il est rappelé que les élèves doivent être informés des modalités de contrôle des connaissances, les comprendre et les respecter.

Les modalités de contrôle des absences et des retards sont clairement précisées Elles prennent appui sur une responsabilisation des élèves et de leurs familles : il s'agit de leur faire comprendre l'importance de l'assiduité et de maintenir le dialogue entre l'établissement et les parents. Le rôle des enseignants dans le contrôle des absences et des retards est précisément défini, notamment une éventuelle convocation des parents en cas non seulement de mauvaise conduite mais aussi d'absence et de retard non justifiés.

L'absentéisme volontaire constitue un manquement à l'assiduité et peut, à ce titre, faire l'objet d'une procédure disciplinaire qui commence par une consigne, blâme, avertissement, mis à pied à un cours, l'exclusion temporaire de huit jours et au pire, une exclusion définitive. Il en est de même pour les autres cas d'indisciplines. C'est également souvent le signe d'un mal être nécessitant une prise en charge spécifique ou d'une situation personnelle familiale et sociale fragilisée. Ces situations font l'objet d'un suivi attentif et précoce de l'équipe éducative.

III.4.2.4. Le respect d'autrui et du cadre de vie

L'établissement est une communauté humaine à vocation pédagogique et éducative où chacun doit témoigner une attitude tolérante et respectueuse de la personnalité d'autrui et de ses convictions. Le respect de l'autre et de tous les personnels, la politesse, le respect de l'environnement et du matériel, sont autant d'obligations inscrites au règlement intérieur.

Les élèves sont associés aux décisions relatives à l'aménagement des espaces et des lieux de vie destinés à la vie scolaire. Le devoir de n'user d'aucune violence. Les violences verbales, la dégradation des biens personnels, les brimades, les vols ou tentatives de vol, les violences physiques, le bizutage, le racket, les violences sexuelles, dans l'établissement et à ses abords immédiats, constituent des comportements qui, selon les cas, font l'objet de sanctions disciplinaires et/ou d'une saisine de la justice.

III.4.2.5. La discipline : sanctions et punitions

Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves. Il fait mention de la liste des sanctions et punitions encourues ainsi que des mesures de prévention, d'accompagnement et de réparation. Toute punition ou sanction est individuelle et proportionnelle au manquement : elle est expliquée à l'élève concerné à qui la possibilité de s'expliquer, de se justifier et de se faire assister, est offerte. À cet égard, le règlement intérieur prévoit une liste de punitions ainsi que des mesures de prévention, de réparation et d'accompagnement14(*).

III.4.2.6. Les mesures positives d'encouragement

Il y a lieu de mettre en valeur des actions dans lesquelles les élèves ont pu faire preuve de civisme, d'implication dans le domaine de la citoyenneté et de la vie du collège ou du lycée, d'esprit de solidarité, de responsabilité tant vis-à-vis d'eux-mêmes que de leurs camarades. Il peut s'agir d'encourager des initiatives ou des relations d'entraide notamment en matière de travail et de vie scolaire ainsi que dans les domaines de la santé et de la prévention des conduites à risque. Dans certains lycées, par exemple, des "adolescents-relais" facilitent l'information et les échanges entre les élèves. Ce mode de "sanction positive" sera défini par chaque établissement en relation étroite avec son projet pédagogique et associera l'ensemble des membres de la communauté éducative. Il est constitué d'un élément du règlement intérieur.

La valorisation des actions des élèves dans différents domaines - sportif, associatif, artistique, etc. - est de nature à renforcer leur sentiment d'appartenance à l'établissement et à développer leur participation à la vie collective.

III.4.2.7. Les relations entre l'établissement et les familles

Les parents d'élèves ou responsables légaux ont des droits et des devoirs de garde, de surveillance et d'éducation définis par les articles 286 à 295 et 371 à 388 du Code civil, relatifs à l'autorité parentale.

Le règlement intérieur constitue un support essentiel pour instaurer un véritable dialogue ainsi que des rapports de coopération avec les familles, notamment par les informations qu'il apporte sur le fonctionnement de l'établissement, l'organisation de contacts avec l'équipe enseignante et éducative et le calendrier des rencontres entre parents et enseignants dans le cadre des associations des parents d'élèves.

C'est pourquoi il est, en début d'année, porté à la connaissance des parents, favorisant ainsi leur intégration à la communauté éducative et leur permettant un meilleur suivi de la scolarité de leurs enfants.

Le règlement intérieur peut être complété par des dispositions particulières tenant à la spécificité de chaque établissement. Elles peuvent concerner notamment : bien que la protection des abords de l'établissement relève de la responsabilité des services de police et du maire de la commune, le chef d'établissement peut être amené à intervenir, en cas d'incident grave devant l'établissement. Aussi le règlement intérieur peut-il prévoir des modalités particulières concernant les entrées et les sorties de l'établissement.

III.4.2.8. Élaboration et modifications du règlement intérieur

Les modalités de préparation et d'élaboration du règlement intérieur tiennent compte des conditions locales et du niveau d'enseignement.

III.4.2.8.1. Élaboration et révision

Chaque établissement élabore son règlement intérieur, en fonction de sa situation. Mais la tendance générale est aujourd'hui à l'association de l'ensemble des membres de la communauté éducative et de créer les conditions d'une véritable concertation pour que le règlement intérieur, au moins pour partie, soit le résultat d'un véritable travail collectif permettant une meilleure appropriation des dispositions qu'il contient. Ce travail est réalisé au sein des instances participatives de l'établissement : conseil d'Établissement, regroupant autour du Chef d'Établissement, des représentants des enseignants, des élèves, des parents, des responsables des Collectivités Locales ; ce Conseil étant chargé de l'application dans la démarche participative et constructive de la Politique Nationale de la Décentralisation (État généraux de l'éducation, 1995).

Ce règlement intérieur, "document vivant", s'éprouve par la pratique et suppose une évolution par des ajustements ou des révisions périodiques. En conséquence, les conditions dans lesquelles une révision peut être demandée doivent être définies dans le document lui-même. Ces modifications éventuelles sont élaborées selon la même procédure.

III.4.2.8.2. Information et diffusion

Le règlement intérieur fait l'objet d'une information et d'une diffusion auprès des élèves et enseignants, lors des journées de pré-rentrée; cependant, celle-ci (la diffusion) n'est pas étendue à tous les membres de la communauté éducative, et pourtant, ceci requiert la mise en place d'actions d'information adaptées, complétées par un travail d'explication, notamment auprès des élèves et des parents d'élèves. À cet égard, l'heure de vie de classe, dans les collèges et les lycées, pouvant constituer un moment privilégié.

Est-ce pour cette raison que les situations de déviance ne cessent de prendre de l'ampleur dans les établissements scolaire à Yaoundé ? En dépit de cet arsenal de règles et de conditions de fonctionnement de l'institution scolaire dont dispose le système éducatif camerounais, l'on ne comprend pas toujours pourquoi les jeunes écoliers adoptent des conduites déviantes. Avant de répondre à cette question il est utile d'examiner la relation éducative, à travers la vie de la classe.

CONCLUSION PARTIELLE

Ainsi rendu au terme de la première étape de cette étude, nous pouvons nous permettre de constater que l'horizon commence à s'éclaircir pour l'objet de notre recherche. En effet, la prospection des perspectives théoriques à partir desquels la recherche sur les comportements déviants des jeunes scolaires s'effectue et à laquelle il est fait référence dans cette première partie était, pour ainsi dire, un préalable nécessaire pour la mise en contexte de cette étude. Autrement dit, l'entreprise de compréhension du phénomène ici étudié exigeait, sur le plan épistémologique un exercice descriptif préalable se situant dans la préoccupation d'élucidation des paradigmes explicatifs de la déviance en général, d'une part, et des fonctions de l'école du système éducatif camerounais et de la relation éducative, d'autre part. Toutefois, la démarche serait incomplète si elle se limitait à la présentation du cadre théorique et paradigmatique sur cette problématique qui font l'objet d'abondantes réflexions des sociologues, psychologues, psychopédagogues et autres spécialistes des sciences sociales, travaillant sur la déviance scolaire dans ces aires considérées non sans substrat déterministe. Ainsi, au terme de la première étape de cette étude, il apparaît en filigrane que l'institution scolaire se joue pour une part essentielle autour de l'imposition-opposition versus production des normes ; l'institution-Ecole se dévoile comme une forme sociale définie en dehors des acteurs scolaires, comme un ensemble de normes s'imposant à eux. Mais il est aussi avéré, d'une manière ou d'une autre, que les rapports entretenus par les membres avec leurs institutions, que ceux-ci contribuent, par ailleurs, à fabriquer dans un bricolage institutionnel permanent, au cours duquel les normes sur lesquelles l'institution scolaire repose sont produites au jour le jour par les partenaires de l'acte éducatif. Cette conclusion conduit ainsi à sortir, peu à peu de la théorie déterministe et de centrer la réflexion sur une approche proprement phénoménologique et interactionniste en s'appuyant sur des cas pratiques.

DEUXIEME PARTIE

ESSAI D'APPROCHE ETHNOSOCIOLOGIQUE DE LA JEUNESSE SCOLAIRE A YAOUNDE

INTRODUCTION

En société, en général, lorsqu'un individu collabore à une organisation comme l'école en participant à une activité demandée dans les conditions requises, sous l'impulsion des motivations courantes telles que la recherche du bien-être qu'offre l'institution, l'énergie que procurent stimulants et valeurs associées et la crainte des sanctions prévues, il se transforme en collaborateur  et il devient un membre «normal », «programmé » ou incorporé. Il donne et reçoit avec l'état d'esprit requis, ce qui a été systématiquement décidé qu'il lui en coûte personnellement peu ou beaucoup. D'un mot, l'individu découvre qu'on lui demande officiellement de n'être ni plus ni moins que ce à quoi il est préféré et se trouve obligé de vivre dans un univers qui est fait pour lui. C'est ce que Goffman (cité par Michel Lallement, 1993) appelle «adaptation primaire » (primary adjusment) à l'organisation. Goffman fabrique cette expression pour en introduire, en fait, une seconde, celle d' «adaptation secondaire » (secundary adjusment) qui caractérise toute disposition habituelle permettant à l'individu d'utiliser des moyens défendus, ou de parvenir à des fins illicites (ou les deux à la fois) et de tourner ainsi les prétentions de l'organisation relative à ce qu'il devrait faire ou recevoir, et partant à ce qu'il devrait être. Les adaptations secondaires, comme le souligne Goffman, représentent alors pour les individus les moyens de s'écarter du rôle et du personnage que l'institution lui assigne tout naturellement.

Afin de cerner de manière concrète le phénomène de déviance scolaire à Yaoundé, dans un cadre autre que l'analyse théorique (Cf. première), il est utile d'examiner si les théories mises à jour par la sociologie de la déviance correspondent à la dynamique spécifique de phénomènes empiriquement observés. Dans cette perspective, cette deuxième partie s'attachera à mettre en lumière les cas particuliers de déviances scolaires les plus observés dans les établissements d'enseignement secondaire dans la ville de Yaoundé. De façon spécifique, elle tente de jeter un «regard banal » sur quelques aspects de la réalité des jeunes des établissements secondaires à Yaoundé. Ainsi, pour le préciser, elle n'a pas la prétention de saisir tous les contours d'une question à la vérité vaste et complexe.

Cette partie entrevoie la nécessité d'une archéologie de la déviance scolaire dans les sociétés scolaires yaoundéennes qui ont leurs «arts de faire » en mettant en oeuvre des «ruses et tactiques » (De Certeau, 1990 :65). Cette démarche s'impose si l'on se décide à revenir au concret pour retrouver la «banalité de l'horreur » et montrer comment la « tragédie » est quotidienne dans le milieu scolaire camerounais.

L'objectif de cette deuxième étape de notre travail constitue alors une sorte «d'administration de la preuve » à l'hypothèse selon laquelle, les élèves, les enseignants et les parents négocient leurs places, leurs rôles et leurs stratégies pour redéfinir, chacun à sa manière et à son avantage, les situations scolaires, bien plus que d'apprendre et d'enseigner en partageant un minimum de buts communs. En d'autres termes, il s'agit de voir comment, à travers des pratiques déviantes, les partenaires de l'acte éducatif contribuent à fabriquer dans un bricolage institutionnel permanent les normes sur lesquelles repose l'institution scolaire.

Si les théories de la reproduction ne font qu'occulter les pratiques déviantes dans les institutions scolaires, la réorientation de son action, et même sa déconstruction constituent un défi quotidien pour les acteurs scolaires que l'école enserre dans les mailles de la domination-reproduction-sélection.

Quatre cas à ce propos paraissent particulièrement illustratifs au regard des enquêtes menées pour connaître les déviances dominantes. Aussi seront étudiées, dans une approche phénoménologique, différentes formes de socialité, mieux les dimensions cachées, non-dits du lien social et qui affleurent dans la vie quotidienne de l'école et dans ses manifestations les plus humbles : le métier d'écolier, le métier d'enseignant, la «parlure », c'est-à-dire une manière de s'exprimer particulièrement à quelqu'un ou à un groupe (le francanglais en milieu scolaire) ; les cas de déviance physique ou morale, les violences de tout formes et certaines incivilités scolaires, mais aussi le braconnage corporel pendant le cours d'éducation physique et sportive qui se développent en marge des activités essentielles pour la vie d'un établissement. En fait, comme le suggère les travaux pionniers d'Henri Lefebvre sur la quotidienneté, le regard a été retourné vers les faits en apparence informes et insignifiants pour les soumettre en fin de compte à l'analyse critique. A cet égard, «l'analyse de la vie quotidienne a pour but de révéler la richesse cachée sous l'apparente pauvreté du quotidien, de dévoiler la profondeur sous la trivialité, atteindre l'extraordinaire » (Lefebvre, 1958).

CHAPITRE IV

SOCIETE SCOLAIRE ET PRODUCTION DE LA DEVIANCE :

* 4 Le choix de retenir une approche théorique de l'école ou pas est défini ici par les liens qui unissent celle-ci avec la présente étude.

* 5 C'est au sujet de la déviance que Durkheim distingue le «normal » et le «pathologique ». Il se refuse, en effet, à ce qu'on considère comme anormal un phénomène que l'on rencontre constamment en toute société. Il pense donc que l'on doit reconnaître un véritable caractère sociologique à ce phénomène qui n'est pas, pour autant, le signe d'une bonne santé sociale.

* 6 Nous empruntons cette typologie à P. Virton dans Les dynamismes sociaux (Initiation à la sociologie), t2, Paris, Les éditions Ouvrières, p.373-378.

* 7 Cette déviance positive peut se rencontrer à tous les niveaux de la vie sociale ; elle peut se produire par rapport à toutes sortes de valeurs. Il existe, par exemple des valeurs utilitaires, esthétiques, éthiques et religieuses. Le « saint » dans l'ordre des valeurs religieuses, le « héros », dans l'ordre du courage..., le chef d'entreprise à la recherche d'une meilleure productivité ou d'une meilleure justice, le politicien qui dépasse les normes habituelles dans la poursuite du bien commun, l'ouvrier, le commerçant, l'étudiant qui dépassent les normes ordinaires et leur activité, etc., peuvent ainsi faire figure de « déviants positifs ».

* 8 La déviance négative peut également se rencontrer à tous les niveaux de la vie sociale et dans tous les domaines de l'activité humaine. On la rencontre dans la vie familiale, économique, politique, culturelle ou religieuse. Elle est susceptible d'une infinité de degrés. On admet, cependant, que la hiérarchie des valeurs tolère une certaine souplesse ; la société (c'est-à-dire, selon les cas, l'entourage, le milieu, la société globale, etc.), en appréciant les attitudes et les comportements de chacun, leur permet une certaine marge de liberté ; c'est pourquoi nous réservons le terme de « déviant négatif », à l'individu ou au groupe qui descend au-dessous de la marge habituellement tolérée.

* 9 Cf. par exemple D. M. Gahagan et G.A. Gahagan, Talk Reform. Explorations in Language for Infant School Children, London, Routledge & Kegan Paul, 1970.

* 10 « L'Ecole du comment » est celle qui est une sorte d'usine à labels ; c'est ce modèle bureacratique qui prévaut tout au long de la période qui va de 1960 à la fin des années 1970. Elle est tributaire de cette période qui ne se préoccupait que d'une chose : faire « fonctionner » l'usine et obtenir une accumulation des taux de scolarisation sans se préoccuper outre mesure des contenus, de la qualité de la formation, et de l'impératif de bâtir une société camerounaise affranchie de la tutelle économique et politique de l'ancienne puissance coloniale. En fait, les jeunes Etats africains, dont le Cameroun, après avoir accédé à la souveraineté nationale avaient besoin d'une administration et des cadres formés pour cette structure naissante. Ainsi, l'école devient comme l'observe Mvesso (2005) une cliente pour l'administration qui en est la « pompe aspirante ». L'école du comment se mue donc en un univers de l'éducation en surface, à la superficie des choses, où les individus labélisés sortent de l'usine-école sans arêtes vraiment personnelles, ayant intériorisé une mentalité bureaucratique parce qu'ayant été destinés aux bureaux de l'ogresse administrative des années 60. C'est cette mentalité bureaucratique installée dans la conscience des élèves et préfigurant le conservatisme propre aux fonctionnaires qui imprègne toute la culture des années soixante et dix. La plupart des représentations, qui sont autant d'images fausses de l'école et surtout de sa relation à l'économie tributaire de ce modèle bureaucratique décrit plus haut est reproduit de nos jours comme un effet de halo dans la conscience d'une grande frange de la population camerounaise. Lire à ce sujet, A. Mvesso : 1°) 1999 - L'École malgré tout, Yaoundé, PUY. 2°) 2005 - Pour une nouvelle éducation au Cameroun,Yaoundé, PUY.

* 11 Voir la loi N°98/004 du 14 avril 1998 portant orientation de l'éducation au Cameroun.

* 12 Le tableau 3 est loin d'être exhaustif mais il récapitule dans sa grande majorité le nombre des infrastructure scolaires d'enseignement secondaire tout ordre confondu (publics, privés laïcs et confessionnel) que nous avons observés pendant notre recherche de terrain. La totalité des établissements scolaires de Yaoundé ne figurent donc pas dans ce tableau. C'est particulièrement le cas des établissements scolaires privés laïcs dont le nombre est en réalité plus élevé.

* 13 Une moyenne inférieure ou égale à 7 comme étant le seuil d'exclusion définitive dans la majorité des établissements scolaires publics et dans une moindre mesure pour l'enseignement secondaire privé.

* 14 Un tableau de bord des sanctions prises dans l'établissement en application des dispositions du règlement intérieur figure en annexe en de cette étude.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon