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Déviances scolaires et controle social à  Yaoundé: Essai d'approche Sociologique du quotidien des jeunes à  l'école

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par Mahamat ABDOULAYE
Université de Yaoundé I - DEA Sociologie 2009
  

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V.1.1. Le degré d'officialité

Le francanglais est rangé sur un plan pragmatique, au même niveau que les autres langues d'origine camerounaise. En effet, bien que rythmant le quotidien des populations scolaires yaoundéennes, il fait l'objet d'une attention institutionnelle particulière, en milieu scolaire. Cela se comprend, si les autorités redoutent comme certains de nos témoins d'ailleurs, que cela ne soit un frein à l'apprentissage du français ou de l'anglais. Par son ouverture formelle en effet, par l'absence de norme sur le plan lexical en particulier, il serait nombre d'éducateurs une des causes de la dégradation du niveau du français. Louis (cadre, 53 ans) :

« Ouais ça a fait que l'enfant ne sait où se situer bon vraiment moi je crois que ça a beaucoup joué sur la langue je comprends actuellement on ne sait plus qui parle le français on ne sait même qui parle l'anglais ni le patois il n'est plus là ni le français il n'est pas là ni l'anglais il n'est pas là (rires) l'enfant ne maîtrise finalement rien »

Si cette opinion est pour le moins vraisemblable, il faut cependant relever que, lors de nos enquêtes, nous avons constaté que les jeunes scolaires de Yaoundé ont une pratique assez régulée des différentes (pôles33(*) de) langues de leurs répertoires, et tiennent régulièrement des discours dans du français «correct » quand le besoin s'impose. En fait, pour mieux comprendre la vitalité du francanglais qui n'a cessé d'accroître son champ d'utilisation et apparaît comme une déviance en milieu scolaire, il faut interroger le troisième critère de vitalité, en observant des jeunes scolaires dans des interactions entre eux ou avec certains adultes, ce qui permettrait de réaliser qu'à côté de son extension démographique, le francanglais se présente au Cameroun comme une véritable «langue » à enjeux. Il présente donc socialement une certaine fonctionnalité. Ses locuteurs ont en effet développé comme presque toute la population, une véritable compétence stratégique34(*) , mais avec un répertoire dans lequel le francanglais a une place de choix.

V.1.2. Un parler à enjeux multiples : l'indice de fonctionnalité primordial

Tout en demeurant un médium de communication, le francanglais a donc été investi d'autres fonctions sociales. En plus d'être ce parler qui permet aux jeunes scoalires de se démarquer et de garder discrètes des informations intimes, il est devenu un emblème, un moyen de (se) reconnaître, conférant une véritable identité « endo et exo-groupale ». Il devient dès lors un objet véritable de marquage de frontière, comme le confirme Pascal (élève de troisième du lycée de Biyem-Assi, 16 ans) :

« Quand on était là et on savait que si vous voulez jouer la maman sachant que la mère comprenant français sachant que la mère comprenant pidgin, il faut trouver un machin pour détourner.»

Le choix du francanglais par les jeunes scolaires est donc motivé par le désir d'isoler l'adulte de leur interaction. En clair, bien que présente dans le contexte de communication, la maman en est isolée, le choix linguistique se présentant comme un mur, une frontière qu'elle ne peut franchir. Les jeunes peuvent donc parler de sujets discrets, voire parler de la maman sans courir le risque de se faire réprimander. Pourtant, son utilisation (par celui supposé ne pas en être un locuteur légitime) permettrait de briser la frontière et de s'introduire dans une communauté à laquelle, a priori, on ne serait pas un membre. Romuald (parent d'élève, 38 ans)35(*) affirme donc :

« Oui même le franc-anglais là je le parle aussi très très bien c'est facile l'autre jour à la maison ma fille ne voulait pas que je vois son bulletin j'ai entendu comment elle disait à sa soeur qu'elle ne va pas me montrer son bulletin je suis venu la voir quand son amie était partie j'ai dit que l'enfant-ci tu me wanda36(*) seulement je vais [du]37(*) comment je [wet]38(*) vos bulletins depuis et personne ne me [shu]39(*) son travail vous voulez me [sisia]40(*) ou quoi j'ai dit comme ça et je suis parti le matin dimanche elle est venue me voir que papa tu as appris à parler ça où du coup le soir elle m'a apporté son bulletin et depuis c'est à moi qu'elle vient dire que tel garçon me dérange tel garçon est mon ami »

L'utilisation du francanglais apparaît donc ici comme un déclic qui a non seulement permis au papa d'entrer en possession du bulletin de sa fille41(*), mais également a permis de créer un certain climat de confiance avec sa fille. Nonobstant son caractère déviant, le francanglais est donc ce moyen qui aura aidé à vaincre les frontières et de construire une équité permettant des confidences, et donc créant une certaine intimité. Cette manipulation interactionnelle aura permis au papa de se faire accepter parmi les jeunes dans le cadre familial, et donc de se construire une nouvelle identité, laquelle se présente donc ici comme ponctuelle, se conférant dans l'interaction par le rôle joué. Nous ne sommes donc pas loin de la théorie de la « face » de Goffman car c'est l'interaction qui règle tout, l'identité étant instable. En choisissant la « conformisation » (Kastersztein, 1990 : 31) comme une stratégie identitaire aboutissant à cette victoire, le papa aura réussi à faire tomber la frontière, à briser la glace.

Cette manoeuvre n'est pas unique dans les contextes plurilingues. Pour abolir des frontières, certains acteurs sociaux peuvent procéder par «visibilité sociale », mettant un accent sur des spécificités qui permettent à l'Autre de comprendre que le locuteur peut légitimement revendiquer son intégration dans le groupe.

Nous pouvons aussi évoquer ici les difficultés que nous avons eu à effectuer des enregistrements en francanglais. Parce que les locuteurs privilégiés sont en effet des jeunes élèves entre quinze et vingt-cinq ans, chacune de nos tentatives à faire parler cette «langue de yors » s'est soldée par un échec, les jeunes étant bien conscients que nous ne partagions pas leurs préoccupations, et que nous avions plus de ving-cinq ans. Ils adoptaient donc spontanément un français plus ou moins correct, mais surtout pas de francanglais, une manière de pouvoir se resituer en basculant vers un nouveau cadre communicationnel dans lequel nous serions inclus. Nous avons donc usé de subtilités pour effectuer des enregistrements, en nous faisant aider par des jeunes déjà admis dans des groupes tant dans la cour du lycée qu'au quartier. Un des jeunes (extérieur au groupe) qui nous a aidé à la collecte de produits empiriques a usé de la «visibilité sociale » pour entrer dans le groupe dont nous voulions obtenir un enregistrement. Pour se faire accepter, sa stratégie a été de parler un francanglais très accentué, une manière de revendiquer en toute légitimité son acceptation dans le groupe. Il a donc pu s'approcher de pairs pour solliciter une information, voire enregistrer sans crainte leurs productions discursives.

Le choix du francanglais devient donc un moyen de socialisation, une clé ouvrant la porte de la communauté. La réalité se construit ainsi à travers des négociations d'identité, les acteurs cherchant au cours des négociations, « à imposer une définition de la situation qui leur permette d'assumer l'identité la plus avantageuse » (P. Poutignat et J. Streiff-Fenart, 1995 : 128). Le choix de langue se présente donc ici comme un processus permanent et jamais achevé par lequel l'identité, sociale et personnelle, se constitue par l'interaction avec autrui (C. Trimaille, 2003 : 157).

Le francanglais devient donc un moyen d'exclusion/inclusion, d'identification permettant par des stratégies interactionnelles de se situer ou d'être situé dans les différentes tentatives de socialisation. Ce parler est en fait devenu emblématique, identitaire par un processus d'appropriation parvenu à la vernacularisation, cette « prise de conscience par les locuteurs eux-mêmes de la spécificité de leur usage et la constitution de celle-ci en une variété discernable et reconnue » (Manessy, 1994 : 413). Erick (élève de quatrième année au Collège Charle Atangana, 18 ans) peut donc affirmer :

« Tous les potes que tu vois là on parle francanglais il y a seulement certains camarades là chaque fois que nous sommes ensemble que les gars viennent qu'on commence à parler de nos choses ils partent parce qu'ils ne parlent pas comme nous. Toi-même tu peux être là on parle ce français là un genre que tu ne vas pas hia ? »

Ces jeunes sont donc très conscients de l'utilisation qu'ils peuvent avoir de ce parler «branché » qui, malgré tout, est parfois reconnu comme du français mais réutilisé de sorte à ne pas être accessible à tous les locuteurs du français.

Cette acquisition/perte d'identité permanente devrait donc s'inscrire dans le contexte «chaotique » (De Robillard, 2001, 2003) caractérisé par la contextualisation de toute entreprise herméneutique. En effet, le Camerounais ne présente pas le même visage quel que soit le contexte. En fonction des enjeux du moment, il pourra revendiquer, s'octroyer ou rejeter une identité, par le déplacement ou non vers un ou l'autre (pôle d'une) langue. Le francanglais devient ainsi une «langue » dès que se fait sentir le besoin de s'attirer des faveurs de jeune(s) dont un des rôles est de généraliser sa pratique.

V.2. UN ENRACINEMENT PROGRESSIF ET GENERALISE

Parler des jeunes scolaires, le francanglais est utilisé dans des salles de classe, des amphithéâtres et des salles de travaux dirigés, au marché et en famille, dans la rue ; il est en tout cas utilisé pour traduire une certaine convivialité, une intimité, ce qui suppose l'appartenance à la même communauté sociale. Essentiellement oral à l'origine, ce parler a été usité ces dernières années pour animer certaines pages des journaux publics, rentrant dans la graphie : Cameroon-Tribune dans «l'Homme de la rue » ; Le Messager dans « Takala et Muyenga ». Actuellement, une publication destinée à l'éducation des jeunes utilise particulièrement ce parler. Il s'agit du mensuel 100 % Jeunes, édité par des missionnaires catholiques du Collège Mvogt à Yaoundé, mais qui regroupe des éléments de tout le territoire national.

En outre, d'autres titres (Le Popoli, Le Satirik Small No Bi Sick) l'utilisent dans certaines rubriques. De même, des émissions radiophoniques l'utilisent comme moyen d'atteindre les jeunes dans les stations provinciales de la CRTV42(*) qui est un l'appareil audiovisuel public, de même que dans les radios privées des centres urbains. A Yaoundé par exemple, Canal 2 international a fait appel à Fingong Trala Oga Okoshukou le biafrais Manolap, Amadou et C'est-La-Vie, des dramaturges faisant dans le comique, qui animent certaines des émissions de cette radio en acceptant ou en utilisant à certains moments le francanglais.

Ce qui est toutefois commun à toutes les situations d'utilisation de ce parler, c'est l'atmosphère de détente car sur la même chaîne de télévision, le français, tel qu'utilisé dans la rue, est exploité pour traiter des sujets sociaux plus sérieux et parfois posant des problèmes assez pathétiques (dans l'émission «bouillon du rire » par exemple).

Lors de nos enquêtes sur le marché de Yaoundé, nous avons remarqué, qui plus est que, face à certains clients, les vendeurs utilisent comme langue d'adresse soit le pidgin-english (aux adultes), soit le francanglais quand la cible communicative renvoie aux jeunes en général.

Le francanglais s'inscrit donc dans une instabilité générale, et ne fonctionne qu'à travers une certaine mobilité, flexibilité sociale qui justifie également la variété de représentations des locuteurs sur ce parler. « Truc » pour certains qui s'en éloignent, « langue » de sécurisation pour les jeunes scolaires, voire de socialisation ou d'exclusion pour d'autres, l'inconstance du francanglais a même fini par désarçonner des observateurs et les enseignants hantés par l'idée de la norme. « Par son caractère composite, son manque d'uniformisation et de systématisation, le francanglais est voué à l'échec car il porte en lui, les germes de sa propre destruction », si l'on s'en tient à ce que prédit Essono (2001 : 79). Cette flexibilité de la langue ne devrait pourtant pas surprendre ; car elle traduit le dynamisme de la langue, une vitalité qui permet aux locuteurs de (se) construire des identités et donc de (se) socialiser. « Ce parler existera tant qu'il continuera à se renouveler, à s'enrichir », ajoute-t-il.

Par ailleurs, sur le plan de l'écrit, des titres destinés aux jeunes ou pas du tout exploitent le francanglais qui s'affirme de plus en plus comme emblématique du jeune camerounais urbain, à la manière du Front Populaire Ivoirien (FPI) de Côte d'Ivoire :

« Son existence, d'abord le fait de jeunes marginalisés des centres urbains, les locuteurs du FPA43(*) proviennent aussi d'une certaine élite qui maîtrise bien le français officiel. Le fort sentiment d'appartenance, de soudure sociale dont font preuve ces locuteurs explique son adoption par une élite de plus en plus nombreuse » (A. Bassolé-Ouedraogo, 2004).

Malgré sa fonctionnalité, en dépit de sa diversité, le francanglais reste un idiome très proche du français «standard ». En effet, sur le plan linguistique (Biloa 2003, Essono 1997, 1998, Féral 1993, 1998, 2004, Fosso 1999, Mendo Ze 1990) et sociolinguistique, il ne présente pas toujours des indices d'autonomie linguistique pouvant nous permettre de conclure à l'existence d'une langue autonome. En effet, le `'francanglophone'' est d'office un francophone, une autre manière de reconnaître que sa pratique s'inscrirait dans la pratique du français dont il dépendrait sur un plan structurel et représentationnel.

En conclusion, le francanglais ne serait donc qu'un des multiples visages du français au Cameroun, matérialisant de facto la profondeur de son appropriation, mais aussi son instabilité sociolinguistique. Telle est la socialité linguistique concrète qui montre la désaffection des jeunes scolaires vis-à-vis des idéologies normatives surplombantes.

* 33 Nous préférons le terme « pôles » à la place de « variétés » communément utilisé. L'avantage est que ce nouveau terme suppose des mouvements d'attraction/répulsion vers l'un ou l'autre pôle de langue, lequel fonctionnerait donc comme un aimant attirant quand les conditions s'y prêtent et repoussant quand ce n'est pas le cas. Pour plus de clarté, le francanglais cohabite avec plusieurs autres idiomes, lesquels sont convoqués par les locuteurs selon des besoins ponctuels : attribution ou refus d'identités, reconnaissance, entre autres. En d'autres termes, « pôle » suppose des frontières fluides et flexibles à la différence de « variétés » qui nous paraît plus rigide.

* 34 Il s'agit au fait de passer d'une langue à l'autre selon le contexte. On parlera donc d'alternance codique qui se présente comme une stratégie assez efficace du bilingue.

* 35 Romuald n'est pas seul à le dire. En effet, Louis bien que n'étant pas pro-francanglais se sent parfois obligé de faire appel à cet idiome dans des interactions avec les enfants de son voisin, ce qui lui a permis une fois au moins, de régler un conflit familial. Douze de nos témoins reconnaissent d'ailleurs l'importance de la pratique du francanglais dans la réussite de gestion de conflits relationnels dans la société.

* 36 Tu m'étonnes

* 37 Faire

* 38 Attendre

* 39 Montrer

* 40 Brimer

* 41 Sa belle soeur dans la réalité.

* 42 Cameroon Radio-Television.

* 43 « Français populaire africain », comprenant toutes ces variétés de français attribués aux jeunes un peu partout dans l'Afrique francophone, même si dans son texte, elle se contente de deux variétés : le FPI en Côte d'Ivoire, et le francanglais au Cameroun.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King