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L'accès de la société civile à  la justice internationale économique

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par Farouk El-Hosseny
Université de Montréal - LLM 2010
  

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3) La société civile : défenderesse des droits non marchands transnationaux

La société civile surgit en tant que véritable défenderesse des droits non marchands transnationaux. Son militantisme pluridimensionnel confronte souvent des violations commises soit par les États, soit par les multinationales. Cette confrontation est manifestée à travers de nombreux exemples que nous exposons cidessous.

L'International Labour Rights Forum (ILRF) a lancé une campagne en 1997 contre le Mexique et certaines entreprises américaines. La campagne dénonçait des tests de grossesse imposés aux candidates désirant travailler dans des maquillas114. Le gouvernement du Mexique a aussitôt réagi en lançant une campagne de sensibilisation à propos des lois mexicaines contre la discrimination, tandis que de nombreux groupes américains ont été contraints de cesser cette pratique. Les plaidoyers de l'ILRF ont enfin conduit à une plainte de la part du bureau administratif

113 E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 649.

114 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p. 18.

national américain contre le Mexique en vertu de l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail de l'ALENA115.

L'exemple de Nike et le dommage causé à sa réputation corporative sont également de parfaits exemples de cette confrontation. La publication et la distribution par la société civile de la photo d'un enfant pakistanais en train de fabriquer un ballon de football de Nike, l'affaire Kukdong au Mexique et le litige de Kasky vs. Nike sont autant d'illustrations du dommage que Nike a subi116. Les polémiques tournaient souvent autour des pratiques de Nike et de ses fournisseurs qui gèrent des usines où les conditions de travail étaient douteuses. Le concept de sweatshop était devenu synonyme de Nike. L'entreprise a vu ses produits boycottés et sa réputation bafouée117. Dans un monde où le consommateur est de plus en plus averti et où les relations publiques d'une entreprise ont d'importants impacts sur son chiffre d'affaires et le cours de son action, la réputation corporative a valeur d'or118. La mobilisation menée contre Nike révèle ainsi le rôle crucial et le poids de la société civile.

Grâce à son énorme pouvoir de mobilisation et de sensibilisation, la société civile est capable de susciter des changements incidents sur la pratique des multinationales les plus imposantes119. Elle réclame également une plus ample opposabilité juridique des codes de conduite des entreprises, semblant être de plus en

115 Id., note 32, p. 18.

116 J. ZERK, op. cit., note 34, p.266.

117 Cesar A. RODRIGUEZ-GARAVITO, «Nike's law: the anti-sweatshop movement, transnational corporations, and the struggle over international labour rights in the Americas», dans Boaventure de SOUSE SANTOS et Cesar A. RODRIGUEZGARAVITO (dir.), Law and globalization from below: towards a cosmopolitan legality, Cambridge, Cambridge university press, 2005, p. 68; D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 192.

118 P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 273; P. DE WARRT, op. cit., note 56, p.291.

119 Id., note 117, p. 80.

plus en cause dans les différends impliquant la problématique des sweatshops120. En 2005, l'ILRF a poursuivi Wal-Mart devant les tribunaux californiens. Il s'agissait d'un recours collectif au nom de plusieurs travailleurs des fournisseurs du géant américain situés en Afrique, en Asie et en Amérique centrale. Le fondement du recours était basé sur des violations du code de conduite de Wal-Mart, également applicable aux fournisseurs de la compagnie121. Cette dernière poursuite est enfin fort révélatrice de cette action transnationale coordonnée de la société civile qui ne connaît ni nationalisme ni territorialité. La collaboration à travers les réseaux internationaux a rendu l'ignorance et l'indifférence à l'égard des abus corporatifs à l'étranger difficiles à maintenir122. Il est par ailleurs intéressant de noter que le fondement juridique de la poursuite était un code de conduite et non un texte de loi. Nous reviendrons à la question de l'opposabilité juridique des codes de conduite plus loin123.

La polémique avec Bechtel représente une autre illustration de cette confrontation de la société civile évoquée plus haut. En 2000, d'importantes manifestations et émeutes ont secoué Cochabamba, troisième ville de Bolivie, en protestation contre une hausse de 35% du prix de l'eau potable. Cette hausse est attribuée à la privatisation des installations de distribution d'eau et de traitement d'égout de la ville. Une concession avait été accordée à un consortium de sociétés dirigé par Bechtel mais que le gouvernement bolivien a été contraint de révoquer124.

120 Illustré dans la fameuse affaire de Kukdong, le sous-traitant de Nike opérant au Mexique. Voir D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 193.

121 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p. 24.

122 P. MUCHLINSKI, op. cit., note 56, p. 222.

123 Voir Partie IV - Quelles symétries entre multinationales et société civile? - Section 2 - La soft law des acteurs non étatiques.

124 EarthJustice, «Victories: Bechtel Drops Case in Bolivia Water Case», 19 janvier 2006, en ligne: http://www.earthjustice.org/our_work/victory/?issue=&region=&office=27410256

Aguas del Tunari, filiale bolivienne contrôlée par le consortium dirigé par Bechtel, a donc poursuivi la Bolivie devant le CIRDI en vertu du traité bilatéral d'investissement (TBI) Pays-Bas / Bolivie pour un montant de 50 millions de dollars américains à titre de compensation pour expropriation. Suite à la poursuite, le géant américain a été vivement critiqué dans les médias et dans les campagnes internationales de la société civile. La critique se fondait en une mobilisation provenant d'acteurs des cinq continents, regroupant altermondialistes, académiciens, experts en développement durable et autres125. En effet, de nombreux spécialistes tels que Joseph Stiglitz ont dénoncé ce recours. Selon lui, ce différend est un exemple flagrant parmi d'autres où : << Many instances of corporate evil-doing have rightly become infamous (...)>>126.

L'affaire a ainsi une valeur symbolique puisqu'elle opposait une des plus grandes entreprises américaines et un des pays d'Amérique latine les plus pauvres. Un affrontement qui a pris cependant place dans un contexte de globalisation économique et devant un tribunal du CIRDI. La Banque mondiale et le CIRDI ont été également affectés par la polémique suscitée par les campagnes de la société civile. Étant donné la conduite de l'audience à huis clos, le CIRDI a été critiqué à cause de sa procédure d'arbitrage << secrète >> en dépit de l'énorme intérêt public en cause127. Le différend a pris une ampleur politique considérable. Suite à l'échec de la demande bolivienne de rejeter la compétence du tribunal, le CIRDI a été également critiqué par

125 International Institute for Sustainable Development, «Bolivian water dispute settled, Bechtel forgoes compensation», Investment Treaty News, 20 janvier 2006, en ligne: www.iisd.org/pdf/2006/itn_jan20_2006.pdf

126 Joseph STIGLITZ, << Making globalisation work >>, New York, Norton & co., 2006, p.187.

127 Id., note 124.

le président Evo Morales. Ce dernier a dénoncé un favoritisme à l'égard des investisseurs et entama des démarches pour retirer son État du traité du CIRDI128.

Le tribunal d'arbitrage saisi s'est prononcé sur sa juridiction en répondant également à une requête d'amicus curiae129. Une ONG environnementale130 a demandé au tribunal la permission d'intervenir en tant que partie au différend et, en cas de refus, en tant qu'amicus curiae131. Cette requête audacieuse a été présentée par la fameuse Earthjustice, qui est intervenue dans plusieurs différends examinés dans cette étude. Ce caractère audacieux se retrouve d'emblée dans les demandes des intervenants qui exigèrent : de se prononcer à la fois sur des aspects procéduraux incluant la juridiction du tribunal, sur l'arbitrabilité et le mérite des demandes du plaignant, d'assister à toutes les séances, de présenter des plaidoiries orales et d'avoir un accès immédiat à toutes les pièces communiquées au tribunal. De plus, ils exigeaient du tribunal la divulgation au public de toutes les pièces incluant les mémoires écrits des parties, de permettre au public d'assister aux audiences et que le tribunal se rende sur les lieux de Cochabamba132. Le tribunal n'avait cependant pas jugé utile à ce stade de se prononcer sur la question de la présentation des mémoires, et a rejeté les autres demandes puisque leur octroi relevait du consentement des parties.

128 Susan FRANCK, «Empiricism and International Law: Insights for Investment Treaty Dispute Resolution», Viginia Journal of International Law (47 Va. J. Int'l L. 767), 2008, p. 7.

129 Décision rendue le 21 octobre 2005; Aguas del Tunari, S.A. v. The Republic of Bolivia (ICSID Case no. ARB/02/3), Decision on Respondent's Objections to Jurisdictions.

130 Tel que soulevé à maintes reprises dans cette étude, la société civile qui y est décrite est loin d'être homogène dans sa composition. Les entités représentées par les ONG dans ce litige illustrent en effet cette diversité vu leurs qualités, leurs nationalités, et leurs expertises: La Coordinadora para la Defensa del Agua y Vida, La Federación Departamental Cochabambina de Organizaciones Regantes, SEMAPA Sur, Friends of the Earth-Netherlands, Oscar Olivera, Omar Fernandez, Père Luis Sanchez, et Jorge Alvarado (Membre du congrès bolivien).

131Aguas del Tunari, S.A. v. The Republic of Bolivia (ICSID Case no. ARB/02/3), Decision on Respondent's Objections to Jurisdictions,p. 3.

132 Id., note 131.

Bechtel et ses partenaires ont toutefois abandonné leur poursuite en 2006 en signant un règlement hors cour avec la Bolivie133. L'abandon est considéré par la société civile comme un triomphe, fruit d'une mobilisation et d'une pression conséquente à la fois politique et judiciaire134. Le pouvoir et plaidoyer de la société civile dans ce cas illustre en effet une fois de plus la dynamique de sa pression, exercée par son intervention pluridimensionnelle et à travers sa capacité de mobilisation édifiante contre les plus grandes entreprises. À travers son intervention complémentaire devant le CIRDI et face à l'impuissance de la Bolivie liée contractuellement par le TBI sous peine d'engager sa responsabilité, la société civile a surgit en tant que la « voix des sans voix », aussi bien devant cette juridiction que devant Bechtel.

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