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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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1. La formation professionnelle pour rompre avec hier

Concevoir son avenir, c'est le définir à partir de ce que construit la biographie, c'est-à-dire, les socialisations primaire et secondaire mais c'est aussi la définition d'une stratégie qui s'appuie dessus. La formation professionnelle est un de ces leviers qui agit comme un choc biographique sur lequel se construit une réalité subjective dont les enjeux sont la reconnaissance sociale.

1.1. Je sais que je peux dire non, que ça tient qu'à moi, mais non j'y arrive pas. Aude a 23 ans ans, elle est en formation professionnelle et prépare un brevet professionnel

de la jeunesse et de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS). Après un parcours scolaire relativement stable jusqu'au lycée, époque à laquelle elle rencontre l'univers de la drogue, elle enchaîne les petits boulots, barman, guichetière dans une banque. Cette rencontre avec la drogue signe une partie importante de sa vie :

Aude - Il y a beaucoup de mecs qui m'ont demandé de choisir entre eux et la came, j'ai toujours choisi la came. Alors peut-être que j'ai jamais été amoureuse.

A la sortie de sa scolarité, elle tente un premier décrochage qui se traduit par une lourde dépression car comme elle dit " quand tu es plus dans la came, tu vas plus en teuf, donc t'es toute seule. » Aujourd'hui, elle avoue ne pas avoir " totalement décroché » et être " encore sensible ». Elle s'efforce tout de même sur les temps de formation de tenir le coup et substitue par le cannabis, " je fume tous les jours mon spliff ici. ». Bien qu'elle ait écarté toutes ses relations liées à cet univers, elle continue à travers un de ses amis très proche à « taper le week-end ». Malgré ce qu'elle appelle tous ses problèmes personnels, elle a réussi à sortir du cycle de la forte dépendance. En effet son entrée en formation pour devenir animatrice professionnelle, lui permet de canaliser son énergie jusqu'à un certain point, car lorsque l'on évoque le temps libre cette énergie semble diminuée :

Aude - C'est beaucoup de temps sur la formation quand même, j'aime bien tout le public porteur de handicap alors je fais vachement de recherches sur internet là dessus. Des fois, ils nous disent, tiens, vous pouvez regarder telle chose ou telle chose, alors, je fais souvent ça. Je regarde des petits trucs sur la formation, sinon, la dope!

Ce qui est réellement significatif dans son histoire, c'est l'énergie déployée pour son projet professionnel : l'animation. Car si son orientation scolaire la pousse vers le médico-social elle expose clairement ses propres inquiétudes de l'époque et revoie son projet selon les nouvelles données :

Aude - Après, je voulais faire un bac SMS mais il y avait pas alors j'ai été à S à CT, faire un bac médico- social. J'ai eu beaucoup de problèmes, j'ai déconné. J'ai arrêté ma terminale, j'ai pas eu mon bac. Et en fait, j'ai été repasser mon bac un an après à N.D au M et je l'ai eu. Après, je voulais pas rester dans le social parce que moi je me disais, vu que moi, j'ai eu beaucoup de problèmes dans ma vie personnelle, je me disais « t'arriveras jamais à faire la part des choses, ça sert à rien, tu vas être encore plus mal avec toi » donc j'ai complètement changé et j'ai fait un BTS force de vente. J'ai fait un an et demi mais pareil, re-problème, j'ai eu pas mal de problèmes de dope. Je suis retombée dedans, j'ai arrêté. Après, j'ai décidé de partir. Je suis partie en saison où j'étais barman animatrice dans un bar. Après je suis revenue, je connais P, on a discuté et il m'a dit « il faudrait que tu passes le BAFA » et vu que j'avais le niveau pour passer le BPJEPS, j'ai dit allez hop BPJEPS! Direct. Parce que ce qu'il y avait dedans me plaisait bien, surtout le LTP niveau socio-

culturel. J'avais l'impression de retrouver un peu le social que j'aimais avant mais dans un autre cadre que par exemple être éduc', parce que à la base, je voulais être éduc'. Mais là, c'était un autre cadre, c'est un cadre un peu plus joyeux, je sais pas si ça se dit.

Cette révélation professionnelle semble donner à l'avenir un sens un peu plus radieux, qui tendait à s'effacer au gré des rechutes.

Aude - J'ai commencé à quinze ou seize ans et là j'ai vingt-trois mais ça fait deux ans et demie que je suis sous traitement. J'ai réussi à pas retaper pendant un an, un an et demi mais régulièrement, j'en prends encore [...] jamais quand je suis en cours. Ça m'est arrivé au tout début mais je tape que le weekend

On comprend dans son discours le besoin de trouver un nouvel espace de socialisation qui rompe avec sa communitas de référence, celle des fêtes Techno, de la drogue. Il semble qu'il soit important pour elle de travailler pour deux raisons. D'abord pour prendre de la valeur ensuite pour sa fonction thérapeutique.

Aude - Moi, je trouve ça super valorisant, moi, je trouve qu'on est très content, enfin, moi je suis très contente quand je fais mon travail, quand j'aboutis à un travail que j'avais envie de faire. Ça valorise, tu te sens bien dans ta tête. Je sais que quand j'ai rien fait pendant un bon moment, j'étais trop mal dans ma peau, trop mal dans ma tête. Et à partir du moment où j'ai recommencé à bosser, à voir du monde, ça m'a trop aidé. Ouai, le travail, c'est valorisant et je pense que psychologiquement, c'est super important. Enfin après...

-Tu peux m'expliquer ce qui psychologiquement et physiquement est important?

Aude - ... physiquement, ça permet de te tenir en forme, parce que je veux dire, tu te lèves le matin, tu bouges, tu es en activité, tu es en mouvement. Donc voilà, physiquement et psychologiquement, c'est important parce que pour moi, le travail c'est l'impression d'être insérée, d'être dans la société. Je pense que quand tu travailles, tu es inséré dans la société. Et je pense que quand tu travailles pas, enfin, moi, c'est comme ça que je l'ai vécu, j'avais l'impression d'être complètement marginale, de ne plus être dans la société. Alors que là, tu te sens utile [...]

Ce sentiment de marginalité qu'elle évoque nous indique combien elle attend l'agrégation à ce groupe que représentent les détenteurs d'un contrat de travail. On note aussi une certaine confusion entre ce qui lui semble être l'unique thérapie valide qu'est le cadre temporel enfermant du travail et des transports pour s'y rendre ou en revenir, dont elle parle comme d'une épreuve personnelle très difficile.

Aude - C'est vrai que quand je suis ici, c'est super dur parce que j'ai un train à 7h13 parce que sinon, j'arrive en retard. Alors, j'arrive à 8 heures moins le quart alors que ça commence qu'à 9 heures et demie. Le soir, c'est pareil, j'ai des trains, c'est super chaud! Donc, je prends le train de 18.45 ou de 19.35 donc j'arrive vers 7 heures et demie, 8 heures chez moi [chez sa mère]. Donc, heureusement que c'est qu'une semaine comme ça de temps en temps parce que sinon, j'y arriverai pas.

Sa consommation bien qu'épisodique restreint son horizon temporel au moins momentanément. Ce qui est d'ailleurs le cas de toute consommation de psychotrope, la recherche d'ivresse n'est qu'un présentisme ponctuel.

Aude - [...]Et puis depuis le début de la formation, je me suis dis, tu t'es pas trompée. Pour l'instant, je suis au bon endroit, au bon moment et que ça va marcher parce que ça me plait trop, ça me passionne tout ce qu'on fait. Le seul point négatif, c'est la came. Mais tu vois, je vais rentrer ce soir, je sais que j'en aurai pas mais je sais que demain soir je pourrai en avoir et ça me travaille. Je sais que je peux dire non, que ça tient qu'à moi mais non, j'arrive pas.

Pour autant, cela ne l'empêche pas de construire relativement facilement un discours sur sa stratégie dans un milieu professionnel encore un peu flou pour elle :

- Je t'ai déjà posé la question sur le métier que tu voulais faire particulièrement, tu m'as dit que tu savais pas trop...

Aude - Animatrice professionnelle, ça c'est sûr et puis peut-être après éduc. Enfin, j'aimerai bien monter dans les responsabilités en fait. Je pense que, enfin c'est pas pour me vanter, mais je crois que je serai capable de prendre des responsabilités et j'ai envie de monter pour en avoir et pour voir ce que je vaux. Je veux me donner des objectifs, des buts à atteindre et monter toujours plus haut pour me prouver que je suis capable de le faire quoi. Parce que j'ai pas mal galéré et je me dis, « tu vas te prouver à toi d'abord mais aussi aux autres gens que t'es capable d'y arriver. On s'est tellement foutu de ma gueule en me disant, ouais, tu es qu'une pauvre camée, t'es une droguée, tu es une merde...Et aujourd'hui, tu vois, je suis quand même en BPJEPS, je m'en suis quand même à moitié sortie, et je suis fière de moi. Alors, j'ai envie de me fixer des objectifs encore plus haut et les atteindre pour me prouver à moi même que je suis capable.

Cette projection qu'a nécessité son entrée en formation n'a pas été une simple rencontre et « allez hop ! » comme elle le dit, c'est avec l'aide de sa famille, de professionnels de l'insertion, de la formation que s'est construit ce nouvel univers de possible qui permet la projection :

Aude - [...] Et puis j'étais suivi par la PAIO depuis un petit moment. Madame Y, elle m'a toujours bien aidé et tout. [...] Ensuite il me fallait des sous donc d'abord, j'ai vu qu'on pouvait prétendre au PRFQ, donc je savais pas trop ce que c'était... Mais, en fait, j'ai mon oncle qui travaille au GRETA et lui, il s'y connait pas mal dans les formations comme ça. Donc, il m'a expliqué ce que c'était et il m'a dit que je pourrai avoir l'aide de la région parce que je suis chômeuse, je suis demandeur d'emploi, j'ai moins de vingt-cinq ans.

- Tu m'as parlé de deux personnes qui t'ont aidé hors ta famille, tu m'as cité B et madame Y, qu'est ce qu'elles ont fait pour que tu te sentes bien aujourd'hui?

Aude - Madame Y, c'est quelqu'un de très important parce qu'elle m'a suivie à la fin de mon BTS quand j'étais dans la drogue et tout ça, et ça été ma porteuse, c'est elle qui m'a porté jusque là, elle a toujours pris de mes nouvelles, c'est quelqu'un qui est important pour moi. Je l'appelle de temps en temps pour lui dire ce que je fais ici, donc elle a une place importante. Donc sur le côté

professionnel, elle a réussi à me dépatouiller de ce que j'avais comme idée et de les mettre en place. Elle a réussi, elle m'a aidé pour les mettre en place. Et B [chargée du suivi administratif des stagiaires de la formation], elle est trop géniale parce que elle me suit depuis le début de la formation, moi je sais que si j'avais eu une amie comme ça dans ma vie, et bien, tout aurait bien été...Elle est géniale, elle a tout le temps la pomme, toutes les semaines, on s'envoie des mails, on s'appelle. Je sais que je peux toujours compter sur elle, n'importe quand. Pour la MJC, elle m'a trop aidé, tous les jours je l'appelais parce que ça allait pas, je pleurais, j'allais trop pas bien, à chaque fois, elle m'a aidé. Elle sait que je suis proche du milieu de la rue, mais elle sait pas que je me dope. Je veux qu'elle garde une image de moi de quelqu'un, enfin comme elle me voit aujourd'hui.

Si son projet professionnel lui tient tant à coeur, ce n'est peut-être pas tant dans l'optique d'une insertion telle qu'elle est consentie par les professionnels. Son discours sur sa propre image, très présent dans cet entretien, témoigne d'une volonté de sortir d'un cercle dans lequel la drogue est une obligation de se projeter en rond, d'un week-end sur l'autre, d'une prise à l'autre. Elle semble rechercher un espace de socialisation secondaire pour se défaire d'un poids qui l'handicape. Il s'agit de l'« intériorisation de " sous-mondes " institutionnels ou basés sur des institutions »1 comme un processus qui permet l'intériorisation d'une nouvelle réalité subjective. Son vocabulaire qui suppose « l'intériorisation de champs sémantiques structurant la routine des interprétations et des conduites à l'intérieur d'une sphère institutionnelle »2, nous en livre un exemple très probant L'utilisation de termes comme « objectifs », « projet », « animation professionnelle » et tous les sigles inhérents à cette branche, laisse entrevoir cette rupture biographique en marche qui vient en même temps se heurter à une socialisation primaire qui n'en finit pas de finir. Bien qu'elle semble vouloir rompre avec son enfance elle ne semble pas tout à fait se représenter comme « membre effectif de la société et en possession subjective d'un soi et d'un monde »3 qui caractérise la fin de la socialisation primaire. Son faible niveau d'indépendance vient dans une certaine mesure corréler notre propos. Mais nous nous garderons de situer l'indépendance comme une recherche effective de sa part, car la présence de sa famille semble constituer un élément important de son bien être. Son expérience temporelle est relativement importante, et on le comprend lorsqu'elle situe les périodes entre elles ou encore qu'elle évalue le temps passé. Les fonctions de projection et d'anticipation sont bien intégrées au point d'un discours d'un fort niveau de synthèse sur son existence. Sauf peut-être dans les moments de prise de drogue. Une anecdote sur le vote des dernières élections présidentielles est à ce titre parlante.

- Mais tu as votée aux présidentielles du premier tours quand même ou pas?

1 P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, op.cit., p. 236

2 Ibid.

3 Ibid., p. 235

Aude - (rire) Non, je dormais, j'avais pris trop de came. - Les deux fois?

Aude - (rire). C'est de l'abus en plus parce que moi, je milite pour dire ouais voter ça! Et puis en fait, j'avais pris trop de came et en fait je dormais toute la journée.

Malgré un décalage important entre ce qui constitue ses différents cadres temporels elle se construit une représentation relativement éclairée de l'avenir même si celui-ci paraît presque plus naturel que stratégique. Sa projection comme ses rêves se tournent vers la norme sociale de la famille et du travail : la stabilité matrimoniale et professionnelle, ce que nous avons déjà vu comme étant la conquête du statut d'adulte. Ce passage qui s'effectue douloureusement est aussi très présent dans son discours. L'étape ultime avant l'agrégation définitive, tient à l'abandon de son addiction. Il ne s'agit pas d'assimiler la prise de drogue à un rituel qui situerait un quelconque passage, car comme le souligne J. Gendreau, la toxicomanie ne doit pas être confondue avec un rite de passage, même si à l'interne de ces pratiques on peut distinguer nombre de rituels. En effet, la confusion « qui consiste à désigner comme passage une impasse, car à qualifier à tort et à travers de rite de passage des pratiques qui n'en relèvent pas, on rend le non-passage objectif auquel aboutissent ces pratiques. »1 Il s'agit de rendre évident que son engouement pour un travail qui lui plaît tend à réévaluer sa propre image détruite au travers de sa toxicomanie avouée. Son processus d'insertion paraît en ce sens thérapeutique et induit l'idée de passage, depuis la notion de marge que représente pour elle la consommation de drogue, jusqu'à l'idée d'agrégation que sous-tendent ses aspirations (décrochage, famille, travail).

1.2. Faut surtout pas perdre son temps!

Majid a 23 ans, il est de ceux qui ne devraient pas figurer dans notre échantillon si nous nous étions limités à une insertion qui se veuille professionnelle. Aujourd'hui Animateur sportif employée dans le cadre d'un CAE dans une association de son quartier, il est sorti du système scolaire à 19 ans pour travailler et n'a fait que cela depuis. Plusieurs essais d'orientation débouchent sur une nouvelle orientation soumise par sa soeur ainée, qui à l'époque préparait une maîtrise en sciences comptable :

Majid - Après [une seconde TSA ou et une STT] j'ai fait un BEP comptabilité que j'ai été un peu forcé à faire dans le sens où je me suis dit faut au moins que j'ai quelque chose et je l'ai eu et après j'ai fait des petits boulots de livreurs, j'ai travaillé au Mc Do et aujourd'hui je suis animateur sportif. [...] Dès que j'ai eu le BEP j'ai arrêté parce que mon père, j'ai dit qu'il était commerçant, il est tombé en liquidation judiciaire donc soucis financier à la maison fallait que je travaille ...

1 Joel Gendreau, L'adolescence et ses rites de passage, op. cit. , p. 105

Pressé par une nécessité familiale, il entame un parcours du combattant, celui de l'insertion professionnelle.

- Du coup sorti du système, directement tu as commencé à faire des petits boulots/

Majid - /des petits boulots ouais, j'ai pas cherché a comprendre ce qui me plaisait ou ce qui me plaisait pas il me fallait de l'argent à la fin du mois et c'est tout.

-Donc ça a commencé par l'interim tu disais ?

Majid - Donc ça a commencé par l'intérim, j'ai travaillé en [inaudible] pendant 3 mois, après j'ai enchainé avec R, j'ai travaillé six mois et demi par contre là et ensuite j'ai fait des petits trucs à droite à gauche, ensuite j'ai été au chômage, ensuite j'ai repris un boulot de livreur, livreur de viande et ensuite ...

Le récit de son entrée dans une grande entreprise locale donne un sens tout particulier à l'idée d'insertion professionnelle.

Majid - Je vais t'expliquer rapidement comment je suis rentrer à R, j'ai fait quelque chose un peu illégal au départ parce que si tu veux mon frère par l'intermédiaire d'une intérim a reçu une convocation pour avoir du taf mais il s'avère que mon frère avait déjà du taf donc mon frère m'en a parlé et tout m'a demandé de rentrer en contact avec la personne qui travaille dans l'intérim et qui l'a mis. Moi j'ai pas cherché... parce que lui il commençait le lundi, donc j'ai pris sa place le lundi au boulot et je suis arrivé là-bas et je leur ai dit les quatre vérités, quoi, je suis arrivé au boulot je leur ai dit voilà je m'appelle pas comme ça, je suis pas dans cet intérim, et ils m'ont dit pourquoi vous êtes la ? Et je leur ai dit dit « pour avoir accès directement au bureau au chef d'atelier » etc... il me l'ont reproché au début, j'ai fait la matinée, à midi on m'a dit de pas revenir l'après midi mais j'en ai profité après le midi pour essayer de rentrer dans les bureaux parce qu'il s'avère que je connais deux, trois personnes qui travaillent là-bas, qui m'ont dit où étaient les bureaux donc je suis rentré dans les bureaux, une fois que je suis arrivé dans les bureaux le chef d'atelier super étonné de me voir parce qu'il voit pas tous les jours des jeunes qui viennent dans son bureau sans rendez vous etc ...donc il me demande ce que je veux, je lui dit que je suis motivé, j'ai pas de qualification dans ce domaine là, je cherche à découvrir, à apprendre à voir, il me dit ouais qu'est ce que tu veux concrètement, je dis c'est simple je veux travailler, je veux essayer d'évoluer pourquoi pas dans votre entreprise et tout, même si je suis qualifié dans aucun domaine dans les domaines industriels et il me dit ok je prends ton nom ton numéro et je te rappelle ou si je te rappelle pas, je te rappelle pas! »

Si l'histoire dans ce cas précis finit bien, puisqu'il sera rappeler et travaillera dans cette usine durant six mois, elle n'est pas sans rappeler le système d'embauche d'une autre ère. Cette anecdote porte en elle le souvenir de ce que son père lui dit un jour :

Majid - [...] parce que il y a une phrase de mon père qui m'avait dit à l'époque bien avant deux mille cinq « tu dois faire plus que les autres, tu seras toujours obligé de faire plus que les autres que tu le veuilles ou non ». Donc moi j'ai répondu à mon père « mais pourquoi je dois faire plus que les autres, je peux faire normal comme comme tout le monde, faire les mêmes effort et tout », il me dit

« non, ici t'es en France tu dois faire plus que les autres ». Je lui dis pourquoi? Il me dit « parce qu'on te reconnais pas en tant que français, il faut que tu fasses encore plus que les autres pour prouver que t'es encore plus français ». Je lui ai fait « ouais papa, mais je vois pas ce que tu veux me dire ». Et puis après réflexion je me dit qu'il a peut-être pas tort, parce que j'ai bossé à l'usine comme je te disais tout à l'heure je me rendais bien compte de l'importance de ce qu'il m'a dit et en fait il a pas tort. »

Aujourd'hui animateur sportif, il vit de son occupation favorite, le foot. C'est d'ailleurs devenu son projet professionnel avec une formation de Brevet d'État de foot à la clé. Son temps libre est partagé entre le foot et un militantisme associatif. Celui-ci agit comme un processus de resocialisation qui dans une certaine mesure nous fait penser au phénomène d'altérnation développé par P. Berger et T. Luckmann. Ils entendent par là un démantèlement et une désintégration de « la structure nomique antérieure de la réalité subjective. »1 sur quoi se construit une nouvelle réalité.

Majid - Hors travail, je m'intéresse un peu plus à la politique parce que je fais parti d'un mouvement qui s'appelle F et je vais peut être faire parti d'un collectif qui s'appelle X, je sais pas si on t'en a parlé, parce qu'on m'a demandé si j'avais du temps à donner, c'est un peu comme le foot, quand quelqu'un il milite c'est un peu comme le foot, on m'a demandé si j'avais du temps pour participer à des conférence ou à des réunions ou à des manifestations pour revendiquer des choses comme sur l'emploi sur plein de choses et voilà et puis en dehors de ça je suis à fond dans ma formation.

- Et du coup sur la question du mouvement politique, qu'est ce qui t'a amené à ça ? Majid - C'est les émeutes de ...

- C'est vrai ?

Majid - ouais

- Comment pourquoi ?

Majid - parce que justement ça sert à comprendre qu'il y a des discours au dessus dans la hiérarchie et c'est comment ça peut être grave, donc je me suis dit : voilà je vais donné de mon temps et on va voir si on peut militer. Parce que je voyais qu'y en avaient qui cassaient des voitures qui brulaient et tout, moi ça ne m'intéressait pas. Déjà je me regarde moi d haut en bas, c'est pas mon truc, donc j'ai préféré militer par l'intermédiaire d'associations [...]

-Tu dis que le déclic ça a quand même été les émeutes... politique est-ce que ça a été le déclic militant aussi ?

Majid - ouais déclic politique ça a été les émeutes surtout, quand j'ai vu ce qui s'est passé et que la vérité elle a pas été dite par un ministres très connu, c'est pas normal, c'est pas normal. C'est vrai qu'il y a deux poids deux mesures, c'est là que je l'ai dit, y a deux poids deux mesures c'est pas normal la justice elle est pas égale. »

1 P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, op.cit., p. 262

Cet extrait montre la rupture biographique dont parlent les auteurs de l'altérnation. Il y a bien sûr l'élément marquant que sont les émeutes, mais il y a surtout la présence d'une structure de plausibilité, c'est-à-dire une « base sociale servant de laboratoire de transformation. »1 qui est proposée par un mouvement politique et qui permet à Majid de se définir en opposition à ceux qui cassent et qui brulent. Il est en cela une forte valeur sociale distinctive comme peuvent l'être les rites d'institution. Cette intégration d'une réalité subjective transformée, tout du moins en cours de transformation situe la fonction sociale de ce processus. Il est bien entendu que cette agrégation en cours par le biais de l'altérnation ne peut être définie comme un rite de passage. Toutefois on comprend dans son discours la valeur distinctive de ses choix. En injectant « dans le passé différents éléments qui étaient subjectivement indisponibles à ce moment là. »2, il réinterprète le passé selon sa nouvelle réalité subjective. On retrouve là l'idée d'efficacité symbolique de P. Bourdieu. L'exemple de sa propre orientation qui fut selon lui un échec en témoigne.

Majid - Un jeune en 3eme il peut pas savoir ce qu'il va faire, il a pas les facultés de savoir ce qu'il va faire plus tard même si depuis gamin il rêve de ... mais il sait pas ce qu'il va faire, je pense qu'un conseiller d'orientation ça devrait être comme... moi ce que je voulais dire c'est qu'il devait y avoir un prof d'orientation, peut-être qu'ils n'y ont pas penser aussi, il devrait y avoir un prof d'orientation que toute l'année y ait des cours d'orientation, parce que le conseiller je l'ai vu, allez, une heure et demie dans l'année, deux heures et je l'ai suivi comme un con je l'ai suivi, il m'a demandé ce que je voulais faire dans la vie, j'ai dit oui, il me dit " t'es bon en quoi? », je lui dit " je suis bon en maths euh, c'est ma matière favorite » et tout ce qui n'est pas le cas de tout le monde, donc il m'a mis direct en lien avec la comptabilité et puis après il m'a dit par rapport au métier de mon père qui était mécanicien que y avait la technologie des systèmes automatisés que c'était quelque chose que je pouvais faire qu'était intéressant et tout donc moi après, j'ai peut-être fait une erreur de choisir ce que j'ai choisi mais je pense qu'il y a un gros soucis sur l'orientation des jeunes dans les collèges.[...] une seconde générale y a une option, mais l'option elle était très importante pour un lycéen parce que ça veut dire pour mon futur je prends cette option là même si ça dure que deux heures dans la semaine. »

Il admet ne pas avoir mesurer les enjeux de l'orientation et ce qu'ils suggèrent de stratégique, mais est aujourd'hui très conscient de ce que cela engage en terme d'avenir. On retrouve ce rapport au temps très fortement ancré dans le présent tout au long de l'entretien. D'abord quand il nous parle de ce qu'est pour lui le travail.

Majid - Le travail, ça représente c'est la sueur et la sueur c'est les compétences et les compétences doivent être égales pour tout le monde. Par exemple quelqu'un a les compétence pour ce boulot là si il peut le faire, il le fait, et voilà et le travail c'est une porte qu'on nous fournit dans la vie qui nous permet de prendre une direction, qui nous plait ou qui nous plait pas mais qui permet de prendre

1 P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, op.cit., p. 262

2 Ibid., p. 270

une direction professionnelle adaptée peut être à ce qu'on pense de notre futur et voilà... - Et il sert a quoi ?

Majid - Le travail il sert à passer le temps dans de bonnes conditions. Vu que tu as de l'argent à la fin du mois et puis surtout tu fais quelque chose, parce qu'aujourd'hui y en a tu leur donnes un agenda, y aura rien dedans, ils peuvent rien mettre dedans.

- Ça sert a remplir du temps ?

Majid - C'est remplir du temps, être utile pour quelque chose et puis surtout montrer à tes enfants que tu fais quelque chose, que tu travailles. Travailler c'est vital, c'est comme le proverbe qui dit « le travail c'est la santé », parce que un rythme de vie, c'est une réflexion, c'est plein de chose. »

Ensuite lorsqu'il évoque la jeunesse.

Majid - Plus l'avenir il avance plus les jeunes ils auront du poids que ce soit au niveau politique économique social. Ils ont un poids parce que ça représente toujours l'avenir même si pour moi un senior de 40 ans s'il représente l'avenir, il est pas vieux, mais quelqu'un qui représente réellement l'avenir c'est quelqu'un qu'est jeune qui est en train de découvrir ce qu'est le bien le mal et qui commence a capter des choses dans la vie, il prend conscience des choses et lui il a des nouvelles choses à proposer vu qu'il a vu dans son adolescence des choses par rapport à son environnement familial, scolaire, le jeune aura toujours quelque chose de nouveau à proposer parce qu'il est à l'intérieur de la population, d'un environnement donc on est obligé de l'écouter. »

Cet entretien avec Majid fut un des plus difficile à mener et un des plus difficile à analyser de par la recherche incessante de réaffirmer sa réalité subjective devant l'enquêteur. Cette difficulté s'explique aussi dans la jeunesse du processus d'altération qu'il vit. La nécessité de se réaffirmer est d'autant plus prégnante que ce processus est en cours et qu'il se l'approprie. Cela étant dit, l'intérêt qu'il présente est sans aucun doute tourné vers l'efficacité symbolique de l'agrégation. En stipulant son implication dans un mouvement qui se distingue des autres par sa théorisation de la crise, il « se désaffilie de son monde antérieur »1 et s'agrège en même temps à un nouveau « sous-monde » qui porte les éléments de sa représentation de l'adulte.

Majid - Franchement, entre jeune et adulte pour moi j'ai pas encore fait en sorte d'être un vrai adulte parce que pour moi un vrai adulte, c'est se marier, c'est fonder une famille etc, pour moi. Après y a adulte responsable et adulte en général. Adulte responsable c'est 18 ans tu peux faire les choses comme tu le sens comme tu veux, t'as 18 ans, c'est toi qu'est responsable, t'as ta carte d'identité, c'est toi qui signe des papiers, qu'ouvre un compte en banque, pour moi l'adulte c'est quelqu'un qu'a pris conscience de pas mal de chose dans la vie qu'a fondé une famille et fait des enfants pour moi c'est ça. »

Ce propos rappelle « la rupture biographique identifiée à une séparation cognitive entre

1 P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, op.cit., p. 264

ténèbres et lumières »1, entre le bien et le mal, entre ce que l'on peut faire lorsque l'on est enfant et que l'on ne peut plus devenu adulte. Et cela ressort fortement lorsqu'on évoque la période de vie préférée.

Majid - Parce qu'on en avait rien a foutre de tout (rire) parce que plus on grandit plus on a soucis, plus on voit l'avenir s'approcher de nous le futur s'approcher on prend conscience des choses comme je te disais tout à l'heure alors que quand t'es petit on pense a rien. Par exemple, moi je t'expliquais mon cas, je t'expliquais le foot, d'accord, j'écrivais, je faisais des contrôles des dictées, etc, mais en fait j'en avais rien à cirer mon moment préféré c'était la récréation, j'allais courir et puis jouer au ballon, je sortais de l'école j'allais jouer au foot tu vois, j'avais pas de responsabilités, on en avait aucune... surtout par rapport a la famille, sinon voilà ... Parce qu'à partir du moment où on faisait pas de distinction entre le bien et le mal on pouvait pas nous reprocher de faire le mal, parce qu'on était jeunes, inconscients, irresponsables, pour moi le meilleur moment c'est celui la, parce qu'au moins je dormais tranquille, je dormais en sachant que tout ce que j'ai fais dans la journée jetais content parce que j'avais joué au foot j'avais fait ça, j'avais fait ça, alors qu'aujourd'hui j'ai un peu plus de mal à dormir . »

Devenir adulte est ce chemin de la responsabilisation qui entame le sommeil, l'insertion quant à elle se définit comme une place au sein d'un groupe dont Majid semble d'ailleurs jouir. Seule une conquête fait défaut : l'indépendance de logement. Est-ce une fois de plus l'habitus familial qui l'enferme ou les questions liées à l'indépendance qui l'effraient?

Majid - ouais, parce qu'il y a des choses qui trottent dans la tête, mariage famille, etc.. donc euh ...le temps on a l'impression qu'il passe de plus en plus vite donc voilà faut pas perdre son temps. C'est peut-être ça qui m'empêche de dormir.

- Pour pas perdre ton temps ?

Majid - ouais faut surtout pas perdre son temps. »

Le temps rentable, celui qui érige l'horizon comme une construction quotidienne, devient sa nouvelle devise. On ne peut réellement définir le processus en cours pour Majid, mais il est évident que c'est au travers d'une forme de resocialisation qu'il donne du sens à son avenir. Il n'est jamais ouvertement question de son futur propre dans cet entretien, d'abord parce qu'il se dérobe derrière un discours politique qu'il affute, situant son locuteur comme un autrui significatif ; ensuite parce que l'apprentissage de la projection passe indubitablement par une compréhension de sa propre expérience temporelle et donc elle devient une connaissance pertinente qui nécessite une socialisation secondaire. Ainsi on peut dire à priori que Majid, s'il n'est pas réellement inséré, convole plus ou moins

1 Ibid., p. 266

sereinement vers un avenir qui ne lui apparaît pas incertain.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand