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Femme ou fée? Mélior dans "Partonopeu de Blois"

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par Julie Grenon-Morin
Université Sorbonne-nouvelle - Master 1 2010
  

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IV. Mélior et Partonopeu

1) La rencontre

L'amour de Partonopeu et de Mélior est teinté par l'injection et par la quasi-absence de la femme. Il met également à l'épreuve la confiance de l'un envers l'autre. En effet, Mélior met son sort entre les mains du héros, puisqu'elle perdra tout s'il ne suit pas son commandement. De son côté, Partonopeu doit croire sur parole sa future épouse qu'elle n'est pas une créature diabolique et qu'elle incarne bien ce qu'elle dit au creux de la nuit. Ce lien de confiance ne dure que quelques mois seulement avant que la directive ne soit plus suivie. Le thème de l'interdit est récurrent au Moyen âge quand il s'agit d'histoires de fées. C'est pourquoi il en est aussi question dans le Roman de Mélusine71(*). La similitude est d'autant plus flagrante que la demande porte sur la prohibition d'apercevoir la fée à un moment donné. Mélusine se marie avec Raimondin à condition que celui-ci ne cherche pas à la voir lorsqu'elle prend son bain le samedi. Cependant et contrairement à la fée du Poitou, Mélior ne subit aucune transformation, comme c'est le cas de Mélusine qui devient une femme-serpent ou une femme-dragon, dépendamment des versions.

On peut dire du type d'amour qui unit Mélusine et Raimondin qu'il démontre beaucoup d'attachement entre les deux individus, tout comme c'est le cas chez Partonopeu et Mélior. Le mariage du premier couple dure cependant de nombreuses années avant la disparition de la fée, alors qu'on ne connaît pas la longévité de l'autre. Mélusine a eu onze fils, tous ayant de grandes qualités et présentant une marque spéciale provenant de leur mère de nature féérique. Sa prospérité et ses nombreuses possessions sont à rapprocher de celles de l'impératrice de Byzance. Dans cette optique, le schéma mélusinien ne va pas jusqu'au bout dans Partonopeu de Blois. De plus, après que les deux héros, dans chaque histoire, aient manqué à leur parole, on observe qu'ils deviennent plus ou moins fous. Partonopeu erre dans la forêt, tout comme Yvain dans Yvain ou le chevalier au lion après sa traîtrise. Raimondin perd tout, devient rapidement vieux et meurt reclus, loin de ses fils.

Du côté de Morgane, son amour va vers son demi-frère, le roi Arthur. Contrairement aux deux autres récits, cet amour est à sens unique. Arthur est très épris de sa femme Guenièvre, qui préfère Lancelot. Quant à elle, Viviane est amoureuse de Merlin avec qui elle terminera sa vie, quoique cela change en fonction des différentes versions. Ainsi, Mélusine, Morgane, Mélior et Viviane partagent toutes la caractéristique d'éprouver des sentiments amoureux pour des hommes. Ce comportement les rapproche des humaines.

Comme cela a été dit dans le chapitre III, Mélior est une fée liée à la fécondité. Cela implique donc une part d'érotisme qu'on pourrait qualifier ambigu chez ce personnage : «tantôt elle a un appétit amoureux violent, tantôt l'auteur insiste sur sa pudeur72(*)». En effet, la fée dans Partonopeu de Blois vit sa première nuit d'amour avec un inconnu (elle ne l'a jamais rencontré, même si elle dit l'avoir choisi depuis longtemps). Lors de cette nuit, Mélior ne s'attendait pas à trouver Partonopeu dans son lit et montre beaucoup de surprise en le découvrant là. De son côté, Partonopeu est terrifié, car il ne sait pas du tout ce qu'est cette silhouette qui s'avance vers lui:

A tant une arme vint al lit

Pas por pas, petit et petit,

Mais il ne set que ce puet estre.

Or volsist miols qu'il fust a nestre!

A une part se traist del lit,

Defors soi en laisse petit73(*).

Cependant, la surprise de Mélior ne peut pas être totale : ayant attirée le héros chez elle, elle devait se douter qu'il se trouvait à quelqu'endroit du palais et ce, même si elle n'avait pas choisi le moment de son apparition dans la cité. Lorsqu'elle crie ses questions au jeune homme aussi apeuré qu'elle, la fée feint forcément de ne pas savoir qui il est. Sinon, la surprise lui fait omettre de réfléchir qu'elle a amené elle-même Partonopeu dans sa demeure :

Comment! Fait ele, qui es tu?

Qui t'a en mon lit enbatu? (...)

Qui est ici? Sui jo traïe?

Et tu qui iés, va, fole riens?74(*)

Suite à ces questions, Partonopeu explique comment il est arrivé jusqu'au château de l'impératrice. Ces informations devraient être suffisantes pour que Mélior le reconnaissent. Alors, la fée fait semblant d'ignorer l'identité du visiteur, comme si sa surprise éprouvée quelques instants plus tôt lui avaient fait perdre la mémoire. La dame est réticente à consentir à ce que Partonopeu reste dans son lit, plaidant sa très grande fatigue :

-Sire, fit ele, alés en tost,

Car jo n'ai soing de vostre acost.

De vostre gré vos en alés

U a force en serés jetés,

Et s'avrés molt grans marimens,

Que n'i sui seule ne sains gens75(*).

Après quelques protestations, elle accepte. La fée se laisse ensuite gagner par les gestes tendres de Partonopeu. On peut donc affirmer que la sexualité de Mélior est ambiguë. Elle hésite à se laisser gagner par le jeune homme, alors qu'elle a elle-même planifié leur rencontre. Pour C. Ferlampin-Acher, la fée Mélusine présente ce même genre d'ambivalence : elle ne se montre pas entièrement disponible pour son époux. Elle se refuse à Raimondin le samedi, ce qui la rend plus attirante. Elle apparaît donc distante et pure. Ainsi, parmi les caractéristiques des fées en général en compte l'érotisme et la retenue, ce qui sied d'ailleurs à la fée dans Partonopeu de Blois.

La relation de Partonopeu et de Mélior est elle aussi ambiguë. Le texte veut montrer un jeune homme fort, doué et intelligent, bref, un guerrier hors-pair. Cependant, ce valeureux prince est victime d'un enchantement et, très rapidement, il se laisse gagner par une fée qui lui défend de la quitter. L'image du héros est ainsi un peu ternie. La femme le domine complètement, même si cet assujettissement est caractérisé par l'amour. Les valeurs masculines perdent de leurs pouvoirs auprès de cette fée qui a jeté son sort. En choisissant le neveu du roi Clovis, Mélior devient maîtresse de sa propre sexualité76(*). Cela peut engendrer une crainte de la gente masculine. D'ailleurs, Partonopeu, malgré quelques faux pas, se soumet complètement à elle. Cependant, l'impératrice n'exerce pas cette forte attraction sur le héros dans un but vain : elle veut se marier et poursuivre le lignage des rois de Constantinople, dont elle est l'héritière. Le roman de Partonopeu de Blois ne se poursuit pas assez longtemps pour connaître la progéniture des deux héros, chose que l'on observe par contre dans le récit de Mélusine. Cette fée s'acquitte de son rôle de mère à la perfection. Elle se soucie de ses enfants, tous des garçons, et revient même vers les plus jeunes après avoir dû quitter Raimondin à tout jamais. C. Ferlampin-Acher explique que les fées «se présentent comme des mères hyperboliques, le motif de la fée maternelle trouvant une justification féodale77(*)». Tout comme Mélior, Mélusine contrôle le désir de son futur époux et plus tard son époux. Il dépérit ensuite de ne plus l'avoir auprès de lui.

A. Les fées marraines / fées amantes

Outre la division en deux pôles soit mélusinien, soit morganien, les fées peuvent également être classées en deux catégories : les fées marraines et les fées amantes. Les fées marraines sont appelées au chevet d'un nouveau-né. Elles sont presque inséparables de l'image d'un repas. Souvent, une fée se venge de ne pas avoir eu de couteau ou autre et lance un maléfice. Comme l'explique L. Harf-Lancner, deux mondes se percutent alors :

Cette scène étonnante tire toute sa richesse de la juxtaposition de deux plans merveilleux : celui de la féérie et celui de l'enchantement, l'un parfaitement étranger et inaccessible à l'homme, l'autre réservé aux mortels qui entrent en contact avec le monde surnaturel et en retirent des pouvoirs qui les placent au-dessus des leurs.78(*).

Par opposition, les fées amantes sont celles qui rejoignent le héros dans son monde ou vice versa. Elles ont le pouvoir de décider du destin des hommes. Mélior, cela a déjà été dit, se place du côté des fées amantes. Cela présuppose qu'elle pose un interdit au héros. Sa demande porte sur l'existence même de la fée. Dans le cas de l'impératrice de Byzance, elle stipule à son jeune amant qu'elle perdra tous ses pouvoirs s'il ne fait pas ce qu'elle lui dicte. Comme il est mentionné dans Le monde des fées dans l'Occident médiéval, le héros a pour mission de ne pas désobéir, car il empêche la contamination d'un monde à l'autre : «Il s'agit (...) de maintenir un écart entre deux mondes qui ne devraient pas communiquer79(*)». Cependant, le XIIIe siècle fait progressivement se confondre les deux types de figures. Par exemple, dans Graelent, une fée possédant tous les attributs d'une amante distribue pourtant des dons comme l'aurait fait son homonyme marraine. On constate donc une superposition des deux archétypes, alors que les schémas narratifs (devenus des thèmes) des oeuvres littéraires, vont se transmettre d'oeuvre en oeuvre80(*).

La fée amante choisit ses propres règles, mais, parfois, les règles lui sont également imposées. Dans le cas de Mélior, le tournoi organisé pour gagner un mariage avec elle n'est pas de son ressort. Le tournoi dans Partonopeu de Blois partage d'ailleurs quelques ressemblances avec celui dans Cligès. Il faut d'abord noter son organisation spatiale, puis la même durée à un jour près et, finalement, le cri d'un des personnages féminin81(*). Dans la version saxonne du roman de Chrétien de Troyes, Fénice joue le même rôle que Persewis, car elles crient durant une joute. La personne ressource de Mélior ne peut pas s'en empêcher lorsque Partonopeu est menacé par Margaris. De plus, la fin pour la fée amante et pour le héros diffère dans l'histoire de Partonopeu par rapport aux schémas des histoires mélusinienne ou morganienne. Le couple du roman anonyme se marie, ce qui n'a pas d'écho dans les deux schémas où il est question de fées. Leur noce est d'un faste «indescriptible» et célèbre une union où les deux individus s'aiment, malgré les épreuves de part et d'autre. Notons également la séparation dans le temps qui a rendu les choses encore plus pénibles. Le mariage est l'occasion de fêter le bonheur retrouvé et amélioré, car le jeune homme peut enfin contempler sa belle en plein jour :

Or est la cord tote partie

Et Parthonopeus a s'amie;

Tot a delit a son plaisir,

A grant joie et a bel loisir,

Tot a solaz et a sojor,

A grant aise [et] a grant honor82(*).

Grâce à ses pouvoirs, Mélior est parvenue à ses fins : elle peut épouser le comte de Blois. C'est un dessein qu'elle caressait depuis longtemps : «Par cest savoir vos ai celé / A tos cels de ceste cité83(*)». Néanmoins, des évènements imprévus survinrent, lui rendant les choses plus difficiles et parfois hors de son contrôle, malgré l'étendu de ses dons. La fée Mélior n'a rien d'une fée marraine, car toute son attention est centrée vers l'objet de son amour. C'est entre ses mains que se jouera le destin de Partonopeu et, lorsqu'il s'agit de fées marraines, c'est également entre leurs mains que se jouera le destin de plusieurs autres personnages de l'Histoire littéraire.

* 71 Jean d'Arras. Mélusine ou la noble histoire de Lusignan - Roman du XIVe siècle. Traduction par Jean-Jacques Vincensini, Paris, Le Livre de Poche, coll. Lettres gothiques, 2003, 860 p.

* 72 Ibid., p. 159.

* 73 Partonopeu de Blois, op. cit., p. 126.

* 74 Ibid., p. 128.

* 75 Ibid., p. 130.

* 76 C. Ferlampin-Acher, op. cit., p. 162.

* 77 Ibid., p. 163.

* 78 L. Harf-Lancner. Les fées au Moyen âge, op. cit., p. 29.

* 79 L. Harf-Lancner. Le monde des fées dans l'Occident médiéval, op. cit., p. 72.

* 80 L. Harf-Lancner. Les fées au Moyen âge, op. cit., p. 46.

* 81 Partonopeu de Blois, op. cit., p. 22.

* 82 Ibid., p. 656.

* 83 Ibid., p. 316.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams