B.2.3. Effets contextuels et sens
Avant de passer à l'approfondissement de la
définition de la communication en tant que système, nous
aborderons la définition nécessaire d'un concept qui ne fait pas
consensus au sein des écoles linguistiques, et qui est la
définition du terme Ç sens È.
Selon notre conception, un signe Ç a du sens È
pour un interlocuteur lorsqu'il crée un effet contextuel,
c'est-à-dire lorsque ce signe est une information nouvelle
contextualisée dans des informations anciennes, i.e. lorsque ce signe
est l'information nouvelle d'un processus inférentiel. Le signe
étant par définition toujours nouveau, il est de ce fait
indéniable que l'idée du sens se trouve liée à
l'existence d'information(s) ancienne(s) : un interlocuteur ne pourra pas
trouver du sens dans une communication s'il se contente uniquement de nouvelles
expériences de signes. Avec Eluerd (1985:29), nous considérons
que Ç le sens renvoie non au contenu ou à l'objet mais à
l'usage, à l'habitude È, ou à la redondance, comme
l'appellent Watzlawick (1972:27-34) et Bateson (1980:155-182), amenant avec
elle l'idée d'une récurrence à travers la
continuité. Ainsi, nous concevons le sens comme une composition
empirique, un ensemble appris de modèles, de patterns cognitifs relatifs
aux configurations des expériences communicationnelles passées.
Pour un interlocuteur, un signe a du sens si il peut être utilisé
dans une inférence prenant pour prémisse un pattern de son
environnement cognitif indirect. Cependant, nous devons être prudents et
ne pas prendre la tournure générativiste : ces patterns de sens
ne sont pas des structures fixes intériorisées comme on retrouve
dans les grammaires génératives, elles sont variables,
individuelles, et peuvent changer et être changées. En d'autres
termes, ces prémisses ne sont pas des règles
intériorisées immuables, mais au contraire apprises, acquises, et
potentiellement confirmables, infirmables et modifiables. Encore moins notre
vision du sens ne rejoint la vision de la théorie du code qui
défend l'idée d'une relation immanente entre le sens et le
signe-étiquette qui lui serait imposé. En définitive, le
sens, dans la vision qui est la nôtre, sous-tend l'idée d'un
pattern (ou modèle) appris d'habitudes, d'événements
redondants d'apprentissage.
L'idée d'un sens à travers une redondance de
modèles de communication, que nous appellerons patterns, appelle
l'idée d'un apprentissage par les interlocuteurs. Nous allons ainsi voir
comment procède cet apprentissage et pourquoi il est nécessaire.
Si l'on s'en tient aux théories classiques comme celles de Pavlov,
l'apprentissage implique une répétition d'un certain pattern
jusqu'à l'obtention de l'identification d'un signe à un sens.
Malgré quelques cas particuliers oü il en va autrement pour la
communication humaine gr%oce à une capacité d'apprentissage de
second niveau37, la majeure partie de l'apprentissage suit cette
idée de répétition et d'habitude.
Ë travers le temps, la communication est un
phénomène fondamentalement récurrent sur l'ensemble de la
vie d'un homme. Comme nous l'avons développé plus tTMt, ces
expériences de communication se trouvent guidées par la recherche
d'une pertinence optimale. Sur l'ensemble infini des signes productibles par un
interlocuteur à tout moment, il existe une chance quasi nulle de
produire le signe pertinent si celui-ci est produit à tout hasard. Il
lui est donc nécessaire de pouvoir déterminer le sens qui sera le
plus pertinent dans le contexte particulier d'une communication, et c'est
gr%oce à l'apprentissage que cette pertinence est atteinte. En effet,
à travers le temps, les interlocuteurs font l'expérience de
patterns optimalement pertinents, ainsi, afin de faire face aux
expériences futures, les interlocuteurs gardent en mémoire ces
patterns optimalement pertinents, c'est-à-dire qu'ils ont la Ç
possibilité de stocker des adaptations antérieures pour s'en
servir éventuellement plus tard. È (Watzlawick,1972:29)
Cependant, chaque nouvelle expérience de communication,
étant un confrontation des sens de chacun, peut potentiellement modifier
un ou des pattern(s) et le(s) remplacer par un ou d'autres plus pertinent(s)
chez l'un ou chez les deux interlocuteur(s), et ce par la capacité
humaine d'apprentissage de second niveau. Ainsi, un sens peut être
bouleversé en une seule expérience qui balaie l'ensemble des
expériences passées de ce sens pour le remplacer par un usage
plus pertinent. Par exemple, la plupart d'entre nous a déjà fait
l'expérience d'un mot dont nous faisions mauvais usage, avant d'un jour
nous faire corriger par un interlocuteur qui nous semblait digne de confiance.
Ainsi, dans ce genre de situation, la nouvelle
37 Cas dans lesquels l'homme peut acquérir un sens sans
pour autant qu'il soit nécessaire que celui-ci lui soit
répété car il possède une capacité
d'apprentissage de second niveau, c'est-à-dire que tout homme a appris
à apprendre.
norme sera retenue car nous l'acceptons comme plus pertinente
pour son usage futur dans des communications avec l'ensemble des interlocuteurs
respectant cette norme.
Nous pouvons faire une analogie entre la communication et une
partie d'échecs. Dans une partie d'échecs, chaque coup a un sens
particulier qui n'est pas inhérent à la nature de la
pièce, mais bien à l'apprentissage d'un modèle
d'utilisation de cette pièce. Ainsi, imaginons qu'un joueur ai toujours
été confronté à un modèle de jeu oü le
fou se déplace comme le cavalier et inversement. Dans cette situation,
un joueur autre connaissant les règles canoniques des échecs
considérera que déplacer le cavalier en diagonale Ç n'a
aucun sens È, car il ne correspond pas à son expérience du
déplacement de cette pièce. Il pourra également le
signaler au premier, qui malgré son expérience récurrente
de ce type de déplacement, pourra adapter son système de jeu au
changement pointé par le premier.
Ainsi, de prime abord, rien n'empêcherait un
interlocuteur de produire des signes aléatoires jusqu'à ce qu'il
trouve le signe adéquat, si ce n'est que cette démarche mettrait
indéniablement en péril la recherche d'efficacité et
d'économie du système. Fonctionner de cette manière
engendrerait un besoin en temps et en effort considérable pour
communiquer sur n'importe quelle chose. C'est cette faiblesse que
l'apprentissage à travers le temps vient corriger. Comme nous le dit
Bateson (1980:45) Ç l'erreur est toujours psychologiquement coUteuse
È, de ce fait l'apprentissage permet d'éviter d'avoir à
faire face à un processus d'essais et d'erreurs qui pourrait être
très long et très couteux en effort cognitif. De plus,
l'apprentissage permet aux interlocuteurs d'accepter certaines
hypothèses et certains sens comme vrais, ce qui leur permet
d'éviter d'avoir à réexaminer continuellement toutes les
prémisses. Mais le système ne peut obtenir de changement
adaptatif à travers l'apprentissage qu'à condition que
l'interlocuteur puisse percevoir et juger en retour sa production, en d'autres
termes, afin d'apprendre, il lui est indispensable qu'il existe un processus de
rétroaction au sein du système. C'est ce que nous allons voir
dans la dernière partie de ce chapitre.
|