B.3.2. Rétroaction et autorégulation
Ainsi, comme le disait Poty (2006:182), Ç la
communication est un jeu qui trouve en lui même son équilibre.
È Cet équilibre se maintient par un contrôle en retour de
la production du système. Ce contrôle est appelé
rétroaction ou feedback dans la première cybernétique, et
s'est précisé pour devenir autorégulation dans la seconde
cybernétique. Nous verrons ici ce qu'est le feedback et la
précision qu'apporte le concept d'autorégulation.
Le processus de feedback, selon la définition
première qu'en donne VonBertalanffy (1973:164-176) est le Ç
processus circulaire dans lequel une partie de l'extrant (output) est reconduit
dans l'intrant (input) en tant qu'information sur le résultat
préliminaire de la réponse : le système est ainsi
auto-régulé ; ceci au sens du maintien de certaines variables ou
du guidage vers un but choisi. È Ce processus permet à l'agent
producteur de recevoir de l'information sur les effets de sa production. En
d'autres termes, un contrôle est effectué sur le système
par transformation d'une partie de l'output en informations devenant nouvel
input :
Output
Input informatif
Schéma traditionnel de la rétroaction Tout
output créé une nouvelle information sur lui-même devenant
input.
Il existe deux types de rétroactions, la
rétroaction négative et la rétroaction
positive41. Nous verrons d'abord la rétroaction
négative. Celle-ci Ç réduit l'écart de ce qui sort
par rapport à la norme fixée È (Winkin,2000:26) i.e.
réduit la déviation, le jeu qui pourrait exister lors de la
communication, par une série de corrections successives
41 Les termes anglais, peut-être plus parlants,
étant respectivement Ç deviation counteracting feedback
È et Ç deviation amplifying feedback È
afin d'arriver à la stabilité du système.
On peut parler de convergence, oü la rétroaction permet de faire
converger l'output effectif et l'output défini par la norme du
système. La rétroaction positive a l'effet inverse, puisqu'elle
augmente l'écart entre l'output effectif et l'output défini par
la norme, provoquant une situation d'asymétrie, oü Ç la
même information agit comme une mesure de l'amplification de la
déviation de ce qui sort. È (ibid)
La transposition de ce phénomène au
système communicationnel se doit d'apporter des modifications dans la
définition de la rétroaction. Comme nous l'avons vu, les
interlocuteurs communiquent sur des stimuli appartenant à leur
environnement cognitif, c'est-à-dire qu'en tant que système
autonome, la communication ne se fait pas par l'environnement mais sur
l'environnement. La communication est un échange par production
d'informations sur les stimuli et non pas un échange
par les stimuli. Étant donné que fondamentalement, un
modèle de rétroaction permet à l'agent qui produit de
recevoir un retour d'information sur sa production, toute rétroaction
dans le système communicationnel, étant retour d'informations,
est un nouveau stimulus manifeste. La communication est donc
foncièrement cybernétique, à savoir qu'un output est
nouvel input sans changement de statut42. En d'autres termes, il n'y
a pas de transformation d'un partie de l'output en nouvel input,
l'output est un nouvel input, ce qui permet une autorégulation
plutôt qu'une rétroaction.
Nous avons vu que la rétroaction permet un
contrôle du système par régulation de la déviance
par rapport à la norme. Mais étudier le système
communicationnel rend le schéma basique de la cybernétique
inadapté. En effet, on constate que le schéma basique n'est que
le schéma de la théorie de la transmission auquel une boucle de
retour est ajoutée. Or, nous avons vu dans le premier chapitre de ce
travail que nous ne pouvons pas utiliser ce schéma dans une étude
de la communication. C'est pourquoi nous préférerons
l'utilisation du concept d' Ç autorégulation È
plutôt que rétroaction, pour renoncer à l'idée d'une
action en
42 A l'inverse d'un système cybernétique comme
le thermostat, dans lequel l'output est une production de chaleur et l'input
une information sur cette chaleur, l'output et l'input n'ayant donc pas un
même statut, la communication est un système oü le statut de
l'output et celui de l'input reste inchangé.
retour par boucle sous-tendu par la rétroaction et adopter
un concept sous-tendant l'idée d'une régulation autonome par
production continue d'informations.
Nous ne remettons pas en cause la nécessité d'un
contrôle du système, permettant à un interlocuteur
d'évaluer la pertinence de sa production. Un interlocuteur souhaite, par
la communication, une mise en commun avec l'Autre. Cette mise en commun, pour
être optimale, doit passer par une pertinence maximale. Un interlocuteur
doit ainsi pouvoir juger de la pertinence de sa production, et ajuster au fil
du temps sa production en fonction de la déviation par rapport à
la norme et sur lequel il est informé. Comme nous l'avons vu, les
interlocuteurs ne partagent pas de savoir mutuel sur le monde, mais chacun
possède un ensemble d'hypothèses sur le monde et sur l'Autre.
Ainsi, afin d'optimiser au maximum la communication, le système doit
leur permettre d'infirmer ou de confirmer leurs hypothèses, par
régulation temporelle, puisque Ç l'ensemble des agents fait des
erreurs dans la perception de l'environnement et ne corrige les erreurs qu'avec
le passage du temps. È (Viviani,1994:111) Cependant,
l'autorégulation du système communicationnel permet un
contrôle à travers le temps qui n'existe pas dans le schéma
traditionnel de la rétroaction. En effet, le système est un
système autonome et donc contrôlé par des règles qui
lui sont propres, et à la différence de la rétroaction,
l'autorégulation sous-tend l'idée que la norme n'est pas
dictée par un agent extérieur au système, mais bien par le
système lui-même, et pour lui-même, ce que nous retrouvons
dans le système communicationnel : la norme, et donc la déviance,
est dictée par des règles générées par et
pour le système.
Tout output étant un nouvel input sans modification de
son statut à l'intérieur du système autonome,
l'autorégulation permet donc l'existence de métacommunication par
information sur l'information, processus fondamentalement
autorégulateur, afin de faire face à
l'imprédictibilité inhérente au système, que nous
allons voir dans la partie suivante.
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