A.2.3. La pertinence
De Grice, Sperber et Wilson, garderont plusieurs principes :
le principe d'expression et de reconnaissance de l'intention communicative, le
principe d'inférence ainsi que celui de coopération. Cependant,
ils ne reconnaissent pas à ce principe de coopération un ensemble
strict de maximes qui seraient partagées par les interlocuteurs, mais au
contraire voient ces maximes comme pouvant se résumer à une seule
d'entre elle : Ç Soyez pertinent È. De plus, on ne retrouve pas
dans leur travaux une distinction aussi nette entre le modèle du code et
le modèle de l'inférence. En effet, Ç la communication
verbale met en jeu à la fois des processus de codage et des processus
inférentiels. È (ibid:13) Dans leur théorie, ils
reprennent le modèle inférentiel de la communication
développé par Grice, afin de l'insérer dans une
théorie qui reconnait la communication comme intégrant du code,
mais en tant que partie intégrante d'un système
inférentiel, et donc un système oü la compréhension
est une phase de décodage d'une forme logique linguistiquement
codée, livrant des possibilités d'interprétation, qui, une
fois enrichies par le contexte, permettent à celui qui comprend
d'inférer des conclusions hypothétiques sur l'intention
communicative du locuteur19. Comme ils l'écrivent (ibid:55) :
Ç les hypothèses de Grice peuvent constituer le point de
départ d'une telle analyse théorique. Ë cet égard, la
principale faiblesse des hypothèses de Grice n'est pas de définir
la communication de manière trop vague, mais d'en proposer une
explication trop pauvre. È En effet, le modèle gricéen,
bien qu'entièrement pragmatique, est toutefois lui aussi critiquable,
puisqu'il revient à considérer qu'un joueur joue en analysant
uniquement les intentions de jeu de son partenaire. La théorie de la
pertinence remet aussi en cause la nécessité de suivre des
maximes aussi strictes, ainsi que l'utilisation délibérée
d'une violation ou d'une déviance d'une ou plusieurs maxime(s) afin de
produire du sens. Ce qui fait sens, ce n'est pas le respect ou non
19 Sperber&Wilson (2004) :Ç An utterance is a
linguistically coded piece of evidence, so that verbal comprehension involves
an element of decoding. However, the linguistic meaning recovered by decoding
is just one of the inputs to a non-demonstrative inference process which yields
an interpretation of the speaker's meaning. È Wilson&Sperber
(1993:1) : Ç a modular decoding phase is seen as providing input to
a central inferential phase in which a linguistically encoded logical form is
contextually enriched and used to construct a hypothesis about the speaker's
informative intention. È
Il est important de constater ici que le décodage ne
concerne pas un signe-étiquette, mais bien une forme logique.
L'inférence suppose une capacité humaine
méta-représentationnelle : les interlocuteurs sont capables de se
représenter les représentations mentales de l'Autre.
de ces maximes, mais plutôt la coopération
mutuelle pour signifier de façon optimale la pertinence d'un
énoncé.20
La communication humaine est donc un processus guidé
par une recherche de la pertinence optimale. La recherche de la pertinence
n'est pas propre à la communication, mais à l'ensemble des
processus cognitifs humains. Dans l'ensemble, tout processus cognitif humain
cherche à optimiser sa pertinence. Un input est maximalement pertinent
lorsqu'il crée un maximum d'effets pour un minimum d'effort cognitif. Ce
qui fait la pertinence d'un stimulus au sein de la masse de stimuli disponibles
est ce rapport effet/effort, à savoir que plus un stimulus a d'effets et
moins il nécessite d'effort cognitif de traitement, plus celui-ci sera
pertinent. Pour qu'un stimulus soit pertinent, il faut que l'effort cognitif
qu'il entraine soit justifié par l'effet cognitif qu'il crée.
Ainsi, tout système cognitif humain cherche à optimiser la
pertinence, non pas par choix, mais suite à son évolution. La
communication, processus majoritairement cognitif, ne déroge pas
à cette règle. Lors d'un échange interlocutif, est
considéré comme pertinent tout input dans le système qui,
après avoir été mis en relation avec son arrière
plan cognitif ainsi qu'avec le contexte d'énonciation, permet une
inférence chez un interlocuteur et crée les effets cognitifs
désirés, également appelé Ç effets cognitifs
positifs È. Lorsqu'ils communiquent, les interlocuteurs sont dans un
système coopératif oü chacun fait un effort pour comprendre
et pour se faire comprendre. Ainsi, connaissant la tendance de chacun à
maximiser la pertinence, ils sont amenés à produire un signe
qu'ils considèrent comme assez pertinent pour permettre à l'Autre
de faire appel aux informations d'arrière-plan de la situation
d'interlocution et d'inférer la conclusion souhaitée,
c'està-dire qu'un interlocuteur est supposé produire un stimulus
assez pertinent (à l'intérieur de ses limites d'aptitudes et de
préférences) pour être relevé et traiter
cognitivement le plus simplement possible par l'Autre. En même temps, un
interlocuteur, sachant que l'Autre coopère pour fournir un stimulus
aussi pertinent que possible, va en contrepartie choisir celui qui lui semble
le plus pertinent dans la situation de communication comme indice des
conclusions à inférer, en suivant un chemin de moindre effort. La
compréhension s'effectue donc à travers l'inférence de
conclusions depuis un nombre de reconstructions à partir
d'hypothèses qui tiennent
20 Sperber&Wilson (2004) : Ç The central claim of
relevance theory is that the expectation of relevance raised by an utterance
are precise enough, and predictable enough, to guide the hearer towards the
speaker's meaning. È
au contenu de la production, mais aussi aux prémisses
contextuelles et à ses conclusions. De ce fait, tout
énoncé produit dans la communication communique avec lui la
présomption de sa pertinence optimale. Selon Sperber et Wilson
(1989:11), le but de la communication est de modifier l'environnement de
l'Autre, en amenant Ç le second dispositif à construire des
représentations semblables à certaines des représentations
contenues dans le premier È, son ressort principal reposant sur la
reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention communicative du locuteur. En
d'autres termes, une communication est une communication lorsqu'elle sous-tend
un désir d'être ostensiblement inférentielle, i.e.
lorsqu'elle est Ç ostensivo-inférentielle È. Ainsi, une
communication est réussie lorsque l'interlocuteur reconnait que le
locuteur produit des signes ostensivo-inférentiels.
Pour poursuivre l'analogie, l'analyse du jeu de deux tennismen
doit prendre en compte ce que les joueurs envoient, mais aussi la façon
dont ils l'envoient, le terrain sur lequel ils jouent, les handicaps de chacun,
etc., toute Ç passe È d'un joueur étant la combinaison de
ces différents facteurs. Certaines communications sont codées,
d'autres existent sans qu'aucun code ne puisse les déchiffrer :
l'ensemble étant guidé par le processus d'inférence,
optimisé par la recherche d'une maximisation de la pertinence, le
contenu communiqué par une production allant au delà de ce qui
est linguistiquement encodé21. Dans le modèle de
Sperber et Wilson, ce qui est linguistiquement codé ne fait pas appel
à un codage-décodage comme nous pouvions le trouver dans les
théories du code : les deux interlocuteurs ne possèdent pas
chacun une copie identique d'un code dont ils se serviraient pour coder et
décoder un signe. Ce qui est codé dans ce modèle, c'est un
signe faisant appel à un savoir encyclopédique propre à
chacun, ainsi, chaque signe fait potentiellement appel au savoir
encyclopédique de l'interlocuteur qui, à l'aide du contexte, va
réduire ces informations encyclopédiques de façon à
ne faire ressortir que le sens qui sera pertinent en contexte.
Dans ce modèle, la communication est guidée par le
processus de pertinence, qui se définit comme la recherche de
l'optimisation des processus intrinsèques à la
21 Sperber&Wilson,2004 : Ç The explicitely
communicated content of an utterance goes well beyond what is linguistically
encoded. È
communication, à savoir la compréhension et la
production. La communication est vue comme essentiellement collaborative,
c'est-à-dire que chaque interlocuteur est supposé fournir un
effort relativement maximal afin de pouvoir s'inter-comprendre. Cet effort
d'inter-compréhension va donc amener le locuteur à produire un
stimulus qui est optimalement pertinent (dans les limites de ses
capacités et de ses aptitudes), et l'Autre, s'attendant à ce que
l'interlocuteur lui fournisse un stimulus optimalement pertinent, va
inférer du stimulus qu'il reçoit que la conclusion qui lui semble
la plus pertinente est celle que l'interlocuteur a voulu lui communiquer, la
pertinence optimale d'un stimulus se trouvant dans un effort cognitif se
justifiant par un effet cognitif équivalent. On y retrouve un rappel de
la théorie du code, en ce sens que la théorie de la pertinence
prend le code comme une partie des inputs du processus inférentiel,
mais, au contraire de la théorie du code dans laquelle le signe est vu
comme une étiquette, ce qui est encodé dans la théorie de
la pertinence est une forme logique permettant de renvoyer à une
entrée d'informations contenue dans le savoir encyclopédique d'un
interlocuteur, et c'est une fois cette forme encyclopédique enrichie par
le contexte que le sens apparait.
Le point essentiel pour notre propos, traitant de la
communication et de ses jeux, est l'importance de l'inférence dans
l'échange interlocutif. En effet, envisager la communication comme
dirigée par le processus d'inférence permet d'envisager que les
résultats des processus cognitifs à l'oeuvre dans la
communication ne sont pas identiques chez les deux interlocuteurs : la
compréhension consiste à une reconstruction d'hypothèses
sur l'acte de production, une reconstruction des processus cognitifs de l'Autre
selon des critères qui sont propres à chacun. Ainsi, une
représentation mentale par un interlocuteur ne sera jamais reproduite
à l'identique chez l'Autre. Ce qu'engage la communication, c'est
d'oeuvrer à fournir des indices afin d'optimiser la reconstruction par
l'autre d'hypothèses sur ses représentations mentales, mais
malgré tout le soin que peut prendre un locuteur pour optimiser cette
pertinence, il ne sera jamais certain de la réussite de la
communication, c'est-à-dire certain que la conclusion à laquelle
arrivera l'Autre est exactement celle qu'il voulait lui faire
inférer.
A.3. L'économie cognitive
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