A.3.1. La communication comme système
Comme nous venons de le voir, dans le modèle
pragmatique ainsi que dans le modèle inférentiel et la
théorie de la pertinence, les interlocuteurs communiquent par
interaction, c'est-à-dire que leurs décisions de communication
sont influencées par la présence et la nature de l'Autre, mais
également par le contexte spatio-temporel dans lequel se déroule
la communication. Ces particularités correspondent aux
caractéristiques d'un système selon la définition de Von
Bertalanffy (1973:32&17), qui le définit comme un Ç ensemble
d'éléments en interaction les uns avec les autres (...)
formé de parties en (...) interaction" fortes" ou "non
linéaires".È La communication est plus particulièrement un
système ouvert, c'est-à-dire un système qui entretient une
relation continuelle entre ses éléments et les
éléments de son environnement (ou contexte).
Avant d'aborder ce qui fait les caractéristiques de ce
système, nous ferons dans un premier temps un point sur les
interlocuteurs engagés dans celui-ci. Comme nous l'avons vu dans ce
chapitre, le modèle pragmatique et ensuite son affinement par la
théorie de la pertinence fait disparaitre la vision d'une communication
basée sur le modèle d'un code utilisé de façon
mécanique par des Ç hommes-robots È utilisateurs de
signes-étiquettes dans un va-et-vient entre émetteur et
récepteur. Le modèle de la pertinence, qui vient contredire la
vision de la théorie du code, ne sera pourtant pas totalement
adéquat pour notre propos. Même dans la théorie de la
pertinence, nous retrouvons l'idée d'un échange alterné
entre Ç communicateur et auditeur È, qui, bien qu'affirmant que
la production et la compréhension sont des processus simultanés,
laisse toujours la place à un échange théoriquement
alterné entre deux (ou plusieurs) locuteurs. Ce n'est pas cette vision
que nous suivrons. De fait, il est essentiel de concevoir que la
compréhension et la production, les deux processus intrinsèques
à la communication, sont des processus simultanés, non pas que
l'un comprend alors que l'Autre produit, mais bien que les deux processus
ont
lieu chez chaque interlocuteur de facon simultanée. En
effet, nous avons vu dans l'Introduction22 qu'il était
impossible de ne pas communiquer. Ainsi, nous sommes en continuelle position
intérieure dans la communication, c'est-à-dire que nous somme
toujours en train de communiquer : ce n'est pas parce que nous ne
sommes pas en train de Ç parler È que nous ne sommes pas en train
de communiquer : un interlocuteur se doit de produire un signe pour signifier
à son interlocuteur qu'il est (ou non) dans un processus actif de
compréhension de ce que l'Autre produit, un interlocuteur n'est donc
jamais dans une position neutre de non-communication en tant que simple
Ç auditeur È. En même temps, si celui Ç qui parle
È n'est pas en même temps Ç auditeur È, il ne
pourrait pas être activement attentif à ce que produit son
interlocuteur, de simples notions comme Ç se faire couper la parole
È n'existeraient pas, puisque à quoi bon couper la parole
à un producteur si celui-ci ne le remarquera pas, n'étant pas en
position Ç d'auditeur È ? Ainsi, il existe un rTMle de Ç
communicateur È et d' Ç auditeur È si l'on s'en tient au
seul caractère phonique de la communication, c'est-à-dire un qui
produit un signe locutionnel et l'Autre qui écoute ce signe, mais dans
une étude de la communication il n'y a pas de place pour une telle
distinction, puisque comme nous l'avons vu, la communication passe par des
canaux qui peuvent être autres que locutionnel. C'est pourquoi, pour la
suite de cette étude nous préférerons le terme
interlocuteur pour désigner un sujet se trouvant engagé
dans le système communicationnel, et ainsi nous éviterons les
confusions que laisseraient apparaitre l'utilisation des termes cités
précédemment.
De plus, ne pas penser les sujets engagés dans le
système comme étant simultanément en production et
compréhension active contredirait deux des principes fondateurs du
système de la communication : le principe de totalité ainsi que
le principe de rétroaction ou d'adaptation, le second découlant
fondamentalement du premier. La totalité dans un système suppose
Ç qu'une modification d'un des éléments entra»nera
une modification de tous les autres, et du système entier. È
(Watzlawick,1972:123) Ainsi, changer n'importe quel élément
à n'importe quel moment modifie le système, que cet
élément soit un interlocuteur ou une production
sémiotique. Cette totalité entraine les interlocuteurs à
devoir
22 Introduction I.1. L'impossibilité de ne pas
communiquer
s'adapter aux modifications du système, et ce par le
principe de rétroaction23. En effet, si un interlocuteur ne
comprenait pas en même temps qu'il produit, comment pourrait-il en
adapter sa pertinence ? Nous trouvons empiriquement nombre d'interlocuteurs qui
énoncent Ç Tu m'écoutes ? È ou encore Ç Tu
as l'air ailleurs È. Sans un processus d'adaptation possible à
travers une compréhension simultanée à la production,
l'interlocuteur ne saurait pas s'adapter à l'Autre. L'idée d'un
système en tant que totalité nous rappelle également qu'au
sein d'une interaction, l'influence n'est pas unilatérale : un
élément A influence un élément B tout autant que
l'élément B influence l'élément A. En
communication, tout interlocuteur produit en fonction de l'Autre, à
savoir qu'un interlocuteur A influence l'interlocuteur B tout autant que
l'interlocuteur B influence l'interlocuteur A. Le principe de
rétroaction, que nous venons d'effleurer, est facteur d'une recherche de
l'équilibre du système par les interlocuteurs,
c'est-à-dire qu'ils cherchent à ce que la mise en commun par la
communication se déroule via une pertinence optimale. Cette recherche de
l'équilibre est effectuée par recherche d'une pertinence
optimale. Nous verrons par la suite à quoi correspond la pertinence et
quel est l'équilibre recherché. Le fonctionnement de la
rétroaction au sein de ce système autorégulateur (ou
autopo ·étique) sera abordé en détail dans le
second chapitre.
Un autre principe inhérent au système de la
communication est le principe d'équifinalité, c'est-à-dire
que dans ce système Ç le même état final peut
être atteint à partir de conditions initiales différentes
ou par des chemins différents. È (VonBertalanffy,1973:38) Il
existe donc plusieurs moyens pour un interlocuteur d'arriver à ses fins,
ce qui l'entraine à devoir effectuer des choix, des décisions au
sein de l'ensemble des moyens à sa disposition. Ces choix sont
motivés par la tendance à la recherche d'un équilibre au
sein du système. Avant de développer dans le second chapitre de
ce travail plus en détail les processus de production et de
compréhension, nécessaire à la rétroaction du
système qu'est la communication, ainsi que l'influence de son
identité en tant que système ouvert (dans le sens d'une ouverture
influençant et influencée par ses environnements), nous
reviendrons dans les deux parties terminant ce premier chapitre sur
l'incertitude liée à l'équifinalité, ensuite sur
les processus cognitifs de pertinence mis en place afin de faire face à
cette incertitude.
23 Ce principe sera développé plus en détail
dans le Chapitre II.
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