Université de Bourgogne Département de
sociologie MASTER 1 « Monde moderne et contemporain
» Spécialité Sociologie
La gestion des déchets ménagers en milieu urbain
:
les atouts de la redevance incitative et du
compostage collectif à Besançon.
Victor BAILLY
"Si notre or est fumier, en revanche, notre fumier est or."
Victor Hugo, Les misérables, 5e partie, Livre
2e « L'intestin de Léviathan », chapitre I « La terre
appauvrie par la mer ».
Mémoire encadré par Matthieu Gateau, McF en
sociologie à l'Université de Bourgogne (Centre Georges Chevrier,
UMR CNRS 5605) .
Remerciements
Au terme de ce long travail initié depuis un an, le
rédaction des remerciements est un moment agréable qui symbolise
l'achèvement partiel d'un cheminement à la fois intellectuel et
relationnel.
J'exprime ainsi, en premier lieu, ma gratitude envers Matthieu
Gateau qui, malgré sa paternité toute fraiche, a su m'apporter
des conseils essentiels et structurants lorsque j'exprimais des doutes sur les
orientations de mon travail.
Ma reconnaissance s'adresse également à tous les
acteurs de terrain que j'ai rencontré et qui se sont toujours
efforcés de prêter une oreille et une parole attentives à
mes questionnements. Mon affinité avec ces derniers m'a permis d'avoir
accès à des éléments essentiels pour la
réalisation de ce travail ainsi que de développer une
réflexion, parfois commune, qui a eu un rôle moteur dans ce
mémoire. Tout d'abord ma reconnaissance concerne les membres de
l'association Trivial Compost, notamment Jean, Florian et Zoé, qui m'ont
ouvert toutes les portes nécessaires à mon enquête de
terrain. Je n'oublie pas non plus les membres de l'association TRI qui m'ont
accordé un accueil bienveillant au sein de leur structure pour mes
premiers pas dans ma démarche d'investigation. Aussi, je tiens à
remercier chaleureusement Thomas Roussez (directeur de la communication de la
CAGB), René Fleury (directeur du service Gestion des déchets
à la CAGB) et Yves Jeannerod (Responsable du service prévention
des déchets à la CAGB) qui ont eu l'amabilité de
m'introduire auprès des institutions en charge de la gestion des
déchets ménagers à Besançon. Enfin, ma
pensée s'adresse à Louise Rouget qui m'a apporté un point
de vue précieux sur les réalités du compostage en pied
d'immeuble dans la cité bisontine.
Je voudrais remercier particulièrement les membres de
ma famille qui se sont trouvés impliqués, plus ou moins
directement, dans ce travail. En premier lieu, je tiens à exprimer ma
reconnaissance envers mon frère Julien qui a su stimuler mon
intérêt pour la problématique de la gestion des
déchets ménagers et qui a largement contribué à mon
insertion au sein de mon terrain d'étude. Ensuite, ma gratitude et mon
affection s'adressent à ma mère qui, à travers ses
relectures, a non seulement contribué à l'élaboration de
ce travail mais, surtout, m'a apporté un soutien moral infaillible. Pour
finir, je dédie ce travail à toute ma famille et, plus
particulièrement, à ma grandmère qui, depuis tout petit,
m'a transmis sa pensée « anti-gaspillage » qui s'ancre dans
une force et une éthique de vie cherchant à rendre sa valeur
à chaque objet et chaque sujet.
SOMMAIRE
Introduction : De la valeur heuristique du déchet
et de la nécessité d'une approche pluridisciplinaire
11
Le déchet : une définition sociale / culturelle
11
Le déchet : un phénomène social total 11
« Dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es »
12
Une psychologie du rapport aux déchets 13
Le déchet, un objet insipide dans les
sociétés occidentales 13
L'archéologie, première science des déchets
? 14
Une « dynamique dans la sclérose » ? 14
Un objet privé qui devient public ? 15
Une nuisance source de profits économiques ? 15
Notre approche : entre macro et micro-sociologie 16
Partie 1.Synthèse socio-historique : De la genèse
de la problématique des déchets ménagers jusqu'à
la recherche de solutions aujourd'hui 19 Chapitre 1.Gestion
des excréta au sein d'une économie domestique (jusqu'à la
fin du XVIIIe
siècle) 19 Chapitre 2.Première révolution
industrielle : imbrication de la ville avec l'industrie et
l'agriculture (1790-1870) 21
1.Les ordures, les boues et les vidanges : un gisement de
matières premières pour la première
révolution industrielle 22
1.A.Les chiffons 22
1.B.Les os 22
1.C.Autres matériaux collectés par les chiffonniers
23
1.D.Sous-produits issus de l'industrie ou de l'élevage
23
1.E.Les boues 24
1.F.Les vidanges 24
2.La première révolution industrielle ou l'«
âge d'or du chiffonnage » 25
2.A.Un contexte favorable, une activité florissante 25
2.B.Structuration de la corporation des chiffonniers 26
2.C.Le chiffonnage : « un mal nécessaire » 27
2.D.Optimiser l'intégration des activités 28
Chapitre 3.Deuxième Révolution industrielle :
séparation entre la ville, l'industrie et l'agriculture
(1880-1950) 29
1.Éloignement spatial dû à l'étalement
urbain et à la dispersion de l'industrie 29
2.Innovations technologiques et nouvelles ressources naturelles :
des résidus urbains
concurrencés 30
3.Vers un nouveau modèle de gestion des excréta
urbains 31
3.A.Fin de la contrainte de balayage et invention de la poubelle
31
3.B.Les chiffonniers : une corporation en perte de vitesse qui se
restructure 32
3.C.Saturation des débouchés et nouveaux modes de
traitement des ordures 33
3.D.Naissance de l'incinération 34
3.E.Naissance du tout-à-l'égout 35
3.F.Nouveau contexte, nouvelle sémantique 35
3.G.D'une valeur économique positive à une valeur
négative, de l'échange au service 36
Chapitre 4.Société de consommation : de
l'abandon du déchet à sa réinsertion progressive dans
l'économie 38
1.Un abandon quasi-total ? (1945-1975) 38
1.A.Un gisement qui explose et change de forme : l'ère du
« prêt à jeter » 38
1.B.La généralisation du service public
d'élimination des déchets 39
1.C.De la nécessité de l'instauration d'un cadre
juridique 41
2.Institutionnalisation de la question des déchets
ménagers : définition d'un jeu d'acteurs et
des procédés de traitement (1975-1992) 42
2.A.Une définition juridique du déchet qui dessine
un nouveau jeu d'acteurs 42
2.B.Une absence de hiérarchisation des
procédés de traitement qui conduit à une
hiérarchisation implicite 43 3.La naissance des politiques de
recyclage : un déficit de légitimité à combler pour
les
pouvoirs publics et les industriels de l'emballage 44
3.A.Une nouvelle problématisation : les prémices de
la loi de 1992 44
3.A.a.Nouvelle « crise des déchets » : perte de
légitimé de la convention de 1975 44
3.A.b.Un désaveu qui implique la recherche de nouveaux
moyens d'action 45
3.A.c.Opposer une alternative au modèle allemand pour
préserver l'industrie 45
3.A.d.Un consensus de tous les acteurs autour du recyclage 46
3.B.La loi de 1992 47
3.B.a.Le dispositif Eco-Emballages 47
3.B.b.Des contributions différenciées selon les
solutions de traitement : une
hiérarchisation explicite 47
3.B.c.La fin de la mise en décharge : incinération
ou recyclage ? 48
3.C.Le principe de proximité 48
3.C.a.Décentralisation des choix techniques et
organisationnels : mutualisation des
expériences et regain de légitimité 48
3.C.b.Un transfert de contraintes de l'industrie vers les
communes 49
3.D.Responsabilisation du citoyen. Les ménages :
alliés ou obstacle ? 50
3.D.a.Une politique de gestion des déchets
ménagers qui repose de façon croissante sur
le facteur humain avec le développement de la collecte
sélective 50
3.D.b.Définir un cadre de production discursive pour
informer les ménages 50
3.D.c.Une caractérisation de l'acteur « ménage
» 51
3.D.d.Une politique d'information soutenue qui vire à la
persuasion 51
3.D.e.Des relais de terrain pour lutter contre l'information en
vase clos ? 52
4.La consécration du principe de réduction à
la source : une économie de la décroissance ? 53
4.A.L'incinération : un procédé
obsolète ? 53
4.B.La loi Grenelle I 53
4.B.a.Un déficit de solutions de traitement et une plus
grande rentabilité économique du
recyclage 53
4.B.b.De nouveaux objectifs, une nouvelle hiérarchisation
des modes de traitement 54
4.B.c.Recherche de nouveaux leviers pour la participation des
ménages 56
Partie 2.Contextualisation du sujet et du terrain d'étude
57
Chapitre 1.Méthodologie d'enquête 57
1.Genèse d'une problématique 57
1.A.Naissance d'un intérêt pour la
problématique des déchets ménagers 57
1.B.Apports bibliographiques 58
1.C.Choix du terrain d'étude 59
2.Enquête de terrain 59
2.A.Première prise de contact avec le terrain : la
ressourcerie de Quingey 59
2.B.Échanges avec des élus et des techniciens :
affinage de la problématique 61
2.C.Observation participante, familiarisation avec le milieu
enquêté 62
3.Les entretiens : entre usage exploratoire et usage principal
64
3.A.Définition de la population enquêtée et
taille du corpus 65
3.B.Passation : structure des entretiens et position des
enquêtés 66
Chapitre 2.La redevance incitative 68
1.Les différents modes de financement du SPED 68
1.A.La Taxe d'Enlèvement des Ordures
Ménagères (TEOM) et le financement par le
budget général 68
1.B.La Redevance d'Enlèvement des Ordures
Ménagères (REOM) 68
2.La redevance incitative : qu'est-ce que c'est ? 69
2.A.Définition 69
2.B.Objectifs 69
3.Les limites de la redevance incitative 71
3.A.La nécessité du volontarisme des élus et
de la réorganisation du SPED 71
3.A.a.Une vision sur le long terme nécessitant un portage
politique conséquent 71
3.A.b.Réorganisation du SPED et lourdeur de gestion 72
3.B.Des doutes face aux réactions de la population 73
3.B.a.Une recrudescence des comportements inciviques ? 73
3.B.b.Une application limitée en habitat collectif 74
3.B.c.Un principe d'équité qui pénalise les
ménages les plus fragiles 74
Chapitre 3.Besançon 76
1.« La propreté à Besançon au fil des
âges » 77
1.A.De l'époque romaine à la résurgence
des enjeux de salubrité publique au XVIIIe siècle 77 1.B.La
structuration de l'ébouage municipal : passage d'une logique
d'adjudication à une
logique de régie 78
1.C.La modernisation du SPED de l'après-guerre à
aujourd'hui 79
2.La redevance incitative à Besançon 81
2.A.L'instauration de la REOM au volume du bac (1999) 81
2.A.a.Motivations du passage à la REOM 81
2.A.b.Réticences et compromis 82
2.A.c.Des débuts difficiles qui nécessitent des
mesures correctives 83
2.B.2012 : Instauration de la redevance incitative avec
pesée embarquée 84
2.B.a.La redevance incitative avec pesée embarquée
pour réduire la part de
l'incinération 84
2.B.b.Une redéfinition de la redevance incitative ? 84
2.B.c.L'éternel casse-tête de l'habitat collectif
84
3.Logiques du développement durable urbain au niveau de la
gestion des déchets 85
3.A.Dimensions « multi-échelles » et «
multi-acteurs » 86
3.B.Des pratiques expérimentales 87
3.C.Dépasser l'expérimentation grâce à
l'expertise 89
Partie 3.Pistes d'analyse sociologique sur le compostage
collectif à Besançon 91
Chapitre 1.Trivial Compost ou « faire de
nécessité vertu » 91
1.Genèse de l'association 91
1.A.Des idées à l'action 91
1.B.Des désillusions qui forgent l'expérience 92
2.Le modèle de développement du compostage
collectif à Besançon 94
2.A.L'acceptation des projets de compostage collectif en
Assemblée Générale de
copropriété 94
2.A.a.Les motifs de réticence 94
Une peur irrationnelle des nuisances ? 94
Des voisins indisciplinés ? 95
Le SPED : un service total ? 95
2.A.b.Trivial Compost : la médiation d'un expert du
compostage 96
Une position d'expert qui permet de rationaliser les peurs
liées aux nuisances 96
Un argumentaire moins étoffé face aux autres motifs
de réticence 97
L'importance de Trivial Compost en AG 97
2.A.c.D'autres leviers qui favorisent l'acceptabilité
sociale du compostage 98
Les représentants du syndic 98
Un effet redevance incitative ? 99
2.B.L'accompagnement et le suivi des projets 100
2.B.a.Un suivi opérationnel 100
2.B.b.Donner du sens à la pratique du compostage 100
2.C.Les limites du modèle bisontin de compostage collectif
101
2.C.a.Le recrutement des guides composteurs 101
2.C.b.Quelle relève pour les guides composteurs ? 102
2.C.c.Des contraintes foncières 102
Chapitre 2.Les guides composteurs 104
1.Quelques caractéristiques sociales influençant la
pratique du compostage 104
1.A.L'âge 104
1.B.Un lien avec le monde rural 105
1.C.Le mode d'habitat 105
2.Motivations des guides composteurs 106
2.A.Un sentiment de distinction ? 106
2.B.Une participation à la vie collective ? 106
3.Représentations et rapports aux déchets des
guides composteurs 108
3.A.Une vision globale et politisée de la question du
compostage ? 108
3.A.a.Convictions écologiques 108
3.A.b.Convictions sociales 109
3.B.Le maintien de l'ordre social ? 110
3.C.Des représentations qui prédisposent à
l'action 111
4.L'appropriation du rôle de guide composteur 112
4.A.Personne moteur 112
4.B.Personne référente 113
4.B.a.Différents niveaux d'application des consignes de
compostage 113
4.B.b.Une attitude qui varie face aux erreurs des voisins 113
4.B.c.La difficulté à transmettre les consignes de
compostage 114
Conclusion. Le compostage de proximité : dépasser
le phénomène NIMBY et renouer avec le cycle
des matières 117
Bibliographie 120
Filmographie 124
Lexique 125
Annexe 126
Introduction : De la valeur heuristique du déchet
et de
la nécessité d'une approche
pluridisciplinaire
Le déchet : une définition sociale /
culturelle
La définition juridique du déchet, qui a
été retenue lors du vote de la loi du 15 juillet 1975 relative
à l'élimination des déchets et à la
récupération des matériaux - première loi fixant
des orientations nationales quant à la politique à mener en
matière de collecte, traitement et prévention des déchets
ménagers - et qui a été intégrée en 1992 au
code de l'environnement, est la suivante : « Est un déchet au sens
de la présente loi tout résidu d'un processus de production, de
transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou
plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son
détenteur destine à l'abandon. »1. Comme le
souligne Lionel Panafit, le déchet est donc avant tout défini par
le statut social que lui confère son détenteur en le faisant
passer d'un objet qui possède encore une certaine valeur à un
objet jugé obsolète dont il décide d'abandonner la
propriété : « La vie du déchet semble ainsi relever
non d'un état fonctionnel ou physiologique, mais d'un statut social :
quand le produit concerné a quitté la sphère privée
pour devenir un objet public, car ne relevant plus d'aucune attribution
particulière. »2.
Le déchet : un phénomène social
total
C'est donc l'abandon qui crée le déchet et il en
résulte une définition sociale / culturelle du rebut : tout
dépend de l'appréhension du propriétaire de l'objet. Par
conséquent, les matières déchues révèlent
certains traits du rapport au monde d'un individu ou d'un groupe social. Ainsi,
Jacques Soustelle, ethnologue qui fut un élève de Marcel Mauss,
se souvient d'une phrase que ce dernier aimait répéter à
ses étudiants : « Ce qu'il y a de plus important à
étudier dans une société, ce sont les tas d'ordures
»3. Cet aphorisme nous permet de présumer que notre
rapport aux déchets, et plus largement aux rebuts, miasmes, immondices,
constitue un phénomène social total au sens maussien,
c'est-à-dire qu'il s'agit d'un phénomène par lequel «
s'expriment à la fois et d'un coup toutes sortes d'institutions :
religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en
même temps ; économiques et celles-ci supposent des formes
particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de
la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes
esthétiques auxquels aboutissent ces faits et les
phénomènes morphologiques que manifestent ces
1 Journal Officiel, 16 juillet 1976
2 PANAFIT Lionel, « Les déchets, un bien public, un
mal privé » in PIERRE Magali [dir.], Les déchets
ménagers, entre privé et public. Approches sociologiques.,
Paris : L'Harmattan, 2002, p. 20-21.
3 SOUSTELLE Jacques, Les quatre Soleils, Plon, Paris,
collection Terre Humaine, 1967, p. 22 cité in HARPET Cyrille, Du
déchet : philosophie des immondices. Corps, ville, industrie.,
Paris : L'Harmattan, 1999, p. 21.
institutions »4. Cette définition du
phénomène social total reste assez floue et, selon Camille Tarot,
qui a consacré une grande partie de ses recherches au décryptage
de l'oeuvre de Marcel Mauss, « le fait social total, c'est une
curiosité bien maussienne pour les zones de pénombre non
fréquentées entre les disciplines, pour les interstices
négligés ; c'est aussi le refus des hiérarchies
prématurées dans l'explication de phénomènes qu'on
ne sait pas encore décrire intégralement »5. Tel
est la cas avec la problématique des déchets qui constitue un
sujet d'investigation délaissé, rétif à toute
systématisation, d'où des travaux assez limités sur cette
question et qui sont caractérisés par une multitude d'approches
très disparates.
À travers une brève revue de littérature,
nous allons démontrer en quoi l'objet déchu possède une
valeur heuristique encore largement insondée et peut ainsi
intéresser l'ensemble des sciences humaines. De surcroit, ce tour
d'horizon nous montrera combien le déchet s'ancre dans une dimension
subjective, à la fois intime et collective, sans laquelle nous nous
interdisons de rendre intelligible le comportement des individus face à
leurs ordures. Enfin, nous verrons comment nous avons cherché à
donner à notre travail une tournure à la fois
générale et particulière qui s'inspire tant d'apports
bibliographiques que de matériaux recueillis lors de notre enquête
de terrain.
« Dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu
es »
Tout d'abord, les thèses anthropologiques de Mary
Douglas6 constituent souvent le point de départ
théorique de la majorité des développements sur les
déchets en sciences sociales. La curiosité intellectuelle de Mary
Douglas sur la notion de souillure a vu le jour pendant son étude de
terrain parmi les Leles du Kasai dans l'ex-Congo belge. Elle est alors «
frappée par les lourdes règles diététiques qui
régissent leur alimentation »7 et est ainsi
amenée à porter sa réflexion sur les interdits
alimentaires qui caractérisent chaque société. Pour elle,
ces interdits ne sont pas intrinsèquement liés à la nature
de l'aliment prohibé mais servent plutôt à définir
un ordre symbolique unifiant le groupe en traçant des frontières
communes entre le propre et le sale, le pur et l'impur. Finalement, pour
reprendre une terminologie empruntée à la sociologie de
l'alimentation, au principe d'incorporation8 répond le
principe de pollution, c'est-à-dire qu'un individu ou un groupe affirme
son identité propre autant par ce qu'il intègre que par ce qu'il
rejette. Il n'est d'ailleurs pas
4 MAUSS Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de
l'échange dans les sociétés archaïques. », in
Sociologie et anthropologie, Paris : PUF, 1950, p. 147.
5 TAROT Camille, « Du fait social de Durkheim au fait
social total de Mauss », in Revue du MAUSS, 1996 : n° 8,
p.
78.
6 DOUGLAS Mary, De la souillure. Essai sur les notions de
pollution et de tabou, Paris : La Découverte, 2001 (1966).
7 TEIXIDO Sandrine, « Mary Douglas : anthropologie de
l'impur », in Sciences Humaines, 1/2005 : n° 156, p. 51.
8 FISCHLER Claude, L'homnivore, Paris : Odile Jacob,
1990, 414 p.
anodin que le célèbre dicton de Jean Anthelme
Brillat-Savarin - « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es »
- se soit transformé en « Dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui
tu es » chez les chercheurs en sciences humaines s'intéressant
à la problématique des déchets. Ainsi la saleté est
un concept relatif qui désigne « ce qui n'est pas à sa place
»9, ce qui est une menace à l'ordre symbolique d'un
individu ou d'un groupe déterminé et la lutte contre la
saleté est un acte positif, « créateur »10,
qui vise à « organiser notre milieu »11, à
« imposer une unité à notre expérience
»12, à maintenir une cohésion psychique ou
sociale.
Une psychologie du rapport aux
déchets
Reprenant les postulats de Mary Douglas à travers une
approche psycho-sociologique, Dominique Lhuilier et Yann Cochin
révèlent que « l'excrément se présente comme
le prototype du déchet »13 car celui-ci s'inscrit «
dans les toutes premières étapes de la construction du
schéma corporel »14. En effet, le nourrisson ne sait pas
contrôler son sphincter et ne possède aucune notion du propre et
du sale. C'est donc par un processus d'apprentissage que ses parents lui
transmettront les références culturelles qui lui permettront de
comprendre le comportement qu'il doit adopter face à l'immondice. En
l'occurrence, on lui apprendra que tous ses excréta physiologiques
(matière fécale, urine, salive, ...) sont impurs et que son corps
doit constamment être débarrassé de cette souillure. La
socialisation primaire nous apprend à faire la distinction entre le sain
et le malsain qui seront dès lors naturalisés,
c'est-à-dire vécus sur le mode de l'évidence. Au sein de
ces oppositions sémantiques binaires (sale / propre, impur / pur...),
les ordures ménagères se rangent du côté des
excréments car, comme ceux-ci, elles sont le résidu de ce que
nous avons incorporé et que l'on rejette à la marge. Ainsi, la
gestion de ces excréta tant physiologiques que matériels, devient
un réflexe que l'on accomplit quotidiennement, ce qui explique en partie
les difficultés inhérentes à la mise en place de
politiques de tri.
Le déchet, un objet insipide dans les
sociétés occidentales
Ce réflexe est d'autant plus complexe à changer
que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale les ordures tendent à se
dérober à notre vue (généralisation des poubelles,
de la collecte au porte à porte, des décharges
contrôlées, des incinérateurs...), ce qui en fait une sorte
« d'impensé social ». Nos recherches bibliographiques sur ce
sujet en fournissent la preuve : une grande partie
9 DOUGLAS Mary, op. cit..
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, Des déchets et des
hommes, Paris : Desclée de Brouwer, 1999, p. 94
14 Ibid.
des articles que nous avons pu trouver sur les sites CAIRN et
Persée15 s'intéressent à la
problématique des déchets ménagers dans les pays dits
« en voie de développement » car dans ces régions les
rebuts s'offrent à la vue de tous et ne sont pas dissimulés
derrière des poubelles, des camions, des usines ou des centres de
stockage. En fait, les chercheurs s'intéressent souvent au
problème des déchets dans une perspective hygiéniste, car,
si nous raisonnions en matière de taille de gisement ou même de
taux de recyclage, il s'avère que le problème des déchets
se pose avant tout dans les « pays développés à
économie de marché » plutôt que dans les « pays
en voie de développement »16. Bien que les médias
et les élus locaux tirent régulièrement la sonnette
d'alarme quant à l'envahissement du territoire français par les
déchets, la dimension occulte du mode de traitement et de gestion des
déchets tend à en faire un sujet de questionnement insipide pour
le chercheur en sciences humaines.
L'archéologie, première science des
déchets ?
Pourtant, il existe une discipline qui depuis toujours tente
de comprendre les sociétés humaines à travers leurs
rebuts. Il s'agit de l'archéologie, « science des restes
»17 qui « cherche les traces de modes de vie des
communautés humaines du passé. »18. Dominique
Lhuilier et Yann Cochin nous explique d'ailleurs que la sociologie s'est, dans
un premier temps, inspirée de l'approche archéologique afin de
montrer que « les déchets pouvaient être utilisés
comme des indicateurs sociaux « totaux » laissant voir les dimensions
essentielles de la société qui les produit et les consomme.
»19. Ainsi, nos déchets ont beaucoup de choses à
nous enseigner sur nos sociétés mais nous les prenons rarement
pour objet d'étude, sûrement parce qu'ils constituent le
clair-obscur de notre société productiviste, le revers de notre
société de consommation. Face à un monde qui produit de
plus en plus de biens matériels et qui prétend trouver des
solutions aux problèmes anthropiques par le biais de la technique, les
déchets font tâche.
Une « dynamique dans la sclérose »
?
Comment se fait-il que nous n'ayons pas réussi à
trouver des solutions viables en termes de traitement des déchets alors
que nos sociétés affichent une conscience écologique de
plus en plus
15 Portails Internet de revues scientifiques en sciences humaines
et sociales.
16 Bénédicte Florin estime que les chiffonniers
du Caire recyclaient jusqu'à 80 % des ordures ménagères de
la capitale égyptienne avant que le gouvernorat du Caire
délègue ce service à des sociétés
privés européennes et égyptiennes qui enfouissent
désormais la quasi-totalité de ces déchets dans le
désert (le taux de recyclage de ces compagnies n'est pas
supérieur à 2 %). Le panorama mondial des déchets estime
le taux de recyclage et compostage français à 31 % en 2006.
FLORIN Bénédicte, « Résister, s'adapter ou
disparaître : la corporation des chiffonniers du Caire en question »
in CORTEEL Delphine, LE LAY Stéphane [dir.], Les travailleurs des
déchets, Toulouse : Érès, 2011, p. 79. CHALMIN
Philippe, GAILLOCHET Catherine, Du rare à l'infini - panorama
mondial des déchets, Paris : Economica, 2010, p. 127.
17 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 15
18 Ibid.
19 Ibid.
aiguë20 ? Comment expliquer que 69 % des
déchets ménagers français étaient
incinérés ou mis en décharge en 200621 alors
qu'il est aujourd'hui admis que nos ressources en matières
premières sont limitées ?
Un objet privé qui devient public
?
Dany Dietmann, un des premiers maires français à
avoir mis en place le système de la redevance incitative22
dans sa commune alsacienne de Manspach, parle de « dynamique dans la
sclérose » pour définir le secteur de la gestion des
déchets ménagers c'est-à-dire que, malgré une
conscience environnementale accrue chez les citoyens français, la
transition vers une modèle économique soutenable n'a pas vraiment
lieu et on assiste plutôt à une « multiplication des actions
et des équipements en veillant bien à ce que rien ne change sur
le fond lucratif de l'affaire. » Durant toute la seconde moitié du
XXe siècle, le secteur de la gestion des déchets
ménagers s'appuie davantage sur des enjeux économiques que sur
des enjeux écologiques.
Lionel Panafit explique cette situation par la position du
législateur qui a encouragé le développement d'un secteur
industriel de gestion des déchets ménagers très lucratif
en encourageant les rentes de monopole. Il a étudié les
débats législatifs de 1975 et 1992 au cours desquels ont
émergé les deux législations qui ont orienté nos
politiques actuelles en matière de gestion des déchets
ménagers. Il s'est surtout intéressé à la place que
le législateur a accordé aux ménages dans les
débats et s'est aperçu que ceux-ci sont quasiment absents des
discussions parlementaires et restent « assignés à une place
de destinataire »23. Au début des années 1990,
lorsqu'une réflexion s'amorce autour des modalités de mise en
place d'une politique de tri, les ménages ne sont toujours pas
considérés comme des acteurs susceptibles de jouer un rôle
dans ces politiques mais sont plutôt « pris en compte comme obstacle
à surmonter »24. En France, jusqu'à cette
époque, les « législations nationales sur les déchets
traitent ainsi bien moins un problème d'élimination des
déchets qu'ils gèrent, par une réappropriation publique
des déchets, une politique économique. »25
Une nuisance source de profits économiques
?
Une brève approche économique de la
problématique des déchets nous permet de critiquer le cadre de
pensée dominant de l'économie contemporaine qu'est le
néo-libéralisme et son dogme de la croissance infinie du Produit
Intérieur Brut (PIB). Comme nous l'explique l'économiste Jean
Gadrey
20 JUAN Salvador, La transition écologique,
Toulouse : Érès, 2011, p. 7.
21 CHALMIN Philippe, GAILLOCHET Catherine, op. cit., p.
127.
22 Grossièrement, il s'agit du système
pollueur-payeur appliqué à la gestion des déchets
ménagers. Nous reviendrons plus en détails dessus dans le
chapitre « Redevance incitative », p. 66-73.
23 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 29.
24 Ibid., p. 44.
25 Ibid., p. 44-45.
qui propose des indicateurs de richesse alternatifs : «
La croissance est devenue croyance, culte, baume miracle pour tout panser sans
avoir à penser. »26 Les déchets fournissent un
très bon exemple des critiques qui sont régulièrement
adressées à cet indicateur. En effet, les coûts exorbitants
de la gestion des déchets - qui connaissent une croissance exponentielle
depuis les années 1950 - représentent chaque année 9,5
milliards d'euros en France selon le site Planetoscope27. Ceci
signifie donc que, loin d'être un handicap pour l'engraissement de
l'économie française, le secteur des déchets est
très lucratif et il n'est pas anodin que quelques multinationales de
l'environnement, telle que Veolia propreté - numéro deux mondial
de la gestion et de la valorisation des déchets - , se partagent le
marché français et, plus largement, le marché
international. Toujours selon Planetoscope, ces dépenses sont
financées à hauteur de 59 % par les ménages et les
collectivités. Non seulement la production de déchets participe
à l'accroissement de la richesse d'un pays (lorsque celui-ci dispose
d'un secteur économique dédié à la gestion
industrielle des ordures) mais, de surcroît, les externalités
négatives engendrées par le mode de traitement - comme la
destruction de matières premières réutilisables par
l'incinération et la mise en décharge, ou la pollution
causée par le traitement des déchets - ne sont pas prises en
compte dans le calcul du PIB et contribuent même à l'accroitre.
Notre approche : entre macro et
micro-sociologie
L'approche qui est la notre combine les points de vue macro et
micro afin de comprendre les déterminants structurels qui influent sur
notre conception du déchet sans pour autant négliger la
pluralité des pratiques et des représentations que peut provoquer
cette objet.
Le complexité et la faible structuration des travaux
scientifiques liées à notre sujet d'étude, nous ont tout
d'abord poussé à adopter un point de vue macro qui s'attache
à décrypter l'évolution socio-historique et politique de
la gestion des ordures ménagères depuis le XVIIIe
siècle. Cette démarche se justifie par le besoin de prendre
conscience des enjeux à la fois politiques, économiques, sociaux
et écologiques inhérents à notre travail de recherche.
Pour ce faire, nous nous appuyons sur des sources bibliographiques disparates
et pluridisciplinaires (histoire, droit, urbanisme, sciences politiques,
économie, sociologie, etc.) qui donnent un aperçu des principaux
travaux menés sur la question des déchets.
Suite à cette synthèse socio-historique (Partie
1), nous resserrons la focale en présentant notre méthodologie
d'enquête, en décrivant le système de la redevance
incitative et en retraçant l'évolution du SPED28
à Besançon (Partie 2).
26 GADREY Jean, Adieu à la croissance. Bien vivre dans
un monde solidaire., Paris : Les petits matins, 2010, 192 p.
27 Source:
http://www.planetoscope.com/recyclage-collecte/336-cout-de-gestion-des-dechets-en-france-en-euros-.html
(consultée le 5 mars 2012)
28 Service Public d'Élimination des Déchets
Enfin, en ce qui concerne le point de vue micro, il s'est
concrétisé par la réalisation d'une étude
empirique, mêlant observation participante et entretiens semi-directifs,
sur les pratiques domestiques inhérentes à la gestion des
déchets afin de mieux saisir leurs ressorts. Nous nous sommes plus
particulièrement intéressés à la pratique du
compostage en pied d'immeuble à Besançon et aux deux acteurs que
sont l'association Trivial Compost et les guides composteurs (Partie 3). Nous
dégagerons de ces matériaux, qui ont une valeur encore largement
exploratoire, des pistes d'analyse à portée plus
générale quant au comportement des individus face à leurs
ordures, notamment face au compost.
Partie 1. Synthèse socio-historique : De la
genèse de
la problématique des déchets
ménagers jusqu'à la
recherche de solutions aujourd'hui.
« Au plan économique, un déchet peut
être défini comme une marchandise à prix négatif
»1, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'échange
monétaire pour acquérir l'objet mais, au contraire,
échange monétaire pour se débarrasser de l'objet (le flux
physique et le flux monétaire vont dans le même sens). Cependant,
il n'en a pas toujours été ainsi et chacun s'accorde à
dire que le gaspillage est un mal inhérent à nos
présumées sociétés d'abondance2. Ainsi,
il nous semble essentiel de retracer la genèse de la gestion des
excreta, notamment urbains, d'étudier notre rapport aux ordures à
travers le temps et ainsi tenter de déconstruire notre lien actuel aux
déchets afin de le saisir dans sa singularité3.
Adopter une approche historique de la problématique de la gestion des
déchets nous permet de rendre plus intelligibles les changements qui se
sont opérés depuis cette époque jusqu'à
l'avènement progressif de « l'ère du jetable » et de la
société de consommation4. En d'autres termes : comment
sommes-nous passés d'une réutilisation quasi-systématique
des matières usagées - avec un modèle de production en
cycles fermés - à un abandon généralisé
caractérisé par l'ouverture du cycle des matières ?
Chapitre 1. Gestion des excréta au sein d'une
économie domestique (jusqu'à la fin du XVIIIe
siècle)
Jusqu'à la première révolution
industrielle, au tournant du XVIIIe siècle, le processus
d'urbanisation est encore très peu marqué et les liens entre
ville et campagne restent fort. La notion de déchet n'existe pas encore
car les résidus issus des productions agricoles ou artisanales sont
presque constamment réutilisés dans une économie
domestique qui forme un cycle fermé des
1 BERTOLINI Gérard, Économie des
déchets, Paris : Technip, 2005, p. 8
2 Sur ce point, voir Marshall Sahlins qui affirme que les
seules sociétés d'abondance qui aient pu exister dans l'histoire
de l'Humanité sont les chasseurs-cueillieurs car ils ont beaucoup moins
de besoins à satisfaire qu'un homme occidental. SAHLINS Marshall,
Âge de pierre, âge d'abondance, Paris : Gallimard, 1976,
415 p.
3 Dominique Lhuilier et Yann Cochin parlent de «
construction sociale du problème de la gestion des déchets
». LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 13.
4 La notion de « société de consommation
» est utilisée pour désigner une société au
sein de laquelle les consommateurs sont incités à consommer des
biens et services de manière abondante. Elle est apparue dans les
années 1950-60, dans les ouvrages de l'économiste
américain John Kenneth Galbraith (1908-2006) pour rendre compte de
l'émergence des critiques du mode de vie occidental.
Jean Baudrillard considère que, dans les
sociétés occidentales, la consommation est un
élément structurant des relations sociales dans le sens où
cette dernière n'est plus un moyen de satisfaire les besoins mais
plutôt une fin qui permet à l'individu de se différencier
afin d'exister socialement. BAUDRILLARD Jean, La société de
consommaion, Paris : Folio essais, 2010 (1970), 318 p.
matières. La problématique de la
salubrité publique en milieu urbain se concentre principalement autour
des excréments humains et animaux ainsi que d'autres résidus
organiques jetés en pleine rue et des boues inhérentes à
l'absence de pavage des voiries.
Le mode de gestion des excréta urbains qui
prédomine est « le « tout à la rue » et le «
tout à la rivière » »5. A Paris, toute cette
crasse faisait désordre pour la royauté, ce qui a poussé
à diverses reprises les autorités publiques à tenter
d'instaurer des règlements édictant un mode de gestion des
ordures. Les solutions envisagées étaient soit l'instauration
d'un service public d'enlèvement des boues (Louis XII avait tenté
de mettre en place un tel système), soit l'usage de récipients
pour contenir les immondices dans des espaces restreints (François Ier
avait prescrit l'usage de paniers)6.
Ces règlements sont toujours restés lettre morte
car ils se heurtaient aux réticences de la population pour deux raisons
principales : d'une part, les gestes par lesquels les habitants
évacuaient leurs excréta de leur espace privé vers la voie
publique s'ancraient dans des habitudes difficiles à changer - c'est le
même problème que l'on retrouve aujourd'hui pour inciter les
citoyens français à trier ou composter - ; d'autre part,
l'instauration d'un service public d'enlèvement des boues
nécessitait la création d'un « nouvel impôt qui se
heurtait à une hostilité générale
»7.
Cependant, malgré son non-respect, l'édit de
novembre 1539, en imposant l'obligation de balayer devant sa porte, n'est pas
dépourvu de conséquences pratiques. En effet, le devoir
légal de prendre en charge ses propres déchets instaure une
gestion privée de chaque gisement domestique qui, selon D. Laporte,
« n'est pas pour rien dans l'émergence de sentiments de la famille
et de l'intimité dont on sait qu'ils sont d'acquisition récente
»8.
A partir de la fin du XVIIIe siècle, la
gestion des déchets ménagers devient un enjeu de santé
publique. Dans un premier temps, la médecine aériste ou
méphitisme suspecte « l'air malodorant »9 émanant des
amoncellements d'ordures de transmettre « les maladies en
pénétrant dans le corps à travers la peau.
»10. Dominique Lhuilier et Yann Cochin relèvent que
« La peste illustre particulièrement cette croyance dans le
rôle morbide de la puanteur puisque le verbe empester devient synonyme
d'empuantir. »11. Ce n'est donc pas la matière en tant
que telle qui est suspectée mais les odeurs qui s'en dégagent.
Dans un second temps, le courant hygiéniste du milieu XIXe
siècle, appuyé par les découvertes de Pasteur, incriminera
définitivement ces rebuts et préconisera leur mise à
l'écart ou leur combustion afin de se prémunir de toute
contamination.
5 DE SILGUY Catherine, Histoire des hommes et de leurs
ordures. Du Moyen-Âge à nos jours, Paris : Le cherche midi,
2009, p. 13.
6 Ibid., p. 21.
7 Ibid.
8 LAPORTE Dominique, Histoire de la merde, Paris :
Christian Bourgois, 1978, p. 30.
9 Ibid., p.16.
10 Ibid.
11 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 23.
Chapitre 2. Première révolution
industrielle : imbrication de la ville avec l'industrie et l'agriculture
(1790-1870)
Cette vision des excréta urbains par le prisme des
découvertes scientifiques et médicales peut laisser supposer que
le XIXe siècle marque l'abandon de la réutilisation
des ordures qui doivent désormais être détruites ou mises
à la marge. Mais il n'en est rien. Au contraire, comme le
démontre magistralement l'ouvrage de Sabine Barles, L'invention des
déchets urbains12, cette vision de l'évolution du
cycle des matières est entachée d'anachronisme. En effet, jamais
l'imbrication et l'échange de matières premières entre
ville, industrie et agriculture n'a été aussi forte qu'à
cette époque. Le développement de nouveaux procédés
de productions avec la première révolution industrielle n'a pas
entrainé la fin de la réutilisation des sous-produits mais,
à l'opposé, a provoqué une augmentation de la demande et
des débouchés pour ces résidus.
Avant de chercher à comprendre pourquoi et comment ces
sous-produits étaient réintégrés dans le cycle de
production, nous devons déjà essayer d'appréhender la
nature des excréta urbains au XIXe siècle. Sabine
Barles différencie deux grandes catégories de matières qui
sont rejetées par les villes :
· Les ordures et les boues qui trouvent des
débouchés dans l'industrie et l'agriculture et sur lesquelles
nous nous focaliserons car elles sont en quelque sorte les ancêtres des
déchets ménagers. Ces deux types d'excréta urbains sont
généralement associés car ils étaient
mélangés au sein des voiries jusqu'à l'instauration des
boites à ordures à Paris par un arrêté daté
du 24 novembre 1883 signé par le Préfet Eugène Poubelle.
Notons aussi que ce système de gestion des ordures
ménagères ne s'est généralisé et
uniformisé sur tout le territoire français qu'à partir de
la fin de la Seconde Guerre Mondiale13.
· Les vidanges qui « ne sont autres que les urines
et les excréments des citadins, recueillis dans les fosses d'aisances
»14 et qui sont utilisées dans l'agriculture. Nous ne
nous y intéresserons que dans la mesure où la gestion de ce type
d'excréta peut révéler une certaine analogie avec le
compostage urbain.
12 BARLES Sabine, L'invention des déchets urbains.
France : 1790-1970., Seyssel : Champ Vallon, Milieux, 2005, 297 p.
13 DE SILGUY Catherine, op. cit., p.32-33.
14 BARLES Sabine, op. cit., p. 67.
1. Les ordures, les boues et les vidanges : un
gisement de matières premières pour la première
révolution industrielle
Afin de mieux appréhender sous quelles modalités
les matières rejetées par la ville se recyclaient, il est
nécessaire de détailler les différents sous-produits qui
faisaient l'objet d'une collecte par les différents acteurs
concernés (chiffonniers, municipalités, paysans collecteurs) et
d'une réutilisation par l'industrie ou l'agriculture. Les deux
résidus les plus convoités par les chiffonniers durant la
première révolution industrielle sont sans aucun doute les
chiffons et les os, mais de nombreuses autres matières étaient
valorisées et trouvaient une seconde vie.
1.A. Les chiffons
Jusqu'à l'aube du XXe siècle, la
papeterie ne savait fabriquer le papier qu'à partir de vieux chiffons
glanés par les chiffonniers, grâce à une technique de
transformation artisanale qui restait « longue, complexe, coûteuse,
et nécessitait un savoir-faire extrêmement précis.
»15. Après de nombreuses tentatives infructueuses pour
trouver des substituts à cette matière première, la
mécanisation progressive et les innovations techniques dans la
production du papier entrainèrent une croissance rapide de la demande en
chiffons. On parle alors d'« âge d'or » du chiffonnage, si bien
que, jusqu'à la fin des années 1850, de nombreux pays
européens - tels que la France, la Belgique, la Hollande, l'Espagne et
le Portugal - interdisent l'exportation des vieux tissus par peur de
pénurie et cherchent à tout prix à augmenter leurs
importations.
1.B. Les os
Contrairement au chiffon, les utilisations des os sont
multiples. Depuis toujours, l'os permet « la fabrication d'une multitude
d'objets utiles, peignes, boutons, manches divers [...], de décoration
et d'agrément. »16. Depuis le XIXe
siècle, on produit à partir d'os, du charbon animal (ou noir
animal) qui est destiné « à décolorer le sirop obtenu
de la betterave »17 afin de faire face au blocus continental
qui prive la France du sucre de canne qu'elle importait de ses colonies. Par la
suite, le charbon animal sera aussi utilisé pour améliorer le
procédé de fabrication du sucre de canne. Dans le même
temps, la consommation du sucre se banalise et on assiste à une
explosion de la production et de la demande, ce qui donne une plus grande
valeur aux os et contribue ainsi à l'« âge d'or » du
chiffonnage. L'os trouve également de nombreux autres
débouchés. En amont de la fabrication du charbon animal, le suif
des os est extrait dans le but de produire des savons. Les os, qui sont une
matière relativement riche en phosphate, peuvent aussi être
broyés pour fabriquer des engrais
15 Ibid., p. 27.
16 Ibid., p.39.
17 Ibid., p.36
destinés à fertiliser les champs, marquant ainsi
la naissance de l'industrie des superphosphates (mélanges de phosphate
avec de l'acide sulfurique pour une meilleure assimilation par les
végétaux). L'extraction du phosphate permet également
l'invention de l'allumette par frottement en 1832. Enfin, à partir de la
fin du XVIIIe siècle, on commence à produire de la
colle à partir de la gélatine contenue dans les os.
1.C. Autres matériaux collectés par les
chiffonniers
Les chiffonniers collectaient également de nombreuses
autres matières. Le vieux papier était transformé en
emballage, en carton ou en papier de qualité inférieure. Les
boites en fer étaient dessoudées pour séparer et revendre
l'étain et le fer blanc. Les bouchons de liège se recyclaient en
produits neufs. Les coquilles d'huitres, riches en carbonate de calcium,
étaient broyées pour amender les champs. Les cendres
étaient également utilisées pour nourrir les sols mais
constituaient aussi un excellent produit pour la lessive. Les chiffonniers
récupéraient aussi certains métaux - comme le cuivre, le
zinc, le plomb, la fonte -, le verre, la porcelaine, le caoutchouc... Bref, ces
différents exemples n'ont pas une portée exhaustive mais montrent
seulement la diversité des matières qui pouvaient être
collectées en raison d'une certaine valeur économique.
1.D. Sous-produits issus de l'industrie ou de
l'élevage
Au XIXe siècle, l'activité
industrielle se concentrait principalement aux abords des villes et les
résidus inhérents au processus de production trouvaient presque
toujours une seconde vie. L'exemple le plus significatif se trouve dans la
fabrication du gaz d'éclairage par la distillation de la houille qui
laissait de nombreux sous-produits tels que le coke qui servait de charbon, des
goudrons utilisés comme antiseptique ou teinture, ainsi que de l'eau
ammoniacale transformée en sulfate d'ammoniaque destiné à
fertiliser les champs. De même, la ville abritait aussi les animaux en
pleine rue et ceux-ci produisaient un fumier urbain qui était revendu
à la campagne. Malgré le développement des abattoirs en
périphérie des villes au début du XIXe
siècle, les sous-produits animaux ne cessèrent pas pour autant
d'être valorisés : les peaux étaient tannées, les
sabots et le crin réutilisés, les graisses transformées en
suif pour fabriquer des bougies et des savons, on extrayait l'albumine du sang
pour le raffinage du sucre et la teinture ou alors on le faisait sécher
pour le transformer en engrais, les boyaux servaient à la fabrication de
cordes harmoniques pour certains instruments de musique ou pouvaient être
transformés en préservatifs, et enfin, avec les tendons, de la
colle était produite.
1.E. Les boues
A partir de la fin du XVIIIe siècle, les
boues18 font l'objet d'un intérêt croissant de la part
d'entrepreneurs qui organisent la collecte et l'acheminement de cette
matière vers des voiries situées en périphérie de
la ville et de la part des paysans qui viennent s'approvisionner en fertilisant
sur ces voiries. Dans certaines villes, les paysans collectent directement la
boue sur la voie publique et il n'y a pas de système de voiries. A
Paris, dans les années 1870, un conflit va éclater concernant le
droit d'exploitation des boues urbaines « entre les habitants de la
banlieue, les adjudicataires du nettoiement et la police, [...] les premiers
arguant du fait que les boues appartiennent solidairement aux habitants de la
banlieue »19, ce qui démontre l'attractivité de
cette matière à l'époque. Au final, l'évacuation
des boues de la capitale s'organise en un système complexe de
sous-traitance de la collecte entre entrepreneurs et paysans. Ainsi, « les
500 itinéraires de tombereaux20 sont affermés un,
deux, ou au maximum trois jours par semaine à un cultivateur qui apporte
ses produits aux halles de grand matin, et s'en retourne avec les boues de rue.
»21.
1.F. Les vidanges
De même, les vidanges sont « stockées plus
ou moins longtemps dans les fosses, [où] elles sont
périodiquement enlevées, au XVIIIe siècle, par
des compagnies spécialisées ou par des cultivateurs selon les
villes. »22. En 1784, Bridet invente une technique pour
transformer ces vidanges liquides en « poudre végétative ou
poudrette »23. Ce procédé possède
l'avantage de convertir les vidanges à un état solide, ce qui
facilite leur transport, améliore la salubrité de cette
matière et atténue les odeurs qui en émanent. « La
ville est une mine d'engrais »24 et les excréments
peuvent même acquérir une valeur marchande positive à cette
époque : « des chimistes en ont estimé la valeur par
personne à 20 c. par jour »25. Cette manne
économique, destinée à grandir avec l'augmentation de la
population urbaine, a entrainé le passage d'un modèle artisanal
de collecte, transport et transformation des vidanges, à un
modèle entrepreneurial, avec la fondation de grandes compagnies qui se
consacrent exclusivement à cette activité. Par exemple, la
compagnie Richer, fondée en 1847, « emploie environ la
moitié des équipes de vidanges opérant à Paris
»26. Ce mode de traitement des vidanges a connu un
déclin dans la seconde moitié du XIXe siècle
avec
18 Les boues sont les excréta liquides dus à
l'absence de pavage des chaussées. Elles se composent principalement de
matières organiques et d'excréments (a la fois humains et
animaux).
19 Ibid., p. 91.
20 Les tombereaux sont de grandes charrettes, souvent
tractées par des chevaux, qui servaient à collecter et
évacuer les boues.
21 Ibid., p. 100.
22 Ibid., p. 66.
23 Ibid., p. 67.
24 Ibid., p. 71.
25 Ibid., p. 71.
26 Ibid., p. 75.
l'apparition de réseaux d'évacuation. Dans un
premier temps, chaque « maison doit alors être raccordée au
réseau d'évacuation et être équipée d'une
tinette filtrante qui retient les matières solides et laisse passer les
liquides qui se rendent directement à l'égout, sans intervention
manuelle. »27. Les compagnies s'occupent encore de collecter
les vidanges solides. Dans un second temps, toutes les matières
contenues dans les vidanges seront évacuées par ces
réseaux hydriques avec l'instauration du tout-à-l'égout.
Mais ce nouveau système n'est pas pour autant synonyme d'abandon des
matières fertilisantes. « En effet, ce qui est frappant, c'est que
la quasi-totalité des solutions envisagées repose sur un principe
fondamental : on ne saurait laisser perdre ces matières
.»28. Ainsi, les techniciens de l'époque
réfléchissaient presque systématiquement à des
systèmes de canalisations permettant d'acheminer cette matière
jusqu'à des champs en province. La gestion des vidanges citadines
s'imbriquait donc dans une double problématique : celle de la
salubrité et celle de l'agriculture.
2. La première révolution industrielle
ou l'« âge d'or du chiffonnage »
Ces différents exemples que nous venons d'aborder
montrent l'étendue des matières qui trouvaient une seconde vie au
XIXe siècle. La plupart d'entre elles faisaient
déjà l'objet d'une réutilisation avant la première
révolution industrielle mais l'organisation de leur
réintégration au cycle des matières ne se faisait pas
à une telle échelle.
2.A. Un contexte favorable, une activité
florissante
« Rien qu'à considérer le marché du
chiffon et celui de l'os, on comprend mieux que le XIXe
siècle, et en particulier la période 1840-1880, constitue
l'âge d'or du chiffonnage, bien que les bornes en soient difficiles
à établir. »29. Avant ce « boom » du
chiffonnage, cette activité « n'était pas une industrie dont
pouvaient vivre ceux qui s'y adonnaient. Il en fut ainsi jusqu'à la
Révolution »30. Jusqu'à cette période,
seule une petite partie de citadins indigents considéraient les ordures
et les boues comme une source de subsistance complémentaire.
Sabine Barles identifie plusieurs raisons qui expliquent la
montée en puissance du chiffonnage. D'une part, le contexte
démographique se caractérise par une urbanisation croissante : en
1811, 13,8% de la population française réside dans une commune de
plus de 3 000 habitants, contre 15,2% en 1841 et 20,9% en 188131. Il
faut donc désormais nourrir ces « nouveaux citadins
27 Ibid., p. 79.
28 Ibid., p. 85.
29 Ibid., p. 53-54.
30 BARBERET Joseph, Le travail en France. Monographies
professionnelles, Paris : 1887 : vol. 4, p.60. Cité in
BARLES Sabine, op. cit., p. 17.
31 DUPEUX Georges, Atlas historique de l'urbanisation en
France (1811-1975), Paris : Ed. du CNRS, 1981 (non
qui ne produisent pas, ou guère, leur pitance »
ainsi que le bétail qu'ils sont susceptibles d'élever. La demande
en denrées alimentaires des villes augmente et, par conséquent,
les rejets aussi. D'autre part, cette pression urbaine influence le contexte
technique : par exemple, au niveau agricole, il s'agit dès lors
d'adapter les cultures périphériques à cette nouvelle
demande urbaine, d'améliorer l'efficacité du travail en
produisant des outils et des machines, de trouver des fertilisants pour doper
les rendements agricoles. Enfin, le contexte économique encourage le
réemploi des matières premières usagées. En effet,
le XIXe siècle témoigne d'une rivalité accrue
au niveau industriel et commercial entre les grandes nations européennes
donc importer des matières premières revient à se rendre
dépendant d'une nation concurrente et à lui transférer sa
propre richesse. Par conséquent, il est préférable
d'encourager l'utilisation de matières premières dont on dispose
directement même si celles-ci sont moins commodes à
transformer.
Dans ce contexte global, l'industrialisation facilite le
réemploi de certains excreta et va même leur faire prendre de la
valeur. Prenons à nouveau l'exemple du chiffon : à partir du
début du XIXe siècle, de nombreuses innovations
techniques - cylindres pour l'effilochage et l'affinage de la pâte,
chlorure de chaux pour le blanchiment et le lessivage, incorporation de la
colle dans la pâte à papier - apparaissent et permettent une
industrialisation du procédé de production du papier (passage
d'une production à la feuille à une production continue), ce qui
cause une explosion de la demande en chiffons. Les autres matières ne
sont pas en reste et l'activité du chiffonnage se développe
à une grande vitesse tout au long du XIXe siècle, si
bien que le poids économique de ce secteur devient considérable
et que le nombre de chiffonniers explose.
2.B. Structuration de la corporation des
chiffonniers
En 1884, vers la fin de l'« âge d'or du chiffonnage
», la chambre syndicale des chiffonniers estimait que cette
activité faisait vivre 40 000 personnes directement (chefs de famille)
et 200 000 indirectement (hommes, femmes et enfants) dans le département
de la Seine32. En 1854, FirminDidot évaluait à 100 000
l'effectif de chiffonniers en France.
Le chiffonnage ne s'est pas développé de
façon anarchique, bien au contraire, il s'est très vite
structuré pour revêtir un mode d'organisation assez complexe,
semblable à celui d'une corporation de l'Ancien Régime. En effet,
il s'est établi un système hiérarchique qui possède
ses propres règles et qui a évolué en corrélation
avec l'expansion de l'activité comme nous le décrit finement
Sabine Barles : « Jusqu'aux années 1850, on distingue trois
catégories de chiffonniers : le chiffonnier de nuit ou piqueur [qui
passe en premier glaner dans le tas d'ordures], le secondeur pour lequel c'est
une activité annexe, et le gadouilleur [qui récolte les boues
pour les transporter jusqu'aux voiries à
paginé). Cité in BARLES Sabine, op.
cit., p. 19. 32 BARLES Sabine, op. cit., p. 58.
boues en périphérie de la ville ou directement
chez des agriculteurs] . [...] Mais le métier se hiérarchise
progressivement avec l'apparition des placiers dans les années 1850, de
manière d'abord informelle : le placier est en quelque sorte un
chiffonnier dont l'activité est sédentarisée, en ce qu'il
ne travaille que dans quelques rues dont il fait son territoire [...] [et]
devient ainsi le chiffonnier de quelques maisons dont il tire le meilleur.
[...] Cette situation, qui crée par opposition le coureur, chiffonnier
qui pratique « à l'ancienne », est renforcée en 1870
par l'adoption, dans un premier temps à titre temporaire, des
boîtes à ordures. »33.
L'organisation de la filière du chiffonnage prend une
structure pyramidale : « En outre, le chiffonnier n'est pas en contact
direct avec l'industriel, et les intermédiaires semblent se multiplier
tout au long du XIXe siècle, si bien que le ramasseur ne
profite pas toujours du renchérissement des matières
premières lorsqu'elles sont vendues aux industriels. Après avoir
procédé à un tri sommaire de sa récolte, il la vend
en effet au maître chiffonnier (parfois aussi appelé boutiquier ou
magasinier) »34. Ensuite, les maitres chiffonniers affinent le
tri pour revendre le tissu à « des négociants en chiffons
[qui] sont généralement spécialisés
»35 et qui, eux-mêmes, ré-affineront encore le tri
« pour satisfaire aux exigences industrielles [...]. »36 .
Les chiffons étaient répartis selon différents
critères (origine végétale ou animale, propreté,
couleur) en une « centaine de catégories »37.
« La valeur des chiffons évoluait en fonction des innovations
techniques et des besoins industriels »38 mais ces variations
n'étaient presque pas répercutées sur le prix d'achat de
la matière première au chiffonnier, lequel ne profitait donc pas
forcément de leur renchérissement. Comme dans le cas des vidanges
et des boues, à plusieurs reprises des compagnies privées ont
tenté de s'accaparer le marché du chiffonnage sans jamais y
parvenir.
2.C. Le chiffonnage : « un mal nécessaire
»39
Malgré un rôle essentiel, tant sur le plan de la
salubrité urbaine que sur le plan du fonctionnement industriel, les
chiffonniers ont toujours été victimes de représentations
sociales négatives. « A toutes les époques, on attribua aux
chiffonniers divers maux de la société [...]. A l'instar des
mendiants, ils étaient régulièrement chassés des
cités »40 et traités comme de la vermine. Avec la
première révolution industrielle, les sentiments de l'opinion
publique à leurs égards étaient toujours mitigés,
voir ambivalents : tantôt considérés comme nuisibles,
tantôt considérés comme
33 Ibid., p. 62.
34 Ibid., p. 64.
35 Ibid.
36 Ibid.
37 DE SILGUY Catherine, op. cit., p. 90.
38 Ibid., p. 91.
39 BARLES Sabine, op. cit., p. 65.
40 DE SILGUY Catherine, op. cit., p. 101.
indispensables à l'industrie, ils étaient un
« mal nécessaire ». Sabine Barles relève qu'«
à Paris en 1862, une commission municipale relative à la
réforme des boues est ainsi amenée à conclure : "Cette
industrie, dont le mode est repoussant, doit être encouragée
à cause des produits utiles qu'elle donne à la fabrication du
papier, du carton, du noir animal" »41.
2.D. Optimiser l'intégration des
activités
L'âge d'or du chiffonnage fait apparaître que,
loin d'absorber et de conserver toutes les matières, la ville en
restitue une bonne partie à l'industrie et à l'agriculture. Le
caractère limité des gisements de matières
premières donne la préférence à la
réutilisation sur l'extraction, ce qui implique une circulation
constante de la matière avec, pour corollaire, le bouclage des cycles
biogéochimiques. Ainsi, l'imbrication entre ville, industrie et
agriculture n'est pas une survivance de l'Ancien Régime mais
plutôt une invention de la première révolution industrielle
qui atteint son paroxysme autour des années 1860-1870. « On
pourrait arguer que cette complémentarité n'est pas
recherchée, mais s'établit de manière plus ou moins
inconsciente, ou est dictée par les seuls mécanismes du
marché. Il n'en est rien. La limitation de la production de
résidus inutiles quels qu'ils soient devient en effet un enjeu tout
à la fois industriel, agricole, urbain, hygiénique, de plus en
plus affirmé. »42. C'est à cette même
époque que la chimie invente le bilan matière qui donne «
les clefs du "cercle mystérieux de la vie organique à la surface
du globe" »43, approche qui sera progressivement
délaissée avant qu'on ne la redécouvre aujourd'hui.
Cependant, il ne faut pas pour autant trop idéaliser
cet âge d'or du chiffonnage et postuler à une absence de
pollutions et d'effets néfastes pour l'environnement. En effet, «
les procédés de recyclage ont rarement atteint un degré de
perfection tel qu'ils aient permis une valorisation totale. En outre,
l'utilisation de réactifs divers s'est traduite par des émissions
importantes vers l'air, l'eau et les sols »44.
41 BARLES Sabine, op. cit., p. 65.
42 Ibid., p. 121.
43 Ibid., p. 124.
44 Ibid., p. 131.
Chapitre 3. Deuxième Révolution
industrielle : séparation entre la ville, l'industrie et l'agriculture
(1880-1950)
Si, comme nous venons de le voir, la première
révolution industrielle a été synonyme d'imbrication entre
ville, industrie et agriculture par la recherche de l'optimisation de
l'intégration des activités, la seconde révolution
industrielle, quant à elle, se caractérise par un cloisonnement
de ces différents secteurs et un abandon progressif des sous-produits
qui étaient jusqu'alors valorisés. Comme nous allons le voir,
cette évolution a été encouragée par de nombreux
facteurs.
1. Éloignement spatial dû à
l'étalement urbain et à la dispersion de l'industrie
Tout d'abord, la première révolution
industrielle voit la structure géographique des villes se modifier en
profondeur, à l'instar des grands travaux haussmanniens à Paris.
De surcroît, l'exode rural et l'étalement de l'habitat
pavillonnaire à la périphérie des villes créent des
frontières de plus en plus hermétiques entre ville et campagne et
entrainent un déclin de l'agriculture et de l'élevage
périurbain. Ainsi, les centres urbains s'agrandissent et, «
à partir des années 1880, les relations entre ville, industrie et
agriculture se détendent, tant spatialement que matériellement
»45.
Prenons l'exemple parisien à titre illustratif : les
villages et la campagne qui entouraient le centre historique de Paris sont
absorbés par la capitale qui revêt progressivement la structure
géographique que nous lui connaissons aujourd'hui. Le
1er janvier 1860, une loi permet à Paris d'annexer plusieurs
communes voisines. La capitale française passe ainsi de douze à
vingt arrondissements et de 3 438 à 7 802 hectares. Après ces
annexions, les limites administratives de la ville ne seront que peu
modifiées et la croissance urbaine, qui continue toujours à la
fin du
XIXe siècle et au XXe
siècle, ne s'accompagnera donc plus d'une expansion des
frontières communales, ce qui est à l'origine de la «
banlieue »46. Les surfaces agricoles cèdent peu à
peu leur place aux habitats pavillonnaires. Ce processus est valable pour les
grandes villes à la fin du XIXe siècle et
s'étendra aux petites à partir de la deuxième
moitié du XXe siècle.
Parallèlement, l'activité industrielle cesse de
se concentrer dans l'enceinte de la capitale et est délocalisée
en banlieue ou en province, rompant ainsi les liens entre ville et industrie
qui permettaient jusqu'alors la valorisation de certains excréta
urbains.
45 Ibid., p. 135
46 LE CLÈRE Marcel, Paris de la Préhistoire
à nos jours, Paris : Bordessoules, 1985, p. 510-517.
2. Innovations technologiques et nouvelles ressources
naturelles :
des résidus urbains
concurrencés
A cette distorsion spatiale s'ajoute aussi le fait que
l'agriculture et l'industrie profitent de la découverte de gisements
naturels de matières premières et de l'invention de nouveaux
procédés de production. Par exemple, la papeterie a toujours
cherché des substituts au chiffon mais ce n'est que durant la
deuxième moitié du XIXe siècle que d'autres
matières premières commencent à être
utilisées pour la fabrication de papiers, notamment la paille, l'alfa et
le bois et que le papetier allemand Henri Voelter met au point une technique de
défibrage mécanique du bois qui permet la fabrication de
pâte à papier. Ces trois matières premières sont
à l'origine du développement de l'industrialisation de la
papeterie et de l'abandon progressif des vieux chiffons en bousculant le
marché des matières premières : « D'après les
syndicats patronaux et ouvriers, la consommation de chiffons a
été divisée par deux entre 1880 et 1900,
parallèlement, les cours, s'ils se maintiennent pour les chiffons de
très bonne qualité, baissent pour les autres.
»47.
Les utilisations multiples de l'os sont, elles aussi,
évincées par des innovations technologiques. On découvre
des nouvelles techniques de décoloration du sucre par filtration, ce qui
rend peu à peu obsolète le noir animal qui faisait auparavant
l'objet de toutes les convoitises. De même, la poudre d'os, qui contient
des phosphores et servait à fertiliser les champs, est graduellement
concurrencée par « la découverte des gisements de phosphates
naturels, matière première plus abondante que les os
»48. Enfin, la tabletterie « connaît des mutations
profondes et durables avec la naissance des matières plastiques
»49 qui commencent à faire leur apparition dans les
grands magasins parisiens à la fin du XIXe et deviendront peu
à peu des produits de consommation courante au fil du XXe
siècle.
Les matières premières animales ont connu le
même sort. Les colorants, auparavant produits artisanalement à
l'aide de mélange de minéraux, végétaux ou
sous-produits animaux sont désormais fabriqués à partir du
goudron (tiré de la transformation de coke en gaz de houille), puis du
pétrole. L'arrivée de la fée électricité
conduit à l'anéantissement de la filière de
réutilisation du suif des graisses animales pour la fabrication de
bougies. De même, « la mise au point des colles
végétales, des colles à base de dextrine (issue de la
fécule de pomme de terre), puis de résines de synthèse
entraîne la disparition de l'industrie de la colle animale
»50. Pour autant, on ne peut pas parler d'abandon de ces
sous-produits animaux, que constituent carcasses et os, puisqu'on cherche
toujours des débouchés. C'est ainsi que les farines animales
voient le jour : « En 1899, on expérimente la
47 BARLES Sabine, op. cit., p. 159.
48 Ibid., p. 141
49 Ibid., p. 141-142.
50 Ibid., p. 145.
poudre d'os pour l'alimentation des jeunes animaux, bovins en
particulier. »51. Malgré ces transformations, certains
usages persistent : la gélatine est toujours utilisée dans les
« industries photographique, agroalimentaire et pharmaceutique
»52 et le suif dans la savonnerie, les industries
cosmétique et agroalimentaire. Dans un premier temps, l'abandon de ces
sous-produits varie selon les débouchés et on assiste
plutôt à une restructuration de la filière. Dans un second
temps, à partir de l'entre-deux-guerres, de nouvelles techniques de
conservation de la viande vont peu à peu éloigner le
bétail des centres urbains, décourageant ainsi toute
réutilisation des sous-produits par les industries citadines.
Les sous-produits urbains valorisés en agriculture,
tels que les boues et les vidanges, sont lentement détrônés
par les découvertes de gisements de phosphate naturels et de nouvelles
techniques d'extraction de l'azote. Ces nouvelles sources d'engrais viennent
dans un premier temps s'ajouter aux anciennes techniques de valorisation
organique avant de s'y substituer. « Par conséquent, l'engrais
humain, s'il joue un rôle dans l'agriculture périurbaine au cours
du premier XXe siècle, apparaît comme un produit
désuet dont le rôle devient de plus en plus anecdotique.
»53.
Enfin, la deuxième moitié du XIXe
siècle se caractérise par le développement des transports,
notamment des réseaux ferrés, facilitant ainsi l'acheminement de
matières premières en provenance de régions
éloignées. La réutilisation des matières
premières dont on dispose localement commence à perdre de son
intérêt.
3. Vers un nouveau modèle de gestion des
excréta urbains
Si la deuxième révolution industrielle peut se
définir par l'abandon progressif de la valorisation des excréta
urbains, elle se caractérise aussi par l'accélération du
cycle productionconsommation-rejet qui ne cesse d'en accroitre la masse. De
plus, en ce qui concerne la capitale française, les travaux
haussmanniens ont considérablement transformé l'allure des rues
(macadam goudronné, pavage, création d'égouts et de
réseaux d'adduction d'eau) et les amoncellements d'ordures ou de boues
font tâche sur les grands boulevards parisiens. Parallèlement, les
découvertes de Pasteur sur les modes de contagion des maladies vont
profondément changer les représentations sociales sur le
déchet.
3.A. Fin de la contrainte de balayage et invention de la
poubelle
Avant 1880, il n'existait pas vraiment de système public
de gestion des ordures, seule une loi imposait une obligation de balayage de la
chaussée par les riverains. Pendant l'été 1880, les
51 Ibid., p. 146.
52 Ibid., p. 146.
53 Ibid., p. 155.
amoncellements d'ordures corrélés à une
forte chaleur provoquèrent une émanation d'odeurs putrides qui
envahirent la capitale française. Ainsi, « les édiles de
Paris demandèrent que la contrainte de balayage soit convertie en
impôt municipal auquel seraient soumis tous les propriétaires.
Cette requête acceptée, on créa une taxe spécifique
en mars 1883 »54, marquant la délégation de cette
tâche à des agents municipaux.
Dans ce prolongement, « Le 24 novembre 1883, parut un
arrêté, signé par le Préfet Eugène Poubelle,
obligeant les propriétaires d'immeubles à se procurer des
récipients spéciaux destinés aux dépôts
d'ordures. »55. Ce même arrêté stipule
également que chaque immeuble doit disposer de trois récipients
afin de pouvoir séparer les matières selon leur nature : «
un pour les matières putrescibles, un pour les papiers et les chiffons
et un dernier pour les débris de vaisselle, verre, poterie ou les
coquilles d'huîtres. »56. Cette tentative d'instauration
d'un tri à la source ne se concrétisera jamais, faute de moyens
pour s'assurer que les consignes soient intégrées et
respectées par la population.
3.B. Les chiffonniers : une corporation en perte de
vitesse qui se restructure
Dans un premier temps, les différentes mesures
précédemment évoquées engendrent de nombreux
changements dans la tâche des chiffonniers et dans l'organisation de leur
corporation. L'instauration des boites à ordures déclenche un
tollé de la part des chiffonniers pour lesquels cette mesure signe leur
glas. Les ordures devant être déposées à l'aube sur
la chaussée, l'activité de nuit disparaît. Le coureur doit
désormais s'arranger pour devancer le passage des tombereaux
tirés par des chevaux. Ce dernier « y a beaucoup perdu. [...] Le
prix de vente des matières récoltées pas les chiffonniers
accuse une sérieuse baisse. Il leur faut collecter plus, marcher plus,
d'autant que leur habitat s'éloigne de Paris. Rien n'y fait, les gains
sont misérables. »57. Le placier, quant à lui,
« a tiré son épingle du jeu : ce chiffonnier
sédentaire a toujours les meilleurs matières, il s'est fait
l'auxiliaire du concierge puisqu'il se charge de sortir et de rentrer les
récipients. »58.
Auparavant, considéré comme un « mal
nécessaire » au bon fonctionnement de l'industrie et de
l'agriculture, le chiffonnage perd peu à peu sa qualité de
premier gisement de matières premières. Par conséquent, le
discours sur cette activité « évolue et se fait social :
mieux vaut des chiffonniers que des chômeurs ou des voleurs.
»59. Néanmoins, malgré la perte de vitesse de
l'activité de chiffonnage, il ne faut pas non plus négliger
l'importance du prélèvement à la source qu'elle
54 DE SILGUY Catherine, op. cit., p. 30.
55 Ibid., p. 32.
56 Ibid., p. 32.
57 BARLES Sabine, op. cit., p. 175.
58 Ibid., p. 173.
59 Ibid., p. 169.
continue d'opérer : à Paris, en 1923, les 6 000
chiffonniers qui ont gardé ce mode de subsistance collectent encore
environ 15 % du million de tonnes d'ordures ménagères
généré chaque année.
Dans un second temps, la technicisation de la collecte et du
traitement des gisements d'ordures annonce la fin du chiffonnage. En 1925, la
municipalité parisienne oblige ses contribuables à adopter «
de nouvelles boites, plus perfectionnées et fermées
»60 afin d'empêcher la prolifération d'animaux
nuisible tels que les rats. Dans le même ordre d'idées, « les
autotombereaux à pétrole se généralisent à
partir du 1er janvier 1921 »61 et « la benne
à compression ou benne tasseuse, employée à Paris à
partir de 1936, entraîne la disparition des autrefois si précieux
chiffonniers-tombereautiers »62. Du côté du
traitement, de nouvelles technologies permettent de trier certaines
matières, comme la récupération
électromagnétique pour les métaux ferreux, et remplacent
en partie le travail dans les usines.
Malgré quelques derniers sursauts du chiffonnage
pendant des périodes de crise (crise économique de 1929, seconde
guerre mondiale), cette activité sera définitivement
prohibée au niveau national dans les années 1950. Cette
décision marque l'abandon de la réutilisation avec un taux de
récupération industriel en chute libre : « Les taux de
récupération, qui ne dépassent pas 1,3 % entre 1939 et
1967, sont ridicules. »63.
3.C. Saturation des débouchés et nouveaux
modes de traitement des ordures
La perte de valeur économique des excréta
urbains entraîne une saturation des débouchés. Ce gisement
qui rapportait jadis de l'argent à la ville constitue désormais
une charge financière croissante. Que faire de toutes ces
matières qui trouvent de moins en moins de débouchés dans
l'agriculture et l'industrie périurbaine ? « La solution est simple
: il faut aller plus loin. A Paris, on transporte ainsi les ordures
ménagères par bateau (l'embarquement se fait quai de Javel ou
quai d'Ivry) et chemin de fer dès les années 1870.
»64. Les chiffonniers gadouilleurs fouillent ces
dépôts avant qu'ils ne soient acheminés vers des
régions agricoles pour être épandus. « En 1901, les
ordures ménagères arrivent dans 150 gares dans un rayon de plus
de 50 km et 23 ports jusqu'à 100 à 150 km »65.
Ces premières difficultés amènent les
ingénieurs à chercher des solutions nouvelles pour
éliminer les résidus urbains. Les mots d'ordre de ces projets de
réforme de la gestion publique du traitement des ordures étaient
« rationalisation » et « industrialisation ». Dès
lors, des usines de
60 Ibid., p. 214.
61 Ibid., p. 214.
62 Ibid., p. 214.
63 Ibid., p. 215.
64 Ibid., p. 178.
65 Ibid., p. 178.
traitement sont construites aux alentours de la capitale au
début du XXe siècle. Elles sont implantées aux
abords des voies ferrées et fluviales et cherchent à « tirer
de la gadoue le meilleur parti économique »66 en la
broyant pour obtenir un nouvel engrais : le poudreau, « poudre fine,
noirâtre, bien homogène »67. Ces nouvelles usines
voient la chaîne de valorisation des boues et ordures se complexifier :
le placier profite des meilleurs matières lorsqu'il sort les
récipients des particuliers sur la chaussée, le coureur passe
juste après et récupère à son tour de la
matière, le chiffonnier du tombereau effectue un nouveau tri quand la
matière est chargée sur le véhicule et, enfin, un nouveau
type de chiffonnier - les chiffonniers de la broyeuse - travaille dans les
usines. Ces derniers « se placent devant la bande transporteuse et
récoltent ce que bon leur semble »68 et
perçoivent même un salaire, minime certes, pour réaliser
cette tâche. Ainsi, Sabine Barles considère que « les ordures
parisiennes n'auront jamais été aussi bien triées qu'au
début du XXe siècle »69.
3.D. Naissance de l'incinération
C'est aussi à ce moment que débute
l'incinération à échelle industrielle pour les
matières ne trouvant pas de débouchés, notamment les
boues. Cette technique comporte divers avantages. D'une part, elle permet de
traiter certains excréta à proximité des centres urbains
en construisant des usines d'incinération au sein de ces espaces. Bien
sûr, aucun principe de précaution n'existait à
l'époque et on ne se posait pas encore la question de la nocivité
de ces rejets pour l'environnement et la santé humaine. L'Angleterre
fait figure de précurseur au niveau de ce type de traitement des ordures
et ce nouveau système va très vite intéresser « la
ville de Paris et le département de la Seine »70.
Les représentations de l'époque sur
l'incinération se situent au croisement d'une perspective
méphitique et hygiénique : alors qu'on avait banni les voiries
des centres urbains (qui servaient d'espace intermédiaire
d'évacuation des boues à la périphérie de la ville
avant leur acheminement vers les terres agricoles) à cause des miasmes
qui en émanaient, les usines d'incinération sont largement
tolérées car elles sont moins odorantes et jouissent du «
mythe du feu purificateur ». Elles sont considérées comme
étant une solution efficace et saine de traitement direct des ordures
par la ville.
D'autre part, les espoirs de la valorisation
énergétique font de cette technique une solution d'avenir :
« L'exemple le plus frappant en est donné par la ville de Liverpool
où 53 % des ordures
66 GIRARD L.-N., « L'enlèvement des ordures
ménagères de l'agglomération parisienne », in
Où en est l'urbanisme en France et à l'étranger ?,
actes du congrès international d'urbanisme et d'hygiène
municipale de Strasbourg, 1923, Paris, s. d., p. 335. ; cité in
BARLES Sabine, op. cit., p. 183.
67 PLUVINAGE C., Industrie et commerce des engrais et des
anticryptogamiques et insecticides, 1ère éd., Paris : 1912,
p. 450-451 ; cité in BARLES Sabine, op. cit., p. 184.
68 BARLES Sabine, op. cit., p. 183.
69 Ibid., p. 184.
70 Ibid., p. 185.
ménagères, soit 174 090 tonnes en 1907, sont
incinérés, permettant la production de 9,2 millions de
kilowattheure (kWh), utilisés pour alimenter les tramways.
»71. A Paris, à partir de 1907, les usines de traitement
construites quelques années auparavant se transforment en centres
d'incinération et « en 1922, les usines produisent 16 millions de
kWh. 14 % sont consommées par les usines ellesmêmes, le reste va
en priorité au service de l'eau et de l'assainissement pour le
relèvement, les excédents étant distribués par
l'Union d'électricité ou commercialisés directement.
»72. Le processus d'incinération produit aussi des
mâchefers (résidus solides issus de la combustion) qui servent
à la fabrication de mortiers ou de briques.
3.E. Naissance du
tout-à-l'égout
En ce qui concerne les vidanges parisiennes, la distribution
d'eau à domicile, qui se généralise progressivement durant
la période haussmannienne, a compliqué leur exploitation en ayant
pour conséquence de les rendre plus liquides. Parallèlement, le
tout-à-l'égout se démocratise, encouragé par la
dévaluation des vidanges avec l'arrivée d'engrais chimiques et
les problèmes de débouchés que cela entraîne. «
Il est facultatif à Paris à partir de 1885, obligatoire à
partir de 1894 : les propriétaires disposent d'un délai de trois
ans pour procéder au raccordement - mais il faudra attendre les
années 1930 pour que 90 % des immeubles parisiens soient
connectés et disparaissent les vidanges parisiennes.
»73. Où vont ces eaux d'égouts ? Une partie se
dirige vers la campagne pour être épandue dans les champs et
l'autre est rejetée dans la Seine. Avec le développement des
savoirs théoriques en biochimie, « on comprend désormais
mieux les mécanismes biologiques qui interviennent dans la
décomposition des matières organiques »74 et
« à partir des années 1930, l'épuration biologique
artificielle devient la méthode de traitement des eaux usées pour
les ingénieurs de l'assainissement et les hygiénistes.
»75.
3.F. Nouveau contexte, nouvelle
sémantique
Ces nouveaux modes de gestion des excréta urbains,
caractérisés par l'ouverture croissante des cycles des
matières, s'accompagnent de l'émergence d'un nouveau vocabulaire.
Rappelons que le terme déchet existe depuis le XIIIe
siècle et, étymologiquement, provient du verbe déchoir. La
sémantique de ce mot n'est alors pas reliée au sale, aux
immondices, aux miasmes et désigne seulement « ce qui tombe d'une
matière travaillée par la main humaine. C'est ce que nous
nommerions aujourd'hui des chutes »76. A l'époque, le
déchet n'est pas caractérisé par l'abandon
71 Ibid., p. 186.
72 Ibid., p. 187.
73 Ibid., p. 192.
74 Ibid., p. 203.
75 Ibid., p. 205.
76 Ibid., p. 229.
mais plutôt par son état de résidu du
processus de production qui est valorisable. Le sens associé à ce
mot rend bien compte des conceptions de l'époque : le déchet
possède une utilité, il a un rôle, une place et est
défini par son état transitoire. « Loin de nous
l'idée que rien n'est alors inutile, et que l'industrie ne jette pas.
[...] Cependant, les termes déchet, résidu, voire débris,
ne sont pas attachés à cette inutilité.
»77.
Le basculement de cette sémantique vers le « tout
déchet », le « tout résidu est inutile »
s'opère à la fin du XIXe siècle avec la
deuxième révolution industrielle. Le principe qui est au coeur de
la gestion des excréta urbains n'est plus l'optimisation de la
réutilisation des matières déchues en circuit fermé
mais leur destruction : « l'utilisation se fait traitement ; le traitement
se fait destruction, désintégration ou élimination.
»78.
Parallèlement, on voit apparaître une nouvelle
catégorie d'excréta urbains que sont les ordures
ménagères ou déchets ménagers et qui se distinguent
de plus en plus des boues. Ceci peut s'expliquer par « la
généralisation des trottoirs [qui] sépare physiquement ce
qui vient de la chaussée et de la circulation de ce qui émane de
la maison »79 et « la généralisation du
système des boites [...] [qui] permet de distinguer
définitivement et partout ce que les ménages produisent de ce qui
vient de la rue. »80.
3.G. D'une valeur économique positive à
une valeur négative, de l'échange au service
Le service d'enlèvement des ordures
ménagères, qui était jusqu'alors rendu à titre
gracieux par les chiffonniers et autres travailleurs des déchets,
devient payant à Paris à partir de 1923 et se finance grâce
à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères qui
est calculée selon le volume du récipient de chaque
ménage.
Au niveau de la caractérisation économique du
système de gestion des excreta urbains, Sabine Barles identifie trois
principaux cas de figure :
- « l'abandon : dans ce cas le transfert de la
matière d'un émetteur à un récepteur ne
s'accompagne d'aucun flux monétaire entre ces deux groupes d'acteurs ;
la matière est sans valeur ;
- l'échange : dans ce cas le flux de matières
s'accompagne d'un flux monétaire de direction opposée, une valeur
est donc attachée à la matière considérée
;
- le service : dans ce cas le flux de matières
s'accompagne d'un flux monétaire de même direction (payer pour
être débarrassé), une valeur négative est donc
attachée à la matière
77 Ibid., p. 234.
78 Ibid., p. 245.
79 Ibid., p. 238.
80 Ibid., p. 238.
considérée ; »81.
C'est au moment de l'entre-deux-guerres que les grandes
agglomérations françaises passent d'un système de gestion
des excréta urbains basé sur l'échange et l'abandon
à un système privilégiant le service et l'abandon. A
Paris, l'organisation de ce service se concrétise par la création
de la société du Traitement industriel des résidus urbains
en 1922. Cette société obtient le monopole de la gestion des
ordures parisiennes et traite en 1927 les ordures ménagères de la
capitale et de vingt communes du département de la Seine. En 1933, ce
service est départementalisé et consacre la suprématie de
ce mode d'organisation qui tend à devenir la norme sur tout le
territoire français.
81 Ibid., p. 247-248.
Chapitre 4. Société de consommation : de
l'abandon du déchet à sa réinsertion progressive dans
l'économie
Depuis la fin du XIXe siècle, le gaspillage
croissant de matières a toujours fait l'objet d'une condamnation morale
qui, dans la seconde moitié du XXe siècle, va trouver
des fondements théoriques, que ce soit au niveau économique avec
une remise en cause du dogme de la croissance infinie ou au niveau sociologique
avec la révélation des logiques qui sous-tendent la «
société de consommation ».
1. Un abandon quasi-total ? (1945-1975)
Après la Seconde Guerre mondiale, la mise à la
marge du déchet se concrétise sur tout le territoire
français sous deux formes distinctes : une forme maitrisée avec
le développement des services de collectes dans les grandes villes
françaises, et une forme anarchique avec la multiplication des
décharges sauvages. Bien sûr, l'abandon n'est pas vraiment total
puisque des communes se mobilisent pour mettre en place des services de gestion
des déchets malgré l'opposition toujours marquée des
contribuables qui ne veulent pas payer pour cette prestation. Mais pour ces
rares territoires qui ne tombent pas dans la facilité des
décharges sauvages la question des modalités d'élimination
des déchets se substitue à celle du réemploi des
matériaux contenus dans ce gisement. Par conséquent, les
procédés de traitement que sont l'incinération et la
décharge contrôlée deviennent la norme en matière de
destinée de nos ordures. En l'absence d'un tel service, les particuliers
se délestent de leurs ordures dans les cours d'eau, les forêts,
les vieilles carrières, etc. La valeur économique négative
désormais attribuée au déchet, caractérisée
par une logique de service, oblige à repenser dans son ensemble le
système de gestion des ordures ménagères.
1.A. Un gisement qui explose et change de forme :
l'ère du « prêt à jeter »
A l'absence de débouchés pour la
réutilisation des matières déchues s'ajoute la
multiplication des objets de consommation. Avec les Trente Glorieuses, la
société de consommation prend son essor et le gisement des
déchets ménagers mute, tant sur le plan quantitatif (explosion
des volumes) que sur le plan qualitatif (présence croissante
d'emballages plastiques ou cartons, baisse de la part des matières
organiques). « La part de l'ensemble "papier-carton-verre-plastique"
s'accroît fortement depuis un demi-siècle : 24 % en 1932, 61 % en
1984. [...] La moitié environ du papier-carton, 80 à 90 % des
plastiques, et pratiquement la totalité du verre proviennent
d'emballages. Les produits alimentaires s'achètent désormais sous
emballage, l'eau et le vin en bouteilles. Les achats s'effectuent de plus en
plus dans les grandes surfaces, où tous les produits sont
empaquetés. Enfin,
l'extension de l'activité professionnelle des femmes,
l'augmentation du nombre de personnes vivant seules et, de manière
générale, le mode de vie urbain contribuent au succès des
plats préparés. Cet accroissement de la part des emballages est
le phénomène le plus significatif dans l'évolution de la
composition des ordures ménagères. Il consacre l'avènement
d'une société de consommation de masse. »82
L'emballage n'est pas le seul symbole du changement de nature
des déchets : le monstre aussi fait son apparition. Avec la consommation
croissante d'appareils électro-ménagers ou de mobiliers qui, par
ailleurs, ont des durées de vie de plus en plus réduites
(obsolescence programmée83), les encombrants font figure de
nouveaux venus dans la famille de déchets ménagers. Ce
problème est également renforcé par le fait que
l'urbanisation implique une réduction de l'espace de stockage (habitat
vertical)84 et que la réparation du matériel
usagé tend à devenir marginale.
1.B. La généralisation du service public
d'élimination des déchets
Face à cette pléthore d'objets, les
infrastructures de traitement se multiplient, dans un premier temps, de
façon désordonnée (usines d'incinération avec ou
sans valorisation énergétique, décharges
contrôlées ou sauvages) car il y a un vide juridique : il n'existe
aucune orientation à respecter dans la politique de gestion des ordures
ménagères. Comme le souligne le juriste J.-P. Colson : « le
Code civil ignore carrément la notion de déchet, le
législateur ayant sans doute jugé incongrue l'idée que
l'on veuille se débarrasser d'un bien »85. Les
responsabilités des différents acteurs qui sont confrontés
à cette problématique (industriels, collectivités
publiques, citoyens...) ne sont pas définies, ce qui n'incite
guère à la mise en place de politiques volontaristes dans ce
domaine.
Ainsi, il faudra attendre les années 1980,
c'est-à-dire quelques années après la loi de 1975 qui
oblige désormais les communes à mettre en place une collecte et
une élimination correcte des
82 MALLAVAN Anne-Marie, MIMOUN Norbert, ROTMAN Gilles, « La
croissance des déchets ménagers », in Économie et
statistique, Février 1986 : n°185, p. 60.
83 L'obsolescence programmée regroupe l'ensemble des
techniques visant à réduire la durée de vie ou
d'utilisation d'un produit afin d'en augmenter le taux de remplacement et, par
conséquent, la consommation.
84 En effet, le processus d'exode rural a eu un rôle
structurant dans notre rapport social au déchet. Alain Corbin nous
rappelle que le déchet met en exergue la topologie de l'espace
domestique : les ruraux de la fin du XIXe et de la première
moitié du XXe siècle appliquaient aux résidus
un « système complexe de progressive déchéance
fonctionnelle de l'objet ». Et c'est « cette topologie complexe du
déchet qui ordonne l'espace de l'exploitation rurale traditionnelle. Les
annexes de l'habitation - grange, fournil, cellier, laiterie - ne
répondant pas exactement à leur désignation fonctionnelle,
tant ils sont encombrés d'objets qui ont entamé leur parcours
dans la gamme descendante des emplois ».. Aujourd'hui, « le rebut
temporaire ne trouve plus sa place ; progressivement, on le refoule vers les
lieux assignés : le grenier mais aussi l'arrière de la maison qui
désormais se distingue nettement du devant ». CORBIN Alain, «
Généalogie des pratiques », in Déchets, l'art
d'accommoder les restes, Centre de création industrielle, Centre
Georges Pompidou, 1984, p. 132-136.
85 COLSON Jean-Philippe, « La responsabilité du fait
des déchets en droit public français », in Revue
international de droit comparé, 1992 : n°1, p. 120.
ordures ménagères, pour que l'ensemble du
territoire français soit correctement desservi au niveau du service de
gestion des déchets ménagers : « En 1975, un
cinquième de la population ne bénéficiait d'aucun
système de collecte, et la moitié environ ne disposait même
pas de système de traitement de ces déchets. Le taux de
population desservie par une collecte des ordures ménagères est
passé à 98 % en 1982. Le traitement de ces ordures a lui aussi
beaucoup évolué : de 51 % en 1975, la part de la population
bénéficiant d'une installation de traitement est passée
à 69 % en 1980, et 87 % en 1983. »86.
Dans ce système en cours de gestation, la
décharge occupe une place centrale : « La mise en décharge
représentait déjà le plus grand nombre d'installations et
la plus grande part de population desservie. Elle s'est encore accrue au cours
des années récentes. C'est en effet la technique la moins
onéreuse. De plus, une partie de l'accroissement récent est due
à la régularisation des décharges non
contrôlées. L'incinération traitait en 1982 les
déchets de 35 % de la population, dans 218 usines. [...] Ce mode de
traitement s'est développé depuis une vingtaine d'années.
L'une des raisons en est l'augmentation du pouvoir calorifique des
déchets ménagers, due en grande partie à la part
croissante des emballages. L'incinération était
réservée auparavant aux grandes agglomérations, mais de
nombreuses municipalités de taille plus réduite construisent
maintenant des usines de traitement selon ce procédé. Le
compostage, enfin, constitue le troisième grand mode de traitement. Il
existait en France 94 installations de compostage en 1982. Ce type de
traitement n'a pas connu un développement aussi important que les
autres, à cause des difficultés de commercialisation du compost
produit. »87.
Le mode de financement du service est désormais
totalement assujetti aux taxes prélevées sur les contribuables et
le budget qui lui est consacré par les communes connait jusqu'à
aujourd'hui une inflation ininterrompue et logique au vu de l'augmentation des
tonnages et du coût inhérent à l'impératif, de plus
en plus affirmé, de maîtrise technique de l'élimination.
Les élus privilégient le recours à la Taxe
d'Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM) - qui est
calculée en fonction de la valeur locative du logement occupé et
intégrée à la taxe foncière - à un
financement sur le budget général de la commune. Ainsi, « de
1972 à 1981, le nombre de communes appliquant la taxe a doublé ;
en 1986, elle concernait 14 500 communes et 42 millions d'habitants
»88.
Les municipalités ont fréquemment recours
à des prestataires privés pour assurer un service de plus en plus
complexe qui brasse toujours davantage d'argent. « La gestion respecte un
partage public/privé à peu près équilibré
pour la collecte, mais l'exploitation par le secteur privé
prédomine
86 MALLAVAN Anne-Marie, MIMOUN Norbert, ROTMAN Gilles, op.
cit., p. 61.
87 Ibid., p. 62.
88 BERTOLINI Gérard, « Les déchets : rebuts ou
ressources ? », in Économie et statistique,
Octobre-Novembre 2008 : n° 258-259, p. 131.
pour le traitement, notamment pour les installations faisant
appel à une plus grande technicité. De plus, le débat sur
la privatisation se double d'un débat sur la concentration
d'entreprises, au profit de quelques grands groupes industriels. »89
1.C. De la nécessité de l'instauration d'un
cadre juridique
En 1969, le gouvernement français lance un programme
d'établissement de schémas départementaux de collecte et
de traitement des ordures ménagères par le gouvernement qui
recense et met en évidence « la multiplicité des solutions
pratiquées et l'inorganisation des mises en décharge
»90. La mise en décharge n'est pas condamnée en
tant que tel, les différents rapports de l'époque
préconisent seulement un meilleur contrôle technique des centres
d'enfouissement. L'objectif est donc de mettre fin aux décharges
sauvages.
Trois ans plus tard, le rapport « Halte à la
croissance ? »91 du Club de Rome introduit une réflexion
économique sur le long terme et pointe les limites de notre
modèle de développement qui exploite unilatéralement une
quantité croissante de ressources naturelles. La crise économique
de 1973 donne du crédit à ces travaux et les
préoccupations environnementales peuvent désormais s'appuyer sur
une certaine assise théorique. En termes de gestion des déchets,
ce point de vue novateur promeut une réutilisation raisonnée des
matières dans laquelle nous pouvons repérer les prémices
du principe des « 3R » : Réduire, Réutiliser,
Recycler.
Durant la même période, les médias
s'émeuvent, à travers toute une série de reportages, des
décharges sauvages qui défigurent la France et mobilisent des
images apocalyptiques d'envahissement et de catastrophes92. Dans ce
contexte, les déchets ménagers, relativement
délaissés pendant la période d'après-guerre, font
l'objet d'une nouvelle problématisation qui débouche sur
l'instauration d'un cadre législatif (loi de 1975)93.
89 Ibid., p. 131.
90 BARBIER Rémi, Une société au
rendez-vous de ses déchets. L'internalisation des déchets comme
figure de la dynamique du collectif., 1996, Thèse de doctorat en
socio-économie de l'innovation de l'École des Mines de Paris, p.
52.
91 MEADOWS Denis [dir.], Rapport sur les limites de la
croissance, Paris : Fayard, 1972, 317 p.
92 Archives audiovisuelles disponibles sur le site internet de
l'INA :
- Les plastiques : déchets de l'an 2000, Ina.fr,
22/04/1973 - 18min24s
- « Les déchets », La France
défigurée, Ina.fr, 22/11/1971 - 24min45s
- Ordures sous vides, 12/03/1972 - 06min13s
- Vie moderne : les ordures, JT 13H - 21/11/1972 -
10min27s
- « Les ordures de New York », XXème
siècle - 08/09/1970 - 05min11s
93 Comme le rappelle Lionel Panafit, « une
législation doit être approchée comme une action collective
à part entière. Les dispositions pratiques n'ont pas dès
lors à composer l'essentiel ou les points nodaux de l'analyse. Il
convient, bien au contraire, de les prendre comme des occurrences parmi
d'autres et de saisir les logiques de leur constitution comme solution à
l'objectivation sociale d'un problème. ». PANAFIT Lionel, op.
cit., p. 24.
2. Institutionnalisation de la question des
déchets ménagers :
définition d'un jeu d'acteurs et des
procédés de traitement (1975- 1992)
2.A. Une définition juridique du déchet qui
dessine un nouveau jeu d'acteurs
La loi de 1975 est donc la première à donner une
définition juridique du déchet qui est la suivante : « Est
un déchet au sens de la présente loi tout résidu d'un
processus de production, de transformation ou d'utilisation, toute substance ou
matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble
abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon
»94. Selon Lionel Panafit, l'existence juridique du
déchet et déterminée par le fait qu'il ne relève
plus du principe de propriété privée
»95(comme c'était le cas depuis l'édit de
novembre 1539), c'est-à-dire qu'il « abandonne son appartenance
à l'espace privé pour devenir un bien public et collectif
»96.
De façon concomitante, l'article 2 de la loi de 1975
instaure le principe de responsabilité du producteur ou du
détenteur qui a désormais la charge d'assurer l'orientation de
l'objet déchu vers une filière de traitement agréée
et adaptée. Cette définition juridique du déchet permet sa
réintégration dans la sphère économique en lui
affectant un prix négatif, autrement dit un prix de cession lié
à ce devoir de suite ou de responsabilité. En fait, la loi de
1975 sous-tend la création d'un nouveau marché voué
à s'étendre par la généralisation des dispositifs
de collecte et des infrastructures de traitement. Ainsi, il s'agit de conforter
une politique de développement des industries de l'environnement,
notamment celle des déchets qui fait figure de fer de lance et à
laquelle on promet un bel avenir.
Cette nouvelle politique de gestion des déchets
ménagers qui fait la part belle à l'industrie a pour corollaire
d'assigner les ménages français « à une place de
"destinataire" »97 dans la politique de gestion des
déchets ménagers. Le citoyen devient un simple usager qui
consomme un service. Ainsi, « la loi "relative à
l'élimination des déchets et à la
récupération des matériaux" établit moins une
gestion des déchets, qu'elle ne construit un champ de classifications et
de hiérarchisations d'acteurs, en leur attribuant des statuts
particuliers au titre d'une division sociale du travail. »98. A
cet égard, un nouvel acteur public apparaît : l'Agence Nationale
pour la Récupération et l'Élimination des Déchets
(ANRED qui fusionnera avec d'autres agences pour devenir l'ADEME en 1991) qui a
un rôle de conseil et d'accompagnement technique et financier
auprès des collectivités territoriales. Le rôle de l'ANRED
reflète le modèle français de gestion des déchets
qui porte le principe de
94 Journal Officiel, 16 juillet 1976
95 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 23.
96 Ibid.
97 Ibid., p. 29.
98 Ibid..
proximité au coeur de sa politique : il faut appuyer,
soutenir, conseiller les collectivités locales dans leurs initiatives et
non imposer des solutions préconstruites à l'ensemble du
territoire national.
2.B. Une absence de hiérarchisation des
procédés de traitement qui conduit à
une hiérarchisation implicite
Comme l'exprime Rémi Barbier, la définition du
déchet qui est donnée par la loi de 1975 n'incite pas les
communes à développer le recyclage. En effet, « une
conséquence non négligeable de cette définition est
d'inclure dans une même catégorie les objets à
éliminer (par incinération ou mise en décharge) et ceux
qui vont être récupérés pour être
réintégrés dans un processus économique.
»99. Bien que la valorisation matière soit
plébiscitée, aucun levier incitatif n'est enclenché et
aucune hiérarchisation n'est opérée entre les
différents procédés de traitement : la mise en
décharge et l'incinération sans valorisation
énergétique restent des solutions honorables tant aux yeux des
industriels qu'à ceux des pouvoirs publics ; la valorisation
matière et la valorisation énergétique sont toutes deux
des solutions recommandées sans qu'il ne soit accordé de
préférence à l'une sur l'autre. L'enjeu de cette
législation est d'abord de contenir le flux de déchets en
organisant un service public et non de réduire ou réutiliser ce
gisement.
Dans la pratique, ces dispositions vont se traduire par un
goût prononcé pour l'incinération avec
récupération d'énergie, dessinant ainsi une
hiérarchie implicite des modes de traitement. En effet, la technique
incinératrice est relativement simple à mettre en place, assez
peu couteuse et peut produire de l'énergie (chauffage urbain ou
électricité). Cette technique vieille de 75 ans en France, semble
alors trouver un nouveau potentiel avec l'augmentation du pouvoir calorifique
de nos ordures liée à l'accroissement de la part de plastiques et
cartons d'emballages. Elle devient peu à peu la méthode de
traitement privilégiée par les « élus qui y voient
une solution moderne et propre, sinon de prestige »100.
Quant au recyclage, son développement va
s'avérer largement compromis par la série de difficultés
qu'il faut surmonter pour pouvoir le rendre économiquement viable.
Assurément, le marché du recyclage souffre de
l'instabilité du cours des matières premières qui
décourage les investisseurs ou entrepreneurs et entraine certaines
velléités de leur part. De surcroît, l'organisation
à grande échelle du recyclage est très complexe et doit
être intégralement repensée car cette technique « fait
transiter les objets par toute une chaine d'intermédiaires
»101. Or, les décideurs politiques de l'époque
ont du mal à s'imaginer les solutions qui s'offrent à eux pour
restaurer une telle chaine d'intermédiaires. Par exemple, « Si la
difficulté liée au tri des déchets, propre à
tout
99 BARBIER Rémi, op. cit., p. 59.
100 Ibid., p. 62
101 Ibid., p. 64. Rappelons nous la structure pyramidale
que revêtait l'organisation du chiffonnage dans la seconde moitié
du XIXe siècle : chiffonniers, maîtres chiffonniers,
négociants, industriels.
recyclage, apparaît bien aux parlementaires, ceux-ci ne
lient pas ce problème aux ménages pour imposer, par exemple, une
mise en poubelle sélective des déchets. Ils posent cette
difficulté en termes de technologie : invention de machines
opérant un tri systématique dans les usines de traitement des
déchets. »102. Pourtant, des collectes sélectives
sont organisées, à l'époque, par des associations
caritatives mais ce mode opératoire reste marginal car les techniciens
considèrent qu'il ne peut acquérir une viabilité
économique qu'en s'appuyant sur une main d'oeuvre
bénévole103. Une exception est notable pour le cas du
verre : le premier réceptacle pour le verre usagé fut
installé en 1974104 et au milieu des années 1980 les
collectes sélectives de verre s'adressaient à plus des deux tiers
de la population105. Ceci s'explique par le fait que ce
matériau est facile à trier et recycler et sa collecte ne demande
pas forcément un gros investissement financier si l'on installe des
points d'apports volontaires.
Clairement, les solutions d'avenir sont offertes par le
développement technologique et la participation des ménages tend
à devenir inexistante face à une industrie des déchets
florissante. De plus, la promotion par les pouvoirs publics de
l'incinération avec récupération d'énergie
déculpabilise le citoyen dans sa production domestique de déchets
puisque ses ordures acquièrent une utilité par l'énergie
qu'elles contribuent à produire en se consumant.
3. La naissance des politiques de recyclage : un
déficit de légitimité
à combler pour les pouvoirs publics et les
industriels de l'emballage
3.A. Une nouvelle problématisation : les
prémices de la loi de 1992
3.A.a. Nouvelle « crise des déchets » :
perte de légitimé de la convention de 1975
Au croisement des décennies 1980 et 1990, la
problématique des déchets ménagers revient
sur le devant de la scène publique. Cette
résurgence des enjeux écologiques prend son essor sur fond de
révélations de scandales environnementaux largement
médiatisés (trafic de déchets hospitaliers ou de
déchets toxiques106, importation de déchets
étrangers, décharges polluantes). « Au début des
années 1990, on calcule également la contribution des
déchets à l'effet de serre,
102 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 40.
103 RUMPALA Yannick, « Le réajustement du
rôle des populations dans la gestion des déchets ménagers.
Du développement des politiques de collecte sélective à
l'hétérorégulation de la sphère domestique. »,
in Revue française de science politique, 49e année,
n°4-5, 1999, p. 605.
104 DE SILGUY Catherine, op. cit., p. 193.
105 MALLAVAN Anne-Marie, MIMOUN Norbert, ROTMAN Gilles, op.
cit., p. 57.
106 À ce titre, le cas des déchets toxiques
(futs de dioxines) issus du démantèlement de l'usine responsable
de la catastrophe de Seveso (Nord de l'Italie) est assez exemplaire. Ces
déchets, dont a retrouvé la trace quelques années plus
tard sur le territoire français, devaient initialement être
traités à Bâle.
contribution qui s'exerce notamment par les émissions du
méthane formé dans les décharges. »107
Un autre motif de d'inquiétude est l'augmentation
continue des tonnages collectés alors que l'offre de services
d'élimination se contracte. En effet, d'une part, des nouvelles normes
environnementales plus contraignantes et instituées au niveau
européen rendent obsolètes certaines installations de traitement
des déchets. De l'autre, les populations et les élus locaux
montrent de plus en plus de réticences à accueillir des nouvelles
installations de ce type, notamment des décharges
contrôlées, sur leur territoire. Cette réaction hostile des
populations locales a été conceptualisée sous le nom de
phénomène NIMBY (« Not In My Back Yard ») qui,
littéralement, signifie « Pas dans mon arrière-cour »
et qui traduit l'attribution d'un profil psychologique schizophrénique
à la population de la part des élus, des techniciens et des
industriels : alors que le citoyen accepte tous les effets positifs de notre
modèle de développement, il refuse d'en assumer certaines
conséquences négatives.
3.A.b. Un désaveu qui implique la recherche de
nouveaux moyens d'action
« Le service public d'élimination des
déchets, placé sous la responsabilité des
collectivités locales, est ainsi apparu menacé dans sa
viabilité technique, organisationnelle et politique, au terme d'une
longue période où l'on a privilégié les solutions
qui minimisaient le coût financier de gestion du système : en
1990, 52 % des déchets ménagers étaient
éliminés en décharge et 10 % dans des usines
d'incinération sans récupération d'énergie.
»108. Ces mauvais résultats en termes de valorisation du
gisement d'ordures ménagères menacent de remettre en question la
légitimité de la politique française de gestion des
déchets ménagers, d'autant plus qu'une directive
européenne109 prévoit de fixer des objectifs exigeant
dans ce domaine. Cette perte de légitimité de la convention de
1975 relance le débat sur la valorisation matière (recyclage,
compostage), le nouvel enjeu étant de parvenir à
réintégrer un maximum de matière dans le cycle de
production pour réduire les flux à éliminer face au
problème des décharges qui débordent.
3.A.c. Opposer une alternative au modèle allemand
pour préserver l'industrie
Ce nouvel enjeu a été saisi très
tôt par les industriels, notamment ceux de l'emballage qui sont
régulièrement incriminés pour l'augmentation du volume de
nos poubelles. Face à un modèle allemand en plein
développement et jugé trop contraignant - car imposant une prise
en charge directe des emballages par le producteur via un système de
consignes -, les industriels français font front et cherchent à
développer un mode d'organisation alternatif. L'investissement des
industriels
107 BARBIER Rémi, op. cit., p. 89.
108 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, « La nouvelle
politique de gestion des déchets d'emballages. Quand concertation et
décentralisation ne riment pas avec incitation. », in B.
BARRAQUÉ et J. THEYS (dir.), Les politiques d'environnement.
Évaluation de la première génération :
1971-1995., Paris, 1998 : Éd. Recherches, p.1-2.
109 Directive n°91-158 du 18 mars 1991.
dans le développement des collectes sélectives
peut être considéré comme une tentative de reconquête
d'une légitimité auprès de l'opinion publique tout en
gardant une souveraineté sur le choix des emballages pour ne pas perdre
la valeur ajoutée que procure le packaging (ce que le système de
consignes risque de remettre en cause). Paradoxalement, alors que l'emballage
est très vite abandonné au fond de la poubelle, il est le fruit
d'un investissement grandiloquent du marketing car il est un des premiers
facteurs qui oriente la décision d'achat du consommateur.
« C'est ainsi que naquirent plusieurs associations -
Progrès et Environnement, dirigée par le PDG de BSN, Antoine
Riboud ; le Groupement pour le Récupération et la
Régénération des Emballages Plastiques Perdus - qui
soutinrent ou lancèrent un certain nombre de collectes
sélectives. A la fin des années 1980, leur bilan est plus que
mitigé. Les expériences pilotes de collecte sélective
menées à grande échelle au Havre, à la Rochelle et
à Lyon connurent de nombreuses vicissitudes et des problèmes de
débouchés pour les matériaux
récupérés. [...] Les options qui s'affrontent , notamment
au travers du débat consigne versus recyclage, sont bien des «
projets socio-techniques », au sens donné à cette expression
par Michel Callon : ils définissent simultanément les objets ou
les économies à construire et les environnements
économiques, réglementaires et sociaux qu'il est
nécessaire d'aménager afin que ces objets ou ces économies
deviennent efficaces, rentables, performants... »110. Antoine
Riboud, qui souhaite contrecarrer le système allemand, préconise,
dans son rapport éponyme de 1991, « non la prise en charge par les
entrepreneurs du recyclage des déchets, mais le paiement d'une taxe en
fonction des déchets qu'ils produisent auprès d'un organisme
agréé. Ce dernier aurait la charge d'utiliser les fonds ainsi
constitués à des fins de valorisation des déchets.
»111.
3.A.d. Un consensus de tous les acteurs autour du
recyclage
Ces initiatives des industriels sont, dans l'ensemble,
très bien accueillies par les pouvoirs publics, les entreprises, les
associations environnementales ou de consommateurs qui y voient un signe
manifeste de la volonté des producteurs d'emballages à prendre en
main la fin de vie de leurs produits. Yannick Rumpala a étudié
les différentes justifications discursives avancées par les
acteurs et relève que les arguments en faveur du tri s'avèrent
à la fois environnementaux (préservation de l'environnement),
économiques (utilisation parcimonieuse des ressources), techniques
(l'amélioration du recyclage passe par un tri à la source),
financiers (maîtriser les dépenses en valorisant la
matière) et moraux (condamnation du gaspillage, responsabilisation du
citoyen)112.
Cet engouement collectif pour le nouveau système de
gestion des déchets ménagers qui est
110 BARBIER Rémi, op. cit., p. 67.
111 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 32.
112 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 610.
en train de se dessiner semble aussi être partagé
par les ménages selon les sondages de l'époque113. Cet
acteur, qui avait été évincé de la politique de
gestion des déchets ménagers avec la loi de 1975, occupe une
place centrale dans le nouveau dispositif qui émerge de la loi de 1992
.
3.B. La loi de 1992
3.B.a. Le dispositif Eco-Emballages
Le « décret d'avril 1992 oblige les industriels de
l'emballage à assurer ou à faire assurer la gestion des
déchets issus de la fin de vie de leurs produits. Une
société privée, Eco-Emballages a été
constituée par les professionnels concernés pour organiser la
prise en charge de cette obligation légale de reprise. L'objectif qui
lui incombe est de parvenir à valoriser au moins 75 %, en masse, des
déchets d'emballages ménagers à l'horizon de 2002.
»114.
Pour atteindre ces objectifs il a fallu trouver un cadre
technique permettant de surmonter les problèmes rencontrés dans
les différentes expériences de collecte sélective
menées avant 1992 (manque de financements pour soutenir les communes,
manque de débouchés pour le produit de la collecte avec la
fluctuation du prix des matières premières) tout en
préservant les industriels de contraintes susceptibles de
déstabiliser leur stratégie économique. C'est la solution
d'Antoine Riboud qui est finalement retenue avec la création
d'Eco-Emballages : « Les industriels qui adhèrent à cette
firme payent une contribution sur chaque emballage mis sur le marché et
reçoivent en échange le droit d'y apposer un "point vert". Le
produit de cette contribution est utilisé pour soutenir
financièrement les opérations de collecte sélective et de
tri menées par les collectivités locales. [...] Pour inciter les
collectivités locales à développer la valorisation, et
plus particulièrement la collecte sélective avec tri,
Eco-Emballages leur propose des contrats (d'une durée de six ans) dans
lesquels elle leur assure une recette minimale par tonne de matériau
valorisé. »115.
3.B.b. Des contributions différenciées
selon les solutions de traitement : une
hiérarchisation explicite
Ce modèle français sera rapidement
critiqué pour son manque de leviers incitatifs permettant de favoriser
le développement du recyclage par rapport à la valorisation
énergétique mais EcoEmballages modifiera sa politique en 1996 en
augmentant les contributions versées aux collectivités locales
pour la collecte et le tri à des fins de recyclage et en
réduisant celles pour l'incinération avec
récupération d'énergie. Ces nouvelles orientations
dessinent une hiérarchie assez explicite des
113 Selon un sondage SOFRES réalisé en janvier 1991
pour l'ANRED, « 71 % des Français étaient favorables aux
collectes sélectives » et « 70 % estiment que les
déchets constituent un problème très important ».
114 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit.,
p.1-2.
115 Ibid., p. 4-5.
modes de traitement : la préférence va à
la valorisation matière (recyclage, compostage), suivie de la
valorisation énergétique (incinération avec
récupération d'énergie), puis de l'incinération
sans récupération d'énergie et, enfin, de la
décharge.
3.B.c. La fin de la mise en décharge :
incinération ou recyclage ?
La loi de 1992 réoriente ainsi toute la politique
nationale de gestion des déchets ménagers et stipule qu'à
compter du 1er juillet 2002 les décharges ne seront
autorisées à accueillir que des déchets ultimes. «
Tous les autres déchets devront faire l'objet d'une valorisation (par
compostage, recyclage, incinération avec récupération
d'énergie, etc.) »116. La règle de limitation de
la mise en décharge aux seuls déchets ultimes reste
néanmoins assez souple pour s'adapter aux configurations locales. En
effet, puisque ce sont les communes qui ont la compétence de la gestion
des ordures ménagères, c'est à elles « qu'il revient
de donner un sens au "déchet ultime", et donc de déterminer la
nature et le degré de valorisation à atteindre avant mise en
décharge. Rapidement cette mesure est interprétée comme la
fin de la mise en décharge à l'échéance 2002, et
contribue à un recours massif à l'incinération, tandis que
la contestation sociale, que l'on croyait ciblée sur la mise en
décharge, se déplace de l'enfouissement vers
l'incinération. »117. Assurément, les politiques
locales de gestion des déchets reposent sur la volonté des
élus qui en ont la charge. Or, cette thématique n'est pas
politiquement porteuse pour ces élus qui ont donc tendance à
recourir aux solutions les plus simples et les moins couteuses pour le
contribuable.
C'est d'ailleurs un aspect supplémentaire qui distingue
le modèle français du modèle allemand : alors qu'en France
l'incinération avec récupération d'énergie est
considérée comme un mode de valorisation équivalent au
recyclage, en Allemagne, cette technique est considérée comme un
mode d'élimination. Ainsi, la collecte sélective française
tend autant à favoriser le recyclage que l'incinération avec
récupération d'énergie : en séparant les
déchets on peut aussi orienter les matières qui ont le plus haut
pouvoir calorifique vers l'incinération.
3.C. Le principe de proximité
3.C.a. Décentralisation des choix techniques et
organisationnels : mutualisation des
expériences et regain de
légitimité
Le dispositif Eco-Emballages s'appuie sur le principe de
proximité qui s'oppose au dirigisme technologique, c'est-à-dire
que les choix techniques et organisationnels sont laissés à
l'appréciation des communes et ne sont pas imposés : il y a
seulement un effet d'incitation avec des aides
116 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit.,
p.2.
117 ROCHER Laurence, « Les contradictions de la gestion
intégrée des déchets urbains : l'incinération entre
valorisation énergétique et refus social », in Flux, 4/2008
: n° 74, p. 23.
financières et techniques. Ce sont donc les communes
qui sont en charge de trouver la formule qui convient à leur territoire
selon les équipements de traitement disponibles.
De cette manière, le recueil d'expérience des
différentes collectivités qui sont précurseurs dans
l'instauration d'une collecte sélective par l'ADEME permet un gain
d'information qu'il s'agit de révéler pour faciliter le
développement de ce système sur tout le territoire national.
L'action d'EcoEmballages et des communes « se déploie dans une
perspective d'apprentissage »118, d'expérimentation.
Le principe de proximité est censé redonner une
acceptabilité sociale aux projets d'implantation d'installations de
traitement des déchets en faisant coïncider le territoire de
production des déchets au territoire d'élimination
(responsabilisation des citoyens vis-à-vis de leurs déchets). Ce
principe « n'est toutefois doté de valeur ni normative ni
juridique. »119.
3.C.b. Un transfert de contraintes de l'industrie vers
les communes
En fait, en déléguant la mission de valorisation
des emballages usagés à la société EcoEmballages,
les industriels transfèrent les difficultés organisationnelles et
techniques vers les communes tout en veillant à ce que leurs
intérêts soient préservés. « La logique de la
formation d'un accord interprofessionnel est d'éviter d'introduire toute
disposition ayant pour effet de :
1. Limiter la taille des débouchés industriels
ou modifier en profondeur les stratégies industrielles poursuivies - ce
qui serait par exemple le cas de contributions élevées ayant pour
effet de réduire les flux d'emballages à la source.
2. Modifier les termes de la concurrence entre les
productions respectives de ces professions, c'est à dire, ici, entre les
différentes filières de matériaux - ce qui serait le cas
de contributions nettement différenciées par matériaux
d'emballage.
3. Perdre la maîtrise des relations contractuelles
nouées avec les municipalités (en terme d'efforts, de risques, de
durée, de choix des partenaires) d'une façon qui puisse les
amener à perdre le contrôle de leur engagement financier.
»120.
Cette tendance de l'industrie à déplacer en
amont les efforts d'adaptation se justifie par la volonté de «
minimiser les contraintes subies et les coûts afférents
»121. En préservant leurs intérêts, les
industriels français de l'emballage bénéficient d'une
liberté d'action plus grande et d'avantages comparatifs non
négligeables sur les marchés de l'environnement qui sont soumis
à la concurrence internationale et qui connaissent un
développement rapide et prometteur.122 Pour simplifier,
118 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit., p.
7.
119 ROCHER Laurence, op. cit., in Flux, 4/2008 : n°
74, p. 25.
120 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit., p.
14-15.
121 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 624.
122 Cette stratégie est même un des piliers du
projet législatif de 1992 : « Sur ce dernier point il convient de
rappeler
l'économie spécule sur les problèmes
environnementaux car ceux-ci sont créateurs d'activité.
3.D. Responsabilisation du citoyen. Les ménages : alliés
ou obstacle ?
3.D.a. Une politique de gestion des déchets
ménagers qui repose de façon croissante sur le
facteur humain avec le développement de la
collecte sélective
Comme nous l'avons vu, l'instauration d'une politique de
recyclage efficace nécessite la structuration d'une chaîne
d'intermédiaires qui sera la suivante : ménage, centre de tri,
industriels. Dans cette chaîne, les centres de tri ont prouvé leur
capacité de fonctionnement en combinant le tri mécanique au tri
manuel et les débouchés industriels pour les matières
premières traitées et collectées sont désormais
garantis par Eco-Emballages. Le seul chainon instable, car difficilement
contrôlable, dans ce maillage en constitution est le ménage. La
loi de 1992 transforme le simple usager en « allié
»123 qui revêt désormais la qualité de
« producteur-trieur inséré dans une filière
industrielle, dont il faut construire et maintenir la performance.
»124. « En fait, l'enchaînement est tel que
l'agencement finit par reposer pour une large part sur le facteur humain, qui
devient dans les raisonnements l'un des principaux pivots conditionnant les
performances des collectes sélectives. »125.
3.D.b. Définir un cadre de production discursive
pour informer les ménages
Cet impératif de participation des ménages,
pierre angulaire de la collecte sélective, donne naissance à tout
un travail institutionnel de responsabilisation du citoyen devant aboutir
à l'incorporation de pratiques quotidiennes adaptées par ce
dernier. Il s'agit de modifier certaines représentations collectives,
notamment le postulat « traditionnel et tacite selon lequel le particulier
n'aurait qu'à déposer ses déchets à la poubelle,
sans avoir à se soucier des difficultés rencontrées
ensuite pour les traiter et les éliminer. »126.
Pour ce faire, il a d'abord été
nécessaire de définir un champ lexical qui soit commun aux
différents acteurs et qui paraisse intelligible aux ménages afin
de parvenir à nommer ce qui, jusqu'ici, était innommable : la
poubelle traditionnelle et unique, dans laquelle se mélangeaient toutes
les matières déchues dans une masse indistincte, doit être
remplacée par plusieurs poubelles, ce qui nécessite la
capacité d'identifier et de qualifier les différentes
matières selon une terminologie pré-définie pour
éviter toute confusion. C'est ce que Rémi Barbier appelle la
« mise en mots du
que, compte tenu de l'importance prévisible des
marchés de l'environnement (25 à 30% de l'ensemble des
marchés pour le prochain millénaire), la France doit dans ce
domaine valoriser au maximum ses atouts qui sont réels ».
Assemblée Nationale, Impressions, 1991-1992, 2745, p. 8.
123 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 613.
124 BARBIER Rémi, « La fabrique de l'usager. Le cas
de la collecte sélective des déchets. », in Flux,
2/2002 : n°48-49, p. 39.
125 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 611.
126 Ibid., p. 613.
gisement » : « La principale difficulté vient
de la rencontre entre un monde ordinaire, où les modes de qualification
utilisés peuvent rester souples et personnalisés, et l'alignement
de type professionnel requis par la collecte sélective.
»127. A cette mise en mots du gisement viennent s'ajouter une
« mise en conformité des pratiques »128 (s'assurer
que les gestes sont bien incorporées) et une « mise en valeur du
geste tri »129 (donner un sens positif, gratifiant à ces
gestes) qui seront promus par un dispositif de communication soutenu
étant donné qu'il s'agit du principal levier actionné pour
obtenir une participation des ménages.
3.D.c. Une caractérisation de l'acteur «
ménage »
La production d'un discours institutionnel s'adressant au
ménage implique une mise en récit qui donne à voir le
jugement porté sur l'acteur ciblé. « De cette mise en
récit découle l'appréciation selon laquelle les
ménages seraient incapables de gérer eux-mêmes leurs
déchets [...]. Cette caractérisation des ménages, de leur
« inquiétude », parcourt l'ensemble des débats
parlementaires »130 traduisant une forme de paternalisme
institutionnel : il faut « protéger » et « éduquer
» les ménages. « A cette psychologisation s'adjoint une
critique de la rationalité des ménages [...]. Ils sont
foncièrement pensés comme des être irrationnels
»131 puisqu'ils acceptent tous les avantages de la
société de consommation et refusent d'en assumer certaines
conséquences en s'opposant à l'installation de nouvelles
unités de traitement des déchets. De même, en ce qui
concerne l'adoption du tri par les ménages, « les
résistances entrevues sont pour une large part reliées à
des représentations erronées et à des blocages
psychologiques »132. Ces points de vue institutionnels donnent
naissance à des politiques d'information axées sur la
rationalisation des représentations et des comportements des
ménages.
3.D.d. Une politique d'information soutenue qui vire
à la persuasion
Pour Yannick Rumpala, l'information tend même «
à glisser vers la persuasion » en mettant « à
contribution toute la panoplie des techniques utilisées dans l'univers
commercial (études de marché, identification de cibles
prioritaires...). »133. Reprenant les travaux de Jürgen
Habermas, il va même jusqu'à parler « d'instrumentalisation
du monde vécu au profit de contraintes systémiques
»134. Pour emporter l'adhésion du citoyen, tout un
répertoire de justification est mobilisé : l'intérêt
général, le civisme, la protection de l'environnement, la lutte
contre les excès de
127 BARBIER Rémi, op. cit., p. 39.
128 Ibid.
129 Ibid.
130 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 36.
131 Ibid., p. 36-37.
132 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 614.
133 Ibid., p. 619-620.
134 Ibid., p. 625.
la société de consommation, etc.
Cet assemblage discursif participe au processus que
Rémi Barbier nomme « la fabrique de l'usager »135
et qui se concrétise par l'émergence de la figure de «
l'éco-citoyen ». Cette redéfinition de l'usager s'ancre dans
un mouvement plus large que l'on peut relier au concept de « consommation
durable » qui « construit un lien entre des enjeux larges et des
actions très quotidiennes. »136. Or, le concept de
« consommation durable » est foncièrement ambivalent, ce qui
le confronte à un dilemme a priori insoluble : il faut «
arriver à discipliner le consommateur sans toucher à la dynamique
de consommation qui est censée nourrir la croissance économique.
»137. D'un côté, on exhorte le citoyen à
laisser libre cours à ses pulsions consommatrices et, de l'autre, on
l'enjoint à devenir « responsable » en contrôlant ses
désirs. Ce dilemme se ressent particulièrement chez certains
ménages : les plus insouciants préfèreront consommer le
service de gestion des déchets et délaisseront totalement le tri,
alors que les plus concernés se mobiliseront pour trier et modifieront
leurs comportements d'achat. D'autres verront la bonne gestion de leurs ordures
comme un moyen de se déculpabiliser vis-à-vis de leurs pulsions
consommatrices.
3.D.e. Des relais de terrain pour lutter contre
l'information en vase clos ?
Comme nous venons de le voir, le principe d'information du
public est au coeur du développement des collectes sélectives car
elle est censée orienter la rationalité de l'éco-citoyen
en devenir. Cette communication s'appuie sur « deux "idées force" :
la répétitivité et la proximité.
»138.
La répétitivité est nécessaire
pour s'assurer que l'information soit bien reçue par le citoyen et faire
en sorte que celle-ci s'intègre à sa rationalité.
Cependant, ce principe comporte des effets pervers : le particulier croule sous
une montagne d'informations et de recommandations, ce qui implique qu'il va
être amené à faire le tri parmi les informations qu'on lui
adresse. Or, Dominique Lhuilier précise à juste titre que «
la méconnaissance n'est pas absence ou défaut de connaissance
qu'une information bien conçue suffirait à combler. Elle
manifeste plutôt une intention active de n'en rien savoir, un refus de
connaissance. »139. D'où ce constat paradoxal : la
plupart du temps, ce sont les citoyens les mieux informés qui sont les
plus attentifs aux informations distillées par les pouvoirs publics.
Nous pouvons ainsi présupposer que la communication institutionnelle
dessine un système d'information en vase clos.
Des limites de ce premier principe découle le second : il
est nécessaire de développer une
135 BARBIER Rémi, op. cit., p. 35-46.
136 RUMPALA Yannick, « La "consommation durable" comme
nouvelle phase d'une gouvernementalisation de la consommation », in
Revue française de science politique, 5/2009 : Vol. 59, p.
976.
137 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 969-970.
138 BARBIER Rémi, op. cit., p. 42.
139 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 90.
information de proximité à travers des
intermédiaires diversifiés qui ont directement accès au
public ciblé. Ce système permet de s'assurer que chacun a bien
reçu les informations tout en sondant les connaissances et les points de
réticence des ménages. Il permet également de donner une
plus grande légitimité aux comportements prescrits par une
mobilisation d'acteurs de terrain variés (associatifs, élus,
techniciens, instituteurs, ambassadeurs du tri, citoyens, etc.), ceci dans une
logique de « dissémination de la relation de service
»140. Cette exigence est renforcée par le fait que la
forme que prend l'organisation de la collecte sélective varie d'une
collectivité à l'autre (consignes de tri qui divergent) :
l'information se doit donc d'être différenciée.
4. La consécration du principe de réduction
à la source : une économie de la décroissance
?
4.A. L'incinération : un procédé
obsolète ?
Dans le cadre de la loi de 1992, la valorisation
énergétique était encore présentée comme un
procédé de traitement tout-à-fait acceptable mais cette
méthode va être décriée dans les années 1990
car on s'aperçoit que les fumées chargées en dioxines sont
très polluantes et ont des effets néfastes sur la santé
humaine et les milieux naturels. Le « mythe du feu purificateur »
s'effondre lorsque l'opinion public réalise que tous les
éléments polluants contenus dans les déchets
incinérés ne disparaissent pas miraculeusement mais se dispersent
dans les fumées ou se retrouvent dans les mâchefers. La directive
européenne 2000/76/CE du 4 décembre 2000 impose de nouvelles
normes aux unités d'incinération, notamment en ce qui concerne la
filtration des fumées. Celles-ci s'avèrent contraignantes et
augmentent considérablement le coût du procédé
incinérateur dans un modèle français qui était
plutôt laxiste quant à la réglementation de ses usines.
Parallèlement, une nouvelle catastrophe environnementale vient
définitivement ternir l'image de l'incinération : l'unité
de Gillysur-Isère, en Savoie, est arrêté en 2001
après des analyses affichant des taux d'émission dépassant
jusqu'à 750 fois la nouvelle norme européenne. Avec une
acceptabilité sociale qui se dégrade vis-à-vis de ce type
d'installations et un coût de fonctionnement qui explose,
l'incinération devient un procédé obsolète.
4.B. La loi Grenelle I 4.B.a. Un déficit de
solutions de traitement et une plus grande rentabilité économique
du
recyclage
Ainsi, en l'espace de dix ans, les deux procédés de
traitement des déchets ménagers jusqu'alors
privilégiés que sont la mise en décharge et
l'incinération, sont consécutivement
140 BARBIER Rémi, op. cit., p. 43.
désavoués. Ce déficit de solutions
techniques provoque un grand chamboulement dans la politique de gestion des
déchets ménagers qui va désormais s'orienter vers une
réduction à la source du gisement des déchets
ménagers et un développement accru du recyclage. Le bon
déchet n'est plus celui qu'on brûle pour produire de
l'énergie, ni celui qu'on recycle, mais plutôt celui qu'on ne
produit pas. A ce déficit de solutions techniques s'ajoute la hausse du
cours des matières premières, notamment le pétrole, depuis
le début des années 2000 qui donne un nouveau souffle à
l'industrie du recyclage, désormais rentable.
4.B.b. De nouveaux objectifs, une nouvelle
hiérarchisation des modes de traitement
Cette nouvelle orientation est concrétisée par
l'article 46 de la loi Grenelle I141, votée le 3 août
2009, qui pose les objectifs suivants :
- Réduire la production d'ordures
ménagères de 7 % et diminuer de 15% les quantités de
déchets destinés à l'enfouissement ou à
l'incinération sur cinq ans.
- Limiter le traitement des installations de stockage et
d'incinération à 60 % des déchets produits sur le
territoire via l'augmentation de la TGAP142 afin de favoriser la
prévention, le recyclage et la valorisation.
- Mettre en place des filières de
récupération et de traitement spécifiques pour les
déchets dangereux des ménages, les pneus et les produits
d'ameublement.
- Autoriser et inciter les collectivités territoriales
compétentes à intégrer, au sein de la REOM
ou de la TEOM et dans un délai de cinq ans, une part
variable incitative devant prendre en
compte la nature et le poids et/ou le volume et/ou le nombre
d'enlèvement des déchets.
La loi Grenelle I prévoit également, sans fixer
d'objectifs concrets, de moduler les contributions financières des
industriels aux éco-organismes en fonction des critères
d'écoconception, d'harmoniser la signalétique et les consignes de
tri sur le territoire national, ainsi que de limiter l'emballage au respect
d'exigences de sécurité des produits, d'hygiène et de
logistique.
De cette législation découle une nouvelle
hiérarchie des modes de traitement qui consacre le principe des 3R :
prévention (réduction), préparation en vue du
réemploi, valorisation matière (recyclage),
valorisation énergétique (incinération avec
récupération d'énergie), élimination (mise en
décharge). Une deuxième hiérarchisation apparaît
même pour le traitement des déchets résiduels qui doivent
être traités prioritairement par incinération ou, à
défaut, mis en décharge. Enfin, une troisième
hiérarchisation concerne le traitement des déchets organiques :
compostage de proximité (domestique ou collectif), méthanisation
et compostage industriel.
141 Source :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020949548
(page consultée le 5 mai 2012)
142 Taxe Générale sur les Activités
Polluantes
Afin de réaliser quelles sont les tendances qui
caractérisent le gisement d'ordures ménagères
français depuis 2000, voici deux graphiques (ci-après), issus du
premier bilan à mi-2009 de la politique des déchets du Grenelle
de l'Environnement, qui dressent l'évolution des flux de déchets
ménagers au niveau de la collecte (graphique 1) et au niveau du
traitement (graphique 2). Le premier graphique montre une légère
baisse de la quantité d'ordures collectées depuis 2007 ainsi
qu'une augmentation légère mais continue des tonnages de la
collecte sélective. Le second, quant à lui, dessine une baisse
notable de la quantité d'ordures ménagères
orientées vers la mise en décharge qui est symétrique
à l'augmentation des tonnages orientées vers le recyclage, alors
qu'on observe une stabilité de la part relative des déchets
incinérés143.
Graphique 1 : Évolution de la production des
ordures ménagères et assimilées.
Source : MINISTERE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT
DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, La politique des déchets
2009-2012. Premier bilan à mi-2011., 2011, p. 5.
Graphique 2 : Évolution des traitements des
déchets ménagers et assimilés.
Source : MINISTERE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT
DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, La politique des déchets
2009-2012. Premier bilan à mi-2011., 2011, p. 9.
143 « En dépit des protestations
véhémentes de ses détracteurs, l'incinération
restera probablement un mode de traitement des déchets,
complémentaire des autres procédés. En effet, même
avec une démarche volontariste de prévention, de recyclage, de
méthanisation et de compostage, il sera difficile de s'en affranchir
totalement pour les fractions résiduelles inévitables, d'autant
plus que l'urbanisation des territoires limite les possibilités de sites
de décharge. ». DE SILGUY Catherine, op. cit., p. 172.
4.B.c. Recherche de nouveaux leviers pour la
participation des ménages
Les orientations fortes données à la politique
nationale de gestion des déchets ménagers avec le Grenelle de
l'Environnement doivent entrainer une modification profonde des flux de
déchets. Or, le comportement des ménages reste le facteur
déterminant sans lequel une modification de ces flux n'est pas
envisageable. Il s'agit donc de trouver de nouvelles stratégies pour
accroitre la participation de la population à une collecte
sélective qui devient de plus en plus complexe (matières
recyclables, matières organiques, encombrants, déchets diffus
spécifiques). Pour cela, il est prévu d'accentuer la politique
d'information du public dans le prolongement des actions menées depuis
la mise en place des premières collectes sélectives et de
favoriser la mise en place de tarifications incitatives au niveau des
ménages. L'activation du levier économique pour inciter les
ménages à mieux trier participe à la rationalisation des
comportements des ménages : l'information distillée par les
collectivités publiques et autres acteurs locaux montrant ses limites,
il faut trouver un nouvel angle d'attaque, celui de la rationalité
économique qui semble plus persuasif.
Avant de nous intéresser au système de la
redevance incitative qui s'inscrit dans cette démarche d'activation de
la rationalité économique, nous devons rendre compte de notre
méthodologie d'investigation afin de mieux saisir la démarche qui
nous a animée lors de notre enquête de terrain. Nous verrons
ensuite comment s'est structuré et développé le
modèle bisontin de gestion des déchets ménagers
jusqu'à l'instauration d'une redevance incitative au volume du bac
(1999), puis avec pesée embarquée (2012). Enfin, nous nous
pencherons sur la question du compostage collectif à Besançon
à partir des matériaux que nous avons recueillis sur le
terrain.
Partie 2. Contextualisation du sujet et du
terrain
d'étude.
Chapitre 1. Méthodologie d'enquête. 1.
Genèse d'une problématique
Comme le soulignent Stéphane Beaud et Florence Weber,
« les « données » d'enquête ne sont pas analysables
en dehors de leur contexte de production »1. C'est pourquoi
nous tenterons dans un premier temps de saisir, de façon chronologique,
la démarche intellectuelle qui a sous-tendu les orientations successives
de notre sujet de mémoire. Ce choix est d'autant plus justifié
que nous avons suivi un cheminement d'enquête inductif qui ne peut
être mis à jour dans ses grandes étapes qu'a posteriori.
Bien qu'un certain cadre réflexif ait joué le rôle de fil
conducteur, le recueil des matériaux de terrain s'est fait selon les
opportunités qui se sont présentées à nous.
Enquêter c'est « saisir des occasions », « saisir des
chances »2, sans pour autant que cela s'opère de
façon anarchique. Ce mode opératoire se justifie surtout par le
fait que nous avons eu la « chance » de trouver un terrain
d'enquête ouvert, chaleureux et sensible à l'approche
sociologique, sur lequel nous n'avons rencontré aucun obstacle et avons
pu facilement échanger avec les enquêtés en
vis-à-vis.
1.A. Naissance d'un intérêt pour la
problématique des déchets ménagers
Notre intérêt pour la question des
représentations et pratiques liées à la gestion des
déchets ménagers a été suscité par une offre
de recherche sur ce thème, émise par une collectivité
territoriale au département de sociologie de la faculté de Dijon.
Nous avons accueilli cette démarche avec grand enthousiasme car nous
estimions que ce rapprochement entre sociologues et acteurs institutionnels
autour de cette problématique était très judicieux.
L'offre de la collectivité territoriale consistait à dresser un
état des lieux des pratiques en matière de prévention des
déchets ménagers via la passation et le traitement d'un
questionnaire répertoriant les différentes pratiques qui
contribuent à aller dans ce sens.
Or, cette approche quantitativiste nous semblait, certes
nécessaire, mais incomplète si elle ne se doublait pas d'un volet
qualitatif qui puisse mettre en relief les motivations de la population
étudiée dans l'adoption de comportements plus vertueux en
matière de tri des déchets ménagers. « En tant que
démarches interlocutoires différentes, questionnaire et entretien
produisent des
1 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de
l'enquête de terrain, Paris : La Découverte, avril 2010, p.
17.
2 Ibid., p. 107.
données différentes : l'opinion (ou l'attitude)
produite par questionnaire est issue de la réaction à « un
objet qui est donné du dehors, achevé » (la question), alors
que l'entretien fait produire un discours. »3.
Les collectivités en charge de la gestion des
déchets ménagers s'inscrivent logiquement dans une
démarche opératoire visant à légitimer les actions
menées4. Ainsi, les discours et les pratiques des
ménages ne sont que trop rarement étudiés de façon
approfondie, alors qu'une telle perspective d'enquête pourrait permettre
de révéler les leviers - ou les barrières - qui
amènent certains individus à s'investir - ou à se
démobiliser - dans la gestion quotidienne de leurs déchets.
Du fait de l'inadéquation entre les attentes de la
collectivité territoriale qui avait émis l'appel d'offre et notre
démarche d'enquête, ce projet de recherche a fini par avorter. Cet
« échec », loin de nous décourager, nous a plutôt
incité à creuser cette problématique de façon plus
autodidacte et à nous documenter sur la question.
1.B. Apports bibliographiques
Nos premières lectures ont été
guidées par une première question de départ : Comment la
gestion des déchets ménagers s'ancre dans des gestes et des
représentations socialement incorporées ?
D'une part, ces apports bibliographiques nous ont permis de
conforter certaines de nos intuitions et nous ont apporté une culture
générale sur ce sujet. En effet, tant au niveau collectif qu'au
niveau individuel, le déchet est un marqueur identitaire qui s'ancre
profondément dans une dimension culturelle : « Dis-moi ce que tu
jettes, je te dirai qui tu es ! »5. Ainsi, les comportements en
matière de gestion domestique des déchets, s'apparentent à
des réflexes, des habitudes, des actes
pré-réfléchis qui s'ancrent dans une certaine hexis
corporelle6. Les problèmes rencontrés aujourd'hui
au niveau de la problématique des déchets ménagers sont
autant, voire davantage, d'ordre culturel que d'ordre technique : alors qu'au
niveau technique nous sommes capables de valoriser 80 % du gisement de nos
ordures ménagères7, nous n'en recyclions que 31
%8 en France en 2007. Ceci signifie donc que les enjeux
récents autour de cette problématique se posent d'abord en termes
d'adoption de nouveaux comportements sociaux et concernent ensuite le domaine
des innovations
3 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, L'enquête et ses
méthodes : l'entretien, Paris : Armand Colin, 2012, p. 36.
4 Pour s'en convaincre, notons que la quasi-totalité
des investigations en sciences sociales que l'ADEME a financé portent
sur l'acceptabilité sociale des installations de traitement des
déchets. Panorama de 10 années de recherches sur la
concertation en France, ADEME, Angers, 2011, 45 p.
5 BAUDRILLARD Jean, op. cit., p. 48.
6 BOURDIEU Pierre, Le sens pratique, Paris : Les
Éditions de Minuit, 1980, p. 117.
7 L'exemple de la communauté de communes de la Porte
d'Alsace le prouve. DIETMANN Dany, Déchets ménagers. Le
jardin des impostures, Paris : L'Harmattan, juin 2005, 160 p.
8 Si nous excluons l'incinération avec
récupération d'énergie qui, même si elle produit de
la chaleur ou de l'électricité, entraîne une destruction de
matière première et s'oppose, de ce fait, au recyclage et au
compostage. CHALMIN Philippe, GAILLOCHET Catherine, op. cit., p.
127.
techniques.
D'autre part, l'historique de la gestion des déchets
ménagers nous a prouvé qu'il s'agit d'un problème qui
s'est développé en concomitance avec les avancées
technologiques et industrielles avant d'être définitivement mis en
exergue par l'avènement de la société de consommation.
Depuis l'abandon de l'objet déchet par nos sociétés
occidentales, la technique s'est faite à la fois mal et remède :
alors que son développement crée davantage de résidus
toujours plus difficiles à traiter (comme les déchets
électroniques), elle est aussi censée pouvoir prendre en charge
ces résidus. Or, comme nous l'avons vu, elle s'est contentée de
contenir l'invasion des déchets depuis le milieu du XXe
siècle sans jamais trouver des solutions qui puissent être la
panacée en permettant une réutilisation quasi-constante des
matières déchues. A ce titre, la redevance incitative, qui
constitue une piste de solution sollicitée par de nombreux techniciens
et qui a déjà fait ses preuves en milieu rural, mérite de
faire l'objet d'une analyse sociologique afin de comprendre quels effets ce
nouveau système de tarification de la gestion des déchets peut
avoir sur le comportement des ménages.
1.C. Choix du terrain d'étude
Ces grandes orientations fixées pour mon
mémoire, il ne nous restait plus qu'à trouver un terrain
d'enquête sur lequel nous pouvions éprouver nos questionnements.
Apprenant, que la Communauté d'Agglomération du Grand
Besançon (CAGB) allait mettre en place la redevance incitative avec
pesée embarquée sur son territoire à partir du
1er janvier 2012 (opération pilote au niveau national), nous
avons bondi sur l'occasion d'étudier cette expérience novatrice
en milieu urbain, d'autant que nous disposions de nombreuses entrées sur
ce terrain : un proche était en service civique au sein l'association
TRI qui gère une ressourcerie à Quingey (20 km au Sud-Ouest de
Besançon), nous disposions des contacts de l'association Trivial Compost
(Besançon) et nous connaissions personnellement le directeur de la
communication de la CAGB.
2. Enquête de terrain
2.A. Première prise de contact avec le terrain :
la ressourcerie de Quingey
Notre introduction sur le terrain s'est faite au sein de la
ressourcerie de l'association TRI par l'intermédiaire d'un proche qui
réalisait ses dernières semaines de volontariat dans cette
structure. La ressourcerie de Quingey9 a différentes missions
:
9 Cette structure associative a vu le jour sur la base d'un
triple constat : d'une part, il existait de nombreuses décharges
sauvages sur le canton de Quingey ; d'autre part, ces objets abandonnés
en pleine nature étaient souvent réutilisables ; enfin, le
chômage rural sur ce territoire était particulièrement
prégnant. Dans la lignée d'associations caritatives, telles
qu'EMMAUS, l'association TRI associe depuis ses débuts un travail de
réutilisation de la matière à la réinsertion
sociale.
- collecter les encombrants (mobilier,
électroménager), recyclables (papiers, cartons, métaux) et
les réemployables (textiles, appareils électroniques, livres,
etc.) en porte à porte chez l'habitant ou par le biais des locaux
ressourceries dans les déchetteries du SYBERT10 ;
- valoriser les objets pouvant connaître une seconde vie
et orienter les autres vers des filières de recyclage dans la mesure du
possible ;
- revendre les objets réutilisables au magasin
ressourcerie et les recyclables à des sociétés de
récupération ;
- éduquer et sensibiliser à l'environnement
à travers diverses actions (Club Nature pour les jeunes, animations en
milieu scolaire, sensibilisation en déchetteries via les ressourciers,
organisation d'évènements).
Elle regroupe 70 bénévoles et emploie environ 80
salariés que l'on peut regrouper selon deux profils : d'un
côté, des travailleurs en contrat d'insertion et, de l'autre, des
travailleurs qualifiés qui associent une dimension d'engagement à
leur salariat.
Au programme de ces deux jours d'immersion au sein de
l'association TRI : visite des locaux, rencontre des salariés, prise
d'informations sur le fonctionnement de la structure, collecte et lecture de
littérature grise, observation participante sur le chantier d'insertion
(déchargement du camion en provenance du local ressourcerie de la
déchetterie de Thise, chargement de textiles dans un camion, tests
électroniques d'appareils ménagers pour savoir s'ils
fonctionnent), observation participante à la déchetterie de Thise
en compagnie d'un ressourcier.
Ces deux journées nous ont permis de recueillir des
matériaux ethnographiques très disparates qui ne correspondaient
pas forcément à notre question de départ. En effet, nous
avions devant nous des montagnes d'objets délaissés sans disposer
d'un accès direct aux discours, représentations et pratiques des
ménages. Nous débutions notre terrain sans vraiment savoir ce que
nous cherchions, ce qui nous mettait quelque peu mal à l'aise
auprès des membres de TRI : nous avions le sentiment d'occuper une place
de « touriste », d'« intrus ». La médiation d'un
proche tout au long de ces deux jours facilitait le contact et, en même
temps, freinait un investissement direct et total de notre part dans le
collectif.
Seul l'après-midi en déchetterie nous a permis
d'observer les comportements des personnes qui viennent se débarrasser
de certains objets et en donner au local ressourcerie. En aidant le ressourcier
à trier les objets qu'on lui amenait et en discutant avec lui, nous
avons pu prendre conscience de la relativité de la notion de
déchet : les particuliers sauvent certains de leurs anciens objets de la
déchéance en voulant leur donner une seconde vie mais ils
s'appuient chacun sur des conceptions et des critères différents
pour justifier leur réinsertion dans le cycle économique.
10 Syndicat mixte de Besançon Et de sa Région pour
le Traitement des déchets.
Assurément, les comportements des individus variaient
d'un extrême à l'autre selon le type d'objet légué
(avec ou sans réelle valeur économique et sentimentale), son
état (comme neuf ou fortement dégradé), l'attente de
rétributions symboliques inhérentes à ce don (geste
intéressé ou désintéressé), la connaissance
et le soutien du projet associatif de l'association TRI.
Cette première expérience nous a aussi permis de
matérialiser l'ampleur du gaspillage dans nos sociétés de
consommation : tous les objets apportés par les particuliers ne sont pas
valorisables pour diverses raisons. La première est que, en
considération de l'ampleur du gisement d'objets donnés qui sont
en bon état et qui, par conséquent, peuvent être
directement réintégrés dans le circuit économique
par le biais du magasin ressourcerie, la réparation des objets qui sont
abimés ou cassés est une perte de temps et d'argent. La
deuxième est que certains objets manquent de débouchés
(beaucoup d'achat dans le circuit neuf et très peu dans le circuit
d'occasion) ou sont obsolètes.
2.B. Échanges avec des élus et des
techniciens : affinage de la problématique
A la suite de ces deux jours d'immersion nous avons pu
participer à la conférence de presse de la CAGB pour la mise en
place de la redevance incitative grâce à l'appui du directeur de
la communication de cette collectivité. L'objet de notre présence
à cet événement était moins la captation du
discours des élus et techniciens présents (nous avions
déjà commencé à le recueillir à travers la
littérature grise que produisent ces institutions) que l'insertion parmi
un réseau d'acteurs en charge des questions qui nous intéressent
ainsi que le signalement de notre présence sur ce terrain. Nous avons
ainsi pu prendre contact avec le directeur du service « gestion des
déchets » de la CAGB qui nous a recommandé de rencontrer le
chargé de mission « prévention des déchets »
puisque ce dernier s'occupe des politiques de tri et supervise, en partie, les
actions de compostage (cette dernière compétence étant
déléguée au service « valorisation organique »
du SYBERT).
Nous avons été agréablement surpris par
l'attention et la considération qu'ils ont bien voulu accorder à
notre projet de recherche. Avec un peu de recul, ceci s'explique par le fait
que, étant donné que la CAGB est l'agglomération pilote
pour la mise en place de la redevance incitative en milieu urbain, les
techniciens travaillent par tâtonnements pour trouver des solutions aux
problèmes qu'ils rencontrent. Ainsi, les certitudes sur les orientations
à donner pour que ce système fonctionne ne peuvent relever que du
court terme, ce qui nécessite une redéfinition constante des
moyens d'action. Afin de trouver les solutions techniques les plus
adaptées, la CAGB « fait feu de tout bois » et tente de varier
les expertises et les points de vue. A cela s'ajoute surement aussi l'habitude
d'accueillir des stagiaires au sein de leur structure territoriale.
Cette conférence de presse nous a amené à
réaliser davantage l'ampleur et la complexité de
la thématique des déchets ménagers. Une
multitude de facteurs entrent en compte lorsque l'on souhaite étudier
les comportements d'une population à l'échelle d'une telle
agglomération : socialisation rurale/urbaine, mode d'habitat
(pavillonnaire/collectif), type de consommation, sensibilité
environnementale, etc. Il était donc nécessaire de restreindre la
population enquêtée au niveau des caractéristiques pouvant
amener à des gestions différenciées des déchets
ménagers afin de tenter de dégager des représentations et
des pratiques communes au sein d'un groupe plus étroitement
défini ayant adopté des comportements vertueux.
Nous avons alors choisi de nous focaliser sur la population
des guides composteurs qui a émergée très récemment
et qui fait figure de précurseur en matière d'engagement citoyen
dans la prévention des déchets ménagers. Pour saisir les
représentations de ce groupe, nous devions entrer directement en contact
avec certains de ses membres par le biais d'une structure associative de
terrain (Trivial Compost) afin de sortir d'un discours trop
institutionnalisé et, ainsi, adopter une approche relevant de la
démarche ethnographique qui, « grâce à l'immersion de
l'enquêteur dans le milieu enquêté, restitue les visions
d'en bas plus variées qu'on ne le croit ; elle permet le croisement de
divers points de vue sur l'objet, éclaire la complexité des
pratiques, en révèle l'épaisseur. »11.
Cette redéfinition de la population enquêtée a
entrainé une reformulation de la problématique dorénavant
plus affinée et circonscrite : Quel est le rapport aux déchets
des guides composteurs ?
2.C. Observation participante, familiarisation avec le
milieu enquêté
Nous avons contacté Florian, salarié de
l'association Trivial Compost, grâce à un réseau de
connaissances partagées et nous nous sommes renseignés sur cette
structure par internet. Un rendezvous a été pris au local de
l'association pour discuter avec ce dernier, ainsi qu'avec les deux autres
salariés (Jean et Zoé), du projet et des actions qu'ils
mènent.
Notre expérience associative en tant que
bénévole, puis volontaire (service civique) nous a permis de
rapidement saisir les enjeux inhérents à leur projet associatif
et de nous faire accepter comme des pairs. De même, la
quasi-totalité des membres fondateurs de l'association étaient
des amis de promotion en licence de sociologie à Besançon et,
parmi les trois salariés de l'association, deux ont un cursus de
sociologie de niveau Master 2 (Jean et Zoé), ce qui nous a directement
placé dans une position d'homologues qui s'attaquent aux mêmes
épreuves qu'ils ont eu à franchir. Enfin, nous avons
été enthousiasmés par les valeurs que véhicule
l'association et nous nous sommes beaucoup reconnus à travers ses
membres. Cet investissement affectif qui engageait nos convictions a
constitué un atout pendant la phase de recueil des matériaux en
développant notre curiosité et en instaurant un climat de
confiance avec le milieu enquêté, essentiel pour dépasser
l'asymétrie que
11 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p.
7.
peut engendrer la relation d'enquêteur à
enquêté12. Cependant, concernant la phase d'analyse, il
nous a fallu prendre du recul sur les matériaux glanés afin de ne
plus les considérer sur un mode personnel créateur
d'évidences qui empêche de franchir certains paliers analytiques.
Il s'agissait donc de déconstruire les rapports aux déchets des
guides composteurs et des membres de Trivial Compost pour mieux saisir leurs
essences.
Le lendemain de cet après-midi au local, nous avons
passé la journée chez Zoé avec Jean, Florian et d'autres
membres de l'association afin de les aider à préparer le repas
pour la première réunion du réseau des guides composteurs
qui a eu lieu le soir même. Une fois de plus, nous nous retrouvions dans
un climat familier (appartement étudiant, préparation collective
d'un événement associatif) propice à la collecte de
matériaux. Ainsi, notre investissement aux côtés de
l'association nous a permis de trouver notre place au sein du milieu
enquêté et ainsi de pouvoir discuter librement de l'association et
du projet de réseau des guides composteurs. En fin d'après-midi,
nous sommes tous partis installer la salle de réunion gracieusement mise
à disposition par le Foyer des Jeunes Travailleurs des Oiseaux.
Les premiers guides composteurs sont arrivés dans une
ambiance un peu crispée mais, au bout de quelques minutes, les langues
se sont déliées et le compostage, sujet fédérateur,
alimentait toutes les discussions. J'assistais à une situation
inédite : pour la quasi-totalité des guides composteurs
c'était la première fois qu'ils avaient l'occasion
d'échanger sur la pratique du compostage avec leurs homologues et les
bénévoles de l'association. D'habitude, ils n'ont comme
interlocuteur quasi-exclusif que les salariés de Trivial Compost et les
intervenants du SYBERT en charge de la valorisation organique qui sont
quotidiennement sur le terrain. Après un bref tour de table pour que
chacun puisse se présenter et expliquer en quelle qualité il
participait à la réunion, Florian a présenté
l'association à l'aide d'un powerpoint. Cette étape paraissait
largement justifiée car, pour certains guides composteurs, Trivial
Compost a un statut flou qui oscille entre les attributs d'un prestataire des
collectivités publiques, d'une association à dimension militante
et d'une entreprise employant des salariés. Nous avons également
profité de cette réunion pour demander à trois des quatre
guides composteurs enquêtés de m'accorder postérieurement
un entretien.
Quelques jours plus tard, nous avons eu rendez-vous avec le
chargé de mission « prévention des déchets »
pour comprendre quelles dimensions de notre travail pourraient
intéresser les techniciens de la CAGB dans les difficultés qu'ils
rencontrent déjà ou qu'ils risquent de rencontrer avec la mise en
place de la redevance incitative. Clairement, le point noir est l'habitat
collectif qui constitue le mode de résidence majoritaire de la
population de l'agglomération bisontine. Nous
12 Comme l'écrivent Beaud et Weber : « Surtout, pas
de neutralité axiologique au moment de l'observation. Vous vous
condamneriez à ne rien remarquer du tout. ». Ibid., p.
138.
décidons donc de focaliser notre travail sur le
compostage en pied d'immeuble et projetons d'élargir notre champ
d'étude au tri des autres matières dans le cadre d'un travail de
deuxième année de master.
3. Les entretiens : entre usage exploratoire et usage
principal
Notre démarche d'enquête consistant à
saisir les pratiques et les représentations du déchet par le bas,
l'outil d'investigation qu'est l'entretien semi-directif s'est imposé
comme une évidence. Comme le rappellent Blanchet et Gotman, au niveau
historique, la mise en place de la technique de l'entretien en sciences
sociales « constitue une étape charnière dans le mode
d'interrogation, dans la mesure où on passe progressivement de la
recherche des réponses aux questions d'un savoir scientifiquement
constitué, à la recherche des questions élaborées
par les acteurs sociaux euxmêmes. »13.
Ainsi, à travers l'entretien le chercheur s'efforce
d'interroger les représentations, les croyances, les opinions, les
attitudes et les valeurs qui s'ancrent la plupart du temps dans des «
micro-phénomènes sociaux »14 : « C'est un
savoir que les individus d'une société donnée ou d'un
groupe social élaborent au sujet d'un segment de leur existence ou de
toute leur existence. C'est une interprétation qui s'organise en
relation étroite au social et qui devient, pour ceux qui y
adhèrent, la vérité elle-même ; une
vérité en acte. [...] L'activité idéologique, qui
sert toujours à justifier ce qui est, et convertit ce qui est en
devoir-être, consiste ainsi non seulement à ordonner le monde et
à conforter sa structure, mais à le rendre propre à vivre.
[...] L'enquête par entretien est ainsi particulièrement
pertinente lorsque l'on veut analyser le sens que les acteurs donnent à
leurs pratiques, aux évènements dont ils ont pu être les
témoins actifs ; lorsque l'on veut mettre en évidence les
systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir
desquels ils s'orientent et se déterminent. [...] La valeur heuristique
de l'entretien tient donc à ce qu'il saisit la représentation
articulée à son contexte expérienciel et l'inscrit dans un
réseau de signification. »15.
Concernant l'utilisation et la structuration des entretiens,
nous avons adopté une démarche hybride entre usage exploratoire
et usage principal. Étant donné le cadre général de
ce travail où l'investigation empirique est limitée, notre
travail d'enquête, en sus des observations, est constitué de
quatre entretiens semi-directifs. Il s'agissait de commencer à «
débroussailler » le terrain en vue d'un second mémoire de
Master 2, tout en tentant de dégager quelques résultats des
matériaux recueillis.
13 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, op. cit., p. 8.
14 Ibid., p. 27.
15 Ibid., p. 23-25.
3.A. Définition de la population
enquêtée et taille du corpus
Dans cette perspective, nous nous sommes attelés
à réaliser des entretiens approfondis avec les guides composteurs
qui avaient exposés un point de vue « construit » lors de la
réunion du réseau des guides composteurs. Le choix de la
population enquêtée est toujours arbitraire, ce qui ne constitue
pas pour autant un biais puisque « les entretiens approfondis ne visent
pas à produire des données quantifiées et n'ont donc pas
besoin d'être nombreux. Ils n'ont pas vocation d'être
"représentatifs". [...] La logique de l'enquête ethnographique
vous conduit à faire des choix, à nouer des alliances qui vous
rapprocheront de certains et vous couperont d'autres. »16.
En même temps, nous avons également
cherché à varier les caractéristiques sociales de la
populations enquêtée selon plusieurs variables : l'âge
(actifs/retraités), le type d'habitat (logement
social/résidence), la date de lancement du site de compostage
(médiation de l'ancien prestataire/médiation de Trivial Compost).
De plus, une variable plus subjective est également à prendre en
compte dans le choix de la population enquêtée : l'affinité
intellectuelle entretenue avec certains guides composteurs. En effet, certains
interviewés (Christian17, Vincent et Émeline)
partageant les conceptions de Trivial Compost m'avaient été
recommandés par Jean ou Florian et, lors de la réunion du
réseau des guides composteurs, soutenaient un discours confortant la
problématique de mon enquête. Enfin, le critère de
disponibilité a eu une légère influence sur le corpus
sélectionné car nous nous sommes vu refuser un entretien par un
guide composteur faute de disponibilité.
Par crainte de nous enfermer dans un cadre analytique
restreint à cause d'une population enquêtée trop
homogène, nous avons contacté des guides composteurs ayant
démarré leur projet avant que Trivial Compost ne soit le
prestataire du SYBERT et qui n'ont donc jamais travaillé avec cette
association. « La constitution du corpus diversifié subit une
double contrainte et résulte, en règle générale, du
compromis entre la nécessité de contraster au maximum les
individus et les situations et, simultanément, d'obtenir des
unités d'analyse suffisantes pour être significatives. Diversifier
mais non disperser. Et dans cette diversification, maximiser les chances
d'apparition "d'au moins quelques cas capables de perturber notre
système et de nous pousser à remettre en question ce que nous
croyons savoir" (Becker, 2002, p. 31) »18.
16 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p.
156.
17 Bien que les enquêtés nous aient donné
leur accord pour que leur identité apparaisse dans ce travail, nous
avons tout de même décidé d'anonymer leurs noms de famille.
Au vu du rapport de confiance qui s'est instauré avec ces derniers, nous
nous autorisons à les appeler par leurs prénoms.
18 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, op. cit., p. 50-51.
Guide composteur
|
Âge
|
Type d'habitat
|
Date de lancement du site de compostage et
prestataire
|
Interviewé recommandé par
|
Disponibilité
|
Durée de l'entretien
|
Christian
|
68 ans
|
Ensemble de logements HLM comprenant 350 appartements
dont 40 participent.
|
Octobre 2011 (Trivial Compost)
|
Trivial Compost
|
Retraité
|
4h00
|
Vincent et Émeline
|
34 et 32 ans
|
Résidence de 20 logements dont 13 participent.
|
Octobre 2011 (Trivial Compost)
|
Trivial Compost
|
Actifs qui savent prendre le temps
|
2h00
|
Gérard
|
64 ans
|
Résidence de 13 logements dont 6 participent.
|
Novembre 2010 (Philippe Lacroix)
|
SYBERT
|
Retraité
|
1h45
|
Enfin, il nous semblait essentiel de mener un entretien avec
un des fondateurs de Trivial Compost afin de pouvoir mieux contextualiser et
analyser les fondements des pratiques, des représentations et des
valeurs que véhicule l'association, et ainsi rendre plus intelligible
les relations qu'elle entretient avec le SYBERT et les guides composteurs. Nous
avons donc décidé de nous entretenir avec Jean, le fer de lance
de l'association, qui s'est très bien prêté à cet
exercice auquel il est habitué. Capter le point de vue des guides
composteurs est sans intérêt si nous n'essayons pas de le mettre
en rapport avec celui des acteurs de terrain responsables de la mise en place
des projets de compostage en habitat collectif. A ce titre, nous envisagions
également de mener un entretien avec Louise Rouget qui est en charge de
la valorisation organique au SYBERT mais cela n'a pas été
nécessaire car son point de vue était plus officiel, moins
personnel19. Elle a plutôt pris un rôle d'informateur
à travers nos échanges de mails, la documentation de terrain
qu'elle nous a fournie et la rencontre qu'elle a bien voulu nous accorder.
3.B. Passation : structure des entretiens et position des
enquêtés
Concernant la structure des entretiens, nous avons
réalisé un guide thématique comprenant une consigne
initiale, puis nous avons transformé les différents aspects que
nous voulions aborder en questions. Cette formalisation du guide d'entretien
était plus destinée à nous rassurer, à nous donner
une certaine contenance face à nos interviewés. Nous ne l'avons
jamais suivi à la lettre,
19 « Ainsi, lorsqu'on souhaite s'entretenir avec un
responsable administratif, est-il souvent difficile de le convaincre "que ce
que l'on souhaite, c'est recueillir son point de vue, et non le point
de vue officiel de l'administration en charge du problème" que
l'enquêteur a toutes les chances de déjà connaître
(Muller, 1999, p. 70). ». Ibid., p. 49.
l'important étant que tous les thèmes
consignés soient abordés de façon ouverte.
Ainsi, les entretiens ont été plus ou moins
structurés selon le profil des enquêtés : seul l'entretien
avec Gérard a pris une tournure relativement formelle car il attendait
nos consignes et nos questions même si un rapport de confiance propice
à la confidence s'est très vite installé. Avec Vincent,
Emeline et Christian, la majorité des thématiques ont pu
être balayées grâce à de simples relances
(écho, interprétation, questions pour que l'enquêté
précise son point de vue) et parfois des contradictions. Ceci peut
s'expliquer par la proximité sociale et les affinités
intellectuelles qui ont caractérisé nos relations
enquêteur-enquêtés20. Pour finir, nous avons
seulement noté les grandes thématiques que nous voulions aborder
pour l'entretien avec Jean car ce dernier connait déjà tous les
dessous de l'entretien en sociologie. Il n'y avait donc pas besoin de tant de
formalisme pour susciter et capter son discours sur ce thème, d'autant
plus que nous maitrisions davantage le guide d'entretien.
Au niveau de la position interlocutoire des
interviewés, ceux-ci se sont posés en quasi-experts du compostage
et nous ont offerts un discours personnel pré-construit21.
Ces entretiens approfondis constituent en quelques sortes des auto-analyses, ce
qui facilite la tâche de l'enquêteur : « Le cas idéal
(et limite) est celui où l'enquêté, pour différentes
raisons que vous aurez à analyser, met à profit l'entretien avec
vous pour se faire sociologue de lui-même et de son milieu. C'est ce type
d'entretien qui peut donner lieu à publication : l'entretien transcrit
se transforme en récit. »22. C'est aussi ce type
d'entretien qu'il est nécessaire de transcrire intégralement afin
de pouvoir « les interpréter, les analyser, réfléchir
à la « dynamique » de l'entretien, etc.
»23.
Avant d'établir des pistes d'analyse sociologique
concernant le système de compostage collectif bisontin à partir
des matériaux recueillis, nous tenterons de comprendre en quoi la
redevance incitative introduit une modification profonde dans le mode de
financement du SPED et nous détaillerons dans quel cadre particulier
cette modification intervient à Besançon.
20 « Les configurations a priori les plus
favorables à la production de discours sont celles qui se rapprochent le
plus des situations courantes de forte proximité (rapport de
séduction conversation entre amis, demande d'aide à un
conseiller...). [...] De manière générale, la
proximité sociale, et non plus interpersonnelle, rend
l'entretien plus aisé dans la mesure où interviewer et
interviewé se situent dans un univers de références
partagé. ». Ibid., p. 71.
21 « Lorsque le thème est familier à
l'interviewé, celui-ci tend à se poser comme expert et à
diminuer sa dépendance thématique à l'égard de
l'interviewer : les représentations et raisonnements qu'il communique
à l'interviewer font appel à une pensée déjà
élaborée et à une mémorisation active. Le discours
pré-construit est alors peu sensible aux mécanismes de
l'interlocution. ». Ibid., p. 74.
22 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p.
208.
23 Ibid.
Chapitre 2. La redevance incitative 1. Les
différents modes de financement du SPED
Tout d'abord, rappelons que les modes de financement du
Service Public d'Élimination des Déchets (SPED) relèvent
principalement d'une logique fiscale et, plus rarement, d'une logique
commerciale.
1.A. La Taxe d'Enlèvement des Ordures
Ménagères (TEOM) et le financement
par le budget général
D'une part, la TEOM, est un impôt local perçu
avec la taxe foncière dont le montant varie en fonction de la valeur du
logement. Ce mode de financement est largement majoritaire en France : en 2008,
85 % de la population était assujettie à la TEOM pour financer le
SPED. D'autre part, le financement par le budget général s'appuie
sur les quatre taxes directes locales et concernait 5 % de la population en
2008. Cumulés, ces deux modes de financements par voie fiscale
s'appliquaient à 90 % de la population française24.
Or, la logique fiscale est de plus en plus remise en cause, notamment par les
lois 1 et 2 du Grenelle de l'environnement, car elles ne prennent pas en compte
l'utilisation réelle du service.
1.B. La Redevance d'Enlèvement des Ordures
Ménagères (REOM)
A l'inverse, la REOM, qui s'adresse au 10% restants de la
population, consacre le principe de pollueur-payeur et fait passer le SPED
d'une logique fiscale (s'adressant à des contribuables) à une
logique commerciale (s'adressant à des usagers) en cherchant à
calquer le coût du service rendu à chaque ménage sur son
niveau de consommation réel. Parmi les différents systèmes
de REOM, nous pouvons en distinguer deux :
- la redevance dite classique, calculée en fonction du
nombre de personnes dans le foyer, indicateur fixe qui reflète
grossièrement le niveau de consommation réel du foyer, et qui a
une très faible portée incitative ;
- la redevance incitative qui intègre des variables
traduisant le niveau de consommation du SPED pour calculer la facture de chaque
usager et qui est plus ou moins incitative selon le choix et l'importance des
variables.
La redevance incitative est un mode de financement du SPED qui
a fait ses preuves à l'étranger (Autriche, Belgique, Finlande,
Allemagne, Luxembourg, Suède et Suisse)25 et qui a
commencé à se
24 ADEME, Les modes de financement du service public
d'élimination des déchets, [En ligne],
http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?sort=-1&cid=96&m=3&catid=17432
(page consultée le 28/05/2012)
25 « On peut remarquer ainsi qu'à une exception
près (le Danemark), les pays où la redevance incitative est
courante
développer en milieu rural sur le territoire
français à la fin des années 1990.
2. La redevance incitative : qu'est-ce que c'est
?
2.A. Définition
« La redevance incitative est une REOM dont le montant
varie en fonction de l'utilisation réelle du service par l'usager
»26 (principe du pollueur-payeur), c'est-à-dire
généralement en fonction du poids et/ou du volume et/ou du nombre
de ramassages. Divers systèmes de redevance incitative existent selon
qu'ils privilégient l'une ou l'autre, voire plusieurs, de ces variables.
Le principe de facturation de la redevance incitative comprend une part fixe,
qui couvre les dépenses non liées aux quantités d'ordures
ménagères résiduelles collectées (collecte
sélective, déchèteries, usines de tri, frais
administratifs, frais de communication) et qui peut être comparée
à un abonnement au service, ainsi qu'une part variable, liée aux
quantités d'ordures ménagères résiduelles (non
triées) produites par l'usager et calculée en fonction du ou des
critères retenus (poids, volume, nombre de ramassages).
2.B. Objectifs
Plusieurs objectifs sont visés à travers l'adoption
de ce mode de financement incitatif :
- La réduction des déchets (prévention des
déchets à la source par l'éco-consommation, le compostage,
le réemploi) ;
- L'augmentation de la valorisation matière par le
recyclage ou le compostage grâce à l'amélioration du tri
des ménages ;
- La maîtrise de la hausse du coût du SPED (moins
de dépenses liées à l'augmentation des coûts
d'incinération et d'enfouissement ; plus de recettes de valorisation et
soutiens à la tonne triée) ;
- L'amélioration de la transparence des coûts du
SPED par la création d'un budget annexe (dissociation de la taxe
foncière) ;
- La responsabilisation de l'usager et la rationalisation de
l'utilisation du service avec la consécration du principe
pollueur-payeur (si l'usager intègre la rationalité
économique que
sont ceux où la politique nationale de gestion des
déchets est favorable. Si la redevance incitative apparaît
immédiatement comme une affaire essentiellement municipale (ou
intercommunale), le niveau politique national n'en demeure pas moins important.
[...] La redevance incitative est largement diffusée dans les pays du
nord (à l'exception de la Grande Bretagne où la redevance
incitative est juridiquement interdite), tandis qu'elle est inexistante ou
presque dans les pays méditerranéens. L'observation de ce clivage
culturel traditionnel confirme ainsi l'importance des cultures nationales.
». ADEME, Avec la redevance incitative, les usagers paient en fonction
de ce qu'ils jettent, Recueil des interventions de la Journée
technique nationale du mercredi 14 juin 2006, Angers : ADEME Éditions,
2006.
26 ADEME, Dossier : la redevance incitative, Juillet
2006, p. 1.
suggère la redevance incitative, il trouve un
intérêt à trier, à ne sortir son bac que lorsqu'il
est plein, à emmener certains déchets en
déchèterie, etc.).
Ainsi, en ne facturant que le contenu de la « poubelle
grise », la REOM incitative entraîne une évolution notable de
la répartition des tonnages qui se déplacent des ordures
ménagères résiduelles vers la collecte sélective,
les déchèteries et le compostage (effet ciseau), contrairement
à la redevance dite « classique » (calculée en fonction
du nombre de personnes par foyer) qui n'a aucun effet notable27. La
redevance incitative avec pesée embarquée est le système
qui reflète le plus fidèlement le niveau de consommation de
chaque ménage et qui incite le plus les usagers à optimiser
l'utilisation des moyens mis à disposition pour détourner les
flux de déchets vers la valorisation matière. Nous verrons que
nous assistons aujourd'hui à un déplacement sémantique qui
tend à consacrer la redevance incitative avec pesée
embarquée comme la seule REOM réellement incitative. Son
fonctionnement est décrit dans le schéma ci-après.
Schéma 1 : Mode de fonctionnement de la redevance
incitative avec pesée embarquée.
Source : ADEME, Avec la redevance incitative, les
usagers paient en fonction de ce qu'ils jettent, Recueil
des interventions de la Journée technique nationale du mercredi 14
juin 2006, Angers : ADEME Éditions, 2006.
27 BÉNARD François, « Gestion des
déchets et développement de la redevance incitative : exemple de
transformation du modèle économique d'un service public »,
in Flux, 4/2008 : n° 74, p. 35.
3. Les limites de la redevance incitative
Cependant, le mode de financement du SPED par la redevance
incitative reste largement minoritaire en France (puisqu'à peine 1 % de
la population y est assujettie28) bien qu'un nombre croissant de
collectivités s'y intéresse. Ceci s'explique par les nombreux
freins que peuvent rencontrer les communes ou les Établissements Publics
de Coopération Intercommunale (EPCI) dans l'adoption de ce
système et qui relèvent tant de l'organisation interne des
services compétents que des doutes concernant les réactions de la
population.
3.A. La nécessité du volontarisme des
élus et de la réorganisation du SPED
3.A.a. Une vision sur le long terme nécessitant un
portage politique conséquent
L'adoption de la redevance incitative nécessite une
vision sur le long terme de la part des élus locaux. En effet, le
transfert de tonnages des ordures ménagères résiduelles
vers la collecte sélective permet de contenir (et non réduire)
les coûts de collecte et de traitement en déplaçant les
charges croissantes liées au recours à l'incinération et
à la mise en décharge (solutions obsolètes
confrontées à des mises au normes prohibitives et ne
bénéficiant pas d'aides financières) vers la valorisation
matière (solution, couteuse certes, mais promise à un bel avenir
avec l'explosion du coût des matières premières et les
aides financières allouées), comme en témoigne le
graphique 3 (page suivante) qui modélise ce phénomène. Or
cette nécessité d'appréhension sur le long terme entre en
contradiction avec la logique électoraliste29 puisque les
économies réalisées grâce à l'adoption de la
redevance incitative ne pourront pas être directement mobilisées
dans le bilan politique de l'élu : « La REOM est parfois apparue
à certains élus comme difficile à faire comprendre. En
effet, elle implique un effort supplémentaire de la part des usagers,
sans qu'ils paient systématiquement moins cher au total. Le message
selon lequel « la REOM permet non pas de diminuer les coûts, mais de
contenir leur prochaine augmentation » peut s'avérer politiquement
difficile à assumer. »30.
28 Ibid., p. 31.
29 Assurément, « cette diversité des cadres
temporels de l'application du DD urbain ne coïncide guère avec les
périodes rapprochées qui gouvernent la gestion publique, qu'il
s'agisse du temps politique - la durée d'un mandat, les campagnes
électorales - ou de la comptabilité publique, suivant un principe
d'amortissements des investissements. ». HAMMAN Philippe, BLANC Christine,
Sociologie du développement durable urbain. Projets et
stratégies métropolitaines françaises, Bruxelles :
Peter Lang, 2009, p. 145.
30 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION
ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE,
Causes et effets du passage de la TEOM à la REOM, Août
2005, p. 50.
Graphique 3 : La redevance incitative : l'effet ciseau
garant de la maîtrise des coûts du SPED.
Source : COURBET Sylvie, « Les effets
observés sur les quantités de déchets et sur les
coûts », in ADEME, Avec la redevance incitative, les
usagers paient en fonction de ce qu'ils jettent, Recueil des interventions
de la Journée technique nationale du mercredi 14 juin 2006, Angers :
ADEME Éditions, 2006.
Ce constat, partagé par tous les analystes, a pour
corollaire que la mise en place de la redevance incitative nécessite un
portage politique conséquent qui passe par une communication soutenue et
pédagogique auprès des ménages, déterminante dans
l'acceptation sociale du nouveau mode de financement : « Un projet mal
présenté ou mal défendu est peu susceptible d'emporter
l'adhésion des usagers, alors même que ceux-ci sont placés
au coeur du dispositif. La communication (sous différentes formes non
exclusives : réunions publiques, lettres d'information, articles dans la
presse locale, création d'un magazine spécifique, etc.) doit donc
refléter l'engagement politique des élus. »31.
3.A.b. Réorganisation du SPED et lourdeur de
gestion
Sur le plan pratique, l'instauration de la redevance
incitative nécessite une réorganisation du SPED, tant au niveau
de l'administration qu'au niveau du service de collecte, qui peut constituer un
facteur de découragement pour les élus locaux.
Au niveau administratif, la redevance incitative
génère des lourdeurs de gestion puisque le recouvrement du
coût du SPED est désormais dissocié de la taxe
foncière et nécessite, par conséquent, la
réalisation d'opérations nouvelles : constitution et mise
à jour régulière d'un fichier des redevables ;
édition, mise sous pli, affranchissement et envoi des factures aux
redevables ; gestion des réclamations et des impayés ; ajustement
de la grille tarifaire (part fixe/part variable)
31 BÉNARD François, op. cit., p. 39-40.
pour ne pas subir de déséquilibre
budgétaire. Ces lourdeurs de gestion nécessitent une
réorganisation du travail au sein du service communal ou intercommunal
en charge de la gestion des déchets ménagers, ainsi que des
investissements en moyens humains et matériels32.
La redevance incitative implique également une «
réorganisation du service de collecte »33, aussi bien au
niveau du rythme que des circuits de collectes. Ceci est dû, d'une part,
à l'évolution des propriétés du gisement
caractérisée par une quantité croissante de
matières recyclables et une quantité décroissante de
matières résiduelles (effet ciseau) et, d'autre part, au fait que
les usagers ne sortent désormais leurs poubelles que lorsqu'elles sont
remplies (gain de temps sur le circuit de collecte). La redevance incitative
suppose aussi de donner à l'usager les moyens de trier et de
réduire ses déchets : mode de collecte approprié
(porte-à-porte, points d'apports volontaires), politique de compostage
en habitat individuel comme en habitat collectif, bonne couverture du
territoire par les déchèteries, informations intelligibles et
faciles d'accès.
Bref, à la nécessité de portage politique
en externe répond le besoin d'un volontarisme politique en interne pour
adapter le SPED au système de la redevance incitative.
3.B. Des doutes face aux réactions de la
population
De surcroît, les élus sont nombreux à
exprimer leur scepticisme quant aux réactions de la population face
à l'instauration de ce nouveau mode de financement du SPED. Une
série de critiques concernant l'approbation et l'investissement de la
population est régulièrement formulée.
3.B.a. Une recrudescence des comportements inciviques
?
En instaurant une facturation liée à la
quantité d'ordures produites par unité domestique, ne risque-t-on
pas d'encourager les comportements inciviques tels que les rejets en pleine
nature (décharges sauvages), des erreurs de tri volontaires pour
réduire la quantité d'ordures ménagères
résiduelles facturée (augmentation du taux de refus) ou le
détournement d'ordures vers des territoires voisins non assujettis
à la redevance incitative (transfert des charges vers la
collectivité voisine) ? « Brûlages dans les jardins,
dépôts discrets chez le voisin, sur le lieu de travail, dans les
corbeilles de la commune limitrophe ou en pleine nature, les modalités
imaginables du détournement sont nombreuses. »34. Cet
argumentaire est central dans le discours des opposants à la redevance
incitative. Or, bien que les comportements inciviques soient difficiles
à mesurer, aucune des collectivités ayant adopté la
redevance incitative n'a noté de réelle recrudescence d'actes
illicites. En ce qui concerne le taux de refus de la collecte sélective
- seul indicateur dont nous
32 Ibid., p. 31-32.
33 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION
ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE,
op. cit., p. 46.
34 Ibid., BÉNARD François, op.
cit., p. 31-32.
disposons pour mesurer les comportements inciviques - ceux-ci
restent stables même si une augmentation est parfois constatée la
première année de mise en place de la redevance incitative (phase
d'adaptation).
3.B.b. Une application limitée en habitat
collectif
Si l'application de la redevance incitative en milieu rural
est relativement aisée (habitat pavillonnaire), elle pose de nombreux
problèmes en milieu urbain du fait de l'impossible individualisation des
charges en habitat collectif (conteneurs communs). Ce problème peut
être contourné, comme nous le verrons avec le cas de
Besançon, par la désignation du gestionnaire de la
copropriété comme « usager du service public redevable de
l'acquittement de la redevance »35. Cependant, cette forme de
délégation atténue largement la portée incitative
du nouveau dispositif puisque la facture est divisée par le gestionnaire
entre l'ensemble des copropriétaires. Ainsi, les performances de tri de
chaque copropriétaire ne sont pas forcément
récompensées ou pénalisées par une baisse ou une
hausse de la facture, ce qui remet en cause la possibilité d'atteindre
des effets incitatifs en termes de tri dans l'habitat collectif.
3.B.c. Un principe d'équité qui
pénalise les ménages les plus fragiles
En transférant les charges des contribuables vers les
usagers, « la redevance modifie le paradigme financier du service en le
faisant passer d'un principe d'égalité de la contribution vers un
principe d'équité »36. Assurément, la TEOM
comportait une dimension d'action sociale : puisque celle-ci était
calculée en fonction de la valeur du logement occupé, une famille
nombreuse résidant dans un appartement exigu d'un logement HLM
s'acquittait d'une taxe d'un montant moins onéreux qu'une personne seule
résidant dans une grande maison. A priori, la responsabilisation de
l'usager s'oppose au principe d'égalité. A titre illustratif,
« le SMC du Haut Val-de-Sèvres et Sud Gâtine avait
réalisé des simulations à partir de cas réels
»37 avant d'instaurer la redevance incitative (tableau 1
ciaprès).
35 Ibid., p. 42.
36 Ibid., p. 32.
37 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION
ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE,
op. cit., p. 44.
Tableau 1 : Simulation du changement de tarification
avec le passage de la TEOM à la REOM dans le Syndicat Mixte
à la Carte du Haut Val-de-Sèvres et Sud Gâtine
Source : DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE
L'EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT
DURABLE, op. cit., p. 44.
Cet exemple prouve que la nouvelle grille tarifaire
attachée à la redevance incitative risque de pénaliser
« les familles nombreuses socialement souvent plus
défavorisées »38 et d'alléger
principalement les charges des « couples ou personnes seules occupant des
logements de grande superficie »39.
Cependant, comme le cas de Besançon nous le
démontrera, diverses variables peuvent être ajustées pour
concilier le principe d'égalité à la responsabilisation de
l'usager.
38 Ibid., p. 45.
39 Ibid.
Chapitre 3. Besançon
Afin de mieux comprendre le contexte institutionnel dans
lequel s'ancre la gestion des déchets à Besançon, il est
nécessaire de retracer son cheminement historique. Ensuite, nous
étudierons les logiques aujourd'hui à l'oeuvre dans ce domaine
afin de les rapprocher des politiques de « développement durable
urbain »40 des métropoles françaises. «
L'action publique en développement durable s'inscrit dans des espaces de
contraintes, qui ne correspondent pas uniquement à des variables
socio-politiques (tel le portage des dossiers par les élus) mais aussi
à des éléments morphologiques ou socio-économiques,
portant la trace d'un certain passé, de longue durée, qui
imprègne le territoire. La configuration socio-spatiale de chaque
localité influe ainsi sur les conditions de faisabilité de la
ville durable »41. Avant d'aborder l'historique de la gestion
des excréta urbains à Besançon depuis l'époque
romaine jusqu'à aujourd'hui, nous pouvons repérer certains traits
caractéristiques non exhaustifs qui dessinent l'ethos de la ville en
matière de développement durable et rendent compte des politiques
menées au niveau de la gestion des déchets :
- Le rattachement tardif au Royaume de France (1678) qui
semble alimenter aujourd'hui encore une logique de distinction chez certains
bisontins42 ;
- La tradition socialiste de la mairie de Besançon a
permis d'assurer un « continuum politique » favorable au
développement de projets fédérateurs et novateurs en
matière de développement durable43 ;
- Le rapport très singulier de la ville de
Besançon à l'environnement : avec ses sept collines verdoyantes
et le Doubs, Besançon est résolument une ville ouverte sur la
nature qui promeut son statut de « première ville verte de France
» accordé à diverses reprises par des enquêtes de
quotidiens français ;
- La proximité de la Suisse, où la redevance
incitative est très développée, n'est pas sans influence
;
- La forte tradition de luttes sociales à
Besançon qui autorise un investissement militant de la part de certains
élus ou de la part d'associations prestataires.
En fait, à travers l'instauration de la redevance
incitative, nous assistons aussi à la démonstration de
l'exemplarité et à l'affirmation de l'identité
singulière de la commune de Besançon.
40 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., 260 p.
41 Ibid., p. 195.
42 Jean nous parle du « chauvinisme bisontin ».
Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.
43 La redevance incitative au volume du bac a été
instaurée en 1999 lorsque Robert Schwint était maire (1977-2001)
et Jean-Louis Fousseret a pris la relève et même prolongé
la démarche entamée sous son prédécesseur.
1. « La propreté à Besançon au
fil des âges »44
Les travaux de Denis Guigo sur « La propreté
à Besançon au fil des âges »45 nous ont
permis de retracer le cheminement historique de la gestion des excréta
urbains à Besançon depuis l'époque romaine jusqu'au
début des années 1990. Nous ne nous intéresserons pas
à l'industrie de la récupération mais plutôt
à l'émergence et à la structuration d'un SPED.
1.A. De l'époque romaine à la
résurgence des enjeux de salubrité publique au
XVIIIe siècle
Avec la conquête de Vesontio46 par Jules
César en 58 avant J.-C., cet oppidum gaulois se transforme en capitale
romaine en raison de sa position stratégique tant au niveau militaire
qu'au niveau commercial. Durant cet âge d'or de la ville, les Romains
réalisent de nombreux aménagements dont la construction d'un
aqueduc de 10 kms qui transporte de l'eau potable depuis la source d'Arcier (en
amont du Doubs) jusqu'à l'intérieur de la Boucle47,
ainsi qu'un réseau hydrique constitué de thermes, de fontaines et
d'égouts. A partir du IVe siècle après J.-C.,
le déclin de l'empire romain laisse ces infrastructures à
l'abandon et l'aqueduc, pièce maitresse du système romain de
salubrité publique, est partiellement détruit au Ve
siècle.
Jusqu'au XVIIe siècle, la gestion des
excréta urbains s'opère sur le mode du « tout à la
rivière », sauf, évidemment, pour les matières qui
peuvent faire l'objet d'une réutilisation (boues et vidanges pour
l'agriculture, déblais de construction pour l'aménagement des
rives du Doubs, etc.). L'entretien de la voirie est à la charge des
bisontins qui doivent désormais déposer leurs immondices
au-delà des remparts mais, comme pour le Royaume de France, le manque de
zèle des riverains entraine une multiplication stérile des
édits imposant l'obligation de balayage.
Au XVIIIe siècle, Besançon cherche
à faire face aux « problèmes du manque d'eau potable en
ville et de l'évacuation des eaux usées » qui demeurent
jusque là sans solutions depuis l'époque romaine, malgré
l'existence de quelques fontaines publiques alimentées par la source de
Fontaine-Argent depuis 1457 et par celle de Bregille un siècle plus
tard. Finalement, la solution retenue pour sortir de « l'ère du
goutte-à-goutte »48 sera la même que celle mise en
place 17 siècles plus tôt sous l'empereur romain
Marc-Aurèle : la réalisation d'un aqueduc reliant la source
d'Arcier à la Boucle qui s'achève en 1854, conjointement à
la constitution d'un réseau d'égouts. C'est également au
début du XVIIIe siècle, plus exactement en 1713, que
nait l'ébouage municipal pour les trois artères
44 GUIGO Denis, « La propreté à
Besançon au fil des âges », in Les Annales de la
Recherche Urbaine, Décembre 1991 : n° 53, p. 46-57.
45 Ibid.
46 Nom latin de Besançon.
47 Centre historique de Besançon entouré par un
méandre du Doubs et la colline de la Citadelle.
48 Ibid., p. 50.
principales de la ville qui dessinent un axe Nord-Sud (Grande
Rue, rue des Granges, rue St Vincent [actuellement rue Megevand]). « Les
habitants des voies concernées [...] sont toujours chargés de
balayer devant chez eux mais ils n'ont plus qu'à laisser les
déchets en tas au milieu du pavé, le mercredi et le samedi avant
dix heures du matin; ils seront ramassés par les tombereaux de
"l'entrepreneur du netoyement des rues". »49. Cette mesure se
généralise à toute la ville intra muros en
1741.
1.B. La structuration de l'ébouage municipal :
passage d'une logique
d'adjudication à une logique de
régie
A partir de la fin du XVIIIe siècle, des
femmes indigentes et parfois des enfants sont employés de façon
informelle par la Ville au balayage des places publiques. Avec ce
développement timide d'un service de nettoyage des espaces publics, des
contraintes budgétaires commencent à être palpables :
« la Ville encaisse des rentrées de plus en plus limitées
lors de l'adjudication de la "ferme des boues", divisée en lots ; en
revanche, les dépenses engagées pour balayer sur les places et
devant les bâtiments communaux augmentent. [...] En effet, la
présence de cendres et de déchets inertes rend la gadoue
urbaine moins intéressante pour les agriculteurs, qui refusent
bientôt de payer pour l'enlever puis exigent d'être
rémunérés, et de plus en plus cher. On combine donc la
régie et l'adjudication pour contenir le prix demandé par les
agriculteurs, depuis la fin des années 1860 jusqu'au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale. »50.
Face à la dégradation de la qualité des
boues urbaines, un ingénieur-voyer bisontin préconise en 1876 la
séparation des matières inertes et des matières
organiques. Dans ce prolongement, l'arrêté du 24 novembre 1896
instaure un système de poubelles avec double récipient : «
une caisse pour les déchets aptes à servir d'engrais ; une autre
pour les débris de vaisselle, de verre, de poterie et les
écailles d'huîtres. »51. Cependant, ces diverses
tentatives d'application du tri à la source se sont toujours
heurtées à la difficile collaboration des bisontins.
Cette nouvelle organisation de la gestion des excréta
urbains se formalise en 1876 avec la municipalisation du balayage des espaces
publics : « sous la surveillance de trois gardes de la voirie, neuf
cantonniers cordonneront désormais le nettoiement et l'arrosage
intra muros »52 tout en conservant une main d'oeuvre
indigente qui ne fait pas partie du personnel municipal. « Les riverains
sont toujours chargés de nettoyer devant chez eux et d'ajouter leurs
ordures en tas avant 8 ou 9 heures selon la saison ; quatorze auxiliaires
balayent le reste du territoire et seize autres chargent les immondices sur les
tombereaux qui les enlèvent. ». Dès la fin du
XIXe siècle, la ville
49 Ibid., p. 51.
50 Ibid., p. 52.
51 Ibid., p. 53.
52 Ibid., p. 52.
envisage de se substituer intégralement aux riverains dans
la tâche de nettoiement de la chaussée, grâce à la
création d'une taxe de balayage, mais ce projet n'aboutit pas.
Au début du XXe siècle, le service de
gestion des excréta urbains se technicise (achat d'une
balayeuse-automobile et d'une arroseuse-automobile) et souhaite rationaliser le
nettoiement de la ville grâce à une nouvelle tentative
d'instauration d'une taxe de balayage : « Le Conseil prévoit pour
cela de concéder au privé l'enlèvement des ordures
ménagères ; une entreprise locale de transport, la
société des Monts-Jura, a d'ailleurs proposé en 1921 de
prendre en charge l'enlèvement des ordures ménagères,
ainsi que le nettoiement de la ville, pour 485 000 F par an. L'importance de la
somme - près de 10 % du budget - fait reculer la municipalité qui
décide finalement de concéder pour quinze ans aux Monts-Jura
l'enlèvement des ordures ménagères par camions-bennes avec
couvercle à charnières. Le coût de la prestation,
évalué à 185 000 F par an, y compris l'entretien d'une
décharge, aurait été couvert par une taxe perçue
par poubelle : 50 F par an pour une poubelle de 15 litres correspondant aux
besoins d'un ménage (la poubelle étant fournie par la Ville).
Mais ce projet ne fut pas mis à exécution ; les variantes
proposées ensuite par d'autres sociétés non plus. Pendant
encore 25 ans, l'enlèvement des détritus a été
assuré par des charrettes non couvertes, tirées par des chevaux
et dont le contenu était vidé en décharge ou - de plus en
plus rarement - utilisé comme engrais. »53. Bien que la
taxe de balayage soit toujours restée un voeu pieux, « une taxe
d'enlèvement des ordures ménagères [TEOM] a
été instaurée dès 1927, en application de la loi du
13 août 1926 »54 qui autorise désormais les
communes à prélever le contribuable pour assurer la
propreté.
1.C. La modernisation du SPED de l'après-guerre
à aujourd'hui
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le service municipal
de gestion des déchets se modernise enfin avec l'achat de « sept
modernes camions-bennes électriques, dont quatre bennes- tasseuses de
15m3 ». Le gisement des ordures, composé d'une
quantité croissante de matières inertes, ne peut plus faire
l'objet d'une valorisation dans l'agriculture et est traité par une mise
en décharge. La décharge municipale s'apparente à une
décharge sauvage sur laquelle on brûle les ordures afin de
gagner de l'espace, ce qui faisait dire à Jean Minjoz, alors maire de la
ville, que ce brasier produit « un panache de fumée qui
permettait aux aviateurs et à beaucoup d'autres voyageurs de
localiser la ville de Besançon »55. En 1966, le site est
transformé en « décharge contrôlée »,
ce qui consiste à entreposer les ordures par couches successives
entre lesquelles on dispose de la terre. En 1971, Besançon ouvre sa
première usine d'incinération, ce qui conduit à un
transfert d'une partie des tonnages de la mise en décharge vers ce
nouveau procédé de traitement. Cette unité
53 Ibid., p. 53.
54 Ibid., p. 53.
55 Ibid., p. 54.
d'incinération valorise la chaleur produite par la
combustion des ordures bisontines en chauffage urbain qui alimente le jeune
quartier de Planoise56 et, à partir de 1984, l'hôpital.
Avec la loi de 1975, la ville de Besançon poursuit la modernisation de
son SPED en uniformisant les conteneurs, jadis très disparates car le
choix des récipients était laissé à
l'appréciation des riverains. Ces conteneurs modernes sont loués
aux usagers et permettent un gain de temps sur les circuits de collecte
grâce au système de basculement dans les camions-bennes. La
location de bacs aux usagers constitue en quelque sorte les prémices de
la redevance incitative puisque le prix de location varie en fonction du volume
choisi par l'usager. La modernisation du SPED marque l'intronisation d'un
« "service complet" : l'éboueur prend le conteneur dans la cour ou
le jardin de l'immeuble, le vide puis le remet en place.
»57.
Cependant, Denis Guigo souligne que « le progressif
déchargement du citadin de ses obligations de propreté urbaine,
au profit des professionnels, ne signifie pas qu'il n'a plus de rôle
à jouer dans l'intendance de la cité » tout en
décrivant les orientations données par la ville de
Besançon à la problématique de la salubrité urbaine
au début des années 1990 : sensibilisation des usagers sur les
enjeux de cette problématique ; réflexion intercommunale sur
« le traitement des déchets, les réseaux d'eau,
l'assainissement »58 (avec la création du Conseil des
Communes du Grand Besançon en 1990) ; développement d'un
réseau de déchèteries (la première a
été ouverte en 1984). Denis Guigo conclue en soulevant un
problème qui constitue un invariant historique dans la gestion des
déchets et qui caractérise encore les difficultés
rencontrées aujourd'hui : « N'est-ce pas un enseignement analogue
que nous livre l'histoire de la longue réticence du citadin à
empoigner le balai dans l'espace public : l'individu rechigne à
s'occuper des déchets d'autrui. Il convient donc d'agir à la
source, en combinant l'information, l'individualisation et l'incitation
financière. »59. La promotion de ces principes
d'information, de territorialisation et d'incitation financière
s'adjoint d'une critique visionnaire de la TEOM qui débouche sur la
suggestion de solutions alternatives : « Peut-être
réformera-t-on plus tard le mode de calcul de la taxe
d'enlèvement des ordures ménagères, basée
actuellement sur la valeur locative de la propriété et non sur le
nombre d'occupants ni sur le volume des ordures traitées ? On pourrait
identifier et peser automatiquement les conteneurs au moment de leur
déchargement dans la benne, grâce à des techniques modernes
utilisées déjà dans l'industrie. »60.
Cette vision se concrétisera en 1999 avec l'instauration d'une
56 Le quartier est principalement constitué de barres
d'immeubles et de tours, construites à partir des années 1960 sur
une zone qui, jusque-là, avait un caractère champêtre. Il
est aujourd'hui considéré comme le quartier le plus sensible de
Besançon.
57 Ibid., p. 54.
58 Ibid., p. 57.
59 Ibid., p. 57.
60 Ibid., p. 57.
redevance incitative au volume du bac.
2. La redevance incitative à
Besançon
2.A. L'instauration de la REOM au volume du bac
(1999)
Besançon fait figure d'exception dans le paysage
français de la gestion des déchets ménagers puisque c'est
la seule ville française d'une telle taille qui ait adopté la
redevance incitative. Ce choix s'est appuyé sur de nombreuses
motivations mais s'est cependant heurté à différentes
limites, aussi bien avant qu'après sa mise en place.
2.A.a. Motivations du passage à la
REOM
A Besançon, la décision du passage d'une TEOM
à une REOM en 1999 pour le financement du SPED est directement
liée à la volonté de réduire les investissements
dans des mises aux normes environnementales de plus en plus onéreuses
des usines d'incinération. Clairement, il faut trouver des alternatives
à l'incinération et, dans un contexte marqué par la mise
en place d'une collecte sélective (1999), le recyclage semble promis
à un bel avenir. L'enjeu est donc de transférer une partie des
tonnages de l'incinération vers le recyclage afin de maîtriser les
coûts croissants de traitement auxquels est confronté le service
municipal en charge des déchets. Cependant, le recyclage ne permettant
pas de traiter un volume important d'ordures ménagères, surtout
dans les premières années de la collecte sélective, la
construction d'un nouveau four est nécessaire, d'autant plus que le
premier qui a été construit en 1971 arrive en fin de vie. En
2002, la nouvelle Unité d'Incinération des Ordures
Ménagères (UIOM) entre en fonctionnement et la plus ancienne est
arrêtée.
En 1999, la loi dite « Chevènement »
élargit les compétences de l'intercommunalité, ce qui
constitue un moment opportun pour mutualiser la réflexion et les
décisions avec les territoires voisins concernant les solutions de
traitement à privilégier. C'est ainsi qu'est créé
un Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) en
charge du traitement des déchets (déchèteries, tri,
compostage, ressourceries, incinération) : le Syndicat mixte de
Besançon Et sa Région pour le Traitement des déchets
(SYBERT). Cette coopération intercommunale renforce l'impératif
de transparence des coûts du SPED, et notamment du traitement. Seul un
système de REOM peut assurer cet objectif de transparence via la
création d'un budget annexe61.
Enfin, l'instauration de la REOM implique un changement de
statut du SPED, qui passe d'un Service Public Administratif (SPA)
prélevant le coût de la prestation sur les contribuables à
un Service Public Industriel et Commercial (SPIC) facturant cette charge aux
usagers. Dès lors, il est
61 Cf. partie « Objectifs », p. 69.
nécessaire de définir un système de
« compteur » qui puisse mesurer la quantité de déchets
produite par chaque ménage afin de servir d'assiette de facturation et
de mettre en place un système pour recenser l'ensemble des futurs
redevables, deux conditions difficiles à satisfaire et qui sont des
freins majeurs à l'instauration de la redevance incitative. Or, la ville
disposait déjà d'un fichier des redevables puisqu'elle avait
gardé la maîtrise du parc de conteneurs en louant les bacs aux
particuliers depuis 1975 et facturait cette location en fonction du volume du
bac. C'est donc assez naturellement que la solution d'une redevance incitative
au volume du bac fut retenue tout en combinant cette variable au nombre de
levées62.
2.A.b. Réticences et compromis
Cependant, ce basculement vers la redevance incitative
n'était pas sans poser un certain nombre de problèmes.
Tout d'abord, comme nous l'avons vu
précédemment, la redevance incitative pénalise les
familles nombreuses et précaires et s'est donc heurtée, pour
cette raison, à la réticence de certains élus. « La
Ville de Besançon avait ainsi étudié la possibilité
de mettre en place une redevance directement proportionnelle au volume du bac.
Elle n'a pas retenu cette possibilité et a choisi une grille tarifaire
forfaitaire par type de bacs. Comme le montre le graphique 4 ci-après,
la REOM équivalente en €/litre est nettement dégressive
»63 afin de ne pas pénaliser les familles nombreuses
résidant en logement social, d'autant plus que cette décision
trouve une justification : la collecte en habitat vertical nécessite
moins de temps d'intervention grâce à la taille et au regroupement
des conteneurs, ce qui la rend moins coûteuse que la collecte en habitat
pavillonnaire.
Graphique 4 : Grille tarifaire de la REOM pour
l'année 2000. Ville de Besançon.
Source : DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE
L'EVALUATION ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT
DURABLE, op. cit., p. 61.
62 Nombre de fois où le bac est vidé par les
ripeurs dans le camion-benne.
63 DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION
ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE,
op. cit., p. 61.
Certaines réticences vis-à-vis de l'instauration
d'une redevance incitative étaient également dues à la
crainte des retombées politiques de l'adoption de ce nouveau
système à deux ans des prochaines élections municipales.
Cependant, cet écueil est évité car le passage à la
redevance incitative est décidé à l'unanimité et
fait l'objet d'un puissant portage politique64.
Le dernier facteur d'incertitude reste l'implication des
bisontins dans ce nouveau dispositif. Pour s'assurer de leur participation, une
campagne de communication est lancée dès 1998 et s'appuie sur
divers supports de communication : dossiers publiés dans les bulletins
municipaux et la presse locale, lettres d'information, fascicules informatifs
et modes d'emploi pour le décryptage de la facture distribués
à tous les ménages, réunions publiques.
2.A.c. Des débuts difficiles qui
nécessitent des mesures correctives
Les premières factures envoyées aux usagers ont
entrainé une explosion des réclamations, notamment de la part de
l'habitat individuel qui voit sa contribution au financement du SPED augmenter
jusqu'à 50 voire 100 %. Le standard téléphonique et
l'accueil du service gestion des déchets sont débordés et
la presse locale relais le mécontentement de certains bisontins. Face
à ces critiques, des mesures correctives sont prises :
- Introduction d'un petit bac (60 L) adapté aux foyers de
1 ou 2 personnes ;
- Adaptation de la fréquence de collecte ;
- Modification du mode de calcul de la Redevance ;
- Mise en oeuvre de contrats de regroupement qui permettent
à plusieurs propriétaires d'utiliser en commun un même bac
sous un seul contrat, ce qui leur permet de bénéficier du
régime favorable aux bacs de plus grande capacité ;
- Mise en place d'une communication d'accompagnement (bulletin
municipal, lettres d'accompagnement explicatives avec les factures).
C'est une réelle épreuve de force qu'ont
dû surmonter les élus et les techniciens pour parvenir à
rendre efficient ce nouveau mode de financement du SPED. Assurément, ces
derniers ont acquis un savoir-faire important et ont su redonner leurs lettres
de noblesse au service de gestion des déchets qui a désormais
pour mission de responsabiliser l'usager en vue d'en faire un «
éco-citoyen ».
64 « De façon récurrente, les techniciens
et les administratifs rencontrés soulignent que l'engagement des
élus est décisif pour la concrétisation des
opérations de DD urbain. [...] On peut alors faire l'hypothèse
selon laquelle il faut que l'enjeu du DD se politise localement pour qu'il
"prenne" ». HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 91.
2.B. 2012 : Instauration de la redevance incitative avec
pesée embarquée
2.B.a. La redevance incitative avec pesée
embarquée pour réduire la part de
l'incinération
A la fin des années 2000, la capacité de
traitement par incinération paraît une nouvelle fois
menacée par l'arrivée en fin de vie du four construit en 1976.
Afin d'éviter le remplacement de ce four65 qui demanderait
encore un investissement conséquent, la préférence est
accordée à la réduction à la source et à la
valorisation matière conformément aux orientations du Grenelle de
l'environnement. Afin d'atteindre cet objectif il est nécessaire
d'accentuer le levier incitatif pour détourner une part des
déchets incinérés vers la collecte sélective, le
compostage et les déchèteries. Cette solution paraît
d'autant plus justifiée que le Grenelle de l'environnement consacre
l'intégration d'une part incitative dans le mode de financement du SPED
: le service de gestion des déchets de la Communauté
d'Agglomération du Grand Besançon (CAGB) possède donc une
longueur d'avance et compte bien continuer à montrer la voie au niveau
national. C'est dans ce contexte qu'est prise la décision d'instaurer
une redevance incitative avec pesée embarquée, première
expérience de ce type sur un secteur urbain aussi important.
2.B.b. Une redéfinition de la redevance incitative
?
Il est d'ailleurs significatif d'observer le
déplacement sémantique opéré par les élus et
techniciens de la CAGB quant à la définition de la «
redevance incitative ». En effet, la REOM au volume du bac
instaurée depuis 1999 ne mérite plus, selon eux, l'appellation
« incitative » car elle ne traduit que grossièrement la
quantité de déchets produits par chaque ménage. Ainsi,
seule l'intégration de la variable « poids » grâce un
système de pesée embarquée reflète
fidèlement le niveau de consommation du SPED par chaque ménage et
peut avoir une portée incitative significative sur le comportement de
ces derniers. Nos observations de terrain ont d'ailleurs confirmé que,
même chez les bisontins les plus concernés par la question des
déchets ménagers (guides composteurs, membres de Trivial
Compost), le caractère incitatif de l'ancienne tarification au volume du
bac n'était pas vraiment perçu.
2.B.c. L'éternel casse-tête de l'habitat
collectif
Si, au niveau de l'habitat collectif, le passage à la
redevance incitative au volume du bac en 1999 avait finalement posé
moins de problèmes que ce qui était redouté,
l'instauration d'une redevance incitative avec pesée embarquée
donne un poids primordial à la question de l'habitat collectif. En
effet, les conteneurs étant partagés dans ce mode d'habitation,
il n'y a aucun moyen qui puisse permettre d'individualiser la facture de chaque
ménage, ce qui remet en cause la portée
65 Comme ce fut le cas en 2002 avec l'arrêt du plus vieux
four (construit en 1971) et la mise en marche d'un nouveau.
incitative du dispositif. Ainsi les objectifs fixés par
le Grand Besançon sont différenciés en fonction du mode
d'habitat : la diminution de la quantité d'ordures
ménagères résiduelles devra être de 35 % en habitat
pavillonnaire et de 12 % en habitat collectif à l'horizon 2014.
La faible influence du levier incitatif en habitat collectif
invite à rechercher d'autres facteurs pouvant favoriser l'adoption de
bonnes pratiques en termes de tri des matières recyclables et de
compostage au sein de ce mode d'habitat. Cette problématique sera
probablement au coeur de notre travail de Master 2.
3. Logiques du développement durable urbain au
niveau de la gestion des déchets
Dans cette partie nous tenterons de saisir en quoi la gestion
des déchets s'inscrit plus largement dans le champ des politiques de
développement durable urbain, à partir des travaux de Philippe
Hamman et Christine Blanc66. Toutefois, il est impératif
d'apporter, au préalable, un éclairage sur ce que recouvre la
notion de développement durable. Il s'agit, en effet, d'un concept flou,
d'un « mot valise »67 si nous songeons à la
définition donnée par le rapport Brundtland - «
répondre aux besoins du présent sans compromettre la
possibilité pour les générations à venir de
satisfaire les leurs »68 - ou au diagramme situant ce concept
à l'intersection des dimensions écologiques, économiques
et sociales (présenté ci-après). Finalement, le
développement durable est une thématique transversale qui
entraine des dimensions « multi-échelles » et «
multi-acteurs » et s'intègre aux politiques publiques sur le mode
de l'expérimental puisque, sa définition restant large et
théorique, il n'existe aucune application pratique
préétablie. Cependant, la production d'expertises sur les
différentes politiques publiques menées en matière de
développement durable vise à systématiser ces pratiques
afin de dégager des modèles susceptibles d'être
étendus.
66 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., 260 p.
67 Ibid., p. 20.
68 BRUNDTLAND Gro Harlem, Notre avenir à tous,
Rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le
développement de l'ONU, 1987, p. 14.
3.A. Dimensions « multi-échelles » et
« multi-acteurs »
Selon Philippe Hamman et Christine Blanc les politiques
publiques de développement durable se caractérisent par des
dimensions « multi-échelles » et « multi-acteurs »
que nous retrouvons de façon prégnante dans la politique de
gestion des déchets du Grand Besançon. En effet, la mise en place
d'actions publiques de développement durable nécessite une
collaboration accrue entre divers acteurs qui agissent à des
échelles différentes et influent sur la définition locale
d'une politique de gestion des déchets ménagers. Voici une
présentation synthétique de ces échelles qui
s'imbriquent.
· Au niveau « macro », plutôt
stratégique, nous trouvons :
- Le niveau européen avec l'établissement de
directives fixant des orientations à retranscrire dans le cadre
juridique de chaque pays membre de l'Union Européenne ;
- Le niveau national avec l'adoption de législations
précisant les orientations de la politique nationale de gestion des
déchets ménagers (loi de 1975, loi de 1992, Grenelle de
l'environnement) ;
- Le niveau régional avec les directions
régionales de l'ADEME qui appuient les collectivités dans la mise
en place de solutions techniques favorisant la réalisation des objectifs
fixés au niveau national ;
- Le niveau départemental avec l'établissement
de Plans d'Élimination des Déchets Ménagers et
Assimilés (PEDMA) qui définit pour les années à
venir les objectifs de valorisation et de réduction des déchets
produits ainsi que les moyens d'une gestion des déchets durable et
respectueuse de l'environnement ;
· Au niveau « micro », plutôt
opérationnel :
- Le niveau intercommunal large avec, pour l'exemple de
Besançon, le regroupement de 198 communes (représentant 225 000
habitants) au sein d'un EPCI en charge du traitement des déchets
ménagers, le SYBERT ;
- Le niveau intercommunal restreint avec le regroupement de 59
communes (représentant 176 000 habitants) au sein d'un EPCI en charge
de la collecte des déchets ménagers, la CAGB ;
- Le niveau communal avec le ville de Besançon (117 000
habitants) qui n'a plus la compétence de la gestion des déchets
ménagers mais s'attèle quand même à promouvoir des
opérations de réduction ou de tri des déchets au sein de
ses différents services grâce à ses chargés de
mission développement durable (exemple : Lancement, en 2012, de
l'expérimentation de compostage dans les restaurants scolaires de
Besançon avec la direction éducation) et à travers
l'adoption d'un plan d'action consigné dans l'Agenda 21
local69 (qui est en partie commun avec la CAGB);
- Le niveau du quartier avec les Conseils consultatifs
d'habitants qui sont des relais souvent sollicités pour favoriser
l'implantation de composteurs en pied d'immeuble.
Ces exemples montrent l'imbrication des enjeux de
développement durable qui s'intègrent aux politiques publiques
par le biais de compétences obligatoires (par exemple, l'obligation de
prise en charge des déchets ménagers par les communes), de
compétences partagées ou déléguées (par
exemple, la constitution d'EPCI pour la collecte et le traitement des
déchets), voire d'aucune compétence puisque « la
définition du développement durable urbain reste suffisamment
"ouverte" pour permettre aux différentes collectivités de s'y
inscrire »70 (par exemple, la direction éducation de la
mairie de Besançon et les Conseils consultatifs de quartier).
Cependant, Philippe Hamman et Christine Blanc montrent que
c'est le niveau intercommunal qui a un rôle moteur en matière de
développement durable et qui s'affirme de plus en plus face à la
ville. Toutefois, ce constat est à nuancer puisque la ville-centre, qui
concentre la majorité du poids socio-démographique et
économique, est souvent à l'origine et au coeur du regroupement
intercommunal. Ainsi, c'est la ville de Besançon qui a impulsé
une dynamique novatrice dans la gestion intercommunale des déchets
ménagers.
3.B. Des pratiques expérimentales
Le cas bisontin de la gestion des déchets
ménagers confirme que « les projets de DD urbain s'inscrivent
d'abord dans des pratiques expérimentales, à petite
échelle et marquées par la dimension processuelle de leur
concrétisation. [...] La notion d'expérimentation renvoie
à la fois au droit à l'erreur, au développement de projets
temporaires et à la mise en oeuvre sur des échelles
réduites. Elle est au centre d'un grand nombre d'actions en DD urbain :
ce serait là un mode pertinent d'application de projets, quand bien
même on peut y voir une bifurcation par rapport à une politique de
plus grande ampleur. [...] C'est cette expérimentation
territorialisée qui permettrait une mise en place concrète du DD,
au-delà des grands principes. [...] Cette démarche implique
d'élaborer, au fil des questions qui se posent, des solutions techniques
»71.
Afin d'en rendre compte, nous allons désormais
focaliser notre analyse sur la politique de prévention des
déchets menée par le SYBERT depuis 2010 et notamment le
compostage en habitat collectif. Tout d'abord, notons que, contrairement aux
solutions d'élimination classiques
69 « Le "Sommet de la Terre" de Rio en 1992 a
débouché sur l'adoption par 173 pays de la démarche
d'Agenda 21 (pour le 21e siècle), dont les Agendas 21 locaux
sont une déclinaison territoriale, à travers un certain nombre de
plans d'action portés par les collectivités. Ces démarches
se sont multipliées ces dernières années, en tant que
telle ou via des chartes s'en rapprochant ». Cependant, les
Agendas 21 locaux constituent plus un support de débat public qu'un
outil opérationnel. HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit.,
p. 135.
70 Ibid.., p. 30.
71 Ibid., p. 139.
(incinération, décharge) qui dessinent des
modèles d'action stabilisés, voire figés, les actions de
prévention (compostage, éco-gestes, etc.) sont
diversifiées et se développent de façon
processuelle72 à travers des pratiques
expérimentales.
Ainsi, « au printemps 2009, le SYBERT a lancé une
étude stratégique, SYBERT 2025, afin de trouver une alternative
au vieux four d'incinération dans une logique de réduction des
déchets résiduels. L'objectif principal porte sur le
détournement de la matière organique (déchets de cuisine
et autres déchets fermentescibles) de l'incinération et sa
valorisation sous forme de compost et/ou de biogaz. »73. Au
terme de cette étude stratégique, diverses solutions se
profilent, notamment l'instauration d'une collecte sélective des
bio-déchets pour un traitement par méthanisation ou par
compostage industriel. Finalement, il s'avère que les solutions
techniques avancées nécessitent des investissements importants
qui risquent de faire exploser le coût du service pour l'usager. Le
SYBERT réoriente alors sa politique en s'appuyant sur l'instauration de
la redevance incitative pour chercher des pistes alternatives74
répondant à l'objectif de prévention.
La solution finalement retenue concernant les déchets
organiques possède un caractère expérimental : il s'agit
de développer la gestion de proximité dans un contexte urbain
où le compostage en habitat collectif est un pari osé au vu du
peu de retours d'expérience disponibles sur ce type
d'actions75. En effet, seules quelques villes pionnières
telles que Rennes se sont à l'époque lancées dans la
promotion du compostage en pied d'immeuble et cette solution technique est
encore à l'état embryonnaire. Affichant des objectifs de
valorisation organique exigeants à moyen terme, il s'agit dès
lors pour le SYBERT de contribuer à l'expérimentation d'un
nouveau modèle d'action en vu de sa systématisation.
72 Comme le soulignent Philippe Hamman et Christine Blanc
« l'opérationnalisation du DD urbain passe par des pratiques
graduelles, où l'on distingue de véritables cheminements de
concrétisation. [...] Cette progressivité du raisonnement sur le
plan technique se conjugue qui plus est avec des évolutions normatives
courantes qu'il s'agit à chaque fois d'intégrer ».
Ibid., p. 142-143.
73 SYBERT, Lettre aux élus, mars 2010, p. 3.
74 La recherche de pistes alternatives répond aux
objectifs suivants :
- écarter les investissements lourds ;
- réduire massivement la quantité de déchets
par la prévention ;
- gérer localement les bio-déchets ;
- développer de nouvelles filières ;
- trouver des solutions alternatives pour l'excédent
d'ordures résiduelles (exportation vers des incinérateurs
voisins) ;
- optimiser et mutualiser les outils existants ;
- utiliser au mieux les financements publics ;
- créer des emplois locaux.
75 Hormis la thématique des bio-déchets, nous
retrouvons cette démarche expérimentale dans le domaine de la
promotion des éco-gestes via une communication basée sur une
« expérience réalité » intitulée «
Le ménage presque parfait de Besançon et sa région »,
opération consistant à suivre une dizaine de foyers dans
l'adoption de pratiques quotidiennes destinées à réduire
la production de déchets ménagers. Un site Internet permet aux
participants de faire part de leur expérience, d'échanger des
conseils ou des pratiques, tout en constituant un support pédagogique
d'information pour la population bisontine.
3.C. Dépasser l'expérimentation grâce
à l'expertise
Dans cette perspective, « la constitution de l'expertise
apparaît nécessaire pour produire des instruments et outils
»76 qui servent à la fois à évaluer,
orienter et consolider l'action menée. Cet impératif se traduit
par le renforcement du service valorisation organique du SYBERT via le
recrutement d'un maitre composteur et de la personne actuellement en charge de
ce service. Le SYBERT organise des formations de guides composteurs dès
novembre 2010 reprenant un modèle et une terminologie qui se sont
répandus et standardisés au sein du monde associatif durant les
années 199077, avant de s'intégrer aux politiques
publiques de prévention des déchets ménagers. Ce
phénomène se rattache à ce que Philippe Hamman et
Christine Blanc nomment la « stabilisation de "modèles" d'action en
développement durable » et qui s'opère par des
échanges entre collectivités et associations.
En effet, les collectivités n'ont pas le monopole des
questions techniques et « les compétences constituées
"à l'interne" ne sont [...] pas toujours suffisantes sur des
problématiques qui se complexifient, d'où l'appel à des
prestataires externes. [...] En parallèle, se renforce aussi un
pôle associatif expert sur les questions de DD urbain, en direction des
acteurs publics. »78. Tel est le cas avec l'attribution du
marché d'accompagnement des copropriétés à un
prestataire externe : l'association Trivial Compost.
76 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p.
109.
77 Le « concept » de maître composteur
apparaît en 1989 au Canada (Toronto). « En 1991, l'organisme
à but non lucratif Nature-Action Québec traduit les manuels de
Compost Ontario et réfléchit à un centre de
démonstration sous l'impulsion de sa présidente Edith Smeesters,
biologiste belge expatriée. L'organisme propose dès 1992 des
formations de maîtres composteurs d'abord sur la base du
bénévolat puis, depuis 1995, grâce à des subventions
d'Environnement Canada. Le programme de formation québécois a
été copié par la Belgique en 1996 » avant de
s'exporter en France quelques années plus tard. « En conclusion,
cette nouvelle activité est relativement standardisée du Canada
à la France et on suppose qu'il existe un langage et des messages
communs à travers ce mouvement international. ». PHILIPPOT
Véronique, Approche ethnologique de la pratique du compostage
collectif citadin. Les vertus citoyennes à l'épreuve de
l'enquête., 2011, p. 97, Mémoire de master «
Évolution, patrimoine naturel et sociétés » au Museum
national d'histoire naturelle en cohabilitation avec AgroParisTech.
78 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p.
110.
Partie 3. Pistes d'analyse sociologique sur
le
compostage collectif à
Besançon
Chapitre 1. Trivial Compost ou « faire de
nécessité vertu »
Après une brève présentation de
l'association Trivial Compost, nous tenterons de comprendre dans quel
modèle d'action s'inscrit le développement du compostage
collectif à Besançon, pour ensuite en esquisser quelques
limites.
1. Genèse de l'association
1.A. Des idées à l'action
En 2009, un groupe d'amis bisontins, étudiants en
sociologie et animés par les thématiques en rapport avec le
développement durable, l'Économie Sociale et Solidaire et la
démocratie participative, en a assez de refaire le monde et
décide de mettre ses convictions en pratique, de passer d'une
réflexion théorique à une action de terrain. Ils cherchent
alors un domaine d'action qui puisse leur permettre de promouvoir les valeurs
et les idées qu'ils portent. Convaincus que les offres d'emplois dans le
domaine du développement durable ne correspondent pas à leurs
aspirations, certains membres de ce groupe ont pour projet de créer une
activité économique suffisamment rémunératrice pour
permettre un investissement total dans l'association qui soit à la fois
salarié et militant. Plusieurs pistes d'actions sont alors
envisagées : création d'une monnaie locale et solidaire,
promotion et diffusion des couches lavables, opération de compostage en
pied d'immeuble.
Jean, qui se trouve au coeur de la réflexion
collective, est informé des expériences de compostage collectif
menées dans d'autres villes françaises et la démarche de
ce type de projet le séduit : il s'agit d'« amener des gens qui ne
sont pas forcément des écolos convaincus à cette pratique.
»1. Le compostage est un bon moyen de concilier une action
locale à une réflexion globale puisque des valeurs ou
conceptions, qui ont une portée plus générale - telles que
la préservation des ressources naturelles (retour des principes
fertilisants à la terre), le mode d'alimentation (pour faire du compost
il ne faut pas manger des plats tout préparés) ou le lien social
(la gestion partagée d'un site de compostage peut être vectrice de
convivialité au sein d'un espace d'habitation collectif) -, sont
susceptibles d'être véhiculées à travers cette
activité.
Ce projet associatif rentre alors en résonance avec la
réflexion que mène le SYBERT sur la
1 Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9
mars 2012.
valorisation organique et le choix de privilégier un
système décentralisé de traitement des biodéchets.
Pour ce faire, le SYBERT a besoin d'un prestataire externe qui joue le
rôle de relai de terrain. Cette opportunité conforte la future
association dans sa démarche en faveur du compostage collectif et
l'oblige à se positionner rapidement sur cette thématique afin de
pouvoir bénéficier d'un éventuel partenariat avec le
SYBERT. Celle-ci commence alors à se structurer en prenant un premier
nom très représentatif de l'esprit qui anime ses membres : «
Utopya and Co »2. L'objectif fixé est de défendre
des valeurs pouvant paraître utopiques à travers l'adoption de
gestes concrets qui s'ancrent dans le quotidien. La jeune association compte se
professionnaliser3 en acquérant une compétence
reconnue en matière de compostage collectif4, tout en gardant
une démarche militante promouvant un changement global. Après un
nouveau brainstorming, le nom définitif de l'association est finalement
trouvé : Trivial Compost qui signifie, comme l'explique Jean, que «
le compostage c'est trivial, ou du moins ça doit le devenir. Et, via le
compost, il faudra qu'on arrive à véhiculer ce pourquoi on a
monté cette association et toucher un maximum de thématiques.
»
1.B. Des désillusions qui forgent
l'expérience
Les statuts de l'association sont déposés le 10
mars 2010 et Trivial Compost se lance dans des animations grand public sur le
compostage pour le compte du SYBERT. Cette même année, le SYBERT
émet un appel d'offre pour le marché d'accompagnement des
copropriétés dans le compostage en pied d'immeuble. Trivial
Compost, faisant figure de « petit poucet »5, souhaite
initier une coopération avec les autres associations bisontines
d'éducation à l'environnement afin d'apporter une réponse
commune qui soit crédible, complète et fédératrice.
Malheureusement, cette expérience se solde par un échec en raison
de la difficile convergence des différents points de vue réunis.
Les associations les plus expérimentées ont insisté pour
gonfler le devis présenté au SYBERT et c'est la Fabrique des
Gravottes (entreprise qui conçoit et assemble les composteurs) qui est
finalement retenue pour assurer l'accompagnement des projets de compostage en
pied d'immeuble. La tournure légèrement polémique que
prend finalement ce louable projet de coopération inter-associative
déflore la conception idéaliste du monde associatif qui
était alors celle
2 Le « Co » est synonyme de « concret,
coopération, compostage, etc. ».
3 « Au sein du monde associatif, la professionnalisation
désigne, soit l'importation de méthodes se voulant
professionnelles, par opposition à un amateurisme associé aux
bénévoles, soit l'embauche de spécialistes ou de
professionnels dûment formés aux techniques utiles dans les «
fonctions » de l'entreprise comme le marketing, la communication, les
ressources humaines, etc. Ou encore, dans un troisième sens assez
différent, le statut salarié de ceux qui n'exercent pas de
manière bénévole (par exemple, les pompiers
professionnels, opposés aux pompiers volontaires). » UGHETTO
Pascal, COMBES Marie-Christine, « Entre les valeurs associatives et la
professionnalisation : le travail, un chaînon manquant ? », in
Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie,
2010 : n°5.
4 Deux membres de l'association partent en Belgique suivre une
formation de maîtres composteurs auprès de l'organisme qui fait
figure de référence en matière de compostage, le
Comité Jean Pain
5 Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9
mars 2012.
de Trivial Compost.
Jean : « Et puis bon, à travers ces
réunions on s'est rendus compte que c'était la guerre entre
toutes les associations d'éducation à l'environnement. Et puis
là, quelque part, on a perdu notre virginité. L'associatif c'est
ultra-concurrentiel, c'est à couteaux tirés quoi. »
(Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Trivial Compost tire des enseignements de cette
expérience avortée et décide de répondre seul
à l'appel d'offre du SYBERT l'année suivante, ce qui se traduit
cette fois ci par un succès. Dès lors, le statut de prestataire
du SYBERT donne du crédit et une viabilité économique
à l'association qui peut progressivement employer des salariés
(principalement via des contrats aidés) et acquérir des moyens
logistiques (local, véhicule utilitaire, etc.). Toutefois, ce nouveau
statut est source de tensions entre les objectifs de base de l'association et
les objectifs inhérents à son statut de prestataire du SYBERT. Sa
mission d'accompagnement des copropriétés dans la mise en place
d'opérations de compostage collectif l'oblige à accorder la
priorité au compostage sur d'autres thématiques qui lui tiennent
à coeur.
Jean : « Bon, là on est deux ans après, et
c'est vrai que le "via le compost", à part dans le discours, c'est
difficile de le trouver palpable parce qu'on a voulu trouver une
viabilité économique pour qu'on soit une association et qu'on ait
aussi des permanents. Et ben, ouais, là on est dans le compost la
tête dans le guidon et prestataire du SYBERT. Ça c'est clair et
net. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars
2012.)
Trivial Compost se confronte au dilemme des associations
environnementales6 qui se traduit par la difficulté de
concilier une dimension militante à une dépendance
vis-à-vis des financeurs. L'association, faisant de
nécessité vertu, compose dans un entre-deux qui, nous le verrons,
est à la fois un frein et un moteur pour l'action associative.
Notons au passage que les deux stratégies
défendues par Trivial Compost pour avoir une influence à un
niveau plus global sont le recrutement de nouveaux alliés dans une
population qui n'est pas acquise à la cause écologique et la
convergence des pratiques et réflexions alternatives via la
coopération et la mutualisation des forces associatives
positionnées dans ce domaine7.
6 « En fin de compte, soit les associations canalisent
leur capacité mobilisatrice vers la construction d'un relais d'influence
qui tend à les assimiler à une structure parapublique, soit elles
préservent leur capacité mobilisatrice autonome, au prix d'une
faible institutionnalisation et du maintien d'une concurrence, souvent
difficile à tenir avec les associations participatives et les groupes
politiques traditionnels. Mais sans doute est-il préférable de ne
pas analyser cette configuration en termes de dilemme
participation-intégration/autonomie-protestation et de considérer
que le système d'action caractéristique des associations de
défense de l'environnement s'organise en tension entre ces deux
polarités, la plupart d'entre elles combinant dans leur registre
d'action, selon les moments et les enjeux, l'une et l'autre démarche.
» LASCOUMES Pierre, L'éco-pouvoir, Paris : La
Découverte, 1994 cité in LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op.
cit., p. 42.
7 Cette conception des leviers pour atteindre un changement
systémique est véhiculée par les acteurs promouvant une
« décroissance soutenable », projet dans lequel s'inscrit
Trivial Compost : « La difficulté est de dégager des
capacités pour mettre en synergie des actions intervenant sur des plans
ou dans des registres différents. Comment créer structurellement
les conditions d'une participation collective ? Les dynamiques de
réseaux, et plus particulièrement de mise en réseau
d'expérimentations diverses (comme les systèmes d'échanges
locaux [SEL], les
2. Le modèle de développement du compostage
collectif à Besançon 2.A. L'acceptation des projets de compostage
collectif en Assemblée Générale
de copropriété
Pour qu'un projet de compostage collectif voit le jour au sein
d'un immeuble, il faut que l'initiative émerge d'un ou plusieurs
habitants8 et que celle-ci soit acceptée par
l'Assemblée Générale de copropriété ou par
l'organisme logeur lorsqu'il s'agit de logements HLM. Cette étape est
décisive étant donné que le choix d'un traitement de
proximité des déchets organiques est censé garantir une
meilleure acceptabilité sociale des infrastructures nécessaires
à ce traitement. Cependant, l'approbation des copropriétaires
à l'installation d'un composteur collectif n'est pas spontanée.
Au contraire, pour l'obtenir il est nécessaire de rationaliser les
réticences de certains résidents grâce à un
argumentaire bien ficelé. Les motifs de refus soulevés par les
copropriétaires sceptiques concernent soit les nuisances potentielles
(odeurs, insectes et rongeurs susceptibles d'être attirés par les
résidus organiques), soit les voisins indisciplinés et incapables
de participer à une telle action, soit le droit de se désinvestir
de la gestion de ses ordures sous prétexte d'une contribution
financière déjà élevée au coût du
SPED.
2.A.a. Les motifs de réticence
Une peur irrationnelle des nuisances
?
L'exemple de Vincent et Émeline, qui avaient
proposé l'installation d'un composteur en pied de leur immeuble avant
que le SYBERT instaure une politique d'accompagnement à la mise en place
de projets de compostage collectif, rend bien compte des peurs suscitées
par les nuisances potentielles de ce type d'installation.
Émeline : « En fait quand je suis arrivée
dans la copro en 2007, à la première AG qu'il y avait eu, j'avais
proposé qu'on fasse du compostage et là j'avais fait flop quoi,
un gros flop. [...] Donc, en gros, vraiment personne n'était
intéressé. Après ils [les autres copropriétaires]
avaient commencé à dire "Oh non, ça va ramener des
bêtes, il y aura des rats, et puis ça va puer" ». (Entretien
avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
D'une part, le compostage suscite des représentations
négatives, cette pratique étant associée chez certains
copropriétaires à la décomposition, la
putréfaction, la puanteur, la prolifération d'insectes
et rongeurs qualifiés de nuisibles. La disqualification du compostage
de proximité par certains
Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne
[AMAP]...), peuvent se présenter comme une piste et leur
développement conjoint mérite donc d'être regardé
plus attentivement. Un changement à un niveau systémique, comme
celui promu sous le label de la « décroissance soutenable »,
ne peut effectivement se faire sans une forme de coordination entre un large
ensemble d'acteurs et une mise en commun, voire une synergie, de ressources et
de compétences. ». RUMPALA Yannick, « La décroissance
soutenable face à la question du « comment ? » », in
Mouvements, 3/2009 : n° 59, p. 163-164.
8 Ces habitants deviennent les référents du
compostage au sein de leur immeuble et acquièrent le titre de «
guide composteur » après avoir suivi une formation d'un jour
auprès du SYBERT.
résidents s'apparente à ce que les
spécialistes des déchets nomment le phénomène NIMBY
et qui s'exprime par un rejet des installations de traitement des ordures par
les riverains en raison des nuisances potentielles que ces dernières
peuvent impliquer. D'autre part, en plus d'être repoussante, la
matière organique est assimilée pour certains au fumier, parfois
nauséabond, produit dans les campagnes. Le compostage urbain peut alors
paraître rétrograde en allant à l'encontre de leur
définition subjective du progrès.
Des voisins indisciplinés ?
L'autre argument fréquemment avancé concerne le
comportement des voisins face à leurs déchets. Ces derniers sont
soupçonnés d'être peu attentifs à la gestion de
leurs ordures. Rappelons que les conteneurs sont stockés dans des
parties communes et que cette cohabitation temporaire des déchets de
tous les voisins au sein des conteneurs, avant qu'ils ne soient enlevés
par le camionbenne, soumet les détritus de chacun à la vue de
tous. Ceci permet à certains résidents de porter un jugement sur
le comportement de leurs voisins qui se fonde sur divers signes tels que
l'état des poubelles ou la qualité du tri.
Vincent : « Plus ceux qui disaient aussi "il y en a
déjà plein qui trient pas - comme quoi c'est un tout - et quand
les gens ils commenceront à trier alors on l'installera". »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
Cette caractérisation des voisins comme individus
indisciplinés assimile toute velléité d'installation d'un
composteur collectif à une utopie tant que l'ensemble des
résidents de l'immeuble n'aura pas démontré sa
capacité à opérer les bons gestes en termes de tri. A cela
s'ajoute la contrainte de la réciprocité en habitat collectif,
c'est-à-dire que l'investissement consenti par chacun dans la vie de la
copropriété (qui comprend aussi la bonne gestion de ses
déchets ménagers) ne doit pas être en asymétrie avec
l'investissement consenti par l'Autre, le voisin. Autrement dit, il est
inenvisageable pour certains copropriétaires « d'en faire plus
» tant que d'autres copropriétaires continueront « d'en faire
moins ».
Le SPED : un service total ?
Jean résume très bien le dernier argument
mentionné par les copropriétaires réticents : «
Pourquoi on nous demande de faire des efforts ? Si on paye pour la gestion des
déchets c'est pas à nous de le faire. »9. Dans ce
cas, le SPED est considéré comme ayant la charge intégrale
de la gestion des déchets et chaque individu reste cantonné au
rang de consommateur d'un service qui doit rester total. Cette conception du
SPED se rapproche de celle qui fut promue et adoptée en France par la
majorité des acteurs concernés (pouvoirs publics, industriels et
ménages) des années
9 Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9
mars 2012.
1970 jusqu'aux années 1990 et le développement
de la collecte sélective. Elle peut, à ce titre, être
considérée comme une survivance de cet ancien modèle. Ce
point est d'ailleurs l'une des limites de la redevance incitative : le
glissement de certains habitants vers une « consommation » totale du
service de gestion des déchets risque de les rendre hermétiques
aux incitations financières, comme le souligne Christian :
Christian : « Quand on discute avec des gens qui ne sont
pas convaincus, ils disent "de toute manière on paye déjà
assez cher", donc ça les dérange pas d'en payer un peu plus.
» (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
2.A.b. Trivial Compost : la médiation d'un expert
du compostage
Ces trois lignes argumentatives redondantes ont
été très vite saisies par Trivial Compost qui a su
riposter lors de ses interventions auprès des
copropriétés. En effet, l'association passe dans chaque immeuble
avant la présentation du projet en AG afin de décider des
modalités techniques de la future installation et d'exposer un point de
vue d'expert qui rassure les copropriétaires, ce qui lui a permis de se
forger une expérience et de bâtir une contre-argumentation solide
face aux réticences exprimées.
Émeline : « Et puis vraiment il y a plein de
préjugés en fait et donc c'est vraiment bien qu'ils passent avant
l'AG pour casser tout ces préjugés. Le truc c'est que moi, de
l'intérieur, je n'arrivais pas à casser les
préjugés, les gens ne me croyaient pas. Il fallait quelqu'un de
l'extérieur qui... je sais pas, qui fasse un petit peu sérieux.
» (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
Une position d'expert qui permet de rationaliser les
peurs liées aux nuisances
Trivial Compost s'appuie sur sa qualité d'expert pour
affirmer qu'un site de compostage bien géré ne
génère pas de nuisances. Son discours est d'autant plus
crédible que le compostage collectif est en pleine expansion et est une
réussite sur la quasi-totalité des sites qui ont
démarré depuis 2010. Ce travail de rationalisation des
représentations des ménages permet facilement de contourner les
réticences liées à la peur des nuisances. Une information
de proximité permet d'atteindre un très bon niveau
d'acceptabilité sociale.
Jean : « Tous les préjugés qu'ils peuvent
avoir autour du compost, nous on peut les écarter assez facilement parce
qu'on a un retour d'expérience à faire valoir. Et c'est de plus
en plus facile. Au début, bon ben voilà, les premières
copros c'est sûr que là... Maintenant on n'a plus de refus.
Généralement il n'y a plus de refus. Au début
c'était plus compliqué. Bon après on a rodé un
discours aussi. On sait que, voilà, on a 40 copropriétés,
il y a pas un problème. C'est déjà plus facile
d'argumenter. [...] C'est là qu'on peut jouer un peu sur la position
d'experts même si on n'aime pas du tout cette position. » (Entretien
avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Cette position d'expert est à la fois avantageuse et
inconfortable pour Trivial Compost qui la rejette tout en s'appuyant dessus
lorsque c'est nécessaire. En effet, ce titre d'expert s'oppose à
la conception du compostage que l'association promeut : si composter doit
devenir un geste trivial, le
savoir inhérent à ce geste ne doit pas
être monopolisé par des professionnels et doit devenir un savoir
populaire. Trivial Compost jongle dans un entre-deux : d'un côté,
l'association revendique son statut d'expert pour convaincre les
copropriétaires réticents et légitimer sa position de
prestataire du SYBERT ; de l'autre, elle défend une conception du
compostage comme étant un savoir pratique et universalisable qui n'est
l'apanage de personne. Les contradictions inhérentes à la
position de « professionnel-militant » de Trivial Compost, qui
pourraient être handicapantes, sont au contraire transformées en
atout qui permet d'adopter une large gamme de positions discursives selon les
situations et les interlocuteurs rencontrés.
Un argumentaire moins étoffé face aux
autres motifs de réticence
Alors que les réticences liées aux nuisances
s'appuient sur des angoisses exacerbées qu'il suffit de rationaliser,
les autres motifs de refus sont plus complexes à contrecarrer.
En ce qui concerne les copropriétaires qui sont
sceptiques quant à la participation des habitants de l'immeuble au
compostage, l'argument avancé par Trivial Compost se fonde moins sur sa
qualité d'expert que sur une conception de l'action collective et de
l'enrôlement de nouveaux alliés : il s'agit pour chaque
copropriétaire participant au compostage de faire preuve
d'exemplarité pour emporter l'adhésion des non-participants.
Jean : « Et puis nous ce qu'on constate quand même
tous les jours sur les AG, sur nos visites et autres, c'est "Ah, mais pourquoi
moi je m'investirais alors que les autres ne s'investissent pas". Non, c'est
pas ça la question. C'est "Investis toi déjà et puis
après on verra si les autres participent ou pas. Mais si toi tu ne fais
pas le premier pas, n'attends pas que ton voisin le fasse.". » (Entretien
avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Pis, face à des copropriétaires qui
considèrent que le SPED doit être un service total excluant toute
participation du citoyen, le dialogue semble bloqué puisque les discours
des deux parties sont antithétiques. Néanmoins, cette population
est largement minoritaire, ce qui signifie que les arguments techniques,
économiques et écologiques avancés par Trivial Compost
atteignent la plupart des copropriétaires.
L'importance de Trivial Compost en
AG
Lorsque l'installation de composteurs en pied d'immeuble est
sujette à débats, voire à polémiques, les
copropriétaires qui ont initié le projet restent relativement en
retrait et ce sont principalement les opposants au projet qui s'expriment.
Malgré un discours relativement hostile qui émerge en AG de
copropriété, le vote décisionnel est presque
systématiquement favorable au projet. Le retrait des
copropriétaires référents du débat (afin de laisser
Trivial Compost argumenter à leur place) donne une dimension
désintéressée et inoffensive à leur initiative
alors que l'animosité des opposants peut paraître suspecte.
Jean : « Majoritairement, ceux qui prennent la parole ce
sont ceux qui sont contre. Pas tout le temps, mais dans la grand
majorité des cas, les gens qui prennent la parole ce sont les gens qui
sont contre. Il y a très peu de manifestations : ''Oui on est pour !''.
C'est nous qui portons les arguments pour. Même les
référents, les gens qui nous ont appelés, se positionnent
rarement en AG parce que c'est prendre un risque de se positionner comme
porteur du changement.
Victor : Oui et puis ça peut créer un conflit dans
l'immeuble et faire capoter le projet.
Jean : Ça peut créer un conflit. Donc on a peu
de manifestations d'intérêt verbales, de gens qui prennent
position. Après, quand il y a le vote, bon ben
généralement il y a la majorité qui est pour. »
(Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
2.A.c. D'autres leviers qui favorisent
l'acceptabilité sociale du compostage
Cependant, l'action de Trivial Compost n'est pas le seul
levier qui facilite l'acceptation des projets de compostage collectif en AG de
copropriétés. Les gérants de syndics10 et les
pouvoirs publics sont deux acteurs qui octroient une légitimité
renforcée aux projets de compostage collectif.
Les représentants du syndic
Rappelons qu'en habitat collectif, les copropriétaires
délèguent généralement la gestion technique et
financière de leurs déchets au syndic. Cette
délégation de compétence donne donc une dimension centrale
à l'opinion du gestionnaire quant à l'opportunité
d'installer des composteurs au sein de la copropriété puisque
celui-ci est censé prendre des décisions qui vont dans
l'intérêt de la copropriété. Notons qu'avec la
multiplication des sites de compostage collectif, les gestionnaires de
copropriétés ont eu accès à de nombreux retours
d'expériences, la plupart du temps positifs, ce qui leur donne de plus
en plus un rôle clé dans la promotion du compostage collectif.
Jean : « Ben on a des personnes qui s'occupent des
syndics qui sont vraiment relais, qui vont en parler en conseil syndical, qui
vont amener l'idée. Et donc ça pose une autre
légitimité parce que ce sont des gens qui ne sont pas directement
intéressés par le compostage. Et donc là les
copropriétaires prêtent un peu plus attention. » (Entretien
avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Émeline : « Il y a eu une réunion du
conseil syndical, et donc j'ai voulu relancer le sujet. Et le gars qui
s'occupait du syndic avait changé [l'ancien gérant s'était
opposé au projet de compostage]. Donc là quand j'ai
relancé l'idée, c'est pareil, il y en a qui ont commencé
à dire ''oui, mais il y a des animaux et tout ça''. Et, en fait,
le mec du conseil syndical a dit ''Ah, mais attendez, moi dans d'autres
copropriétés il y en a qui l'ont installé, il n'y a pas du
tout d'animaux, il n'y a pas d'odeurs. C'est vrai que c'est vachement bien et
il va y avoir la redevance incitative.''. Et donc en fait, le fait qu'il y ait
cette tierce personne qui paraissait un peu neutre [a fait] que tout les
voisins se sont dit ''ah ben ouais, ben pourquoi pas !''. Parce qu'en fait moi
j'étais un peu passée au début pour l'écolo de
service quoi. Donc j'étais un peu plus discréditée. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
10 « Dans le droit de la copropriété "le
syndic"est la personne physique ou morale désignée par
l'assemblée générale des copropriétaires dont la
fonction consiste à assurer l'administration de l'immeuble
dépendant de la copropriété. Sa gestion est
contrôlée par un "Conseil syndical" formé de
copropriétaires élus par l'assemblée des
copropriétaires. » Source :
http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/syndic.php
(page consultée le 04/06/2012)
Comme le mentionne Émeline, l'instauration de la
redevance incitative avec pesée embarquée a aussi
été un facteur déterminant dans la promotion du compostage
collectif par les représentants des syndics : des frais
maîtrisés de gestion des déchets ne sont-il pas le signe
d'une bonne administration de la part du gestionnaire ? Ceci signifie donc que,
au-delà des négociations au sein de chaque immeuble,
l'acceptabilité sociale du compostage de proximité dépend
aussi du caractère incitatif des politiques locales de gestion des
déchets.
Un effet redevance incitative ?
L'instauration de la redevance incitative avec pesée
embarquée à Besançon est donc un levier opportun qui
facilite l'acceptation des projets en Assemblée Générale
de copropriété, bien que cet argument soit rarement une des
premières raisons avancées par les guides composteurs ayant
initié le projet de compostage dans leur copropriété. Les
motivations exprimées par ces derniers, nous le verrons, sont plus de
l'ordre des valeurs, des convictions. La redevance incitative produit un effet
d'aubaine11 chez les guides composteurs et la rationalité
économique n'est pas au coeur des initiatives de compostage collectif.
Assurément, l'effet d'aubaine présuppose que d'autres motifs
incitaient déjà les guides composteurs à passer à
l'action avant que le levier économique ne soit actionné.
L'argument économique peut donc amener certains copropriétaires
à composter mais n'est presque jamais directement à l'origine de
l'initiative des guides composteurs. Ainsi, Jean interprète la
recrudescence des demandes de compostage en pied d'immeuble, depuis l'annonce
de la mise en place de la redevance incitative, comme la concrétisation
opportuniste d'une action qui était déjà pensée et
envisagée par la plupart des nouveaux guides composteurs.
Jean : « L'effet redevance incitative c'est un argument
en plus pour les gens qui voulaient déjà lancer le compostage. Il
y a une bonne partie des guides composteurs qui sont des gens qui partagent
tout ce dont je suis en train de te parler depuis tout à l'heure : des
valeurs concomitantes, sous-jacentes au compostage. Il y en a ça faisait
une fois, deux fois qu'ils proposaient [et c'était] jamais
validé. Là il y a la redevance, donc ils ont un argument en plus.
[...] Donc c'est bien joué de la part de nos élus. C'est bien
joué parce que là, encore une fois, on retrouve le truc : via
l'argument économique on va toucher des personnes qui étaient pas
rompues à la pratique éco-citoyenne et, via ce poids qui arrive,
tous les éco-citoyens ont des arguments en plus pour convaincre les gens
qui ne l'étaient pas. Là-dessus c'est fort. » (Entretien
avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Pour Trivial Compost, la redevance incitative conforte sa
stratégie de recrutement d'alliés puisqu'elle permet de
sensibiliser aux questions écologiques des copropriétaires qui
s'investissent simplement dans le compostage pour réaliser des
économies financières.
11 « Lorsqu'un acteur économique s'efforce
d'inciter les autres acteurs à agir de telle manière, il les
appâte en général en leur offrant un avantage s'ils se
comportent de la façon souhaitée: par exemple baisse de prix,
prime, cadeau, etc. Il y a effet d'aubaine si l'acteur qui
bénéficie de cet avantage avait eu, de toute façon,
l'intention d'agir ainsi même si l'avantage n'avait pas été
accordé. »
Source :
http://www.alternativeseconomiques.fr/Dictionnaire_fr_52__def609.html
(page consultée le 04/06/2012)
2.B. L'accompagnement et le suivi des projets
L'accompagnement et le suivi des projets de compostage
collectif sont destinés à assurer un soutien opérationnel
aux guides composteurs. Ces actions concrètes se doublent d'une
production discursive en direction des guides composteurs qui fait office de
répertoire des différentes justifications. Ces derniers peuvent
mobiliser les différents arguments avancés par Trivial Compost
pour défendre la nécessité de la pratique du
compostage.
2.B.a. Un suivi opérationnel
La formation de guide composteur, qui s'apparente plus
à une introduction à la pratique du compostage, ne suffit pas
à rendre autonomes les personnes référentes au sein de
chaque copropriété. Ces dernières ont besoin de
l'assistance de Trivial Compost et du SYBERT pour répondre à
certaines questions techniques ou organisationnelles qui concernent le «
comment composter ? ». Ces questions peuvent autant concerner
l'équilibre du compost12 et l'approvisionnement en
broyât de bois13 que les moyens de sensibiliser les
copropriétaires. Les experts de Trivial Compost visitent
régulièrement les sites de compostage collectif et donnent ainsi
des conseils techniques aux guides composteurs. Finalement, à travers un
accompagnement prévu pour un an, les guides composteurs prolongent leur
formation grâce à l'expérimentation personnelle et aux
conseils distillés par l'association. Ils acquièrent ainsi un
statut de quasi-experts et doivent prouver leur capacité à
gérer leur site de compostage de façon autonome.
2.B.b. Donner du sens à la pratique du
compostage
Trivial Compost, grâce à sa posture militante, va
plus loin que ce simple suivi opérationnel en tentant de donner du sens
à la pratique de compostage, ce qui revient à répondre au
« pourquoi composter ? ». A travers ses différentes visites
sur les sites de compostage, les salariés de l'association discutent
longuement avec les guides composteurs et leur délivrent des
informations qui justifient leur investissement personnel dans le compostage
et, en même temps, les invitent à s'impliquer sur d'autres
thématiques connexes.
Jean : « Il y a des guides composteurs qui vont rentrer
dans le compostage parce que c'est la gestion des déchets en
proximité et que ça a un impact sur la redevance payée par
chacun. Mais nous quand on va les voir, forcément le débat il se
déporte sur d'autres choses et on leur donne de l'information, plus
largement sur l'agriculture, l'environnement, le système de production,
la surconsommation. On fait de l'éducation populaire. » (Entretien
avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Cependant ce léger débordement des
compétences déléguées à Trivial Compost
n'est pas toujours
12 La gestion du compost nécessite une bonne connaissance
des processus chimiques qui président à la décomposition
de la matière, tels que le rapport carbone-azote.
13 Pour respecter le rapport carbone-azote et aérer le
compost il est nécessaire d'apporter une matière structurante
carbonée.
vu d'un bon oeil par le SYBERT qui craint que l'association
affiche de façon trop prononcée sa démarche militante, ce
qui pourrait ainsi discréditer l'apparente neutralité de la
politique de compostage de proximité14.
2.C. Les limites du modèle bisontin de compostage
collectif
Afin de pouvoir atteindre un taux de valorisation des
déchets organiques honorable, les sites de compostage collectif doivent
se multiplier. Mais certaines contraintes mettent en relief les limites de ce
modèle.
2.C.a. Le recrutement des guides composteurs
Si de nombreux bisontins résidant en habitat collectif
se sont mobilisés pour installer un site de compostage au sein de leur
copropriété, l'initiative reste pour le moment marginale. Pour
l'étendre il faut réussir à recruter un plus grand nombre
de guides composteurs. Or, nous avons vu que ce sont principalement les
convictions et les valeurs des guides composteurs qui les poussent à
passer à l'action et à inscrire celle-ci dans le temps. Le
recrutement de guides composteurs en habitat social est une question
délicate dans un milieu où la gestion des déchets
ménagers est souvent négligée, ce qui redouble la
nécessité de trouver des personnes référentes
déterminées et influentes. A ce titre, Jean émet une
critique virulente de la logique technocratique à partir du projet
d'installation d'un pavillon de compostage collectif dans le quartier sensible
de Planoise. Cette logique prend peu en compte les caractéristiques du
contexte local et préfère développer un modèle
d'action stéréotypé considérant que l'installation
d'un site compostage suffit à motiver les habitants.
Jean : « On était là : "Mais arrêtez
d'halluciner ! Si vous croyez que parce que vous avez pris la décision
et puis que vous avez l'autorisation des espaces verts pour installer votre
pavillon, ça va fonctionner, vous planez complet !". Ça c'est la
logique technocratique, bureaucratique. » (Entretien avec Jean,
salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
L'imposition d'un site de compostage dans un immeuble où
aucun copropriétaire n'a
démontré sa motivation à s'investir remet
en cause le paradigme sur lequel s'appuie le modèle bisontin en
transférant le pouvoir d'initiative des habitants aux pouvoirs publics :
on passe d'un modèle volontariste à un modèle directif. De
nouveaux problèmes risquent d'apparaître (faible taux de
participation, mauvais entretien du site, abandon, etc.) et l'autonomie de
l'immeuble dans la gestion de son site de compostage risque d'être
précaire. Ainsi, la seule action pérenne envisageable pour
favoriser le développement du compostage collectif à
Besançon réside dans un
14 En effet, les choix techniques opérées ne
sont jamais neutres et s'apparentent à des « projets
socio-techniques », au sens donné à cette expression par
Michel Callon (Cf. partie « Opposer une alternative au modèle
allemand pour préserver l'industrie », p. 45). Ainsi, parmi les
membres du bureau du SYBERT, nous remarquons que beaucoup d'entre-eux ont une
sensibilité écologique accrue : le président est
affilié au parti Europe Ecologie Les Verts et la vice-présidente
au parti Les Alternatifs. Derrière la solution technique que
représente le compostage de proximité se cache aussi un projet
social.
accompagnement public ou associatif qui appuie l'émergence
d'initiatives locales.
2.C.b. Quelle relève pour les guides composteurs
?
Un autre point tout autant sensible du système des
guides composteurs réside dans le remplacement à prévoir
en cas de départ ou de « démission » du guide
composteur de la copropriété et paraît menacer le
modèle sur le long terme. Pour illustrer le problème posé
Christian prend l'exemple très parlant du monde associatif.
Christian : « Mais, en même temps, je dirais que
c'est très fragile. Parce que, pour avoir fait plusieurs associations,
quand vous montez une association vous êtes la partie qui tire
l'association et celle-ci fonctionne. A partir du moment où celui qui a
mis en place l'association disparaît, l'association disparaît
aussi. On remarque que pendant deux ans, grand maximum, il y a des gens qui
disent "ah ben on peut pas laisser tomber, on va reprendre !" mais 9 fois sur
10 ça meurt derrière. Donc ce qui veut dire qu'on retrouve la
même situation avec les guides composteurs... Bon, moi j'ai 68 ans, dans
quelques années je pourrais peut-être plus forcément
m'occuper de tout ça. Mais, en même temps, indépendamment
de l'âge, je peux être amené à
déménager, je peux... Ce qui veut dire que le compostage va
disparaître quoi. » (Entretien avec Christian, guide composteur, le
8 mars 2012.)
L'initiative citoyenne est donc à la fois une force et
une faiblesse du système. La question qui se pose pour faire face
à cet écueil est la suivante : Comment canaliser et consolider le
système des guides composteurs sans adopter une démarche
directive ?
2.C.c. Des contraintes foncières
La dernière difficulté se pose en termes
d'espace disponible pour l'installation de sites de compostage collectif.
Jean : « Mais, après les difficultés c'est
des difficultés de foncier aussi : il faut quand même des espaces
verts. Ou même si il y a pas d'espaces verts on peut quand même
installer, mais bon, on cassera peut-être un petit peu de bitume. Et puis
il faut pas non plus que ce soit trop en vis-à-vis. Ça
dépend vraiment des personnes, des habitants, de la configuration
spatiale de l'immeuble. » (Entretien avec Jean, salarié de Trivial
Compost, le 9 mars 2012.)
Ce problème est particulièrement aigu dans le
centre historique de Besançon où la solution semble se trouver
dans l'installation de sites de compostage collectifs sur l'espace public
(rues, parcs, espaces verts). Or, les quartiers de la Boucle et de Battant sont
des secteurs sauvegardés et les services municipaux paraissent
réticents à l'idée d'installer des composteurs dans ces
zones. Ce blocage administratif est l'occasion pour Trivial Compost de sortir
de sa position de prestataire des collectivités publiques pour engager
une action militante de lobbying qui sous-entend qu'avec un minimum de
volontarisme politique les problèmes liés au foncier peuvent
être facilement résolus.
Jean : « Là on lance les hostilités sur
Battant qui était le deuxième quartier sur lequel on voulait
s'investir au départ, qui est un quartier historique, donc secteur
sauvegardé. Les architectes des bâtiments de
France, l'urbanisme, le service des domaines, tout le monde est
réticent sur l'installation de compostage collectif. Donc
nous on a essayé de faire jouer les élus, on a
pris contact avec pas mal de services - les espaces verts, etc -, pas mal de
gens. C'est tout le temps non. Alors que nous on a énormément de
gens qui habitent Battant et on sait qu'il y a plein de gens motivés.
Donc là on va rentrer sur un peu plus les fondamentaux de l'association,
c'est-à-dire faire du lobbying quoi. Militants, et arrêter de
prendre la voie administrative, la voie institutionnelle. L'idée c'est
de faire une pétition pour peser. » (Entretien avec Jean,
salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Cette action de lobbying coordonnée par Trivial Compost
permet à l'association d'exprimer son ambition militante en sortant de
la tutelle du SYBERT. Elle est très représentative de la position
particulière qu'occupe l'association vis-à-vis des institutions,
position qui oscille entre la méfiance et la coopération. Trivial
Compost exprime un point de vue souvent critique, même vis-à-vis
de la mairie de Besançon ou de la CAGB, tout en accordant du
mérite à ces institutions qui ont su prendre des décisions
innovantes et courageuses.
Jean : « Ça c'est une grande chance pour nous. Le
compostage on s'est dit : "Là c'est énorme, c'est tout simplement
énorme. On a des élus qui sont ultra-motivés, qui y
croient à fond : sur la participation des habitants, sur le fait qu'on
ne prenne pas une grande structure industrielle, pas sur l'investissement
matériel mais sur de l'investissement humain. On va mettre la redevance
incitative. Besançon ville pilote au niveau français." »
(Entretien avec Jean, salarié de Trivial Compost, le 9 mars 2012.)
Afin d'initier une réflexion collective capable de
trouver des solutions aux limites précédemment exposées et
de pérenniser le modèle de compostage collectif bisontin, Trivial
Compost met actuellement en place un réseau des guides composteurs
regroupant tous les guides composteurs désirant partager leur
expérience avec leurs homologues ou s'investir davantage dans la
promotion du compostage et d'autres pratiques éco-citoyennes. A terme,
ce réseau devrait être une structure capable de dynamiser les
projets de compostage collectif grâce à la mise à
disposition de solutions techniques et d'éviter l'isolement des guides
composteurs après l'année d'accompagnement. Cette initiative est
aussi une stratégie de l'association pour gagner en force
bénévole et ainsi élargir le champ d'action de
l'association en s'intéressant à d'autres thématiques
liées à l'éco-citoyenneté. Nous avons pu assister
à la première réunion du réseau, ce qui nous a
permis de rencontrer des guides composteurs avec lesquels nous avons pu nous
entretenir. Ces entretiens semi-directifs étaient destinés
à cerner quelques caractéristiques sociales, motivations et
représentations qui définissent la population des guides
composteurs, ainsi que la façon dont ces derniers s'approprient leur
rôle au sein de la copropriété.
Chapitre 2. Les guides composteurs
A l'aide des trois entretiens réalisés avec des
guides composteurs nous pouvons seulement dégager des pistes d'analyse.
Faute de sources bibliographiques en rapport direct avec notre sujet, les
hypothèses présentées dans cette partie méritent de
faire l'objet d'une vérification sur un plus grand corpus et d'un
approfondissement théorique à l'aide de travaux sociologiques
portant sur des thèmes connexes (lien social en habitat collectif,
éco-citoyenneté, etc.). Avant de s'intéresser aux
motivations et aux représentations susceptibles d'infléchir le
rapport au déchet des guides composteurs, nous allons dégager
certaines caractéristiques sociales de cette population qui peuvent
contribuer à expliquer son investissement dans le compostage collectif.
Enfin, nous analyserons la façon dont les guides composteurs
s'approprient leur rôle.
1. Quelques caractéristiques sociales
influençant la pratique du
compostage
1.A. L'âge
Paradoxalement, alors que l'association Trivial Compost comprend
des bénévoles qui ont
pour la plupart entre 20 et 30 ans, la population des guides
composteurs semble être majoritairement retraitée.
Émeline : « Après, moi, à chaque
fois que j'ai vu des autres guides composteurs, ce qui m'a toujours
étonnée c'est que c'étaient le plus souvent des personnes
âgées, des retraités et tout. Mais des jeunes comme nous on
n'en a pas beaucoup vu. A chaque fois ça m'a un peu
étonnée. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)
Cette sur-représentation des personnes
âgées dans la population des guides composteurs s'explique
en partie par le fait que ceux-ci disposent d'une plus grande
disponibilité pour s'investir dans le compostage collectif.
Au delà de ce facteur disponibilité, nous
pouvons émettre l'hypothèse suivante : le rapport social à
la matière varie selon l'âge. En effet, comme nous l'a
démontré notre partie 1, le contexte socio-historique dans lequel
a évolué et évolue l'individu a une grande influence sur
son rapport au déchet, comme le suggère Christian qui fustige le
rapport à la matière inculqué aux plus jeunes.
Christian : « Mais les jeunes, il faut leur
réapprendre le réflexe parce qu'ils vivent dans un monde
où on leur a appris qu'une chose c'est acheter, jeter, mettre dans la
poubelle. Donc on peut pas leur demander de faire des choses pour lesquelles
ils n'ont jamais eu aucune sensibilité. Au contraire, on a tué
leur sensibilité en disant "ben non, fous le dans la poubelle !" ».
(Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
Nous pouvons aussi ajouter que l'évolution du contexte
socio-historique est marquée par le processus d'urbanisation qui a
radicalement transformé les moeurs en matière de
récupération et de
réutilisation des matières déchues, ce qui
met en relief un deuxième facteur : la proximité de l'individu
vis-à-vis du monde rural15.
1.B. Un lien avec le monde rural
Ainsi, la condamnation par Christian de la profusion dans
laquelle ont grandi les jeunes générations s'adjoint d'une
idéalisation de sa jeunesse en milieu rural.
Christian : « A chaque fois qu'on me parle de la
jeunesse je dis "ben moi ma jeunesse je la re-signe des deux mains parce qu'on
était dans une période faste". Étonnamment faste parce
qu'on n'avait rien qui nous polluait l'esprit. [...] Avec rien on était
heureux. » (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars
2012.)
Jadis, et encore aujourd'hui dans une certaine mesure, les
résidus organiques produits dans les campagnes étaient
systématiquement réintégrés dans le cycle des
matières afin de nourrir les terres (fumier) ou les bêtes. Il
s'agissait donc de valoriser la matière, ce qui contraste avec
l'objectif actuel du compostage urbain qui vise en priorité
l'élimination : le compost n'est pas produit pour fertiliser la terre
mais pour écarter une part du gisement d'ordures de
l'incinération. Cependant, certains copropriétaires qui ont
conservé un lien fort avec la campagne renouent avec l'objectif de
valorisation, comme en témoigne l'utilisation qui sera faite du futur
terreau produit sur le site de compostage de Vincent et Émeline.
Vincent : « Il y a Mr Jacquet qui a demandé si il
pouvait en prendre pour son champ de patates. Parce qu'il y a pas mal de
copropriétaires qui ont des maisons à la campagne ou des jardins
ailleurs. Donc ça les intéresse ceux qui ont un jardin. Donc de
tout façon voilà, pour l'élimination -
"l'élimination"... la valorisation on va dire plutôt - il y a pas
de problèmes quoi. » (Entretien avec Vincent et Émeline,
guides composteurs, le 6 mars 2012.)
1.C. Le mode d'habitat
A défaut d'avoir vécu à la campagne, le
mode d'habitat peut également être un facteur déterminant
dans la pratique du compostage collectif. Ainsi, pour Gérard, l'habitude
de composter s'est imposée d'elle-même avec l'occupation d'un
habitat pavillonnaire durant sa vie active : dans son cas, ce sont les
déchets de jardin qui l'ont poussé à pratiquer le
compostage, et non les déchets de cuisine. Cette habitude s'est
maintenue dans le temps, même après son déménagement
au sein d'une résidence collective.
Gérard : « Ben, comme j'avais le jardin, j'avais
des tontes de gazon, j'avais des coupes de fleurs, des machins... Donc tout
ça je le mettais dans le composteur. Et puis en même temps on
mettait les déchets ménagers. C'est venu comme ça. »
(Entretien avec Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)
15 Remarquons que cette notion de proximité avec la monde
rural reste floue et qu'elle mériterait d'être éclaircie
par des recherches complémentaires.
2. Motivations des guides composteurs
2.A. Un sentiment de distinction ?
Chez certains guides composteurs, faire partie des premiers
sites de compostage bisontins provoque une fierté, voire un sentiment de
distinction par rapport à d'autres citoyens peu respectueux de
l'entretien. Le sentiment d'être un précurseur et d'avoir fait le
bon choix en ayant décidé d'installer un composteur au sein de la
copropriété peuvent être confortés par les visites
de néo-composteurs qui sont amenés sur les sites les plus
exemplaires lors des formations de guides composteurs du SYBERT.
Gérard : « A chaque fois que Louise m'amène
des gens ici pour voir, ils sont stupéfaits parce que ça sent
rien du tout. [...] Et puis le SYBERT ils aiment bien visiter mon site de
compostage parce qu'il y a un bel environnement, derrière c'est sympa,
c'est de la verdure et tout ça. » (Entretien avec Gérard,
guide composteur, le 6 mars 2012.)
Le sentiment de distinction est aussi alimenté par une
promotion des éco-gestes et une valorisation des éco-citoyens sur
la scène publique. Les initiatives de compostage collectif sont
très médiatisées : Gérard a été
sollicité à plusieurs reprises pour donner des interviews au
bulletin municipal (BVV) et à la presse locale, voire nationale (France
Inter). Toutefois, pour les guides composteurs à la retraite, les
rétributions symboliques16 qu'apportent l'exemplarité
et la valorisation de leur comportement sur la scène publique ne
flattent pas tant leur ego qu'elles leur apportent plutôt une animation
ludique qui s'inscrit dans une temporalité structurant le
quotidien17.
Gérard : « Pour moi, je suis à la retraite,
ça m'occupe un peu et puis c'est un plaisir. » (Entretien avec
Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)
2.B. Une participation à la vie collective
?
Mieux gérer ses déchets grâce au
compostage peut également relever d'une volonté de participation
à la vie collective : il s'agit de rendre service au collectif, que ce
collectif désigne la société dans son ensemble, la ville,
le quartier ou la copropriété. En effet, nous pouvons remarquer
que l'investissement dans le compostage est corrélé avec
l'investissement dans la vie du collectif. Ainsi, les multiples engagements
associatifs et institutionnels de Christian (Conseil Syndical des Familles,
Centre Technique Régional de la Consommation de Franche-Comté,
Conseil des sages) l'ont poussé à développer le compostage
au sein de son quartier. Ce constat est encore plus palpable chez Vincent et
Émeline concernant l'investissement consenti par leurs voisins au sein
de la vie
16 Concept forgé par Daniel Gaxie qui désigne la
contrepartie immatérielle inhérente à l'action d'un
individu (prestige, reconnaissance, etc.). GAXIE Daniel, « Économie
des partis et rétributions du militantisme », in Revue
française de sciences politiques, 1/1977 : Vol. 27, p. 123-154.
17 A travers ses travaux sur le commerce équitable,
Matthieu GATEAU montre que l'investissement d'une population retraitée
dans l'antenne dijonnaise d'Artisans du Monde résulte d'un désir
d'« utilité » et d'« établissement d'un cadre
temporel ». GATEAU Matthieu, « Militer pour Artisans du Monde et Max
Havelaar. Étude de cas des acteurs associatifs et militants du commerce
équitable dijonnais », in Interrogations : n°4, p.
207.
collective de l'immeuble :
Vincent : « En fait la plupart de ceux qui sont investis
dans l'immeuble, c'est-à-dire qui font des travaux, qui
s'intéressent à la vie de l'immeuble, à la vie de la
copro, participent au compost. Ceux qui ne participent pas ce
sont ceux qu'on ne voit jamais, ceux qui s'en foutent un peu
de ce qui se passe autour. En résumé c'est ça. »
Émeline : « Mais c'est vrai qu'on est une copro où il y a
pas mal de personnes âgées et quand même pas mal de gens qui
ont l'esprit de faire les choses elles-mêmes. Donc tous les espaces verts
c'est les petits vieux qui les entretiennent. La peinture de la barrière
c'est eux qui la font. Là ils avaient refait le bardage sur un bout de
garage. Dès fois ils rebricolent des choses. Donc en fait c'était
déjà dans l'esprit de la copro d'avoir un compost, qu'on fasse
nous même un truc pour toute la copro. Mais les gens qui font
déjà pas mal de choses avaient pas envie de se relancer encore
là dedans. Parce qu'ils s'imaginaient que c'était beaucoup de
travail. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs,
le 6 mars 2012.)
La copropriété de Vincent et Émeline ne
délègue pas l'intégralité de la gestion des parties
communes au syndic pour conserver l'emprise sur un espace collectif vecteur de
convivialité. C'est à travers un investissement commun dans des
petits travaux que le lien social entre copropriétaires prend forme et
se stabilise. Néanmoins, ce constat est vrai pour les personnes
âgées habitant l'immeuble depuis longtemps. Vincent et
Émeline ont emménagé assez récemment et
l'intégration au sein de ce collectif n'a pas été
évident malgré leurs propositions récurrentes
adressées aux copropriétaires pour participer aux petits travaux
qui n'ont jamais abouti.
Émeline : « Avant que j'arrive dans le conseil
syndical, c'était vraiment que des retraités qui se connaissent
depuis des années et qui font les choses ensemble depuis des
années, et j'ai trouvé qu'ils avaient un petit peu du mal - au
début hein - à intégrer des nouvelles personnes. Enfin
voilà, à prendre en compte des nouvelles personnes. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
L'investissement de Vincent et Émeline dans
l'installation d'un site de compostage collectif reflète leur
volonté d'apporter une contribution à la vie collective de
l'immeuble. Les relations entre copropriétaires sont marquées par
une économie de la réciprocité : pour intégrer le
collectif il faut répondre au don des autres copropriétaires
(petits travaux d'entretien des parties communes) par un contre-don
(l'installation et la gestion de composteurs).
Émeline : « Après ce qui est quand
même satisfaisant c'est aussi de se dire qu'on participe à la vie
de la copro parce que... Comme je dis, dans la copro il y en a pleins qui vont
s'occuper des espaces verts, qui vont peindre les barrières et tout
ça. Sauf qu'ils le font toujours que pendant les périodes
où on travaille quoi. Parce que comme c'est tous des retraités,
généralement le week end ils sont pas forcément là
donc ils le font en semaine. Donc voilà, là ça permet
d'avoir notre contribution et puis de montrer "Eh Oh ! On est là et nous
aussi on veut faire des choses !". Enfin c'est quand même satisfaisant de
participer à la vie de la copro, ça contribue aussi à
faire en sorte qu'on se connaisse un peu dans la copro, qu'on soit pas juste
à se dire bonjour quand on se croise sans savoir comment on s'appelle.
» (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
A l'inverse, les voisins qui ne participent pas au compostage
sont ceux qui ne sont pas intégrés au collectif de la
copropriété.
Émeline : « Après c'est vrai que c'est les
gens qui participent le moins à la vie de la copropriété,
qu'on voit pas souvent près des composteurs. Et puis chaque fois qu'il y
a eu des évènements communs, genre la fête des voisins, ils
participent pas, ils viennent pas donc... A part se croiser et dire bonjour,
c'est tout quoi. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)
Le compostage en pied d'immeuble est un consolidateur du lien
social à condition qu'il y ait une sociabilité
préexistante se concrétisant par une utilisation collective et
pacifiée des parties communes. L'investissement de cet espace à
la frontière entre public et privé s'oppose à un repli sur
l'appartement, espace de l'intime et du privé, pour développer
une sociabilité collective, créer un entre-soi. Il peut prendre
d'autres formes que des travaux collectifs, comme dans l'immeuble de Christian
où les parties communes sont un espace de discussion qui permet
d'échanger sur un grand nombre de sujets, et notamment ceux qui sont en
rapport avec la vie de l'immeuble.
Christian : « Alors tout-à-l'heure je vous disais
que notre immeuble c'est un petit peu comme un village. Dans la période
d'été, quand il fait très beau, sur les escaliers qui
rentrent dans l'immeuble, ben la grand-mère du bas, qui peut plus
très bien marcher, vient là pour s'assoir. Comme il y a beaucoup
de gens qui connaissent la grand-mère, on discute avec la
grand-mère. Donc, de temps en temps, on est une petite réunion de
gens et on parle de tous les sujets de la vie. Aussi bien de l'augmentation des
loyers, pourquoi les charges sont si importantes, pourquoi le chauffage a
augmenté d'une façon si importante... » (Entretien avec
Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
Finalement, nous pouvons affirmer que la réussite d'un
projet de compostage collectif dépend en grande partie du climat social
qui règne dans l'immeuble et du statut des parties communes selon
qu'elles sont considérées comme un simple espace anonyme
voué au transit (à l'instar de la rue) entre l'espace
privé et l'espace public, un espace de sociabilité ou un espace
de coopération18 . Cette corrélation est
vraisemblablement valable pour le tri des déchets recyclables et les
ordures ménagères résiduelles19. Nous
prévoyons d'approfondir notre recherche sur ce point dans le cadre de
notre travail de deuxième année de master en nous
intéressant d'une façon plus large et empirique à la
gestion des déchets ménagers en habitat collectif.
3. Représentations et rapports aux déchets
des guides composteurs
Pour justifier leur passage à l'action, les guides
composteurs font appel à leurs représentations qui donnent
à voir une certaine conception de la société, un jugement
sur le monde.
3.A. Une vision globale et politisée de la
question du compostage ?
3.A.a. Convictions écologiques
Parmi les guides composteurs nombreux sont ceux qui affichent
des convictions écologiques
18 Participer à une oeuvre commune selon
l'étymologie latine du mot : cum, avec, et operare,
faire quelque chose, agir. 19 Nous pouvons présupposer que les
performances en termes de tri et de compostage au sein de chaque
espace d'habitation collectif dépendent du degré de
sociabilité - et, réciproquement, d'anonymat - propre à
chacun d'eux.
et ont conscience de l'importance du cycle des matières
ainsi que du caractère limité de l'énergie.
Émeline : « J'ai fait des études en
énergie et environnement, donc tout ce qui est traitement des
déchets je l'ai abordé. Dont le compostage et toutes les
filières de traitement des déchets. Ça fait un moment que
je saisis ce que c'est que trier... Enfin tout ce qui est... Le cycle des
matériaux quoi. Ça ne s'arrête pas à quand je le
mets dans la poubelle [rire]. Donc ouais, je sais pas, c'est une
affinité, une sensibilité environnementale que j'ai depuis un
moment puisque j'ai choisi ce type d'étude là. »
Vincent : « Ouais, c'est une sensibilité
environnementale en fait, que ce soit sur les déchets ou sur autre
chose. C'est une démarche globale. Les déchets en font partie
mais c'est pas spécifique aux déchets on va dire. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
Cette sensibilité écologique ne se limite pas
à la question des déchets et s'ancre dans une vision globale
qu'il s'agit de transcrire à travers chaque geste du quotidien. Le
passage du discours aux pratiques éco-citoyennes n'est jamais
immédiat, ni systématique mais est crucial dans la construction
identitaire de l'individu car il permet d'éviter une dissonance
compromettante. Dans cette perspective, Émeline et Vincent ont
progressivement adopté un mode de vie et de consommation qui
intègre l'impératif écologique : déplacements en
vélo, maîtrise de la consommation d'énergie, couches
lavables pour leur jeune fille, consommation bio et locale (rejet de la grande
distribution). L'adoption de ces pratiques permet donc de concrétiser et
conforter ses convictions environnementales.
Émeline : « On sait que, quand on branche un
appareil, derrière la prise il y a... Enfin voilà qu'il y a un
réseau, des centrales de production et des déchets. Donc en fait
dans toutes nos actions on est conscients que derrière on
génère des déchets. C'est pareil on essaye de limiter les
veilles, de consommer pas trop d'électricité. On fait attention
un peu à tout ça. On essaye de choisir des circuits courts quand
on fait les courses. Voilà, après c'est dans tous les domaines de
la vie, c'est vraiment au quotidien. » (Entretien avec Vincent et
Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
Cette sensibilité environnementale s'accompagne d'une
condamnation d'un positivisme qui érige les avancées
technologiques en solution miracle et d'une prise de distance vis-à-vis
d'une conception du développement durable fondée sur un
productivisme acharné.
Vincent : « Ouais parce qu'après, bon, il y a
l'écolo et l'écolo, et puis le bio et le bio. On essaye de faire
la différence entre tout ça parce qu'il y a du business
là-derrière. » (Entretien avec Vincent et Émeline,
guides composteurs, le 6 mars 2012.)
3.A.b. Convictions sociales
Christian partage ces convictions écologiques mais va
plus loin en rapprochant la question environnementale de la question
sociale.
Christian : « Finalement, ça fait comme le
chômage : on préfère que les entreprises licencient, que
les gens soient au chômage plutôt que de dire aux entreprises
"nous, par l'intermédiaire des caisses des chômages, on peut vous
indemniser un petit peu sur un certain nombre de gens que vous allez licencier
à condition que vous les gardiez et puis qu'ils restent dans la vie
active.". Ces gens-là auront un autre ressentiment dans leur tête,
ils seront
consommateurs, etc. » (Entretien avec Christian, guide
composteur, le 8 mars 2012.)
Assurément, il existe une analogie entre les rebuts
matériels et les exclus sociaux : les SDF, les chômeurs de longue
durée, etc., sont parfois considérés comme des «
déchets sociaux » dans le sens où leur intégration au
fonctionnement de la société n'est pas considéré
comme étant nécessaire ou souhaitable20.
Notre rapport social à la matière influencerait,
dans une certaine mesure, notre opinion sur la société. Loin
d'idéaliser la situation sociale du XIXe siècle,
notons que les indigents trouvaient auparavant une place, une utilité
dans le corps social (comme le prouve l'exemple des chiffonniers)
jusqu'à la systématisation du salariat et la naissance du
chômage21. A l'époque, rappelons le, la notion de
déchet n'est pas caractérisée par l'abandon mais
plutôt par son état de résidu valorisable du processus de
production. L'ère du « prêt-à-jeter » vaut
aujourd'hui autant pour les objets que pour les travailleurs avec le
développement des contrats précaires22. Ainsi,
Christian fustige le sort réservé aux personnes mises en marge de
la société : plutôt que de les rejeter et de vouloir les
faire disparaître, pourquoi ne pas porter un autre regard sur eux et les
considérer comme des ressources à utiliser, à
intégrer dans le corps social ? Il s'indigne face à une
société qui détruit plus qu'elle ne construit et la
thématique des déchets constitue le paroxysme de cette logique
destructrice.
3.B. Le maintien de l'ordre social ?
« Comme l'explique Mary Douglas (1967), les notions de
pollution s'insèrent dans la vie sociale car elles ont une
utilité « fonctionnelle » : les croyances contre le sale
renforcent les contraintes sociales en définissant un ordre qui les
corrobore. L'ordre social est maintenu par la menace d'un péril.
»23. Cette conception de la souillure est très
présente chez Gérard pour lequel la notion de déchet
semble évoquer des images de désastre, d'envahissement, de
désordre et provoquent une mobilisation émotionnelle de sa part.
Pour lui, il faut s'assurer que les conventions sociales sur la propreté
soient respectées par chacun, sans quoi nous courrons à la
catastrophe.
Gérard : « Quand je me déplace dans les
rues je me dis "c'est pas possible !". C'est de pire en pire. C'est sale
partout. Il y en a partout : sorties d'autoroutes, sorties de bretelles. Quand
on arrive, quand on sort de la quatre voies en voiture mais c'est... Il y a des
déchets partout ! »
20 « Le parallélisme entre le monde du
déchet et celui de ceux "qui se sont fait jeter' offre des
perspectives troublantes : chômeurs, retraités,
délinquants, détenus, vieillards, jusqu'à ceux qui,
"tombés dans la dèche" et après des
déchéances successives, font figure d'épaves humaines et
sont autant de rebuts d'un système social ordonnancé sous le
primat du calcul économique. [...] Déchu de tout office, le rebut
est en rupture de filiation : son appartenance se dissout dans la
déliaison et l'errance. Le marginal, le "désaffilié"
(Castel R., 1996) a rompu ses attaches avec sa communauté d'origine,
comme les détritus dont l'inconsistance et le déclassement
s'originent dans leur indétectable provenance. » LHUILIER
Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 144.
21 TOPALOV Christian, Naissance du chômeur,
1880-1910, Paris : Albin Michel, 1994, 626 p.
22 CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question
sociale, Paris : Fayard, 2002.
23 PIERRE Magali [dir.], Les déchets ménagers,
entre privé et public. Approches sociologiques., Paris :
L'Harmattan, 2002, p. 94.
Gérard : « Ça m'était arrivé
un coup à Paris. Je sortais du boulot un soir. Je m'arrête
à un feu rouge, j'étais derrière une bagnole. Devant moi
le mec il baisse sa fenêtre et il jette un papier par terre par sa
fenêtre. Je sais pas ce qu'il ma pris, j'ai klaxonné, fait des
appels de phare et tout. Puis je l'ai suivi comme ça. Et il y avait ma
femme à côté de moi qui me disait "arrête, laisse-le
tranquille !". Je lui ai dit "non il n'y a pas de raison, fait chier merde !".
Il s'arrête à un feu rouge, je m'arrête à
côté et je lui dit "ça va pas non !?...". Tu sais ce qu'il
fait le mec ? Il sort sa carte de flic. J'étais prêt à
descendre hein ! Ma femme me dit "non, non, laisse le tranquille". Je lui dis
"c'est pas parce qu'il a une carte de flic qu'il a le droit de tout jeter.
C'est à lui de donner l'exemple.". Et ben non... Tu vois ? C'est
dégueulasse quoi. » (Entretien avec Gérard, guide
composteur, le 6 mars 2012.)
Son engagement émotionnel implique une
incompréhension, une impossibilité de rationaliser les actes
inciviques. Son investissement dans la gestion des déchets est
destiné à combattre le désordre, le chaos, la menace que
ces derniers font peser sur la société si aucune convention
sociale ne régit les comportements à leur égard. La
problématique des déchets reflète des valeurs qui lui
tiennent à coeur : l'ordre, le civisme, le respect.
Gérard : « Si tout le monde respecte un peu le
truc ça se passe bien. C'est ça le problème. »
(Entretien avec Gérard, guide composteur, le 6 mars 2012.)
3.C. Des représentations qui prédisposent
à l'action
Ces différentes représentations
véhiculées par l'objet déchet expliquent en partie
l'implication des guides composteurs mais ne sont pas exhaustives.
Néanmoins, elles sont essentielles car elles préfigurent le
potentiel d'action de chaque individu. C'est par un processus d'interaction
entre la prise d'information sur la gestion des déchets ménagers
et la mise en pratique que ces représentations peuvent se modifier, se
concrétiser et s'inscrire dans le temps. Ainsi, nous pouvons
dégager un schéma d'investissement progressif dans le compostage
collectif à partir de nos entretiens :
- Dans un premier temps, les représentations de
l'individu, acquises par le biais de la socialisation, le prédisposent
plus ou moins à accorder de l'importance à la thématique
des déchets ménagers ;
- Ensuite, l'accès à des informations sur le
sujet entraine une prise de conscience, voire une indignation, qui pousse
à passer à l'action pour éviter une dissonance
compromettante entre discours et pratique ;
- Puis, ce passage à l'action implique un besoin de
valorisation du comportement adopté selon des critères objectifs
(reconnus et défendus par les institutionnels : la réduction des
déchets, le civisme, la protection de l'environnement, etc.) et
subjectifs (reconnus et défendus par Trivial Compost : l'échange,
la convivialité, le lien social, le ludique, l'investissement au service
du collectif) afin que celui-ci puisse se maintenir dans le temps.
Bien que la justification du passage à l'action
s'appuie souvent sur des critères objectifs qui provoquent
l'indignation, ce sont les critères subjectifs qui donnent un sens plus
palpable à l'action et permettent sa répétition dans le
temps sans que ce geste soit vécu sur le mode de la contrainte. Chez les
guides composteurs, la pratique du compostage est naturalisée,
vécue sur le mode de l'évidence, ce qui les pousse à
minimiser l'effort consenti pour gérer leur site de compostage.
Christian : « Là je viens un peu plus souvent
parce que le composteur est bientôt plein, donc j'essaye de prolonger le
plus possible le moment où on va le transférer en maturation.
Mais quand je viens un peu plus souvent ça représente trois fois
par semaine au lieu de deux. Et puis ça représente quoi,
ça représente... Entre le moment où je pars de chez moi et
que je ferme la porte, et puis le moment où je reviens et j'ouvre la
porte, je dirais une demi heure. C'est pas énorme... C'est insignifiant
quoi... C'est insignifiant ! » (Entretien avec Christian, guide
composteur, le 8 mars 2012.)
Gérard : « C'est pas le temps que ça
prend... » (Entretien avec Gérard, guide composteur, le 6 mars
2012.) Émeline : « Enfin, là de toute façon on a bien
vu que c'était pas un gros investissement quoi. Il suffit juste d'aller
retourner une fois par semaine. Et encore ouais, on gratte un coup quand on va
mettre notre seau quoi. » (Entretien avec Vincent et Émeline,
guides composteurs, le 6 mars 2012.)
4. L'appropriation du rôle de guide
composteur
Les entretiens font ressortir un double rôle des guides
composteurs au sein de leur immeuble : celui de personne moteur et celui de
personne référente.
4.A. Personne moteur24
Les guides composteurs ont un rôle d'instigateur du
compostage collectif au sein de leur copropriété : ce sont eux
qui contactent le SYBERT ou Trivial Compost pour faire une demande
d'installation de composteurs et qui assurent la médiation avec les
autres copropriétaires avant l'Assemblée Générale
de copropriété.
Cependant, même lorsque le projet a été
mis en place, leur rôle moteur ne s'arrête pas pour autant et ces
derniers restent les fers de lance du compostage au sein de leur immeuble.
Christian reconnaît que la matière organique en fermentation et
surtout les insectes sont des freins à la pratique du compostage par les
copropriétaires. En effet, le processus de décomposition, les
insectes et les moucherons peuvent rappeler le morbide, le cadavérique
et sont vecteurs d'angoisses. L'action du guide composteur permet de
dédramatiser ce rapport craintif. Ainsi, selon Christian, le rôle
du guide composteur ne se trouve pas tant dans la bonne gestion du compost que
dans l'exemple qu'il véhicule, dans sa façon de banaliser le
geste à opérer et la matière en décomposition. Son
rôle est donc de démontrer l'innocuité et la
simplicité du compostage afin que ce geste devienne trivial.
Christian : « En plus, quand on nous parle des maladies
tropicales, piqués par les moustiques, etc, on peut tout de
24 Les guides composteurs sont des personnes moteurs dans le sens
où c'est sur eux que repose l'enclenchement et le maintien de la
dynamique du compostage au sein des copropriétés.
suite imaginer que... Donc on se dit quand même que tous
ces petits moustiques qui sortent du composteur là, où il y a
plein de détritus, ça doit pas être très propre tout
ça. Hein, ça doit quand même... Ça doit les plier
les gens. Ouais. C'est peut-être pour ça que le rôle
mécanique du guide composteur dédramatise peut-être aussi
un peu ça. Peut-être que, parmi les gens qui passent quand je suis
en train de remuer, ils se disent "Oh ben, finalement il en est pas mort.".
» (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
4.B. Personne
référente25
Les guides composteurs sont chargés d'entretenir le
site de compostage de leur immeuble et de diffuser certaines consignes aux
autres copropriétaires mais chacun d'eux s'approprie son rôle de
façon différenciée.
4.B.a. Différents niveaux d'application des
consignes de compostage
Les consignes de compostage ne sont pas suivies avec une
même vigueur par l'ensemble des copropriétaires composteurs et
nous pouvons dégager des entretiens deux degrés d'investissement
qui permettent de dresser une typologie :
- Le composteur « actif » qui fractionne ses
apports26, les enfouit et remet du broyat de bois27 ;
- Le composteur « passif » qui se contente de verser
ses déchets dans le composteur sans vraiment prêter attention aux
consignes (erreurs dans le tri des matières compostables, matière
non fractionnée et non enfouie, pas d'apport en broyât).
Victor : « Tout le monde respecte bien les consignes de
compostage ? »
Vincent : « Ben pas la découpe. Pour les agrumes,
il y en a aussi qui mettent des fois des mandarines pleines. Il y en a qui sont
pas trop... »
Émeline : « [...] Même si il y en a
quelques-uns qui font pas comme il faut, le compost il se fait quand
même. Aussi parce que, voilà, derrière nous on regarde. On
refait à leur place quoi quelque part. Mais ça nous prend pas non
plus un temps fou. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)
4.B.b. Une attitude qui varie face aux erreurs des
voisins
Le non respect des consignes par certains voisins composteurs est
plus ou moins toléré selon qu'il est attribué à
l'innocence (peur des moucherons) ou à la négligence (mauvaise
volonté). Dans cette perspective, Christian fait preuve d'une approche
compréhensive face à des erreurs récurrentes de certains
voisins, notamment une personne qui jette systématiquement ses
déchets organiques dans le mauvais bac28. La même
logique peut être repérée chez Vincent et transforme le
moucheron en bouc émissaire.
25 Les guides composteurs sont également des personnes
référentes puisqu'il leur revient la charge d'entretenir le site
de compostage et de « guider » les copropriétaires dans
l'adoption du nouveau geste.
26 Ce qui permet une meilleure décomposition de la
matière organique.
27 Ce qui permet d'accélérer la fermentation des
matières fraiches et de limiter la prolifération des
moucherons.
28 Rappelons que chaque immeuble dispose en général
de trois bacs : un pour la matière fraiche, un pour la maturation et un
pour stocker le broyât de bois.
Christian : « Je pense que la personne qui met ailleurs
que dans le composteur principal, c'est bien plus compliqué pour elle
tout ça. Ça veut donc dire qu'elle doit avoir une certaine
réticence par rapport à ça. C'est pour ça que je
dis rien, même si je la voyais faire je lui dirais "Bon ça serait
mieux de mettre là parce qu'il y a des cycles, il y a un fonctionnement,
ça permettrait...". Mais dans la mesure où c'est pas plus
important que ça j'admets aussi qu'elle ait des difficultés
à venir devant le composteur et puis à lever le couvercle et
à voir peutêtre toutes les matières qui sont là, qui
sont en décomposition. Et plus encore les petits moustiques. »
(Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
Vincent : « Ils font pas forcément un trou pour
recouvrir après. Mais aussi parce qu'il y a plein de moucherons donc
forcément c'est pas très agréable d'aller gratter. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars
2012.)
Le respect des consignes semble difficile à assurer
malgré les nombreuses mesures prises pour que celles-ci soient
accessibles et respectées par tous (affichage près des
composteurs ou dans les parties communes, petits mots dans les boites aux
lettres). Cependant ces erreurs ne sont pas dramatisées et sont
jugées inoffensives, mais elles posent des questions sur la
capacité des voisins à gérer le site en cas de
déménagement du guide composteur.
Émeline : « Ouais. On a affiché, on a
ré-affiché aussi. Ça fait deux fois qu'on met des
affichages dans le hall pour
expliquer qu'il faut bien découper, faire un trou et
recouvrir les déchets qu'on met. Ça marche guère. [...]
» Vincent : « Moi ça me dérange pas, c'est juste que je
me dis : le jour où il y a plus personne qui le fait, comment ça
se passe quoi ? C'est juste ça qui me questionne. Peut-être qu'il
y en aura un qui dira "merde" et prendra ça en charge. » (Entretien
avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
4.B.c. La difficulté à transmettre les
consignes de compostage
Le guide composteur possède une
légitimité pour répondre aux questions des
copropriétaires mais encore faut-il que ceux-ci fassent la
démarche de venir chercher l'information. Une fois de plus, nous pouvons
supposer que ce sont les voisins les plus investis et les mieux informés
sur le compostage qui cherchent à obtenir des
renseignements29.
De plus, les déchets étant de très bons
révélateurs identitaires, ils peuvent être
considérés comme relevant de la sphère privée, de
l'intimité. Par conséquent, s'intéresser à la
gestion des déchets de ses voisins constitue, en quelque sorte, une
ingérence dans la vie privée d'autrui. Nous pouvons donc
repérer un certain malaise face à ce qui constitue une mission de
« persuasion », d'« enrôlement ». Ce constat est
très palpable chez Émeline qui refuse d'adopter un rôle de
« promoteur actif du compostage » par peur de la réaction et
du jugement des autres.
Émeline : « Après oui, je trouve que
ça fait un titre un peu pompeux quoi « guide ». On se sent pas
très guides. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides
composteurs, le 6 mars 2012.)
Pour Émeline, reconnaître cette terminologie
serait un peu trop présomptueux car cela reviendrait à avouer
qu'il existe une hiérarchie parmi les citoyens selon qu'ils ont
adopté ou non des
29 Cf. partie « Des relais de terrain pour lutter contre
l'information en vase clos. », p. 52.
comportements écologiques. Or elle refuse de juger les
gens. Si elle composte c'est d'abord pour elle, elle se voit mal essayer
d'inciter ses voisins à mieux trier leurs déchets. Elle ne se
sent pas toujours légitime pour donner des conseils et a peur du
jugement de l'autre : le leitmotiv de son discours réside dans la peur
d'être stigmatisée et étiquetée comme une «
écolo intégriste ».
A ce déficit de légitimité s'ajoute un
autre frein à la promotion du compostage et à la communication
des consignes dans les habitats collectifs comprenant beaucoup de logement : la
difficulté pour recenser la population de composteurs au sein de
l'immeuble.
Christian : « Je sais pas qui c'est qui vient. Je vois
bien que le composteur se remplit mais il y a des fois où je me dis
qu'ils viennent la nuit parce que je vois rarement des gens qui viennent avec
un seau pour le vider. » (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8
mars 2012.)
Grâce à la médiation de Trivial Compost
qui fait figure d'expert et à la légitimité
conférée au modèle de compostage collectif bisontin par le
soutien des représentants des syndics, ce système de valorisation
des déchets organiques bénéficie d'une très bonne
acceptabilité sociale. L'instauration de la redevance incitative avec
pesée embarquée, qui sera effective le 1er septembre
2012, conforte le bien-fondé des projets et leur acceptation en AG de
copropriétés en donnant à ses défenseurs un
argument économique non négligeable. Cependant, l'activation du
levier de la rationalité économique ne suffit pas face à
certains copropriétaires qui considère le SPED comme un «
service total ».
Une fois les projets acceptés, la valorisation des
déchets organiques doit passer par une valorisation symbolique de la
pratique afin que celle-ci puisse perdurer dans le temps. En ce qui concerne
les facteurs qui peuvent expliquer l'investissement dans le compostage
collectif, notons qu'il sont multiples30 et
hétérogènes. Retenons seulement que cet investissement
entre en corrélation avec l'intégration de l'individu ou du foyer
au sein du collectif de l'immeuble. Cette hypothèse devrait faire
l'objet d'une vérification empirique dans le cadre de notre recherche de
Master 2 en vue de sa systématisation31. Malgré une
bonne acceptabilité sociale, le développement de ce modèle
de compostage collectif connait un certain nombre de limites relevant
principalement de la nécessité de s'appuyer sur des guides
composteurs motivés et disponibles sur le long terme.
30 Les facteurs que nous avons identifiés ne
prétendent pas à l'exhaustivité mais sont plutôt
destinés à dégager des pistes de réflexion au sein
d'une problématique délaissée par les sciences
sociales.
31 Ce travail gardant une dimension encore très
générale et théorique, nous nous efforcerons de
développer une réflexion plus restreinte et empirique pour notre
mémoire de deuxième année de Master.
Conclusion. Le compostage de proximité :
dépasser le
phénomène NIMBY et renouer avec le cycle
des
matières.
L'analyse socio-historique de la gestion des excréta
urbains en France nous enseigne que ces résidus ont d'abord fait l'objet
d'une réincorporation au cycle des matières par le biais d'une
économie domestique. Ensuite, la première révolution
industrielle a élevé ces résidus au rang de
matières premières très précieuses pour
l'industrie. Puis, avec la seconde révolution industrielle nous
assistons à un nouveau tournant marqué par l'abandon progressif
de l'utilisation du gisement d'ordures à grande échelle au profit
de l'exploitation des ressources naturelles. Cet abandon s'est renforcé
au fil du XXe siècle alors que, parallèlement, la
quantité de déchets ménagers explose avec
l'accélération du cycle production-consommation-rejet.
A partir des années 1970, le caractère
limité des ressources naturelles commence à être
pointé du doigt et l'opinion publique s'émeut de la
prolifération des décharges sauvages. On assiste alors à
la consécration des modes d'élimination que sont la
décharge contrôlée et l'incinération. Mais, au
tournant entre les années 1980 et 1990, l'impératif de
valorisation refait surface avec la montée en puissance de la
pensée écologiste tandis que l'acceptabilité sociale des
infrastructures d'élimination des déchets ménagers est de
plus en plus remise en cause. Le développement des collectes
sélectives orchestré par les industriels de l'emballage à
partir de 1992 introduit cet impératif de valorisation dans les
politiques publiques tout en préservant la vigueur du cycle
production-consommation-rejet. Au début des années 2000, la
décharge contrôlée est désormais
réservée aux seuls déchets ultimes et
l'incinération se voit exposée à des normes draconiennes
qui font exploser ses coûts de traitement. Pour faire face à
l'augmentation continue des tonnages collectés et des coûts du
SPED, la politique nationale de gestion des déchets, via le Grenelle de
l'Environnement, consacre le principe de la réduction à la source
et impose des objectifs plus ambitieux au niveau de la valorisation
matière.
Dans ce cadre, le compostage de proximité est un des
leviers majeurs pour atteindre ces nouveaux objectifs puisqu'il permet à
la fois une réduction à la source de la masse d'ordures (les
déchets organiques sont déposés dans le composteur et
n'ont plus besoin d'être collectés) et une valorisation des
bio-déchets. Surtout, le compostage en pied d'immeuble
réintroduit une partie du traitement des ordures au sein d'une
économie domestique alors que cette tache était devenue le
monopole de l'industrie. Cette redéfinition du rôle des
ménages participe au contournement de l'opposition des populations
riveraines face à l'installation d'infrastructures de traitement
(phénomène NIMBY).
Denise Jodelet avait identifié cinq facteurs expliquant
les réticences des populations locales à partir des travaux
réalisés sur le phénomène NIMBY : « Les peurs
» ; « Le sentiment d'injustice ou d'inéquité » ;
« La familiarité des déchets locaux » et « le
principe d'appartenance » ; « La sécurité » ;
« Le sentiment d'aliénation ou de non-contrôle
»1. Ces cinq raisons d'opposition peuvent être facilement
neutralisées dans le cas du compostage collectif qui, contrairement aux
solutions industrielles, donne une sensation de maîtrise rassurante. La
connaissance de la provenance de la matière et l'acquisition de
compétences spécifiques pour assurer la gestion de ses propres
déchets permettent d'annihiler les représentations
négatives liées à la matière en
décomposition. La symbolique du déchet est alors inversée
grâce à sa réintégration au cycle des
matières : ce n'est plus un objet innommable qu'il s'agit d'abandonner
mais un sous-produit valorisable grâce à un processus de
transformation maîtrisé. L'immondice passerait ainsi d'un pouvoir
destructeur associé à la mort à un pouvoir fécond
associé à la vie2.
Pour conclure, nous pouvons aussi présumer que la
pratique du compostage améliore l'effort de tri puisqu'elle oblige
à se questionner sur la nature des déchets que nous jetons
quotidiennement et entraine ainsi une prise de conscience de la
spécificité de chaque matière (origine,
propriétés, possibilité de réintégration
dans le cycle des matières). Dès lors, la poubelle n'est plus
considérée comme une masse indistincte d'objets voués
à la disparition et peut être pensée.
1 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 152.
2 Vincent : « Moi je vois pas ça comme une fin, je
vois plutôt ça comme un cercle quoi. C'est
réutilisé. ».
Bibliographie
1. Ouvrages
A. Littérature scientifique Sociologie
:
- ANSART Pierre, AKOUN André [dir.], Dictionnaire de
sociologie, Paris : Le Robert et le Seuil, 1999, 587 p.
- BAUDRILLARD Jean, La société de
consommation, Paris : Folio essais, 2010 (1970), 318 p.
- BOURDIEU Pierre, Le sens pratique, Paris : Les
Éditions de Minuit, 1980, 500 p. - CASTEL Robert, Les
métamorphoses de la question sociale, Paris : Fayard, 2002.
- CORTEEL Delphine, LE LAY Stéphane [dir.], Les
travailleurs des déchets, Toulouse : Érès, 2011, 331
p.
- DOUGLAS Mary, De la souillure. Essai sur les notions de
pollution et de tabou, Paris : La Découverte, 2001 (1966).
- FISCHLER Claude, L'homnivore, Paris : Odile Jacob,
1990, 414 p.
- HAMMAN Philippe, BLANC Christine, Sociologie du
développement durable urbain.
Projets et stratégies métropolitaines
françaises, Bruxelles : Peter Lang, 2009, 260 p.
- PIERRE Magali [dir.], Les déchets ménagers,
entre privé et public. Approches sociologiques., Paris :
L'Harmattan, 2002.
- JUAN Salvador, La transition écologique,
Toulouse : Érès, 2011, 286 p.
- LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, Des déchets et des
hommes, Paris : Desclée de Brouwer, 1999, 185 p.
- MAUSS Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de
l'échange dans les sociétés archaïques. », in
Sociologie et anthropologie, Paris : PUF, 1950, p. 145-279.
- SAHLINS Marshall, Âge de pierre, âge
d'abondance, Paris : Gallimard, 1976, 415 p.
- TOPALOV Christian, Naissance du chômeur,
1880-1910, Paris : Albin Michel, 1994, 626 p.
Économie :
- BERTOLINI Gérard, Économie des
déchets, Paris : Technip, 2005, 178 p.
- CHALMIN Philippe, GAILLOCHET Catherine, Du rare à
l'infini - panorama mondial des déchets, Paris : Economica, 2010,
441 p.
- GADREY Jean, Adieu à la croissance. Bien vivre dans
un monde solidaire., Paris : Les petits matins, 2010, 192 p.
Philosophie :
- HARPET Cyrille, Du déchet : philosophie des
immondices. Corps, ville, industrie., Paris : L'Harmattan, 1999, 603 p.
Histoire :
- BARLES Sabine, L'invention des déchets urbains.
France : 1790-1970., Seyssel : Champ Vallon, Milieux, 2005, 297 p.
- DE SILGUY Catherine, Histoire des hommes et de leurs
ordures. Du Moyen-Âge à nos jours, Paris : Le cherche midi,
2009, 347 p.
- LAPORTE Dominique, Histoire de la merde, Paris :
Christian Bourgois, 1978, 119 p.
- LE CLÈRE Marcel, Paris de la Préhistoire
à nos jours, Paris : Bordessoules, 1985, 705 p.
C. Méthodologie d'enquête
- BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de
l'enquête de terrain, Paris : La Découverte, avril 2010.
- BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, L'enquête et ses
méthodes : l'entretien, Paris : Armand Colin, 2012
D. Littérature profane
- DIETMANN Dany, Déchets ménagers. Le jardin
des impostures, Paris : L'Harmattan, juin 2005, 160 p.
E. Littérature institutionnelle
- ADEME, Avec la redevance incitative, les usagers paient
en fonction de ce qu'ils jettent, Recueil des interventions de la
Journée technique nationale du mercredi 14 juin 2006, Angers : ADEME
Éditions, 2006.
- ADEME, Dossier : la redevance incitative, Juillet
2006, 8 p.
- ADEME, La composition des ordures ménagères
et assimilées en France. Campagne nationale de caractérisation
2007, Angers : ADEME Éditions, 2010, 59 p.
- ADEME, Panorama de 10 années de recherches sur la
concertation en France, Angers, 2011, 45 p.
- BRUNDTLAND Gro Harlem, Notre avenir à tous,
Rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le
développement de l'ONU, 1987, 349 p.
- DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE L'EVALUATION
ENVIRONNEMENTALE DU MINISTERE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE,
Causes et effets du passage de la TEOM à la REOM, Août
2005, 75 p.
- MEADOWS Denis [dir.], Rapport sur les limites de la
croissance, Paris : Fayard, 1972, 317 p.
- MINISTERE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE, DES
TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, La politique des déchets 2009-2012.
Premier bilan à mi-2011., 2011, 23 p.
- MIQUEL Gérard, POIGNANT Serge, Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Rapport sur
les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets
ménagers et des déchets industriels banals, Paris :
Assemblée Nationale, Rapport n° 1693 déposé le 14
juin 1999, 338 p.
2. Articles
Sociologie :
- BARBIER Rémi, « La fabrique de l'usager. Le cas de
la collecte sélective des déchets. », in Flux,
2/2002 : n°48-49, p. 35-46.
- GATEAU Matthieu, « Militer pour Artisans du Monde et
Max Havelaar. Étude de cas des acteurs associatifs et militants du
commerce équitable dijonnais », in Interrogations :
n°4, p. 201-211.
- TEIXIDO Sandrine, « Mary Douglas : anthropologie de
l'impur », in Sciences Humaines, 1/2005 : n° 156, p.
51-53.
- TAROT Camille, « Du fait social de Durkheim au fait social
total de Mauss », in Revue du MAUSS, 1996 : n° 8, p.
68-101.
- UGHETTO Pascal, COMBES Marie-Christine, « Entre les
valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un chaînon
manquant ? », in Socio-logos. Revue de l'association française
de sociologie, 2010 : n°5.
Économie :
- BÉNARD François, « Gestion des
déchets et développement de la redevance incitative : exemple de
transformation du modèle économique d'un service public »,
in Flux, 4/2008 : n° 74, p. 30-46.
- BERTOLINI Gérard, « Les déchets : rebuts
ou ressources ? », in Économie et statistique,
Octobre-Novembre 2008 : n° 258-259, p. 129-134.
- GLACHANT Matthieu, « La politique nationale de
tarification du service des déchets ménagers en présence
de politiques municipales hétérogènes », in
Économie & prévision, 1/2005 : no 167, p.
85-100.
- HEINTZ Valentine, « Taxe ou redevance : quel tarif pour
la collecte sélective des déchets ménagers ? », in
Politiques et management public, 2000 : vol. 18 n°1, p. 71-85.
- MALLAVAN Anne-Marie, MIMOUN Norbert, ROTMAN Gilles, «
La croissance des déchets ménagers », in Économie
et statistique, Février 1986 : n°185, p. 57-64.
- ROCHER Laurence, « Les contradictions de la gestion
intégrée des déchets urbains : l'incinération entre
valorisation énergétique et refus social », in Flux, 4/2008
: n° 74, p. 22- 29.
Sciences politiques :
- GAXIE Daniel, « Économie des partis et
rétributions du militantisme », in Revue française de
sciences politiques, 1/1977 : Vol. 27, p. 123-154.
- HAJEK Isabelle, « Déchets et mobilisation
collective : construire un autre rapport à la nature ? », in
Écologie & politique, 1/2009 : n°38, p. 147-156.
- RUMPALA Yannick, « Le réajustement du rôle
des populations dans la gestion des déchets ménagers. Du
développement des politiques de collecte sélective à
l'hétérorégulation de la sphère domestique. »,
in Revue française de science politique, 49e année,
n°4-5, 1999, p. 601-630.
- RUMPALA Yannick, « La « consommation durable
» comme nouvelle phase d'une gouvernementalisation de la consommation
», in Revue française de science politique, 5/2009 : Vol.
59, p. 967-996.
- RUMPALA Yannick, « Recherche de voies de passage au
« développement durable » et réflexivité
institutionnelle. Retour sur les prétentions à la gestion d'une
transition générale », in Revue Française de
Socio-Économie, 2/2010 : n° 6, p. 47-63.
- RUMPALA Yannick, « La décroissance soutenable
face à la question du « comment ? » », in
Mouvements, 3/2009 : n° 59, p. 157-167.
Histoire :
- GUIGO Denis, « La propreté à Besançon
au fil des âges », in Les Annales de la Recherche Urbaine,
Décembre 1991 : n° 53, p. 46-57.
Géographie :
- LE DORLOT Emmanuelle, « Les déchets ménagers
: pour une recherche interdisciplinaire », in Strates, 2004 :
n° 11, p. 1-10.
3. Contributions à des ouvrages collectifs
:
- CORBIN Alain, « Généalogie des pratiques
», in Déchets, l'art d'accommoder les restes, Paris :
Centre de création industrielle, Centre Georges Pompidou, 1984, p.
132-136.
- DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, « La nouvelle
politique de gestion des déchets d'emballages. Quand concertation et
décentralisation ne riment pas avec incitation. », in B.
BARRAQUÉ et J. THEYS (dir.), Les politiques d'environnement.
Évaluation de la première génération :
1971-1995., Paris : Éd. Recherches, 1998, p. 189-208.
4. Thèses, mémoires
- BARBIER Rémi, Une société au
rendez-vous de ses déchets. L'internalisation des déchets comme
figure de la dynamique du collectif., 1996, 352 p, Thèse de
doctorat en socioéconomie de l'innovation de l'École des Mines de
Paris.
- PHILIPPOT Véronique, Approche ethnologique de la
pratique du compostage collectif citadin. Les vertus citoyennes à
l'épreuve de l'enquête., 2011, p. 97, Mémoire de
master « Évolution, patrimoine naturel et sociétés
» au Museum national d'histoire naturelle en
cohabilitation avec AgroParisTech.
- VAN DER EECKEN Céline, La sensibilisation au
comportement environnemental responsable par le biais des
bénévoles-relais. Analyse du cas du réseau des
maîtrescomposteurs en Région de Bruxelles-Capitale., 2006,
114 p., Travail de fin d'études en vue de l'obtention du Diplôme
d'Etudes Spécialisées en Gestion de l'Environnement à
l'Institut de Gestion de l'Environnement et d'Aménagement du Territoire
de l'Université Libre de Bruxelles.
5. Littérature grise
- ALAUZET Eric, JOLESSE Sylvain, La redevance incitative,
facteurs de réussite, risque d'échec : l'expérience de
Besançon, 10 p.
- SYBERT, Lettre aux élus, mars 2010, 4 p.
Filmographie
1. Documentaires
- COURAUD Cécile, 2006, Déchets à
ménager, documentaire, Paris : CNIID, DVD-vidéo, 52'.
- ROBIDA Nicolas, 2009, Des poubelles en or,
documentaire, Boulogne-Billancourt : Maximal Production, 52'.
- DUTILLEUL Philippe, Langue de bois et bois de justice,
2002, documentaire, s.l. : MK2, 60'.
- VARDA Agnès, Les glaneurs et la glaneuse,
1999, documentaire, s.l. : Ciné Tamaris, 80'.
- QUINN Nick, Petites histoires de nos ordures, 2011,
documentaire, Paris : La Compagnie des Taxi-brousse, 5×43'.
2. Archives
- Les plastiques : déchets de l'an 2000,
Ina.fr, 22/04/1973 - 18min24s - « Les déchets », La
France défigurée, Ina.fr, 22/11/1971 - 24min45s -
Ordures sous vides, 12/03/1972 - 06min13s
- Vie moderne : les ordures, JT 13H - 21/11/1972 -
10min27s
- « Les ordures de New York », XXème
siècle - 08/09/1970 - 05min11s
Lexique
CAGB = Communauté d'Agglomération du Grand
Besançon
CET = Centre d'Enfouissement Technique
EPCI = Établissement Public de Coopération
Intercommunale
NIMBY = « Not In My Back Yard », caractérise le
phénomène d'opposition des populations
riveraines aux installations de traitement des déchets
ménagers (notamment les décharges et les
usines d'incinération)
OMR = Ordures Ménagères Résiduelles
PEDMA = Plans d'Élimination des Déchets
Ménagers et Assimilés
REOM = Redevance d'Enlèvement des Ordures
Ménagères
RI = Redevance Incitative
SPA = Service Public Administratif
SPED = Service Public d'Élimination des Déchets
SPIC = Service Public Industriel et Commercial
SYBERT = Syndicat mixte de Besançon Et de sa Région
pour le Traitement des déchets TEOM = Taxe d'Enlèvement des
Ordures Ménagères
TGAP = Taxe Générale sur les Activités
Polluantes
UIOM = Unité d'Incinération des Ordures
Ménagères
Annexe
Local de l'association Trivial Compost, 13 rue de la
liberté à Besançon.
Site de compostage de Christian localisé au
milieu d'un ensemble de logements HLM comprenant environ 350
appartements dont 40
participent.
126
Afin d'aider le lecteur à se rendre compte de l'allure que
peut revêtir un site de compostage collectif, il nous a semblé
utile de prendre des photos pour illustrer notre travail.
|
Site de compostage collectif de Gérard au sein
d'une résidence de 13 logements dont 6 participent.
|
Site de compostage collectif de Vincent et Émeline
situé dans une résidence de 20 logements dont 13
participent.
|
|
Compost de Gérard qui est au terme du processus de
maturation et peut être utilisé.
|
Christian qui s'apprête à retourner le
compost pour mélanger la matière fraîche à la
matière en cours de décomposition.
|
|