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Le droit d'asile et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

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par Clémentine PLAGNOL
Université Montesquieu Bordeaux IV - Master II droit communautaire et européen 2012
  

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SECTION 2. La protection inachevée des droits substantiels garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme

Les droits substantiels, aussi appelés droits matériels, sont des règles de fond qui régissent un domaine particulier du droit, par opposition aux droits procéduraux. Ils sont nombreux dans la Convention européenne, pourtant seuls certains, précisément deux, tendent à être reconnus aux demandeurs d'asile. Il s'agit du droit au respect de la vie privée et familiale d'une part, et des droits sociaux d'autre part. Alors que le premier tend vers une protection avancée des demandeurs d'asile par la Convention européenne (Paragraphe 1), les seconds font assurément l'objet d'une protection partielle (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Vers une protection avancée du droit au respect de la vie privée et familiale

Il n'existe pas, au regard du droit, de définition juridique unanime de la << famille153 ». Cela peut poser des problèmes pour une cour internationale dont la jurisprudence n'est pas dédiée à s'appliquer à un seul Etat mais à plusieurs, en l'occurrence quarante sept Etats pour la Cour européenne des droits de l'Homme. Or le non respect de ce droit pour les demandeurs d'asile est un risque face à des politiques migratoires restrictives qui s'attache déjà à entraver le séjour des demandeurs d'asile eux-mêmes avant même de s'occuper de leur famille.

152 Voir Frédéric Sudre, << La pratique française de rétention de mineurs migrants au ban de la Convention », La semaine juridique Edition générale n° 8, 2012, p 221.

153 La Convention européenne des droits de l'Homme donne elle-même une définition autonome de la famille, et s'y rajoute les définitions propres au droit de chaque Etat.

Cependant, un droit a émergé pour garantir aux migrants le droit de garder une cellule familiale unie. Certains parleraient du droit au « regroupement familial », pourtant ni la Convention, ni la Cour européenne ne connaissent ce vocable. Le « regroupement familial » est une règle communautaire ou nationale, qui prévoit des conditions d'autorisation pour que la famille d'un étranger puisse le rejoindre sur le territoire de l'Etat où il séjourne régulièrement. Toutefois, la Cour européenne peut connaitre d'autres développements l'amenant à statuer sur le droit à mener une vie familiale normale au sens de l'article 8 de la Convention EDH dans des cas propres aux étrangers en situation irrégulière, à savoir la fuite du pays d'origine ou l'expulsion du pays tiers c'est-à-dire le franchissement d'une frontière (A), mais également l'enfermement (B).

A/ Le droit au respect de la vie familiale lors du franchissement de frontière

La famille peut être désolidarisée par le fait d'un déplacement hors du pays d'origine. Dès lors, le droit à une vie familiale normale au sens de la Convention peut recouvrir deux acceptions : le droit pour un étranger de voir sa famille le rejoindre dans le pays où il séjourne d'une part (1), et le droit de ne pas être séparé de sa famille en cas d'éloignement d'autre part (2). Cette distinction donne justement lieu à une jurisprudence distincte de la Cour EDH.

1) Le droit d'être rejoint par sa famille

Il s'agit ici de l'acception généralement admise du droit au regroupement familial tel que certains Etats le connaisse, en particulier les Etats membres de l'Union européenne, c'està-dire du droit accordé aux membres de la famille d'un étranger de le rejoindre dans le pays où il se trouve. Il est le plus souvent admis que l'autorisation des Etats à ce regroupement se fait en faveur des membres de la famille d'un étranger résidant régulièrement sur leur territoire. Cela signifie qu'un étranger en situation régulière aurait le droit de faire entrer d'autres étrangers sur le territoire de l'Etat où il réside pour l'unique raison qu'ils font partie de sa famille. Ce droit n'est pas exactement reconnu par la Convention dont l'article 8 énonce en son alinéa 1er que « toute personne a droit au respect de sa vie priée et familiale [...] ». Il s'agit donc plus exactement d'un droit à la protection de la vie familiale. Plus restreint, que le droit au regroupement familial prévu notamment par une directive de l'Union européenne154,

154 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.

le droit prévu à l'article 8 de la Convention n'impose pas aux Etats signataires d'accepter les membres de la famille de l'étranger en situation régulière ou irrégulière dans le pays d'accueil155. Cela n'a pas empêché la Cour de permettre aux étrangers de se prévaloir de la Convention afin de faire valoir un droit au << regroupement familial ». Ce droit tel qu'il ressort de l'article 8 présente d'autant plus d'intérêt qu'il touche tous les justiciables au sens de la Convention et donc également les étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire d'un Etat contractant. Cela concerne donc ici encore les demandeurs d'asile alors que ce n'est pas ce qui est prévu par la Directive de l'UE.

Toutefois, dans l'arrêt fondateur du 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali contre Royaume Uni156, la Cour de Strasbourg a entendu garantir aux étrangers le bénéfice de l'article 8 de la Convention. Elle a effectivement déclaré que l'on << ne saurait exclure que des mesures prises dans le domaine de l'immigration risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie familiale, garanti par l'article 8157 ». Toutefois, confrontée à un domaine sensible pour lequel les Etats se considèrent largement souverains, la Cour n'est pas allée jusqu'à reconnaître une garantie absolue de ce droit face aux politiques migratoires nationales. Pour elle, en l'espèce, << l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un État contractant l'obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans le pays. » Dans ces trois affaires jointes, << les requérantes n'ont pas prouvé l'existence d'obstacles qui les aient empêchées de mener une vie familiale dans leur propre pays, ou dans celui de leur mari, ni de raisons spéciales de ne pas s'attendre à les voir opter pour une telle solution158 ».

En conséquence, << il n'y a pas eu "manque de respect" pour la vie familiale, ni donc infraction à l'article 8 considéré isolément »159. La souveraineté des Etats n'est ainsi pas remise en cause par la Cour dont la jurisprudence apparait ici réservée.

De même, avec l'arrêt Sen contre Pays-Bas du 21 décembre 2001, la Cour européenne des droits de l'homme a précisé que << l'article 8 peut engendrer des obligations positives inhérentes à un "respect" effectif de la vie familiale. Les principes applicables à pareilles obligations sont comparables à ceux qui gouvernent les obligations négatives. Dans les deux cas, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'État jouit

155 Denis Martin, << La Cour de justice et le droit au regroupement familial : trop ou trop peu ! », RTDH 2008, p. 603.

156 Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.

157 Ibid., § 60.

158 Ibid § 68.

159 Ibid § 69.

d'une certaine marge d'appréciation160 ».

Le contrôle de proportionnalité qui n'est pas réservé aux affaires touchant au droit des étrangers, n'est cependant pas une technique juridique utilisée de manière anodine. La Cour se prémunit aussi contre les contestations des Etats qui refuseraient l'application d'un droit inconditionnel au « regroupement familial ». Ainsi au paragraphe 36 du même arrêt, la CEDH a précisé les principes applicables en la matière, tels qu'énoncés dans ses arrêts Gül contre Suisse161, du 19 février 1996 et Ahmut contre Pays-Bas162 du 28 novembre de la même année. En premier lieu, « l'étendue de l'obligation pour un État d'admettre sur son territoire des parents d'immigrés dépend de la situation des intéressés et de l'intérêt général. » En deuxième lieu, selon « un principe de droit international bien établi, les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol. » En troisième lieu, « en matière d'immigration, l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un État l'obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur résidence commune et de permettre le regroupement familial sur son territoire.163 »

Il n'y a donc pas de règle générale en la matière. C'est même plutôt l'imprévision qui règne. Seule la jurisprudence concernant des enfants offre une certaine sécurité.

En effet, la Cour a l'habitude de leur dédier une jurisprudence circonstanciée du principe d'intérêt supérieur de l'enfant. Dans les décisions intéressant l'article 8 de la CEDH, comme pour celles intéressant l'article 3, les juges prennent en considération l'âge des enfants concernés, leur situation dans leur pays d'origine et leur degré de dépendance par rapport à des parents164 comme nous l'avons vu précédemment. Or, la Cour donne l'impression qu'un constat de violation de l'article 8 de la CEDH s'impose dès lors qu'un enfant est concerné. Ce n'est pas une règle énoncée par la Cour mais un sentiment qui se dégage à la lecture de sa jurisprudence.

Le caractère régalien du droit des étrangers ressort ainsi amplement de cette jurisprudence, et c'est la même constatation qui s'impose à l'étude du droit de ne pas être éloigné de sa famille.

160 Cour EDH, 21 décembre 2001, Sen c/ Pays-Bas, n° 31465/96, § 31

161 Cour EDH 19 févr. 1996, Gül c/ Suisse, Req. n° 23218/94, § 38.

162 Cour EDH 28 nov. 1996, Ahmut c/ Pays-Bas, Req. n°21702/93, § 67.

163 Cour EDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume Uni, Req. n° 9214/80 ; 9473/81 ; 9474/81.

164 Arrêt Sen précité, § 37 ; Cour EDH 31 janv. 2006, Rodrigues da Silva c. Pays-Bas, § 39.

2) Le droit de ne pas être expulsé et séparé de sa famille

On parle parfois de << double peine » lorsqu'un seul des membres d'une famille est frappé d'une mesure d'éloignement, et ainsi forcé de quitter la cellule familiale165. C'est en se fondant sur l'article 8 de la CEDH mais également sur l'article 9 de la Convention de Rome166, que la Cour européenne a initié une protection contre cette << double peine » ne touchant pas seulement la personne expulsée, mais également sa famille. Mais la Cour s'est montrée, sur ce terrain sensible, très timide.

Elle distingue la situation des étrangers illégalement établis sur le territoire d'un État membre de celle des étrangers en séjour régulier mais faisant l'objet d'une mesure d'expulsion à la suite d'une condamnation pénale.

En ce qui concerne les étrangers qui se sont établis illégalement sur le territoire d'un Etat contractant, la Cour refuse généralement de reconnaître le droit de ne pas être expulsé pour raison familiale ce qui reviendrait à accorder à ces personnes un véritable droit de séjour sur le fondement de l'article 8167. Toutefois, il arrive que, compte tenu des circonstances particulières d'une affaire, la Cour prenne exceptionnellement une décision inverse168. L'aléa dans la reconnaissance de la violation de ce droit n'en fait donc pas une garantie importante pour cette catégorie d'étrangers.

Or, l'étranger, avant de déposer une demande d'asile n'est pas en situation régulière, il ne bénéficie donc d'aucune protection de sa vie familiale.

La difficulté de protéger le droit à une vie familiale normale des demandeurs d'asile est particulièrement révélatrice de la particularité de leur statut. En effet, ce statut n'étant que temporaire, il n'apparait pas toujours utile aux yeux des autorités nationales de leur reconnaitre certains droits fondamentaux. Nul ne sait combien de temps un demandeur d'asile séjournera sur le territoire, car il est susceptible d'être renvoyé dans son pays d'origine à n'importe quel moment. Dès lors, la mise en oeuvre du rapprochement de la famille n'est pas aisée ni jugée raisonnable tant que leur situation n'est pas stabilisée. Les procédures de demande d'asile peuvent pourtant être longues et périlleuses, et le soutien de la famille peut alors s'avérer comme essentiel.

En ce qui concerne les étrangers en situation régulière dans le pays d'accueil, les

165 Henri Labayle, << Le droit au regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit européen », RFDA, 2007, p. 101.

166 Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant.

167 Cour EDH 13 mai 2003, Chandra et autres c. Pays Bas, Req. n° 5302/99

168 Cour EDH, 31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays Bas, Req. n° 50435/99, § 44.

décisions sont tout à fait différentes puisque le droit de ne pas être éloigné au regard du risque pour l'unité familiale est envisageable même s'il est largement conditionné169.

Si la jurisprudence établi une telle distinction en la matière, c'est certainement parce qu'elle ne peut pas faire autrement. Mais la marge d'appréciation qui est laissée aux Etats concernant l'entrée et le séjour des migrants sur leur territoire fait alors obstacle à toute avancée sur le terrain de l'article 8 de la Convention. L'application des droits de l'Homme trouve ici des limites. Toutefois la Cour a montré qu'elle pouvait les dépasser.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon