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Le droit d'asile et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

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par Clémentine PLAGNOL
Université Montesquieu Bordeaux IV - Master II droit communautaire et européen 2012
  

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SECTION 2. La protection du droit d'asile renforcée par des méthodes développées par la Cour européenne des droits de l'Homme

La protection du droit d'asile via l'article 3 de la CEDH est fortifiée par l'utilisation d'outils qui permettent sa mise en oeuvre (Paragraphe 1), et par le regard circonstancié que porte la Cour sur les affaires relative au droit d'asile (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Une mise en oeuvre de la protection par des outils efficaces

Deux nouveautés se sont immiscées dans le travail des juges européens permettant de faire valoir l'importance de certains droits, dont le droit d'asile : il s'agit d'une part des mesures provisoires qui empêchent la violation intempestive des droits à l'occasion du déroulement de la procédure (A), d'autre part de la politique de priorisation qui offre un avantage à certaines affaires par leur traitement prioritaire (B).

A/ La garantie d'une procédure suspensive grâce aux mesures provisoires

Dans de nombreuses affaires relatives à des expulsions ou à des extraditions, la Cour EDH applique des mesures provisoires. Il s'agit de mesures prises dans le cadre du déroulement de la procédure devant la Cour et qui ne présagent pas de ses décisions ultérieures sur la recevabilité ou le fond des affaires. Elles consistent le plus souvent à suspendre l'expulsion du requérant le temps de l'examen de la requête ce qui paralyse l'action des Etats pendant un temps qui peut être long et alors même qu'il s'agit de domaines sensibles

comme l'asile. C'est de ce fait l'épine du pied de nombreux Etats, à savoir les Pays Bas, la France, la Royaume-Uni et la Suisse en première ligne46.

Les exemples sont nombreux mais les contre exemples sont tout aussi révélateurs de la portée de cet outil. A l'occasion de l'affaire M.S.S., la Cour n'a pas adopté de mesure provisoire destinée à empêcher la Belgique de renvoyer le requérant vers la Grèce mais elle en a adopté une autre afin que ce dernier Etat ne renvoie pas l'intéressé vers un pays tiers. La Cour a du se justifier quant à ce choix mystérieux car le Gouvernement défendeur s'en est servi comme preuve de l'absence de risque établi pour le requérant en Grèce47. La Cour a répondu en disant que si elle n'a pas estimé utile d'indiquer une mesure provisoire en vertu de l'article 39 de son règlement pour suspendre le transfert du requérant, c'est d'abord parce que l'imminence de l'expulsion rendait le prononcé de la mesure urgente. Or, au stade de la saisine, il n'appartient pas à la Cour de procéder à une analyse complète de l'affaire. De plus, dans des courriers, la Cour a demandé au gouvernement grec d'assurer un suivi individuel de la demande du requérant et de la tenir informée48.

Cette justification laisse planer « un sentiment d'insatisfaction ». La Cour aurait pu, comme elle le fait pour tous les autres requérants en proie à une expulsion imminente, opposer une mesure provisoire afin d'éviter une violation, elle aussi imminente, dans le pays de renvoi. Pourtant elle ne l'a pas fait, et justifie son choix sans en donner vraiment les raisons. Le fait d'avoir demandé un suivi individuel du requérant n'a rien empêché, ce qui prouve que les mesures provisoires sont seules efficaces face aux mesures d'éloignement.

Elles le sont surtout depuis l'affaire Mamatkulov et Askarov contre Turquie du 4 février 2005 à l'occasion de laquelle la Cour a déclaré reconnaitre l'effet contraignant des mesures provisoires. Il s'agit d'un revirement des jurisprudences Cruz Varas49 et Conka50.

Dans l'affaire de 2005, la Cour de Strasbourg avait conclu à la violation de l'article 34 de la Convention qui interdit aux parties d'entraver l'exercice efficace du droit au recours individuel car le Gouvernement ne s'était pas conformé à l'article 39 du Règlement de la Cour qui encadre les mesures provisoires.

Cette nouvelle position de la Cour a été critiquée, notamment parce qu'on pouvait y voir un
excès de pouvoir de la part des juges européens. C'est en tous les cas un instrument efficace

46 Statistiques par pays et par année à retrouver sur le site de la Cour européenne des droits de l'Homme : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/E14B0565-7BC4-4615-B002-890A006950B1/0/Art39_TabPaysEN.pdf

47 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 355.

48 Ibid. § 32, et 39.

49 Cour EDH, 20 mars 1991, Cruz Varas et a. c. Suède, Req. n° 15576/89

50 Cour EDH, 5 février 2002, Èonka c. Belgique, Req. n° 51564/99

qui permet une meilleure exécution et un plus grand respect des décisions de la Cour. Et, celle-ci a réussi à créer un nouveau rapport avec les parties, qu'il s'agisse des particuliers qui y ont recourt de plus en plus, ou des Etats qui craignent ces mesures. Mais, une nouvelle charge de travail attendait ainsi les juges européens.

En effet, face à une augmentation des demandes51, le président de la Cour, Jean-Paul Costa, a rendu publique une déclaration concernant les demandes provisoires le 11 février 2010, rappelant aux Gouvernements et aux requérants quel est le rôle approprié de la Cour en matière d'immigration et de droit d'asile, rôle finalement limité. Il a insisté sur les responsabilités de ces différentes parties.

Selon lui les mesures provisoires ne doivent pas être perçues comme un supplétif à un recours national. Ceci implique que le requérant ne se repose pas sur la mesure sans s'en remettre aux recours dont il peut user, mais cela implique surtout que les Etats prévoient des recours suspensifs à l'occasion de procédures visant l'éloignement des étrangers. En effet selon lui, en ce qui concerne le droit des étrangers demandeurs d'asile, les gouvernements doivent << prévoir au niveau national des recours à l'effet suspensif, fonctionnant de manière effective et juste conformément à la jurisprudence de la Cour, ainsi qu'un examen équitable dans un délai raisonnable de la question du risque ».

Par ailleurs, à l'occasion de l'arrêt De Souza Ribeiro en 201152, les juges Spielman, Berro-Lefèvre et Power ont émis une opinion en partie dissidente dans laquelle ils avancèrent l'argument qui allait dans le même sens que le Président d'alors. Selon eux : << A l'heure où la Cour doit faire face à un accroissement important des demandes d'article 39 [mesure provisoire] et qu'elle est appelée, bien malgré elle, à jouer de plus en plus le rôle des juridictions nationales, l'instauration de recours suspensifs pourrait enrayer cette tendance : elle obligerait les Etats à renforcer les garanties offertes et le rôle des juridictions nationales, ainsi que - par conséquence - la subsidiarité de la Cour dans le sens préconisé par la déclaration d'Interlaken, repris avec force dans celle d'Izmir ».

Ces avis convergent à juste titre puisque la Cour est prise à son propre piège. Les demandes de mesures provisoires augmentent mais la Cour ne peut plus toutes les satisfaire. Ainsi, en 2010, 1440 demandes ont été accordées contre 1823 refusées.

La Cour européenne cherche alors des solutions. A la suite de l'arrêt M.S.S., elle avait utilisé
un autre instrument afin d'améliorer le système judiciaire européen. Elle avait adressé une

51 Selon le Président de la Cour Jean-Paul Costa << entre 2006 et 2010, la Cour a connu une augmentation de plus de 4000% du nombre de demandes d'indication de mesures provisoires en vertu de l'article 39 du règlement : elle en a reçu 4786 en 2010, contre 112 en 2006 ».

52 Cour EDH, 5e Sect., 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c/ France, Req. n° 22689/07

directive collective aux Etats membres du Conseil de l'Europe leur demandant de suspendre les réadmissions vers la Grèce, au vue du nombre élevé d'affaires en cours et des nombreuses demandes de mesures provisoires. Certains Etats s'y sont conformés53, d'autres ont préféré trainer des pieds, et encombrer le travail des juges européens54.

Par ailleurs, une nouvelle instruction pratique a été publiée à destination des requérants souhaitant formuler une telle mesure provisoire aux fins d'obtenir la suspension de leur extradition ou expulsion. Il s'agit là d'un véritable mode d'emploi afin de responsabiliser non plus les Etats mais les requérants, de sorte qu'ils ne formulent pas des demandes incomplètes ou sans pertinence. De même, la Cour a dressé un tableau statistique assez détaillé55 sur ces demandes de mesures provisoires durant le premier semestre 2011. Ainsi les requérants peuvent s'y référer afin de connaitre les chances que leur demande aboutisse, mais les autorités nationales sont elles aussi à même de savoir que pour tel pays de renvoi, la Cour suspendra sûrement la procédure d'éloignement.

Il semble que tout soit pensé pour que chacun prenne ses responsabilités, et surtout les Etats. Certains ont ainsi pu comparer ces actions à la technique connue des autres instances et organisations internationales : le << naming and shaming >> qui signifie << nommer et faire honte >>56. En effet, il s'agit pour la juridiction européenne de mettre en exergue les mauvais comportements de certains Etats, les exposant ainsi aux critiques de la communauté internationale et de leurs opinions publiques respectives. L'objet est de faire pression.

Les mesures provisoires ne doivent être conçues que comme une solution temporaire en attendant que les Etats se conforment aux recommandations de la Cour EDH. Les Etats ne pouvant pas supporter indéfiniment l'exercice répété de cette arme qui paralyse provisoirement leur système, il est possible d'espérer qu'ils prendront les mesures nécessaires pour qu'en vertu de leur propre droit, les requérants bénéficient de la garantie d'une suspension de la mesure d'éloignement le temps de la procédure.

Finalement, la force des mesures provisoires est d'offrir au demandeur d'asile une garantie immédiate de non-refoulement lorsque l'article 3 de la CEDH est en jeu, mais un autre mécanisme plus indirect produit les mêmes effets.

53 Le Royaume-Uni, la Suède, l'Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, l'Islande, la Norvège.

54 La France en premier, avec les lettres du 28 février 2011, citées précédemment.

55 Sont dénombrées les mesures provisoires acceptées et rejetées, ceci réparti par Etat défendeur et selon le pays de renvoi.

56 Nicolas Hervieu, << Cour européenne des droits de l'Homme : Bilan de la nouvelle section de filtrage et éclairantes statistiques sur les demandes de mesures provisoires >> in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 28 juillet 2011.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery