Paragraphe 2. Une protection assurée par une
jurisprudence circonstanciée
Conformément à la jurisprudence constante de la
Cour, pour tomber sous le coup de l'article 3 de la CEDH un mauvais traitement
doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation du
dépassement de ce seuil minimum est relative. Elle dépend de
l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du
traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe,
de l'âge et de l'état de santé de la victime. On retrouve
cette jurisprudence notamment dans l'arrêt Price contre
Royaume-Uni du 10 juillet 200162. Ainsi, la cour fait un examen
circonstancié des affaires, c'est-à-dire un examen au cas par
cas. Et ce qui fait l'efficacité de sa jurisprudence en matière
d'asile c'est qu'elle considère tout à la fois des
éléments s'attachant spécifiquement au droit d'asile (A),
mais également des éléments s'attachant à la
personne du demandeur d'asile (B).
A/ La prise en compte des éléments qui
s'attachent au droit d'asile en soi
Le droit d'asile recouvre des particularités, notamment
en ce que la personne qui s'en prévaut a généralement fui
son pays d'origine en raison du contexte politique de celui-ci. La Cour EDH a
entendu en tenir compte (1), et met également en exergue la
vulnérabilité tenant au fait d'être demandeur d'asile
(2).
1) L'actualisation de la situation politique du pays
d'origine par la Cour EDH
Le contexte est un élément qui peut faire varier
la décision de la Cour. Son évolution peut jouer en faveur ou en
défaveur du requérant qui allègue qu'il subirait des
traitements contraires à l'article 3 ou à l'article 2 de la CEDH
en cas de retour dans son pays d'origine, ou à tout le moins en cas
d'envoi dans un autre pays.
Dans l'arrêt Chahal contre Royaume-Uni en 1996,
la Cour a posé le principe selon lequel l'appréciation du risque
de violation de l'article 3 se fait au moment de l'examen de
l'affaire63. Ainsi par exemple dans l'arrêt Vilvarajah et
autres64 qui concernait un sri lankais, l'examen du contexte
qui régnait en 1988 au Sri Lanka n'a pas permis de conclure à la
violation de l'article 3 de la CEDH. De même, dans l'arrêt Al
Hanchi contre Bosnie-
62 Cour EDH, 10 juillet 2001, Price c. Royaume
Uni, Req. n° 33394/96
63 Arrêt Chahal précité,
§ 86.
64 Arrêt Vilvarajah
précité.
Herzégovine du 15 novembre 2011 65
, le renvoi vers la Tunisie d'un combattant moudjahidin(ne) n'a pas
été reconnu de nature à exposer ce dernier à des
traitements contraires à l'article 3. C'est encore l'examen de la
situation en Tunisie au jour de l'arrêt qui a amené la Cour
à ne voir aucun risque pour le requérant en cas de renvoi vers
son pays d'origine.
Ce n'est finalement que dans des cas isolés que la Cour
a accepté de conclure à une violation de la Convention, lorsque
le temps avait fait disparaitre le risque certain de violation. Ainsi par
exemple dans l'arrêt N. contre Finlande de 2005, la violation
était avérée même si huit ans s'étaient
écoulés, diminuant par là même les
intérêts des autorités de s'en prendre au requérant.
Toutefois, la consistance du récit sur le passé du
requérant permettait de retenir la violation66.
En définitive, la Cour prend elle-même le risque
de se tromper sur la situation du pays, mais cette jurisprudence est
révélatrice d'un jugement fin, au cas par cas, car la Cour
s'adonne à un travail d'expert afin de déterminer si le risque
est toujours actuel.
Le droit d'asile oblige en quelque sorte cet examen attentif du
contexte du pays d'origine, car l'étranger cherche
précisément de l'aide au regard de sa situation dans ce pays.
Le contexte politique n'est pas le seul élément
propre au droit d'asile que la Cour prend en compte afin d'élaborer une
jurisprudence équilibrée et circonstanciée, car elle
s'attache également à reconnaitre la particularité de la
qualité de demandeur d'asile par rapport aux autres
requérants.
2) Le particularisme lié à la
qualité de demandeur d'asile
Dans son récent arrêt M.S.S. contre Belgique
et Grèce, le 21 janvier 2011, la Cour a précisé que
le demandeur d'asile appartient << à un groupe de la population
particulièrement défavorisé et vulnérable qui a
besoin d'une protection spéciale67 ».
Pour affirmer ceci, la Cour s'appuie sur d'autres sources de
droit international : la Convention de Genève68, le mandat et
les activités du HCR et la directive << Accueil » de l'Union
européenne69. Elle parle même de << large
consensus au niveau international70 ».
65 Cour EDH, 15 novembre 2011, Al Hanchi c.
Bosnie-Herzégovine, Req. n° 48205/09.
66 Catherine Gauthier, Cour EDH, 26 juillet 2005,
N. c. Finlande, (Req. n°38885/02), JCPA, n°49, 2005,
n°1375.
67 Arrêt M.S.S. c. Belgique et
Grèce, précité, § 251.
68 Convention relative au statut des
réfugiés du 28 juillet 1951
Il peut paraitre étrange que les juges européens
voient un consensus se dégager de ces textes, de sorte que le droit
international s'accorderait pour qu'une protection particulière soit
donnée aux demandeurs d'asile.
En ce qui concerne la Convention de Genève, encore
faut-il que l'individu corresponde à la définition d'un
réfugié pour qu'il puisse bénéficier des droits qui
découlent du texte ou du mandat du HCR. Au sujet de la directive
Accueil, elle concerne effectivement les demandeurs d'asile, mais l'on peut
s'interroger sur la motivation de cette protection spéciale, et par
là même sur sa nature. S'agit-il de protéger une population
particulièrement défavorisée, ou de << limiter les
mouvements secondaires des demandeurs d'asile71 » en
élaborant une << politique commune dans le domaine de
l'asile72 » ?
La Cour européenne a ainsi dégagé un
principe important pour la protection des demandeurs d'asile car le fait de les
considérer comme un groupe de personnes particulièrement
défavorisé et vulnérable signifie qu'il est
nécessaire de prévoir une protection adaptée à leur
statut. C'est ainsi que la Cour montre son engagement dans la définition
d'un droit propre aux demandeurs d'asile. Le droit d'asile est certes un droit
non écrit dans le texte de la Convention, mais les juges le
découvrent implicitement.
Plusieurs raisons peuvent alors expliquer la
référence à d'autres normes internationales
prévoyant une protection spéciale pour les demandeurs d'asile.
Il peut s'agir d'une manière de légitimer le
nouveau principe alors qu'il touche à une matière qui
n'appartient normalement pas à la Cour. La culpabilité de toucher
à un droit qui n'est pas inscrit dans la Convention serait ainsi
atténuée par le fait qu'il s'agisse déjà d'un
consensus au niveau international.
C'est peut être aussi, pour la Cour européenne,
un aveu que d'autres organisations et d'autres textes sont dévolus
à la protection du droit d'asile tandis que la Convention EDH n'en
traite pas.
En définitive, il faut y voir l'appropriation du droit
d'asile par la Cour européenne, un domaine déjà
traité par d'autres instances et organisations internationales dont
l'ONU et l'UE. Si la Cour EDH ne peut donc pas dire qu'elle-même
protège le droit d'asile, elle arrive à le faire en se servant
des autres droits garantis par la Convention comme l'interdiction de la
69 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003
relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile
dans les Etats membres
70 Ibid.
71 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003
relatif à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile
dans les Etats membres, dite directive << Accueil »,
Considérant (8).
72 Ibid. Considérant (1).
torture et des traitements inhumains, et elle s'appuie par
ailleurs sur ce consensus au niveau international selon lequel les demandeurs
d'asile doivent bénéficier d'une protection spéciale.
Il n'y a pas que ces éléments propres au droit
d'asile qui permettent à la Cour de défendre les
intéressés efficacement, elle s'attache également à
examiner les caractéristiques spécifiques à chaque
demandeur d'asile en tant que personne humaine.
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