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La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring

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par Daniel KIMBMBA KAHYA
Université catholique du Congo - Licence 2012
  

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III.2.3. Les actes intrinsèques

B. Häring expose une conception de la question des actes intrinsèquement mauvais qui tient compte de l'environnement et du contexte socio-culturel : En effet pour lui, si les conséquences principales et naturelles d'un acte sont mauvaises c'est dire que l'acte dont elles découlent est lui-même mauvais, attendu que si l'effet est mauvais, sa cause l'est a fortiori.273(*) Cet acte, quant à lui, n'est pas le fruit d'une génération spontanée, mais procède de la volonté délibérée comme de sa cause. En vertu du même principe, pour Häring, si l'acte issu de la volonté est mauvais, c'est que la volonté elle-même l'était. Mais la volonté ne peut communiquer une malice qu'elle n'a pas d'abord elle-même contractée. Or on sait que la volonté est spécifiée par son objet. Sa propre malice lui vient donc de l'objet, à savoir l'agir même auquel elle s'est décidée au moment du choix. Quant à cet agir, il ne peut constituer le terme d'un acte élicite mauvais s'il n'est pas déjà en lui-même désordonné, c'est-à-dire contraire à la raison droite.274(*)

Bref, avant d'entraîner des conséquences mauvaises, un agir doit avoir été posé ; or il doit avoir été choisi avant d'être posé ; et avant d'être choisi il doit avoir été conçu par l'intelligence et présenté à la volonté comme objet. Conclusion : avant d'être contractée par la volonté élicite, la malice morale était déjà inscrite à l'intérieur de l'agir susceptible d'être choisi. Autrement dit, c'est parce que l'agir délibéré était déjà en lui-même désordonné ou contraire à la raison droite que la volonté élicite en contracte la malice au moment du choix.

Il en est donc de la moralité comme de l'adjectif sain attribué simultanément à l'animal, à la nourriture et à l'urine : l'attribution se fait d'une manière analogique et non pas univoque. Si la bête, la nourriture et l'urine peuvent être qualifiées de saines, c'est en effet parce que toutes trois ont un rapport à la santé : la bête en tant qu'elle en est le sujet propre, la nourriture en tant qu'elle en est la cause, et l'urine en tant qu'elle en est le signe ou l'effet. Ce qu'on veut faire remarquer ici, c'est que le même type d'analogie joue dans le cas de la bonté et de la malice morale.275(*) Si la volonté, l'objet de son choix et l'agir effectif qui en découle peuvent tous trois être qualifiés de moralement bons ou mauvais, il reste que ne sera pas d'une manière univoque, mais analogique. La volonté sera qualifiée de bonne ou mauvaise en tant que sujet propre de la moralité (et c'est la raison pour laquelle on dit qu'il n'y a que la volonté qui soit formellement bonne ou mauvaise), l'agir délibéré sera qualifié de bon ou de mauvais en tant qu'il se rapporte à la volonté comme l'effet à sa cause, et l'agir que la raison présente à la volonté comme objet sera qualifié de bon ou de mauvais en tant qu'il est apte à spécifier la volonté qui le ferait sien en le choisissant. On sauve de cette manière le principe à l'effet que la moralité ne convienne proprement qu'à l'acte volontaire, tout en maintenant la théorie séculaire de la spécification de la volonté élicite par son objet. 276(*)

Pour Häring, quand on parle d'un acte intrinsèquement bon ou mauvais, c'est d'un agir susceptible d'être choisi dont on parle : un acte conçu par la raison (un vol ou un meurtre, par exemple) et dont la bonté ou la malice vient de sa conformité ou de son opposition à ce que la nature humaine admet à son achèvement.277(*) Par-là, il faut comprendre que cet acte a déjà en lui-même une structure et une signification qui constituent déjà une raison de le vouloir et que la volonté ne peut pas ne pas faire siennes quand elle s'y décide : une structure qui lui vient de ce qu'il est en lui-même, dans son essence, et qui fait que c'est de tel acte dont il s'agit et non pas de tel autre (s'approprier furtivement le bien légitime d'autrui ou supprimer volontairement la vie d'un être humain innocent, par exemple), et une signification ou valeur morale qui lui vient de son rapport de conformité ou d'opposition à la raison droite en tant que, en choisissant de poser le geste, on irait automatiquement, dans le premier cas, à l'encontre du droit de propriété d'autrui, ou, dans le second, à l'encontre de l'inviolabilité de la vie de l'innocent.278(*) On comprend dès lors que cette bonté ou malice morale de l'acte ne se prend pas de ce qui s'ajouterait à ce qu'il est déjà en lui-même, mais de ce qui le constitue déjà en son essence ou espèce ; d'où le nom de moralité intrinsèque.279(*)

Pour Häring, en saisissant comment un agir a une nature déterminée, on comprend que, déjà à ce niveau, en son essence même, avant que quiconque l'ait choisi, il se prête à un rapport de conformité ou de non-conformité avec la raison, c'est-à-dire avec ce que la nature humaine admet ou non à son achèvement. Certains actes présentent une essence susceptible de se conformer à la raison et de faire l'objet d'un choix moral (telle la remise d'une somme due et l'aumône faite au pauvre), tandis que l'essence d'autres exclut définitivement cette possibilité (tel le vol et le meurtre).280(*)

Le bien moral exige donc, selon Häring, que tous ses éléments soient simultanément bons, tandis que le mal résulte de la malice d'un seul. C'est la raison pour laquelle un acte n'est définitivement bon et jugeable comme tel qu'une fois revêtu de son ultime circonstance morale : tant qu'il n'en est pas là, il est susceptible, tout intrinsèquement bon qu'il soit, de se gâter moralement par l'effet d'une autre circonstance.281(*)

Sur cet aspect de la question, la conception proportionnaliste interdit tout jugement définitif sur la valeur morale d'un acte considéré in abstracto. Par contre, Häring considère qu'un acte est déjà mauvais et jugeable comme tel, dès que son objet ou qu'une de ses circonstances l'est, sans qu'il soit nécessaire de poursuivre l'inventaire des circonstances. Et c'est là précisément où qu'il se sépare des proportionnalistes qui, comme on le sait, refusent l'existence d'acte irrémédiablement mauvais, jugeant qu'une circonstance adventice peut, à elle seule, rendre bon un acte par ailleurs contraire à la raison droite.282(*)

Pour Häring, toutes les déterminations morales d'un acte doivent simultanément concourir à sa bonté pour que l'acte soit déclaré bon, alors qu'un seul défaut suffit à le déclarer mauvais. C'est la raison pour laquelle il ne peut pas y avoir d'actes intrinsèquement bons in abstracto qui ne puissent être gâchés par une circonstance qui le rende mauvais in concreto. À l'inverse, un acte qui serait mauvais in abstracto (l'adultère, par exemple), ne pourra jamais revêtir de circonstances qui le rendraient bon in concreto, pour la simple et bonne raison qu'une nouvelle circonstance ne fait qu'ajouter une nouvelle relation à la raison droite, sans détruire ou éliminer ce qui, en cet acte, s'y oppose déjà. En clair, l'adultère étant déjà contraire à la raison droite du fait qu'il s'agisse d'un commerce extra-conjugal, rien de ce qui pourrait s'y ajouter ultérieurement dans l'ordre de la concrétion de l'acte ne pourra changer cet état de fait. Et c'est précisément cet aspect que les proportionnaliste négligent de considérer.283(*)

Quelles sont les implications de cette conception häringienne des actes intrinsèquement mauvais ? En effet, il y a une considération de départ : les normes négatives, qui selon l'enseignement traditionnel de l'Eglise proscrivent semper et pro semper certaines actions comme intrinsèquement mauvaises ex objecto, sont selon Häring, le fruit d'un processus inductif qui aurait généralisé l'interdiction d'une action physique déterminée -- par exemple « le fait de tuer » -- en raison du résultat produit par ces actions (fondation téléologique de la norme).284(*) Serait a priori exclue la possibilité d'une exception légitime à ce commandement. Mais, bien évidemment, une telle prétention se révélerait rapidement un échec, pour deux raisons : primo, prévoir a priori toutes les situations possibles est une gageure ; secundo, le sens commun reconnaît la légitimité de l'action tuer dans certains cas (légitime défense, guerre juste, etc.). D' où un raffinement progressif de la norme, incluant toujours plus de circonstances.285(*)

Un tel processus, fruit de l'expérience commune d'un groupe humain donné -- la tribu, le peuple d'Israël, l'Église, ou même l'humanité tout entière --, ne serait jamais achevé. C' est pourquoi les normes seraient toujours perfectibles, et conserveraient inévitablement un caractère abstrait. Ainsi, même lorsque cet affinement progressif de la norme conduit à des formulations extrêmement complexes, ces formulations demeurent en défaut par rapport à la richesse inépuisable -- et sans cesse mouvante -- du réel et de la nature humaine (le caractère évolutif de ces derniers étant lié à la croissance de nos connaissances scientifiques mais aussi à une conception ontologique non statique de la nature humaine). Certains en arrivent logiquement à parler de normes virtuellement sans exception286(*).

Les formulations simplifiées telles que Tu ne tueras point -- auxquelles il faudrait bien se tenir par souci pédagogique et par impossibilité de parvenir à une norme exhaustive -- devraient être regardées en réalité comme des tautologies. Elles viseraient tout au plus à rappeler à la personne qu' elle doit toujours viser , dans le choix d'un comportement précis, à être juste, à être bienveillante envers toute personne, à ne pas sacrifier vainement (c ' est-à-dire « sans raison proportionnée) le bien de la vie humaine, etc. , mais sans qu' il soit possible d'en déduire un comportement concret.

Ainsi, seules sont valables semper et pro semper des normes dites transcendantales prescrivant des attitudes fondamentales à l' égard des valeurs à respecter dans l'agir concret, tandis que les normes catégorielles prescrivant ou interdisant un comportement concret valent seulement ut in pluribu, à moins qu'on ne les regarde, ainsi que nous venons de le signaler, comme des tautologies -- mais elles ne servent alors aucunement à déterminer un mode d'agir concret287(*). C'est dès lors à la raison pratique qu'il revient de déterminer quel comportement convient dans la situation présente, et ce, à chaque fois d'une manière nouvelle, sans qu'elle puisse espérer des normes morales qu'elles lui offrent une solution toute faite.288(*)

Cette conception entraîne des conséquences qui peuvent changer la façon d'appréhender les préceptes moraux.

* 273 Cfr. Ibid., p. 310.

* 274 Cfr. Ibidem.

* 275 Cfr. Ibid., p. 309.

* 276 Cfr. Ibidem.

* 277 Cfr. J. DESCLOS, Libérer la morale. Christocentrisme et dynamique filiale de la morale chrétienne à l'époque de Vatican II. Montréal, Paulines, 1991, p. 117.

* 278 Cfr. Ibidem.

* 279 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 329.

* 280 Cfr. B. HARING, Une morale pour la personne. Paris, Marne, 1973, p. 136.

* 281 Cfr. Ibidem.

* 282 V. COUESNONGLE, « La fin ne justifie pas les moyens », dans Supplément de Vie Spirituelle, 16 (1983), p. 298.

* 283 Cfr. Ibidem.

* 284 Cfr. G. ANSCOMBE, L' Intention, Trad. de l'anglais par Mathieu Maurice et Cyrille Michon, (Bibliothèque de philosophie), Paris, Gallimard, 2002, p. 79.

* 285 Cfr. Ibidem

* 286 Cfr. Ibidem.

* 287 Ces normes sont appelées « normes de comportement » ou « normes concrètes ». À ce titre, elles ne peuvent valoir semper et pro semper, puisqu' elles n'interdisent qu'un comportement matériel, physique. Le seul moyen de les considérer valables semper et pro semper est de les regarder comme des tautologies, mais elles n'interdisent plus alors un comportement matériel précis : elles sont simplement parénétiques, c'est-à-dire exhortatives, rappelant simplement la nécessité de toujours se situer par rapport à certaines valeurs.

* 288 Cfr. B. HÄRING, Libres dans le Christ, Op. cit., p. 343.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille