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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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Chapitre II:Le rêve biométrique confronté aux défis technologiques p. 6o

4. L'identité, de la vraisemblance technique à la certitude juridique

Cette efficacité toute relative des technologies biométriques est bien souvent mise de côté par ses promoteurs, alors même que ceux-là connaissent précisément le fonctionnement de celles-ci, et donc savent qu'elles sont guidées davantage par le principe de similitude que par celui d'identité. Mais mettre en avant le principe de similitude conduit aussi à avouer que ces technologies n'offrent qu'une possibilité de vraisemblance dans l'identification d'une personne ou la vérification de son identité, vraisemblance qui concorde mal avec le discours positiviste visant à promouvoir le remplacement d'une technologie d'identification et de vérification d'identité jugée archaïque, celle fondée sur les papiers et les mots de code, par une technologie jugée enfin « scientifique » et donc « certaine ». Lorsqu'on admet même, techniquement, le caractère seulement vraisemblable de l'identification biométrique, on tente de tempérer les possibilités d'erreur en faisant appel aux probabilités et à leur caractère scientifique: on admet qu'il y a une chance infime qu'un individu ait les mêmes empreintes digitales qu'un autre, mais on considère que, dans la pratique, cette chance est si infime qu'elle peut être considérée comme négligeable. Cette justification prend toutefois un sens différent selon qu'elle s'insère dans un discours de type technique et scientifique, ou dans un discours davantage politique et juridique. En effet, en raison de ses enjeux vis-à-vis des libertés publiques et des droits fondamentaux, les possibilités d'erreur des technologies biométriques, fût-elles minimes, acquièrent une proportion autrement importante dans le cadre juridico-politique.

C'est l'arbitrage entre cette infime possibilité d'erreur présenté par les technologies biométriques et admis dans le discours technique, et le caractère intolérable de l' « erreur judiciaire » et d'une restriction arbitraire des libertés publiques, qui explique l'ambivalence du discours sur la biométrie. Au niveau commercial et politique, on prône sa scientificité et sa perfection, en mettant en avant la possibilité d'identifier de façon certaine une personne du berceau jusqu'à la mort, selon l'expression consacrée pour décrire le fonctionnement de l' « Etat-providence ». En revanche, les textes techniques d'une part, et de la doctrine juridique d'autre part,

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prêtent une attention sourcilleuse aux possibilités d'erreur et aux imperfections des technologies biométriques. Pour écarter celles-ci, sans rejeter toutefois entièrement la biométrie, on élabore alors de fines distinctions entre les différents types de biométrie, selon différents critères, tandis qu'on tente de mettre en place des garde-fous juridiques parant le risque d'erreur qui, quand bien même on aurait écarté les technologies les moins fiables, n'en persistent pas moins. La technologie d'abord, puis le droit, permet ensuite d'effacer progressivement le risque d'erreur inhérent à toute procédure d'identification, en faisant passer celui-ci pour acceptable.

Mais le droit remplit aussi une autre fonction, qui n'est pas simplement de légitimation d'une marge d'erreur considérée comme négligeable, et à laquelle il permettrait d'offrir des modes de résolution satisfaisants, en élaborant un certain nombre de protections juridiques à l'égard des erreurs : droit d'accès, saisine de la CNIL, etc. (cf. notamment art. 34 de la directive 95/46/CE et art. 10 de la loi de 1978) - ce rôle est particulièrement important lorsque certains sujets ne peuvent, pour des raisons physiologiques, être enrôlés dans les systèmes biométriques. Ainsi, le rapport « Biometrics at the Frontiers » (2005) de la Commission européenne estimait à cet égard que 5% de la population ne [remplissait] pas les pré-requis physiologiques de l'enregistrement »112 pour ce qui concerne les dispositifs de reconnaissance d'empreintes digitales (empreintes trop effacées, etc.~~3).

Les dispositifs juridiques ne font pas que réduire la quantité d'erreurs en écartant les technologies trop peu fiables, ni annuler leurs effets en permettant un contrôle relatif des individus sur ces technologies. Il possède en effet une fonction qui peut être considérée comme beaucoup plus puissante que cette simple légitimation des procédures biométriques d'identification: c'est la faculté de transformer en vérité certaine, indubitable, ou encore en vérité de droit, ce qui n'était qu'une simple vraisemblance acquise grâce aux technologies biométriques d'identification. Là où la biométrie ne peut offrir qu'une très forte présomption qu'il s'agit bien de la même

112 Résumé exécutif du rapport de l'Institute for Prospective Technological Studies (IPTS), JRC Commission européenne (2005), « Biometrics at the Frontiers: Assessing the Impact on Society » (2005), EUR 21585 (p.13)

113 Cela peut arriver notamment chez certains travailleurs manuels, ou encore par la prise, sur de longues périodes, de capécitabine, un médicament utilisé en particulier pour des cancers (carcinome du nasopharynx, cancers du sein) ou pour la fièvre aphteuse. Cf. M. Wong, S.-P. Choo et E.-H. Tan (2009), « Travel warning with capecitabine », Annals of Oncology Advance Access, publié en-ligne le 26 mai 2009.

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personne, que l'état civil ou l'identité de papier a été mise de façon adéquate avec le corps physique et biologique lui correspondant, le droit transforme cette présomption en vérité irréfragable114.

Ne pourrait-on objecter que le droit n'avait nul besoin d'introduire les technologies biométriques pour transformer en vérité de droit, certaine et indubitable, ce qui n'était qu'une présomption empirique qu'une personne x était la même personne que l'individu y? N'est-ce pas le propre de l'état civil de fournir un critère d'identité numérique de la personne, qui permet de passer de la simple identité qualitative et empirique socialement perçue à une identité de droit, assurée de sa légitimité? Et si, malgré le discours qui lui est attaché, la biométrie elle-même fonctionne davantage au principe de similitude qu'au principe d'identité, à l'identité qualitative qu'à l'identité numérique, comment le droit peut-il espérer trouver dans les technologies biométriques un moyen de passer de la simple vraisemblance empirique à la vérité certaine? Ce que met en lumière cette objection, c'est que malgré l'opération épistémologique à laquelle se livre le droit, en requalifiant l'identité vraisemblable et qualitative en identité certaine et numérique, via les procédures d'identification administratives (au premier lieu desquelles l'état civil), les erreurs et les fraudes, les homonymies et le perfectionnement constant des faiseurs de « faux papiers », ou, plus simplement, les ruses ou les simples laissez-aller des individus jouant ou laissant jouer l'imperfection et la complexité des organismes bureaucratiques, et la pluralité coexistantes des identités de papier pour une seule et même personne, tout cela conduit la vérité juridique de l'identification, toute certaine qu'elle est, à demeurer toujours exposée au démenti et à la falsification. Le droit peut bien dire qu'une personne est née tel jour, bien qu'elle soit née un autre jour; mais si la même personne dispose de plusieurs dates de naissances officielles selon les différents registres administratifs, la vérité juridique s'expose à sa fragmentation qui met en péril sa certitude. Que ce soit par erreur administrative ou par volonté de l'individu, l'identité civile, de droit, n'est en fait jamais certaine, ce qui va à l'encontre de la fonction véridictionnelle du droit, au sens qu'il a ici pour fonction de garantir l'identité numérique de la personne. Aussi, en introduisant l'usage des technologies biométriques dans l'identification administrative, le droit espère de cet allié

114 Pour un mode analogue de transformation du factuel seulement vraisemblable en vérité de droit certaine et indubitable, cf. Marcela Iacub, « La construction de la mort en droit français », p.39-55 in Enquête n°7 (« Les objets du droit »), second semestre 1998, éd. Parenthèses, 1999.

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empirique un renforcement de sa puissance juridique de dire et d'assigner l'identité civile et sociale. En retour, en étant validé par le droit, les technologies biométriques dissimulent le caractère simplement vraisemblable et fondée sur l'identité qualitative du fonctionnement du processus d'identification et de reconnaissance biométrique. Droit et biométrie se renforcent ainsi mutuellement, chacun aidant l'autre à transformer le qualitatif empirique et incertain en quantité numérique certaine: cet individu ne ressemble pas simplement à tel autre, ils sont identiques, puisque les technologies biométriques permettent de repérer les mêmes caractéristiques biométriques d'un individu à l'autre, et que le droit accorde à ce repérage biométrique le fondement requis de la certitude. Et pourtant, droit et biométrie peuvent bien s'entre-aider dans la faculté à dire l'identité véritable et certaine des individus, ceux-ci, en raison même du fonctionnement de l'enregistrement de l'état civil et de la « chaîne de sécurité qui a pour point de départ les documents « sources » et se termine aux postes de contrôle »~~5, peuvent introduire l'erreur au sein même de la certitude juridique, comme le montre par exemple l'affaire Pinto 116

Paradoxalement, plus la vérité juridique cherche un appui sur la vérité biométrique, s'assurant ainsi de l'identité « réelle » des individus, plus elle devient vulnérable, s'exposant au démenti. Certes, « en moyenne » - et encore faudrait-il le démontrer -- l'identité individuelle serait davantage « en sûreté » grâce aux technologies biométriques, validées par le droit. Mais plus elles gagnent en présomption de véracité, plus l'usurpation d'identité devient dévastatrice, comme le souligne, entre autres, le CNCDH117. La sûreté gagnée s'inverse en vulnérabilité croissante, dans un phénomène qu'on pourrait rapprocher, toutes proportions gardées, de ce que Derrida appelait l' « auto-virus immunitaire » de la démocratie'. Ce n'est pas seulement que la force gagnée est d'autant plus vulnérable qu'elle est forte: c'est aussi qu'en transformant le vraisemblable en certitude, le droit créé la

115 Art. 26 de l'avis du 26 mars 2008 du CEPD (Contrôleur européen de la protection des données) concernant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n°2252/2004 du Conseil établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les Etats membres. (2008/C 200/01, publié au Journal officiel de l'Union européenne le 6 août 2008).

116 Cf. Cour d'appel de Paris, 18e chambre, arrêt du ii décembre 2008, Antonio Jaimes Antunes Pinto c. CAPM 93 (Juris Classeur). Cf. chap. V, section sur la « chaîne de l'identité ».

117

« Si la technique s'est trompée au départ, ou a été trompée, il s'attache à l'élément biométrique une

présomption de certitude qui multiplie les conséquences de l'erreur d'identité. Par ailleurs, dès que les données sont conservées et fichées, le moindre dysfonctionnement a des conséquences très graves » (CNCDH, avis du ler juin 2006).

118 Derrida, Jacques (2003), Voyous, éd. Galilée, Paris.

possibilité des « vrais-faux papiers », c'est-à-dire de loger le faux au coeur du vrai. D'où peut-être la hantise de la « falsification », considérée comme « infraction pénale grave » par le droit communautaire. Certes, il ne s'agit pas là d'une nouveauté inédite introduite par l'identification biométrique: dès lors qu'il y a « chaîne documentaire », et donc possibilité d'obtenir certains papiers plus facilement que d'autres, qui eux-mêmes permettent d'acquérir d'autres papiers, on peut passer doucement de la situation douteuse, cas d'illégalisme toléré (par exemple, le travail au noir), à l'obtention « frauduleuse » d'un statut juridique et civil, lequel est aussi véridique qu'il est «faux » ou « fuyant »119. Mais en renforçant le caractère « véridique » de la « vérité juridique », la biométrie renforce dans exactement la même mesure le caractère « véridique » des « vrais-faux papiers », ou des identités usurpées.

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119 Cf. l'exemple de la carte Vitale obtenue par des travailleurs au noir, infra (chap. V).

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