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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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5. Le « double bind » du contrôle d'identité

Le statut de l'étranger et du national se distinguent ainsi par l'injonction obligatoire faite à celui-là de prouver la régularité de son séjour, tandis que celui-ci peut, en droit, ne pas être titulaire d'une carte d'identité. En l'absence de celle-ci, il est pour le moins difficile de distinguer à l'aide de critères « objectifs » le national du non-national. Paradoxalement au regard des principes républicains, c'est donc, en partie, le droit français lui-même qui explique la possibilité de discriminations lors des contrôles, tout en n'évoquant l'apparence que pour la proscrire en tant que norme de référence88 . En d'autres termes, ce sont des stipulations juridiques contradictoires qui sont à l'origine de ce double bind ; mais celles-ci ne trouvent pas seulement leurs origines dans une incohérence juridique : plus profondément, elles révèlent la tension entre deux procédures d'identification distinctes, celle du face-à-face de celle de l'écrit.

La directive européenne du 29 avril 2004 (art. 26888) subordonne d'ailleurs le caractère obligatoire du port du titre de séjour à celui du port de la carte d'identité: c'est peut-être à ce prix que pourrait se dissiper le « double bind »: l'identification obligatoire des étrangers ne peut être acquise, sans discrimination réelle, que par l'identification obligatoire des nationaux. Une telle mesure pourrait conduire, à son tour, à subordonner le contrôle réglementaire du titre de séjour au contrôle de sécurité. Or, non seulement les contrôles de réglementation sont plus facilement institués que les contrôles de sécurité, mais ces derniers reposent sur les principes constitutionnels de défense de la sécurité et de l'ordre public, lesquels doivent être équilibrés par le respect des libertés publiques (décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier 1985). Les contrôles réglementaires de titres de séjour passeraient ainsi, indirectement, sous l'égide des principes constitutionnels de sauvegarde de l'ordre

887 Kouni, Geneviève (2004), « « Au regard des lois », le regard hors les lois », Communications, 2004, 75, 1.

888 Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres: « Les États membres peuvent effectuer des contrôles quant au respect de toute disposition de la législation nationale imposant aux ressortissants étrangers d'être toujours en possession de l'attestation d'enregistrement ou de la carte de séjour, à condition d'imposer la même obligation à leurs propres ressortissants en ce qui concerne la carte d'identité. En

cas de non-respect de cette obligation, les États membres peuvent imposer les mêmes sanctions que celles qu'ils

appliquent à leurs propres ressortissants lorsqu'ils omettent de porter une carte d'identité. »

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 315

public et de défense des libertés publiques, les mettant sous le même statut que les contrôles de sécurité visant les individus circulant sur le territoire, indépendamment de leur nationalité.

Cela conduirait-il à protéger davantage les individus contre les discriminations, comme semble le penser Tchen? En tout état de cause, cette mesure renouerait avec la logique classique de l'identification en négatif décrite par V. Denis889, logique portée à une nouvelle puissance par l'utilisation de la biométrie: tout le monde serait contrôlé afin d'isoler les personnes en infraction relativement à la législation sur les étrangers. De fait, la circulaire du 21 février 2006 montre que la politique actuelle pousse bien vers un « contrôle généralisé et discrétionnaire », seulement celui-ci, loin de s'appliquer à tout le territoire, s'effectue dans des zones précises, après autorisation du procureur de la République. En ce sens, il n'est pas « discrétionnaire », puisque relevant tout de même d'une autorisation préalable. Pourtant, au sein même des zones visées, les agents opèrent nécessairement une discrimination, au sens de distinction, des individus qu'ils contrôlent. Subordonnées au respect formel des règles de droit, les mesures de police s'orientent ainsi vers des zones « connues » pour abriter des populations étrangères, puis visent certains individus plutôt que d'autres. L'effectivité de la règle de droit conduit ainsi à l'orientation de la mesure de police en premier lieu vers des espaces: plutôt que d'opérer une double détermination entre étranger et national, puis entre étranger en situation irrégulière et étranger doté d'un titre de séjour, double détermination qui se heurte à l'aporie produite par la tension entre l'identité civile et juridique, matérialisée par un document écrit, et l'identité physique, re-connue à l'oeil, l'action policière opère, sous le contrôle a posteriori des juges, une double détermination entre zones « connues » pour leur forte présence d'étrangers, puis entre les étrangers en situation régulière et les autres. Comment s'insère alors l'identification biométrique dans ce contexte mêlant identification administrative et reconnaissance visuelle? L'essor des différents fichiers biométriques permet non seulement de vérifier de façon certaine l'identité de l'individu appréhendé lors d'une interpellation, mais permet aussi d'augmenter le champ des contrôles réguliers: l'administration disposant de photographies d'identité de tout un chacun, il lui suffit de joindre celles-

889 L'identification par le négatif, telle que décrite par V. Denis, consiste à attribuer des papiers à l'ensemble d'une population (par ex. des soldats) afin d'identifier les éléments, au sein de cette population, qui sont en infraction (par ex. les déserteurs).

ci à un ordre de recherche ou à un arrêté de reconduite à la frontière pour que la personne puisse être « identifiée » par les forces de l'ordre, qui peuvent ainsi cibler de façon légale leur contrôle sans devoir justifier d'un « signe extérieur d'extranéité ». La photographie demeure donc un ressort important de l'action policière, en dépit de l'intervention des nouvelles technologies, de même que le fait d'être « connu des services de police » permet aussi d'orienter les contrôles de façon justifiée. Ainsi, les registres anciens d'identification conservent toute leur force, les nouveaux dispositifs, notamment d'empreintes digitales, intervenant lors de la phase de vérification d'identité. Toutefois, même l'usage de la photographie a évolué, non seulement sous l'effet de la numérisation et de l'usage conjoint de l'informatique et de la télématique, mais aussi par la multiplication des fichiers ou des « systèmes d'information » utilisant celle-ci. Le temps où la CNIL s'alarmait que l'Etat puisse recourir au « stockage de la photographie des Français »89O est bien révolu. En analysant maintenant les conséquences de l'arrêt S. et Marper contre Royaume-Uni de décembre 2008, nous allons voir dans quelle mesure le stockage des données biométriques peut être considéré comme légitime par la Cour européenne des droits de l'homme.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 316

890 Délib. n°8o-19 du 3 juin 198o précité (cf. chap. IV, section A)

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 317

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote