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Ecriture et politique dans "en attendant le vote des bêtes sauvages " d'Ahmadou Kourouma

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par Kossi Wonouvo GNAGNON
Université de Lomé Togo - Maà®trise en lettres 2009
  

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CHAPITRE II

LES CARACTERISTIQUES DE L'ECRITURE POSTCOLONIALE DANS EN
ATTENDANT LE VOTE DES BETES SAUVAGES

Durant la période coloniale, Camara Laye, Oyono, Mongo Béti et bien d'autres avaient fait du roman une oeuvre de combat contre le colonialisme puis un instrument de réhabilitation de la personnalité africaine. Cette première étape était nécessaire et il est évident qu'à cette époque le fond primait la forme. C'est parce que l'important était alors de témoigner. Cette attitude littéraire donnait de facto un destin politique à l'écriture. Après les indépendances, de nouveaux thèmes vont s'imposer à l'écrivain négro-africain l'amenant à rompre avec l'écriture française et briser les fortifications grammaticales de la langue métropolitaine. Qu'est-ce qui caractérise l'écriture dans le roman africain postcolonial et particulièrement l'écriture de Kourouma ? En quoi cette écriture nouvelle est-elle principalement idéologique et politique

Les spécificités principales de l'écriture dans l'oeuvre

L'écriture dans En attendant le vote des bêtes sauvages possède des caractéristiques de fond et de formes interdépendantes au point qu'elle donne aisément le reflet des thèmes traités. Analyser l'écriture de Kourouma est une chose très complexe d'autant plus qu'il s'agit de l'invention d'une structure textuelle brisant les traditions littéraires. Désormais, l'écrivain ivoirien s'engage dans l'aventure de nouvelles écritures caractérisées par le brouillage énonciatif, la rupture du style balzacien, l'écriture de l'obscène, la violence scripturaire, le mélange des genres, l'espace incertain, un titre énigmatique et surtout la caricature des figures du pouvoir...etc. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, les marques de la littérature postcoloniale sont manifestes. Que ce soit au niveau de l'énonciation,

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de la diégèse, de la narration, du code, du narrataire, du personnage, de l'espace physique, du temps du récit, des jeux du langage, de la thématique ou de la figure de l'altérité, l'oeuvre de Kourouma se situe sans conteste dans la littérature postcoloniale.

1. La problématique énonciatoire ou le brouillage de la source énonciative

L'un des premiers traits distinctifs de l'écriture dans En attendant le vote des bêtes sauvages est le brouillage de la source énonciative. En effet, à la lecture de ce roman, le lecteur peut facilement se laisser déconcerter par la multitude d'instances énonciatives constituant une sorte de brouillage.

A la question `'qui parle dans cette oeuvre ?», tout lecteur de En attendant le vote des bêtes sauvages s'embrouille au premier abord. En effet, l'histoire unifiée de l'oeuvre est le produit de plusieurs narrateurs, de plusieurs voix. On note donc polyphonie discursive, dialogisme et un `'Je» au sens pluriel. Ainsi s'établit-il dans le roman de Kourouma une pluralité des voix narratives, différents narrateurs, qui font rarement un discours unifié.

1.1. Les types de narrateurs et les niveaux narratifs

L'histoire dans En attendant le vote des bêtes sauvages est racontée par plusieurs narrateurs. Aussi pouvons-nous distinguer différents types de narrateurs et différents niveaux narratifs.

L'auteur peut faire raconter l'histoire par l'un des personnages. C'est le cas de Bingo, le Sora. Il peut aussi le faire raconter par un narrateur étranger à cette histoire : ce sera le récit dit à la troisième personne. Le premier type est appelé homodiégétique et le second, hétérodiégétique40. En d'autres termes, un récit à narrateur absent de l'histoire qu'il raconte

40 Gérard GENETTE, Figures III, Paris, Seuil, 1972, P. 252.

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est hétérodiégétique tandis que lorsque le narrateur est présent dans l'histoire qu'il raconte s'appelle homodiégétique. En outre, si le narrateur homodiégétique agit comme le héros de l'histoire, il sera appelé autodiégétique.

Nous distinguons une première voix ou un premier narrateur qui est absent de l'oeuvre. Derrière ce dernier se dissimule subtilement Ahmadou Kourouma lui-même. Il s'agit là, selon Gérard Genette, d'un narrateur hétérodiégétique. Effectivement, même si Kourouma n'est dans aucune diégèse, son ombre plane sur l'ensemble de l'histoire qu'il construit avec le concours de ses personnages-narrateurs. Le fait saute aux yeux dès les premières lignes du roman. A la page 10 on reconnaît la voix d'un narrateur absent qui vient décrire les gestes du Sora par une focalisation externe : « Le répondeur joue de la flûte, gigote, danse. Brusquement s'arrête et interpelle le président Koyaga ». Il revient même régulièrement à la fin de chaque chapitre et au début de chaque veillée pour encadrer le récit dans son ensemble. Nous donnons les exemples à la fin des premier et dernier chapitres :

« Il faut, dans tout récit, de temps en temps souffler. Nous allons marquer une pause, énonce le sora. Il interprète une chanson avec la cora, pendant que le répondeur exécute une danse débridée cinq longues minutes, puis il s'interrompt. Il reprend le même air avec la flûte. Le sora lui demande d'arrêter de jouer et énonce quelques proverbes sur la tradition... » (p. 21)

« Le cordoua se déchaîne, danse marche à quatre pattes, tour à tour imite la démarche et les cris de différentes bêtes. Quand le mil est pilé les pileuses posent les pilons et vident les mortiers... » (p. 381).

Dans un second cas, Kourouma prête sa voix à l'un des ses personnages, le très doué griot Bingo, qui semblera raconter toute l'histoire. Le récit hétérodiégétique s'alterne donc avec le récit homodiégétique, ce dernier étant défini par Gérard Genette comme `'un narrateur présent comme personnage dans l'histoire qu'il raconte». Dans ce cas, pour signaler que c'est Bingo qui parle, ce dernier interpelle toujours son cordoua : « Ah ! Tiécoura... ».

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Un dernier type de narrateur est le cas du narrateur agissant comme le héros de l'histoire. Il s'agit bien attendu d'un narrateur autodiégétique. Nous pouvons citer comme exemple le récit de Tchao à la page 20.

En fait, nous pouvons voir trois niveaux narratifs dans le roman. Le premier niveau est lié au récit hétérodiégétique. Ce que nous pouvons désigner par Niveau 1. Le second est lié au récit homodiégétique fait par Bingo et que nous désignons par Niveau 2 et un dernier lié au récit autodiégétique que nous appelons Niveau 3.

Le Niveau 1, la narration du récit premier sera appelée extradiégétique. L'histoire contenue dans ce même récit est au niveau immédiatement inférieur appelé diégétique ou intradiégétique. Par conséquent, l'acte narratif de Kourouma ou du narrateur extérieur qui entreprend de raconter les Veillées se situe à un niveau extradiégétique au donsomana qui racontera au cours de ces Veillées qui sera appelé hypodiégétique41 et non métadiégétique.

Il est possible d'établir un schéma des niveaux narratifs, qui donne la même configuration pour chaque Veillée dans tout le roman.

Niveau 1 Niveau 1 : Narration extradiégétique

Niveau 2 Niveau 2 : Narration intradiégétique

Niveau 3 Niveau 3 : Narration hypodiégétique

Evolution narrative d'une Veillée

Schéma 1 : Les niveaux narratifs dans En attendant le vote des bêtes sauvages

41 Certains narratologues comme Musarra (1981) et Rimmon (1983) parlent de hypodiégétique estimant que le récit second est subordonné, donc sous sa dépendance, tandis que le préfixe méta rappelle fâcheusement la fonction métalinguistique, qui concerne un discours sur un discours

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Par ailleurs, à l'intérieur de chaque Veillée, une structure de la prise de la parole du Sora fait également voir les différents niveaux narratifs par les changements des voix narratives.

Sora

Le Sora par

Voix off la voix off Sora

Ajoute Koyaga
Conclut le répondeur

Proverbes

Ah ! Tiécoura

Ah ! Koyaga

Ah ! Tiécouca

Ah ! Koyaga

Diégèse,
histoire ou récit

Schéma 2 : Structure globale de chaque chapitre montant la prise de la parole du Sora Sur le schéma 2, nous pouvons voir que la voix du Sora, narrateur intradiégétique, s'alterne avec la voix d'un narrateur extradiégétique qui est certainement Kourouma lui-même. En effet, quand Kourouma prend la parole, le Sora a la voix off même si il arrive quelque fois à glisser des proverbes que Kourouma rapporte le souvent dans un discours direct.

Cette circulation de la parole pousse à s'interroger sur la construction du statut de l'énonciateur mais aussi du destinataire.

Pour ce roman, nous dégageons deux types de récepteurs : les destinataires fictifs qui sont l'auditoire des griots à qui s'adresse en général le griot Bingo, et le public réel constitué par les lecteurs du roman à qui s'adresse Kourouma. Koyoga est le destinataire du donsomana

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ainsi que la confrérie des griots. Aussi le ton variable des adresses permet-il de démêler la complexité du statut du narrataire et du pluriel du `'Je» narratif.

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