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Contribution à  l'étude des origines de la poésie mallarméenne

( Télécharger le fichier original )
par Mohamed Dr Sellam
Université de Bordeaux - Doctorat 1981
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE DE BORDEAUX 3

================

Contribution à l'étude

des origines

de la poétique mallarméenne.

Thèse de doctorat de Troisième Cycle

Présentée par

Mohamed Sellam.

En vue de l'obtention du grade

de

Docteur de Troisième Cycle

============

Sous la direction du Professeur Robert Escarpit

===========

Année universitaire.

1980-1981

============

N°41

UNIVERSITE DE BORDEAUX 3

==============

M.MOHAMED SELLAM.

Contribution à l'Etude des Origines

de la poétique mallarméenne

Thèse de Doctorat

de

Troisième cycle

Année Universitaire.

1980-1981

Soutenance prévue

pour la session de Septembre 1981

DEDICACE

au Professeur R.Escarpit.

Vous qui aviez su créer une révolution

dans la pensée littéraire contemporaine!

Vous qui aviez remué à la fois,grâce à une

intelligence profonde et sagace,

le passé,le présent et le futur,

en y explorant tous les mystères.!

Vous qui aviez guidé mes pas dans le monde

du symbolisme et m'aviez insufflé la volonté

de pénétrer avec confiance et amour ce monde complexe.!

Vous qui m'aviez largement prodigué vos vastes lumières

et m'aviez investi d'une prévenance toute particulière,

A vous cher maître,je vous dédie ce modeste travail

que vous aviez toujours soutenu par votre grandeur

d'âme et par vos lumières!

Bordeaux le 20/04/1981

M.MOHAMED SELLAM

UNIVERSITE DE BORDEAUX 3

**********************

Contribution à l'étude

de la

Poétique mallarméenne.

Thèse de Doctorat

de

Troisième cycle.

Année Universitaire.

1980-1981

INTRODUCTION

1

Le Parnasse et le symbolisme ne sont pas du tout deux courants poétiques contradictoires;au contraire,ils sont plutôt deux courants qui se complètent intimement,puisque les deux tendances sont issues à peu près de la même source.

Charles d'Orléans,père spirituel des parnassiens et précurseur potentiel des symbolistes,fut incontetablement l'objet de respect et de vénération de ses contemporains,en particulier les lettrés et les poétes.

Au lendemain de sa délivrance de la longue captivité qu'il avait subie en Angleterre,il publia ses « poésies »:tout un florilège de poémes ingénieux oû il a exploité d'une manière originale la structure de l'allégorie.;

Ainsi,en dépit de ses souffrances morales et même physiques ,conséquences immédiates de sa captivité,Charles d'Orléans,faisant taire ses tourments et ses douleurs,se plaisait à écrire des poémes à traves lesquels il s'adonnait à souligne des faits fictifs et baroques,mais singukièrement suggestifs,sous la forme d'une allégorie subtile et amphibolgique,sans se soucier le moins du monde du sort qu'on résevera à son oeuvre..

De cette hardiesse exceptionnelle et singulière,de cet aventurisme inattendu,naîtra quelques siécles plus tard,la plasticité ou de préférence l'impersonnalité typique qui se fera jour dans la poésie,oû l'expression de l'objet extérieur l'emporte sur l'expression des sentiments,en d'autres termes,l'objectivisme rigoureux triomphe du subjectivisme sentimental:

Or l'usage de l'allégorie dans la poésie de Charles d'Orléans n'est pas un caprice,une lubie de poéte farfelu,peu soucieux de la valeur matérielle de sa poésie,mais plutôt un devoir dicté par les contingences de l'époque..C'est un procédé emprunté à priori du siécle précédent et que Charles d'Orléans trouva justement conforme à sa nature et à son goût de poéte authentique..

Depuis le Roman de la Rose jusqu'à Guillaume de Machaut et Alain Chartier,l'allégorie demeura le seul recours pertinent en usage en poésie.

Ainsi,selon le même procédé et la même stratégie,le symbolisme,trouva son expression dans l'allégorie, et c'est encore de l'allégorie que le Symbolisme puisa sa substance propre,puisque l'allégorie,ayant subi au fil des siécles,de profondes transformations ,s'est expurgée des scories de la mythologie,s'est assouplie,bref s'est notablement spiritualisée ,pour devenir à son terme final,ce symbolisme ,que Mallarmé,grâce à une tactique ingénieuse,a édifié sur les ruines de la pensée romantique..

Pour la première fois,dans la poésie française,depuis des siécles,Charles d'Orléans s'insurgea contres les conventions et les normes liés essentielllement aux codes de la structure poétique et prit le contre-pied -du moins au niveau de la forme- de la tradition et de l'usage courant..

D'ordinaire,la clarté est inhérente à une compostion poétique saine et sokide,particulièrement dans le cadre de la ballade,du rondeau et même de l'élégie,genres très en vogue à l'époque de la Renaissance..Mais Avec Charles d'Orléans,le cadre structuel et sémantique du poéme sera bouleversé et arbitrairement modifié dans le sens de l'énigmatique et du mystérieux,pour lui conférer davantage de rythme,d'élégance et d'hartmonie et par là le soumettre à une prosodie exclusive,nette et adéquate ,conforme à l'esprit français..

Le poéme,de quelque nature qu'il soit,est désormais pour Charles d'Orléans,une vraie source de plaisir à la fois intellectuel et psychique:lire un poéme,ce n'est plus pour recueillir des informations,encore moins pour se laisser bercer par ces vagues émotions sentimentales exprimées par le poéte,c'est au contraire pour égayer la vue et l'oreille,c'est pour prêter notre coeur à l'écoute de cette harmonie divine et suave qui se dégage comme un parfum captieux du poéme.. C'est pour se sentir pris dans ce lacis inextricable de mots qui distillent lentement la joie et le plaisir et non pour exprimer la douleur et la souffrance vécues ou même imaginaires...

Tout poéme doit être né d'une fiction,car la fiction,plus que la réalité,provoque plus de puissance,plus de satisfaction dans le coeur du lecteur..

La création poétique procède de l'Absolu, du désintéressement total et ne doit pas être assujettie à des régles ou des lois arbitraires et ineptes.

Charles d'Orléans,en se révoltant contre la tradition,ne savait pas qu'il trouverait,quelques siécles plus tard,un disciple ardent,un dévôt qui poursuivrait inlassablement l'oeuvre ébauchée et la ferait parvenir au plus haut degré de perfection..

François Villon,en dépit de sa fréquentation quiasi constante de la cour de Blois,demeura rétif et impassible et ne contribua en rien à cette évolution (le mot révolution eût été apparemment trop hyperbolique et même inadéquat dans ce contexte,car les caractéristiques de la nouvelle poésie sont très proches de celles de l'allégorie,bien que cette dernière ait été proprement dominante et n'a rien perdu de sa mainmise sur la poésie de l'époque..

Et ce qui nous semble paradoxal,c'est que plus Charles d'Orléans et ses disciples c'est-à-dire les poétes qui s'inspiraient de sa nouvelle méthode -et ils étaient nombreux à cette époque,dont aucun d'ailleurs ne nous est parvenu-s'écartent délibérément de la voie traditionnelle dans leur inspiration poétique,plus Villon s'y rallie..Car entre Charles d'Orléans,et Villon,il existe pour de bon une différence majeure,c'est que le premier est un dur aristocrate,un grand seigneur féodal,libéré d'une longue détention,reprend de nouveau son rôle influent dans sa petite cour et par là n'a nul besoin de faire étalage de ses ennuis ou de ses tourments ,parce qu'il n 'en a pas eu et qu'il en a été épargné ,même durant son emprisonnement arbitraire..

Alors que Villon,sorti du peuple,ayant traversé des crises et des misères de toutes sortes,accablé d'infortune et de revers cruels,éprouvait au contraire le besoin de s'épancher ,d'exprimer ses douleurs contenues,d'étaler ses sentiments,de crier tout haut qu'il avait vraiment souffert et que les souvenirs de ses souffrances sont encore vivaces..

De Charles d'Orléans est issu le Symbolisme ,mais un symbolisme tout différent de celui qu'il a pratiqué volontairement,un symbolisme qui,dans le tissu des mots,le réseau des expressions symboliques,on devine à fortiori des choses latentes,des choses plus évocatrices et qui nous mettent en contact avec une réalité souvent angoissante alors que de Villon est issu le romantisme ,un romantisme timide,il est vrai,à ses débuts,mais qui,une fois la voie ouverte,s'engagea plus hardiment dans l'expression et l'analyse frénétique de soi,mais auquel,comme par une coïncidence étrange, s'opposeront plus tard les symbolistes et à leur tête Mallarmé.

Dès lors,on peut dire désormais qu'entre Charles d'Orléans et François Villon,avait subsisté effectivement un conflit réel,un conflit de caractère poétique et même dogmatique,et Mallarmé,grâce à son génie trancha de manière énergique ce conflit et opta ,en l'amplifiant démésurément ,le procédé de Charles d'Orléans...

En outre,ce dernier n'était pas seul dans ce dédale qu'il avait créé lui-même ..L'Ecole lyonnaise qui vit le jour,pour être en opposition manifeste à l'état de misère auquel était réduite la poésie et pour ranimer,raviver la poétique d'antan et celle surtout de Clément Marot,tout en y insérant à son insu des modifications bénéfiques,les fondements d'un renouveau poétique dans la lignée de Charles d'Orléans,s'est lancée vigoureusement dans la poursuite de cette entreprise immense.

Maurice Scève et son amie Louise Labé,étaient en effet à la tête de cette oeuvre rénovatrice...Mais pour enrichir la poésie ,pour la revigorer et lui donner un sens vital,lui insuffler une substance différente,mais plus efficace,il fallait,selon Maurice Scève,lui imprimer une nouvelle tournure,un nouvel aspect susceptible d'en transformer le contenu et même la structure..

C'est alors que l'esprit de Chales d'Orléans est passé d'office dans cette Ecole jeune et en particulier Maurice Scève,va plus loin et au lieu de considérer la poésie comme un moyen de culture spirituelle mis à la portée du public,de tout le public sans discrimination,rompt avec cette idée,dépasse ce stade et élève la poésie à un haut degré ,à tel point qu'elle n'est plus accessible que par une élite d'initiés.

Maurice Scève et Charles d'Orléans furent avant tout non pas seulement les précurseurs du symbolisme,mais aussi les véritables pionniers de la poésie du XXe siécle et nul avant eux et après jusqu'à Mallarmé n'a mieux compris les aspects multiples et infiniment complexes que pouvait prendre l'univers poétique...

Ce qui est intéressant,c'est que l'Ecole lyonnaise se trouve à cheval entre Marot et la pléiade..Cete dernière,dans son oeuvre de réforme générale,entendait rénover non seulement dans l'art de la versification,mais aussi et plus encore dans la langue..

Or de considérables apports sont venus dans ce sens contribuer à accroître le vocabulaire et à enrichir la langue d'heureuses trouvailles d'expressions..

Ce n'est pas tout,la Pléiade et à sa tête Ronsard,se place dans la lignée de Charles d'Orléans et de l'Ecole lyonnaise,élévant la notion de poésie à une forme d'art qui doit demeurer loin du vulgaire et inaccessible à lui..

Mais si le style de Charles d'Orléans ainsi que celui de Maurice Scève était un style émaillé seulement par des saillies et des pointes fines et pittoresques,incompréhensibles pour le lecteur normal,le style de Ronsard,hérissé de termes antiques,de néologisme baroque,puisés pour la plupart dans la mythologie gréco-latine,reste cependant hermétique pour celui qui n'a aucune connaissance de l'antiquité;;

C'est à ce niveau que l'on détermine la différence entre la poésie de Charles d'Orléans ou de Maurice Scève et celle de Ronsard qui,lui aussi,pour esquiver le vulgaire,avait délibérément usé d'un langage difficile,afin de conférer à la poésie un halo de mystère et d'inconnu..

Ce qui est encore étrange à plus d'un titre,c'est que Maurice Scève,qui fut un dévôt de Pétrarque,jusqu'à l'idolâtrie,au point d'organiser des rites et des cérémonies paiennes autour du tombeau de la mystérieuse Laure,suivit méthodiquement les pas de Charles d'Orléans et embrassa de bonne foi sa doctrine ,marquant par là un contraste profond entre sa nature humaine et sa création poétique.

Tandis que Ronsard,cultivant la religion de la poésie,voulut l'éléver au rang du sacré,au rang de la pureté la plus absolue,dédaignant par là le public en contribuant davantage à en aliéner la sympathie.

Mallarmé,qui avait lu et relu les poétes de la pléiade ainsi que ceux du XVe siécle,a puisé dans ce riche trésor,tout un ensemble de principes qui lui serviront dans la mise au point de sa nouvelle doctrine, ,enrichie,expurgée et largement amplifiée par une vision universelle.

Ainsi la poésie entre les mains des symbolistes,a quasiment cette finesse,cette spontanéité,qui lui est propre,pour devenir artificielle,lourde,guindée,mais cependant lucide,d'une lucidité clairvoyante et profondément naturelle...

2 .

Peindre non la chose ,

l'effet qu'elle produit.

La poésie symboliste n'était pas l'oeuvre de Mallarmé....Elle était au contraire l'oeuvre d'un grand nombre de poètes contemporains,issus tous de Poe et de Baudelaire...

Mais,Mallarmé,grâce à une vive intelligence,alliée à une intuition quasi extraordinaire,était résolument déterminé à prendre un chemin jamais battu jusqu'alors...et à ses risques et périls,il s'engagea,en solitaire,courageusement,dans la réforme de la poésie.

Ainsi conscient de sa force et de sa puissance à faire sortir la poésie,malgré l'émergence encore timide de quelques nouvelles idées,du marasme intellectuel où elle pataugeait,il se sentit en effet de taille à se lancer dans cette avanture,excitante mais cependant jalonnée d'obstacles infinis.     « Le plus bel effort des humains est de changer leur désordre en ordre et la chance en pouvoir.C'est là la véritable merveille.J'aime que l'on soit dur pour son génie.(Valéry »

le principe de l'art,l'essence de l'art et la puissance divine de l'art..tout cela formait dans l'esprit de Mallarmé,une seule vision,une illumination éblouissante qui l'avait guidé tout au long de son ascension progressive vers la grande découverte.

« Tout ce qui est dans la nature est dans l'art .(V.Hugo). »

Aucun poéte,à l'époque,n'a eu une telle vision,et aucun poéte,excepté évidemment Baudelaire,n'a mieux compris le prestige de l'art autant que Mallarmé...L'art au service d'une idée,d'un schéma d'images à l'état embryonnaire...L'art exalte et ravive la poésie et oriente la pensée vers le sublime et le pathétique,pour infuser à la poésie un pouvoir infaillible .« Une paysanne bien née s'épanouit sans effort à la poésie des psaumes latins,même non chantés,et plus d'un enfant a goûté la première églogue avant de l'avoir compris.(Brémond) »..

Le génie de la poésie,son magnétisme tenace et sa grandeur,ne se conçoivent nullement sans cette force mystérieuse,que le poéte,tel que Mallarmé,sentait naître en lui ; « Soit !J'accepte que des vers merveilleux aient cette absurdité,je défie qu 'elle les prive de leur pouvoir et celui-ci sera d'autant plus grand qu'ils seront chargés de « mystères »

Mallarmé,avec un courage et une hardiesse indomptables,a pu donc réaliser le grand miracle du siécle :créer une poésie difficile et abscons certes,mais une poésie qui,loin de s'engager dans la routine et le banal,fût capable d'affronter l'inconnu et l'impénétrable, si bien que,sans risque de se tromper,l'on pourrait justement appliquer à Mallarmé,les mots si élogieux que Baudelaire avait adressés dévotement à son incomparable précurseur Edgar Poe « Il ne doit se glisser un seul mot qui ne soit une intention ,qui ne tente à parfaire le dessein prémédité. »

Mallarmé n'était pas seulement original dans sa conception de la nouvelle poésie,mais il est encore inimitable,car il a su avec un don exceptionnel rendre au mot son énergie et sa vitalité :« Aussi longtemps qu'ils (les mots)se trouvent à exprimer ou à suggérer,la main qui les choisit et qui les ordonne ,n'est pas la main d'un poéte »

Le germe des images poétiques,comme l'illustration des concepts ou visions issus en quelque sorte du subconscient,se réalisent chez Mallarmé,à la suite d'une impulsion salutaire,tel un flux électrique,parcourant fiévreusement tous les replis obscurs de son être..chose que l'on n'a jamais vu chez aucun poéte moderne,quel qu'en soit le pays oû il est né,exception faite bien entendu pour les mages ou visionnaires des époques médiévales. Il est vrai que l'expérience poétique elle-même se passe dans cette joie de l'âme,oû ne sont produits ni les idées,ni les sentiments,ni les images,mais dés qu'il s'agit de traduire ,de communiquer cette expérience,en d'autres termes,dés qu'il s'agit de réaliser ,d'écrire un poéme,force est bien de recourir à ces divers éléments . 

L'expansion de l'image,son étendue et sa dimension,la vision expressive des choses,la réalisation d'un univers de mystères et de rêves , l'extériorisation des sentiments étranges et surnaturels,tout cela en vérité s'achève sous la poussée extraordinaire des phénomènes exogènes à la nature du poéte...Certes il n'est pas question du tout d'inspiration,car Mallarmé désavoue carrément avoir été « saisi » par cette « force » inconnue,mais qu'il recourait au contraire ,comme on s'en apercevra judicieusement tout au long de la présente thèse,à la création consciente,sans médium et sans miracle et c'est justement là,la vraie,l'authentique réalisation des choses de l'esprit,sans ambages ni grandiloquence,..Avec la simplicité et l'assurance d'un génie profondément réaliste..

D'ailleurs créer le pathétique,se baigner dans la nature émouvante de l'esprit,s'acharner à la recherche d'un idéal parfait pur et mystérieux,autant d'aventures dont Mallarmé avait connu l'expérience

une expérience réussie,dont on apprécie aujourd'hui l'effet surnaturel et le caractère génial..« Le sublime lasse,le beau trompe,le pathétique seul est infaillible dans l'art. »

Plus ardent que Baudelaire,le Maître qu'il vénérait jusqu'à l'idolâtrie,plus enthousiaste que Poe,dont le caractère si sombre avait provoqué en lui autant d'admiration que d'embarras,Mallarmé s'est attaché en toute exclusivité à devenir,au prix de durs sacrifices et de grands efforts,l'égal de ses prédecesseurs inoubliables..

Il conçoit que le poème ,non seulement doit être empreint de musique et de beauté,mais aussi le reflet d'idées et de sentiments,s'opposant manifestement à ce qu'on affirmait à l'époque que le poéme,en tant que produit esthétique,ne devait pas nécessairement ëtre l'expression de sentiments ou véhiculaire d'idées..Au contraire le poème pour Mallarmé,transfigure la réalité et c'est là sa fonction principale ; ;il s'extirpe de l'inconnu obscur pour s'exhiber dans sa nudité mystérieuse aux yeux du lecteur la formule de Valéry « une préparation de poésie à l'état pur »peut avoir un sens.IL peut s'agir d'une préparation chimique dont le résultat serait un poème ou tout simplement d'une préparation métaphysique ,c'est-à-dire abstraite,.La première serait l'oeuvre d'un poéte,la seconde d'un philosophe.Quelle que soit la pensée de Valéry,je ne crois pas pour ma part,à la possibilité d'un poéme d'oû serait exclue toute espèce d'idées,de sentiments ou d'images.

Le contenu de la poésie mallarméenne n'est pas le produit d'une influence,encore moins un ramassis touffu de réminiscences ou de vagues intuitions,recueillis en vrac dans de lointains souvenirs,mais c'est plutôt le résultat d'un effort,d'un travail acharné,des tentatives à la fois inépuisables et infiniment innombrables,accomplis par un homme qui se prenait cependant pour un dilettante en poésie et non un poéte de carrière..

La situation de la poésie vers la fin du XIXe siécle,une situation très proche en vérité de l'anarchisme intellectuel,oû chaque poéte,pataugeant dans la routine,les clichés et la réitération perpétuelle des thèmes romantiques,ne pensait avant tout qu'à reconquérir un public de lecteurs plus large,sans jamais se préoccuper du sort que l'avenir réservera à son oeuvre...

Mallarmé,ayant en horreur cette catégorie de poétes,qu'il avait déjà pris en grippe ,depuis même sa tendre enfance,s'engagea dans la voie tracée par son Maître Baudelaire,tout en s'aventurant dans un univers encore intact,vierge et insoupçonné,sans se soucier le moins du monde de la réaction hostile de ses contemporains..

Ce genre de poésie qu'il avait relevé par son génie,était en effet la vraie poésie,purifiée des stéréoypes et des images monotones et insigtnifiantes,pour lui conférer un pouvoir profond et inaccessible .« Aujourd'hui nous ne disons plus : dans un poéme ,il y a de vives peintures,des pensées ou des sentiments sublimes,il y a ceci et il y a cela,puis de l'ineffable !Nous disons :il y a d'abord et surtout de l'ineffable étroitement uni ,d'ailleurs,à ceci et à cela.Tout poéme doit son caractère proprement poétique à la présence du rayonnement,à l'action transformante et unifiante d'une réalité mystérieuse que nous appelons poésie pure.(Brémond) »

C'est évidemment la poésie mallarméenne et nulle autre poésie,qui avait inspiré à Brémond cette fameuse affirmation.La poésie mallarméenne,sortie du néant pour exprimer un fait profondément ancré dans l'être,s'élève au-dessus de toute poésie,d'abord par son originalité incontestable,ensuite par l'impact profond qu'elle a exercé et qu'elle exerce encore sur toutes les générations de poétes et de simples lecteurs.

La postérité,qui raffole d'ordinaire d'une poésie originale,portant le sceau non pas de la clarté ou de l'intelligibilité,mais le sceau du mystère et du fantastique,s'attache ingénieusement à instaurer la tradition de la poésie symboliste dans un cadre plus vaste et plus rayonnant..

La poésie mallarméenne ne déconcerte nullement par son caractère obscur et ténébreux,mais au contraire éveille des sentiments de quiétude ,de douceur et de langueur extatique,rien que par la musique onctueuse et divine,et par le rythme agréable de chaque vers...

« L'émotion que vous cause la méditation de la mort..le vent qui gémit à travers les ruines ou sur les tombeaux,l'harmonie des sons...la rêverie,le frémissement intérieur de l'âme , oû viennent se rassembler et comme se perdre,dans une confusion mystérieuse,toutes les puissances des sens et de la pensée »C'est là en effet la vraie fonction de la poésie mallarméenne,qui,s'élevant vers les espaces célestes ou se repliant sur les coins noirs de l'intérieur de l'âme,enchante et ensorcelle toutes les sensibilités..

Ce cheminement lumineux qu'a pris la pensée de Mallarmé pour déclencher et faire évoluer encore plus intensément la réforme en poésie..ne s'arrête néanmoins pas là,il a dû poursuivre son développement ,pour embrasser l'avenir...

« Mais le terme de poésie pure,la catégorie de poésie pure,offre aussi un antre sens...Je pense à Poe,à Mallarmé et à Valéry,...à l'idée d'inspiration s'oppose celle de fabrication,à l'idée du génie qui souffle du dehors,celle du génie qui s'attache à une matière,mais une matière pure,à l'idée de de facilité aérienne,celle d'une difficulté qui s'applique.(A.Thibaudet) »

La poésie de Poe,de Mallarmé ou de Valéry,qui s'allient ;s'unissent et se fondent en une seule poésie ,sans discrimination entre elles...marquée à tout jamais par le cachet indélébile de l'omnipence intellectuelle et visionnaire,son faites pour voguer indéfinément à travers le temps,pour échouer sur les rives du havre de l'intelligence et des lumières infinies ;

« O Pan !Fais de ma voix la trompette fidèles

qui jette à l'univers au milieu des éclaires

U n éclat de ta voix ,un peu de lumière.(Mallarmé ) ? »
CHAPITRE PREMIER

Mallarmé,un vrai parnassien.

I

De la pension d'Auteuil au lycée de Sens.

Ce qu'il nous faut,à nous ,c'est l'étude sans trêve,

c'est l'effort inoui,le combat non pareil

c'est la nuit,l'âpre nuit de travail, d'oû se lève,

lentement,lentement,l'oeuvre ainsi qu'un soleil !

Verlaine.

Stéphane,le jeune enfant aux yeux brillant d'intelligence et de candeur,s'orienta,un de de ces jours splendides d'octobre,vers un pensionnat situé à Auteuil ,aux environs de la ville de Paris..

Le père du petit Stéphane,soucieux de l'éducation de son enfant,s'entêta,en dépit de l'opposition farouche de la mère1,à le faire inscrire dans ce pensionnat,et c'était lui qui,conscient de la haute mission qu'il devait accomplir,emmena et remit le jeune élève à la direction du pensionnat,après avoir bien entendu pris soin de prodiguer ses conseils judicieux à sa progéniture...

Ainsi l'enfant,peu habitué à vivre dans un milieu agité,se trouva soudain propulsé dans un monde d'enfants turbulents et espiégles,spectacle effarant dont il revivra plus tard,une fois devenu à son tour éducateur des jeunes âmes,les tristes souvenirs ,et c'est ainsi que,pour lui,se succèdent les générations,et avec elles,leurs vices,leurs habitudes et leurs turpitudes invétérées...sans le moindre changement positif..

Cependant,malgré son manque de disposition à s'adapter à un tel milieu2,non seulement hermétique,mais encore rendu incommode par une discipline intransigeante,le petit élève se rappela les conseils paternels et se laissa,après quelques réticences,entrainer par le courant auquel d'ailleurs il ne pouvait plus résister...

Peu à peu,il finit par s'accoutumer à ce gâchis,à ce désordre et à cette incohérences,hérissée de contradictions multiples,dont il éprouvait un grand malaise,mêlé de résignation..

Ce monde de désordre incongru et hétéroclite,lui communique à son insu l'image obsédante du phénomène métaphysique..,c'était une mosaïque d'etres impossibles à saisir,de lutins ou de sylphides ou de faunes fugitifs3...L'enfant à l'esprit lucide et clairvoyant croyait un instant qu'il descendait dans un univers fantasmagorique 1(*)s'acheminant,emporté irrésistiblement sur des nuages opaques,vers un abîme d'ombres et de fantômes...Et brusquement,comme s'il était mordu par une bête infâme,s'arracha à ces rêves nébuleux pour se sentir soulagé ,tel un voyageur qui atteint sa destination après un pénible périple ..

le maître du pensionnat,un homme borné et conservateur des traditions vétustes,ne 3(*)connaissant de son métier que les méthodes disciplinaires,des méthodes strictes et rigides,ne semblait en aucune manière deviner ou percevoir ce qui se passait dans la tête de cet enfant.....

Au contraire,il le relégua au fin fond du local,le laissant parfois seul ,en lutte avec des êtres mystérieux,avec lesquels il semblait en communion perpétuelle et qu'il tentait d'amadouer avec son génie d'enfant au comportement bizarre...

Alors rien,chez cet enfant fourvoyé dans ce pensionnat,ne semblait réveiller la curiosité du maître,rien ne semblait l'exciter à se rapprocher de l'enfant et de comprendre ses penchants et ses goûts étranges pour des choses imaginaires..

L'enfant,tout au long de son séjour dans ce triste pensionnat,demeura méconnu,inconnu,perdu dans des pensées vaporeuses et éphemères,qui n'avaient de consistance que dans sa petite cervelle de gosse à la recherche de l'impossible...et c'est justement avec lui-même qu'il paraissait alors plus à l'aise,surtout lorsqu'il s'adonnait à l'envi à évoquer ses rêves enfantins et à explorer au moyen de son imagination anodine,des ombres volatiles qui dansaient la sarabande sous ses yeux extasiés..

Ainsi au pensionnat,l'enfant hérita le goût amer de la vanité de ce monde..la fin inéluctable de rêve de la vie et le morose déchirement du destin..

Dès que le père remarqua que le pensionnat n'est plus désormais indispensable pour le jeune enfant et que,suivant la tradition de l'époque,il lui fallait aller plus loin dans son apprentissage pour la vie,il le plaça dans un lycée,le lycée de Sens,selon son appellation commune..

C'est ainsi que l'enfant,après son expérience du pensionnat,se trouva tout à coup mêlé à une nouvelle foule d'élèves,un nouvel univers dont il ignorait tout,mais dont il commençait cependant à assimiler les lois et la discipline,plus souple et beaucoup moins draconienne que celle du pensionnat..

Son adaptation fut aisée et il ne rencontra pas de difficultés pour se faire aimer et comprendre par ses condisciples.Sa raison d'être,c'est dêtre à la hauteur de la confiance du père et d'être obéissant et docile avec tout le monde..

Cependant il se rendait compte ,de temps en temps,qu'il n'est pas fait pour obéir à des régles,et des coutumes4...Il éprouvait le besoin,un besoin tenace ,de dire à tout le monde que tout ce qu'il voyait le révoltait et provoquait en lui indignation et malaise..Mais le jeune garçon,qui n'avait pas encore atteint quinze ans,se refugiait dans le silence,un silence impénètrable,en cachant dans le fond de son coeur tous les maux qu'il en ressentait..

Alors il préféra ne rien dévoiler de ce qu'il souffrait intérieurement .La discipline,bien qu'elle fût moins austère qu'elle ne l'était au pensionnat,le scandalisait et s'y plier,c'eût été pour lui un vrai supplice :par là tout son souci était de l'esquiver par quelque moyen que ce fût...

Pour lui la liberté en tout est la première condition de l'existence,la liberté de choisir comme la liberté de penser est la preuve éclatante d'une maturité et d'un civisme ,d'un savoir-vivre authentique...

Choisir ses auteurs,s'absorber librement dans leur lecture,sans être gêné par d'importuns conseillers qui chercheraient à vous imposer des contraintes ;écrire ce qui se passait par la tête sans s'astreindre à des régles qui entraveraient la liberté de cré ation:voilà pour lui le principe idéal de tout progrès humain5...

Un jour,aux environs de midi,et pendant que le jeune Stéphane était en classe avec ses camarades,le proviseur fit son entrée ;tous les garçons se turent et un silence effrayant,terrible s'installa au sein de la salle..

Le proviseur,homme dégingandé,pataud et à l'air sévère,après avoir promené ses regards sur les visages des garçons,s'arrêta à la hauteur du jeune Stéphane et d'une voix ironique ,laissa tomber..

« ah !oh ! Mallarmé...mais qu'est-ce que vous lisez là ?...Euh !Je vois bien..c'est de la poésie de Charles d'Orléans...c'est un auteur qui se caractérise par la complication du style et le culte du mystère..Es-tu en mesure de comprendre cela ? S'insurgea le proviseur,sous l'hilarité étouffée des jeunes potaches que la scène parut avoir émoustillés jovialement...Cependant le jeune garçon ,mis dans l'embarras par une telle question,baissa les yeux et les mains frémissantes,à peine étalées sur les pages du livre ,prononça avec une extrême obséquiosité .. « -Oui,Monsieur,certainement ..je crois que j'ai tout saisi ,malgré l'orthographe ancienne ...d'autant plus que j'ai eu l'occasion de le lire en compagnie de mon père,qui s'était donné beaucoup de peine pour m'eclaircir quelques détails sur la vie de cet auteur génial...d'un autre côté,un auteur authentique n'aspire jamais à dévoiler ses idées..il doit s'attacher à cultiver le mystère et..

« Assez.. ! assez.. !J'entends mon petit...interrompit ironiquement le proviseur,l'air incrédule,..mais c'est un auteur qui n'est pas dans le programme...D'ailleurs il parait qu'il est inaccessible pour un enfant de ton âge.. ----Oui,monsieur,vous avez mille fois raison,mais je vous l'ai déjà dit..j'adore ce qui est difficile et le sommet le plus rude me parait le plus facile à atteindre..

« --Assez de niaiseries !proféra le proviseur calmement,qui connaissant par ailleurs l'esprit étrange et abscons de cet enfant précoce,ne put s'empêcher un instant de méditer ces mots dits d'une manière spontanée et avec un sérieux sans faille..

Et sous le murmure étouffé des enfants,il se dirigea hâtivement vers la sortie,pour disparaître en un tournemain dans les longs couloirs du bâtiment..

Stéphane,après être calmé de cette commotion inattendue,se résigna et poursuivit sa lecture avec plus d'acharnement..

Au bout de quelques moments,il leva les yeux et s'aperçut à son grand étonnement que les yeux de ses camarades étaient braqués sur lui,en silence,l'air narquois..

Ebauchant un sourire forcé,il baissa de nouveau les yeux et poursuivit sa tâche non sans grommeler quelques mots inaudibles..

La vie au lycée,avec ses tracas et ses tapages infinis,ses contraintes et ses obligations impératives,lui avait inculqué le goût de la patience et de la persévérance dans tout ce qu'il entreprenait..Le lycée de Sens,pour Mallarmé,est un univers dont il a mesuré les limites et dont il a sondé les carences au même titre que les avantages,qui ont totalement transformé sa vision du monde et de l'existence et contribué à lui ouvrir le chemin vers la gloire et la liberté.. ;

II

Séjour en Angleterre.

.Après son long séjour au lycée,au cours duquel il a appris beaucoup de choses sur la vie aussi bien que sur le savoir intellectuel,le jeune Stéphane entra de plain-pied dans le monde,ce monde mouvementé oû l'esprit matérialiste s'étant développé intensément sous le second Empire,continuait cependant son régne en dominateur implacable,infestant presque tous les domaines,même celui de la conscience.

Ainsi ayant atteint à la fois sa majorité et la maturité nécessaire pour affronter la vie,le jeune homme,pris soudain d'une ambition sans bornes,se décida de faire son chemin dans l'enseignement6..

Après avoir exploré et examiné munitieusement tous les faits et les données qui s'étaient présentés à son esprit,il prit finalement le parti de poursuivre son apprentissage dans la langue de Milton,langue à laquelle il s'était par ailleurs suffisamment initié et dont il s'était par la suite engoué de façon toute particulière,au point qu'il commença dès lors à considérer comme la seule arme qui pût lui permettre de faire face en toute sécurité aux problèmes de la vie

Ainsi,on rema rque justement que la décision prise à ce sujet,non pas pour satisfaire un caprice ou une fantaisie,mais pour s'assurer à lui-même un gagne-pain honnête et digne..

On croyait probablement que ce goût pour la langue anglaise est né en lui,à la suite de la lecture de quelques poémes de Byron,pour lequel d'ailleurs il avait une grande admiration..

En réalité,ce n'était ni Byron ni Shakespeare non plus qui avaient forgé le goût de Mallarmé pour l'anglais ;mais il s'agissait de tout autre poéte,américain cette fois et non pas anglais,qui avait exercé pour de bon une forte influence sur l'esprit du jeune adolescent alors qu'il était encore au lycée :c'était en effet Allan Edgar Poe,poéte macabre et émouvant,que le monde littéraire n'avait pas encore découvert à l'époque oû Mallarmé,à la suite de Baudelaire,s'acharnait à en approfondir le génie par de nombreuses lectures et traductions,et c'était justement pour continuer à déceler les mécanismes mystérieux de l'oeuvre de Poe,qu'il avait entreprise de connaître à fond la langue anglaise..

La lecture de Poe,jointe à celle de Baudelaire,était sa principale préoccupation durant son séjour au lycée qui devait avoir quitté vers 1857,alors âgé de 15 ans à peine ,pour se lancer dans les méandres de la vie,d'une vie laborieuse et intense.

Et pour être en mesure de répondre parfaitement à cette inclination juvénile,le futur poéte des « fenêtres7 » s'embarqua pour le pays de l'immortel Shakespeare,pays dont il n'avait pas cessé de rêver,savourant d'avance le plaisir de contempler les splendides monuments,legs d'une longue histoire jalonnée de troubles ,de vicissitudes et de révolutions..

Dès son installation dans un quartier de Londres,sur la partie gauche de la Tamise,il s'aperçut que quelque chose d'obscur se mouvait en lui,qu'un tourbillon de sentiments inexprimables se déclenchait dans tout son être...

nous sommes en 1862,Stéphane venait d'avoir vingt printemps,couronné d'un beau mariage,un mariage de raison,oû toute forme d'extravagance était exclue :il avait pris pour épouse,une femme douce,affable,prête à tout sacrifier pour lui assurer le calme et la quiétude indispensables...

Dans son modeste studio,situé au coeur de Londres,il songea,au milieu de ce tohu-bohu qui montait jusqu'à lui..

Paris est trop loin d'ici...Paris s'estompe dans les horizons de son imagination ardente..Paris avec son beau monde,ses extravagances,ses colifichets ineptes,ses grandioses paysages et son vaste ciel...Paris n'est plus qu'une image terne,opaque,releguée au coin de son inconscient pour être substituée à ce vaste univers londonien oû il se trouvait tout d'un coup plongé et dont les vibrations musicales,telle une cascade se déferlant sur un roc solitaire,submergent et pénètrent tout son être....

Pour lui,rien en apparence n'avait prévu cette grave métamorphose qui s'est opérée en lui en si peu de temps..Il se sentait comme sous l'emprise d'un acte de sorcellerie,de magie incompréhensible,tellement il était comme secoué par la beauté,le chrame de cette ville dont il garda plus tard des souvenirs émouvants..

Grâce à la souplesse de son intelligence et à la capacité d'assimilation dont il est doué,il parvint,au bout d'un temps record,à appréhender les secrets de la langue anglaise et à en maitriser à peu près parfaitement les mécanismes complexes ; ;

Rien ne pouvait être difficile pour ce jeune garçon si bien doué,au point que,stimulé par un désir ardent de faire à tout prix d'énormes progrés,il avait déjà commencé à s'exprimer impeccablement dans cette langue étrangère-si souvent inaccesible pour la plupart de ses concitoyens-avec un accent aisé et sans la moindre complication..

De temps en temps,il se baladait dans les rues,histoire de contempler les gens affairés et de jeter,par curiosité ,des regards furtifs dans les vitrines des magasins des bouquinistes dont Londres regorgeait à l'époque..

Un jour il tomba par hasard sur une édition complète d'Edgar Poe et se rappela aussitôt avec ferveur les nuits qu'il avait passées à lire ce poéte américain dans une traduction de Baudelaire...et sans hésiter,en dépit de ses ressources assez limitées,il décida d'acquérir cette édition qu'il emporta avec lui à son retour en France..

Au bout de quelque temps,à l'issue de ce stage pratique,le jeune Mallarmé,s'accoutuma à la langue anglaise comme à sa langue maternelle et ce qui est étonnant,il est devenu aussi habile dans l'une comme dans l'autre..Las enfin de vivre loin de sa patrie,pour laquelle il a commencé déjà à éprouver de la nostalgie,une nostagie irrésistible,il prit le chemin du retour,heureux de revoir ses coins familiers et de revivre dans

l'atmosphère oû s'était douillettement baignée sa tendre enfance...

III

Retour en France et accession au professorat.

De son court séjour en Angleterre,le jeune Mallarmé a appris à faire prévaloir ses idées avec tact et sérénité...Il a appris encore à être plutôt visionnaire,un visionnaire qui explore non pas le passé ou le futur,mais qui regarde en lui-même,dans son intérieur le plus intime3(*)..Il s'est habitué à descendre dans les abîmes profonds de son être pour y sonder ce qui se passe ,comme le naturaliste qui cherche avec acharnement à comprendre l'origine d'un typhon ,et pour ce faire,il s'aventure,au risque de se faire taxer de fou,en quête du « centre » oû évolue ce phénomène étrange...

Il en est de même pour Mallarmé,qui a déjà pris l'habitude d'être en communion avec les profondeurs de son être intime..Lui-même,sans qu'il en sache pourquoi,s'étonne du pouvoir tenace de cette manie absurde,dont il éprouve le besoin,un besoin impérieux,de se défaire totalement,mais en vain  :la descente par la pensée dans les méandres de son inconscient est devenu comme un devoir ,une obligation et une nécessité dont il est impossible désormais de se débarrasser....

L'exploration du moi latent,du moi inconnu et mystérieux se fait chez Mallarmé un peu par étapes  :il descend les étages multiples de son être pour arriver enfin,comme pour s'amuser,dans le gouffre noir oû gît l'origine de la vérité,de la vie de toute pensée et de l'espoir de toute création divine ;Poe,dans ses moments les plus cruciaux,en faisait de même,lui qui,sans partis pris,se laissait volontairement émouvoir par sa propre imagination jusqu'à l'extase..

Mais,cependant,le seul moyen pour éviter de sombrer tout à fait dans ce tourbillon bizarre et pour se délivrer de cette hantise mortelle,c'est de s'occuper d'autre chose,d'entrer dans la société et de travailler,chose dont il a un grand besoin pour pouvoir gagner de quoi vivre,lui et sa petite famille...

D'ailleurs,depuis son retour d'Angleterre,il attendait d'être nommé quelque part dans une des villes de France...A cette idée,l'idée de pouvoir enfin être nommé en qualité de professeur,il vibre d'enthousiasme et de soulagement,qu'il essaie cependant de camoufler sous l'apparence d'un sourire empreint de pessimisme et de doute....

Finalement,son attente n'a pas trop duré et la nouvelle de sa première nomination à Tournon en Provence,le décontenance quelque peu,car il aurait aimé être nommé à Paris,ville à laquelle il sembla être attaché par des liens intimes,par des souvenirs ionoubliables et communs et même par une affinité intellectuelle,très chère à son coeur...

Ainsi,après être installé à tournon,son inquiétude d'être séparé de son milieu familier s'accrut mais qui finit,quelques mois plus tard,par s'évanouir lorsque le futur poéte d' « Apparition » rencontra non sans émotion,deux jeunes poétes régionalistes,Aubanel et Mistral,pour lesquels il n'a pas manqué d'éprouver beaucoup d'attachement et de sympathie.

Grâce à ces deux poétes familiers,qui deviendront plus tard les pionniers intellectuels de la Provence,Mallarmé s'accoutuma à son nouveau milieu sans plus se réchigner ,car pour lui,comme pour ses nouveaux amis,la vie en Provence est plus poétique que celle de Paris oû il y a trop de tracas et de tapage difficiles à supporter....

dans la petite ville de Tournon,le jeune poéte paraissait désormais plus à l'aise et,son chagrin s'étant volatilisé,grâce à la présence quasi permanente de ces deux héritiers illustres des bardes et des troubadours,il se plaisait et se résignait volontairement à ses médiocres conditions de professeur dont les appointements dérisoires n'étaient pas compatibles avec la corvée dont il se sentait écrasé....

Trois ans dans cette ville,oû il a connu à la fois la détresse et quelques moments de joie et de satisfaction intellectuelle ....trois ans au cours desquels il n'a écrit que très peu,tellement il était complétement absorbé par son accablante besogne au lycée et les tracasseries des cancres qui ne manifestaient aucun respect ni pour son intelligence ni pour sa position en tant qu'éducateur..Cette foule de garnements irrévérencieux,de trouble-fête malveillants suscitaient en lui le dégoût et une envie terrible de fuir ailleurs de s'évader et de quitter ces lieux insupportables..mais,se repliant sur lui-même,il concevait que tout cela est un mal nécessaire..et que nul métier au monde n'est dépourvu de ce mal,intrinsèquement inhérent à la tâche que nous sommes condamnés à accomplir...car c'est là la destinée humaine..soudain une vague de paix mêlée à un effluve tonifiant traversa son cerveau en fiévre...

Et le cycle des mutations commence pour le jeune professeur....Il passa un an à Besançon,un an d'ennui et de désarroi,dont il a failli mourir ;puis l'année suivante,il était muté à Avignon,ville dans la ville il se sentit plus à l'aise,en présence de ses deux amis félibres,qu'il avait retrouvés après une longue séparation..

Avignon,la ville historique,la ville si pleine de gaieté et de sourire l'a accueilli pendant sept ans sans interruption..Mais ce long séjour,au lieu d'être démoralisant,avait,au contraire,renforcé en lui l'idée de la liberté et l'amour de la poésie :il n'a jamais senti qu'il était dépaysé  ;au contraire,il a cru un instant qu'il pouvait y vivre toute sa vie sans le moindre regret..

Être professeur d'anglais à Avignon,cela n'a pourtant pas été facile  :Les cancres son toujours là,à l'affût,prêts à tuer en vous toute volonté,inlassablement gênants,tapageurs et volontairement agressifs.Alors Ecrire,ce n'était pas non plus une affaire aisée:écrire et se perdre corps et âme dans l'écriture,cela relève encore de l'impossible...Le jeune professeur est trop obsédé par ce tumulte,par ces souris voraces,ces vermines qui rongeaient et usaient toute vigueur et énergie...

Il sentait que sa veine poétique tarissait ,s'épuisait dans le désordre de la vie scolaire..

Il éprouvait dés lors des moments d'abattement et de désespoir,tellement la vie au milieu de ce monde insouciant,frénétique et inepte,cruel et espiégle,le mettait dans un état de désolation inconcevable..

Et pour se remettre de cette situation d'agitation et de désarroi,il se rappelait souvent son enthousiasme d'antan lorsqu'il était au lycée de Sens surtout le défi qu'il s'était lancé à lui-même dans un moment d'euphorie  :tel un Vivtor Hugo enfant qui,plus d'un demi-siécle plus tôt,ensorcelé par le poéte de René et d'Atal,s'écria,tout en martelant la table à coups de poings « Etre Chateaubriand ou rien »lui ,le petit Mallarmé,à peine alors àgé de treize ans,écrivit d'une main hardie,au lendemain de la mort de Béranger,ce chansonnier qui avait le don magique de séduire les jeunes de son temps »Etre Béranger ou rien »,comme si Béranger,pour le petit Stéphane,avait déjà atteint l'apogée du prestige et de la grandeur dans l'univers de la poésie..

Mais pour le futur créateur de « Divagations »le chemin à parcourir est fort long,abrupt,rocailleux et presque impraticable..

Ainsi au bout de ces sept ans de stérilité relative et de gêne matérielle,mallarmé fut muté à Paris...

IV

Tentative et essai poétique.

Mallarmé,dans son modeste logis de la rue de Rome,se souvenait avec délices les nuits fécondes oû il écrivait des poémes sur des thèmes pour le moins fantaisistes..Il se rappelait ces circonstances oû il accomplissait gaiement des petits voyages dans son imagination et exprimait les effets de l'amour et de la nature dans des termes pleins de sens et d'ingéniosité..

Il a déjà collaboré au Parnasse Contemporain,mais ses poémes n'avaient fait l'objet d'aucune curiosité,ils étaient plutôt passés inaperçus parmi tout une kyrielle de poémes divers,écrits pourtant avec le même ton et le même esprit,comme s'ils étaient conçus par le même poéte...

Aujourd'hui,dans cette sorte de bonbonnière solitaire et froide,par cette nuit hivernale du mois de janvier 1874,il s'est mis paresseusement à griffonner des poémes ,tout en méditant sérieusement sur la valeur de ce qu'il est en train d'écrire..Pourtant pour lui écrire de la poésie est délassement avant tout,une manière d'évasion loin du poids des soucis matériels qui ne cessèrent de le harceler,en dépit de la tempérance et de la frugalité oû il se refugiait pour éviter de se faire accabler davantage par des dettes qu'il ne pouvait jamais honorer...

Mais il écrit pourtant..et c 'est avec une réelle passion..un goût et une persévérance étonnants..

..Dans chaque vers qu'il traçait sur la feuille vierge,il criyait y avoir mis une petite tranche de lui-même..il croyait y avoir enfermé ses propres tribulations,les tiraillements atroces de son coeur,déjà assoiffé d'espace et de liberté...Tout en écrivant avec émotion,mais avec une humilté apparente,il se sentait comme libérer des entraves de la vie et planer dans un ciel lointain,en regard des paysages immenses et radieux et une nature qui nage dans une splendeur divine....

Ainsi pour lui,en cette période d'hiver,oû la pluie tambourinait légèrement sur les vitres et faisait un bruit doux s'accordant avec les saccades de ses idées..la poésie est le parfum,le baume qui revigore et galvanise son âme meurtrie dans une société qui brandit l'opulence et la richesse comme le symbole exclusif de la réussite...

Après avoir vidé son coeur dans des poémes à thèmes divers et soulagé sa soif ardente dans des explorations infinies au fond de son âme déchirée,il se mit encore à refléchir sur la nécessité de tout ce travail..de tout ce flux d'émotions et de pensées étalées sur ces papiers fragiles..Mais n'ayant pas trouvé d'issue à toute cette méditation,qu'il jugeait justement frivole et enfantine,tout en regardant les rideaux plissés aux festons entrecroisés qui lui cachaient la vue de la rue de Rome,il s'approcha à pas lents,tellement ses jambes étaient légèrement engourdies,d'un petit guéridon installé dans un coin de la petite salle et prit une photo en miniature,une photo qu'il avait trouvé un jour chez un libraire célèbre et qu'il avait,moyennant une somme modique,achetée et installée là sur ce guéridon,en guise de relique précieux...

Avec des yeux pleins d'émotions,il s'est mis à contempler cette photo,déjà à bordures élimées et en partie noircie par un long usage,floue et sans aucun attrait.Emu jusqu'aux larmes,il la faisait tourner dans sa main avec une extrême douceur,puis humblement il la remit à sa place et s'en retourna se coucher....

V

Un pauvre professeur itinéraire.

A Paris,la ville de ses rêves et de ses passions intellectuelles,Mallarmé mène une vie paisible,jalonnée de temps à autre par une évasion dans le monde des bibliothèques et des librairies4(*)..

Il est assoiffé de lecture,de savoir et de tout ce qui se produit dans le domaine de l'esprit..On eût dit qu'il se préparait pour de bon à cette carrière de poéte,brève certes,mais triomphale et éternelle à jamais  ;  ;

Mais son amour pour la lecture ne lui dicte jamais l'idée de former des projets pour l'avenir ou même de concevoir une autre vie que celle d'un pauvre professeur d'anglais qui vit avec le peu qu'il reçoit5(*) avec sobriété et patience..

A Paris,en ce Paris de 1873,deux ans s'étaient déjà écoulés depuis la chute du Second Empire,Mallarmé de par le type de sa profession,continue à être l'objet de mutations d'un établissement scolaire à un autre ,comme s'il eût été réellement condamné à ce perpétuel déplacement ou si quelqu'un dans les services ministériels,se complaisait à le faire mouvoir sans répit...

Ainsi,après le lycée Condorcet,oû il séjourna pendant plus de six ans,toujours en lutte avec les problèmes d'une population scolaire imbécile et indolente,passa au fameux lycée Janson de Sailly pour être muté vers l'année 1892,au collège Rollin,dernière et ultime phase de ces longues et agaçantes mutations..

Mais,bien qu'il ne dispose que d'un très peu de temps,absorbé qu 'il était par des préoccupations infinies,il en profite parfois pour se plonger dans quelques méditations poétiques,comme fruit de ses absorbantes lectures...Menant ainsi une vie presque terne,entre le lycée et ses livres,Mallarmé,en homme mûr qu'il était devenu,se sentait pris de dégoût et aspirait à sortir de cette monotonie effrayante..

Un jour,occupé à dépister les méandres érotiques de cette oeuvre géniale « les fleurs du mal »assis dans sa petite chambre,il se rappelait avec tristesse,ce jour oû,étant alors à Avignon,il avait appris par une lettre d'un de ses amis,la mort de poéte et écrivain infatigable Théophile Gautier..Il se rappelait alors ce jour mélancolique oû il croyait avoir perdu un être cher,dont il commençait à apprécier le génie et la vigueur de l'expression,sans parler de sa hardiesse à vouloir sortir des sentiers battus et concevoir une autre forme de poésie plus originale et qui répondît à l'évolution du temps..

Il pensait alors à ce jour fatidique et se sentait boulerversé d'émotion et de deuil..

Il croyait pouvoir tenter l'impossible et être en mesure ,à force de reflexion et de travail,d'être du moins l'émule de ce célèbre poéte,..Et soudain il éprouvait un vertige intense,mêlé à une vague de pensées incohérentes et dont il ne parvenait pas à percer l'origine,tellement elles étaient abstruses et profondément voilées par des nuages compactes et impénètrables...

Théophile Gautier,le vétéran,le génial pionnier de la langue française,Th.Gautier,pour lui,est un surhomme inimitable..Car tout penseur doué de talents surnaturels est un être qui reste en dehors de l'orbite de l'humanité et n'en fera aucunement partie...Pour Mallarmé donc,Th.Gautier,créateur de `l'art pour l'art » et styliste divin,ne saurait être une créature ordinaire,née pour mourir et être ensevelie dans les oubliettes du temps,Th.est un être divin et immortel,il survivra à tous les vicissitudes et à tous les temps..Il est immortel autant que l'éternité même..  !

Alors l'immortalité serait-elle un piége pour Mallarmé,Le désir d'être immortel comme Th.Gautier ne s'est-il pas emparé de lui  ?Lui faudrait-il dès lors se mettre à l'oeuvre et montrer à ses contemporains que lui aussi,la nature l'avait effectivement nanti des facultés aussi éminentes ,aussi sublimes que celles de n'importe quel autre poéte dont les recueils de vers faisaient alors des tapages universels mais éphemères ,pour sombrer ensuite dans le fond de l'oubli.  ?

Ecrire,il est vrai,est une tâche pleine d'embûches et pour Mallarmé,cela suppose en effet des risques graves et des déappointements cruels...Il est profondément conscient de cet état de choses et entre rester amateur en poésie ou se faire publier,à ses risques et périls,Mallarmé,d'ordinaire d'esprit aventureux et bien qu'il ait été farouchement attaché à ses propres principes,n'en balança pas et avec courage et détermination,s'engagea dans le monde des lettres,avec l'espoir bien sûr de pouvoir exprimer publiquement ses idées et de suivre de près les traces de celui qu'il avait pris pour modèle dans ses premières mais modestes productions6(*)./..

VI

Premières Publications dans des revues (1874)

En ce temps-là,il y a eu une profusion de revues de tendances diverses..mais des revues malheureusement éphèmères,car,en dépit de la vugarisation intensive de la culture,la population cultivée,après l'abondante production romantique et la propagation des idées sentimentales dont on avait commencé à se lasser pour de bon,s'intéressaient à des domaines autres que poétiques..

La philosophie positiviste,qui avait fait fureur à ses débuts,commençait déjà à subir un déclin évident et n'était plus un objet d'attraction que pour une minorité d'écrivains,qui fouillaient encore dans ses méandres à la recherche des traces intactes susceptibles de lui épargner une décadence imminente en lui insufflant une nouvelle énergie..

De plus,les revues qui traitaient du problème de la poésie et de sa propagation se faisaient rares,et celles qui existaient alors étaient exclusivement réservées à une catégorie de lecteurs de couches sociales bourgeoises et presque au courant des réformes en gestation...

Pire encore,les quelques revues d'obédience littéraire et qui s'attachaient à publier,non seulement des poémes,mais aussi des articles à caractère critique,étaient souvent de vie éphémère

Les écoles réaliste et naturaliste,dont l'apparition et le développement ont coïncidé avec le Parnasse et le Symbolisme,ont donné lieu à une profusion de revues et de journaux mensuels,la plupart axés sur la critique et l'étude du nouveau roman  ;  ;  ;

L'Ecole Parnassienne,par exemple,qui avait commencé à émerger sur la scène,s'alignait presque sur les mouvements réaliste et naturaliste,s'inspirant de la même philosophie et de la même vision des choses,ce qui a fait que,l'apparition des revues autonomes,dans ce tumulte extraordinaire d'idées et de pensées,semblait à première vue loin d'être effective,quoique chaque mouvement,obéissant au désir de vouloir garder son indépendance vis-à-vis de l'autre,et de s'élever au-dessus de cette confusion apparente,eût tenté plus d'une fois de faire publier son organe propre..

Mallarmé,ayant écrit quelques poémes de circonstances qu'il a jugé dignes d'être publiés7(*),se hasarda à les envoyer sans retouche à une revue sérieuse et pour laquelle il avait beaucoup de sympathie.Quelques jours plus tard,parmi le nombre de poémes envoyés,il n'en fut publié que deux,sans que cela ait froissé le moins du monde l'amour-propre du futur poéte  d '«Apparition ».IL écrivit encore d'autres poémes ,mais en raison de saon attachement indéfectible à la perfection,il dédaigna de les faire publier...jugeant que le moment n'était pas encore propice pour le faire..

En dépit de nombreux poémes insérés dans différentes publications de l'époque,Mallarmé était toujours resté dans l'ombre et rien ne prouvait que son nom s'acheminait progressivement vers la gloire..La majorité des lecteurs de ces publications n'avaient même pas fait attention à ses vers,malgré le lyrisme et la verve dont ils n'étaient pas tout à fait dépourvus;c'est peut-être,pouvons-nous dire,à cause des sujets traités dans ces poémes,des sujets apparemment anodins et insignifiants,souvent même rebattus par les poétes du temps,que les lecteurs s'étaient montrés quasiment indifférents au nom de Mallarmé..Leur dédain ne se confinait pas aux sujets abordés ,mais aussi à la manière,à la technique de versification,banale et désuete,avec laquelle ces sujets étaient en effet traités....D'ailleurs,pour tout dire,la poésie de l'époque,avait pris un autre tournant,un tournant irréversible,carrément opposé à la « dictature » du romantisme,dont l'influence s'est effondrée juste au lendemain de la mort de Balzac en 1850...

Dès lors,les lecteurs étaient comme assoiffés d'une nouvelle forme d'expression ,de nouvelles idées et d'une philosophie de la poésie toute neuve et originale....Et Mallarmé,dans son for intérieur,était convaincu de ces légitimes aspirations  ;il croyait que la poésie ,malgré sa métamorphose durant ces dernières décennies,nécessitait encore une nouvelle révolution,une libération totale surtout de ces scories et de ces entraves héritées du passé et qui pesaient encore sur son destin,en l'empêchant de progresser et de s'épanouir dans des limites appropriées ..Et pour cela,il eut le courage de sortir des paysages des mots sonores,pour se lancer dans des cogitations intérieures traduites dans des plaquettes d'une vigueur insoupçonnée8(*)...

Enter-temps,et pendant que Mallarmé se préparait à approfondir ses expériences du passé tout en se persudant de la nécessité de se libérer totalement de toutes les contraintes en matière poétique ,il eut la stupeur de constater que le monde intellectuel et surtout la jeunesse qui répugnait à patauger dans la routine,s'était emparé de son nom comme le symbole de la réforme...

VII

Le nom de Mallarmé dans « A rebours » de Huysmans.

Comment cela a -t-il pu se produire  ?

Mallarmé,bien qu'il ait été digne d'être célèbre,dès le début même de son lancement dans le monde de la poésie en tant qu'amateur,resta pour longtemps un poéte méconnu..sans avoir jamais pour autant aspiré à la célèbrité...

Cependant,la jeunesse poétique était déjà fort lasse de rabâcher toujours les mêmes thèmes sur les mêmes rythmes..elle tendait alors à une réforme de régénération ,de rajeunissement et de renouvellement de la matière poétique,tant au niveau de la forme que celui du fond..

Cette aspiration légitime poussait dès lors toute la jeunesse assoiffée du rythme et de l'harmonie à se lancer dans la recherche des thèmes hardis exprimés au moyen d'une technique poétique pure et suprêmement originale..

On était las des romantiques comme des parnassiens  ;on était en quête d'un nouveau système poétique,une pure conception de la poésie,susceptible à la fois d'émouvoir et d'enrichir l'esprit et l'âme,loin de cette platitude et de ces trivialités mesquines qui régnaient alors9(*)...

Une poésie plastique,brute,crue et matérielle avait fini en effet par lasser..mais une poésie marquée par l'empreinte musicale ,fluide et souple,tel un fleuve dans sa course effrénée,qui draine avec lui le bruit doux ,le clapotement douillet sur les berges rudes et escarpées,telle était en effet la nouvelle poésie que Mallarmé,en créateur conscient,entendait concevoir dès le commencement de sa carrière,et qu'il poursuivait avec la même audace,défiant énergiquement toutes les oppositions..

Le roman naturaliste,qui avait pris son essor,grâce à la plume pleine de verve et de force d'un Emile Zola et même de ses disciples,et qui se répandait à gogo tant par sa nouvelle forme que par son contenu

souvent grossier ,au sein de la jeunesse intellectuelle,qui trouvait dans ce nouveau genre de roman,un appât savoureux pour leur soif de renouvellement et une satisfaction suprême de leurs désirs charnels...

Ce type de roman était devenu universel et rien ne semblait cependant présager son effondrement progressif..

Karl Joris Huysmans,disciple fidèle de Zola,homme plein de puissance d'imagination,de profondeur et d'exubérance,a fait publier un jour un beau roman intitulé »A rerours »,lequel,tant par le thème traité que par le style pathétique,attira une foule de lecteurs hétérogènes..

L'auteur,par esprit de solidarité mais aussi peut-être par complaisance avait laissé volontairement courir sous sa plume le nom de Mallarmé,tout en faisant l'éloge de ce poéte inconnu et méconnu jusqu'alors..Par ce geste inattendu,Huysmans,sans le savoir,a scellé pour de bon la destinée poétique de Mallarmé,vers qui depuis lors commençait à affluer toute une jeunesse ,troublée et extrêmement intrignée par la nouvelle technique poétique pratiquée par le locataire de la rue de Rome10(*)..

VIII

La vie loin de Paris:les vraies tribulations d'un professeur déçu.

Pourquoi Mallarmé a-t-il abandonné la technique du Parnasse,  ?

Mallarmé,qui, par la technique et la conception du vers,était un parnassien jusqu'au bout des ongles,se révèla par hasard être jaloux de son indépendance intellectuelle..

L'alignement sur le système du Parnasse,système devenu déjà au bout de moins d'une décade sclérosé et stérile,ne suscitait plus désormais en lui que réticence et une volonté à toute épreuve d'émancipation..

Cet affranchissement s'opéra cependant graduellement ,lorsque à un certain moment,il s'écarta quelque peu de la poétique du Parnasse pour adopter une nouvelle méthode qui confirmât ingénieusement son attachement à sa propre originalité..

Or,en dépit de ces aspirations vers une émancipation totale vis-à-vis de ses amis parnassiens,qu'il aurait pris justement en son âme et conscience pour une défection ou une désertion déloyale,il se sentait néanmoins comme enchainé malgré lui à leurs traditions pratiques et même à leurs manières souvent routinière et ressassées jusqu'à la satiété...

Il sentait renaître en lui ce talent,ce désir tenace,cette volonté invincible,cette tentation coriace de vouloir réaliser quelque chose qui répondît en premier lieu à la soif intellectuelle d'une jeunesse exubérante et farouchement attachée à toute nouveauté,quelle qu'en fût l'origine...

Il se rappelait un jour,lorsqu'il n 'était qu'un amateur à la recherche de sa voie,avoir été reçu par ce fameux éditeur Lemerre,sous les auspices de qui, le Parnasse Contemporain était largement publié et diffusé et de but en blanc,il lui a proposé de lui réserver dans cette fameuse anthologie une place privilégiée,aux côtés non seulement de Th.Gautier,mais aussi de ce maître incontestable et sublime qu'il avait aim é et estimé jusqu'à l'idolâtrie  :Baudelaire.

Cette proposition submergea d'enthousiasme le jeune Mallarmé,qui pensait dans dans son exaltation bruyante,qu'il allait désormais être couronné de lauriers,devenir presque l'égal de son maître duquel il gardait toujours précieusement une petite photo usée constamment posée sur un minable guéridon dans son petit appartement de la rue de Rome..

Il s'empressa dès lors de faire exhumer les modestes tentatives qu'il avait réalisées en poésie et les remit à Lemerre,qui les publia intégralement dans le Parnasse de 186611(*),première parution de cette brochure qui avait connu,malgré les atermoients dus à la guerre et les difficultés majeures de tous genres,une expansion honorable et une large diffusion parmi la jeunesse cultivée..IL se rappelait alors cette exultation,gagnée au prix de quelques poémes éphémères et dont la technique,manquant en vérité d'originalité,ne gagnait guère la faveur du lecteur du Parnasse..

C'était alors qu'il commença à chercher sa voie dans ce monde complexe de la poésie..Baudelaire,qui régnait en maître absolu,n'a rien encore perdu de son prestige et de sa domination  :c'était le seul génie ,l'unique virtuose qui le charmât et le bouleversât jusqu'aux entrailles..

CHAPITRE DEUXIEME.

MALLARME,DISCIPLE DE BAUDELAIRE

N'est-ce pas  ?Nous irons,gais et lents,dans la voie

Modeste que nous montre l'espoir,

Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie.

Verlaine

I

La technique de Baudelaire et son influence.

Par une journée ensoleillée de 187612(*) et pendant que Mallarmé,insouciant et distrait s'affairait gaiement dans son petit studio de la rue de rome,,il entendit des coups répétés sur la porte et,se dressant brusquement,se précipita pour ouvrir  :devant lui se profila une silhouette dégingandé,maigrichonne et triste  

Mallarmé,croyant d'abord qu'il s'agissait d'un pauvre chemineau en quête d'une tranche de pain ou d'un gîte provisoire,un de ces gueux qui pullulaient dans les coins sombres du vieux Paris et dont le nombre,déjà spectaculaire ,s'était considérablement accru après la guerre de 1871..

L'homme,aux regards pourtant intelligents mais sournois,sembla deviner la réaction et l'embarras de mallarmé et d'un geste furtif,il lui laissa entendre qu'il n'était qu'un visiteur en quête d'un entretien amical..

Mallarmé,scrutant le visage émacié et la barbe barbouillée de jaune de ce visiteur étrange,s'écarta prestement pour lui laisser passage et l'inconnu,d'une démarche titubante,pénètra dans le studion,suivi des regards étonnés de Mallarmé,et,s'installant lourdement sur une chaise en face du vieux guéridon,il déclara à brûle-pourpoint...

---je suis Paul Verlaine13(*)..J'ai l'impression que vous n'avez jamais entendu parler de moi..  !

---Mais..si..si..bafouilla Mallarmé ,tout en faisant des gestes dénotant la courtoisie ,mêlée à une stupéfaction évidente,qu'il cherchait cependant à dissimuler derrière un sourire affable...

---J'ai voulu,reprit Verlaine d'un ton fluet,cherchant à atténuer la confusion oû se trouvait Mallarmé,j'ai voulu vous rendre cette visite impromptue pour vous dire que j'ai déjà entamé l'élaboration d'un livre et dans lequel je me propose de brosser un portrait de vous ,un portrait véridique et sincère et,pour ce faire,j'ai encore besoin de quelques information vous touchant de très près...

...Je suis,interrompit Mallarmé avec empressement,entièrement à votre disposition et ce n'est pas un service que je vous rends,mais plutôt un devoir,une obligation..

Merci,cher confrère,retorqua Verlaine,tout en souriant béatement et se tournant soudain vers le guéridon oû se tenait majestueux le portrait de Baudelaire..

---Ah  !ah  !Je vois qu'il est là  !S'exclama-t-il d'un ton bourru,Je vois que vous en possédez un portrait remarquable  !Ah  !Ah  !Continua-t-il sur un ton devenu soudain plutôt mélancolique,le grand ami...disons plutôt notre maître à tous...  !La dernière fois que je l'ai vu,c'était un peu avant son départ à bruxelles oû il comptait donner des conférences sur les dernières transformations en littérature et oû il est mort à la suite d'une paralysie cardiaque ...Ses restes étaient aussitôt rapatriés..mais je n'ai pas assisté à ses funérailles,ce que je regrette énormément..et puis je suis parti en Angleterre en compagnie du jeune Rimbaud,dont je me suis séparé en Belgique,après un conflit insignifiant qui m'a opposé à lui,et à l'issue duquel j'ai écopé trois ans de prison,d'oû je venais de sortir il y a quelques jours,..et c'est pour cela que vous me voyez dans de telles conditions,et baissant légèrement la voix,..c'est d'ailleurs un état dont je ne me débarrasserai désormais plus jamais...

Après un long entretien,axé principalement sur les débuts de Mallarmé en poésie ainsi que sur les divers aspects de la nouvelle réforme,Verlaine,le poéte de la grâce et de l'amour,s'empressa de prendre congé du pionnier du symbolisme,lequel,après ce départ,se mit à revivre chaque trait,chaque attitude et chaque geste de ce poéte étrange,tout en se remémorant en même temps chacun des propos qu'il avait avancés au cours de cette brève conversation..

Il n'avait pas vu Verlaine auparavant..mais il avait déjà lu quelques poémes de lui dans le Parnasse,de courts poémes qui se caractérisaient par une souplesse,une ingéniosité,une hardiesse et une finesse ingénue,qui ont étonné profondément le poéte de « Divagations ».Il savait que nul mieux que Verlaine n'a chanté l'amour,la tendresse sur un ton parfois puéril,mais qui s'affirme par la finesse,l'élégance et l'ingénuité...

Verlaine,au talent robuste,exubérant,poéte à l'art consommé et prestigieux,..Verlaine,pour Mallarmé, est le chantre des petites choses,des choses triviales en quelque sorte,mais qui deviendront sous sa plume enchanteresse des choses divines et extraordinaires..

II

Les thèmes traités dans la poésie baudelairienne.

A la mort de Baudelaire,Mallarmé était encore à Tournon14(*),pauvre enseignant d'anglais,menant une vie ordinaire et paisible,mais heureux d'être près de ses amis Félibres,mistral et Aubanel,et même Roumanille,pour lesquels il vouait une sympathie et une admiration sans bornes et en compagnie desquels il eut de nombreuses balades à travers champs,débattant sans cesse des problèmes de la tradition et du modernisme  ;  ;

Mais le rôle qu'a joué Baudelaire dans la vie littéraire de Mallarmé est tout à fait exceptionnel et déterminant et nul n'a exercé autant d'influence que lui sur le jeune homme avide de poésie et de culture..et Mallarmé,sans vouloir en aucune manière cacher cette influence bénéfique sur son esprit,donnait plus d'une fois la preuve de reconnaissance et de gratitude à l'endroit de celui qui lui avait ouvert un nouveau chemin dans le monde de la poésie..

Quand les « fleurs du Mal »parurent,Mallarmé ne croyait pas que romantisme,qui était encore très en vogue en ce temps-là,et maintenait jalousement sa mainmise sur le développement littéraire,allait bientôt s'eclipser à l'apparition d'une nouvelle technique du vers acompagnée de tout un arsenal d'idées et d'images ,que l'on considérait à l 'époque comme autant de tabous et qui allaient être librement exploitées dans la poésie..

Pendant qu'il était encore simple potache au lycée de Sens,et dès qu'il fut initié à la poésie baudelairienne15(*),par une lecture distraite de quelques vers épars,Mallarmé sentit,grâce à la condensation artistique et à l'architecture géniale du vers,qu'une révolution presque égale à la révolution politique de 1794 ne tardait pas à se faire jour et à faire éclater en même temps toutes les traditions séculaires,auxquelles il allait devoir substituer une nouvelle forme de pensée et de créativité...

D'autant plus que,par la netteté,l'effusion poétique,l'élégance du vers et le charme pathétique du vers « Les fleurs du Mal » constituait désormais un vade-mécum important pour la formation poétique de Mallarmé..

Même l'étalage de l'expression pessimiste,l'angoisse devant les problèmes de la vie,la fuite de ce monde vain et grossier,l'amour de la solitude et la terrible détresse de l'existence terrestre,tout cela trouva un écho profond dans le coeur et l'esprit du futur maître du symbolisme..

Baudelaire,disciple et émule de Poe,ne cultive pas seulement le sombre et le macabre,mais aussi le êrve idéaliste,et son idélisme n'est pas figé et inerte,mais c'est un idéalisme actif et sensible,c'est un idéalisme mystique,profondément ancré dans un univers libidineux d'une étonnante singularité..

Le culte du sexe,comme la vanité d'ici-bas,sont inhérents à la nature de l'esprit de Baudelaire.

III

Le Parnasse est-il l'héritier de Baudelaire?

Baudelaire,en homme d'esprit et de talent,avait entièrement renouvelé les thèmes romantiques,qu'il avait sciemment dédaignés en raison de leurs banalités et de leurs pleurnicheries outrancières...

Le thème de l'amour,qui avait été pour les romantiques,le thème central de toute création poétique,n'était plus désormais pour Baudelaire qu'une notion vaporeuse et vide de tout sens logique...

Ainsi au lieu de suivre les traces des maîtres du romantisme,en traitant l'amour sous son aspect sentimental et courtois,comme un stimulant énergique,des bas instincts ou comme un élément secondaire des désirs charnels refoulés,Baudelaire traita l'amour comme un phénomène dépouillé de tout sentimentalisme pur et hypocrite,susceptible non pas de revigorer les esprits,selon les prétentions mesquines des romantiques,mais de jeter l'homme dans un tourbillon d'illusions,de doutes et de mystifications fallacieuses...

l'amour,pour Baudelaire,comme pour son fervent disciple Mallarmé,était donc une imposture flagrante,une horrible tromperie,un acte mensonger,enfin un prétexte trivial investi d'une ombre de sortilège et d'aliénation arbitraire..

Le pessimisme mortel,effarant et sombre,dans la vie d'ici-bas,ce pessimisme que l'on rencontre dans chaque vers de ce grand réformateur,n'était pas en réalité dû à sa haine du sexe faible,provoquée par le remariage de sa mère après la mort subite de son père,c'était plutôt une des conséquences de sa vie d'enfant orphelin,qui semblait même regretter sa venue en ce monde de pourriture et de débauche,c'était encore dû à l'environnement social qu'il répugnait et l'effarouchait terriblement..

Ce pessimisme,en apparence distillé par une poésie pure,mais chaotique,un coeur déchiré ,torturé et meurtri par la déception de la vie,en un mot,son expression scintillante se dissipe peu à peu derrière le voile de l'amertume et de la douleur..

Mallarmé,pour qui les « Fleurs du Mal » était la seule et unique source d'inspiration,s'aperçut cependant qu'il y avait eu une étonnante affinité,une communion profonde entre lui et son maître,rapprochement au niveau des aspirations,comme au niveau de la pensée et de la technique poétique..

Et pourtant,la contemplation de la nature moribonde ou de la nature en pleine floraison,l'enthousiasme euphorique que l'on éprouve en face de la beauté ou de chaque objet inanimé ou animé,la satisfaction intérieure et la joie sublime qui font reculer les frontières de la vie,le bonheur divin et intarissable que l'on puise même dans le sein de la nature..tout cela est resté dans l'ombre ou à peu près dans la poésie baudelairienne  ;  ;rien de tout cela ou presque n'a été scruté par la plume -si pleine pourtant de fiel et d'angoisse-de Baudelaire  :rien n'a été peint suivant la manière des romantiques qui n'avaient pas cessé en fait d'exalter la nature hospitalière et immortelle..

Mais,par contre,l'angoisse devant la mort,l'agonie des valeurs humaines,l'ennui hideux que respire chaque chose de la vie,le règne du mal et de la souffrance humaine,voilà les thèmes favoris de Baudelaire et par là même,ceux que Mallarmé,avec un génie tout particulier et un don original,a dû exploiter avec vigueur et une verve inépuisable..

Mallarmé,attaché toujours au pas du Maître,acheva,selon la conception artistique de ce dernier,de très courtes piéces que l'on a jugées à juste titre comme étant impeccablement travaillées..

les thèmes du Maître,toujours présents dans l'esprit de Mallarmé,nourrissaient et galvanisaient constamment toutes ses productions poétques.ýDe plus la technique du vers,qui était le point essentiel et la régle fondamentale de ses productions en matère poétique,est toujours celle du Maître,sans jamais avoir le courage de s'en émanciper..du moins pour un temps..considérant de bonne foi que c'est en effet la raison d'être notamment de tous les poétes encore au seuil de leur carrière...  !

IV

Comment Baudelaire a-t-il rompu avec le romantisme?

L'Ecole Parnassienne ,issue d'une réaction contre la platitude et la désuétude des clichés littéraires du mouvement romantique,est une tentative heureuse de renouvellement et de rajeunissement des lois inhérentes à la création poétique..

En vérité,le Parnasse n'avait pas seulement été émergé à la suite de la fameuse théorie de Th.Gautier,illustrée en particulier par un petit poéme ingénieux à quatrains intitulé l 'Art et dont nous reproduisons les strophes les plus significatives  :

Tout passe-l'art robuste

seul a l'éternité,

Le buste

Survit à la cité,

Les dieux eux-mêmes meurent,

Mais les vers souverains

demeurent

Plus forts que les airains  ;

mais aussi avait trouvé sa source authentique dans la poésie baudelairienne,laquelle,forcément a joué un rôle de premier plan dans l'émergence et l'essor de ce mouvement rénovateur...

De plus,le positivisme,alors en pleine évolution,grâce au génie d'un Auguste Comte,était en quelque sorte l'assise sur laquelle s'était érigé le Parnasse avec toute une armature de principes et de préceptes..

Si la notion de l'art pour l'art était une notion magique,qui avait séduit toute une génération de jeunes poétes bouillant du désir de renouvellement et d'originalité,elle n'en avait pas moins réduit l'état de la poésie à une création empreinte d'insensibilité et comme dépourvue de chaleur humaine..

En tout cas,bien que la perfection artistique et la beauté de la forme,demeurent pour longtemps le crédo invulnérable des parnassiens,ce qui avait contribué à les éloigner de la masse des lecteurs qui étaient souvent avides d'une poésie qui entretenait les ressorts des sentiments,les parnassiens,du moins les moins fanatiques de la notion exclusive de l'art pour l'art,ont commencé à répondre aux critères d'une réalité poétique difficile à méconnaître..et peu à peu,ont été amener à abandonner partiellement mais non pas totalement,les aspects rigides et abstrus de leur technique,pour embrasser,sous l'impulsion de quelques modérés,une forme poétique plus souple et plus malléable à l'esprit du temps..

Les « Fleurs du Mal » ou encore « Emaux et Camées » n'étaient en réalité rien d'autre qu'un même instrument technique visant à rénover et à élargir le système de versification qui était alors en usage...Or,la pratique

du vers,était,avant l'apparition de la nouvelle technique parnassienne,sous l'influence dominante de l'expression des passions exubérantes ,et des idées fugitives,puisées dans l'expérience sentimentale ou même l'imagination fulgurante du poéte16(*)...

L'école Parnassienne était donc un système,une doctrine,qui,au lieu de faire appel,pour son développement, à la réalité contemporaine,s'enfonça plutôt dans l'histoire lointaine du passé oû elle s'étaity ingénié à recueillir des thémes déjà révolus et usés,mais auxquels elle avait donné,par un détour peu ordinaire,vie et éclat profond...Les thèmes,légendaires ou imaginaires,véhiculés par une longue tradition et conservatisme culturel tenace,étaient en effet repris et traités de nouveau,selon la technique nouvelle,oû l'on tenait compte rien que de la forme,sans se préoccuper le moins du monde du contenu significatif ou non17(*)..

Et c'est alors que l'on se rend compte de toute évidence,lorsqu'on se remémore nos anciennes lectures,que les thèmes abordés dans les « Fleurs du Mal » sont caractérisés spécifiquement par une pathétique et un regain de pessimisme humain..alors que ceux des parnassiens,bien qu'ils nous rappellent en grande partie les thèmes classiques,en raison des multiples survivances antiques et le rejet déjà catégorique de la notion  du « moi »,sont loin de pouvoir s'apparenter ou de s'identifier à tout ce qui touche aux souffrances de l'humanité..

Mallarmé,tout comme Verlaine,au début de sa carrière poétique,avait déjà embrassé cette conception singulière de la poésie..

La Venus de Milo n'était-elle pas de marbre  ?

S'exclama ironiquement Verlaine,qui n'y croyait d'ailleurs nullement,puisque toute son oeuvre fut marquée particulièrement par le sceau de la transparence et de la clarté toute simple..combinée subrepticement aux aspects multiples de la notion du « moi »18(*).

Une poésie impassible,plate et manquant de sève vitale et même foncièremenr dépourvue de tout stimulant à la tendresse et à l'amour..

Promène qui voudra son coeur ensanglanté

Sur ton pavé cynique,...O plèbe carnassière  !

Je ne vendrai pas mon coeur ou mon mal,

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées  !

Leconte de Lisle,dans un moment d'indignation,s'est rebiffé pour de bon contre le romantisme larmoyant et lança cette tirade si pleine de courroux et même de mépris à son endroit..bien qu'il ne semble pas avoir oublié tout à fait que l'empire du romantisme ait été encore plus fort,plus tenace qu'il ne l'avait cru auparavant..et il se laissa plus tard-peut-être instinctivement- prendre dans le traquenard du romantisme et à exprimer ouvertement les troubles de son âme en révolte contre le temps et la société,tout en dévoilant peut-être avec plus de courage que ne l'avaient fait les romantiques ,les passions latentes qui minaient son coeur d'homme gravement désappointé.19(*)..

On remarque dès lors que,plus que les parnassiens,qui s'étaient spontanément engoués de la philosophie positiviste20(*) dont ils s'étaient inspirés pour édifier une conception peu commune de la poésie,Verlaine et Mallarmé en particulier,n'étaient pas du tout satisfaits de leurs conditions de poétes satellites ou de sectateurs minables d'une politique et d'un système poétique voués inéluctablement à l'échec..

Leur dévouement pour la cause de la poésie et leur attachement à des principes originaux,susceptibles de faire dynamiser la poésie et à lui garantir une nouvelle renaissance fondée sur les piliers de la raison et de la logique,enrichies et alimentées par la mesure,le rythme et la musique,décidèrent carrément de leur rupture inattendue et de leur défection vis-à-vis du mouvement parnassien .

V

Comment Mallarmé a-t-il pris connaissance de Baudelaire?

Si Baudelaire,tant par son style que par sa technique,était resté romantique jusqu'à la fin de sa vie21(*),malgré son reniement manifeste,Gautier,quant à lui,s'en était violemment détaché,pour poursuivre sa carrière de poéte,sur une nouvelle voie,celle qu'il s'était tracé à lui-même,en dépit de la nostalgie du passé vécu et de son incursion éblouissante dans le romantisme  ;  ;

Baudelaire,en s'affranchissant délibérément de la banalité des thèmes romantiques,a élargi,condensé le sens du vers,pour le rendre authentiquement véhiculaire d'un monde de pensées et de sentiments réalistes et vécus,sans le pouvoir de l'imagination qui souvent déforme et exagère amplement la réalité des choses..

Dés lors,il convient d'avancer sans risque de se tromper que Baudelaire,quoiqu'il ait de la volonté de s'écarter du chemin du romantisme,on s'aperçoit qil ne s'en était pas écarté tout à fait et que toute son oeuvre,si monumentale fût-elle,était en effet dominée par l'influence obsédante du romantisme..

Toutefois,on doit à Baudelaire l'initiative hardie d'élargir et de fructifier les thèmes traités par les poétes romantiques,en leur insufflant un nouvel élan énergique..

Et Mallarmé,dans ses premières tentatives poétiques,s'est acheminé vers la même conception,  :exploiter les thèmes romantiques au moyen d'une technique,d'une stratégie pratique,nouvelle,au point de faire oublier catégoriquement tout vestige des romantiques..

C'est ainsi qu'il nous est loisible toutefois d'affirmer que Baudelaire,en raison de sa nature physique,de son éducation,de son environnement psychologique et social,a largement développé les thèmes traditionnels ,en y introduisant une liberté,une force et une atmosphère qui frise la perversité ,le libertinage et l'érotisme charnel..

Dans l'oeuvre baudelairienne,on respire non sans émotion,le parfum de l'amour meurtri,comme le sadisme frénétique des âmes en quête de la volupté,de la concupiscence extatique,enfin rien n'a été épargné dans cette oeuvre,même le flambeau spectral de la mort se dresse de temps en temps pour semer la panique dans les coeurs22(*)..

Le rêve effrayant ou le cauchemar des âmes nues,brutes,se promene librement dans la nuit profonde de la solitude ,l'image de l'horreur, alliée à celle de l'ennui morbide ,est incrustée dans chaque vers des « Fleurs du Mal » et si cet aspect funèbre de la poésie ne fut pas exploité avec force détails par les romantiques,Baudelaire,par contre,qui a puisé tout son génie dans les caveaux funèbres d'E.Poe s'est laissé griser par la volupté,une volupté farouche de tout ce qui respire le cadavre et la pourriture terrestre..

C'est cet aspect de sa poésie qui a fait que Baudelaire fût avant tout un novateur et un profond visionnaire d'un monde encore inexploité et vierge,un vaste paysage couvert d'ombres épaisses,rudes et impénètrables,qu'aucun poéte français avant lui n'avait eu l'audace d'y accéder...

VI

Mallarmé s'est-il laissé influencé par Baudelaire.

Dès le commencement de sa carrière de poéte et bien avant même de sentir naître en lui ce penchant vague pour la poésie,Mallarmé,nous l'avons bien dit,éprouva un engouement irrésisitible pour le poéte des « Fleurs du Mal  »dont il n'avait pas pu se départir même à l'apogée de sa gloire.

Dès son enfance,il trouva que la lecture de cette oeuvre immortelle constitue pour lui une étape primordiale dans sa vie..et trouvant toujours un plaisir constant à se désaltérer dans les méandres de ces vers vigoureux,qui charriaient incessament des rêves et des ombres fantasmagoriques des revenants,mêlés à des impressions de douleur éternelle,il s'attachait exclusivement à ce poéte de génie et ,de même que V.Hugo dans son enfance,qui avait naîvement juré de devenir l'égal de Chateaubriand,Mallarmé,oubliant presque son exclamation d'antan ainsi que le nom de Béranger,se complaisait à imiter le maître,sans jamais chercher à atteindre son génie..

ëtre l'émule du maître,c'est le seul voeu que Mallarmé exprima dans son âme résignée.. à aucun moment,il n'avait mis en tête qu'un jour il serait investi du même prestige et du même laurier que le grand maître...

Les poémes contenus dans les « Fleurs du Mal » avaient pour le jeune homme,toujours assoiffé du plaisir de la vie et de la volupté immatérielle et fugitive-un empire inexorable,un pouvoir d'attraction invincible,d'autant plus qu'ils étaient devenus au fil des jours,une source constante oû se retrempait spirituellement sa force défaillante et de renaître de nouveau de cet avachissement ,de ce désarroi mortel que lui grava dans le coeur le pénible labeur de l'enseignement,au milieu d'une horde de garnements insolents et sauvages..

Après les séances de classe,il rentrait,fourbu de fatigue,et le coeur avide d'un moment de répit,pour s'adonner ensuite à la lecture de l'oeuvre baudelairienne,qui demeura pour toujours son seul compagnon dans la solitude et l'ennui...

C'est dans cette oeuvre qu'il puisa l'exaltation de son âme juvénile,et oû il trouva encore l'apaisement charnel,la jouissance qu'il cherchait avec fureur par le biais du rêve et de l'illusion...

Pendant que des Mortels,la multitude vile,

Sous le fouet du Plaisir,ce bourreau sans merci,

Va cueillir des remords dans la fête servile,

Ma douleur,donne-moi la main,viens par ici..

C'est là en effet une consolation évidente,un baume tonifiant répandu sur la blessure douloureuse qu'il traînait avec lui,durant presque toutes les années qu'il avait passées en dehors de Paris,assumant la minable sinécure de professeur d'anglais,s'abritant dans des logis parfois vétustes et délabrés..

ýCependant Baudelaire était toujours là,à guetter et à prévenir ses désirs et c'était lui seul,en qui Mallarmé cherchait et trouvait le grand réconfort dont son âme tourmentée avait besoin23(*)...

VII

Le réalisme exotique dans la poésie baudelairienne.

Le pessimisme sombre qui s'exhale spontanément de la poésie baudelairienne,la puanteur fétide et cadavérique,mêlée à de continuelles jérémiades d'un coeur sous l'empire du désespoir et du déchirement : tout cela avait entraîné forcément Mallarmé dans un vaste univers,plein de pensées et d 'image fantastiques,oû il se baignait avec ivresse...

Baudelaire,par son oeuvre peu commune, qui exprime un érotisme vertigineux,allié à la haine et au mépris vengeur d'un monde vil et malsain,exalte et exulte le futur géniteur d'«Igitur »  :

Mais,hélas  ;Ici-bas est maître  :sa hantise

Vient m'écoeurer parfois jusqu'en cet abri sûr,

Et le vomissement impur de la Bêtise

Me force à me boucher le nez devant l'azur.

Cet écoeurement,cette haine profonde de la Bêtise et de tout ce qui est mesquin et bas,sont nés chez Mallarmé,à la suite de la lecture de l'oeuvre baudelairienne..

La métamorphose de l'esprit mallarméen,apparaît d'emblée au niveau du choix des termes poétiques,de leur usage méthodique et de leur exploitation rigoureuse,en vue de l'expression des sentiments ,non pas fictifs ou factices,mais nés dans le coeur même du poéte...

Donc son évolution,de disciple ardent,émule d'un maître chevronné et vétéran éminent de la pensée humaine, s'est cristallisé autour du désir de rejoindre le maître jusqu'au faîte de la perfection artistique.24(*).

Constatant que la conception d'une nouvelle forme poétique était devenue effectivement une réalité concrète,grâce au génie surnaturel de Baudelaire,Mallarmé s'est évertué ingénieusement à vouloir coûte que coûte aller plus loin que le Maître...

Il avait alors déployé d'immenses efforts pour sortir du sillage du maître et concevoir une méthode plus personnelle et réellement appropriée à la nature de son esprit...

Ainsi,après avoir longtemps suivi les pas de Baudelaire,Mallarmé était parvenu,au prix de rudes labeurs,à se rendre compte qu'il n'était pas loin de se rapprocher de l'originalité,bien que ses productions,si minimes fussent-elles,aient été encore tributaires de la pensée du Maître  ;  ;  ;

La nature est un temple oû de vivants piliers....

Ce sonnet qui avait de prime abord séduit l'esprit de Mallarmé,ne lui a jamais suggéré l'idée d'une nouvelle stratégie poétique,mais cependant,par sa vision étrange,par la pensée exprimée,Mallarmé sentait peu à peu renaître en lui un éclair,une sorte d'illumination vaguement prophétique,mêlée à une force suprême,irrésistible,qui le poussa malgré lui à fouiller hardiment dans la contexture de ce sonnet un simple indice,susceptible de le mettre sur la voie d'une nouvelle réalisation poétique.

Il avait beau chercher,examiner méticuleusemernt chaque parcelle d'idées,péser chaque vers,jauger chaque césure,pénètrer plus à fond dans le sens de chaque expression,mais en vain,..Rien ne s'estompait avec clarté dans les horizons de sa pensée ý,au contraire,plus il se sentait comme stimulé par une volonté inflexible,plus il s'apercevait avec regret que ses multiples soins n'aboutissaient en fait à rien,sinon à le rendre davantage malade et désespéré..

mais un jour,après avoir achevé la mise au point d'un poéme,il se rendit compte que la tactique ,l'inspiration,la chaîne des significations,le choix expressif des termes,employés cette fois dans ce fragment ,ne ressemblaient en rien à ceux employés par le Maître et comme pour s'assurer davantage de cette trouvaille ingénieuse,il se pencha sur son poéme,qu'il se mit à déchiffrer avec une munitie impeccable,un pointillisme extrême,comme s'il n'en avait pas été l'auteur et une fois de plus,il remarqua avec stupeur que le poéme ou plut$ot le morceau qui est sous ses yeux et entre ses mains,était entièrement élaboré d'une manière tout à fait originale, et ne s'identifiant en aucune manière à la tecnique baudelairienne,ni non plus à celle qui était plus particulièrement en usage parmi less poétes contemporains..

Et d'un geste,il s'essuya le front,d'oû perlèrent quelques gouttes de sueur..Enfin,la persévérance a produit ses fruits25(*).  !

VIII

Le prestige de Baudelaire et sa présence dans la poésie mallarméenne.

Une des multiples qualités de la poésie baudelairienne,c'est à coup sûr son exotisme fantastique,son parfum obsédant des terres lointaines,qui se dessinaient insensiblement dans les régions obscures de son cerveau en ébullition..Cet exotisme ou plutôt ce goût rare,cette tendance à faire des tentatives mêmes aléatoires dans les paysages marécageux dans l'au-delà des frontières d'un autre univers,avait amplement nourrit sa poésie d'une saveur encore plus stimulante et plus énergique..ce qui a conféré à cette oeuvre un sceau particulier et une renommée sans démenti..

De plus,rien n'a échappé au poéte des « Fleurs du Mal »qui a su exploiter avec adresse la nature pittoresque d'un autre univers que celui dans lequel se baignaient indolemment les poétes de son temps..

Il a fait éclater les limites du temps et de l'espace..Toute démarcation est désormais abolie..tout tabou est abattu,pour jouir librement et sans vergogne de tout ce qui lui offrait son génie créateur...

S'il a lâché ainsi la bride à son imagination,qui est très puissante et fertile en images poétiques,c'est qu'il voulait en réalité dévoiler un secret longtemps obscur et inaccessible pour sa génération..  :mettre en relief les aspects multiples et complexes d'un monde luxuriant d'images érotiques,estompées sur un vaste paysage exotique..

Ce réalisme exotique,qui avait vivifié plus d'une l'imagination pittoresque de Mallarmé,a répandu un engouement peu commun parmi les poétes parnassiens,qui se sont ausstôt penchés avec zèle sur ce phénomène nouveau,quils ont cultivé à profusion sans jamais réussir à atteindre le génie de Baudelaire..

Mallarmé,s'engagea plus tard dans la même voie,pour se dévouer en quelque sorte à une poésie sans stéréotypes ni banalités..la sublimation de ce thème s'affirma essentiellement dans «  l'après -midi d'un Faune 26(*)» oû le poéte donna libre carrière à ses facultés créatrices...

Néanmoins,en dépit de sa volonté de s'émanciper du maître,Mallarmé est toujours resté attacher,non seulement aux principes rigoureux qui avaient prévalu dans l'oeuvre baudelairienne,mais aussi à ce goût étrange de vouloir remuer délibérément les entrailles du lecteur, attisant en lui les flammes de la luxure et la recherche passionnée du plaisir de la chair..

Baudelaire a entrepris des périples lointains dans son imagination,pour découvrir d'autres terres et d'autres cieux,qu'il s'est attachéà peindre avec amour et exubérance,comme s'il voulait leur imprimer une vie réelle,une existence authentique pour séduire et fasciner le lecteur..

Et dans ce cas,on peut juger à juste titre que Mallarmé avait effectivement succombé sous le charme influent de cette poésie exotique,d'oû il a dû puiser sans jamais s'être assouvi..tellement,tel Baudelaire sous l'empire de la drogue,dont il avait fait l'éloge maintes fois dans maints articles divers..Mallarmé crut un instant n'avoir pas la force nécessaire pour y résister..

L'exotisme baudelairien a implacablement exercé tant sur Mallarmé que sur les poétes du temps une attraction,un magnétisme qui frise la sorcellerie.C'est en fait un envoûtement irrésistible et pathétique,qui a profondément bouleversé Mallarmé,lequel,malgré lui,s'est laissé prendre dans ce déluge incommensurable,sans omettre toutefois de rendre -du moins indirectement-hommage au maître,pour l'avoir initié sans le savoir à un phénomène dont il n'aurait jamais pensé...

La valeur de cet exotisme réside toute entière dans la peinture mouvante d'une réalité crue..d'un événement exceptionnellement surnaturel qui s'incruste forcément dans la mémoire des hommes ..C'est en effet cet exotisme irréel et fictif que Mallarmé a ingénieusement développé avec d'amples détails dans la majorité de ses minces élucubrations poétiques..

IX

Grandeur et prestige de la poétique baudelairienne.

L'extase lubrique oû se baigne la poétique mallarméenne,le parfum captieux qui sourd de chaque vers du poéte de « L'après-midi d'un faune »ainsi que la morosité morbide,jointe à une désespérance existentielle,tout cela nous conduit à déduire avec justesse que Mallarmé était comme mû ou hanté par des reminiecences baudelairiennes...

La fameuse oeuvre de Baudelaire « Les Fleurs du Mal » avait marqué de son empreinte indélébile toute une génération de poétes,qui y ont trouvé leur inspiration,en exaltant leurs sentiments juvéniles et provoquant en eux un enthousiasme profond pour une poésie sérieuse,vigoureuse ,pleine de sève et de vivacité,loin des pleurnicheries grotesques et les épanchements larmoyants des poétes romantiques..

Baudelaire,tant pour sa génération que pour celle qui lui succédera,demeura un modèle de génie,un vétéran sans pareil dans le monde l'innovation poétique,et dont l'imitation n'est pas accessible pour les prosélytes,mais plutôt pour une poignée d'initiés,rompus dans l'exaltation des sens physiques comme dans les aspects métaphysiques de l'âme et au premier rang mallarmé,dont l'attachement,l'engouement infini,la dévotion même pour ce grand maître,demeureront constants et immuables...

Baudelaire,tiraillé et même honni par une catégorie de critiques virulents,qui avaient trouvé dans sa poésie une conception non conforme à la tradition française,avec en plus une évocation inépuisable d'images de ribauderie orgiaque et de basse immoralité ,et qui l'ont attaqué dans des pamphlets d'une truculence mordante,ne se désespéra nullement pour continuer-avec une obstination quasi cynique- à démontrer la justesse de sa nouvelle conception de la poésie..En outre,sachant à bon escient qu'il avait affaire à des folliculaires coriaces et ignares,qui n'avaient même pas pris la peine de comprendre et de goûter à loisir son oeuvre et qui préfèreraient par contre se confiner dans une ignorance aveugle et incurable,a dédaigné pourtant de réagir avec vigueur et déclara placidement que  :

Le poéte est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archet  ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher...

C'est une réponse sincère et calme faite à ses détracteur..

Mallarmé,quant à lui,alors qu'il était encore à Avignon,éprouva du mépris pour une telle catégorie bornée et qui ne voyait pas au-delà de leur bout de nez..Il n'avait pas encore la faculté ni la disposition nécessaire pour défendre le maître,déjà vieilli et au terme de sa vie mouvementée..

Ainsi,faisant la sourde oreille à ces dénigrements et à ces attaques inspirées par l'envie et la mauvaise foi,Mallarmé,semblait trouver chaque fois qu'il relisait les vers de Baudelaire,une vitalité,une énergie ,un aiguillon vivace,qui galvanisaient davantage sa veine poétique..

Pour lui,bien qu'il ait pris plus tard ses distances vis-à-vis du maître,pour pousuivre le labeur de réforme de la poésie française,en vue de la faire sortir-comme l'avait déjà fait son maître au commencement de sa carrière-de la routine ,du marasme rébutant,de son système monotone et rigide,bref de cette inertie déconcertante oû elle se trouvait enlisée  : cependant les principes et les régles du Maître sont pour lui autant de flambeaux qui lui éclaireront la voie oû il s'est engagé...L'image de Baudelaire resta constamment présente dans son esprit et toute sa poétique,avec son atmosphère de musique magique,d'élixir psychique,de fascination érotique et d'apparitions cauchemardesques et spectrales,respire l'influence obsédante des « Fleurs du Mal »27(*)

CHAPITRE TROISIEME

MALLARME ET LA POESIE CONTEMPORAINE.

Non,il fut gallican,ce siécle,et janséniste  !

C'est vers le Moyen Âge énorme et délicat

Qu'il faudrait que mon coeur en panne naviguât,

Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste.

VERLAINE

I

Mallarmé est-il poéte de vocation?

Le talent poétique de Mallarmé est incontestable...Sa verve,jointe à un pouvoir réel sur les mots28(*),se déchaine avec souplesse et rigueur..

Lorsque son inspiration est en fureur,il connaît le moyen de la tempérer et de l'orienter avec justesse vers le but qu'il s'est proposé..

Cette vocation,bien qu'elle ait été innée et naturelle 29(*)chez lui,n'en fut pas moins polie et galvanisée à force de travail et d'application..

Mallarmé,il est vrai,est né poéte et nul n'osa affirmer le contraire,même ses détracteurs les plus féroces, il est né poéte,en ce sens que,de très bonne heure,il se sentait comme poussé par le désir de dire des vers,..il est né poéte,par le fait que,tout tout ce qui se mouvait en lui,les idées comme les sentiments,étaient enveloppés d'un nimbe de paroles rythmiques et modulées..il est né poéte enfin,par cette inclination naturelle et puissante,et à laquelle il obéissait bien volontiers dès sa prime enfance,vers la lecture avide de tout ce qui est poésie et grâce à laquelle,une révélation fulgurante émergea des profondeurs de son inconscient pour se cristalliser en ces trois vers significatifs  :

j'errai donc l'oeil rivé sur le pavé vieilli,

Quand,avec du soleil aux cheveux,dans la rue

Et dans le noir,tu m'es en riant apparue...

Cette extase,aux dimensions surnaturelles,éclata dans les abîmes de l'inconscient,pour apparaître ensuite,tel un revenant à l'aspect familier,devant ses yeux éblouis.....

Cette vision paisible et sereine,dans le fond des rêves divins,avait pris,aux yeux de « l'enfant gâté » une forme matérielle,éclose et épanouie,pour atteindre enfin la nature d'un astre pétillant de splendeur et de clarté,l'une des caractéristiques fondamentales de la poésie mallarméenne..

Car la poésie, pour Mallarmé,est la sève de la vie,c'est le sang même de l'univers et son expression la plus pure..d'oû il apparaît que le poéte de « Divagations »ne semblait pas du tout exclure de la poésie toutes les déviations ou perversions mentales,même la folie,qui, se traduisant en fait par le délire intellectuel,incohérence verbale,psychique ou inconsciente,demeure en dernier ressort une des formes de la poésie pure...

Cette impression réaliste,il l'a recueillie sous la plume de son Maître Baudelaire,qui était loin de renier son penchant à faire l'apologie de la folie..

Donc, pour tout dire, son amour pour la poésie n'est pas accidentel ,né en quelque sorte de quelques circonstances aléatoires,il est au contraire né avec lui,mais il s'est manifesté avec plus de force au contact de l'oeuvre baudelairienne..

Plus il lit,plus son amour et son attachement pour la poésie s'accroissent et s'affirment au point que,à certains moments,un flux de vers déferle spontanément de son esprit en feu.,brûlant d'exhaler le poids qui pèse sur son coeur de jeune homme,condamné malgré lui à faire le triste métier d'enseignant pour pouvoir subvenir à ses besoins ..Alors l'écriture,alliée au désir profond de se faire prévaloir par son esprit et son talent peu commun,lui conféra la garantie d'une vie oû l'on aura du moins la possibilité de pouvoir exprimer les mouvements de son âme en peine...

II

Mallarmé et les poétes du temps.

Leconte de Lisle,pour lequel Mallarmé ne manqua pas d'ailleurs d'avoir de l'admiration,pour avoir régné par son génie inlassable,sur toute une génération de jeunes poétes,avec presque autant de constance que Baudelaire,était lui aussi résolument déterminé à préserver le prestige de la poésie française,en l'affranchissant des scories et des clichés idéalistes des romantiques..

Ainsi à la tête des parnassiens,qu'il éclairait par sa volonté et sa persévérance imbattables, de Lisle entama un retour vers le classiscisme,d'oû il puisa largement les principes universels de l'art...Dès lors,tous les parnassiens,de J.M.de Herédia,qui s'était acharné à produire de petits chefs-d'oeuvre admirables qu'il avait réuni sous le titre évocateur « Les trophées » à Sully Prudhomme,lequel cependant,par moments,s'est délibérement écarté de la voie tracée par le maître,pour se dévouer aux effusions larmoyantes des romantiques,avaient suivi les pas de Leconte de Lisle,dans sa technique aussi bien que dans sa conception de la poésie,oû la peinture de l'objet,tel qu'il se présentait à l'oeil nu,devait être faite en toute objectivité,sans y introduire le moins du monde les sentiments..

Cette munitie,cette précision ingénieuse,jointe à cette rigueur dans la forme,étaient autant d'éléments principaux qui avaient consacré la valeur de la poésie parnassienne..

Même le rythme et la discipline stricte qui frise le fanatisme intellectuel,dans l'ordre des idées et la disposition sans accroc des strophes,sans être alourdies ni par des enjambements ou des cesures ni par aucune entorse aux canons essentiels de la poésie classique--avaient contribué à rendre l'autorité des parnassiens plus insigne et plus crédible,se conformant ainsi strictement aux injonctions contenues dans le fameux quatrain de Th.Gautier.

Sculpte,lime,cisèle,

Que ton rêve flottant

Se scelle

Dans le bloc résistant..

Mais en dépit de leur culte de la perfection artistique,et de leur désir ardent de rendre à la poésie sa suprêmatie qu'elle avait toujours conservée durant des siécles,en lui conférant une mission plus haute et plus humaine,les Parnassiens n'avaient pas réussi à conquérir le suffrage général de leurs contemporains..

La vision philosophique du monde,qui d'ailleurs n'intéressait qu'une élite initiée,et qui de plus n'expliquait en rien les phénomènes surnaturels qui préoccupaient perpétuellement l'humanité,est une vision irréelle et dépendra bien plus de l'imagination que de la réalité cosmique..

Tout cela a fait que la poésie parnassienne,malgré sa rigueur et ses multiples appels à l'esprit,la profondeur de l'expression et l'exactitude des idées,qu'étayait constamment une métrique savoureuse et sans tache,impeccablement riche de toutes les sonorités harmonieuses,n'ait pas séduit le coeur du public,toujours avide par ailleurs de la nostalgie romantique et mû par un penchant naturel vers tout ce qui flattait sa sensibilité et réveillait en lui les sentiments d'amour et de pitié..

C'est alors que,au milieu de cette métamorphose spectaculaire,de ce vaste mouvement poétique,qui n'avait pourtant pas encore atteint le pinnacle de l'apothéose,mais qui luttait inlassablement pour y parvenir,seuls deux poétes,en l'occurrence Mallarmé et Verlaine,très sceptiques quant au succés du Parnasse,dont ils avaient d'ailleurs adopté les principes et qui sentaient alors comme par intuition que le Parnasse s'acheminait vers un déclin imminent,décidèrent dans un moment de lassitude de s'émanciper de ce mouvement,pour réaliser eux-mêmes leur propre conception de la poésie et essayer en même temps d'atteindre un large public..

III

Mallarmé s'applique à suivre la mode du temps.

La poésie parnassienne,qui avait évolué sous la férule de Leconte de Lisle,a conquis du moins pendant un certain temps un public intelletuel,déjà blasé par les effusions lyriques des romantiques mais toujours avide de la noblesse classique,trouva en effet dans la poésie parnassienne le parfum envoûtant des âmes et des choses révolues..

Mallarmé,alors fidèle au Parnasse et à la stratégie parnassienne,se lança,lors de sa première production poétique dans le sillage de ses augustes prédecesseurs,sans pour autant succomber à cette fasination magique qu'exerça sur les esprits la nouveauté originale du Parnasse..

Cependant,en dépit de sa haute contribution à la poésie parnassienne,Mallarmé,qui avait d'ailleurs publié un petit nombre de poémes au charme attachant et impeccable dans le Parnasse contemporain,demeura dans l'ombre,sans jamais réaliser la moindre parcelle de notoriété..

Cette contradiction,ou pour mieux dire cette déveine inattendue n'entama en aucune façon sa persévérance ,nourrie de patience et du sens de la résignation..

Tout comme Verlaine,qui regardait la poésie comme un délassement intellectuel salutaire et non pas un moyen lucratif,Mallarmé n'aspirait pas à la gloire ni au profit matériel tout au moins au début de sa carrière..

Le puritain Mallarmé,encore tout ébahi des tirades spectaculaires de Baudelaire,n'était pas encore pret à imiter le maître,lequel grâce à une imagination ardente,avait longtemps pataugé dans la fange de la luxure et de la lubricité.

L'ivresses des sens,la rumination des images sensationnelles et pittoresques,la conception d'une poésie qui parle au coeur et à l'intelligence,tout cela n'était qu'un projet en état de gestation dans son esprit ; ;

Le positivisme et ses effets pittoresques,étayés par un idéalisme purement intellectuel,l'imitation abrupte des arts plastiques,avec çà et là,l'introduction d'un parfum d'exotisme lointain et caduc,la rigueur dans l'élaboration de chaque vers,comme un laboureur méthodique qui suit avec une extrême vigilance la symètrie des lignes,tout en y répandant une semence pure et fertile,voilà encore les régles précises auxquelles Mallarmé,au début de sa vie littéraire,avait donné une importance notable,sans toutefois dédaigner de suivre de plus près son humble génération qui se cramponnait,tel un lierre autour d'un arbre suranné,à la doctrine parnassienne...

Ses amis,tels que Léon Dierx,qui sera plus tard élu « Prince des poétes »Catulle Mendès,l'ami de toujours,celui qui savait tout sur Mallarmé L.X.de Ricard,qu'il ne voyait cependant pas toujours,en raison de ses multiples préoccupations liées à son métier d'enseignant, tous avaient pour Mallarmé beaucoup de respect et de sympathie

Ainsi,au milieu de cette foule de poétes,qui s'ingéniaient vainement à se faire prévaloir aux yeux de la masse des lecteurs,Mallarmé,toujours réticent et éperdu,sans pouvoir avoir assez de courage pour rompre la corde ombilicale qui l'attachait à ses amis parnassiens ,poursuivait de temps à autre ses petites productions à la mode du temps...

Cependant H.Cazalis et même V.de Lisle Adam,avaient un jour flairé l'indice d'une défection prochaine de la part de Mallarmé,mais ils n'étaient pas tout à fait sûrs de leur vague intuition et sans manifester de jalousie à l'égard de celui qui évoluait en silence au milieu d'eux,continuaient à entretenir avec lui des relations d'amitié sans ombre...

IV

Le régne et l'influence dominante du Parnasse;

Le Parnasse,comme je l'ai souligné à maintes reprises dans les pages précédentes,est issu,d'une part de l'oeuvre maitresse de Th.Gautier « Emaux et Camées » dans laquelle généralement les poétes du temps avaient largement puisé la technique rigide de la structure du vers ainsi que le goût pour une thématique exotique,liée plus particulièrement à l'univers physique et d'autre part de Baudelaire et spécialement de son chef-d'oeuvre les « Fleurs du Mal »,oeuvre qui a profondément marqué cette jeune génération,d'ailleurs toujours en quête du sublime et du spectaculaire...

Or,ce qui a le plus particulièrement séduit les futurs parnassiens dans l'oeuvre baudelairienne,c'est ce raffinement harmonieux,cette luxuriance verbale,ce déluge houleux d'un monde d'idées fantastiques et universelles..

Les emprunts multiples qu'ils avaient faits alors tant dans l'oeuvre de Th.Gautier que dans dans celle de Baudelaire et leur combinaison parfaite,ont conféré à l'oeuvre parnassienne une haute valeur intellectuelle et pratique,qui lui assuré la reconnaissance de la postérité..

Après le déclin du prestique romantique,qui fut accéléré par les frasques et les fades galimatias de quelques imitateurs maladroits de Lamartine et de Musset,l'essor de l'Ecole Parnassienne semblait à coup sûr assuré,tant par la présence sur la scène de grands poétes philosophes,tels que Leconte de Lisle lui-même,Sully Prudhomme et François Coppée,que par d'autres poétes de moindre importance,mais qui étaient néanmoins très soucieux de la perfectibilité et de la rigueur de la discipline métrique..

Ainsi,cette expansion de la poésie parnassienne,n'était pas,comme on a pu le voir,le fait du hasard,elle était au contraire munitieusement préparée et la transition entre un romantisme en décrépitude et une poésie parnassienne vivifiante et vivace,fut achevée sans trop d'accrocs ou de pénibles controverses,car l'état désuet et moribond du romantisme a rendu plus aisée cette transition qui fut d'ailleurs irréversible pour toute une génération de poéte..Mais la grandeur et la décadence du classicisme,qui continua cependant,telle une âpre obsession,à péser de tout son poids sur l'esprit de cette génération,à tel point que,nourris qu'ils étaient des valeurs impérissables de cette culture et de ces traditions immémoriales,ils restèrent fidélement attachés à l'essentiel des principes de de leur jeunesse,de ces principes qui avaient éclairé l'histoire de la France depuis des siécles et qu'ils avaient eux- mêmes défendus énergiquement contre l'incursion de nouvelles habitudes et de nouveaux dogmes qu'ils jugeaient comme étrangers et nuisibles à l'esprit français..

C'est en effet pour concilier les deux pôles :la préservation des principes séculaires et l'enrichisement continuel de ces principes ;que les parnassiens avaient fondu dans leurs vers l'essentiel des idées classiques ; ;

Les parnassiens étaient certains que leur oeuvre de réforme et de rénovation séduirait le public intellectuel,lequel,de par sa formation,était souvent sujet à cette nostalgie du passé glorieux de la France littéraire ; ;et si l'on va encore plus loin dans notre analyse,nous remarquons que cette fusion-et dans ce cas du moins les parnassiens ne s'étaient pas trompés-a constitué la garantie fondamentale de leur renommée et de leur survie pendant plus d'une décennie tout au long de laquelle ils avaient joui d'un prestige éblouissant...

CHAPITRE QUATRIEME

MALLARME,PIONNIER DU SYMBOLISME

Tu marchais,l'oeil tourné vers la vie étoilée !

Leconte de Lisle

I

Les illuminations de Mallarmé.(Agitation et vision cauchemardesque.)

Une poésie sur le modèle parnassien,oû la peinture des choses vagues,des objets au contour imprécis et les spectacles aux ombres ondoyantes et ténébreuses, hérissée de phénomènes pris dans l'histoire mythique et légendaire30(*) d'un univers révolu,cette peinture à laquelle la poésie parnassienne avait institué des bornes infranchissables s'est avérée pour Mallarmé impuissante à faire sortir la pensée de la sphère étroite oû elle languissait.

La hantise,l'unique objet des soucis constants de Mallarmé,c'était de pouvoir aller au-delà des frontières de cette poésie,harmonieuse et universelle certes,cela est incontestable,mais qui porte inéluctablement le germe de son mal,sinon de sa ruine,à savoir son caractère impassible et hautain,sa nature rigide et ankylosée,qui dénote,selon Mallarmé,une défiance manifeste,une incompréhension réelle du génie humain,sujet à l'émotion,et qui ne pouvait jamais passer outre du langage dans des limites logiques ni non plus de l'expression des souffrances sempiternelles de la condition humaine...

Pendant longtemps et surtout depuis son invitation par l'éditeur Lemerre à participer et à collaborer à la parution de la première série du « Parnasse Contemporain »Mallarmé n'a jamais cessé de se tourmenter par ce problème crucial,à savoir la conception d'une poésie qui dépassât en raffinement et en valeur la poésie des parnassiens...une poésie enfin qui fût le miroir authentique et l'expression vraie des luttes internes que livrait sourdement le poéte moderne contre les affronts du temps et les tourments d'une destinée implacable..

Par une de ces nuits pluvieuses de 188431(*),alors que le vent gémissait et hurlait inlassablement à travers les interstices de la seule fenêtre de la chambre oû il dormait,harassé par une journée de travail routinier au lycée Fontanes,Mallarmé,dans un état d'inconscience totale,s'agitait vertigineusement dans les draps de son lit,alors que son esprit,traversé par des éclairs intermittents,sombrait dans la contemplation d'un point vague,estompé dans les horizons lointains de s rêves extatiques et,comme guidé par une force mystérieuse,il tendit la main,pour s'emparer,dans un effort ultime,de ce point étrange,qui s'est métamorphosé auusitôt en une étoile scintillante,pour disparaître rapidement derrière le rideau nuageux des nuits infinies...

Soudain,dans un sursaut,il s'arracha à son sommeil,et se remémorant ce qui s'était passé dans le méandre de ses rêves fantastiques,il se hâta de déduire qu'il venait justement de saisir la clef de l'énigme,et ces rêves dans lesquels son esprit venait de se baigner,n'était en aucune façon des rêves évanescents,fantasques,dus à un changement latent d'un état psychique à un autre,mais au contraire c'était des rêves à travers lesquels il avait aperçu une réalité concréte,tangible,irréfutable,enfin une image lumineuse qui lui revélât avant de s'éteindre dans les ombres mouvantes des nuits,la solution ultime aux graves préoccupations qui lancinaient son esprit depuis belle lurette32(*)..

Ce qu'il avait senti en réalité,c'était effectivement une illumination ,une illumination divine et mystérieuse,qui ne ressemblât en rien à celle de Pascal,mais une illumination de nature toute particulière,embellie par l'invocation spontanée du visage tourmenté et ridé de Baudelaire,déclamant à voix haute le fameux sonnet « Correspondance »dont l 'écho se prolongeant indéfinément dans les nuits touffues,revenait lentement pour frapper intensément son cervau en feu...

Maintenant que,en cet instant fatidique qui a scellé la carrière poétique de Mallarmé,un nouveau courant est en gestation et s'achemine,grâce à cette vision pittoresque et céleste,vers la concrétisation des aspirations de toute une génération..

Le Parnasse, dont le régne,en dépit des détracteurs,fut très riche,grâce à la prolifération de nouvelles idées et de nouvelles régles pratiques,se replie désormais sur soi-même,pour céder le pas à ce fulgurant météore,qui est le symbolisme.

II

Mallarmé,créateur d'une nouvelle poésie

Plus qu'une innovation,issue d'une révolte intellectuelle tenace,le symbolisme fut une vraie création,une manifestation originale,dans le domaine de la réforme poétique..

Autant que dans le roman,qui s'affranchissait peu à peu du réalisme raffiné et élégant,pour tomber encore sous le coup d'une nouvelle révolution oû le « Naturalisme » est érigé au rang d'une théorie idéaliste et pragmatique propre à assurer son développement et son essor naturels,la poésie,sous l'impulsion opiniâtre de Mallarmé,dépassant toutes les cogitations spéculatives et les déclamations rythmiques des parnassiens,et même s'affranchissant hardiment de la mainmise dominatrice des tirades délirantes d'un Baudelaire,prit un chemin tout différent,profondément illuminé par la clarté radieuse que le futur pionnier du symbolisme avait,au cours d'une nuit mouvementée,entrevue en rêves...

Je me mire et me vois ange !Et je meurs et j'aime

...........................................................................

A renaître portant mon rêve en diadème

Au ciel antérieur oû fleurit la Beauté !33(*)

Ainsi,avec une impression de recueillement et d'admiration,on

assiste à l'ascension majestueuse de Mallarmé de l'imitation creuse et stérile vers la virtuosité poétique,scellée profondément dans le creuset de l'originalité et du génie.

Le rêve qu'il avait eu et qui s'était déployé jusqu'à une dimension universelle,pour atteindre le champ de la réalité vivante,avait pris une forme matérielle et intellectuelle,vêtue d'un habit de lumière pailleté d'éclats d'or...

Jamais dans l'histoire de l'évolution de la poésie,une révolution aussi extraordinaire n'a soulevé autant de controverses paradoxales dans les milieux culturels...

La poésie mallarméenne,par le ton aussi bien que par la sobriété dans le choix des images et des idées,qui n'avaient pourtant rien de surprenant,était largement apprécié par le public,déjà las des fadeurs parnassiennes et des peintures fastidieuses et séches,comme elle fut aussi la cible de toute une foule de critiques,nostalgiques de la tradition,de l'esthétique et de la clarté classiques..

Mais quoi qu'il en fût,le symbolisme,dès son apparition sur la scène poétique,était imprégné aussi bien du parfum romantique qui lui insufflait à certains moments une sève tonifiante et lui donnait,sans l'affaiblir aucunement,un poids de sentimentalité grave et majestueuse que d'un rayonnement musical,oû l'harmonie s'exalte er s'intensifie à mesure que le vers se développe sous nos yeux..

Ces qualités éminentes ou si l'on veut,ces codes vitaux qui étaient scrupuleusement observés dans l'oeuvre poétique de Mallarmé,ont assuré et assurent encore pendant plusieurs générations la pérénnité du symbolisme..

En dépit de l'enthousiasme captieux provoqué  par cette poésie toute neuve au sein d'une population cultivée,qui ne fut guère effrayée par son caractère obscur et abscons,des écrivains et poétes,comme G.Vicaire et C.Mauclair,ont fait paraître une brochure intitulée « les déliquescences d'Adoré Floupette »pour satiriser et stigmatiser les tendances ténébreuses de la poésie mallarméenne.. Ni Mallarmé,ni ses disciples ne furent déconcertés par les assauts cruels de l'envie et de l'ignorance..au contraire,n'éprouvant aucun malaise,ils poursuivaient leur chemin en silence..

Cependant,plus tard,ces poétes,comme leurs acolytes et congénères,se refugient dans le bercail symboliste et s'y accommodent à plaisir jusqu'à devenir les défenseurs les fougueux..

. c'est le commencement du régne du symbolisme et son hégémonie dans le monde littéraire s'affirme de jour en jour et Mallarmé,en dépit de sa sagesse et de sa bonne foi, se trouvait toujours en butte à des assauts croissants d'une critique difficile à amadouer,grincheuse et grognarde,à l'affût d'une proie facile comme Mallarmé,Verlaine et leurs disciples,qui,par ailleurs, s'étaient expressement solidarisés pour affronter de telles attaques virulentes,déclenchées dans le but évident de torpiller leur détermination et par là étouffer à jamais la révolution qu'ils avaient fait naître sur la scène littéraire...

Ce succés incontestable du symbolisme,reconnu même publiquement par es plus farouches adversaires,qui n'avaient rien trouvé de mieux que de s'astreindre obligatoirement à cette nouvelle révolution,ne cessa de s'accroître au fil des jours et des mois,pour devenir après une persistance opiniâtre,un fait authentique,une réalité vivante,qui a étonné,effarouché les plus sceptiques..

De même que Brunetière qui s'est insurgé contre la méthode du roman naturaliste,se joignant en cela à ce censeur fougueux qui est Barbey d'Aurevilly lequel,lui aussi,s'est érigé en adversaire implacable de Zola et de ses disciples,versant sur eux,dans des articles abondants,tout son fiel,de même les critiques,comme je l'ai souligné plus d'une fois,se sont fait un devoir de s'attaquer impitoyablement au symbolisme,en tant que nouvelle doctrine littéraire,préconisant comme dogme essentiel l'obscurité au niveau du sens,et le relâchement de la discipline métrique.

Cet écart ou cette déviation brusque de la voie séculaire traditionnelle,a provoqué en effet l'ire des critiques contemporains qui voyaient,suivant leurs points de vue étroits et hostiles,dans toute réforme en matière poétique,une sorte de conspiration contre la rationnalité et la clarté de la langue de Descartes34(*)..

Cette opposition cependant n'a pas manqué de trouver écho au sein d'une catégorie de lecteurs,qui,intrigués et même ahuris par l'esprit touffu et impénètrable d'un Mallarmé,avaient l'impression comme s'ils étaient rebutés et mortellement blasés par cette nouveauté incongrue..

A ce scepticisme,à cette perplexité,A.Thibaudet35(*) a esquissé la réponse escomptée « Dans la poésie pure de Mallarmé,l'initiative est laissée aux mots,comme dans la mystique du pur amour l'initiative est laissée à Dieu,.Au principe d'un poéme,il y a bien un schème,un ton émotif,un vide réceptif,une disponibilité,comme au principe du pur amour il y a toujours l'individu.Sur ce schème,pour le faire passer à l'être, agissent l'incantation et la magie transfiguratrice des mots,que le poéte convoque et à l'opération de qui il s'abandonne.Mais tandis que les mots débordaient chez Hugo en un fleuve puissant,s'épandaient chez Banville en une rivière facile,ils gouttent chez Mallarmé sous un climat inhumain,forment lentement les stalactites d'une poésie miraculeuse . »

Avant même que le roman réaliste eût acquis droit de cité dans l'univers littéraire,au sein duquel il finissait d'ailleurs par s'imposer,grâce à la détermination d'un Gustave Flaubert et des Goncourt,une horde de critiques malveillants,animés par la volonté de nuire et de détruire l'oeuvre flaubertienne, avaient pris d'assaut le réalisme et de ses partisans,excitant contre eux,dans des articles violents et blasphématoires,toute une fraction de lecteurs naïfs...Mais leur agitation hystérique

n'avait abouti qu'à accroître la faveur universelle pour cette innovation hardie dans l'univers romanesque..

Il en fut de même pour Mallarmé,Verlaine et tous ceux qui les avaient suivis dans le mêm chemin :les attaques continuelles des critiques n'exerçaient aucun effet contraire sur l'enthousiasme febrile de la majorité des lecteurs,qui semblaient s'épanouir,comme dans une béatitude extatique,à la lecture des vers subtils d'un Mallarmé ou ceux capricieux et printaniers d'un Verlaine..Téodor de Wyzéwa,élucidant l'énigme du vers mallarméen et soulignant la portée universelle du sens qu'il véhicule,avait conclu en ces mots    « A chacun de ses vers Mallarmé s'est efforcé d'attacher plusieurs sens superposés.Chacun de ses vers,dans son intention,devait être à la fois,une image plastique,l'expression d'une pensée,l'énoncé d'un sentiment et un symbole philosophique ;il devait être comme une mélodie et aussi un fragment de la mélodie totale du poéme ;soumis avec cela aux règles de la prosodie la plus tricte,de manière à former un parfait ensemble,et comme la transfiguration artistique d'un état d'âme complet »

Ainsi tout comme pour le roman réaliste et le roman naturaliste,incompris d'abord,en raison bien entendu du réseau complexe de leur sens,mais qui avaient fini,après une résistance coriace,par s'imposer pour toujours et qui pésent à présent de tout leur poids dans l'histoire littéraire,le symbolisme,nourri d'une sève juvénile,et comme galvanisé par le génie mallarméen,a creusé sa place dans l'esprit de tous les temps..

Mais ce qui est vraiment contradictoire,et qui se prête au doute,c'est que le symbolisme,comme le Parnasse d'ailleurs,a produit peu et l'on est allé jusqu'à dire que la stérilité du symbolisme serait inhérente congénitalement au type psychique de cette poésie et ne pourrait être imputée à l'absence de génie ou à l'incapacité de reproduction des poétes symbolistes...

Mallarmé,cependant ,dont l'oeuvre est en effet très réduite,en raison précisément,non pas d'une indifférence manifeste à l'endroit de l'écriture poétique,mais à cause probablement de son attachement à la perfection et à la structure de chaque vers,dont la réalisation exige maints efforts et de multiples remaniements,afin de le rendre apte à suggérer le sens voulu...

En ce sens,Paul Valéry,ému devant l'oeuvre mallarméenne,éprouva une sorte d'affinité intellectuelle avec l'auteur de «  l'Après-midi d'un faune »,en qui il trouva les mêmes aspirations et le même goût pour une poésie anti-conformiste ,non-conventionnelle et dont la technique s'est avérée révolutionnaire :

« Ses petites compostions,dira plus tard Valéry36(*) en parlant de Mallarmé dans VariétésII, merveilleusement achevées s'imposaient comme des types de perfection,tant les liaisons des mots avec les mots,des vers avec les vers,des mouvements avec les rythmes étaient assurés ;tant chacune d'elles donnait l'idée d'un objet en quelque sorte absolu,dû à un équilibre de forces intrinsèques,soustrait par un prodige de combinaisons réciproques à ces vagues velléités de retouches et de changement que l'esprit,pendant ses lectures,conçoit inconsciemment devant la plupart des textes »

IV

La poésie obscure de Mallarmé;

L'Ecole Parnassienne qui a coïncidé étrangement avec l'avènement de l'Ecole réaliste,suivie plus tard par l'Ecole naturaliste qui enterra pour ainsi dire le réalisme en tant que doctrine littéraire,avait trouvé sa véritable source dans les principes de la philosophie kantienne,mais que,tant par la souplesse de ses régles que l'étendue de la vision qu'elle se faisait du monde,l'école parnassienne a suscité pour de bon un engouement irrésistible parmi les romanciers du temps,qui ne ne se sont pas empêchés d'inclure dans la composition de leurs romans tout un tas d'idées et de concepts très proches de ceux du Parnasse..

L'impersonnalité stricte dans le style et la structure rigide et massive de la forme,étaient devenus dès lors les crédos irrécusables de ces romanciers et à leur tête G.Flaubert,qui,doué d'un génie incontestable dans l'architecture du tissu des événements romanesques qu'il bâtissait systématiquent au moyen de matériaux syntaxiques solides,s'est appliqué ingénieusement à l'exploitation et au développement des régles parnassiennes dans le roman contemporain..

Mais si la poésie parnassienne avait manifestement et vigoureusement influé sur le roman-tant sur le roman réaliste que sur le roman naturaliste,il n'en fut pas de même pour le symbolisme,lequel,par sa nature et son caractère,n'eut pas d'heureuses repercussions sur le roman..

Il serait cependant nécessaire de signaler que le symbolisme,né seulement pour être appliqué à la poésie,qui se prête aisément à la présentation d'une image brève mais profondément suggestive,à travers laquelle la virtuosité intellectuelle et imaginaire du poéte s'affirme hautement,ne saurait être justement appliqué au roman,dont les composantes et les lois diffèrent largement de la poésie..

Cela nous conduit à déduire que l'usage des signes brefs au point de vue sens,ou symboles,requiert avant tout une compétence et une habileté à toute épreuve..

C'est pourquoi l'on se rend compte que,la performance géniale soit d'un Mallarmé soit d'un Rimbaud,ne saurait être l'apanage de tous les écrivains ou poétes contemporains..

Surtout la structure mallarméenne dans la structure d'un poéme,oû il échafaude tout un système d'idées,jetées habilement çà et là,intentionnellement et même avec parti pris,que le lecteur est invité à enchaîner pour pouvoir reconstruire la cohérence sémantique du poéme..Or cette stratégie audacieuse n'était nullement à la portée d'aucun des poétes contemporains,exception faite pour Rimbaud,qui,en dépit de son jeune âge,a su maitriser génialement les mécanismes secrets de la poésie symboliste..

Cette obscurité délibérée,alors née à la suite d'une révolte contre les banalités et les mesquineries poétiques du temps, ne manqua pas néanmoins de trouver son chemin dans le monde intellectuel ; ;

Mallarmé n'est pas un auteur indéchiffrable,c'est un auteur qui,contrairement à la plupart de ses contemporains qui s'attachaient bassement au trivial,au banal et au facile,s'astreignait forcément à surmonter et à soumettre sous sa volonté les régles et les pratiques abruptes et épineuses..H.de Regnier37(*) qui croyait suivre le même chemin que celui de Mallarmé,mais qui effrayé justement par le style énigmatique de l'auteur de « Un coup de dé n'abolira jamais le hasard » s'écarta de lui et prit un virage plus conforme à la tradition classique ,ne manqua pas toutefois de déceler et de mettre en relief les spécificités de la poésie mallarméenne : »Certes, affirma-t-il dans un de ses articles sur le symbolisme,Stéphane Mallarmé est un auteur obscur.Il le serait par la nature même de son génie qui est tout de transposition,et de symboles,s'il ne l'était pas par le style hautement rationnel qu'il s'est créé en dehors et au-dessus de l'usage ambiant.L'entente avec lui est longue,difficile et délicate ;Il y a dans un vers de Mallarmé tous les éléments nécessaires à sa clarté ;seulement ils s'y trouvent épars,situés au lieu exact de leur utlité pour l 'élégance graphique de la phrase.Il faut apprendre Mallarmé aux dépens de certaines habitudes dont il exige qu'on se départisse envers lui ...Tout être a sa mimique individuelle comme tout esprit ses gestes alphabétiques dont il faut savoir la convention.Tout livre contient une langue à épeler.Qu 'on lise Racine ou Shakespeare il en est ainsi...Il n'est rien d'iilisible à qui veut lire. » Ainsi cette assertion suffit à nous faire croire que Mallarmé,très conscient d'ailleurs de l'âpreté de son écriture,voulait justement faire participer activement le lecteur au processus de découverte.

D'autre part,en s'adonnant consciemment à cette pratique ambiguë et complexe,Mallarmé a amplement rénové la matière poétique,..Etre obscur et ne pas être compris,pour lui,est une nécessité,un honneur que nul ne lui contesterait..Car toute création,quelle qu'elle soit,doit être entachée d'incompréhension et de mystère,sinon elle perd fondamentalement le privilège d'être une création..la banalité n'est pas découverte ou création..

Le sens trop précis rature

Ta vague littérature.

.

Pour lui encore,pour que la chose créée soit durable et éternelle,il faut qu'elle soit enveloppée d'une ombre opaque et impénètrable et il appartiendrait à celui qui voulait découvrir ce mystère,de s'ingénier pour faire dissiper cette ombre,tâche qui n'est pas d'ailleurs du tout aisée. « Les Parnassiens,déclara Mallarmé à J.Huret,prennent la chose entièrement et la montrent..nommer un objet,c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poéme, qui est faite du bonheur de deviner peu à peu..le suggérer voilà le rêve.C'est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole.. »

V

Stratégie et technique de la poésie mallarméenne.

La poétique mallarméenne,qui avait évolué sous l'impulsion d'une nouvelle conception de la poésie,conçue et mûrie depuis longtemps dans le cerveau de Mallarmé,a commencé à voir le jour,lorsque ce dernier,blasé par la platitude obsédante des clichés poétiques,très en usage à l'époque,décida de produire,après de longues nuits d'accouchements pénibles,des piéces qui n'ont aucune ressemblance de près ou de loin avec la production contemporaine38(*)..

La publication dans le Parnasse Contemporaiin des sonnets et des fragments de poémes,conçus et mis au point selon la technique baudelairienne,fut passée presque inaperçue,car,dans la multitude des poétes divers,qui jouissaient plus ou moins d'une grande notoriété dans les milieux culturels et raffiinés,Mallarmé,quant à lui,échoué à Paris,après avoir séjourné,en tant qu'enseignant,dans quelques villes de france,n'a pas encore réussi à attirer l'admiration et la sympathie du lecteur,encore sous le charme dese poétes déjà célèbres,tels que Leconte de Lisle,J.M.de Hérédia ou même F.Coppée..

Mais,quelques temps plus tard,au lendemain de la parution d'une petite plaquette,contenant quelques vers,insignifiants en apparence,mais qui avaient dû frapper d 'étonnement tous les confrères de Mallarmé,tellement la technique que ce dernier avait suivie dans la structure du poéme,tant au niveau du fond que de la forme,était en fait une technique qui s'est caractérisée principalement par l'originalité et l'étendue d'une stratégie esthétique idéale,le poéte de « L'après-midi d'un Faune » est entré de plain-pied dans la gloire39(*)..

Ainsi avec le retour à l'usage de l'alexandrin,système privilégié des classiques aussi bien que des romantiques,Mallarmé répondit à un voeu très cher des traditionnalistes,qui avaient vu dans le laxisme de quelques poétes libertaires,une sorte de rebellion manifeste contre l'une des plus grandes réalisations des siécles littéraires français,ainsi qu'une tentative de destruction de toutes les valeurs poétiques universelles.

De plus,Mallarmé,en réalisant ainsi un style tout à fait personnel et d'une consistance robuste,ouvrit le chemin à toute une une génération qui le suivit avec plus ou moins de succés...

Car la technique mallarméenne,si elle procède par suggestions et analogies,entre les phénomènes extérieurs et son état d'âme,n' a fait qu'accroître davantage l'intérêt et le goût pour tout ce qui est psychologique..

L'exploration de l'inconscient,au moyen d'un lexique et d'une terminolgie réservée jusque-là à des domaines qui leur sont propres,est une tâches des plus ardues et des plus pénibles,tant il est vrai que,plus on pénètre dans les profondeurs intimes de l'âmes,plus on se sent enlisé dans un paysage touffu de vocabulaire biscornu,loin de celui qu'on a jugé pertinemment propre à la poésie conventionnelle..

Ce n'est pas tout,Mallarmé,au début de sa carrière de poéte,n'avait pas l'intuition que ses vers ,à la symètrie ponctuelle,mais au message codifié de manière enchevêtrée à l'extrême,allaient néanmoins exercer un effet incantatoire sur sa génération...Cependant continuant inlassablement de produire de minces fragments,de petits joyaux destinés en vérité à la postérité,il se sent semblable à l'un des « Conquérants » de Hérédia :

...Ivres d'un rêve héroïque et brutal..

Chaque soir,espérant des lendemains épiques ;

Ils regardaient monter en un ciel ignoré,

Du fond de l'océan des étoiles nouvelles..

Mallarmé,grâce à sa méthode si ingénieuse et à sa technique si singulière,il a su conquérir,en si peu de temps,non pas la masse des lecteurs,dont la plupart répugnaient en effet à faire des efforts pour le comprendre,mais tout au moins un certain nombre d'initiés restreint,il est vrai,mais suffisant pour conférer à Mallarmé l'apothéose qu'il méritait..Et pourtant de par son caractère et sa modestie,il n'avait jamais aspiré à cette ascension fulgurante :

Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées,

D'oû l'on tourne l'épaule à la vie,et,béni,

Dans leur verre,lavé d'éternelles rosées,

Que dore le matin chaste de l'Infini..

VI

Mallarmé et les symbolistes contemporains.

Mallarmé entre tous ses confrères,était bien le seul symboliste,le seul qui eût l'idée de faire usage des symboles en poésie..Cette rénovation ou plutôt cette invention en matière poétique avait suscité des controverses et polémiques interminables,si bien que la scène poétque n'était occupée pendant longtemps que des poémes de Mallarmé et ceux surtout de Rimbaud,d'ailleurs toujours absent de la scène.40(*).

Les symbolistes donc et à leur tête Mallarmé,par cette révolte contre tout ce qui est trivial et banal,furent traités d'abord de « Décadents »,terme qui n'avait par ailleurs rien de péjoratif,mais qui supposait pour le lecteur du temps une connotation toute particulière,mais J.Moréas,fidèle mécène des symbolistes et défenseur infatigable du symbolisme,voyant dans ce terme quelque chose de choquant et voulant lui substituer une appellation plutôt rationnelle et moderne ,a eu l'idée géniale de forger et d'opter pour la dénomination « Symbolistes » pour qualifier les nouveaux poétes..

Ainsi le nouveau procédé des symbolistes,si ardu et impénètrable qu'il fût,n'a pas pour autant réduit la poésie à une sphère étroite réservée,comme on a pu le croire de prime abord,à un nombre infime d'initiés,secondés par des clés mises à leur portée pour le déchiffrage et la pénètration parfaite du sens de ce grimoiire poétique,bien au contraire,si mallarmé,qui avait fait des tentatives d'affranchissemebnt et de renouvellement de la poésie,déjà exsangue et épuisée par l'usage excessif des stéréotypes et de fades clichés,fut amené ainsi avec clairvoyance,à enrichir la matière poétique,c'était vraisemmblablement pour répondre à un voeu longtemps exprimé par l 'élite intellectuelle...

La poésie mallarméenne était donc une réforme profonde,une vraie révolution,surgie au coeur même d'un monde littéraire ,oû la platitude des idées,les effusions fastidieuses ,les facilités imbéciles et naïves et enfin le rabâchage sempiternel du même coq-â-l'âne poétique étaient des codes inviolables,des citadelles inexpugnables oû prospéraient aisément toute une foule de poétes ineptes..

D'ailleurs,pour être plus juste,ni Verlaine,ni Rimbaud non plus,n'étaient du nombre de ces déclamateurs insignifiants :Tous les deux étaient en effet au-dessus de ce beau monde,qui ne savait que gribouiller des vers anodins pour les jeter ensuite à une populace inculte et passive.

En outre,Verlaine,grâce à un génie singulier et visionnaire,s'il n'avait pas atteint le zénith au même titre que Mallarmé,il devait se glorifier tout au moins d'avoir accompli une oeuvre éternelle,superbe et savoureuse,par la sobriété et la rigueur expressive,autant de qualités d'ailleurs qui sont l'apanage exclusif de ce poéte vagabond,qui lui assurent l'immortalité et l'admiration des générations successives,comme J.Lemaître qui,avec beaucoup de tact et de pénètration l'a bien affirmé dans l'étude qu'il lui avait spécialement consacrée  »C'était un barbare,un sauvage,un enfant...Seulement,cet enfant a une musique dans l'âme,et à certains jours,il entend des voix que nul avant luii n'avait entendues..Poésie vague,très naïve et très recherchée...la poésie de M. Verlaine représente pour moi le dernier dégré soit d'inconscience,soit de raffinement que mon esprit infirme puisse admettre »C'est ainsi que ce maître de la critique moderne avait si bien percé le secret de cette âme dolente et cynique..

De même ,presque vers le même temps,Ch.Maurras41(*), qui prisait si bien le jeune Verlaine,qu'il jugeait justement comme français de race,n'a pas manqu é de faire écho à ce critique éminent et dans un article émouvant consacré à ce F.Villon du 19 eme siécle,il laissa courir sous sa plume.  »P.Verlaine laisse un grand nom ;mais je ne sais s'il laisse une oeuvre..Il faut garder de Verlaine quelques vers isolés qui sont admirables..Les romantiques réclamaient la liberté de l'art :il l'a pratiquée,lui et d'un zèle sauvage et fou.Il a perdu la langue,abîmé le style et réduit à rien la pensée.D'un si profond dégré d'humiliation,tout esprit généreux n'a pu que rebondir vers la lumière,l'ordre,la force,la grâce virile et les autres disciplines de la beauté. » Et Paul Valéry d'un ton plus affectueux,renchérit de plus belle. »Tout le vice possible avait respecté,et peut-être semé ou développé en lui cette puissance d'intention suave,cette expression de douceur,de ferveur,de reueillement tendre,que personne n'a donnée comme lui,car personne n'a su comme lui dissimuler ou fondre les ressources d'un art consommé,rompu à toutes les subtilités des poétes les plus habiles dans des oeuvres d'apparence facile,de ton naïf,presque enfantin ;Ce naïf est un primitif organisé,un primitif comme il n'y avait jamais eu de primitif et qui procède d'un artiste fort habile et fort conscient. » Et nul mieux que Valéry n'a eu la force intellectuelle de sonder le génie de Verlaine.

Quant à Rimbaud,le petit chenapan qui ne se soumettait à aucune régle ni à aucune discipline,et qui dans sa quête angoissante de la liberté, a dû abandonner sa chère  « Muse » pour se refugier dans des terres lointaines et s'enliser dans des transactions mercantiles plus ou moins louches,ce jeune visionnaire ou si l'on peut dire ainsi,cet habile artisan,ce créateur insoupçonné d'une poésie dont la hardiesse et le pittoresque,alliés à une vraie puissance évocatrice,ne cèdent en rien à celle d'un Mallarmé ou d'un Verlaine,ainsi que l'a si bien défini quelque part le critique Jules de Gaultier «Il a la sincérité du génie.Il n'a pas envisagé la poésie comme un moyen de parvenir.Elle a été pour lui un exutoire du malaise que lui causait la vie sociale.il a cherché à se libérer par elle d'une souffrance physiologique et cette houle déferle à travers les strophes du Bateau Ivre ;c'est une houle intérieure dont le ressac sur sa sensibilité le blessait et qui a trouvé dans l'appareil prosodique un moyen de s'épandre au dehors »

Sa défection de la poésie et sa mort prématurée,étaient autant de pertes irréparables pour l'humanité, « L'homme est en dehors en quelque sorte de l'humanité,et sa vie en dehors et au-dessus de la commune vie,tant l'oeuvre est géante,tant l'homme s'est fait libre,tant la vie passa fière,si fière qu'on n'a plus de ses nouvelles et qu'on ne sait pas si elle marche encore .Le tout simple une forêt,vierge et beau comme un tigre.Avec des sourires et de ces sortes de gentillesses »Qui plus que Verlaine a connu le jeune homme,l'a cotoyé de très près pendant des années pour le sentir très proche de son coeur et de son âme. ?

Rimbaud,pour Mallarmé,est un jeune poéte en cavale,toujours à la recherche d'un idéal qu'il n'a pu trouver nulle part,jusqu'au jour oû,las d'errer dans le vide des déserts ;il échoua tristement sur la grève marseillaise oû,entre les bras de sa pauvre soeur,il expira sans songer le moinsdu monde au vaste héritage intellectuel qu'il léguait à l'humanité ..

La lune s'attristait.Des séraphins en pleurs

Rêvant,l'archet aux doigts,dans le calme des fleurs,

Vaporeuses,tiraient de mourantes violes,

de blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.

On eût dit que Mallarmé,par une invocation prophétique,empreinte de recueillement et de deuil,se laissa guider par une main divine pour lancer cette strophe funèbre sur le jeune disparu..

Cependant,plus la poésie mallarméenne s'estompait dans le temps et dans l'espace,plus sa formule s'assouplissait et s'affinait graduellement pour se plier enfin aux exigences d'une génération de lecteurs,toujours assoiffés de nouvelles diciplines poétiques et d'une nouvelle sève,robuste et tonifiante,susceptible de faire sortir la poésie du bourbier oû elle s'était enlisée avec cette catégorie de poétes anarchistes et médiocres qui écumaient sur la scène intellectuelle.

L'enrichissement de la matière,allié à l'emploi d'une expression pertinente,appuyé sur le recours constant à la pratique d'une métrique profondément enracinée dans la tradition,le tout comme fondu miraculeusement dans un amalgame musical du meilleur ton,pour composer au bout du compte,une symphonie purement virginale qui s'exhale fébrilement dans une ambiance intellectuelle ravie et enchantée ; ;

Telle est,en un mot,la poésie mallarméenne par rapport à cette poésie, monotone ,effroyablement banale et tout à fait dépourvue de toute beauté musicale,qui était en usage à l'époque..

VII

La valeur intellectuelle de la poésie mallarméenne.

.La poésie mallarméenne,par sa nature si limpide et si étincelante,par sa fluidité gracieuse,exerça un envoûtement suprême sur les esprits,en offrant à l'esprit humain universel une sorte de viatique divin,grâce auquel les facultés se revigorent et se retrempent,comme dans un bain aphrodisiaque..

Cette poésie,si elle demeure en effet jusqu'à nos jours inaccessible pour une catégorie de gens,elle n'en demeure pas moins pour nous d'une attraction,d'une fascination étrange,par la magie profonde de chaque strophe qui se dissout insensiblement en un effluve sensuel magnétique..

D'autre part,si Mallarmé,qui était toujours soucieux de la perfection esthétique de ses vers plus que du choix des idées,n'a pas élargi le champ de sa production à l'instar d'un grand nombre de ses illustres contemporains,c'est que pour lui son attachement à la poésie n'a été dicté,non pas par des ambitions matérielles ou des gains pécuniaires42(*),mais plutôt par un esprit d'ameuterisme sans équivoque .

Et d'ailleurs,grâce à ce désinteressement manifeste,à cette indifférence évidente à l'égard de tout ce qui est profit,malgré l'indigence oû il végetait vaillamment,sans jamais oser se plaindre de son état,Mallarmé a pu réaliser,luttant seul dans la tempête et sans aucun secours,la poésie la plus originale et la plus magnifique qui ait jamais été tant au niveau de la forme que celui du fond..

 

Ainsi Mallarmé,par de pénibles efforts intellectuels et des quêtes infinies dans les fonds insondables de l'inconscient,a produit alors une forme de poésie qui fait appel,non pas aux bas instincts,mais en premier lieu à l'intelligence et à l'esprit du lecteur,qui devait naturellement déployer un minimum d'efforts pour pouvoir pénètrer dans la contexture de la pensée mallarméenne et à en dévoiler les profonds secrets,ce qui lui procurera ensuite une jouissance,une satisfaction réelle ; ;

Or un lecteur,habitué pour ainsi dire à consommer sans faire le moindre effort pour percer le secret de ce qui se mijote dans l'arrière-fond de la pensée de Mallarmé,ne saurait,il est vrai,réussir à se familiariser et à nouer des liens d'affinité réciproque entre lui et la poésie mallarméenne,qui a tendance à réquérir d'emblée de la clairvoyance,de la persévérance et un solide bon sens,nourri de volonté infaillible..

Le coeur de Mallarmé est,à bien lire, « L'après-midi d'un Faune » tout étalé sans la moindre retouche dans cette oeuvre maitresse,oeuvre que le lecteur moderne,fuyant d'ordinaire tout ce qui est énigmatique et mystérieux,considère comme une sorte de rébus ou puzzle littéraire impossible à percer,quelque effort qu'on y fasse..

Cette croyance,due en effet à un esprit moins mûr, contribue davantage à élargir le fossé entre Mallarmé et le public..

 La poésie mallarméenne devait être lue,non pas comme la poésie de Lamartine ou même celle de Hugo,au contraire,elle devait être abordée avec la rigueur d'un mathématicien à la recherche d'une solution à un problème ardu...De plus,si l'on ne s'ingéniait pas à comprendre ce que cachait la pensée de Mallarmé,de creuser autant que possible le sens de chaque vers,on n'arriverait absolument pas à apprécier intellectuellement l'apport génial et la valeur authentique de cette poésie...Et par là on afficherait comme tout naturellement une attitude injuste envers ce vétéran de l'esprit symboliste...

Faire appel,par le biais de l'écriture,à l'intelligence et non pas au coeur,comme ce fut le cas pour les romantiques et leurs descendants,cela nécessite de prime abord un effort intellectuel surhumain,une recherche infiniment pénible et angoissante,que nul n'est capable d'assumer..

Mallarmé,tout comme Rimbaud alors au stade des premiers feux de son éclosion poétique,a tenté cette aventure extraordinaire et toute sa poésie,accumulation géniale de sens d'ordre différent ,comme une stratification ingénieuse,avec des idées et des images singulières,est la preuve qu 'elle est conçue uniquement pour répondre aux exigences tortueuses de l'esprit..

VIII

La poésie mallarméenne et la prose de l'époque;

L'ère classique,grâce à ses pionniers puissants de la pensée,est restée de nos jours le modèle de la perfection artistique,le parangon idéal que tout écrivain authentique doit songer à atteindre ou tout au moins imiter ;tandis que l'ère romantique,bien qu'elle ne diffère en rien de celle du classicisme,tant par la surabondance des mouvements de l'esprit que par l'élargissement du champ de la pensée,est regardée par contre comme de moindre importance..

Le classicisme explora ingénieusement et en toute objectivité le coeur de l'homme,aidés en cela par la seule raison comme instrument exclusif à la quête et à l'explication des passions,tandis que le romantisme,qui avait pris le contre- pied du classicisme,érigea en principe fondamental le subjectif,qu'il explora dans les moindres détails,s'épuisant en effusions sentimentales sans bornes,-tout en faisant délibérément fi de la raison..

L'Ecole Parnassienne,en réagissant à la fois contre le classicisme et le romantisme,a brandi hautement le dogme de l'impersonnalité et la peinture objective des choses extérieures,non sans rejoindre en cela le classicisme,qu'elle prétendait par ailleurs avoir répudié irréversiblement..

Cependant,quant au symbolisme qui,après avoir expérimenté la doctrine parnassienne,et l'ayant repoussée comme étant inepte et oiseuse,se lança hardiment dans une nouvelle expérience plus fructueuse et plus originale,du moins au niveau de la structure métrique,qu'il avait enrichie par des modifications substantielles,en libérant le vers de ses contraintes séculaires,tout en approfondissant en même temps l'image du sens, rendue dès lors plus souple et plus fluide par l'harmonie et le rythme..

La poésie parnassienne et la poésie symboliste,s'étant mêlées,sinin confondues dans tout un univers de productions romanesques,complexes et enchevêtrés,se sont cotoyées pour coexister pendant un certain temps,pour finir enfin par se dissocier en deux grands mouvements chacun jouissant de ses propres particularités.

D'autre part,le réalisme,comme je l'ai déjà noté précédemment,ayant atteint l'apogée,grâce au génie de Flaubert,qui s'est attaqué au romantisme,qu'il stigmatisait sans faiblesse pour avoir corrompu le goût des générations,en faisant cependant l'éloge des traditions et des coutumes des sociétés révolues,commencçait déjà,coîncidant avec la chute imminente de l'Ecole Parnassienne,à s'effondrer..

Or les parnassiens et les écrivains réalistes avaient quasiment pratiqué la même méthode de travail :un style rigide,dur,cassant,insensible et se mouvant comme un fleuve dans sa course infernale ;des emprunts systématiques et tous azimuts dans les histoires et les mythologies gréco- romaines et les sociétés disparues,tout cela n'était d'ailleurs qu'un retour au classicisme,qu'ils croyaient ,eux,avoir tout à fait enterré et enseveli dans le passé..

Par contre le naturalisme,dont le vrai pionnier était E.Zola,a contribué,grâce à l'introduction dans la littérature des principes basés essentiellement sur l'expérience scientifique,à l'épanouissement et à l'évolution des méthodes romanesques rigides et étroites..

Le symbolisme qui s'était attaché à modifier radicalement les systèmes poétiques traditionnels,tout en puisant à profusion dans les sources du classicisme,s'est donné comme tâche principale de réhabiliter la poésie,de lui conférer la majesté et la grandeur auguste qu'elle avait perdue,avec le déclin de la période classique,et ce qui est frappant dans cette rénovation,c'est que Mallarmé,comme la plupart de ses contemporains,ne s'est pas empêché d'émailler ses vers de réminiscences à la fois classiques et romantiques,comme si le symbolisme,en tant que bloc monolithique,n'était que le résultat d'une fusion de ces deux tendances universelles

Néanmoins,il reste à dire qu'il est vrai que toute comparaison entre la poésie et le roman est généralement vouée à l 'échec..En ce sens que la poésie a sa propre technique,sa propre stratégie et sa réserve d'idées et d'images,qui étaient loin d'être similaires à celles du roman ; ; ;Et ceci,malgré l'imitation manifestement égale et parallèle des parnassiens et des réalistes de l'antiquité gréco-latine,qu'ils avaient cependant pris comme recours pour esquiver les thémes plats de la société matérialiste contemporaine ; ;

La prose de Zola,des Goncourt et même d'A.Daudet est une prose impeccablement façonnée,ciselée avec la précision d'un joaillier,apte même à rivaliser avec la poésie,qui avait atteint avec Mallarmé le dernier dégré de perfection....

CHAPITRE CINQUIEME

L'ESPRIT ET LA POESIE DE MALLARME.


...Que la vitre soit l'art,soit la mysticité...

Mallarmé

I

La poésie mallarméenne est une poésie exploratrice de la psychologie et de la psychanalyse.

Mallarmé,de par sa propension à vouloir pénètrer dans les intimes recoins de l'âme,et d'en étudier,au moyen d'un style ondoyant et vague ,tous les aspects changeants,eût-il été vraiment un psychologue avisé et sagace,se dissimulant derrière des arguments et allégations poétiques sybillins,échappant toujours à la prise de l'esprit ?Et pourtant la psychologie,chez lui,comme on a tendance à le croire,est un domaine qui ne fait pas parti de sa stratégie poétique,qui est fondé essentiellement sur la magie des mots et de la musique,une musique pleine de pensées obscures et d'idéal pour le moins naïf et singulier.

A vrai dire,c 'est un jugement assez curieux et erroné,qui dénote de prime abord une incompréhension totale de la poésie mallarméenne,car pour le poéte de « Hérodiade. »,être psychologue est une condition première pour être pédagogue et lui,étant effectiivement homme d'éducation,ne saurait ignorer ou faire fi de la psychologie..

C'est,si l'on peut s'exprimer ainsi,un fait impératif que d'être psychologue dans de telles conditions et c'est ainsii que,chaque fois que l'on se penche sur son oeuvre,poémes en vers ou en prose,on a l'impression que l'homme y était tout entier,tellement les éléments moteurs psychiques-surgissant soudain à l'oeil nu-s'élucident et s'éclaircissent spontanément dans notre esprit ,pour nous mettre en présence des phénomènes psychologiques peu ordinaires..

Même les plus infimes parcelles de notre âme étaient mises à nu,à travers un examen munitieux,soutenu par un langage poétique exceptionnel que l'on devait impérativement saisir dans ses tours les plus ambigus..

D'autre part,plus que Baudelaire,dont la psychologie apparemment confondue avec le sens ordinaire du vers,s'exhibe spontanément et sans détours,Mallarmé,quant à lui, à l'esprit sournois et retors,cachant toujours ses pensées derrière un voile de ténèbres,n'a jamais laissé apparaître les diverses composantes psychologiques de sa poésie,qui demeure pour nous intimement et étroitement liée à sa propre vie..

Le problème déconcertant qu'il continue à poser à tout lecteur moderne,d'ordinaire avide de connaître réellement le sens psychologique de cette poésie,si investie de mystères,est un problème avant tout psychanalytique ,un probléme plutôt freudien,en ce sens que Mallarmé,s'étant exclusivement consacré à la recherche de trouvailles ingénieuses dans un univers aussi ténèbreux que cette poésie , qu'il s'était attaché au prix de durs sacrifices,à mettre sur pied,sembla y trouver un malin plaisire à fourvoyer le lecteur dans les méandres de délires viscéraux et des radotages indéchiffrables,qui nécessitent,pour être éclaircis,des facultés puissantes,profondes,initiées aux phénomènes même de l'occultisme..

Plus qu'une psychologie donc,la poésie mallarméenne est un vrai réceptacle d'indices psychanalytiques,dus à des incohérences morbides et des « Divagations » sombres et insaisissables..

Dès lors nul n'a été aussi capable de déchiffrer cette masse compacte de la poésie mallarméenne qu P.Valéry,lequel,grâce à une perspicacité extraordinaire,y a dévoilé un monde psychanalytique aussi étrange qu le monde mallarméen lui-même..car le poéte de « L'après-midi d'un Faune »en produisant ses poémes,pesait avec un soin méticuleux,jusqu'à la manie,la valeur et la portée psychologique de chaque terme,comme s'il entendait préparer le lecteur à des surprises pleines d'angoisses et de graves déboires.

Psychologie et psychanalyse,deux composantes fondamentales de la poésie mallarméenne,dont l'architecture,aussi monumentale qu'elle soit,est intégralement édifiée en fonction de ces critères essentiels43(*)..

Or l'étude psychologique ou psychanalytique d'un vers ou d'une strophe,requiert,en raison de l'enchevêtrement compliqué de la pensée de Mallarmé,un savoir,une puissance intellectuelle infatigable,capable de disséquer et d'analyser le sens de chaque terme ,de diagnostiquer chaque strophe afin de pouvoir dépister les multiples significations qu'elle implique intrinsèquement..C'est ce qu'exige ordinairement la compréhension profonde de la pensée de Mallarmé.

II

Art et mysticisme dans la poésie mallarméenne.

La notion d'art chez Mallarmé est une notion riche de sens...Pour lui,le créateur du poéme « Igitur  »l'art consiste avant tout,non pas dans la transformation du réel en irréel ou vice-versa,mais dans la manière de communiquer le plaisir à d'autres personnes que l'on ne connaît pas mais qui seront très proches de nous,grâce à la magie de l'art..

L'art est donc une tactique,une méthode susceptible de rendre concret ce qui est abstrait,l'inconnu en connu,de changer l'ombre en lumière éclatante...Ce n'est pas là une sorte de prestgiditation,apanage de quelques sorciers des mots qui pullulaient dans le monde des lettres,c'est plutôt une action,résultant d'un effort intellectuel et mental laborieux et profondément enraciné dans la réalité vécue..

Par l'art,ce qui est loin,inaccessible à l'humanité,devient à sa portée et par l'art encore,on atteint à l'ineffable et au divin,par l'art enfin,comme par un procédé d'alchimie,on transforme le beau ou le laid en un phénomène légendaire et en demi-dieu,mais nous sommes dans l'impuissance de réaliser ce grand miracle,un miracle irréalisable en quelque sorte puisque,comme il l'a déjà noté dans une lettre à C ;Mauclair. «Mais ratés,nous le sommes tous,Mauclair !Que pouvons-nous être d'autres ?Puisque nous mesurons notre fini à un infini ?Nous mettons notre courte vie ,nos faibles forces en balance avec un idéal qui,par définition,ne saurait être atteint ! » C'est vrai la vie est courte,mais l'art est difficile !

Et pourtant l'art est toujours là,tout disponible pour ainsi dire à transformer la désespérance et le doute en espoir et la désolation et l'angoisse en allégresse. Dès lors sortir du néant pour atteindre cet idéal qui s'estompe cependant dans les horizons de l'impossible ;rejeter loin de soi le doute accablant pour se baigner avec extase dans la lumière divine :tel est enfinpour Mallarmé l'objectif réel de l'art et dont la réalisation ou la concrétisation effective occupait constamment tout son être .« Mon esprit,écrivait-il encore à C.Mauclair, se meut dans l'Eternel,et on a eu plusieurs frissons ,si l'on peut parler ainsi de l'immuable »

L'art ne doit pas être art en soi et pour soi :l'art rapproche la créature du Créateur et établit entre eux un dialogue permanent..Ce mysticisme,d'ailleurs caractéristique de l'esprit de Mallarmé,et qui était aussi le thème favori de la plupart des symbolistes,occupe en effet une place de choix dans l'oeuvre mallarméenne..et c'est grâce aux régles et à la discipline de l'art,qui,par un cheminement implicite,insuffle dans l'esprit de Mallarmé vigueur et énergie,ce qui lui a permis de surmonter les anicroches et obstacles de toutes sortes inhérents d'ailleurs à la nature même de la production poétique..

Art et mysticisme donc,deux pôles,deux axes rigoureusement définis dans la sphère de l'oeuvre mallarméenne et qui n'en constituent pas seulement le fondement de la charpente générale,mais encore l'essentiel de la pensée poétique de Mallarmé..

Ainsi comme il l'a souligné lui-même dans une des lettres à son fidèle ami Cazalis ;«Après avoir trouvé le néant,j'ai trouvé le beau. » 

La crise religieuse qu'il avait ainsi traversée et dont il faisait allusion ici,est une crise provoquée principalement à la suite de la lecture de l'oeuvre de Renan,dont l'autorité et la puissance avaient si profondément marqué intellectuellement Mallarmé,La crise,dont il se releva d'ailleurs,grâce à sa persévérance,fut cause du déchirement et de l'angoisse qu'il n'avait pas cessé de manifester par d'amples détails dans la majorité de ses poémes44(*)..

Et oubliant presque cette période de tribulation et d'anxiété mortelle,il exprima,se réjouissant ainsi de ce retour au calme comme après le passage d'un terrible typhon,sa nouvelle foi dans la vie ;«La première phase de ma vie a été finie.La conscience,excédée d'ombres,se réveille lentement,formant un homme nouveau,et doit retrouver mon rêve après la création de ce dernier ;cela durera quelquyes années pendant lesquelles j'ai à revivre la vie de l'humanité depuis son enfance jusqu'au moment oû elle a pris conscience d'elle-même »

C'est ainsi que,nourri de la philosophie kantienne,qui s'appuie fondamentalement sur le subjectivisme métaphysique,Mallarmé,en écrivant la plupart de ses poémes,était sous l'emprise de la foi,la foi immuable,la foi en soi et nulle part ailleurs..La connaissance de soi,issue de l'amour de soi,est un cheminement tortueux qui aboutit en fin de compte à l'amour de l'humanité et nul mieux que Mallarmé,parmi les poétes contemporains,n'a exalté avec force l'esprit cosmopolite et l'amour de la race humaine..

Toute sa poésie,si elle s'appuie en quelque sorte sur une extrapolation de l'étude de soi,elle n'en suppose pas moins une vision unverselle de l'humaine condition..

C'est pourquoi il serait inconvenant de prétendre que la poésie mallarméenne est une poésie irrationnelle,illogique et irréelle,complétement indifférente aux souffrances de l'humanité et aux affres de la vie..

Cette prétention,pour injuste qu'elle soit,ne saurait nous faire oublier la portée éminente de cette poésie qui a eu le don,ou plutôt le pouvoir de réveiller en nous le désir de nous connaître et de percer les forces inconnues qui gisent dans le fond de notre être..

Ainsi,pour Mallarmé,la vérité est que,plus nous nous cherchons à nous connaître,plus nous découvrons un monde nouveau,oû la Beauté,cette lumière divine,occupe le premier rang..et c'est de la connaissance de la Beauté que relève l'amour de l'humanité..

III

La vie spirituelle de Mallarmé passe par le culte du Beau.

Plus que Leconte de Lisle,qui s'était énivré jusqu'à l'extase du charme profond de la Beauté,plus que Charles Baudelaire,qui,lui aussi,poussé par une force mystérieuse à sonder les secrets profonds de tout ce qui est beau, s'était attaché corps et âme durant toute sa vie si exaltante,à cette création si divine,Mallarmé du fond de sa retraite intime de la rue de Rome,explorait patiemment le monde envoûtant de la Beauté.

Ce n'est pas la Beauté des classiques,qui voyaient en elle d'abord une inspiratrice esclave !Ce n'est pas la beauté des romantiques,qui,le plus souvent,l'assimilaient à la laideur,la considérant comme un objet matériel périssable..Ce n'est pas non plus la beauté des parnassiens,qui,eux,l'assimilaient à une statue inerte,paralytique ni plus ni moins..

Bref pour Mallarmé la Beauté est un phénomène divin,que l'on devait entretenir avec une douceur extrême et une constante sérénité ;la Beauté est, contrairement aux parnassiens,un être vivant,agissant,une intelligence lucide et immortelle «la terrible difficulté de combiner,dans une juste harmonie,l'élément dramatique hostile à l'idée de poésie pure et subjective,avec la sérénité et le calme des lignes nécessaires à la Beauté .»  

Le culte de la beauté,comme le culte du bon goût en poésie,est une nécessité impérative et absolue.

Car,grâce à elle,la poésie s'achemine de l'état de néant vers la clarté céleste ,vers les profondeurs de la présence surnaturelle..vers l'immanence métaphysique,vers l'Infini et l'immortalité.

Tel un alchimiste habile,qui procède aux transmutations du fer en or,la Beauté,alliée et fondue dans la poésie,galvanise davantage cette dernière et réhausse sa valeur à une création surnaturelle,en lui conférant une haute portée mystérieuse..

Mallarmé,occupé tout le temps par la magie de cet être imaginaire mais sublime et au pouvoir suprêmement incoercible,ne s'est pas empêché de dévoiler hautement le grand secret de sa vie.«J'ai,écrivait-il dans une des lettres à Villiers en 1865,le plan de mon oeuvre et sa théorie pratique sera celle-ci :donner les impressions les plus étranges,certes mais sans que le lecteur n'oublie pas une minute la jouissance que lui procurera la Beauté du poéme et le sujet apparent n'est qu'un prétexte pour aller vers elle.C'est,je crois,le mot de la poésie. »

D'ailleurs,aucun poéte,depuis l'ére des classiques jusqu'à celle des symbolistes,en passant par les romantiques,n'avait adulé,dorloté et adoré jusqu'à l'exreême folie la Beauté autant que Mallarmé,qui la croyait être le réceptacle consciencieux de toute sa puissance et de tout son génie...

La beauté est une flamme qui brûle,qui nuit et qui dévore,mais elle est aussi un doux zéphyr au coeur de la canicule,une bouffée de chaleur dans les jours les plus sombres de l'hiver,enfin la beauté pour Mallarmé est une bouée de sauvetage au moment crucial du danger,un mécène éclairé dans ses méditations poétiques.

Mon âme vers ton front oû rêve,Ô calme sens,

Un automne jonché de taches de rousseur

Et vers le ciel errant de ton oeil angélique

Monte,comme dans un jardin mélancolique,

Fidèle,un blanc jet d'eau soupire l'azur !

 

Mais la Beauté de Mallarmé,ce n'est pas lui qui la crée,loin de là,sa Beauté à lui,est née d'elle-même,immanente,et tel que Dieu,invisible à l'oeil,mais il l'entrevoit néanmoins à travers le réseau inextricable de sa pensée et cherche inlassablement à l'atteindre..

Tel un pygmalion,chaque poéte pourtant invente sa Beauté ;une Beauté qui lui est propre,conforme à son goût et à ses aspirations,pour vivre intellectuellement avec elle,qui le réconforte dans ses moments difficiles et lui inculque le sens de la patience et de la sobriété..

IV

Renan,Taine et Mallarmé.

Deux hommes de talent,tous deux contemporains et amis de Mallarmé,avaient introduit presque simultanément dans presque tous les domaines de la pensée un vraie révolution,une transformation radicale et profonde..

Deux noms,Taine et Renan,aux deux syllabes magiques,passèrent en effet comme deux météores dans la vie intellectuelle de la France de la fin du 19e siécle,qu'ils marquèrent immanquablement de leur empreinte indélébile..

Taine,qui semblait en effet avoir donné inconsciemment une définition quasi exacte du symbolisme,s'est laissé entrainer jusqu'à énoncer que dans tout homme de génie,qui n'est par ailleurs qu'un prototype du sol et de la race dont il incarne la descendance,il devait probablement y avoir « une faculté maitresse »qui illumine et guide les potentialités du génie,lequel, se trouvant constamment sous l'effet des sensations,il s'évertue,par le biais d'un travail d'abstraction continuel,à les transformer en idées..

Cet aspect de la théorie de Taine,qui n'était pas du tout étranger à Mallarmé,puisqu'il en avait déjà pris note durant ses lectures,ne manqua pas de provoquer un véritable tollé au sein de l'élite intellectuelle,qui s'acharna aussitôt à le stigmatiser dans des pamphletes d'une violence inouie..Mallarmé, étant alors un ami lointain de ce philosophe teméraire,n'a pas lui aussi omis de s'insurger contre de tels sophismes..

« Ce que je reproche à Taine,souligna-t-il dans une lettre à Cazalis,c'est de prétendre que l'artiste n'est que l'homme porté à sa suprême puissance,tandis qu'on peut avoir parfaitement un tempérament humain très distinct du tempéramment littéraire..Je trouve que Taine ne voit que l'impression comme source des oeuvres d'art et pas assez la réflexion.Devant le papier,l'artiste se fait ; »

Ce déterminisme inflexible auquel est soumis l'individu,comme la masse du peuple,n'est à mon sens qu'un simple reflet de l'humaine condition..

Généralement-et cela est prouvé par la génétique moderne-l'homme,en naissant,et tout au long de sa vie sur terre,porte en soi les spécificités mentales et physiologiques inhérentes à sa race et l'affirmation de Taine,pour moins neuve qu'elle paraisse d'ailleurs,n'ajoute encore rien à cette réalité indéniable..

Or Mallarmé,tout en admirant Taine pour ce qu'il avait produit de nouveau dans le monde des idées,a laissé entendre néanmoins que la philosophie de Taine,malgré sa pertinence et l'exactitude de ses vues,n'en était pas moins truffée de lacunes,de faussetés de toutes sortes,d'arguments erronés qui n'avaient de fondements que dans l'esprit désinvolte de Taine..

Mais pour atténuer quelque peu la déception que lui avait laissée les idées de Taine,il pensait que Renan,dont les doctrines si multiples et si complexes avaient été propagées largement dans tous les milieux,puisque son oeuvre explore habilement presque toutes les questions qui touchent de près à la vie et à l'homme en général..C'est en effet grâce à lui que le sens du mystère et la soif d'idéal furent réintégrés et répandus dans le monde littéraire et dont le développement ne fut d'ailleurs que l'apanage de quelques esprits de talent..

En outre,ce que Mallarmé semble admirer le plus chez ce philosophe intarissable,c'est son culte de la vie spirituelle,sa foi en la raison et sa confiance dans le progrès,attributs que le génial poéte d'« Un coup de dé n'abolira jamais le hasard »avait vénérés au plus haut point.

L'idéalisme,issu apparemment de la philosophie allemande et en particulier de celle de kant,avait alors éclairé profondément les esprits et réveillé sous son aiguillon énergique les âmes engourdies..pour répandre à travers l'atmosphère si étouffante de cette période poétique en léthargie une fragrance vivifiante et captieuse..

Et Mallarmé,pris dans la houle de ce courant irrésistible,donnait des signes d'exaltation et d'enthousiasme,d'avoir enfin trouvé un nouveau stimulant pour enrichir la substance de sa poésie..«Si tu savais,écrivit-il alors dans une lettre à Emmanuel des Essarts,que de nuits désespérées et de jours de rêverie il faut sacrifier pour arriver à faire des vers originaux..ce que je n'avais jamais fait jusqu'ici,et dignes dans leurs suprêmes mystères de réjouir l'âme d'un poéte »Mallarmé n'aspirait à rien d'autre qu'à l'originalité :se libérer tout à fait de tout cet héritage culturel énorme,il est vrai,qui pésait lourdement sur sa pensée, et produire une oeuvre qui ne devait rien à aucune oeuvre antérieure ou contemporaine,une oeuvre enfin purement et foncièrement mallarméenne :telle était en vérité la hantise perpétuelle de Mallarmé 

V

La pensée de Mallarmé véhiculaire d'une nouvelle philosophie de la poésie.

Le séjour de Mallarmé en Angleterre lui fut-il d'un profit inestimable ?Oui,c'est possible-car à travers l'examen de son oeuvre du moins celle du début de sa carrière-nous avons eu l'occasion de percevoir des réminiscences certaines de quelques poétes anglais.

T.S.Eliot,dont l'originalité a dû frapper tous ses contemporains,a évolué cependant dans l' oeuvre mallarméenne,soit en prose soit en vers,vers l'abstraction et de là vers la pureté exclusive,qui,exquise et profonde dans sa nature immanente,se déploie spontanément à travers chaque vers d'Eliot.

Mais l'oeuvre la plus marquante,celle qui était surtout en vogue à l'époque oû Mallarmé séjournait à Londres, fut sans conteste «la philosophie de la composition » de Poe,dont le génie extraordinaire,avait séduit Mallarmé dans sa prime jeunesse,qu'il avait lu et relu dans la traduction impeccable de Baudelaire et qui a continué encore plus tard à exercer sur lui une influence bénéfique à plus d'un titre..

Par cette oeuvre notable,Poe a marqué à son insu un nouveau tournant dans la technique de la poésie..

Pour Mallarmé,cependant,ce petit livre,qui fut d'ailleurs son vade-mecum,au même titre que «Les fleurs du mal »au temps de son amateurisme était déjà dépassé dans ses plus grandes parties par les événements..

De plus,Mallarmé se souvenait merveilleusement avoir recueilli du temps qu'il était encore un fervent adepte des parnassiens quelques notions similaires à celles de Poe,tant au niveau de la technique du vers que de la fusion de la matière dans la chaîne expressive,dans une oeuvre,non moins importante,d'un certain conteur italien Francesco Paluzzi «La Bella Poetica 45(*)»traduit en anglais,dont il releva comme d'instinct la citation qui amplifia largement sa vision de la nouvelle poésie«It is not,in short,the story which is the essential feature of poetry,but the verse »Cette idée fulgurante marqua à jamais le jeune poéte qui s'absorbait chaque jour davantage dans ses profondes méditations à la recherche d'une explication à cette citation qu'il avait prise pour un aphorisme miraculeux et à partir duquel il s'acharnait à trouver une nouvelle conception de la poésie,pour éclairer celle-ci d'une nouvelle lumière et la faire sortir de l'état de marasme intellectuel oû elle se trouvait...

D'ailleurs ce n'est pas seulement cet auteur italien qui lui a ouvert la voie vers de nouveaux horizons..c'en est encore un autre,anglais cette fois,Walter Pater,qui,composant un essai sur Winkelman,il insinua que la poésie est « All litterary production which attains the power of giving pleasure by its form as distinct from its matter » auquel venait s'ajouter l'opinion hardie de Margeret Gilman dans son ouvrage ayant pour titre évocateur :« The Idea of Poetry in France from Houdar de la Motte to Baudelaire » « Poetry ,suggéra-t-elle alors, which found not only a balance between form and content but a fusion of the two into one ».  

A son retour en France,il entreprit dès lors d'enrichir davantage son expérience et d'élargir sa vision d'une nouvelle stratégie de la poésie--passant outre de l'idée qui affirme que « the sublime and the pathetic are the two chief nerves of all genuine poetry »,il tâcha d'explorer l'essence même de la poésie,d'y sonder les abîmes,d'y fouiller dans les profondeurs tortueuses,de péser chaque terme et d'analyser scrupuleusement chaque théorie,en quête des assertions et arguments probants ,susceptibles d'éclairer suffisamment l'opinion de Mme de Stael qui déclarait à l'occasion de son étude magistrale sur les poétes allemands. «Les beaux vers ne sont pas de la poésie...il faut pour concevoir la vraie grandeur de la poésie lyrique,errer par la rêverie dans les régions éthérées,oublier le bruit de la terre en écoutant l'harmonie céleste et considérer l'univers entier comme un symbole des émotions de l'âme. ».Cette affirmation franchement originale à une époque qui évoluait alors sensiblement vers un romantisme dominateur,a largement contribué à consacrer et à consolider la vision de Mallarmé qui ne s'est pas encore empêché d'être encore vivement ému à la lecture de cette définition de la poésie donnée toujours par la même Mme de Staël,grande pionnière du romantisme « Une possession,écrivit-elle encore dans son excellent ouvrage intitulé De l'Allemagne ,momentanée de tout ce que notre âme souhaite ;le talent fait disparaître les bornes de l'existence et change en images brillantes le vague espoir des mortels. » 

Ces importantes idées ont éclairé la pensée de Mallarmé qui tendait à la découverte d'une stratégie d'une nouvelle poésie pure, une poésie qui se produit et se fait elle-même,nourrie de la sève de l'inconscient,qui est en effet le siége authentique de toute poésie révolutionnaire ; « Ce n'est point,écrivait-il à son ami Degas,avec des images,mon cher Degas,que l'on fait des vers.C'est avec des mots. »Et Degas,qui n'avait pas pénètré le sens de cette nouvelle philosophie répondit,l'air déçu.«Votre métier est infernal.je n'arrive pas à faire ce que je veux et pourtant je suis plein d'idées. »   

Le vers est tout ;le poéme en tant que forme,abstraction faite de son contenu,est ce qu'il faut faire..

Le fond s'épuise,se disloque et se disperse avec le temps,alors que la forme demeure aussi dure que le marbre et ne se désagrège jamais..Cette sorte de doctrine,qui préconise en poésie l'architecure du vers,sa solidité et sa consistance,sans donner la moindre importance aux matériaux au moyen desquels cette architecture fut réalisée est une doctrine vouée à l'échec et faite absolument pour s'annihiler d'elle-même..

Car pour Mallarmé,le vers n'a de sens ou de signification formelle que lorsqu'il renferme en soi autant d'idées qu'il est possible,puisque de la structure solide du vers dépend en premier lieu le sens du message exprimé-autrement ce ne serait pas de la poésie,ce serait plut$ot un jeu ,une sorte de facétie pour se distraire et rien de plus46(*)..

VI

La vision cosmique et morale de la poésie mallarméenne.

Mallarmé,à la suite de son maître Baudelaire,considère que le monde n'est perfectible que par le moyen de l'art,seul et unique instrument susceptible de prévaloir le prestige du Beau et du Bien,sur le Mal et la Laideur..Or le monde d'ici-bas,hérissé des maux de la terre,pouvait se purifier et s'épanouir dans sa plendeur originelle,grâce au génie du poéte,qui manipule habilement l'art ainsi que les autres outils de perfectionnement de la société..

Dans la période allant de 1851 à 1852,Baudelaire éprouvait grandement ce besoin impérieux,en affirmant,à la suite d'une crise hystérique ,que toute espérance,toute foi dans le futur,bref dans un au-delà inconnu,réside aussi bien dans sa purification morale que dans sa régénération spirituelle. «Faire tous les matins,écrivit-il dans ses journaux intimes,ma prière à Dieu,réservoir de toute force et de toute justice,à mon père,à Manette et à Poe,comme intercesseurs. ».Mallarmé,au temps de sa pleine maturité intellectuelle,en lisant cette confession,si insignifiante et banale fût-elle,comprit aussitôt que son maître,loin d'avoir été superstitieux et naïf,tendait effectivement à la perfection morale et divine.

 De plus,il s'avérait que,à l'occasion d'un article écrit sur« Pierre Dupont » Baudelaire condamnait énergiquement « La puérile utopie de l'école de l'art pour l'art » pour avoir exclu de la poésie la passion et la morale et ,prenant le contre-pied de ces poétes utopistes,il exalte avec une ferveur inattendue « l'idée de la vertu et de l'amour universel «  tout en s'insurgeant en même temps contre ces poétes hellénistes qui se dévouaient trop délibérément à la peinture de la passion et de la morale du temps révolu et de l'ère paienne..C'est en effet dans cet ordre d'idées que Mallarmé a entrepris -du moins pour un temps-de se lancer sur les traces du maître..Et repoussant trop dédaigneusement les préceptes et dogmes tant respectés de l'école de l'art pour l'art,il conçut une poésie,non pas pragmatiquement utilitaire,mais une poésie qui,visant à réformer le monde,tant sur le plan moral qu'intellectuel,s'élevait au-dessus de toutes les considérations matérielles viles.«C'est un genre assez nouveau que cette poésie oû les effets matériels du sang,des nerfs sont analysés et mêlés aux effets moraux de l'esprit et de l'âme » 

Cet univers poétique,de lumière et de sons,né dans les creux obscurs de son âme énergique,émergea à la surface sous forme d'inspiration divine et l'on assiste à la fois ému et ébaubi -à une transfiguration idéale et éthique en même temps dans l'espace physique que psychique-transfiguration dont le seul mérite est d'élever le sens du bonheur au rang d'une valeur vitale,céleste et sacrée,inséparable de celle du rêve et du beau,ne s'affirmant et ne se confirmant que par le biais du rêve,né et entretenu dans les sein de cette nouvelle poésie..

Ainsi,bien que Mallarmé se fût montré plus d'une fois fort réticent à l'égard de la religion,qu'il condamnait comme illusion et mystification,une religion nantie du pouvoir aveugle et de la tyrannie de réduire et d'aliéner l'esprit humain,tout en suggérant toutefois un autre substitut plus salutaire,à savoir la puissance divine de l'art,qui agit plus bénéfiquement sur les esprits dans le dessein de les parfaire jusqu'à atteindre un idéal plus sublime..

La perfection morale ou le dépassement de soi était le but essentiel-sinon exclusif-de Mallarmé,qu'il joignit en particulier à celui de perfection artistique et esthétique,qu'il n'aurait pu dissocier du premier. 

«Malheureusement,affirma-t-il dans une lettre écrite à Cazalis en avril 1850,en creusant le vers à ce point,j'ai rencontré deux abîmes qui me désespèrent :l'un est le néant auquel je suis arrivé sans commande ,l'autre le bouddhisme et je suis encore trop naïf pour pouvoir croire même à ma poésie et me remettre à un travail que cette pensée écrasante m'a fait abandonner » Ainsi la recherche du perfectionnement artistique le conduisit inéluctablement à un désespoir que l'on pouvait qualifier à juste titre de métaphysique.

Plus il cherche à atteindre la perfection,plus son désespoir s'accroît indéfinément,pour aboutir en fin de compte à un vide absolu,à une inanité cruelle,très proche de l'effondrement total,dont nul ne pouvait déceler les vraies motivations..

A certains moments de sa vie,lorsqu'il entreprenait à purger pleinement son être de tous les vices congénitaux et de toutes les tares physiques apparentes ou latentes,il entrevoyait avec horreur le néant,la vanité de tout travail et l'ombre vague de la religion l'enveloppa d'un suaire terrible,étouffant, mortellement asphyxiant,à tel point qu'il se mit a songer à embrasser ,à l'instar de Leconte de Lisle,la nouvelle religion bouddhiste,comme substitut à la religion chrétienne,qu'il ne trouva pas tout à fait à son goût ni conforme à son esprit,que hantait perpétuellement le culte de l'art.47(*)

De plus,ce qui avait vraiment conduit Mallarmé à une crise morale aiguë,c'était sa santé ,en état de délabrement continuel,qu'il dédaignait par ailleurs de ménager,absorbé qu 'il était par un labeur physique intense,tiraillé par un dilemme angoissant,entre la résignation à un état moral naturel et l'insurrection intellectuelle contre cet état stationnaire,ce qui lui aurait permis précisément d'y apporter une transformation totale,apte même à parfaire l'humanité dans son ensemble.

La mort soudaine de son grand-père48(*),qu'il adorait et aux obsèques duquel il avait assisté,le plongea davantage dans un deuil infini-Pire encore,la maladie de Baudelaire,atteint depuis belle lurette de faiblesse de coeur et déjà d'une santé fort chancelante,acheva pour de bon de l'anéantir moralement et psychologiquement..

Ses tourments,aigris par un pessimisme sombre,durèrent jusqu'à la fin de 1866,pour atteindre un point culminant ,au point de croire que sa fin était imminente.

C'est dans ces circonstances terribles,qu'il a eu l'impression qu'une vision étrange d'une poésie purifiante,a fait jour dans soin esprit,telle une étincelle éblouissante qui a balayé d'un seul coup tous les maux tragiques dont il souffrait..

Cette vision lumineuse ,surgie en effet au sein de son esprit défaillant,et qui l'a libéré de l'état de désespoir oû il était,nous rappelle en quelque sorte l'impact spirituel qu' a exercé sur lui la théorie hégélienne ; ;mais Mallarmé,à en juger par sa position vis-à-vis du philosophe allemand,était moins enclin à reconnaître fermement son influence,d'ailleurs évidente dans la plus grande partie de son oeuvre..Il affirma au contraire que,c'est grâce à sa sensibilité aiguë,à son intuition pénètrante,qu'il a été amené à forger une nouvelle forme de poésie universelle et dans ce sens,il écrivit en 1867,à villiers de Lisle Adam : « J'avais,à la faveur d'une grande sensibilité,compris la corrélation intime de la poésie avec l'univers,et,pour qu'elle fût pure,conçu le dessein de la faire sortir du rêve et du hasard et de la juxtaposer à la conception de l'univers :malheureusement,âme organisée simplement pour la jouissance poétique,je n'ai pu,dans la tâche préalable de cette conception,comme vous,disposer d'un Esprit--et je vous confie que je suis arrivé à l'Idée de l'univers par la seule sensation(et que,par exemple,pour garder une notion ineffaýçable du néant pur,j'a dü imposer à mon cerveau la sensation du vide absolu..Le miroir qui m'a réfléchi l'être a été souvent l'horreur... »

 Pour Mallarmé,le monde,en tant que phénomène naturel,ne présente rien d'autre que ruine et désastre ...Cette idée est par ailleurs mitigée par une disposition quasi instinctive de vouloir réformer tout ,ce qui l'a conduit au bout du compte à insinuer sans oresque réfléchir : «Le monde est fait pour aboutir à un beau livre. »

De quoi serait-il fait ce beau livre ?Serait-ce par le tragique,l'horreur des séquences et des contingences dont son esprit était constamment obsédé ?

Ou encore il serait beau par cet amas de visées presque intuitives relatives au perfectionnement de la race humaine ?

D'ailleurs,notre monde est-il perfectible Se laisse-t-il enfin se décharger du fardeau des maux qui l'accablait au fil des siécles ?Quoi qu'il en soit ce «beau livre »n'est en vérité qu'une utopie,une vision idéaliste qui s'effrite aussitôt avec l'apparition de la réalité absolue,car ce n'est ni Hérodiade ni non plus l'Après -midi d'un Faune n'avaient porté en eux les germes de la purification de l'humanité..

Mais,toutefois,si l'amélioration du monde s'avérait effectivement impossible,la théorie hégélienne à laquelle Mallarmé croyait indubitablement et d'après laquelle l'Idée logique comme un mystérieux absolu se dissoudrait et se transformerait en l'univers,au lieu de s'isoler comme Dieu,dans la providence duquel d'ailleurs Mallarmé ne croyait absolument pas..Or cette Idée logique,telle une semence dans un jardin inculte,pouvait donner ses fruits et parfaire l'amélioration morale du monde.Dans une une interprétation de la pensée hégélienne,le philosophe Bénard a fait remarque que « Dieu lui-même se fait homme,le Dieu qui se sait,à la fois individuel et universel...L'être universel ne se manifeste pas seulement dans la personne du Christ mais dans l'humanité toute entière...ce développement de l'absolu qui se contemple ainsi dans le monde moral sans sortir de son essence est la paix,l'harmonie,de l'esprit avec lui-même dans son objectivité »Le monde deviendra poétique,lorsque avec le temps,l'Idée du Bien et du Beau s'ancre et s'enracine dans le sol stérile de l'humanité..et l'homme qui aspire toujours à la libération de soi,au réconfort et à la jouissance,loin de la douleur et du mal,réalise par son génie divin .« la coorélation intime de la poésie avec l'univers »l'homme dès lors ne fera plus partie de l'univers,mais il y sera absorbé,tel le fini dans l'infini,selon la pensée pascalienne..C'est également là la vraie hantise qui n'a pas cessé de tourmenter Mallarmé.«C'est,écrivit-il encore à Cazalis dans une lettre datée du 14 mai 1867,c'est t'apprendre que je suis impersonnel,et non plus Stéphane que tu as connu--mais une aptitude qu'à l'univers à se voir et à se ressentir     

à travers ce qui fut moi.. »Ainsi,pour Mallarmé du moins,le devoir de l'homme,comme de sa destinée,est de lutter,de lutter afin de pouvoir se rapprocher le plus près possible de l'impossible idéal de pureté,représenté par Igitur dans « Un coup de dés.... » ;c'est pour cela que,dans la poésie mallarméenne,telle la fusion du fini avec l'infini ou le temporel avec le spirituel--le sujet est confondu avec l'objet,sans pour autant provoquer de confusion au niveau de l'Idée,puisque,en dernier ressort,le sujet est toujours Mallarmé lui-même ou à plus forte raison le poéte qui s'identifie à tous les autres poétes et par là à l'humanité entière..

VII

Grandeur et décadence de la matière poétique dans l'oeuvre de Mallarmé ;

Dans les stances de « l'après-midi d'un Faune » la fureur du désir est en quelque sorte tempérée par une certaine pureté métaphysique et dans toute la piéce,on y sent malgré tout,le parfum,un parfum obsédant de sensualité et de luxure,le tout enrobé cependant dans le voile immaculé d'une « ingénuité » toute féminine...«Oui,je le sais,écrivait Mallarmé à son ami Des Essarts,nous ne sommes que de vaines formes de la matière,mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme,si sublimes,mon ami,que je veux me donner le spectacle de la matière ayant conscience d'être et,cependant s'élançant forcénément dans le rêve qu'elle sait n'être pas,chantant l'âme et toutes les divines impressions pareilles,qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges et proclament devant Dieu qui est la vérité,les glorieux mensonges. ».

Transformez l'essence de la matière en quelque chose de vivant,c'est tuer l'esprit,le vrai esprit, :la matière reste matière,toujours constante et invariable,fragile et malléable,soumise à la puissance dominatrice de l'esprit..

L'avenir est à l'esprit et non à la matière..L'esprit survit à toutes les calamités de la terre,mais la matière,bien qu'elle renaisse perpétuellement de ses cendres,finira un jour par s 'éteindre une fois pour toutes..

Mallarmé a-t-il fait l'éloge de la matière dans son oeuvre ?Oui,certes,la matière,en tant qu 'élément vital dans la structure de l'oeuvre mallarméenne,y occupe la place fondamentale..

La matière en tant que sujet du thème ou même en tant qu'objet visible,tangible,reconnaissable dans la masse compacte du poéme,cette matière a commencé à perdre son privilège,lorsqu'une nouvelle dominante,le rêve pur et absolu,apparut,pour se substituer de force à la matière initiale,en faisant reculer les frontières des affres de l'existence ,de l'agonie de l'âme,de la soif de la chair et du mortel ennui..

La matière et l'esprit,comme le corps et l'âme,deux grands pôles deux grands piliers confondus eu un qui supportent éternellement la charpente de l'oeuvre mallarméenne..

En conséquence,plus la matière perd de son prestige et de son rayonnement,plus l'esprit du vers se dégrade sensiblement,s'érode,s'élime,s'effiloche comme un morceau d'étoffe criblé de mites et perd tout sens réel...

C'est évidemment pour cela que,dans l'ensemble de l'oeuvre,l'on s'est rendu compte plus d'une fois de cet équilibre génial,qui se trouvait entre la matière d'une part et l'esprit de l'oeuvre.de l'autre part. «Il n'y a pas de forme qui ne soit le reflet du fond .» Valéry,avec tact et sagacité,avait saisi le sens de cette cohésion,de cette cohérence intime qui constituait en un tout indivisible l'oeuvre de son Maître..

Mais,si l'on est certain que l'oeuvre est édifiée selon cet équilibre infaillible,cette union indissoluble et indissociable ,l'on constate d'un autre côté,en raison de la complexité des idées et de leur ennchevêtrement incroyable,impossible en effet à dissocier de l'ensemble monolithique de l'oeuvre,le régne de la matière,cependant,pouvait dans certaines limites être réduit pour permettre à l'esprit d'étendre davantage son envergure.. « Rien n'est peut-être allé si loin que « l'Après-midi d'un Faune »dans la poésie pure »A.Thibaudet était ainsi conscient que plus la matière est réduite,exiguë et presque nulle,plus la poésie est pure,claire et fluide et cela nécessite à priori un esprit profond,abstrait,ouvertement en avance sur le temps..

L'esprit d'un vers véhicule impérativement un sens réel ou irrée(la matière)dont il est impossible de se passer..car pour Mallarmé .«Le hasard n'entame pas un vers,c'est la grande chose .» et le vers ne sera vraiment pourvu de sens que lorsqu'il est suffisamment nourri d'idées..Et pourtant pour Valéry,disciple ardent et fils spirituel de Mallarmé «Un très beau vers est un élément très pur de poésie »C'est que plus l 'élément matériel ,au niveau des idées cela s'entend,est en quelque sorte aménuisé,anémique et exsangue,plus l'expressivité du vers,au lieu de se révéler par voie de conséquence foncièrement insignifiante,apparaît au contraire dans sa pleine maturité et sa force.«Je ne transcris pas,je construis..,déclara fermement Alain Robe Grillet dans son principal ouvrage « Le Nouveau Roman »C'était déjà la vieille ambition de Flaubert :bâtir quelque chose à partir de rien,qui tienne debout toiut seul sans avoir à s'appuyer sur quoi que ce soit d'extérieur à l'oeuvre.C'est aujourd'hui l'ambition de tout roman. »Et Mallarmé grâce alors à un génie sensible et profond, est parvenu à réaliser tout un chef-d'oeuvre monumental à partir non pas d'un rien ,mais à partir du Néant,..faisant des remontrances à Des Essarts,il écrivit en 1863 dans une lettre à Cazalis. « Il confond trop l'Idéal avec le Réel.La sottise d'un poéte moderne a été jusqu'à se désoler que l'action ne fût pas la soeur du rêve !Emmanuel est de ceux qui regrettent cela .Mon Dieu,s'il en est autrement,...Le rêve était aussi défloré et abaissé ,oû donc nous sauverons-nous ?Nous,nous autres malheureux,que la terre dégoûte et qui n'avons pas le rêve pour refuge.Mon Henri,abreuve-toi d'Idéal,Le bonheur ici-bas est ignoble ;il faut avoir les mains bien calleuses pour le ramasser.Dire  « Je suis heureux »c'est-à-dire « je suis lâche » et plus souvent « je suis niais »car il ne faut pas voir au-dessus de ce plafond de couleur le ciel de l'Idéal ou fermer les yeux exprès. »Pour Mallarmé,comme pour la plupart des symbolistes,le rêve une matière fugace er vaporeuse,est le thème principal d'une poésie magnifique... 

Par le rêve,comme par l'illusion dont on se trompe expressément soi-même,pour nous faire croire qu'on vit un instant de cette félicité paradisiaque,mais illusoire et fugitive ;par le rêve enfin,on entretient en nous ce monde de bonheur que mallarmé cherchait ,dans son esprit,à matérialiser et à rendre réel et tangible,pour pouvoir le vivre,le sentir plus intensément le plus longtemps possible ; ;

VIII

Mallarmé était-il prophète ou mage ?

Avant de clore ce chapitre,on est en droit de s'interroger :Maalarmé était-il prophète ou mage ?Naturellement il ne l'était ni l'un ni l'autre ; ; !Car s'il l'était effectivement,la poésie mallarméenne aurait été tout autre,une poésie moins raffinée,moins exaltante,moins euphorique et surtout moins pure,de la pureté d'un ciel sans nuages ou celle d'une plaine fleurie,parsemée gaiement de rosées étincelantes ; ;

Toutfois,la poésie mallarméenne renferme en son sein le sens d'une prophétie et cette prophétie réside en effet dans le choix qu'il avait fait peut-être d'instinct de cette nouvelle percée dans le monde de la poésie,un choix juste,dû à une inspiration divine..Car la rectitude,l'exactitude rigoureuse de cette nouvelle poétique n'a pas été le fait du hasard...c'est un choix basé en premier lieu sur des facteurs concrets et solides,sur sa capacité de voir plus loin et sa perspicacité de percer les secrets de l'avenir..

Aucun poéte français,depuis la Renaissance jusqu'à nos jours,n'avait senti en lui cette faculté mystérieuse , pour prévoir et sonder intelligemment et intellectuellement le futur proche et lointain..

Cette faculté mystérieuse,siége de toutes les visions et de tous les augures,s'affirme de jour en jour,pour devenir chez Mallarmé,une vraie puissance,tendant à réformer et à purifier l'humanité de ses maux,de toutes ses impuretés infectes,de toutes ses deviations tortueuses,afin de la transformer en une humanité plus humaine,au sens propre du mot,plus pure et plus radieuse,jouissant pleinement du bonheur terrestre sans faiblesse..

D'un autre côté,Mallarmé,en s'attachant à réformer l'humanité par la poésie,aussi bien que par l'art,stigmatisant tous les phénomènes religieux,qui,selon lui,surchargent,obstruent et entravent les facultés humaines,prone en revanche l'amour sans contrainte,surtout l'abus des contraintes religieuses et morales,qui sont à ses yeux d'une nocivité effrayante,car au lieu d'affermir les âmes,de les orienter vers le Bien et le Beau,détruisent au contraire toutes aspirations vers l'idéal,provoquent des conflits internes et par là sapent tout altruisme humanitaire...Victor cousin rejoint dans ce sens le maître du symbolisme,lorsqu'il affirme en connaissance de cause que toutes les doctrines,de quelque nature qu'elles soient,ne sont efficaces qu'en elles-mêmes et pour elles-mêmes.«De la religion pour la religion,de la morale pour la morale,de l'art pour l'art. »Rien en effet ne pouvait être utile à l'humanité..Tout n'est utile que pour soi et cela s'applique aussi bien pour la race humaine que pour les doctrines contemporaines..

Mais,Mallarmé en tant que poéte très conscient de sa haute mission,ne se laissa pas faillir à son ultime devoir,qui est de permettre à l'humanité de vivre dans une ambiance universelle pure et confortable,grâce à la floraison d'une poésie pas tout à fait utilitaire au sens pratique du terme,mais une poésie spirituelle,intellectuelle,psychique,capable de relever l 'humanité de son accablement perpétuel.«O que j'aime bien mieux la poésie pure,les cris de l'âme et les élans soudains et puis les profonds soupirs,les voix de l'âme et les pensées du coeur. » G.Flaubert,qui n'avait pas autant que Mallarmé cette force sublime,qui vous pousse malgré vous à instaurer le régne du bonheur et de l'amour,par le moyen d'une poésie intelligente et suprêmement humaine,se résigna à contempler de loin l'essor de cette oeuvre infiniment riche et exaltante..

Ainsi pour qu'il parvînt à concrétiser cet objectif fondamental,à savoir la réalisation d'une poésie de bonheur et de merveille éternels,Mallarmé s'occupa même de l'alchimie et de l'occultisme,qu'il avait considérés comme des sciences,susceptibles de résoudre certains problèmes métaphysiques49(*) attachés à la condition humaine..

Il est allé jusqu'à faire état,dans quelques-uns de ses fameux poémes,du mythe du soleil50(*) :

Car j'installe, par la science,

l'hymne des coeurs spirituels,

Et l'oeuvre de ma patience, 

Atlas,herbiers et rituels...

Ce mythe solaire semble établir des rapports plus intimes entre le poéte et sa « Muse » ;

Dans les « Dieux antiques » Mallarmé a montré comment les dieux et les héros,métamorphosés en un seul dieu soleil,représentant de l'homme dans ses aspirations,ses succés et ses déboires,éclairaient la voie à l'humanité entière dans son ascension vers la béatitude infinie ,céleste..

Ainsi,l'homme,une fois purifié du reste de la matière,aura le privilède de flâner gaiement dans un havre céleste,que nul ne connaît  et qu'il définit comme « La terre des hyperboréens qui ne connaissent ni jour ni nuit,ni orage,ni la sécheresse,ni la mort ;mais vivent joyeusement parmi de beaux jardins,oû les fleurs ne se fanent et ne disparaissent jamais .»

Cet éden que Mallarmé,à la faveur d'un élan prophétique inattendu,sembla avoir réservé à une élite,n'est en réalité qu'un aiguillon,un stimulant intellectuel pour faire agir les facultése de perfectibilité de l'être humain..

Pour Mallarmé,comme pour tous les grands artistes de son temps,atteindre à la Beauté,cet être suprême,divin,insaisissable « le plus grand charmant spectacle de la nature »n'est pas chose aisée..Cette beauté qui incarne la perfection aussi bien de l'âme que du corps,n'est en vérité que l'apanage de la femme,laquelle,dans la poésie mallarméenne,comme dans la mythologie grecque,joue le rôle de l'aurore,destinée à éveiller les hommes de « leur sommeil 51(*)»

tel hégel dans sa vision de l'univers,et de la nature,Mallarmé croyait que tout homme ,qui aspire à l'au-delà,un au-delà meilleur,doit transcender la conscience de soi,l'extinction de soi,dans un pur miroir à travers lequel l'univers se réfléchit comme un système d'idées pures..

Mallarmé,prophète ?En quoi l'était-il au juste ?En quoi s'exerçait réellement sa prophétie52(*) ?Le rêveur(ou le fanatique de rêves)pouvait-il se dépasser pour être prophète et percer l'inconnu dans l'au-delà et sonder les horizons lointains du futur ?

C'est ainsi qu'aurait réagi justement la critique actuelle,qui,en dépit de longs efforts,n'a pas encore compris ni dévoilé le mystère qui entoure la poésie mallarméenne,qui demeure cependant inaccessible pour la plus grande majorité des lecteurs..

Il est vrai que Mallarmé,attaché dévotement à l'art,conçu comme l'expression du rêve,aspirait au bonheur et à la joie,à travers les lumières de son esprit,en s'évertuant toutefois à se faire des ailes imaginaires pour atteindre le zénith du ciel,sans pour autant d'ailleurs chercher à démasquer les mystères attachés à la mysticité ou même à la métaphysique,qu'il jugeait cependant ineptes et puérils ;

Cette transcendance vers l'idéal,cette aspiration à la joie terrestre et au bonheur spirituel,c'est pour les communiquer à l'humanité-à travers le charme de sa poésie-qu'il s'acharnait ainsi à les atteindre..

Car pour lui,le poéte ou l'artiste n'est qu'un pauvre histrion un « ridicule Hamlet » qui sait à merveille qu'il est dans l'incapacité totale d'assumer son rôle en tant que promoteur et pionnier d'une foi en la pureté de l'humanité.

Mais lui Mallarmé,sait bien qu'il porte en effet sur ses épaules le fardeau des tourments,des angoisses et des souffrances de l'humanité agonisante et pour sa délivrance de ses malheurs perpétuels,il eut la foi,une foi inébranlable,qui réside bien dans cet idéal artistique qui suppose en effet la purification de soi qu'il s'est donné comme tâche primordiale de prêcher à la postérité.

Et le poéte d' « Un coup de dès ... » travaille dans la sérénité et le calme profond de son être intime..La sérénité qui s'allie indissolublement à l'eouvre ,enfin la sérénité divine dans laquelle il se retrempe pour concevoir et échafauder son grand projet de réforme poétique qu'il transmettra à sa génération ainsi qu'aux générations futures...,ce projet qui tendait à transformer le désordre en ordre,l'obscurité en lumière et la discordance en harmonie céleste..

L'effort que déploya Mallarmé,au lendemain de son irrévocable décision de s'émanciper de ses inséparables mentors Poe et Baudelaire pour se créer une impersonnelle conscience universelle semble avoir de nos jours une portée prophétique indéniable..La poésie pure au centre de son idéal poétique et esthétique et c'est par le moyen de cette poésie qu'il tendait à communiquer avec l'avenir,à jeter un pont entre lui et l'inconnu,oû la Beauté sous la forme d'une « Idée Sublime 53(*)» traverse l'espace ténébreux pour arriver à la destination qu'il lui avait assignée..

Or les prophètes de tous les temps avaient concentré tous leurs efforts sur les phénomènes religieux,comme la peur de l'au-delà,la fin imminente du monde,l'apparition des catastrophes et des fléaux dévastateurs ;mais la prophétie de Mallarmé,je le rappelle,était loin de se pencher sur ces calamités,au contraire,cette prophétie était axée en premier lieu sur l'espoir,la confiance en le pouvoir de l'homme de se dépasser,de se transcender et d'aller au-delà des frontières imposées cruellement par la nature,pour s'approprier les forces et les qualités éminentes de surhomme.54(*).

C'est en cela que consiste fondamentalement cette vision extatique qu'il semblait vouloir dibvulguer à travers la pureté métaphysique de sa  « poétique très nouvelle » qu'il avait formulée avec soin dans son projet..

A travers son oeuvre favorite « L'après-midi d'un Faune55(*) »Mallarmé tenta non pas de présenter une image fidèle de la pureté en poésie,mais de transmettre une vision radicale de l'immanence divine,de l'esprit céleste,enrobé dans un suaire de lumière et d'incandescence subtile qu'il érigea en forme d'Idéal spiritualiste susceptible d'être matérialisé par l'humanité..

Ainsi,quand des raisins....

j'ai sucé la clarté,

Rieur,j'élève au ciel d'été

La grappe vide...

L'humanité,pour atteindre au sublime,pour régner sur les cimes de l'apothéose et de la félicité infinie,doit triompher de ses maux attachés à sa nature et s'imprégner de l'effluve divin,en s'abreuvant dignement de la lumière éternelle,propagée à profusion par la poésie pure..

CHAPITRE SIXIEME.

SPECIFICITE ET ORIGINALITE DE LA POESIE MALLARMEENNE

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Mallarmé en tant que poéte symboliste et visionnaire profond,ne s'abaissa pas jusqu'à exploiter des thèmes courants,banals,tels que les passions de l'amour,les vices et tares sociaux,ou même la soif de la gloire,enfin des thèmes déjà exploités jusqu'à la satiété tant par les romantiques que par la plupart de ses contemporains..

Parmi les nombreux thèmes principaux traités intelligemment par Mallarmé,il y en a un qui attire plus particulièrement l'attention,,tant par la magie suprême que par l'irrésistible force qu'il ne cesse d'exercer sur les esprits :c'est la religion :

Il palpite,il frémit d'espérance et de fiévre.

Si le coureur de Hérédia,qui aspire malgré les obstacles à la victoire,s'agite,se demène fievreusement avant d'atteindre son but,par contre l'homme de Mallarmé,sous l'attrait de la religion,aspire à la pureté :

Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer,

Un coeur me renaissait,tout un coeur pur et fier..

C'est l'effet magique de la religion..

Son magnétisme,son pouvoir indomptable,s'exercent puissamment non seulement sur les faibles mentalités,mais encore et cela d'une façon plus déterminante,sur les esprits que l'on considère souvent comme des esprits forts..

Et voici que,fervent d'une candeur divine,

Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine.

Cette ineffable exaltation,née au contact d'une religion au pouvoir implacable,s'épuise et s'évapore au contact d'une réalité plus réelle et plus imposante...Celle,à coup sûr,des contingences du temps,les contre-coups d'une destinée inexorable...

Je sens en moi toutes les passions

D'un vaisseau qui souffre ;

Le bon vent,la tempête et ses convulsions

Sur l'immense gouffre--

Me bercent--d'autres fois,calme plat,grand miroir
De mon désespoir..

Ces traits tragiques,s'ils étaient lancés par Baudelaire dans ses plus tristes moments,Mallarmé,son ardent disciple,ne les aurait absolument pas désavoués ;bien plus, il se les aurait appropriés sans réticence..car le sens de la religion,comme le sens du vide,ne guérit pas,ne procure pas le baume dont on aurait besoin dans les moments les plus graves,lorsque la désespérance,l'horrible désespérance s'empare de l'âme et la soumet sous son pouvoir tyrannique56(*)..

En outre,pour Mallarmé,comme d'ailleurs pour Verlaine ou encore Verhaeren,ce n'est la religion,ni l'espoir,qui puissent réveiller l'âme abattue et défaillante :

Qu'il était bleu,le ciel,et grand l'espoir,

L'espoir a fui,vers le ciel noir.(Verlaine)

Rien ne fait aimer l'espoir ;lorsque,aigri par l'angoisse,accablé de chagrin,l'homme se trouve devant une alternative sans issue..

Je ne vois plus rien

Je perds la mémoire

Du Mal et du Bien...(Verlaine)

Pour Mallarmé,comme pour Rimbaud,la vie,en elle-même,n'a pas de valeur,mais ce qui la rend plus tolérable,ce qui lui donne vraiment plus de rayonnement et de signification,c'est le chemin-c'est à coup sûr le sens même de cette vie-par lequel nous conduit lentement jusqu'au but,sans atermoiements,ni réticence,qui est la fin des fins,le terme de nos interminables jérémiades et de nos malheurs sur terre ; ; :

Le moulin tourne au fond du soir,très lentement,

Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,

Il tourne et tourne,et sa voile,couleur de lie,

Est triste et faible et lourde et lasse,infiniment,

.................................................................

le vieux moulin qui tourne,et las,qui tourne et meurt ;

Verhaeren.

Pour Verhaeren,le moulin,c'est en quelque sorte l'humanité qui trime,peine,souffre et meurt...C'est encore l'essence ou le sens de la vie et ce qui est particulièrement séduisant dans cette vie,c'est qu'elle n'est jamais au repos,elle est au contraire en perpétuel mouvement,et cela nous amène à déduire qu'une vie au calme,c'est une vie en état d'agonie..

Mais en fin de compte,la vie,après avoir pleinement accompli sa carrière,s'arrache du temps pour sombrer dans le néant..

Au pli le plus profond de la mouvante dune,

En la nuit sans aurore et sans astre et sans lune,

Que le navigateur trouve enfin le repos,

O terre,O mer,pitié pour son ombre anxieuse..

J.M.de Hérédia

Dans cet ordre d'esprit,Hérédia 57(*)rejoint étroitement Mallarmé,pour qui,si la vie mérite d'être vécue pleinement,en dépit des infortunes et des revers de toutes sortes,elle n'en est pas moins un acte inutile,une éclaircie lugubre dans un monde encore plus lugubre.

D'un autre côté,le problème de l'existence de Dieu58(*),ou,en général celui de la métaphysique,est un problème qui a dû occuper Mallarmé pendant très longtemps pour ne pas dire toute sa vie et nul d'ailleurs n'a déployé autant que Mallarmé plus d'intelligence pour appréhender dans sa totalité ce grave problème.. :

J'ai vu quelqufois ce que l'homme a cru voir..

Rimbaud,comme Mallarmé,s'estime plus chanceux d'avoir vu l'invisible et touché de sa main le sacré et l'intouchable..Alors que verlaine,incapable de croire à son sort,s'écria,l'air désappointé :

Or,je restais tremblant,incrédule un peu,

Comme un homme qui voit des visions de Dieu.

L'effet qu'exerce d'ordinaire la religion,est largement tempéré par l'idée de Dieu,car entre la religion et Dieu,le chemin est long et abrupt,et nul poéte ou philosophe n'a eu le pouvoir de déterminer les limites de chacun de ces deux grands phénomènes,d'autant plus qu'on a tendance à croire que la religion n'est rien d'autre que le chemin qui mène à Dieu et que la religion est une doctrine impérative et impérieuse,quelque chose de purement sacré et mystérieux et celui qui n'y croit pas,ne croit pas en Dieu non plus,puisque c'est par la religion qu'on arrive à Dieu-mystiquement bien entendu-Mais la religion,en tant que doctrine mystérieuse-est hérissée de complications et de difficultés insurmontables-qu'il aurait été vital de ne pas penser ni à l'un ni à l'autre..ce qui fait que l'hérésie dans ce cas est plus préférable ; ;

« Cherchez les effets et les causes »

Nous disent les rêveurs moroses,

Des mots !Des mots !Cueillons les roses !

Banville59(*) n'était pas un libertin cynique,un roué opiniâtre,un triste débauché qui aspire follement à la vie matérielle,c'est plutôt un type que la vie a durement malmené,au point d'avoir perdu toute croyance,même à sa propre existence..

De même les poétes symbolistes,qui s'étaient penchés inlassablement sur le problème de la métaphysique,ne se sont pas empêchés-et Mallarmé les rejoint dans cette tendance-de considérer ce problème comme un puzzle impossible à résoudre par le biais de la poésie..car,en définitive,tout est lié à une fin et la quête désespérée pour savoir sui Dieu existait ou n'existait pas ,mène ineluctablement au bord de l'abîme..

Mais,O mon coeur,entend le chant des matelots !

Ainsi la Recherche de Dieu par le moyen de spéculations métaphysiques débouche sur une véritable impasse,oû l'ennui,le mortel ennui se taille une place de choix :

Un ennui,désolé par les cruels espoirs,

Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs.

L'ennui de Mallarmé s'accentue démésurément,lorsque,las de chercher inutilement dans le domaine de l'inconnaissable,s'arrête un moment pour jeter un ultime cri de regret :

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui

Magnifique mais qui sans espoir se délivre

Pour n'avoir pas chanté la région oû vivre

Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Si la métaphysique méne à l'ennui et au désespoir,ces deux derniers conduisent à leur tour à la haîne et au dégoût60(*). :

Fuir !La-bas fuir !Je sens que des oiseaux sont ivres

D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !

Cette haine implacable,dirigée contre tout ce qui est sur terre,ponctue par des points noirs l'oeuvre inépuisable de Mallarmé,et même Rimbaud,dans sa tendre ingénuité,lui fait écho à certains moments. :

Mais,vrai,j'ai trop pleuré,les ombres sont navrantes,

Toute lune est atroce et tout soleil est amer,

L'acre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes,

Oh !Que ma quille éclate !que j'aille à la mer !

Cette aversion infinie pour tout ce qui est ici-bas,n'est à priori que l'aboutissement d'une recherche métaphysique stérile et inféconde...Et même Henri de Régnier,comme tous les symbolistes d'ailleurs,a manifesté plus d'une fois cette répugnance coriace pour toutes les choses terrestres,que le lecteur moderne a beaucoup de peine à comprendre..mais cependant logique et naturelle pour le lecteur de l'époque symboliste,oû l'on s'abreuvait infatigablement des choses de l'inconnu , de la métaphysique à la métempsycose. :

Lorsque,pris du dégoût des hommes coudoyés,

Et de l'écoeurement des choses ambiantes,
On appelle l'essor des rêves éployés61(*)..

Ce dégoût invincible que l'on éprouve pour tout,nous conduit,comme H.de Regnier,à nous refugier dans le rêve et c'est par le rêve et rien que par le rêve que nous pouvons nous évader de ce monde d'ennui et de tristesse..

Mallarmé se donna toute sa vie à une conception métaphysique de l'ennui,l'insidieux ennui qui grignote lentement la vie,qui suce le sang de la vie,cet ennui enfin que Baudelaire,dans la majorité de ses poémes,a pu peindre avec des traits immortels.

II

Mallarmé et l'influence des lectures antérieures.

Comme pour tout écrivain ou poéte de génie,la lecture,pour Mallarmé,est une nourriture constante,un vaste réceptacle oû l'on puise régulièrement de vives émotions fugitives,mais qui laisseront quand même des empreintes pour toute la vie

Je crois pouvoir dire,au risque de me faire répéter,que Mallarmé s'exerça durant sa jeunesse à la lecture de Poe62(*) et de Baudelaire :ils étaient en effet ses amis inséparables,ses auteurs les plus appréciés et les plus aimés durant cette période juvénile,oû l'on se sentait l'esprit en pleine effervescence,en quête d'un idéal,d'après lequel il lui aurait été possible de modeler sa propre vie ,de se forger une vision précise des choses et de la poésie.

Il s'est avéré que,en faveur de ces longues lectures,l'esprit de Poe,avec ses arguties abracadabrantes,ses insinuatios bizarres et qui relèvent de l'au -delà ainsi que son imagination pittoresque et surnaturelle,était singuliètrement conforme à celui de Mallarmé,et,par pure coïncidence,les deux hommes,de loin se trouvaient en constante et parfaite communion.

Le génie de Poe,inconnu et méconnu même aux Etas-Unis,à cause principalement de son caractère étrange,a contribué pourtant à ouvrir un chemin très large pour la compréhension de la condition humaine. ?.

Les romantiques,qui s'étaient alors engoués de Walter Scott pour le roman et de Byron pour la poésie,sans s'intéresser de plus près ni à Shakespeare ni à Poe sont restés étroitement attachés à leurs thèmes romanesques,sans jamais chercher à les remplacer par d'autres plus exotiques et moins routiniers,encore moins à les renouveler ou les enrichir par des emprunts puisés dans la littérature étrangère.

A l'apparition de Poe,grâce à la charmante traduction de Baudelaire,qui s'était évertué à le faire connaître ,par d'amples détails élogieux,à ses propres concitoyens,la poésie,sous la férule de ce poéte de génie,a pris un autre tournant plus aigu et plus accentué..Ainsi la nouvelle conception poétique,si ingénieusement établie,occupa tous les esprits de l'époque.Car Poe,et après lui Baudelaire,délaissa définitivement les thèmes traditionnels et creux,pour se pencher plus intimement sur les problèmes de l'humanité..

C'est en fin de compte,une incursion dans le domaine de la psychologie et du subjectif..le « moi » souffrant et mélancolique s'étale sur toutes les pages,et la vie n'est qu'une chaîne d'angoisses infinies et un tissu de malheurs impossibles à surmonter63(*)..

Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change,

Le poéte suscite avec un glaive nu

Son siécle épouvanté de n'avoir pas connu

Que la mort triomphait dans cette voix étrange !

C'est dans cet esprit,dans ce bain particulier,étrange et macabre que Mallarmé a dû plonger avec délices et,de par la nature de son génie,il ne se sentit nullement étranger à ce désordre et à ces sentiments morbides,cadavériques et funèbres,qui se dégagent instantanément de la poésie de Poe .

Au début de sa carrière,Mallarmé avait également eu l'occasion de connaître,grâce à des lectures assidues,de nombreux poétes et théoriciens de tout acabit :Outre Houdar de la Motte dont l'oeuve ne le déplaisait pas outre mesure,Batteux eut,quant à lui,quelque influence évidente sur son esprit et cela on a pu le constater à travers quelques-uns de ses courts poémes,qui sont de véritables joyaux de pureté,oû l'harmonie des mots,s'allie plus étroitement au rythme de l'image évocatrice..

Il est certain toutefois qu'il avait lu les poétes de l'époque de la Renaissance64(*),qu'il en avait en même temps étudié les caractéristiques de leur technique, qu'il les avait médités à fond :Outre cela,il eût probablement été séduit par les poétes de l'Ecole lyonnaise dont il s'inspirera plus tard pour mettre au point sa nouvelle conception de la poésie.Ronsard et Du Bellay ,d'autre part,ne lui étaient cependant pas étrangers,puisqu'il en avait été charmé par la lecture. toujours attachante de leurs oeuvres poétiques

Ainsi,s'il n'avait pas eu d'instinct ce goût pour la lecture,surtout la lecture des oeuvres d'obédience baroque,Mallarmé n'eût évidemment pas échafaudé tout un monde de poésie fantastique et exaltant,qui s'adresse plus particulièrement à l'âme et la sensibilité.

Mallarmé,autant dans son enfance que dans sa jeunesse,était alors un lecteur assidu et infatigable..Il avait eu la faculté de dévorer énormément de livres,anciens et modernes...Son engouement alla plus particvulièrement à la littérature grecque dont il dévora tout avec un appétit accru de Sophocle ,Eschyle et même Aristophane..

Mais toutes ces lectures,si abondantes et si vastes qu'elles fussent,n'ont affermi et consolidé sa pensée que sur le plan esthétique,car plus il s'attachait à ce genre de lecture,plus il s'en éloignait instinctivement,pour se former une vision nettement personnelle de la poésie et de la littérature en général.65(*).

III

Authenticité et caractéristique de la poésie mallarméenne

Mallarmé,en sa qualité de poéte symboliste,a marqué de son sceau original la poésie de son temps..

Après une courte période d'imitation de Baudelaire et de Poe,avec l'intention évidente de devenir leur émule,Mallarmé a pris un autre chemin,moins battu par ses contemporains,encore moins par ses devanciers les plus notoires,pour ériger en principe une nouvelle théorie de la poésie.

Alors comment s'était-il séparé de ses maîtres ?Ce fut probablement par hasard,rendu peut-être possible par son désir d émancipation et de se forger une originalité et une poésie éminemment personnelle,oû toutes réminiscences étrangères-au niveau des idées aussi bien que du style-seraient abolies.

Différente de la poésie émotionnelle de Poe et de Baudelaire,la poésie mallarméenne,qui incarne en elle la pureté métaphysique de la réalité,symbolise désormais pour nous,et cela avec la reconnaissance de son disciple le plus proche P.Valéry « l'intellectuelle parole à son apogée »

Son souci de l'élégance et de la justesse même dans la charpente d'un sonnet ou d'un simple poéme se manifeste avec plus d'évidence dans son sonnet « Renouveau » pour s'étendre au fur et à mesure à toute son oeuvre.Ainsi parlant de ce même sonnet,il avoua « Je passe parfois trois jours à en équilibrer d'avance les parties,pour que tout soit harmonieux et s'approche du beau. »De même au sujet de son poéme « l'azur » dont l'agencement des éléments poétiques l' a retenu plusieurs jours cloué à sa table de travail.66(*)..

Or dans toute cette quête studieuse,il y a à coup sûr,un dessein manifeste d'éviter à tout prix les négligences ,les trivialités et les colifichets langagiers,qui avaient si longtemps pésé sur la poésie ;

Mallarmé a le don de faire mouvoir,non pas des personnages comme les romanciers,tel que Balzac ou Stendhal,mais les mots,oui les mots et de les mouvoir dans leur sphère étroite,en leur attribuant un pouvoir réellement extraaordinaire.

Parfois,en écrivant,il se sentait comme emporté sur les ailes du génie créateur et une sorte d'hystérie intellectuelle s'emparait de son cerveau en fiévre.67(*) « Dans mon Faune,avouait-il encore,je me livre à des expansions que je ne me connaissais pas,tout en creusant beaucoup le vers,ce qui est bien difficile à cause de l'action.. »Forger un vers remarquable,qui eût atteint un haut dégré de perfection esthétique,tout en le martelant avec un soin impeccable,voilà au juste le devoir suprême de Mallarmé.

Pour lui l'originalité consiste dans la combinaison de ce qui est étrange avec ce qui est douloureux.Il écrit à son ami Cazalis en mars1868,parlant de  son fameux Hérodiade « Moi,stérile et crépusculaire,j'ai pris un sujet effrayant,dont les sensations,quand elles sont vives,sont amenées jusqu'à l'atrocité et si elles flottent,ont l'attitude étrange du mystère.Et mon vers,il fait mal par instants et blesse comme du fer. ».

Plus que Rimbaud,qui en plein épanouissement juvénile,a su quand même réhabiliter le sens d'une félicité mystique et faire enterrer à jamais les pleurnicheries romantiques.

Plus encore que Verlaine,dont le goût pour une poésie légère et fuyante,a fait régner cette tendance et cet amour pour ce genre de poésie attachante,Mallarmé,habile et plus génial que tous ses contemporains,que ce fût un Verlaine ou un Rimbaud,a conçu une poésie qui ne fut pas seulement attachante et sublime,mais encore une poésie toute imprégnée d'un parfum d'exotisme naturel,nourri de pittoresque et de profondeur.

 Sa théorie de l'esthétique était dépourvue de toute idée métaphysique ou même mystique et,en revanche, l'art est un substitut à la métaphysique et même à la religion,en ce sens que l'art est la seule activité en laquelle il croit..

Plus l'idéal artistique est grand,plus il est basé,selon Mallarmé,sur le principe de « l'art pour l'art » et plus cet idéal est grandiose ,plus il est inaccessible à la plèbe.

En vérité,la poésie mallarméenne est une synthèse englobant la rigueur dans la composition puisée dans Poe et une poésie de la sensation et du sentiment prise dans Baudelaire,le tout soutenu par un effort personnel lié à la technique de suggestion tendant à subordonner les causes objectives aux effets subjectifs

C'est ce qui m'amène à affirmer avec certitude que le régne de Mallarmé,en dépit de toutes les vicissitudes et les métamorphoses qui avaient lieu dans le domaine poétique,a imposé son autorité de façon déterminante..Il condamna en février 1869 le poéme « Elévation » de son ami des Essarts,68(*)qu'il a trouvé banal et de nul effet.«On ne ressent à cette lecture aucune sensation neuve. »il s'insurge en même temps et avec plus de détermination-contre Taine et sa doctrine qui affirme que le poéte dépend en tout et pour tout de son inspiration et non pas du tout de sa réflexion ou de la conception de nouvelles habitudes de penser..

Ainsi grâce à cette authenticité rigoureuse et à cet esprit si vif,si sémillant qui domine constamment dans la poésie mallarméenne,cette pureté,cette ingénuité,cette grâce si brillante,qui émanent de chaque vers mallarméen,nous plongent dans une vraie exaltation,une euphorie radieuse,dont vous ne vous n réveillerez pas de si tôt..

« Peindre non pas la chose,mais l'effet qu'elle produit. » et en ce sens « le vers ne doit pas se composer de mots,mais d'intentions. ».Ce qui fait que vous êtiez entrainé malgré vous dans un grand fleuve non pas de mots mais d'idées,d'images rigoureusement coordonnées et cohérentes et tout son coeur mis à nu et qui s'écrie avec jubilation ,à la suite d'un Victor Hugo ;«Insensé qui crois que je ne suis pas toi !. »

Mais si cette authenticité vous excite ainsi d'une manière si imprévisible,si elle vous plonge en quelque soirte dans un ébahissement verigineux,elle n'en est pas moins cependant déconcertante et singulière,d'une singularité plus qu'étrange,terriblement embarrassante..Car le lecteur,par cette caractéristique spécifique,qui le met dans un état perplexe,s'absorbe éperdûment dans la pénètration du sens de cette poésie abstruse...Et effectivement d'ailleurs ce n'est pas donné à n'importe quel lecteur de déchiffrer ce type de poésie,si pleine de contours complexes et de tournures plus impénètrables.  

Et c'est en effet par cette impossibilité à pouvoir pénètrer dans le monde complexe de la poésie mallarméenne que constitue en premier lieu l'originalité véritable du poéte  d'«Un coup de dès jamais n'abolira le hasard ; »69(*)

Lamartine,Musset ou même V.Hugo,en pratiquant une poésie facile et au charme saisissable au premier venu,ont réalisé incontestablement une certaine réputation durable dans l'univers de la poésie.

Les parnassiesns,tels que Leconte de Lisle,Banville ou même F.Coppée entrent dans l'histoire des lettres,grâce à leur talent d'enchanter le lecteur sur le plan esthétique et l'exactitude d'un style plus que parfait,que la postérité ne manquera pas encore de reconnaître avec la même ferveur que les générations passées..

Tandis que Mallarmé,Rimbaud,lesquels,après Baudelaire,seront à coup sûr des figures impérissables,tant par leur originalité profonde que par la subtilité extraordinaire de leur poésie,qui les mettent en quelque sorte en marge de leur temps et en avance sur tous les temps..

IV

La poésie mallarméenne,miroir de l'esprit et du coeur.

La poésie pure flatte l'âme et adoucit le coeur :c'est une poésie faite non pas pour exprimer un message particulier,transmettre une idée,ou peindre des sentiments,elle est faite,grâce à son harmonie pure,à sa nuance accentuée et la chaîne vibratoire de ses mots,uniquement pour être chantée d'une voix au timbre sonore et cristallin.. «J'ai été,déclara Mallarmé dans une de ses nombreuses lettres sur Hérodiade,j'ai été assez heuereux la nuit dernière pour revoir mon poéme dans sa nudité,et je veux tenter l'oeuvre ce soir.Il m'est si difficile de m'isoler assez de la vie pour sentir sans efforts,les impressions extraterrestres,et nécessairement harmonieuses que je veux donner,que je m'étudie jusqu'à une prudence qui ressemble à la manie . »

La poésie à laquelle s'exerçait inlassablement Mallarmé,est une poésie qui sort non pas d'une combinaison mécanique ou factice des mots entre eux,bien au contraire,c'est une poésie dont la cohérence au niveau du sens ingénieusement achevée,s'extirpe de ce qui est banal,monotone et lamentablement nul,pour venir réjouir suprêmement à la fois l'âme et le coeur :

Ainsi,pris du dégoût de l'homme à l'âme dure,

Vautré dans le bonheur,oû ses seuls appétits

Mangent,et qui s'entête à chercher cette ordure

Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits..

A la lumière de cette simple strophe,nous remarquons que la poésie mallarméenne,avec son caractère fuyant et fluide,s'exprime elle-même,sans le secours de l'esprit...Ce n'est donc pas,comme on a pu l'insinuer,un amas de mots vagues,mis en vrac,dans une incohérence absolue,c'est une poésie,née dans le coeur et exprimée au moyen d'un génie peu ordinaire,soumise au pouvoir d'un art qui « telle la musique,ne représente pas,mais simplement présente une émotion. » ou comme il l'a affirmé hardiment dans une lettre à son fidèle ami Cazalis,lui parlant de son poéme « Apparition » .« Je ne veux pas faire cela d'inspiration :la turbulence du lyrisme serait indigne de cette chaste apparition que tu aimes.Il faut méditer longtemps ;l'art seul,limpide et impeccable,est assez chaste pour la sculpter religieusement. »

Mais l'esprit mallarméen,si insaisissable qu'il soit,ne s'accroche exclusivement pas à un thème ou à une image fixe,invariable,c'est un esprit qui s'est totalement libéré de tout cela et ne produit pas seulement des idées,mais quelque chose d'autre plus sublime,et plus pathétique,à savoir la symphonie continuelle et infinie du coeur :

Encor !Que sans répit les tristes cheminées

Fument et que de suie une errante prison

Eteigne dans l'horreur de ses noires traînées

Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon !

La strophe ci-dessus citée nous invite à réfléchir sur le sens de cette chaîne de mots ininterrompus,qui dans leur étalage,expriment tout un mystère infiniment impénètrable,car issu du coeur,c'est-à-dire de l'inconnu,y gît encore pour l'éternité :

Ce sépulcre solide où gît tout ce qui nuit,

Et l'avare silence et la massive nuit.

Mais ce jaillissement s'élabore lentement et progressivement ,à un rythme discordant,et même grinçant,comme une vieille machine dont

les rouages manquent une bouffée de graisse et la poésie mallarméenne,de grinçante,de cahotante et de saccadante qu'elle était,elle s'émerge d'elle-mêmedes caveaux obscurs de l'esprit pour s'éclairer par les lumières de la logique et de la raison..

Car j'y veux,puisque enfin ma cervelle vidée,

comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,

N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée

Lugubrement baîller vers un trépas obscur70(*).. :

La stérilité de l'esprit,comme du coeur,est un fait réel chez les poétes,car plus on y travaille intellectuellement plus l'esprit s'épuise et les idées s'évaporent...Car mallarmé ne produit pas d'inspiration,ce phénomène est absolument étranger pour lui :«J'aimerais infiniment mieux écrire en toute conscience et dans une entière lucidité quelque chose de fidèle,que d'enfanter à la faveur d'une transe et hors de moi-même un chef-d'oeuvre d'entre les plus beaux. »

Et pourtant l'esprit mallarméen est un esprit qui ne se fatigue pas car,nanti d'un pouvoir exceptionnel,il explore les faits dans leur nudité,comme dans leur mystère,au prix de durs efforts,des vers profonds comme la mer oû l'on pouvait trouver,si l'on y cherchait,des choses merveilleuses et surnaturelles..«Je n'ai créé mon oeuvre et toute vérité acquise ne naissant que par cette perte,d'une impression qui,ayant étincelé,s'était consumée et me permettait,grâce à ses ténèbres dégagées,d'avancer parfaitement dans la sensation des ténèbres absolues. »

La fouille dans les caveaux ténèbreux de l'âme n'est pas facile,et le dépistage anxieux des profondeurs du subconscient ne s'accomplit que par des difficultés insurmontables et de graves sacrifices et cependant cette quête obscure n'aboutit en fin de compte qu'à de minces trouvailles infiniment réduites,de minuscules parcelles tirées d'un vaste océan de fantasmagories étourdissantes.«Nous n'avons aucun moyen d'atteindre exactement en nous ce que nous souhaitons obtenir. »   

Ainsi fureter dans le creux de l'âme à la découverte de quelque chose d'infinment petit mais infiniment merveilleux ; s'épuiser mélancoliquement dans le dessein de comprendre autre chose que ce qui est visible à l'oeil,c'est-à-dire,la recherche de l'invisible et de l'obscur et pourtant cette quête inlassable et infinie n'est entreprise que pour creuser des « riens » et ces « riens »71(*)

ces nullités sont pour nous autant de prodiges,de miracles extraordinaires. «l'art pur,déclarait Valéry dans Variétés II,est de produire quelque chose à partir de « rien » et Mallarmé est vraiment un grand génie dans ce domaine .»car le prodige ne réside pas dans l'action d'émouvoir par des spectacles insolites ou par des tirades lyriques,cela ne relève nullement de la création et de la créativité.« l'art le plus haut,ajoutait encore Paul Valéry dans le même ouvrage, ne peut certainement pas consister à émouvoir par d'émouvants objets.Quoi de plus simple que de faire frémir ou attendrir les gens au moyen de la mort,de la douleur,ou de la tendresse,cela est à peine créer. »Cela est incontestablement vrai dans la mesure oû l'on cherche explicitement à capter,à saisir l'attention et à faire vibrer les ressorts du coeur et oû encore toute tentative de parler à l'esprit est quasiment exclue. «Il est facile,continuait Valéry sur le même ton,de saisir un public par un spectacle ou un discours qui va droit à notre faiblesse,qui torture ou dilate les coeurs,faisant vivre une feinte vie,en jouant des jouissances naîves de la vie.Mais cet art,que l'on dit humain,est donc mensonge. »Alors pour Valéry comme pour Mallarmé,la poésie,produit de l'intellect et rien que de l'intellect,et par conséquent doit nécessairement être comprise par l'intellect ;de plus,la poésie est,et demeure toujours comme disait encore Valéry. «l'essai de représenter ou de restituer par les moyens du langage les choes ou cette chose que tentent obscurément d'exprimer les cris,les larmes,les caresses,les baisers,les soupirs etc et que semblent vouloir exprimer les objets dans ce qu'ils ont d'apparence de vie ou de dessein supposé. ».

Valéry72(*),poéte et critique à l'esprit subtil et clairvoyant,fit ce constat avec intelligence et profondeur,comme s'il avait l'intention d'explicier et d'éclaircir l'oeuvre de son vieux Maître..ou même d'en justifier expressement l'obscurité évidente.

En somme,la poésie et les arts,ont la sensibilité pour origine et pour terme,mais entre ces deux extrêmes, l'intellect et toutes les ressources de la pensée,peuvent et doivent s'employer,pour atteindre à l'émerveillement sublime et s'arracher au temps pour se diluer dans l'éternité absolue ; ;

    Quoique Mallarmé ne soit pas nanti du talent de « se jouer des âmes des autres. »cela n'est pas du tout de son ressort,il est néanmoins doué de l'art de produire l'enchantement et « une sensation de ravissement73(*) sans références. »

Mallarmé, comme nous l'avions déjà souligné,rejette délibérément l'inspiration émotionnelle qui confère ,selon lui,plus d'importance aux idées,aux situations et aux événements,qu'elle n'en confére aux mots. Car pour Mallarmé,les mots ne sont faits que pour produire de la musique,une musique d'enchantement et d'extase,mais,comme le souligne habilement Brémond, «une chose aussi chétive,quelques vibrations sonores,un peu d'air battu...ne saurait être l'élément principal encore moins unique,d'une expérience oû le plus intime de notre âme se trouve engagé. »

Et pourtant,Mallarmé,inventeur de musique et créateur inépuisable de notes prodigieuses,s'est engagé à réaliser l'irréalisable,parlant musicalement à l'esprit sans que les fibres de l'âme entrent dans la fiévre d'une vaine agitation..  

V

Les préoccupations métaphysiques et le culte de l'universel.

L'être et le néant,la vie et la mort,l'esprit et le corps,Dieu et la religion,autant de phénomènes métaphysiques que Mallarmé,avec un don exceptionnel,avait traités au moyen d'une technique toute mystique ,mais dépourvue de toute superstition74(*)..

Ce problème ou ces probèmes inabordables en soi,n'ont pas été éclaircis du tout,bien au contraire,Mallarmé,en les frôlant,en approfondit le mystère et les poémes qui traitent ou qui font allusion à ces questions-en petit nombre certes-sont restés incroyablement impénètrables ..et abrupts..

« Henri,écrivit-il à Henri Cazalis,son ami et son confident le plus fidéle,tu le verras,il n'y a de vrai,d'immuable,de grand et de sacré que l'art. ».C'est par le biais d'un art individuel,un art consommé et hautement suprême,que Mallarmé entendait dès l'abord entreprendre l'exploration de ces phénomènes abscons..

La notion de métaphysique,la quête de l'impossible et de l'au-delà,ne s'effectue pas en pleine lucidité et en ce sens,Mallarmé,pour parvenir au déchiffrage superficiel de ce mystère,devait forcément entreprendre des voyages souterrains dans les ténèbres du temps et de l'inconscient et comme l' insinue ingénieusement le philosphe allemand Schelling en parlant de Mallarmé « la parfaite union,la pénètration mutuelle de ces deux principes, ,enfante ce qu'il y a de plus élevé dans l'art . ».Or l'art n'est que la méthode,les moyens techniques et les possibilités matérielles,enfin la rigueur avec laquelle Mallarmé entreprenait cette recherche dans le subconscient et dans l'inconnu :

Le vierge,le vivace,le bel aujourd'hui

Va-t-il nous déchirer avec une aile ivre

Ce lac dur oublié que hante sous le givre

Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !

La sublimation de l'art,tout comme la création et le modelage d'un instrument susceptible de saisir l'insaisissable et de sonder l'insondable,tel que le praticien en chirurgie,lequel,sans des outils propres et fourbis à l'extrême,ne pouvait jamais disséquer et diagnostiquer le symptôme du mal..

Mallarmé n'a pas été seulement obsédé par les questions métaphysiques,il a été aussi comme secoué par l'idée du devoir et peut-être ce fut en réalité la seule idée qui le conduisît sans détours à l'impossible pour créer une poésie tout à fait différente de celle que l'on pratiquait alors.. « Si j'épousais Maria75(*) pour faire mon bonheur,je serais un fou.D'ailleurs le bonheur existe-t-il sur cette terre ?Et faut-il le chercher ailleurs que dans le devoir de la vie ?Oui,le vrai est le devoir,le devoir,le devoir, qu'il s'appelle,l'art,la lutte ou comme on veut. »Il s'attacha donc au devoir,de toute son âme,comme on s'attache à la vie ;il ne concevait pas ou il ne pouvait concevoir une vie sans devoir ou plutôt un devoir sans la vie..le devoir et la vie sont deux éléments liés l'un à l'autre et si vous détruisez l'un vous détruisez l'autre,inévitablement..

De même que le devoir,l'idée de la liberté et de la beauté,occupa toutes ses pensées,si bien qu'il finit par croire que ces deux termes,si dissemblables d'ailleurs,ne font plus qu'un ,tout en se rappelant les deux strophes que Leconte de Lisle leur consacra :

(la Beauté)

Elle seule survit,immuable,éternelle,

La mort peut disperser des univers tremblants,

mais la Beauté flamboie,et tout renaît en elle,

Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs !

(La Liberté)

Mais,sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire,

Si heurtant de leur la gueule du canon,

Ils sont morts,liberté,ces braves,en ton nom,

Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !

Aucun poéte,à part Leconte de Lisle et Baudelaire,n'a su apprécier à juste titre ces deux concepts divins autant que Mallarmé,aussi bien dans sa jeunesse que dans sa maturité..

Le beau comme le sublime,relève de la divinité et rien ne s'élève au-delàde ses bornes présumées que par la pensée ;elle seule transcende l'infini et triomphe de l'impossible..

Atteindre le beau et le dépasser,voilà à quoi vise principalement l'oeuvre mallarméenne..Le sacrifice pour la liberté,la mort pour elle et rien que pour elle,c'est le seul moyen d'atteindre et de dépasser le beau..

Aussi pour parvenir à l'universel et embrasser non pas la gloire ,une chose vide de tout sens réel,un vent de vanité et de gloriole,mais plutôt l'éternité,,dans le sens métaphysique du terme,le refuge paradisiaque,oû l'on se livre spontanément à l'extase et à l'émerveillement..

Rien n'est vrai que l'unique et morne éternité,

O Brahma,toute chose est le rêve d'un rêve !

L'espoir dans l'au-delà conduit au rêve et le rêve76(*) mène directement à la jouissance profonde de l'inexprimable et de l'infini..

De même,Mallarmé,en écrivant son poéme,pouvait croire qu'il avait atteint à l'universel,lorsque,oubliant carrément le monde qui l'entourait,il s'engageait à la poursuite d'une vision,d'un reflet fugace,poursuite inlassable oû tout son être hallucinant et frissonnant s'arracha du temps pour gagner l'infini..

Cependant le vrai thème,je veux dire ,le thème qui l'exalte,qui le fascine plus que d'autre,c'est ,comme il le dit lui-même de manière spontanée,  «  le spectacle de la matière ayant conscience d'être et,cependant,s'élançant forcément dans le rêve qu'elle sait n'être pas,chantant l'âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges et proclament devant le rien qui est la vérité,ces glorieux 77(*)mensonges. »Néanmoins,cette action permanente,cet accouchement profond,ne sont pas dûs à l'inspiration,loin de là,un poéme mallarméen est le produit d'un travail ardu et difficile oû le hasard n'avait jamais de place.. «Est poéte celui auquel la difficulté de son art lui donne des idées--et ne l'est pas celui auquel elle les retire »cette assrtion de Valéry,jetée au hasard,est plus qu'éloquente et ne permet plus de commentaire..

 

VI

La poésie mallarméenne,une extraordinaire épopée de l'esprit humain.

Tout au long des siécles,et depuis l'avènement de l'homme sur terre,les mots avaient pris en charge la transmission des faits et des événements..Ce sont ces mots que l'on utilise à tout moment et qui nous accompagnent à chaque instant de notre existence,qui ont assumé une responabilité millénaire,pour nous léguer tout bonnement ce qu'avaient accompli les générations écoulées..Et ce sont encore ces mots que Mallarmé,il y moins d'un siécle,avec un talent génial,avait mis au service de la musique,une musique de l'esprit et du coeur. «L'oeuvre mallarméenne,avait noté Albert Thibaudet,implique la disparition élocutoire du poéte,qui cède l'initiative aux mots..Ils s'alluments de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries,remplaçant la respiration perceptible en l'ancien souffle lyrique ; » 

Les mots,outre leur valeur musicale incontestable,sont nantis du pouvoir d'émettre un sens,une signification pour chaque chose ou chaque sentiment ; et P.Valéry,se penchant sur le signifiant et le signifié d'un poéme conclut en ces termes «La valeur d'un poéme réside dans l'indissolubilité du son et du sens »Le poéme mallarméen,échafaudé selon une technique de la pureté et de la spiritualité,ne saurait se plier à des canons de clarification et d'identification,puisqu'il se caractérise par une immense vision des choses et une étendue spaciale et temporelle infinie,si bien que l'on est tenté parfois à lui atrtribuer de multiples interprétations différentes..

L'idée de la poésie pure fait partie intégrante de la théorie de Poe .Si pour Baudelaire la poésie pure n'est qu'un aspect de la poésie en général,Mallarmé y voit le sens de toute chose,puisque la poésie pure est le miroir qui reflète la lumière de la vérité et de la beauté,jetée sur les ténèbres de l'unvers..

Que ce fût dans Hérodiade ou dans l'Après-midi d'un Faune78(*), Mallarmé,avec un esprit rigoureux et systématique ,s'était soucié profondément des préoccupations réelles de l'humanité..Chaque mot,chaque expression,porte en soi tout un monde de pensées et d'images,car entre le poéme et le récit,la différence réside effectivement dans l'usage et l'exploitation du mot . « .En somme ,souligne encore P.Valéry,faisant état de l'effet incantatoire du poéme ,par rapport au récit qui ne porte en soi qu'une réalité matérielle ordinaire,entre l'action du poéme et celle du récit ordinaire,la différence est d'ordre physiologique :le poéme se déploie dans un domaine plus riche de nos fonctions proche de l'action complète,cependant que le conte ou le rpman nous transforment plutôt en sujets de rêve et notre faculté d'être hallucinée. »

Le poéme mallarméen tend à communiquer l'essence du passé,du présent et du futur,c'est un miroir non seulement des affres et des espoirs de l'individu,mais un véritable miroir qui reflète l'humanité dans sa marche,dans ses aspirations multiples comme dans son évolution complexe.

C'est ainsi que dans une lettre écrite en février 1865 et adressée à Charles Morice , et dan laquelle il lui faisait amicalement quelques petites remontrances au sujet de son dernier ouvrage en vers. « L'amour est trop le sujet de vos poémes et ce mot,très incolore,revient très souvent d'une façon un peu affadissante..s'il n'est pas relevé par un fondement étrange,la lubricité,l'extase,la maladie,l'ascétisme,ce sentiment indéfini,ne nous semble pas poétique. »Cela nous permet d'affirmer en toute certitude que Mallarmé ,ayant évité de sombrer dans la banalité,comme la majorité de ses contemporains,s'est élevé à des thèmes sublimes,sans jamais dévier de la voie qu'il s'était tracée à lui-même depuis sa jeunesse..

Si mallarmé avait impeccablement traduit dans des poémes (l'azur,le tombeau d'Edgar Poe etc.)les souffrances du poéte,,dans sa solitude,dans sa frustration et dans son dépaysement dans un monde cruel,tyrannique,oû le despotisme matérialiste enserre solidemment dans son étau toutes les mentalités...il n'en a pas moins considéré que ce poéte qui souffre,qui geint et qui désespère de ne pouvoir vivre dans un tel gâchis effroyable,n'est rien d'autre que l'humanité,qu'incarne en réalité le poéte,ce chantre immortel de la douleur et de l'espoir dans l'au-delà..

Ainsi la condition humaine,dans sa retrospective comme dans sa perspective,s'estompe en traits de lumière dans le poéme mallarméen..

Certes,Victor Hugo,dans son oeuvre gigantesque,a peint clairement l'humanité sous le poids de ses accablantes souffrances..Il est vrai aussi que Lamartine,Musset ou Vigny,pour ne citer que les moindres,ont représenté l'homme au coeur déchiré par l'amertume et le désespoir d'une vie harcelée par les revers sentimentaux et ballottée par le doute et le scepticisme torturant...Il n'en est pas moins également que,par un retournement extraordinaire de l'histoire,tous les romanciers contemporains de Mallarmé,réalistes ou naturalistes,se sont penchés de plus près sur la condition humaine,en la peignant avec des traits émouvants,pathétiques et une plume toute pleine de fiel et de désarroi..

L'aventure humaine s'achève pour ainsi dire dans l'oeuvre ,brève comme la vie de l'homme,en l'occurrence celle de Mallarmé,mais exaltante et radieuse,reproduite et peinte d'une tout autre manière avec rigueur,avec un soin extrême et une intelligence éblouissante comme l'éclair qui ne s'éteint jamais..

 

CHAPITRE SEPTIEME.

LA POESIE MALLARMEENNE DANS LA BALANCE

« Tu verras,Henri,il n'y a de vrai,d'immuable,

de grand et de sacré que l'art ; ; »

Il n'y a pas de forme qui ne soit le reflet du fond. »

Je suis monde,corps,pensées.Mon corps devient

l'instrument direct de l'iesprit et cependant

l'auteur de toutes ses idées.. »

Enfin,les mots ont plusieurs sens,

sinon on s'entendrait toujours..Nous

en profiterons ...Le bonheur d'ici- bas est ignoble. »

Mallarmé.

I

Le poéte face à son destin ;

Le poéte,pour Mallarmé,est un messager,un prophète venu en ce monde pour bénir la race humaine et lui communiquer le message de la paix et de l'amour..

mais,en dépit de sa grande mission,le poéte s'est trouvé de tout temps confronté à de graves désappointements :l'incompréhension de la masse,son ingratitude flagrante et cruelle,et surtout le dénigrement dont il était l'objet,étaient de nature à provoquer en lui de vraies crises de désespoir..

Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change ;

Le poéte suscite avec un glaive nu,

Son siécle épouvanté de n'avoir pas connu,

Que la mort triomphait dans cette voix étrange :

calme bloc ici-bas chu d'un désasre obscur.

Le profond respect,pour ne pas dire l'extrême dévotion,que Mallaermé nourrissait pour le grand maître de tous les poétes contemporains,ne faisait que s'accroître au fur et à mesure qu'i découvrait et s'enfonçait dans le profond génie d'Edgar Poe

ce sentiment de respect et d'admiration s'était en effet exprimé dans ces vers revélateurs oû l'on voyait le poéte s'évertuer pour arracher son siécle à la la léthargie et pour se reposer à jamais dans le sein de l'éternité,oublié de son vivant mais glorieux aprés sa mort

L'insuccés du poéte auprès d'un public souvent ignare et hostile est un fait incontestable,car,comme l'a si bien souligné J.Moréas.

Ma gloire est aux ingrats ;ma graine est aux corbeaux,

Sans récolter jamais,je laboure et je sème..

Le poéte se saigne ainsi jusqu'au sang,se meurtris,se tourmente mortellement pour secouer le joug de cette humanité d&jà clouée au poteau des traditions archaïques et de son arriérisme séculaire.Mais tous ses efforts sont d'ores et déjà voués à l'échec.

C'est à voix basse qu'on enchante

Sous la cendre d'hiver

coeur,pareil au feu couvert,

Qui se consume et chante.

J.P.Toulet.

C'est en vain que le poéte cherche à égayer le monde d'ici-bas..

et Mallarmé,malgré ses efforts pour réjouir,non pas la masse à laquelle d'ailleurs il avait interdit l'accés de sa poésie,mais une catégorie de gens initiés à la pratique et à la magie mallarméenne.Or Mallarmé ,en procédant ainsi, n'a pas failli à son devoir qui est de produire une oeuvre authetique digne de la postérité,comme l'a bien souligné à juste titre un des passionnés du poéte de Hérodiade :

Qui sont de grands poétes

Ils se savent prédestinés

A briller plus que ces planètes.

G.Apollinaire

La joie intérieure qu'éprouvait le poéte,cette joie infiniment exaltante,ne se dissipait pas de sitôt.Et Mallarmé,après la découverte du sublime,du beau et du surnaturel,s'extasie devant sa propre création :

Ainsi,quand des raisins j'ai sucé la clarté

Pour bannir un regret par ma fuite écarté ;

Rieur,j'élève au ciel d'été la grappe vide,

Et,soufflant dans ses peaux lumineuses,avide

D'ivresse,jusqu'au soir je regarde au travers..

loin de la masse et de ses tracasseries,loin de tous les soucis terrestres,Mallarmé fiévreusement s'absorbait dans la satisfaction de soi...le soulagement physique ressenti après une conquête diificile,à savoir sucer jusqu'à l'épuisement total le suc de la poésie pure,après quoi,qu'importe l'infâmie de l'oubli ou même encore le mèpris de la masse.

Sans plus il faut dormir en l'oubli du blasphème

Sur le sable altéré,gisant et comme j'aime

Ouvrir ma bouche à l'astre efficace des vins..

Le poéte est victime,non pas de l'oubli de ce monde ingrat,mais aussi de graves injustices qu'il tolérait pourtant patiemment depuis des siécles..comme l'atteste bien ce distique de Tristan Corbière,dèjà arrachée à la vie encore tout pétillant de jeunesse.

Vois-le,poéte tondu,sans aile,

Rossignol de la boue--Horreur !

Ainsi ce pauvre Corbière était en effet de ceux qui n'avaient pa connu le goût de la vie et étaient morts fort jeunes,après avoir épuisé le bout de temps qui était échu par leur destinée..D'ailleurs il n'était pas le seul à savoir que le poéte,un être méconnu et honni,n'avait pas de place dans ce monde cruel :Baudelaire,le grand,l'inimitable,le génial Baudelaire,lui-même

en avait fait l'expérience,puisque plus d'une fois,on lui avait infusé dans les veines le vénin du blasphème et de la malédiction :

De féroces oiseaux perchés sur leur mature
Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,

Chacun plantant ,comme un outil,son bec impur,

Dans tous les coins saignants de cette pourriture

Les yeux étaient deux trous et au ventre effondré

Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,

Et ses bourreaux,gorgés de hideuses délices,

l'avaient à coups de becs absolument châtré.

Cette image effroyable du poéte martyrisé par ses bourreaux,s'estompait dans les souvenirs que nous avions recuillis tout au long de notre étude sur les poétes que nous avions tant aimés et chéris jusqu'à l'idolâtrie et qui,à travers mains vicissitudes et revers de fortune,avaient regagné le sommet de l'apothéose..Et Th.de Banville,dans un moment de fierté et d'enthousiasme,exulta :

Il s'élevait à des hauteurs

Telles,que les autres sauteurs

Se consumaient en luttes vaines.

La poésie mallarméenne traduisait les sentiments,les impressions,les troubles intérieurs,comme les joies durables ou éphémères de Mallarmé lui-même..C'est un reflet de l'état d'âme du grand poéte et c'est à travers cette poésie,si dure qu'lle fût,que nous saisissons sa pensée souvent fuyante.,comme le souligne merveilleusement en cette strophe H.de Régnier.

Car entre leurs feuillets sommeille le parfum

De rêve confié et d'intimes détresses

De voeux inexaucés-et c'est là que plus d'un

Mis ses plus chers espoirs,ses meilleures tendresses,

Qui montent des feuillets comme un divin parfum..

H.de Régnier avait entassé ses souvenirs les plus intimes dans ses vers que nous lisons aujoured'hui avec fruit,Mallarmé,par contre,ce qu'il avait mis dans sa poésie,ce n'était nullement des souvenirs concrets,des scènes passagères de la vie quotidienne..sa poésie était de tout autre nature,c'est la poésie de l'âme et des profondeurs de l'inconscient...

Souvien-toi que nous venons

Du ciel et de la lumière.

Il est vrai que la vie humaine est brève et pour atteindre à l'éternité,il fallait être nanti d'une puissance suprême,tel que le feu,qui brûle intensément,implacablement,mais qui finira par s'éteindre dans un tas de cendres éparpillées à jamais au vent,comme on pouvait s'en rendre compte à lalecture de ces vers de J.Moréas :

Ta vie est d'un instant,la mienne est consumée,

Mais nous sortons du feu.

Le poéte est un être surnaturel,un être très proche de la divinité et sa tâche ici-bas,est de réveiller tout ce qui dort,de remuer les souvenirs amassés :P.Claudel,dans un accés de mysticisme profond,sort de son ébasement muet pour lancer :

Oh !Je suis ivre !Ah,je suis livré au Dieu !J'entends

une voix en moi

Et la mesure qui s'accélère et le mouvement de la joie.

P.Claudel.

C'est un être divin et par là,il est destiné à survivre à tous les désastres et à toutes les calamitée de notre monde...La mort ne l'atteindra pas,car il vivra encore et toujours dans l'esprit des générations :il est présent par l'âme,mais il reste absent par le corps seulement,et E.Verhaeren,sachant par expérience combien est grande la force du génie,lança avec non moins de fureur :

Il tanguait sur l'effroi,la mort et les abîmes

D'accord avec chaque astre et chaque volonté

Et,maîtrisant ainsi les forces unanimes,

semblait dompter et asservir l'éternité.

Ainsi,le poéte une fois loin de ce monde,échappé à la vie terrestre,et voguant paisiblement dans la vie de l'au-delà,rien ne parlera plus désormais à sa place :la chaîne est rompue et les liens intimes avec la terre sont coupés et pour lui,c'est la solitude et le désert absolu :c'est un état réel auquel par ailleurs Leconte de Lisle fait écho dans un accent douloureux :

Les dieux sont en poussière et la terre est muette :

Rien ne parlera plus dans ton ciel déserté.

Celui qui «voudrait saigner le silence

secouer l'exil des causeries »s'écroule lourdement après une vie de lutte et de combats infinis pour rester « pareille à l'amphore embaumée. ».

La conscience d'une survie après la mort hante tous les poétes du temps et Baudelaire,en dépit de son extrême modestie,n'a pas omis d'y faire état :

Je te donne ces vers afin que si mon nom

aborde heureusement aux époques lointaines

Et fait rêver un jour les cervelles humaines. 

Le poéte est destiné à survivre,car dès le début de son apparition sur la scène poétique,il conçoit un objectif vital,à savoir insuffler la vie,ressusciter les âmes mortes,comme l'a souligné avec fierté de Th.de Banville :

Et brusquement,d'un coup de sa nageoire en feu,

il fait par le cristal morne,immobile et bleu,

Courir un frisson d'onyx,de nacre et d'éméraude

Dés lors,Mallarmé ne fut pas un poéte seulement,il fut aussi un artiste au goût très délicat,...Parlant de son oeuvre Hérodiade dans une de ses nombreuses lettres à son ami Cazalis,il exalte le résultat de ses efforts,tout en affirmant que,malgré la longue étape déjà franchie. : «Il me faudra trois ou quatre hivers encore,pour achever cette oeuvre,mais j'aurai enfin fait ce que je rêve,te parler avec cette assurance,moi qui suis la victime éternelle du découragement,il faut que j'entrevoie de vraies splendeurs. »

Jamais les poétes contemporains ne s'étaient intéressés autant à la perfection et à l'ordre... «vous dont la bouche est à l'image de celle de Dieu,bouche qui est l'ordre même,soyez indulgent vous nous comparez à ceux qui furent la perfection et l'ordre,nous qui quêtons partout l'aventure. »L'ojurgation ironique d'Apollinaire aux critiques intransigeants n'était pas importune ;elle était bien faite à propos et montrait que les critiques,souvent à l'affût du moindre écart,s'acharnaient impitoyablement sur les oeuvres pour en réduire la valeur..

Sans savoir que le poéte ,messager sur la terre,mage ou prophète venu pour secouer kla poussière séculaire accumulée sur l'humanité,ce poéte qui ne devait pas seulement tendre à la perfection ,puisqu'il est la perfection même,est un être insisissable ,une sorte d'étoile qui éclaire un instant pour s'eclipser et disparaître à jamais.Dans ce contexte et avec beaucoup d'esprit,René Char évoque l'image charnelle du poéte sous forme de rébus qui hante les siécles :

Il déssèche le tonnerre.Il sème dans le ciel serein.

S'il touche au sol,il se déchire.

Et Mallarmé,le poéte qui n'avait jamais trouvé un honorable succès de son vivant79(*),mais qui par des coïncidences inouies,fut élevé au rang d'un demi-dieu après sa mort,ne put que se rallier à P.Claudel pour dire en choeur : «O mon amour le poéme n'est point fait / de ces lettres que je plante comme des clous/mais du blanc qui reste sur du papier/Que mon vers ne soit rien d'extase :mais tel que l'aigle marin qui s'est jeté sur un grand poisson,/Et l'on ne voit rien qu'un éclatant tourbillon d'ailes et l'éclaboussement de l'écume. »Le poéte chage d'instinct la haine en amour et le désespoir en espoir..Il est toujours aux aguets pour secourir l'humanité en détresse,apporter le baume nécessaire pour soulager l'homme de son poids d'infortunes et de malheurs,comme le dit assez bien Saint-John-Perse :

Le poéte est avec vous.Ses pensées parmi vous

Comme des tours de guet.Qu'il tienne jusqu'au soir,

Qu'il tienne son regard sur la chance de l'homme,

Je préférerai pour vous l'abîme de ses yeux,

Et les songes qu'il ose,vous en ferez des actes,

Et à la tresse de son chant vous tresserez le geste qui'il n'achève..

II

La gloire et la mort.

La conquête de la gloire par le biais de la poésie.Quel auguste destin !Mallarmé,lorsqu'il s'était engoué de la chère Muse ne pensait nullement à la gloire...Et même plus tard,après son évolution progressive à travers l'univers de la poésie,il croyait tout simplement que sa réputation ne dépassait guère le petit cénacle80(*) qu'il avait organisé avec des amis et disciples fiidéles.

La gloire,pour Mallarmé,est un mot qui n'exprime absolument rien...C'est un mot creux,stérile et il n'y pensait que pour le rejeter avec mépris.

Or tout ce qu'il fit pour s'éloigner de cette image fascinante,qui préoccupait d'ailleurs tous les poétes du temps,ne put que le rendre aigre contre tout ce qui semblait lui assurer,malgé lui,l'immortalité..

Lune,O salle d'ébène oû,pour séduire un roi,

Se tordent dans leur mort les guirlandes célèbres,

Vous n'êtes qu'un orgueil terni par les ténèbres

Aux yeux du solitaire ébloui par sa foi.

La gloire n'est qu'une sorte d'orgueil,une sorte de vanité et rien de plus...La gloire,c'est un bruit éphémère,évanescent..une rumeur qui apparaît momentanément pour s'évanouir dans le néant...la gloire enfin,c'est la mort et la mort c'est la gloire :

Maigre immortalité noire et dorée,

Consolatrice affreusement laurée,

Qui de la mort fais un sein maternel

Le beau mensonge et la pieuse ruse

Qui ne connaît et qui ne les refuse

Ce crâne vide et ce rire éternel..

Valéry,au même titre que son maître,s'était formé une vision très claire sur le sens de la gloire..pour l'un pour comme l'autre,la gloire ne constitue en aucune façon l'aboutissement final,le terme de la vie,malgré les infortunes et les terribles mésaventures que le destin leur avait infligés81(*)..

Verhaeren se rallie à ses illustres confrères pour dire de son côté à propos de la gloire :

Qu'il sache avec quel violent mouvement de joie

S'est,à travers les cris,les révoltes,les pleurs,

Ruée au combat pur et mâle des douleurs,

pour en tirer l'amour ,comme on conquiert sa proie..

Verhaeren,beaucoup moins doué que Mallarmé,conçut de son côté une vision toute particulière de la gloire..La gloire se perpétue dans le temps,incarne l'éternité,mais pour qu'elle ait vraiment un sens,il convient de la conquérir au prix de grands sacrifices82(*)..

Mallarmé,naturellement,n'était absolument pas prêt à sacrifier tout à cet éclat éphémère...Il lui déplaisait profondément de s'astreindre à des tâches coercitives en vue d'atteindre ce but,mais cela ne l'empêchait pas néanmoins de s'ingénier avec persévérance pour produire quelque chose qui pût réjouir l'esprit et aérer le coeur..non pas à cause de la gloire,mais tout simplement pour sentir son être s'épanouir à travers cette béatitude suprême que lui procurerait son extraodinaire génie en le rapprochant de la divinité.

Et dans mon âme inassouvie

Verse le goût de l'éternel.

D'autre part,si Baudelaire s'était intéressé--particulièrement dans sa jeunesse--à ce phénomène étrange que l'on appelle gloire,Mallarmé,au contraire,n'y attacha aucune importance et travailla-indifférent à tout-dans un climat hostile,engendré par l'envie et la haine83(*)..

Certes,le grand maître aspirait à la gloire,mais à une gloire qui le réconfortât dans l'au-delà,qui assurât sa revanche contre le temps,contre son entourage,contre la société et contre le monde..

A la très chère,à la très belle,

qui remplit mon coeur de clarté ;

A l'ange,à l'idole immortelle,

Salut en l'immortalité.

Baudelaire immortel,il le concevait lui -même,il en était totalement certain et sa conviction l'encourageait encore à foncer inlassablement plus avant dans la masse hostile qui déchirait à coups de dents sa personne et son honneur.

Mais riez,riez de moi

Hommes de partout surtout gens d'ici

Car il y a tant de choses que je n'ose pas dire

Tant de choses vous ne me laisseriez pas dire

Ayez pitié de moi..

Cette ultime supplication,ce cri déchirant,jaillis du coeur opprimé de G.Apollinaire,le disciple éloigné mais récalcitrant de Baudelaire,prouvent bien que pour lui ,comme pour l'auteur des « Fleurs du Mal »le triomphe et la victoire sont en perspective,déjà estompés à l'horizon de l'avenir.84(*).

De même,l'expérience de Mallarmé,son combat perpétuel contre les éléments hostiles,son désir profond de vouloir à tout prix franchir les frontières de l'impossible,sa résignation à toutes les adversités et les contre-temps,tout cela,pourtant,aurait pu contriibuer à former dans son esprit l'idée que bientôt le parfum de l'apothéose embaumerait à jamais son nom,ainsi que l'avait prédit Leconte de Lisle :

Montez,montez rumeurs,paroles surhumaines,

entretien lent et doux de la terre et du ciel !

Montez et demandez aux étoiles sereines

S'il est pour les atteindre un chemin éternel.

Courir après la gloire,poursuivre la gloire jusqu'à la dernière limite du monde,cela n'était pas du ressort de Mallarmé,qui,comme nous l'avions indiqu é plus d'une fois,aspire seulement à la purification de soi et de l'humanité. :

Que d'hommes n'ont pas eu le suprême destin !

Avait insinué J.M.de Hérédia avec une pointe d'ironie,mais qui n'est toutefois pas dépourvue de sérieux...Mais Mallarmé pouvait assurer sa propre survie à travers son oeuvre,et rien que dans son oeuvre,le reflet de son âme pacifique et de tout son être..et Albert Samain,sur un ton élogieux,prononça cet ultime acte de reconnaissance qui traversera pour toujours les siécles à venir :

Et soudain,dans le calme immense de la nuit,

Sous un souffle venu des siécles jusqu'à lui,il suit,

plein d'un bonheur que nul verbe ne nomme,

Le grand frisson du sang dans son coeur d'homme.

Et l'oeuvre seule constituait pour l'auteur de l'Aprés-midi d'un Faune le commencement et la fin de toute entreprise,de quelque nature qu'elle fût,car rien ne saurait réduire l'oeuvre à un résultat obtenu au prix de quelque effort,mais au contraire,l'oeuvre est la dernière réalisation issue des pires sacrifices,c'est le miroir de l'âme du poéte.85(*).Or évoquant à certains moments son poéme d'Hérodiade oû il affirmait avoir déployé d'ingénieux efforts,Mallarmé déclara : «Je m'étais mis tout entier dans ce poéme sans le savoir,d'oû mes doutes et mes malaises. »Il préférait être insaisissable,dans sa pensée aussi bien que dans son comportement,ayant par instinct horreur de la gloire et de ses futiles tapages..

Toutefois,entre Mallarmé et les poétes ses contemporains,même les plus célèbres à l'époque,la postérité a dû choisir et seul Mallarmé a conquis de haute main la première place dans l'esprit des générations des lettrés et des poétes comme nous l'affirme cette strophe de René Char,sur qui l'influence mallarméenne fut déterminante et irréversible.

Rien que le vide et l'avalanche

La détresse et le regret,

Tous les troubadours mal-aimés,

Ont vu blanchir dans un été

Leur doux royaume pessimiste.

III

La beauté et la musique.

Vers 1866,Mallarmé,alors qu'il n'était qu'un pauvre professeur à Besançon,avait eu des moments d'hystérie étrange86(*)...Il était comme ensorcelé,fasciné par les charmes du beau et de tout ce qui est beau..C'était devenu en lui une sorte d'obsession,une manie incurable,qui le poussait à faire automatiquement l'esthète et le musicien en toute chose et pas seulement en poésie,puisque la poésie demeure pour lui son domaine propre ,oû il a eu le talent authentique d'exceller mieux que la plupart des poétes les plus illustres de son temps87(*)

Le beau est-il le produit du hasard ?Non,en réalité,le hasard ébauche le beau,ou l'embryon du beau,mais c'est le travail conscient qui lui assure sa forme finale..

La beauté,pour l'auteur de Un coup de dés n'abolira jamais le hasard88(*),aussi bien que pour Hégel,est constituée avant tout dans sa forme apparente et rien de plus..c'est une figure,une vision problématique douteuse,oû le réel s'en trouve définitivement exclu,parce que créée par le hasard,alors que l'esprit demeure le vrai générateur du beau et sa fonction fondamentale donc est de corriger ,de redresser le travail du hasard dont l'esquisse est toujours informe et rachitique

On s'aperçoit dès lors que Mallarmé refuse radicalement tout ce qui est aléatoire,car,pour lui,la providence ,à laquelle il ne croit d'ailleurs pas,n'est que l'image d'une croyance purement mentale et par là fondamentalement négative..

La beauté est un objet qui se fabrique,qui se façonne selon le goût et le désir du créateur et nul n'aura la faculté de produire la beauté,telle qu'on la conçoit au plus profond de nous-mêmes,que celui qui,grâce à un don divin,déploie des efforts énormes pour pouvoir parvenir à pénétrer le mystérieux secret du beau..

De plus,la beauté n'est pas une jolie vision des choses,un objet susceptible d'être consommé par l'individu,la beauté s'allie à la nature et ne peut jamais avoir d'éclat que par la nature et entre la beauté et la nature,il y a la différence formelle qui existe entre le ciel et la terre..en ce sens que la beauté ne relève pas de Dieu,c'est un phénomène périssable,contrairement à la nature qui demeure éternelle.Baudelaire,en barde immortel du beau et connaisseur chevronné de ce phénomène étrange,s'écria dans un moment d'extase :

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre

Douce beauté,mais tout aujourd'hui m'est amer

Et rien,ni votre amour,ni le boudoir ni l'âtre

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer..

Pourtant Mallarmé ne voyait pas de différence absolue entre la beauté et la nature..C'est la nature ,peut-être avec plus de génie que l'esprit même,qui couve et qui façonne la beauté et c'est encore la nature,qui lui confère son éclat et sa splendeur !Pour Mallarmé,la nature,dans sa magnificence,et dans ses charmes éternels,fait naître la beauté,qui par un contraste émouvant,s'allie aux bouleversements et aux effets tragiques des caprices de la nature89(*).Et Baudelaire,d'un trait génial, a saisi l'étendue de cette métamorphose :

Sois belle !Et sois triste !Leurs pleurs

Ajoutent un charme au visage
Comme le fleuve au paysage

L'orage rajeunit les fleurs.

Donc,pour Baudelaire comme pour Mallarmé,tout ce qui est beau est dû en dernier ressort aux effets de la nature et entre la beauté physique de la femme et la beauté de la mer en pleine agitation,Mallarmé tranche sans parti pris :

Rien,ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe.

Ainsi,il n'y a pas un endroit oû la beauté ne fasse sa majestueuse apparition et là oû il n'y a pas de beauté ,il n'y a pas de vie :

Tâche donc,instrument des fuites,

O maligne syrinx,de refleurir aux lacs oû tu m'attends !

La beauté ne se limite pas seulement à la vue :il y a du beau dans le désordre,comme il y a du beau dans la laideur :une belle femme qui pleure est pour les uns comme pour les autres,la femme la plus jolie du monde,ce qui poussa Baudelaire à renchérir de plus belle :

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De ces traitres yeux

brillant à travers leurs larmes.

Dans l'ouragan la plus terrible,il y a du beau,comme dans la folie la plus extravagante,il y a de même du beau,joint à quelque chose de séduisant :les plus grands artistes de l'univers étaient de véritables désaxés,des marginaux de la raison et de la folie et dans leur trouble et leur désordre,il y a la beauté dans toute sa majesté et toute sa grandeur.90(*)..

Mais cette beauté,si sublime,si profonde qu'elle soit,n'en est pas moins étrange,par sa fluidité,son caractère évanescent et insaisissable,comme le dit si bien Mallarmé lui-même :

Si clair

Leur incarnat léger,qu'il voltige dans l'air,

Assoupis de sommeils touffus.

La paresse ou l'oisiveté,comme le luxe raffiné,sont l'apanage de la beauté,qui dégage un parfum enchanteur,lequel,tel un philtre puissant,fait endormir les plus ingénieux,..car la beauté a des pouvoirs multiplese et la Comtesse de Noailles s'exulte à la seule vue de ce charme pathétique,auquel elle lui confère même le sens de la vie et de l'énergie

Tout le plaisir de vivre est tenu dans vos mains

O jeunesse joyeuse,ardente,printanière,

......................................................

C'est par vous que l'air joue et que le matin rit.

La jeunesse incarne la beauté :tout ce qui est jeune est beau et tout ce qui est beau est jeune,la nature forme la beauté par par accident,mais le temps dégrade ou embellit la beauté,selon les contingences du hasard..Cependant,le temps qui embellit cette beauté,pourrait également la faire disparaître,et Madame de Noailles ajoute encore sur un ton empreint de pessimiste et de regret :

Ah !Jeunesse,pourquoi faut-il que vous passiez

Et que nous demeurions,pleins d'ennuis et pleins d'âge

Comme un arbre qui vit sans lierre et sans rosier

Qui souffre sur la route et ne fait pas d'ombrage.

Le régne de la beauté est éphémère et rien ne dure ici-bas,pas même l'oeuvre la plus sublime et Paul Valéry enchaîne nons sans une crispation d'angoisse sur le caractère illusoire de la beauté comme de l'existence :

Nous marchons dans le temps

Et nos corps éclatants

Ont des pas ineffables

Qui marquent dans les fables.

Oui,tout passe dans ce monde,les souvenirs s'évanouissent et deviennent l'oubli même,les êtres chers s'en vont les uns après les autres,pour qu'il ne reste plus rien.

Sous nos même amours

plus lourdes que le monde

Nous traverserons les jours

comme une pierre l'onde.

Or malgré la nature éphémère de la beauté ,elle survit pourtant dans les âmes et pour l'éternité,léguée de générations en générations sans trêve.

Certes la beauté ne relève pas de Dieu,mais de la nature,si souvent avare et ne dispense ses bienfaits qu'à de rares élus et c'est pourquoi il appartient à la masse de l'entourer du respect et de la dévotion qu'elle mérite. «Est-ce que l'homme qui a fait la Venus de Milo n'est pas plus grand que celui qui sauve un peuple,et ne vaudrait-il pas mieux que la Pologne succombât que de voir cet éternel hymne de marbre à la beauté brisé ? »Cette interrogation de Mallarmé est plus qu'éloquente,en ce sens qu'elle situe la problématique de la beauté à la limite de la destinée humaine .

Sacrifier tout pour que la beauté survive,telle une lumière radieuse,rayonne,dispense à flots la sève de la vie,l'optimisme,l'espoir,brandissant hautement le symbole suprême de la vérité immortelle.

Toujours est-il que le pouvoir ou la mainmise de la beauté,ne s'aménuise jamais..car plus la beauté s'affirme et se confirme dans le temps,plus elle étend davantage sa souveraineté sur toute chose..Ch.Maurras se dévoue pour la beauté en laquelle il croyait trouver le sens de sa propre survie et de sa régénérescence :

Brûle et consume-moi,mon unique soleil,

Que,ton dur javelot,ton javelot vermeil,

Dardant de jour en jour une plus pure flamme,

Je sois régenéré jusqu'au fond de l'âme

Et même ma raison folle de te sentir

Ne reconnaisse plus si c'est vivre ou mourir.

Le charme de la beauté,sa fascination émouvante,son magnétisme irrésistible,se déploient au-delà de toute frontière :rien ne dressera une quelconque barrère entre elle et les phénomènes en présence,tout succombe à sa magie et à sa puissance,d'oû Mallarmé est sorti de sa surprise pour lancer avec enthousiasme :

O rêveuse, pour que je plonge

Du pur délice en chemin,

Sache,par un subtil mensonge,

Garder mon aile dans ta main.

La beauté,par des détours impénètrables,aura le plus souvent recours à la ruse , au subterfuge et à la supercherie :elle est cruelle,impitoyable et tout à fait imbattable et celui qui parvient à la dompter pourrait se prendre pour un Dieu.

Il a vaincu la femme belle,au coeur subtil

Etalant ses bras frais et sa gorge excitante.

De même que dans la beauté,il y a une musique,de même dans la musique,il y a une beauté..Souvent la musique et la beauté sont inséparables,que ce soit dans l'oeuvre poétique ou dans tout autre oeuvre.Ecoutons cette saillie pittoresque de P.Claudel :

Que me parlez-vous de la musique !

Laissez-moi seulement prendre

mes sandales d'or.

La poésie mallarméenne91(*) ,et nous avions mis l'accent sur ce point plus d'une fois dans cette thèse,est tout imprégnée de musique pour ne pas dire c'est la musique même,alliée à la beauté du vers,auquel elle est indissolublement associée,surtout au moment de sa conception comme le souligne Baudelaire :

La musique souvent me prend

Comme une mer.

Pour le Maître,de même que pour disciple,la musique est la nourriture des âmes,et sans elle,aucune oeuvre n'aurait la chance de se réaliser..

Quoi qu'il en soit,la beauté comme la musique sont faites pour être au service de l'humanité,pour sa purification et son perfectionnement absolu,mais aussi pour inspirer l'optimisme,et l'amour aux esprits défaillants et moroses,ainsi que le clame énergiquement Th.de Banville.

C'est la sagesse !Aimer le vin,

La beauté,le printemps divin

Cela suffit !Le reste est vain.

Or,comme par une étrange coïncidence,celui qui devait mourir d'une affection du larynx dans sa pauvre bourgade de Vulaines,est un musicien de la beauté,c'est un enchanteur qui a su engendrer des vibrations fines et délicates,des modulations suaves et lumineuses dans les coeurs..

Ainsi,créateur intarissable de beauté,artisan consommé de ce parfum magique que l'on appelle musique,fluide et subtile,Mallarmé a su émouvoir les entrailles du lecteur moderne..

La musique,c'est une lumière sonore que secrète chaque vers et chaque strophe,s'infiltrant doucement dans l'âme,pou y faire disparaître le « mortel ennui »

Bref,Mallarmé,qui avait passé toute sa vie à combattre la morosité et l'implacable « spleen » a produit pour l'humanité le baume nécessaire pour s'en débarrasser tout à fait..car la musique et la beauté,pour tous les lieux et tous les temps,le remède le plus efficace,non pas seulement contre l'ennui dévastateur ou le désespoir qui ronge les âmes,mais aussi contre la mort,contre l'extinction de soi et le dépérissement.

IV

Le problème de la liberté et de la justice.

Là oû il y a liberté,il y a justice ;là oû il n' y a pas de liberté,il n'y a pas de justice..les deux mots sont liés étroitement l'un à l'autre :ils sont indissociables et indissolubles,bien qu'ils soient séparables..Ils sont comme deux jumeaux dont les traits physiques de l'un sont foncièrement confondus dans ceux de l'autre..

Mallarmé,bien qu'il n'ait pas parlé assez ni de la liberté ni de la justice,éprouvait cependant en lui-même l'étendue de signification de l'une comme de l'autre,avec la même égalité sans distorsion ni discrimination ..

Il est vrai qu'il n'a pas fait étalage de la vision toute particulière qu'il se faisait de la notion de liberté,car pour lui,celui qui devait parler de la liberté et pour qu'il y ait vraiment une expression authentique de la liberté,c'est à coup sûr celui qui en était frustré partiellement ou totalement92(*).

Mais Mallarmé,en tant qu'homme libre,amateur dévoué de poésie et ardent partisan de l'art ne se sentait pas pris du désir de parler ouvertement de cette liberté dont il par ailleurs avait goûté les charmes magiques.

Toutefois ,à certains moments,cela ne l'empêchait pourtant pas de brandir la liberté comme le flambeau de la gloire et du triomphe :

Tout son col secouera cette blanche agonie

Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie ;

Mais non l'horreur du sol oû le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,

Il s'immobilise au songe froid de mépris

Que vêt parmi l'exil inutile le cygne.

La liberté dans la sphère étroite oû l'on vit..C'est aussi une libertté,mais une liberté plutôt amputée de l'essentiel :mais le poéte,libre et toujours plein de courage et d'énergie,saura défier tous les obstacles,anéantira par son silence la défiance des autres pour triompher en fin de compte de tous les infortunes et les revers d'autant plus que ,quand on est dans l'embarras,oû l'on étoufferait mortellement,on pense toujours que la délivrance imminente est en perspective...H.Michaux,descendant en droite ligne de Mallarmé,lance ce cri qui fait écho à celui de son Maître :

Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire

Loin des mers..

Vidé de l'abcés d'être quelqu'un

Je boirai à nouveau l'espace nourrissier ;

Michaux cultive la poésie de la liberté et comme tout poéte,vrai héritier de Mallarmé,son amour pour la liberté est sacré et infaillible,comme on a l'occasion de le constater même chez P.de la Tour de Pin

Et je me dis :je suis un enfant de septembre

Moi-même,par le coeur,le fiévre et l'esprit,

Et la brûlante volupté de tous les membres,

Et le désir que j'ai de courir dans la nuit

Sauvage,ayant quitté l'étouffement des chambres

L'esprit ne s'élargit qu'en proportion de l'étendue de liberté et de justice dont bénéficierait l'individu ;le fait de quitter un lieu pour un autre,sans gêne et sans contrainte,suppose en effet un acquis de liberté,soutenue par la justice.

La brûlante volupté,que nous poursuivons nlassablement,ne s'acquiert absolument que par cette liberté et c'est elle seule qui procure la paix de l'esprit et qui fait naître en même temps cette douce effervescence dans les sens de l'âme. :Ecoutons Verlaine qui s'exclame avec enthousiasme :

Ivre de soleil

Et de liberté

Un instinct me guide à travers cette immensité.

Qui mieux que Verlaine a connu le sens de la liberté ?Ce François Villon du 19e siécle,sombrait délicieusement dans l'euphorie,dans une véritable extase interminable,lorqu'il parlait de la liberté,sans jamais être amené à lui attribuer une portée politique quelconque..pour lui,la liberté,c'est de vivre,de s'étaler dans le vague,dans la nature,vivre avec soi-même,dans le sein de l'enthousiasme et de la plénitude charnelle93(*).

Mais il lui est arrivé-comme il arrive souvent à tout le monde-de se sentir gravement frustrer de cette liberté et c'était l'effondrement de tout son moral,le désarroi de son âme et l'effritement de tout espoir,en particulier lorsqu'on s'apercevait que l'on n'était pas loin de l'espace libre et qu'on gémissait en solitaire dans un cachot infect.

Mon Dieu,mon Dieu,la vie est là

Simple et tranquille

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville.

C'est l'horreur et l'épouvante que l'on éprouve justement à l'idée d'être privé de sa propre liberté,de cette liberté que l'on brûle d'épuiser jusqu'à l'extrême dégré,s'en désaltérer pleinement,jusqu'au dernier terme de la vie.

Donnons-nous encore le plaisir d'écouter ce Charles Cros,un fervent admirateur de Mallarmé, qui nous confie ses sentiments dans cette strophe éminemment suggestive :

La course effarée et sans but de ma vie

Dédaigneux des chemins déjà frayés,trop longs,

J'ai franchi d'âpres monts,d'insidieux vallons,

Ma trace avant longtemps,n'y sera pas suivie.

Contemporain de Mallarmé,Charles Cros estimait que l'homme sans liberté est un homme sans vie :vaincre le monde,abattre les difficultés,écraser la tyrannie,d'oû qu'elle vienne,voilà pour Charles Cros,ce qui confère à l'homme libre son vrai sens.Mais vivre en esclave,voir l'espace,le vaste espace du monde,sans le sentir et s'abaisser pour mourir passivement,sans réagir énergiquement ni montrer de la résistance,cela n'est pas du ressort de l'homme libre,c'est plutôt l'attitude d'un esclave-né :

Tel,nu,sordide,affreux,nourri des

plus vils mets

l'esclave...

La liberté,tout comme la justice,est l'essence de la vie humaine..

Mallarmé,pour purifier l'humanité des maux séculaires dont elle souffrait et conférer un sens à l'humaine condition ,avait été comme secoué par une nouvelle vision de la vie,une intuition profonde de tout ce qui existe,et sachant d'avance que nul progrés de l'humanité ne pouvait absolument être réalisé,sans l'instauration permanente du régne de la justice et de la liberté,il a entrepris dés lors d'éveiller les esprits,d'aiguillonner,de dynamiser les mentalités et d'affermir du même coup la suprêmatie de l'homme ,unique représentant de Dieu sur la terre,ainsi que le souligne béatement Paul Eluard dans cette strophe :

C'est la douce loi des hommes

de changer l'eau en lumière

Le rêve en réalité

Et les ennemis en frères.

Ainsi,Paul Eluard,avec une ingéniosité extraordinaire,avait,en ces vers,traduit fidélement les sentiments du maître,qui était un homme attaché infailliblement et sans aucun artifice au sens réel de la justice et de la liberté.

V

La haine d'ici-bas

et

l'amour de la solitude.

Mallarmé s'attachait durant toute sa vie à la solitude et à l'isolement...Toute sa poésie est émaillée de cette profonde obsession qui frise la folie :l'amour de la solitude et la fuite de ce monde médiocre et ignare..C'était en effet le but final de ses efforts et de toutes ses pensées,car pour lui,la solitude était l'ultime asile oû il pouvait cacher sa répugnance des choses de la vie et le mortel ennui qui le harcelait incessamment..

La chair est triste et j'ai lu tous les livres,

Fuir(là-bas fuir).Je sens que les oiseaux sont ivres

D'être parmi l'écume des mers et des cieux.

Cette évasion vers l'éden,vers ce lieu sacré,épanoui et radieux,oû l'on pouvait se retremper et vivre ce bonheur terrestre qui échappe toujours des mains,c'était pour tout dire le but suprême de sa vie..

Que rien ne t'arrête

Auguste retraite !

Entre Rimbaud et Mallarmé 94(*),il y a le fait que l'un aspirait pour de bon à la solitude pour oublier les infortunes du temps,alors que l'autre cherchait à travers la solitude cette sorte de liberté à laquelle il attachait une importance capitale dans sa vie errante :d'oû il poursuit sur le même ton :

Assez vu ;La vision s'est rencontrée à tous les airs.

Assez vu.Rumeurs des villes,le soir,et au soleil,

Et toujours

Assez connu.Les arrêts de la vie

O rumeurs et visions

Départ dans l'affection et le bruit neufs.

La grande randonnée,le grand périple,l'extraordinaire aventure errante de ce Rimbaud étrange,tout ce vagabondage inlassable et tourbillonnant s'est achevé finalement dans le désert arabe,oû,par une malchance incompréhensible,ce poéte instable fut atteint par une tumeur incurable qui l'emporta,alors qu'il était encore au premier stade de la maturité physique et intellectuelle95(*).

Mallarmé n'avait pas eu le même destin que Rimbaud :Ses multiples errances se sont inscrites pour ainsi dire dans le cadre de ses fonctions d'enseignant,condamné malgré lui à d'innombrables mutations selon le caprice et la frivolité d'une bureaucratie maladive...

Il aimait la solitude pour fuir les soucis matériels et l'angoisse d'une vie en butte aux tracasseries de toute une foule d'importuns et de critiques,malveillants,récalcitrants et hostiles à toute rénovation dans le domaine poétique.Recueillons ce cri de Baudelaire,lancé pour fuir la débauche :

Pendant que des mortels la mutitude vile

Sous le fouet du plaisir,ce bourreau sans merci,

Va cueillir des remords dans la fête servile,

Ma douleur,donne-moi la main,viens par ici.

Donc pour Baudelaire comme pour Mallarmé,la fuite loin de ce monde pourri,de ce monde cruel et assoiffé de concupiscence charnelle,

demeura pour eux le crédo immuable et sacré,que des fidèles disciples,plus tard,ont exploité dignement,ainsi que l'avait fait Max Jacob :

C'est ainsi que vêtu d'innocence et d'amour,

J'avançais en traçant mon travail chaque jour,

Priant Dieu et croyant à la beauté des choses

Mais le rire cruel,les soucis qu'on m'impose

L'argent et l'opinion,la bêtise d'autrui

Ont fait de moi le dur bourgeois qui signe ici.

Ainsi la haine d'ici-bas et rien que la haine de ce bas monde,poussa en effet Mallarmé à chercher désespérément la solitude,sans pour autant abandonner toute relation avec ses amis intimes..tels que Vielé-Griffin96(*),h.de Régnier,ou même Stuart Merrill,dont il évoqua à maintes reprises les souvenirs avec une tendre nostalgie..

Mais cependant,en cherchant la solitude,Mallarmé portait vraisemblablement en son sein les germes d'un désappointement tenace et d'un dégoût morbide,hérité de ses longues lectures de Poe et de Baudelaire..

Il s'ingéniait à dissimuler ce désarroi infini qui le rongeait intérieurement,sans en jamais donner le moindre indice,susceptible de provoquer la curiosité surtout de ses plus proches disciples :Valéry,Claudel ou Pierre Louys..Même Lucie de Larue Mardrus suit le même cheminement que le Maître :

Je ne veux du deuil qu'on porte aux yeux de tous

Car la peine que j'ai ne regarde personne.

La volonté mainfeste de souffrir seul dans le sein de la solitude,tout cela est en effet dans la nature même de Mallarmé.de même que Verlaine qui,un jour oû il se sentit accablé de remords,déclama mélancoliquement

C'est bien la pire peine

De ne savoir pourquoi,

Sans amour et sans haine,

Mon coeur a tant de peine.

Le fait de vivre seul suppose une patience,un effort soutenu pour se revigorer et revoir avec lucidité et d'un oeil clairvoyant toute l'étape parcourue jusque-là et chercher les causes des maux dont on souffrait..Sully Prudhomme ,qui est un parnassien zélé,est aussi un témoin incontestable de cet état d'âme :

« Sa clarté caressante et fine

Dans sa patrie est sans témoin ;

Et l'intime ardeur de nos flammes

Expire aux cieux indifférents. »

Le mal n'est pas seulement sur la terre mais aussi dans l'au-delà,ce qui suscite même la fuite loin de l'au-delà comme le souligne avec bonheur G.Apollinaire :

Le gardien du troupeau chante tout doucement

Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent

Pour toujours ce pré mal fleuri pour l'automne.

La désertion des vaches de cette terre aride,abrupte,contraste clairement avec l'état d'âme du gardien qui entonne allégrement une petit chanson en l'honneur de la nature nourricière..Et Mallarmé,blasé à l'extrême,décida de déserter ce bas monde,qui trouva,à son tour,que sa poésie,épineuse et abracadabrante,ne nourrissait pas assez ses appétits si aigus et si avides.97(*)

La désertion d'un lieu ou la désertion volontaire de tout un univers d'hommes et de femmes,se fera normalement en fonction d'une attitude psychologique déterminante et rien d'ailleurs ne pouvait en cerner les cause endogènes,qui sont difficiles à dépister et à connaître avec exactitude..

Ah ! Seigneur,donne-moi la force et le courage

De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût

Le mépris de soi ou même le manque d'intérêt ou de soin pour sa propre personne,implique forcément un état d'âme en défaillance évidente.

Et pourtant le sentiment de dégoût que l'on éprouve vis-à-vis des choses mesquines et viles,nous conduit inéluctablement à l'amélioration de notre être..car par le dégoût,on ravive en nous l'impression naturelle de la pureté et encore par le dégoût,on ressuscite la conception originelle de notre être :

Tant que tu n'as pas senti l'étreinte

De l'irrésistible dégoût

Tu ne pourras me dire ;

L'âme des cris pleine,

« Je suis ton égale,ô mon roi »

C'est pourquoi on a tendance à croire que la débauche ou la corruption mène à l'assurance et à la maîtrise de soi.. cette idée ,si exacte qu'elle soit,ne suffit pas à nous convaincre pourtant que tout ce qui est corrompu pouvait être sanctifié et appartenir à l'élite des saints..
Le vierge,le vivace ,le bel aujourd'hui

Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile

Ce lac dur oublié que hante sous le givre

Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui.

Mais il incombe en dernier ressort au poéte de ressusciter ,d'exhumer et de séparer le pur de ce qui est impur ;c'est lui seul qui puisse achever une telle besogne pour permettre à l'homme de savourer l'éden inconnu jusque-là,comme le suggère justement Baudelaire lui-même :

Là,tout n'est qu'ordre et beauté

Luxe,calme et volupté.

En jetant humblement derrière lui :

un regard de pitié sur le théâtre vide

De tant de maux soufferts et du labeur humain98(*) ;

VI

Prestige et transcendance de l'art.

Quel est l'art de Mallarmé en poésie?C'est une question déjà soulevée et traitée maintes fois dans cette thèse,mais cela ne m 'empêche pas cependant d'y revenir ,en conférant à la question plus d'étendue et de précision;

J'a affirmé à bon escient que la poésie mallarméenne n'était pas faite pour être comprise,parce qu'elle était investie en quelque sorte de tout un monde de mystères et d'étrangetés,ce qui avait d'emblée effrayé le lecteur ,déjà habitué à l'intelligence d'un romantisme clair et facile99(*)..

En revanche,nantie aussi de caractère divin,la poésie mallarméenne est faite pour être savourée délicieusement au niveau musical,afin de racheter et de purifier les âmes encore sous l'emprise du péché.

De plus,la propension de Mallarmé vers l'abstraction,la généralité,la suggestion,le pouvoir d'invoquer plusieurs faits qui ,par analogie,se confondent dans un enchevêtrement insolite,comme une sorte de kaleidoscope vertigineuse,et de là à l'obscurité conséquente,cette propension en effet était le fruit de gigantesques efforts déployés par le poéte pour assurer à sa poésie cette nature mystérieuse et divine qu'il entendait lui attribuer.

Ainsi,comme on a pu le constater plus d'une fois,ce n'est pas pour appauvrir la matière poétique,encore moins de vouloir faire fuir le lecteur ou de le fatiguer à la recherche d'un sens à cette poésie énigmatique100(*).,c'est au contraire pour l' enrichir le plus amplement possible,c'est pour lui donner finalement une image idéale et noble,loin de la banalité et du rabachage éternel des thèmes rebattus.

Pour Mallarmé l'art est un don divin et nul ne saurait avoir la faculté de se l'approprier dignement sans l'intercession divine...L'art c'est aussi la faculté d'abstraire sa pensée,de la traduire sous la forme d'une vision extatique,
« s'isolant dédaigneusement dans la sérénité de l'abstraction »,ce qui pouvait contribuer à approfondir ,à  diviniser pour ainsi dire et par conséquent à obscurcir sa pensée,sous quelque forme qu'elle düt paraïtre,en lui donnant le statut d'un concept inaccessible et sacré.

L'art donc,c'est de façonner la chose de manière à lui attribuer la puissance du mystère et de l'absolu,de la faculté de l'immanence,de la vêtir de sainteté et de grandeur,.«L'art suprême consiste à laisser voir,par une possession impeccable de toutes les facultés,qu'on est en extase,sans avoir montré comment on s'élevait vers ces cimes.. » L'art par conséquent est un instinct,voire l'absence de lucidité,c'est un acte tout naturel,intuitif à la rigueur,sans aucune intervention de l'intelligence humaine..

C'est pour cela que le vers bien fait,le vers perfectionné,ne pouvait nullement être le produit de l'intelligence,mais c'est plutôt d'une faculté obscure,impénètrable,ayant pour foyer l'inconscient..

Dans un article de 1862,consacré à un ouvrage nouvellement paru  « les poésies parnassiennes » écrit par son fidèle ami des Essarts,Mallarmé insinua hardiment «plus d'ampleur que la pensée qu'ils révèlent (les vers)ce qui prouve un amour pour le beau vers,la pire des choses. »L'esprit poétique n'est pas d'être parfait,encore moins de tendre à la perfection ,mais c'est plutôt une disposition latente ,ténèbreuse de l'âme,qui a toujours besoin de ce baume-en l'occurrence la poésie- pour se rafraîchir et se revigorer.. 

Parlant un jour de Taine,Mallarmé déclara.«il sent merveilleusement l'âme de la poésie,mais ne comprend pas la beauté du vers,ce qui est au moins la matière de cet art. »Taine et Mallarmé s'appréciaient mutuellement,pour l'un comme pour l'autre,la po ésie puisait sa vraie origine dans les profondeurs de l'âme,et n'était jamais le fruit du labeur humain..

C'est pourquoi encore elle est voilée d'obscurité et de manque de clarté,car l'âme humaine est une sorte de cave oû tout est mystères et ténèbres,comme nous le prouve d'une autre manière Verlaine dans ce distique mystérieux:

Rien de plus cher que la chanson grise

oû l'Indécis au précis se joint.

Le va et vient qui existe naturellement entre la réalité existentielle et les ténèbres de l'âme,s'accomplit régulièrement à l'insu même de l'intelligence,d'oû la nature obscure de la poésie mallarméenne:

Lui-même,sachant par ailleurs lucidement à quel dégré d'obscurité il sombrait,et comme pour renforcer davantage cette conviction,il insinua clairement:101(*)

Le sens trop précis rature

Ta vague littérature.

Cette persuasion intérieure lui procurait plus de joie que de regret,car pour lui,la poésie devait être empreinte de mystère,autrement elle ne s'appellerait pas poésie:Tout ce qui est facile n'est pas du domaine de la poésie,issue de l'âme et faite uniquement pour être entendue par l'âme..et pour ce faire,la poésie devait être diversifiée,profondément nuancée..

Oh!la nuance seule fiance

Le rêve au rêve et la flûte au cor.

C'est là le véritable art poétique,qui assure à l'inspiration ,toute sa puissance et sa profondeur,comme le suggére encore avec plus d'exaltation H.de Régnier:

Et l'esprit allégé fuit

Sur l'aile des mots.

La technique poétique suppose en effet de la vigueur,une veine riche et puissante,une vision nette des choses et une patience inépuisable

C'est là que j'ai vécu dans ces voluptés calmes,

Au milieu de l'azur,des vagues,des splendeurs,

Et des extases nus tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes

Et dont l'unique soin était d'approfondir

Le secret douloureux qui me faisait languir.

L'art est de nature divine et baudelaire,se joignant en cela à son célèbre disciple ,ne pouvait le nier,puisque,pour lui,l'art est au-dessus de la masse qui ne pouvait jamais l'atteindre,car entre la masse et l'art,il y a l'infini,et l'infini suppose pour la masse,tout ce qui est mystère et inconnu.

VII

Préséance et declin de l'amour

Mallarmé ne reconnaît pas la notion du platonisme en amour:même l'amour courtois au sens oû on l'entendait au 16e siécle,n'est pour lui qu'un paravent qui voile la réalité ,une réalité montrueuse que l'on s'efforçait de camoufler sous une forme d'hypocrisie et d'une pudeur factice.

Donc Mallarmé,dans toute son oeuvre principale, et en particulier dans « l'après-midi d'un faune » avait largement cultivé le sadisme,la frénésie extatique en amour et rien n'avait préoccupé Mallarmé autant que le problème de la chair:

Ou si les femmes dont tu gloses

Figurent un souhait de tes sens fabuleux!

Faune,l'illusion s'échappe des yeux bleus

Et froids,comme une source en pleurs,de la plus chaste

Mais l'autre tout soupirs,dis-tu qu'elle contraste

Comme brise au jour chaude dans tas toison?

Cette domination,cette mainmise sur le corps,qui s'abandonne bien volontiers au magnétisme du sens,s'exaspère au fur et à mesure que le femelle montre de la résistance et rien n'aurait pu éblouir en vérité Mallarmé que le fait de savourer sadiquement les effets insidieux de la déception ou de l'échec en amour.

Le faune s'exhibe tout nu dans le vaste paysage,à la recherche d'une partenaire égarée..et tout son plaisir résiderait en toute probabilité dans cette quête d'un accouplement aléatoire,disant en lui-même « ces nymphes,je les veux perpétuer »

Puis je louerai beaucoup comme il convient

Cette chair bénie

Dont le parfum opulent me revient

Les nuits d'insomnie.

La chair est devenue chez Mallarmé comme d'ailleurs chez Verlaine,une hantise,une obsession tenace dont il eût beaucoup de mal à se défaire:102(*)

La chair est triste,hélas!et j'ai lu tous les livres.

La tyrannie en amour n'est pas un acte inconscient,dû peut-être à une crise psychique aiguë,encore moins à une volonté aveugle de se venger de l'autre sexe,c'est au contraire un acte lucide et délibéré, un acte accompli avec une détermination manifeste,accompagné du désir réel de voir la partenaire se débattre entre l'abandon et la résistance et une volupté des plus étranges se manifeste au coeur de cette lutte farouche103(*):

Je t'adore courroux des vierges,ô délice

Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse

Pour fuir ma lèvre en feu buvant comme un éclair

Tressaille!la frayeur secrète de la chair!

................................................

Que de mes bras,défaits par de vagues trépas,

Cette proie,à jamais ingrate se délivre

Sans pitié du sanglot dont j'étais encore ivre.

La tyrannie du sexe ne s'impose pa seulement dans toute sa contrainte répressive,mais aussi et surtout s'exerce directement de façon impitoyable et coercitive sur la victime ou la proie,comme le montre hardiment Baudelaire dans cette strophe éloquente:

....................

Montrant leurs seins pendants et leurs robes offertes

Des femmes se tordaient sous le noir firmament

Et,comme un grand troupeau de victimes offertes

Derrière lui traînait un long mugissement.

Ainsi la cruauté en amour va encore plus loin,non seulement chez Mallarmé,qui le conçoit comme un acte barbare,digne des êtres primitifs,mais aussi chez tous les poétes du temps et en particulier chez Sully Prudhomme:

Souvent aussi la main qu'on aime,

Effleurant le coeur,le meurtrit,

Puis le coeur se fend de lui-même:

La fleur de son amour périt.

Le désir sexuel devance souvent l'acte qui s'accomplit parfois avec le consentement tacite ou non de l'autre partenaire;ce désir en effet suppose des gestes et des manières,afin de parvenir à mâter en quelque sorte le refus de la partenaire convoitée..Il importe donc,au moyen des détours,des manifestations gestuelles ou verbales,de créer ce climat d'enchantement,de torpeur langoureuse,pour pouvoir susciter cette attirance brûlante à laquelle nul ne résiste:

Moi,de ma rumeur fier,je vais parler longtemps

des déesses;et par d'idolâtres peintures

A leur ombre enlever encore des ceintures

Cette séduction s'opère dans l'ombre et n'apparaît au jour que lorsque la manoeuvre est couronnée de succés,car en amour sexuel tout se fait dans un mystère absolu et impénètrable,pour imprimer la marque indélébile sur la peau lisse et satinée de la proie déjà résignée:

Mon sein,vierge de preuve,atteste une morsure

Mystérieuse,due à quelque auguste dent.

Mais d 'autre part,l'amour peut être éternel comme il peut être éphémère

selon les circonstances et les conditions psychiques du couple..L'éternité en amour que Mallarmé désavoue carrément,existera en effet,lorsque l'intérêt disparaît et n' y jouera pas le rôle essentiel et seul Verlaine est expert visionnaire en cette matière:

Et qu'après que je m'en aille au loin avec mon amour

Qui te conservera une flamme si forte,

Que même à travers la terre compacte et morte

Les autres morts en sentiront l'ardeur.

Verlaine lui-même avait connu l'amour dans le temps de sa jeunesse,mais cet amour au lieu de demeurer éternellement ,comme il l'avait souhaité dans de nombreux petits poémes d'une saveur exquise,s'est eclipsé de sa vie,si désordonné et souvent ravagée par des revers de toutes sortes,ces vers de P.Reverdy illustrent à merveille cet épisode tourmenté de la vie de Verlaine:

Ces lignes que mes yeux tracent dans l'incertain,

Ces paysages confus,ces jours mystérieux

Sont le couvert du temps quand l'amour passe

Un amour sans objet qui brûle nuit et jour

Et qui use sa lampe ma poitrine si lasse

D'attacher les soupirs qui meurent dans leur tour;

Reverdy,disciple et fervent admirateur de Mallarmé,a bien suivi le maître dans sa conception de l'amour.Qu'est-ce que c'est que le vrai amour?Quel est son fondement et ses limites?L'amour consiste-t-il vraiment à aimer un autre que soi-même?Mais pourquoi aime-t-on donc cet autre?Sommes -nous condamnés à aimer-rien qu'au nom de l'amour-sans rien recevoir en contrepartie?Et pourtant,en dépit de l'intensité des sentiments d'amour éprouvés par le poéte,l'on s'aperçoit justement que l'amour est aussi éphèmère qu'une rose d'un matin..comme le définit Francis Jammes dans cette strophe plus que pessimiste:

L'amour s'en va comme cette eau courante.

L'amour s'en va

Comme la vie est lente

Et comme l'espérance est violente.

Mais l'amour dure au contact de la réalité;;l'amour continuerait à vivre indéfinément s'il était nourri d'espérance et de résignation. L'amour meurt,en revanche,lorsque,attaqué de toutes parts par l'égoïsme,le mensonge et l'hypocrisie,montre de la lassitude et ploie sous le poids de l'indifférence:Ecoutons encore Francis Jammes:

Je n'aime qu'elle et je sens sur mon coeur

La lumière bleue de sa gorge blanche;

oû est-elle?Oû était donc ce bonheur?

Dans sa chambre claire il entrait des branches.

Et l'on ne manque pas rappeler que l'indifférence en amour implique la pire des conséquences:Ce cri douloureux lancé par Sully Prudhomme traduit impeccablement cette situation dramatique:

Vous avez désolé l'aube de ma jeunesse

Je voux pourtant mourir sans oublier vos yeux.

..;....................................

Oui,pour avoir brisé la fleur de ma jeunesse

J'ai peur de vous haîr quand je deviendrai vieux.

Ainsi différente de la conception que Mallarmé faisait de l'amour,du moins dans ses aspects les plus immédiats,celle des poétes contemporains s'attache avant tout,à la manière et sous l'influence des romantiques,à peindre dans des poémes souvent ingénieux,leurs déboires ou leurs douleurs imaginaires,comme l'avoue encore Sully Prudhomme

Ah!j'en connais beaucoup dont les lévres sont belles,

................................................

Mes amis vous diront que j'ai chanté pour elles,

Ma mère vous dira que j'ai pleuré pour vous.

J'ai pleuré,mais déjà mes larmes sont plus rares,

Je sanglotais alors,je soupire aujourd'hui.

L'amour chez les romantiques vibre de tous les ressorts que le temps n'a jamais encore rouillés et qui dure aussi longtemps que la poésie même..

Les Parnassiens,déjà hostiles à l'idée de tout ce qui est passion ou sentiment..se sont refusés -du moins en apparence-à traiter à fond cette matière et se sont bornés seulement à en évoquer quelques traits éparpillés dans leurs différentes oeuvres.

Tandis que les symbolistes,qui recherchent à travers leurs oeuvres,cet idéal éminent qui leur échappe toujours,considérent que l'amour est un moyen pour s'affranchir de la routine,pour s'accrocher au plaisir érotique et se sentir vivre avec toutes les sensations que peut procurer la nature104(*)..

Quel rapport y a-t-il entre l'amitié et l'amour?Pour Mallarmé les deux concepts se contredisent et ne se rejoignent jamais,car l'amour est un sentiment d'intérêt,de satisfaction physique et de concupiscence charnelle..Alors que l'amitié,si elle est souvent aussi fondée sur l'intérêt,elle n'en pouvait pas toujours être ainsi.La vraie amitié demeure celle du désintéressement ,de l'entre-aide mutuelle..Voilà enfin pourquoi l'amitié et l'amour ne se conçoivent que séparément et il n'existe entre eux aucune relation profonde.

Il faudra rire mais on rira de santé

On rira d'être fraternel à tout moment

On sera bon avec les autres comme on l'est

Avec soi-même quand on s'aime d'être aimé.

Ces quatre vers de Paul Eluard le montrent bien ..Mais l'amitié se transforme accidentellement ou subitement en amour,à l'insu de l'un et de l'autre partenaire...

De plus,ce changement,s'il n'était pas spontané,s'opère suivant des faits,des gestes,et même des actes délibérés,qui frisent la témérité et la hardiesse:des expédients et des mimes arbitraires auxquels on avait recours pour assurer notre conquête en amour...

Mon crime,c'est d'avoir,gai de vaincre ces peurs,

traitresses,divisée la touffe échevelée

De baisers que les dieux gardaient si bien mêlés

Le faune,qui convoite la nymphe avec une sauvagerie brutale et une détermination tenace,ne cessa d'échafauder des plans diaboliques pour assurer la conquête de sa proie et après d'intenses efforts ,il est parvenu à ses fins:

Et le Romain sentait sous sa lourde cuirasse

Ployer et défaillir sur son coeur triomphant.

Le corps voluptueux que son étreinte embrasse.

Ces vers de J.M.de Hérédia soulignent le fait que,en amour,comme en guerre,il fallait combattre,lutter contre la résistance de l'ennemi,pour le forcer en fin de compte à se rendre sans conditions et à s'abandonner à votre pouvoir.

La femme,qui cherche la volupté à travers son propre corps,ne pouvait vivre sans illusion et sans rêve..En un mot,toute femme est sujette à ce phénomène latent qui est le rêve..Il en demeure de même pour l'homme,car le rêve à chaque instant de la vie hante aussi bien la femme que l'homme.:

Je fais ce rêve étrange et pénétrant

D'une femme inconnue et que j'aime et qui m'aime.

Parallèlement au rêve qui nous obsède à l'état d'éveil en plein sommeil

se manifeste forcément l'oubli,qui reste l'ennemi principal de l'amour..

C'est la nymphe qui pleure un éternel oubli105(*).

Mais on voit cependant que l'oubli,tel un monstre dévorant tout sens d'amour,est terrassé,grâce à la fidélité,à la loyauté que l'on conserve vivaces pour l'objet aimé:,comme le confirme encore ce Parnassien à la veine pittoresque J.M.de Hérédia:

des larmes d'un enfant sa tombe est arrosée

Et l'aurore pieuse y fait chaque matin

Une libation de gouttes de rosée.

Cet amour que l'on s'acharne à protéger contre vents et tempêtes,ne survécut parfois qu'un laps de temps,comme une éclaircie dans la nuit noire de la vie:

Ô serments!Ô parfums!Ô baisers infinis!

L'adoration pieuse que l'on a sentie pour l'être cher,les sentiments de sacrifice que l'on était prêt à faire pour lui sans réticence mais plutôt avec courage et un esprit ouvert et inébranlable,tout cela ne subsistera plus que dans un vague bonheur que l'on ne cessait d'entretenir complaisamment en nous-mêmes.,rappelons encore cette admirable strophe de Baudelaire:

Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses

Et revis mon passé blotti dans tes genoux,

Car oû peut-on chercher tes beautés langoureuses

Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux,

je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses.

 Mais en revanche,on pouvait dire que pour Mallarmé l'amour est un acte,ou plutôt une action suivie de succès ou d'échec,une action oû la volupté,la concupiscence ,accompagnée d'érotisme sadique,jouent un rôle relativement primordial.

Tandis que pour les poétes contemporains,et même ceux de la génération suivante ou pour mieux dire pour le plus grand nombre d'entre eux,l'amour,tel qu'il était chanté par les romantiques,demeure d'abord un sentiment,un acte de sacrifice pour l'objet désiré:Louis Aragon,fidéle témoin de son temps et pionnier infatigable du surréalisme,mouvement poétique né du sang même du symbolisme et qui en est même le symbole de sa regénérescence,Louis Aragon,dis-je,illustre admirablement à travers cette tirade la tendance de ses contemporains:

Mon amourO mon amour toi seul existe

A cette heure pour moi du crépuscule triste

Oû je perds à la fois le fil de mon poéme

Et celui de ma vie et la joie et la voix

Parce que j'ai voulu te redire je t'aime

Et que ce mot fait mal quand il est dit sans toi.

VIII

Le rêve et le mystère

Le grand mystère de la vie,c'est évidemment le sommeil,cet acte qui s'opère dans l'incoscient,reste pour Mallarmé investi de mystère et d'inconnu et nul n'a osé exploré les profondeurs de ce mystère autant que le poéte des « Fleurs du Mal »:

Le sommeil est plein de miracles.

Il est vrai cependant que Baudelaire,ainsi que de nombreux poétes de l'époque,avaient tenté de voyager par la pensée dans les régions obscures de l'inconscient,surtout lorsqu'ils étaient sous l'empire du sommeil,mais leur tentative n'a jamais éclairci le mystère,au contraire,elle n'a fait que le rendre plus opaque,infiniment inaccessible.

Tu sais,ma passion,que,pourpre et déjà mûre,

Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure,

Et notre sang'épris de qui va le saisir,

Coule pour tout l'essaim éternel du désir.

Ce mystère imperceptible,inaudible et invisible,ne pouvait se concevoir qu'à l'intérieur de l'esprit,telle une vague vision,une image floue et opaque,qui s'échappe de la réalité,pour pénétrer dans la sphère nébuleuse de l'inconscient,dont le pouvoir demeure pour nous absolument inflexible.

Et P;Eluard,comme son habitude,laissa ingénuement courir sa plume pour tenter de l'élucider:

Ses rêves en pleine lumière

Font s'évaporer les soleils,

Me font rire,pleurer et rire,

Parler sans avoir rien à dire..

Du rêve naît forcément l'enchantement,le merveilleux;dans le rêve,résident naturellement la sorcellerie et la magie,à la faveur des ténèbres du sommeil..L'esprit divague,le coeur s'adonne à plaisir à la joie et à l'espoir :c'est le régne d'un monde d'enchantement et de fééries fantastiques:106(*)

...............les bêtes symboliques

dans la forêt du rêve et de l'enchantement.

Le rêve,malgré le mystère profond qui l'entoure,est une source d'extase et d'euphorie,oû l'âme,passivement et comme dans un état d'indolence extrême,se livre langoureusement à cette béatitude infinie,dont elle était frustrée à l'état d'éveil..

Mon âme

et grave,elle s'énivre à ces songes illustres

Que récelent pour nous les nobles sentiments.

L'âme,dans sa petite sphère,s'arrache aux soucis et aux tracas inexorables du quotidien,pour savourer les effets de l'éblouissement infini,qui s'estompe dans les horizons du subconscient,d'oû Rimbaud exhala cet aveu profond:

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies;

La jeunesse ,qui brûle d'impatience,dévorée par ce désir profond de vouloir à tout prix goûter aux charmes de la vie..la jeunesse et le rêve sont liés indissolublement :qui dit jeunesse dit rêve et qui dit rêve dit jeunesse et J.M.de Hérédia avait eu le génie de l'enfermer dans ce tercet:

La viole que fôle encore sa frêle main

Charme sa solitude et sa mélancolie

Et son rêve s'envole à celui qui l'oublie.

Mais le rêve aussi se saisit de sa victime,l'envoie dans un monde d'illusions et de fantasmagories dérisoires:

Quand l'ombre menaça de sa fatale loi

Tel vieux rêve,désir et mal de mes vertébres

Affligé de périr sous les plafonds funèbres,

Il a ployé son aile indubitable en moi..

Le rêve brise,annihile la réalité réelle,pour ériger à sa place un mur de ténébres et d'ombres dansant la sarabande,oû l'esprit de l'homme s'agite et s'acharne en vain à la recherche d'une issue salvatrice.

Entre l'homme et le rêve,subsiste en effet le mystère le plus étrange et pourtant l'homme dévoré par ce rêve,s'y offre voluptueusement sans résistance,car dans ce rêve,il semble trouver la paix qu'il convoite profondément..H.Michaux,héritier présumé de Mallarmé et l'un de ses descendants de talent,a su être en communion avec les cogitations du Maître:

Bondissant dans ses râles,

Au galop sur ses cordes sensibles et son ventre affamé

Aux désirs épais

Que personne ne satisfera.

Voilà l'homme dans sa quête effrénée du rêve et du désir toujours insatiable..Il va encore plus loin et ne s'arrête pas seulement à la satisfaction d'une volupté éphèmère,mais tente de s'accrocherà l'infini,à l'au-delà paradisiaque,oris comme il est dans l'emprise inexorable d'une mosaïque d'images se mouvant frénétiquement dans le vague absolu.«Nous voulons,déclara G.Apollinaire, nous donner d'étranges et vastes domaines oû le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir. ».Si l'homme cherche ainsi le plaisir dans le rêve et le mystère,il semble en revanche n'avoir aucune inclination pour la connaissance de la nature et ses mystères:la poésie mallarméenne par son étendue métaphysique,et ses caractéristiques éminemment idéalistes,a exploré plus ou moins exhaustivement les mystères de la nature et d'ailleurs nul poéte ,excepté Baudelaire,n'a osé pénètrer plus avant dans les régions inconnues de la nature vague et profonde.

L'homme,paradoxalement,se désintéresse catégoriquement de l'amour de la nature,dont il déplore gravement l'indifférence et le mépris pour la race humaine:,comme le clame hautement Leconte de Lisle:

La nature se rit des souffrances humaines.

De plus,l'homme donne l'impression d'être captif entre le rêve et le mystère de la vie,qui s'écoule rapidement pour céder sa place au néant infini et dans cet ordre d'idées,Pierre Emmanuel,semble s'être inspiré de Mallarmé,lorsqu'il insinue:

Si le plus grand mystère.

Est la limpidité

La pure absence Ô père

S'atteint en vérité

en regardant l'eau claire

Entre les doigts couler.

Il n'en demeure pas moins que l'homme,assoiffé d'inconnu et obsédé par l'idée de la mort,est encore profondément tiraillé,déchiré par le mystère de la vie,cette vie éphémère,qui passe comme un coup de vent sur une terre stérile,pour se dissiper dans l'infini,ensevelie à jamais dans l'oubli,et en ce sens,J.P.Toulet le dit sur un ton de badinerie:

Mourir non plus n'est ombre vaine

La nuit,quand tu as peur,

N'écoute pas battre ton coeur,

c'est une étrange peine.

Ce n'est pas tout,le mystère de la vie ne réside pas seulement dans l'accomplissement de son oeuvre destructrice..le mystère ,le vrai mystère,n'est ni la vie ni la mort non plus,mais c'est que la vie est elle-même jalonnée d'étranges mystères oû l'on voit la douleur de l'homme,ses souffrances multiples qui n'en finiraient pas ,mais qui plutôt accéléraient son ultime disparition d'oû,J.Supervielle,prophète de la misère humaine,dénoue cette interrogation angoissante:

Ô peau humaine que traverse

Misérablement les douleurs,

Ö creux éponge de détresse

Même lorsque tu fus sans peur

Il n'est de terre sans un cri

Que la terre des cimetières.

En vérité l'homme est né,non pour jouir,mais pour souffrir et s'habituer aux tourments que lui aurait infligés la vie,fait désormais partie de son attachement à cette ve même,qui,pourtant,avec le temps,s'épuise et se déprime,plus par la douleur et la peine que par d'autres agents insidieux et P.Reverdy lance cette exclamation poignante:

les animaux sont morts

Il n'y a plus personne

Regarde

Les étoiles ont cessé de briller

La terre ne tourne plus.

La fin naturelle de la vie se clôt par la mort ..et tous les sens sombrent dans les ténèbres du néant,pour dépérir à jamais..les rêves sévanouissent ,les espoirs disparaissent,entraînant avec eux les soucis,les tribulations corrosives et les tourments vécus..

Je me souviens,je me souviens

Ce sont des défuntes années,

Ce sont des guirlandes fanées

Et ce sont des rêves anciens..

Ce cri déchirant,c'est celui de Jean Moréas107(*),pour lui comme pour Mallarmé,:tout est vanité et rien que vanité:lutter,rêver à plaisir,s'évertuer pour s'offrir un moment de joie et de satisfaction physique,surmonter ses douleurs et les graves sévices du temps,pour se rendre compte au bout du chemin que tout cela n'est que de la vanité:

Ah!songer est indigne

Puisque cest pure perte!

En réalité,il ne demeurera ici-bas que le mystère et l'ignorance,quel que soit le progrés que l'on fait dans la connaissance des phénomènes qui nous entourent,car en principe,il serait futile de se creuser la cervellepour comprendre ce qui est à première vue indéchiffrable,abscons et abstrus:le rêve est un mystère que nul ne dévoilera jamais,tout comme la vie,qui ne se manifeste un instant que pour s'évanouir dans les nuits du temps:d'oû cette affirmation plus que philosophique de Francis Aragon:

Nos rêves se sont mis au pas mou de nos vaches

A peine savons-nous qu'on meurt au bout du champ

Et ce que l'autre fait l'ignore le couchant.

Ignorer tout et se contenter de ce qui est connu et visible,et pourtant cela n'est absolument pas suffisant,l'homme,cet être infime et fini,dans un monde vaste et infini,ne se borne plus au strict silence,fait preuve au contraire d'une curiosité infinie pour toutes les choses de la vie et pourtant il condamné à se taire.

Et le mystère,comme le rêve,pèse de tout son poids,grave,mystérieux,implacable,sur la destinée de l'homme.108(*).

IX

Dieu et la métaphysique.

L'obscurité109(*) de Mallarmé tient avant tout dans sa quête incessante de Dieu..Il ne put concevoir un Dieu seul,sans qu'il y eût eu des rapports immédiats avec les phénomènes environnants.Son Dieu n'est ni le Dieu de Hegel,ni celui de Nietszche,encore moins celui de Descartes ou de Voltaire,son Dieu,à lui,est un organisateur,un bâtisseur génial et suprême et c'est pour cela que dans tout objet qui existe,on voit la présence de Dieu.Quand on se promène dans la forêt,on a l'impression de voir l'Etre Suprême dans chaque arbre,dans chaque plante et dans chacun de ces petits êtres miniscules qui avaient la forêt pour berceau et le vaste espace pour asile.Paul Claudel se range à cette conception de Dieu et traduit heureusement et mieux qu'un autre la visée métaphysique de Mallarmé.110(*)

L'esprit panthéiste s'inscrit dans tout ce qui se voit,respire et

s'eclipse de la surface de la terre..

Ô crédo entier des choses visibles et invisibles

Je vous accepte avec un coeur catholique

Ou que je tourne la tête

j'envisage l'immense octave de la création!

Le régne de Dieu est le régne de l'humanité.111(*).Dieu créa l'humanité avec tout un attirail complexe de dogmes et de principes pour l'installer dans un ordre organisé et lui assurer la stabilité nécessaire à son développement et à son essor...

L'humanité qui s'était élargie au fil des siécles,s'astreignait en toute chose à la volonté divine et ne pouvait franchir ou outrepasser les bornes qu'il lui avait assignées sans se référer préalablement à ses commandements..Ainsi,J.supervielle,sous une forme quasi humouristique,procède à ce constat étrange:

Hommes,mes bien-aimés,je ne puis rien dans vos malheurs

Je n'ai pu que vous donner votre courage et les larmes

C'est la preuve chaleureuse de l'existence de Dieu.

Dieu regarde,contemple le désarroi,les tourments de son monde et cependant il garde le silence ,pire encore il détourne les yeux pour ne rien voir et ne rien entendre..Il s'empare des restes,des dépouilles et du charnier humain pour les drainer dans le gouffre du néant,comme le dira E.Verhaeren:

Tu rouleras,en tes vagues et tes crinières,

Ma poussière et ma pourriture.

Mais en dépit du silence de Dieu,l'humanité persévère dans sa progression,nourrie d'espérance et de vigueur pour un avenir meilleur:et précisément,dans ce contexte,Max Jacob,fidèle à la rhétorique mallarméenne de Dieu,ajoutera de plus belle:

J'attends vos silences,espace

Pour devenir un astre pur

J'attends les traits de votre face

Mon Dieu dans les miroirs obscurs.

Or l'humanité qui se résigne,qui ploie sous le fardeau de son implacable destin112(*),qui espère toujours et son espoir est exclusivement concentré en Dieu seul ,cette humanité ne s'en trouve pas pour autant allégé du poids accablant de la matière ,poids séculaire sous lequel elle ne cesse cependant de gémir,d'oû l'image funèbre évoquée encore avec non moins d' intensité par le poéte des « Villes tentaculaires »:

J'aurai senti les flux

Unanimes des choses

me charrier en leurs métamorphoses

Et m'emporter dans leurs reflux.

Le problème de Dieu113(*) et de l'humanité absorba longtemps Mallarmé,un problème qu'il n'écarta pas de ses préoccupations poétiques;il s'ingénia à en comprendre les implications profondes:il concoit bien qu'il y a d'un côté Dieu qui,de par son immense pouvoir, créa et éparpilla l'humanité dans l'espace infini de son domaine et de l'autre,l'organisation géniale de cette humanité,sa coordination étroite et la nature des rapports immédiats qu'elle devait entretenir en son sein,en tant que vaste cellule vivante,pour assurer sa survie perpétuelle..

Car vivre,c'est prendre et donner avec liesse.

Cet ordre planifié,cette discipline strictement conçue et mise en pratique,ces diverse lois et régles fondamentales,sont autant d'éléments susceptibles de concrétiser et d'affirmer l'esprit communautaire de l'humanité et par là promouvoir l'homme au rang d'une puissance capable de régner sur toutes les choses de la terre.d'oû cette strophe de H.de Regnier, qui illustre la perénnité de Dieu et de ses lois:

L'ombre scelle d'un doigt les lévres du silence

Je vois fleurir des fleurs de roses,à ta main,

Et par delà ta vie entre et comme d'avance

de grands soleils mourir derrière ton destin.

L`homme ,devenu capable de tout,grâce à ce pouvoir insufflé en lui par Dieu,son créateur,se lance à la conquête de l'éden et ne s'apaise que lorsqu'il aura satisfait ce désir profond.Or l'espoir de F.Jammes est plus vaste que celui du Maître:

« Je désire, ainsi que je fis ici-bas,

Choisir un chemin pour aller,comme il me plaira,

Au paradis oû sont en plein jour les étoiles »

mais,malgré son pouvoir infini,et qui s'accroit de plus en plus,l'homme vit dans l'horreur perpétuelle des choses de la vie;il se sent comme emporter sur les vagues du temps,s'acheminant vers le néant inexorable:Ecoutons encore cette tirade pittoresque qui s'inscrit dans le contexte métaphysique de Mallarmé:

J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou

Tout plein de vague horreur,menant on ne sait oû;

Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres

Et mon esprit toujours du vertige hanté

Jaloux du néant l'insensibilité.

Le temps,c'est du vide,mais du vide qui dévore et qui avale sans jamais avoir faim:donc le temps,c'est du néant,un néant qui embrasse d'un seul coup à la fois le fini et l'infini,le néant écrase de son incommensurable poids tout ce qui vit et tout ce qui ne vit pas..

Et l'homme,face à ce terrible chaos,à ce puits insondable et à ce monstre effrayant,se livre forcément à ses douleurs et à se angoisses lancinantes:

d'oû l'aveu exhalé par J.Supervielle avec un soupir à peine étouffé:

C'est beau d'avoir connu

L'ombre sous le feuillage

Et d'avoir senti l'âge

Ramper sur le corps nu

D'avoir senti la vie

Native et mal aimée

De l'avoir enfermée

Dans cette poésie;

La vie qui s'échappe,qui disparaît au bout d'un temps très court,engloutie dans le vaste néant,la vie elle-même n'est qu'un point obscur dans un immense globe lumineux..Et Mallarmé avait conçu l'idée de ne jamais penser à la vie,en tant que vie,mais de penser à ce qu'il y a au-dssous de cette vie,dont le doute,un doute viscéral,l'avait bouleversé profondément:

Mon doute,amas de nuits anciennes,s'achève

en maint rameau subtil,qui demeure les vrais

Bois mêmes,prouve,hélas!que bien seul je m'offrais

Pour triomphe la faute idéale des roses..

Le doute mortel114(*),terrible,qui n'a jamais cessé de hanter l'esprit de Mallarmé,ne s'éclaircit pourtant pas,mais au contraire,continue à se cramponner insidieusement à sa vision du monde,au point de lui inspirer le dégoût et la répugnance pour toutes les choses terrestres ,ce qui a fait dire P;Claudel,comme s'il était en communion de pensée avec Mallarmé:

Voici de nouveau le goût de la mort entre mes dents

La tranchée,l'envie de vomir et le retournement.

Le le dégoût de l'existence,l'aversion tenace pour toutes choses visibles et non-visibles,voilà ce que le doute provoque en dernier ressort..

Bien plus,le doute,tel un virus rongeur,s'acharne sur l'homme jusqu'à le conduire inéluctablement à la folie et à la terreur:et P.Claudel ajoute sans espoir d'apaisement:

Je prête l'oreille,et je suis seul et la terreur m'envahit.

L'homme, aux prises avec l'angoisse,la douleur morale,s'achemine de lui-même vers un autre univers,l'univers de la sombre désespérance et de là à la résignation passive,inerte,à l'engourdissement de tout son être et finalement à sa fin imminente:

Ridicule pendu,tes douleurs sont les miennes!

J'ai senti,à l'aspect de tes membres flottants,

Comme un vomissement,remonter vers mes dents,

Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes.

Devant toi,pauvre diable au souvenir si cher,

J'ai senti tous les becs et toutes les machoires

des corbeaux lancinants et des panthères noires

Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

Ce cri poignant,c'est celui de Baudelaire,qui a gravé dans l'âme de Mallarmé les mêmes sentiments.

Car le désespoir apparaît souvent à la suite d'un acte sadique..la provocation volontaire,l'agression délibérée et le désir de nuire à autrui,sont autant de facteurs probants qui incitent aussi la victime à la haine et au désespoir...

L'inflexibilité de l'objet aimé,accompagné de dédain et d'indifférence,fait naître dans l'amant bafoué un profond désespoir...

d'oû encore Baudelaire:

Je t'aime surtout quand la joie

S'enfuit de ton front cuirassé;

Quand ton coeur dans l'horreur se noie;

Quand ton présent se déploie

Le nuage affreux du passé.

Le désespoir conduit à l'anéantissement de tout sentiment de survie et de là au néant...car rien n'est pire que l'affreux désespoir,qui déploie et se développe si intensément qu'il s'insinue dans toutes les fibres de l'âme..:

Courte tâche!La tombe attend:elle est vide!

C'est l'inévitable,l'implacable trépas et l'homme,noyé dans une mer de douleur,luttant seul,sous les yeux d'un Dieu indifférent,pour survivre encore ne serait-ce qu'un moment très bref,et n'y pouvant plus, s'abandonne au courant qui l'emporte..

Vers le ciel ironique et cruellement bleu

(Eau quand donc pleuvras-tu ?

quand converas-tu,foudre?)

Que tout concoure pour écraser l'homme!que tous les éléments de la nature s'associent,pour annihiler sa présence de l'univers..!

..L'homme ne se sent d'aucun pouvoir,d'aucune initiative pour tenter d'éluder cette avalanche de malédictions et de contre-temps foudroyants..

Au contraire,il est toujours prêt à les recevoir et à en subir passivement les conséquences,puisqu'il sait que Dieu le contemple d'en haut avec méfiance..encore le cri larmoyant d'un J.Supervielle.

Et moi je reste l'invisible,l'introuvable sur terre,

Je ne vous offre qu'un brasier oû vous retrouviez du feu.

Un destin cruel frappe l'homme à tout un instant,se cramponne à sa gorge,le terrasse inexorablement,le réduit à une loque veule et gémissante,pour ensevelir ses cris d'agonie et ses lamentations dans le fond du sépulcre.

Les morts,les pauvres morts,ont de grandes douleurs.

Avec sa fin inévitable,sa disparition imminente,l'homme reçoit l'ultime offrande qui lui est réservée par son destin,c'est l'expiation dans la souffrance,la fuite dans le néant et dans l'oubli..

Toute l'âme résumée

quand lente nous l'expirons

dans plusieurs ronds de fumée

abolis en autres ronds

atteste quelque cigare

brûlant seulement pour peu

que la cendre se sépare

de son clair baiser de feu.

L'âme,accumulation de fumées épaisses,s'évapore dans le ciel noir,pour se disséminer à l'envi dans l'espace vide,et il n'en demeure plus rien,plus rien,car ici-bas tout est vanité:

Hélas!tout est abîme..action,désir,rêve

Parole!Et sur mon poil qui tout droit se relève

Mainte fois de la peur je sens passer le vent.

Ainsi l'homme qui sait d'avance que dans cet univers vague et sombre,toute résistance est vouée automatiquement à l'échec,ne voit plus qu'une alternative,se résigner à toutes les calamités terrestres ou mourir et se débarrasser d'un énorme fardeau accablant..ainsi cette supplication de Verhaeren qui incarne remarquablement les aspirations métaphysques mallarméennes:

Sois de pitié,Seigneur,pour ma toute démence,

J'ai besoin de pleurer mon mal vers ton silence

La nuit d'hiver élève au ciel son pur calice;

Mallarmé et les poétes ses contemporains et plus tard,dans leur sillage,la génération suivante,tous ont cultivé avec une passion croissante le problème métaphysique de l'existence,tout comme ceux qui ne cessent jamais d'obséder tous les esprits de tous les temps,à savoir Dieu,l'Univers et les souffrances humaines.

X

La problématique de la religion.

Mallarmé est un déiste à sa manière:pour lui-et il est juste dans sa vision -la religion est un phénomène idéologique créé pour combler un vide intellectuel dont souffre l'humanité...La croyance donc en la religion est du ressort de l'individu;;car on sent qu'il y a une profusion de religions et par conséquent,chaque individu est amené à opter pour l'une ou pour l'autre en toute liberté.Et Mallarmé,en son âme et conscience,avait opté en effet pour la religion de l'art,puisque en dépit des bienfaits incontestables de la religion et son influence salutaire,l'homme est resté toujours accablé de doute,martyrisé par les coups du hasard et les tiraillements d'un sort implacable,toujours aux prises avec l'angoisse et la perpétuelle inquiétude qui émane d'un état psychologique instable.Il ne pouvait dès lors concevoir une vie faite sans remords et sans tourments,puisque la religion n'étant plus le baume approprié,il est condamné à cette affligeante situation dont il lui parait impossible de s'échapper.Il en est ainsi de ce poéte mineur,Robert Honnert,vrai descendant et fidèle interprète de la poétique mallarméenne,qui affirme avec un accent douloureux:

Entre la joie et la douleur

Frémit l'âme encore incertaine

La lumière paraît lointaine;

On songe encore au goût des pleurs.

Or cette persistance dans l'infortune et la douleur,continue encore au-delà de toutes les limites,jusqu'au mpment oû,de guerre lasse,l'homme,tourmenté par l'angoisse et l'idée de la mort,se résigne enfin bien volontiers à recevoir le dernier coup de grâce et de prendre le chemin du néant:c'est ce qu'a poussé Franz Hellens encore un poéte féru à outrance de la poésie mallarméenne au point d'être devenu comme porte-parole le plus fidèle à déclamer d'une voix éplorée:

Buvons!voilà vingt ans

Que nous aimons ensemble

Sans que le verre soit brisé

Ni le carafe vide

Un jour viendra oû l'un de nous

N'y sera plus pour boire

Ni pour verser;

L'inévitable séparation est inscrite sur le front du destin de l'humanité..C'est une loi impérissable et à jamais éternelle,s'appliquant à des successions de générations infinies..

Avec la disparition de ces générations,c'est en effet tout un arsenal de dogmes,de fois,de crédos draconiens et de pratiques mystiques,le tout suggéré par la religion,qui disparaît..

Ainsi le dernier refuge de Mallarmé n'est pas du tout la religion,qu'il avait fermement désavouée,c'est,comme pour son maître Baudelaire,le néant et rien que le néant,qui le tourmentait sans répit,comme le disait J.Supervielle:

s'il n'était d'arbres à ma fenêtre

Pour venir voir jusqu'au fond de moi,

Depuis longtemps,il aurait cessé d'être

Ce coeur offert à ses brûlantes lois.

Dans ce long saule ou ce cyprès profond

Qui me connaît et me plaint d'être au monde

Mon moi posthume est là qui me regarde

Comprenant mal pourquoi je tarde et tarde.

La mortelle inquiétude,l'angoisse poignante et la douleur d'être encore de ce monde,tout s'expliquera spontanément par le sens que l'on donne à la vie terrestre,dont les principaux fondements est la religion pure,à la fois unique et multiple ,profonde et simple,claire et obscure..

Cette religion,dont la profanation délibérée ou non,conduisait à certaines époques à l'échafaud, s'impose cependant avec plus de rigueur que jamais,rassemblant dans sa sphère d'influence presque tous les esprits du temps..

Mais Mallarmé,ayant compris plus qu 'aucun autre la nature de cette influence accablante et pernicieuse,chercha désespérement à s'en défaire pour fuir dans un au-delà plus sacré,plus brillant et plus divin:

Est-il moyen,ô moi qui connais l'amertume,

D'enfoncer le cristal par le monstre insulté

Et de s'enfuir,avec les deux ailes sans plume,

Au risque de tomber pendant l'éternité.

La fuite dans un autre au-delà imprévisible et inconnu,est plus acceptable cependant que d'affronter,les mains nues et le coeur vide de tout espoir,les affreux moments engendrés par la présence étouffante de cette doctrine que l'on qualifiait de spirituelle et qui influe insidieusement sur les mentalités pour les détourner de force de leur voie initiale.

Ainsi fuir,fuir et se sauver de cette terreur aveugle ,devenait désormais le désir profond de Mallarmé,interprété si bien par E.Verhaeren:

Ivre,il vit,oubliant l'horreur des saintes huiles,

Les tisanes,l'horloge et le lit infligé,

La toux;et quand le soir saigne

Son oeil,à l'horizon de lumière gorgé,

Voit des galères d'or...

Fuir la religion dogmatique,tyrannique et terrifiante,pour embrasser la religion de l'amour,de la culture et de l'art,telle était en effet l'obsession déchirante de Mallarmé..

Mais le chemin vers l'amour de la nature,de la justice et de la liberté,est toujours jalonné d'obstacles infranchissables,de profondes ornières et de rocs acérés,impossibles à surmonter,ce qui suscite souvent la colère et la juste indignation contre l'Etre Suprême,ainsi qu'on le constate chez un Pierre Emmanuel,un des rejetons oubliés du symbolisme mallarméen:

Je n'écris que pour toi Seigneur

Pour t'irriter,pour te séduire

Pour te présenter ma douleur

Puis de ce tribut te maudire.

L'homme est l'esclave naturel de Dieu..ce dernier possède le pouvoir infini de faire de son esclave ce qu'il veut,puisque l'apprpropriation exclusive à Dieu est une réalité naturelle et métaphysique et nul n'osera élever un déni queconque à ce sujet,en ce sens que,de son vivant et après son extinction,l'homme est toujours la propriété de Dieu.D'oû ce tercet émouvant de P.valéry.

Qu'importe!Il voit,il veut,il songe,il touche!

Ma chair lui plaît et jusque sur ma couche,

A ce vivant je vis d'appartenir.

Qu'est-ce donc au juste le sens de la religion?Serait-ce une tentative pour gagner ce prétendu havre que l'on a coutume d'appeler paradis?Ou serait-ce encore un moyen d'éviter des maux terrestres ou encore une voie pour aboutir à l'amour de Dieu et de lui appartenir corps et äme en toute exckýlusivité?Serait-ce alors dans ce sens que l'on entend actuellement la religion?Pour Mallarmé,qui ne voyait dans la religion qu'une sorte de superstition,une mystification cruelle,tendant à entraver le libre-arbitre de l'humanité et de la priver de toute liberté d'action,le concept de religion lui-même mériterait d'être reconsidéré sous tous ses aspects..puisque dans son sens actuel et vu les métamorphoses successives de la race humaine,la religion,en tant que concept,vision ou même principe,cette religion est-elle encore fondamentale?Sa disparition éventuelle provoquerait-elle une rupture entre Dieu et l'homme?Et pourtant,de nos jours,qu'il y ait religion,ou qu'il n'y en ait pas,cela n'empêche en aucune manière de se rapprocher de Dieu et de jouir de sa clémence,de même qu'il l'aurait souhaité P.Claudel,le seul ,avec charles Péguy,qui ait exploré la mystique de Dieu et de la religion:

Je sais que là oû le péché abonde,

Ta miséricorde surabonde;

Car entre Dieu,qui n'est rien d'autre que l'Être Suprême,qui domine de sa haute majesté la terre et le ciel,et la religion,qui n'est en vérité qu'une doctrine et rien d'autre,ayant pour but essentiel de faire connaitre Dieu et ses attributs..Or entre l'un et l'autre,la différence est vaste,incommensurable,:Dieu est supposé éternel,impérissable;la religion ,périssable et évanescente,pour ne rester que la hantise d'un Dieu omnipotent,visible et invisible,diminateur,qui châtie et qui pardonne,invincible et d'une ubiquité permanente.Ecoutons P.J Jouve,partisan du surréalisme mais qui ne cache pas son appartenance tardive au symbolisme mallarméen.:

O vierge noire dans un temple de vent clair,

Je te retrouve aux mains croisées de la mémoire,

Chaque nuit je me trouve au banc comme une chair

Avant que le soleil ne soulève ses moires.

Les sentiments religieux influent et exaspèrent l'âme..et ce qui est à la fois bien étrange et contradictoire,ce sont des sentiments qui restent enracinés dans le sein de l'être,et telle une réserve spirituelle,d'oû il puise toute son énergie,il se sent comme retrempé et galvanisé ,quand il se trouve au bord de l'abattement ou du désespoir,ayant l'impression comme s'il était enveloppé des charmes de l'éden:on trouve cet état d'esprit aussi bien chez Mallarmé que chez ses disciples tel que Robert Honnert:

Alors légère et lumineuse

Revenant à son vrai destin

L'âme entrerait dans le jardin

Des éternités bienheureuses.

Alors selon la tradition,cette affinité,ce rapprochement intime de Dieu et cette communion avec tout ce qui n'est pas visible,ne pouvait s'accomplir que par le biais de la croyance et de la foi..donc de la religion elle-même..

La foi en Dieu,comme la croyance en tout,même à la métempsycose ou au mystère de l'au-delà,c'est le chemin unique pour s'assurer un petit gîte dans l'éden céleste.

Mais pour Mallarmé,comme pour la plupart de ses contemporains,qui démentent même l'existence de la religion,en tant que médium entre Dieu et sa créature,le doute reste en définitive comme ultime recours pour le salut du genre humain,puisqu'il n'est pas possible de concevoir ce phénomène entre le créateur et la créature..idée d'ailleurs que les déistes du 18e siécle et à leur tête Voltaire avaient soutenue énergiquement..

Mais si le scepticisme n'est qu'une sorte de refus,une non-acceptation de ce qui n'est pas valide,il n'en demeure pas moins une attitude rigoureuse et récalcitrante.

Et pourtant,ce qui s'avère clair et manifestement certain,au terme de ces cogitations religieuses,c'est que l'inanité de tout espoir dans une vie d'au-delà paradisiaque,est un fait réel et nullement une illusion

Vertige!voici qui frissonne

L'espace comme un grand baiser

Qui,fou de naître pour personne

ne peut jaillir ni s'apaiser.

Sens-tu le paradis farouche

Ainsi qu'un rire enseveli

Se coller au coin de ta bouche

Au fond de l'unanime pli?

XI

Les sentiments de la nature.

Plus que la pénétration et l'exploitation profonde du subconscient de l'être,plus que les préoccupations métaphysiques ou les recherches épuisantes d'un idéal impossible,l'attachement au mystère de la nature est un des principaux objectifs de la poésie mallarméenne.

La nature au sein de laquelle se baigne l'individu,se révéla pour Mallarmé dès son enfance comme le thème essentiel et réel autour duquel s'est élevée la conception poétique mallarméenne..Car,il n'y a que dans la nature que l'on puisse chercher et trouver l'extase et la béatitude,si nécessaire à l'inspiration poétique..

Ce sentiment de béatitude,d'épanouissement psychique et d'enthousiasme exubérant s'affirme et ne se réalise en profondeur qu'au sein de la vraie nature.

Emplis ton esprit d'azur..

Cette injonction hardie de Th.de Banville traduit nécessairement l'ivresse et la griserie que l'on éprouve au sepectacle de la nature,qui est le réceptacle de nos sentiments et de nos aspirations,provoquant ainsi l'éclosion du génie et nul poéte,quelle qu'en soit sa tendance,ne peut rester insensible à l'envoûtement de la belle nature ,comme A..Breton le souligne encore avec beaucoup d'assurance et de fermeté:

C'est l'azur.Tu n'as rien à craindre de l'azur.

La magie secrète qui se fait lentement dans les entrailles de la nature..cette exaltation infinie,ce débordement euphorique que nul n'ose arrêter:tout cela est accompli par la volonté divine,par cette puissance céleste que l'on entrevoit à travers chaque souffle de vent,chaque bestiole infime,chaque brindille et chaque chétive plante..

A l'heure oû ce bois d'or et de cendres se teinte

Une fête s'exalte en la feuillée éteinte!

Etna!c'est parmi toi visité de Venus

Sur ta lave posant ses pieds ingénus,

Quand comme un somme triste oû s'épuise la flamme;

La nature ne s'éteint pas...elle n'expire jamais..elle renaît perpétuellement de ses cendres,plus vivace et plus ardente encore..La nature,pour le poéte de «L'après-midi d'un Faune » est la source authentique de toute ardeur et de toute effervescence juvénile..C'est de la nature qu'émane notre allégresse ou notre chagrin..

Les tilleuls sentent bon s dans les bons bois de juin

L'air est parfois est si doux,qu'on ferme la paupière.

C'est le parfum de la douce,de l'agréable nature..et Rimbaud,peut-être plus que Mallarmé,avait savouré,durant ses longues randonnées nocturnes et forestières,ce charme émouvant de la nature embaumée..Tout s'épanouit,tout s'exulte et tout s'arrache à son inertie,lorsque la nature,émue et émouvante,se répand dans l'espace infini.

La bête épanouie et la vivante flore.

Ainsi,à la fois par son influence impérieuse et impérative,par ses profondeurs insondables et infiniment grandioses,la nature s'impose de force,au point que tout jeune poéte ,même dés le commencement de sa vie,tel que Mallarmé,se sentait charmé,attiré et séduit malgré lui par le sortilège de la nature..son attachement précoce pour cette dernière s'expliquerait alors par les phénomènes d'ordre et de désordre,inhérents au prestige et à la grandeur immense de la nature..

  Rameaux!Forêts!Silence,

O mes amours d'enfance!

..............................

O champs pleins de silence

O mon heureuse enfance

Avait des jours encor

Tout filés d'or!

L'enfance s'inquiéte et se réjouit en face de la nature...le spectacle qui s'offrirait à elle s'incruste tout à fait dans sa mémoire pour émerger plus tard ,en pleine période de maturité et de profonde conscience..

De fait le charme de la nature ,sa magie majestueuse,bouleversent et émeuvent prématurément l'esprit d'un enfant..

J'ai embrassé l'aube d'été.

De plus,la nature exerce des effets profonds et inépuisables sur l'esprit,elle suscite de nouvelles visions des choses et provoque même des délires exaltants,dus peut-être à ce désordre impénétrable ou bien même encore à cette beauté harmonieuse et éblouissante que l'on est amené parfois à découvrir dans la nature..

Le ciel creuse des trous entre les feuilles d'or.

Et cependant,la nature-à n'en pas douter-fait partie de notre propre être:Nous réunissons en notre sein un amalgame de tous les éléments de la nature,les plus neutres comme les plus bouleversants.Or l'association à ces éléments,leur rapprochement avec nos propres sentiments et même leur participation directe ou indirecte à l'épanouissement ou à l'extinction de ces sentiments est un fait réel et indubitable..

Mallarmé se sentait à l'aise,lorsque,de son appartement de la rue de Rome,il pouvait apercevoir des gens affairés,en débandade,et le soleil inondant sa chambre d'une clarté joyeuse,avec l'air qui charriait un effluve d'été,s'épanouissant avec une gaîté indescriptible..Mais en revanche,il se sentirait extrêmement mal à l'aise,comme pris sous l'empire du chagrin et de la morosité,si jamais il voyait que quelque chose dehors le contrariait:tels la pluie inopportune,un vent poussiéreux et un ciel sombre,accompagné d'une série d'éclats de tonnerre et d'orage,tout cela était de nature à offusquer la pensée du poète de « Divagations »,comme Leconte de Lisle semblait interpréter la portée dans cette belle strophe:

O mers,Ô bois songeurs,voix pieuse du monde

Vous m'avez répondu durant mes jours mauvais;

Vous avez apaisé ma tristesse inféconde

Et dans mon coeur aussi vous chantez à jamais.

Leconte de Lisle trouve la paix dans les profondeurs obscures de la forêt,fuyant le monde corrompu de la société moderne.Son exaltation est plus intense,plus profondes que celle des romantiques,qui avaient pourtant eu le don et le génie de fureter,de fouiller inlassablement dans le sein de la nature et d'en déceler les secrets les plus profonds..

Ainsi la nature apaise ou aggrave l'inquiétude du poéte et elle pourrait lui inspirer le calme,la pondération et la sagesse,comme elle pourrait aussi provoquer son indignation et son angoisse comme le disait déjà Baudelaire:

le ciel était charmant,la mer était unie;

Pour moi tout était noir et sanglant désormais..

Ce contraste frappant entre la nature joyeeuse et la douleur du poéte s'intensifie de plus en plus au contact de la réalité,d'une réalité implacable,enflammant à la fois son courroux et sa verve,à la vue de quelque spectacle de la nature meurtrie ou ravagée par la main de l'homme:paradoxalement,P.Reverdy en a été le seul témoin et le seul interpréte de cette nature qui avait longtemps enchanté le poéte de Hérodiade:

Rien derrière moi et rien devant

Dans ce vide oû je deescends

Quelques vifs courants d'air

Vont autour de moi

cruel et froids

Ce sont des portes qu'on a fermées

Sur des souvenirs encore inoubliés.

L'enfance ne garde plus rien des beaux souvenirs de cette nature décapitée et assassinée..Il n'en reste plus que le vide,le vide effroyable,et pourtant elle reste toujours sensible au parfum de ces lointains souvenirs si adorables.

La nature amputée,tourmentée cruellement par l'homme,avait déjà inspiré plus d'un poéte.

De nos jours la protection de la flore et de la faune,les mesures repressives,prises à l'encontre des destructeurs de la nature,jointes à la propagation des idées écologistes,pour la sauvegarder de toutes sortes de pollution :tout cela pourtant n'a rien donné et l'on est en droit de dire que la nature est en état d'agonie,premièrement sous l'effet d'une population toujours en croissance vertigineuse,deuxièmement suite à l'incurie et à l'indifférence de cette même population,qui ignore encore les bienfaits sur la santé des espaces propres,sains et verts;;

Nous n'irons plus au bois,les lauriers sont coupés.

Le départ de l'été et l'apparition de l'automne et de l'hiver,s'accompagnent parfois de l'angoisse métaphysique du poéte,qui aspire souvent à l'éden,à la joie terrestre et à la plénitude..Celui qui a exprimé le mieux ce désarroi psychique,c'est Baudelaire lui-même :

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres

Adieu,vives clartés de nos étés trop courts!

................................

Tout l'hiver va rentrer dans mon être:colère,

haine,frisson,horreur,labeur dur et forcé!

La misère de l'âme,la terreur insidieuse et la mortelle anxiété,tout s'infiltre lentement dans les fibres du coeur du poéte..pour se laisser ensuite bercer mollement par le flux et reflux d'une nature en pleine fluctuation..Et Verlaine donna libre cours à son exaltation énivrante ,emporté sur les ailes de la volupté vers un univers inattendu :

Et je m'en vais

Au vent mauvais

qui m'emporte

Deci-delà

Pareil à la

feuille morte.

Le coeur meurtri et l'âme affligée de remords ,le poéte s'engage à la recherche d'une issue;il s'accroche à cette étincelle salvatrice qui commence déjà à poindre aux horizons lointains d'une autre vie:

Je partirai!Steamer balançant la mature

Lève l'ancre pour une exotique nature .

La quête d'un au-delà idéal,d'un paradis qui échappe toujours,d'un refuge de paix et de quiétude,cette quête,en dépit des poursuites acharnées,s'est avérée en fin de compte impossible...Et Mallarmé,face au problème de la vie,avait cependant redoublé d'efforts,pour saisir l'insaisissable et pénétrer l'impénétrable,et libérer des entraves du temps l'âme humaine,pour instaurer un climat d'optimisme et d'espérance infinie;

Mais morne et tourmentée,la nature,qui réflète les sentiments du poéte,enveloppe l'unviers d'un suaire de mélancolie et de deuil:

L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.!

Plus la nature est souriante,gaie,saine et transparente,plus le poéte se sent comme affranchi du poids des soucis de la vie et s'adonne plus passionément à l'amour et à l'exaltation des sens.Mais par contre,plus la nature est sombre,plus le poéte est triste:tel que ce poéte- enfant qui,dans sa désolation,égaré dans les méandres de la vie,lance son dernier cri à la nature lugubre:

Mais,vrai,j'ai trop pleuré.Les aubes sont navrantes

Toute lune est atroce et tout soleil est amer.

Or,Mallarmé,poéte avant tout visionnaire,avait pénétré dans les profondeurs intimes de la nature et il en avait plus qu'aucun autre compris les mystères..alors que ses contemporains ne se sont penchés sur la nature que pour l'associer à leurs sentiments..

EPILOGUE

Le passé et l'avenir.

La création est le produit,le résultat de la destruction...

Détruire pour créer,tel était l'aphorisme universel brandi hautement à toute époque et par toute génération..

Descartes,dans l'ardeur de la jeunesse,avait décidé fermement de balayer toutes les conceptions philosophiques,pourtant très en voques en son temps,comme prélude à l'éclosion d'une philosphie toute nouvelle,basée sur la logique et la raison...

Les poétes éminents,les écrivains de génie et tous les penseurs qui ont exercé une influence notable sur leur temps ,en avaient fait de même..

Or,Mallarmé,à la fin d'un dix-neuvième siécle,quasiment à bout de souffle,oû la pensée est devenue stérile et d'une fadeur nauséabonde,Mallarmé,poussé par l'intime conviction que tout est à refaire en poésie,bouscula tous les dogmes conservateurs,rénova les régles de la métrique,enterra à la stupéfaction générale les formes de la poésie traditionnelle,pour produire une poésie tout enrobée d'un voile de magie et d'enchantement ,susceptible d'être à la fois un viatique substantiel pour l'esprit et pour le coeur.

Tuer pour rajeunir et pour créer;

Ainsi la création procède nécessairement de l'extermination,de l'annihilation de ce qui est vil,archaïque,vieillot et fade,pour faire naître une nouvelle sève et un nouvel idéal pittoresque et grandiose..

Et pourtant, en dépit du balayage total de tout ce qui existe de bas et de médiocre,le passé continuerait encore à péser de tout son poids pendant longtemps ,indéfinément..Il ne suffit pas de faire table rase de toutes les idéologies,de toutes les traditions et de toutes les régles qui avaient prévalu jusqu'alors,il convient encore de faire en sorte que tous ces phénomènes intellectuels ou spirituels ,s'extirpent du passé,s'effacent définivement de la mémoire du temps ,ce qui est une eoeuvre très difficile,sinon impossible,surtout en poésie,oû l'esprit romantique,comme on a pu le constater,domina longtemps la poésie symboliste tout autant que l'esprit classique se manifesta en toute évidence dans toute la production parnassienne;

Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Les réminiscences poétiques,pourtant vagues et obscures,s'éparpillent çà et là,dans la poésie mallarméenne,tout aussi bien que dans la poésie contemporaine symboliste ou non..

Le passé ne pèse pas seulement de tout son poids sur la pensée poétique du siécle, en particulier celle de Mallarmé ou même celle de Rimbaud,mais c'est encore le spectacle du passé en deuil,le passé fertile en événements malencontreux et tristes,le passé qui enveloppe en son sein tout un monde de misères,de désastres et de conflits atroces et sanguinaires,ce qui avait largement contribué à nourrir la poésie symboliste d'images et de souvenirs circonstanciés ,puisés dans ce passé si fécond,au même titre que la poésie baudelairienne.

Il pense;;;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve

jamais,jamais!A ceux qui s'abreuvent de pleurs

Et têtent la douleur comme une louve,

Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!

Le fardeau de ce passé mélancolique et douloureux,pésa longtemps sur la pensée de Mallarmé,lequel,apparemment n'a rien dévoilé -du moins dans ses poémes les plus célèbres-de toutes les tribulations subies et la misère atroce qu'une destinée pénible lui avait infligée et ce,bien qu'on ait néanmoins l'impression de percer dans chaque vers de ses sonnets,surtout ceux que l'on considère incontestablement comme les plus subjectifs,l'ombre persistante d'une âme qui souffre profondément..

Quoi qu'il en soit,la pensée n'est ppas faite en définitive pour demeurer figée et statique,elle est au contraire destinée à évoluer et si la poésie, qu'elle soit classique ou romantique,resta à l'état fixe,pendant une certaine période,sans être touchée par aucune évolution ou transformation quelconque..cet état de stagnation des régles et des idées,provoqua naturellement des impressions de monotonie et de satiété morbide,qui ont fini par s'étendre et contaminer la pensée littéraire générale,comme l'a bien souligné H.de Régnier:

Il est un port.

Le silence y somnole entre des quais de songe,

Le passé en algues s'allonge,

Aux oscillations lentes des poissons d'or;

Le souvenir s'ensable d'oubli et d'ombre

Du soir et toute tiéde du jour mort.

Qu'il soit un port

Oû l'orgueil à la proue y dorme en l'eau qui dort.

Cette léthargie perpétuelle de la vie et des idées,s'accentue davantage pour sombrer en fin de compte dans un oubli impénètrable,mais que la nostalgie du passé,le désir brûlant de sonder l'histoire révolue et de connaître les pensées et les modes de vie d'antan,tout cela incite le poéte ou l'écrivain à s'engager dans les m éandres du passé pour s'imprégner de son génie et de son prestige,pris comme modèle indiscutable pour cimenter et revigorer la vision qu'il s'était formé de la poésie...Et la jeunesse,plus qu'aucune autre période de la vie,se penche comme d'instinct sur le passé,car tout ce que semblerait lui offrir ce passé est impérativement empreint de mystère et de magie Rimbaud, qui,à peine sorti de l'enfance,clama sa nostalgie de ce passé qui n'est plus:

Oisive jeunesse

A tout asservie,

par délicatesse

J'ai perdu ma vie

Ah!que le temps vienne

Oû les coeurs s'éprennent!

La douceur de la vie dans le passé,ce bonheur exaltant dont le régne avait atteint son apogée,ce parfum d'ivresse charnelle et sentimentale,tout cela est révolu maintenant et Rimbaud,plus que Mallarmé,déplorait lamentablement la perte de ces moments de concupiscence intellectuelle et sensuelle qui ne reviendront plus jamais..

Ce dilemme angoissant entre le passé et le présent,ce tiraillement perpétuel entre deux pôles,tous deux obscurs et mystérieux,tout cela devient encore plus aigu,lorsque,à certains moments,pris d'une aversion obsédante,nous tentons de nous éloigner de l'un et de l'autre,car nous nous sentons,comme par une force magnétique,attirer malgé nous vers l'un et l'autre à la fois..les horizons du passé,avec son monde d'écrivains et de poétes innombrables,son arsenal de doctrines et d'idées enchevêtrées,s'estompent devant nos yeux éblouis..de l'autre le poids du présent,dans lequel nous vivons,avec ses multiiples problèmes et ses profondes incertitudes,nous accable indéfinément..d'oû le cri de détresse de ce météore à visage humain du nom de Rimbaud:

Par quel crime,par quelle erreur

Ai-je mérité ma faiblesse actuelle?

Ainsi si le passé pèse pour de bon sur le présent ,il ne saurait l'être indéfinément..d'autant plus que,gravement,le présent s'accentue et se déploie ,pour faire oublier le passé,grâce à cette explosion soudaine de l'énergie vitale,qui,à la faveur de certaines circonstances inattendues,secoue tout notre être,pour nous débarrasser ,comme Mallarmé au lendemain de sa vision divine,du poids du passé..

Par contre les acquis de la liberté et du savoir,demeurent en nous constamment vivaces,ce sont en effet les fruits de nos luttes et de nos labeurs interminables,ainsi queVerhaeren,qui avait sondé le passé le plus lointain, s'ingéniait à mettre en évidence la grandeur à travers la masse des foules:

Tout ce qui fut rêvé jadis;

Ce que les fronts les plus hardis

Vers l'avenir ont instauré;

Ce que les âmes ont brandi

Ce que les yeux ont imploré,

ce que toute la sève humaine

Silencieuse et renfermé,

s'épanouit,aux mille bras armés,

De ces foules,brassant leur houle avec leur haine.

Ce dynamisme éloquent,cet épanchement fébrile,cette explosion volcanique et terrible,tout ne s'accomplit que dans des moments fatidiques,oû le génie de l'homme,prisonnier et esclave de la tyrannie,se décide enfin de s'affranchir de ses chaînes séculaires..

Et cet état de délivrance finale,s'accompagne forcément d'une sorte d'optimisme factice et naïf,comme si le passé,avec tout son passé dominateur et ses obsessions viscérales,était enfin terrassé et anéanti à jamais dans la mémoire du temps..Non,on ne tue pas le passé..car le passé ,c'est la vie et la vie est une accumulation de facteurs divers:de joie et de tristesse,de pleurs et d'enthousiasme,d'échec et de réussite,de peur et de courage.:

Le chant des cieux,la marche des peuples!

Esclaves,ne maudissons pas la vie!

La malédiction ne provient pas de la race humaine,qui est en fait toujours résignée et patiente,elle descend au contraire d'en haut,en guise d'expiation,pour briser l'essor continuel de cette humanité conquérante..

Et de l'autre côté,le présent,qui exaspère par ses tracasseries affligeantes,ses soucis,ses doutes,ses multiples échecs et ses tentatives de rénovation,s'abaisse pour se refugier dans le plaisir perpétuel des réitérations et du rabâchage monotone des sentiments..

Ce présent que Mallarmé,a enrichi et illuminé par cette éclaircie remarquable,se dresse néanmoins et s'affirme avec force et vigueur,pour préluder encore à un avenir idéal.

Quand irons-nous,par delà les monts et les grèves,

Saluer la naissance du travaille nouveau

La sagesse nouvelle,

La fuite des tyrans et des démons,

La fin de la superstition.

Oui,quel sera l'avenir de la poésie mallarméenne?Que deviendrait-elle dans un ou deux siécles?

Jusqu'à présent,après presque moins d'un siécle déjà écoulé,elle a su surmonter l'érosion du temps...elle a triomphé de toutes les tentatives de dénigrement et de désaffection..elle a su en outre,en dépit de son caractère quasi inaccessible, se faire une place et une place de premier choix ..dans l'esprit des générations successives..

Les siécles écoulés ont en effet enseveli dans l'oubli de nombreux courants littéraires et poétiques;ils ont enterré des centaines de poétes et d'écrivains de toutes tendances..

Or la poésie mallarméenne et Mallarmé lui-même,seraient-ils pris dans l'engrenage du temps et avoir le même destin que la plupart de ses prédecesseurs?

Il serait difficile de prédire cette éventualité,car,malgré la rigueur du temps et de son injustice,des générations d'éclairés ont toujours su épargner les poétes qui se caractérisent par leur génie et leur efficience intellectuelle..parmi lesquels Mallarmé lui-même.

TABLE DES MATIERES.

Introduction

Comment a pris naissance la vision poétique de Mallarmé.

CHAPITRE PREMIER

Mallarmé,un vrai parnassien.

1. De la pension d'Auteuil au lycée de Sens.

2. Séjour en Angleterre.

3. Retour en France et son accession au professorat.

4. Tentative et essai poétique.

5. Un pauvre professeur intinéraire.

6. Premières publications dans des revues.(1874)

7. Le nom de Mallarmé dans « a rebours. » de Huysmans.

8. La vie loin de Paris:les vraies tribulations d'un professeur déçu.

9. Le Parnasse Contemporain et Mallarmé.

CHAPITRE DEUXIEME.

Mallarmé,disciple de Baudelaire.

1. La technique de Baudelaire et son influence.

2. Les thèmes traités dans la poésie baudelairienne

3. Le Parnasse est-il l'héritier de baudelaire?

4. Comment Baudelaire a-t-il rompu avec le romantisme.?

5. Comme Mallarmé a-t-il pris connaissance de Baudelaire?

6. Mallarmé s'est-il laissé influencé par Baudelaire?

7. Le réalisme exotique dans la poésie baudelairienne.

8. Le prestige de Baudelaire et se présence dans la poésie mallarméenne..

CHAPITRE TROISIEME.

Mallarmé et la poésie contemporaine.

1. Mallarmé,un vrai poéte de vocation?

2. Mallarmé et les poétes du temps.

3. Mallarmé s'applique à suivre la mode du temps.

4. Le régne et l'influence dominante du Parnasse.

5. Le roman entre en scène et prend son essor.

6. L'esprit du temps et le désir de Mallarmé de s'émanciper.

7. La traduction de Poe et sa mainmise sur l'esprit de Malloarmé.

8. Rigueurs et contraintes poétiques.

9. Echec de la technique parnassienne;

CHAPITRE QUATRIEME.

Mallarmé,pionnier du symbolisme;

1. Les illuminations de Mallarmé.(agitation et vision cauchemardesque)

2. Mallarmé,créateur d'une nouvelle poésie.

3. Mallarmé en butte aux critiques truculentes des traditionnalistes.

4. La poésie obscure de Mallarmé.

5. Stratégie et technique de la poésie mallarméenne.

6. Mallarmé et les symbolistes contemporains.

7. La valeur intellectuelle de la poésie mallarméenne.

8. La poésie mallarméenne et la prose de l'époque.

CHAPITRE CINQUIEME.

L'esprit et la poésie de Mallarmé.

1. La poésie mallarméenne est une poésie exploratrice de la psychologie et de la psychanalyse.

2. Art et mysticisme dans la poésie mallarméenne.

3. La vie spirituelle de mallarmé passe par le culte de la Beauté.

4. Renan,Taine et Mallarmé;

5. La pensée de mallarmé véhiculaire d'une nouvelle philosophie de la poésie.

6. La vision cosmique et morale de la poésie mallarméenne.

7. Grandeur et décadence de la matière poétique dans l'oeuvre de Mallarmé.

8. Mallarmé est-il prophète ou mage?

CHAPITRE SIXIEME.

Spécificité et Originalité

de la

poésie mallarméenne.

1. La dominante dominante dans la poésie mallarméenne.

2. Mallarmé et l'influence des lectures antérieures.

3. Authenticité et caractéristique de la poésie mallarméenne.

4. La poésie mallarméenne:miroir de l'esprit et du coeur.

5. Les préoccupations métaphysiques et le culte de l'universel.

6. La poésie mallarméenne,une extraordinaire épopée de l'esprit humain.

CHAPITRE SEPTIEME.

La poésie mallarméenne dans la balance;

1. Le poéte face à son destin.

2. La gloire et la mort.

3. La beauté et la musique dans la poésie mallarméenne.

4. Le problème de la liberté.

5. La haine d'ici-bas et l'amour de la solitude.

6. La transcendance de l'art.

7. Préséance et déclin de l'amour.

8. L'esprit de la justice.

9. Le rêve et le mystère.

10. Dieu et la métaphysique.

11. Problématique de la religion.

12. Les sentiments de la nature.

CONCLUSION

Le passé et l'avenir.

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

BIBLIOGRAPHIE GENERALE.

Ouvrages consacrés à l'oeuvre et à la vie de

STEPHANE MALLARME

1. Camille Soula :Gloses sur Mallarmé (Ed.Diderot.1946)

2. Gabrielle Faure :Mallarmé à Tournon. (Horizons de France 1946)

3. Henri Mondor :Vie de Mallarmé. (Ed.de la nouvelle Revue Française 1941-1942)

4. Charles Mouron:Mallarmé l'obscur.(Denoël.1941)

5. Emilie Noulet :L'oeuvre poétique de Mallarmé; (Libr.Droz 1940)

6. Henri Mondor :l'amitié de Verlaine et de Mallarmé. (Libr.Gallimard 1939)

7. Camille Soula:La poésie et la pensée de St.Mallarmé.

I-Essai sur le symbolisme de la chevelure. II-Un coup de dés (H.Champion 1926-31)

8.Jean Royere :Mallarmé. (A.Messein 1935)

9.Camille Mauclair :Mallarmé chez lui:Souvenirs; (Grasset 1935)

10-Edouard dujardin :Mallarmé par un des siens.(A.Messein 1936)

11-Melle Deborah A.K.Dish :La métaphore dans l'oeuvre de St.Mallarmé.

(une excellente thèse de Doctorat publiée par la Libr.Droz en 1938)

12-Pierre Beausire.:Mallarmé,poésie et poétique.(Mermod 1950)

13-Charles Mouron.:Introduction à la psychanalyse de Mallarmé.(La Baconnière 1950)

14-Francis de Miomandre :Mallarmé.(Bader-Dufour 1948)

15-Bernard Fleurot :St.Mallarmé.(Libr.des lettres 1948.)

16-Emilie Noulet:Dix poémes de St.Mallarmé;(Libr.Droz.1949)

17-jacques Scherer :L'expression littéraire dans l'oeuvre de St.Mallarmé (Libr.Droz 1947)

18-A.Thibaudet;:La poésie de ST.Mallarmé.(Ed.de la NRF 1913)

19-H.de Régnier:Etudes sur Mallarmé (1912)

20-Albert.Mockel :ST.Mallarmé:Un héros.(Société du mercure de France 1899)

21-Guy Delfel :L'esthétique de Mallarmé.(Flammarion 1951)

22-Robert Greer;Cohn :L'oeuvre de Mallarmé:Un coup de dés.Traduit par René Artaud.(libr.des Lettres 1951)

23-Jacques Gengoux:Le symbolisme de Mallarmé.(Nizet 1950)

24-Gardnet Davies :Les « Tombeaux » de Mallarmé.(Libr.José Corti 1950)

-Vers une explication rationnelle du Coup de dés.(1953)

-Mallarmé et le drame solaire (1959)

-Mallarmé et le rêve d'Hérodiade. (1978)

25-Jean Royere :La poésie de Mallarmé.(Emile Paul 1920)

Mallarmé (Kra.1927)

26-Scherer Jacques :Grammaire de Mallarmé (Nizet.1977)

27-Michaud Guy :Mallarmé (Hatier.1971)

28-Blanchot Maurice.:La poésie de Mallarmé est-elle obscure?(Gallimard.1943)

29-Bernard Suzanne :Le poéme en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours.(Nizet.1959)

30-Léon Cellier:Mallarmé et la morte qui parle (Puf.1959)

31-Pierre-Olivier Walzer :Essai sur Mallarmé .(Pierre Seghers.1963)

32-Charles Chaldwik:Mallarmé:sa pensée dans sa poésie (Corti.1962)

LES POETES QUI GRAVITENT DANS L ORBITE DE Mallarme

1. Albert Samain :né à Lille le 4 avril 185 ,mort à Magny -les-Hameaux (Paris) le 18 aout 1900.

2. J.Laforgue :né à Mont vidéo en 1860 mort à Berlin le 26 aout 1887.

3. Henri de Régnier :né à Honfleur en 1864 mort à Paris en 1936

4. Gustave Kahn (1859-1936)

5. René ghil (1862-1925)

6. Remy de Gourmont

7. Charles Morice (1861-1919)

8. Pierre Quillard (1864-1912)

9. Ephraim Mikhael (1866-1900)

10. Emmanuel Signoret (1872-1900)

11. Maurice de Plessys (1864-1924)

12. Saint-Pol Roux ) Ont introduit le symbolisme dans le théâtre

13. André Ferdinand Herold. ) dramatique.

14. Louis le Cadonnel (1862-1945) ) devenus tous deux des poétes

15. Adolphe Rette. (1863-1930) ) catholiques.

16. Camille Mauclair (1872-1945)

17. Robert de Souza (1865-1946) spécialiste de la technique du vers symboliste.

18. Ernest Raynaud : historien du symbolisme

Disciples de Mallarmé

devenus des pionniers pour la consecration et l'évolution de la poétique mallarméenne.

1. Paul Fort.

2. Francis Jammes.

3. Paul Claudel.

4. Paul Valéry.

5. Charles Guérin.

6. André Spire.

7. Henry Bataille.

8. Tristan Klingsor(pseudonyme de Léon Leclere)

9. Saint-Georges de Bouhélier.

10. Jean Royere

Michel Abadie (ses oeuvres son rares et il est presque complètement oublié depuis la moitié de ce XXe siécle.

Histoire du symbolisme en tant que mouvement

poétique révolutinnaire.

1. Louis Seylaz :EDGAR Poe et les premiers symbolistes français.(Lausanne,Imp.de la concorde.1924)

2. Alfred Poizat :Le Symbolisme,de Baudelaire à claudel.(La renaissance du livre,1919)

3. Ernest Raynaud :La mêlée Symbiliste.(la renaissance du livre 1918-1922)

4. Guillaume Apollinaire :la poésie Symboliste (1909)

5. Mme Anne Osmont:Le mouvement symboliste..(Maison du Livre.1917)

6. A.Barre.:Le symbolisme,essai poétique.

7. Gustave Kahn :Symbolisters et décadents `Vanier 1902)

8. G.Beaujon.L'école symboliste,contribution à l'histoire de la poésie lyrique contempraine (1900)

9. A. Rette :Le symbolisme,anecdotes et souvenirs (1903)

10. Remy de Gourmont:Souvenirs du symbolisme (Dans les promenades littéraires)

11. R.de Souza :Le rythme poétique (Perrin 1892)

12. G.Vanor :l'art symboliste (Vanier 1889)

13. J.Moréas :Les premières armes du symbolisme (Vanier 1889).

14. Charles Morice :La littérature de toute à l'heure (Perrin 1889)

15. Paul Verlaine.:Les poétes maudits (Vanier 1884 1888)

16. Jules Tellier.:Nos poétes (Paris,Dupret 1888)

17. René Ghil :Traité du verbe.(1886)

18. André Fontainas :Mes souvenirs dy symbolisme (Ed.de la Revue Critique 1928)

19. Gustave Kahn; Trente ans de symbolisme.(1929)

20. Georges Bonneau :Le symbolisme dans la poésie française contemporaine.(Boivin et Cie 1930)

21. Antoine Orliac :La cathédrale symboliste (Mercure de France 1933)

22. Gustave Kahn :Les origines du Symbolisme (a;messein 1936)

23. Ernest Raynaud :En marge de la mêlée symboliste (Socité du mercure de France 1926)

24. Aristide Marie :la forêt symboliste ,esprits et visages;(Firmin-Didot 1936)

25. Jean Ajalbert :Memoire en vrac .Au temps du symbolisme (18880-1890)(Albin Michel 1938)

26. André Dinar:La croisade Symbiliste (Société du Mercure de France 1943)

27. Henri Mazel:Aux beaux temps du symbolisme.(Société du Mercure de France 1943)

28-E.Rod:Etude et nouvelles études sur le XIX e siécle (1888-1898)

29-ed.Scherer:Etudes critiques sur la littérature contemporaine.(Calmann-Levy 1863-1895)

30-Van bever et Paul Léautaud :Poétes d'aujourd'hui (Société du mercure de France 1900)

31-G.Pellissier :Le mouvement littéraire au XIX e siécle (Hachette 1889)

32-Ernest Lajeunesse:Les nuits et les ennuis de nos noitoires contemporains;(Perrin 1896)

33-L.Arreat Nos poétes et la pensée de leur temps de Béranger à Samain(ROMANTIQUES,PARNASSIENS ET Symbolistes) (Alcan 1920)

34-Jean Epatein :La poésie d'aujourd'hui :un nouvel état d'intelligence (Ed.de la Sirene 1921)

35-P.Martino :Parnasse et Symbolisme.(Colin 1925)

36-H.Bremond :La poésie pure ( Grasset 1926)

37-Vigie le Coq :La poésie contemporaine.(1884-1898 société du mercure de France.)

AMIS ET CONTEMPORAINS de STEPHANE MALLARME

(Appartenant à la lignée du Parnasse)

1. Louis Menard (1822-1901)

2. Leon Dierx (1838-1912) à la mort de Mallarmé ,en 1896,il fut proclamé par les jeunes « Prince des Poétes. »

3. André Lemoyne :(1822-1907)

4. Albert Merat 1840-1909)

5. Jean Lahor (le célèbre docteur Henri Cazalis)qui,après Sully Prudhomme,fut le principal poéte philosophe du Parnasse.

6. Armand Silvestre (1838-1901) )ont abordé le théâtre avec

7. Catulle Mendès (1841-1909) ) un heureux succés.

8. Gabriel Vicaire (1848-1900) fut à ses débuts,un opposant farouche au symbolisme.

9. Geoges Lafenestre (1837-1919) s'intéressa plus particulièrement à l'histoire de l'art.

10. Emmanuel des Essarts (1839-1909) remarquable poéte universitaire.

11. Louis- Xavier de Ricard (1843-1911) fondateur,avec Catulle Mendès,du Parnasse.

Bibliographie d'études historiques et critiques de la période d'avant l'avènement du mouvement symboliste.

1. Henri Clouard:La poésie française moderne des romantiques jusqu'à nos jours.(gauthier villard 1930)

2. Marcel Raymond :de Baudelaire au surréalisme,essai sur le mouvement poétique contemporain.(Ed.Correa.1935)

3. André Fontainas :Tableau de la poésie française d'aujourd'hui.(Edition de la Nouvelle Revue Critique 1931)

4. Charpentie :L'évolution de la poésie lyrique de joseph de Lorme à Paul Claudel.(Les oeuvres représentatives .1931)

5. François Porche :poétes français depuis Verlaine ( edition de la nouvelle revue Critique 1930)

6. Jean Rousselot : Panorama critique des nouveaus poétes français.(Flammarion .P.Seghers 1952.)

7. René Albert Gutmann:Introduction à la lecture des poétes français (Flammarion 1947)

8. Caillois :Importance de la poésie. 1946)

9. Julien Benda :La poétique selon l'humanité non selon les poétes.(Genève 1946)

10. Jean paulhan :Clef de la poésie (Gallimard 1945)

11. Rudler:Parnassiens,Symbolistes et Décadents ;(Messein 1938)

12. Jacques et Raissa Maritain:Situation de la poésie (DESCL2E DE Brouwer et Cie 1938)

13. Fernand Gregh :Portrait de la poésie française au xixe siécle (1936)

- Portrait de la poésie moderne de Rimbaud à Valéry(Delagrave 1936)

14.André Fontainas :Impression d'un poéte. (Société du Mercure de France 1936)

15.Henri Derieux :La poésie française contemporaine (Société du Mercure de France 1936)

16.Jean Cassou :Pour la poésie (Ed.Correa 1935)

17.Patrice Buet :Les jeunes poétes de France (Ed.de la revue moderne 1933.)

18.Camille Mauclair:La vie amoureuse de Ch.Baudelaire.(Collection « leurs amours » Flammarion 1928)

19.Jean royere :Baudelaire,mystique de l'amour.(Ed.champion 1927)

20.Armand Godoy :Stèle pour Ch.Baudelaire.(Les écrivains réunis.1928)

21.Maurice Barrès:La folie de Ch.Baudelaire (les écrivains réunis 1928)

22-François Porche:La vie douloureuse de Ch.Baudelaire.(Collection « le des grandes existences »)

23.Stanislas Fumet:Notre baudelaire (Coll.  « le roseau d'or » Plon-Nourrit 1926)

24.Gustave Kahn:Charles baudelaire,son oeuvre.(Ed.de la NRF 1925)

25.Jean Pommier:Dans les chemins de Baudelaire (josé Corti 1945)

26-Adolphe Tabarant :La vie artistique au temps de Baudelaire.(Société du Mercure de France 1942)

27.François Porche:Baudelaire,histoire d'une âme.(Flammarion 1945)

28-Marc Seguin:Aux sources vivantes du symbolisme :le génie des fleurs du Mal (Messein 1939)

29.Camille Mauclair:Le génie de Baudelaie.(Ed.de la nouvelle Revue Critique 1933)

30.Jean Pommier:La mystique de Baudelaire.(les belles-Lettres 1932)

31.André ferran:L'esthétique de Baudelaire (Hachette 1933)

32.Dr René Laforgue:l'échec de Baudelaire (Plon 1931)

33-Philippe Soupault:Baudelaire (Rieder 1931)

34-André Fontaine :Dans la lignée de Baudelaire.(1930)

34.Robert Vivier :L'originalité de Ch.Baudelaire.(La renaissance du livre 1928)

35.Alphonse Seche:La vie « des Fleurs du Mal » (Ed Malfere 1928)

Prolongement logique et naturel du symbolisme

Le surréalisme et ses représentants.

(L'influence de Malklarmé est quasi permanente dans toutes les oeuvres.)

1. Philippe soupault.

2. Paul Elaurd.

3. Robert Desnos.

4. Benjamin Peret.

5. Roger Vitrac.

6. Antonin Artaud.(Reconverti plus tard en homme de Théâtre)

7. Jacques Prévert.

8. René Char;

9. Raymond Queneau(Se sépara du surréalisme en 1919)

10. Tristan tzara (défection à la fois d'avec le Surréalisme et le dadaïsme)

Bibliographie sur le surréalisme.

1. André Breton:Le manifeste du surréalisme (Kra 1924 et 1929)

2. Guy Mangeot :Histoire du surréalisme(Henriquez 1934)

3. Michel Carrouges :André Breton et les données fondamentales du surréalisme(lib.Gallimard 1950)

4. Claud Mauriac:André Breton (Ed.de Flore 1949)

5. Victor Crastre :Drame du surréalisme (Lib Gallimard 1949)

6. Julien Gracq :André Breton (José Corti 1948)

7. André Breton :situation du surréalisme entre les deux guerres.(Ed.de la revue fontaine 1943)

8. Maurice Nadeau:Histoire du surréalisme.(Ed.du seuil t1-1945 t2-1948)

9. Jean cazeaux :Surréalisme et psychologie (Libr;josé Corti 1938)

10. Jean Topssa La pensée en révolte :essai sur le surréalisme.(Henriquez 1935)

11. Marcel Raymond:Le sens de la poésie moderne de Baudelaire au surréalisme.(Libr.josé Corti 1940)

12. Georges Hugnet :Petite anthologie pétique du surréalisme.

(Ed.Jeanne Buchet 1934)

Bibliographie sommaire sur la poétique parnassienne.

1. C.Kramer:André Chenier et la poésie parnassienne-Leconte de Lisle(Champion 1925)

2. E.Esteve :Leconte de Lisle:l'homme et l'oeuvre.

3. Maurice Sauriau:Histoire du parnasse (ed.1930)

4. Albert de Bersaucourt:Au temps des parnassiens :Nina de villars et ses amis (La renaissance du livre 1922)

5. Edmorido Rivaroli:La poétique parnassienne d'après Th.de Banville(1915)

6. Xavier de Ricard:Petits mémoires d'un parnassien.

7. Catulle Mendès :/La légende du Parnasse Contemporain (Bruxelles 1884)

8. Th;Gautier Notice sur Charles Baudelaire.(Bonnetin 1903)

9. Ch.Arselineau:Ch.Baudelaire ,sa vie et son oeuvre.

10. Maurice Souriau:la téorie de l'art pour l'art chez les derniers romantiques et les premiers parnassiens.

11. Pierre Jobit :Leconte de Lisle et le mirage de l'ile natale (Ed.de boccard 1951)

12. H.Batet:Leconte de Lisle:la sensation (Ed.Stéfana 1951)

13. Hugues Lapaire :Rollinat,poéte et musicien (Mellotee 1930)

14. Henri Mondor :L'affaire du Parnasse.(Ed.fragrance 1951)

15. J.K.Ditchy :le thème de la mer chez les parnassiens Le conte de Lisle et Hérédia (Les Belles-Lettres 1927)

16. Francis Vincent : Les parnassiens:l'esthétique de l'école,,les oeuvres et les hommes  (Ed.beaucgêne 1934)

L'influence de Mallarmé à l'Etranger;

Disciples Belges.

1. George Rodenbach.

2. Emile Verhaeren.

3. Charles Van Lerberghe.

4. Grégoire Leroy

5. Maurice Maeterlinck.

6. Max Elskamp;

7. A ndré Fontainas.

8. Albert Mockel.

Disciple américains.

1. Stuart Merrill.

2. Francis Viélé Griffin.

.

Les dissidents du Symbolisme.

Apparition de nouvelles tentatives poétiques pour remplacer le symbolisme)

1. Jules Romain :L'unanimisme 1909 (Seule tentative qui a eu du succés pourtant éphèmère)

2. Jean de la Hire:Le synthétisme 1901

3. Adolphe Lacuzon :l'intégralisme 1901

4. Florian-Parmentier:l'impulsionisme 1904

5. Lacaze Duthiers :l'Aristocratisme 1906

6. Louis Nazzi :Le sincérisme 1909

7. Han Ryner :Le subjectivisme 1909

8. Marinetti :Le futurisme 1909

9. Ch;de Saint-cyr. L'intensisme 1910

10. lucien rolmer :Le floralisme 1911

11. H.M.Barzun et Ferdinand Divoire::Le simultanéisme 1912

12. H.Guilbeaux:le dynamysme 1913

Tendance ayant eu de larges succés tant en peinture qu'en poésie
Le cubisme.
Le dadaïsme

LES PREMIERES REVUES SYMBOLISTES.

1-Lutèce :fondée en 1884 par Charles Morice.

2-Le décadent :fondé en 1885 par Anatole Baju.
3-Le symboliste :fondé en 1886 par Gustave Kahn.

4-La plume :fondée en 1889

5-Le Mercure de France:fondé en 1890 dirigé par Alfred Vallette (Organe officielle du symbolisme)

6-La Revue Blanche fondée en 1891 par Alexandre Natanson (publia la première édition des symbolistes)

7-Le « Théâtre d'Art » fondé en 1890 par Paul Fort (instaura à titre définitif sur la scène littéraire le symbolisme,en tant que mouvement poétique dominant,en faisant reculer du même coup au second rang le Parnasse.)

ESSAYISTES CONTEMPORAINS DE MALLARME

(Critiques et Admirateurs du Symbolisme.)

1-Ernest Legouvé:l'art de la lecture (1877)

2-Arsene Houssaye :Histoire du 41e fauteuil de l'Académie Française(1855)

3-Auguste Vaquerie:Profils et grimaces (1856)

4-Maxime du Camp : Souvenirs littéraires (18822-1880)

5-Aurelien Scholl :L'esprit du boulevard. (1886)

6-Jules Claretie: La vie à Paris.

7-Edouard Schure :sanctuaires d'Orient (1898)

Précurseurs et révoltés ( 1904)

8-Octave Uzanne : L'esprit du temps;

9-Henri Roujon En marge du temps (1908)

10-Joseph Peladan :amphithéâtres des sciences morales.

La décadence esthétique.

Les idées et les formes.

11-Marcel Schvob :La croisade des enfants (1896)

12- Guillaume Apollinaire :Le flâneur des deux rives (1918)

OUVRAGES CONSACRES A QUELQUES ESSAYISTES

qui s'étaient signalés par leur critique du symbolisme.

1-L.Treich:L'esprit d'A.Scholl (Edit.Gallimard.1925)

2-Jean Dornis:La vie,la pensée et les plus belles pages d'E.Schure.(Edit.Perrin 1923)

3-Pierre Champion :Marcel Schvob et son temps (Grasset 1923)

4-C.Bourquin : J.Benda ou le point de vue de Sirius (Edit.du siécle 1915)

la trahison de J.Benda 1934

5-C.Rette: :Léon Blois,essai de critique équitable (Bloud et Gai 1923)

6-R.Martineau: Léon Bloy,souvenir d'un ami (Libr.de France 1924)

Léon Bloy et la « femme pauvre » (Société du Mercure de France 1933)

7-Pierre Charlot :Jacques Rivière (Bloud et Gai 1935)

8-Pierre Guilloux :Les plus belles pages de Jacques Rivière (Perrin 1924)

9-Joseph Serre :Ernest Hello ,l'homme,le penseur (Perrin 1894)

10-stanislas Fumet :ernest Hello ou le drame de la lumière (Ed.Albin Michel 1928)

11-Joseph Bollery :Un grand écrivain français méconnu :Léon Bloy(La Rochelle ,Libr.Pijollet 1929)

12-Ernest Seilliere :Léon Bloy,psychologie d'un mystique (Ed.de la nouvelle revue critique 1936)

13-Albert Beguin :Léon bloy l'impatient (Les édi.litt.1945)

Bloy mystique de la douleur (La bergerie 1945)

OUVRAGES ETRANGERS ET FRANCAIS SUR LE STYLE ET LA THEORIE DES SYMBOLISTES.

1-Kenneth Klark :Landscape into art (London,Penguin Books 1956)

2-Yvonne Ferrand-Weyer :Fontaines de mémoires (Paris le Divan 1935)

3-Lucien Fabre :La connaissance de la déesse (Paris,Société littéraire de france 1920)

4-T.S.Eliot :Reflections on contemporary poetry dans « The Egoist » Sept.1920.

5-Rose Frances Egan :The Genesis of the theory of « Art for Art »in Germany and England Massachusetts 1920

6-John Dennis :The grounds of Criticism in Poetry dans The select Works of John Dennis » London .J.Derby 1918

7-H.W.Decker :Pure poetry 1925-1930 University of California Publications dans Modern Philology 1962

8-Gardner Davies :Vers une explication rationnelle du « coup de dès «  Paris Corti 1953

9-Victor Cousin :Cours de philosophie professé à la Faculté des Lettres pendant l'année 1818,publié par Adolphe Garnier (Paris Hachette 1936)

10-Deryck Cooke :The language of Music (London,Oxford University Press 1959)

11-R.G.Collongwood:The principles of Art (Oxford,Clarendon Press 1937)

12-G.R.John :Mallarme's Masterwork (The Hague-Paris Mouton 1966)

13-A.G.Lehmann :The symbolit aesthetic (1885-1895)(Oxford,balackwell;1856)

14-Frederic Lefevre :Entretiens avec Paul Valery (Paris le livre 1926)

15-F.W.Leakey :Baudelaire and Nature (Manchester University Press 1969)

16-J.R.Lawler :lecture de Valery (Paris,gallimard 1935)

17-Jean de Latour :Examen de Valery (Pariis,Gallimard 1935)

18-Theodore Jouffroy :Cours d'esthétique (Paris,Hachette 1843)

19-John H.Ingram:The life and Letters of E.A.Poe (London,Ward,lock &Bowden 1891)

20-W.N .Ince :The poetic Theory of Valery (Leicester Uninversity press 1961)

21-F.Hutcheson:An inquiry into the original of our ideas of Beauty and Virtue (London R.W.Ware 1953)

22-P.Guiraud :Langage et versification d'après l'oeuvre de Paul Valery(Pari C.Klincksieck 1953)

23-Remy de Gourmont:Le chemin de velours (Paris,Mercure de France 1928) :Le problème du Style (Paris,Mercure de France 1938)

24-Margaret Gilman:The idea of Poetry From Houdar de la Motte to Baudelaire (Cambridge,Harvard University Press 1958)

25-A.Robbe-Grillet :Pour un nouveau roman (Paris,Gallimard 1963)

26-J.Royere :Clartés sur la poésie :(Paris Messein 1925)

27-J.P.Richard Poésie et profondeur (Paris Ed.du seuil 1955)

A.W.Raitt :Villiers de l'Isle Adam et le mouvement symboliste (Paris,Corti ,1965)

28-Herbert Read Phases of English Poetry (London,Eogarth Press)

29-Albert Poisson:Théories et Symboles des alchimistes;(Paris,Bibliothèque chacornec 1891)

30-E.A.Poe :The Works Of Poe (London,A &C Black 1901)

31-Walter Pater :Studies in the renaissance (London,Macmillan Paris 1967)

32-Clément Moinan :henri bremond et la poésie pure (bibliothèque des Lettres modernes ,Minard 1967)

33-Nossop :Mallarmé's Prose pour des Esseintes (French Studies avril 1964)

34-Auguste Otto :Hegel et la philosophie allemande (Paris,Joubert 1844)

35-C.Mauclair :Mallarmé chez lui (Paris,Grasser 1935)

36-Gita May :Diderot et Baudelaire,critiques d'Art (Paris,Minard 1957)

37-Renc Vittoz :Essai sur les conditions de la poésie pure (Paris,Jean Baudry 1929)

38-P.M.Waterill :Baudelaire et la poésie de Poe (paris,Nizet 1962)

39-René Wellek :A History of Modern Criticism :1750-1950 (London,J.Cape 1955)

40-F.Suckling :Paul Valéry and the civilised Mind (London,Oxford university Press 1954)

41-Joseph Warton:Essay on the Writings and Genius of Pope.(London,Richardson,1806)

42-P.O.Walzer :La poésie de Valery (Geneva,Cailler 1953)

43-E.F.Shannon:tennyson and the reviewers (London,Harvard University press 1952)

44-Ph.Van Tieghem :Petite histoire des grandes doctrines littéraires en France (Paris,Presse Universitaire de france 1957)

45-Charles Batteux :Les Beaux-Arts réduits à un même principe .(Paris,Durand 1747)

46-L.Bergeron :le son et le sens dans quelques poémes de « charmes » de Valery (Aix-en-Provence 1963)

OUVRAGES SE REFERANT A LA PERIODE PARNASSIENNE ET SYMBOLISTE

1-Dr Charles Guilbert :L'envers du génie (G.de Nerval,Baudelaire,Verlaine,A.de Musset,Rollinat) (Albin Michel 1927)

2-Lucien Refort :La caricature littéraire (Lbr.A.Colin 1932)

3-Leon Deffoux :Le pastiche littéraire ,des origines à nos jours (Delagrave 1932)

4-G.Charensol:Comment ils écrivent.(Ed Montaigne 1932)

5-Alain :Propos de Littérature (P.Hartmann 1934)

6-Marcel Gastay :Trois voix perdues .J.Giraudoux.P.Valéry,L.P.Fargue.(Libr.des Lettres 1950)

7-Etienne Burnet :Essences (valéry,Montherlant,Proust) 1929

8-Denis Saurat :Tendance (Ed.du monde moderne 1928)

9-Jacques Bainville:Au seuil du siécle .(Ed.du capitole 1926)

10-Christian Senechal:Les grands courants de la littérature française.(Ed.Malfère 1933)

11-Henri Clouard :Histoire de la littérature française:Du symbolisme à nos jours .(Albin Michel T.1 1947 et T2 1949)

12-P.J.Toulet :Notes de littérature (Le divan 1926)

13-Jacques Rivière :Etudes ( Ed.de la nouvelle revue française 1927)

14-Louis Bertrand:Idées et portraits (Plon 1927)

15-Edouard Herriot :Etudes françaises; (Hachette 1950)

16-Julien Gracq :La littérature à l'estomac.(Libr.José Corti 1950)

17-L.Chaigne :Vies et Oeuvres d'écrivains (F.Lancre 1950)

18-Georges Poulet.:Etudes sue le temps humain.(Plon 1950)

19-Marcel Arland: Essais et nouveaux essais critiques.(libr.Gallimard 1952)

20-Renée Lang :Rilke,Gide et Valéry (Les édtions de la Revue Prétexte 1953)

21-Etiemble :Hygiéne des Lettres (Libr.Gallimard 1952)

22-Robert Kanters :Des écrivains et des hommes (Julliard 1952)

23-Jacques Nathan:La litt;et les écrivains;(Nathan 1952)

24-André Billy :L'époque 1900 (Tallandier 1951.)

25-Edmond Buchet :Ecrivains intelligents du XX e siécle (Ed.correa 1946)

26-Gilbert Mauge .Les moralistes de l'intelligence (Hermann 1945)

27--Henri Jacoubet:curiosités et Recherches littéraires.(Les Belles-Lettres 1943)

28-André Berge :L'esprit de la litt.moderne (Perrin 1930)

29-Pierre Louys :Journal inédit ( Ed.Excelsior 1926-1927)

30-Francis Carco :De Montmartre a quartier latin (albin Michel 1927)

Ombres Vivantes (Ferenczi 1948)

31-Henri Massis :Evocations.Souvenirs (Plon 1931)

32-Paul Léautaud :Passe-temps (Société du Mercure de France 1929)

33-Anna de Noailles :Exactitudes,souvenirs et rêveries. (Grasset 1930)

34-René Ghil :Les dates et les oeuvres,symbolisme et poésie scienfique (Cres 1923)

35-André Fontainas :De Mallarmé à Paul Valéry:Notes d'un témoin.(Ed.du Trefle 1928)

36-Gustave LE Rouge :Verlainiens et décadents (Marcel seheur 1928)

37-Alphonse Seche :Dans la mêlée (Malfère 1935)

38-Thadée Natanson:Peints à leur tour .(Albin Michel 1948)

39-frederic Lefevre :Mes amis et mes livres (A la Baconnière 1948)

40-Michel Zamacois:Pinceaux et Stylos (A.Fayard 1948)

41-I.J.Austin :L'univers poétique de Baudelaire (Paris Mercure de France ,1956)

42-N.M.Wetherill :Baudelaire et la poésie de Poe (Paris Nizet 1962)

43-Eliphas Levy :Philosophie occulte (Paris Baillière 1865)

44-Henri Mondor :Mallarmé lycéen (Gallimard 1954)

45-Guy Michaud :Mallarmé,l'homme et l'oeuvre (Paris,Bouvin 1953)

46-A.Bremond:l'essence de la poésie pure .

47-henri W.Decker :pure poetry (1925-1930) University of California (1962)

48-Clement Moisan :Henri Bremond et la poésie pure (Paris Minard 1967)

49-A.J.Arnold :La querelle de la poésie pure (Revue d'histoire littéraire de France Mai-juin 1970)

50-Robert de Souza :La poésie pure :un débat sur la poésie (Paris-Grasset

51-René Vittoz :Essai sur les conditions de la poésie pure. (Paris-Jean Buchy 1929)

UNIVERSITE DE BORDEAUX 3

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CONTRIBUTION A L'ETUDE DES ORIGINES

DE LA POETIQUE MALLARMEENNE

thèse de Doctorat de troisième Cycle.

Présentée par

MOHAMED SELLAM

Année Universitaire.

1980-1981

OEUVRES COMPLETES de Mallarmé

auxquelles je me suis référé en toute exclusivité

I-Oeuvres Complètes. éd H.Mondor et G.Jean-Aubry.Gallimard « Bibliothèque de la pléiade. » 1945.

II-oésies.Préface de J.P.Sartre.Gallimard,1969 (coll; «Poésie. »)

III-Igitur.Divagations.Un coup de dès.ED.Yves Bonnefoy.1976.

IV-Poémes.Anecdotes ou Poémes.Pages diverses,ED.Daniel Leuwers.Le livre de poche.1977.

V-Vers et Prose Ed.J.Robichez.Garnier-Flammarion.1977.

Vi-Correspondance. éd.H.Mondor et J.P.Richard.Gallimard.1959.

* 1 2Il s'agit bien évidemment de la belle-mère de l'enfant,puisque sa mère est morte en 1847 alors qu'il est âgé à peine de 5 ans

2-Mallarmé s'y sentit en effet mal à l'aise,si bien que les responsables de ce pensionnai l'avaient qualifié de mauvais écolier.

3- Voir à ce sujet « l'après-midi d'un faune »oû Mallarmé,sous la forme d'êtresbizarres,à l'instar de Shakespeare,évoque le phénomène de la vie sauvage et à l'état de nature.

4-Ceci est dans sa nature même:n'être pas comme les autres,c'était pour lui un grand honneur.Le pire,c'est qu'il sera renvoyé du Pensionnat pour son caractère d'indépendance et de liberté.

* 3

* 4 -Il y faisait de nombreuses promenades mémorables en compagnie de son ami Emmanuel des Essarts et parfois même avec Théodore de Banville.

* 5-Son salaire annuel en tant que professeur s'élève approximativement à la somme de mille francs.

* 6 -Mallarmé avait écrit,alors qu'il était encore potache,au lycée de Sens(aujourd'hui lycée Stéphane -Mallarmé: «la coupe d'or », « l'ange gardien »,<Dieu bon écoutez-moii. » Ses essais s'étaient poursuivis inlassablement jusqu'à 1858.

* 7 Tels que,entre autres, «placet » dédié à Arsène Houssaye qui paraît dans Le Papillon.,« Le guignon »,«le sonneur », « contre un poéte parisien » qui paraissent dans l'Artiste en 1862. 

 

* 8 -Il écrivit à cette époque son fameux poéme intitulé l'« Azur »,qu'il envoya à Cazalis avec des notes explicatives

* 9 -En 1866,Le Parnasse Contemporain,publia entre autres « Les fenêtres », «A celle qui est tranquille »,« l'angoisse »,« Brise Marine » cf Oeuvres complètes « Bibiliiothèque de la Pléiade  »

* 10 -Ce fut en 1882 :Huysmans s'entretint avec Mallarmé au sujet de son oeuvre future intitulée « A Rebours.»oû ,par ailleurs,R.de Montesquiou incarne le personnage principal des Esseintes.

* 11 -C'était vraisemblablement sur la demande de Catulle Mendès que Mallarmé envoya ses anciens vers au Parnasse pou y être publiés.Mallarmé en était tellement satisfait qu'il en réclama les épreuves pour correction.ce que C.Mendès n'a pas fait,étant lui-même peu soucieux de ce travail qu'il jugeait inutile.

* 12 -En cette année paraît chez Derenne,avec une illustration de Manet,« L'après-midi d'un Faune. ».Ce qui nous parait paradoxal à plus d'un titre,c'est l'année précédente,ce même ouvrazge fut refusé par un jury composé de Banville,Coppée et France.

* 13 Verlaine meurt en 1896.Mallarmé lui succédera en qualité de «Prince des Poétes. »Mallarmé estimait beaucoup Verlaine.Il parlera de lui ,au lendemain de sa mort,dans une interview touchante,publiée dans Le Journal.Le temps publiera les Oraisons Funèbres de Verlaine,prononcés également par Mallarmé .Voir à cet égard le Tombeau de Verlaine (Oeuvres Complètes)

* 14 Il fut nommé ,en 1863,au lycée impérial de Tournon,oû il séjourna jusqu'à 1866,d'oû il sera renvoyé sur plainte des parents ayant protesté contre ses poémes publiés dans le Parnasse;Il y écrira ses poémes les plus connus.

* 15 -Il recopiait sur des cahiers conservés jusqu'à nos jours des poémes des poétes depuis la renaissance jusqu'à Baudelaire.

* 16 Le romantisme,contrairement au classicisme,se caractérise en essentiellement pa cette dominante, et ce cera contre cette tendance que les parnassiens,pour leur part,ont trouvé un prétexte pour propager sur la scène une poésie qui se distinguera par l'impassibilité et l'absence totale du subjectivisme.

* 17 -Les oeuvres que la postérité a reconnu comme géniales,ce sont effectivement celles dont la forme est esthétiquement faite de façon réellement impeccable.

* 18 -La poésie verlainienne se distingue -de façon tout à fait paradoxale-de celle de ses contemporains.

* 19 -Flaubert aussi avait passé par le même état d'âme.

* 20 -Le positivisme avec le wagnérisme faisait fureur à l'époque.

* 21 -Il l'est en effet,avec cette différence près,au niveau du fond et de la forme.

* 22 -C'est évidemment une tendance naturelle chez Baudelaire:c'est un acte refléchi,une disposition pour prendre sa revanche contre le sexe féminin,en souvenir de son enfance frustrée.

* 23 -A plusieurs reprises,depuis son accession au professorat jusqu'à sa retraite en 1893,il tombait malade et des congés pour raison de santé lui furent accordés par l 'Administration.

* 24 -C'est en effet au niveau de l'art que Mallarmé pouvait prétendre avoir égalé son Maître.

* 25 -On lit dans une lettre à Cazalis en date du 14 mai 1867.«ma pensée s'est pensée »,il poursuit un peu plus loin,«Je suis maintenant impersonnel..une aptitude qu'a l'univers Spirituel à se voir et à se développer....je viens,à l'heure de la Synthèse,de délimiter l'oeuvre qui sera l'image de ce développement.. »  

* 26 -Le « Faune comme on a coutume de l'appeler,avait eu une étrange destinée,comme je l'ai déjà précisé ci-dessus,mais il finirait ,ce qui est paradoxal,par prendre une place de choix parmi les oeuvres mallarméennes.

* 27 -Il suffit de relie le « Faune ou bien « Hérodiade pour se rendre compte de l'ampleur de cette influence baudelairienne sur l'esprit de Mallarmé.

* 28 -La poésie mallarméenne,outre qu'elle véhicule une philosophie de la vie,elle s'applique en même temps à faire valoir une philosophie du langage.

* 29 -Comme je l'ai déjà dit,il faisait des vers dès sa prime enfance:ces vers sront plus tard réunis dans ses oeuvres complètes « <edition de la Pléiade; »

* 30 -V.Hugo avait déjà,dans le fameux recueil de la légende des siécles,abordé ce thème avec un succés incontestable.

* 31 -Mallarmé avait l'habitude de réserver les mois d'hiver à l'élaboration de ses oeuvres les plus marquantes.

* 32 -mallarmé en avait déduit une définition cosmique de la poésie.Il en fit part à un certain à un certain Léon d'Orfer « La poésie est l'expression,par le langage humain ramené à son rythme essentiel,du sens mystérieux des aspects de l'existence:elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et constiyue la seule tâche spirituelle. »

* 33 Cf « les fenètres »Voir texte intégral p.52 éditionG.Flammarion.

* 34 -voir à cet égard l'ouvrage de M.Proust Contre l'obscurité in Contre Sainte-Beuve.

* 35 -Voir aussi l'excellent ouvrage de A.Thibaudet intitulé :la poésie de stéphane Mallarmé ;edition Gallimard 1926.

* 36 -Cf.Variétés II,écrits divers sur Mallarmé N.R.F.1951.

* 37 -H;de Regnier,avec A.Samain,contrairement à leur classification conventionnelle,ne me paraiisent pas d'obédience symboliste.Leur poésie se caractérise plutôt par une renaissance du classicisme.

* 38 -Le 16 juillet1861,il écrit à Aubanel « J'ai jeté les fondements d'une oeuvre magnifique...il me faut vingt ans. »

* 39 -Sa renommée dans les milieux littéraires s'est affirmée de façon effective en 1891 «Une de ses plus anciennes piéces « le guignon » fut récitée au Théâtre d'Art,a suffi pour mettre son nom en voggue. «Un triomphe pour Mallarmé »avait suggéré J.Robichez.  

* 40 -Mallarmé n'avait jamais rencontré Rimbaud,puisque ce dernier,encore tout jeune,s'expatrie pour l'Afrique,après avoir écrit tous ses poémes,et surtout ceux qui sont les plus célèbres de nos jours;

* 41 -Ch.Maurras,de même M.Barrès,était un fanatique duu nationalisme français.Ils furent tous les deux d'infatigables jacobins.

* 42 -Mallarmé était toujours en butte à des problèmes financiers jusqu'à l'avènement de R.Poincaré à la tête du ministère de l'Instruction Publique.

* 43 -Voir à cet effet la parfaite étude Davies Gardner intitulée « les tombeaux « de Mallarmé Corti 1950.

* 44 -En 1896,année de la mort de Verlaine,Mallarmé traversa une crise aiguë dont il ne se relèva que difficilement;

* 45 -L'oeuvre mallarméenne fut aussi l'objet d'intéressantes études de la plupart d' exegètes italiens.Vpor à ce propos les ouvrages de De Luigi Denardis « Imprssionismo di Mallarmé ».Edizioni Salvatore Sciascia 1957 et « L'ironia di Mallarmé »Coll.Aretusa 1962.Les deux ouvrages,ainsi que d'autres du même auteur,mais de moindre importance,se trouvent à la Bibliothèque de la Faculté.

* 46 -cf.Les piéces fantaisistes écrites par Mallarmé dans sa jeunesse.Voir à cet égard les petites olaquettes réunies sous la rubrique « fantaisies » et éditées en vrac dans le recueil « Entre quatr murs. »Edition Garnier-Flammarion.

* 47 Mallarmé n'est pas athée,mais c'est un poéte que la poésie a aliéné jusqu'à oublier la religion.

* 48 -Il est question évidemment de son grand-père maternel,mort à Versailles en 1869,Il fut son tuteur après la mort du père du poéte en 1863.

* 49 -cf.La remarquable étude de Charles Mauron : «Introduction à la psychanalyse de Mallarmé. »Neuchâtel.La Baconnière.1950. 

* 50 cf.L'intelligente analyse de Davies Gardner :Mallarmé et le drame solaire.Corti 1959.

* 51 -cf.la remarquable thèse de P.Delior :la femme et le sentiment de l'amour chez Mallarmé.(Mercure de france ,1910)Voir également Charles Chassé :l'érotisme de Mallarmé.(les cahiers de la Lucarne,1949)

* 52 -cf.Edouard Dujardin:De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel (Mercure de France,1909)

* 53 -En 1869,il écrit à Cazalis « La première phase de ma vie a été finie....J'ai à revivre la vie de l'humanité depuis son enfance et prenant conscience d'elle-même. »

* 54 -voir à ce sujet l'ouvrage de Claude Roy:Mallarmé penseur ou poéte?(Les lettres Françaises,1948)Voir aussi Camille Mauclair:Princes de l'esprit (Paris,Ollendorf,1921)

* 55 -Cf.Mallarmé's l'après-midi d'un faune (Traduction française.Bruxelles.J.Antoine.1974.)

* 56 -Mallarmé n'en a pas été épargné.Toute sa vie durant,il a connu toutes les misères,surtout au lendemain de la mort de son jeune enfant Anatole «Le tombeau d'Anatole. »

* 57 -Mallarmé avait très peu fréquenté ce poéte,qui est le gendre de Leconte de Lisle,et pour lequel il n'a jamais manqué de l'estimer pour ses «  Trophées » qui sont d'une facture artistique remarquable.

* 58 -Mallarmé n'était ni déiste,ni polythéiste ,encore moins panthéiste:Il serait bon de lire à cet effet « hérésies artistiques »qui dénotent implicitement une sorte d'indépendance vis-^-vis de la religion.

* 59 -Banville,d'abord hostile à Mallarmé,deviendra plus tard son ami.Il meurt en 1894 ap^rs avoir laissé un héritage littéraire inestimable.

* 60 -Cf. L'étude intéressante de Charles Chadwick:Mallarmé:sa pensée dans sa poésie. Corti 1962.

* 61 Cf l'essai d'une analyse pertinente de léon Cellier :Mallarmé et la Morte qui parle;PUF 1959.

* 62 -Dès l'âge de 18 ans ,il a commencé à traduire Poe qu'il imita dans la plupart de ses essais poétiques;Cf;(Galanterie macabre,à un poéte immoral etc.)

* 63 -En lisant Poe d'une part et Mallarmé d'autre part,on est d'emblée frappé par l'affinité intellectuelle qui existe entre les deux poétes.

* 64 -Il va sans dire que Mallarmé,comme je l'ai amplement souligné dans l'introduction,s'était nourri des poétes du 16e siécle,d'oû le symbolisme a puisé l'essence même de sa vitalité et de son esprit.

* 65 -Encore tout enfant,exactement en 1857,il obtint le premier accessit de versin grecque.Notons que ses lectures étaient dans leur majorité des oeuvres anglaises.

* 66 -Précisément à cette époque,il écrit Berthe Morisot (Mme manet) « Je travaille et je m'applique à vieillir aux heures de loisirs... »(9 juillet 1891)

* 67 -Il écrit à Cazalis en 1866. «Après avoir trouvé le Néant,j'ai trouvé le Beau;il en sortira un cher poéme auque je travaille. » 

* 68 -Emmanuel des essarts fut nommé professeur au lycée de Sens,alors que Mallarmé venait de le quitter après avoir été promu bachelier et embauché dans l'Enregistrement en qualité de surnuméraire.

* 69 -Cf Mallarme'sun coup de dès an exegesis :excellente thèse de Cohn Robert Greer (Payne and lane 1949).Cf l'excellent essai de Davies Gardner intitulé :Vers une explication rationnelle du coup de dès .Corti 1953;

* 70 --Voir pour toutes les pages qui précèdent:Henry Charpentier:réflexions sur l'oeuvre de Mallarmé.(Belles-Lettres,1923).Charles Chassé:Lueurs sur Mallarmé.(Société Archéologique du finistère 1947)

* 71 -Cf.Emilie Noulet:vingt poémes de Stéphane Mallarmé.(Minard-Droz.1967)

* 72 -Cf.Henri de Régnier:Par valéry vers Mallarmé (Mercure de France,1925) Henri Mondor:L'heureuse rencontre de paul Valéry et Stéphane Mallarmé;(Ed.Clairefontaine.1947)

* 73 Cf Joe Bousquet :Mallarmé le sorcier (Les Lettres,1948) voir aussi Maurice Blanchot:La part du feu.(1949,Gallimard)

* 74 -Cf.Déborah.K.Aish:la métaphore dans l'oeuvre de Mallarmé.(Droz.1938)Voir aussi .Georges Poulet:Espaces et temps mallarméens La baconnière.Lausanne.Voir également :J.Paul Roussel:les thèmes poétiques de Mallarmé;(les lettres,1948)

* 75 -Il s'agit bien évidemment de Marie Gerhard,qu'il a connue à Sens et qu'il finira par épouser en 1862(Elle était plus âgée que lui de 7 ans) Cf H.Mondor :vie de Mallarmé(N.R.F.1941-1942)Voir aussi du même auteur :mallarmé plus intime (Gallimard,1944).Ajoutons en même temps l'ouvrage bien documenté de c.Mauclair intitulé.Mallarmé chez lui.(Grasset 1935)

* 76 -Cf.Albert béguin :l'âme romantique et le rêve (Edition des chaiers du sud,Marselle)

* 77 Il forma le projet d'écrire un recueil lyrique qui porterait le même titre « La gloire du mensonge ou le Glorieux Mensonge »c'était en 1866.

* 78 -Cf.Antoine Adam:L'après-midi d'un faune .Essai d'une explication.(L'information litt.1949)Consulter aussi l'ouvrage de H.Mondor :Histoire d'un faune (Gallimard,1948)

* 79 -Certes,il a connu la gloire,mais seulement à la fin de sa vie ,consulter à ce sujet .G.Beaume:Souvenirs de Mallarmé (L'Opinion,1925) voir aussi l'ouvrage quelque peu partial de Jean Marc Bernard:L'échec de Stéphane Mallarmé.(Le divan 1903)

* 80 cf.Edmond Bonniot:Les mardis de Stéphane Mallarmé (Les marges,1936)

* 81 -cf.Edmond Jaloux:Mallarmé (Les Nouvelles Littéraires,8juin 1935) voir égalemen du même auteur :l'anniversaire de Mallarmé (Le gaulois,13 octobre,1923)

* 82 -cf.Jules Lefranc Un masque anonyme (Revue palladéenne 1945)

* 83 cf Albert Mockel :Stéphane Mallarmé:un héros (Mercure de France,1899)

* 84 -voir remy de Gourmont :Stéphane Mallarmé (Mercure de France,1896)

* 85 -cf.Jules Huret:Enquête sur l'évolution littéraire.(ýCharpentier 1891)

* 86 cf.Charles Chassé:mMallarmé Universitaire (Mercure de France,1912).Outre cet ouvrage,consulter également le long article de Guillot Givry intitulé:La classe d'anglais de Mallarmé.(Nouvelles Littéraires,1923)

* 87 -Mallarmé était en relation permanente avec tous les peintres de son temps Manet,Monet,Degas etc aussi bien qu'avec la plupart des musiciens et Surtout Wagner qu'il a fréquenté de très près.

* 88 -Cf.l'excellente étude de Malcolm Bowie:mallarmé and the art of being difficult.(On y trouvera une analyse sur `Prose pour des Esseintes 'ainsi qu'une explication d'un coup de dès..'

* 89 -cf. L'ouvrage de Camille Mauclair :L'Art en silence (Ollendorf,1901)

* 90 -Georges Duhamel :les poésies de stéphane Mallarmé;(Mercure de France,1913)

* 91 -Cf.Ch.E.Rietmann:Vision et mouvement chez Stéphane Mallarmé.(Les presses Modernes,1932)

* 92 pour plus `ýd'informations,consulter l'ouvrage de J.Soulairol:Les quatre éléments poétiques. (Le divan,1945) voir aussi,traitant la même question avec plus de tact ,l'ouvrage de Claude-LOUIS Estève intitulé:Etudes philosophiques sur l'expression littéraire.(Vrin,Paris,1938)

* 93 -Cf.H.Mondor:Propos sur la Poésie de Stéphane Mallarmé.(ed.du Rocher.1945)

* 94 -Cf.Gustave kahn:Silhouettes littéraires (Editions Montaigne.) voir du même auteur:Trente ans de symbolisme (Paris,vanier,1929) Consulter en même temps l'excellente étude de Jules Laforgue:Notes sur Baudelaire,Corbière,Mallarmé,Rimbaud (mercure de France,1903)

* 95 -Parce que Rimbaud était un enfant précoce et la poésie chez lui n'était pas le fruit de l'expérience,mais d'un état naturel,d'une inspiration innée .

* 96 -cf.Viélé-Griffin:Le rôle de Stéphane Mallarmé ( l'Ermitage,1898) ,ainsi que son autre ouvrage non réédité intitulé:Stéphane Mallarmé,esquisse orale (Paris,Perrin,1895)

* 97 -cf.Jean Miquel :ýle phénomène futur (LES Lettres,1948)c'est aussi le titre d'un poéme de Mallarmé.

Cf.denis Saurat :La nuit d'Idumée (Nouvelle revue française,1931)

* 98 -Cf.Albert Camus:le mythe de sisyphe.(Gallimard)

* 99 cf.Charles Morice:la littérature de tout à l'heure (Perrin,1889) cet ouvrage fut l'objet de plusieurs rééditions.

* 100 -cf.Théodor de wyzewa:Le symbolisme de Stéphane Mallarmé.Revue indépendante,1887)

voir de même :Notes sur l'Oeuvre poétique de Stéphane Mallarmé;(la Vogue,5et 12 juillet 1887)

* 101 cf.L'hermétisme freudien de Mallarmé.(Empreintes,1948) Lire aussi les travaux intéressants de C.Roulet tels que:Elucidation du poéme de Stéphane Mallarmé « Un coup de dès... »Ed.Ides et Calendes,1947),Eléments de poétique mallarméenne d'après le poéme « Un coup de dès... » (Ed.du Griffon,1947)et enfin Version du poéme de Mallarmé « Un coup de dès... »ed.du Griffon,1949)

* 102 .cf Paul Margueritte:Les pas sur le sable.(Plon-Nourrit et Cie,Paris).voir aussi Les portes d'Ivoire (Nerval-Rimbaud-Baudelaire-Mallarmé)de A.Coline (Plon,1948)

* 103 Voir pour complément d'informations ,Duchesne Guillemin :Au sujet du divin'cygne' (Mercure de France 1948)

* 104 -cf.Jacques Gengoux:Le symbolisme de Mallarmé (Librairie Nizt,1950)

* 105 -cf l'xcellente thèse du docteur J.Freter :l'aliénation poétique .Rimbaud.Mallarmé.Proust(Janin,1946)

* 106 -Consulter à cet égard l'ouvrage de André Fontanas :Rêverie à propose de Stéphane Mallarmé.L'oeuvre et l'homme.(Mercure de France 1948)

* 107 -cf.Jean Moréas:Les premières armes du symbolisme.5A.Messein)

* 108 -cf.Gaëton Picon:Métamorphose de la littérature.(La table ronde,1949)

* 109 -consulter l'ouvrage de R.Nelli :igitur ou l'argument ontologique retourné.(Les Lettres,1948)

* 110 -cf.E.Noulet :La hantise d'abolir (Les lettres,1948)

* 111 -cf-ernest Raynaud:la mêlée symboliste (Renaissance du livre,1918-1922)

* 112 -cf.Calixte Rachet:A l'écart.(Auguste Chio,Paris,1888,réédité)

* 113 -cf.Marcel Raymond.:De Baudelaire au surréalisme.(Paris,Edt.corréa,1933)

* 114 -cf.Pierre Quillard :Stéphane Mallarmé.mercure de France,1892)






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery