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Contribution à  l'étude des origines de la poésie mallarméenne

( Télécharger le fichier original )
par Mohamed Dr Sellam
Université de Bordeaux - Doctorat 1981
  

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III

La beauté et la musique.

Vers 1866,Mallarmé,alors qu'il n'était qu'un pauvre professeur à Besançon,avait eu des moments d'hystérie étrange86(*)...Il était comme ensorcelé,fasciné par les charmes du beau et de tout ce qui est beau..C'était devenu en lui une sorte d'obsession,une manie incurable,qui le poussait à faire automatiquement l'esthète et le musicien en toute chose et pas seulement en poésie,puisque la poésie demeure pour lui son domaine propre ,oû il a eu le talent authentique d'exceller mieux que la plupart des poétes les plus illustres de son temps87(*)

Le beau est-il le produit du hasard ?Non,en réalité,le hasard ébauche le beau,ou l'embryon du beau,mais c'est le travail conscient qui lui assure sa forme finale..

La beauté,pour l'auteur de Un coup de dés n'abolira jamais le hasard88(*),aussi bien que pour Hégel,est constituée avant tout dans sa forme apparente et rien de plus..c'est une figure,une vision problématique douteuse,oû le réel s'en trouve définitivement exclu,parce que créée par le hasard,alors que l'esprit demeure le vrai générateur du beau et sa fonction fondamentale donc est de corriger ,de redresser le travail du hasard dont l'esquisse est toujours informe et rachitique

On s'aperçoit dès lors que Mallarmé refuse radicalement tout ce qui est aléatoire,car,pour lui,la providence ,à laquelle il ne croit d'ailleurs pas,n'est que l'image d'une croyance purement mentale et par là fondamentalement négative..

La beauté est un objet qui se fabrique,qui se façonne selon le goût et le désir du créateur et nul n'aura la faculté de produire la beauté,telle qu'on la conçoit au plus profond de nous-mêmes,que celui qui,grâce à un don divin,déploie des efforts énormes pour pouvoir parvenir à pénétrer le mystérieux secret du beau..

De plus,la beauté n'est pas une jolie vision des choses,un objet susceptible d'être consommé par l'individu,la beauté s'allie à la nature et ne peut jamais avoir d'éclat que par la nature et entre la beauté et la nature,il y a la différence formelle qui existe entre le ciel et la terre..en ce sens que la beauté ne relève pas de Dieu,c'est un phénomène périssable,contrairement à la nature qui demeure éternelle.Baudelaire,en barde immortel du beau et connaisseur chevronné de ce phénomène étrange,s'écria dans un moment d'extase :

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre

Douce beauté,mais tout aujourd'hui m'est amer

Et rien,ni votre amour,ni le boudoir ni l'âtre

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer..

Pourtant Mallarmé ne voyait pas de différence absolue entre la beauté et la nature..C'est la nature ,peut-être avec plus de génie que l'esprit même,qui couve et qui façonne la beauté et c'est encore la nature,qui lui confère son éclat et sa splendeur !Pour Mallarmé,la nature,dans sa magnificence,et dans ses charmes éternels,fait naître la beauté,qui par un contraste émouvant,s'allie aux bouleversements et aux effets tragiques des caprices de la nature89(*).Et Baudelaire,d'un trait génial, a saisi l'étendue de cette métamorphose :

Sois belle !Et sois triste !Leurs pleurs

Ajoutent un charme au visage
Comme le fleuve au paysage

L'orage rajeunit les fleurs.

Donc,pour Baudelaire comme pour Mallarmé,tout ce qui est beau est dû en dernier ressort aux effets de la nature et entre la beauté physique de la femme et la beauté de la mer en pleine agitation,Mallarmé tranche sans parti pris :

Rien,ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe.

Ainsi,il n'y a pas un endroit oû la beauté ne fasse sa majestueuse apparition et là oû il n'y a pas de beauté ,il n'y a pas de vie :

Tâche donc,instrument des fuites,

O maligne syrinx,de refleurir aux lacs oû tu m'attends !

La beauté ne se limite pas seulement à la vue :il y a du beau dans le désordre,comme il y a du beau dans la laideur :une belle femme qui pleure est pour les uns comme pour les autres,la femme la plus jolie du monde,ce qui poussa Baudelaire à renchérir de plus belle :

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De ces traitres yeux

brillant à travers leurs larmes.

Dans l'ouragan la plus terrible,il y a du beau,comme dans la folie la plus extravagante,il y a de même du beau,joint à quelque chose de séduisant :les plus grands artistes de l'univers étaient de véritables désaxés,des marginaux de la raison et de la folie et dans leur trouble et leur désordre,il y a la beauté dans toute sa majesté et toute sa grandeur.90(*)..

Mais cette beauté,si sublime,si profonde qu'elle soit,n'en est pas moins étrange,par sa fluidité,son caractère évanescent et insaisissable,comme le dit si bien Mallarmé lui-même :

Si clair

Leur incarnat léger,qu'il voltige dans l'air,

Assoupis de sommeils touffus.

La paresse ou l'oisiveté,comme le luxe raffiné,sont l'apanage de la beauté,qui dégage un parfum enchanteur,lequel,tel un philtre puissant,fait endormir les plus ingénieux,..car la beauté a des pouvoirs multiplese et la Comtesse de Noailles s'exulte à la seule vue de ce charme pathétique,auquel elle lui confère même le sens de la vie et de l'énergie

Tout le plaisir de vivre est tenu dans vos mains

O jeunesse joyeuse,ardente,printanière,

......................................................

C'est par vous que l'air joue et que le matin rit.

La jeunesse incarne la beauté :tout ce qui est jeune est beau et tout ce qui est beau est jeune,la nature forme la beauté par par accident,mais le temps dégrade ou embellit la beauté,selon les contingences du hasard..Cependant,le temps qui embellit cette beauté,pourrait également la faire disparaître,et Madame de Noailles ajoute encore sur un ton empreint de pessimiste et de regret :

Ah !Jeunesse,pourquoi faut-il que vous passiez

Et que nous demeurions,pleins d'ennuis et pleins d'âge

Comme un arbre qui vit sans lierre et sans rosier

Qui souffre sur la route et ne fait pas d'ombrage.

Le régne de la beauté est éphémère et rien ne dure ici-bas,pas même l'oeuvre la plus sublime et Paul Valéry enchaîne nons sans une crispation d'angoisse sur le caractère illusoire de la beauté comme de l'existence :

Nous marchons dans le temps

Et nos corps éclatants

Ont des pas ineffables

Qui marquent dans les fables.

Oui,tout passe dans ce monde,les souvenirs s'évanouissent et deviennent l'oubli même,les êtres chers s'en vont les uns après les autres,pour qu'il ne reste plus rien.

Sous nos même amours

plus lourdes que le monde

Nous traverserons les jours

comme une pierre l'onde.

Or malgré la nature éphémère de la beauté ,elle survit pourtant dans les âmes et pour l'éternité,léguée de générations en générations sans trêve.

Certes la beauté ne relève pas de Dieu,mais de la nature,si souvent avare et ne dispense ses bienfaits qu'à de rares élus et c'est pourquoi il appartient à la masse de l'entourer du respect et de la dévotion qu'elle mérite. «Est-ce que l'homme qui a fait la Venus de Milo n'est pas plus grand que celui qui sauve un peuple,et ne vaudrait-il pas mieux que la Pologne succombât que de voir cet éternel hymne de marbre à la beauté brisé ? »Cette interrogation de Mallarmé est plus qu'éloquente,en ce sens qu'elle situe la problématique de la beauté à la limite de la destinée humaine .

Sacrifier tout pour que la beauté survive,telle une lumière radieuse,rayonne,dispense à flots la sève de la vie,l'optimisme,l'espoir,brandissant hautement le symbole suprême de la vérité immortelle.

Toujours est-il que le pouvoir ou la mainmise de la beauté,ne s'aménuise jamais..car plus la beauté s'affirme et se confirme dans le temps,plus elle étend davantage sa souveraineté sur toute chose..Ch.Maurras se dévoue pour la beauté en laquelle il croyait trouver le sens de sa propre survie et de sa régénérescence :

Brûle et consume-moi,mon unique soleil,

Que,ton dur javelot,ton javelot vermeil,

Dardant de jour en jour une plus pure flamme,

Je sois régenéré jusqu'au fond de l'âme

Et même ma raison folle de te sentir

Ne reconnaisse plus si c'est vivre ou mourir.

Le charme de la beauté,sa fascination émouvante,son magnétisme irrésistible,se déploient au-delà de toute frontière :rien ne dressera une quelconque barrère entre elle et les phénomènes en présence,tout succombe à sa magie et à sa puissance,d'oû Mallarmé est sorti de sa surprise pour lancer avec enthousiasme :

O rêveuse, pour que je plonge

Du pur délice en chemin,

Sache,par un subtil mensonge,

Garder mon aile dans ta main.

La beauté,par des détours impénètrables,aura le plus souvent recours à la ruse , au subterfuge et à la supercherie :elle est cruelle,impitoyable et tout à fait imbattable et celui qui parvient à la dompter pourrait se prendre pour un Dieu.

Il a vaincu la femme belle,au coeur subtil

Etalant ses bras frais et sa gorge excitante.

De même que dans la beauté,il y a une musique,de même dans la musique,il y a une beauté..Souvent la musique et la beauté sont inséparables,que ce soit dans l'oeuvre poétique ou dans tout autre oeuvre.Ecoutons cette saillie pittoresque de P.Claudel :

Que me parlez-vous de la musique !

Laissez-moi seulement prendre

mes sandales d'or.

La poésie mallarméenne91(*) ,et nous avions mis l'accent sur ce point plus d'une fois dans cette thèse,est tout imprégnée de musique pour ne pas dire c'est la musique même,alliée à la beauté du vers,auquel elle est indissolublement associée,surtout au moment de sa conception comme le souligne Baudelaire :

La musique souvent me prend

Comme une mer.

Pour le Maître,de même que pour disciple,la musique est la nourriture des âmes,et sans elle,aucune oeuvre n'aurait la chance de se réaliser..

Quoi qu'il en soit,la beauté comme la musique sont faites pour être au service de l'humanité,pour sa purification et son perfectionnement absolu,mais aussi pour inspirer l'optimisme,et l'amour aux esprits défaillants et moroses,ainsi que le clame énergiquement Th.de Banville.

C'est la sagesse !Aimer le vin,

La beauté,le printemps divin

Cela suffit !Le reste est vain.

Or,comme par une étrange coïncidence,celui qui devait mourir d'une affection du larynx dans sa pauvre bourgade de Vulaines,est un musicien de la beauté,c'est un enchanteur qui a su engendrer des vibrations fines et délicates,des modulations suaves et lumineuses dans les coeurs..

Ainsi,créateur intarissable de beauté,artisan consommé de ce parfum magique que l'on appelle musique,fluide et subtile,Mallarmé a su émouvoir les entrailles du lecteur moderne..

La musique,c'est une lumière sonore que secrète chaque vers et chaque strophe,s'infiltrant doucement dans l'âme,pou y faire disparaître le « mortel ennui »

Bref,Mallarmé,qui avait passé toute sa vie à combattre la morosité et l'implacable « spleen » a produit pour l'humanité le baume nécessaire pour s'en débarrasser tout à fait..car la musique et la beauté,pour tous les lieux et tous les temps,le remède le plus efficace,non pas seulement contre l'ennui dévastateur ou le désespoir qui ronge les âmes,mais aussi contre la mort,contre l'extinction de soi et le dépérissement.

* 86 cf.Charles Chassé:mMallarmé Universitaire (Mercure de France,1912).Outre cet ouvrage,consulter également le long article de Guillot Givry intitulé:La classe d'anglais de Mallarmé.(Nouvelles Littéraires,1923)

* 87 -Mallarmé était en relation permanente avec tous les peintres de son temps Manet,Monet,Degas etc aussi bien qu'avec la plupart des musiciens et Surtout Wagner qu'il a fréquenté de très près.

* 88 -Cf.l'excellente étude de Malcolm Bowie:mallarmé and the art of being difficult.(On y trouvera une analyse sur `Prose pour des Esseintes 'ainsi qu'une explication d'un coup de dès..'

* 89 -cf. L'ouvrage de Camille Mauclair :L'Art en silence (Ollendorf,1901)

* 90 -Georges Duhamel :les poésies de stéphane Mallarmé;(Mercure de France,1913)

* 91 -Cf.Ch.E.Rietmann:Vision et mouvement chez Stéphane Mallarmé.(Les presses Modernes,1932)

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus