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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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3- Démocratie, richesse, pouvoir et savoir

La réunion de ces quatre termes suggère l'oligarchie, le mal nécessaire du régime démocratique dont nous avons déjà présenté les traits marquants. La démocratie est le régime politique qui les contient tous, comme phénomènes de société ; richesse et savoir sont deux moyens de conquête de pouvoir dans un tel régime. Nous avons donc affaire à un jeu qu'arbitre le pouvoir, entre la démocratie d'une part et, le savoir et la richesse de l'autre. Avec le goût de la liberté, personne ne veut remettre en question les principes démocratiques mais tout le monde veut discuter des principes du libéralisme ou plus exactement du capitalisme.

Toute la question est pour Aron de savoir jusqu'à quel point les minorités dirigeantes sont-elles ouvertes ou fermées. Ces minorités, affirme-t-il, sont en ce siècle du libéralisme plus ouvertes qu'elles ne l'étaient au début du XXe siècle bureaucratique et prétendument communiste. Mais les machiavéliens continuent à penser que ceux qui réussissent dans les régimes parlementaires sont essentiellement ceux qui savent parler. Certes les régimes de discussion facilitent le succès aux hommes de loi, aux professeurs, aux intellectuels en général mais cela n'est pas toujours démontré.

De nos jours, et particulièrement en Afrique, la politique est devenue le domaine où les illettrés et les feymen s'expriment. On n'a vu dans nos assemblées des élus qui chantent à peine l'hymne national, parlent peu ou pas les langues officielles et dont le niveau d'études déduit à partir de là est tout simplement ridicule. C'est contre cela qu'il faut lutter, contre une Assemblée d'enregistrement et d'approbation et non contre les intellectuels qui se sentent à raison responsables de la situation politique de leur pays. On parle couramment et de façon péjorative de la politisation des intellectuels. Ce n'est point cette politisation qui fait problème mais le fait pour ces derniers de verser dans le « politiquement correct » et de taire la vérité.

L'apport des médias à la consolidation de la démocratie est indéniable. Il n'est même pas exclu qu'un journaliste fasse carrière dans la politique ; ce qui est déplorable c'est qu'il confonde, comme on le relève souvent, la politique ou la démocratie au parti politique de son choix. Il faudrait donc que les médias qui constituent un contre-pouvoir, ne soient pas, qu'ils soient publics ou privés, au service d'une idéologie particulière. Les médias nationaux surtout ne doivent pas être naturellement des relais des gouvernements.

Dans l'optique d'Aron, ce qu'il faut surtout dépolitiser d'urgence c'est l'administration. Celle-ci doit être neutre pour jouer pleinement son rôle de passerelle entre gouvernants et gouvernés, deux entités dont elle doit servir les intérêts. Or, telles que nos démocraties fonctionnent actuellement, il y a confusion entre administration et gouvernement ou du moins, tendance à la politisation de l'administration. Cela est d'autant plus inquiétant que pour lui, plus le fonctionnaire s'élève dans la hiérarchie, plus sa neutralité est compromise.

En ce qui concerne le rapport entre la démocratie et les intellectuels, Hubert Mono Ndjana pense que ces derniers peuvent et doivent même participer activement à l'édification de leur propre société, soit par un soutien délibéré à l'action gouvernementale, soit par une critique raisonnée de cette action. Toutefois, précise-t-il,

L'adhésion ou la défiance d'un intellectuel doivent être dialectiques et non pas massives et charnelles. [...] Se figer dans une idée fixe, indépendamment des conditions qui occasionnent le mouvement même des idées, c'est cesser d'être intellectuel. C'est proprement se faire dogmatique et peut-être fanatique, deux attitudes que le politique attend généralement de l'homme de pensée et auxquelles ce dernier ne saurait moralement souscrire sans se renier.105(*)

Or, constate Aron,

Quand on observe les attitudes des intellectuels en politique, la première impression est qu'elle ressemble à celle des non-intellectuels. Le mélange de demi-savoir, de préjugés traditionnels, de préférences plus esthétiques que raisonnées se manifeste et dans les opinions des professeurs ou des écrivains et dans celle des commerçants ou des industriels.106(*)

Ainsi, les intellectuels doivent analyser concrètement les milieux nationaux afin de préciser en quelle mesure un régime politique est préférable à un autre, plutôt que d'entrechoquer les idéologies à prétention universelle : propriété privée contre propriété publique, mécanismes de marché contre plans. Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'ils s'investissent directement dans la pratique politique. Dans l'introduction à l'opuscule de Max Weber intitulé Le savant et le politique, Raymond Aron reconnaissait d'abord qu' « on ne peut pas être en même temps homme d'action et homme d'études sans porter atteinte à la dignité de l'un et de l'autre métier, sans manquer à la vocation de l'un et de l'autre. »107(*) Mais, finira-t-il par convenir avec Weber, qu'une possibilité de conciliation existe et qu'une nécessité de réconciliation s'impose, pour aller au-delà des divergences et faire de la science et de la politique deux entités complémentaires : la science donnant à la politique ses moyens et la politique à la science ses conditions d'exercice.

Analysons à présent les relations entre la démocratie et la richesse.

Pour les marxistes, surtout les marxistes vulgaires chargés d'abattre le capitalisme sous prétexte que c'est lui qui fait actuellement leur malheur, les régimes constitutionnels-pluralistes représentent des démocraties bourgeoises, dans lesquelles partis et assemblées camouflent le règne du capitalisme. Considérons avec Aron la thèse proprement politique du marxisme : la classe économiquement dirigeante détiendrait la réalité du pouvoir. Est-il vrai que dans nos régimes actuels les partis ne sont qu'une apparence et que le pouvoir réel appartient au petit nombre qui possède, contrôle ou gère les instruments de production ? Dans quelle mesure les classes économiquement dominantes se confondent-elles avec la minorité politiquement dirigeante.

L'hypothèse marxiste n'est pas de prime abord absurde. Elle conserve une part de vérité mais n'est pas vérifiable partout et en tout temps. En fait, la coïncidence de la minorité économiquement privilégiée et de la minorité politiquement dirigeante a plus de chance de se réaliser dans une phase préliminaire du développement de la société industrielle. Suivant l'acception aronienne, lorsque la masse de la population vit à la campagne comme c'est le cas dans les jeunes démocraties, l'introduction du suffrage universel favorise l'élection de représentants de la classe économiquement privilégiée, celle qui possède le sol et qui constitue l'encadrement naturel des masses paysannes.

On objectera peut-être que dans les types idéaux des démocraties, les entreprises jouent un très grand rôle dans l'issue des élections. Cela est perceptible, dit Aron, mais cette réalité est proche non pas de la version marxiste des « monopolistes » mais de la coïncidence que nous venons d'évoquer. S'il fut un temps où ce qui était bon pour General Motors était bon pour les Etats-Unis, cela ne l'est plus aujourd'hui ; pas plus que dans les pays africains où on voit les masses désavouer électoralement les élites locales supposées ou réellement riches. On ne peut douter que les chefs d'entreprise influent sur certaines décisions prises par les pouvoirs publics, mais ils ne sont pas aussi assez tout-puissants pour dicter unilatéralement la politique générale du régime. Les minorités économiquement privilégiées n'ont jamais pu empêcher les réformes sociales, l'extension de la législation, les nationalisations d'entreprises auxquelles elles sont pourtant hostiles. D'où la nécessité d'une étude prochaine sur les causes exactes de la vague de privatisations actuelles.

Les marxistes pourraient répondre que ces minorités ont tout de même empêché que le capitalisme fut détruit. Mais la vraie question n'est pas au niveau de cette obstination. Il faut plutôt s'interroger sur le rôle du capitalisme dans un régime pluraliste. Le travaillisme anglais a toujours vu ses réformes passivement acceptées par la classe dite capitaliste ; tout comme l'introduction du capitalisme par Margaret Thatcher dans les années 80 a convaincu les socialistes modérés. Bien plus, les minorités économiquement dirigeantes n'ont pas toujours de conceptions politiques sur les grandes questions internationales, pas plus qu'ils ne sont toujours d'accord sur ces questions. Les décrire donc comme des despotes qui manipulent les pantins politiques, c'est selon Aron sacrifier à la mythologie. C'est encore un excès d'honneur que de leur prêter une intelligence supérieure et de les croire capables de manipuler la presse, les partis et le Parlement. Tout compte fait, leur reconnaitre une telle puissance n'est qu'une aberration qu'explique d'après Aron, la haine vouée à un système économique.

En effet, les marxistes actuels, accusent les libéraux de prendre la défense du capitalisme par ignorance de la coïncidence de la réalité ambiante avec la réalité décrite par Marx. Ils s'attaquent maintenant à la situation internationale où les pays riches semblent dicter délibérément leurs lois pour creuser davantage le fossé qui les sépare des pays pauvres. La discussion est, sur ce point, malaisée. Ils sont sûrs à l'avance que telle est bien la vérité. Aron dit ne pouvoir ébranler leur conviction puisque leur système d'interprétation comporte l'explication de ses erreurs.

En somme, conclut Aron, « on a rarement bâti un Etat en se pliant aux normes de la démocratie libérale »108(*) Mais peut-on se demander, pourquoi s'obstine-t-il alors à la défendre ? Serait-ce par simple idéologie ou par réelle conviction ? Il a prescrit des solutions que Tocqueville avait déjà prescrites au XIXe siècle mais on ne peut pas dire au jour d'aujourd'hui que la démocratie et le capitalisme ont fait d'avancée considérable. Ce qui nous amène donc à discuter l'ensemble de ses travaux consacrés à l'apologie du libéralisme.

* 105 Hubert Mono Ndjana, L'idée sociale chez Paul Biya, H.M.N, Université de Yaoundé, 1985, p. 15.

* 106 R. Aron, L'opium des intellectuels, p. 223.

* 107 Max Weber, Le savant et le politique, Plon, Paris, 1959, Introduction de R. Aron, p. 9.

* 108 R. Aron, L'opium des intellectuels, p. 270.

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