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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à  N'Djaména au Tchad

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par Emmanuel Ngueyanouba
Université catholique d'Afrique Centrale - Maà®trise en sciences sociales- socio- anthropologie 2005
  

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2.1.Insalubrité volontaire : incivisme ou protestation politique

Nous avons également porté notre attention sur les menus comportements des individus avec les ordures dans les espaces publics. Il est question pour nous de savoir ce que les individus font des éléments résiduels de leur consommation alimentaire (mégot de cigarette, bout de pain, noix des fruits etc.) et leurs emballages (plastiques en particuliers ce qu'on appelle Léda qui sont les emballages plastiques noirs fabriqués au Nigeria, papier, tissus etc.) lorsqu'ils n'en ont plus besoin alors qu'ils se trouvent :

- dans leurs espaces privés ;

- dans les espaces publics.

36 Cf Ecole de Chicago

Les facteurs structurant les représentations des espaces urbains et rapports aux ordures

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Deux types de comportement sont observables.

D'abord un petit nombre de personnes interrogées avouent rechercher systématiquement une poubelle ou un endroit susceptibles d'accueillir leurs déchets pour les abandonner lorsqu'elles se trouvent dans les espaces publics. En fait, compte tenu de l'inexistence des poubelles publiques le long des trottoirs comme on peut en observer dans les axes routiers du centre ville de Yaoundé et, compte tenu de la rareté des bacs à ordures, ce sont les décharges anarchiques communément appelées « poubelles » qui sont qualifiées « d'endroits susceptibles d'accueillir mon ordure.» Il se trouve par ailleurs que cette catégorie de personnes utilise au quotidien une poubelle pour gérer ses ordures sans compter que les espaces aménagés et propres inspirent un minimum de respect. Il faut considérer que les individus sont plus enclins à abandonner les ordures dans des espaces antérieurement sales que dans ceux qui ne le sont pas ou le sont moins. Un espace assaini inspirerait de ce point de vue du respect quant à sa gestion. C'est peut-être un souci de l'ordre qui explique ce genre de comportement.

Ainsi donc, on peut présumer qu'en plus de la prise en considération des conséquences des représentations des espaces urbains et des ordures ménagères précédemment vues, le dallage systématique et le nettoyage régulier des espaces publics urbains se présenterait comme une voie possible de solution de ce qu'on appelle volontiers la question des ordures ménagères dans les espaces publics à N'Djaména.

Ensuite, un petit nombre de personnes interrogées rendent compte d'un comportement qui consiste au contraire à « laisser traîner » ou à « abandonner quelque part » les ordures qui se trouvent dans leurs mains lorsqu'ils se trouvent dans les espaces publics. Ils gèrent par contre ces ordures dans des territoires prévus pour cela lorsqu'elles sont dans leurs espaces privés. Tout se passe comme si l'espace public se définissait vis-à-vis des ordures ménagères comme une poubelle, une décharge ou un bac à ordure au format géant, à la dimension de la ville. Mais ce qui ne se donne pas à voir à l'observateur imprudent, c'est la signification profondément politique de cette insalubrité volontaire des espaces publics qu'un certain journalisme - et pas seulement ce dernier mais également les autorités communales - qualifient « d'actes d'incivisme » et de « mentalités villageoises » des n'djaménois. Même si l'incivisme peut-être convoqué ici pour justifier l'insalubrité des espaces urbains, le discours que nous développons jusque-là invite au relativisme des jugements. Il peut néanmoins être l'un des facteurs défavorisant la gestion des ordures ménagères. On comprend que notre démarche privilégie l'explication multi variée des facteurs.

Les facteurs structurant les représentations des espaces urbains et rapports aux ordures

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Le soupçon que nous portons sur la signification politique de la salubrité volontaire des espaces publics est éveillé par le discours tenu d'une part par les populations sur les responsabilités imputables aux autorités communales en charge de l'enlèvement des ordures ménagères dans les espaces publics, et d'autre part le discours en tout point opposé à celui des populations et, tenu par les autorités communales sur les responsabilités des populations en tant que contribuables et dans un contexte de décentralisation actuellement à l'oeuvre. De quoi s'agit-il ?

D'une part l'enquête révèle la récurrence d'un discours qui consiste pour l'essentiel à dire, du côté de la population urbaine que la mairie qui prélève les taxes sur l'habitat et qui, de plus obtient des subventions du gouvernement central de l'Etat a le devoir d'enlever les ordures ménagères, entre autres activités d'aménagement urbain et plus généralement de la gestion urbaine, sans discrimination de quelque nature que ce soit. Certains propos illustrent les comportements : « Nous payons pour que la mairie nettoie nos rues, alors, si elle ne le fait pas ce n'est pas nous qui allons ajuster nos comportements à elle ! ». En réalité le service officiel dessert uniquement sinon presque exclusivement les quartiers résidentiels qui coïncident partiellement avec les quartiers du nord. Dans les quartiers du sud, géographiquement, les avis sont unanimes : « la mairie n'est jamais venue enlever les ordures dans ce quartier ».

Il va de soi que cette désertion du service public par le service officiel frustre lesdites populations à qui on exige une taxe sur l'habitat. Mais où voyons-nous l'insalubrité volontaire des espaces publics comme l'expression d'une protestation contre une discrimination? La protestation contre cette discrimination se manifeste par le fait de jeter les ordures et résidus alimentaires de toute nature dans les espaces publics et de se justifier en disant : « nous avons payé la taxe sur l'habitat à la mairie ... mais la mairie ne fait pas son travail alors qu'elle est prête à venir nous réclamer de l'argent. » On note également des propos plus précis comme les suivants : « où voulez-vous que nous déposions nos ordures ? C'est bien pour assurer ce genre de service qu'il y a la mairie ! » c'est le décryptage des actes, attitudes et surtout du discours qui permet de penser que l'on salit les espaces urbains pour exiger un service que les contribuables payent à travers la taxe, ce qu'on appelle en France la taxe de nettoyage. La protestation apparaît très clairement lorsque les populations des quartiers sud disent que « nous payons la taxe [ou on nous exige la taxe] alors que la mairie enlève les ordures uniquement chez « eux ». » On voit transparaître également l'opposition Nous/Eux observée

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par Hantigton dans ses analyses à propos du conflit des civilisations. Mais le « Nous » et le « Eux » ici représentent davantage respectivement le « Bas » et le « Haut » au sens de Bayart (F.) Si l'opposition que nous relevons ici autour du service officiel de la G.O.M n'est pas aussi systématique qu'on peut le croire, elle met tout au moins en lumière d'un côté les mécontents et parents pauvres de la G.O.M (« les Nous ») et de l'autre les enfants chéris, les bénéficiaires du service officiel, ceux que les « Nous » désignent « Eux ».

Evidemment les autorités communales reconnaissent une monopolisation sinon une confiscation du service officiel aussi bien par des ministres, des militaires que par des personnalités influentes du régime au pouvoir et qu'une autorité de la commune a discrètement nommé « gouvernement ». En effet, du fait des inondations et des dégradations des voies publiques occasionnées à N'Djaména par les pluies, les autorités politiques ci-dessus cités « réquisitionnent » le matériel du garage municipal en l'occurrence ceux que le service d'hygiène et de santé publique utilise pour l'enlèvement des ordures dans les quartiers résidentiels, pour des travaux d'aménagement de leurs espaces privés et de leur neighborwood. Nos enquêtes à la voirie entre juillet et août qui sont deux mois de saisons de pluie nous ont donné l'occasion d'observer cet usage du service public. On assiste ainsi à une privatisation illégale du service public facilitée par la position politique des acteurs.

D'autre part, la voirie qui reconnaît bien la déserte effective et exclusive de l'enlèvement des ordures par le service officiel des quartiers résidentiels présente un discours justificateur de son action par deux arguments : premièrement, de l'avis des autorités communales, ces quartiers sont la vitrine de la ville. Et à ce titre, ils méritent une toilette régulière pour refléter l'image de la ville aux yeux des expatriés qui y habitent37 sans compter que c'est dans ces quartiers que sont réunies les infrastructures administratives publiques et privées. L'assainissement de ces espaces devrait en outre contribuer à la création de bonnes conditions de travail. Mais le résultat de cette action de salubrité montre qu'il s'agit d'un assainissement au rabais, vue d'ailleurs les moyens utilisés. Ce sont des moyens qui sont non seulement insuffisants mais qui servent inconditionnellement les élites politiques à des fins privées. Ici encore se pose la question du bien commun ou plus précisément celle de son aliénation à la volonté des individus.

Du reste, le privilège accordé aux espaces publics localisés dans les quartiers résidentiels est loin de lui conférer le qualificatif de vitrine de la ville. Ces quartiers ne sont en

37 La ville de N'Djaména ne se résume pas aux quartiers résidentiels. Et les expatriés qui y vivent ne sont pas dupes non plus. D'ailleurs construit-on une ville pour soi ou pour les beaux yeux des expatriés ? Les facteurs structurant les représentations des espaces urbains et rapports aux ordures

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réalité pas aussi salubres qu'on l'espère et pis, ils sont un point microscopique dans le magma d'insalubrité des quartiers populaires du sud de N'Djaména. De plus on a perdu de vue l'impossibilité d'établir des frontières infranchissables aux ordures et à leurs conséquences sur la santé publique.

Deuxièmement, les autorités communales soutiennent que seuls les habitants des quartiers résidentiels payent régulièrement la taxe sur l'habitat. Ce qui justifie la desserte dont bénéficie leurs quartiers. « Nous ne pouvons pas enlever les ordures des quartiers du sud dont la population refuse de payer la taxe qui nous permet d'être à mesure de fournir ce service. » On voit se dessiner un cercle vicieux entre voirie et populations des quartiers du sud. Les uns refusent de payer la taxe sur l'habitat en prétextant que la mairie ne leur fournit pas le service pour lequel la taxe est imposée ; les autres refusent de fournir ledit service parce que les populations refusent de payer la taxe. On retrouve ici la question de l'antériorité de l'oeuf et de la poule. Dans le cas de la gestion des ordures qui nous occupe ici, il s'agit d'un faux problème ou simplement un déplacement du problème par les uns et les autres car il suffit que les uns et les autres se conforment à la réglementation sur la gestion des ordures ménagères dans les espaces urbains. Or ce n'est pas le cas. Et c'est là tout le problème. Il existe une tranche de la population, notamment celle qui est proche du pouvoir qui jouit d'une immunité vis-à-vis des actes de vandalisme sur les espaces publics (rejet des ordures dans les rues, occupation anarchique des espaces urbains...), les agents de l'ordre des arrondissements n'appliquent pas la lois si toutefois il leur arrive de surveiller la gestion que les populations font des espaces publics.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard