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Les cours d'appui au CM2: critique sociologique d'une pratique pédagogique. à‰tude de cas à  Yeumbeul- Nord au Sénégal

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par Abdou FAYE
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Certificat d'aptitude aux fonctions d'inspecteur de l'enseignement élémentaire 2011
  

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II. Analyse et interprétation des données

Pour cette étude, nous basons notre démarche sur une approche qui consiste à analyser et à interpréter les données recueillies par rapport à deux thèmes dont l'un repose sur la prédominance financière dans les cours d'appui et l'autre, sur la question de leur qualité.

II.1. Prédominance financière dans les cours d'appui

Concernant ce thème, un questionnaire à été soumis aux maîtres titulaires de cm² à l'issue duquel ils ont exprimé leurs points de vue sur la problématique des cours d'appui dans la commune d'arrondissement de Yeumbeul-Nord. A la lumière des réponses fournies, les maîtres ont soutenu avec insistance que c'est sur la demande pressante des parents pour l'encadrement de leurs enfants au lendemain de la suppression du paiement des heures supplémentaires au cm², qu'ils ont pris l'initiative d'organiser des cours de renforcement à l'intention des élèves candidats au cfee. Ils n'ont pas manqué également de souligner qu'à défaut d'un encadrement rapproché à domicile qui, souvent, coûte très cher, les cours d'appui pouvaient constituer une voie de salut pour l'amélioration des résultats du cfee et le relèvement du niveau des élèves. Cette vision laisse apparaître une intention certaine des maîtres à être attentifs et alerte aux difficultés des élèves et à opérer des interventions rapides pour remédier ou pour approfondir. En effet, les différentes actions menées dans les cours d'appui contribuent à apporter à chaque élève, l'aide personnalisée dont il a besoin, permettant ainsi de prévenir les risques d'échec et de réduire les difficultés d'apprentissages à l'image de la RASED (Réseau d'Aides Spécialisées aux Élèves en Difficultés) en France. C'est pourquoi, les maîtres, principaux acteurs, ne trouvent pas la nécessité de déterminer avec exactitude un crédit horaire ou une durée pour les séances de cours d'appui mais de les tenir pendant toutes les après-midis du lundi, du mercredi et du vendredi. Sous ce rapport, l'essentiel pour eux, devient de faciliter aux apprenants à décrocher leurs diplômes. Dans cette perspective, « la curiosité intellectuelle et le plaisir d'apprendre ne reculent-ils pas devant l'obsession du résultat ? » s'interroge DORE (1976). En dernière instance, les maîtres laissent croire, qu'ils sont plutôt animés par une certaine dévolution d'un engagement pédagogique que mus par des intérêts financiers. Toutefois, les actes posés par les maîtres et apparus dans les données semblent prouver le contraire. C'est ainsi que parmi eux, aucun n'accepte au nom d'une quelconque dévolution ou d'un engagement pédagogique, de dispenser avec gratuité les cours d'appui. D'ailleurs, un seul maître (1/6) serait disposé à faire des séances de renforcement non payantes aux élèves qui constituent des cas sociaux, c'est-à-dire les élèves dont les parents payent difficilement ou n'étant pas en mesure de payer. Cette attitude dénote que le caractère payant de ces cours est sans appel et va faire émerger une certaine prédominance de l'argent, source d'interminables conflits entre parents et enseignants, affectant sérieusement la qualité des cours d'appui. La qualité en question, dans ce contexte, consiste à aller à la rencontre des élèves et à les aider à apprendre en faisant appel à une vaste palette de modalités et non à les exclure pour des raisons liées à des gains financiers. Dans ce cadre, Demnard adopte une posture contraire et soutient qu' « en matière d'aide scolaire, c'est la réunion des efforts de l'intervenant et de l'enfant-élève qui apporte la meilleure garantie du succès36(*) ». A Yeumbeul-Nord, la situation est révélatrice d'une organisation très limitée des cours de renforcement. Les élèves suivent les cours d'appui et parfois même les cours officiels en dents de scie. S'ils ne s'acquittent pas des frais, ils sont purement et simplement déclarés indésirables aux cours du soir et même aux cours officiels. Dans cette optique, le concept de « cours d'appui » ou « cours de soutien » pose un sérieux problème de compréhension et semble perdre tout son sens si les protagonistes font remarquer que seuls les élèves autorisés à prendre part aux cours, sont ceux-là qui payent régulièrement. C'est ainsi que l'argent va occuper le devant de cette pratique pédagogique et s'ériger en « fond de commerce » très florissant, vus les effectifs pléthoriques enregistrés dans les différentes écoles. Par exemple à l'école Yeumbeul 3 Sotrac, les deux cm² comptent respectivement 116 élèves pour le cm² A et 118 pour le cm² B. Avec de tels effectifs, les maîtres titulaires de ces classes peuvent se retrouver facilement avec des sommes importantes d'argent si chaque élève est tenu de verser 1000f à la fin de chaque mois de l'année scolaire.

Les Directeurs d'écoles de la zone d'étude partagent avec les maîtres les mêmes avis sur l'utilité des cours d'appui organisés dans leurs établissements respectifs. D'après les réponses fournies, hormis les résultats, ils estiment que c'est une solution à l'insuffisance du temps d'apprentissage due aux faits de grève, fêtes, congés, etc. En plus, les cours sont l'occasion de venir en aide aux élèves en difficulté d'apprentissage et de remédier aux apprentissages défectueux, de combattre les redoublements, les échecs et les abandons scolaires, soutiennent-ils. Toutefois nous remarquons qu'ils ne s'impliquent pas totalement dans l'organisation des cours, car ils ne prennent pas position et restent parfois passifs par rapport à de nombreux impairs que les cours d'appui génèrent. Il s'agit des renvois d'élèves aux heures de cours officiels, les conflits entre parents et maîtres, les chantages, les frustrations, les humiliations, la discrimination dans les évaluations, etc. Les directeurs avouent qu'il faut les gérer car ces types de cours améliorent les résultats de l'examen du cfee. Mais cela apparaît comme de simples déclarations d'intention en ce sens que les directeurs ne semblent pas en réalité manifester d'intérêt par rapport à cette pratique pédagogique décriée dans sa forme et dans son fond par la communauté à cause de ces effets pervers cités ci-dessus. Et pourtant, ils pouvaient être tentés vu leur statut à l'école et l'expérience acquise, de mesurer avec justesse le degré d'efficacité des cours d'appui, aussi bien au plan pédagogique que social pour accomplir un aspect de leur cahier des charges qui fait savoir que « le directeur constitue le maillon le plus important de la redynamisation de l'école » et doit à ce titre « veiller à l'engagement, et à la motivation des maîtres, des élèves et des communautés ».

Au même titre que les directeurs et les maîtres, les parents, les élèves et les responsables de CGE/APE ont émis leurs points de vue sur la problématique des cours d'appui dans leur localité. Unanimement, ils sont pour le principe d'offrir aux enfants un service d'encadrement rapproché après les cours officiels dans la même école et par leurs propres maîtres. Surtout que, non seulement ils influent sur les résultats mais règlent les problèmes de double-flux où les cohortes se relaient et par la même occasion, arrangent certains parents qui n'ont pas les moyens de payer à leurs progénitures des cours à domicile. En effet, leurs points de vue sur le problème ne s'opposent pas franchement, au regard des réponses apportées Cependant, ils n'adhèrent pas à la manière d'organiser ces cours, même s'ils restent très nécessaires pour l'encadrement des élèves. Cette attitude s'explique par le fait que l'accent est trop mis sur l'argent au détriment du soutien ou de l'aide. Il n'est pas rare de voir à Yeumbeul-Nord, des élèves de cm² arpenter les rues pour aller exiger à leurs parents les frais de cours du soir, au moment où d'autres ayant déjà régularisé leur situation sans difficulté, suivent les cours en classe. Cette situation fait émerger des inégalités des chances de réussite. Cet état de fait est d'ailleurs contraire à l'esprit de la loi d'orientation 91/22 qui précise à l'article 5, dans les principes généraux que « l'éducation nationale est démocratique : elle donne à tous des chances égales de réussite ».. En clair, plus la famille à laquelle l'enfant appartient, est aisée, plus les conditions réunies sont favorables aux études, et mieux, il réussit. Par ailleurs, cette gestion solitaire des cours d'appui et ce fonds de commerce qui y est développé, ont conduit les parents et les élèves à se montrer très critiques à l'endroit de l'organisation de cette pratique pédagogique. En plus, ils souhaitent y être impliqués surtout dans la gestion pour jouer pleinement leur partition vis-à-vis de l'école qui est la leur. C'est pour dire que la réussite scolaire des enfants n'est pas seulement l'affaire de l'école et des enseignants, mais de toute la communauté. C'est dans cette optique, que Demnard soutenait que :

L'enjeu d'une scolarité réussie déborde largement du seul cadre scolaire. Pour l'enfant, il y va de l'estime de soi, de la confiance en soi, de la relation à l'adulte et au monde37(*).

En somme, les cours d'appui, pour être un facteur d'amélioration des performances des élèves, auront nécessairement besoin d'une implication participative des parents.

Sur le même registre, au regard des réactions de l'ensemble des enquêtés, ils souhaitent la pérennité des cours mais ils exigent en retour leur réorganisation. Selon eux, les cours du soir laissent apparaître de nombreux problèmes liés surtout à l'argent. A cet égard, les pratiques auxquelles se livrent les maîtres en voulant in extremis entrer dans leurs fonds, sont de nature à ternir l'image de l'école et à écorner leur personnalité. En effet, les maîtres n'acceptent pas de dispenser des cours non payants, alors que certains parents plus ou moins imprégnés des textes, refusent que leurs enfants soient les victimes des cours d'appui. Là, l'éducation des enfants perd toute sa quintessence et l'école se dévoie de sa mission et accorde une large place à différentes formes de violence : menaces, humiliations, chantages, discriminations, etc. Les maîtres proposent même dans les évaluations (devoirs, compositions, essais) des exercices ou des notions déjà étudiées en cours d'appui, un moyen de pression pour pouvoir facilement récupérer la somme due. Voilà pourquoi les autorités scolaires ont souvent sévi à l'encontre du caractère payant de ces cours, même si elles ne s'opposent guère à l'idée de faire du renforcement pédagogique ou de remédiation aux élèves qui manifestent le besoin. C'est ainsi qu'une lettre circulaire du 15 Septembre 2010, portant interdiction des frais d'inscription et de transfert dans l'enseignement élémentaire, stipule en filigrane que les cours payants sont également concernés par cette interdiction. Toutefois, l'autorité précise à ce sujet que : 

 La contribution de la communauté ou des collectivités sont déterminées et gérées par les comités de gestion dont leur mise en place est obligatoire au niveau de chaque école. Les parents d'élèves sont partie prenantes du CGE38(*).

Sous ce rapport, les cours d'appui peuvent bel et bien continuer à être dispensés au cas où ils sont réformés. Cette lettre circulaire fait penser à un autre arrêté interministériel du 2 Septembre 1976 fixant la quote-part que le fonctionnaire doit verser à l'administration en cas de cumul autorisé. En application des disposition de l'article 6 du décret n° 73-337 du 7 Août 1973, le montant de la quote-part à verser à l'administration par les fonctionnaires autorisés à faire du cumul est fixé ainsi qu'il suit :

- 25% des rémunérations perçues au titre de l'emploi cumulé, lorsque le cumul est exercé en dehors des locaux et sans le matériel de l'État ;

- 50% des rémunérations perçues au titre de l'emploi cumulé, lorsque le cumul a été effectué dans les locaux appartenant à l'État ;

- 75% des rémunérations perçues au titre de l'emploi cumulé lorsque le cumul a été effectué dans les locaux et avec le matériel appartenant à l'État39(*).

L'analyse qui ressort de cette mesure institutionnelle, est que même si elle n'a jamais connu une application, elle reste toujours en vigueur car jusqu'ici, il n'est pas abrogé. De ce point de vue, les maîtres de cm² qui exercent cette pratique pédagogique sont aux antipodes de la loi. Non seulement ils sont en situation de cumul non autorisé, mais ils ne remplissent aucune des conditions fixées par le texte. Dans la même foulée, malgré les locaux et le matériel de l'État utilisés, les élèves qui ne payent pas à temps continuent à être chassés injustement des cours d'appui. Si l'administration des cours payants par les enseignants est pointée du doigt par les autorités scolaires depuis plus d'une décennie, c'est dû au caractère lucratif de ce phénomène. En effet, le fait de privilégier certains élèves par rapport à d'autres dans les établissements publics pose un problème d'égalité à l'accès au service public. Cette violation du droit des élèves est due au fait que les élèves issus des familles pauvres, n'ayant pas toujours les moyens de payer les cours de renforcement délivrés dans des locaux publics avec le matériel de l'école publique, sont exclus d'un service public dont ils ont droit. Cependant l'autorité ne s'oppose pas à l'initiative de soutenir les élèves par rapport à leurs difficultés en dehors des heures officielles dans le but d'optimiser leurs chances de réussite.

* 36 Dimitri Demnard, Laide à la scolarité par la PLN ; Comprendre et résoudre les difficultés scolaire, 2002  p :5

* 37 Dimitri Demnard, Laide à la scolarité par la PLN ; Comprendre et résoudre les difficultés scolaire, 2002

* 38 Lettre circulaire ministérielle n° 004463/MEPEMSLLN/SG/DEE/Dir du 15 Septembre 2010

* 39 Arrêté interministériel n°010988/MFPTE/DFP/BE du 2 Septembre 1976

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