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Le projet Kantien de paix perpétuelle à  l'ère de la mondialisation

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par Stanislas KIMPEYE MUNDIBI
Institut de philosophie Saint Pierre Canisius Kinshasa  - Bachelier en philosophie 2003
  

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1

FACULTE DE PHILOSOPHIE

SAINT PIERRE CANISIUS

KIMWENZA

République Démocratique du Congo

KIMWENZA, Juillet 2004

LE PROJET KANTIEN DE PAIX PERPETUELLE A L'ERE DE LA MONDIALISATION

Par l'étudiant KIMPEYE MUNDIBI STANISLAS, sj

MEMOIRE

Présenté pour l'obtention du Grade de Bachelier en Philosophie

Directeur : Père MANWELO PAULIN, SJ

2

« Placé au-dessus des conflits entre les Etats, nous embrassons tous les peuples avec la même charité et ne sommes mû ni par des intentions de domination politique ni par aucun désir des biens terrestres ; en parlant d'un sujet aussi important, nous croyons pouvoir être jugé sereinement et écouté par les hommes de toutes les nations ».

( JEAN XXIII, PACEM IN TERRIS, p.12)

3

DEDICACE

« HEUREUX CEUX QUI FONT OEUVRE DE PAIX : ILS SERONT APPELES FILS DE

DIEU » Mat.5, 9

QUE CE TRAVAIL SOIT DEDIE A TOUS LES ARTISANTS DE LA PAIX
PERPETUELLE Où QU'ILS SE TROUVENT A TRAVERS LE MONDE.

A tous et à chacun, nous disons du fond de notre coeur un grand MERCI.

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REMERCIEMETNS

Nous voulons sincèrement remerciés tous ceux qui, de loin ou de près, nous ont assistés pendant les trois années de quête d'un monde plus juste et plus fraternel.

Notre gratitude va en premier lieu à l'endroit de tous nos professeurs de Canisius grâce auxquels nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd'hui et spécialement le Père Manwelo Paulin, sj qui a dirigé ce travail.

Nos vifs remerciements vont en second lieu à l'endroit de tous les camarades étudiants de la faculté de philosophie avec qui nous avons poursuivi un idéal commun, à savoir celui de l'amour de la sagesse, mieux de la sagesse de l'amour.

En troisième lieu et enfin, nous remercions la famille KIMPEYE et tous nos amis et connaissances de qui nous sont venus beaucoup d'encouragement pour ne pas nous lasser dans la recherche de la vérité et du sens de l'existence, caractéristique de notre démarche non moins claudiquante pendant ce premier cycle de philosophie.

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0. INTRODUCTION GENERALE

0.1. PREAMBULE

Aborder philosophiquement (et non scientifiquement) la problématique de la paix perpétuelle à l'ère de la mondialisation renvoie incessamment à la considération du paysage géopolitique du monde actuel. Ce paysage géopolitique du monde d'aujourd'hui présente, sans nul doute, un tableau lugubre où se dessinent de façon inquiétante les fléaux et les conséquences des guerres.

Aussi est-il sans conteste que les horreurs de la violence, les dévastations, les crimes des guerres, les pillages, l'appauvrissement et l' asservissement des pays, la perte de la liberté, la domination étrangère et le terrorisme sont des maux dont le monde doit sortir en vue de l'établissement d'un monde essentiellement et perpétuellement pacifique et pacificateur.

Dès lors, les philosophes dont la préoccupation est centrée sur la paix perpétuelle s'arrogent le droit de questionner la réalité géopolitique du monde où ils vivent. Ainsi l'ermite de Königsberg s'est-il évertué, à juste titre, à cette oeuvre de noblesse que constitue son projet de paix perpétuelle, laquelle paix perpétuelle se profile à l'horizon comme un idéal , c'est-à-dire ce vers quoi doit tendre le genre humain.

Cependant, ce projet kantien de paix perpétuelle doit étendre son champ d'application et son rayon d'extension jusqu'en dehors des limites allemandes et/ou européennes. Il doit devenir la préoccupation de tout homme et de tout l'homme, de tout Etat et de tout l'Etat dans l'unique visée de la paix perpétuelle du genre humain.

Si l'emploi d'une méthode de calcul en mathématique exige la maîtrise de la procédure méthodologique, il n'en est pas moins de la reprise ou l'actualisation du projet kantien de paix perpétuelle à l'ère de la mondialisation. Aussi les philosophes et/ou les politiciens moralistes se voient-ils provoqués à se le réapproprier afin de bâtir ce que Kant a appelé l'état cosmopolitique, condition sine qua non de la paix perpétuelle.

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Kant, visionnaire et prophète à la fois, part et parle de la paix perpétuelle comme pilier sans lequel l'histoire de l'humanité n'a plus de destinée significative. D'où force nous est de reconsidérer à l'actif de notre problématique ce beau projet de paix perpétuelle élaboré par Kant. Puisse les esprits belliqueux se sentir interpellés par la préoccupation de la quête de la paix perpétuelle ! De même, que les esprits pacifistes et les artisans de paix perpétuelle se voient encouragés dans leur noble et béantifiante quête de la paix éternelle !

0.2. PROBLEMATIQUE

Devant les maintes constatations de l'absence de paix à l'échelle à la fois nationale, internationale et globale, la réflexion kantienne sur le projet de paix perpétuelle mérite non seulement son droit de cité, mais aussi et surtout d'être reconsidérée à l'âge actuel de l'histoire de l'humanité, cet âge qui se veut celui de la mondialisation.

En effet, la recherche de la paix, fût-elle éphémère ou éternelle, est ce qui se situe à l'horizon des efforts que les individus, les Etats et les fédérations des Etats entreprennent en vue d'une bonne vie de tous et de chacun dans la société. Cette visée semble à première vue être camouflée, voire inconsciente dans l'agir humain. Le philosophe de Königsberg a, à juste titre, proposé le projet de paix perpétuelle pour souligner l'importance et la nécessité d'une paix éternelle pour le genre humain. A sa suite, dans la présente réflexion, nous nous proposons de réfléchir sur les différentes articulations autour desquelles gravite ce projet de paix perpétuelle élaboré par Kant au XVIIIième siècle.

Le XXIième siècle se situant dans cette ère de la mondialisation, le projet kantien de paix perpétuelle devient le projet de mondialisation de la paix. Dès lors, la problématique de la mondialisation de la paix est ce qui hante notre esprit dans l'effort de se réapproprier le beau projet kantien de paix perpétuelle. Notre réflexion se veut un apport des lumières autour de la question brûlante de la paix perpétuelle à l'échelle mondiale.

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De ce qui précède, il appert que l'instauration de la paix au niveau mondial doit nécessairement passer par la pacification permanente des individus vivant à l'état de nature. Elle est aussi tributaire de la coexistence pacifique entre les individus, entre les Etats par le biais d'une fédération et/ou d'une alliance des Etats. Elle est enfin fonction de l'institutionnalisation du droit cosmopolitique. Ces trois piliers de l'instauration de la paix perpétuelle se révèlent efficacement nécessaire dans le développement de notre problématique sur le projet kantien de paix perpétuelle à l'âge de la mondialisation.

0.3. DIVISION DU TRAVAIL

La tripartition de notre travail est ce qui conduira le déploiement de notre argument sur le projet kantien de paix perpétuelle à l'âge de la mondialisation.

Le premier chapitre, abordant la question de l'état de nature, articulera d'une part la définition, la nécessité de l'état de nature et d'autre part, il esquissera la question de l'état de guerre et celle de la sortie de l'état de nature, état de minorité.

Le second chapitre, s'attelant sur la problématique de l'état de droit, essayera dans un premier moment de mettre en lumière la notion de l'état, du droit et de l'état de droit, et dans son second moment, il s'évertuera à considérer les enjeux juridiques de la constitution civile en allant dans le sens de la politique extérieure et intérieure de l'Etat, mieux, des Etats.

Le troisième chapitre, se voulant un discours d'élaboration d'un état cosmopolitique, tachera en premier lieu d'élucider les relations inter-étatiques, la fédération des peuples et des Etats. En second lieu, il s'adonnera à poser les conditions d'établissement ou d'élaboration effective d'un état cosmopolitique, condition nécessaire et suffisante de la paix perpétuelle.

Une brève conclusion bouclera notre réflexion en jaugeant la valeur actuelle dudit projet kantien de paix perpétuelle à l'ère de la globalisation, de la planétarisation afin d'en tirer les implications conséquentes pour notre monde actuel incessamment en mutation.

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Chapitre I. : DE L'ETAT DE NATURE

I.0. Introduction

La question de l'état de nature s'articulera autour des trois points essentiels, à savoir la définition et la nécessité de l'état de nature, l'état de nature ou l'état de guerre et la sortie de l'état de nature.

I.1. Définition et nécessité de l'état de nature

Par état de nature, Kant entend un état de déraison, un état d'anarchie et sans lois dans lequel les individus ne vivent pas de façon isolée mais ne se sont pas encore constitués en un Etat de droit. Autrement dit, l'état de nature est un état de violence et de guerre. Les individus sont enclins à la guerre et à la violence si pas ouvertes du moins latentes.

Face à cette propension à la violence et à la guerre, Kant tire explicitement le noyau de son argument sur la question de l'état de nature en stipulant que « pour les hommes, l'état de nature n'est pas un état de paix, mais de guerre, sinon ouverte, au moins toujours prête à s'allumer »1.

Cette forte affirmation de Kant nous permet de confirmer la thèse définitionnelle de l'état de nature en termes d'état de guerre. Ceci soulève sans nul doute la question du rapport et de la relation entre les hommes à l'état de nature, à l'état de guerre. Pour répondre à cette question, nous affirmons avec force, à la suite de Kant, que la relation entre les hommes est marquée par un attrait vers la violence et une propension radicale à la guerre - violence et guerre étant les attributions de l'état de nature dans lequel les hommes vivent -. Et d'après le philosophe de Könisberg

L'homme ou le peuple, qui vit dans l'état de nature, me prive la sûreté et m'attaque sans être agresseur, par cela même qu'il se trouve à côté de moi dans un état d'anarchie et sans lois; menacé sans cesse de sa part d'hostilités contre lesquelles je n'ai point de garant, je suis en droit de le contraindre, soit

1 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.340.

9

de s'associer avec moi sous l'empire de lois communes, soit à quitter mon voisinage2.

Cette évocation kantienne sur la relation entre les hommes à l'état de nature contient les prémisses de la constitution civile et de l'Etat de droit. Nonobstant cette anticipation, il convient de signaler que c'est la saisie de l'état en tant qu'état de guerre, mieux, en tant qu'état de privation de la sûreté personnelle qui captive notre attention à ce stade de réflexion. Les hommes se sentent continuellement menacés, leurs libertés étant en proie de ceux qui vivent à leurs côtés à l'état de nature. Dès lors, l'impérieuse nécessité de la sûreté personnelle se fait sentir étant donné que l'état de nature reste avant tout l'état de guerre.

I.2. Etat de nature ou état de guerre

C'est un truisme que Kant considère l'état de nature comme un état anarchique. Autrement dit, l'état de nature est un état où règnent la violence et la guerre entre les hommes. C'est donc un état de guerre. Pour l'ermite de Konigsberg, « la guerre n'est au fond qu'une triste ressource qu'il faut employer dans l'état de nature pour défendre ses droits, la force tenant lieu de tribunaux juridiques »3. Encore faut-il savoir que « dans l'état de nature et sans une sorte d'état juridique, qui unisse entre elles les diverses personnes physiques ou morales, il ne peut y avoir qu'un droit particulier »4.

De ces deux citations kantiennes, il apparaît avec clarté que la force est l'instance régulatrice des conflits à l'état de nature. En d'autres termes, c'est l'issue de la guerre qui décide du sort du bon droit. L'on pourrait alors conclure que c'est au plus fort (le vainqueur) que revient le bon droit. C'est à cette conclusion que Kant aboutit en stipulant

Qu'aucun des deux partis ne peut être accusé d'injustice, puisqu'il faudrait pour cela une sentence de droit ; mais l'issue du combat décide, comme autrefois dans les jugements de Dieu, de quel côté est le bon droit ; puisque entre les Etats, il ne saurait y avoir de guerre de punition, n'y ayant pas entre eux de subordination5.

2 E. Kant, op.cit.,p.360. notes

3 Ibidem, p.337.

4 Ibidem, p.379.

5 E. Kant, op.cit., p.337.

6 Ibidem, p.338.

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Aussi Kant étaie-t-il le noyau de sa thèse en argumentant qu' « une guerre à outrance, pouvant entraîner la destruction des deux partis à la fois, avec l'anéantissement de tout droit, ne permettrait la conclusion de la paix éternelle que dans le vaste cimetière de l'espèce humaine »6.

Par le biais de cette forte conviction kantienne, l'idée de la guerre à outrance se révèle inefficace et incompatible avec le projet de paix perpétuelle. Car cette idée de guerre à outrance dégénère, désaltère et dénaturalise la pacification permanente des individus à l'état de nature. Aussi la permanence des hostilités ne saurait-elle en aucune manière conduire à la paix perpétuelle. Car les hostilités déboussolent la quête de la paix à l'échelle tant individuelle que nationale ou étatique. C'est dire que les hostilités ont définitivement élu domicile à l'état de nature à telle enseigne que l'identification entre l'état de nature et l'état de guerre devient caractéristique essentielle, voire la substance favorite de la compréhension de ce que Kant entend par état de nature.

C'est ainsi que l'état de nature doit nécessairement être évité en tout et partout de telle sorte que la dégénérescence de l'état anarchique aboutisse à l'état de paix, lequel ne se réalise qu'en sortant de l'état de nature. Autrement dit, l'établissement d'un état de paix est fonction de la sortie de l'état de nature.

I.3. Sortie de l'état de nature : accès aux lumières

En considérant l'état de nature comme un état de déraison et de guerre, la préoccupation de la sortie de l'état de nature se pose avec une acuité accrue. Car la quête de la paix constitue l'élément moteur qui incite les individus à vouloir bâtir un état de paix. Chose qui est possible par le dépassement de l'état de nature, état anarchique. Il y a donc une double

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nécessité qui se tient. D'une part, il s'agit de la nécessité de sortir de l'état de nature et d'autre part émerge la nécessité de construire un état de paix pour tous.

L'auteur du Projet de paix perpétuelle formule cette double nécessité en ces termes :

Qu'il faut donc que l'état de paix soit établi; car, pour être à l'abri de tout acte d'hostilité, il ne suffit pas qu'il ne s'en commette point ; il faut qu'un voisin garantisse à l'autre sa sûreté personnelle ; ce qui ne saurait avoir lieu que dans un état de législation ; sans quoi l'un est en droit de traiter l'autre en ennemi, après lui avoir inutilement demandé cette garantie7.

Cette évocation kantienne élucide ostensiblement la notion de l'état de législation, la notion de l'Etat de droit - objet du deuxième chapitre de notre travail -. Il est certes capital de souligner l'exigence de la sortie rapide de l'état d'anarchie pour entrer dans cet état de paix, de droit dûment établi.

Aussi est-il de bon droit de rappeler que les Etats peuvent aussi vivre dans l'état de nature et se comporter de la même façon que les individus vivant à l'état de nature. C'est ce que Kant note dans le Projet de paix perpétuelle en disant

Qu'il en est des peuples, en tant qu'Etats, comme des individus, s'ils vivent dans l'état de nature et sans lois, leur voisinage seul est un acte de lésion. L'un peut, pour garantir sa sûreté, exiger de l'autre qu'il établisse avec lui une constitution qui garantisse à tous leurs droits. Ce serait là une fédération de peuples, sans que ces peuples formassent néanmoins un seul et même Etat, l'idée de l'Etat supposant le rapport d'un souverain au peuple, d'un supérieur à son inférieur8.

Il est certainement de bon droit de souligner que le processus de sortie de l'état de nature reste identique tant pour les individus que pour les Etats. Habermas a pris le soin de l'expliciter en décrivant la situation en ces termes : « de même il a été mis fin à l'état de nature entre les individus autonomes, de même il s'agit de mettre fin à l'état de nature entre Etats belliqueux »9.

7 E. Kant, op.cit., p.340.

8 Ibidem, p.345.

9 J. Habermas, La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne. Traduction de l'Allemand par Rainer Rochlitz, Paris, Les Editions du Cerf, 1996, p. 17.

12

Mettre fin à l'état de nature à l'échelle individuelle et/ou étatique renvient à s'efforcer d'entrer dans un processus de paix où les libertés des individus sont garanties par la loi. Ceci constitue la conviction habermassienne qu'il explicite lui-même de la manière suivante : « en constituant un Etat déterminé par le moyen d'un contrat social, la sortie de l'état de nature permet en effet aux citoyens de ce pays de mener leur vie dans des conditions de liberté garanties par la loi »10.

A bien considérer cette conviction de Habermas, il ressort que l'idée du contrat social est ce qui est à la base de la sortie de l'état de nature et du rétablissement de l'état de paix. Car, pour Habermas, c'est « le droit sanctionné par l'Etat qui met fin définitivement à l'état de nature »11.

La sortie de l'état de nature se conçoit en effet comme le passage de l'état de nature à l'état civil où seul le droit garantit les libertés des individus. D'après Kant,

Le passage de l'état de nature à l'état civil, cette possession putative, quoique illégale, peut néanmoins être maintenue comme honnête, en vertu d'une permission du droit naturel. Mais il ne faut pas que son illégalité soit reconnue, car du moment où, dans l'état de nature, une possession putative, et dans l'état civil, une acquisition pareille, sont reconnues comme injustes, elles ne sauraient plus avoir lieu, parce qu'elles deviennent alors une lésion des droits 12.

Aussi pouvons-nous considérer la sortie de l'état de nature comme coïncidant à l'accès aux lumières. Et Kant conçoit les lumières comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est, pour lui, l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. D'où la devise des lumières : Sapere Aude ! Aie le courage de te servir de ton entendement !

10 Ibidem

11 Ibidem, p.16.

12 Kant, op.cit., p.339, notes.

13

Cette devise des lumières est à situer dans la prise en considération par l'homme de son état de nature et dans la recherche des voies et moyens pour en sortir. L'usage de l'entendement devient dans la perspective de Kant le moyen privilégié ainsi que le passage obligé dans le processus de la sortie de l'état de nature, mieux, dans le passage de l'état de déraison à l'état de raison.

En outre convient-il de souligner que, pour Kant,

Il est difficile pour l'individu de s'arracher tout seul à la minorité, devenue pour lui presque un état naturel. Il s'y est même attaché, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement parce qu'on ne l'a jamais laissé s'y essayer.13

Or, pour répandre les lumières, Kant professe « qu'il n'est rien requis d'autre que la liberté ; et à vrai dire la plus inoffensive de toutes les manifestations qui peuvent porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. »14

L'usage public de notre raison doit toujours être libre, et lui seul peut répandre les lumières parmi les hommes ; mais son usage privé peut souvent être étroitement limité, sans pour autant empêcher sensiblement le progrès des lumières. Cette affirmation rejoint la description que Charles Larmore donne de l'homme, à savoir : « L'homme est visiblement fait pour penser. C'est toute sa dignité, et tout son mérite est de penser comme il faut. »15

Retenant en contrepartie que l'idée maîtresse de la sortie de l'état de nature se résume de façon précise dans le souci de la constitution civile, ce que nous avons nommé, à la suite de Kant, état de législation, mieux , Etat de droit, mieux encore Etats de droit.

I.4. Conclusion partielle

Eu égard à ce qui précède, il appert que l'état de nature est un état de déraison, de guerre, d'anarchie et sans lois. De ce seul fait, il doit être dépassé et continuellement à dépasser par le truchement de l'établissement d'un état de paix entre les hommes. Kant

13 E. Kant, Réponse à la question Qu'est-ce que les lumières, p. 312.

14 Ibidem

15 Larmore Charles, Modernité et morale, p.

14

appelle cet état de paix à établir « état de législation » dans lequel se diluent la propension à la guerre et à la violence par l'institutionnalisation d'un Etat de droit. Autrement dit, dans cet état de paix, l'homme a déjà accès aux lumières et est capable de faire usage à la fois public et privé de sa raison. L'homme sauvage a donc été contraint de prendre à contrecoeur une décision, à savoir : renoncer à sa liberté brutale pour chercher le calme et la sécurité dans une constitution conforme à la loi, mieux, dans un Etat de droit.

15

Chapitre II. : DE L'ETAT DE DROIT

II.0. Introduction

Etant donnée que la sortie de l'état de nature conduit à la constitution d'un état civil, et ce par le biais d'un contrat originel, l'état civil ainsi constitué se fonde donc sur le droit qui contraint les libertés sauvages de l'état de nature à telle enseigne que l'état civil dépende de ce droit. Autrement dit, l'état civil se comprend mieux sous l'acception d'un état de droit.

Tout au long de ce deuxième chapitre nous allons nous atteler sur les considérations relatives à cet état de droit en focalisant notre attention principalement sur une approche définitionnelle de l'état de droit, sur la constitution civile, sur la question de l'état de droit ou les états de droit et enfin sur la société des Nations.

II.1. Approche définitionnelle

II.1.1. Qu'est-ce qu'un Etat ?

L'Etat est à concevoir comme une société d'hommes dans laquelle est toujours

supposé le rapport d'un souverain au peuple, d'un supérieur à son inférieur. L'idée de l'Etat n'est pas compatible avec le fait de le considérer comme un patrimoine à l'instar du sol où l'on se trouve. C'est dire que ni le souverain ni le peuple ne peut considérer l'Etat comme sa propriété privée de la simple bonne raison que l'idée du contrat originel conditionne la constitution de l'Etat. Ainsi que le remarque Kant en définissant le contrat originel comme suit :

Le contrat originel est une simple idée de la raison qui possède néanmoins sa réalité(pratique) indubitable : qui consiste à obliger toute personne qui légifère à produire ses lois de telle façon qu'elles puissent être nées de la volonté unie de tout un peuple et à considérer tout sujet, dans la mesure où il veut être citoyen comme ayant donné son suffrage à une telle volonté.16

16 E. Kant, Sur le lieu commun : il se peut que ce soit juste en théorie mais, en pratique, cela ne vaut point., p.279.

16

Il découle de cette affirmation d'une part, que le contrat est ce qui constitue le fondement suprême de l'institution d'une constitution civile, et d'autre part que le contrat originel est conçu comme la loi fondamentale qui ne peut naître que de la volonté générale(unie) du peuple. Cela est le résultat du fait que l'effet produit par l'état des sauvages dépourvu de finalité entrave dans notre espèce toutes les dispositions naturelles. C'est dire que, finalement, par les maux dans lesquels les hommes sont plongés à l'état de nature, ils sont contraints à sortir de cet état pour entrer dans une constitution civile au sein de laquelle ils peuvent se constituer en Etat et abolir les dissensions qui les ont caractérisées à l'état de nature.

II.1.2. Qu'est-ce que le droit ?

Dans son ouvrage intitulé Fondements de la métaphysique des moeurs, Kant définit le droit comme « le concept de l'ensemble des conditions auxquelles l'arbitre de l'un peut être accordé avec l'arbitre de l'autre d'après une loi universelle de la liberté »17. Et cette loi universelle du droit se formule en ces termes : « Agis extérieurement de telle sorte que le libre usage de ton arbitre puisse coexister avec la liberté de chacun... »18.

Le droit19 est donc intrinsèquement lié à l'habilité à contraindre, la contrainte constituant un obstacle ou une résistance à la liberté. Habermas, commentant Kant, souligne que

Le droit a pour fonction de protéger l'arbitre de l'individu, conformément au principe selon lequel tout ce qui n'est pas explicitement interdit par les lois générales qui garantissent les libertés, est permis. Mais, si les droits subjectifs déduits de ces lois sont supposés être légitimes, leur généralité doit satisfaire au point de vue moral qui fonde la justice.20

17 E. Kant, Les fondements de la métaphysique des moeurs. I. Doctrine du droit, p.479.

18 Ibidem

19 Quant nous parlons du droit, il s'agit du droit au sens strict (avec habilité à contraindre), car Kant parle aussi du droit au sens large sous lequel se rangent l'équité et le droit de nécessité.

20 J. Habermas, op.cit., p. 92.

17

Au sujet des droits subjectifs, Kant déclare que

Tous les droits particuliers de l'homme sont fondés sur le droit originel unique selon lequel tous disposent de libertés subjectives égales : la liberté (l'indépendance par rapport à un autre arbitre contraignant), dans la mesure où elle peut subsister avec la liberté de tout autre suivant une loi universelle, est ce droit originaire unique qui appartient à tout homme en vertu de son humanité.21

Le droit, mieux, une constitution civile parfaitement juste, constitue la voie obligée pour l'exercice de la liberté humaine, pour le développement de toutes les dispositions humaines. Autrement, l'on verse dans une liberté sauvage.

II.1.3. Qu'est-ce que l'Etat de droit ?

L'Etat de droit se conçoit dans la perspective kantienne comme un état dans lequel le droit est respecté et administré. Sa constitution est le plus grand problème de l'humanité. Kant l'a si bien montré en décrivant que « le plus grand problème pour l'espèce humaine, celui que la nature contraint l'homme à résoudre, est d'atteindre une société civile administrant universellement le droit »22.

D'après Habermas

L'idée de l'état de droit requiert que la substance violente de l'Etat soit canalisée par le droit légitime, aussi bien à l'égard de l'extérieur qu'à l'égard de l'intérieur ; et la légitimation démocratique du droit doit garantir que le droit reste en accord avec les principes moraux reconnus23.

L'état de droit ou l'état juridique permet donc aux individus de sortir de l'état de guerre qui les caractérisait afin d'entrer dans une constitution civile, laquelle s'érige en garant du droit entre les individus.

Aussi faut-il réaliser une société dans laquelle la liberté sous des lois extérieures se trouvera liée, au plus haut degré possible, à une puissance irrésistible, c'est-à-dire une

21 E. Kant cité par Habermas, op.cit., p.487.

22 E. Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique., p.193.

23 J. Habermas, op.cit., pp 114-115.

18

constitution civile parfaitement juste, doit être pour l'espèce humaine la tâche suprême de la nature. C'est la détresse qui force l'homme, si épris par ailleurs de liberté sans frein, à entrer dans cet état de contrainte ; et, à vrai dire, c'est la plus grande des détresses, à savoir celle que les hommes `infligent eux-mêmes les unes aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres à l'état de liberté sauvage.

II.2. La constitution civile

La constitution civile est un rapport d'hommes libres, mais soumis à des lois de

contrainte. Il y a comme un besoin de se constituer en Etat pour se conserver. Ainsi Kant l'exprime-t-il en ces termes :

Une multitude d'êtres raisonnables souhaitent tous pour leur conservation des lois universelles, quoique chacun d'eux ait un penchant secret à s'en excepter soi-même. Il s'agit de leur donner une constitution qui enchaîne tellement leurs passions personnelles l'une par l'autre, que, dans leur conduite extérieure, l'effet en soit aussi insensible que s'ils n'avaient pas du tout ces dispositions hostiles24

II.2.1. Redéfinition de l'homme

L'homme a été défini depuis l'antiquité comme animal politique. Chez Kant, l'homme

est conçu comme un animal dont la caractéristique majeure est l'insociable sociabilité. Cette caractéristique est un antagonisme que l'homme vit au-dedans de lui. C'est dire que l'homme abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables. D'où la nécessité, mieux le besoin d'un maître qui extirpe ses penchants à une insociabilité accrue et sans frein.

Aussi Kant perçoit-il que « l'homme est un animal qui, lorsqu'il vit parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître »25. C'est pourquoi, dit Kant,

Même s'il souhaite, en tant que créature raisonnable, une loi qui mette des bornes à la liberté de tous, son inclination animale et égoïste le conduit cependant à s'en excepter lui-même lorsqu'il le peut. Il a donc besoin d'un

24 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.360.

25 E. Kant, op.cit., p. 195

19

maître qui brise sa volonté universellement valable, afin que chacun puisse être libre26

Il est cependant évident que le maître dont il s'agit est choisi dans l'espèce humaine. Autrement dit, le chef est aussi soumis à l'insociable sociabilité et a, lui aussi, besoin d'un maître. Car, dit Kant « chacune de personnes abusera toujours de sa liberté si elle n'a personne au-dessus d'elle pour exercer à son égard une puissance légale ». Il s'avère donc difficile de choisir un maître du fait que le chef suprême doit être juste par lui-même, et cependant être un homme. La tâche du maître paraît donc la plus difficile de toutes ; à vrai dire, sa solution parfaite est impossible. Mais la nature, dit Kant, nous contraint à ne faire que nous approcher de cette Idée.

En pratique, déclare Kant,

Pour maintes activités qui concernent l'intérêt de la communauté, un certain mécanisme est nécessaire, en vertu duquel quelques membres de la communauté doivent se comporter de manière purement passive, afin d'être dirigés par le gouvernement, aux termes d'une unanimité factice, vers des fins publiques ou, du moins, afin d'être détournés de la destruction de ces fins27

C'est dire que Kant reconnaît la place qui revient au maître dans le gouvernement de la société. Car, poursuit-il, « quand on a le pouvoir en main, (...), on ne se laissera pas faire la loi par le peuple »28. Cela s'explique par la loi de l'antagonisme dans la société. Et l'antagonisme se définit comme la tendance à entrer dans la société, mais cependant avec une constante résistance à entrer dans la société, laquelle résistance menace sans cesse de scinder cette société. Autrement dit, l'homme possède une inclination à s'associer, car dans un tel état il se sent plus homme, c'est-à-dire ressent le développent de ses dispositions naturelles. Mais il a aussi une forte tendance à se singulariser (s'isoler), car il rencontre en même temps en lui-même ce caractère insociable qu'il a de vouloir tout diriger seulement selon son point de vue ;

26 Ibidem

27 E. Kant, Réponse à la question Qu'est-ce que les lumières?; p.313.

28 Ibidem, p.366.

20

par suite, il s'attend à des résistances de toute part, de même qu'il se sait lui-même enclin de son côté à résister aux autres.

Et l'Etat demande à ces citoyens des périlleux services s`explicitant en ces termes :

L'homme (...) en tant qu'il est citoyen, lequel doit toujours être considéré dans l'Etat comme membre législateur (non seulement comme moyen mais en même temps aussi comme fin en lui-même) et doit donc donner son libre consentement, par la médiation de ses représentants, non seulement à la guerre en général, mais encore à chaque déclaration de guerre particulière. C'est à cette seule condition restrictive que l'Etat peut disposer de lui en exigeant ce périlleux service29.

Les citoyens sont donc conviés tous ensemble à édifier leur constitution afin de garantir leurs libertés réciproques au moyen des lois universelles.

II.2.2. Edification d'une constitution civile

Pour l'ermite de Königsberg, « le problème de l'édification d'une constitution civile parfaite est liée au problème de l'établissement d'une relation extérieure légale entre les Etats, et ne peut être résolu sans ce dernier ».30 Partant, il convient avant d'étudier la relation extérieure légale entre les Etats de poser les conditions d'édification de cette constitution civile. Autrement dit, il s'agit de poser les principes qui président à la constitution civile. Car un peuple ne doit se constituer en Etat que d'après les idées du droit de liberté et d'égalité ; et ce principe ne se fonde pas sur la prudence, mais sur le devoir.

L'état civil considéré uniquement comme état juridique est donc fondé sur les principes a priori suivants31 :

i) La liberté de chaque membre de la société en tant qu'homme.
Voici la formule de ce principe de liberté :

29 E. Kant, Métaphysique des moeurs. I. Doctrine du Droit, p.618.

30 Ibidem, p.196

31 E. Kant, Sur le lieu commun : il se peut que ce soit juste en théorie mais, en pratique, cela ne vaut point., pp 270-271.

21

Personne ne peut me contraindre à être heureux à sa manière (comme il se représente le bien-être d'un autre homme), mais chacun a le droit de chercher son bonheur suivant le chemin qui lui paraît personnellement être le bon, si seulement il ne nuit pas à la liberté d'un autre à poursuivre une fin semblable, alors que cette liberté peut coexister avec la liberté de tous d'après une loi générale possible (c'est-à-dire s'il ne nuit pas à ce droit d'autrui.32

La liberté légale consiste donc à n'obéir qu'à des lois auxquelles j'ai pu donner mon assentiment.

ii) L'égalité de l'homme avec tout autre en tant que sujet.

La formule du principe de l'égalité s'énonce comme suit :

Chaque membre de la communauté a vis-à-vis de chaque autre membre, des droits de contrainte dont seul le chef est exempt (pour cette raison qu'il n'est pas un membre de cette communauté mais celui qui l'a créée ou celui qui la maintient) ; lui seul a le pouvoir de contraindre sans être lui-même soumis à une loi de contrainte.33

Il est loisible de noter que, pour Kant, cette égalité générale des hommes dans un Etat, en tant que sujets de celui-ci, coexiste parfaitement avec la plus grande inégalité dans l'importance et le degré de ce qu'ils possèdent, qu'il s'agisse d'une supériorité corporelle ou intellectuelle sur les autres ou de biens matériels en dehors d'eux et de droit en général (...) que certains ont éventuellement sur d'autres.

Aussi Kant renchérit-il cette affirmation en stipulant que « selon le droit, ils sont pourtant tous égaux en tant que sujets, parce que personne ne peut contraindre un autre autrement que par la loi publique( et par celui qui la fait exécuter, le chef de l'Etat)... »34

De cette idée de l'égalité des hommes dans la communauté en tant que sujets, découle aussi cette formule :

Tout membre de cette communauté doit pouvoir atteindre tout niveau de situation auquel son talent, son activité et sa change peuvent le conduire ; et il ne faut pas que ses co-sujets, grâce à une prérogative héréditaire, lui barrent la

32 Ibidem

33 Ibidem, p.272.

34 Ibidem, p.273

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route pour le maintenir éternellement, lui et ses descendants, en dessous de cette situation35

Développant ce principe d'égalité, Kant enseigne que

Aucun homme vivant dans l'état juridique d'une communauté ne peut non plus déchoir de cette égalité autrement que par son propre crime mais jamais par un contrat ou par une violence de guerre (occupatio bellica) ; car il ne peut pas cesser, par un acte juridique (ni par le sien, ni par celui d'un autre) d'être propriétaire de sa propre personne, et entre dans la classe des animaux domestiques que l'on utilise à tout ce que l'on veut et qu'on conserve en outre dans cet état sans leur consentement aussi longtemps qu'on le veut, même s'il existe cette restriction(...) qu'il ne faut pas les mutiler ou les tuer36.

L'égalité légale dans un Etat est donc le rapport des citoyens entre eux, suivant lequel l'un ne saurait obliger l'autre juridiquement, sans que celui-ci ne se soumette aussi à la loi de pouvoir être obligé à son tour de la même manière.

iii) L'indépendance (sibisufficientia) de tout membre d'une communauté en tant que

citoyen, c'est-à-dire en tant que co-législateur. Ce principe s'énonce de la manière suivante :

Une loi publique, qui détermine pour tous ce qui doit leur être juridiquement permis ou défendu, est l'acte d'une volonté publique dont toute loi est issue et qui donc ne doit elle-même pouvoir commettre d'injustice envers personne. Mais pour cela il n'y a pas d'autre volonté possible que celle du peuple tout entier (...).37

Signalons que ces trois principes rendent possibles l'institution d'un Etat conformément aux purs principes de la raison du droit humain externe en général.

A côté de ces trois principes, Kant ajoute le principe de publicité et le principe transcendant du droit public.

Le principe de la publicité préside à la constitution d'un Etat de droit. Car

35 Ibidem

36 Ibidem, pp. 274-275.

37 Ibidem, p.276.

23

Sans la forme de la publicité, dit Kant, il n'est point de justice, puisqu'on ne saurait la concevoir que comme pouvant être rendue publique ; sans elle, il n' y aurait donc pas non plus de droit, puisqu'il ne se fonde que sur la justice38.

Pour Kant donc,

Chaque prétention juridique doit pouvoir être rendue publique ; et comme il est très aisé de juger dans chaque cas si les principes de celui qui agit supporteraient la publicité, cette possibilité même peut servir commodément de critérium purement intellectuel pour reconnaître, par la raison seule, l'injustice d'une prétention juridique39

A ce principe de publicité s'adjoint le principe de transcendance, mieux la forme transcendante du droit public dont la formulation est la suivante : « toutes les actions relatives au droit d'autrui, dont la maxime n'est pas susceptible de publicité, sont injustes »40. Il est bon de remarquer que ce principe se rapporte également au droit des hommes.

D'après ce principe transcendant du droit public, un peuple se demande, avant l'institution du contrat social, s'il oserait bien publier le dessein qu'il aurait de se révolter dans une occasion donnée. On voit bien que si, en fondant une constitution, le peuple se réservait la condition de pouvoir un jour employer la force contre son chef, il s'arrogerait un pouvoir légitime sur lui. Mais alors le chef cesserait de l'être ; ou si on voulait faire de cette condition une clause de la constitution, celle-ci deviendrait impossible et le peuple manquerait son but. L'injustice de la rébellion se manifeste donc, en ce que la publicité rendrait impraticable la maxime qui le permet. Il faudrait par conséquent la tenir secrète.

Pour Kant, le chef doit jouir d'un pouvoir irrésistible et inviolable, puisqu'il n'aurait pas le droit de commander à chacun s'il n'avait pas le pouvoir de protéger chacun contre les autres. Or, se sentant revêtu de ce pouvoir, il n'a pas non plus à craindre d'agir contre ses propres vues en publiant sa maxime.

38 Ibidem, p.377.

39 Ibidem

40 Ibidem

41 Ibidem, p.382.

42 Ibidem ,p.374.

24

Conséquence du principe de publicité : si le peuple réussit dans sa révolte, le chef rentrant dans la classe des sujets n'ose ni renouveler la rébellion pour remonter sur le trône, ni être appelé à rendre compte de son administration précédente.

Un autre principe transcendant et affirmatif du droit public a pour formulation ce qui suit : « toutes les maximes qui pour avoir leur effet ont besoin de publicité, s'accordent avec la morale et la politique combinées. »41

Ce principe est transcendant puisque sa formule ne renferme rien de naturel, rien qui se rapporte à la doctrine du bonheur, et qu'il faille puiser dans l'expérience ; elle ne vise qu'à la forme d'universalité qui donne force de loi aux maximes.

L'auteur des Fondements de la métaphysique des moeurs illustre ces principes par l'exemple ci-dessous :

C'est par exemple un principe de la politique morale qu'un peuple ne doit se constituer en Etat que d'après les idées du droit de liberté et d'égalité ; et ce principe ne se fonde pas sur la prudence, mais sur le devoir. Or, que les moralistes politiques s'y opposent tant qu'ils voudront ; qu'ils s'épuisent à raisonner sur l'inefficacité de ces principes contre les affections naturelles des membres de la société ; qu'ils allèguent même, pour appuyer leurs objections, l'exemple de constitutions anciennes et modernes, toutes mal organisées(comme celui de démocrate sans système représentatif) ; tous leurs arguments ne méritent pas d'être écoutés ; surtout parce qu'ils occasionnent peut-être eux-mêmes ce mal moral, dont ils supposent l'existence, par cette théorie funeste, qui confond l'homme dans une même classe avec les autres machines vivantes, et que, pour en faire le plus malheureux de tous les êtres, n'a plus qu'à lui ôter la conscience de sa liberté 42.

Partant de cette illustration, il convient de retenir, à la suite de Kant, qu'il faut, dans toute communauté, une obéissance au mécanisme de la constitution politique d'après les lois de contrainte. Mais en même temps un esprit de liberté est requis, étant donné que chacun exige, en ce qui touche au devoir universel des hommes, d'être convaincu par la raison que cette contrainte est conforme au droit, afin de ne pas se trouver en contradiction avec soi-

25

même. Car « l'obéissance sans esprit de liberté est la cause de la naissance de toutes les sociétés secrètes »43.

II.3. Etat de droit ou Etats de droit ?

Nous nous proposons ici d'expliciter simplement le fait de la diversité des peuples dans le monde. Car la constitution civile, conduisant à l'état de droit, n'est pas singulière mais plurielle. En d'autres mots, les peuples du monde se constituent non pas un seul Etat de droit, mais en plusieurs Etats de droit qui ont entre eux des relations réciproques. Et chaque Etat est appelé à travailler pour la sortie de ses membres de l'état de nature, par le biais d'une institution juridique. Il y a donc urgence et nécessité d'étudier le rapport intra-étatique entre les individus ainsi que le rapport inter-étatique. Pourquoi y-a-t-il des guerres entre les Etats ? Quelle en est la cause ? Comment sortir dès lors de cette situation turbulente et menaçante pour étendre la paix perpétuelle à l'échelle étatique et globale ?

II.3.1. Indépendance des Etats

Il est clair que, pour Kant, chaque Etat est indépendant. Autrement dit, chaque Etat est capable de se constituer juridiquement et de choisir son dirigeant. Car, c'est par ce seul moyen que la constitution civile garantit les libertés des individus, ceux-ci prêtant une obéissance commune à leur souverain. C'est dire que le besoin d'un maître reste le principe directeur et fédérateur dans la constitution civile. Car, en y entrant, « ils se garantissent réciproquement la sûreté requise, par l'obéissance commune qu'ils prêtent au souverain. »44

Aussi Kant souligne qu' « un Etat, parvenu une fois à l'indépendance, ne se soumettra pas à la décision d'autres Etats, sur la manière dont il doit soutenir ses droits, contre eux. »45

43 E. Kant, Sur le lieu commun, p.286.

44 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.340

45 Ibidem, p.366.

46 ibidem

47 Ibidem, p.367

26

De cette situation, il convient de souligner le noyau de l'argument kantien consistant à refuser à un Etat la supériorité ni la puissance à l'égard d'autres Etats. Car la position de domination et de puissance ne conduit que difficilement à la paix perpétuelle.

C'est ce que Kant résume en ces termes :

Une partie même du monde, si elle se sent supérieure à une autre, ne négligera pas d'agrandir sa puissance, en se soumettant celle qui lui est inférieure en force. Et ainsi s'évanouissent tous les beaux plans de droit civil, public et cosmopolitique ; au lieu qu'une pratique, fondée sur des principes déduits de la connaissance de la nature humaine et qui ne rougit pas d'emprunter ses maximes de l'usage du monde, semble pouvoir seule espérer de poser sur un fondement inébranlable l'édifice de sa politique.46

D'après Kant l'évanouissent des beaux plans de droit civil, public et cosmopolitique est nécessairement à éviter. Car la domination d'un seul Etat peut entraîner de perpétuels renversements de l'ordre de paix éternelle entre les individus et entre les Etats. Cette situation peut émaner des défauts venus de la constitution civile à telle enseigne que

S'il s'est glissé des défauts, soit dans la constitution d'un Etat, soit dans les rapports des Etats entre eux, il est principalement du devoir des chefs d'y faire aussitôt des amendements conformes au droit naturel établi sur la raison ; dussent-ils même sacrifier à ces changements leurs propres intérêts. 47

L'indépendance d'un Etat ne doit pas enfermer cet Etat sur lui-même, car « l'état juridique intra-étatique, affirme Habermas, doit déboucher sur un état juridique global qui tout à la fois unit les peuples et supprime la guerre ».

II.3.2. Le rapport entre Etats

L'existence de plusieurs Etats se place à l'actif de l'étude du rapport entre les Etats.

Autrement dit, la nature du rapport que les Etats entretiennent entre eux nécessite à être éclairée dans la quête de la paix perpétuelle.

27

Il y a certes la guerre qui prévaut entre les Etats, considérés comme vivants encore dans l'état de nature. Or, la guerre, selon le mot d'un Grec, est un mal, en ce qu'elle fait plus de méchant qu'elle n'en emporte. »48

Aussi Kant note-t-il que « quant à la guerre même, elle n'a besoin d'aucun motif particulier ; elle semble entrée dans la nature humaine, passant même pour un acte de noblesse, auquel doit porter l'amour seul de la gloire, sans aucun ressort d'intérêt. »49

Ceci pousse à souligner en outre le fait que la guerre entre les Etats ne peut en aucune manière être une guerre punitive, car, poursuit Kant,

Une guerre punitive contre des ennemis injustes demeure une idée inconséquente, tant que nous ne prenons en compte que des Etats dont la souveraineté est illimitée. En effet, ceux-ci ne pourraient, sans diminuer leur souveraineté, reconnaître une instance judiciaire qui trancherait impartialement des infractions aux règles dans les relations entre les Etats. Seules la victoire et la défaite décident de quel côté est le bon droit 50.

Préconisant la suppression de la guerre dans le rapport inter-étatique, le deuxième article définitif pour la paix perpétuelle déclare qu' « il faut que le droit public soit fondé sur une fédération d'états libres ». Car, remarque Kant,

Tant que ce dernier pas(à savoir l'association des Etats) n'est pas franchi(...), tant que des Etats consacreront toutes leurs forces à leurs visées expansionnistes vaines et violentes, tant qu'ils entraveront ainsi constamment le lent effort de formation interne du mode de pensée de leurs citoyens, (...) on ne peut s'attendre à aucun résultat de ce genre (à savoir qu'il n'y aura pas de paix perpétuelle) . Pour y arriver, il faut un long travail intérieur de chaque communauté en vue de former ses citoyens51.

Face à cette difficile paix perpétuelle qu'il s'agit d'établir entre les Etats, il convient d'opter pour le modèle de la Charte des Nations unies. Cette dernière interdit les guerres d'agression et, en cas de menace ou de rupture de paix, ou encore en cas d'agression, autorise le conseil de Sécurité à prendre les mesures appropriées, qui peuvent être des actions militaires. Autrement dit,

48 Ibidem, p. 358.

49 Ibidem, p.358.

50 J. Habermas, La paix perpétuelle, p. 13.

51 E. Kant, H.U., p.199.

28

Le rapport externe des relations internationales entre Etats qui constituent de simples environnements les uns pour les autres, relations qui sont régulées par des contrats, est alors modifié par un rapport cette fois fondé sur un règlement ou sur une constitution. 52

En outre, Kant souligne que

Si l'on concentre son attention uniquement sur la constitution civile et ses lois d'une part, et d'autre part sur les relations internationales, (...) on découvrira, je crois, un fil conducteur qui ne sera pas seulement utile à l'explication du jeu confus des affaires humaines, ou à la prophétie politique des transformations futures, (...) mais qui ouvrira (...) une perspective consolante sur l'avenir, où l'espèce humaine est représentée dans une ère très lointaine comme travaillant cependant à s'élever enfin à un état où tous les germes que la nature a placés en elle pourront être complètement accomplie53.

Nonobstant ces germes que la nature place dans l'espèce humaine pour son complet épanouissement, Kant affirme que « la nature a placé à côté de chaque peuple, un autre peuple voisin, qui le presse et l'oblige à e constituer en Etat, pour formes une puissance capable de s'opposer à ses entreprises. »54

Cette citation nous aide à mieux comprendre l'indépendance des Etats que l'auteur du Projet de paix perpétuelle ne cesse de fustiger.

Abordant le problème du droit après la guerre, Kant stipule que

Le droit qui fait suite à la guerre, c'est-à-dire au moment du traité de paix, et compte tenu des séquelles de la guerre, consiste pour le vainqueur à poser les conditions auxquelles il peut s'entendre avec le vaincu et négocier des traités en vue de parvenir à la conclusion de paix, et ce non pas au non d'un quelconque droit dont il se réclamerait et qui lui reviendrait en raison de la prétendue lésion qui lui aurait faite son adversaire, mais en s'autorisant de sa force tout en laissant cette question en suspens.55

Aussi Kant constate-t-il que

Il ne conviendrait pas mal à un peuple, de célébrer, après une guerre, à la suite des actions de grâce pour la paix, un jeûne solennel, pour demander pardon à Dieu du crime que l'Etat vient de commettre et que le genre humain se permet encore toujours, de refuser de vivre avec les autres peuples dans un ordre légal, auquel, jaloux d'une orgueilleuse indépendance, il préfère le moyen

52 J. Habermas, op.cit., pp. 52-53.

53 E. Kant, H.U., p. 204.

54 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.359.

55 E. Kant, M.M, Doctrine du droit, p.621.

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barbare de la guerre, sans qu'elle lui procure ce qu'il veut, la jouissance assurée de ses droits. Les actions de grâces qui se rendent durant la guerre, les hymnes qu'on chante, en vrais juifs, au Seigneur des armées, ne contrastent pas moins avec l'idée morale du père des hommes ; elles annoncent une coupable indifférence pour les principes que les peuples devraient suivre dans la défense de leurs droits et expriment une joie infernale d'avoir tué bien des hommes, ou anéanti leur bonheur 56.

Avant de clore ce point, analysons les maximes57 des sophistes que suivent tacitement les moralistes politiques et à quoi se réduit à peu près tout leur savoir-faire. Ces maximes sont les suivants :

i) Fac et excusa. Saisis l'occasion favorable de t'emparer d'un droit sur ton propre
Etat, ou sur un Etat voisin. Il vaut mieux commettre l'acte de violence et l'excuser ensuite que de réfléchir péniblement à des raisons convaincantes et de perdre du temps à écouter les objections.

ii) Si fecisti, nega. Nie tout ce que tu as commis. Si tu par exemple porté ton peuple
au désespoir et ainsi à la révolte, n'avoue pas que ce soit ta faute. Mets tout sur le compte de l'obstination des sujets. A-tu pris possession d'un Etat voisin, soutiens qu'il faut s'en prendre à la nature de l'homme, qui, d'il n'est pas prévenu, s'emparera certainement du bien d'autrui.

Personne, il est vrai, n'est plus le dupe de ces maximes, trop universellement connues pour en imposer encore.

iii) Divide et impera. Divise-les entre eux, tâche de les brouiller avec le peuple.
Favorise le dernier et promets lui plus de liberté ; ta volonté aura bientôt force de la loi absolue.

Ces maximes sont des justificatifs du comportement belliqueux que l'on observe dans le chef de ceux qui sont toujours prêts à saisir une occasion pour faire la guerre. Cependant, nous constatons à la suite de Kant que

56 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.350.

57 Ibidem, p. 370.

30

Tous ces détours où s'engage une politique immorale pour conduire les hommes de l'état de guerre, qui est celui de la nature, à une situation pacifique, prouvent du moins : que, ni dans leurs relations personnelles, ni dans leurs rapports publics, les hommes se sauraient e refuser à l'idée du droit ; qu'ils ne hasardent pas de fonder la politique sur de simples artifices de prudence, ni par conséquent de se soustraire à l'idée d'un droit universel ; qu'ils lui témoignent au contraire tous les égard possibles, surtout dans le droit public, lors même qu'ils imaginent des prétextes et de palliatifs à l'infini, pour y échapper dans la pratique, et qu'au fond ils attribuent par une grossière erreur l'origine et le maintien du droit à la force aidée par la ruse 58.

II.4. La société des nations

Pour Kant, l'avons-nous dit, « le problème de l'édification d'une constitution civile

parfaite est lié au problème de l'établissement d'une relation extérieure légale entre les Etats, et ne peut être résolu sans ce dernier »59. Cette relation légale entre les Etats permet à toute communauté de jouir d'une liberté sans frein et que, par suite, un Etat doit s'attendre à subir de la part d'un autre exactement les mêmes maux qui pesaient sur les individus particuliers et les contraignaient à entrer dans un état civil conforme à la loi.

C'est ainsi que la nature se sert de ce caractère peu accommodant des hommes, et même des grandes sociétés afin de forger, au sein de leur antagonisme inévitable, un état de calme et de sécurité. C'est-à-dire, explique l'ermite de Konigsberg,

C'est par le truchement de guerres,(...), par la détresse qui s'ensuit finalement à l'intérieur de chaque Etat( même en temps de paix), que la nature pousse les Etats à faire des tentatives au début imparfaites, puis, finalement, après bien des désastres, bien des naufrages, après même un épuisement intérieur exhaustif de leurs forces, à faire ce que la raison aurait aussi bien pu leur dire sans qu'il leur en coûtât d'aussi tristes expériences, c'est-à-dire à sortir de l'absence de loi propre aux sauvages pour entrer dans une Société des Nations dans laquelle chaque Etat, même le plus petit, pourrait attendre sa sécurité et ses droits, non de sa propre force ou de sa propre appréciation du droit, mais uniquement de cette grande Société des Nations (Foedus ampphictyonum), c'est-à-dire d'une force unie et de la décision légale de la volonté unifiée. »60

58 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.371.

59 E. Kant, H.U., p.197.

60 E. Kant, idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, p. 197.

31

Kant est donc convaincu que la Société des Nations constitue l'issue inévitable de la détresse en laquelle les hommes se plongent eux-mêmes, et qui doit contraindre les Etats à prendre précisément la même décision que celle que l'homme sauvage avait été contraint de prendre tout aussi à contrecoeur. Car, poursuit Kant,

Toutes les guerres sont autant de tentatives (...) pour mettre en place de nouvelles relations entre les Etats, pour former par la destruction des anciens, ou tout au moins par leur morcellement, de nouveaux corps qui cependant ne peuvent à leur tour se maintenir, soit en eux-mêmes, soit les uns à coté des autres (...) ; jusqu'à ce que, finalement, (...), un état de choses s'instaure qui, semblable à une constitution civile, pourra se maintenir de lui-même comme un automate61.

Cette évocation révèle à suffisance l'impérieuse nécessité de l'institution d'une Société des Nations, laquelle assurera le calme et la sécurité tant des individus que des Etats dans leur rapport d'indépendance réciproque, et c'est de cette seule façon que se dessine l'avènement de la paix perpétuelle dans le genre humain.

II.5. Conclusion partielle

On a montré que le concept kantien d'une alliance des peuples qui soit permanente tout en

respectant la souveraineté des Etats, n'est pas consistant. Il faut que le droit cosmopolitique soit institutionnalisé de telle manière qu'il engage les différents gouvernements.

61 Ibidem

32

Chapitre III. : DE L'ETAT COSMOPOLITIQUE

III.0. Introduction

Kant se propose d'apporter à la théorie du droit une troisième dimension : au droit étatique et au droit des gens sa s'ajouter le droit de citoyens du monde, le droit cosmopolitique. En considérant la limite de la souveraineté étatique comme insurmontable, Kant conçoit dès lors l'union cosmopolitique comme une fédération d'Etats et non comme une fédération de cosmopolites. C'est ainsi que nous nous proposons de nous appesantir au travers de ce troisième chapitre sur quatre points essentiels, à savoir : le droit à la paix, le droit des gens, le droit cosmopolitique et la nature comme garant de la paix perpétuelle.

III.1. Le droit à la paix

Par droit à la paix, Kant entend le droit de neutralité, le droit de garantie et le droit d'alliance réciproque.

i) Le droit de neutralité est le droit d'être en paix quand il y a guerre dans le voisinage.

ii) Le droit de garantie est le droit de se faire assurer que la paix conclue durera.

iii) Le droit d'alliance réciproque(confédération) entre plusieurs Etats, pour se défendre en commun contre toutes les attaques extérieures ou intérieures éventuelles ; ce n'est pas une coalition offensive ni expansionniste.

Ce droit à la paix se doit de devenir droit à la paix perpétuelle dans la mesure où la paix perpétuelle, dit Habermas62, est pour Kant, un idéal par lequel on peut rendre l'idée d'un état cosmopolitique à la fois attractive et concrète. Cela signifie que la paix perpétuelle est une caractéristique importante de l'état cosmopolitique.

62 J. Habermas, La paix perpétuelle, p.7.

33

III.2. Du droit des gens

III.2.1. Définition et but du droit des gens.

Le droit des gens, ayant pour but la paix perpétuelle63, est ce droit qui fait q'un Etat prenne en charge d'une part le droit à la guerre, d'autre part le droit d'être en guerre, puis le droit de contrainte réciproque en vue de sortir de l'état de guerre, partant d'instaurer une constitution fondant une paix durable, c'est-à-dire le droit des hommes pris isolément ou des familles(dans leurs rapports réciproques), en l'état de nature.

C'est dire que dans le droit des gens, ce qui compte n'est pas seulement le rapport d'un Etat à un autre - pris chacun comme totalité - mais encore le rapport des personnes isolées de l'un à celles de l'autre, aussi bien qu'à l'autre Etat lui-même dans sa totalité qui est pris en considération.

John Rawls définit le droit des gens comme « une conception politique du droit et de la justice qui s'applique aux principes et aux normes du droit international et à sa pratique »64 .

III.2.2. Eléments du droit des gens

Les éléments du droit des gens sont les suivants :

i) Les Etats, considérés dans leur rapport extérieur réciproque, sont par nature dans un état non juridique(comme des sauvages sans lois).

ii) Cet état est un état de guerre(où règne le droit du plus fort)

iii) Suivant l'Idée d'un contrat social originaire, est nécessaire une ligue des peuples par où ils n'engagent certes à ne pas s'immiscer réciproquement dans leurs

63 Le contenu que Kant met dans la paix perpétuelle est compris dans l'établissement d'un état de paix, défini par la fin de la guerre. Il est pratiquement question d'une alliance de paix qui est censée mettre fin à tout jamais à toutes les guerres et écarter les fléaux de la guerre en tant que tels. Cfr J. Habermas, La paix perpétuelle, p.12.

64 J. Rawls, Le droit des gens, p.40.

34

dissensions intestines respectives, mais à se protéger toutefois mutuellement contre les attaques extérieures.

iv) Cette alliance ne doit pourtant comporter aucune puissance souveraine(comme
c'est le cas dans une constitution civile), mais seulement une association (fédérative) ; une confédération qui peut à tout moment être dénoncée, et doit être renouvelée de temps à autre, c'est un droit in subsidium d'un autre droit qui est originaire, celui de se garder réciproquement de tomber en état de guerre ouverte(foedus amphictyonum).

Le droit des gens suppose donc un état juridique ; car, déclare Kant,

Etant un droit public, il renferme déjà dans sa notion la déclaration des droits que la volonté générale assigne à chacun. Cet état juridique doit résulter d'un pacte antécédent, fondé non sur des lois de contrainte, comme le pacte civil, mais, si on veut, sur une association permanente et libre, telle que la fédération des Etats 65.

C'est dire que l'association fédérative des Etats se présente comme un état juridique compatible avec la liberté des Etats pour le seul maintien de la paix. La garantie de la liberté des Etats est, pour Kant, ce qu'il y a de plus essentiel relativement à la paix perpétuelle ; et ce d'après le droit civil, public et cosmopolitique.

III.3. le droit cosmopolitique

Le jus cosmopoliticum se définit comme le droit de tous les citoyens du monde. Autrement dit, c'est le droit qui porte sur l'unification possible de tous les peuples, relative à certaines lois universelles. Cette définition se comprend du fait que

Tous les peuples sont originairement en situation de communauté du sol, non pas certes de communauté juridique de possession(commerce), ni donc d'usage ou de propriété de ce sol, mais en situation d'action réciproque physique possible(commercium), c'est-à-dire le rapport généralisé entre chacun et tous les autres consistant à se prêter à un commerce réciproque, ils

65 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.379.

35

ont le droit de tenter d'instaurer ce commerce avec chacun, sans que l'étranger soit pour autant justifié à traiter en ennemi celui qui fait cette tentative66.

Cette citation tirée de la pratique du commerce entre les peuples illustre à suffisance le caractère d'unification des peuples, tel que la définition du jus cosmopoliticum le met profondément en musique.

III.3.1. Le républicalisme ( la constitution républicaine)

Le premier article définitif pour la paix perpétuelle stipule que « La constitution civile de chaque état doit être républicaine». Car, poursuit Kant, « il n'y a donc que la constitution républicaine, qui, relativement au droit, serve de base primitive à toutes les constitutions civiles ; reste à savoir, si elle est aussi la seule qui puisse amener une paix perpétuelle. »67

Reposons-nous donc la question de savoir de quelle manière la constitution républicaine peut-elle nous faire espérer une pacification permanente ? Pour y répondre Kant souligne que

Suivant le mode de cette constitution, il faut que chaque citoyen concoure, par son assentiment, à décider la question si l'on fera la guerre, ou non. Or, décréter la guerre, n'est-ce pas, pour des citoyens, décréter contre eux-mêmes toutes les calamités de la guerre : leurs propres moyens aux frais de la guerre ; de réparer péniblement les dévastations qu'elle cause ; et pour comble de maux, de se charger enfin de tout le poids d'une dette nationale qui rendra la paix même amère et ne pourra jamais être acquittée, puisqu'il y aura toujours de nouvelles guerres68.

Il découle de cette affirmation que les citoyens, reconnaissant les conséquences de la guerre, ne peuvent d'aucune manière être enclins à souscrire pour la thèse de la guerre ; mais ils rechercheront à tout prix la paix entre tous.

Cependant, pour empêcher qu'on ne confonde la constitution républicaine avec la démocratique, il faut faire les observations suivantes :

66 E. Kant, Métaphysique des moeurs. I. Doctrine du droit, p. 626.

67 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.342.

68 Ibidem, p.343.

36

Les formes d'un Etat peuvent être divisées, soit selon les personnes qui jouissent du souverain pouvoir, soit d'après le mode d'administration dont use le chef quelconque du peuple.

La première forme s'appelle la forme du souverain(forma imperii) et il ne peut y en avoir que trois : l'autocratie, quand un seul a le pouvoir suprême ; l'aristocratie, quand plusieurs le partagent ; la démocratie, quand tous les membres de la société l'exercent.

L'autre forme est celle du gouvernement (forma regiminis) ; C'est le mode constitutionnel suivant lequel la volonté générale du peuple a décidé que s'exercerait son pouvoir ; et sous ce rapport, elle est ou républicaine ou despotique.

Toutefois, dit Kant,

Un Etat peut avoir un gouvernement républicain, alors même qu'il laisse encore subsister un pouvoir despotique, jusqu'à ce que le peuple cède enfin à l'influence de l'autorité seule de la loi, comme si elle avait une puissance physique, et qu'il soit capable d'être son propre législateur, ainsi que son droit primitif l'exige. 69

Il s'avère donc nécessaire dans la perspective de la paix perpétuelle que les Etats optent pour le gouvernement de type républicain de telle sorte que « les relations internationales perdent leur caractère belliqueux dans la mesure où les Etats adoptent des gouvernements de type républicain. »70

Aussi faut-il noter, à la suite de Kant, que « dans une communauté républicaine, les principes de la constitution offrent des critères qui doivent permettre d'évaluer publiquement la politique menée »71. Ceci attribue davantage la fiabilité à la constitution républicaine dans la mesure où elle constitue l'essentiel du premier article définitif pour la paix perpétuelle.

69 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.367.

70 J. Habermas, op.cit., p.28.

71 Ibidem, p.39.

37

III.3.2. De l'hospitalité universelle

Le troisième article définitif pour la paix perpétuelle stipule que le droit cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle. Il s'agit du droit d'une hospitalité universelle. En d'autres termes, l'hospitalité ici signifie uniquement le droit qu'a chaque étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive. C'est-à-dire, on peut refuser de le recevoir, mais on n'ose pas agir hostilement contre lui, tant qu'il n'offense personne.

Notons cependant qu'il n'est pas question du droit d'être reçu et admis dans la maison d'un particulier, mais seulement du droit qu'ont tous les hommes de demander aux étrangers d'entrer dans leur société. Ce droit est fondé sur celui de la possession commune de la surface de la terre, dont la forme sphérique oblige les hommes à se supporter les uns à côté des autres, parce qu'ils ne sauraient s'y disperser à l'infini et qu'originairement l'un n'a pas plus de droit que l'autre à une contrée.

Aussi Kant est-il convaincu que c'est les droits de la nature qui ordonnent cette hospitalité, car la nature se contente de fixer les conditions sous lesquelles on peut essayer de former des liaisons avec les indigènes d'un pays. C'est ce qu'il exprime en ces termes : « De cette manière des régions éloignées les uns des autres peuvent contracter des relations amicales, sanctionnées enfin par des lois publiques, et le genre humain se rapprocher insensiblement d'une constitution cosmopolitique »72.

L'idée d'une constitution cosmopolitique, mieux, d'un droit cosmopolitique ne pourra plus passer pour une exagération fantastique du droit ; elle est, dit Kant, le dernier degré de perfection nécessaire au code tacite du droit civil et public ; car il faut que ces systèmes conduisent enfin à un droit public des hommes en général.

72 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p.351.

38

III.3.3. De la fédération des Etats libres (ou alliance des peuples)

La fédération des peuples n'a pour objet que le maintien de la paix entre les peuples. C'est pourquoi, d'après Kant, le but de l'état légal qu'il s'agit d'établir entre les peuples, se conçoit comme l'abolition de la guerre : « il ne doit pas y avoir de guerre, il s'agit de mettre fin aux funestes menées guerrières »73.

Afin d'expliquer pourquoi la formation d'une alliance des peuples pourrait servir l'intérêt bien compris des Etats, Kant74 évoque notamment trois tendances naturelles favorables à la raison :

i) Le caractère pacifique des républiques

ii) La force socialisatrice du commerce international et

iii) La fonction de l'espace public politique. Parlant de l'espace public civil, Habermas cite Kant en écrivant que

L'espace public civil détient en premier lieu une fonction de contrôle ; il peut en effet empêcher par la critique publique la mise en oeuvre de projets `ténébreux' incompatibles avec des maximes publiquement défendables. D'après Kant, elle doit cependant acquérir une fonction programmatique, dans la mesure où les philosophes, en leur qualité de `maîtres de droit' ou, comme nous dirions aujourd'hui, d'intellectuels, ont le droit de publier librement les maximes générales qui concernent la guerre et la paix, ce qui leur permet de convaincre le public des citoyens du bien fondé de leurs principes 75.

Kant perçoit dans l'interdépendance croissante des sociétés t dans l'extension du commerce une tendance favorable à l'union pacifique des peuples. Pour Kant donc, cette interdépendance est favorisée elle-même par l'échange des informations, des personnes et des marchandises.

Développés au début de la modernité, « les relations commerciales s'intensifient pour constituer un marché mondial qui, selon la conception de Kant, se sert de l'esprit d'intérêt de chaque peuple pour justifier l'intérêt qu'il y a à garantir des conditions pacifiques. »76

73 E. Kant cité par Habermas, op. cit., p.11

74 Kant cité par Habermas, op.cit, p.27.

75 Ibidem, p.39.

76 J. Habermas, op.cit., p.32.

39

Signalons en passant que Kant avait conçu l'expansion de l'association formée par des Etats libres comme la cristallisation d'un nombre croissant d'Etats autour du noyau constitué par une avant-garde de républiques pacifiques : « car si le bonheur voulait qu'un peuple, aussi puissant qu'éclairé, pût se constituer en république(...), il y aurait dès lors un centre pour cette association fédérative ; d'autres Etats pourraient y adhérer(...) et cette alliance pourrait s'étendre insensiblement »77.

L'organisation mondiale réunit aujourd'hui tous les Etats, indépendamment du fait de savoir s'ils ont déjà une constitution républicaine et s'ils respectent les droits de l'homme. L'unité politique du monde trouve son expression dans l'assemblée générale des Nations unies où tous les gouvernements sont également représentés.

On peut appeler une telle union de quelques Etats, destinée à maintenir la paix, le congrès permanent des Etats, auquel tous les Etats voisins sont libres de se joindre. Sous le terme de congrès, écrit Habermas, on n'entend toutefois qu'un conseil formé arbitrairement par différents Etats, à tout moment révocable, non pas une confédération (telle celle des Etats américains) fondée sur une constitution politique et donc indissoluble - c'est seulement par un tel congrès que peut être réalisée l'idée d'instaurer un droit public des gens qui tranche leurs conflits de manière civile, comme par un procès, et non pas de façon barbare (à la manière des sauvages), c'est-à-dire par la guerre.

III.4. la nature comme garant de la paix perpétuelle

Kant déclare dans son ouvrage intitulé Projet de paix perpétuelle que « le garant de ce traité n'est rien moins que l'ingénieuse et grande ouvrière, la nature ( nature daedala

77 Kant cité par Habermas, p. 65.

40

rerum) »78 Il souligne en outre que « le grand but de la nature est de faire naître parmi les hommes, contre leur intention, l'harmonie du sein même de leurs discordes »79.

Partant de ces affirmations et parlant de la nature, Kant stipule que

L'ordonnance mesurée que nous observons dans le cours des événements du monde, fait qu'on la nomme Providence, en tant que nous voyons en elle la sagesse profonde d'une cause supérieure, qui prédétermine la marche des destinées et les fait tendre au but objectif du genre humain80.

Avant de déterminer la manière même dont la Nature garantit la paix perpétuelle, il sera nécessaire d'examiner la situation où elle place les personnages qui figurent sur ce vaste théâtre et les mesures qu'elle a prises pour leur rendre cette paix nécessaire. Voici ses arrangements préparatoires81 :

i) Elle a mis les hommes en état de vivre dans tous les climats.

ii) Elle les a dispersés au moyen de la guerre, afin qu'ils peuplassent les régions les plus inhospitalières.

iii) Elle les a contraints par la même voie à contracter des relations plus ou moins légales.

Aussi Kant reconnaît-il que

Si la Nature sépare sagement les peuples, que chaque Etat voudrait combiner, soit par ruse soit de force, et cela d'après les principes mêmes du droit des gens ; elle se sert, au contraire, de l'esprit d'intérêt de chaque peuple pour opérer entre eux une union, que l'idée seule du droit cosmopolitique n'aurait pas suffisamment garantie de la violence et des guerres. Je parle de l'esprit de ` commerce qui s'empare tôt ou tard de chaque nation et qui est incompatible avec la guerre' 82.

La nature est donc le garant de la paix perpétuelle, car si la Nature veut qu'une chose arrive, elle en fait aux hommes un devoir. C'est-à-dire, poursuit Kant, que « la raison

78 E. Kant, Projet de paix perpétuelle, p. 353.

79 Ibidem

80 Ibidem

81 Ibid., p.356.

82 Ibid., p.362.

41

pratique qui puisse prescrire à des êtres libres des lois sans les contraindre ; mais cela veut dire que la Nature le fait elle-même, que nous le voulions ou non »83.

Il s'agit maintenant d'examiner ce qu'il y a de plus essentiel relativement à la paix perpétuelle, à savoir ce que la Nature fait à cet égard. Car, renchérit Kant, « tout ce que l'homme serait tenu de faire librement d'après le droit civil, public et cosmopolitique, s'il le néglige, il soit forcé à le faire, par une contrainte de la Nature, sans préjudice de sa liberté »84.

Disons grosso modo, à la suite de Kant, que

La nature garantit la paix perpétuelle par le moyen des penchants humains ; et quoique l'assurance qu'elle nous en donne ne suffise pas pour la prophétiser théoriquement, elle nous empêche du moins de la regarder comme un but chimérique et nous fait par lui-même un devoir d'y concourir85.

III.5. Conclusion partielle

Au terme de ce troisième et dernier chapitre de notre réflexion, nous reconnaissons que l'exigence de l'institutionnalisation du droit cosmopolitique reste absolument dominant dans le projet de paix perpétuelle. C'est-à-dire que la reconnaissance tour à tour du droit à la paix, du droit des gens et de l'état cosmopolitique est le moyen par lequel cette institutionnalisation du droit cosmopolitique trouve son expression la plus plausible.

Autrement dit, le droit cosmopolitique est un élément nécessaire dans la quête de la paix perpétuelle, laquelle paix est garantie par la nature, entendue sous l'acception de la Providence.

83 Ibid., p.359.

84 Ibidem.

85 Ibid., p.362.

42

IV. CONCLUSION GENERALE

IV. 1. CRITIQUE

Pour ne pas perdre le contact avec un paysage géopolitique du monde profondément transformé, l'idée kantienne de l'état cosmopolitique demande à être reformulée. Autrement dit, une conception du droit cosmopolitique doit être reformulée en fonction des besoins de notre époque, car une elle est parfaitement susceptible de rencontrer une constellation favorable des forces en présence, si nous donnons de conditions fort différentes auxquelles nous avons affaire à la fois du XXè siècle une interprétation appropriée.

Cette reformulation se doit toutefois de prendre en considération l'ère actuelle du monde, c'est-à-dire elle doit tenir compte des enjeux actuels de la mondialisation. C'est ce que souligne Habermas en stipulant que

Aujourd'hui, les médias ramifiés à travers le monde, les réseaux et systèmes en général obligent à intensifier les relations symboliques et sociales, ce qui entraîne l'influence réciproque des événements locaux et des événements lointains. Du fait de tels processus de globalisation, les sociétés complexes à infrastructure technique fragile deviennent de plus en plus vulnérables 86.

C'est donc à ce travail de reformulation et d'actualisation que Habermas87 s'est adonné en écrivant son livre intitulé La paix perpétuelle avec comme sous titre Le bicentenaire d'une idée kantienne.

Aussi l'effort habermassien de repenser le projet kantien s'est-il déployé de manière significative à travers les trois éléments suivants dont il faut intégrer dans le projet de paix perpétuelle. Il s'agit de :

i) La création d'un Parlement mondial

ii) Le développement d'une justice mondiale

iii) L'urgence de réorganiser le conseil de Sécurité.

86 Ibidem, p. 35.

87 D'aucuns qualifient Jurgen Habermas de Kant d'aujourd'hui.

43

Il convient de souligner que Habermas situe sa contribution dans la dynamique de la réformation des Nations unies en une démocratie cosmopolitique comportant les trois éléments susmentionnés.

C'est ainsi, dit Habermas, que

(...)Depuis l'initiative du président Wilson et la fondation de la société des Nations à Genève, cette idée a été sans cesse reprise et implémentée par la politique. Après la fin de la seconde guerre mondiale, l'idée de la paix perpétuelle a acquis une forme concrète dans les institutions, les déclarations et les initiatives politiques de Nations unies (et d'autres organisations supranationales)88.

D'après le constat de Habermas, « la globalisation remet en question certaines conditions essentielles du droit international classique, notamment la souveraineté des Etats et la séparation rigoureuse entre politique intérieure et politique extérieure »89.

Il illustre son argumentation en reconnaissant que

Les acteurs non étatiques, comme les multinationales et les banques privées ayant une influence internationale, sapent la souveraineté nationale formellement reconnue. Tel est le cas : de nos jours, chacune de trente entreprises les plus importantes qui opèrent à l'échelle du globe produit un chiffre d'affaire annuel plus important que le produit national de chacun des quatre-vingt-dix pays représentés dans l'ONU 90

Aussi Habermas renchérit-il que

A la suite de la dénationalisation de l'économie et en particulier de la mondialisation du réseau des marchés financiers et de la production industrielle elle-même, la politique nationale perd cependant à la fois le contrôle des conditions de production générales et, du même coup, le levier permettant de maintenir le niveau de vie atteint 91.

Eu égard à ce qui précède, il appert que le projet kantien de paix perpétuelle vaut encore son présent d'or à notre ère de la mondialisation. Mais seulement, comme l'a si bien explicité Habermas, il convient de l'actualiser en fonction des besoins de notre temps. C'est dans ce

88 Ibidem, p.48.

89 Ibidem, p.35.

90 J. Habermas, op.cit., p.36.

91 Ibidem, p. 37.

92 Ibidem, p.101.

44

sens qu'il est important de restructurer l'ONU qui serait le tremplin donateur d'élan à l'établissement mondial de la paix.

Aujourd'hui, dans sa forme classique, souligne Habermas,

Le droit international a manifestement échoué devant la réalité factuelle des guerres totales déclenchées au cours du XX ième siècle. Le débordement des limites -territoriales, techniques et idéologiques- de la guerre repose sur de puissants moteurs. Or, il y a plus de chance de les juguler par les sanctions et les interventions d'une communauté organisée des peuples, que par l'appel, inefficace du point de vue juridique, à la conscience éclairée des gouvernements souverains 92

IV.2. REPRISE ET PROSPECTIVE

Voici les trois articles définitifs que Kant retient pour l'avènement de la paix perpétuelle.

i) « la constitution civile de chaque état doit être républicaine »

ii) « il faut que le droit public soit fondé sur une fédération d'états libres » le droit cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle.

Article secret pour la paix perpétuelle : « les maximes des philosophes sur les conditions qui rendent possible la paix perpétuelle, doivent être consultées par les Etats armés pour la guerre ». (Kant, ppp., p.363) L'Etat invitera tacitement les philosophes à donner leur avis: c'est-à-dire que, faisant mystère de l'intention qu'il a de les suivre, il leur permettra de publier librement les maximes générales qui concernent la guerre et la paix ; car ils ne manqueront point de parler, pourvu qu'on ne leur impose pas silence.

«Si le devoir existe, si l'on peut même concevoir l'espérance de réaliser, quoique par des progrès sans fin, le règne du droit public, ; la paix perpétuelle qui succédera aux trêves jusqu'ici nommées traités de paix n'est donc pas une chimère, mais un problème dont le

45

temps, vraisemblablement abrégé par l'uniformité des progrès de l'esprit humain, nous promet la solution »93.

« l'humanité en tant que telle ne peut pas faire la guerre(...), le concept d'humanité » exclut le

concept d'ennemi »94

S'il y a donc plusieurs races, il n'y a qu'une espèce humaine.

Je pourrai donc admettre que, puisque le genre humain est constamment en progrès en ce qui concerne la culture, en tant qu'elle est sa fin naturelle, on le considère comme progressant également vers le mieux en ce qui concerne la fin morale de cette existence, et que cette progression soit sans doute interrompue parfois, mais jamais rompue »95.

93 Ibidem, p. 383

94 Schmit cité par Habermas, p.113.

95 E. Kant, Sur le lieu commun, p.294.

11. KANT Emmanuel, Réflexion sur l'éducation. (L'enfant). Traduction, Introduction et notes par A. Philonenko, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1966, 160 p.

46

BIBLIOGRAPHIE

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47

II. OUVRAGES DIVERS

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2. BATIFOL, H., La philosophie du Droit (que sais-je ?), Paris, PUF, 1960, 128 p.

3. BERNARD, A., HELMICH, H., et LEHING, P. B., (Dir.), La société civile et le développement international. (Etude du Centre de Dévelopement ). Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe. Centre de Développement de l'Organisation de Coopération et de Développement économique, 1998 ; 126 p.

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5. , (Dir.), Nouvel ordre mondial et droits de l'homme : la guerre du
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6. CASTILLO, M., Kant. Histoire et Politique. Idée pour une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique. Conjectures sur le commencement de l'histoire humaine. Le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de droit. Introduit et annoté par M. Castillo. Traduit par G. Leroy, Paris, Vrin, 1999, 191 p.

7. CHAUVIER, S., Du droit d'être étranger. Essai sur le concept kantien d'un droit cosmopolitique, Paris, l'Harmattan, 1996, 224 p.

8. Delbez, L., Les principes généraux du droit international. Droit de la paix, droit préventif de la guerre, droit de la guerre, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1964, 666 p.

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10. GOYARD-FABRE, S., Kant et le problème du droit (Bibliographie d'histoire de la philosophie), Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1975, 285 p.

11. , La philosophie du droit de Kant. Paris, Vrin, 1996, 292 p.

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13. , La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne.
Traduction de l'Allemand par Rainer Rochlitz, Paris, le Editions du Cerf, 1996, 123 p.

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15. KOFFI ANNAN, Pour un véritable partenariat mondial. Rapport annuel sur l'activité de l'Organisation des Nations Unies - 1998, Nex York, 1998, 86 p.

48

16. KUNG, H. et KUSCHEL., K.-J. , Manifeste pour une éthique planétaire, La Déclaration du Parlement des religions. Traduit de l'allemand par E. Bone (s.j.)., Paris, Ed. du Cerf, 1995, 127 p.

17. LACROIX, J., Kant et le kantisme. (Que sais-je ?). 2e édition revue. Paris, Presses Universitaires de France, 1966, 124 p.

18. RAWLS, J., Le droit des gens. Avant-propos de Bertrand Guillaume. Commentaire de Stanley Hoffmann, Paris, Esprit, 1996, 131 p.

19. RESZLER, A., Le pluralisme. Aspects historiques et théoriques des sociétés pluralistes, Paris, Ed. de la Table Ronde, 2001, 221 p.

20. TAVERNER, P. (Ed.), Nouvel ordre mondial et droits de l'homme. La guerre du Golfe. Préface de M. Bettale, Rouen, Publisud, 1993, 211 p.

21. TOSEL, A., Kant révolutionnaire. Droit et politique, Paris, PUF, 1988, 122 p.

22. VILLEY, M., Philosophie du droit. I. Définitions et fins du droit. Paris, Dalloz, 1975, 242 p.

23. ZIEGLER, J., Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui les résistent. Paris, Fayard, 2002, 364 p.

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2. GOYARD-FAVRE, S., « Y a-t-il crise de la souveraineté ? », in Revue Internationale de philosophie.4. 1991, p.458 -496.

3. HOUTART, F., « La mondialisation des résistances et des luttes contre le néolibéralisme », in Mondialisation : comprendre pour agir. (Les livres du GRIP, 256257). Bruxelles, GRIP, 2002, p. 176-183.

4. JOHN-MAMBO, M.J., « Jalons pour l'universalisme des droits de l'homme », in Vingt-septième session d'Enseignement. Institut International des droits de l'Homme, Strasbourg , Juillet, 1996, p.279-287.

5. LEHNING, P.B., « Vers une société civile multiculture : rôle du capital et de la citoyenneté démocratique », in La société civile et le développement international. Etudes du Centre de Développement. Paris, 1988, p. 18-32.

49

TABLE DES MATIERES

0. INTRODUCTION GENERALE 1

0.1. PREAMBULE 5

0.2. PROBLEMATIQUE 6

0.3. DIVISION DU TRAVAIL 7

Chapitre I. : DE L'ETAT DE NATURE 8

I.0. Introduction 8

I.1. Définition et nécessité de l'état de nature 8

I.2. Etat de nature ou état de guerre 9

I.3. Sortie de l'état de nature : accès aux lumières 10

I.4. Conclusion partielle 13

Chapitre II. : DE L'ETAT DE DROIT 15

II.0. Introduction 15

II.1. Approche définitionnelle 15

II.1.1. Qu'est-ce qu'un Etat ? 15

II.1.2. Qu'est-ce que le droit ? 16

II.1.3. Qu'est-ce que l'Etat de droit ? 17

II.2. La constitution civile 18

II.2.1. Redéfinition de l'homme 18

II.2.2. Edification d'une constitution civile 20

II.3. Etat de droit ou Etats de droit ? 25

II.3.1. Indépendance des Etats 25

II.3.2. Le rapport entre Etats 26

II.4. La société des nations 30

II.5. Conclusion partielle 31

III.0. Introduction 32

III.1. Le droit à la paix 32

III.2. Du droit des gens 33

III.2.1. Définition et but du droit des gens. 33

III.2.2. Eléments du droit des gens 33

III.3. le droit cosmopolitique 34

III.3.1. Le républicalisme ( la constitution républicaine) 35

III.3.2. De l'hospitalité universelle 37

III.3.3. De la fédération des Etats libres (ou alliance des peuples) 38

III.4. la nature comme garant de la paix perpétuelle 39

III.5. Conclusion partielle 41

IV. CONCLUSION GENERALE 42

IV. 1. CRITIQUE 42

IV.2. REPRISE ET PROSPECTIVE 44

BIBLIOGRAPHIE 46

TABLE DES MATIERES 49






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