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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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c). Société et innovation technologique : la technologie comme facteur de changement.

La culture matérielle des sociétés et leur équipement technologique se constituent et s'accroissent surtout grâce à l'innovation technologique. C'est pourquoi nous donnons à l'innovation technologique une importance particulière dans cette recherche sur les moulins à grains. Elle est pour nous le nerf du changement à tous les niveaux. De plus, le degré de modernité d'une société s'évalue à sa capacité d'innover. De cette capacité innovatrice dépend aussi le développement économique. Comme dans un système, la problématique de l'innovation dans la société reste liée à la technique, au politique, à la culture et à l'économique. D'abord quelle définition donner de l'innovation ?

Précisons de prime abord la différence entre l'innovation (surtout lorsqu'il s'agit de l'innovation technologique) et l'invention qui est selon Leroi-Gourhan (1973 : 377) un acte de l'intelligence et consiste en tout apport (un corps technique entier : l'agriculture, un objet nouveau dans une technique : la charrue...) du milieu intérieur au groupe technique. Ainsi, tandis que l'invention semble insister sur la création matérielle et émerge de l'intérieur, l'innovation va au-delà du matériel et peut être la résultante d'une dynamique interne ou d'un emprunt. Ce qui importe dans l'innovation, c'est la nouveauté. En effet l'innovation se définit comme toute introduction dans un milieu d'un fait nouveau. Nous pouvons retenir ici la définition de Rogers Shoemaker cité par Roland Treillon (1992 :70) : «Une innovation est une idée, une pratique ou un objet considérés comme nouveaux par un individu ou un groupe. Il importe peu que cette appréciation de nouveauté soit objective ou non, mesurée en termes de délai par rapport à une découverte ou un premier usage. C'est la nouveauté, telle qu'elle est perçue par l'individu ou le groupe, qui détermine son comportement. Si l'idée semble nouvelle pour l'individu et le groupe, c'est une innovation ».

Au-delà de cette approche conceptuelle de l'innovation, il faut insister sur sa nature pratique. Et à ce sujet, la sociologie de l'innovation, telle que nous en parle Michel Robert (1986 :95), a connu une évolution sous l'influence des recherches américaines. L'innovation est d'abord liée à l'idée du changement. La mise en pratique des politiques de développement orientera ce changement dans le sens de « reconstruction nationale » avec tendance à rendre le fait nouveau matériel, technique ou technologique (cf. l'exemple du maïs hybride ou du tracteur). Le changement lui-même signifiera la transformation matérielle apportée ou ses

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conséquences sur la vie du groupe social. La sociologie de l'innovation finira par aboutir à l'identification de l'innovation technologique avec le progrès technique qui devient lui-même le progrès tout court. Comme on le constate, l'innovation dans la sociologie du développement est restée au stade pratique orientée sur la production économique. Elle est définie dans ce sens par Shumpeter (cité par Jean Pierre Olivier de Sardan, 1995 : 78) comme « toute nouvelle combinaison de moyens de production ». Olivier de Sardan lui-même va plus loin en intégrant le côté immatériel de l'innovation, la considérant alors comme « toute greffe de techniques, de savoirs ou de modes d'organisation inédits (en général sous formes d'adaptations locales à partir d'emprunts ou d'importations) sur des techniques, savoirs et modes d'organisation en place ». Cette approche rend mieux compte de la réalité que nous sommes en train d'étudier. Car l'introduction des moulins à grains dans le département de Toma comme innovation est le résultat d'une importation et de greffe de savoirs et de savoir-faire, d'une technologie de mouture sur une autre technologie, locale, de mouture.

Ce qui manque toutefois à ces différentes approches de l'innovation et que nous intégrons à notre approche c'est le résultat ou les répercussions de l'innovation sur l'individu ou le groupe qui innove. C'est pourquoi nous nous intéressons à la question de l'impact des moulins. Du point de vue de la technique et du social, l'impact des technologies est très important et mérite qu'on s'y arrête. Du côté social et culturel par exemple, on sait que le rôle des acteurs qui introduisent la nouveauté, que Olivier de Sardan (1995 : 86) appelle les « porteurs sociaux », oriente les résultats de l'innovation. Les résultats d'un moulin introduit par une ONG ou par l'Etat ne sont pas les mêmes que ceux des moulins introduits par les commerçants.

Ce que nous tentons de montrer progressivement dans cette sous-partie de notre travail, c'est que les technologies appropriées (importées ou produites localement), comme innovation, sont des facteurs de changement comme toute technologie. Beaucoup de recherches en développement ont démontré cet aspect de la technologie comme facteur de changement social.

Du point de vue économique et social, les études de V. Paskaleva, L. Beron et M. Isusov (1989 : 93) sur le progrès technique en Bulgarie du XVIIIè siècle à nos jours montrent combien « les transformations de la structure sociale du village bulgare et des rapports agraires ont été liées à la mécanisation graduelle des activités agricoles ». Pour ces auteurs, tracteurs et moissonneuse-batteuses ont joué un rôle très important dans ce processus de changement.

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François Caron (1989 : 6) qui s'est penché sur les aspects économiques de l'innovation technologique montre également que l'innovation est le « canal des investissements productifs, moteur principal de la croissance des nations et de la hausse des niveaux de vie ». Cet auteur met bien en relief l'innovation technologique qui est source d'un perpétuel bouleversement des structures sociales. En effet, « la technologie est à la fois instrument de destruction et de libération. Car la croissance est synonyme de changement et de mobilité » (1989 : 9).

Somme toute, les technologies de production aident à l'accroissement quantitatif des rendements de la production, tant au niveau macro que microéconomique et quel que soit le domaine (agriculture, entreprise...). Le changement à ce niveau semble avoir pour synonyme l'évolution de variables quantitatives. Mais pour être plus complète, cette définition doit intégrer celle des variables qualitatives que comportent tous les aspects socio-anthropologiques.

Ginette Kurgan-Van Hentenryk (1989 : 11), pour avoir étudié les aspects sociaux de l'innovation technologique et le rôle de l'Etat, insiste sur le changement des conditions de travail. D'abord la pénibilité du travail est réduite. En effet, au regard du cas de l'industrie textile lors de sa première mécanisation en Europe comme en Outre-Atlantique, il apparaît que « l'innovation technologique réduit le recours à la force physique du travailleur, à tel point que dans certaines industries, les ouvriers masculins sont remplacés par des femmes et des enfants ». L'auteur signale aussi que selon plusieurs autres auteurs « l'introduction de la machine modifie profondément le rythme du travail, exerce une forte pression sur la main-d'oeuvre, déplaçant la tension physique vers une tension nerveuse et psychique » (1989 : 12). En Afrique également ces changements sont si importants qu'ils accélèrent le rythme même de la modernisation. Les études de Guy Belloncle (1985) et d'Isabelle Droy (1990), montrent combien les expériences d'aménagements hydro-agricoles dans plusieurs pays (Office du Niger au Mali, la SEMRY2 au Cameroun, les AVV et le Sourou au Burkina, etc.) témoignent de véritables transformations socioculturelles, économiques et même politiques. Aujourd'hui dans les régions rurales, charrettes, charrues, moulins motorisés, foyers améliorés, bornes-fontaines,...sont autant d'outils technologiques apportant des changements tant au niveau de la méthode de travail que de la condition de vie des populations.

2 SEMRY : Société de modernisation de la riziculture de Yagoua (Nord Cameroun). - AVV : Aménagement des Vallées des Voltas.

- Sourou est le nom d'un affluent du fleuve Mouhoun au Burkina.

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Par ailleurs, le changement social même reste une réalité multiforme. « L'innovation technologique provoque des changements sociaux dont l'ampleur et le processus selon lequel ils s'introduisent, sont variables. A première vue, le changement paraît d'autant plus radical que la résistance à l'innovation a été plus forte » (Kurgan-Van Hentenryk, 1989 :18). A cet aspect l'auteur ne manque pas d'ajouter que l'impact social de l'innovation technologique diffère selon les conditions conjoncturelles. Cela sous-entend que les objectifs recherchés dans l'introduction d'une technologie dans une région peuvent être biaisés et l'innovation produire d'autres effets non attendus ou même produire les effets escomptés plus tôt que prévus ou bien encore, à retardement. C'est pourquoi l'auteur insiste pour dire que « l'innovation technologique ne produit pas nécessairement des changements spectaculaires, (...) par contre, de par sa nature, une innovation technologique peut modifier rapidement en profondeur le caractère d'une activité » (1989 : 84).

L'analyse de Ginette Kurgan-Van Hentenryk se situe au coeur même de notre projet d'étude sur deux plans. D'abord parce qu'il s'agit du rapport de l'homme à la machine (et pour notre cas il s'agit du moulin motorisé) et ensuite des changements sociaux introduits par l'utilisation de la machine, changements qui font l'objet même de notre étude sur le moulin afin d'appréhender comment une société est en progrès. C'est en cela qu'une approche historique du groupe social se montre intéressante pour en observer les différentes phases d'évolution. Car « les mêmes innovations peuvent donc produire des résultats très différents dans des cadres différents, ou à des moments différents dans la même société » (Salomon 1994 : 7). Nous insisterons sur les différents aspects des transformations apportées par l'introduction et la présence des moulins à grains dans le département de Toma d'une manière générale, mais plus particulièrement chez les femmes de ce département, en nous appuyant sur les théories du changement social.

Sur le plan politique, et dans le cadre d'une politique nationale de développement, les expériences telles que celles des aménagements hydro-agricoles ou de création d'entreprises montrent une action de proximité entreprise par les autorités politiques d'une nation auprès des populations. En effet, nous pensons qu'en matière de développement, les deux principaux acteurs sur la scène nationale sont d'abord l'Etat et les populations locales.

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Il nous faut signaler enfin un autre aspect des changements occasionnés par l'introduction d'une technologie dans un milieu : c'est tout le jeu de pouvoir qui se déploie autour. Au plan national comme au plan d'une communauté villageoise, des stratégies de conquête et de gestion du pouvoir naissent toujours autour des technologies chez les différents acteurs qui interviennent. Le cas des moulins à grains ne fera pas l'exception.

Sur le plan environnemental, certaines innovations technologiques influent nécessairement sur l'environnement physique et modifient le rapport de l'homme à la nature ou au physique. Le rapport de l'homme à l'environnement sera vu sous un double aspect de transformation de cet environnement et d'adaptation de l'homme à celui-ci. Ici, se déploient toutes les stratégies d'exploitation de l'espace grâce aux outils technologiques. Les théories et les politiques de développement du milieu rural en Europe dans les années 1960 (cf. les travaux de H.Mendras) et en Afrique étaient en termes de transformation, de restructuration du milieu rural. L'environnement tient aussi une place dans notre étude dans la mesure où les moulins produisent du bruit que l'on peut classer comme nuisance. De plus, la présence des moulins diminue le nombre de meules et partant, l'activité de taille des pierres. Enfin, il nous faut signaler cet autre rôle de la présence des moulins dans la restructuration de l'espace villageois. En effet, la construction des abris des moulins intégrant des fûts vient donner une certaine configuration à l'architecture villageoise (cf. photo 7, page 74).

La conclusion de cette sous-partie sur l'innovation technologique et la technologie nous invite à une définition claire du changement social dans le cadre d'un processus de développement que nous entendons à la fois quantitatif et qualitatif. Pour cela nous retenons la définition de Guy Rocher qui met en relief quatre caractéristiques : le caractère collectif, structurel, temporel et la durée (i.e. la permanence). Selon Rocher (1968 :22), le changement social est « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d'une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l'organisation sociale d'une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire ». Les technologies appropriées ne sont pas sans produire un tel type de changement que nous cherchons à analyser dans le département de Toma au Burkina Faso. Mais avant cette étape, il convient de faire un tour d'horizon de la problématique et des enjeux des technologies appropriées.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle