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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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4. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUTOUR DU MOULIN.

Qu'est-ce qu'une représentation sociale ? Quelle peut être son importance dans le contexte de notre étude ? La représentation sociale est, selon Denise Jodelet (1989 : 36), « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ». Il s'entend alors que les représentations sociales sont un « savoir de sens commun », des systèmes de pensée et d'interprétation organisant la vie sociale tant au niveau des conduites que de la communication sociale. Ce faisant, les représentations sociales jouent un rôle important « dans le maintien de l'identité sociale et de l'équilibre socio-cognitif qui s'y trouve lié » (Jodelet 1989 :51). L'arrivée du moulin dans le département de Toma comme nouvelle technologie ne manqua pas de donner lieu à la production de représentations sociales.

Selon la première personne ayant introduit le moulin à Toma en 1962, Joseph Korpan Ki, et les femmes interrogées, autant le moulin suscita vite l'attrait et la curiosité des femmes, autant il entraîna des résistances. En effet, « beaucoup de personnes disaient que la pâte préparée à partir de la farine sortie du moulin n'était pas bonne. EIles disaient que la pâte avait un goût de gas-oil, qu'il y avait du fer dedans. Certains hommes trouvaient que « sa

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pâte» étaient gluante (« a wu a zoron ») et qu'elle ne rassasiait pas ». Relevons ici que tout changement de situation fait apparaître très vite les différences avant le temps de l'adaptation. Ainsi en est-il du goût du gas-oil et du fer. Le fait que la pâte soit considérée comme « gluante » était dû à la grande finesse de la farine obtenue au moulin. Le moulin écrase fin, alors la pâte ne peut qu'être lisse comparativement à la farine de la meule qui contient des débris de granite. Tout ceci nourrit des représentations. Une relation est vite établie entre la douceur de la pâte et sa digestion rapide. Ainsi on peut dire alors que « la pâte du moulin » ne rassasie pas. Ces premières réactions ont, selon les personnes interrogées, poussé certains maris à interdire à leurs femmes l'usage du moulin.

Par ailleurs, beaucoup de femmes trouvaient aussi que la farine obtenue du moulin était difficile à préparer. « A wu basii don goon nè » ( « Sa pâte fuit dans la marmite ») disaient-elles ; ou bien encore « A wu kokore » (« Sa pâte forme des boulettes farineuses »). Le problème ici est clair, c'est celui de la maîtrise de la préparation de la farine lisse. La préparation de cette nouvelle qualité de farine nécessite un apprentissage par des gens qui pourtant savent déjà préparer. L'adoption d'une technologie nouvelle est synonyme ici de changement des habitudes. C'est également là que le changement peut être appréhendé comme une rupture. « Tout apprentissage requiert rupture, tout changement véritable signifie crise pour ceux qui le vivent ». (Crozier et Friedberg : 1972 : 400).

Une analyse plus approfondie de ces données révèle que nous nous situons au niveau des étapes de l'adoption des innovations. Comme élan de décision d'accepter l'innovation et de modifier le comportement, l'adoption est définie par Van Den Ban (1994 :115) comme un « processus mental par lequel l'individu passe de la connaissance initiale d'une innovation à la décision de l'accepter, de la pratiquer ou de la rejeter, cette décision étant ultérieurement confirmée ». Les représentions sociales participent de la disposition mentale des populations au sujet de l'innovation. Nous retrouvons ici la dimension culturelle de l'innovation technologique. Il y a nécessairement rencontre de cultures ou acculturation qui peut réussir ou connaître un échec. En effet, comme le souligne Treillon (1992 : 47) « toute innovation est confrontée à un ensemble structuré de normes, de règles et de valeurs correspondant à l'environnement symbolique propre à une communauté. A défaut d'intégration possible à ce niveau, la nouveauté a tendance à être rejetée ». Ceci explique pourquoi au départ certains hommes interdisaient l'usage du moulin à leurs femmes. Par ailleurs, le moulin est vu, aujourd'hui encore, comme un outil des Blancs dont beaucoup de personnes dans les villages ignorent le mode de

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fonctionnement. Le moulin, comme d'autres engins motorisés, est toute une mécanique qui échappe au commun des villageois et de surcroît aux femmes qui ont peu d'occasion de les manipuler. Et par rapport aux avantages du moulin, on entend facilement dire « les Blancs sont venus nous donner du repos » (« Nansaran man ne da susui ko wo la »). Si la relation du moulin au Blanc dit son origine, il reste dans les consciences un objet lointain, non encore approprié mais dont on peut profiter des effets bienfaisants. Par métonymie, les gens substituent le Blanc au moulin. Ainsi, le repos procuré par le moulin est perçu ici comme le résultat d'une action salvatrice du Blanc ou de l'Occident si on ne veut pas parler en terme de race. La réalité sous-jacente de ces propos est celle de la reconnaissance d'une supériorité technique qui différencie les sociétés. Cette supériorité technique s'évalue au rendement de l'outil ou de la méthode utilisée. Selon Ecrement (1984 :60) citant Marglin (in Gorz A. ,Critique de la division du travail, Seuil, Paris , 1973, P.48), « une méthode de production est dite technologiquement supérieure à une autre si elle crée plus de produits avec les mêmes facteurs (effectifs de main-d'oeuvre diversement qualifiée, durée et intensité du travail, matières premières, énergies, équipement de production ...) ou encore si elle crée la même quantité de produits avec proportionnellement moins de facteurs ». Ecrement donne ailleurs une autre citation de Marglin complétant cette première définition de la supériorité technique : « Une méthode de production est dite technologiquement efficace s'il n'existe aucune autre méthode technologiquement supérieure qui puisse lui être substituée hic et nunc » (idem, p. 94). Les villageois sont conscients de cette réalité dans le cas du moulin et de la meule de pierre. Il y a supériorité technologique d'une culture par rapport à une autre à partir du constat de la différence d'efficacité des outils. Toutefois, signalons qu'en vérité, les résultats s'évaluent par rapport au contexte. Car ce qui semble supérieur ou efficace pour les uns peut ne pas l'être pour les autres.

Par ailleurs, le caractère mécanique du moulin fait croire à certaines personnes que ce dernier « ne se fatigue pas ». Cette réflexion est d'ailleurs courante chez les Sanan qui considèrent que le fer résiste à tout : « Waa ne wé folo a ? ». Littéralement, cette phrase se traduit par « Qu'est-ce qui peut faire souffrir le fer ? ». C'est ainsi que certaines personnes ne comprennent pas pourquoi après deux ou quatre heures de fonctionnement, il faut laisser le moulin « se reposer ». Le moulin incarne une puissance de travail qui n'existe pas chez la personne humaine. En outre les femmes pensent que son maniement convient aux hommes et non à elles. En fait, elles ne peuvent penser autrement dans un contexte culturel où la métallurgie est réservée à l'homme et le travail de la glaise à la femme, si l'on se réfère à l'exemple du forgeron et de la potière.

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D'autres représentations naissent autour des moulins en ce qui concerne la propriété. Les moulins individuels des commerçants sont vus et considérés comme tels en rapport au commerce et à la propriété privée tandis que les moulins des groupements sont liés à l'aide et à la propriété collective. Il s'ensuit alors des différences de comportements selon que l'on est chez tel ou tel propriétaire ou au moulin communautaire.

Pour nous résumer, les représentations sociales nous permettent d'aller au coeur de la complexité des interactions entre la diffusion des techniques et la dynamique du changement social. Et « étudier ce que les utilisateurs font (et ne font pas), les représentations mentales qu'ils associent à ces usages, c'est éclairer les modalités d'appropriation de la technique par la société » (Scardigli, 1992 :11).

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