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L'expression du réel dans l'honneur perdu d'Amadou Ousmane.

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par Abdoulaye DOUMARI DOUBOU
Université Abdou Moumouni de Niamey Niger - Maà®trise es-lettres 2010
  

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V.3 L'influence du journalisme, un style concis

En général, l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane est écrite dans un style clair. Ainsi, la clarté et la concision dans la façon d'écrire peuvent être dues à sa vision du monde consistant à représenter le vrai, le réel. Il apparaît comme l'un des rares romanciers nigériens qui se sont intéressés à la carrière du journalisme. Et on remarque essentiellement son influence dans la plupart de ses romans.

On peut déclarer avec Abdoul Aziz Issa Daouda que : « (...) Le journalisme va également avoir beaucoup d'influence dans l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, notamment dans Quinze ans, ça suffit  et le Nouveau juge. Nous avons déjà évoqué l'adjonction de coupures de presse censées être écrites par des journalistes étrangers et qui auraient une fonction descriptive et polémique dans le roman. »141(*)

Cette assertion s'avère aussi évidente lorsqu'on l'assimile à son tout dernier roman. En effet, dans l'Honneur perdu, le style journalistique prédomine car l'auteur se pose comme un observateur de la société dans ses différents aspects, entre autres, l'aspect politico social, et historico-culturel. L'observation se dirige sur le réel, c'est-à-dire l'actualité et ce, à la différence de ceux qui attachent un intérêt particulier à la situation de l'Afrique pré ou post coloniale, le romancier journaliste, lui, examine de près les faits qu'il a vécus. Il est donc le témoin des mutations décrites.

On peut énumérer au nombre des métamorphoses ainsi rapportées dans l'Honneur perdu les réactions de la société civile, les grèves estudiantines auxquelles s'ajoute la crise sociopolitique, énoncées dans un langage accessible à un large lectorat :

« Ils (les leaders politiques) savaient que les bouleversements qui ont cours un peu partout dans ce monde n'ont pas pu épargner leur propre pays. Ils avaient entendu parler du vent de libertés qui, soufflant depuis les lointains pays d'Europe, commençait à gagner les côtes africaines et s'apprêtait à déferler sur l'ensemble du continent.»142(*)

Chez Amadou Ousmane, le langage littéraire ne fonctionne pas sur la base de sous entendus ou de présupposés. Il n'est pas non plus imagé. Il exprime plutôt son désir de rendre sa pensée suffisamment claire pour être compris par un large public qui, pour la plupart sait à peine lire, sinon est analphabète. La lecture de son roman permet de comprendre qu'en matière de journalisme, il n'est pas un amateur, mais un professionnel dont la vocation transparaît à travers les pages de ces oeuvres. Quinze ans, ça suffit  est semblable à l'Honneur perdu car les articles de presse y abondent également. Mais ils sont écrits par des étudiants comme le fait croire le narrateur : 

«  Un tour dans les bibliothèques des différentes facultés, si tant et qu'elles méritent ce nom, permettrait de constater qu'il s'agit plutôt d'un savoir en désuétude, où les ouvrages indispensables à la formation des étudiants font le plus souvent défaut. Ces derniers en sont réduits à faire les couloirs de certains organismes spécialisés détenant les informations dont ils ont besoin. Les étudiants en géographie ou en sociologie en savent quelque chose. »143(*)

La spécificité de cet article est qu'il révèle une situation réelle en apparence. Il paraît réaliste en ce qu'il évoque les problèmes qui font obstacle aux étudiants dans la recherche du savoir, notamment l'insuffisance des documents. Le romancier mêle dans le passage évoqué deux faits notoires au regard du journalisme. D'abord le reportage, qui est pris en charge par un étudiant en rapport à sa situation. Ensuite, la satire qu'il en fait apparaît comme un autre procédé de la presse écrite en vue susciter la sensibilité du lecteur. On remarque également une distanciation permettant à l'auteur de se désengager de la paternité des propos qu'il attribue au personnage, comme dans une interview : « Quant à la vie à la cité universitaire, c'est un véritable calvaire ! ajoute l'article de l'étudiant. »144(*)

Le journaliste, parce qu'il s'intéresse à l'actualité, est tenu de rapporter des informations fiables et crédibles. Ainsi, la source doit aussi être authentique. C'est ce que semble dire l'auteur de l'Honneur perdu. A défaut de l'objectivité, les médias recourent à certains procédés stylistiques leur permettant de prendre distance vis-à-vis de l'énoncé, tel est le cas du mode conditionnel. « ...le conditionnel indique que le journaliste ne prend pas l'information à son compte s'il écrit : Le président serait malade. Par opposition à le président est malade. »145(*) En effet, le mode conditionnel est un temps qui exprime l'hypothèse, l'éventualité, en l'utilisant, on peut donc livrer des informations sans risque d'être inculpé par une autorité ou être accusé de diffamation. Dans le roman d'Amadou Ousmane, les hypothèses foisonnent aussi et cela, à travers le portrait moral du colonel Workou. Pareillement, il n'entend pas exprimer une évidence mais fait une supposition. Il affirme que

« Nul doute qu'avec lui, le pays se serait mieux porté. En tout cas, jamais, il n'aurait accepté que l'autorité de l'Etat soit ouvertement bafouée. Il aurait restauré la discipline dans les casernes et les lycées, il aurait imposé le respect des horaires dans toutes les administrations, il aurait réduit les syndicats au silence ; il auraient convaincu les Musulmans et les Chrétiens à observer plus de tolérance (...) il aurait agrandi les prisons pour recevoir ces `' bandits d'Etat `' qui continuent à dilapider les fonds publics au gré de leurs fantaisies, pour s'offrir des villas cossues, des voitures et maints petits plaisirs, au nez et à la barbe du petit peuple. »146(*)

A travers ce passage, le romancier exprime son idéal, celui d'une société équitable et harmonieuse où l'on vit paisiblement dans le respect réciproque et la compréhension mutuelle. En insistant sur l'emploi du conditionnel, il nous montre qu'il n'interprète pas les propos du personnage mais les rapporte. Il expose sa vision du monde par le biais de l'être fictif et, par delà, entend donner une leçon car pour lui, le style journalistique peut viser une fin didactique.

La concision du style peut être due par ailleurs, à l'agencement des phrases simples, une façon de dire sans détour le mot juste, ainsi, on a dans le même sens : «  Je crois en la justice. »147(*)

Toutefois, le langage journalistique diffère de la communication littéraire, de l'écriture romanesque puisque l'un s'adresse, principalement à un lectorat sensationnel tandis que l'autre repose sur les images et la polysémie. Donc la fonction poétique est dominante. Elle s'adresse à une élite. Tout de même, Amadou Ousmane n'emprunte pas la rhétorique journalistique pour plaire, mais l'emploie en vue d'une meilleure compréhension. Peut-on dire que l'influence de la presse n'est qu'une réminiscence, un souvenir plus ou moins réfléchi ? L'auteur de la Double tentation du roman nigérien, offre un éclairage à cette problématique : « (...) La plus grande marque du journalisme chez Amadou Ousmane est en rapport avec la fonction de chroniqueur judiciaire qu'avait occupée le romancier au sein de la presse écrite nigérienne. »148(*)

A l'instar du journaliste, ce romancier prend distance vis-à-vis de son discours. Autrement dit, il ne s'y implique pas et emploie rarement le pronom `'je'', les termes valorisants ou laudatifs, d'où il se pose comme un rapporteur. On peut noter que « Les médias d'Etat, restés longtemps inaccessibles aux syndicats commencent à s'ouvrir à toutes les sensibilités. Les syndicalistes purent ainsi parler à la télévision, et des reportages sur les activités du monde scolaire commencèrent à trouver place dans les colonnes de l'unique quotidien national. »149(*)

Au-delà de la concision, l'auteur de l'Honneur perdu observe l'univers de la presse avec discernement. Par conséquent, cet esprit d'analyse et de synthèse le conduit à distinguer une presse indépendante d'une presse partisane. En effet, il critique le journal national car il semble parler uniquement de l'Etat, de son gouvernement. Pour lui, il se détourne de sa mission originale consistant à informer les citoyens.

Cependant, l'émergence des médias privés parait prometteuse dans l'optique d'Amadou Ousmane bien qu'elle engendre séquestrations et brimades des journalistes par le pouvoir. C'est ainsi qu'il présente l'image de Bello, de façon controversée. Il est détenu sous prétexte qu'il met l'autorité de l'Etat en cause, le narrateur ne tarde pas à lui rendre hommage ici : «  Bello, journaliste de renom (...) Sa rigueur morale et son professionnalisme étant connus de tous. »150(*) Par contre, le ministre de l'information reprouve son attitude en la qualifiant d' « Un acte irresponsable, un acte de sabotage visant à ternir l'image de marque du régime. »151(*)

L'Honneur perdu apparaît comme un magazine, dans lequel on retrouve plusieurs articles dénonçant les travers d'un régime qui amenuise la liberté d'expression et à cause d'une seule personne à qui l'Etat a conféré un pouvoir. Pour l'énonciateur : «  Le Ministre de l'information (...) n'hésitait pas parfois à se transporter jusque dans les studios de la Radio et Télévision, pour censurer ou orienter le contenu de certaines informations. »152(*)

Selon l'auteur la finalité des médias est de répondre aux attentes des citoyens, donner des informations efficaces. On constate qu'il y a un attachement, un penchant entre l'homme et son métier, entre Amadou Ousmane et sa profession. D'où il rend hommage aux médias internationaux, notamment les radios qui émettent en langues nationales, car pour lui, elles participent à la formation et à la conscientisation des masses populaires. Il se veut, en fait impartial et critique les tares quand il le faut. Ainsi il prône le respect des valeurs humaines dans la perspective de son métier, la presse.

Par ailleurs, il ne tarde pas à s'interroger au sujet de certains médias qui jettent le discrédit sur les pays africains, notamment les hommes politiques au cas où ils ne se soumettent surtout pas aux velléités de la métropole. Ainsi, il affirme qu' : « Il (le colonel Workou) ne comprenait pas comment un pays indépendant et souverain encore accepte de se laisser ainsi insulter à longueur d'antenne, par une Radio étrangère relevant d'un gouvernement soit disant `' ami''. »153(*) En effet, Amadou Ousmane transcende la sphère de la défense du peuple, il prend de ce fait position pour se faire le porte parole de sa nation, de l'Afrique et du Tiers monde en général. Il s'inscrit donc dans une perspective cosmopolite.

D'un autre point de vue, la clarté du style se traduit chez le romancier dans sa tendance au reportage. Son oeuvre ressemble à un article dans lequel le journaliste rapporte les faits auxquels il a pris part. Pour le narrateur, «  Certains grands commis, ou même de simples hommes d'affaires qui avaient, oublié jusqu'au goût de l'eau du puits, coururent ainsi précipitamment au village où ils se dépêchèrent de renouer avec leurs proches dans la perspective des futures échéances électorales. »154(*)

L'avènement de la démocratie a suscité, en conséquence, un engouement et un enthousiasme chez l'élite politique malgré sa méconnaissance des réalités dans lesquelles vivent les populations. Le style journalistique se caractérise par la clarté et cela amène le lecteur à découvrir la vérité de lui-même. En revanche, Amadou Ousmane déplore le fait que le choix démocratique soit basé parfois sur des affinités ethnolinguistiques ou des considérations d'ordre social. Pour lui, le processus de démocratisation demeure critique dans un pays où la majorité de la population ne sait ni lire ni écrire. C'est ainsi qu'il envisage une instruction à l'échelle nationale afin de favoriser d'abord la prise de conscience du peuple, ensuite sa prise en charge, conditions sine qua non pour l'épanouissement humain.

A l'instar d'Idé Oumarou dans Gros plan qui brosse le tableau des moeurs sociales et pratiques politiques sous la Ière République du Niger, l'auteur de l'Honneur perdu, lui, s'inspire de l'actualité et, les faits qu'il évoque sont récents. On le remarque à ce niveau lorsqu'il dit :

 «  Lentement, la vie reprit son cours normal. On oublia pour un temps les grèves perlées qui, durant des mois, avaient soumis le pays à rude épreuve. On oublia les sautes d'humeur des conducteurs de taxi et d'autobus, les longues coupures d'électricité ; les obstructions de voies publiques par des transporteurs en colère, les journaux télévisés vite `'expédiés'' par des journalistes qui saisissaient le moindre prétexte pour `'débrayer''155(*)

En observant la société, Amadou Ousmane peint des faits réels, et la représentation de la réalité a pour conséquence le recours à une méthode d'écriture qui traduit le mieux cette réalité, d'où on note une quasi absence du merveilleux et du surnaturel dans son oeuvre, son but est de rapporter des faits avérés.

En définitive, la clarté du style apparaît comme une vision du monde chez notre romancier, puisqu'il vise à informer un large public des métamorphoses de sa société lesquelles, peuvent paraître inaperçues sans une représentation plus ou moins sensible de la réalité.

 

Conclusion

Au regard de l'analyse de L'Honneur perdu, on remarque une nette influence du réel. Ainsi son expression y est dominante, comme dans l'essentiel de l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, d'où son caractère réaliste. Dans un premier temps, l'étude de la structure a permis de comprendre que cette oeuvre est à l'image du roman balzacien composée en chapitres. Ils sont liés logiquement, parce qu'il y apparaît une certaine progression au niveau de l'intrigue. On observe une cohérence du point de vue interne et externe, dans la mesure où le nombre de pages est quasiment la même au sein de chaque chapitre. Les intitulés s'identifient également au contenu. Quant au titre, il est littéral, c'est-à-dire qu'il renvoie au contenu de l'oeuvre.

La description est réaliste en ce que l'auteur s'inspire parfois des lieux réels tout en les rendant vraisemblables. Celle des lieux imaginaires suscite une impression du réel. Et Réciproquement, le cadre spatial est peint au point d'être assimilé à un lieu réel, donc il suscite une impression de vue. Tous ces éléments contribuent à rapprocher la peinture des lieux dans le roman d'Amadou Ousmane à la description balzacienne. L'espace et le temps réfèrent au Niger pendant la période de démocratisation, d'où le Bamoul, pays imaginaire ainsi que la référence temporelle expriment un lieu précis à une période repérable.

S'agissant du personnage romanesque, il ressemble à la personne réelle au sens où les deux semblent avoir la même appartenance sociopolitique. L'être fictif se spécifie à la fois par son origine sociale et son langage est comme un idiolecte, voire même un sociolecte. On peut dès lors comprendre que la caractérisation des personnages chez le romancier vise à leur donner une unité. C'est pourquoi l'évolution psychologique apparaît de plus en plus vive.

En ce qui concerne la narration, elle est fortement marquée par un effort constant de l'auteur se rapprocher des faits vrais. C'est pourquoi L'Honneur perdu est un roman dans lequel il s'est beaucoup intéressé à l'histoire contemporaine du Niger. L'impersonnalité du récit s'explique par la recherche de l'objectivité. La temporalité permet de ressortir la coïncidence du temps de la narration avec le temps de l'histoire.

En somme, l'écriture romanesque d'Amadou Ousmane est largement dominée par le style journalistique. C'est un observateur vigilent de la société. Ses romans s'assimilent à une longue chronique et s'efforcent de coller de plus près à la réalité sociopolitique vécue par la communauté, à laquelle l'auteur reste attaché. Dans le fond, il y ressort une large prise en compte de l'actualité. Les faits sociaux et politiques récents constituent la trame. Cela fait de l'auteur un observateur de la société, et un scrutateur des moeurs.

Deux méthodes critiques ont servi à l'étude de cette oeuvre. Tout d'abord, il faut noter la sociologie du roman en raison de l'interaction entre l'auteur et son milieu d'origine qui sont les principales sources de l'oeuvre. Une telle méthode a permis de déterminer l'influence des faits sociaux de même que la faculté créatrice dans l'oeuvre. Ensuite, la sémiotique, qui a consisté au décryptage des repères spatiotemporels qui traduisent surtout l'emprise de l'imagination du romancier.

En conséquence, on peut affirmer sans risque de se tromper que l'Honneur perdu est un roman réaliste, puisque Amadou Ousmane s'est inspiré du vécu quotidien. Cette écriture fait donc référence au réalisme balzacien.

Mais, le roman nigérien est il essentiellement d'inspiration nationale ou doit il tendre vers une perspective cosmopolite, universelle ?

* 141 La Double tentation du roman nigérien, op. Cit. p.167.

* 142 L'Honneur perdu, p.44.

* 143 Idem, p.78.

* 144 L'Honneur perdu, op., cit, p. 23.

* 145 DANIELLE Leeman, « La communication » in Dictionnaire universel, Hachette/Edicef, 2002, p.1462.

* 146 L'Honneur perdu, op. Cit. p.24.

* 147 Idem,p.206.

* 148 La Double tentation du roman nigérien, op., cit, p.267-268

.

* 149 L'Honneur perdu, op., cit., p.39.

* 150 Idem, p.82.

* 151 L'Honneur perdu, op, cit., p.82.

* 152 Idem, p.37.

* 153 L'Honneur perdu, op. Cit, p.33.

* 154 Idem, p.37.

* 155 L'Honneur perdu, op, cit, p.38.

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