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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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UNIVERSITE PARIS IX - DAUPHINE

UFR Sciences des Organisations

Thèse de Doctorat en Sciences Politiques

Emmanuel BRILLET

Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie

Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation

Thèse dirigée par John CROWLEY, spécialiste principal du programme à l'Unesco, section des sciences humaines et sociales

Rapporteurs :

Omar CARLIER, Professeur d'histoire à l'Université Paris-VII

Claude DUBAR, Professeur de sociologie à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Suffragants :

Luis MARTINEZ, Directeur de recherches au CERI-Sciences-Po à Paris

Pierre VALLIN, Maître de conférences en sciences politiques à l'Université Paris IX - Dauphine

Thèse soutenue le 21 février 2007

Table des matières

Introduction 11

I. Ouverture 11

II. Etat des questionnements et des travaux 17

II.1 Les figurations politiques : construction, usages et réception 17

II.2 Les harkis comme objet d'étude 24

III. Orientation et posture analytiques 29

III.1 Problématique 30

III.2 Posture analytique 32

III.2.1 La stigmatisation telle qu'elle est "agie" : les rationalités stratégiques au fondement de la construction des anathèmes politiques, ou la dimension narrative de l'appareil social de domination (niveau macro-politique) 33

III.2.1.1 De l'invention d'une figure à l'invention d'un destin : le rapport entre fiction et fondation (y compris le mouvement itératif entre langage et violence) 34

III.2.1.2 Jeux et enjeux de mémoire : postérité symbolique et usages rétrospectifs de la figure du harki 36

III.2.2 La stigmatisation telle qu'elle est subie et ordinairement relayée : la capillarisation des anathèmes politiques dans les interactions de la vie sociale et familiale (niveau infra ou micro-politique) 39

III.2.2.1 Une posture analytique aux confluents d'une visée compréhensive du sujet et d'une approche dynamique du processus de socialisation 42

III.2.2.2 La dynamique des générations au coeur des processus de médiation entre l'individuel et le collectif 43

IV. De soi aux autres : contre-transfert et objectivation du rapport à l'objet 50

V. Annonce de plan : Inventer, étiqueter, subir, réagir : au fil d'une destinée 53

Partie 1

Ce que devenir harki veut dire 60

I. Une destinée singulière ou comment l'on devient « harki » 62

A. Qui sont les « harkis » ? Les supplétifs de l'armée française et autres catégories de musulmans "pro-français" pendant la guerre d'Algérie 63

B. Combien étaient-ils ? Effectifs comparés avec ceux du FLN / ALN et importance relative des musulmans pro-français dans la population musulmane algérienne 69

C. Pourquoi les supplétifs ont-ils été recrutés ? 71

- 1. De l'utilité des troupes supplétives dans un contexte de guérilla ou la question de l'efficace militaire des supplétifs 72

- 2. De l'utilité d'un recrutement de masse dans le contexte d'une guerre « subversive » ou la question de l'efficace politique des supplétifs 73

D. Pourquoi les supplétifs se sont-ils engagés ? 74

- 1. Par conviction, fidélité à l'armée et/ou tradition familiale 75

- 2. Le besoin de protection et/ou le désir de vengeance contre les exactions du FLN 76

a) Les atteintes à l'honneur et à la virilité .....76

b) La somme des interdits et des obligations, et la démesure des châtiments 76

c) Le ciblage systématique des élites traditionnelles et des éléments non inféodés au FLN 77

- 3. Les engagements forcés, sous pression physique et/ou psychologique de l'armée française 79

a) La violence psychologique 79

b) La violence physique 79

- 4. Les ralliements d'anciens maquisards de l'ALN 80

a) Les ralliements volontaires

b) Les ralliements sous pression

- 5. Les engagements par besoin / « pour la solde » 81

- 6. Par solidarité tribale (rivalités de clans ou de villages) ou par désir d'assouvir des vengeances d'ordre privé 81

E. Les facettes d'un comportement : attitude à l'égard des populations civiles et des prisonniers, attitude au combat et loyauté 83

a) L'attitude à l'égard des populations civiles et des prisonniers 84

b) La combativité et la loyauté 88

II. L'obstruction faite au repliement des harkis : un crime d'indifférence ? 92

A. Du statut de supplétif à celui de figurant 93

- 1. Ni la lettre, ni l'esprit : la vacuité voulue des accords d'Évian en termes de garanties offertes aux musulmans pro-français 94

a) La légitimation de fait du FLN comme seul représentant qualifié des intérêts de la composante musulmane de la population algérienne au cours des négociations d'Evian 95

b) L'absence de tout volet répressif gradué en cas de violation des clauses de non-représailles par le FLN 97

c) La promesse non tenue du maintien automatique dans la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local 101

- 2. Lire entre les lignes : un dispositif officiel de rapatriement assorti de critères restrictifs, ou le rapatriement sous condition(s) des anciens supplétifs de l'armée française 112

a) Le désarmement 114

b) Les options offertes aux anciens supplétifs musulmans : sauver sa peau seul ou mourir en famille 116

b.1 Les procédures et modalités d'application pratique des options précitées 116

b.2 L'esprit de la mise en oeuvre des options précitées 122

b.2.1. La minoration des périls (19 mars - 2 juillet 1962) 122

- La duplicité du FLN 126

- L'annonce du plan général de rapatriement 129

- L'interdiction des rapatriements en dehors des voies officielles 131

- L'assimilation des harkis à des recrues potentielles de l'OAS 139

b.2.2. De la minoration à la dénégation des persécutions (à partir du 3 juillet 1962) 142

c) L'autre figure du Père, ou la place accessoire des musulmans pro-français dans le dessein gaullien 153

c.1 Sur la considération portée par le chef de l'État aux troupes supplétives et sur son attitude quant à l'évolution de leurs effectifs 153

c.2 Sur le scepticisme du chef de l'État quant à la possible coexistence et, plus encore, quant à la possible intégration des communautés européenne et musulmane dans un cadre français 155

B. Chiffrer les maux 162

- 1. Sur le nombre de rapatriements 163

- 2. Sur le nombre de musulmans pro-français massacrés par le FLN 169

a) La succession des faits 169

b) Le bilan 179

III. Une destinée pré-tracée : le massacre des harkis par le FLN, un crime de froide logique révolutionnaire 185

A. L'invocation autoritaire de l'Un ou la prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la représentation des aspirations de la population algérienne 192

- 1. Le « traître imaginé » ou l'effacement de la frontière entre opposition et subversion

192

- 2. La réduction de l' « Un » au « Même », ou l'exclusive d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah) 197

a) L'exclusivisme identitaire ou la primauté d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah) 199

b) L'exclusivisme religieux, entre condamnation du maraboutisme et condamnation de l'oecuménisme 202

c) L'exclusivisme programmatique, entre anti-impérialisme et anti-cosmopolitisme 206

B. L'exercice stratégique de la terreur ou la « conscientisation » à marche forcée des populations 211

- 1. Le ciblage systématique des musulmans pro-français et des nationalistes dissidents

214

- 2. La « politique du pire » ou l'exposition délibérée des civils musulmans aux représailles de l'armée française 217

IV. Du regroupement à la relégation : la politique d' « accueil » des Français musulmans rapatriés 221

A. « Une politique de reclassement collectif » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 223

- 1. Des quais aux camps ou les prémisses d'une vie en coupe réglée 223

- 2. De la vie en réserves aux emplois réservés : « un destin préfabriqué » 225

a) Coupés de leurs droits : la mise sous tutelle légale 225

b) Coupés du monde du travail 227

c) Coupés de l'école 228

B. « Des espaces de contrôle totalitaire » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 230

- 1. Des espaces enclavés 231

- 2. De la sériation à la sérialité, ou « la dispersion délibérée des groupes d'affinités » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 232

- 3. De l'infantilisation à la déresponsabilisation des Français musulmans rapatriés 232

- 4. La violation de l'intimité, de la vie privée et des libertés individuelles 235

C. « La rupture de 1975 et la politique de déconcentration » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 237

Partie 2
Ce que parler des harkis veut dire 246

I. La figure du harki dans les gestes algériennes de la guerre d'Algérie 249

A.  Le harki réifié ou la mémoire comme réalité instrumentale 250

- 1. Entre totem et tabou : une figure recomposée (1962-1988) 250

- 2. Entre Charybde et Scylla : une figure décomposée (depuis 1988) 264

B. Le harki retrouvé ? Les chemins de traverse de la mémoire collective 275

II. La figure du harki dans les gestes françaises de la guerre d'Algérie 285

A.  Les habits officiels du souvenir : un récit éthéré (le harki sous l'éteignoir) 287

B. L'ordinaire des prises de position 295

- 1. Le détournement de vocable ou la banalisation des acceptions outrancières du terme « harki » (le harki comme référence injurieuse) 295

- 2. Entre positionnement politique et geste politicienne : images et usages des harkis dans le paysage politique français 299

a) Entre geste gaullienne et gêne néo-gaulliste : de la difficulté d'un droit d'inventaire sur la personne du général de Gaulle au sein de la droite chiraquienne 299

b) Entre défiance et indifférence : la figure du harki dans les gestes communiste et socialiste de la guerre d'Algérie 302

- La figure du harki dans la geste communiste 303

- La figure du harki dans la geste socialiste 306

c) Le Front national, entre "nostalgérie" et islamophobie 310

- 3. Les évocations inaudibles ou la geste amère des « soldats perdus » de l'Algérie française (le harki comme étendard d'une « espérance trahie ») 314

III. La figure du harki dans la geste intellectualiste de la guerre d'Algérie 322

A. Les ressorts immédiats de la stigmatisation : une vision clairement adversative (1954-1962) 332

- 1. « Chose colonisée » et « spectateur écrasé d'inessentialité » (Frantz Fanon) : le harki, une figure non avenue 336

- Un contexte intellectuel : l'Algérie au prisme de la littérature tiers-mondiste 338

- L'inattention systématique portée aux dimensions locales, discriminantes du conflit algérien 340

- 2. « Ces hommes en bleu payés pour trahir leurs frères » (Simone de Beauvoir) : le harki, une figure malvenue 345

- De la divinisation de l'histoire à la fétichisation de la violence (la praxéologie de la « table rase ») 345

- De la notion de « fausse conscience » à celle de « culpabilité objective » 351

- Le refus de la symétrie entre les exactions commises par le « colonisé » et celles commises par - ou au nom du - « colonisateur » 352

B.  Les ressorts rétrospectifs de la stigmatisation : une vision déplorative ? (depuis 1962) 362

- 1. Un esprit simple : le harki, produit passif de l'aliénation coloniale 365

- 2. Un esprit rude : le harki, exécuteur des basses besognes de la répression 367

- Sur le souvenir de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 et la manière dont il participe de la stigmatisation des anciens harkis dans la geste intellectuelle de la guerre d'Algérie 368

- Une personnalisation opportune ? La focalisation sur les « harkis de M. Papon » (Marcel Péju) 373

Partie 3

Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des relations sociales et familiales 379

I. De la confusion à la forclusion : le rapport à la mémoire familiale et la façon dont il peut (ou non) produire la honte chez l'enfant 384

A. « Une indicible histoire » (Mohand Hamoumou) ou l'histoire d'une honte "partagée" 388

- 1. La difficulté d'en parler (du côté des pères) 390

- 2. La résistance à la recevoir (du côté des enfants) : l'évitement du conflit ou la délicate transgression du tabou paternel 399

B. « Le manque du père de l'avoir introduit au monde » (Jacqueline Palmade) : un obstacle à la « dynamique de l'appropriation » (Jean-Pierre Terrail) 402

II. La construction routinière du rapport Nous / Eux ou la difficulté d'être soi dans l'ordinaire des relations sociales 408

A. L'infirmation de soi dans le regard d'autrui ou la sur-exposition des enfants de harkis aux exo-définitions de soi 411

- 1. La dépossession de soi par l'amalgame : le "délit de faciès", forme ordinaire de déni d'une mémoire singulière 412

- 2. La dépossession de soi par la flétrissure ou la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie 417

B. Le maniement du stigmate ou « les difficultés qu'éprouve l'individu «discréditable» à contrôler l'information sur lui-même » (E. Goffman) 424

- 1. L'effort de neutralisation des préjugés liés au faciès, ou « le surmarquage des attributs de francité » (Mohamed Kara) 426

a) L'usage de « désidentificateurs », ou comment ne pas « être parlé par son corps » (André Gorz) 426

b) La stratégie de divulgation de l'identité intime 430

- 2. L'effort de conformation aux anticipations normatives des populations issues de l'immigration maghrébine, ou « le surmarquage des attributs de l'arabité » (Mohamed Kara) 432

III. L'écartèlement des identifications au niveau du Moi : le concept de triangle de stigmatisation et la notion de « déchirement » (V. de Gaulejac) 436

A. Le concept de triangle de stigmatisation 436

- 1. Un triangle "catégoriel" 436

- 2. Un triangle "existentiel" 437

B. La notion de « déchirement » (Vincent de Gaulejac) : « l'insécurité ontologique des enfants de harkis, entre irrésolution identitaire et ambivalence des sentiments filiaux » (Mohamed Kara) 440

Partie 4

Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire 453

I. Remonter aux sources de la honte : la reconnaissance comme travail de dégagement (au sein de la communauté harkie) 458

A. La mobilisation du sujet pour sauvegarder son unité (dimension individuelle) 459

- 1. « Le besoin de savoir à qui et à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » (P. Nora) ou la nécessaire transgression du tabou paternel (niveau intime) 461

- 2. Le besoin de s'opposer pour se poser ou l'expression de la différence avec la deuxième génération issue de l'immigration (niveau interpersonnel) 467

B. La lutte pour la réhabilitation de la figure du père ou la nécessaire mise en cause des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation (dimension collective) 472

II. Réparer les termes de l'échange : la reconnaissance comme travail de l'écart (autour de la communauté harkie) 478

A. En-deça de la reconnaissance : les grâces octroyées ou la prégnance du modèle "assistanciel-cérémoniel" 479

- 1. La relation d'aide institutionnelle (volet assistanciel) 480

- Les carences d'ordre symbolique ou les limites intrinsèques à la relation d'aide institutionnelle : l'exemple des modalités de mise sur agenda, de traduction et de prise en charge politiques des revendications des grévistes de la faim, à Paris, en 1997-1998 483

- Les carences d'ordre relationnel : l'exemple de la mise en oeuvre du plan d'action en faveur des anciens membres des formations supplétives et de leurs familles au sein du service des rapatriés de la Préfecture de Paris (mai 2000-fin février 2001) 487

- Le caractère potentiellement stigmatisant des dispositifs de discrimination positive ou la nécessité d'un retour au droit commun ? 491

- 2. Le cérémoniel consensuel 494

B. Le pardon : un au-delà de la reconnaissance ? 502

- 1. Les préconditions philosophiques du pardon : du pardon "christique" au pardon opératoire 503

- 2. L'état des résistances : une politique non avenue ? 509

a) inerties militantes 510

b) indéterminations savantes 516

c) obstructions étatiques 526

- L'Algérie des gardiens de la Révolution ou la difficulté de s'inscrire dans une démarche de pardon sans altérer les frontières de l'identité 529

- La France dans l'ombre d'un grand Français, ou la difficulté de faire sourdre un passé occulté sans mettre en cause la réputation consensuelle du général de Gaulle 538

- 3. Le strapontin judiciaire : le pardon mis en demeure ? 549

a) Les actions en justice : un nouveau répertoire d'action politique 553

b) Les ressorts juridiques et sociologiques des actions en justice entreprises par des représentants de la communauté harkie 558

c) Est-ce bien la vocation de l'institution judiciaire de trancher des conflits de mémoire ? 562

Conclusion 565

Annexes 576

Bibliographie 592

Introduction

I. Ouverture

Chacun à sa manière, Ernest Renan1(*) et Milan Kundera2(*) ont pointé la facticité nécessaire des récits ou romans identitaires au fondement des collectivités humaines : la réorchestration univoque des guerres intestines, l'oubli sélectif accompagneraient le plus souvent le processus de fondation ou de stabilisation d'une entité sociale et politique autrefois déchirée. C'est dans et par le biais de cette entreprise de falsification, de cette confrontation ou de ce glissement sémantique et pratique entre histoire et mémoire, que se racontent et s'affirment, sur le long terme, les collectifs. L'effet et la fonction propres de cette violence symbolique seraient de compléter voire de suppléer à l'exercice de la violence physique légitime en enfermant et conformant le champ de la conscience (conscience de soi, conscience des autres) dans des limites très étroites. Ce sont précisément les effets ainsi que les ressorts d'une telle violence symbolique qui posent ici question, avec un accent important sur leur épaisseur historique et leur pérennité. D'où le choix d'une direction de recherche prioritaire : étudier les mécanismes, engrenages et logiques d'influence qui commandent la construction des imaginaires, leur évolution (les jeux de mémoire), mais encore - mais surtout - l'efficace et les implications de telles constructions sur le fonctionnement des sociétés et l' « itinéraire moral » des individus (sur la notion d' « itinéraire moral », voir infra3(*)). La notion de stigmatisation (sur laquelle nous reviendrons plus avant dans l'introduction) apparaît précisément comme une des articulations du triptyque "histoire-mémoire-identité", et l'une des expressions conceptuelles majeures de l'approche constructiviste, considérée à la fois sous un angle catégoriel (constructions historico-administratives), normatif (figurations politiques) et interrelationnel (question de la capillarisation des anathèmes politiques dans l'ordinaire des relations sociales et familiales, mais encore - symétriquement - question du rapport des individus et des groupes aux institutions). Aussi, la question des effets propres aux phénomènes actifs (et passifs) d'oubli, ainsi qu'aux exercices délibérés d'écriture de l'histoire ou de manipulation des symboles au service de projets particuliers, soulève-t-elle une autre question, celle du rapport au langage dominant : comment trouver une manière d'être, de parler de soi et de faire parler de soi (ce que Paul Ricoeur appelle « l'identité narrative ») qui ne soit pas prisonnière d'une « mise en intrigue » partielle et partiale du passé4(*) ?

En l'espèce, il s'agira ici de se situer au point de friction entre la destinée matérielle et la destinée symbolique des anciens harkis et de leurs familles, et d'opérer le travail de l'écart entre la disparition des "harkis" telle qu'elle a été tramée à la fois sur un mode "génocidaire" (violence politique) et sur un mode non génocidaire (violence symbolique), sous l'angle de l'histoire et sous l'angle de la mémoire (jusque et y compris la quête à être des enfants de harkis). C'est dans ce point d'indétermination entre le présent et le passé, l'advenu et le représenté, l'ici et l'ailleurs, le Nous et le Eux, et au prix d'un travail de l'écart entre ces différentes dimensions, que peut s'opérer la déconstruction des logiques sociales et politiques de la stigmatisation au sein et autour de la communauté harkie (voir l'exposé détaillé de la problématique plus avant dans l'introduction). Nous verrons ainsi, au fil de ce travail, que la destinée matérielle et symbolique des anciens harkis et de leurs enfants est exemplaire des enjeux, dilemmes et implications inhérents au couplage incertain entre "histoire" et "mémoire" d'une part, entre « choix » et « poids » du passé d'autre part5(*).

Lors de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, avait eu ces mots à l'égard ou, plutôt, à l'encontre des anciens supplétifs de l'armée française : « Les conditions ne sont pas encore venues pour les visites de harkis, c'est exactement comme si on demandait à un Français de la Résistance de toucher la main d'un collabo ». Ces paroles, prononcées en direct à la télévision française, participent classiquement, en Algérie (et plus encore de la part d'« un homme qui a le triste privilège d'avoir fait et servi le système »6(*)), d'une entreprise de "verrouillage" de la mémoire à des fins présentes de légitimation politique (voir la Partie 2). Du reste, même grossières du point de vue de la connaissance historique (voir la Partie 1), de telles représentations n'en continuent pas moins à être dotées d'une forte résonance sociale, jusque et y compris dans les populations issues de l'immigration algérienne (voir la Partie 3). Ainsi, par exemple, en novembre 2003, des incidents et bagarres à répétition à la cité Berthe de La Seyne-sur-Mer, dans le Var, avaient-elles fini par acculer une famille de harki au déménagement après que le père de famille, M. Chérif Araar, un ancien harki de 67 ans, avait été publiquement (et notoirement) décoré de la médaille militaire le 14 juillet 2003 à Toulon7(*). Sur le moment, l'affaire reçut quelque écho dans les médias mais ne donna lieu à aucune mobilisation particulière de la part de personnalités extérieures à la communauté harkie. Si bien que, dans une stratégie habituelle pour lui (voir la Partie 2), le Front national - fortement impliqué dans la vie politique locale - déplora de son côté « le silence assourdissant des bonnes consciences et des associations droits-de-l'hommistes ». "Inappétence" des intellectuels et récupérations politiques : deux traits qui, nous le verrons, participent communément des logiques sociales et politiques de la stigmatisation autour de la communauté harkie (voir la Partie 2).

Mais les ressorts de la stigmatisation des anciens harkis et de leurs familles ne doivent pas uniquement à la rémanence de discours outranciers véhiculés par leurs anciens adversaires. Ils doivent tout autant, en France, à l'absence de "contre-discours" - et même, pendant longtemps, de quelque discours que ce soit - de la part des relais institutionnels de la mémoire8(*). Plus encore, les usages dérivés du terme "harki" - employé à n'importe quel sujet comme synonyme de "traître" par certains responsables politiques français et autres leaders d'opinion - n'ont fait que renforcer l'efficace des attaques directement malveillantes venues d'Algérie ou de France, en les banalisant9(*). Ainsi, le 3 décembre 2000, au cours de l'émission « France Europe Express » sur France 3, Raymond Barre, répondant à une accusation sans équivoque de Renaud Donnedieu de Vabres (UDF lui aussi) qui l'avait qualifié de « harki de Jospin » après qu'il avait fait part de son intention de voter l'inversion du calendrier électoral avec le groupe socialiste à l'Assemblée nationale (instauration de la présidentielle avant la législative), avait à son tour indirectement assimilé les harkis à des traîtres en qualifiant de « harkis de Mitterrand » les hommes de droite qui s'étaient ralliés à l'ancien président de la République au cours de ses différentes mandatures. De fait, l'ancien Premier ministre, plutôt que de s'offusquer de l'utilisation ainsi faite du terme harki, l'avait retournée à l'encontre de ses accusateurs : « Vous savez comment ça se passe », avait expliqué Raymond Barre dans l'émission précitée, « vous n'aurez pas d'investiture si vous allez au secours de Jospin, [car] vous êtes les harkis de Jospin ». Mais, déplorant ainsi entendre « un certain nombre de parlementaires, et vous savez à quel parti ils appartiennent, parler de traîtres ou de gens qui font le jeu de Jospin », il ajoutait en guise de répartie : « Ce sont ceux là même qui depuis 1986 ont été les harkis de Mitterrand qui viennent dire cela »10(*). Et Raymond Barre d'ajouter : « Moi, depuis 1986, je suis contre la cohabitation, je ne suis pas allé au pas de gymnastique cohabiter »11(*). A la suite de ces déclarations, l'association Générations Mémoire Harkis (GMH) considérant qu' « il avait été de la sorte porté atteinte à l'honneur et à la considération  d'un groupe de personnes que sont les anciens harkis et leurs descendants » (notamment du fait de la notoriété de l'intéressé), avait intenté une action en justice pour diffamation à l'encontre de l'ancien Premier ministre. Cette action en justice, il faut dès à présent le noter, est caractéristique des nouvelles formes de mobilisation collective portées par ceux qui entendent "faire voix" autour de la communauté harkie et parler en son nom (voir la Partie 4).

Ainsi, plus de quatre décennies après la fin de la guerre d'Algérie (1954-1962), l'évocation de la destinée des anciens harkis et de leurs enfants demeure particulièrement délicate : rien, ni la succession des générations, ni l'avancée des travaux historiques (sur ce sujet en particulier, sur la guerre d'Algérie en général), ne semble devoir contribuer à apaiser l'abord de cette thématique dans les sociétés algérienne et française. Il est symptomatique, à cet égard, que l'instauration en septembre 2001 d'une Journée d'hommage nationale aux harkis à l'initiative du président de la République, Jacques Chirac, ait été explicitement conçue comme une réponse à la sortie controversée du président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, un an plus tôt (voir plus haut)12(*). Une réponse, donc, non une libre initiative : comme si la France officielle n'avait pu se résoudre à célébrer spontanément ceux qui, autochtones de confession musulmane, avaient choisi de combattre à ses côtés au moment de la guerre d'Algérie.

La rémanence en Algérie - mais aussi en France - des invectives à l'encontre des anciens harkis, la persistance corrélative de nombreux tabous autour de leur destinée matérielle13(*), mais encore, donc, le caractère tardif et contraint des célébrations en France, témoignent de ce que la thématique "harkie" n'est ni un objet neutre ni un objet "froid", ce dont témoigne, en particulier, la difficulté des sciences sociales (historiques notamment) à la construire en objet d'investigation légitime et routinisé (et, ce, non seulement en Algérie - où l'autonomie de la sphère historienne par rapport à la sphère politique a été et reste relative14(*) - mais encore en France, où la mémoire collégiale des intellectuels en guerre d'Algérie a pu faire obstacle à son émergence15(*)).

Précisément, et pour le dire très simplement, ce mémoire s'intéresse à la manière dont - depuis près d'un demi-siècle et jusqu'à aujourd'hui - sont considérés et, surtout, déconsidérés les anciens harkis et leurs enfants, en France et en Algérie ; et, par là, à la charge symbolique - sinon polémique - dont est susceptible d'être entourée l'évocation de leur destinée, ainsi qu'aux déterminants socio-historiques et socio-politiques d'une telle postérité. Notre dessein sera donc de faire la part des influences sociales et politiques, routinières (dans les interactions de la vie quotidienne) et institutionnalisées (dans toutes les sphères d'autorité : politiques, savantes ou militantes) qui, d'une manière ou d'une autre, ont contribué et contribuent à nourrir ce processus d'indexation sociale (et la charge émotionnelle qui lui est corrélative) et qui, parfois, en jouent (la stigmatisation telle qu'elle est "agie"). Symétriquement, il s'agira de considérer la manière dont les intéressés "font avec" cette charge symbolique (ce "stigmate"), ici et maintenant, en France, et, ce, tant sur les plans individuel et collectif qu'au regard de la succession des générations. En somme : comment la destinée des anciens harkis et de leurs familles a-t-elle été figurée politiquement ? Par qui ? Pourquoi ? Avec quelles répercussions à moyen et long terme sur les sociétés française et algérienne, et sur les intéressés en particulier ?

Le fait est, donc, que si la charge symbolique - i.e. polémique - dont cette thématique est susceptible d'être entourée en rend l'abord délicat, elle constitue par elle-même et pour cela même un point d'ancrage heuristique essentiel pour notre étude. De fait, celle-ci, partant du postulat que « les groupes de statut supérieur maintiennent leur pouvoir autant par le contrôle des représentations du monde social - manipulation de définitions et d'étiquettes - que par l'usage de formes plus rudimentaires de contrôle »16(*), accorde une attention particulière à « la manière dont les acteurs sociaux se définissent mutuellement et définissent leur environnement »17(*), et ce tant dans une dimension synchronique que diachronique (y compris, donc, les jeux et enjeux de mémoire). Mais, bien évidemment, si notre étude considère les mécanismes d'assignation statutaire comme une dimension primordiale de l'activité sociale et politique, elle adopte une position relativiste à leur égard, et traite ceux-ci « non comme l'expression morale de vérités incontestées, mais comme le matériel brut des analyses de sciences sociales »18(*). Sur le plan analytique, nous conférerons au processus d'indexation et de marginalisation sociales et politiques des harkis et de leurs familles l'habillage notionnel de "stigmatisation" ou encore, à la manière de Norbert Elias, de "sociodynamique de la stigmatisation"19(*), au sens de configuration plus ou moins stable formée par le faisceau évolutif des représentations et interrelations familiales, communautaires, sociales et politiques au sein et autour de la communauté harkie. À la fois, donc, la stigmatisation telle qu'elle est "agie" (dans l'espace et dans le temps), et la stigmatisation telle qu'elle est subie, jusque et y compris la quête à être ou à réapparaître des enfants de harkis ("au nom des pères", dirions-nous). Cette approche `configurationnelle' ou `écologique' a pour avantage, dans l'étude de la manière dont se constituent les catégories de la vie sociale (en l'occurrence « les définitions, les étiquettes et représentations conventionnelles de l'identité des personnes »20(*)), de ne jamais tenir leurs limites pour naturelles mais de les tenir pour des catégories construites au cours des activités d'un ensemble complexe d'agents, « aussi bien les entrepreneurs de morale que ceux qu'ils cherchent à contrôler »21(*). Pour sa part, Elias parle à ce sujet de « configuration établis/marginaux »22(*).

Avant de revenir plus en détail sur notre démarche particulière (s'agissant tant de l'objectivation de la problématique que de la posture analytique qui lui est corrélative) et, par là, sur ce qui en fait l'originalité, il importe d'abord de situer la question générale de la "représentation" et de la narration en politique (construction des mythes politiques et récits identitaires collectifs, figuration de l'ennemi intérieur), ainsi que la question des usages et des effets de tels processus dans l'ordinaire des relations sociales et familiales. A la suite, il importe - ayant sérié les approches jusqu'alors privilégiées pour objectiver ou faire le récit de la destinée des anciens harkis et de leurs enfants, tous genres littéraires et disciplines académiques confondus - de montrer en quoi une approche politologique par les imaginaires, leurs usages et leur réception, vient opportunément enrichir et, d'une certaine manière, donner du liant à un corpus trop nettement partagé entre approche historique et approche sociologique.

II. Etat des questionnements et des travaux

II.1 Les figurations politiques : construction, usages et réception

Comment un collectif disparate d'individus, produit catégoriel contingent né de la conjonction et situé à l'articulation des aléas du cours de l'Histoire (cette catégorie naît avec l'événement guerre d'Algérie) et de logiques périssables de classification administratives et militaires (cette même catégorie disparaît, en tant que telle, à la fin de la guerre), en vient-elle à être conçu comme une « essence haïssable »23(*), et à se concevoir comme une « communauté de destin » ? Ces rapports entre le politique et l'imaginaire social renvoient à une perspective constructiviste (dans un sens très générique) où, d'une part, la représentation et les usages du passé participent des stratégies d'instrumentalisation et d'appropriation de l'imaginaire à des fins de légitimation politique24(*) et où, corrélativement, l'identité - à la fois promesse faite à soi-même et assignation statutaire puissante venue de l'extérieur - est le fruit d'une « mise en récit », le produit évolutif et perméable de « mises en intrigue » concurrentes25(*). Cette approche globale du politique est attentive, à travers l'étude des systèmes de représentation26(*) et des « expressions publiques de la mémoire »27(*), à la manière dont la mémoire peut être utilisée à des fins politiques et sociales qui la transcendent28(*), notamment dans les questions liées à la production des identités collectives (l'on s'intéresse ici à la production du sens, à la manière dont les institutions donnent sens à l'histoire, ce que Paul Ricoeur appelle « la mobilisation de la mémoire au service de la requête d'identité »29(*)), mais encore aux effets de cette utilisation dans ce que Thomas Luckmann appelle le « temps négociable de l'interaction »30(*) (l'on s'intéresse alors aux effets de sens de telles mises en récit dans l'ordinaire des relations sociales).

Cette « mobilisation des systèmes symboliques et de leurs expressions rhétoriques » aux fins de « clôturer l'identité communautaire » (Paul Ricoeur) participe de ce que Marie-Claire Lavabre appelle le « choix du passé »31(*). L'accent est mis sur la mémoire comme « mécanisme d'ajustement du passé au présent » (Valérie-Barbara Rosoux), comme « travail de configuration et de refiguration narrative » qui consiste à « raconter autrement, en supprimant, en déplaçant les accents d'importance, en refigurant différemment les protagonistes de l'action en même temps que les contours de l'action »32(*). Ce qui est visé, ici, c'est « le rôle de l'imaginaire dans les choix collectifs »33(*), et plus encore « le rapport de l'idéologie au processus de légitimation des systèmes d'autorité » (Paul Ricoeur). Selon Marie-Claire Lavabre, « les usages et instrumentations du passé expriment ainsi moins la «mémoire» et «l'identité» [en tant que telles] que la volonté politique qui vise l'adhésion et l'identification »34(*). Il s'agit, avec Pierre Laborie, de « mettre en évidence la manière dont les représentations agissent par l'analyse de leurs fonctions sociales et socio-symboliques » et de « déterminer comment ces fonctions s'articulent avec les logiques de pensée dominantes »35(*). En somme, de « chercher à savoir quelle fonction tient tel ou tel événement, tel phénomène ou telle idée dans l'imaginaire collectif du temps »36(*). La notion de « choix du passé » renvoie ainsi clairement à ce que Pierre Nora appelle « l'économie générale et l'administration du passé dans le présent »37(*) et aux objectifs qui lui sont corrélatifs, à savoir notamment la légitimation de l'ordre social et du personnel politique. Elle obéit à une « logique de la téléologie » dans et par laquelle les exigences du présent donnent visage et sens au passé38(*). De fait, ainsi que le soulignent Bruno Jobert et Pierre Muller en s'inspirant de la notion gramscienne d'hégémonie, « une domination durable implique nécessairement une légitimation, c'est-à-dire l'identification de chacun à un ensemble de symboles et d'interprétation qui la justifie et la rend tolérable »39(*). Le choix du passé doit donc être pensé non pas en rapport avec l'historicité de l'événement mais en rapport avec les représentations qui le constituent comme événement historique, celles-ci bien ancrées dans le présent. Arno Mayer : « Car ce que l'on poursuit avec la valorisation d'une mémoire collective est moins la préservation d'un passé qui s'éloigne inexorablement que son réajustement et sa revivification afin de s'en servir dans les débats politiques d'aujourd'hui et de demain. Nier ou minimiser ces aspects utilitaires de la mémoire collective ou sociale revient à se méprendre sur sa nature »40(*).

Le réel qui nous intéresse ici « est fait d'une part idéelle et d'une part matérielle ; il est le produit de leur interaction »41(*). Les représentations sociales apparaissent ainsi comme « une articulation essentielle entre le fait, les réactions provoquées et leurs conséquences ». Pierre Laborie ajoute : « Elles sont des miroirs qui montrent, qui disent, mais aussi qui agissent. Apparemment attachées à un objet dont elles sont le reflet - les représentations de tel ou tel événement ou problème - elles appartiennent en réalité à un système possédant sa propre cohérence interne, à cet ensemble structuré que forme l'imaginaire social. Ainsi intégrées et reliées, les représentations sociales sont plus que de simples perceptions, plus que des images, plus que des mythes, plus que des idéologies... mais tout en étant aussi cela, dans des proportions et selon des hiérarchies changeantes ». L'imaginaire est « créateur de réalité sociale », il y a une "efficace sociale" de la représentation ou de la reconstruction du passé (le « choix du passé »), qui doit être clairement distinguée de la charge traumatique de l'événement (le « poids du passé »), c'est-à-dire de « ce qui, dans l'événement lui-même, était susceptible de durer et de resurgir une fois la crise passée »42(*), « sur le modèle de la trace, de la marque ou de l'empreinte, de la conséquence de l'événement »43(*).

La sociologie politique du nationalisme a présenté le concept d'identité nationale comme étant le fruit de telles constructions, autour du couplage "histoire / mémoire" : les nations seraient des « traditions inventées »44(*), des « communautés imaginées »45(*) ou "bricolées" à partir de réalités « ethniques » prénationales46(*), des doctrines empreintes d'une certaine religiosité47(*) en même temps que des outils de domination sociale. Ainsi, à travers la formation d'un "sens historique commun", la reconstruction du passé s'intègre à la construction du présent, la fiction historiographique et l'action politique se conjuguent et tendent à s'identifier.

Parallèlement, les historiens se sont attachés à distinguer l'histoire et la mémoire, et à construire la seconde en objet d'étude particulier de la première48(*). « Une nation, c'est une mémoire », écrit Pascal Ory, c'est-à-dire non pas un passé, non pas une histoire, mais une « belle histoire », de celle que les parents racontent aux enfants. Faire l'histoire de la mémoire, c'est faire l'histoire des « fables de la mémoire » et des « silences de l'oubli »49(*). « La mémoire est une forme de rapport au passé dont la cause finale n'est pas la connaissance, la réalité et l'intelligibilité du passé, insiste Marie-Claire Lavabre, mais la vérité du présent, la construction ou le renforcement d'une identité (...) »50(*). Ainsi a-t-on fait entrer l'imaginaire social, « la dimension non cognitive de la connaissance historique »51(*) dans les problématiques de l'histoire contemporaine52(*). « En faisant l'histoire de l'utilisation du passé, écrit D. Quattrocchi-Woisson, on apprend plus des sociétés contemporaines qu'en voulant retrouver une soi-disant vérité historique »53(*).

Il est donc ici question d'une histoire des interprétations historiques et des conflits - notamment politiques - d'interprétation : une histoire au « second degré », en somme (Pierre Nora). Il s'agit de montrer comment et pourquoi l'interprétation ou la falsification du passé peuvent devenir vérité historique : « C'est en étouffant la capacité critique et la réflexion historique des masses que l'idéologie devient force matérielle et socio-politique ». Francis Guibal ajoute : « Elle donne bien une identité substantielle au pays, mais dans une plénitude imaginaire qui ne peut que rejeter à l'extérieur tout facteur de division »54(*). A cet égard, Henry Rousso souligne que « la mémoire (...) remplit une fonction essentielle dans la prise en compte de l'altérité : altérité du temps qui change, en assurant la permanence plus ou moins fictive, plus ou moins réelle du groupe ou de l'individu ; mais aussi altérité du face à face avec d'autres groupes, d'autres nations, d'autres passés, donc d'autres mémoires, en permettant ainsi la distinction, donc la définition d'une identité propre »55(*). L'affirmation de l'identité passe ainsi d'abord par l'affirmation d'une opposition et d'une altérité. Les situations conflictuelles, en particulier, accentuent ces phénomènes de polarisation : les usages du passé et le formatage de l'identité - la sienne propre (construction d'un « soi collectif hypertrophié en fonction d'un appel à une mémoire mythique du groupe »56(*)) et celle que l'on assigne à l'autre (désignation du « bouc émissaire »57(*), désignation / mise à distance de l'ennemi58(*) ou construction d'une « idéologie de statut »59(*)) y apparaissent comme des enjeux politiques majeurs. Ainsi que le souligne Béatrice Pouligny, « il existe des stratégies d'appropriation de l'imaginaire, différents types d'instrumentalisation des récits du conflit, notamment à travers les constructions et usages politiques des figures de l'ennemi »60(*). Ce à quoi Michel Hastings ajoute que « le conflit entraîne une discrimination entre les parties en présence et oblige à choisir son camp. Plus il s'intensifie, plus il se dramatise, plus la séparation symbolique sera brutale. Il y a une surévaluation du groupe d'appartenance et une dévalorisation du groupe adverse »61(*).

Georges Sorel62(*), a défini le mythe comme un réseau de significations et un prisme d'élucidation de l'histoire, en somme une traduction symbolique du réel qui favorise la mobilisation des masses, y compris les mobilisations les plus violentes. Pour sa part, Jacques Sémelin, plaidant non pour le Grand Soir mais pour une « sociologie du passage à l'acte », insiste sur la « levée des inhibitions » préalable au déclenchement des violences de masse, sur le rôle de l'imaginaire comme « opérateur collectif », comme « matrice » du crime de masse, « ce par quoi il monte en puissance »63(*). De la même manière, Mark Levene souligne que, dans certaines situations, « des gens - que parfois même on n'aurait pas distingués du reste de la population dominante - se retrouvent étiquetés non seulement comme différents, mais d'une façon telle que l'Etat, à un certain moment, décide que la seule forme d'action possible est de les éliminer »64(*). Cette construction de l'opposition "ami/ennemi" participe d'un « jeu sur des frontières symboliques », d'un « discours vers l'essence » où les imaginaires « naturalisent » l'affrontement65(*). Plus généralement, Norbert Elias et John L. Scotson soulignent combien « le charisme collectif que l'on s'attribue et la disgrâce que l'on prête aux autres sont partout des phénomènes complémentaires »66(*). Ils ajoutent : « La prétention charismatique du groupe ne joue sa fonction de lien - sa fonction de préservation - qu'en érigeant des barrières hermétiques contre les autres groupes dont les membres sont, selon ce même groupe, à jamais exclus de toute participation à la grâce et aux vertus qu'il se prête. En élevant ainsi les siens, le charisme du groupe relègue ipso facto les membres d'autres groupes interdépendants à une position d'infériorité »67(*).

Ainsi, les récits identitaires sont en même temps - et au sens plein du terme - des « prédictions créatrices », au sens où ces narrations sont porteuses de sens pour les acteurs (y compris pour ceux qui les rejettent) et produisent des effets - qui s'expriment en termes de croyances, de stéréotypes, de préjugés, de mobilisations - dont l'épaisseur et la pérennité doivent être questionnées, et ce « depuis la constitution de l'identité personnelle jusqu'à celle des identités communautaires qui structurent nos liens d'appartenance »68(*). Qu'il s'agisse de mettre en acte des conduites conformes aux préceptes dominants (le processus de « nationalisation » ou de « désignation de l'ennemi » contribue à créer la réalité qu'il postule) ou d'opérer un « retournement du stigmate » (Erving Goffman), de produire des « contre-modèles », le mythe peut être dit « fécond »  (Georges Sorel) en ce sens qu'il fait naître la mobilisation. Les idéologies sont donc également « des schèmes à partir desquels nous agissons »69(*). Partant du théorème formulé par W.I. Thomas70(*), R.K. Merton souligne, dans un chapitre intitulé The Self-Fulfilling Prophecy, que les hommes réagissent non seulement aux caractères objectifs d'une situation, mais aussi, et parfois surtout, à la signification qu'ils donnent à cette situation »71(*). Et il ajoute : « Les définitions collectives d'une situation font partie intégrante de la situation et affectent ainsi ses développements ultérieurs »72(*). De fait, ainsi que le souligne Michel Wieviorka, « lorsqu'on appartient à un groupe faiblement structuré et organisé, il est difficile d'échapper individuellement à la stigmatisation du groupe. L'exclusion, à la limite, façonne chez ceux qu'elle atteint ce qu'elle leur reproche »73(*).

L'identité participerait ainsi d'un processus d'étayage ou d'un « travail de l'écart » sur les significations imaginaires de la société74(*). Dans cette visée d'intégration du monde commun, la formation de l'identité serait ainsi consubstantielle à sa reconnaissance par l'autre75(*). Pour G.-N. Fischer, « l'identité s'échafaude comme une construction représentative de soi dans son rapport à l'autre et à la société. L'identité est ainsi la conscience sociale que l'acteur a de lui-même, mais dans la mesure où sa relation aux autres confère à sa propre existence des qualités particulières ». Et il ajoute : « L'identité, c'est donc le produit des processus interactifs en oeuvre entre l'individu et le champ social, et non pas seulement un élément des caractéristiques individuelles »76(*).

Dans cette même optique, les théories interactionnistes de la déviance, tout comme les théories interactionnistes en général, accordent une attention particulière aux différences dans le pouvoir de définir, à la manière dont un groupe acquiert et utilise le pouvoir de déterminer comment d'autres groupes doivent être considérés et traités, tout en s'attachant à objectiver les moyens par lesquels cette oppression ou ce contrôle (basés sur la manipulation de définitions et d' « étiquettes »77(*), mais encore sur l'élaboration d'une « idéologie de statut », soit « un ensemble d'attitudes et de croyances qui soulignent et justifient la supériorité [du groupe établi] tout en marquant l'infériorité [d'autres groupes interdépendants] »78(*)) acquiert un statut de légitimité « normale » et ordinaire. Ainsi la stigmatisation n'est-elle qu'un aspect d'une relation "installés-marginaux" dont la pièce centrale est un rapport de forces inégal et les tensions inhérentes à cette situation.

Partant, pour Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, « c'est la non-reconnaissance de la place qu'occupe dans la société l'individu ou le groupe qui, dans l'examen des figures actuelles de l'exclusion, constitue le trait le plus pertinent »79(*). A cet égard, Norbert Elias et John L. Scotson, pointant « la dépendance des individus vis-à-vis de la position et de l'image des groupes auxquels ils appartiennent, [et] l'identification profonde des premiers aux seconds dans l'évaluation des autres et dans leur amour-propre », souligne que « les dénigrements qui mettent en jeu la honte ou les sentiments de culpabilité du groupe socialement inférieur par le biais de symboles d'infériorité, de signes d'indignité qui lui sont attribués, et la paralysie de sa capacité de riposte qui les accompagne font partie de l'appareil social grâce auquel les groupes supérieurs et socialement dominants assoient leur empire et leur supériorité »80(*).

Ainsi, ce qui est en cause, ici, à l'articulation des paramètres structuraux, familiaux et psychologiques81(*), et aux confins de l'histoire, de la mémoire et de l'identité82(*), c'est un voyage analytique au coeur de la « violence symbolique »83(*), telle qu'elle est "agie" et telle qu'elle est subie, depuis « la dépossession des acteurs sociaux de leur pouvoir originaire de se raconter eux-mêmes » jusqu'à « la reconquête par ces mêmes agents sociaux de la maîtrise de leur capacité à faire récit »84(*). Dans son étude du stigmate, Erving Goffman nous invite ainsi à considérer de concert « l'histoire de la capacité qu'à un attribut de servir de stigmate » et « l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé »85(*). Il s'est surtout attaché à traiter le second aspect ; je m'attacherai autant au premier qu'au second.

II.2 Les harkis comme objet d'étude

Eu égard à l'intérêt suscité en France, tant dans les sphères politique et médiatique que dans le champ universitaire, par les questions relatives à la formation et à la conformation politique de la figure de l' « immigré » dans l'imaginaire national d'une part, à la construction des identités sociales et politiques, dans une visée d'intégration à la communauté nationale, de la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine (ceux que l'on appelle communément les "beurs"), d'autre part, l'"inappétence", sinon l'indifférence des hommes politiques, des journalistes comme des chercheurs pour ces mêmes questions relatives, cette fois, aux Français musulmans rapatriés et à leurs enfants, plus communément désignés sous l'appellation (à entendre dans un sens générique) de "harkis", ne manquent pas d'interroger :

« La rareté des livres ou films sur cette population surprend. Comment expliquer le désintérêt presque total pour une minorité française aussi nombreuse86(*), alors que les immigrés algériens sont sujets, eux, d'innombrables articles, livres ou colloques ? Ainsi l'on pressent que l'oubli de cette communauté n'est ni anodin, ni fortuit »87(*).

Nous reviendrons au fil de ce mémoire sur les diverses raisons et manifestations de cet "oubli". A ce stade, précisons que ce constat global, établi en 1990, s'il est toujours valable dans ses grandes lignes (notamment pour ce qui a trait au déséquilibre avec la production livresque ou filmique consacrée aux populations issues de l'immigration maghrébine), mérite néanmoins d'être amendé, et ce à plusieurs égards :

- d'abord, l'intérêt des observateurs sociaux - à commencer par les universitaires - pour cette population est allé croissant au cours des années 1990, et plus encore à compter du début des années 2000 (s'agissant notamment des journalistes et des acteurs politiques), avec un "pic" clairement identifiable au cours des années 2000 et 2001, lié à la visite controversée d'Abdelaziz Bouteflika en France puis à l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis l'année suivante ; en outre, la parution en 2003 du livre de Georges-Marc Benamou, Un mensonge français88(*), qui ne consacre pourtant qu'un court chapitre à la question des harkis, fut un autre moment fort à cet égard, quoique éphémère et très largement redevable de la renommée ou du "capital médiatique" de son auteur (et dont nul autre avant lui ayant travaillé sur cette question n'avait pu se prévaloir) ;

- ensuite, les années 1990 et 2000 ont été marquées par la "prise de parole" des enfants de harkis, "hérauts" de plume de l'épopée familiale et chroniqueurs de leur propre trouble ou mal-être. Les récits parfois naïfs - mais violents - de certains (ainsi en va-t-il du récit de Djami, fille de harki victime des accès de violence d'un père égaré par sa propre souffrance89(*)) côtoient des récits plus construits, tramés sur le mode initiatique de la réminiscence et de la reviviscence du "chemin de croix" familial (Mon père ce harki, de Dalila Kerchouche, journaliste à L'Express), ou exprimés dans un style très littéraire, presque halluciné, tel le Moze de Zahia Rahmani, publié chez Sabine Wespieser, où l'auteur, partant du récit du suicide de son père un 11-novembre, à la suite d'une cérémonie patriotique, règle ses comptes post-mortem avec l'intéressé lui-même et tous ceux qui, de près ou de loin, ont "décidé" ou influé sur sa destinée (Etat français, FLN).

Les travaux universitaires et rapports d'enquête sont restés rares jusqu'à la fin des années 1980, et à vocation essentiellement médicale ou épidémiologique (notamment dans les années 1970), traduisant la fragilisation d'une population affectée par les conséquences de la guerre puis de l'exil. Les études d'ordre sociologique ou socio-historique90(*) ont d'abord visé à rendre compte des conditions d'insertion socio-économiques des anciens harkis et de leurs familles, avant et après le démantèlement de la politique de « mise sous tutelle administrative »91(*), puis ont insisté - dans une optique intergénérationnelle - sur les dynamiques de reconstitution des réseaux de parenté sur le territoire métropolitain92(*), sur la difficile gestion du phénotype dans l'ordinaire des relations sociales93(*), mais encore sur les silences, les oublis ou désirs d'oubli - à commencer par ceux, collectifs et individuels, des Français musulmans rapatriés eux-mêmes - qui caractérisent l'évocation et/ou la commémoration du sens de l'engagement, puis de l'exil, des anciens supplétifs musulmans, en France et en Algérie94(*).

Ces premiers travaux furent principalement l'oeuvre soit d'anciens protagonistes de la guerre et/ou de la prise en charge administrative des anciens harkis et de leurs familles (Jean Servier, Anne Heinis), soit d'enfants de harkis : ainsi en allait-il, pour ces derniers, des deux études pionnières de K.D. Bouneb (sur la gestion du phénotype) et de Mohand Hamoumou (sur le rapport à la mémoire des anciens harkis, mais aussi sur les usages politiques de la mémoire de leur destinée).

Les années 1990 et 2000 seront marquées par l'intensification et la diversification des publications, que cela touche à la dissémination et/ou à la vulgarisation scientifiques (voir ci-dessous), à la production associative/militante95(*) ou à la publication dite de "témoignage" (s'agissant notamment des témoignages d'enfants de harkis ; voir ci-avant), mais encore une multiplication des colloques (le plus souvent mixtes, car mêlant associatifs, politiques et universitaires).

S'agissant de la production de dissémination et/ou de vulgarisation scientifiques, l'on peut distinguer entre :

- une approche de type socio-historique, essentiellement d'ordre diachronique, à travers les ouvrages et articles de Maurice Faivre96(*), Mohand Hamoumou97(*) et de Michel Roux98(*), les articles de Guy Pervillé99(*) ou de Charles-Robert Ageron100(*), ou encore les ouvrages récents de Nordine Boulhais101(*) et de Tom Charbit (sous forme de courte synthèse didactique)102(*) ;

- une approche plus sociologique et synchronique, visant à rendre compte de la situation des anciens harkis et de leurs enfants, dans leur rapport à la mémoire, à l'identité et au politique, ici et maintenant en France, à travers les ouvrages et travaux de Mohamed Kara103(*), Laurent Muller104(*) ou Stéphanie Abrial105(*), ou encore - au tout début des années 1990 - un numéro spécial d'Hommes et migration106(*).

Pour autant, en dépit de la multiplication récente des témoignages d'enfants de harkis (voir supra), et à la différence de l'historiographie plus générale de la guerre d'Algérie qui, selon Guy Pervillé, a été principalement le fait - outre les grands témoins et les journalistes - des acteurs de la guerre eux-mêmes jusqu'au début des années 1990107(*), les témoignages dus aux Français musulmans rapatriés (les anciens harkis proprement dits) ont été et restent l'exception. Ainsi, au-delà des quelques rares témoignages écrits par d'anciens notables ou officiers de l'armée d'active (les plus connus étant ceux du Bachaga Boualam108(*) d'abord, puis, plus près de nous, du colonel Abd-el-Aziz Meliani109(*)), des livres comme ceux de Saïd Ferdi110(*) (recruté de force à 14 ans) ou de Brahim Sadouni111(*) (recruté à 17 ans) soulignent, par contraste, le manque de récits à portée autobiographique des simples supplétifs. La raison de ce silence prolongé tient à la fois au profil socioculturel des intéressés (beaucoup sont illettrés), aux conditions initiales d'accueil qui furent les leurs (la mise sous tutelle dans des camps, allant parfois jusqu'au filtrage du courrier et des visites), mais encore au manque de proximité sociologique et idéologique, et donc à l'insuffisance des relais au sein des milieux journalistique, universitaire ou de l'édition, originellement plus volontiers acquis à la cause du FLN.

Enfin, un certain nombre de documentaires112(*) (dont certains réalisés par des enfants de harkis113(*)), de reportages télévisés114(*) ou d'émissions radiophoniques115(*) ont été produits au cours des années 1990-2000, le plus souvent basés sur le recueil de témoignages. Les fictions romanesques116(*), et plus encore les oeuvres de fiction télévisuelles et théâtrales, sont restées elles l'exception, sinon pour aborder cette question de manière le plus souvent incidente.

Eu égard à l'état de l'art tant sur la question générale que sur l'objet, notre travail se distingue en ce qu'il objective, dans une perspective à la fois diachronique et synchronique, l'économie de la violence symbolique au sein et autour de la communauté harkie, c'est-à-dire à la fois telle qu'elle est agie et telle qu'elle est subie et réagie : non pas simplement une histoire de la destinée des anciens harkis et de leurs familles, ou une sociologie des regards portés et du sentiment d'identité de leurs enfants, ici et maintenant, en France, mais l'un et l'autre, et même l'un par l'autre : non pas leur simple juxtaposition, mais leur éclairage mutuel via l'abord de ce liant entre le passé et le présent, le "Nous" et le "Eux" que constituent les imaginaires et les (auto-)représentations sociales et politiques. Et l'on est à même, ce faisant, de délinéer ce que Elias et Scotson117(*) appellent la configuration "établis" / "marginaux" (son histogenèse, ses effets et les réactions qu'elle engendre), et la double relation de dépendance dont elle se nourrit : à savoir, d'abord, la relation de dépendance qui, presque inévitablement, lie l'offensé à son contempteur (avéré ou potentiel) et, symétriquement, l'autre relation de dépendance, celle qui lie à dessein le contempteur à son bouc émissaire. A la fois, donc, « l'histoire, des origines au déclin, de la capacité qu'a un attribut de servir de stigmate dans une société donnée » mais encore, en miroir, « l'histoire naturelle d'une catégorie d'individus affligés d'un certain stigmate »118(*).

III. Orientation et posture analytiques

Pour le sociologue américain Erving Goffman119(*), l'identité sociale d'un individu ressortit avant tout du souci qu'ont les autres de le définir ; à l'inverse, l'identité pour soi, c'est-à-dire le sentiment subjectif de sa situation et de la continuité de son personnage que l'individu en vient à acquérir par suite de ses diverses expériences sociales, est avant tout une réalité subjective, réflexive, nécessairement ressentie par l'individu120(*). Si l'on suit à la lettre le schéma conceptuel élaboré par Erving Goffman, le stigmate représente un désaccord particulier entre les identités sociales virtuelles (c'est-à-dire la caractérisation imputée « de façon potentiellement rétrospective » à l'individu) et réelles (soit la catégorie et les attributs dont on pourrait prouver qu'il les possède en fait) ; parmi tous les attributs susceptibles de porter le discrédit, sont en cause ceux-là seuls qui détonnent par rapport au stéréotype que nous avons quant à ce que devrait être une certaine sorte d'individus : un stigmate représente donc en fait un certain type de relation entre l'attribut et le stéréotype.

La notion de "stigmatisation" renvoie donc à la dimension symbolique de l'exclusion, et notamment « aux différences dans le pouvoir de définir [l'identité des personnes], à la manière dont un groupe acquiert et utilise le pouvoir de déterminer comment d'autres groupes doivent être considérés, compris et traités »121(*). Elle est régie par des représentations collectives dévalorisantes, et participe de la non-reconnaissance - au sens de mise en cause - par un ou plusieurs autres groupes interdépendants de l'utilité et/ou de la place qu'occupe un groupe donné dans une société donnée (tout au moins telles que les membres dudit groupe se les représentent)122(*). Cette autodéfinition se heurte à la construction d'une "contre-image" qui, bien qu'elle n'émane pas des membres du groupe stigmatisé et leur soit globalement défavorable, peut s'imposer au corps social comme la meilleure ou la première image possible pour désigner les intéressés. Symétriquement, la notion de stigmatisation renvoie aux répercussions de tels mécanismes d'assignation statutaire (qui imposent à certains individus une image d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent éluder) sur le sentiment d'identité et les relations sociales des intéressés. Nous userons donc de la notion de "stigmatisation" - ou de "sociodynamique de la stigmatisation" (Norbert Elias) - comme d'un outil analytique permettant à la fois :

1) d'appréhender les processus de « figuration politique »123(*) ou de construction d'une « idéologie de statut »124(*) autour d'un segment de population donné dans un contexte donné - processus dont participent les phénomènes de désignation du "bouc émissaire" ou de désignation de "l'ennemi intérieur", ainsi que leurs traductions plus routinières (sous des formes plus ou moins dégradées) dans l'ordinaire des relations sociales : c'est la stigmatisation telle qu'elle est "agie" ;

2) mais aussi, symétriquement, de rendre compte de la manière dont les intéressés font avec cette image, à la fois en termes d'identification (niveau intime), de socialisation (niveau interpersonnel) et de mobilisation (niveau sociétal) : c'est la stigmatisation telle qu'elle est subie et "réagie".

III.1 Problématique

Cette thèse vise à rendre compte tant de l'histogenèse (dimension diachronique) que de l'économie des échanges symboliques - et notamment de la violence symbolique - entre individus et entre groupes d'individus autour et au sein de la communauté harkie, de nos jours, en France et en Algérie (dimension synchronique). Il s'agira, pour ce faire, d'opérer une forme d'écologie politique de la stigmatisation, afin d'objectiver non seulement « la capacité qu'a un attribut [en l'occurrence la qualité de harki] de servir de stigmate »125(*) (la stigmatisation telle qu'elle est "agie"), mais encore « l'itinéraire moral »126(*) des individus affligés de ce stigmate (la stigmatisation telle qu'elle est subie). Une perspective à la fois diachronique et synchronique donc, qui vise à délinéer ce que nous appellerons la "sociodynamique de la stigmatisation". À la manière de Norbert Elias et John L. Scotson, il s'agira d'abord d'objectiver « les conditions dans lesquelles un groupe est en mesure de flétrir un autre »127(*) ; puis, partant de cette « représentation formée par les deux (ou plus) groupes concernés ou, en d'autres termes, [de] la nature de leur interdépendance »128(*), d'en découvrir « l'incidence sur la structure de personnalité et sur les conduites des «outsiders» »129(*).

Ainsi, la perspective adoptée est double :

1) explicative et exégétique d'abord, à travers ce que Erving Goffman appelle « l'histoire, des origines au déclin, de la capacité qu'a un attribut de servir de stigmate dans une (ou plusieurs) société(s) donnée(s) »130(*).

Il nous faudra ici rendre compte du travail de l'écart entre ce qu'a été la destinée des harkis et la manière dont elle est figurée politiquement, autrement dit, caractériser les contours et la place de la figure du harki dans les imaginaires politiques en France et en Algérie : comment ont été figurés les anciens harkis et leurs familles depuis 1962 ? Qui est à l'origine et à quoi visent de telles assignations statutaires ? Comment expliquer la perpétuation / banalisation dans l'espace et dans le temps de telles « idéologies de statut » (Elias et Scotson), que celles-ci s'objectivent dans la flétrissure en Algérie de la destinée des anciens harkis (de leur "choix") et à la transformation de cette destinée (de ce "choix") en "essence" ou "nature" maléfiques, ou confinent à la non-reconnaissance non seulement de la place particulière qu'occupe cette catégorie de population dans la société d'accueil (notamment par rapport aux populations issues de l'immigration maghrébine, avec lesquelles les intéressés sont routinièrement amalgamés), mais aussi - et surtout - à la non-reconnaissance des responsabilités incombant aux autorités françaises de l'époque dans la destinée tragique des anciens harkis et de leurs familles à l'issue de la guerre d'Algérie ? L'objectif est de dévoiler les visions et principes de division qui sont à la source de telles mises à l'index, amalgames et censures, et d'en démonter les usages. En somme, de déconstruire les logiques de domination - sociales et politiques, routinières et institutionnalisées - qui s'exercent par les voies symboliques de la stigmatisation à l'encontre des anciens harkis et de leurs enfants.

C'est la fonction légitimante - par excès ou par défaut - des mécanismes de désignation de "l'ennemi intérieur" (en Algérie) ou de non-reconnaissance de la place symbolique qu'occupe un groupe dans la société (en France) qu'il nous faudra ici interroger.

2) compréhensive et phénoménologique ensuite, soit « l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé », ou encore « l'histoire naturelle d'une catégorie d'individus affligés d'un certain stigmate »131(*).

Partant du vécu et du ressenti, ainsi que des rationalisations propres aux individus, il s'agira d'objectiver comment s'opère au niveau individuel, dans la sphère familiale aussi bien que dans les interactions de la vie quotidienne, la construction routinière du rapport "Nous" / "Eux" tant dans l'immédiat alentour qu'au sein de la communauté harkie. Ici, c'est vers le "monde vécu" de la stigmatisation que nous dirigerons notre attention. En clair, comment ceux qui sont ciblés par de telles assignations - et notamment la génération suivante, à savoir les enfants de harkis - s'en accommodent-ils, individuellement et collectivement ? Comment les « idéologies de statut » véhiculées par l'environnement social influent-elles sur la transmission de la mémoire et la qualité des relations interpersonnelles au sein et en dehors du cercle familial ? Et quelles sont les différentes stratégies identitaires - "adaptatives" ou "émancipatrices" - mises en oeuvre à différents niveaux (individuel et collectif) et à différents stades de leur existence par les intéressés pour "faire avec" cet environnement stigmatisant ?

Cette optique - délinéer les structures du monde vécu - implique :

(i) d'identifier les agents ou relais, ainsi que les modes opératoires ordinaires de la stigmatisation : par quels mécanismes et sous quelles formes - plus ou moins "dégradées" - les assignations statutaires véhiculées originellement par des "entrepreneurs de morale" institutionnels investissent-elles l'ordinaire des relations sociales et accèdent-elles ainsi au « statut de fait établi » 132(*) ?

(ii) et, symétriquement, du point de vue des personnes étiquetées, de repérer les "savoirs pratiques" et les anticipations qui assurent la fluidité des interactions dans la famille (au regard notamment de la gestion du tabou paternel) et dans l'ordinaire des relations sociales (vis-à-vis de groupes diversement positionnés sur l'échelle sociale, et qui peuvent être vecteurs de stigmatisation à des titres et à des degrés divers). Mais encore, par-delà ces stratégies adaptatives (qui visent à faire au mieux avec le stigmate), de rendre compte des stratégies dites de "rupture" qui, dans un premier temps au sein du cercle familial, visent à "transgresser" le non-dit paternel pour remonter aux « sources de la honte »133(*) puis, dans un second temps et à un autre niveau, visent à réhabiliter socialement la figure du père et à retourner le stigmate en un symbole de prestige publiquement assumé et revendiqué aux yeux d'autrui.

Cette insistance sur la dimension symbolique de l'exclusion - la « lutte des places »134(*) - implique de faire de la qualité des représentations et des relations de et avec autrui (dans l'espace et dans le temps, notamment à travers le couplage histoire/mémoire) un critère et un enjeu importants de la dynamique des identités (individuelles et collectives).

III.2 Posture analytique

Nous l'avons vu, l'objectif de cette étude est d'objectiver puis de mettre en perspective (sans les confondre) : 1) la stigmatisation telle qu'elle est institutionnellement "agie" d'une part (identification/mise à plat des rationalités stratégiques au fondement de la construction et de la perpétuation des anathèmes politiques,  via l'objectivation du "travail de l'écart" entre les déroulements historiques et les dispositifs narratifs ou fictionnels qui prétendent leur donner sens) ; 2) la stigmatisation telle qu'elle est ordinairement subie et relayée (sous des formes plus ou moins "dégradées" et banalisées des grands mythes politiques et idéologiques) ; autrement dit, les formes de dissémination et de capillarisation de telles accusations dans l'ordinaire des relations sociales et familiales, et les stratégies identitaires que déploient les individus stigmatisés pour y faire face, qu'il s'agisse de s'adapter au stigmate ou de le "retourner" (Erving Goffman).

L'abord d'une telle problématique - qui revêt une double dimension : explicative et compréhensive, exégétique et phénoménologique - implique de construire des cadres interprétatifs et de développer des méthodes d'investigation qui, bien que naturellement ancrés dans la science politique, dépassent les frontières disciplinaires des sciences humaines et sociales. A la manière de Norbert Elias et John L. Scotson dans leur approche des logiques de l'exclusion, il s'agira, à côté d'une approche plus proprement politologique, de « relier de façon cohérente histoire et sociologie [y compris les apports de la psychologie sociale], synchronie et diachronie, sans les réduire l'une à l'autre, ni les fusionner »135(*).

Ceci implique d'abord d'opérer un va-et-vient constant entre l'individu, le groupe et la structure, afin de dépasser les apories (et notamment les effets de nivellement) propres à certaines approches objectivistes.

Ceci implique ensuite de prêter une attention soutenue à la dimension temporelle des faits étudiés (qu'il s'agisse des « faits objectifs relevant de la structure sociale [ou] des changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de l'individu »136(*)), qui doivent toujours être conçus comme des processus, et non comme des états. Dans cette optique, Erving Goffman souligne que 1) « Le caractère visiblement fâcheux de tel attribut personnel et la capacité qu'il a de mettre en branle le jeu du normal et du stigmatisé ont leur histoire, histoire que viennent régulièrement modifier des actions sociales délibérées »137(*) (c'est ce qu'Erving Goffman appelle « l'histoire de la capacité qu'a un attribut de servir de stigmate ») ; et 2) l'idée que les personnes affligées d'un certain stigmate ont d'elles-mêmes est sujette à évolution, « cause en même temps qu'effet de leur implication dans une même suite d'adaptations personnelles »138(*) (c'est ce que l'auteur appelle « l'itinéraire moral des individus stigmatisés »).

Ceci implique enfin de prendre au sérieux ce que tous les acteurs impliqués dans cette dynamique - institutions, collèges d'acteurs et gens ordinaires - ont à dire de la situation faite (s'agissant des contempteurs ou de leurs relais) ou vécue (s'agissant des intéressés) par les anciens harkis et leurs enfants. Ainsi que nous y invite Herbert Blumer, « nous devons prendre en compte le point de vue de la personne ou du groupe ("l'acteur") dont le comportement nous intéresse, et comprendre le processus d'interprétation à travers lequel il construit ses actions »139(*). Et il ajoute : « L'interprétation est construite par l'acteur sous forme d'objets désignés et appréciés, de significations acquises et de décisions prises »140(*). Autrement dit, les objets sociaux - à commencer par les normes relatives à l'identité des personnes - sont soumis à un processus continu d'interprétation, qui détermine la manière dont les acteurs (inter)agissent.

III.2.1 La stigmatisation telle qu'elle est "agie" : les rationalités stratégiques au fondement de la construction des anathèmes politiques, ou la dimension narrative de l'appareil social de domination (niveau macro-politique)

Il s'agira ici d'inscrire l'analyse des « opérations figuratives »141(*) et autres dispositifs fictionnels (mythes, narrations) - ce que Norbert Elias et John L. Scotson appellent la construction d'une « idéologie de statut » à propos de tel ou tel acteur interdépendant142(*) - au coeur de l'analyse du politique : comment et à quelles fins modèle-t-on de telles images ? Avec quels effets ? Ces images sont-elles évolutives ou immuables, conjoncturelles ou structurantes ?

A cet égard, ces opérations figuratives exigent une analyse aussi bien synchronique que diachronique : l'exploration de la question du rapport entre les opérations figuratives et l'action politique dite "exécutive" (à savoir, en l'espèce, l'exploration du rapport entre la manière dont les harkis ont été portraiturés et la manière dont il a été décidé de leur sort dans le contexte de la guerre d'Algérie et de l'immédiat après-guerre) se double ainsi de l'exploration du jeu entre le passé et le présent (jeux et enjeux de mémoire autour de la figure du harki, dans un contexte de perpétuation des violences politiques en Algérie et de tentative de "normalisation" des relations entre la France et l'Algérie). En l'occurrence, on distingue deux séries d'interrogations :

1. Comment les harkis ont-ils été figurés au moment de la guerre d'Algérie par d'autres acteurs interdépendants (autorités françaises, Front de libération nationale, leaders et relais d'opinion) ? A quelles fins ? Et avec quels effets ?

2. Comment les anciens harkis sont-ils figurés rétrospectivement, en France et en Algérie ? Cette image et les usages qui en sont faits ont-ils évolué - et, si oui, comment - depuis la fin de la guerre d'Algérie ?

Dans l'un et l'autre cas, il nous faudra rendre compte non seulement des opérations figuratives et autres formes d'appropriation de l'imaginaire (à savoir comment les choses sont-elles représentées / narrées / mises en récit), mais aussi de la "rationalité stratégique" qui les sous-tend (à savoir pourquoi les choses sont-elles ainsi représentées / narrées / mises en récit). En outre, cette analyse concerne aussi bien la figuration institutionnelle de l' « ennemi intérieur » (imaginaires de guerre et imaginaires politiques), que les processus d'étiquetage qui, sous des formes plus ou moins dégradées et banalisées, en découlent routinièrement (à l'échelle des relations interindividuelles notamment).

III.2.1.1 De l'invention d'une figure à l'invention d'un destin : le rapport entre fiction et fondation (y compris le mouvement itératif entre langage et violence)

Les dispositifs fictionnels tendent à produire une réalité politique conforme à ce qu'ils énoncent. Encore faut-il objectiver ce rapport entre narrativité et performativité (la relation entre ce que "dit" le langage et ce qu'il "fait") ou, pour le dire autrement, le rapport entre fiction et fondation.

Terry Cochran note avec justesse que les images traversent le politique de part en part, « très souvent sous la forme de personnifications »143(*). Il ajoute : « Une collectivité quelconque ne peut pas devenir le sujet d'une phrase sans une opération rhétorique, sans l'utilisation d'une figure de la pensée, qui unit dans une seule image des individus disparates qui n'agissent jamais dans le même esprit : il faut imaginer, rendre en image, un collectif qui, en tant que cette image, agit comme une personne singulière »144(*). Ainsi, mise en image et narration accompagnent la fondation, entendue comme procès de formation d'une volonté collective déterminée, pour une fin politique déterminée. Terry Cochran : « L'image représente le processus de consolidation d'une volonté collective parce qu'elle crée la possibilité de visualiser un acteur concret, une peau pour une masse amorphe et sans contenant. Cette image est davantage une incarnation idéale qu'une représentation simple : elle projette une forme dans l'esprit à laquelle on peut attribuer une volonté, une conscience, un visage avec des expressions émotives, des bras pour saisir les objets du monde, des jambes pour se déplacer ou pour donner des coups de pieds, ainsi que des devoirs historique »145(*). Il ajoute : « La «persona» qu'on invente pour sentir et englober les passions politiques s'insère dans une narration qui se déploie historiquement. La fiction qui la véhicule convainc les lecteurs qui s'identifient avec le protagoniste principal. Tout cela au nom de la fondation éventuelle, qui occupe une place privilégiée dans ce paradigme historique »146(*).

Cependant, ces opérations figuratives qui, selon Cochran, « jouent un rôle fondamental de catalyseur dans la représentation du monde "réel" tout comme dans les projets potentiels de métamorphoser le domaine politique », prennent non seulement la forme de mythes fusionnels mais aussi, symétriquement, celle de figures d'excommunication ou de boucs émissaires. Ces figures d'excommunication sont des "catalyseurs à l'envers" qui jouent sur la fonction cohésive des peurs. Ainsi, dans l'immédiat après-guerre d'Algérie, il y a bien, à côté de cette "vitrine" de la représentation politique qu'est le collectif fusionnel et fondateur (le mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN : « Un seul héros, le peuple »), cet "envers" tyrannique qu'est la figure du bouc émissaire (le harki comme « traître »). Selon Max Pagès, les révolutions « remettent en question les bases traditionnelles de la sécurité collective dans le rapport aux institutions (...), sur le fond d'un système psychologique fonctionnant à l'identification projective, à l'angoisse et à la haine, sans médiation, contrepoids, ni limite »147(*). « On assiste, ajoute-t-il, à une sorte de détriangulation de la vie politique, par la suppression des positions intermédiaires et de toutes sortes de médiations, immédiatement assimilées à une trahison »148(*). C'est dans un tel contexte, marqué par une « logique duelle, manichéenne, persécutoire et paranoïaque » liée à la désignation de l'ennemi intérieur comme principe structurant de l'espace politique, qu'a pris corps le massacre des harkis

Dans La Violence et le Sacré, René Girard149(*) suggère que la désignation d'un bouc émissaire permet d'opérer une catharsis des pulsions agressives des membres de la communauté. Dans et par ce rite sacrificiel, la violence de tous contre tous se résout dans la violence de tous contre un. Autour de la victime sacrifiée se reforme - au moins provisoirement - l'unité de la collectivité, "apaisée" par cet exutoire. Se produit ainsi une solidarité dans le crime, dont tout un chacun - du détenteur du pouvoir au simple quidam - peut tirer profit, bien qu'à des degrés et pour des raisons divers. Le bouc émissaire est censé condenser sur lui toutes les tares et toutes les souillures qui ont entaché l'unité de la communauté. Son sacrifice, plus ou moins unanimement consenti, doit expulser le mal hors de ses frontières. Ce lynchage originel est, selon René Girard, le fondement de toute société. Quoi que l'on pense de l'ambition universelle de cette thèse, elle éclaire - même contestablement - certaines dynamiques de fondation ou de refondation politique, dont le cas de l'Algérie indépendante est exemplaire.

En ce sens, souligne Max Pagès, « le massacre peut être aussi créateur de lien social »150(*). Mais, parce qu'elle joue sur les vertus cohésives de la peur, cette socialisation là est aussi un vecteur de fragilité à plus long terme : en instaurant la désignation de "l'ennemi intérieur" comme contrechamp de l'harmonie sociale, et confondant - ce faisant - opposition et sédition, elle condamne le corps social à user par privilège de la violence comme mode de règlement des conflits, qu'il s'agisse d'exercer l'autorité (on ne transige pas avec les "traîtres") ou de la contester (puisqu'il n'y a d'alternative, dans un contexte artificiellement unanimiste, que de se soumettre ou de se rebeller).

Ainsi, en Algérie, la récurrence des violences politiques qu'accompagnent le réinvestissement et la constante réactualisation des antiennes de la "trahison" et du "parti de la France" amènent à s'interroger sur la profondeur historique et l'efficace sociale des usages à la fois attentatoires et dilatoires de la figure du harki. Cette "performativité" à long terme des dispositifs fictionnels mis en place par le FLN dès le déclenchement de l'insurrection (et immédiatement "actés" par une politique de ciblage systématique des populations non inféodées à cette organisation pendant la guerre d'Algérie, puis par le massacre des harkis à l'issue de cette guerre) témoignent de la contrainte, de l'effet d'entraînement et parfois d'enfermement exercé par les imaginaires politiques. C'est aussi ce que suggère Béatrice Pouligny, pour qui « dans la compréhension de ce qui se passe pour les membres des sociétés dans lesquelles ont été commis des crimes de masse, la frontière est le plus souvent infime entre "faits" et "paranoïa" »151(*). « C'est pourquoi, ajoute-t-elle, dans les récits que l'on tente de reconstituer, les structures historiques de peur et d'ennemi doivent être étudiées comme telles et non pas simplement discréditées au titre de paranoïa ou d'extrémisme »152(*).

III.2.1.2 Jeux et enjeux de mémoire : postérité symbolique et usages rétrospectifs de la figure du harki

L'intérêt de ceux qui orchestrent de tels "rites sacrificiels" est bien entendu d'en prolonger l'effet cohésif et mobilisateur au-delà même des bouleversements liés à la période de fondation. En instaurant la désignation de l'ennemi intérieur comme mode pérenne de régulation sociale et politique, ce sont les conditions de prise de pouvoir initiales - et l'hégémonie de fait qu'appelle l'exercice de la violence fondatrice - que l'on cherche à perpétuer. La menace de réédition à l'identique du sacrifice originel (l'éradication comme constante du discours et des pratiques politiques en Algérie) se double de la nécessité d'adapter la trame de cette menace aux réalités mouvantes du présent, par exemple en entretenant l'équivoque quant aux contours exacts de la figure de l'ennemi intérieur (l'assimilation des islamistes armés à des fils de harkis), afin que chacun au sein de la communauté se sente potentiellement menacé. Et que tous restent disciplinés.

En l'espèce, resituant l'analyse dans « le temps de l'après massacre »153(*), nous entendons objectiver les usages rétrospectifs tant de la figure que du souvenir du massacre des harkis sur les scènes politiques algérienne et française (où l'enjeu, à l'inverse de l'Algérie, n'est pas de capitaliser les effets du traumatisme originel mais d'en taire ou d'en minimiser les séquelles - donc les responsabilités).

En Algérie, la rémanence, jusqu'à aujourd'hui, d'une rhétorique obsidionale articulée autour de la désignation de "l'ennemi intérieur" (en l'occurrence, du "harki") et, plus encore, son instrumentation tous azimuts y compris par ceux qui aspirent à renverser le système en place, témoignent de ce qu'elle a profondément imprégné la culture politique algérienne. Et invite à s'interroger sur le jeu entre le passé et le présent, ou encore, sur la manipulation de la mémoire comme outil de légitimation politique. De fait, par-delà son rôle fantasmatique d'"aiguillon" à l'égard de l'étranger (et de la France en particulier), la désignation de l'ennemi intérieur est aussi et surtout une arme à usage interne, qui participe de la régulation de l'expression affective du corps social par exacerbation de la fibre nationaliste des masses algériennes. Une forme de manipulation que Raymond Boudon dépeint comme un « appel délibéré aux pulsions inconscientes » et qui joue sur la désarticulation du « principe de réalité »154(*). Très clairement, via l'incrimination récurrente de la figure du harki, c'est à la vertu "intégrative" des conflits ou des menaces imaginaires que l'on en appelle. Dans le contexte actuel en Algérie, cette incrimination fantasmatique des harkis ou de leurs enfants participe du récit d'une société déchirée qui se refuse - ou, plutôt que la strate dominante se refuse à représenter comme telle : car admettre le récit de la déchirure, qui est aussi un récit de la pluralité (ou de la "non-unanimité"), c'est admettre la nécessité de partager le pouvoir. Ainsi, chaque fois qu'une société perd de vue ce qui la fonde, ou prend conscience que les récits qui la fondent sont de l'ordre du mythe (le mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN), il lui devient nécessaire de s'inventer (ou de se réinventer) un bouc émissaire afin que sa désignation - ou la menace de son sacrifice - "ressoude" la communauté. Dans les sociétés fermées, en particulier, l'objectivation des logiques politiques de désignation de l'ennemi intérieur contribue à mettre à nu l'appareil symbolique grâce auquel le groupe établi assoit sa domination. L'exercice prémédité de l'anathème appartient à « la famille des relations de pouvoir », et participe de cette forme d'influence qui est « synonyme de manipulation »155(*). En Algérie, les usages rétrospectifs de la figure du harki sont associés à un type spécifique de fantasme collectif : l'assimilation de toute opposition à une trahison. Le message sous-jacent est : voyez ce qu'il en coûte de s'opposer à nous.

Pour cette raison, nous partirons du postulat - non exclusif mais fécond - qu'en Algérie, jusqu'à aujourd'hui, c'est du côté du rapport belliqueux, du côté du modèle de la guerre que l'on peut trouver un principe d'intelligibilité et d'analyse du pouvoir politique156(*). Il apparaît ainsi d'évidence que le schéma de lutte privilégié par le FLN pendant la guerre d'indépendance - logique exclusiviste de front unique et suprématie du militaire sur le politique - a été et demeure à la source de force pratiques politiques, qu'elles ressortissent de l'ordre de la rhétorique ou de l'action : dans un cas, les usages rétrospectifs de la figure du harki témoignent de la prégnance du champ lexical de la trahison ainsi que d'un principe de division du champ politique articulé autour de l'opposition amis/ennemis ; dans l'autre cas, l'annulation autoritaire du processus électoral en 1992, la formation de maquis islamistes, les tueries à l'encontre des populations civiles et la politique dite d'éradication qui s'en sont suivies, témoignent de la prégnance de la violence comme forme d'expression du politique. Cet héritage belliqueux a été directement à la source du régime de parti unique à direction militaire qu'a connu ce pays jusqu'en 1989, et il continue, en dépit de l'instauration formelle du pluralisme, à inspirer l'écriture des lois dans certains domaines vitaux (voir la Partie 2), d'autant, nous l'avons vu, que l'emprise des militaires demeure.

Mais manipuler le passé à des fins d'influence, ce n'est pas seulement "re-contemporanéiser" (mettre au goût du jour), ce peut être aussi "dé-contemporanéiser" (mettre sous l'éteignoir). En France, nous l'avons dit, la stigmatisation de la figure du harki participe davantage de son occultation que de sa démonisation. L'enjeu n'est pas, comme en Algérie, de délégitimer l'expression de la pluralité en désignant un ennemi intérieur (construction au forceps d'une nation une et unanime), mais de préserver le consensus tacite entre droite et gauche de gouvernement autour des modalités de règlement de la guerre d'Algérie (stabilisation de l'ordre politique). Ce qui implique d'occulter les conséquences humaines somme toute exorbitantes (mais alors minorées) de la politique de dégagement opérée par le général de Gaulle, avec le soutien au moins passif de l'opposition parlementaire d'alors. D'où la nécessité de construire un récit générique et dédramatisé (centré sur les tenants du processus de négociation plutôt que sur les aboutissants), comme expurgé de tout ressort affectif ; un récit stato-institutionnel articulé autour du "pragmatisme" gaullien, tout entier contenu et symbolisé par le processus de négociation d'Evian, puis la conclusion desdits accords et du cessez-le-feu : le fait que ces accords aient été négociés à l'exclusion de représentants des pieds-noirs et des musulmans pro-français, qu'ils aient été quasi-immédiatement et intégralement violés par la partie algérienne pour ce qui concerne les garanties accordées à la sécurité et aux biens des personnes, et que le cessez-le-feu n'ait donc été que le prélude à une série d'assassinats et de massacres de civils parmi les plus massifs de la guerre d'Algérie, importe peu : pieds-noirs et harkis, quelle qu'ait pu être l'intensité de leurs drames respectifs, sont des minorités. Le consensus, en France métropolitaine, s'est donc construit contre et malgré eux, dont la trajectoire pouvait sans mal - et au bénéfice, pensait-on, de la paix civile - être effacée des pages du roman national157(*). Cet exercice volontaire de l'amnésie par les instances officielles a été redoublé, jusqu'à une période récente, par l'ataraxie volontaire des lieux de production et de diffusion du savoir. La forte implication des clercs, mais aussi des étudiants, dans la lutte "contre" la guerre d'Algérie a grevé pour de longues années l'appétence de nombres d'intellectuels pour la destinée des harkis, jugée politiquement incorrecte - y compris dans ses aspects les plus dramatiques.

III.2.2 La stigmatisation telle qu'elle est subie et ordinairement relayée : la capillarisation des anathèmes politiques dans les interactions de la vie sociale et familiale (niveau infra ou micro-politique)

Nous l'avons dit, par-delà l'objectivation de la stigmatisation telle qu'elle est "agie", notre démarche vise à rendre compte de la stigmatisation telle qu'elle est subie et ordinairement relayée dans les interactions de la vie sociale et familiale. Cette double perspective réclame d'introduire la dimension subjective, vécue, au coeur même de l'analyse sociopolitique. En l'occurrence, il s'agit de saisir la manière dont les fils et les filles de harkis "font avec" les imaginaires et les processus socio-institutionnels (en particulier les anathèmes politiques, stéréotypes et autres idéologies de statut) qui façonnent le ou les univers dans lesquels ils évoluent quotidiennement. Notre posture vise ainsi à redoubler la construction d'un système explicatif de type macrosociologique et exégétique à même d'objectiver la dimension narrative de l'appareil social de domination (ce que Erving Goffman appelle « l'histoire de la capacité qu'a un attribut à servir de stigmate »158(*) et Howard Becker « l'histoire naturelle de l'élaboration et de l'imposition des normes »159(*)) par la saisie des significations vécues, relais et répercussions ordinaires - interrelationnelles et intimes - de tels dispositifs fictionnels, à savoir : la "capillarisation" des anathèmes politiques dans l'ordinaire des relations sociales et familiales, c'est-à-dire à la fois ce que Howard Becker dépeint comme « l'étude des moyens par lesquels l'oppression des catégories de statut supérieur acquiert un statut de légitimité "normale" et ordinaire »160(*), ou encore « l'étude de la construction et de la réaffirmation des significations morales dans la vie quotidienne »161(*), et, symétriquement, ce que Erving Goffman appelle « l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé »162(*).

L'optique, ici, est avant tout compréhensive. Il s'agira, autant que possible, de « circuler de l'individuel au collectif », autrement dit, d' « analyser les conduites de vie dans leur relation aux ordres de vie »163(*). Il nous faudra ainsi étudier « l'ensemble du processus par lequel les individus [tant ceux qui se font les relais ordinaires des opérations de figuration politique que ceux qui en sont la cible] construisent l'interprétation de leur situation, et par-delà, leurs actions »164(*), autrement dit, « la réalité dans laquelle sont engagées les acteurs sociaux, la réalité qu'ils créent en donnant un sens à leur expérience, et par référence à laquelle ils agissent »165(*). S'agissant d'appréhender la stigmatisation telle qu'elle est routinièrement subie et "réagie" (le monde vécu de la stigmatisation), notre démarche est tournée d'abord vers la saisie des routines et des "allant-de-soi" : savoirs pratiques (dans la présentation de soi ou l'identification par autrui), sentiments (sentiment d'identité, sentiment de honte ou de fierté vis-à-vis d'autrui) et registres d'action mobilisés par les individus stigmatisés pour réagir aux informations véhiculées par l'environnement immédiat.

La dimension critique ne sera pas pour autant éludée. Le pari est que l'attention aux êtres, à la manière dont ils se définissent et dont ils sont définis par les autres dans l'ordinaire des relations sociales, recèle des vertus dialectiques insoupçonnées : ne serait-ce que parce qu'une telle attention nous amène à objectiver ce qui d'ordinaire ressortit de la simple impression ; et surtout parce que cela nous oblige à prendre du recul par rapport aux structures immédiates de l'interaction, à les relier à d'autres structures, moins immédiates mais tout aussi agissantes, sans perdre de vue ni les unes ni les autres. Ce faisant, l'idée est de délinéer « les structures du monde vécu », de repérer « les cadres de l'expérience » (Erving Goffman), pour nous situer à l'articulation des paramètres structuraux, interrelationnels et psychologiques, s'agissant de la stigmatisation telle qu'elle est à la fois ordinairement relayée et subie. Ainsi, à rebours de toute "rupture épistémologique"166(*), il ne s'agit ni de refuser a priori toute valeur interprétative au ressenti des acteurs sociaux, sous prétexte qu'il ferait systématiquement écran à quelque sens / explication caché(e) inaccessible au sens commun, ni de le valider a posteriori. Mais il s'agit, d'une part, d'en rendre la substance, et, d'autre part, d'en explorer l'efficace sociale, via l'examen des stratégies individuelles ou collectives déployées par les acteurs sur la base de ce ressenti. Ceci implique, en particulier, de prendre au sérieux ce que les anciens harkis et leurs enfants ont à dire de leur situation, de le restituer et de le resituer (au sens de mettre en perspective les mots et les choses). Et non de considérer les individus stigmatisés comme des "idiots sociaux", incapables de démêler les fils de leur destinée, ou encore de tenir un discours et d'agir sur la complexité sociale et politique du ou des mondes qui les environnent : même soumis à des déterminismes "lourds" dont l'écheveau peut, par surcroît, être difficile à démêler, ils sont à même, dans certaines circonstances ou à certains moments de leur vie, de "faire avec" ou, tout au moins, de produire une définition de la situation qui va contribuer à orienter leurs comportements167(*). Symétriquement, rien ne dit que ceux qui, dans la vie de tous les jours en France et en Algérie, se font les relais ordinaires des gestes infamantes ou des narrations tronquées véhiculées par diverses institutions et certains collèges d'acteurs à l'encontre des anciens harkis et de leurs enfants, soient dupes du caractère artificieux et parcellaire de tels récits ; mais, à condition d'y trouver leur propre intérêt, ils peuvent se faire les acteurs complaisants de la "naturalisation" du stigmate, en contribuant à l'ancrer dans l'ordinaire des relations sociales : un intérêt ou une rationalité "dérivés" qui, bien que non réductibles aux usages proprement politiques de la figure du harki, participent de fait de leur efficace sociale. C'est dans ce va-et-vient entre le "micro" et le "macro" que nous entendons rendre compte des phénomènes de capillarisation des opérations de figuration politique, de leur plus ou moins grande propension à faire tâche d'huile et à faire date, et donc à structurer l'ordre social jusque dans ses manifestations les plus routinières et / ou les plus intimes. A cet égard, il nous faut informer l'étude des formes de sociabilité à l'échelon des relations interpersonnelles (la construction du rapport "Nous-Eux" dans l'ordinaire des relations sociales) aussi bien que des mobilisations collectives à l'échelon sociétal (la lutte pour la réhabilitation de la figure du père) par celle de la dynamique des générations au sein de la cellule familiale (y compris la "quête à être" intime des enfants de harkis).

Dans cette étude du "monde vécu" de la stigmatisation (capillarisation des anathèmes politiques dans l'ordinaire des relations sociales et, symétriquement, itinéraire moral de l'individu stigmatisé), l'accent est mis, dans une relation en miroir :

- 1. sur les phénomènes de transmission - ou d'oblitération - de la mémoire familiale (du côté des parents), ainsi que sur les phénomènes d'identification à - ou de forclusion de - la figure du père (du côté des enfants) ; autrement dit, sur le rapport des parents à leur propre destinée et la façon dont ce rapport peut - ou non - susciter la honte chez l'enfant ;

- 2. sur les processus d'étiquetage dans l'ordinaire des relations sociales d'une part, sur la manière dont les enfants de harkis ajustent leur conduite pour faire face puis s'émanciper des formes d'assignation statutaire véhiculées à leur endroit (ou à leur encontre) d'autre part, et ce tant à l'échelon individuel que collectif.

Notre approche repose ainsi sur une conceptualisation dynamique du processus de socialisation qui, entre individuation et assignation, identité pour soi et identité pour autrui, permet d'aborder celui-ci dans une intrication intime entre le psychologique et le social. Une posture analytique dans la droite ligne de celle de Claude Dubar, qui « refuse de distinguer l'identité individuelle de l'identité collective pour faire de l'identité sociale une articulation entre deux transactions : une transaction "interne" à l'individu et une transaction "externe" entre l'individu et les institutions avec lesquelles il entre en interaction »168(*). Cette conceptualisation, ajoute Claude Dubar, et cela est essentiel pour nous, « s'attache particulièrement à dégager et à définir des catégories d'analyse qui soient opératoires pour des recherches empiriques »169(*).

III.2.2.1 Une posture analytique aux confluents d'une visée compréhensive du sujet et d'une approche dynamique du processus de socialisation

Dans cette même optique, Jean-Pierre Terrail170(*) propose d'appréhender comme un même mouvement le processus qui "produit" les hommes et celui par lequel ils "se produisent" : « Le sujet est toujours déjà présent dans le mouvement de sa constitution : mouvement qu'il semble dès lors légitime de désigner comme appropriation, pour signifier l'identité nécessaire et immédiate de la détermination objective et de la mobilisation du sujet »171(*). Le concept d'appropriation, en tant qu'il s'inscrit dans une dialectique de l'identité des contraires (« L'intériorisation de l'extériorité est extériorisation de l'intériorité, c'est-à-dire activité »172(*)), rend compte de la potentialité du dépassement de l'opposition entre individualisme méthodologique et structuro-fonctionnalisme en constituant l'interaction et l'intersubjectivité en objets "naturels" de l'investigation scientifique. Claude Dubar rappelle que c'est sans doute G.H. Mead, dans son ouvrage intitulé Self, Mind and Society (1934), qui a le premier décrit, de manière cohérente et argumentée, la socialisation comme construction d'une identité sociale (un "self" dans le vocabulaire meadien) dans et par l'interaction avec autrui. Mead considère que « le fait premier est l'acte social qui implique l'interaction de différents organismes, c'est-à-dire l'adaptation réciproque de leurs conduites dans l'élaboration du processus social »173(*). Ce qui importe dans ce processus c'est le double mouvement par lequel les individus s'approprient subjectivement un « monde social », c'est-à-dire « l'esprit » (Mind) de la communauté à laquelle ils appartiennent (socialisation) et, en même temps, s'affirment positivement dans le groupe en s'appropriant un rôle actif et spécifique en son sein (individuation). En se socialisant, les individus créent de la société autant qu'ils reproduisent de la communauté. Les hommes non seulement se transforment mais se forment initialement au travers de leurs interactions :

- dans cette optique, il faut nécessairement prendre en compte le caractère actif de l'individu socialisé. La part de ce qui est appris mécaniquement est faible ;

- il faut aussi prendre en compte le fait que l'individu socialisé est confronté à des visions du monde plurielles et concurrentes, à des agents de socialisation multiples « dont on peut apprendre sans qu'ils enseignent, et qui peuvent produire effet longtemps après l'expérience immédiate »174(*).

Une telle optique invite le chercheur à viser la compréhension des aspects non délibérément "éducatifs" de la vie sociale, qui fonctionnent à un moment et dans un milieu social donnés comme conditions pertinentes d'individuation, et à envisager la formation du soi comme le résultat de l'activité biographique au sens le plus large. L'action réciproque des hommes est la clé de l'intelligence du social en même temps que de la formation des individus. L'homme entretient un rapport toujours actif aux conditions qui le déterminent. Ainsi, la posture interactionniste permet d'appréhender de manière beaucoup plus fine - non étroitement mécaniste - la question de l'introduction des nouvelles générations dans la vie sociale.

III.2.2.2 La dynamique des générations au coeur des processus de médiation entre l'individuel et le collectif

Aux côtés des rapports de classe et de genre, les rapports de génération contribuent à structurer la vie collective ; mais de façon sans doute bien plus silencieuse. Leur visibilité sociale est moindre ; et les politologues, à la différence des sociologues, leur portent un intérêt épisodique.

Si au regard de l'acception durkheimienne du concept de socialisation chaque élément particulier du social peut être interrogé du point de vue de sa place dans, et de sa contribution à, la permanence structurale du tout, du point de vue interactionniste, « la reproduction n'est plus cet "a priori" qui guide le regard du chercheur, mais le produit toujours problématique d'une activité dont il s'agit de comprendre concrètement comment elle opère et, par suite, comment elle construit tel ou tel résultat »175(*). Dans cette même optique, Claudine Attias-Donfut conçoit la dynamique des générations comme la résultante d' « une relation d'engendrement réciproque imbriquant étroitement processus cognitifs et interactions sociales »176(*) :

« Prendre conscience de sa génération, ajoute-t-elle, implique de prendre conscience aussi - et pourrait-on dire d'abord - des autres générations. C'est dans une relation de réciprocité que s'opère la différenciation générationnelle d'où émerge une conscience spécifique. C'est par une forme de "décentration temporelle" que sa propre durée est relativisée par rapport à celles des générations antérieures contemporaines, et située dans une échelle de temps qui n'est plus celle d'une vie humaine mais de la suite des générations qui assure la continuité du temps dans la société »177(*).

Chaque génération se définit par rapport aux générations précédentes dans une "référence/opposition" permanente. L'identification implique la différenciation. En constituant les rapports d'âge en rapports intergénérationnels, à l'articulation des biographies singulières et de l'histoire sociale, notre posture de recherche permet de prendre en compte, s'agissant du passage d'une génération à l'autre, non seulement la stabilité, la perpétuation, mais aussi le changement, le déplacement dans la façon d'interroger le social.

Précisément, l'inscription dans un contexte problématique du lien entre filiation, transmission et identification au sein de la communauté harkie, repose sur l'hypothèse d'une "cassure" dans la dynamique des générations, cassure consécutive aux silences, aux "non-dits" de la mémoire familiale (et notamment de la mémoire paternelle). De fait, en raison de la trajectoire singulière - et singulièrement dramatique - des anciens supplétifs et de leurs proches parents, la famille apparaît, au sein de cette communauté, comme le lieu de cristallisation de fortes tensions entre les générations. Ces tensions, liées à la situation de double relégation (exil géographique et exclusion symbolique) des parents, furent aggravées par les conditions initiales d'accueil et de socialisation des enfants. La réticence des pères à rendre compte d'une trajectoire fortement grevée sur le plan symbolique, la fragilisation corrélative des enfants, le plus souvent désarmés pour faire face à un environnement stigmatisant, dessinent en creux ce que Irène Théry appelle un « malaise dans la filiation »178(*). Cette mémoire en déshérence, refoulée par les pères, quêtée par les enfants, serait un obstacle tant à l'épanouissement individuel des fils et filles de harkis qu'à l'émergence d'une conscience collective assumée par tout un chacun au sein de la communauté. De cette cassure de la dynamique des générations résulte aussi, pour les enfants, la difficulté de mettre en place un répertoire d'action commun et de faire voix à l'échelle de la société tout entière.

Ainsi, la problématique de la formation de l'identité est-elle intrinsèquement liée à celle de la transmission de la mémoire : c'est dans l'économie des échanges entre mémoire et identité que se trame la dynamique des générations. La transmission de la mémoire vise d'ailleurs moins à la recension qu'à la symbolisation de la chose passée. Ce qui est en jeu, c'est au moins autant la célébration du Moi (individuel et collectif) que la ressouvenance de ce qui a été. En ce sens, la problématique de la mémoire lie indissociablement connaissance de soi par soi et reconnaissance de soi par autrui. Porte-étendard aussi bien qu'outil d'exhumation du passé, la mémoire est un liant qui scelle la destinée d'un groupe au fil des générations et sert d'étai à chacun de ses membres : se construire comme individu ou comme collectif oblige nécessairement, pour se positionner par rapport aux autres, à se positionner par rapport au passé et, donc, à incorporer puis digérer ce qui a été avant soi (qu'il s'agisse de l'assimiler ou de l'éliminer). L'attention accordée à ces phénomènes prend un relief particulier lorsque, comme c'est le cas ici, ils prennent corps dans un environnement social stigmatisant. D'où la nécessité de mettre l'accent sur les phénomènes d'entrave à la transmission de la mémoire familiale, de fragilisation relative du sentiment d'hérédité et donc d'identité des enfants de harkis (phénomènes qui, d'une certaine manière, vont "donner raison" à cet environnement stigmatisant) et, inversement, sur les formes d'insurrection symbolique, individuelle et collective, visant à transgresser le tabou paternel d'abord (connaissance de soi par soi), à mettre en place un répertoire d'action commun et à faire voix à l'échelon sociétal ensuite (reconnaissance de soi par autrui).

Le chercheur est ainsi convié à appréhender le "non-dit", le silence (là où il pourrait, là où il devrait y avoir échange, transmission), comme une composante fondamentale de l'expérience intersubjective des acteurs sociaux et, à ce titre, du processus de construction des identités. Symétriquement, pour les enfants, interroger la mémoire du groupe, ses silences, ses "non-dits", c'est se "re-mémorer" pour se "re-constituer", c'est-à-dire reconstituer ce par quoi on a été construit pour se construire « soi-même comme un autre » (Paul Ricoeur) : « Telles sont les préoccupations de ceux (...) qui partent à la recherche de leurs aïeux [à commencer par leurs ascendants directs] pour retrouver dans leurs racines la source de leur moi »179(*). A travers l'histoire de ses ancêtres et de son groupe d'appartenance, c'est avant tout son identité personnelle que chacun tente de cerner : « Les enfants de harkis partent à la recherche de leur mémoire, celle de la guerre d'Algérie (...). Dépositaires des expériences passées, la mémoire des pères, des mères, est garante de leur propre survie au sein d'une société qui masque ses continuités »180(*).

« Pour que sentiment du passé il y ait, il faut qu'une faille intervienne entre le présent et le passé, qu'apparaisse un "avant" et un "après", un intervalle vécu sur le mode de la filiation à rétablir »181(*) : c'est cette dynamique des générations, ce « besoin de savoir à qui et à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » qui sont entravés au sein de la communauté harkie, plongeant la deuxième génération dans un "no man's land" identitaire déstabilisateur : « Si l'histoire des harkis est à raconter et à transmettre, c'est sans nul doute pour rendre le choix à nouveau possible : ou bien l'assumer, ou alors choisir en toute connaissance de cause de s'en déprendre »182(*).

Pour faire état de la dynamique des générations au sein de la sphère familiale, ainsi que des tensions que peut engendrer dans l'ordinaire des relations sociales la gestion d'un héritage paternel fortement grevé sur le plan symbolique), nous avons choisi de centrer nos analyses sur le cas des fils et filles de harkis proprement dits - la deuxième génération - plutôt que sur celui des troisième et quatrième générations. Il y a plusieurs raisons à cela. La première d'entre elles est notre insistance sur les phénomènes de transmission dans la sphère familiale, lesquels, en l'espèce, trouvent leur densité première dans la relation à l'image du père. Une autre raison à cette approche par privilège de la deuxième génération est qu'avec l'avancée du temps celle-ci recouvre une très large palette d'âges, depuis les jeunes gens qui entrent dans la vie active et/ou finissent leurs études (souvent les derniers de larges fratries) jusqu'aux individus dans la force de l'âge (pour ceux qui étaient nés en Algérie notamment), eux-mêmes déjà parents, voire grands-parents. Cette diversité d'âge est essentielle pour nous qui ambitionnons d'étudier « l'itinéraire moral des individus stigmatisés » (Erving Goffman) car elle nous permet non seulement de faire état des phases qui jalonnent cet itinéraire au cours de l'avancée en âge de l'individu, mais encore de comparer - à âge égal - le poids du contexte immédiat, d'une époque l'autre (avoir 20 ans et être fils ou fille de harki en 1980 était-ce la même chose que d'avoir 20 ans et être fils ou fille de harki en 2000 ?).

L'appréhension, c'est-à-dire la saisie et la traduction, des "mondes subjectifs", qui sont à la fois des "mondes vécus" et des "mondes exprimés", donc saisissables empiriquement183(*), implique le recours à une méthodologie de type qualitatif : nous avons opté pour la méthode de l'entretien semi-directif (complétée, à l'occasion d'un séjour de travail en Ardèche, par celle de l'observation participante). Deux vagues d'entretiens semi-directifs, régis - sans souci excessif de directivité - par une consigne et une grille d'entretien, et archivés sur bande magnétique, ont été réalisées à un peu plus d'un an d'intervalle (au printemps 1997 et à l'automne 1998) dans des contextes socio-géographiques contrastés : la région parisienne d'une part (une dizaine d'entretiens, mobilisant de façon paritaire des fils et filles de harkis), la ville de Largentière en Ardèche d'autre part (une dizaine d'entretiens là encore, mais mobilisant très majoritairement des fils de harkis). Afin de ne pas alourdir notre propos, nous avons choisi de reporter en annexe les développements méthodologiques liés à la constitution du corpus et à la conduite de l'entretien (voir l'Annexe n°1).

En outre, des centaines de contacts et conversations informels (entendre non formalisés par une consigne et une grille d'entretien) avec des anciens harkis, enfants de harkis (qu'ils soient ou non militants associatifs), sympathisants et/ou spécialistes de la question ont nourri mes réflexions depuis l'entame de mon mémoire de DEA (au printemps 1997) jusqu'au bouclage de ma thèse, et ceci dans des cadres et contextes diversifiés :

- d'abord dans le cadre de manifestations associatives, à visée pédagogique ou revendicative (expositions, journées débats-conférences, manifestations, grèves de la faim, etc.) ;

- dans le cadre de cérémonies officielles, cérémonies patriotiques génériques ou ad hoc (cérémonies du 11 novembre, Journée nationale d'hommage aux harkis, etc.) ;

- dans le cadre de colloques scientifiques ;

- dans le cadre de contacts amicaux ;

- enfin, et cela constitue un éclairage original et fécond184(*), la centaine de fils et filles de harkis de tous âges reçus entre mai 2000 et fin février 2001 au sein du service des rapatriés de la préfecture de Paris en ma qualité d'agent de coordination chargé de l'emploi (ACCE), fonction exercée - il faut le préciser - dans le cadre de mes obligations militaires (je m'étais porté volontaire pour cette mission). Ceci m'a permis non seulement de parfaire ma connaissance des intéressés mais aussi de mieux connaître - littéralement, de connaître "de l'intérieur" - les modalités de prise en charge de cette population par l'administration, non seulement dans ses composantes techniques (connaissance des textes et des modalités d'application) mais aussi, et c'est selon moi l'élément le plus riche d'enseignement compte tenu de la problématique de cette thèse, dans ses composantes humaines et relationnelles (nature et qualité des relations entre fonctionnaires et "bénéficiaires" ; voir la section II.A.2 de la Partie 4 : « La relation d'aide institutionnelle »).

A cela s'ajoutent les entretiens sollicités auprès de hauts responsables, ordonnateurs ou exécutants en chef des politiques publiques consacrées à cette population : j'ai ainsi sollicité et obtenu un entretien avec M. Jacques Santini, ancien secrétaire d'Etat en charge des rapatriés (1986-1987), ou encore avec M. Alain Vauthier (entouré à cette occasion de ses proches collaborateurs), président du Haut conseil des rapatriés (HCR) et directeur général de l'agence d'indemnisation des Français d'Outre-mer (ANIFOM). Le HCR, créé en 2002 par Jean-Pierre Raffarin, est un organe de réflexion et de concertation entre les pouvoirs publics et les représentants des rapatriés (pieds-noirs et harkis).

A ce stade, il est important de préciser que mon protocole d'enquête n'a pas été étendu à l'Algérie, et ce pour plusieurs raisons :

- La difficulté d'identifier et d'approcher, de l'extérieur, sans relais familiaux ou amicaux fiables et solidement établis, les enfants de harkis vivant en Algérie : il n'existe bien entendu, pour ce faire, aucune association ou amicale d'anciens harkis ayant - ou même n'ayant pas - pignon sur rue dans ce pays. A cet égard, il ne faut pas négliger le danger ou, à tout le moins, le coût psychologique et social de s'identifier comme fils ou fille de harki dans le contexte politique et sécuritaire actuel en Algérie. Par ailleurs, et pour ce qui me concerne plus directement, une telle démarche ne saurait passer inaperçue, plus encore initiée par un jeune chercheur français n'ayant développé de près ou de loin aucune amitié avec le régime en place. Et je vois mal, à cet égard, comment mes investigations eussent pu ne pas être placées sous surveillance.

- Complémentairement, il eût certes été très intéressant d'aller recueillir directement en Algérie, sans intermédiaire d'aucune sorte, l'opinion intime, non "obligée" des gens ordinaires sur les anciens harkis, et ce d'autant plus que cela constitue un des angles d'approche de ce mémoire (voir la Partie 2). Mais, là encore, l'absence de relais familiaux ou amicaux fiables et solidement établis, le contexte politique et sécuritaire actuel en Algérie et, corrélativement, la difficulté pour moi de passer inaperçu et de conduire ma recherche dans un climat de sérénité et de totale liberté (pour moi et pour les personnes interrogées) m'en ont découragé.

J'ai eu recours à différentes sources pour pallier ces manques :

1. S'agissant de l' « itinéraire moral » des enfants de harkis demeurés ou nés en Algérie :

- certains articles ou reportages télévisuels (par exemple, un reportage d'Envoyé Spécial donnant la parole, sous couvert d'anonymat, à un fils de harki vivant en Algérie et faisant part des brimades dont il était l'objet en raison de son ascendance) ;

- les contacts entretenus ou développés, parfois en toute discrétion, par des associations de harkis ou des associations d'anciens combattants avec des harkis ou enfants de harkis demeurés sur place, de gré ou de force (la liberté de circulation est refusée aux anciens harkis, dans un sens comme dans l'autre ; pour les enfants de harkis vivant en Algérie, la barrière à l'émigration est plutôt d'ordre économique) ;

- enfin, avec force précautions d'usage, les forums Internet (notamment ceux des associations de harkis ou de pieds-noirs), qui permettent aux intéressés de s'exprimer anonymement depuis l'Algérie, et avec un sentiment de liberté au moins relatif. Ce genre de témoignages n'est bien entendu pas fréquent mais, sous réserve d'authenticité (des manipulations sont toujours possibles), précieux.

2. S'agissant de l'opinion des gens ordinaires en Algérie ou au sein des populations issues de l'immigration maghrébine :

- d'abord, les témoignages issus des entretiens ou conversations informelles avec les enfants de harkis interrogés en France. De fait, certains - une petite minorité de filles et de mères (je n'ai pas rencontré ce cas de figure pour les fils) - ont eu l'occasion, par le passé, d'aller visiter certains de leurs proches demeurés en Algérie. Ils m'ont rapporté la nature des opinions recueillies sur place, au sein du cercle familial. En dehors du cercle familial, les choses sont bien entendu plus compliquées, et aucune de ces personnes n'avait entrepris d'étendre ces discussions à la communauté villageoise dans son entier. A cet égard, certains témoignages ayant fait l'objet d'une publication viennent compléter ceux que j'ai directement recueillis. Ainsi en va-t-il du témoignage de Saliha Abdellatif, anthropologue, ancienne étudiante de Germaine Tillion et fille de notable pro-français exilé en métropole, qui, bénéficiant de relais familiaux disposés à l'accueillir, indique avoir débuté une enquête sur le territoire algérien en 1983185(*). A la différence des personnes qui, issues de mon corpus d'entretiens, ont vécu une expérience similaire, Saliha Abdellatif rapporte qu' « [elle] n'a pu parler des harkis connus [entendre : de sa connaissance] dans leur douar d'origine » mais qu' « elle a pu aborder le sujet dans les villages où [elle] ne pouvai[t] [se] prévaloir de connaître leurs supplétifs ». Autre témoignage accessible au grand public et riche d'enseignements, celui de Dalila Kerchouche, journaliste à L'Express, que j'avais d'ailleurs rencontrée en 1997 avant qu'elle n'entreprenne un voyage en Algérie et ne publie son récit (ce projet germait déjà dans son esprit)186(*) ;

- là encore, et avec les mêmes précautions, les forums Internet, qui sont éminemment utiles pour se faire une idée de la diversité des opinions véhiculées en Algérie ou au sein de l'immigration algérienne sur les harkis et leurs enfants, mais certes pas pour préjuger de la représentativité statistique de telles opinions ;

- enfin, les très nombreuses conversations informelles que j'ai pu avoir avec des amis, connaissances ou simples rencontres de circonstance issus de l'immigration maghrébine (et notamment algérienne).

IV. De soi aux autres : contre-transfert et objectivation du rapport à l'objet

Avant de clore cette introduction et d'exposer l'annonce de plan, il m'apparaît nécessaire de me défaire provisoirement du "nous" académique au profit du "je" incarné, afin d'objectiver les résonances intimes de la thématique abordée et, par là, de clarifier mon rapport à l'objet.

J'ai souvent été frustré, en prenant connaissance de tel ou tel article, de tel ou tel point de vue d'historien, sur ce sujet comme sur d'autres sujets (mais cela est particulièrement vrai des prises de position sur la guerre d'Algérie, qui est à la fois un conflit contemporain et un marqueur identitaire pour toute une génération d'intellectuels), de manquer des éléments biographiques nécessaires pour mettre en perspective les mots et les choses, le dire et l'agir. Combien d'auteurs, par peur de se livrer tout entier (et, par là, de donner prise à la critique), substituent sans précaution - plutôt que de les mettre en perspective - le masque de l'historien ou de l'expert d'une part, à celui du militant, de l'acteur ou de l'héritier (d'une cause ou d'un drame) d'autre part, comme s'ils pouvaient sans coup férir, et sans plus d'explications, rendre compte d'un épisode qu'ils ont eux-mêmes contribué à façonner et/ou qui a grandement contribué à les façonner. Non pas que leurs analyses soient sans valeur. Mais, précisément, où se situe la frontière entre l'acte militant, le témoignage et l'analyse lorsqu'un auteur, plutôt que de se dévoiler dans ses multiples facettes, laisse volontairement à penser au lecteur qu'il n'est que ce que son statut professionnel donne à voir de lui ? Cette manière de faire, guidée par des implicites inaccessibles au lecteur, est toujours plus ou moins trompeuse car elle interdit d'expliciter la part des motivations non heuristiques (c'est-à-dire biographiques) dans le choix et la présentation du sujet abordé : des manières de voir sont privilégiées, d'autres obérées, sans que le lecteur dispose de tous les éléments pour comprendre et critiquer les choix de l'auteur. Il est bien sûr parfaitement justifié de privilégier certaines manières de voir : encore faut-il expliciter les fondements de ce parti pris, tant sur le plan heuristique que sur le plan personnel / biographique, au risque de laisser penser qu'il n'y a objectivement pas d'autres manières de voir ou que les autres manières de voir sont accessoires. Ainsi, pour l'historien Guy Pervillé, l'un des rares spécialistes reconnus de la guerre d'Algérie à n'avoir pas lié ses investigations à un quelconque engagement militant, l'attitude de ses congénères qui prétendent « se retrancher dans une tour d'ivoire loin des passions du monde, comme s'ils n'avaient été d'aucun temps ni d'aucun pays » apparaît « très peu crédible dans le cas d'un sujet aussi contemporain et actuel »187(*). Guy Pervillé d'ajouter : « Un historien de la guerre d'Algérie, plus encore s'il est de ceux qui ont vécu la guerre d'Algérie en tant qu'hommes et citoyens responsables, ne peut réussir à faire croire qu'il n'est motivé que par une curiosité personnelle désintéressée »188(*).

Pour ce qui me concerne, et bien qu'appartenant à une génération qui n'a pas vécu ou été directement témoin des événements d'Algérie, je ne me crois pas dispensé de satisfaire à une démarche de clarification et d'explicitation des motivations intimes qui m'ont conduit à entreprendre la rédaction de cette thèse. Et ce d'abord parce que, d'une certaine façon, j'ai été le "récipiendaire" - d'abord inconscient ou "semi-conscient" - de certaines de leurs expressions traumatiques, au sein même de ma famille. Je m'explique. Mon rapport à l'objet d'étude, loin d'être dilettante ou étroitement intellectuel, est empreint à la source d'une forme d'attachement charnel : ma grand-tante Odette, qui était franco-tunisienne de confession chrétienne, son mari Djelloul, qui était algérien de confession musulmane et caïd189(*) de Jean-Mermoz (dans le département d'Oran), ainsi que leur fils Djelloul junior, alors âgé de sept ans, furent assassinés par le FLN à la fin du mois d'août 1962 (cinq mois après la proclamation du cessez-le-feu, deux mois après la proclamation de l'indépendance) pour avoir crû et incarné le rêve d'une Algérie fraternelle, liée à la France. Leurs corps sans sépultures, jamais retrouvés, ont proprement disparu.

Restent des témoignages indirects, qui donnent le ton de ce que fut l'Algérie nouvelle des premiers jours. Le 30 octobre 1962, à la suite de démarches répétées pour recueillir des informations sur les circonstances de la disparition d'Odette, Djelloul et de leur fils, mon grand-père paternel reçoit aux Armées (il était alors Commandant dans l'Armée de l'Air) une lettre adressée par Monsieur Alexandre M., alors récemment rapatrié d'Algérie. En voici de larges extraits :

« Verdun, le 30 octobre 1962

Monsieur le Commandant,

Je reçois à l'instant votre lettre du 22 octobre (...).

De toute façon, je vais vous dire ce que je sais et ce n'est pas grand-chose car nous étions plutôt des otages en Algérie que des hommes libres et ce, depuis le 30 juin.

J'avais l'habitude, possédant une voiture, de ravitailler Mme et Mr M. [NDA : Odette et Djelloul] en pain et autres produits. Le dimanche 26 et lundi 27 août j'ai trouvé porte close mais cependant forcée, entr'ouverte et un certain désordre régnait dans l'appartement, du moins le peu que j'y ai vu.

M'étant renseigné auprès des musulmans, ces derniers m'avaient affirmé que la famille M. était à Oran, d'autres qu'ils étaient en France.

La vérité, hélas, était tout autre car le propre neveu de Djelloul, le petit Driss, qui était un indicateur du FLN, m'a affirmé qu'ils avaient été enlevés dans la nuit du samedi 25 et tués à coups de mitraillettes au bord de trous préparés à l'avance. Et lorsque je lui ai posé la question : « Mais pourquoi avoir tué aussi le petit Djelloul, ce petit innocent ? », il m'a répondu : « Pour que la graine disparaisse ».

Quand au lieu de sépulture, il se situerait dans un des nombreux ravins au-dessus de Jean-Mermoz, et il y en a beaucoup.

Vous voyez que mes renseignements ne sont pas fameux et surtout contrôlés. Mais j'ai bien la conviction et même la certitude à l'accent de triomphe et de joie hideuse du neveu que la petite famille M. Djelloul, bien sympathique, a été assassinée ce samedi 25 août et je vous présente ainsi qu'à votre famille mes sincères condoléances avec toute ma sympathie ».

Reste également le mutisme de mon père, pendant des années, alors que je n'étais pas en âge de comprendre, puis la libération tardive de la parole, ma vingtième année passée : il est parfois difficile, même pour un père, d'aller contre la geste officielle de la guerre d'Algérie, d'aller contre l'Histoire telle qu'on la raconte aux enfants. J'ai moi-même été sensible à cet enseignement qui, il est vrai, ne prépare guère à entendre, et moins encore à comprendre ceux qui, porteurs d'une "tierce" mémoire, ne sont ni reconnus ni légitimés par les relais institutionnels de la mémoire. Sans entrer dans les détails, j'ai le souvenir d'une telle incompréhension, un jour, avec mon père. Il m'a fallu du temps pour comprendre le point de vue qui était alors le sien, si différent de celui présenté dans les écoles. Il m'a fallu grandir, sans doute, et m'informer, tout simplement.

Aujourd'hui, c'est certain, ce pan de l'histoire familiale, de mon histoire, est partie intégrante de mon identité. Elle est aussi, sans l'ombre d'un doute, l'un des moteurs de ce travail. Par ce travail, donc, je veux comprendre en même temps que me comprendre.

On le voit, le "contre-transfert" n'est pas simplement un exercice formel : il participe d'un souci d'honnêteté intellectuelle, tant vis-à-vis de soi que d'autrui. J'en assume les risques, j'en mesure également les bénéfices. Libre au lecteur de relativiser ce qui est dit - et de souligner ce qui n'est pas dit - au regard de mes "résistances" biographiques. Libre à moi d'en accepter l'augure avec sérénité puisque, par définition, un discours situé et reconnu comme tel par son auteur le dispense d'arborer l'attitude fausse (et parfois infatuée) de ceux qui, soucieux d'exercer un magistère moral sur leur lectorat, se livrent à d'opportuns écarts d'identité : hier encore militants, acteurs ou héritiers, aujourd'hui historiens sans passé.

V. Annonce de plan : INVENTER, ETIQUETER, SUBIR, REAGIR : AU FIL D'UNE DESTINEE

Partie 1 : Ce que devenir harki veut dire

L'on ne saurait entreprendre une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation au sein et autour de la communauté harkie sans rendre compte, au préalable, du substrat historique qui en constitue la trame et, par là, remonter aux "sources" du stigmate. D'une part, parce que les anciens supplétifs de l'armée française ne sont pas nés "harkis" : ils le sont devenus dans un contexte où leurs choix ne pouvaient être détachés des stratégies d'influence exercés par d'autres acteurs interdépendants (Etat français et FLN). Comprendre leur destinée - y compris symbolique, à savoir le "travail de l'écart" entre l'advenu et ce qui en a été donné à voir rétrospectivement - implique donc de revenir sur les circonstances et les motifs (individuels) premiers de leur engagement, sur ce que fut leur emploi par les autorités civiles et militaires, et sur le sort qui leur fut réservé au cours de la phase finale de négociation puis de passation des pouvoirs. D'autre part, parce que leur catégorisation comme « traîtres » ou « collabos » correspond à une lecture adversative des circonstances et motivations ayant présidé à l'engagement des anciens harkis aux côtés de l'armée française au cours de la guerre d'Algérie, façonnée au prisme d'un imaginaire politique (à la fois propagande de guerre et mythe fondateur) dont il s'agira de restituer la « rationalité stratégique » (Jacques Sémelin). Un imaginaire qui, faisant accroire que les harkis se battaient non contre une certaine vision de l'Algérie mais contre les Algériens eux-mêmes, vise à gommer le caractère violemment hégémonique du soulèvement orchestré par le FLN et, par-là, à perpétuer le mythe de l'élan spontané et unanime des masses algériennes

Ainsi, au fil de cette première partie, il nous faudra rendre compte des formes de contrôle exercé par d'autres acteurs interdépendants (Etat français et FLN) sur les trajectoires des anciens supplétifs de l'armée française - qu'il s'agisse de les représenter, de les façonner ou de les contrer - et expliquer pourquoi cela a constitué, sur le moment, un enjeu politique majeur : enjeu pratique certes (les troupes supplétives ont constitué une force d'appoint non négligeable pour l'armée française), enjeu symbolique surtout, dans un contexte où l'implication des populations civiles dans la guerre était un objectif avoué des différents protagonistes de ce conflit. L'intérêt proprement politologique d'une telle mise en perspective, nous l'avons dit, est qu'elle permet de rendre compte du "travail de l'écart" entre les déroulements historiques et les dispositifs narratifs ou fictionnels qui prétendent leur donner sens : ce que Terry Cochran désigne comme la question de « l'historicité des figures de la pensée »190(*), de leur plus ou moins grande épaisseur historique.

D'où l'attention particulière accordée à ce que Béatrice Pouligny appelle les « stratégies de pouvoir et d'appropriation de l'imaginaire » à travers lesquelles ont été modelées et comprises les trajectoires considérées dans le contexte de la guerre d'Algérie et de l'immédiat après-guerre 191(*), à savoir : le rapport entre fiction et fondation en Algérie, fiction et stabilisation de l'ordre politique en France. Il nous faudra ainsi faire état des visées politiques et formes d'appropriation (ou de mise en sommeil) de l'imaginaire qui ont accompagné, côté français, le recrutement massif puis la démobilisation brutale (précisément au prix d'une vacance de tout imaginaire les concernant) des supplétifs musulmans de l'armée française et, côté algérien, le ciblage quasi-systématique des civils musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre, puis le massacre de nombreux supplétifs fraîchement démobilisés après la guerre. Il s'agira par là d'objectiver les visions du monde et principes d'intervention qui, d'un côté et de l'autre, ont décidé indissolublement de l'invention d'une figure et de l'invention d'un destin. Nous verrons, à cet égard, que c'est dans l'examen du mouvement itératif entre pratiques de démonisation (violence symbolique) et d'éradication (violence armée), et dans la mise en exergue de la visée à la fois fondatrice (érection d'un Etat-nation indépendant) et hégémonique (instauration d'un parti-Etat) qui le sur-détermine, que doit être appréhendée la question de l'invention de la figure de l'"ennemi intérieur" par le FLN.

Partie 2 : Ce que parler des harkis veut dire

Précisément, la deuxième partie sera consacrée à l'exploration de la postérité symbolique et des usages rétrospectifs de la figure du harki en France et en Algérie depuis 1962 : quelle place tient-elle dans les gestes officielles (algérienne et française), politiciennes (partis / familles politiques), collégiales (mouvance anticolonialiste et, symétriquement, "soldats perdus" de l'Algérie française) ou anonymes ("chemins de traverse" de la mémoire collective en Algérie), pour quels usages et avec quel impact sur les sociétés considérées ?

Ici c'est moins l'objectivation des circonstances de l'invention de la figure du harki et de la rationalité stratégique qui l'avait sous-tendue sur le moment qui nous intéressent, que la mise en évidence du jeu entre le passé et le présent qui, depuis lors, tend à perpétuer ou à reconfigurer les usages qui en sont faits, de même que la mise en évidence des effets produits par ces actes de (mé)connaissance sur les sociétés française et algérienne. Nous passerons donc de l'examen des logiques ou rationalités stratégiques présidant à la construction d'un imaginaire pendant la guerre, à l'examen des stratégies de capitalisation et/ou de forclusion de cet imaginaire après la guerre. Selon Jacques Sémelin, cette analyse de type rétrospectif est de nature à donner des éclairages essentiels sur « l'évolution des rapports de force entre le pouvoir et la société » en général, sur « les effets politiques des pratiques de massacres sur la société » en particulier, notamment en termes de « militarisation de l'Etat »192(*). Ceci vaut particulièrement, bien sûr, pour l'Algérie.

Précisément, en Algérie, nous verrons comment, au fil des convulsions successives qui, à compter de 1962 (et particulièrement à compter de la fin des années 1980), sapent les fondements de l'autorité hérités de la lutte pour l'indépendance, le pouvoir va chercher dans l'imaginaire de l'ennemi intérieur ce que Castoriadis appelle « le complément nécessaire à son ordre »193(*). En ce sens, nous verrons comment le massacre des harkis, qui visait à expulser hors du monde les intéressés, a été suivi, dans un second temps, d'une instrumentation du souvenir de ce massacre (en tant que menace latente de réactualisation par le pouvoir des pratiques d'éradication à l'encontre de ceux qui contestent sa légitimité) : la figure du harki, niée dans sa réalité sociologique (à aucun moment elle ne doit apparaître comme une autre facette du "Nous" au risque de fissurer le mythe fondateur de l'unanimité des masses derrière le FLN) a été réifiée et surexposée en tant que figure de démonisation et épouvantail politique afin de signifier combien l'espace réservé à l'expression du dissensus ne saurait, en Algérie, empiéter sur l'impératif d'unité nationale. Ainsi en va-t-il, en particulier, de l'instrumentation tous azimuts de cette figure depuis le déclenchement de la "seconde" guerre d'Algérie, qui témoigne du rôle "pivot" dévolue à la thématique de l' « ennemi intérieur » dans le champ politique de ce pays.

Inversement, en France, nous verrons que la figure du harki est tout au plus une figure "en creux" qui, pour des raisons diverses mais convergentes dans leurs effets, n'a droit de cité ni dans « l'histoire telle qu'on la raconte aux enfants » (Pascal Ory, à propos de l'histoire officielle), ni dans l'histoire telle que la racontent (et se la racontent) les élites intellectuelles, jusque et y compris celles qui pensent et agissent en marge de la "doxa nationale". Ainsi, dans la geste officielle française de la guerre d'Algérie, le jeu entre le passé et le présent se nourrit, s'agissant de la destinée faite aux harkis, d'un non-récit ou, plutôt, d'un récit tronqué, minimaliste et, pour tout dire, "lisse", qui évacue toute dimension polémique, pourtant si prégnante dans les souvenirs véhiculés par les intéressés quant au traitement qui leur a été réservé par les autorités d'alors. Symétriquement, il n'est que de constater - dans une assez large mesure - la non-appétence intellectuelle voire l'antipathie relative conçues pour la destinée des anciens harkis dans les lieux autonomes de production, de diffusion et de transmission du savoir : universités, organes de presse et maisons d'édition notamment. Une situation qui doit en partie à l'intimité relative (sociologique, si ce n'est toujours idéologique) de ces milieux avec la mouvance anticolonialiste, et qui n'a pas été sans conséquence sur la construction et la diffusion d'une image "en creux" (quoique assez nettement négative) de la figure du harki, et plus encore sur son "élision", notamment dans ses aspects les plus dramatiques. Car c'est un fait : le ciblage systématique par le FLN des musulmans pro-français pendant la guerre, puis le massacre des anciens harkis après la guerre, n'ont guère ému - à de rares exceptions près - ceux qui s'étaient faits ou se font après-coup les hérauts de la dénonciation des actes de torture perpétrés par l'armée française.

Partie 3 : Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des relations sociales et familiales

Corrélativement à l'étude de la stigmatisation telle qu'elle a été ou est institutionnellement "agie", depuis l'invention de la figure du harki jusqu'à ses reconfigurations et usages rétrospectifs (niveau macropolitique), cette troisième partie, glissant sur l'autre versant de la sociodynamique de la stigmatisation (niveau infrapolitique), traite de la capillarisation des anathèmes politiques dans les interactions de la vie sociale et dans l'intimité des relations familiales (niveau micropolitique), à savoir : la stigmatisation telle qu'elle est ordinairement subie et relayée (sous des formes plus ou moins dégradées et banalisées des grands mythes politiques et idéologiques) au sein et autour de la communauté harkie.

A cet égard, il nous faudra d'abord rendre compte de la stigmatisation telle qu'elle est intimement subie et ressentie dans le cercle familial. Qu'en est-il notamment du rapport à la mémoire familiale et de la façon dont il peut (ou non) produire la honte chez l'enfant ? En d'autres termes, comment les anathèmes politiques interfèrent-ils dans l'ordinaire des relations familiales, s'agissant tant de la transmission de la mémoire (du côté des parents) que de la réception de cette mémoire dans une visée d'identification (du côté des enfants) ?

Par suite, il nous faudra faire état de la manière dont les « idéologies de statut » (Elias et Scotson) véhiculées à l'encontre des anciens harkis - ou, à l'inverse, les formes institutionnalisées d'oubli qui tendent délibérément à en estomper la trace - influent sur la qualité des relations interpersonnelles en dehors du cercle familial : en d'autres termes, comment s'opère la construction du rapport "Nous / Eux" dans l'ordinaire des relations sociales, à l'articulation des processus d'étiquetage et des stratégies de présentation de soi (sur la base de "savoirs pratiques" et d'anticipations qui assurent la fluidité des interactions dans l'ordinaire des relations sociales) ?

Il s'agira ici à la fois d'identifier les agents, relais et modes opératoires ordinaires de la stigmatisation (mécanismes et formes de capillarisation des figurations politiques dans les interactions de la vie quotidienne), mais aussi de rendre compte des phénomènes liés au « maniement du stigmate » (Erving Goffman), autrement dit, des difficultés et du coût psychologique liés à la mise en oeuvre de stratégies d'accommodation ou d'adaptation aux exo-définitions de soi, qu'il s'agisse de neutraliser les préjugés liés au faciès (vis-à-vis du groupe majoritaire) ou de se conformer aux attentes normatives des populations issues de l'immigration maghrébine. Ce "coût" peut être décrit sous la forme d'un double triangle de stigmatisation (catégoriel et existentiel), qui dit bien l'écartèlement des identifications au niveau du moi, et la situation de « déchirement » dans laquelle se trouvent ordinairement placés les fils et filles de harkis dans la société d'accueil.

Partie 4 : Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire

En contrepoint de cette situation de dépendance statutaire et des stratégies adaptatives qui lui sont corrélatives, la dernière partie porte l'accent non plus sur la stigmatisation telle qu'elle est subie (et sur ce que veut dire être et se découvrir "harki" dans l'ordinaire des relations sociales et familiales), mais sur la stigmatisation telle qu'elle est "réagie" (et sur ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire, d'une logique adaptative à une logique revendicative). Ceci implique d'aborder la question de la reconnaissance au sens le plus extensif du terme, ainsi que les enjeux de visibilisation - voire d'invisibilisation (à travers notamment la question du pardon, conçue comme un au-delà de la reconnaissance) - qui lui sont corrélatifs, à savoir :

- La reconnaissance de soi par soi entendue comme "travail de dégagement" vis-à-vis du stigmate et, surtout, de la honte qui lui est corrélative. Ceci implique de rendre compte des stratégies dites de "rupture" qui, dans un premier temps au sein du cercle familial, visent individuellement à "transgresser" le non-dit paternel pour remonter aux « sources de la honte »194(*) puis, dans un second temps et à l'échelle de la société dans son entier, visent collectivement à réhabiliter la figure du père et à retourner le stigmate en un symbole de prestige publiquement assumé et revendiqué aux yeux d'autrui.

- La reconnaissance de soi par autrui (et d'autrui par soi) entendue comme "travail de l'écart" entre les différents protagonistes (communauté harkie, Etat français, Etat algérien), dans une visée de réparation des termes de l'échange. Et d'abord la reconnaissance de soi par cet autrui significatif qu'est l'Etat français : qu'en est-il des politiques de la reconnaissance - qu'elles soient d'ordre matériel ou symbolique - consacrées par leur pays d'accueil aux membres de cette "communauté de destin" ? Selon quelles modalités traduisent-elles et dans quelle mesure sont-elles congruentes avec les revendications des intéressés ?

C'est ce travail de l'écart entre les revendications identitaires des représentants de la communauté harkie et la logique propre à la raison d'État qui est ici en jeu. A cet égard, il est un fait qu'en raison des épreuves endurées et du sentiment d'abandon qui leur est corrélatif, l'aspiration des anciens harkis et de leurs familles à être reconnus et célébrés dans leur singularité passe par une reconnaissance qui ne soit pas seulement réminiscence mais aussi résipiscence de la part des autorités195(*) ; interpellés dans leur rôle de gardiens de la mémoire nationale (pour célébrer le rôle et le sens du sacrifice des anciens harkis) et de garants du lien social (pour pallier les conséquences socio-économiques de la transplantation brutale de ces populations), les gouvernants actuels sont également instamment pressés de reconnaître la responsabilité de leurs devanciers dans l'abandon à un sort funeste (pour ceux qui furent empêchés ou découragés de gagner la France) ou à la relégation géographique et sociale (pour ceux qui y furent "accueillis") des anciens harkis et de leurs familles. L'enjeu de la reconnaissance doit donc être ici entendu comme "travail de l'écart" entre ce que fut et/ou ce que souhaitent donner à voir les anciens harkis et leurs familles de leur destinée (et ce qu'ils attendent en retour) d'une part, ce qu'il en est officiellement donné à voir et "à agir" d'autre part. En d'autres termes, l'enjeu, pour les autorités françaises, est précisément de savoir quel contenu et quelle mesure donner à la notion de reconnaissance : se souvenir / célébrer quoi ? Et assumer la responsabilité / se repentir de quoi ? En somme, dans quelle mesure la réminiscence doit-elle se faire résipiscence196(*) ?

La section finale est précisément dédiée à l'analyse des conditions de dépassement ou de sortie hors de cette configuration stigmatisante, ce que Sandrine Lefranc appelle la « déconstruction des relations de domination »197(*). Car, là où l'histoire touche au tragique et instaure une dissymétrie radicale entre soi et autrui, reconnaître l'autre, réinstaurer de la réciprocité, c'est aussi reconnaître ce qui, à un moment donné, a pu contribuer à briser cette réciprocité et refuser que ce passé là ne continue à produire ses effets dans le présent. Ainsi aborderons-nous, in fine, la question du pardon, entendue comme un "au-delà" de la reconnaissance, son expression la plus parfaite et, pour cette raison sans doute, la plus difficilement traduisible dans le champ et la grammaire politiques.

Cela est tout sauf anodin puisque, dans un contexte et sur un sujet où les représentants de l'Etat français sont plus qu'hésitants à pointer les responsabilités de leurs prédécesseurs, et où les représentants de l'Etat algérien s'inscrivent dans le droit fil de l'Etat-FLN (à l'image d'Abdelaziz Bouteflika qui incarne, par sa personne même, cette continuité), l'on n'hésite plus, au sein de la communauté harkie, à ester en justice pour acculer à la repentance, sinon pour faire condamner, ceux - États ou anciens hauts responsables - que l'on accuse de fuir leurs responsabilités.

Le cas des anciens harkis et de leurs familles ouvre ainsi, à différents niveaux, sur trois questions fondamentales (qui se déclinent également sur d'autres cas très divers, selon des modalités propres) :

1. L'invention d'une figure de l'ennemi intérieur dans un contexte conflictuel et post-conflictuel, et le choc subséquent entre histoire et mémoire (visée de légitimation -fondation et stabilisation - de l'ordre politique) ;

2. La question de la transmission et de la réappropriation - dans une visée de construction des identités - d'un héritage lourdement grevé sur le plan symbolique : la "quête à être" et la gestion du paraître des générations suivantes dans l'ordinaire des relations sociales et familiales (dialectique identification/identisation et maniement du stigmate) ;

3. L'enjeu de la reconnaissance (entendu à la fois comme recouvrement des capacités de symbolisation et réparation des termes de l'échange avec d'autres acteurs interdépendants) et du pardon (comme envers de la raison d'Etat).

PARTIE 1

Ce que devenir harki veut dire

Partie 1

Ce que devenir harki veut dire

Le sens générique du mot harki et l'existence d'un groupe (ou d'une catégorie) qu'il définit, résultent d'un processus complexe de construction. La première étape, indispensable à la compréhension, en est la guerre elle-même puisque ce terme renvoie originellement à une logique d'organisation militaire (dans un contexte où le contrôle et l'implication des populations civiles dans la guerre était un objectif avoué tant du FLN que des autorités françaises) et administrative (seuls les Algériens de statut civil de droit local - les musulmans - étaient visés par cette forme d'enrôlement). Aussi nous faudra-t-il faire état, dans cette première partie, de ce en quoi et de ce pourquoi l'engagement de centaines de milliers de musulmans aux côtés de l'armée française a constitué, sur le moment, un enjeu politique majeur de la guerre d'Algérie. A la frontière du militaire et du politique, le rôle pivot dévolu aux supplétifs musulmans de l'armée française leur a valu, nous le verrons, d'être particulièrement exposés aux sinuosités du cours de la guerre et, surtout, de l'après-guerre.

Dès lors, comprendre "ce que devenir harki veut dire" oblige, du point de vue de l'analyse, à mettre en perspective, d'une part, ce que fut pour les intéressés l'engagement aux côtés de l'armée française (ce qu'il signifiait et ce en quoi il consistait) et, d'autre part, ce que d'autres acteurs interdépendants (autorités de tutelle et FLN) en ont dit et fait sur le moment :

- 1. qu'est-ce qui a pu motiver et qu'est-ce qu'a pu signifier, pour les intéressés, le fait de devenir harki ? Quel furent concrètement leur emploi et leur comportement pendant la guerre ?

- 2. symétriquement, de quelle manière et à quelles fins les principaux protagonistes de ce conflit - autorités françaises et FLN - se sont-ils attachés à "travailler" le sens de cet engagement aussi bien qu'à en influencer le cours, jusque et y compris au sortir immédiat de la guerre ?

C'est donc une sociologie des trajectoires au miroir d'une sociologie politique des statuts (au double sens de logiques de classification administrative et de formes d'appropriation de l'imaginaire) qui est ici en jeu, cette mise en abîme historique étant fondée principalement sur l'exploitation de sources secondaires (travaux universitaires, ouvrages de vulgarisation et articles spécialisés, essais et biographies), mais aussi de notes et directives officielles, de textes programmatiques ainsi que de témoignages rapportés par la presse ou collectés dans le cadre d'autres travaux198(*).

I. Une destinée singulière ou comment l'on devient « harki »

L'emploi massif de troupes supplétives musulmanes aux côtés des formations régulières de l'armée française (qui incorporaient aussi nombre de musulmans) fut l'un des traits marquants de la guerre d'Algérie (1954-1962), au plan militaire comme au plan politique. Par-delà la diversité des catégories existantes, les supplétifs ont en commun, selon l'historien Maurice Faivre (l'un des meilleurs spécialistes de la question199(*)), d'être « des combattants volontaires, auxiliaires de l'armée, qui n'ont pas le statut de militaires d'active »200(*). Dès novembre 1954, dans les Aurès, des troupes supplétives sont levées par les autorités pour faire face à l'insurrection. Dans l'immédiat, on se contente de réactiver des schémas bien connus mais entrés depuis longtemps en désuétude : le préfet de Constantine recrute ainsi dans l'urgence un millier de goumiers, et remet sur pied les cavaliers des communes mixtes, tandis qu'à Arris (première visée par l'insurrection) l'ethnologue Jean Servier arme et organise la tribu des Ouled Abdi, en jouant de sa rivalité ancestrale avec la tribu des Touabas201(*) dont sont originaires les premiers rebelles202(*). Selon Jacques Frémeaux203(*), le terme "goum" est tiré de l'arabe "quwn", qui se traduit par "peuple" ou "tribu" : dans le jargon militaire, il désigne des troupes de partisans recrutés collectivement, en cas de besoin (pour une campagne), et détachés provisoirement par les chefs de tribus auprès des Bureaux arabes chargés de quadriller le territoire au fur et à mesure des progrès de la colonisation. Les cavaliers sont également des volontaires, mais ils sont directement recrutés et attachés aux Bureaux dont ils assurent la protection permanente. Cependant, avec la disparition des Bureaux arabes et leur remplacement par une administration civile (communes mixtes) qui ne disposent pas des moyens nécessaires et ne voient pas l'utilité de lever des goums ou d'entretenir des cavaliers en trop grand nombre, l'emploi de troupes supplétives tend pratiquement à disparaître à compter des années 1920.

C'est donc dans l'affolement né de l'insurrection du 1er novembre 1954 qu'est réactivé l'emploi de ces troupes traditionnelles. Leur structuration, cependant, n'est plus adaptée au contexte inédit d'un soulèvement généralisé et simultané sur l'ensemble du territoire : « c'est donc une organisation nouvelle qui est mise sur pied à partir de 1954 par les responsables civils et militaires »204(*). Et, sous l'impulsion initiale du gouverneur Léonard et du ministre de l'Intérieur François Mitterrand (qui donnent favorablement suite à une suggestion en ce sens du préfet Vaujour, directeur de la Sûreté nationale à Alger) sont créées des troupes supplétives à forte majorité musulmane. Soit successivement : les Groupes mobiles de protection rurale (35 GMPR de 85 hommes sont mis sur pied dès 1955), les maghzens (officiellement mis en place le 5 septembre 1955, et chargés de protéger les Sections administratives spécialisées, lointaines filleules des Bureaux arabes), les harkas (précisément composées de harkis et officialisées le 8 février 1956 à la suite d'expériences isolées concluantes au sein des unités combattantes) puis les Groupes d'autodéfense l'année suivante (GAD, nom donné aux villages placés en autodéfense au fur et à mesure des progrès de la « pacification »). Certaines de ces unités ont une vocation plutôt défensive et sont administrées par l'autorité civile (GMPR, maghzens et GAD), d'autres une vocation plutôt offensive et sont rattachées à l'autorité militaire (harkas). Nous donnerons le détail de l'organisation et de l'emploi de ces formations, ainsi que du statut de leurs membres, dans les développements à suivre.

A. Qui sont les « harkis » ? Les supplétifs de l'armée française et autres catégories de musulmans "pro-français" pendant la guerre d'Algérie

Qui entend-on désigner sous le vocable de "harkis" ? En fait, une certaine confusion règne entre les multiples significations et réalités afférentes. Il convient, à cet égard, d'opérer un distinguo entre une définition dite "stricte" et une définition dite "générique" ou extensive de ce terme.

Dans son acception stricte, originelle, c'est-à-dire immédiatement contemporaine de la guerre d'Algérie entre 1954 et 1962, le vocable "harkis" servait à désigner une partie de ceux qui, au sein de la population autochtone (arabophone ou berbérophone), et non compris les militaires réguliers (engagés et appelés) et les personnels civils officiant à différents échelons administratifs et électifs, avaient choisi de se faire soldats supplétifs de l'armée française. Une catégorie de supplétifs parmi d'autres, mais pas tout à fait comme les autres : la plus nombreuse, la plus offensive aussi.

Si l'on met à part l'expérience conduite par Jean Servier à Arris dès novembre 1954 auprès de la tribu des Touabas (voir infra), les premières harkas sont créées au cours de l'année 1955, en dehors de tout cadre réglementaire, par des commandants d'unité soucieux d'accroître leur efficacité opérationnelle en faisant appel à des volontaires autochtones. Les premières expériences s'avérant concluantes, leur existence est officialisée le 8 février 1956 par le général Lorillot à l'échelle du Quartier (territoire subordonné au Secteur). À la différence des autres formations supplétives, les harkas sont administrées par l'autorité militaire, ce qui contribue à les distinguer en marquant leur caractère offensif (le terme "harka", en arabe, signifie "mouvement" et, par extension, "troupe mobile"). Initialement levés pour des opérations ponctuelles, comme les goumiers auxquels ils succèdent, les harkis sont payés mensuellement mais leur solde est décomptée journellement, à raison de 7,50 F par journée. Ils ne bénéficient pas de prestations sociales à l'exception des soins médicaux gratuits. Engagés sans contrat, ils peuvent être licenciés sans préavis. En contrepartie, ils peuvent quitter la harka à leur convenance. Mais, comme le souligne Maurice Faivre, « une fois compromis par leur engagement, ils n'ont pas intérêt à la faire »205(*). En février 1959, le traitement des harkis sera aligné sur celui des autres catégories de supplétifs (jusque-là mieux loties) et porté à 8,25 F par jour pour les hommes du rang, 11 et 13,20 F pour les sous-officiers (pour des effectifs de 1 sergent-chef et 4 sergents pour 100 harkis). Certains harkis résident dans un village de regroupement avec leur famille. Mais beaucoup de harkas sont amalgamées et logées dans le cantonnement des unités d'active.

Les effectifs progressent rapidement, passant de 4.000 à 17.000 au cours de la seule année 1957. Au même moment, l'armement des harkas est revalorisé aux fins de les doter de 50% d'armes de guerre (en remplacement partiel des fusils de chasse), et de quelques armes automatiques pour les harkas les mieux encadrées. En octobre 1958, la politique dite de « non-discrimination » envers les unités autochtones, voulue par le général Salan, conduira à les doter entièrement en armes de guerre. Le 30 août de la même année, un comité interministériel fixe les effectifs des harkas à 30.000, puis à 60.000 en décembre, après accord exprès du général de Gaulle. Les effectifs maximums seront atteints en janvier 1961 avec 800 harkas regroupant 62.900 hommes. Par ailleurs, une directive du 22 décembre 1958 crée les « commandos de chasse », sorte de "harkas d'élite" qui ont pour mission de traquer les katibas de l'ALN en collant à leurs méthodes d'organisation et de déplacement. Il y aura jusqu'à 160 commandos de chasse, dans lesquels serviront 6 à 7.000 harkis équipés de fusils semi-automatiques. Plus tard, des Centres d'entraînement préparatoires aux Commandos de chasse (CEPC) seront créés, chargés de « former en cinq semaines les harkis au combat d'infiltration en zone rebelle »206(*). Certaines harkas seront même implantées dans les villes : les « Bleus » du capitaine Léger pendant la bataille d'Alger, première harka urbaine, puis la Force de police auxiliaire (FPA) du capitaine Montaner, chargée de combattre la Fédération de France du FLN en plein Paris, dont les affectifs atteindront 400 hommes. Parmi les plus célèbres, ces harkas seront aussi parmi les plus discutées du fait de leurs méthodes "musclées". Les missions qui leur étaient imparties étaient, il est vrai, particulièrement délicates et atypiques. Nous y reviendrons plus avant207(*). Enfin, plus anecdotiquement, il convient de noter qu'une harka de femmes fut constituée à Catinat208(*).

Aux côtés des harkis proprement dits, d'autres catégories de supplétifs - ainsi que des unités spéciales - furent constituées pour accompagner l'effort de guerre (ou, selon la terminologie de l'époque, de « maintien de l'ordre ») de l'armée française :

- les Groupes mobiles de protection rurale (GMPR), créés en 1955, puis rebaptisés Groupes mobiles de sécurité (GMS) en mars 1958 relèvent de l'autorité civile (la Direction de la Sûreté nationale). Ils sont mis à la disposition de l'autorité militaire pour emploi statique ou offensif. Les GMS sont engagés par contrat renouvelable de douze mois et bénéficient d'avantages sociaux : allocations familiales, sécurité sociale, congé annuel, logement, indemnité de déplacement. Les blessures et accidents sont soumis à la législation sur les accidents du travail. L'on compte 35 GMPR de 85 hommes en 1955, 70 en 1957. Les effectifs maximums seront atteints en mars 1962 avec 114 GMS regroupant 8.500 hommes.

- les maghzens sont chargés de protéger les Sections administratives spécialisées (SAS). Les SAS, créées le 5 septembre 1955 pour pallier la sous-administration des campagnes, sont dirigées par un officier d'active ou de réserve et « constituent une sorte de renaissance des Bureaux arabes du XIXème siècle »209(*). Les SAS seront complétées au début de l'année 1957 par 14 puis 20 Sections administratives urbaines (SAU). Chargés de protéger les SAS, les maghzens - composés de 20 à 50 moghaznis - sont le plus souvent statiques. Mais certains maghzens sont opérationnels. En fait, tout dépend de l'esprit d'initiative de l'officier responsable de la SAS210(*). Les moghaznis sont engagés par contrat renouvelable de six mois. Ils bénéficient des mêmes avantages sociaux que les membres des GMS. A la fin de 1957, près de 16.000 moghaznis assurent la protection de 606 SAS. Les effectifs maximums seront atteints en janvier 1961 avec 19.100 moghaznis assurant la protection de 710 SAS et 30 SAU.

- Les Groupes d'autodéfense sont constitués à partir de 1957 au sein des villages dits "pacifiés" (soustraits à l'emprise de l'Organisation politico-administrative du FLN). Les villageois, non rétribués, sont dotés de fusils de chasse ou de fusils de guerre afin d'assurer la protection statique de leurs foyers contre les incursions du FLN. Tous les membres des groupes d'autodéfense ne sont pas armés : au moment où sont atteints les effectifs maximums, en janvier 1961, moins de la moitié des membres des quelque 2.031 Groupes d'autodéfense recensés sont effectivement armés, soit 28.000 sur 62.000. En fait, cette "sous-dotation" n'est qu'apparente dans la mesure où les membres des GAD opèrent leurs tours de garde par roulement.

- Les Unités territoriales (UT), puis les Assès

La catégorie particulière des Assès sera créée à la suite de la dissolution des UT, en février 1960, pour en réaffecter les membres musulmans. Les UT (créées en septembre 1955), qui étaient composées très majoritairement de pieds-noirs (une exception s'agissant des troupes supplétives) et affectées à la garde des points sensibles et des communications en zone urbaine (infrastructures, quartiers d'habitation), furent dissoutes en janvier 1960 pour s'être montrées particulièrement en pointe lors des « journées des barricades ». C'est d'ailleurs en janvier 1960 que sont atteints, pour les membres musulmans des UT, les effectifs maximums, à savoir 7.600 (un an plus tard on ne compte plus que 2.300 Assès).

- Enfin, les unités musulmanes spéciales, le plus souvent créées sur la base de maquis nationalistes rivaux de ceux de l'ALN/FLN (d'obédience messaliste notamment), et plus ou moins étroitement contrôlées et manipulées par les services en charge des opérations spéciales au sein des armées211(*). Il est possible de citer, parmi d'autres unités : les Forces K (Belhadj Djilali)212(*), les Commandos sud-algériens (l'A.N.P.A. de Bellounis), la Force auxiliaire franco-musulmane (groupe Lahi Cherif), le Front Algérien d'Action Démocratique (FAAD213(*)), etc.

Par extension, le terme "harkis" englobe ces différentes catégories de supplétifs et unités spéciales, qui ont pour caractéristiques communes de servir sur la base du volontariat, et en dehors des cadres de l'armée régulière (même s'ils sont à sa disposition). Jacques Frémeaux caractérise ainsi les troupes supplétives comme des « corps à recrutement local, que leur financement et leur organisation mettent à part »214(*). Il ajoute qu'il s'agit aussi d'unités « à vocation exclusivement territoriale, qui ne doivent pas être employées hors du pays où elles ont été recrutées »215(*).

Cependant, très rapidement au fil des événements, le terme "harkis"216(*) va acquérir une valeur générique, emblématique même, au point d'englober l'ensemble des catégories de personnels civils et militaires autochtones qui, durant cette période, ont pris une part active tant à l'administration qu'à la défense de l'Algérie française ; autrement dit, cet ensemble progressivement indivis, dans l'imaginaire collectif, formé par ceux que Mohand Hamoumou appelle « les Musulmans au service de la France »217(*). Et s'y agrègent de fait, dès cette époque, dans l'esprit de leurs contempteurs comme dans celui de leurs amis, les troupes régulières de l'armée française (conscrits et engagés FSNA218(*) de tous grades), ainsi que les petits et les grands commis de l'État : anciens combattants, gardes champêtres, gardes forestiers, agents et cadres de la fonction publique, caïds, aghas, bachagas, hauts fonctionnaires, élus. En somme, l'ensemble des populations arabophones ou berbérophones qui ont participé à la défense, à l'administration et/ou à la promotion de l'Algérie française219(*).

- Les troupes régulières (conscrits et engagés)

S'agissant des musulmans incorporés dans les troupes régulières de l'armée française (engagés et conscrits), les effectifs maximums (26.199 engagés et 39.216 conscrits pour un total de 65.415 hommes) sont atteints en janvier 1961.

S'agissant plus particulièrement des conscrits, les effectifs cumulés tout au long des sept années et demi de guerre sont estimés à plus de 100.000 hommes par Stéphanie Chauvin220(*), ce qui est à la fois peu et beaucoup. L'appréciation de ces chiffres doit selon elle tenir compte des difficultés de la politique de promotion de la conscription en Algérie, grevée par un taux d'insoumission relativement élevé, et ce tant pour des raisons structurelles antérieures au déclenchement du conflit (l'éloignement des conscrits de l'environnement familial et social et, symétriquement, le manque d'intérêt porté par l'armée française à l'incorporation des appelés musulmans221(*)) qu'en raison des obstacles liés à la conjoncture (l'insécurité qui règne sur une partie du territoire et les appels à rejoindre les maquis et l'ALN). Cependant, note Stéphanie Chauvin, « le déclenchement du conflit n'entraîne aucune augmentation significative des défections »222(*).

- Les catégories de personnels non militarisés et franges de la population acquises à la France

Cette catégorie disparate comprend une part importante des anciens combattants, gardes champêtres, gardes forestiers, agents et cadres de la fonction publique, caïds, aghas, bachagas (ces trois derniers statuts étant hérités en droite ligne des titres de notabilité liés à la régence ottomane), hauts fonctionnaires, élus et autres élites francisées.

Cette acception générique du terme "harkis", pour imprécise qu'elle puisse apparaître au premier abord, traduit pourtant une réalité qui n'était pas simplement discursive mais, pourrions-nous dire, "polémo-logique" : l'impossibilité d'échapper aux étiquettes et aux classifications dans un conflit où la demi-mesure n'était de mise ni dans un camp ni dans l'autre. « Vous êtes avec nous ou contre nous » : « fidèle » ou « rebelle » pour les uns ; « résistant » ou « traître » pour les autres. Et, de fait, par-delà la diversité des statuts et des motifs d'engagement, l'usage générique du terme "harkis" avait l'avantage de tout ramener à cette simple réalité : « Vous êtes avec nous ou contre nous ». Au fond, cette classification homogénéisante a été l'un des rares motifs d'"entente" entre les deux camps, à savoir : la nécessité de trahir la complexité de la réalité, donc de gommer la diversité des statuts et des motifs d'engagement des musulmans dits "pro-français", pour mieux distinguer "amis" et "ennemis".

Par ailleurs, dans une perspective plus diachronique, il convient encore, au plan sémantique, d'opérer un distinguo entre, d'une part, les anciens supplétifs demeurés de gré ou de force en Algérie après l'indépendance - qu'ils aient ou non été la cible de représailles - et, d'autre part, ceux qui purent trouver refuge en métropole et qui choisirent, après déclaration d'option devant le juge d'instance (procédure sur laquelle nous reviendrons plus avant223(*)), de recouvrer la nationalité française. Tandis que les premiers - tout au moins ceux qui ont survécu - ont perdu tout lien avec la France et sont ce que l'on pourrait appeler des "innommables" en Algérie, les derniers ont été affublés par les autorités françaises de différentes appellations administratives : Français de souche nord-africaine d'abord (FSNA, appellation couramment employée par l'Administration au temps de l'Algérie française par opposition aux Français de souche européenne, ou FSE), puis Français de souche indigène rapatriés d'Afrique du Nord (FSIRAN), Rapatriés d'origine nord-africaine (RONA) ou encore Français musulmans rapatriés (FMR). Ces appellations, si elles ne se sont jamais substituées à l'acception générique du terme "harkis" dans le langage usuel224(*) aussi bien que dans les modes d'auto-désignation des intéressés eux-mêmes (y compris d'une génération l'autre225(*)), ont pour avantage de permettre à l'analyste de désigner ceux qui, parmi les anciens supplétifs, sont parvenus à trouver refuge en France et ont "choisi" de s'y établir - d'y faire "souche" en quelque sorte. Nous emploierons par convention le terme de Français musulmans rapatriés pour désigner spécifiquement cette frange de la population (par opposition à cette part importante de supplétifs qui a soit perdu la vie au moment de l'indépendance, soit a survécu aux massacres mais n'a pu - ou voulu - gagner la France)226(*).

B. Combien étaient-ils ? Effectifs comparés avec ceux du FLN/ALN et importance relative des musulmans pro-français dans la population musulmane algérienne

Les musulmans pro-français, toutes catégories confondues (personnels civils et militaires), pouvaient-ils être comparés à une "nomenklatura" ou à un "réduit collaborationniste", vivant en marge ou au ban de la société algérienne ? Cette question est importante car l'unanimisme était (et reste) un élément fort du récit algérien, du moins tel que porté par le FLN au cours et à la suite du conflit. Or, sur un plan strictement comptable, si l'on compare les effectifs des musulmans pro-français à ceux des militants et combattants du FLN/ALN (auxiliaires, maquisards mais aussi djounouds de l'armée des frontières), la réponse est clairement négative : les effectifs des premiers ont été continûment supérieurs à ceux des seconds (voir ci-dessous), même s'il faut tenir compte, pour ceux-ci, des difficultés particulières d'engagement dans l'organisation civile et militaire du FLN/ALN (et pas seulement dans les maquis) et du taux de renouvellement plus important des effectifs de l'ALN (en raison de pertes infiniment supérieures à celles des supplétifs). Inversement, les risques encourus par ceux des musulmans qui acceptaient une charge élective ou administrative d'une part, la limitation des crédits impartis aux formations supplétives - limitation qui, localement, a pu interdire de faire droit à l'ensemble des disponibilités et demandes d'engagement227(*) - d'autre part, ont pu également contribuer à contenir les effectifs des musulmans pro-français en deçà des potentialités réelles.

- Les effectifs maximums pour l'ensemble des unités supplétives

Selon Maurice Faivre, les effectifs maximums des troupes supplétives - toutes catégories confondues - sont atteints en janvier 1961 : à cette date, on dénombre 153.470 supplétifs aux côtés des troupes régulières de l'armée française, dont 119.470 sont effectivement armés (a contrario, 34.000 membres des GAD sont dépourvus de tout armement individuel)228(*). Pour sa part, Charles-Robert Ageron, rapportant les estimations du 2ème bureau et de l'EMI, indique des pics d'effectifs de supplétifs armés compris entre 120.000 et 125.000 hommes fin 1960229(*).

- Les effectifs maximums pour l'ensemble des combattants musulmans de l'armée française (formations supplétives et troupes régulières)

Si l'on ajoute aux supplétifs, les musulmans engagés (26.199) ou appelés (39.216) dans les troupes régulières, l'on atteint - toujours en janvier 1961 - un maximum historique de 218.685 combattants musulmans, dont 184.685 sont effectivement armés (34.000 membres des GAD non armés). À quoi s'ajoutent 1.515 engagés et 21.416 appelés affectés en Europe230(*).

Encore ces pics d'effectifs ne donnent-ils qu'une idée partielle de l'importance des enrôlements tout au long des sept années et demi de guerre. Jean Monneret évoque ainsi, en termes non plus d'effectifs maximums mais bien d'effectifs cumulés, « l'engagement massif de plusieurs centaines de milliers de Musulmans, échelonné sur plusieurs années »231(*). La décroissance des effectifs intervient à partir de 1961 avec l'amorce de la politique dite de « dégagement ». En 1961, les effectifs des harkis sont réduits de 25%, ceux des autodéfenses de 50%. Au moment de la conclusion du cessez-le-feu, en mars 1962, il demeure tout de même 146.449 combattants musulmans (87.600 supplétifs, 24.548 engagés et 33.301 appelés), dont 138.449 sont armés (8.000 membres des GAD non armés). À quoi s'ajoutent 6.382 engagés et 209 appelés affectés en Europe232(*).

- Les effectifs globaux des musulmans acquis à la France, toutes catégories de personnels confondues, civiles et militaires

Si, donnant à la notion de musulmans pro-français son extension maximale, l'on ajoute les petits et grands commis de l'État aux membres des formations supplétives et des troupes régulières, l'on compte au moins 250.000 Algériens engagés à un titre ou à un autre dans le camp français, soit environ 1.000.000 (un million) de personnes en comptant la (très) proche famille (sur un total de 8 millions de musulmans vivant en Algérie à cette époque)233(*).

- Les effectifs des militants et combattants du Front de libération nationale/Armée de libération nationale (auxiliaires, maquisards et djounouds de l'armée des frontières)

Selon le 2ème Bureau, les effectifs maximums de l'ALN/FLN, atteints à la charnière de 1957 et 1958, n'auraient jamais dépassé les 50.000 hommes armés, dont 32.000 au Maroc et en Tunisie (auxiliaires non armés non compris)234(*). En termes d'effectifs cumulés, le recensement de 1974 du ministère algérien des Anciens combattants fait état d'un total de 336.748 combattants sur l'ensemble de la période de guerre, se répartissant comme suit235(*) :

COMBATTANTS

VIVANTS

TUES

TOTAL

Organisation civile du FLN

Armée de libération nationale

122.990

60.895

81.468

71.395

204.458

132.290

TOTAL

183.885

152.863

336.748

Au final, deux constats s'imposent : 1. les effectifs maximums des combattants musulmans de l'armée française à une époque donnée ont été continûment supérieurs à ceux des membres actifs du FLN et de l'ALN ; 2. le taux de renouvellement des effectifs du FLN et de l'ALN, malgré une décroissance continue à partir de 1957-58, a été infiniment plus rapide que celui des troupes musulmanes loyalistes. Qu'en conclure ? Selon Guy Pervillé, « malgré la part d'incertitude des évaluations proposées des deux côtés, une conclusion vraisemblable s'en dégage : le nombre des Algériens musulmans engagés dans l'un et l'autre camp a été du même ordre de grandeur [en termes d'effectifs cumulés] »236(*). Il faut le souligner sans attendre : ces chiffres témoignent d'une réalité autrement plus labile que celle portée par le récit unanimiste du FLN. Ils témoignent en effet, pour le moins, de la fragilité de l'accusation de "trahison" véhiculée à l'encontre des musulmans pro-français, et, pour cette raison même, de son impérieuse nécessité sur un plan stratégique pour une organisation qui se voulait politiquement hégémonique.

C. Pourquoi les supplétifs ont-ils été recrutés ?

Jusqu'à quel point les autorités françaises ont-elles souhaité impliquer les troupes supplétives dans la conduite de la guerre ? Quel(s) rôle(s) entendaient-elles leur faire jouer ? Compte tenu de la problématique d'ensemble qui est la nôtre, et de ce que fut la destinée faite aux intéressés à l'issue de la guerre d'Algérie par leurs autorités de tutelle (voir infra), ces questions sont importantes car elles apportent un éclairage utile aux demi-silences qui entourent (ou grèvent), jusqu'à aujourd'hui, l'évocation de leur destinée en France.

En fait, pour les autorités coloniales, depuis les premiers "goums" improvisés par Jean Servier le 1er novembre 1954 jusqu'au projet de Fédération des unités territoriales et des autodéfenses du général Challe en 1959 (voir ci-dessous), l'intérêt bien compris de l'emploi de ces soldats supplétifs autochtones était double, à la fois militaire et politique. Au plan militaire, les harkis furent employés - en soutien et, pour certaines unités, en avant-garde des troupes régulières - à réduire l'activité insurrectionnelle de l'Armée de libération nationale (ALN), le bras armé du FLN. Au plan politique, ils furent employés à endiguer l'emprise sur les populations autochtones des mots d'ordre nationalistes popularisés par le Front de libération nationale (FLN), le principal mouvement indépendantiste algérien. Ils devaient symboliser l'attachement des populations musulmanes à la France, incarner leur implication dans la lutte.

Cependant, les attendus et l'intensité de l'emploi des troupes supplétives - à la fois sur les plans militaire et politique donc - furent évolutifs. À cet égard, il convient de distinguer trois grandes phases : 1. une phase de méfiance initiale quant à l'emploi de troupes autochtones, dans un contexte où prévalaient, sur le plan militaire, une logique essentiellement réactive et, sur le plan politique, le désarroi et l'instabilité (dont témoigne, par exemple, l'indétermination de la politique prônée par le gouvernement Guy Mollet) ; puis 2. une phase d'emploi massif, dans un contexte où, dans l'élan des scènes de "fraternisation" du 13 mai 1958, le redoublement des opérations offensives (plan Challe) fut étroitement couplé à une logique de promotion et d'intégration des populations musulmanes (instauration du suffrage universel par le général de Gaulle, projet de constitution d'une Fédération des unités territoriales et des autodéfenses par le général Challe) ; enfin 3. une phase de démobilisation progressive des unités supplétives, désengagement contemporain du virage amorcé par de Gaulle vers une politique d'autodétermination, puis de négociation directe avec le GPRA, et corrélatif, sur le plan militaire, d'une politique de décroissance - voire de suspension pure et simple - des opérations offensives.

Les jugements portés par les autorités civiles et militaires sur l'action des supplétifs furent étroitement corrélés à la phase dans laquelle ils furent formulés, mais aussi - à partir de 1961 - au soutien apporté ou non par lesdites autorités à la politique de « dégagement » voulue par le général de Gaulle, un tel soutien impliquant mécaniquement de relativiser le poids militaire et politique des unités supplétives.

- 1. De l'utilité des troupes supplétives dans un contexte de guérilla ou la question de l'efficace militaire des supplétifs

Sur le plan militaire, les troupes supplétives furent davantage que des troupes d'appoint. Certes, par la masse des engagements et leur implication dans le quadrillage du territoire (que l'on pense aux villages constitués en autodéfense), ils furent surtout et avant tout un élément d' "oxygénation" des troupes régulières. Celles-ci, libérées en partie des tâches de défense statiques, purent se consacrer plus efficacement aux opérations offensives. Mais par-delà cet apport quantitatif, certaines unités de supplétifs - à commencer par les harkis proprement dits - furent employées pour leur qualités spécifiques, directement au contact des unités de l'ALN. Ainsi en fût-il des "commandos de chasse", troupes offensives par excellence, dont le rôle fut prééminent dans la réussite du plan Challe (qui, sur la base d'une succession d'opérations de grande envergure, visait à la destruction systématique des maquis de l'ALN et de l'organisation politico-administrative du FLN).

Ainsi, au fur et à mesure de l'avancée du conflit, l'emploi des troupes supplétives deviendra d'autant plus massif que les schémas de guerre classiques, basés sur l'utilisation d'unités d'infanterie pléthoriques appuyées par des blindés et l'aviation, feront la preuve de leur inefficacité face aux katibas ultra-mobiles de l'ALN, lesquelles se fondaient - de gré ou de force - dans la population grâce au maillage étroit opéré par l'Organisation politico-administrative (OPA) du FLN. Inversement, coupée des populations et en proie à un adversaire labile, voire invisible, la lourde logistique guerrière de l'armée française peinait à endiguer la montée en puissance de la rébellion. Précisément, l'intensification de l'emploi des troupes supplétives à partir de 1956-57 marquera un virage stratégique à cet égard, une volonté nouvelle d'impliquer les populations autochtones dans la conduite de la guerre. Ainsi, le 30 août 1959, lors de son exposé au PC d'Artois (en présence du chef de l'Etat), le général Challe justifiera de la sorte cette nouvelle phase de la "pacification" : « Il faut que la population musulmane prenne activement part à la lutte. J'entends désormais donner (aux autodéfenses) un esprit offensif, rendre la vie intenable à tout rebelle s'aventurant sur leurs terres »237(*). De fait, selon Maurice Faivre, lui-même ancien chef de harka, « les échelons de commandement en Algérie [faisaient] davantage confiance aux harkis qu'aux appelés [pour mener la guerre], en raison de leur volontariat et de leur recrutement local »238(*).

Par suite, la multiplication des Sections administratives spécialisées (protégées par des maghzens), puis des harkas (attachées aux troupes opérationnelles), obéira, aux yeux des autorités militaires, à deux ordres de justification : (1) le bled, jusque-là sous-administré, ne pouvait être abandonné à l'OPA du FLN sous peine d'asseoir définitivement l'influence de la rébellion et de garantir son approvisionnement logistique ; (2) les maquis adverses, qui puisaient leur force dans leur mobilité et leur connaissance du terrain, ne pouvaient être réduits que par des unités comparables : légères, autonomes et nomades (commandos de chasse). En complément, les villages dits « pacifiés » sont peu à peu constitués en autodéfenses pour décharger les troupes d'intervention des tâches de quadrillage.

- 2. De l'utilité d'un recrutement de masse dans le contexte d'une guerre « subversive » ou la question de l'efficace politique des supplétifs

Mais dans le contexte de la guerre d'Algérie (guerre dont l'enjeu principal, compte tenu de la disproportion des forces militaires, était le contrôle et/ou la conquête des populations civiles), la question de l'efficacité militaire des supplétifs était indissociable de celle de leur efficacité politique. Dans cette optique, le haut commandement entend notamment faire jouer aux autodéfenses - élément adventice (quoique utile) sur le plan militaire - un rôle politique de premier plan, car ces autodéfenses symbolisent l'implication directe des populations dans la lutte, donc leur "responsabilisation". Ainsi, dans son exposé du 26 octobre 1959, dans la salle des opérations de l'état-major interarmées d'Algérie, le général Challe explique comme suit comment il entend arriver à ce que « la population de ce pays, avec notre aide, prenne la direction des événements » :

« Il faut qu'en face du parti de la sécession, nous organisions dès maintenant le parti de la France, et que nous le rendions vigoureux. (...) Pour moi l'embryon du parti de la France réside, militairement parlant, dans les unités territoriales et les autodéfenses. (...) J'ai fait monter une fédération des U.T. et des autodéfenses ; cette fédération prendra corps et soutiendra sur le plan civil l'organisation que nous mettrons sur pied sur le plan militaire. Par ce moyen nous arriverons à la «structuration» des populations : le mot n'est certes pas joli mais il doit être prononcé »239(*).

Soucieux de pousser plus avant cet avantage, « le Commandant en chef [le général Challe] décide de créer dans chaque secteur un centre de formation pour les responsables des GAD, qui seront les adhérents du grand parti constitué par la Fédération des unités territoriales et des autodéfenses »240(*). Selon Maurice Faivre, ces centres de formation, progressivement mis sur pied, accueillirent jusqu'à 1.200 stagiaires par mois241(*). Selon Charles-Robert Ageron, ils étaient 20.000 à les avoir suivis en avril 1960. Pour cet auteur, « le «grand parti de la France» que le général Challe voulait constituer autour des supplétifs ne parvint pas à voir le jour. La Fédération des unités territoriales et des autodéfenses fut une tentative mort-née. (...) Le général Challe dut renoncer à son projet politique »242(*). Maurice Faivre avance pour sa part que « le général Challe ne renonça pas à son projet politique de créer «un grand parti de la France» mais fut plus simplement relevé de son commandement en avril 1960 »243(*). Mais il faut aussi rappeler que la Fédération des unités territoriales et des autodéfenses a bien sûr pâti de la dissolution des unités territoriales, en février 1960, à la suite des journées des barricades, à Alger, fin janvier 1960.

D. Pourquoi les supplétifs se sont-ils engagés ?

Cette question est importante compte tenu de l'enjeu des motivations dans les constructions de la figure du harki, qu'elles soient contemporaines de la guerre d'Algérie ou ultérieures. Il n'y a d'ailleurs pas de réponse simple à cette question, ni de réponse univoque : les différentes raisons évoquées ci-après se sont souvent entremêlées - et parfois contredites - pour donner prise à la décision des intéressés. A cet égard, l'essentiel ici est de souligner la complexité des choses, non de proposer une lecture concurrente ou alternative de celles - uniment dépréciatives ou laudatives, mais toutes également réductionnistes244(*) - institutionnellement consacrées et/ou habituellement relayées sur l'une ou l'autre rive de la Méditerranée.

? Par conviction, fidélité à l'armée et/ou tradition familiale

Les commentateurs, quel que soit leur degré d'empathie pour les anciens supplétifs de l'armée française, et quelles que soient leurs sources (témoignages directs des intéressés ou archives militaires), s'accordent généralement à dire que le "patriotisme pro-français" est un facteur de motivation sinon complètement marginal, du moins relativement mineur au regard de la masse des engagements. Ainsi, pour l'historien Charles-Robert Ageron, seule « une petite minorité des musulmans engagés dans des formations supplétives agirent par patriotisme français »245(*). De même, pour Mohand Hamoumou, « l'engagement avec la France - plus souvent que pour la France - est en général avant tout un réflexe de survie »246(*). Sans doute cet ordre de motivation concernait-il avant tout certaines élites francisées, qui vivaient leur engagement dans la continuité d'autres engagements, et puisaient leur conviction dans une tradition familiale déjà ancienne. Ainsi en va-t-il du commandant Khélif, qui n'était pas supplétif mais officier dans l'armée d'active : « Pour moi, la question du choix ne se posait même pas. Ma famille avait opté pour la naturalisation française en 1865. Ma mère était catholique. Moi, je parlais français et anglais mais pas l'arabe. Je me sentais français parce que j'étais français. Français avec des racines kabyles comme mes copains étaient français avec des racines espagnoles, italiennes ou alsaciennes. Pour moi, la trahison eût été de ne pas servir mon pays, la France, contre une bande de hors-la-loi qui voulait s'imposer par la terreur »247(*). Ainsi en va-t-il également du colonel L., lui aussi officier dans l'armée d'active : « Nous aimions la France, ses auteurs, ses valeurs. La France des Lumières, des Droits de l'homme, de la Résistance. Nos parents s'étaient battus pour elle. Nous étions prêts à le faire aussi, sans hésiter, si l'intégrité de son territoire ou ses valeurs démocratiques étaient menacés »248(*). Mais pour "naturel" qu'il lui apparaisse rétrospectivement, cet engagement n'était pas pour autant inconditionnel, ou aveugle. Le colonel L. : « Pour autant, nous étions lucides. Il y avait des différences, des injustices entre «musulmans» et «Européens». Nous pensions que notre rôle d'élite francisée était de faire cesser ces injustices. Mais on voulait aller à l'autonomie puis à l'indépendance progressivement, avec la France et pas contre elle. En imposant un suffrage démocratique non truqué et en formant des élites, peu à peu, les musulmans auraient pris des postes clés, des mairies. Et l'indépendance serait venue comme un fruit mûr, sans trop de heurts, sans guerre civile »249(*).

Mohand Hamoumou souligne par ailleurs que nombre d'anciens combattants et vétérans de la Seconde guerre mondiale se porteront volontaires pour organiser leurs villages en autodéfense250(*). Sans doute ceux-là agissaient-ils au moins en partie par conviction patriotique puisque, nous l'avons vu, les membres des GAD (Groupes d'autodéfense), à la différence des autres supplétifs, étaient bénévoles et, pour une grosse moitié, non armés. Ajoutons encore, puisque l'on s'interroge ici sur la propension du sentiment patriotique ou de la "francophilie" à motiver des engagements, que nombre de petits et grands commis de l'État, notables, élus locaux ou nationaux, voire de simples collectifs de citoyens (à commencer par les associations d'anciens combattants251(*)) se prévaudront jusqu'au bout de leur attachement à l'Algérie française, en dépit des menaces plus que virtuelles pesant sur eux (comme en témoigne par exemple l'assassinat d'Ali Chekkal, vice-président de l'Assemblée algérienne, le 26 mai 1957 à Colombes, en présence du président René Coty).

? Le besoin de protection et/ou le désir de vengeance contre les exactions du FLN

a) Les atteintes à l'honneur et à la virilité 

Dans une société paysanne où organisation clanique et codes d'honneur codifient les relations interpersonnelles, et où toute atteinte à la virilité (entendue au sens extensif du terme, depuis la spoliation des fusils jusqu'au viol des femmes ou des filles) vaut déclaration de guerre, les motifs d'engagement dans l'armée française sont loin d'être simplement idéologiques. Ainsi, l'attitude caporaliste de certains chefs locaux du FLN, qui, au nom de la lutte pour l'indépendance, s'arrogent la disposition des biens et des personnes au mépris des voies hiérarchiques et codes d'honneur traditionnels, leur vaudra-t-elle des haines féroces de la part de certains chefs de famille et/ou de tribu252(*).

b) La somme des interdits et des obligations, et la démesure des châtiments

Les attitudes caporalistes de certains chefs locaux du FLN ne s'arrêtaient pas à la mise à disposition forcée - mais ponctuelle - des biens et des personnes. Ceux-ci entendaient également régir au jour le jour tous les aspects de la vie quotidienne des populations musulmanes aux fins de les soustraire à toute influence française. Outre l'instauration d'une « armée », d'une « administration » et d'une « justice » parallèles justifiant réquisitions, abattage des chiens (pour ne pas donner l'alerte au passage des colonnes de maquisards254(*)), impôt révolutionnaire et amendes, le FLN, accaparant et interprétant la doctrine religieuse à son seul profit255(*), s'est en quelque sorte attaché à « moraliser » les populations via l'interdiction de jouer, de boire ou de fumer. La sanction de tels comportements s'opérait sous forme de châtiments corporels, destinés à marquer aux yeux de tous l' « impiété » des "contrevenants". Voici, à titre d'illustration locale (mais la consigne vaut pour toute l'Algérie), le texte d'un tract retrouvé le 25 septembre 1955, à Djemaa, territoire de Touggourt : « Écoutez gens, évitez de fumer des cigarettes françaises, cela vaudra mieux pour vous. Nous brûlerons le magasin de celui chez qui nous trouverons des cigarettes françaises, et, par Dieu, la France ne pourra jamais rien nous faire. Nous couperons au couteau le nez de celui que nous trouverons en train de fumer des cigarettes françaises. Nous en avons décidé ainsi. Faites ce que vous voulez. Évitez les jeux de hasard dans les cafés tels que dominos ou cartes, cela vaut mieux pour vous, car vous pourriez vous en repentir. Ceci de la part de l'Armée de Libération de l'Algérie »256(*). Chez de nombreux témoins, y compris certains sympathisants du FLN, la somme de ces interdits suscite un sentiment d'oppression. Ainsi en va-t-il de Mouloud Feraoun, qui dénonce l'obscurantisme ambiant : « Abrous me donne quelques précisions sur les réunions qui se tiennent à la mosquée de T.A.. Les prétentions des rebelles sont exorbitantes, décevantes. Elles comportent des interdits de toutes sortes, uniquement des interdits, dictés par le fanatisme le plus obtus, le racisme le plus intransigeant, la poigne la plus autoritaire. En somme, le vrai terrorisme. Il ne reste aux femmes de T.A. qu'à youyouter en l'honneur de la nouvelle ère de libération qui semble pointer pour elles à l'horizon brumeux que barrent inexorablement nos montagnes sombres. Défense de faire appel au toubib ( ?), à la sage-femme, surtout à la sage-femme ( ?), au pharmacien ( ?) »257(*).

c) Le ciblage systématique des élites traditionnelles et des éléments non inféodés au FLN

Pour asseoir son emprise sur les populations musulmanes, le FLN s'attache dès l'entame de l'insurrection à neutraliser ou à détruire les cadres hiérarchiques traditionnels (administratifs et/ou spiritualistes) susceptibles d'offrir quelque résistance à l'épanouissement de la « Révolution ». Cette politique de la table rase vise principalement deux types d'éléments :

- les éléments indigénistes (chefs de tribus, etc.) ou spiritualistes (marabouts, etc.), porteurs d'une vision coutumière et parfois ésotérique de la sociabilité, qui fait obstacle à la diffusion de l'idéologie de la « libération »258(*) ;

- les éléments administratifs dits pro-français (qu'ils le soient ouvertement ou non), à savoir : gardes champêtres et gardes forestiers, caïds, aghas, bachagas, ainsi que tous les petits et grands commis de l'État, à commencer par les élus.

Ce ciblage quasi-systématique des civils attachés de près ou de loin à l'administration de l'Algérie française, et/ou opposés au bouleversement des cadres hiérarchiques et spiritualistes coutumiers259(*), sera à l'origine de ressentiments tenaces tant parmi leurs proches que parmi certaines des populations administrées. Ainsi, ce n'est pas l'amour de l'Algérie française qui a motivé l'engagement du père de Malika, réquisitionné comme interprète par l'administration coloniale, mais la menace que faisait peser sur lui son appartenance à une famille de marabouts. Malika : « Mon père ne pouvait pas s'engager du côté des rebelles parce qu'il était issu d'une famille de marabouts, qui ne portent jamais d'armes, et parce que son père, chef coutumier, avait été condamné à mort par le FLN, comme toutes les élites traditionnelles »260(*).

Mohand Hamoumou, et de nombreux auteurs avec lui, estime que le facteur "exactions" du FLN est « le facteur le plus important, au moins par la fréquence, de l'engagement des supplétifs »261(*). Ferhat Abbas lui-même, rallié tardivement au FLN mais qui fut un temps président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) puis président de l'Assemblée constituante à l'indépendance, reconnaît la prégnance du facteur "exactions" dans les motifs d'engagement des supplétifs musulmans de l'armée française : « Les responsables utilisèrent la menace, la peur. Ils commirent de regrettables erreurs poussant les braves gens dans les bras de l'armée et des autorités françaises. Ce fut le cas de nombreux Algériens, devenus «harkis» malgré eux »262(*). Cette appréciation était tout sauf incidente puisque l'un des neveux de Ferhat Abbas - pharmacien exerçant à Philippeville et connu pour ses prises de position hostiles au FLN - fut précisément assassiné par le FLN lors des émeutes du Constantinois du 20 août 1955263(*). De même, Mohammed Harbi, ancien responsable de la Fédération de France du FLN devenu historien de la guerre d'Algérie, voit dans les exactions perpétrées par le FLN à l'encontre de civils une explication probante de l'engagement en masse des musulmans dans les forces supplétives. Mohammed Harbi : « Contre l'injustice, la paysannerie se protège par tous les moyens, même ceux qui ne servent pas la cause nationale. Le nombre des Algériens engagés dans les harkis est édifiant »264(*).

? Les engagements forcés, sous pression physique et/ou psychologique de l'armée française

De nombreux témoignages et travaux font état des pressions exercées par l'armée française sur de jeunes musulmans pour les contraindre à s'engager à ses côtés. Aux pressions physiques et psychologiques exercées par le FLN répondaient donc celles exercées par l'armée française. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait de forcer les populations civiles à prendre parti. Parmi les moyens de pression utilisés par l'armée française, il faut distinguer la violence psychologique (ruse, compromission délibérée) de la violence physique directe (emprisonnement arbitraire, passage à tabac, torture) ou indirecte (le chantage, l'intimidation et les menaces de mort). Même s'il n'est pas rare, dans les faits, que l'une et l'autre soient utilisées successivement ou de concert.

a) La violence psychologique

Mohand Hamoumou rapporte comment certains officiers de l'armée française s'attachaient à compromettre les populations civiles avec lesquelles ils étaient en contact, pour ne leur laisser d'autre choix que de s'engager ouvertement aux côtés des forces de maintien de l'ordre. Il cite notamment le témoignage d'un député en mission d'observation en Algérie au moment de la guerre : « Au mois de novembre 1959, comme rapporteur du budget de la Marine, je suis allé voir les fusiliers-marins de la frontière marocaine, secteur Nemours. L'amiral qui me conduisait dans sa jeep me disait : «Nous allons voir énormément de villages». Et nous montions dans tous ces pics, nous descendions à la porte des villages, qui étaient en état de défense. L'amiral faisait toujours monter le chef du village dans sa jeep, et, tous les quatre, le chauffeur, le chef du village, l'amiral et moi, nous circulions dans le village. J'ai finalement demandé à l'amiral : «Mais enfin, pourquoi faisons-nous ainsi toujours cette ronde en jeep ?». Et il m'a dit : «J'ai reçu l'ordre d'en compromettre le plus possible !»265(*).

b) La violence physique

Abdelkader Adelaah, alors âgé de 22 ans, a été contraint de s'engager pour soulager les souffrances de son père, arbitrairement emprisonné : « Il avait été jeté dans un camp d'internement par les Français, qui l'accusaient d'être pro-FLN. La seule façon de montrer que nous n'étions pas des rebelles et donc d'obtenir sa libération, c'était de m'engager »266(*). Pour sa part, Brahim Sadouni, alors apprenti mécanicien, avait accepté de s'atteler à l'entretien des véhicules dans une unité de l'armée française, contre la promesse de ne jamais avoir à porter les armes. Pourtant, du jour au lendemain, il se trouve brutalement mis devant l'alternative à laquelle il croyait pouvoir échapper : « J'avais 17 ans. J'avais été engagé au camp français comme mécanicien. Un jour, le caporal m'a fait donner un paquetage. Il m'a dit que si je n'étais pas harki, c'est que j'étais fellagha. J'ai senti que, si je m'entêtais, je passerais à l'oued avec une balle dans la tête »267(*). Yahia Temagoult, qui s'est engagé chez les gendarmes mobiles (GMPR puis GMS), raconte lui aussi n'avoir eu d'autre choix que de céder aux intimidations et menaces de mort : « Les Français m'ont dit que, si je refusais, ils ne me feraient pas de cadeaux quand ils me croiseraient dans la montagne. J'ai eu peur. J'avais 15 ans »268(*). Il faut noter que la plupart de ces témoignages concernent des adolescents, des mineurs, sur lesquels l'exercice - même indirect - de violences physiques ne peut être que d'une redoutable efficacité269(*).

Pour qualifier ces engagements sous pression de l'armée française, Mohand Hamoumou parle d' « engagements-refuges »270(*). Il ajoute qu' « aucun de ces cas n'est exceptionnel mais qu'il est difficile, voire impossible d'en situer le nombre ni même d'en préciser la part relative dans l'ensemble des engagements »271(*).

? Les ralliements d'anciens maquisards de l'ALN

Une part non négligeable des effectifs des formations supplétives est le fruit de ralliements d'anciens maquisards de l'ALN. Les ralliés sont versés dans ces formations d'élites que sont les commandos de chasse, dont la tâche est de traquer les katibas de l'ALN en vivant à leur manière dans le bled272(*). Dans ce cas d'espèce, il convient cependant de distinguer les ralliements volontaires273(*) des ralliements "sous pression". Ce qui n'est évidemment pas toujours chose aisée.

? Les engagements par besoin / « pour la solde »

Les spécialistes divergent quant au poids relatif de ce facteur. Selon l'historien Charles-Robert Ageron, le facteur pécuniaire a été déterminant pour « la majorité des supplétifs » : « La majorité des supplétifs se recrutèrent parmi de pauvres gens sans travail ou sans ressources. Les salaires d'embauche étaient pour des chômeurs ou des miséreux assez intéressants ». Il ajoute cependant : « A l'origine des engagements, on ne peut oublier, ni minimiser, l'usage de divers procédés de pression du côté français et le désir de vengeance contre les exactions du FLN »274(*). Pour sa part, Mohand Hamoumou affirme que « la solde de harki n'a jamais été le seul ou le premier facteur d'engagement ». Selon lui, « l'engagement avec la France [était] en général d'abord un réflexe personnel de survie » face aux « pressions de l'armée française » et aux « excès d'autoritarisme et [aux] violences des chefs locaux FLN »275(*). Certes, l'impécuniosité des journaliers dans les campagnes, le chômage structurel dans les villes, mais aussi les menaces du FLN envers les musulmans acceptant de travailler chez les Européens, tout cela a pu conduire certains musulmans à devenir supplétifs pour survivre. Cependant, si cette motivation a pu être déterminante pour certains, elle n'a pas globalement été prééminente selon Mohand Hamoumou. L'auteur de rappeler que la première harka, levée par l'ethnologue Jean Servier en dehors de tout cadre officiel, était constituée de volontaires non rétribués, et d'ajouter que « de nombreux musulmans étaient prêts à devenir supplétifs bénévolement car ils désiraient avant  tout avoir une arme pour défendre leur vie et celle de leur famille »276(*). Ainsi en va-t-il notamment, nous l'avons dit, des membres des Groupes d'autodéfense, non rétribués et qui, par surcroît, étaient pour plus de la moitié d'entre eux dépourvus de tout armement individuel. Sur ces bases, Mohand Hamoumou, s'il estime que « la conjoncture  économique  extrêmement  défavorable pour les musulmans a pu être un élément supplémentaire parmi ceux qui ont conduit nombre d'entre eux à travailler dans les SAS ou à devenir harkis »277(*), réfute la thèse selon laquelle la solde a été un élément prééminent - voire exclusif - pour la majorité des supplétifs.

? Par solidarité tribale (rivalités de clans ou de villages) ou par désir d'assouvir des vengeances d'ordre privé

Dans une société organisée autour de groupes - familles, clans, villages - et fondée sur la solidarité entre les membres d'un même groupe, les engagements collectifs avec l'armée française ou avec le FLN, peuvent être la conséquence : 1. de l'influence particulière d'un notable local, dont les obédiences et choix personnels s'imposent "naturellement" à la collectivité ; 2. d'une rivalité ancestrale entre deux groupes, chacun des groupes s'engageant dans un des camps opposés pour faire droit à cette rivalité ; 3. de la maltraitance ou de l'exécution d'un ou plusieurs membres du groupe par l'un des protagonistes du conflit (insurgés ou forces de l'ordre), ce qui provoque par réaction un engagement collectif dans le camp opposé.

Le premier cas trouve une illustration paradigmatique dans l'engagement de la tribu des Beni Boudouane aux côtés de l'armée française derrière le bachaga Boualam, notabilité locale engagée de longue date au service de la France, et qui deviendra vice-président de l'Assemblée nationale en 1962, avant de démissionner. La logique qui prévaut ici est celle du fief : le "seigneur", en cour auprès des autorités, accorde à ces "sujets" certains privilèges en retour d'un engagement sans faille à ses côtés. Il est en quelque sorte "propriétaire" du choix de ses administrés, ce dont il ne fait pas mystère, exerçant au besoin un chantage en bonne et due forme auprès des autorités.

Le deuxième cas renvoie aux prémisses mêmes de l'insurrection : comme indiqué plus haut, le 1er novembre 1954, au premier jour de l'insurrection, l'ethnologue Jean Servier organisera la défense de la ville assiégée d'Arris, dans les Aurès, en convainquant la tribu des Touabas que c'est une tribu rivale qui a pris les armes contre la France. L'argument porte immédiatement278(*). Par la suite, Jean Servier fera de ce "savoir anthropologique" un credo des opérations de recrutement : « Je ne recrute pas des individus mais des collectivités, je joue sur une morale collective forte. Dans ce pays, si l'armée recrute des supplétifs individuellement, ce sera la pagaille »279(*).

Le troisième cas trouve une illustration dramatique dans le massacre de Melouza : les hommes de ce douar, soupçonnés d'être sympathisants du Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, un parti nationaliste rival du FLN280(*), seront entièrement exterminés par l'ALN en l'espace de deux jours (plus de 300 victimes). Les quelques survivants et les douars environnants se rallieront collectivement à la France.

Quoiqu'il en soit des raisons précises, Maurice Faivre estime de fait que, « dans leur grande majorité, les harkis se sont engagés collectivement dans les villages dits pacifiés »281(*). Par surcroît, outre ces engagements motivés par une forme ou une autre de solidarité tribale, l'ethnologue Germaine Tillion rapporte que « sous le couvert et l'alibi de trois guerres (entre France et Algérie, mais  aussi entre Français, et entre musulmans), un nombre incalculable de règlements de comptes assouvissent de vieilles haines pendantes entre les familles »282(*).

Mais, par-delà les motivations singulières, sans doute faut-il évoquer, plus globalement, le poids du contexte et de la structure du conflit : un contexte de guerre révolutionnaire où, en l'absence de batailles réglées et donc de possibilité de victoires définitives sur le terrain militaire, le contrôle des populations (musulmanes) est un enjeu majeur ; à cet égard, dans l'un et l'autre camp, la pression est mise autant sur les populations que sur l'adversaire, sommées de donner des gages allant du soutien passif à l'engagement armé : dans les faits, bien souvent, la neutralité était interdite sous peine d'encourir la suspicion des uns ou des autres, donc la mort. D'où, paradoxalement, l'attitude proactive de beaucoup qui, placés dans un contexte où ils ne pouvaient échapper aux pressions croisées des principaux protagonistes du conflit, ont été amenés à prendre les armes dans l'un ou l'autre camp (et souvent même dans l'un et l'autre camp au sein d'une même famille283(*)) pour bénéficier au moins de la protection, passive ou active, d'une des deux parties ; et ainsi échapper à ce « sentiment d'être pris en tenaille » dont Abdelkader Adelaah, lui-même ancien harki, nous dit qu'il était le fait de nombreux musulmans284(*). Saliha Abdellatif, aujourd'hui sociologue, dépeint ainsi les motivations qui ont poussé son père à s'engager aux côtés de la France : « À l'âge de 6 ans, j'ai vu les gens du FLN tuer une de mes tantes qui n'avait que 19 ans, puis les militaires français menacer d'éventrer ma mère enceinte : chacun des deux camps nous soupçonnait d'appartenir à l'adversaire. Entre la peste et le choléra, les gens choisissaient ce qu'ils estimaient être le moindre mal ». Elle ajoute, à propos de l'engagement de son père : « Je ne pouvais pas comprendre comment, dans un pays sans écoles ni système de santé, avec des plages interdites aux musulmans et des cafés réservés aux pieds-noirs, on pouvait combattre du côté français. Puis j'ai compris. Mon père était pris entre deux feux. Le feu le plus rude l'a poussé dans le camp le moins rude »285(*).

E. Les facettes d'un comportement : attitude à l'égard des populations civiles et des prisonniers, attitude au combat et loyauté

L'imaginaire du harki se construit non seulement sur les motivations qu'on lui suppose mais aussi sur les comportements qu'on lui prête. Les constructions dépréciatives de la figure du harki, notamment, ont très largement puisé, d'une part (du côté du FLN et de ses soutiens), dans le registre de la "brutalité", stigmatisant l'attitude des supplétifs à l'égard des prisonniers et des populations civiles286(*), et, d'autre part (du côté des officiers et responsables français favorables à la politique de « dégagement »), dans celui de l'irrésolution au combat voire de la "médiocrité", soulignant le manque de combativité des intéressés et/ou leur propension à jouer un « double jeu » à l'égard du FLN287(*). Cette violence symbolique procède d'un "travail de l'écart" par rapport à l'advenu : il ne s'agit pas pour nous de proposer un "contre-récit" (supposément plus "véridique") mais simplement de souligner que ces visions monolithiques se heurtent à d'autres visions - notamment historiennes - du comportement des supplétifs en situation de guerre.

a) L'attitude à l'égard des populations civiles et des prisonniers

Quelles ont été les différentes facettes du comportement des supplétifs en situation de guerre ? Et d'abord, quelle a été leur attitude à l'égard des populations civiles ? Les harkis (et autres supplétifs) ont-ils fait preuve d'excès de zèle dans les opérations de maintien de l'ordre ou, au contraire, ont-ils contribué à servir de "tampon" au profit des populations civiles musulmanes ? Et, à l'égard des membres du FLN/ALN, ont-ils été des adversaires brutaux (notamment dans la recherche du renseignement et le traitement des prisonniers) ou, là encore, des garde-fous contre les excès des troupes régulières ?

Evoquant les crimes de guerre commis par les forces françaises pendant la guerre, Ahmed Raffa, porte-parole du Comité national de liaison des harkis, assure que « les harkis n'ont jamais participé à cette barbarie, sauf une minorité qui était entrée dans cette guerre pour venger des membres de leurs familles massacrés par le FLN »288(*). Une affirmation qui, disons-le d'emblée, sonne davantage comme une affirmation de principe que comme un avis documenté. De même qu'apparaissent peu crédibles certaines affirmations symétriques qui tendent à généraliser sans précaution des constats indéniables mais localisés.

Au rang des témoignages "à charge", un pamphlet de Paulette Péju289(*), écrit sur le moment (mais saisi chez l'imprimeur par la Police judiciaire), a quasiment valeur de paradigme au sein de la mouvance anticolonialiste lorsqu'il s'agit de caractériser le comportement des harkis290(*). Intitulé Les harkis à Paris, et documenté sur la base de témoignages de militants de la Fédération de France du FLN, arrêtés puis torturés291(*), ce pamphlet dénonce les agissements de la Force de police auxiliaire (FPA), alors basée à Paris. La FPA était composée d'auxiliaires de police musulmans placés sous l'autorité du préfet de police de Paris (en l'occurrence Maurice Papon, qui officie dans ces fonctions de 1958 à 1967 après un passage par Constantine), et visait à démanteler l'organisation politico-administrative (OPA) de la Fédération de France du FLN, particulièrement agissante et virulente à Paris (notamment à l'encontre des militants messalistes292(*)). Une enquête censurée de L'Humanité du 7 mars 1961294(*), qui vise à « alerter l'opinion sur ce qui est en train de devenir «l'affaire des harkis» », et qui puise aux mêmes sources que l'ouvrage de Paulette Péju295(*), fait état des mêmes méthodes et exactions : rafles suivies quasi-immédiatement du "supplice de l'eau" (cette méthode est privilégiée car elle ne laisse pas de trace et ne nécessite aucun aménagement particulier des caves), coups, menaces de mort et vexations. Les journalistes Antoine Coursat et Richard Lerchbaum ont recueillis, en décembre 2000, à la fois le témoignage de Ghodbane Douadi, qui était alors un « combattant du FLN », et ceux de deux anciens de la FPA, qui ont souhaité garder l'anonymat296(*). Ghodbane Douadi, arrêté en février 1960, évoque le supplice de la bouteille297(*) (qu'il n'a pas subi personnellement), ainsi que les supplices de l'eau298(*) et du chiffon299(*) (qu'il a subis). Pour leur part, les anciens de la FPA, s'ils reconnaissent à demi-mot l'existence de « dérapages », nient le caractère systématique de telles exactions : « Soyons clairs, même si on ne nie pas que ça a pu exister, la torture, moi je n'en ai jamais vu ! Elle n'a jamais été un système. On peut dire qu'on a été utilisés pour faire pression sur la population, pour lui faire peur... tous les policiers font un peu peur. Mais si on torture, c'est qu'on est un mauvais policier qui ne sait pas interroger... ». Il ajoute : « Sincèrement, il y a peut-être eu des bavures... ça ne serait pas honnête de nier. Mais la majorité d'entre nous était contre la torture », tout en reconnaissant que l'emploi de la Javel [ajoutée à de l'eau pour faire gonfler le ventre] « était possible » : « C'est comme en Algérie, si on en parle, c'est que ça a bien dû arriver quelques fois. Mais si un supplétif le faisait, par vengeance ou par dérapage, et que ça se savait, il était directement renvoyé en Algérie. C'était très strict, Montaner, notre chef, était très sévère avec nous. Sévère mais juste ». Commentaire de l'intéressé (le capitaine Raymond Montaner), lui aussi interrogé par Antoine Coursat et Richard Lerchbaum : « La torture... j'ai lu le livre de Paulette Péju. Tout ça me paraît très exagéré. Ça me donnerait presque envie de rire. Bien évidemment, je ne pouvais pas être partout, mais je savais tout ce que mes hommes faisaient. (...) Ça m'étonnerait qu'il y ait eu de la torture dans les caves, même si, moi-même, je n'y ai jamais mis les pieds. Qu'il y ait eu des interrogatoires brusques, quelques coups, ça d'accord, mais que ça aille jusqu'à la bouteille dans le cul ou l'eau de Javel... je n'y crois pas [NDA : s'agissant de l'eau de Javel, les propos du capitaine Montaner sont contredits par ceux - précédemment cités - de son ancien subordonné] »300(*).

Paris ne fut bien sûr pas la cadre unique des exactions imputables à certains harkis. Benoît Rey, qui était affecté dans les commandos de chasse dans la région de Djidjelli, affirme pour sa part que « sur la centaine d'hommes de son commando, dont des harkis, une vingtaine furent des violeurs, deux ou trois protestèrent, mais tous les autres se turent. Et aux viols s'ajoutèrent fréquemment d'autres tortures »301(*). Ces témoignages "à charge" ne sont pas seulement le fait d'acteurs a priori défavorables aux harkis. À cet égard, le témoignage de Claude Papet, affecté auprès de l'officier de renseignement (OR) de Taher, et chef de harka, est particulièrement précieux302(*). Il en dit long à la fois sur ce que pouvaient être l'attitude de certains harkis (en l'occurrence des ralliés, anciens maquisards du FLN) à l'égard des "suspects", attitude renvoyant à une conception expéditive de l'économie de la violence en temps de guerre, mais aussi sur ce que pouvait être l'encadrement ou, plutôt, l'absence d'encadrement et de prise de responsabilité de leurs chefs : « Nos missions consistaient à partir avec 12 harkis, le lieutenant (OR), le radio et moi, trois Français au milieu de 12 anciens du FLN, à la recherche de renseignements. Nous allions fouiller les douars et mechtas pour tenter d'obtenir des renseignements, voire faire des prisonniers et les faire parler. Oui, la torture existait comme dans toutes les guerres, malheureusement elle semblait nécessaire car il fallait faire parler pour sauver plusieurs vies, voire des centaines. Un jour, je suis entré par hasard dans le local, un harki passait à la gégène un fellouse, je n'ai pas pu supporter, sortie rapide, trop peut-être, le courage a souvent manqué dans ces moments là. Une autre fois, Boumediene me dit : «Viens voir, chef». Nous rentrons dans la pièce, une douzaine de fellagas est alignée. Askeur avec un poignard s'approche du premier : «Tu causes ?». L'homme fait non de la tête. Sans un mot, Askeur l'éventre. Il passe au deuxième : «Et toi ?». L'homme a tout dit immédiatement. En sortant, Boumediene me dit : «Tu vois, mon chef, il vaut mieux en tuer un que torturer les douze, on obtient le renseignement plus vite. Aujourd'hui, nous avons évité au moins 100 morts civils». Combien de fois je me suis caché pour dégueuler tripes et boyaux ? »303(*). Le témoignage de Claude Papet nous informe aussi de l'existence de forfaits apparemment plus "anodins" mais qui, à leur échelle, participent d'un même climat d'impunité, telles ces rapines qui servent à améliorer l'ordinaire des soldats aux dépends de l'ordinaire des populations : « Le soir, nous arrivons en haut de la colline. Plus rien à manger et peu à boire. Les bérets noirs, bien organisés, lancent un message radio. Quelques minutes plus tard, des hélicos larguent des vivres et des outres de vin chaud et sucré qui malheureusement éclatent en arrivant au sol. La nourriture est comme d'habitude dégueulasse, on appelait cela du singe. Nos harkis ramènent un boeuf, attrapé je ne sais où »304(*).

À front renversé, d'autres témoignages nous donnent à voir les harkis comme témoins impuissants des exactions de leurs officiers. Ainsi, l'ancien harki Messaoud Kafi se souvient : « Mon commandant français était incontrôlable. Il se livrait fréquemment à des exactions contre les civils ». Otage de la violence de son supérieur, Messaoud Kafi "choisit" de se taire, à l'instar de beaucoup d'appelés : « J'étais écoeuré, mais je n'ai jamais rien dit. Je ne savais pas à qui le dénoncer. Mais je savais bien que si je le dénonçais, je serais accusé de complicité avec l'ennemi »305(*). De même, l'ancien harki Brahim Sadouni qui, par extraordinaire, apprend que des soldats français ont battu sa mère à coups de crosse au cours d'une opération parce qu'elle refusait que soient opérées des fouilles dans sa maison : « J'ai eu honte de porter l'uniforme qui avait humilié ma mère »306(*).

Dès lors, s'il apparaît incontestable que certains harkis se soient livrés plus ou moins routinièrement à des exactions à l'encontre des populations civiles et, surtout, des prisonniers, les attendus et la fréquence de tels agissements se doivent d'être à la fois nuancés et contextualisés :

- l'exemple des exactions imputables aux supplétifs de la FPA doit beaucoup au contexte dans lequel s'inscrit son action : en plein Paris, à l'encontre de la Fédération de France du FLN qui, principal argentier de la « révolution », exerce un contrôle sans merci sur les travailleurs immigrés et se livre, pour cette raison, à une surenchère de violence à l'égard de sa rivale messaliste aussi bien que des forces de l'ordre qui cherchent à la désorganiser ; de même, les violences imputées aux "commandos de chasse" doivent beaucoup à la nature spécifique des missions qui leur étaient imparties : troupes nomades chargées de traquer les katibas adverses, majoritairement constituées de ralliés, elles doivent leur efficacité à leur capacité d'anticipation et à leur réactivité ; et, de fait, les méthodes employées sont souvent expéditives, qu'il s'agisse de "glaner" le renseignement ou de se "décharger" du poids des prisonniers. Ainsi en va-t-il, selon Raphaëlle Branche, du célèbre commando Georges (entièrement constitué de ralliés) : « Même si l'autonomie des Algériens à qui on a recours est parfois redoutée, si certains chefs sont débordés par des violences qu'ils ne maîtrisent pas toujours, celles-ci participent aussi d'une économie de la guerre. Le commando Georges, sur lequel on pourrait accumuler les témoignages accablants, est ainsi laissé libre de ses mouvements - ses exactions étant considérées par le commandant du Corps d'armée d'Oran comme des « procédés habituels aux musulmans entre eux » qu'il serait trop long de modifier. Le général en chef Crépin estime même que les procédés de ce commando « parfois un peu trop énergiques » sont « malheureusement adaptés aux moeurs de leurs coreligionnaires qu'ils connaissent mieux que personne. Le commando Georges est un cas extrême mais le point de vue des autorités militaires vaut aussi pour les autres unités de ce genre »307(*). La fréquence des exactions imputables aux commandos de chasse, particulièrement exposés et mis à contribution, est ainsi infiniment plus élevée que celle des exactions imputables aux unités à vocation plus défensive, sur lesquelles pesaient des contraintes moindres et dont les membres étaient très certainement mus par des motivations bien différentes de celles des ralliés 

- dans le cas d'espèce de la FPA comme dans d'autres, les consignes ou la permissivité de l'encadrement apparaissent naturellement décisifs. Ainsi, les deux témoignages cités par Madeleine Riffaud dans son article de L'Humanité (voir ci-dessus) font état, pour l'un, d'un « chef en civil [qui] n'était pas un Algérien et [qui] donnait les ordres » (témoignage de Khaldi Madani) et, pour l'autre, d'un « chef français en civil qui regardait [les tortures] et se taisait » (témoignage de Amor Medjmedj);

- enfin, et cela intéresse plus directement notre propos, l'exploitation de la torture à des fins de propagande (sur la base de témoignages réels ou imaginaires) est une réalité qui, sans mettre en cause la véracité des témoignages pré-mentionnés, doit être ici prise en compte, car elle participe, dans la construction d'une image de l'adversaire, d'un effet grossissant dont l'impact peut être tout sauf anodin. Ainsi en va-t-il des consignes véhiculées par le bulletin clandestin de la Fédération de France du FLN, dont certains journaux firent état dans leur édition du 17 septembre 1959 : « Pour ceux de nos frères qui seront arrêtés, il convient de préciser l'attitude qu'ils devront adopter. Quelle que soit la façon dont le patriote algérien sera traité par la police, il devra, en toutes circonstances, quand il sera présenté devant un juge d'instruction, dire qu'il a été battu et torturé. Il devra mentionner qu'on a fait passer du courant électrique dans son corps. Il devra dire qu'il a été brûlé avec des cigarettes et battu avec un nerf de boeuf sans donner trop de détails qui risqueraient de le faire se couper. Il devra inlassablement répéter la même chose. Le patriote algérien arrêté ne devra pas hésiter à se brûler lui-même quand il est seul et à se donner des coups contre le mur, une table ou un bat-flanc de façon à montrer au juge les traces. Il ne devra jamais se confier à un avocat qui lui aura été désigné d'office mais il devra parler à l'avocat que le Front lui aura envoyé. Il ne devra jamais hésiter à accuser la police de tortures et de coups. Ceci a une très grande importance sur le juge et les Tribunaux. Au cours de réunions d'information, tous les responsables doivent insister auprès des frères sur ces consignes qui sont impératives. Que chaque responsable qui aura connaissance de ces instructions les diffuse largement mais verbalement dans les réunions. Il convient de les apprendre par coeur et de les détruire après »308(*).

b) La combativité et la loyauté

Nous l'avons dit, du côté français, les considérations négatives - contemporaines ou rétrospectives - de certains hiérarques politiques et militaires de l'époque, alléguant du manque de combativité voire du manque de loyauté d'une large majorité de supplétifs, doivent sans doute moins à la volonté de caractériser ce que furent l'engagement et le comportement des harkis qu'à justifier le sort qui leur fut réservé après la signature des accords d'Evian par leurs autorités de tutelle. Car là encore, ces visions monolithiques, volontiers généralisatrices, se heurtent à d'autres visions, symétriques ou plus nuancées. En fait, les témoignages quant à la combativité et la loyauté des supplétifs musulmans de l'armée française sont généralement fonction, au sein de cette institution comme au dehors : 1. de la proximité au combat par rapport aux unités supplétives ; 2. du soutien apporté sur le moment ou rétrospectivement à la politique de « dégagement » voulue par le général de Gaulle, dont les conséquences furent dramatiques pour les supplétifs (voir infra).

Le général de Gaulle qui, précisément, tenait les supplétifs en piètre estime, se moquant sans ambages - en privé - de « ces soldats de pacotille qui faisaient la parade devant la porte des SAS »309(*). De la même manière, quoique rétrospectivement, le général Buis, qui était alors colonel et qui, durant la courte période transitoire allant de la conclusion des accords d'Évian le 19 mars 1962 à la déclaration d'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, exerça les fonctions de directeur du cabinet militaire du haut-commissaire de la République en Algérie (après avoir commandé le Secteur de Bordj Bou Arreridj), dresse un bilan peu flatteur du comportement des harkis. Il estime ainsi qu'« en dehors de quelques-uns véritablement engagés à nos côtés, [les harkis] avaient toujours eu, plus ou moins, un pied dans la rébellion ». Et il ajoute : « De belles âmes s'indigneront. C'est pourtant - et évidemment - la vérité » 310(*). De même, Charles-Robert Ageron avance que « le nombre des affaires de collusion ou de subversion enregistrées et étudiées était considérable », et rapporte - à titre d'exemple - que « d'août 1960 à janvier 1961, 134 affaires de subversion avaient été mises à jour, [qui] touchaient 582 Algériens servant dans les forces françaises [NDA : ils sont alors plus de 200.000], dont 386 supplétifs parmi lesquels 263 harkis »311(*).

A l'inverse, Maurice Faivre, qui fut chef de harka, et qui rappelle que le pourcentage des désertions effectives de supplétifs était inférieur à 1 pour 1.000 en 1958, et à 1 pour 2.000 de 1959 à 1961, estime que ce chiffre « devrait être considéré comme négligeable dans le contexte d'une guerre révolutionnaire »312(*). De même, François Meyer, qui fut lui aussi chef de harka, estime que le taux général des désertions de musulmans (appelés et engagés compris) observé à partir de 1957 (et qui n'est jamais supérieur à 1 ou 2 pour 1.000) est « insignifiant dans une guerre civile ». Il ajoute : « A Bou Alam, au sein de la dernière harka que j'ai commandée, et qui avait été constituée dès 1956, on ne déplorera pas une seule désertion de harki avant le 6 mars 1962 » 313(*). D'autres témoignages, émanant tant des plus hauts échelons de commandement en Algérie que de cadres subalternes directement au contact des supplétifs, contrastent eux aussi avec les avis exprimés par les généraux Buis et de Gaulle, ainsi qu'avec les analyses de Charles-Robert Ageron. S'agissant des officiers généraux, Maurice Faivre rapporte que les Commandants de Corps d'armée et de Division estimaient nécessaire, en février 1958, l'accroissement des harkas, qu'ils qualifiaient d' « instrument indispensable de la pacification » 314(*). Ils ajoutaient : « Les documents récupérés sur les rebelles prouvent que les harkas gênent les hors-la-loi sur le plan militaire et de la propagande »315(*). Dans sa Directive n°1 du 22 décembre 1958, le général Challe qualifiait les FSNA de « meilleurs chasseurs de fellaghas »316(*). De même, son successeur, le général Crépin, qui avait proposé que les effectifs de harkis soient portés à 62.000 (maximum historique), soulignait le 9 juillet 1960 « l'aptitude des Commandos [de chasse] à poursuivre les rebelles dispersés en terrain difficile »317(*). Le 20 septembre de la même année, il dépeignait le harki comme « l'auxiliaire direct du combattant régulier grâce à sa rusticité, sa connaissance de l'adversaire, ses liens avec la population »318(*). Le témoignage du général Crémière, qui avait succédé au colonel Buis à la tête du Secteur de Bordj Bou Arreridj à deux ans d'intervalle, est intéressant en ce qu'il apparaît autrement plus nuancé. Il classe les intéressés en trois catégories : « La 1ère catégorie, fortement armée, comptait une dizaine de harkas constituées par les hommes d'une même tribu, voire d'une même famille. Elles obéissent chacune à l'un d'eux dont l'autorité intransigeante, parfois brutale, était indiscutée... D'un niveau opérationnel remarquable, il n'était pas rare de les associer aux opérations du Secteur ou intersecteur, comme ce fut souvent le cas au cours de l'hiver 1961-62. La 2ème catégorie concernait des harkas encadrées par quelques militaires français ; elles étaient surtout utilisées dans les opérations ponctuelles du Quartier dans lequel elles étaient en quelque sorte "enchâssées". Elles participaient avec succès aux opérations de fouille et de bouclage. On en comptait une vingtaine. La 3ème catégorie, une dizaine de harkas, s'apparentait plutôt à des autodéfenses renforcées. Elles étaient le plus souvent épaulées à vue ou à très courte distance par un poste tenu par une unité du secteur (...). Dans tous les cas mieux valait, à l'évidence, avoir avec nous ces 1.700 hommes et leurs familles. Ces harkas constituaient pour nous la première et irremplaçable source de renseignements, et plus de 60% des opérations étaient déclenchées sur leurs informations qui s'avéraient toujours exactes. En raison des pertes en hommes et en armes que la rébellion subissait de ce fait, toutes les harkas, et en priorité leurs chefs musulmans, se trouveraient en péril si notre soutien venait à leur faire défaut »319(*).

Tout aussi précieux est l'avis des cadres subalternes, directement au contact des supplétifs. Claude Papet, ancien chef de harka (voir ci-dessus), fait ainsi rétrospectivement état de la combativité mais aussi de la loyauté des supplétifs placés sous ses ordres ; mieux, il laisse clairement entendre combien leur esprit de décision et, parfois, leur esprit de sacrifice a contribué à sauver des vies dans les rangs des Français de souche européenne320(*). Claude Papet : « Avec le "radio", nous étions trois français en opération avec 12 harkis, ralliés du FLN, livrés pieds et poings liés à leur volonté. Mais leur fidélité à la France était grande et ils nous l'ont souvent prouvé en prenant les risques les premiers, passant devant nous dans les endroits dangereux »321(*). De même, François Meyer : « Les harkis ne jouaient pas le double jeu comme l'ont parfois écrit ceux qui les dédaignaient. Souvent en tête, puisqu'ils connaissaient bien le terrain et les habitudes des djounouds, ils étaient particulièrement efficaces et fidèles, et avaient peu à peu pris conscience de leur rôle »322(*). Pour sa part, le général Faivre signale que « les harkas amalgamées et les commandos, [qui] étaient entraînés au tir et au combat, se montraient généralement plus opérationnels que les unités de Français de souche, paras exceptés »323(*). Cela ressort très bien du témoignage de Gilbert Gardien (qui fut chef de harka en Petite Kabylie), interrogé par Patrick Rotman et Bertrand Tavernier : « J'en bavais parce que les gars marchaient très vite, j'avais le sentiment d'être complètement perdu, on a marché, on a monté notre petite embuscade. On est rentrés au matin, et j'ai posé la question à mon prédécesseur qui partait : «Comment tu fais pour t'y retrouver ?». Il m'a répondu : «Ce n'est pas compliqué, je connais pas plus que toi le terrain, simplement avec les harkis, ce sont des gens du pays, ce sont des locaux». Les harkis avaient la maîtrise du terrain, ils savaient par où il fallait passer. C'était 50% du résultat qu'on pouvait obtenir »324(*).

Au fond, ce qui est en jeu pour ceux qui - responsables politiques et militaires, sur le moment ou a posteriori - mettent en doute la loyauté et/ou l'efficacité militaires des supplétifs musulmans de l'armée française, c'est la justification d'une politique unilatérale de démobilisation puis de (non-)rapatriement qui, pour les intéressés, a eu des conséquences dramatiques (voir infra) : en jouant de la construction d'une image volontiers peu flatteuse ou anecdotique de ceux-ci, ce sont les frontières mêmes de l'indignation que l'on cherche à contenir dans les limites les plus étroites possibles. C'est précisément à l'étude de cette politique de "mise à distance" des supplétifs musulmans de l'armée française, au moment de la signature des accords d'Evian puis aux lendemains immédiats de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, que sont consacrés les développements à suivre.

II. L'obstruction faite au repliement des harkis : un crime d'indifférence ?

Dans la perspective d'ensemble qui est la nôtre, l'étude de la destinée matérielle faite, par leurs autorités de tutelle, aux anciens supplétifs de l'armée française au moment de la phase finale de la guerre d'Algérie est d'une importance capitale si l'on veut rendre compte de l'intensité et des modalités liées à la construction puis à la perpétuation d'une image du harki en France, tout au moins s'agissant de ce qu'on appelle par convention la "mémoire officielle".

Ainsi, au fil de ce chapitre, nous verrons qu'après avoir continûment assuré qu'elles n'accéderaient jamais à pareille prétention, les autorités françaises octroyèrent de fait au FLN le statut de représentant exclusif de la population musulmane, l'invitant seul à la table des négociations d'Evian, à l'exclusion de toute autre tendance. Par suite, au moment de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, après sept années et demi d'une guerre fratricide et dans la logique d'une entreprise qui s'était toujours posée comme hégémonique, rien ni personne ne put s'opposer à ce que l'esprit de vengeance l'emportât sur l'esprit de mansuétude dans les rangs du FLN. Les musulmans pro-français - ou considérés comme tels - furent en proie des mois durant (et sur la quasi-totalité du territoire algérien) à de graves sévices, en violation ouverte des clauses de non-représailles contenues dans les accords de cessez-le-feu. Ceux qui purent échapper aux représailles du FLN ne durent leur salut qu'à la fuite, à l'exil vers la France. Et au fil des semaines et des mois, ce furent quelque 95.000 à 100.000 anciens supplétifs et membres de leurs familles qui purent s'y établir. D'autres - plus nombreux - n'eurent pas cette chance, pour cette raison même que les autorités françaises édictèrent des mesures visant à entraver le transfèrement massif des anciens supplétifs et membres de leurs familles vers la métropole. (section A.)

De fait, en Algérie, par-delà les vagues successives et massives d'exécutions sommaires, trente-cinq camps d'internement et de travaux forcés furent ouverts à l'attention des musulmans non inféodés au FLN. Une estimation moyenne fait état d'environ 65.000 musulmans pro-français et membres de leurs familles massacrés en Algérie après la conclusion des accords de cessez-le-feu. Les autres estimations, basses et hautes, s'échelonnent entre quelques milliers et 150.000 victimes, les plus basses semblant procéder d'une volonté de minimisation de ces exactions325(*), les plus hautes de leur exagération326(*). (section B.)

A. Du statut de supplétif à celui de figurant

Au cours du processus de négociation d'Evian, revenant sur des engagements jusqu'alors maintes fois et solennellement ressassés, les autorités françaises vont faire en toutes choses comme si les musulmans pro-français n'existaient pas ou, plutôt, comme si leur représentativité (et donc la nécessité de les associer aux négociations en cours) était nulle. Et c'est ainsi que, conformément aux objectifs clairement - quoique confidentiellement - définis de la politique gaullienne de « dégagement »327(*) (laquelle visait à décharger au plus vite la France de toute responsabilité dans la conduite de la destinée et le maintien de l'ordre en Algérie328(*)), et sans que cela ne doive ni à l'improvisation du moment ni à la confusion des esprits, les autorités françaises vont : 1. exclure les musulmans pro-français - de même que les messalistes - du processus de négociation d'Evian, où seuls des représentants du FLN seront conviés ; 2. négocier a minima la question des garanties, l'avenir et la sécurité des intéressés n'étant redevable que d'une clause générique de non-représailles qui tient en quelques lignes et qui, surtout, n'était assortie d'aucun volet répressif en cas de violation ; 3. déchoir automatiquement tous les Algériens de statut civil de droit local (c'est-à-dire la quasi-totalité des musulmans329(*)) de leur nationalité française au jour de l'indépendance, même ceux désireux de la conserver, ce qui revenait à les assujettir entièrement au bon vouloir des nouvelles autorités (délivrance de papiers d'identité, autorisations de sortie du territoire, jouissance des droits civiques et sociaux, etc.) ; 4. maintenir la majorité des supplétifs en Algérie en limitant au maximum les possibilités de rapatriement.

C'est ce dernier point qui est le plus connu. Mais il importe de souligner - et c'est ce que nous ferons - que cette étape n'est que le point d'orgue d'une politique cohérente dont les points 1. à 3. sont les articulations majeures : simple supplétif de l'armée française, le harki n'est plus, au moment où tout se joue, qu'un simple figurant.

- 1. Ni la lettre, ni l'esprit : la vacuité voulue des accords d'Évian en termes de garanties offertes aux musulmans pro-français

Entre 1954 et 1962, nous l'avons vu, plusieurs centaines de milliers de musulmans (membres des formations supplétives ou des formations régulières de l'armée française, ainsi que l'ensemble disparate des personnes assumant des responsabilités administratives ou électives) ont pris les armes et/ou ont pris ouvertement parti contre le FLN. En mars 1962, dans un rapport adressé à l'ONU, l'ex-contrôleur général des armées et président de l'Association Nationale des Familles et Amis de Parachutistes coloniaux Christian de Saint-Salvy évaluera le nombre des musulmans pro-français menacés par d'éventuelles représailles à 263.000 (dont militaires de carrière 20.000, militaires du contingent 40.000, harkis 58.000, moghaznis 20.000, membres des GMPR et des GMS 15.000, membres des groupes civils d'autodéfense 60.000, élus, anciens combattants et fonctionnaires 50.000)330(*). Pourtant, en dépit de la triple dimension de guerre civile de ce conflit331(*), seuls les représentants du FLN furent invités à la table des négociations avec les représentants de l'État français. À l'exclusion, donc, de représentants qualifiés - c'est-à-dire reconnus comme légitimes par les intéressés - des Français d'Algérie (y compris, donc, l'OAS), des musulmans pro-français (notables, militaires d'active et supplétifs) ou des formations nationalistes rivales du FLN (principalement le MNA). Par surcroît, les plénipotentiaires français n'ont en aucune façon cherché à faire droit au point de vue et à négocier des garanties spécifiques au bénéfice de ceux qui, parmi les populations musulmanes, avaient ouvertement fait montre de leur attachement à la France et/ou de leur hostilité au FLN. Ainsi, la déclaration générale des garanties contenues dans les accords d'Évian - déclaration qui stipulait un engagement d'abstention de toute forme de représailles de la part des parties signataires - n'était assortie, en cas de violation, d'aucune sanction contraignante. Hors, en l'absence de tout chapitre qui leur soit spécifiquement consacré, ces dispositions étaient les seules à même de garantir la sécurité des musulmans pro-français demeurés en Algérie. Ensuite, à la différence de ce qui prévalait pour les Algériens de statut civil de droit commun (les pieds-noirs et quelques milliers de notables musulmans), la possibilité de conserver sur le sol algérien la nationalité française fut refusée aux Algériens de statut civil de droit local (soit la quasi-totalité des musulmans, donc des supplétifs) : à l'issue du scrutin d'autodétermination, ils devenaient ipso facto des ressortissants algériens, même contre leur gré. À ce titre, ils ne pouvaient bénéficier des (minces) garanties accordées à titre transitoire aux nationaux français résidant en Algérie, notamment la création d'une association de sauvegarde habilitée à ester en justice « pour défendre les droits personnels des Algériens de statut civil de droit commun »332(*).

a) La légitimation de fait du FLN comme seul représentant qualifié des intérêts de la composante musulmane de la population algérienne au cours des négociations d'Evian

Une fois parvenu au pouvoir, en juin 1958, Charles de Gaulle n'aura de cesse, pendant un temps, de dénier au FLN puis au GPRA l'exclusivité de la représentation des aspirations des populations musulmanes - exclusivité que cette organisation revendique et pose en préalable à toute négociation. En conséquence, il se refusera continûment - dans ses discours du moins - à traiter par privilège avec le seul FLN. Ainsi, dans son discours du 16 septembre 1959, le général de Gaulle assura qu' « il n'y [avait] aucune chance que la République accorde à ceux qui dirigent l'insurrection le privilège de traiter avec eux du destin de l'Algérie, les bâtissant par là même comme gouvernement algérien »333(*). De même, dans son discours du 29 janvier 1960 - qui faisait suite à la "semaine des barricades" à Alger - le chef de l'État déclara : « L'organisation rebelle (...) prétend ne cesser le feu que si auparavant je traite avec elle, par privilège, du destin politique de l'Algérie, ce qui reviendrait à la bâtir elle-même comme la seule représentation valable et à l'ériger, par avance, en gouvernement du pays. Cela, je ne le ferai pas »334(*). Cette fermeté n'avait-elle d'usage que dilatoire ? Car lors même que le général de Gaulle, dans son discours radiodiffusé du 4 novembre 1960, repoussait une nouvelle fois la prétention des « dirigeants rebelles » d'être « désignés d'avance, et désignés par moi-même, comme les gouvernants de l'Algérie », et qu'il leur refusait le privilège de « fixer seuls avec nous les conditions du futur référendum comme s'ils étaient la représentation de l'Algérie toute entière », des pourparlers avaient été entamés à Melun quelques semaines auparavant, en juin 1960, précisément avec les seuls représentants du GPRA. Cependant, à la suite de l'échec de ces négociations, le chef de l'Etat laissait entendre publiquement - dans une tournée en province - qu'il n'était pas possible de reconnaître « l'organisation extérieure de la rébellion » comme « représentant l'Algérie tout entière »335(*) ; propos réitérés lors de la conférence de presse du 5 septembre 1960, au cours de laquelle il affirmait à nouveau que la France ne traitera pas avec « la seule organisation extérieure de la rébellion » et que la discussion doit regrouper toutes les tendances algériennes336(*) : on s'explique mal, dès lors, pourquoi il n'avait pas effectivement invité d'autres acteurs politiques à y participer. L'aval finalement donné à la reconnaissance du FLN comme seul représentant de la composante musulmane de la population algérienne restera d'ailleurs très longtemps implicite puisqu'à Toulon et à Marseille, en novembre 1961, le général de Gaulle continue à parler d'un accord « avec tous les éléments politiques algériens », même s'il ajoute que les dirigeants de la rébellion « ont pour eux les sentiments de la majorité de la population algérienne » (Toulon), tandis qu'à Marseille il parle des « nationalistes algériens », c'est-à-dire « à peu près tous les musulmans algériens, nous le savons bien »337(*).

Guy Pervillé de souligner que, « contrairement à tout ce qu'il avait répété de septembre 1959 à novembre 1960 [NDA : et même plus avant], [le général de Gaulle] a finalement accepté de négocier avec le FLN comme interlocuteur privilégié »338(*). De même, Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi soulignent que le général de Gaulle, après avoir maintes fois soutenu le contraire, « va revenir sur ses engagements et c'est avec le seul FLN que ses ministres signent les accords d'Évian » 339(*). En conséquence, « ni les pieds-noirs, ni les musulmans pro-français, ni les indépendantistes opposés au FLN, ne sont associés aux négociations sur l'avenir de l'Algérie »340(*).

Plus encore, certains estiment que le général de Gaulle, soucieux de dégager au plus vite la France du « bourbier » algérien, aurait été au devant des exigences du FLN, au risque (assumé) de compromettre l'avenir de ses ressortissants et de ses anciens serviteurs d'armes musulmans. Ils se fondent pour ce faire sur une analyse "prémonitoire" (quoiqu'à son corps défendant) d'Alain Peyrefitte qui, sur la demande expresse du général de Gaulle, avait rédigé en 1961, à titre de ballon d'essai dans l'opinion et, sans doute, pour faire pression sur le FLN, un opus intitulé : Faut-il partager l'Algérie ?. Dans cet ouvrage, Alain Peyrefitte s'attachait notamment à déconstruire le jeu d'influence subtil exercé par le FLN à l'endroit des autorités françaises aux fins d'amener lesdites autorités à préparer d'elles-mêmes et au mieux (donc à moindre frais pour le FLN) les conditions de la future prise de pouvoir de cette organisation. Alain Peyrefitte : « Pour réussir la prise de pouvoir simultané sur l'ensemble du pays, il faut que les révolutionnaires algériens amènent le gouvernement français à éliminer lui-même tous leurs adversaires ; à organiser lui-même l'évacuation de la communauté européenne en métropole ; à sacrifier lui-même à l'autorité exclusive du FLN les autres tendances (Musulmans élus sur les listes « Algérie française », Musulmans à tendance « association », ou « soutien au général de Gaulle », MNA, etc.) ; à installer lui-même un exécutif provisoire unitaire, qu'ils ne peuvent accepter que s'il est composé de leurs doublures ; à créer lui-même les conditions d'une dictature du FLN. Les objectifs du GPRA peuvent se résumer en un seul : obtenir de la France un fidéicommis pour toutes les populations algériennes »341(*). L'auteur, qui avait écrit ces lignes à titre de garde-fou à l'automne 1961, ne pouvait prévoir que ce scénario "catastrophe" allait se réaliser point par point quelques semaines plus tard, et en grande partie du fait même de la volonté du commanditaire de cette étude342(*). Pour les partisans de l'Algérie française, ce document est la preuve que le général de Gaulle a « livré » sciemment les Européens d'Algérie et les musulmans pro-français au FLN.

Ce qui importe ici, c'est qu'il n'était non seulement pas impensable mais normalement prévu que la négociation fût multilatérale (au moins dans les déclarations publiques), mais les choses se sont passées autrement, avec des conséquences qui importent beaucoup pour notre analyse.

b) L'absence de tout volet répressif gradué en cas de violation des clauses de non-représailles par le FLN

Fondée sur le retournement radical d'une position de principe longtemps prônée par le chef de l'État, à savoir ne jamais négocier par privilège avec le FLN, l'entreprise d'Évian impliquait donc que le FLN - mouvement révolutionnaire, dont la vocation hégémonique était ouvertement affichée, et qui asseyait une grande partie de sa prétention à la domination sur une utilisation extensive de la violence politique - fût soudainement enclin à bâtir un État de droit et à respecter point par point l'édifice subtil des engagements consignés dans les accords d'Evian. Une telle évolution - pour ne pas dire métamorphose - était la seule à même d'offrir à la partie française les garanties nécessaires quant à une application loyale des accords d'Évian. D'autant que, sur le plan juridique, les accords d'Évian - accords conclus entre le gouvernement français et une organisation qui ne représentait pas légalement l'Algérie - n'engageaient réellement pour l'avenir que la partie française. En fait, ces accords ne pouvaient lier en aucune façon le futur gouvernement algérien, si ce n'est sur le plan moral. Or, sur ce plan précisément, il apparaissait déjà que les détenteurs de la force, donc du pouvoir efficace au sein du FLN (regroupés non autour du GPRA mais de l'armée des frontières du colonel Boumediene), n'entendaient pas sacrifier la morale révolutionnaire à celle du droit343(*). Pourtant, la détermination des autorités françaises à se décharger du « boulet » algérien était telle que les émissaires du gouvernement ne jugèrent ni utile ni opportun d'insérer quelque volet répressif gradué en cas de violation des accords par la partie algérienne. Il n'est ainsi prévu dans les textes, au titre du « règlement des litiges », que le recours à la conciliation ou à l'arbitrage, et, « à défaut d'accord sur ces procédures », la saisie de la Cour internationale de justice. Autant dire, rien qui ne soit immédiatement contraignant, ni même seulement contraignant d'ailleurs. Donc rien qui ne soit adapté à une situation d'urgence éventuelle.

Dans L'Algérie d'Évian, rédigé en quelques semaines en avril et mai 1962, l'économiste (et futur Prix Nobel) Maurice Allais en appelait de la part des autorités concernées à plus de discernement : « Qui ne voit, écrivait-il alors, qu'un droit vide de toute sanction contraignante est un droit vide de toute substance ? »344(*). En fait, la politique de « dégagement » prônée par l'exécutif avait pour objectif premier de soulager la France de toute tâche de maintien de l'ordre en Algérie, au lendemain du référendum sur l'autodétermination. Ce qui impliquait de dégager la France de toute responsabilité de terrain quant à la destinée et la sécurité futures de ses anciens serviteurs d'armes musulmans, désormais rendus à la vie civile. Car s'il était vierge de toute menace de rétorsion, le texte l'était aussi de toute référence à la situation des anciens supplétifs. En dépit d'une trajectoire qui les démarquait de la masse des Algériens de statut civil de droit local, et qui les signalait fortement aux nouvelles autorités, ceux-ci ne bénéficiaient aux termes des accords d'Évian d'aucun statut ni protection particuliers (à la différence des Algériens de statut civil de droit commun, c'est-à-dire des pieds-noirs). L'objectif, encore une fois, était de délier la France de tâches de maintien de l'ordre qui l'obligeraient à suppléer, voire à s'opposer à l'action des forces de l'ordre algériennes une fois l'indépendance acquise. D'ailleurs, ce qui aurait pu être la « garantie des garanties », à savoir la présence transitoire de l'armée française pour une période de trois années, n'était que de pure forme puisque, à compter du jour de l'indépendance, toute intervention aurait équivalu, en droit international (et en l'absence de dispositions contraires dans les accords d'Évian), à une "agression". Ainsi que le stipule l'accord de cessez-le-feu, « les plans de stationnement de l'armée française en Algérie prévoiront les mesures nécessaires pour éviter tout contact entre les forces »345(*).

À l'arrivée, donc, seul un engagement générique de non-représailles était censé protéger ceux qui s'étaient signalés par leur engagement aux côtés de la France. Or, comme le souligne Guy Pervillé, tout tendait à indiquer que « l'engagement de «non-représailles» pris par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) n'allait pas de soi : les moeurs ancestrales valorisant la vengeance, la loi musulmane condamnant à mort les renégats, la pratique révolutionnaire faisant du châtiment des «traîtres» un moyen d'éprouver la vertu des «patriotes» »346(*). Par surcroît, le conflit ouvert qui éclata à l'été 1962 pour la prise de pouvoir entraîna les chefs rivaux du FLN-ALN « dans une surenchère nationaliste qui favorisa la chasse aux «traîtres» »347(*). Aussi, pour Jean Monneret, « une déclaration [NDA : la déclaration des garanties] de caractère aussi général ne pouvait suffire pour protéger les Musulmans loyaux ». Il ajoute : « Dès lors qu'une des parties était, non pas un Etat démocratique, mais un mouvement révolutionnaire, c'était là parier sur une bien aléatoire métamorphose »348(*).

Certains préfets d'Algérie, pourtant, s'étaient ouverts sans détour, avant même la conclusion des accords d'Evian, du caractère certainement illusoire de toute forme d'engagement pris par la partie adverse quant au devenir des « musulmans attachés à la France ». En réponse à un questionnaire envoyé en novembre 1961 par Louis Joxe aux préfets d'Algérie, le préfet d'Alger faisait ainsi part de ses craintes : « Les musulmans engagés à nos côtés ne seront pas protégés. La seule protection efficace pour eux sera le transfert en métropole (...). Ils devront être informés du caractère relatif des garanties ». Et d'insister : « Quels que soient les engagements de non-représailles, quels que soient les dispositions prises en faveur de telle ou telle catégorie, les Algériens attachés à la France devront être informés du caractère relatif des garanties qui leur seraient accordées s'ils restaient en Algérie et des difficultés pour la France d'en imposer l'application réelle »349(*).

La survenue de lendemains chaotiques en cas de levée brutale de la souveraineté française était si prévisible que le chef de l'État lui-même, usant d'un ton solennel, en avait annoncé l'augure seulement un an et demi plus tôt : « [Les dirigeants rebelles] prétendent ne faire cesser les meurtres que si, au préalable, eux seuls ont fixé avec nous les conditions du futur référendum - ce qui serait évidemment très extensif  - comme s'ils étaient la représentation de l'Algérie tout entière. Tout se passerait donc comme s'ils étaient désignés d'avance, et désignés par moi-même, comme les gouvernants de l'Algérie. Encore exigent-ils qu'avant le vote je m'engage à ramener l'armée dans la métropole. Dès lors leur arrivée à Alger dans de pareilles conditions ferait de l'autodétermination une formalité dérisoire et, même s'ils ne le voulaient pas, jetterait le territoire dans un chaos épouvantable. Ce serait, sans aucun doute, au seul et rapide bénéfice des empires totalitaires »350(*). À cette date, de même qu'il se refusait encore à traiter par privilège avec le FLN, le chef de l'État préconisait d'instaurer une période transitoire préventive d'au moins trois ou quatre années à compter du jour de la cessation des hostilités. Charles de Gaulle, dans son discours du 16 septembre 1959 : « Grâce au progrès de la pacification, au progrès démocratique, au progrès social, on peut maintenant envisager le jour où les hommes et les femmes qui habitent l'Algérie seront en mesure de décider de leur destin, une fois pour toutes, librement, en connaissance de cause (...). Quant à la date du vote, je la fixerai le moment venu, au plus tard quatre années après le retour effectif de la paix ; c'est-à-dire, une fois acquise une situation telle qu'embuscades et attentats n'auront pas coûté la vie à 200 personnes en un an. Le délai qui suivra étant destiné à reprendre la vie normale, à vider les camps et les prisons, à laisser revenir les exilés, à rétablir l'exercice des libertés individuelles et publiques et à permettre à la population de prendre conscience complète de l'enjeu »351(*). A nouveau, au cours de la tournée dite « des popotes », du 3 au 7 mars 1960 : « (...) Après la fin des opérations militaires, il s'écoulera un long espace de temps avant que l'on procède à la consultation. Cela durera des années »352(*). À rebours de ces déclarations d'intentions, cependant, les accords d'Évian stipuleront noir sur blanc que le scrutin d'autodétermination devrait avoir lieu dans un délai minimal de trois mois et dans un délai maximal de six mois à compter du jour de l'entrée en vigueur du cessez-le-feu. Et, de fait, la période transitoire durera à peine plus de trois mois (du 19 mars au 2 juillet 1962). Déjà, lors du Conseil des ministres du 4 mai 1962, Charles de Gaulle, loin de laisser du temps au temps, entreprenait de hâter l'annonce de la date du scrutin d'autodétermination et la mise en oeuvre de la politique de « dégagement » : « Que personne ne doute que la France n'exercera plus aucune responsabilité, ni politique, ni de maintien de l'ordre, au plus tard six mois après le cessez-le-feu ! »353(*).

Aussi Jean Touchard souligne-t-il que le général de Gaulle en a finalement appelé à des modalités de négociation puis de transfert de souveraineté en opposition diamétrale avec les conditions jusque-là posées en préalables : « Le principe de l'autodétermination, tel qu'il avait été formulé le 16 septembre [1959], comptait deux butoirs : un assez long délai entre le retour à la paix et l'autodétermination, une sorte de triptyque cessez-le-feu-apaisement-autodétermination, qui rappelait le triptyque de Guy Mollet : cessez-le-feu-élection-négociation ; d'autre part, la non-reconnaissance du FLN comme interlocuteur privilégié, l'appel à toutes les tendances de l'opinion algérienne. Ces deux butoirs devaient être l'un et l'autre balayés avant la conclusion des accords d'Evian ». Et il ajoute : « Le général a formulé à plusieurs reprises des préalables qu'il a ensuite abandonnés. (...) Dans plusieurs circonstances décisives, il a apparemment octroyé sans négocier »354(*). Dans ces conditions, l'absence de tout volet répressif gradué en cas de violation des clauses de non-représailles par le FLN s'inscrivait dans une logique déjà amorcée, signifiant très clairement le primat de la visée du « dégagement » sur toute forme de solution inspirée par ce que l'on appelle aujourd'hui le principe de précaution, comme en témoignent à nouveau les propos du chef de l'Etat, au cours de ce même Conseil des ministres du 4 mai 1962 : « Que les musulmans préparent le gouvernement de l'Algérie ! Que les Européens se persuadent qu'il faut ou bien s'accommoder avec les musulmans sans que la France les protège, ou bien rentrer en France ! »355(*). D'après le témoignage d'Alain Peyrefitte, il ajouta que l'intérêt de la France avait cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs, et qu'en matière de décolonisation, comme en amour, « la seule victoire c'est de s'en aller »356(*). De même, dans le secret des délibérations du Comité des Affaires algériennes du 16 mai 1962, le chef de l'État réitérait ses vues avec une détermination qu'Alain Peyrefitte, qui assistait à la scène, croit bon rétrospectivement de qualifier de « sombre » : « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l'ordre après l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles autorités »357(*).

Et, de fait, à la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, « le président de la République - renonçant à toute exigence quant à la nature démocratique du nouvel État358(*) - donna l'impression d'ignorer ou de minimiser volontairement des actes contraires aux garanties d'Évian et incompatibles avec une coopération sereine pour éviter d'en tirer la conséquence logique : la caducité des accords »359(*). Ainsi, lors du Conseil des ministres du 29 août 1962, deux mois après l'accession à l'indépendance de l'Algérie, Charles de Gaulle invita expressément ses ministres à pratiquer la "politique de l'autruche" : « Il faut bien admettre que l'Algérie vit actuellement dans la confusion. Mais il est de notre devoir de faire comme si elle devait s'en sortir »360(*). Pour cette raison, et bien que les autorités françaises fussent parfaitement informées de la gravité de la situation sur le terrain, celles-ci iront jusqu'à proscrire aux troupes françaises encore stationnées en Algérie la possibilité d'exercer le devoir d'assistance à personne(s) en danger (voir infra).

Ainsi, la « garantie des garanties » - à savoir la présence transitoire de l'armée française, supposément chargée de veiller au respect des accords - n'était que pur artifice. D'ailleurs, comme le soulignait Maurice Allais dès le mois de mai 1962, en l'absence de spécification contraire dans les accords d'Évian, toute intervention de l'armée française au-delà du scrutin d'autodétermination aurait équivalu, en droit international, à une "agression". Aussi, cet auteur s'inquiétait-il auprès de l'opinion des conséquences prévisibles de l'indolence apparente des autorités françaises : « Au 1er juillet, les forces françaises deviendront des troupes de stationnement en territoire étranger. Elles n'auront plus juridiquement la possibilité d'intervenir. Elles ne pourront s'opposer ni aux règlements de compte ni à une possible flambée de violences collectives ou de terreur. La France n'aura plus aucun pouvoir de contrôle ou d'enquête »361(*). Autant dire que le respect des garanties - déclaration de non-représailles - offertes par les accords d'Évian à tous ceux qui, résidant en Algérie, s'étaient engagés contre le FLN ou s'étaient refusés à son autorité exclusive reposerait désormais sur la seule bonne volonté de la partie algérienne, celle-là même qui était la plus susceptible d'y contrevenir.

c) La promesse non tenue du maintien automatique dans la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local

À défaut de protection militaire et de statut négocié, de quelles garanties pourraient bénéficier les anciens supplétifs musulmans une fois rendus à la vie civile ? Pourraient-ils, en particulier, choisir de conserver la nationalité française et bénéficier des minces garanties attachées au statut de Français résidant en Algérie (garanties liées à l'instauration d'une Commission de sauvegarde sans réel pouvoir de contrainte) ? C'est du moins ce qui avait été continûment affirmé au cours des semaines et des mois qui avaient précédé la conclusion des accords d'Évian. De fait, les discours officiels s'étaient faits rassurants. Ainsi, dans l'hypothèse où l'Algérie accéderait à l'indépendance, il était dit que tous les Algériens - pieds-noirs ou musulmans, de statut civil de droit commun ou de statut civil de droit local (voir ci-dessous) - se verraient conserver la nationalité française, à moins qu'une démarche volontaire de leur part ne marque leur volonté de s'en départir.

Dans son discours du 16 septembre 1959, le général de Gaulle, évoquant pour la première fois l'autodétermination, n'en avait pas moins assuré que « dans l'hypothèse de la sécession, ceux des Algériens de toutes origines qui voudraient rester Français le resteraient de toute façon et que la France réaliserait, si cela était nécessaire, leur regroupement et leur établissement »362(*). Plus près encore du dénouement final, dans un télégramme en date du 24 février 1962, ayant pour objet « la situation des Algériens musulmans au regard de la France », le Délégué général en Algérie, Jean Morin, « après consultation du ministre d'État chargé des Affaires algériennes [Louis Joxe] », assure les préfets d'Algérie que « les textes qui seront rendus publics au lendemain du cessez-le-feu comporteront une déclaration liminaire [disposant que] la République française maintiendra la nationalité française à tous ceux qui, en Algérie, la possèdent actuellement et ne manifesteront pas, dans les conditions prévues par la Loi, la volonté de ne plus l'avoir. En conséquence, et en cas d'option pour l'indépendance-coopération, tous les Français Musulmans devenus de plein droit Citoyens Musulmans au lendemain du référendum, conserveront aux yeux de la France leur statut de Citoyens Français, aussi longtemps du moins qu'ils ne choisiront pas de le répudier selon une procédure simplifiée qui sera instituée en temps opportun »363(*). Selon Jean Monneret, « les préfets s'appuyèrent sur ce texte datant du 24 février 1962 pour rassurer les fonctionnaires civils et les militaires ainsi que les populations. Ceci a pu inciter diverses personnes à rester en Algérie, malgré les dangers »364(*).

Des promesses, plusieurs fois réitérées donc (jusque et y compris quelques semaines, voire quelques jours avant la conclusion des accords d'Évian), de conserver la nationalité française à tous les Algériens aussi longtemps qu'ils n'auraient pas fait connaître leur volonté de s'en départir, et ce quelle que fût l'évolution future de l'Algérie par rapport à la France. Le ministre des Armées lui-même, dans une note d'information établie à l'intention des chefs de Corps le 8 mars 1962, certifie qu' « après le référendum d'autodétermination, que l'on peut espérer intervenir après quelques mois, commencera une période probatoire, d'une durée de trois ans, qui offrira aux Français d'Algérie comme aux musulmans attachés à la France un délai suffisant pour choisir le pays de leur installation définitive ainsi que leur nationalité »365(*). Ce qui frappe, cependant, c'est la très grande imprécision de la formulation « musulmans attachés à la France », qui ne renvoie à aucune catégorie juridique précise. Imprécision qui soulève la question des attentes créées et donc des effets. Car que faut-il comprendre ? Faut-il comprendre que le délai de réflexion sera offert à l'ensemble des musulmans afin de permettre à ceux qui sont véritablement attachés à la France d'opter définitivement pour la nationalité française ? Ou bien, à l'inverse, faut-il comprendre que cette option et ce délai de réflexion ne seront offerts qu'à certains musulmans, dépeints a priori comme particulièrement « attachés à la France » ? S'il en est ainsi, qui Pierre Messmer entend-il désigner précisément ? Considère-t-il notamment que seuls sont « attachés à la France » les quelques milliers de musulmans ayant opté pour un statut civil de droit commun366(*) ? Qu'en sera-t-il, dès lors, de la situation des supplétifs musulmans - Algériens de statut civil de droit local dans leur quasi-totalité - au regard de la nationalité française ? Derrière le flou de la formulation, n'est-ce pas une optique hautement limitative qui se dessine ? En fait, la suite du message semble conforter cette dernière interprétation puisque Pierre Messmer ajoute à l'intention de ses subordonnés qu' « il est hautement souhaitable que la majorité des Algériens continuent à vivre dans leur pays natal »367(*).

Cette note d'information, à la formulation (volontairement ?) imprécise, n'est pas sans laisser dans l'expectative de nombreux cadres de l'armée. Dans un message en date du 10 mars 1962 à l'intention du ministre des Armées, le Chef d'Etat-major Hublot « demande urgence éclaircissements sur sort musulmans droit local. Perdront-ils automatiquement nationalité française ? Auront-ils mêmes possibilités que Français de souche pour installation Métropole ? Cette faculté sera-t-elle maintenue (...) au lendemain du référendum (...) quand se posera pour certains d'entre eux la question de vivre sous un régime dont ils ont été les adversaires ? [En outre], il est encore difficile de faire comprendre aux cadres qu'il y a intérêt pour Algérie nouvelle que les musulmans qui ont été à nos côtés restent sur place. Nombreux cadres auraient le sentiment une fois de plus de ne pas tenir leur parole et de trahir confiance de leurs compagnons de lutte »368(*). Le ton d'indignation à peine contenu dans ce message des plus officiels en dit long sur les états d'âme de ceux qui, quotidiennement, sont au contact d'hommes et de populations qu'ils ne savent plus comment rassurer. Ce message en dit long, également, sur l'incertitude qui règne en pleines négociations d'Évian quant à la situation future au regard de la nationalité des musulmans engagés aux côtés de la France. Ce en dépit des assurances précitées de Jean Morin, Délégué général en Algérie.

La réponse à la première question (« Musulmans droit local perdront-ils automatiquement nationalité française ? ») sera rapidement connue et portée à la connaissance des chefs de Corps et de Zones via le message n°C703 CSFA/EMI/MOR en date du 13 mars 1962 : à l'inverse des promesses faites quelques jours auparavant par le Délégué général Jean Morin, il y est expressément indiqué que « les habitants musulmans de statut local perdront la nationalité française s'ils demeurent en Algérie »369(*). Et, de fait, le texte des accords d'Évian, rendu public moins d'une semaine après la diffusion de ce message, circonscrira la jouissance des droits attachés à la période probatoire (soit, notamment, la possibilité de conserver la nationalité française tout en exerçant les droits civiques algériens, ou de choisir, sans restriction aucune, le pays de son installation définitive) aux seuls habitants de statut civil de droit commun (soit l'ensemble des pieds-noirs et quelques milliers de musulmans). Pour leur part, les habitants de statut civil de droit local (coranique ou berbère) étaient donc voués à devenir automatiquement - et exclusivement - des ressortissants algériens, ce quelles que fussent leurs allégeances et engagements passés, sans possibilité de recours ni protection d'aucune sorte370(*).

Cependant, signe patent de la difficulté qu'ont les autorités à assumer ouvertement les conséquences possibles de leur décision, celles-ci vont continuer - après même la publicisation des textes de l'accord - à entretenir l'équivoque sur cette question du maintien ou de la déchéance de la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local, en Algérie, à compter du jour de l'autodétermination. Ainsi, le 20 mars 1962, devant l'Assemblée nationale, Michel Debré, Premier ministre, laisse accroire - au prix de formulations ambiguës - que la nationalité française sera conservée à ceux des musulmans qui refuseraient d'accepter la nationalité algérienne371(*), lors même que c'est l'inverse qui sera vrai : ceux-ci seront automatiquement déchus de leur nationalité française au jour de l'indépendance et ne pourront la recouvrer, sur demande expresse de leur part, que s'ils parviennent à gagner la métropole. De même, le lendemain, Louis Joxe, toujours devant la représentation nationale, laisse accroire - en reprenant presque mot pour mot les termes du télégramme de Jean Morin, précédemment cité (télégramme du 24 février 1962) - que la nationalité française sera automatiquement conservée aux Algériens quels qu'ils soient, à moins que ceux-ci ne manifestent expressément la volonté de s'en départir : « Tout ce qui concerne la nationalité vient d'un acte de la France qui est simple en lui-même, mais qui est la clé du reste. La France maintiendra la nationalité française à tous ceux qui, en Algérie, la possèdent actuellement et qui ne manifesteront pas la volonté de ne plus l'avoir. C'est là le recours. C'est là le secours en cas de nécessité »372(*).

Les conséquences de ce double discours n'ont pas été qu'anecdotiques puisque, ainsi que le souligne à juste titre Jean Monneret, il a pu, en entretenant la confusion des esprits, « inciter diverses personnes à rester en Algérie malgré les dangers »373(*). Certes, le 21 juin 1962, quelques jours seulement avant l'accession à l'indépendance de l'Algérie, le Comité des Affaires algériennes entérina le principe d'une procédure de recouvrement de la nationalité française offerte aux Algériens de statut civil de droit local anciennement engagés dans les forces supplétives. Mais, outre le fait qu'il s'agissait bien là d'une procédure dite de « recouvrement » (qui entérinait, donc, à la différence des Algériens de statut civil de droit commun, la déchéance automatique de la nationalité française pour les Algériens de statut civil de droit local à compter du jour de l'indépendance374(*)), les modalités pratiques d'activation de la procédure étaient inadaptées à la situation hautement périlleuse dans laquelle étaient placés les anciens compagnons d'armes de l'armée française. Ainsi, une ordonnance du 21 juillet, complétée par un décret du 27 novembre 1962, édicta que la déclaration de recouvrement de la nationalité française ne pouvait se faire qu'en territoire français, ce qui ôtait aux Algériens de statut civil de droit local restés en Algérie toute possibilité d'y accéder, et donc toute possibilité d'accéder aux garanties attachées au statut de Français résidant en Algérie. Notons dès à présent que les conditions d'un abandon légal étaient par cette voie réunies à l'encontre de ceux des supplétifs - les plus nombreux - qui, n'ayant pu gagner la France, étaient livrés à l'arbitraire de ceux-là mêmes qu'ils avaient combattus.

De fait comme de droit, donc, seuls les Algériens de statut civil de droit local qui parvinrent à trouver refuge en France purent bénéficier de cette procédure de recouvrement de la nationalité française, à condition toutefois : 1. qu'ils en fissent la demande expresse (à l'inverse, nous l'avons vu, des engagements, maintes fois répétés, de leur conserver la liberté de choix, c'est-à-dire de subordonner en Algérie comme en métropole la déchéance - et non le recouvrement - de la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local à une déclaration expresse des intéressés) ; 2. qu'ils pussent fournir la preuve de leur engagement aux côtés de l'armée française entre 1954 et 1962.

Cette procédure, ressentie comme vexatoire dans son principe pour des hommes qui se définissaient comme « français par le sang versé »375(*), apparut très vite exagérément tatillonne sur le fond, comme s'il s'agissait de faire ressentir aux anciens supplétifs de l'armée française combien leur réintégration dans la nationalité française n'allait pas de soi, et avait en quelque sorte valeur de « grâce octroyée »376(*). De fait, aux termes de cette procédure, il appartenait aux intéressés eux-mêmes de faire la preuve de leur appartenance passée à une unité de supplétifs. Ce en dépit d'un départ précipité, dans des conditions qui ne se prêtaient guère à la constitution en bonne et due forme d'une sorte de dossier de déroulement de carrière. Aussi, pour pallier l'absence de pièces justificatives, fut-il décidé de confier au personnel du Service des Français d'Indochine et Musulmans (SFIM), chargé de la tutelle administrative des anciens supplétifs admis dans les centres de reclassement collectif, la mission de produire des "déclarations de notoriété". Selon François-Jérôme Finas et Marwan Abi Samra, le remède fut plus délétère que le mal dans la mesure où ces déclarations devaient non seulement « évaluer le «dévouement exceptionnel» des candidats par le passé, mais aussi leur «fidélité» présente, leur bonne conduite morale et sociale que sanctionnera un «certificat de moralité, de loyauté et d'assimilation». Procédure discrétionnaire qui exclut tout automatisme »377(*). Et qui, entendant subordonner le recouvrement de la nationalité française non seulement à la nature des services rendus mais encore aux témoignages de conformisme social des intéressés, était un moyen efficace d'assujettir les populations en instance d'enregistrement à la discipline imposée du système de reclassement collectif378(*). Mais encore, dans certains cas, un moyen d'exclure de toute possibilité immédiate de recouvrement de la nationalité française les populations repliées et réinstallées par des voies parallèles, en dehors du cadre officiel et du système de reclassement collectif. Ces conditions restrictives seront d'ailleurs appliquées avec zèle par les autorités en charge d'instruire les dossiers puisque sur les 69.303 déclarations d'option pour la nationalité française souscrites entre 1962 et 1970, 9.619 seront déboutées, soit près d'une sur sept379(*). « J'ai été témoin, relatera André Wormser, président du Conseil national pour les Français-musulmans, de l'angoisse, de l'affolement nés de la rigueur de cette règle. Les tribunaux n'étaient pas au courant, réclamaient certains papiers, se montraient tatillons (...). La France généreuse, la France terre d'asile, la France de la Marseillaise et du drapeau tricolore, à qui l'on avait si souvent fait rendre les honneurs s'était détournée avec indifférence et hostilité »380(*).

Nous l'avons dit, le clivage opéré quant au maintien de la nationalité française entre Européens d'Algérie et musulmans repose, aux termes mêmes des accords d'Évian, sur la réactivation du clivage entre Algériens de statut civil de droit commun d'une part, Algériens de statut civil de droit local (coranique ou coutumier) d'autre part. Cette distinction, consubstantielle du régime colonial, visait originellement à conserver aux indigènes musulmans la possibilité d'être régis par le droit musulman (ou les coutumes berbères en vigueur dans certaines régions d'Algérie), conformément à la promesse du maréchal de Bourmont, lors de la capitulation d'Alger le 5 juillet 1830, de respecter la religion, les coutumes et les biens des musulmans en contrepartie de leur reddition et de leur assujettissement. Le domaine d'application du droit musulman couvrait les affaires familiales (mariage, répudiation, héritage) mais de moins en moins le droit foncier, progressivement harmonisé avec le droit civil français afin de favoriser la division de la propriété tribale et son acquisition par le colonat européen. En outre, la loi du 28 juillet 1881 avait entériné la création du « code de l'indigénat », liste d'infractions et de pénalités spécifiques aux indigènes (ce régime ne sera abrogé qu'en 1927). Ainsi, la notion d'Algériens de statut civil de droit local désignait ceux qui, bien que nationaux français, n'en étaient pas moins autorisés, s'agissant de certains domaines communément régis par le code civil, à recourir au droit musulman ou coutumier (appliqué par une magistrature ad hoc), et qui, parallèlement, étaient assujettis à un régime répressif d'exception. Cependant, en raison même du caractère dérogatoire de ce statut par rapport au droit commun, les autorités coloniales, arguant de l'impossibilité corrélative « de revendiquer tous les droits des citoyens français sans en accepter tous les devoirs, y compris les obligations du code civil sanctionnées par le code pénal »381(*), exclurent jusqu'en 1958 les bénéficiaires de ce statut personnel du plein exercice de la citoyenneté, via l'instauration d'un double collège électoral382(*). En fait, il s'agissait moins, pour les autorités coloniales, de composer avec les règles de sociabilité des populations indigènes que de "verrouiller" le corps électoral au profit des seules populations européennes383(*). Ainsi, pour Patrick Weil, « si en 1830 un tel statut [le droit de s'auto-administrer] pouvait paraître l'octroi par le vainqueur d'un privilège au vaincu, très vite cependant, ce privilège fond, et le musulman se voit soumis à un statut exceptionnel d'infériorité ». « En 1899, ajoute-t-il, l'assemblée d'Algérie comporte 48 représentants pour 630.000 européens, et 21 pour les 3,6 millions de musulmans »384(*).

Certes, dès 1866, un décret avait accordé aux indigènes citadins l'électorat et l'éligibilité dans les conseils municipaux, mais les conditions d'application en réduisaient considérablement la portée : les conseillers municipaux musulmans ne pouvaient constituer que le 1/5 (le 1/3 en 1919) d'un conseil municipal et le suffrage - censitaire - était réservé aux propriétaires, aux employés d'État, aux commerçants patentés ou aux décorés (il sera progressivement élargi mais ne concerne, en 1919, que 43% des musulmans âgés de 25 ans et plus) 385(*).

La situation n'était cependant pas totalement figée, au moins en théorie. En vertu du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, tout indigène - juif (avant le décret Crémieux de 1870) ou musulman - pouvait, sur sa demande, être admis à jouir des droits attachés à la pleine citoyenneté (et donc à devenir électeurs dans le premier collège). Mais il fallait, pour ce faire, qu'il renonce volontairement à son statut personnel et se plie au droit civil commun. Très peu386(*) vont faire usage d'un droit qui revêtait des faux airs d'apostasie387(*) et/ou s'apparentait à du quémandage388(*), de par le caractère strictement individuel de la démarche389(*). En outre, cette disposition n'était guère appuyée par les autorités coloniales. Les demandes étaient soumises à examen préalable. Certaines étaient rejetées. Ainsi, nulle automaticité ne prévalait en la matière390(*). Ainsi, selon Patrick Weil, « le parcours d'un postulant était parsemé d'obstacles : le dossier devait être constitué de huit pièces différentes - dont un certificat de bonne vie et moeurs ; l'indigène devait se présenter devant le maire ou l'autorité administrative et "déclarer abandonner son statut personnel pour être régi par les lois civiles et politiques françaises" ; une enquête administrative était effectuée sur la moralité, les antécédents et surtout la situation familiale du demandeur ; enfin, le dossier était transmis avec l'avis du préfet et celui du gouverneur au ministère de la Justice, puis au Conseil d'Etat, avant qu'un décret ne soit signé par le président de la République »391(*).

Cette manière de faire contrastait avec l'esprit volontariste du décret du 24 octobre 1870 (ou décret Crémieux) qui avait élevé l'ensemble des juifs d'Algérie au rang de citoyens à part entière392(*), de même qu'avec l'esprit volontariste qui avait guidé l'application de la loi du 26 juin 1889, qui accordait en bloc la nationalité française aux enfants d'immigrants étrangers de 21 ans et plus nés en Algérie, sans condition d'origine ou de religion393(*).

Le paradoxe veut que cette base distinctive ait été réactivée au moment de la négociation des accords d'Évian sur l'insistance expresse de ceux-là mêmes - membres du FLN et soutiens intellectuels français - qui, au moins jusqu'en 1958 et l'instauration du collège unique, en avaient combattu le principe. En l'espèce, cette distinction, autrefois dépeinte comme ségrégative par la mouvance nationaliste et le courant anticolonialiste, s'avérait soudainement opportune puisqu'elle permettait au FLN de négocier en bloc la situation des populations musulmanes au regard de la nationalité et, par là, de satisfaire au mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN394(*). À l'aune de cette logique exclusiviste, il ne devait être reconnu quelque statut particulier aux musulmans qui refusaient de sacrifier à l'autorité exclusive du FLN, qu'ils soient pro-français ou messalistes. L'objectif immédiat étant de priver la France de tout droit de regard sur le devenir de ces populations et, symétriquement, de priver les musulmans non inféodés au FLN de toute forme de recours extérieur. Et, de fait, dépouillant ces derniers de la nationalité française au jour de l'indépendance, les accords d'Évian les privaient ipso facto de toute forme de protection autre que liée au bon vouloir du FLN. En outre, à plus long terme, l'objectif du FLN était d'empêcher ceux qui s'étaient opposés à lui d'avoir voix au chapitre politique en Algérie, autrement dit, de les rendre une fois pour toutes quantité négligeable395(*). Ce que la reconnaissance d'un statut ou de garanties spécifiques pour les musulmans non inféodés au FLN, voire l'octroi d'une représentation spéciale, eussent pu contrarié. Il n'en sera donc rien, bien au contraire, puisque les premières élections jamais organisées dans l'Algérie indépendante le furent à candidats uniques (20 septembre 1962), et puisque, dans la foulée, le FLN fut institué parti unique dans le droit constitutionnel algérien (10 septembre 1963).

Certes, face au retrait graduel et à l'inertie prévisible de l'armée française dans le bled à compter du jour de l'indépendance, et comme en témoignent les assassinats et les enlèvements dont furent victimes de nombreux pieds-noirs, le maintien automatique dans la nationalité française n'eût sans doute offert qu'une protection toute théorique aux musulmans non inféodés au FLN. Du moins ce maintien dans la nationalité française eût-il offert aux intéressés des possibilités supplémentaires d'exercer leur droit à la protection et à la liberté de circulation entre l'Algérie et la France. Car tandis que la partie algérienne n'eût pas été en mesure de jouer - comme elle l'a fait systématiquement après l'indépendance - sur la non-délivrance de papiers d'identité aux éléments "suspects", la partie française n'eût pas été en droit de contingenter les rapatriements de ses anciens serviteurs d'armes musulmans au prétexte que ceux-ci ne pouvaient plus, à la différence des pieds-noirs, être considérés comme des « ayant-droit »396(*).

Nous l'avons vu, la déchéance automatique de la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local n'est que le point d'orgue d'un processus marqué d'abord par l'octroi au FLN du monopole de la représentation des intérêts de la composante musulmane de la population algérienne, puis par la non-négociation de dispositions particulières à même de garantir la place et la sécurité futures de ceux qui, au sein de la population musulmane, avaient fait montre de loyauté à l'égard des autorités en place et/ou de défiance à l'encontre du FLN. Les négociateurs d'Evian avaient pourtant été averti des conséquences possibles de cette politique du "moins-disant". Ainsi, dans une note datée du 27 janvier 1962 et intitulée « Protection Particulière de Certains Musulmans », le conseiller d'État Roland Cadet, qui avait accompagné la délégation française au cours des premières négociations d'Évian en 1961, présentait la question des garanties à négocier au profit des « Musulmans fidèles » comme étant en propre une « question d'honneur »397(*). Affirmant que « tous seront menacés dans leur personne, dans leur famille et dans leurs biens », il partait du principe que « l'essentiel de leur protection résidera dans l'action unilatérale de la France »398(*). En conséquence, il préconisait que soit ouvert « à tous les habitants actuels de l'Algérie, [y compris les musulmans, donc] » : 1. « le droit de conserver la nationalité française tout en demeurant en Algérie » ; 2. « le droit de réclamer la protection [accordée à] la communauté minoritaire. La France doit mettre à la disposition de ces Musulmans les mêmes garanties que celles qu'elle aura obtenue pour les Français d'Algérie, c'est-à-dire qu'ils pourront, s'ils le désirent, appartenir à la communauté minoritaire et bénéficier de tous les droits et de toutes les garanties reconnues aux minoritaires, à l'exception de celles incompatibles avec leur qualité de Musulmans, statut personnel, par exemple »399(*). Roland Cadet insiste notamment sur « le droit de recours devant la Cour des garanties : qu'ils appartiennent ou non à la communauté minoritaire, les Musulmans pourront toujours faire appel à cette cour de Justice »400(*).

Très ferme dans sa vision de ce que devait être la ligne de conduite des autorités à l'approche des négociations, Roland Cadet en conclut que « le problème est beaucoup moins juridique que moral et psychologique : la France ne peut abandonner ceux qui l'ont fidèlement suivie, elle doit les protéger au même titre - si ce n'est davantage - que ses propres nationaux. Si elle ne tentait pas tout en leur faveur, elle faillirait à son honneur. Elle doit rester intransigeante dans ce domaine et aller, le cas échéant, jusqu'à la rupture des négociations, si elle n'obtient pas satisfaction »401(*). Bien que désavouée par ceux à qui elle s'adresse, donc vouée à l'impuissance, cette note de Roland Cadet n'en est pas moins décisive rétrospectivement pour l'analyste : elle confirme que les autorités françaises avaient été averties de la vacuité de garanties qui, mal négociées, ne reposeraient que sur le bon vouloir du FLN. Cheville ouvrière de la délégation française, Roland Cadet avance lui-même à cet égard les notions de « manquements à l'honneur » et d' « abandon », qui ne sont donc pas simplement des clauses de style ou des inventions rétrospectives des partisans de l'Algérie française, mais aussi des grilles de lecture reconnues légitimes sur le moment (quoique confidentiellement) par certains de ceux qui ont contribué à bâtir l'édifice d'Evian.

A cet égard, et au vu de l'ensemble des éléments développés dans ce chapitre, il nous apparaît possible de parler, sinon peut-être d'un abandon politique pur et simple, du moins de l'abandon d'une politique : celle qui visait à garantir, au cours des négociations, la représentation politique et le statut futurs de ceux qui, au sein des populations musulmanes, avaient fait preuve de leur loyauté à l'égard des autorités en place et/ou de leur défiance à l'égard du FLN. Mais, quoique tenus pour quantité négligeable au cours des négociations d'Évian, les musulmans pro-français auraient du moins pu bénéficier d'une politique proactive de sécurisation et de protection physique (à défaut de statutaire), une telle politique ne tenant - en première comme en dernière instance - qu'à la bonne volonté des autorités françaises. Il n'en sera rien, sinon a minima et tardivement :

- dans un premier temps, au cours de la période immédiatement postérieure à la signature des accords d'Evian (19 mars-2 juillet 1962), les regroupements et rapatriements préventifs seront strictement contingentés, et les initiatives parallèles sanctionnées (1) ;

- puis, une fois la passation des pouvoirs devenue effective (à partir du 3 juillet 1962), les troupes françaises encore stationnées en Algérie se verront interdire toute forme d'intervention en faveur de leurs anciens compagnons d'armes, en dépit de violations massives et répétées par la partie algérienne de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian. Seuls quelques camps de regroupement - trois pour l'ensemble du territoire algérien - continueront d'être ouverts aux réfugiés (si tant est qu'ils puissent s'y rendre), soit des capacités d'accueil dérisoires qui, couplées à une logistique de transfert (transport maritime) très largement insuffisante, seront délibérément (et continûment) maintenues en deçà du nécessaire (2).

C'est précisément à cette politique de "laisser-faire" ou, pour le dire autrement, à cette forme d'"abandon matériel" des musulmans pro-français qu'est consacrée la prochaine section.

- 2. Lire entre les lignes : un dispositif officiel de rapatriement assorti de critères restrictifs, ou le rapatriement sous condition(s) des anciens supplétifs de l'armée française

Nous l'avons vu, pour ce qui a trait à la sécurité des personnes (et notamment des musulmans pro-français), les autorités françaises s'en remettent formellement aux dispositions communes de la déclaration des garanties contenue dans les accords d'Évian. Or, ces accords ont été négociés à l'exclusion de représentants qualifiés des "pieds-noirs", des musulmans pro-français et des formations nationalistes rivales du FLN. Des accords qui, par surcroît, conformément à l'invite du général de Gaulle, ont été conclus « sans juridisme excessif »402(*). Précisant le sens et les attendus de cette invite minimaliste, le général de Gaulle ajoute au cours du Conseil des ministres du 19 mars 1962 : « Que les accords soient aléatoires dans leur application, c'est certain. Mais il était indispensable de dégager la France d'une situation qui ne lui procurait que des malheurs »403(*). Quoique ces déclarations laissent planer d'évidentes incertitudes quant à ce que sera l'attitude de la France en cas de violation des accords d'Evian (notamment pour ce qui a trait à la sécurité des personnes), le général de Gaulle sait sans doute qu'il sera suivi par l'opinion puisque l'esprit du temps est à la lassitude, non seulement au sein de l'exécutif mais au sein de la population française dans son ensemble. Guy Pervillé : « La plupart des Français qui avaient voté pour l'indépendance de l'Algérie l'avaient fait sans sympathie pour les Algériens, avec l'arrière-pensée que chacun des deux peuples pourrait désormais vivre chez soi »404(*).

Mais cette indifférence confine par-là même à l'indifférenciation. Car, de la même manière que le FLN entend considérer les musulmans en bloc, pour servir sa politique hégémonique, le gouvernement français entend considérer ou, plus exactement, se "défaire" des Algériens en bloc, pour hâter le « dégagement ». L'heure n'est plus aux subtils distinguos entre musulmans "séparatistes" et "loyalistes", "moudjahidin" et "harkis" : il y a désormais les Français et les Algériens. Dans cette optique, l'attitude du gouvernement français à l'égard des musulmans pro-français est claire : évacuer au plus vite la question de leur devenir immédiat (en en transférant, autant que faire se peut, la charge vers les nouvelles autorités algériennes) et, par-là, prévenir tout revirement de l'opinion à leur sujet. Aussi, en des termes peu amènes pour les intéressés, le chef de l'Etat enjoint-il au Commandant supérieur des Forces armées en Algérie de hâter au maximum le désarmement et le licenciement des supplétifs : « Ce magma qui n'a servi à rien, et dont il faut se débarrasser au plus vite »405(*).

A cet effet, la non-représentation des musulmans pro-français à la table des négociations, puis la déchéance automatique de la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local, n'étaient qu'une première étape. Il importait tout autant, pour les autorités françaises, à la fois de limiter la capacité de nuisance matérielle des anciens supplétifs à l'encontre de ceux - le FLN - qui avaient été reconnus dans les faits comme les interlocuteurs privilégiés et exclusifs de la partie française dans le cours des négociations, mais aussi de décourager tout reflux massif des intéressés vers la métropole. Pour ce faire, la stratégie des autorités françaises à l'heure du cessez-le-feu tient en trois grands axes :

- le désarmement systématique et unilatéral des supplétifs ;

- des solutions de recasement qui privilégient le retour à la vie civile en Algérie sur l'engagement dans les armées ;

- une politique de rapatriement préventif strictement contingentée (car réservée aux supplétifs censément « les plus menacés ») et réglementée (car subordonnée à la constitution et à l'acceptation d'un dossier), ce qui implique l'interdiction des rapatriements en dehors des voies officielles.

a) Le désarmement

Le désarmement des supplétifs fut amorcé dès avant la conclusion du cessez-le-feu. Plus précisément à partir d'août 1961, au moment de l'interruption unilatérale par l'armée française de ses opérations offensives. Cette interruption fut décidée par le gouvernement français pour témoigner de sa volonté de précipiter le cours des négociations et convaincre le FLN d'adopter une même disposition d'esprit. À cette date, les autorités commencèrent à procéder au désarmement des villages constitués en autodéfenses (GAD, ou Groupes d'autodéfense). Ces autodéfenses symbolisaient, sinon un soutien indéfectible à la France, du moins la volonté de résistance d'une partie des populations musulmanes à l'emprise du FLN406(*). Les GAD, unités statiques, étaient constitués de volontaires non rétribués et armés de fusils de chasse. Et c'est précisément parce qu'elles symbolisaient une forme de résistance irréductible à du mercenariat que ces unités de villageois gênaient la réorientation de la politique algérienne de la France, désormais uniment tendue vers la solution du dégagement, donc de négociations unilatérales avec le FLN. Nous l'avons dit, le général Challe, alors qu'il était encore Commandant supérieur des forces armées en Algérie, avait d'ailleurs pensé transformer les GAD en une vaste Fédération des unités territoriales et des autodéfenses en vue de soutenir la politique d'intégration (voir supra). Ainsi, les groupes d'autodéfense, par ce qu'ils représentaient et par l'utilisation que l'on pouvait en faire, étaient doublement gênants (et nuisibles) dans l'optique de la réorientation de la politique algérienne voulue par le général de Gaulle. Leur maillage fut donc le premier à être desserré.

Moins d'un an plus tard, en mars 1962, la réorientation de la politique algérienne de la France aboutit, au terme d'un processus de négociation unilatérale avec le FLN, à la conclusion des accords d'Évian et à la proclamation du cessez-le-feu. A ce moment, l'enjeu du désarmement changea de nature en même temps que fut rehaussée son intensité : il s'agissait moins désormais de donner des signes à l'adversaire (pour l'amener à négocier) que de matérialiser le dégagement en un minimum de temps et en un minimum de heurts. Ainsi, ce qui pouvait passer auparavant pour un simple redéploiement des forces - le désarmement des autodéfenses villageoises pouvant être justifié par les progrès de la « pacification » sur le terrain - apparaissait désormais dans sa vérité "crue" : la France hâtait son désengagement, et ce au profit d'un exécutif provisoire et d'une Force locale (chargée transitoirement du maintien de l'ordre) qui, l'un et l'autre, servaient de paravent au FLN407(*).

Que le désarmement des belligérants, au terme d'une guerre civile longue et sans merci, suive la conclusion du cessez-le-feu, à cela rien d'anormal en théorie. A condition, cependant, que ce processus concerne l'ensemble - et au même degré - des parties en présence, et qu'il procède d'un accord mutuel. A contrario, que penser d'un cessez-le-feu qui se traduirait par le désarmement unilatéral d'une des parties en présence, laquelle, par surcroît, n'aurait pas été associée aux négociations préalables : un tel processus pouvait-il véritablement déboucher sur un processus de pacification et de concorde ? Tels furent pourtant les termes du cessez-le-feu proclamé à Evian lequel, d'une part, autorisait les troupes de l'ALN à conserver leurs armes à la condition expresse qu'elles campent sur leurs positions jusqu'au référendum d'autodétermination - condition qu'elles s'empresseront le plus souvent de violer, investissant les villages au fur et à mesure du retrait des unités françaises - tandis que, d'autre part, il imposait aux supplétifs musulmans de regagner désarmés leurs villages408(*). La suite des événements montrera qu'un cessez-le-feu conclu et matérialisé dans de telles conditions ne pouvait être respecté durablement. Et ce d'autant moins que la Force locale créée ex nihilo et chargée transitoirement du maintien de l'ordre, nous l'avons dit, loin de se poser en force d'interposition, était à l'avance gagnée à l'ALN dont elle viendra aussitôt grossir les rangs. La situation devint même totalement asymétrique après le 3 juillet 1962, quand l'ALN devint de facto l'armée algérienne, lors même qu'elle aurait été vaincue sur le terrain par ceux-là même qui, désarmés par leurs anciennes autorités de tutelle, se trouvaient désormais entièrement à sa merci.

Cependant, s'ils pressentent qu'ils vont être démobilisés, nombre de harkis pensent encore que l'armée française les laissera regagner leurs villages munis de leurs fusils. À titre d'ultime protection. Un espoir vite démenti, qui n'est pas sans inquiéter les autorités militaires : celles-ci craignent en effet de se heurter à de vives résistances à l'annonce du désarmement. Pour parer à cette éventualité, les supplétifs sont parfois désarmés par surprise ou par ruse, puis abandonnés sur place par les troupes régulières qui plient bagage. Bernard Moinet : « L'adjudant venu désarmer la harka monte sur le capot de sa jeep et montre à bout de bras l'ordre reçu. Il le lit et le commente : «Je suis venu pour vous parler, pour vous expliquer». Tandis qu'il pérore, fixant l'attention de la harka, on fonce dans les chambrées, vers les râteliers d'armes. Un harki malade est resté couché, on le maîtrise, on le bâillonne. Un coup de klaxon au loin donne le signal. Alors l'adjudant se tait, descend de sa jeep, tourne un peu la tête, regarde derrière lui à plusieurs reprises, puis annonce à voix basse : «Maintenant c'est fini. La guerre est finie pour vous. Vous êtes désarmés et vous êtes libres». En une seconde les rangs des harkis se sont disloqués. Ils réalisent, mais trop tard, la supercherie dont ils ont été victimes. On leur a volé, arraché leurs armes. Ultime trahison »409(*).

b) Les options offertes aux anciens supplétifs musulmans : sauver sa peau seul ou mourir en famille

Théoriquement, un certain nombre d'options - quatre précisément - s'offrent aux anciens supplétifs au moment de leur démobilisation. Trois options à effet immédiat et une à effet différé :

Les options à effet immédiat :

- L'engagement dans les armées ;

- Le licenciement avec prime de démobilisation ;

- Un contrat de réflexion de six mois non renouvelable comme personnel civil des armées.

L'option à effet différé :

- Une demande de transfert en France dont l'examen est subordonné à la constitution d'un dossier.

Cet éventail de solutions est censé garantir le libre choix des anciens supplétifs : démobilisation définitive ou souscription d'un contrat d'active, et leur libre destination : l'Algérie ou la France. Mais, dans les faits, tant leurs modalités d'application pratique que l'esprit de leur mise en oeuvre (préfixé par des instructions ministérielles adressées aux cadres responsables) tendent à restreindre le champ des possibles : tout est fait pour conformer les choix individuels à l'optique de "délestage" (c'est-à-dire de maintien des ex-supplétifs en Algérie) dépeinte sans fard par le général de Gaulle (voir supra).

b.1 Les procédures et modalités d'application pratique des options précitées

? Première option : l'engagement dans les armées

Si les conditions habituelles d'aptitude physique, d'âge et d'état sanitaire ne sont susceptibles de décourager ou de faire obstacle qu'à une minorité de demandes, il n'en va pas de même des conditions pratiques d'incorporation et de transfert vers les garnisons métropolitaines, qui font fi de la situation des chargés de famille. Rien n'est prévu, en effet, pour l'accompagnement des proches parents : « S'engager dans l'armée, souligne le général François Meyer, c'est suivre son régiment dans ses garnisons, la famille restant au pays »410(*). Pour des raisons évidentes, affectives aussi bien que sécuritaires, cette option - dans les conditions où elle se présente - est donc incompatible avec le statut de chargé de famille et seuls quelques jeunes célibataires vont pouvoir en bénéficier. Du reste, une note de la Direction du Recrutement à Alger en date du 23 mai 1962 viendra préciser ce qui jusque-là était de l'ordre de l'implicite : l'engagement dans les armées devait être réservé aux seuls célibataires411(*). Selon François Meyer, qui se réfère à une fiche du Cabinet du Ministre des Armées en date du 29 juin 1962, ils seront mille pour l'ensemble des supplétifs.

? Deuxième option : un contrat de réflexion de six mois non renouvelable comme personnel civil, sans arme

Cette option, censée ménager un délai de réflexion aux ex-supplétifs qui hésitent entre l'engagement dans les armées et le retour à la vie civile, n'a pour effet, en pratique, que de les désigner davantage encore à leurs anciens adversaires. Ceux-ci réservent d'ailleurs explicitement leur pardon (ou, plutôt, leurs promesses de pardon) à ceux d'entre les supplétifs qui n'attendent pas pour se débarrasser de leur uniforme : « Tous ceux qui après le 1er avril porteront encore l'uniforme des colonialistes ou logeront près des postes militaires signeront d'eux-mêmes leur arrêt de mort »412(*). Dès lors, souligne François Meyer, « c'est en fait, pour ceux qui choisiraient cette mesure, repousser de six mois la plongée dans l'Algérie du FLN, tout en allant vivre désarmé au milieu d'une population maintenant fortement structurée par le parti, unique et victorieux »413(*).

Ils seront tout de même près de deux mille à faire ce choix au moment du cessez-le-feu. Principalement des célibataires là encore, puisque l'une des options proposées au terme du délai de réflexion - à savoir l'engagement dans les armées - leur était réservée (voir ci-dessus). Après l'indépendance, cependant, ce premier chiffre sera encore grossi par l'obligation dans laquelle seront placées les autorités militaires de régulariser la situation de ceux qui, ayant initialement opté pour la prime de recasement au moment du cessez-le-feu (voir ci-dessous), n'auront par suite d'autre choix que de refluer vers les camps de regroupement pour échapper aux représailles massives dont ils seront l'objet de la part du FLN. Les autorités feront alors signer aux réfugiés (des chargés de famille aussi bien que des célibataires) ces fameux contrats transitoires de six mois - originellement dits de « réflexion » - pour que soit régularisée leur situation administrative dans les camps. Dans ce dernier cas de figure, l'alternative originelle - engagement dans les armées ou retour à la vie civile - ne sera bien sûr plus de mise, pas plus que le délai de six mois auquel se substituera simplement l'attente de la mise à disposition de moyens de transfèrement vers la France.

? Troisième option : une demande de transfert en France dont l'examen est subordonné à la constitution d'un dossier

Ainsi que le précise François Meyer, la demande de transfert en France (pour ceux qui ne souhaitaient ou ne pouvaient s'engager dans l'armée) était subordonnée à la constitution d'un dossier, autrement dit à l'inscription sur une liste et à la production de pièces, documents et témoignages censés témoigner de ce que cette demande était « manifestement justifiée par des menaces »414(*). Dans un message du 13 avril adressé à tous les préfets d'Algérie par Christian Fouchet, haut-commissaire de la République française en Algérie entre le 19 mars et le 3 juillet 1962, l'attention de ceux-ci est appelée sur « nécessité faire preuve menace et volonté réelle intéressés grand discernement dans évaluation s'établir métropole »415(*). De fait, de l'aveu même du général Buis, alors colonel et directeur du cabinet militaire de Christian Fouchet, les camps de regroupement n'étaient ouverts qu'à « ceux que nous estimions réellement en danger »416(*).

Autrement dit, aux yeux des autorités françaises, le contexte en Algérie au sortir des accords d'Évian n'était pas tel que tous les musulmans précédemment engagés à un titre ou à un autre aux côtés de la France pussent être - ou se sentir être - en danger. À l'encontre d'une politique proactive de sécurisation, cette mise en doute a priori de la pertinence mais aussi de la sincérité de la démarche des demandeurs d'asile faisait reposer la charge de la preuve sur le demandeur lui-même. Cette manière de procéder était symptomatique de la volonté des autorités françaises de faire comme si les accords d'Évian allaient être respectés par la partie adverse, tout en sachant pertinemment qu'ils ne le seraient pas, comme en témoigne cette déclaration - déjà citée - du général de Gaulle : « Que les accords soient aléatoires dans leur application, c'est certain. Mais il était indispensable de dégager la France d'une situation qui ne lui procurait que des malheurs »417(*).

Au caractère tatillon et suspicieux de l'instruction des dossiers s'ajoute l'impréparation logistique. François Meyer de souligner qu'aucune mesure pratique - regroupement, transport, prise en charge - ne sera édictée avant le 11 avril pour organiser la protection des anciens supplétifs concernés et de leurs familles. Or, ajoute-t-il, « les supplétifs ont dû se décider rapidement, pratiquement dans les dix jours, souvent avant le premier avril »418(*). Résultat : « Au moment de sa démobilisation, aucun supplétif ne pourra faire ce choix autrement qu'en se faisant inscrire sur une liste, si l'on veut bien, puis en retournant attendre, sans arme, dans un village maintenant sous le contrôle du FLN »419(*). Ainsi, ceux parmi les supplétifs qui sont censés être « les plus menacés » n'ont d'autre choix, en pratique, que d'attendre désarmés dans leurs villages la conclusion de l'instruction de leurs dossiers. Telle est du moins la situation jusqu'au 11 avril. Cette impéritie initiale des autorités ne sera pas sans conséquences pour certains des demandeurs. François Meyer, ancien chef de harka : « Avant le premier avril, de nombreux moghaznis de la tribu des Rézeigats ont demandé en ma présence de partir pour la France. Le Commandement local leur a signifié d'attendre dans leurs douars. Plusieurs ont été enlevés et assassinés, le 17 avril, en compagnie du maire de Bou Alam »420(*).

Ce n'est donc que le 11 avril que deux directives vont venir organiser la protection des anciens supplétifs et membres de leurs familles ayant sollicité un transfert pour la France :

- une lettre de Louis Joxe (n°443/API/POL), qui prescrit « le recensement des personnes à rapatrier, et leur regroupement en Algérie, dans des lieux où leur protection puisse être efficacement assurée »421(*). Louis Joxe prescrit cependant à nouveau de « ne rapatrier que les personnes particulièrement menacées » et, ce, « en nombre très limité », insistant pour que soient vérifiées « leurs aptitudes physiques et morales ainsi que leur volonté de s'établir en métropole »422(*) ;

- et une Note du Commandement Supérieur en Algérie à tous les Corps d'Armée (n°1013/CSFA/EMI/MOR), qui enjoint les récipiendaires à « regrouper les personnes considérées dans un camp par Secteur, qui sera gardé, et à assurer leur subsistance »423(*). Répercutant avec zèle les instructions du ministre d'Etat en charge des Affaires algériennes, cette note ne se contente pourtant pas de prescrire les modalités d'accueil des supplétifs et membres de leurs familles en instance (conditionnelle) de rapatriement, puisqu'elle entend aussi ajouter aux critères d'instruction des demandes. La mise en doute du danger encouru par les demandeurs était-elle jugée insuffisamment sélective ? Toujours est-il que le commandement entend désormais « vérifier que les personnes recensées sont bien aptes physiquement et moralement à s'installer en Métropole »424(*). C'est ainsi que, selon Jean Monneret, « certains responsables du camp de Tefeschoun souhaitaient faire passer des épreuves d'orthographe aux supplétifs pour les sélectionner avant embarquement »425(*). Ainsi les autorités ont-elles effectivement envisagé de subordonner l'instruction des demandes d'asile à l'examen de critères totalement étrangers à la situation sécuritaire des intéressés. Combien de demandes ont-elles été déboutées sur ces bases ? Rien ne permet de répondre précisément à cette question. Une chose est sûre, cependant : plusieurs milliers d'« inadaptés sociaux » (ou du moins considérés comme tels par les autorités, à commencer par les grabataires et les invalides de guerre) seront finalement transférés en France puis regroupés dans le camp de Bias (spécialement dévolu à leur accueil), témoignant de ce que ces instructions ont parfois été appliquées avec souplesse, voire volontairement ignorées426(*).

Encore faut-il que les supplétifs qui ont demandé à être transférés - et qui, dans l'intervalle, ont rejoint douars et bourgades - soient informés des dispositions visant à rendre opérantes leurs demandes de rapatriement, et qu'ils parviennent à gagner les postes militaires avec femmes et enfants. Ce qui implique d'abord d'échapper à la surveillance du FLN, dont la présence s'affirme à raison inverse de celle de l'armée française. Jean Monneret de rappeler, à cet égard, combien « il était difficile, en pratique, de rouler sur des routes tenues par l'ALN »427(*).

? Quatrième option : le licenciement avec prime de démobilisation

Cette option, qui consiste en un retour définitif et immédiat à la vie civile, s'accompagne de l'octroi d'une prime de démobilisation équivalant à un mois de solde par année d'engagement. Compte tenu des barrières ou des insuffisances des trois options précitées (les seules à même, théoriquement, de conserver les supplétifs dans le giron de l'armée française), cette option est apparue comme étant la moins compromettante ou la seule possible (au moins à court terme) à l'immense majorité des supplétifs.

Pour autant, aux yeux de certains spécialistes de cette période, l'explication est ailleurs. Ainsi, dans un article publié en 1995, l'historien Charles-Robert Ageron, considérant que les conditions d'engagement dans l'armée d'active offertes aux harkis au moment de leur démobilisation étaient « exceptionnelles »428(*), s'étonne de ce que « moins de 6% des harkis [aient accepté] de s'engager dans l'armée » et en conclut que, « dans leur grande majorité, [les harkis] ne s'étaient jamais considérés comme des soldats de l'armée française »429(*). Mais la question se posait-elle en ces termes à ce moment-là ? S'agissait-il seulement pour les intéressés - placés dans une situation de fragile équilibre entre la vie et la mort - d'opérer le choix de l'engagement dans les armées comme on opère un choix normatif, voire un choix affectif ? Et c'est précisément parce que les autorités françaises savaient que ce choix risquait de répondre à d'autres impératifs - à commencer par des impératifs de survie - qu'elles ont assorti l'activation de cette option de conditions hautement limitatives (et dissuasives). Du reste, Charles-Robert Ageron omet de mentionner ce facteur décisif qu'est l'interdiction faite aux chargés de famille d'activer cette option (cf. la fiche du Cabinet du Ministre des Armées en date du 29 juin 1962, déjà mentionnée). Dès lors, comment s'étonner que seuls 6% des harkis aient opté pour cette solution quand, pour la plupart, ils avaient la charge de leurs ascendants et/ou étaient mariés et pères de famille ? Les témoignages de Séraphin Berthier et Gilbert Gardien, tous deux chefs de harkas (témoignages recueillis par Patrick Rotman et Bertrand Tavernier), disent d'ailleurs combien - à rebours de ce qu'avance Charles-Robert Ageron - les conditions d'engagement dans l'armée à la suite du cessez-le-feu étaient tout sauf « exceptionnellement » incitatives. Séraphin Berthier :

« C'était pénible. J'avais 80 harkis. Il s'est passé quelque chose qui, pour moi, est impardonnable. On leur a offert le choix entre deux solutions : la première était de venir avec nous en s'engageant dans l'armée française - mais on ne rapatriait pas les familles... la famille, en Kabylie, c'est tout. C'est un pays montagneux, très tribal, la famille compte énormément. Trois ont choisi cette voie. La deuxième possibilité : on leur donnait une prime et on leur racontait qu'ils avaient leur place dans l'Algérie nouvelle. La plupart sont restés sur place. On en a récupéré un quatre ou cinq mois plus tard à Alger. Il était dans un sale état et il nous a dit que les autres avaient été massacrés ».

De même, Gilbert Gardien :

« C'était très difficile à vivre. Avec quelques compagnons, on a chialé [Il essuie une larme]. Tous les chefs de section ont pleuré. Il a fallu faire les adieux... On proposait aux harkis de s'engager dans l'armée française en laissant les familles. Je l'ai vécu... Sentimentalement, c'était épouvantable. On leur a fait rendre les armes. Nous avions un sentiment d'abandon total. Total. Quand on s'est embrassés avec les harkis, il y avait un déchirement absolu [Il se tait, trop ému] »430(*).

Ainsi, au vu des conditions plus que restrictives auxquelles était assujettie l'option d'engagement dans l'armée d'active, et à l'inverse de ce qu'avance Charles-Robert Ageron, il semble bien plutôt que ce soit les autorités françaises qui n'aient pas ou plus considéré les harkis comme des soldats de l'armée française. Il n'est qu'à se reporter, à cet égard, à la déclaration déjà mentionnée du général de Gaulle, exigeant que l'on se débarrasse au plus vite de « ce magma qui n'a servi à rien »431(*).

Quant aux autres options - contrat de « réflexion » de six mois dans les armées ou demande de rapatriement assujettie à la constitution d'un dossier, leurs conditions de mise en oeuvre furent là encore - nous l'avons dit - conçues pour être dissuasives. François Meyer : « Ce n'est qu'un mois après la conclusion du cessez-le-feu que les armées prendront les premières mesures pour protéger les anciens supplétifs dont les demandes de rapatriement sont en cours d'instruction. Et ce n'est que trois mois après les licenciements que les premiers rapatriements du «plan général» seront effectués. Pendant ces temps d'indécision - ou de non-décision - les supplétifs seront soumis à des pressions [fausses assurances du FLN et/ou pression des proches angoissés par la perspective d'un départ pour la métropole et les conséquences du déracinement] qui leur seront finalement fatales »432(*). L'auteur d'ajouter : « Il eût fallu organiser le rapatriement des combattants musulmans dès leur désarmement »433(*). Or, il est un fait, nous l'avons vu, que les autorités ont pensé à limiter l'accueil avant même de le structurer.

Mais, outre le fait qu'elles négligent les obstacles pratiques et procéduraux liés à l'activation des options autres que le retour immédiat à la vie civile, les analyses de Charles-Robert Ageron font également fi de l'esprit qui a présidé à la mise en oeuvre de ces options par les autorités. Soucieuses de maintenir les ex-supplétifs en Algérie, les autorités n'eurent en effet de cesse, pendant la courte période de transition (19 mars-2 juillet 1962), de prodiguer des discours rassurants à leur attention434(*), déniant les dangers auxquels ceux-ci seraient exposés par suite du désengagement brutal de la France.

b.2 L'esprit de la mise en oeuvre des options précitées

En réponse à un questionnaire adressé en octobre et novembre 1961 aux préfets d'Algérie par Louis Joxe, ministre d'État chargé des Affaires algériennes, le préfet d'Alger, conscient des périls auxquels seraient exposés « les musulmans engagés à nos côtés » en cas de perte de la souveraineté française ainsi que de la fragilité des engagements - même formalisés - de l'adversaire, préconisait que les intéressés fussent en toute hypothèse « informés du caractère relatif des garanties »435(*). C'est très exactement l'inverse qui s'est produit.

Au cours d'une première phase, correspondant à la courte période de transition entre la conclusion des accords d'Évian et l'accession à l'indépendance de l'Algérie (19 mars - 2 juillet 1962), les autorités s'attachent non à souligner mais à minorer les périls auxquels sont susceptibles d'être exposés les musulmans pro-français au jour de l'indépendance, et ce afin de les fixer - autant que possible - en Algérie.

Puis, à compter du jour de l'indépendance (le 3 juillet 1962), les autorités françaises feignent publiquement d'ignorer la gravité des supplices effectivement endurés par les anciens serviteurs d'armes de l'État français ; en même temps, dans des notes confidentielles, elles prescrivent aux troupes encore stationnées en Algérie non seulement de rester l'arme au pied en toutes circonstances (y compris lorsqu'elles sont les témoins directs d'exactions perpétrées à l'encontre des ex-supplétifs et autres catégories de musulmans pro-français), mais encore de n'ouvrir qu'au compte-gouttes les portes des camps de regroupement vers lesquels affluent quotidiennement les réfugiés.

b.2.1. La minoration des périls (19 mars - 2 juillet 1962)

Au cours de la brève période transitoire qui courre de la conclusion des accords d'Évian à la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, les autorités françaises se sont publiquement et uniment attachées à brosser un tableau, sinon idyllique, du moins étonnamment optimiste des garanties offertes à la sécurité des personnes par lesdits accords. L'objectif en était, en dépit de l'exclusion des tendances autres que pro-FLN du processus de négociation, ainsi que de l'absence de clauses spécifiques visant à sauvegarder les intérêts et l'intégrité physique des musulmans pro-français, de décourager au maximum les demandes de transfert vers la France de leurs anciens serviteurs d'armes musulmans. À cet égard, les considérations cinglantes - mais confidentielles - du président de la République en date du 3 avril 1962 sur le « magma de supplétifs qui n'a jamais servi à rien et dont il faut se débarrasser au plus vite »436(*) commandaient et résumaient à elles seules l'esprit de la mise en oeuvre des solutions offertes aux supplétifs au moment de leur démobilisation ; lesquelles, précisément, visaient moins à garantir l'avenir des intéressés qu'à s'en « débarrasser », en les orientant vers la solution du recasement en Algérie (voir ci-dessus). Déjà, dans un communiqué en date du 8 mars 1962 (déjà cité sur la question de la nationalité ; voir ci-dessus), le ministre des Armées, Pierre Messmer, enjoignait le Commandement supérieur en Algérie d' « inciter [les différentes catégories de personnels musulmans] à rechercher le recasement en Algérie plutôt qu'à demander l'installation en métropole »437(*). A cet effet, des tracts porteurs de considérations lénifiantes sont diffusés au sein des unités supplétives en cours de démobilisation : « Harkis ! (...) Vous n'aborderez pas la vie civile comme l'enfant nouveau-né aborde la vie » ; ou encore, dans le but de les convaincre de se laisser désarmer malgré les lourdes menaces qui pèsent sur eux : « Harkis ! (...) A l'heure de la paix, le blé vaut plus cher que les cartouches »438(*).

Cette politique de minoration des périls n'était pas nouvelle. Déjà, le 28 janvier 1960, au moment de la semaine des barricades, Paul Delouvrier, nommé Délégué général du gouvernement en Algérie de décembre 1958 à novembre 1960 (il sera alors remplacé par Jean Morin), invite les musulmans à se débarrasser du « complexe de l'abandon » en liant leur sort à celui du général de Gaulle : 

« Ne pas être le glaoui ! Voilà votre crainte, voilà votre peur. (...) Criez : «de Gaulle ! Vive de Gaulle !» (...) l'homme qui vous conservera cette conquête par la présence définitive de la France. (...) En [le] plébiscitant (...) vous vous délivrez du complexe de l'abandon »439(*).

Un an plus tard, dans une note du 5 janvier 1961, au moment où - à l'hiver 1960-1961 - la politique algérienne du général de Gaulle s'orientait plus nettement encore vers la solution du « dégagement », le général Crépin (qui avait remplacé le général Challe au poste de Commandant supérieur des forces armées en Algérie) entendait faire conduire à ses subordonnés une action psychologique telle qu'elle apaise les craintes les plus élémentaires des supplétifs, au risque d'endormir leur vigilance. Il invitait ainsi « les cadres à tous les échelons à conduire une action vigoureuse pour faire disparaître de l'esprit [des supplétifs] l'idée que les événements actuels [allaient] aboutir à de sanglantes représailles »440(*). Il leur faisait part de sa « certitude qu'au-delà du référendum d'autodétermination, et quel qu'en soit le résultat, (...) l'Armée [resterait] en mesure d'assurer par sa présence le retour à la vie normale de ceux qui [combattaient] à ses côtés et de leurs familles ». Il précisait qu' « en cas de sécession, le partage [de l'Algérie] assurerait à l'Armée la possibilité de faire face à ses engagements ». Concernant le statut et les options offertes aux supplétifs, le Commandant en Chef se voulait également rassurant : « Ceux-ci auront la possibilité de rester Français441(*), et la France leur fera la place à laquelle leurs activités au service du pays leur donne plein droit ». Et de conclure curieusement : « Sur ce point d'ailleurs, la politique gouvernementale n'a jamais changé ». L'on peut s'étonner, rétrospectivement, de la légèreté de promesses fondées sur des conjectures - l'éventualité du « partage » - et sur une lecture étonnamment captive, quoique peu assurée, de la politique du gouvernement. En témoigne la terrible ambiguïté de la phrase de conclusion du général Crépin : « Sur ce point d'ailleurs, la politique gouvernementale n'a jamais changé ». Des propos qui laissaient entendre que cette politique avait certes été à géométrie variable sur d'autres points, mais qu'il importait, sur ce point précis, de faire comme s'il n'allait rien en être. Un pari audacieux, qui conduisit le général Crépin à s'engager auprès de ses cadres qu'en toutes circonstances l'Armée serait à même de garantir le « retour à la vie normale » des supplétifs placés sous leurs ordres. En toutes circonstances, c'est-à-dire quel que soit le résultat du référendum d'autodétermination, donc l'autorité souveraine442(*).

Au regard de promesses si peu assurées, les tracts du FLN avaient beau jeu de souligner, exemples à l'appui, la fragilité des engagements français en même temps que de faire montre, pour ce qui les concernait, d'une sombre détermination. Un tract du FLN trouvé en septembre 1957, qui se référait au précédent marocain, "informait" ainsi les supplétifs qu'ils seraient inéluctablement abandonnés par la France et qu'ils subiraient alors « le sort des amis du Glaoui »443(*). Un autre tract, attribué à la wilaya 2 et diffusé à Grarem en juillet 1961, prévenait la population que « ceux qui ont travaillé avec la France seront égorgés » et que « les moins mauvais travailleront à votre place »444(*).

Feint ou pas, l'optimisme du général Crépin servait parfaitement les intérêts du gouvernement dont la visée première était, certes, d'éviter que les supplétifs ne désertent avant la conclusion du cessez-le-feu mais aussi, plus secrètement, d'éviter qu'ils ne se réfugient puis se fixent en métropole après. À cet égard, dans une étude préliminaire aux premières négociations d'Évian (mai-juin 1961) - étude contemporaine de la note du général Crépin, les directives données par Louis Joxe et Bernard Tricot aux négociateurs français concernant les « garanties à négocier en faveur des musulmans fidèles à notre cause » apparaissent des plus explicites. Je cite : « L'installation en France n'est pas à prévoir, ni à encourager »445(*). Un an plus tard, à l'issue des secondes négociations d'Évian, Louis Joxe, fidèle à lui-même et aux consignes données par le chef de l'État (sous la responsabilité duquel il est directement placé en sa qualité de ministre d'État chargé des Affaires algériennes), confirmera cette ligne de conduite dans une note du 7 avril 1962. Il informe ainsi ses subordonnés que « de toute manière, on fera effort pour maintenir ces personnes [les supplétifs] en Algérie »446(*). Le 19 avril, Louis Joxe obtient la dissolution d'une commission interministérielle en charge du dossier des supplétifs et présidée par Michel Massenet (commission créée seulement deux mois auparavant par Michel Debré, le 17 février 1962 très exactement), après que celle-ci eut remis le 10 avril un rapport sur le Rapatriement Éventuel des Personnels placés sous le contrôle des Autorités Militaires. Louis Joxe jugea intempestif le zèle mis par le président de cette commission, le Conseiller d'État Michel Massenet, à alerter le gouvernement sur les dangers encourus par les anciens supplétifs et sur le devoir moral qui incombait à la France de les protéger. Selon Michel Massenet, Louis Joxe aurait déclaré à Georges Pompidou, alors Premier ministre : « Ce rapport est inadmissible. Il trouble les esprits ». On ne saurait mieux dire, en effet, que ce rapport contrariait l'esprit minimaliste du plan général de rapatriement. Louis Joxe aurait ajouté qu'il fallait « scier les pieds de la commission Massenet ». Ce qui fut fait promptement. Et Jean Monneret d'écrire que « cela laissait mal augurer de la suite »447(*). Le 19 avril encore, Louis Joxe prescrivait d'ailleurs à nouveau d' « assurer en priorité le reclassement en Algérie du plus grand nombre de harkis, moghaznis et de personnes engagées »448(*).

Face à la représentation nationale et à l'opinion publique, les discours se font plus sinueux. Mais l'on devine, derrière les circonvolutions, la visée décrite sans fard dans les instructions ministérielles. Certes, on assure les musulmans pro-français que la porte de la métropole leur est ouverte. Mais, plus encore, on insiste sur le fait que le gouvernement s'emploiera à garantir leur sécurité en Algérie, où - leur dit-on - « tout les attache ». Je cite Georges Pompidou, s'exprimant devant la représentation nationale le 26 avril 1962 : « Les accords intervenus donnent les garanties nécessaires et la France veillera sur le respect de ces garanties jalousement et fermement (...). Si les musulmans aussi, préfèrent quitter cette terre d'Algérie, où pourtant tout vous attache, la Métropole vous accueillera »449(*). Le lendemain, plus solennel encore : « Aucune représaille ne pourra en Algérie être exercée contre quiconque à l'occasion de son activité politique, l'application rigoureuse de cette disposition est pour le gouvernement un principe fondamental »450(*).

Un principe "fondamental" dont le général de Gaulle s'attachera pourtant, peu après, dans le secret des délibérations du Comité des Affaires algériennes du 16 mai 1962, à circonscrire les limites, elles-mêmes "fondamentales" : « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l'ordre après l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles autorités »451(*).

Ainsi, ce qui, en public, est un principe fondamental devient, en privé, une charge indue. Les déclarations pré-citées de Georges Pompidou n'avaient-elles donc d'autre vocation que dilatoire ? Ces questionnements apparaissent d'autant plus légitimes que, à rebours des assurances publiques de son Premier ministre, le président de la République, nous l'avons vu, sait - et se satisfait - de l'extrême précarité des garanties contenues dans les accords d'Évian, accords négociés à sa demande « sans juridisme excessif »452(*) : « Que les accords soient aléatoires dans leur application, c'est certain. Mais il était indispensable de dégager la France d'une situation qui ne lui procurait que des malheurs »453(*).

Ce double discours s'inscrit de toute évidence dans une logique de minoration des périls et a délibérément contribué à orienter les supplétifs vers la solution qui était la moins à même de garantir leur protection, à savoir : le licenciement avec prime de démobilisation.

- La duplicité du FLN

A cet égard, l'ambivalence, sinon le louvoiement des instances gouvernementales n'ont eu d'égale que la duplicité des cadres de l'ALN. Ainsi qu'en témoignent certaines directives confidentielles retrouvées par l'armée française, ceux-ci entendaient clairement soumettre les intéressés à leur vindicte et passer outre la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Évian. Pour ce faire, il leur fallut d'abord fixer les supplétifs en Algérie et user, à compter du cessez-le-feu (et à l'instar des autorités françaises, quoique pour d'autres raisons), d'un double discours, faussement rassurant.

Ainsi, au cours du mois d'avril 1962, le Comité de la wilaya 2 prescrit « [de] se montrer conciliant envers les harkis afin de ne pas provoquer leur départ en métropole, ce qui leur permettrait d'échapper à la justice de l'Algérie indépendante »454(*). Au même moment, en Kabylie, la Nahia 324 édicte : « Dans un premier temps, pratiquer la politique du sourire et de la réconciliation jusqu'à la libération des détenus, quand la moitié de l'armée française aura quitté l'Algérie, régler les comptes »455(*). Mais la directive qui, dans ses attendus, illustre le mieux cette politique dilatoire du pardon est celle qui émane le 13 avril du Commandement général de la wilaya 5 (Oranie) :

« République Algérienne

F.L.N. - A.L.N.

Aux Armées,

Le 10 AVRIL 1962

ETAT-MAJOR GENERAL

Commandement Général Wilaya 5 Directives

Objet : Répercussions du cessez-le-feu

Quelques jours après le cessez-le-feu, nous avons pu enregistrer certaines répercussions d'une importance assez grande pour pouvoir nous causer d'énormes difficultés dures à surmonter, si les précautions nécessaires ne sont pas tout de suite prises en conséquence, à savoir notamment :

1) La libération des harkis, goumiers et ralliés servant dans les rangs ennemis : A travers toute l'Algérie, l'ennemi a entrepris la démobilisation massive des harkis, goumiers et ralliés qui n'ont maintenant aucune raison d'être. Le colonialisme français, ayant fini de se servir et d'exploiter ses valets inconscients, a décidé de les rejeter définitivement comme ce devait arriver tout à fait naturellement.

Nous n'ignorons aucunement leurs actes irréfléchis et inhumains, leurs méfaits et crimes dont ils ont été auteurs, obéissant ainsi aveuglément à leurs maîtres colonialistes qui n'ont à aucun moment cessé de les dresser contre leur peuple désarmé et meurtri par tant d'années de souffrance et de misère. Ils ont librement consenti l'engagement de servir et de n'épargner aucun effort contre leur cause nationale. Dans leur égarement total, ils ont tout fait pour détruire, opprimer et bafouer leur dignité et l'honneur de notre vaillant peuple à jamais invincible. Nul n'ignore leur honteuse et abominable histoire qui restera plus que jamais connue de toutes les générations à venir. Si la révolution les a condamnés, il n'en reste pas moins que le peuple les frappe de son mépris et continuera toujours à les haïr et à les nier.

Néanmoins, le cessez-le-feu n'étant pas la paix, nous devons user du tact et agir avec souplesse afin de les gagner provisoirement pour ne pas leur donner l'occasion de faire encore le jeu de l'ennemi qui n'en reste pas moins désarmé qu'avant et continue de faire des manoeuvres et tentatives en vue de noyauter notre chère et noble Révolution. Leur jugement final aura lieu dans une Algérie libre et indépendante devant Dieu et devant le Peuple qui sera alors seul responsable de leur sort. Il y a lieu donc, d'inviter ce peuple assoiffé de vengeance, à contenir sa colère et prendre conscience de la situation actuelle qui n'est que provisoire et que le moment attendu n'est pas encore arrivé.

Toutefois, comme nous l'avons déjà fait savoir dans notre Circulaire N°403, ces égarés abandonnés doivent être surveillés dans leurs moindres gestes et activités et seront inscrits dans une liste noire qu'il faudra conserver minutieusement. Aussi, il faut faire de telle manière qu'ils ne tombent pas dans le camp adverse et de ce fait, peuvent nous saboter et collaborer soit avec l'OAS, soit avec n'importe quel autre ennemi. C'est la raison pour laquelle, nous vous recommandons la plus grande souplesse afin de les gagner et non de les perdre et faire d'eux d'autres ennemis qui auront à agrandir le camp adverse »456(*).

Il n'est pas jusqu'en métropole où l'on ne conditionne les esprits à ce double langage, comme en témoigne cette directive trouvée à Versailles en date du 25 avril 1962 : « Il faut accepter tous les ralliements et mener une campagne auprès des harkis et des messalistes pour qu'ils se rallient. Ne pas les brusquer, ne pas leur reprocher ce qu'ils ont fait. L'organisation est seule compétente pour prendre des décisions... Car l'épuration elle aussi s'accentue. Les traîtres seront jugés et s'ils ne sont pas toujours exécutés sur le champ, ils n'échappent pas longtemps au sort qui leur est réservé. Par le recensement, l'organisation s'attache à dresser un fichier général d'où seront extraits les noms de traîtres et des mauvais citoyens »457(*).

Selon Jean Monneret, cette politique des faux-semblants correspondait à une orientation déjà ancienne, tracée par exemple dès 1960 par le ministre chargé des Liaisons et Communications au sein du GPRA, Lakdhar Ben Tobbal. Celui-ci déclarait alors : « Autant essayer de les [les harkis] gagner à nous, c'est autant de gagné sur l'ennemi. Quant à demain, le Parlement et le Gouvernement qui seront mis en place décideront de leur sort »458(*). Ce marché de dupes a pu prendre parfois des atours beaucoup plus mercantiles et vils : ainsi le FLN a-t-il incité les anciens supplétifs qui avaient opté pour le licenciement avec prime de démobilisation à lui rétrocéder l'intégralité de leur pécule (pour solde de tout compte eu égard aux "arriérés" d'impôt révolutionnaire) contre la promesse - généralement restée lettre morte - d'une plus grande mansuétude459(*).

Cependant, quelle qu'ait pu être la duplicité du FLN en la circonstance, le fait est que les supplétifs ont d'abord et principalement été soumis à l'influence de leurs autorités de tutelle, civiles et militaires, qui les ont uniment incité à privilégier la solution du recasement en Algérie. Les discours captieux du FLN n'ont fait, à cet égard, que relayer les couplets exagérément optimistes de l'appareil d'État français. Ce dont témoignent rétrospectivement nombre d'anciens harkis, qui reviennent sur l'effet dévastateur des « paroles de miel » prodiguées par les autorités françaises. M. R. (anonyme) : « On savait que notre village était foutu, que toutes nos familles étaient foutues. Plus aucun harki n'avait d'armes parce que la France nous avait menti. Et maintenant, elle nous laissait en nous disant que c'était fini, que la guerre était finie, et que nous n'étions plus en guerre »460(*). De même, Abdelkader Adelaah : « Les officiers français nous ont dit que tout allait s'arranger. C'était des paroles de miel »461(*).

Ainsi, aux louvoiements à usage externe du FLN répondait le double discours des autorités françaises. Aux confluents de ces politiques d'artifice se tramait la disparition des harkis : il apparaît de fait clairement que tant l'habillage discursif que les conditions liées à l'instruction des options offertes aux supplétifs au moment de leur démobilisation, plutôt que d'organiser leur libre choix, l'ont aiguillé plus qu'incidemment vers la solution du « recasement » en Algérie.

- L'annonce du plan général de rapatriement

Confrontés aux obstacles ou insuffisances pratiques liés aux modalités d'application de l'option de transfèrement, ainsi qu'à la rhétorique officielle de minoration des périls qui les assure de l'innocuité d'un retour immédiat à la vie civile, la plupart des supplétifs ont préféré opter pour le licenciement et cherché à se fondre au plus vite dans les cadres mouvants de l'Algérie nouvelle, plutôt que de constituer une demande de transfert à l'issue aléatoire et se signaler ainsi inopportunément au reste de la population (qui plus est désarmés). Il en résulte que, dans les jours qui précèdent l'indépendance, seules 1.500 demandes de rapatriement ont été effectivement enregistrées et transmises pour toute l'Algérie462(*).

C'est sur ces bases, qui satisfont l'optique gouvernementale de minimalisation du dispositif de rapatriement, que Pierre Messmer annonce dans un communiqué en date du 5 juin 1962 l'amorce prochaine des opérations de transfèrement, dans le cadre du plan général de rapatriement : seules 4.930 personnes (familles comprises, ce qui correspond aux 1.500 chefs de famille recensés) sont concernées. Un premier recensement, effectué en avril 1962, évaluait pourtant à 9.400 le nombre de harkis et membres de leurs familles dits « réellement menacés », soit un chiffre deux fois supérieur à celui communiqué en juin.

Quoi qu'il en soit, ces chiffres apparaissent dérisoires en comparaison de ceux avancés par l'ancien contrôleur général des armées Christian de Saint-Salvy qui, dans un rapport adressé à l'ONU en mars 1962, évaluait le nombre des musulmans pro-français menacés par d'éventuelles représailles à 263.000 (soit environ un million de personnes si l'on y ajoute les membres de la proche famille). Ce chiffre se décompose comme suit :

- militaires de carrière 20.000 ;

- militaires du contingent 40.000 ;

- harkis 58.000 ;

- moghaznis 20.000 ;

- membres des GMPR et GMS 15.000 ;

- membres des groupes civils d'autodéfense 60.000 ;

- élus, anciens combattants et fonctionnaires 50.000.

Comment expliquer de telles différences d'appréciation ? A la différence des évaluations officielles, qui reposent sur le seul inventaire des demandes de transfert effectivement déposées par les intéressés eux-mêmes puis instruites et validées par les autorités (procédure dont nous avons vu les difficultés pratiques d'activation et l'esprit - hautement restrictif - qui entoure sa mise en oeuvre), l'estimation de Christian de Saint-Salvy se calque sur les effectifs maximums des différentes catégories de personnels civils et militaires indigènes atteints à la fin de l'année 1960 et au début de l'année 1961. Autrement dit, tandis que les estimations officielles reposent sur l'idée que seule une infime minorité de musulmans pro-français est réellement sous la menace de représailles, à l'inverse, l'estimation de Christian de Saint-Salvy part du postulat symétrique que seule une infime minorité de musulmans pro-français est à l'abri de telles représailles.

Les termes du communiqué du ministre des Armées sont rapportés et commentés l'après-midi même à l'Assemblée nationale par le bachaga Boualam, député et ancien vice-président de l'Assemblée. Je cite le bachaga Boualam : « Ce matin même, 5 juin, un communiqué du Ministre des Armées affirme que les harkis menacés et leurs familles, soit 4.930 personnes, vont être rapatriés, et que M. le Secrétaire d'État aux Rapatriés est chargé de leur accueil en Métropole. (...) En fait, il ne s'agit là que d'une estimation provisoire concernant exclusivement les harkis les plus menacés. Parle-t-on de tous les autres musulmans condamnés par les tribunaux FLN ? Le chiffre du Ministère des Armées, je ne le considère pas comme valable. Il cache l'abandon et la mort de milliers d'autres. En retirant l'armée, vous livrez nos terres et nos populations à la merci de l'ALN. Dans le bled on rançonne systématiquement les serviteurs de la France. (...) Je demande au gouvernement : pourquoi n'avez-vous rien prévu, depuis des mois, alors qu'il était encore temps et que déjà l'abandon était décidé ? Pourquoi n'avez-vous pas, depuis des mois, regroupé et protégé tous ceux qui sont désarmés ? (...) Il faut qu'on m'assure que là-bas, en Algérie, partout les autorités vont recevoir immédiatement l'ordre de regrouper effectivement ceux qui le veulent, à quel que titre que ce soit. Il faut qu'on m'assure qu'en tout lieu les moyens seront mis en oeuvre pour les protéger. Car ce sont des milliers de personnes qu'il nous faut sauver avant le 1er juillet »463(*).

Devant les réactions indignées de certains secteurs - minoritaires - de l'opinion, et pour éviter que ces réactions ne fassent tâche d'huile, Robert Boulin, secrétaire d'État aux rapatriés, réévaluera quelques jours plus tard les chiffres du plan général de rapatriement à hauteur de ceux du recensement effectué en avril, soit 9.500 personnes. La plupart des auteurs s'accordent à dire que ce dernier chiffre correspond, en effet, au nombre de demandes de transfert formulées en bonne et due forme par les intéressés (proches parents compris) à la suite de leur démobilisation. Tous s'accordent également à dire que ce chiffre sous-estime gravement - et sans doute délibérément compte tenu des obstacles liés aux modalités d'application de cette option et à l'esprit de sa mise en oeuvre (voir supra) - le nombre des harkis et membres de leurs familles menacés. François Meyer : « On pourra dire que les candidats au départ pour la France n'étaient pas très nombreux464(*). Mais dans les conditions d'accès qui leur étaient faites, cela n'était guère étonnant. Désabusés, certains ont peu à peu cédé aux assurances du FLN. En fait, les supplétifs ne commenceront à croire à leur transfert en France que lorsqu'ils verront partir les premiers convois, c'est-à-dire au milieu du mois de juin »465(*).

Il est un fait cependant que les carences de l'État-providence (obstacles pratiques et procéduraux liés à l'activation de l'option de transfèrement d'une part, discours dilatoires des plus hautes autorités d'autre part), qui, dans un premier temps, ont convaincu/acculé les ex-supplétifs à demeurer massivement (et, apparemment du moins, librement) en Algérie dans un contexte pourtant plus qu'insécure, vont être redoublées par les excès de zèle de l'État-gendarme : assimilant les harkis à des recrues potentielles de l'OAS, les autorités, en plus de donner au plan général de rapatriement un caractère hautement restrictif, vont - sous le prétexte d'un péril subversif - aller jusqu'à prescrire l'interdiction des rapatriements en dehors des voies officielles (et, ce, bien que la liberté de circulation entre la France et l'Algérie soit une des dispositions fondamentales contenues dans le texte des accords d'Evian), et entreprendre de sanctionner contrevenants et complices.

- L'interdiction des rapatriements en dehors des voies officielles

Dans ces temps de chaos généralisé en Algérie, l'État-gendarme va trouver matière à s'exprimer là où on l'attend le moins : le contrôle et le filtrage tatillons - qui peuvent aller jusqu'à prendre la forme d'une "traque" - des réfugiés musulmans ayant bénéficié, pour gagner la métropole, de filières d'évacuation "hors cadres". Il est un fait que, dès avant le mois de juin et l'amorce du plan général de rapatriement, des initiatives privées et localisées, impulsées notamment par des chefs de harkas ou des chefs de SAS et motivées par les carences évidentes du dispositif officiel de rapatriement qu'aggrave la lenteur de sa mise en place, tendent à faciliter et à précipiter le rapatriement des supplétifs et de leurs familles vers la métropole. En dehors des voies officielles, donc.

À Marseille, en mai et juin 1962, les autorités préfectorales se font d'abord les témoins passifs, sinon bienveillants, des premières arrivées de familles isolées ou d'unités reconstituées par leurs cadres. Je cite :

« Ce 11 mai, 17 familles de harkis de Béni-Saf (90 personnes) ont débarqué à Marseille et se sont rendues à Chauvigny (Vienne) où elles seront employées dans l'agriculture. Le voyage, sans problème, était organisé par le capitaine D., officier des Affaires algériennes, qui accompagnait les intéressées.

Ce 18 mai, arrivées le matin par le Ville-de-Bordeaux de 4 familles musulmanes dont 3 ex-harkies - 16 personnes - venant de Nemours [Algérie] pour Dijon pour trois d'entre elles et pour Troyes en ce qui concerne la quatrième. Les familles intéressées ont d'ailleurs été considérées comme de simples familles migrantes (sic).

Ce 23 mai, 120 familles harkies venant de Mers-el-Kébir sont arrivées à Marseille. Elles sont encadrées par le lieutenant de Saint-G. pour le compte d'une association de fusiliers marins pour la Lozère »466(*).

Cependant, ces initiatives semi-clandestines suscitent, une fois opérée la remontée de l'information à l'échelon gouvernemental, une levée de boucliers immédiate. Aux yeux des autorités gouvernementales, il ne saurait être question de court-circuiter plus longtemps la voie hiérarchique normale et, surtout, de contrarier l'esprit minimaliste du plan général de rapatriement. C'est au ministre en charge des Affaires algériennes, Louis Joxe, que l'on doit le premier rappel à l'ordre, le plus fameux malgré son caractère « Très secret ». Cette directive en date du 12 mai 1962 à l'adresse de Christian Fouchet, haut commissaire de la République en Algérie, va jusqu'à préconiser le renvoi en Algérie des supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général :

« NR 1676 TRES SECRET - PRIORITE ABSOLUE -

MINISTRE ETAT CHARGE DES AFFAIRES ALGERIENNES

A

HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN ALGERIE - ROCHER NOIR -

NR 223/Z

SUITE NOTE 215/Z DE CE JOUR

LES RENSEIGNEMENTS QUI ME PARVIENNENT SUR LES RAPATRIEMENTS PREMATURES DE SUPPLETIFS INDIQUENT L'EXISTENCE DE VERITABLES RESEAUX TISSES SUR L'ALGERIE ET LA METROPOLE DONT LA PARTIE ALGERIENNE A SOUVENT POUR ORIGINE UN CHEF DE S.A.S. JE VOUS ENVOIE AU FUR ET A MESURE LA DOCUMENTATION QUE JE REÇOIS A CE SUJET. VOUS VOUDREZ BIEN FAIRE RECHERCHER TANT DANS L'ARMEE QUE DANS L'ADMINISTRATION LES PROMOTEURS ET LES COMPLICES DE CES ENTREPRISES ET FAIRE PRENDRE LES SANCTIONS APPROPRIEES.

LES SUPPLETIFS DEBARQUES EN METROPOLE EN DEHORS DU PLAN GENERAL DE RAPATRIEMENT SERONT EN PRINCIPE RENVOYES EN ALGERIE OU ILS DEVRONT REJOINDRE AVANT QU'IL SOIT STATUE SUR LEUR DESTINATION DEFINITIVE LE PERSONNEL DEJA REGROUPE SUIVANT MES DIRECTIVES DES 7 ET 11 AVRIL. JE N'IGNORE PAS QUE CE RENVOI PEUT ETRE INTERPRETE PAR LES PROPAGANDISTES DE LA SEDITION COMME UN REFUS D'ASSURER L'AVENIR DE CEUX QUI NOUS SONT DEMEURES FIDELES. IL CONVIENDRA DONC D'EVITER DE DONNER LA MOINDRE PUBLICITE A CETTE MESURE MAIS CE QU'IL FAUT SURTOUT OBTENIR C'EST QUE LE GOUVERNEMENT NE SOIT PLUS AMENE A PRENDRE UNE TELLE DECISION.

SIGNE : LOUIS JOXE.

1825/12/05

JE REPETE 1676 223/Z 215/Z ET 11 AVRIL - LOUIS JOXE - »467(*).

Le rappel à l'ordre de Louis Joxe est immédiatement répercuté en Algérie par le colonel Buis, chef du cabinet militaire du haut commissaire de la République en Algérie, via une note en date du 16 mai 1962 à l'adresse de l'Inspecteur général des Affaires algériennes. Il y est notamment rappelé que « le transfert en métropole de Français musulmans effectivement menacés dans leur vie et dans leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération planifiée et préparée ». Le colonel Buis de conclure : « J'ai en conséquence l'honneur de bien vouloir prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de toute initiative isolée destinée à provoquer l'installation de Français-musulmans en métropole. Il vous appartiendra seulement d'instruire les demandes émanant des personnels demandant à se réfugier en métropole, et de me transmettre vos propositions, qui seront présentés au secrétariat d'État aux Rapatriés »468(*).

En métropole, c'est au Ministre de l'Intérieur Roger Frey qu'incombe la tâche de répercuter auprès des autorités déconcentrées les dispositions contenues dans la directive Joxe. Dans un télégramme « secret » en date du 17 mai 1962, il informe les préfets qu' « en dehors des transferts présentés par le haut-commissariat, et ayant reçu accord du secrétaire d'Etat aux Rapatriés, vous devez vous opposer à toute opération de ce genre »469(*).

Ainsi relayée, la directive au ton comminatoire de Louis Joxe ne tarde pas à être suivie d'effets. On peut lire, par exemple, dans Le Figaro du 23 mai 1962 : « Il y a quelque temps, une soixantaine de harkis arrivés à Marseille étaient refoulés et renvoyés en Algérie, leurs papiers n'étant pas en règle. Hier, cinquante-cinq harkis et leurs familles, venant de la région de Palestro, ont été également refoulés à leur arrivée à Marseille. Les uns et les autres, pour échapper à la menace du FLN, sont envoyés - plus ou moins régulièrement - par les officiers SAS de leur secteur. Refoulés, ils doivent regagner l'Algérie jusqu'à l'autodétermination »470(*).

À cette date, les directives Joxe et Buis sont les seules connues du grand public (elles ont notamment été publiées par le journal Combat à la suite d'indiscrétions dues à des officiers scandalisés471(*)). Elles ne sont pourtant pas isolées. Pierre Messmer, alors ministre des Armées, a lui aussi participé de cette stratégie gouvernementale de containment. Son message du 12 mai 1962 à l'adresse du Commandant Supérieur en Algérie, diffusée le même jour que la note de Louis Joxe à l'attention du haut commissaire de la République en Algérie (voir ci-dessus), ne se distingue ni dans le ton ni dans le contenu de celui du ministre en charge des Affaires algériennes :

« Il me revient que plusieurs groupes d'anciens harkis seraient récemment arrivés en Métropole (...) - Renseignements recoupés tendent à prouver que ces arrivées inopinées sont dues à initiatives individuelles certains officiers S.A.S. - De telles initiatives représentent infractions caractérisées aux instructions que je vous ai adressées (...) - Je vous prie d'effectuer sans délai enquête en vue déterminer départ d'Algérie de ces groupes incontrôlés et sanctionner officiers qui pourraient en être à l'origine - En veillant application stricte instructions qui ont fait l'objet votre note de service n°1013/CSFA/EMI/MOR du 11 avril, informer vos subordonnés que, à compter du 20 mai, seront refoulés sur Algérie tous anciens supplétifs qui arriveraient en Métropole sans autorisation de ma part, accordée après consultation départements ministériels intéressés »472(*).

Rétrospectivement, pourtant, Pierre Messmer, affectant d'avoir oublié ses propres instructions, s'est désolidarisé de son ancien collègue, Louis Joxe. Ainsi, dans un récent recueil de souvenirs intitulé Les Blancs s'en vont, il estime que le message pré-cité de Louis Joxe a soulevé à l'époque « une juste indignation »473(*). Bien plus, dans une interview donnée à l'occasion de la Journée d'hommage national aux harkis du 25 septembre 2001, Pierre Messmer avance avoir sur le moment « contredit publiquement M. Joxe lorsqu'il a parlé de sanctions »474(*). Et il ajoute : « Je vous défie de trouver un officier que j'aurais sanctionné pour avoir rapatrié des harkis. Pas un harki recueilli n'a été livré au FLN, tous ont été transportés en France avec leurs familles. Le document que vous mentionnez concerne seulement certains officiers des sections administratives spécialisées (SAS) qui rapatriaient des harkis sans accord de la hiérarchie et sans qu'aucun accueil n'ait été organisé »475(*). Or, le document précédemment produit, celui-là même qui a été mentionné par le journaliste et dont Pierre Messmer cherche visiblement à minorer la portée, témoigne de ce que l'attitude du ministre des Armées fut au contraire à l'unisson de celle du ministre d'État chargé des Affaires algériennes. Et ce tant pour ce qui a trait au renvoi des supplétifs « inopinément » parvenus en métropole que pour ce qui concerne les sanctions à prendre à l'encontre des officiers à l'origine de ces initiatives "hors cadres". Nous verrons plus avant que cette difficulté des hauts responsables de l'époque à assumer leurs actes n'est bien entendu pas sans conséquences sur la construction rétrospective d'une image des harkis (ou, plutôt, sur son "élision") au sein des relais institutionnels de la mémoire (voir la Partie 2).

Dans cette même interview, Pierre Messmer affirme que « pas un harki recueilli n'a été livré au FLN [et que] tous ont été transportés en France avec leur famille ». Cela ne fait guère de doute, en effet, pour les supplétifs recueillis dans le cadre du "plan général de rapatriement". Mais pour les autres - ceux qui étaient expressément visés par les directives pré-citées - divers témoignages tendent au contraire à établir que les ordres donnés par l'ancien ministre des Armées ont été parfois suivis d'effet. L'historien et ancien "soldat perdu" Pierre Montagnon476(*) se fait ainsi l'écho d'une des répercussions les plus tragiques de ce faisceau de directives gouvernementales. Je le cite : « Une illustration parmi d'autres de ces directives : le maghzen de la SAS des Beni Bechir, une dizaine de kilomètres au sud de Philippeville, a réussi à embarquer sur un navire s'apprêtant à appareiller à destination de la France. La quarantaine d'hommes qui le compose sait quel salut représente cet embarquement. Dans peu de temps l'ancre sera levée et ils seront sauvés. Un capitaine de l'ALN a repéré les harkis. Il leur ordonne de débarquer, ce que, bien évidemment, ils refusent. Il alerte alors le corps d'armée de Constantine commandé par le général Ducournau. Peu après, l'ordre tombe : «Faites débarquer les harkis des Beni Bechir». Agrippés au bastingage, à tout ce qui se présente, les malheureux implorent les soldats français qui, à coups de crosse, les rejettent vers le quai. «Mais vous voulez notre mort !». Peu après, tombés entre les mains de l'ALN, ils seront exécutés sur la place Marquet à quelques centaines de mètres de ce navire dont l'armée française les avait chassés »477(*).

Le colonel Bernard Moinet se fait quant à lui l'écho d'un épisode similaire, qui témoigne du rôle particulièrement actif de la Sécurité militaire (SM), affectée en Algérie au contrôle des embarquements. Est relatée ici la tentative avortée des officiers du "2/9ème hussards" pour faire embarquer certains de leurs supplétifs :

« Vers 16 heures, la nouvelle se déplaça comme une tornade : le régiment devait embarquer dans deux jours. Les harkis se concertèrent un moment - Mon lieutenant, tu nous emmènes ? L'officier se retourna, surpris et gêné. Bien sûr, on les avait acceptés et vaguement hébergés, mais sans dévoiler officiellement leur présence. - Moi, je ne peux rien pour vous, il faudrait aller voir le capitaine... Non... c'est au colonel qu'il faudrait demander, je vais en dire un mot au capitaine, revenez ce soir. À l'heure dite, ils n'étaient plus dix mais trente... Le colonel finit par sourire. - Bon, dites-leur qu'on va s'arranger pour les embarquer demain après-midi. Mais attention ! Pas de vagues ! Il faudra qu'ils soient habillés en treillis et calot de tradition pour 15 heures. Faites tout cela discrètement, Leuridan, très discrètement... Vers 16 heures, pour l'embarquement sur le Ville d'Oran, ils étaient cinquante. On les dissimula dans les GMC arrimés sur le pont supérieur... 17 heures, on s'affairait pour le départ. Pas une bâche, pas une ridelle des GMC ne bougeait. Silencieux, immobiles, les harkis attendaient le moment où s'ébranlerait enfin la grande carcasse noire du bateau. C'est alors qu'on vit monter à bord quatre personnes fort préoccupées : un colonel, un commandant, un jeune lieutenant et un Arabe en tenue fell. - La SM, souffla Leuridan. - Merde ! Il ne manquait plus qu'eux, laissa échapper le colonel. - Mon colonel, vous savez sans doute que vos GMC embarqués ne sont pas vides ? Le colonel a blêmi. Il s'est fait bel et bien piéger. Leuridan n'était plus là. Il avait donné l'ordre d'alerter les harkis et de les faire évacuer vers les cales du navire. Mais il était désormais impossible de garder les clandestins à bord. On reviendrait sans doute fouiller le bateau de fond en comble. Les supplétifs furent débarqués par une échelle arrière, emmenés par deux vedettes puis cachés dans un hangar de stockage »478(*).

En métropole, les rappels à l'ordre gouvernementaux du mois de mai motivent également un changement de ton des autorités préfectorales, qui passent de l'enregistrement quasi-anecdotique et "après-coup" des convoyages effectués en dehors du plan général - « Le voyage, sans problème, était organisé par ... » - à un signalement préventif qui s'apparente à une forme de pistage : « Ce 17 juin, vous signale l'arrivée à Millau pour demain 5 heures du matin, 29 harkis, 28 femmes et 72 enfants non compris dans le plan des autorités militaires, ils viennent de Bougie »479(*). De fait, selon Jean Monneret, « les responsables du port de Marseille demandaient par radio s'il y avaient des supplétifs à bord à chaque arrivée de bateau en provenance d'Algérie »480(*). Et l'article du Figaro du 23 mai 1962, précédemment cité, témoigne de ce que ces contrôles sont désormais susceptibles d'aboutir au renvoi en Algérie des intéressés.

Louis Joxe, dont la charge de ministre d'Etat le place en fait directement sous l'autorité du Président de la République, de même que Roger Frey et Pierre Messmer, qui se situent à sa suite, n'agissent pas en "électrons libres". Lors du Comité des Affaires algériennes (CAA) du 23 mai 1962, le Chef de l'Etat lui-même appuie de toute son autorité les instructions données par ses ministres quelques jours plus tôt et prescrit : « A. Le Ministre des Armées et le Haut Commissaire de France en Algérie veilleront à ce que les Sections administratives spécialisées cessent de prendre des initiatives au sujet du rapatriement des harkis. (...) B. Des instructions seront données aux préfets de Métropole pour qu'ils signalent au Ministère de l'Intérieur et au Secrétariat d'Etat aux Rapatriés toute arrivée irrégulière de musulmans dans leur département »481(*).

En dépit de l'hostilité affichée et agissante des autorités à l'encontre des initiatives "hors cadres", et au seuil d'une dégradation prévisible des conditions de vie (voire des possibilités de survie) offertes aux supplétifs à l'approche de l'indépendance, les initiatives sporadiques du début trouvent rapidement un semblant d'organisation dans « la constitution de véritables filières clandestines mobilisant des réseaux relationnels en marge des réseaux officiels »482(*). Ainsi, l'Association des Anciens des Affaires Algériennes (AAAA), placée sous le patronage de l'épouse du maréchal de Lattre et qui regroupe des officiers SAS, est créée à cet effet au lendemain de la diffusion des directives Joxe et Messmer. Son action vient renforcer celle de l'Amicale de la demi-brigade des fusiliers marins (déclarée le 3 mars 1962), du Comité national de solidarité pour les Français musulmans réfugiés, de l'Association des familles et amis des parachutistes coloniaux, et de diverses associations d'officiers de réserve ou comités d'aide. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou soulignent que leur action ne consistait pas seulement à convoyer, d'une manière ou d'une autre, les supplétifs vers la métropole, « mais à les accueillir à leur arrivée et à leur assurer travail et emploi »483(*). Ces opérations de convoiement vers la métropole, généralement menées dans le plus grand secret, s'apparentent à un véritable jeu de cache-cache avec les autorités. À cet égard, le débarquement en France - de même que l'embarquement en Algérie - sont les phases les plus délicates, comme en témoigne cette bénévole de la Croix-Rouge, témoin et complice d'un jour :

« En juin et juillet 1962, j'étais, avec mon frère et ma belle-soeur, bénévole de la Croix-Rouge pour l'accueil des rapatriés. Vers la fin du mois de juin, je signale au commandant du Ville-d'Oran que je désire m'embarquer pour aider les rapatriés et pour revoir mon père dont nous n'avions plus de nouvelles. En pleine discussion avec le commandant, j'aperçois un capitaine qui me regarde attentivement. Puis, ce capitaine s'approche de moi et il me dit qu'il a pu embarquer quelques-uns de ses harkis mais qu'il n'est pas sûr de pouvoir les débarquer. Il me demande si je connais quelqu'un avec une voiture afin d'emmener le plus discrètement possible ses harkis - je n'ai jamais su combien il y en avait - du port vers une ferme des Basses-Alpes. Mon frère avait une voiture mais il était déjà occupé à amener une famille juive pied-noire à Sainte-Marguerite. Finalement, un ami se porte candidat. On réussit à entrer dans le port et on place la voiture près des larges portes des cuisines et des marchandises. De là, sort un premier harki, complètement ébloui par la lumière, que je distingue bien, portant un tout petit baluchon, avant que l'officier ne lui mette un vêtement sur la tête et les épaules. Combien se sont engouffrés dans cette voiture, je ne le sais pas, car pour ne pas attirer l'attention, je suis retournée à mon travail d'aide dans les hangars de la Joliette. Je n'ai jamais su ce qu'ils étaient devenus »484(*).

Exceptionnellement, cependant, lorsque l'activation de proches réseaux de solidarité ne suffit pas à assurer la prise en charge des supplétifs et de leurs familles - notamment s'ils arrivent en grand nombre, l'opération peut être délibérément rendue publique une fois l'embarquement effectué en Algérie : il s'agit alors autant de mobiliser les bonnes volontés (pour pourvoir à l'accueil des réfugiés) que de placer les autorités devant le fait accompli, en tablant sur la pression exercée par l'opinion publique pour éviter que ne soit mise à exécution la menace de renvoi en Algérie. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l'"exfiltration" de la harka de Sidi Ali bou Nab (Kabylie) par l'Association des familles et amis des parachutistes coloniaux et l'Amicale des anciens de cette commune, annoncée triomphalement en page 6 du Méridionial du 8 juin 1962, à quelques heures de l'arrivée des intéressés. Le titre de l'article est à lui seul éloquent : « Vouée à l'égorgement après avoir défilé sous l'Arc de triomphe, la harka de Sidi Ali bou Nab où figurent des soldats des plus décorés de France est sauvée ! Leur marraine, Mme Françoise Valentin, en appelle à la fraternité métropolitaine » 485(*). Suit l'article : « Par un prochain bateau, aujourd'hui ou demain, vont arriver 60 harkis et moghaznis et leurs familles, soit 337 personnes dont 157 enfants, 94 femmes et 26 vieillards avec pour unique bagage leur volonté de rester français et vivants (...). Fidèles aux engagements, respectueux de leur serment, les anciens chefs de la SAS de ce village, le lieutenant Mondedeo, MM. De Planta et Faye sont parvenus à faire leur devoir (...). Ils recherchent d'urgence de vastes locaux, anciennes colonies de vacances, entrepôts, usines désaffectées où l'on pourrait abriter 250 à 300 personnes »486(*). Jean Monneret de souligner combien l'attitude de ce journal était peu représentative de celle de la grande presse nationale qui, pour reprendre les termes de l'auteur, « fut réservée au sujet des harkis et n'en parla guère avant le mois de juillet 1962 [début des massacres] »487(*).

Rétrospectivement, Nicolas d'Andoque, l'un des fondateurs de l'A.A.A.A., s'est interrogé sur les fondements de l'hostilité agissante des pouvoirs publics à l'égard de telles initiatives : « Il fallait se résigner : nous étions seuls. La reculade de l'administration en cette tragique affaire me paraît encore aujourd'hui aussi incompréhensible qu'inadmissible. Où diable étaient les risques ? Quelles foudres menaçaient une action de pure justice aussi évidente ? »488(*). En fait, l'intéressé n'était pas sans savoir qu'au moment où avaient été édictées les directives Joxe et Messmer, leurs auteurs vivaient dans la crainte que ces initiatives privées, sous un paravent humanitaire, n'aient d'autre but que de concourir à la structuration militaire de l'OAS en métropole.

- L'assimilation des harkis à des recrues potentielles de l'OAS

Ainsi, Louis Joxe, dans son intervention au Conseil des ministres du 23 mai 1962, évoque le cas des harkis, « qui veulent partir en masse ». Il ajoute, sous la forme d'un amalgame évident avec l'OAS : « Il faut combattre une infiltration qui, sous prétexte de bienfaisance, aurait pour effet de nous faire accueillir des éléments indésirables »489(*). Déjà, évoquant les jeunes pieds-noirs lors du Conseil des ministres du 9 mai, Louis Joxe avait déclaré : « C'est une mauvaise graine, une graine de fascisme. Il vaut mieux les laisser là-bas »490(*). Ces "craintes" ou ces préventions seront relayées instamment par la grande presse. Par Le Figaro, d'abord. Dans un éditorial en date du 22 mai 1962, Serge Bromberger avance que « dans un certain nombre de cas précis [dont l'auteur ne rend pourtant pas compte], l'on tend à faire entrer en métropole des éléments déracinés ayant la pratique des armes, et destinés à servir de moyens d'action à l'OAS »491(*). Puis c'est au Monde, le lendemain, de se faire l'écho des préventions gouvernementales. Dans un article intitulé « De l'entraide à l'utilisation des harkis en métropole », Jean Planchais suggère, sans plus d'éléments tangibles que son confrère, que l'« on cherche à susciter à l'occasion du cas des harkis, une opposition à l'application des Accords d'Evian, voire à faire venir en Métropole des groupes de supplétifs pour les mettre au service de l'OAS »492(*). Et il ajoute : « En définitive, à l'heure actuelle, plusieurs centaines et non plusieurs milliers, comme il a été dit parfois, de harkis ont demandé à être envoyés en Métropole en compagnie de leurs familles »493(*). La curieuse concomitance de ces "éclairages" (les 22 et 23 mai) laisse penser, à l'évidence, que les inspirateurs de ces articles relèvent d'une seule et même source gouvernementale.

Rétrospectivement, de telles extrapolations apparaissent à bien des égards malavisées. Mais qu'en était-il sur le moment ? Une chose est sûre : les « cas précis » évoqués par Serge Bromberger, pour autant qu'ils aient existé, n'ont jamais été portés à la connaissance du grand public. Et rien, dans les travaux des historiens, ne vient témoigner ne serait-ce que de l'amorce d'une tentative de constitution d'un maquis harkis-OAS en métropole. Qu'en conclure ? Faut-il croire que ceux qui sont à l'origine de telles allégations - à commencer par Louis Joxe - n'aient eu d'autre but, en fait, que de désamorcer l'indignation naissante suscitée par le strict contingentement des rapatriements offerts aux anciens supplétifs (indignation attisée, nous l'avons dit, par la divulgation des directives secrètes Joxe et Buis, rendues publiques par le journal Combat) ? Pour l'historien Jean Monneret, cette propension à diaboliser les anciens supplétifs et ceux qui leur portaient assistance s'inscrivait « dans la malheureuse logique des choses » : « Pour le gouvernement, la politique définie à Évian était bonne, et ce qui venait contrarier la vision optimiste de l'avenir qui en découlait était vu avec suspicion ou hostilité »494(*). De même, pour Anthony Clayton, « les excès de l'OAS, autour desquels toute la publicité nécessaire est faite, permettent de détourner l'attention du monde sur le sort catastrophique des harkis et des Français d'Algérie »495(*).

Certes, l'OAS comptait des musulmans dans ses rangs, et certains de ses éléments européens étaient d'anciens chefs de harkas. Une tentative d'implantation d'un maquis « Algérie française » avait même été contrecarrée dans l'Ouarsenis, qui mêlait harkis et commandos de l'OAS. Mais cette initiative était restée isolée et n'avait jamais menacé de faire tâche d'huile. Elle reposait en grande partie sur la personnalité du bachaga Saïd Boualam, député de l'Orléanvillois et vice-président de l'Assemblée nationale, qui avait beaucoup à craindre du FLN. Une semaine après la conclusion des accords d'Évian, le bachaga avait accepté d'engager quelques centaines de harkis des Beni-Boudouane aux côtés d'un détachement de quatre-vingt hommes venus d'Alger. Il avait posé deux conditions : 1. « que l'OAS se montre capable de provoquer le passage à la dissidence de plusieurs unités constituées » ; 2. « que le sang ne coule pas »496(*). Cette opération commando, ponctuée par l'occupation de trois postes militaires, revêtit d'abord les apparences d'un succès. Mais la riposte des autorités fut immédiate et violente, contrairement aux attentes du bachaga et du colonel Gardes qui espéraient des ralliements : l'état-major fit donner l'aviation, acculant les commandos OAS à la dispersion. De leur côté, les harkis des Beni-Boudouane, après avoir temporairement renseigné et hébergé les fuyards, choisirent finalement, sur ordre du bachaga Boualam, de rentrer dans la légalité : le bachaga avait directement négocié leur reddition contre la promesse d'un prochain rapatriement. Ce qui fut fait, mais seulement au compte-gouttes. Et pour ceux - la majorité - qui n'eurent pas la chance d'être rapidement transférés en métropole, la suite des événements fut sans surprise. Saïd Boualam : « Après l'aventure Gardes dans l'Ouarsenis, tous mes harkis, tous mes hommes avaient été désarmés. L'armée française se retirant peu à peu, le FLN était à mes portes (...). Sur les quinze mille personnes de mon douar, j'ai pu en faire ramener, en me démenant, un millier environ. Les autres sont là-bas ou ne sont plus »497(*). Selon le capitaine Grenier, qui commanda la SAS de Lamartine de 1958 à la fin de 1960, « sur les quelque mille hommes qui composaient la harka du bachaga Boualam, plus de la moitié ont été mis à mort dans le douar des Beni-Boudouane »498(*).

Cette tentative avortée d'implantation de maquis « Algérie française » dans l'Ouarsenis en préfigurait-elle d'autres, en métropole cette fois ? Rien, hors les déclarations précitées de Louis Joxe, ne vient factuellement nourrir de telles allégations. Il n'est pas d'exemple connu d'initiatives de transfèrement de supplétifs vers la métropole ourdies par des "desperados" de l'OAS. Et on voit mal comment les initiatives ponctuelles dues à des officiers SAS ou à d'anciens chefs de harkas, servies par des filières aux ramifications diverses, eussent pu constituer le socle d'une nouvelle armée secrète. Par surcroît, et pour ce qui concerne spécifiquement les harkis, de telles collusions avec l'OAS eussent perdu tout leur sens, et certainement toute leur efficacité, une fois les intéressés repliés en métropole. Dès lors, assimilant ainsi les rapatriements opérés en dehors des voies officielles à des entreprises séditieuses plutôt qu'à des entreprises de sauvegarde, et les supplétifs soucieux de gagner la métropole à une masse de manoeuvre potentielle de l'OAS plutôt qu'à des réfugiés, les autorités ont-elles sincèrement pensé déjouer quelque menée subversive ? Ou cette attitude visait-elle plus prosaïquement à éluder les véritables raisons qui, depuis l'hiver 1960-1961, avaient conduit les autorités à planifier le maintien des supplétifs en Algérie en cas de "sécession" ?

Quoiqu'il en soit de l'épaisseur factuelle de telles allégations, l'assimilation des harkis à des troupes de choc potentielles de l'OAS en métropole est symptomatique de la ligne de conduite effective du gouvernement à l'égard des musulmans pro-français à cette période, à savoir : une politique de mise à distance. Il est un fait, nous l'avons dit, que, durant la phase transitoire qui courre de la conclusion des accords d'Évian à l'accession à l'indépendance de l'Algérie, les discours officiels tendent à minorer les dangers auxquels sont susceptibles d'être exposés les anciens supplétifs et leurs familles. Dès lors, dans un contexte qu'elles se refusent à reconnaître comme insécure (du moins publiquement), les autorités, plutôt que d'appliquer systématiquement le principe de précaution au bénéfice de leurs anciens serviteurs d'arme, vont jusqu'à renverser la charge de la preuve et du soupçon : il appartient aux ex-supplétifs désireux d'être rapatriés en métropole d'apporter la "preuve" de l'effectivité des menaces qui pèsent sur eux. Quant à ceux qui, n'ayant pas souhaité suspendre leurs possibilités de survie à l'attitude défiante des autorités, ont choisi de gagner la métropole par leurs propres moyens (ou via l'entremise de filières parallèles), ils sont suspectés de vouloir attenter à la sûreté de l'État, et menacés d'être renvoyés en Algérie.

Nous l'avons vu, cette attitude suspicieuse trouve dans la presse quotidienne une utile caisse de résonance. C'est ainsi qu'un mois après avoir relayé les soupçons de collusion entre harkis exfiltrés en dehors des voies officielles et OAS, Jean Planchais récusait avec véhémence dans Le Monde du 21 juin 1962 une déclaration du général Weygand qui, dans Le Monde du 16 juin, s'était fait l'augure des massacres de supplétifs : « Il est tout aussi faux d'affirmer, non sans arrière-pensées politiques, que des milliers de harkis aient été massacrés depuis le cessez-le-feu et que des dizaines de milliers d'autres soient menacés »499(*). Commentaire de Jean Monneret : « Si la première subordonnée complétive exprimait la réalité, - des milliers de harkis n'avaient pas encore été massacrés -, il n'en allait pas de même de la seconde et l'avenir allait bien montrer que le péril pesant sur des milliers d'hommes et de femmes n'était pas une vue de l'esprit »500(*).

Pour autant, les premiers transferts officiels de juin 1962 qui, après moult tergiversations, sanctionnaient la mise en place effective du "plan général de rapatriement" (voir supra), auguraient-ils d'un assouplissement de l'attitude des autorités, voire d'une plus grande réactivité ? Bien au contraire, à compter de cette date, l'attitude du gouvernement n'aura de cesse de se raidir, témoignant de ce que la frilosité initiale des autorités était tout sauf accidentelle. De fait, au moment même où, à l'approche de l'indépendance, la situation se dégrade visiblement sur le terrain, l'attitude des autorités change de nature : l'on passe ainsi d'une phase de minoration des périls et de minimalisation du dispositif de prise en charge préventive (19 mars - 2 juillet 1962) à une phase de dénégation pure et simple des représailles effectivement perpétrées et, corrélativement, d'obstruction quasi-systématique aux opérations de secours et à l'accueil des ex-supplétifs dans les casernements en cours de démantèlement (à partir du 3 juillet).

b.2.2. De la minoration des périls à la dénégation des persécutions (à partir du 3 juillet 1962)

En l'espace d'un mois, une succession d'échanges de correspondance, de prises de décisions et de directives donnent le ton de ce que sera l'attitude des autorités françaises à l'égard des ex-supplétifs à compter de l'accession à l'indépendance de l'Algérie (le 3 juillet), et même dès avant :

- le 21 juin, le Comité des Affaires algériennes (CAA) décidait que « l'intervention d'initiative ne devra être envisagée pour assurer la protection de nos Forces et celle de nos nationaux que dans les cas de légitime défense ou d'attaque caractérisée »501(*). Autrement dit, les troupes encore stationnées en Algérie ne sauraient faire usage de la force qu'en situation de légitime défense donc d'agression caractérisée à leur encontre ou à l'encontre des Français d'Algérie, et non pour prêter secours à des éléments tierces, quand bien même s'agirait-il de musulmans suppliciés pour leurs engagements passés pour ou aux côtés de la France. Car, du fait même qu'ils ont été rendus à la vie civile et automatiquement déchus de la nationalité française au jour de l'indépendance, ceux-ci ne sauraient être désormais considérés ni comme des membres des forces armées ni comme des « nationaux ». Le 24 août, une note du général de Brébisson, Commandant Supérieur des Forces Armées en Algérie, répercutera de manière plus explicite encore ces instructions et précisera qu' « il y a lieu de ne procéder en aucun cas à des opérations de recherche dans les douars de harkis ou de leurs familles »502(*). A cet égard, les témoignages rétrospectifs du général Buis503(*), de Pierre Messmer504(*) et Jean-Marcel Jeanneney505(*) apportent des éclairages décisifs sur ce que fut, en effet, la stratégie gouvernementale.

- le 15 juillet, Louis Joxe réitère ses instructions du 12 mai quant à l'interdiction des rapatriements initiés en dehors des voies officielles et au démantèlement des filières concernées.

- le 19 juillet enfin, Pierre Messmer, dans une lettre à Louis Joxe, considérant que « les moyens mis en oeuvre [dans le cadre du plan général de rapatriement], tant du point de vue du personnel que des locaux et du matériel, représentent pour les armées une somme de charges et d'efforts considérables qu'il est malaisé de maintenir et qu'il ne peut être question d'accroître », estimait que « l'armée est ainsi arrivée à la limite du concours qu'elle peut accorder »506(*). En conséquence, Pierre Messmer, soucieux de tarir au plus vite le flux des rapatriements, demandait à Louis Joxe « une intervention rapide et ferme auprès de notre représentant en Algérie »507(*). Et, ce, au moment même où s'amorçait, en Algérie, une première vague de répression massive à l'encontre des anciens compagnons d'armes de l'armée française508(*). Un état de fait que Pierre Messmer, régulièrement informé par ces services, ne pouvait ignorer. Le bulletin de renseignement mensuel du C.A. d'Alger décrit ainsi la situation en juin 1962, avant même l'accession à l'indépendance de l'Algérie : « Le sort des musulmans engagés à nos côtés est tragique. En dépit des promesses de pardon du FLN, les enlèvements d'hommes, de femmes et d'enfants, les exécutions sommaires, mises en quarantaine, les travaux forcés dans les camps de l'ALN en font des parias »509(*). C'est pourtant un tableau tout autre que brosse le ministre des Armées aux fins de justifier sa requête : « Il semble d'ailleurs que, les intéressés ayant eu le temps et la possibilité d'apprécier les conditions de leur reconversion en Algérie, les options pour la Métropole qui pourraient aujourd'hui se manifester ne devraient être le fait que de quelques rares individus, pourvu que soit vérifié soigneusement la justification du départ sollicité et que soient déjouées toutes manoeuvres, inconscientes ou mal intentionnées, pour maintenir le courant des départs »510(*). Ainsi, à l'unisson du destinataire de cette lettre, Pierre Messmer a été de ceux qui ont alimenté la rumeur selon laquelle, compte tenu des conditions selon lui « appréciables » offertes aux ex-supplétifs dans le bled, nombre de départs auraient été, à n'en pas douter, « mal intentionnés » (voir ci-dessus la section : « L'assimilation des harkis à des recrues potentielles de l'OAS »). Louis Joxe, en parfaite accointance avec Pierre Messmer sur ce point, répercute avec diligence la demande du ministre des Armées et, dès le 23 juillet, écrit en ces termes à l'ambassadeur de France en Algérie, Jean-Marcel Jeanneney, au sujet de l' « envoi en France de supplétifs musulmans » : « Je vous serais obligé de me tenir étroitement informé des demandes de migration de musulmans qui vous seraient présentées et de ne mettre personne en route avant d'avoir reçu les directives du Ministre des Armées ou de moi-même »511(*).

Ainsi, en l'espace d'un mois à peine, l'on passe d'une phase de minoration des périls à une phase de dénégation publique de l'aggravation de la situation sur le terrain (pourtant parfaitement connue et documentée en hauts lieux) : il ne s'agit donc plus simplement de contenir dans des limites aussi ténues que possible ce dispositif de protection préventif qu'est le plan général de rapatriement (que l'on estime d'ailleurs avoir été « intégralement réalisé »512(*)), mais de s'abstenir - autant que possible - de toute opération de sauvegarde (même passive) en interdisant les interventions d'initiative d'une part, en invitant les troupes encore présentes en Algérie à n'offrir qu'exceptionnellement asile aux musulmans persécutés par le FLN.

À cet égard, les instructions édictées par le général de Gaulle dans le secret des débats du Comité des affaires algériennes du 17 juillet 1962 et du Conseil des ministres du 25 juillet, puis du 29 août, sont le témoignage le plus éclatant de cette "politique de l'autruche". Lors du Comité des affaires algériennes du 17 juillet, le chef de l'Etat estime que « partout où il n'y a pas d'Européens, il y a intérêt à ne laisser personne ». Par suite, lors du Conseil du 25 juillet, en réponse au ministre des Armées, Pierre Messmer, qui lui fait part des demandes pressantes des autorités civiles et militaires encore présentes en Algérie sur la position à tenir quant à l'accueil et au transfèrement des ex-harkis et des ex-fonctionnaires musulmans qui viennent trouver refuge dans les casernements français, le général de Gaulle oppose une fin de non-recevoir brutale : « On ne peut accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France, comme tels, que s'ils couraient des dangers ! »513(*). Quatre ans auparavant, cependant, le général de Gaulle lui-même - au cours de sa conférence de presse du 23 octobre 1958 - déclarait : « A quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays [l'Algérie] si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner ! ». Le général de Gaulle est-il moins bien avisé en 1962 qu'il ne l'était en 1958 ? L'information existe, pourtant, puisque, outre le bulletin de renseignement mensuel du C.A. d'Alger du mois de juin (voir ci-dessus), les fiches du Deuxième Bureau rendent instantanément compte, en juillet 1962, de la brutale aggravation de la situation. « En juillet, observe Jean Monneret, les fiches du Deuxième Bureau concernant les harkis se multiplient et prennent rapidement une forme torrentielle. Certains des renseignements fournis ne sont pas recoupés mais d'autres sont d'excellente qualité, et portent les codes B3 ou A1. C'est le cas du bulletin du 28 août qui indique que l'ALN a ordonné de rafler tous les harkis et leurs enfants de plus de 12 ans, dans le Constantinois. Ils sont dirigés vers le barrage et employés au déminage ». Jean Monneret ajoute : « Les dossiers consultés renferment une véritable litanie de récits de torture, viols, sévices et cruautés diverses. Tous mentionnent que les ex-supplétifs sont dépouillés de leur argent et de leurs biens. La liste des lieux d'internement et d'exécution est extrêmement dense et basée sur des informations A1 ou B2. (...) Les harkis ne sont pas seuls visés, d'anciens élus le sont également514(*) qui vont durement payer leur participation aux consultations de naguère où ils ont bravé les consignes du FLN »515(*).

Pourtant, lors du Conseil des ministres du 29 août, le chef de l'Etat, s'il reconnaît cette fois - à demi-mot - la gravité de la situation, persiste dans la ligne de conduite qui est la sienne et qu'il veut être celle du gouvernement : « Il faut bien admettre que l'Algérie vit actuellement dans la confusion. Mais il est de notre devoir de faire comme si elle devait s'en sortir »516(*). Déjà, nous l'avons vu, au cours du Comité des affaires algériennes du 16 mai 1962, le chef de l'Etat avait clairement tracé la voie : « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l'ordre après l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles autorités »517(*).

Ainsi, à compter du jour de l'indépendance, la "politique de l'autruche" prend logiquement la suite des discours qu'avait inspiré la "méthode Coué" au cours de la phase initiale de minoration des périls (voir supra). Sur le terrain, pourtant, la dégradation de la situation sécuritaire est telle que l'afflux de réfugiés dans les camps de regroupement de l'armée française, loin de se tarir, aboutit à une situation d'étranglement incontrôlable en dépit des instructions gouvernementales. Cette situation motive d'ailleurs des messages en cascade de la part du nouveau Commandant supérieur en Algérie, le général de Brébisson, au début du mois d'août 1962. Le 4, il adresse au ministre des Armées, Pierre Messmer, le message suivant (n°1820/CSFAFA/EMI/MOR) : « Epuration menée par les populations et l'ALN envers ex-supplétifs se poursuit avec une violence accrue. De ce fait 2.300 personnes ont demandé asile et ont été recueillies. Situation pitoyable anciens compagnons d'armes menacés émeut à juste titre cadres et troupes. Honneurs vous demander instamment autoriser embarquement vers Métropole ex-supplétifs menacés, tant que pouvoir central algérien se révélera incapable faire cesser violences à leur égard »518(*). Ce message, en décalage total avec celui du ministre des Armées quant à l'analyse de la situation sécuritaire (voir ci-dessus), ne pouvait que susciter une réaction attentiste de sa part. Le directeur de cabinet du ministre répond en ces termes, le 6 août (n°04433 MA/CM) : « En raison sujétions nées du retour des unités d'Algérie et de l'accueil des réfugiés, les possibilités d'accueil de nos camps sont provisoirement épuisées. Prendre les dispositions nécessaires pour assurer localement sécurité et hébergement ex-supplétifs menacés »519(*). Quelques jours plus tard, le 11 août, le général de Brébisson, qui craint d'être débordé, insiste (n°1858/CSFA/EMI/MOR) : « Du fait poursuite épuration violente, nombre de personnes recueillies en accroissement quotidien. Cette situation devient de plus en plus préoccupante. Honneur renouveler demande autorisation embarquer vers Métropole ex-supplétifs menacés »520(*).

L'on ignore quand intervint la réponse du ministre des Armées, mais la teneur en transparaît clairement dans cette nouvelle note du général de Brébisson, en date du 24 août (au plus fort de la première grande vague de représailles), qui passe soudainement d'une optique alarmiste et volontariste à une optique restrictive et non-interventionniste : « Le Général Commandant Supérieur a entrepris de nombreuses démarches pour obtenir le transfert en France des harkis actuellement en danger. La principale difficulté qui s'oppose à ce transfert est l'impossibilité de donner du travail en France aux ex-harkis et moghaznis rassemblés dans les camps. Toutes les tentatives faites ont été extrêmement décevantes. Il semble que la plupart des Algériens ainsi déplacés hors de leur pays soient inadaptables. Il est possible que les efforts faits par l'Ambassade et le Commandement pour obtenir le transport en France des quelque 4.000 personnes actuellement dans les camps et les unités d'Algérie aboutissent à bref délai (...). On peut penser qu'après cet afflux, il n'y aura plus que des cas isolés. Une fois opéré, s'il est décidé, le transfert de ces 4.000 Algériens, le Gouvernement ne sera plus en mesure d'absorber en France d'autres réfugiés de cette catégorie. Il est donc essentiel d'orienter les Commandants de Divisions de façon qu'ils préparent leurs cadres à cesser de donner asile à des Algériens, sauf dans des cas très exceptionnels ». Par surcroît, nous l'avons dit, cette note répercute avec zèle les instructions du Comité des affaires algériennes du 21 juin et précise qu' « il y a lieu de ne procéder en aucun cas à des opérations de recherche dans les douars de harkis ou de leurs familles »521(*).

Ce n'est qu'un mois plus tard, à l'issue de la première grande vague de représailles (qui s'est étalée de la mi-juillet à la mi-septembre 1962) et au seuil de la seconde (à compter de la mi-octobre), que survinrent les premières protestations françaises en Algérie, et que fut décidé un assouplissement relatif (et très provisoire, nous allons le voir) de la politique de transfèrement vers la France des ex-supplétifs. Le 19 septembre 1962, l'ambassadeur de France, Jean-Marcel Jeanneney évoque, dans un courrier qu'il adresse à Abderrahmane Farès, président (à bien des égards fantoche) de l'Exécutif provisoire, « le cas particulièrement douloureux de ces hommes et de leurs familles. Près de deux mois se sont écoulés et l'on est obligé de constater que les violences n'ont pas cessé. Il ne se passe pas de jour que l'on ne relève en différents points du territoire algérien des arrestations, des tortures, des exécutions. (...) Ils [les ex-supplétifs] subissent, suivant des témoignages dont cette ambassade n'est pas la seule à avoir connaissance, des traitements particulièrement odieux. A aucun moment le gouvernement algérien n'a formellement désavoué ces violences, ni donné aux autorités responsables des directives précises dans le sens de l'apaisement »522(*). Le même jour, le Premier ministre, Georges Pompidou, informe le ministre des Armées qu' « [il] estime nécessaire, à la suite des demandes qui ont été présentées par le Général Commandant Supérieur en Algérie, ainsi que par notre Ambassadeur, d'assurer le transfert des anciens supplétifs qui sont venus chercher refuge auprès des Forces Françaises, sous la menace de représailles de leurs compatriotes »523(*).

Ces inflexions tardivement et provisoirement données à la politique initiale n'en marquent en fait qu'un assouplissement très relatif puisque, dans le même temps, les autorités françaises, plutôt que d'ouvrir largement les centres aux familles persécutées, s'évertuent encore et toujours à en contingenter l'accès ainsi que le flux des rapatriements : il s'agit simplement d'évacuer les ex-supplétifs et membres de leurs familles déjà regroupés dans les centres d'hébergement, non d'ouvrir plus largement ces centres et d'intensifier, à l'avenir, le flux des rapatriements. Bien au contraire, une note du général Valentin du 17 octobre 1962 (n°2280/CSFAFA/EMI/CEM) ordonne aux responsables de ces centres de se conformer strictement à la lettre des instructions précédemment diffusées : « Les différents centres d'hébergement d'Algérie rassemblent actuellement 6.200 musulmans menacés et membres de leurs familles. Ce nombre aurait tendance à s'accroître de 20 par jour. Le général commandant supérieur a pourtant donné des ordres précis pour que cet asile ne soit accordé qu'aux cas exceptionnels. (...) Dès maintenant le général commandant supérieur est obligé, contre son gré, de prendre des mesures pour stopper cet exode régulier vers les centres d'hébergement. (...) Cette prise de position aura une certaine répercussion sur le moral des petits échelons au contact avec des situations souvent dramatiques »524(*). Trois jours plus tard, à la suite de sa note du 24 août (voir ci-dessus), le général de Brébisson lui-même réitère ses instructions dans une nouvelle note, plus restrictive encore, en date du 20 octobre 1962 et adressée du vice-amiral de Querville :

« Note personnelle du commandant supérieur des Forces Françaises en Algérie à Monsieur le Vice-Amiral d'Escadre Commandant Supérieur de la base de Mers-el-Kébir

Objet : protection des ex-supplétifs et personnes ayant aidé les Forces Françaises

Référence : ma note n°1920 CSFAFA/EMI/MOR du 24 août 1962

1. Dans ma note citée en référence, j'ai attiré votre attention sur les difficultés présentées par l'arrivée, en France, des ex-supplétifs et personnes ayant aidé les Forces françaises, et je vous demande d'inciter à n'accorder asile que dans des cas exceptionnels. Malgré cette mise en garde, le nombre de Musulmans hébergés dans nos camps d'Algérie s'accroît régulièrement. Il dépasse actuellement 6.000 malgré les 1.300 départs en France au cours des mois de septembre et d'octobre.

2. Le Ministre m'a, d'autre part, fait savoir que la possibilité d'absorption de la Métropole en hiver serait, après ces premiers départs, largement saturée. Comme de plus, il est à craindre que le gouvernement algérien, dont l'autorité du pouvoir central se confirme, prenne rapidement ombrage de nos centres largement ouverts à ses opposants, il est nécessaire que le courant des Musulmans menacés qui alimente régulièrement nos camps, à raison de 20 par jour, soit interrompu.

3. En effet, la situation économique en Algérie risque d'inciter les Musulmans à venir chercher dans nos centres, puis ensuite en Métropole, l'alimentation et les ressources financières qui leur font particulièrement défaut.

De plus, la situation politique algérienne est suffisamment fluide pour que tout supplétif puisse s'estimer plus ou moins menacé et envisage facilement un exode vers la France.

4. Vous voudrez bien en conséquence :

- faire vérifier que le personnel actuellement dans les camps correspond bien aux catégories prévues pour recevoir notre aide (voir à ce sujet télégramme 1881 du 16 août et note de service 2152 du 20 octobre) ;

- suspendre dès maintenant toute nouvelle admission dans les camps. Les cas reconnus exceptionnels par les commandants de division me seront soumis pour décision ; en attendant celle-ci, l'accueil devra conserver un caractère provisoire. Les éléments d'appréciation me seront transmis par messages postalisés.

Signé : De Brébisson525(*)

Suspects, sans doute, de ne pas avoir assez fait montre de leur esprit de sacrifice527(*) pour en plus avoir l'outrecuidance de s'inviter dans la cuisine des Français, les harkis menacés et persécutés qui viennent chercher refuge auprès de leurs anciens compagnons d'armes sont ainsi avilis au rang de "pique-assiette" par le Commandant Supérieur des Forces Armées en Algérie. Il apparaît du reste à nouveau clairement dans ce message (« il est à craindre que le gouvernement algérien, dont l'autorité du pouvoir central se confirme, prenne rapidement ombrage de nos centres largement ouverts à ses opposants ») que la poursuite de la "coopération" avec les nouvelles autorités algériennes - ô combien vaine dans l'ensemble, et à sens unique528(*) - prévalait sur la préservation des vies de ceux qui, censément, étaient protégés dans leur intégrité physique et morale par la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian.

Trois jours plus tard, le Cabinet du ministre des Armées, dans un message en date du 23 octobre 1962 adressé au Commandement supérieur en Algérie (n°5945/MA/CM), insiste à nouveau sur l'impérieuse nécessité de tarir au plus vite le flux des hébergements et des rapatriements : « Transfert reliquat musulmans regroupés sous protection armée sera effectué à partir 10 novembre. (...) Capacités absorption camps devant être atteintes après transfert ces personnels estimés à 6.500, aucune promesse de transfert en métropole ne devra plus être faite à musulmans qui demanderont protection armée française »529(*).

Or, cette cascade de rappels à l'ordre intervient au moment même où s'amorce la deuxième grande vague de représailles en Algérie530(*). Des fiches préparatoires à la réunion du Comité des Affaires algériennes (CAA) du 16 novembre 1962 font ainsi état de « plusieurs milliers d'anciens supplétifs détenus dans des camps (aveu des Algériens au C.I.C.R.) (...). Nombre d'entre eux ont succombé à d'horribles violences (...). L'engagement de non-représailles a donc été ouvertement violé (...) »531(*). Les membres du Comité (dont le général de Gaulle) prennent-ils connaissance de ces documents établis à leur intention ? Dans l'affirmative, choisissent-ils de n'en pas tenir compte ? Il faut croire que oui puisque, à l'issue de cette réunion, le chef de l'Etat ordonne au Premier ministre de « [mettre au point] avec les ministres concernés les mesures propres à organiser et limiter dans les plus brefs délais l'immigration algérienne en France »532(*). Du reste, ainsi que le signale Maurice Faivre, qui a eu accès aux procès-verbaux de ces réunions, le sort des supplétifs n'a plus été évoqué par le CAA depuis la réunion du 21 juin 1962, et ne le sera plus jamais jusqu'à sa dissolution533(*). Début 1963, c'est encore et toujours l'indifférenciation et le déni de la situation sécuritaire qui prévalent dans les propos du général, s'exprimant dans le cadre d'une audience privée accordée à Alain Peyrefitte, son ministre de l'Information : « Nous ne devons pas nous laisser envahir par la main-d'oeuvre algérienne, qu'elle se fasse passer ou non pour des harkis ! Si nous n'y prenons garde, tous les Algériens viendraient s'installer en France »534(*). Des propos parfaitement dans la ligne et dans l'esprit de la note Brébisson du 20 octobre 1962, précédemment citée, considérant que la situation était « suffisamment fluide » en Algérie pour qu'il fût possible de considérer que tout ou partie des musulmans qui se pressaient aux portes des centres de regroupement de l'armée française ne fussent en fait, plutôt que des réfugiés politiques gravement menacés, des opportunistes en quête d' « alimentation et de ressources financières ».

Dans une note adressée au ministre des Armées (n°0211/CSFAFA/EMI/BIEM), le général de Brébisson signale la persistance, au printemps 1963, de brimades, sévices et assassinats qui acculent les anciens supplétifs et membres de leurs familles à demander asile aux militaires français : « Des sévices et des meurtres sont encore signalés. Il importe de noter que dans beaucoup de régions d'Algérie les harkis et leurs familles ne peuvent bénéficier d'une vie normale et qu'à la moindre occasion, la possibilité de gagner leur pain leur est déniée. Le gouvernement algérien n'est pas inconscient de ce problème : dans certains cas, malheureusement peu fréquents, il a pris des mesures pour faire cesser les violences, mais, la plupart du temps, il a encouragé ou laissé faire. (...) Périodiquement, donc, des supplétifs qui avaient tenté leur chance en restant en Algérie viennent demander asile, et nous prouvent par les marques qu'ils portent sur leur corps que leurs demandes sont justifiées »535(*). Ceci, pourtant, n'empêche pas le général de Brébisson, en ce même printemps 1963, de continuer à adopter une posture "tatillonne" à l'encontre des anciens supplétifs, allant dans le sens d'un strict contingentement du flux des rapatriements. Dans une lettre adressée au ministre des Armées en date du 29 mai 1963, le général de Brébisson indique avoir prescrit « que les enquêtes soient menées avec soin par la sécurité militaire et par nos divisions et brigades. Tous les cas de rapatriement devront [lui] être soumis et la décision sera prise à [son] échelon »536(*).

D'après Charles-Robert Ageron, Ben Bella dénonça quelque temps après, le 4 juin 1963, « des actes criminels commis contre des harkis et annonça, dans un grand discours public, que les assassins seraient exécutés ». Charles-Robert Ageron ajoute cependant : « Mais cela ne fut jamais suivi d'effet »537(*). De fait, après cette date, les assassinats se poursuivirent en Algérie (et en métropole), sans même parler des vexations en tous genres affectant ouvertement les intéressés et leurs proches. Du reste, plusieurs milliers d'entre eux demeuraient prisonniers dans des camps, et leur libération - échelonnée sur plusieurs années (au moins jusqu'en 1967 pour les derniers survivants) - n'intervint qu'au compte-gouttes.

Pour autant, le général de Gaulle, lors de sa première rencontre post-indépendance avec le président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella, le 13 mars 1964 au château de Champs-sur-Marne, plutôt que de saisir cette opportunité pour protester contre le sort fait aux harkis en Algérie, lui répétera bien plutôt, et presque mot pour mot, les propos tenus un an plus tôt à Alain Peyrefitte, propos qui, pour les harkis, sonnent comme une fin de non-recevoir (dans tous les sens du terme) :

« Et puis, cessez de nous envoyer des travailleurs migrants, qui essaient encore de se faire passer pour des harkis. Nous n'en avons que trop. Vous avez voulu l'indépendance, vous l'avez. Ce n'est pas à nous d'en supporter les conséquences. Vous êtes devenus un pays étranger. Tous les Algériens disposaient d'un an pour opter pour la nationalité française. Ce délai est largement passé. Nous n'en admettrons plus. Débrouillez-vous pour les faire vivre sur votre sol »538(*).

Dans son livre Le drame des harkis, le colonel Abdel-Aziz Méliani rapporte ce constat du sous-préfet Jean-Marie Robert, qui fut en poste à Akbou avant l'indépendance et qui, par un rapport, avait cherché à alerter l'opinion sur l'évolution de la situation dans ce secteur (et plus généralement en Algérie) après l'indépendance : « Les faits montrent que le rapatriement ne fut jamais convenablement préparé, ni planifié, même lorsqu'il n'y eut aucun doute sur les menaces qui pesaient effectivement sur les centaines de milliers de musulmans fidèles à la France. Il y a pire, alors qu'il était évident et visible, notamment après juillet 1962, que des dizaines de milliers de musulmans loyalistes étaient déportés pour être liquidés, les autorités françaises n'entreprirent aucune opération humanitaire de sauvetage bien que l'armée disposait sur place de tous les moyens en hommes et en matériel »539(*). A cet égard, nous l'avons vu, Pierre Messmer et le général Buis insistent rétrospectivement sur le souci qui était alors celui du gouvernement de ne pas raviver les tensions entre l'armée française et le FLN. Mais n'était-ce pas donner là un sens très limitatif à la notion de "pacification" dès lors que, dans le même temps, la partie algérienne violait systématiquement la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian ?

En fait, ce qui transparaît clairement au terme de cette section, c'est le primat de la cessation des hostilités militaires et du transfert de souveraineté (ce que le général de Gaulle appelait le « dégagement ») sur les garanties offertes au respect des dispositions liées à la sécurité des personnes et des biens. Très clairement, la politique de passation des pouvoirs alors visée et entreprise n'accordait, en dépit des assurances gouvernementales et de la lettre des accords d'Evian, qu'une place contingente au retour de la concorde civile. C'est bien le sens, en effet, des propos rapportés par Alain Peyrefitte - et déjà cités - du chef de l'Etat, le 16 mai 1962, dans le secret des délibérations du Comité des affaires algériennes : « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l'ordre après l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles autorités »540(*). Ainsi, le primat du "dégagement" appelait nécessairement une "mise à distance" de ceux qui, de manière prévisible, seraient la proie de violentes représailles et dont la protection, pensait-on, eût risqué d'alourdir voire de compromettre la tâche des autorités françaises au moment de la passation des pouvoirs. Un an plus tard, au cours du Conseil des ministres du 9 octobre 1963, le chef de l'Etat - loin de s'émouvoir de la tournure des événements en Algérie - se félicitera à nouveau d'avoir arbitré en faveur des intérêts "stratégiques" de la France (le pétrole, le nucléaire) plutôt qu'en faveur de la pacification des esprits en général, des intérêts de ses ressortissants et amis d'outre-Méditerranée en particulier :

« Le pétrole est important, matériellement et financièrement. Il ne faut pas nous laisser faire. Notre aide en dépendra. N'attachez donc pas une importance extrême à l'Algérie, qui n'en a plus ! Nous avons voulu nous dégager. Nous voilà dégagés. Les Algériens ne le sont pas, les malheureux ! Ils ne sont pas sortis de l'auberge. Nous, si, heureusement »541(*).

Puis, à l'issue du Conseil, à l'attention d'Alain Peyrefitte :

« Tout ça était inévitable. L'essentiel, c'est que c'est eux qui ont dû faire face à la rébellion des Kabyles, au maintien de l'ordre, à la cohésion nationale. S'ils s'entre-tuent, ce n'est plus notre affaire. Nous en sommes dé-bar-ras-sés, vous m'entendez ? » (c'est l'auteur qui souligne).

 

Précisément, par-delà la mise au jour des directives et la mise à plat des responsabilités afférentes à la mise en oeuvre de cette politique de "mise à distance", ce qui, aujourd'hui encore, interroge, voire suscite la polémique542(*), ce sont les motivations et ressorts profonds d'un tel arbitrage. A une époque - la nôtre - où, de manière grandissante, l'intervention militaire se justifie par le risque humanitaire (le fameux « devoir d'ingérence »543(*)), l'attitude inverse ou symétrique - à savoir le refus de l'intervention humanitaire au nom du risque militaire - peut étonner, surtout s'agissant non de parfaits étrangers mais d'ex-compatriotes et compagnons d'armes. Cela peut-il s'expliquer - comme nous avons commencé de le voir (« soldats de pacotille » jouant le « double jeu », « magma qui n'a servi à rien ») - par l'image que le général de Gaulle et ses hauts collaborateurs s'étaient formée des intéressés ? Et dans quelle mesure cette image a-t-elle influé sur la stratégie de "mise à distance" précédemment détaillée ? En outre, quelle a été la part de l'incroyance gouvernementale - et gaullienne en particulier - quant à la possible coexistence et, plus encore, quant à la possible intégration des communautés musulmane et européenne dans un cadre français, en Algérie mais aussi en France ? Nous verrons que l'une et l'autre de ces dimensions - l'image des harkis en tant que (moitiés de) soldats, et l'image des harkis en tant que populations allogènes inassimilables - constituent, à n'en pas douter, deux déterminants majeurs de la "frilosité" des autorités au moment d'envisager l'avenir des ex-supplétifs et de mettre en place le "plan général de rapatriement".

Certes, tout n'est pas réductible à la volonté d'un homme et de son proche entourage, quand bien même seraient-ils aux commandes de l'Etat. Mais dans l'affaire algérienne, il convient de rappeler combien la personnalité et l'aura du général de Gaulle ont été déterminantes, de même que son oeuvre institutionnelle de renforcement de l'exécutif, l'autorisant en quelques mois à impulser des inflexions décisives à la politique algérienne de la France, là où ses prédécesseurs avaient échoué à dégager des majorités claires et à oeuvrer dans la continuité. Il se trouve que l'on connaît assez bien, par différentes sources (dont certaines au plus près de l'intéressé ; cf. Alain Peyrefitte), la nature de la considération portée par le général de Gaulle aux troupes supplétives en tant que telles, mais encore son opinion quant à la possibilité et à la désirabilité d'une coexistence des communautés musulmane et européenne dans un cadre français (en Algérie mais aussi en France). L'une et l'autre éclairent utilement la compréhension des tenants et des aboutissants de la politique gouvernementale à l'égard des musulmans pro-français (et des supplétifs en particuliers) à l'heure où fut décidé le désengagement de la France en Algérie.

c) L'autre figure du Père, ou la place accessoire des musulmans pro-français dans le dessein gaullien

c.1 Sur la considération portée par le chef de l'État aux troupes supplétives et sur son attitude quant à l'évolution de leurs effectifs

Sur la fiche « De Gaulle et l'Algérie » publiée sur le site Internet de l'Institut Charles de Gaulle, on peut lire que les harkis auraient été recrutés « contrairement aux instructions du Général »544(*). C'est là, nous le verrons, un raccourci rétrospectivement commode mais inexact. Et doublement instructif : 1. parce qu'il semble témoigner sinon de la gêne, tout au moins de la volonté de ceux qui se font les "gardiens" de la mémoire gaullienne de désamorcer toute polémique liée à la destinée des ex-supplétifs de l'armée française ; 2. parce qu'il témoigne indirectement de la faible considération - jamais exprimée publiquement cependant - portée par l'intéressé aux dits supplétifs.

L'affirmation selon laquelle les harkis et autres supplétifs auraient été recrutés « contrairement aux instructions du Général » est un raccourci commode mais inexact, avons-nous dit. S'il a parfois laissé entendre, sans y insister, qu'il était préférable de contenir la croissance des effectifs (sinon pour s'en servir comme variable d'ajustement avec les effectifs d'appelés ou de rappelés545(*)), ou encore de les employer à des tâches statiques546(*), le général de Gaulle ne s'est par contre jamais opposé au principe même du recrutement de supplétifs musulmans. Il s'est du reste finalement toujours rendu aux arguments de ses généraux - et notamment du général Challe, au point, d'une part, de ratifier le doublement des effectifs de harkis (qui passent de 30.000 à 60.000 unités) et, d'autre part, de se servir de cette présence massive d'auxiliaires musulmans aux côtés de l'armée française comme d'un argument publicitaire dans plusieurs de ses discours publics. Dans une conférence de presse du 25 mars 1959, le général de Gaulle, évoquant l'évolution de la situation en Algérie depuis son retour au pouvoir, s'exclame : « Et pour combien faut-il compter le nombre et l'importance des rapports humains qui vont se multipliant entre la France et l'Algérie et dans lesquels l'Armée où servent 110.000 musulmans joue un rôle capital ». Dans son célèbre discours sur l'autodétermination, encore, le 16 septembre 1959 : « Notre Armée accomplit sa mission courageusement et habilement en combattant l'adversaire et en entretenant avec la population des contacts larges et profonds qui n'avaient jamais été pris. Que nos soldats, et en particulier les 120.000 qui sont musulmans, aient fléchi devant leur devoir, ou bien que la masse algérienne se soit tournée contre la France, alors c'était le désastre ! ». Dans son discours du 10 novembre 1959, surtout, de Gaulle se félicite des effectifs pléthoriques des musulmans pro-français, et loue leur fidélité, chiffres à l'appui : « La rébellion parvient-elle à empêcher les musulmans algériens de servir dans les Forces de l'Ordre ? Voici : en janvier 1957, il y avait comme effectifs musulmans dans nos forces 43.400 hommes, tant appelés au titre du contingent qu'engagés volontaires ou supplétifs armés. Il y a, actuellement, 182.000 hommes dont 129.000 servent dans les troupes régulières et 53.000 sont des auxiliaires armés [NDA : c'était l'inverse, en fait]. Ce quadruplement des effectifs musulmans a-t-il augmenté la proportion des désertions ? Pas du tout et au contraire. Il y avait, en moyenne, en 1957, tous les mois, pour 1.000 musulmans, 4,5 pour mille de déserteurs. Il y en a, actuellement, chaque mois, moins de 1,4 pour mille ». Et de fait, les effectifs de supplétifs (toutes catégories confondues), loin de décroître après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle, vont atteindre leur maximum historique plus de deux années après son arrivée au pouvoir, à l'hiver 1960-1961.

Pour autant, nous savons par différentes sources que le général de Gaulle semble n'avoir jamais fait grand cas de ces combattants, quand bien même aurait-il publiquement déclaré le contraire. En privé, il ne cachait pas son scepticisme, voire un certain mépris à l'égard de soldats trop peu conventionnels à son goût. Les déclarations - déjà citées - sur les « soldats de pacotille » ou le « magma qui n'a servi à rien » sont édifiantes à cet égard (voir supra). De même que les déclarations rétrospectives du général Buis - alors colonel et chef du cabinet militaire du haut-commissaire de la République pendant la période de passation des pouvoirs - alléguant que, « dans leur majorité », les harkis avaient joué un « double jeu ». Nous n'y reviendrons pas, sinon pour y ajouter cette déclaration récente de Pierre Messmer, ministre des Armées du général de Gaulle, soulignant que « [celui-ci], il est vrai, n'a pas eu pour les harkis beaucoup de considération, ni de commisération »547(*).

c.2 Sur le scepticisme du chef de l'État quant à la possible coexistence et, plus encore, quant à la possible intégration des communautés européenne et musulmane dans un cadre français

« Sans doute était-il normalement prévu par le gouvernement qu'une grande partie de la colonie française [entendre européenne] envisagerait le rapatriement », écrit de Gaulle dans ses Mémoires d'espoir548(*). Mais il ne touche mot des Français-musulmans qui, à des titres divers, servirent le drapeau français entre 1954 et 1962 et qui, du même coup, se trouvèrent irrémédiablement compromis aux yeux des nouvelles autorités algériennes. Or, par-delà l'image - somme toute médiocre - qu'il s'était formée des supplétifs en tant que soldats (voir la section précédente), et aux dires mêmes de certains de ses plus proches collaborateurs, le général semble n'avoir jamais vraiment cru à la possible coexistence des communautés européenne et musulmane dans un cadre français (en Algérie ou en métropole), ni appelé de ses voeux un plus grand brassage des origines sous l'égide de la Nation française. Dans son livre-témoignage C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte rapporte les confidences que le général de Gaulle lui aurait faites, à l'occasion des audiences particulières auxquelles il était régulièrement convié, au sujet de l'intégration des Français-musulmans. Dans un entretien privé qu'il accorde à Alain Peyrefitte, le 5 mars 1959, le général de Gaulle répond à celui-ci, qui lui demande pourquoi il n'a jamais utilisé le terme "intégration" :

« Parce qu'on a voulu me l'imposer, et parce qu'on veut faire croire que c'est une panacée. Il ne faut pas se payer de mots ! C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuplement européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu'on ne se raconte pas d'histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez bien regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants (il doit penser à Soustelle). Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcher de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »549(*).

Quelques mois plus tard, le 20 octobre 1959 l'Elysée, et toujours dans le cadre d'un entretien privé accordé à Alain Peyrefitte, il reprend cette antienne de l'invasion et de la perte de souveraineté : « Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par cinq puis par dix, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, puis quatre cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l'Elysée ? »550(*).

Déjà, le 5 mars 1958, peu avant son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle avait fait part de considérations analogues à Albert Camus, avec qui il avait été mis en présence. Dans une lettre à sa femme, Francine, Camus explique qu'ayant évoqué l'attribution de la citoyenneté à tous les Algériens, il s'est attiré cette réponse du général : « Oui, et nous aurions cinquante bougnoules à la Chambre ! »551(*).

Le général, qui instaurera pourtant le suffrage universel en Algérie quelques mois plus tard, mais sachant sans doute déjà - au vu des arguments développés sur le "fond" - que cela ne pouvait être que transitoire, ne déviera jamais dans son argumentation, se refusant toujours à employer le mot intégration (voir ci-dessus), et justifiant après-coup sa politique de « dégagement » selon une ligne de justification qui, pour être gardée confidentielle et parce que gardée confidentielle, restera continûment identique à elle-même (à l'inverse de ses louvoiements publics). Ainsi, après le Conseil des ministres du 4 juillet 1962, tirant les conclusions - en la seule présence d'Alain Peyrefitte - du transfert effectif de souveraineté, la veille, en Algérie : « Avec le recul, on comprendra que ce cancer allait nous emporter. On reconnaîtra que «l'intégration», la faculté donnée à dix millions d'Arabes, qui deviendraient vingt, puis quarante, de s'installer en France comme chez eux, c'était la fin de la France »552(*).

Ce "différentialisme" vaut aussi crainte de la mixité. Au député U.N.R. Raymond Dronne, favorable à l'Algérie française : « Voyons, Dronne ! Donneriez-vous votre fille à marier à un bougnoule ? »553(*). A un autre député U.N.R., Léon Delbecque, également partisan de l'Algérie française : « Et puis, Delbecque, vous nous voyez mélangés à des Musulmans ? Ce sont des gens différents de nous. Vous nous voyez mariant nos filles avec des Arabes ? »554(*).

Les citations de cet ordre abondent dans le livre de Jean-Raymond Tournoux mais, à la différence d'Alain Peyrefitte, ce sont là des propos rapportés. Tel n'est pas le cas des déclarations faites par le général de Gaulle à Cyrus Sulzberger, ancien directeur du New-York Times, dans le cadre d'une série d'entrevues accordées au journaliste américain entre 1947 et 1963 : « Qu'est-ce que les Arabes ? Les Arabes sont un peuple qui, depuis les jours de Mahomet, n'ont jamais réussi à constituer un Etat. Avez-vous vu une digue construite par les Arabes ? Nulle part. Cela n'existe pas. Les Arabes disent qu'ils ont inventé l'algèbre et construit d'énormes mosquées. Mais ce fut entièrement l'oeuvre des esclaves chrétiens qu'ils avaient capturés. Ce ne furent pas les Arabes eux-mêmes. Ils ne peuvent rien faire seuls »555(*).

Le fils aîné du général, l'amiral Philippe de Gaulle, a lui-même récemment rapporté, dans ses recueils d'entretiens avec Michel Tauriac, ce qu'inspirait à son père les notions d'intégration et d'assimilation : « [Mon père] respectait les Tziganes en tant que tels ou les Nord-Africains, ou n'importe quelle autre communauté, mais il ne les appréciait pas en tant que collectivité. Il ne voulait pas les voir en France sous cette forme. (...) Encore une fois, il pensait que tous les apports humains au pays étaient une bonne chose, mais qu'ils devaient être assimilés. «Non pas intégrés, insistait-il, mais fondus avec les autres». Et leur nombre devait être limité à un pourcentage raisonnable, c'est-à-dire acceptable pour tous les Français de souche. Il ironisait : «On aime bien les Allemands, ils apportent Goethe et Mozart, mais on n'aime pas les Allemands quand ils arrivent à un million ! ». Il estimait : «Si une communauté n'est pas acceptée, c'est qu'elle ne donne pas de bons produits, sinon elle est admise sans problème. Si elle se plaint de racisme à son égard, c'est parce qu'elle est porteuse de désordre. Quand elle ne fournit que du bien, tout le monde lui ouvre les bras. Mais il ne faut pas qu'elle vienne chez nous imposer ses moeurs» »556(*).

Selon Guy Pervillé, « De Gaulle jugea impossible l'intégration de la population musulmane pour des raisons démographiques et économiques, (...) mais également du fait de sa conception barrésienne de la nation française, produit d'un déterminisme historique et géographique millénaire. (...) Ainsi sa politique algérienne restait fidèle à une logique nationaliste qu'on peut estimer de droite »557(*).

De même, Emmanuel Le Roy Ladurie qui, avec force précaution, cherche « une explication des comportements certes critiquables d'un homme d'Etat par ailleurs génial et dont le bilan d'ensemble est si suprêmement glorieux que telle ou telle attaque de notre part n'enlève rien à la «vastitude» de son personnage », avance malgré tout que « de Gaulle n'aimait pas tellement les Algériens : ni les Arabes, bien sûr, ni non plus les pieds-noirs (...). Parmi ces pieds-noirs, de Gaulle n'appréciait qu'à moitié les juifs sépharades, en ex-maurrassien qu'il était (...). Les Méditerranéens musulmans, mais aussi chrétiens, italiens par exemple, n'étaient pas davantage en odeur de sainteté au gré du châtelain de Colombey. Quand on acceptera enfin de se débarrasser de la chape de plomb hagiographique dont la gauche intellectuelle d'aujourd'hui a enveloppé la mémoire du «grand Charles», on y verra plus clair sur ces divers points »558(*). Dans la même édition du Figaro littéraire, l'historien Benjamin Stora revient sur « l'élaboration de cette mythologie libératrice de l'homme du Sud » qui a été associée à la mémoire de l'auteur du discours de Brazzaville et du discours de Phnom Penh : « Dans le souvenir et la mémoire de nombreux Français, l'image du général de Gaulle est celle d'un décolonisateur, attentif au sort des populations du Sud, proches de leurs aspirations et souhaits ». « Pourtant, ajoute-t-il, c'est en «Nordiste« que le général de Gaulle regarde les populations d'Algérie dans leurs diversités, sans voir leur façon de pratiquer un art de vivre ensemble (...). De Gaulle se méfie des mouvements de l'extérieur venant encombrer, perturber cette conception d'une identité française, judéo-chrétienne et européenne. Il craint, par la perpétuation de l'histoire coloniale, une «invasion« de l'islam en France. Les exemples de citations abondent où il exprime sa peur d'une représentation musulmane à l'Assemblée nationale française, ses réticences sur une mixité possible par des mariages entre Européens et Algériens musulmans »559(*).

Une conception de la Nation française et de ses frontières que l'on retrouve à l'identique, aujourd'hui encore, chez Pierre Messmer, qui fut ministre des Armées du général de Gaulle. Répondant à une interview de la feuille d'information virtuelle La Nouvelle Liberté (www.nouvelleliberte.com), il estimait ainsi que « le problème essentiel est celui de l'assimilation : on assimile certains immigrés, pas d'autres. Les immigrés italiens, espagnols, portugais sont parfaitement assimilés. Les immigrés du Maghreb et d'Afrique noire sont, quant à eux, difficilement assimilables (...). On dit que la France est un pays d'immigration. C'était vrai lorsque les immigrants désiraient réellement s'assimiler, ce qu'ils pouvaient facilement faire car ils étaient issus de la civilisation judéo-chrétienne, catholique »560(*). Plus encore, Christian Fouchet, haut commissaire de la République en Algérie jusqu'à l'indépendance, décrit en ces termes - dans ses mémoires intitulés Au service du Général de Gaulle - ses adieux à son personnel : « Le lendemain matin, je fis d'abord mes adieux à tout le personnel de ma villa. Ces braves gens semblaient sincèrement désolés de mon départ. Le vieux Nedjeb, qui avait servi tous les gouvernements généraux depuis vingt-cinq ans, m'avait supplié de l'emmener. Mais qu'eût-il fait en France avec ses huit ou dix enfants ? »561(*). L'on peut aussi évoquer Claude Chayet, diplomate et membre de l'équipe formée autour de Louis Joxe, dont Jérôme Hélie dit qu' « il ne connaissait pas l'Algérie, et n'y trouvait pas grand inconvénient ». Selon Jérôme Hélie, « Claude Chayet ne croyait pas à l'intégration de l'Algérie dans la France, et évoque encore aujourd'hui comme absurde l'idée d'une Assemblée nationale où siégeraient cent quatre-vingts Algériens, en écrasante majorité musulmans »562(*).

Ces propos, dans leur ensemble, éclairent d'un jour particulier non seulement la décision prise, s'agissant des Algériens de statut civil de droit local, de subordonner le maintien - et non la déchéance - de la nationalité française à une déclaration expresse des intéressés, mais encore les autres éléments de la politique de "mise à distance" des anciens supplétifs, précédemment décrite : strict contingentement des rapatriements visant à fixer les intéressés en Algérie d'abord, politique délibérée de "ghettoïsation/relégation géographique" de ceux qui, ayant été pris en charge dans le cadre du "plan général de rapatriement", ont été transférés vers la France ensuite563(*). Mais ce qui importe davantage, ici, pour comprendre ce que sera la construction rétrospective d'une image officielle des harkis (ou, plutôt, ce que sera son "élision"), c'est le décalage entre ces discours d'officine (où l'on ne parle généralement pas pour ne rien dire) et le discours des foules (où l'on "dit" parfois pour ne pas parler). Ainsi, à mille lieues des confidences privées faites à Alain Peyrefitte et des argumentaires développés dans le secret des cabinets et des cénacles, les discours publics du chef de l'Etat, plutôt que d'insister sur ce qui différenciait les différentes composantes de la population algérienne (que l'on pense à la métaphore de « l'huile » et du « vinaigre » ; voir ci-dessus), avaient exalté leur unité, et fait fond sur sa pérennité. A Alger, bien sûr, le 4 juin 1958 : « A partir d'aujourd'hui et dorénavant, la France considère que, dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants : il n'y a que des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs »564(*) ; le 6, à Mostaganem : « Il est parti de cette terre magnifique d'Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s'est levé de cette terre éprouvée et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa vocation (...). Mais, à ce que vous avez fait pour elle [la France], elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir, c'est-à-dire considérer qu'elle n'a, d'un bout à l'autre de l'Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les communautés qui peuplent cette terre, qu'une seule espèce d'enfants. Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des frères qui marcheront désormais dans la vie en se tenant par la main ! (...) L'Algérie est une terre française, organiquement, et pour toujours. (...) Vive Mostaganem ! Vive l'Algérie française ! Vive la République ! Vive la France ! » ; Le 6 encore, à Oran : « Oui ! Oui ! Oui ! La France est ici avec sa vocation. Elle est ici pour toujours ! Vive cette bonne terre française ! » ; le 29 janvier 1960, après la « semaine des barricades », à Alger : « Comment pouvez-vous douter que si un jour les Musulmans décidaient librement et formellement que l'Algérie de demain doit être unie étroitement à la France rien ne causerait plus de joie à la patrie et à De Gaulle que de les voir choisir entre telle ou telle solution, celle qui serait la plus française ? Comment pouvez-vous nier que toute l'action de développement des populations musulmanes, entamée depuis 18 mois, actuellement poursuivie et qui, après la pacification, devra s'épanouir encore, tend précisément à créer de multiples et nouveaux liens entre la France et les Algériens ? ». Ce n'est que dans son allocution radiodiffusée du 8 mai 1960 que, pour la première fois de manière évidente, le chef de l'Etat opère une nette distinction entre les « populations algériennes » et « ses propres enfants » : la rupture est alors consommée avec le discours du 6 juin 1958 à Mostaganem, dans lequel le chef de l'Etat avait déclaré ne discerner en Algérie qu' « une seule espèce d'enfants ».

Pourtant, si l'on en croit certaines déclarations rétrospectives de Pierre Messmer, dès 1958, « lors de son retour au pouvoir », de Gaulle « savait que l'indépendance était inéluctable et dans l'ordre des choses »565(*). Avis étayé, semble-t-il, par la lecture des mémoires du général de Gaulle puisque, dans ceux-ci, l'intéressé affirme lui-même que dès son retour au pouvoir « les grandes lignes [NDA : de sa politique] étaient arrêtées dans mon esprit », ajoutant : « Si de but en blanc j'affichais mes intentions, nul doute que sur l'océan des ignorances alarmées, des étonnements scandalisés, des malveillances coalisées se fût levée dans tous les milieux une vague de stupeurs et de fureurs qui eût fait chavirer le navire. Sans jamais changer de cap, il me faudrait donc manoeuvrer jusqu'au moment où décidément le bon sens aurait percé les brumes »566(*). Tel n'est pas en effet, comme nous venons de le voir, la teneur des messages qu'il délivre initialement à l'opinion publique, à commencer par les Algériens de toutes origines et de toutes confessions, à qui il semble promettre la concorde dans un cadre français, notamment le 6 juin à Mostaganem (devant un parterre majoritairement musulman) et à Oran (devant un parterre majoritairement européen). C'est dans ce décalage entre le discours des foules et les discours de cabinet que se joue, d'une certaine façon, l'abandon à eux-mêmes des musulmans engagés, à un titre ou à un autre, aux côtés de la France. Car tant les confidences privées du général de Gaulle à Alain Peyrefitte sur l'intégration que ses écrits rétrospectifs (ainsi que les révélations de ses proches collaborateurs) paraissent témoigner de ce que les fausses assurances prodiguées à « ceux des musulmans qui voudraient rester français » sur la question de la nationalité, ou encore le caractère minimaliste du "plan général de rapatriement", doivent moins à des tâtonnements de circonstances, imputables à la pression des événements, qu'à une impréparation voulue visant à mettre les parties concernées devant le fait accompli du retrait de la souveraineté française et de la nécessité pour eux de s'en accommoder.

Expression forte du décalage entre discours publics et discours d'officine, en même temps qu'expression incisive des réticences du chef de l'Etat à confondre en un même sentiment fraternel Européens d'Algérie et musulmans pro-français, le général de Gaulle n'hésita pas, lorsque vint l'heure des périls, à opérer un distinguo très net entre ce que serait l'attitude de la France à l'égard des musulmans non inféodés au FLN et ce qu'elle serait à l'égard des Européens d'Algérie : « On ne peut accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France, comme tels, que s'ils couraient des dangers ! »567(*). Au cours de ce même Conseil des ministres du 25 juillet 1962, Georges Pompidou, qui rappelait que des camps militaires avaient été installés en métropole pour ceux des supplétifs qui avaient bénéficié - au cours du mois de juin - de la première vague de rapatriements officiels (initialement conçue comme suffisante), et qui signalait que ces camps étaient désormais « submergés », se lamentait de ce que « ces gens ne veulent pas travailler. Ils se trouvent très bien au Larzac sous leurs tentes et ils s'y installeraient volontiers pour l'hiver et au-delà ». Réponse agacée du général de Gaulle : « Il faut les mettre en demeure ou de travailler, ou de repartir ». Alain Peyrefitte de signaler qu'à ce moment « plusieurs collègues baissent la tête »568(*).

Cependant, pour Pierre Messmer, qui s'exprime rétrospectivement à ce sujet, l'attitude du chef de l'État ne doit pas être interprétée comme une marque de défiance à l'égard des musulmans en général, et des supplétifs en particulier. Selon lui, le général de Gaulle « croyait que l'avenir de ces hommes-là était en Algérie, leur pays, et que les transporter en France serait à l'origine de grands problèmes ». Il ajoute : « Il [le général de Gaulle] ne pouvait imaginer que le FLN se comporterait avec une telle sauvagerie »569(*). Au fond, pour l'ancien ministre de la Défense, le chef de l'Etat n'aurait été mû que par une vision pragmatique des choses - un « chacun chez soi ! » qui, pour d'autres, s'apparente pourtant à une forme de différentialisme - et, s'il a failli en la circonstance, ce n'est que par excès d'angélisme.

La première assertion, nous l'avons vu, peut-être sérieusement mise en doute au regard des considérations privées du général. Du reste, qu'en est-il de la frontière entre "pragmatisme" et "différentialisme" quand l'enjeu immédiat n'est pas de considérer l'endroit où les anciens supplétifs et leurs familles seront les plus à même de s'adapter (y compris au risque de « grands problèmes ») mais celui où ils pourront survivre, tout simplement ? Quant à la seconde assertion, elle suppose un chef de l'Etat coupé à ce point des réalités qu'il n'aurait somme toute jamais pris conscience des voies et moyens du FLN dans et à l'issue de la guerre570(*). Or, comme cela a déjà été souligné, peu après son retour au pouvoir, et alors qu'il n'envisageait pas encore publiquement de se résoudre à la « sécession », le général lui-même avait multiplié les déclarations sans équivoques quant aux convulsions auxquelles serait promise une Algérie livrée par exclusive au FLN. En outre, les instructions - déjà citées - données par le général de Gaulle dans le secret des débats du Conseil des Ministres du 25 juillet 1962, à la suite de la conclusion des accords d'Evian et au lendemain immédiat de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, témoignent de ce que ce n'est pas l'ingénuité de l'intéressé qui est en cause (scénario de la « bonne foi abusée ») mais la volonté clairement affichée de ne pas dévier de la politique de « dégagement » en général, de la politique de mise à distance des musulmans non inféodés au FLN en particulier.

À l'inverse, pourtant, Pierre Messmer n'hésite pas à puiser dans les amertumes personnelles du général de Gaulle pour expliquer son attitude distante à l'égard des pieds-noirs. Ainsi, selon Messmer, de Gaulle leur aurait tenu grief d'avoir été « globalement pétainistes » durant la Seconde Guerre mondiale571(*). Faut-il conclure de ces approches si différemment précautionneuses que, dans l'esprit de l'ancien ministre des Armées, le sujet des harkis est décidément trop sensible - et la destinée qui leur a été faite trop difficile à assumer - pour laisser place, aujourd'hui encore, à de franches explications ?

B. Chiffrer les maux

Au regard de notre problématique d'ensemble, la question du nombre - nombre de réfugiés en France (les Français musulmans rapatriés proprement dits) et nombre de victimes en Algérie (massacres de l'après-indépendance) - est centrale tant pour apprécier l'empreinte laissée (le passé tel qu'il pèse, ou la stigmatisation telle qu'elle est subie) que pour déconstruire les usages politiques faits de la destinée dramatique des harkis au sein et autour de cette communauté (le choix du passé, ou la stigmatisation telle qu'elle est "agie" et "ré-agie"). L'abord de cette question participe ainsi de l'objectivation du travail de l'écart entre ce qui a été (l'advenu) et ce qui en a été dit ou donné à voir (le représenté), notamment pour ce qui a trait aux enjeux de la transmission (dimension intersubjective), de la reconnaissance (dimension politique) et du pardon (dimension éthique). A ce stade, il importera d'abord - tant les divergences et les imprécisions sont grandes en la matière - de mettre en perspective puis de soumettre à examen critique les évaluations disponibles. Sur ces bases, il nous sera possible, par la suite (voir notamment les parties 2 et 4), de montrer comment et d'expliquer pourquoi les "enjeux de chiffrage" sont, aujourd'hui encore, au coeur des polémiques liées au ressouvenir de la destinée des anciens harkis, qu'il s'agisse de dramatiser cet événement ou de le scotomiser/euphémiser.

- 1. Sur le nombre de rapatriements

Combien de musulmans pro-français, quel que fût leur statut d'affiliation au regard de la loi572(*) et quelles que fussent les modalités de leur engagement aux côtés de la France573(*), parvinrent à gagner la métropole au lendemain ou même au surlendemain de la conclusion des accords d'Evian et de l'accession à l'indépendance de l'Algérie ? Et quelle est, en fin de compte, la part des rapatriements officiels ?

Il n'existe pas (hors les estimations des historiens ou des polémistes) de données synthétiques sur la question, et les seules données dont nous disposons pèchent soit par leur incomplétude (les bilans officiels ignorent le flux des rapatriements opérés selon des modalités échappant au contrôle et dérogeant à la volonté des autorités) soit par leur indifférenciation574(*). Ainsi, l'une - l'incomplétude des données - comme l'autre - leur indifférenciation et les effets de massification de l'interprétation qui en sont la résultante - gênent une lecture fine et circonstanciée de la destinée plurielle d'une population plurielle. Il nous faudra, dès lors, procéder tant par recoupement que par dégrossissement des données disponibles pour gagner en lisibilité. De fait, dans ce qu'il est convenu d'appeler l' « abandon des harkis », la lisibilité des données surdétermine en grande partie la question de l'imputation des responsabilités. Il nous faudra, par exemple, juger du volume des rapatriements non planifiés - ce que nous appelons les rapatriements d'initiative - par différence entre le volume global des rapatriements575(*) et le volume des rapatriements effectivement pris en charge par les autorités civiles et militaires576(*). L'imprécision de tels recoupements ne fait bien sûr qu'ajouter à l'imprécision de sources dont aucune prise séparément n'est exempte de critique. Elle ne saurait néanmoins invalider une démarche qui vise à établir non des statistiques mais des ordres de grandeur.

Le recensement général de la population française de 1968 dénombre 134.724 « Français-Musulmans », dont 87.816 sont nés en Algérie - 56.000 hommes et 31.816 femmes - et 46.908 sont des enfants nés en France depuis 1962. Soit au total 24.320 familles.

En toute logique, le chiffre de la population des « Français-Musulmans » nés en Algérie recensés en 1968 (soit 87.816 personnes) équivaut (ou devrait équivaloir) à celui de la population des Français musulmans rapatriés proprement dits, c'est-à-dire à la somme des rapatriements (planifiés ou d'initiative) de musulmans pro-français et de leurs familles contraints de fuir leur terre natale après la conclusion des accords d'Evian et l'accession à l'indépendance de l'Algérie.

Il convient néanmoins de noter que les données du recensement de 1968 ne tiennent pas compte de la région Midi-Pyrénées - dont Michel Roux nous dit qu'elle a été "oubliée" dans le dépouillement - et où le nombre de « Français-Musulmans » est alors estimé par Jean Servier à 5.500 personnes, y compris les enfants nés en France depuis 1962577(*), soit - si l'on applique à cette région les ratios qui prévalent à l'échelon national - 3.575 « Français-Musulmans » nés en Algérie et près de 1.000 familles.

En outre, le chiffre de la population des « Français-Musulmans » nés en Algérie tel qu'il ressort du recensement général de la population française de 1968 tend à sous-évaluer le chiffre de la population des musulmans pro-français rapatriés d'Algérie à partir de 1962 pour au moins deux raisons : d'une part, ce chiffre ne tient pas compte des « Français-musulmans » décédés entre la date de leur rapatriement et celle du recensement578(*) ; d'autre part, à la suite de leur rapatriement, tous les musulmans pro-français n'ont pu579(*) ou voulu580(*) se faire reconnaître la nationalité française. Or, ces personnes étant réputées (aux termes de la loi) avoir perdu la nationalité française le 1er janvier 1963 pour autant qu'elles n'eussent pas souscrit de déclaration recognitive (ou que leur démarche fût vouée à l'échec) avant le 21 mars 1967, elles n'ont donc pu être recensées au titre de « Français-Musulmans » en 1968581(*).

Au final, en tenant compte des réserves précédemment exprimées (lesquelles induisent, par rapport aux résultats bruts du recensement, des variations non négligeables), si l'on agrège les données résultant du recensement général de la population française de 1968 et les données résultants de l'enquête menée par Jean Servier en 1972, il est permis d'estimer que le volume global des rapatriements (quelles qu'en fussent les modalités pratiques, officielles ou non officielles) a concerné de l'ordre de 95.000 à 100.000 personnes entre 1962 et 1968582(*).

Cette estimation - qui repose principalement sur les données du recensement de 1968 (le seul à faire ressortir en propre la population des « Français-Musulmans », à la distinguer du reste de la population) - est confirmée dans ses grandes lignes par les statistiques de déclaration de nationalité entre 1962 et 1968, établies par la sous-direction des naturalisations du ministère du Travail583(*). Ces statistiques font état de 58.932 déclarations recognitives de nationalité enregistrées entre 1962 et 1968584(*), chiffre auquel il faut ajouter 25.118 enfants de moins de 18 ans nés en Algérie et portés sur la déclaration du chef de famille, soit au total 84.050 personnes concernées585(*).

Pour autant, ce chiffre reste assez sensiblement inférieur à notre estimation globale du nombre de rapatriements (voir ci-dessus), ce pour au moins trois raisons.

En premier lieu, le chiffre des déclarations recognitives de nationalité souscrites excède significativement celui des déclarations effectivement enregistrées par les autorités compétentes : il y eut seulement 59.684 enregistrements pour 69.303 souscriptions entre 1962 et 1970, soit 9.619 refus586(*).

En second lieu, nous l'avons vu, outre les cas de refus administratifs mentionnés ci-avant, toutes les personnes soumises à un statut civil de droit local en Algérie ne purent (par manque d'information) ou ne voulurent (par prostration ou, au contraire, par sentiment de révolte ?) se faire reconnaître la nationalité française une fois empruntés les chemins de l'exil587(*).

Enfin, tous les musulmans pro-français exilés n'eurent pas à souscrire de déclaration recognitive de nationalité : quelques milliers de musulmans relevant du statut civil de droit commun en Algérie conservèrent de plein droit la nationalité française à leur entrée en France, à l'instar des « pieds-noirs ». A ce titre, ils n'apparaissent pas dans les statistiques de la sous-direction des naturalisations du ministère du Travail. Ils sont par contre comptabilisés dans le recensement de 1968 où, confondus avec l'ensemble des « Français-Musulmans » (c'est-à-dire non distingués de ceux - l'immense majorité - qui ont dû souscrire une déclaration d'option), ils n'apparaissent pas en propre. Le nombre des rapatriements de musulmans de statut civil de droit commun peut cependant être estimé par différence : en retranchant du chiffre de la population des « Français-Musulmans » nés en Algérie recensés en 1968 (soit 87.816 personnes) celui de la population effectivement concernée par les déclarations recognitives de nationalité enregistrées à cette date (soit 84.050 personnes), on obtient un ordre de grandeur de 3.500 à 4.000 musulmans de statut civil de droit commun rapatriés en France.

Somme toute, les statistiques de déclaration recognitive, revues et corrigées dans le dessein d'apprécier le chiffre d'ensemble de la population rapatriée (y compris, donc, la dizaine de milliers de rapatriés musulmans qui n'ayant pu se faire reconnaître la nationalité française avant 1968, ont bénéficié après-coup - entre 1968 et 1984 - de la procédure dite de « réintégration par décret », ainsi que les quelques milliers de Français musulmans rapatriés relevant du statut civil de droit commun en Algérie, donc non concernés par les procédures de réintégration), induisent à leur tour une évaluation globale du nombre des rapatriements de l'ordre de 95.000 à 100.000 musulmans pro-français et membres de leurs familles.

Relativement à cet ordre de grandeur, quelle est la part due aux rapatriements d'initiative, lesquels, nous l'avons vu, furent constamment entravés par les pouvoirs publics ? Autrement dit, dans quelle mesure l'évaluation globale du nombre des rapatriements excède-t-elle le décompte officiel des seuls rapatriements effectivement pris en charge par les pouvoirs publics en vertu du plan général de rapatriement ? Cet écart est-il significatif d'une forme d'impéritie des autorités compétentes dans la prise en charge des populations menacées ?

S'agissant du décompte (officiel) du nombre de personnes (familles comprises) ayant bénéficié des procédures de transfèrement vers la France mise en place par les autorités, nous ne disposons que de bilans partiels, les seuls décomptes globaux (mais non officiels) dont nous disposions (pour toute la période considérée, qui s'étale depuis les premiers rapatriements opérés à la fin du printemps 1962 jusqu'aux dernières libérations de prisonniers à l'automne 1969) émanant d'évaluations rétrospectives d'historiens, d'acteurs (tel le général Buis) ou de témoins de l'époque (tel le général François Meyer).

Pour la période s'étendant depuis la conclusion des accords d'Evian et l'entrée en vigueur du cessez-le-feu jusqu'à la fin de l'année 1962, un premier décompte des rapatriements effectivement pris en charge par les autorités est communiqué début 1963 à l'Assemblée nationale par le secrétaire d'Etat en charge des Affaires algériennes auprès du Premier ministre588(*) : les effectifs des musulmans rapatriés - y compris les familles - dans le cadre du plan général au cours de l'année 1962 s'élèveraient à 14.000 personnes entre mars et septembre, et à 7.000 personnes pour la période qui court d'octobre à décembre, soit 21.000 personnes au total.

Nous ne disposons, pour toute l'année 1963, d'aucun décompte officiel. Néanmoins, l'estimation de 15.000 rapatriements (soit 1.250 rapatriements par mois en moyenne) avancée par le général François Meyer (qui ne cite pas ses sources)589(*) nous semble relativement fiable en ce qu'elle traduit sans l'exagérer la décroissance du rythme des opérations de transfèrement : 21.000 rapatriements sur 9 mois pour l'année 1962 (soit 2.333 rapatriements par mois en moyenne), 15.000 rapatriements sur 12 mois en 1963 (soit 1.250 rapatriements par mois en moyenne). A quoi s'ajoutent, selon un document émanant du ministère des Rapatriés en date du 9 juin 1964590(*), 3.480 rapatriements au cours du premier semestre 1964 (soit 580 rapatriements par mois en moyenne).

Après le départ des derniers détachements de l'armée française591(*) et l'interruption subséquente du plan général de rapatriement, une nouvelle procédure de rapatriements est mise en place conjointement par l'ambassade de France et la Croix-Rouge. Cette procédure, dite des « laissez-passer », est ouverte aux anciens détenus du FLN ainsi qu'à leurs familles désireux de refaire leur vie en France. Selon le colonel Schoen, il y eut 1.166 rapatriements bénéficiant de cette procédure entre 1965 et 1970592(*).

Il convient enfin d'ajouter que 3.200 engagés593(*) furent démobilisés au camp de Sissonne, soit environ 10.000 personnes avec les familles (lesquelles furent progressivement mais non immédiatement transférées vers la France).

Tout compte fait, on peut estimer (avec le général François Meyer) à près de 50.000 les effectifs de musulmans pro-français et membres de leurs familles (toutes catégories confondues) ayant bénéficié des opérations officielles de transfèrement vers la France. Cette estimation est concordante avec celle avancée par Guy Pervillé et faisant état - hors les effectifs des engagés démobilisés et leurs familles, ainsi que les ex-détenus rapatriés à partir de 1965 en vertu de la procédure dite des « laissez-passer » - de « 42.000 réfugiés officiellement recueillis et transportés en métropole par l'armée française de juin 1962 à 1965594(*) ; elle est pareillement concordante avec l'estimation de Charles-Robert Ageron faisant état de « 41.500 supplétifs rapatriés passés par les centres de transit jusqu'en 1965 »595(*), à cette réserve de formulation près que cette estimation doit être entendue comme englobant 41.500 supplétifs et membres de leurs familles (soit 15.000 supplétifs environ).

Si l'on retranche le chiffre de 50.000 rapatriements officiellement pris en charge de celui qui résulte de notre estimation globale du nombre de transfèrements opérés vers la France (de l'ordre de 95.000 à 100.000), on obtient une estimation du nombre de musulmans parvenus à trouver refuge en métropole en dehors des voies officielles (et, ce, en dépit des mesures d'interdiction édictées par les autorités à l'encontre des initiatives privées) de l'ordre de 45.000 à 50.000, soit probablement près d'un musulman pro-français rapatrié sur deux.

Il est à noter que notre évaluation tant du chiffre que de la part des musulmans pro-français et membres de leurs familles parvenus à gagner la métropole en dehors des voies officielles est nettement inférieure à celle avancée par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou qui, retranchant du nombre des « Français-Musulmans » nés en Algérie recensés en 1968 (soit près de 88.000 personnes) l'estimation chiffrée avancée par le général Buis de 25.000 musulmans pro-français et membres de leurs familles rapatriés par l'armée (estimation avancée dans l'entretien accordée par le général Buis à la revue L'Histoire en 1991), font état de « 63.000 Français musulmans [qui] se sont «rapatriés» par leurs propres moyens ou [qui] ont été «rapatriés» par l'ensemble des associations et amicales », soit près des trois-quarts des rapatriés musulmans596(*).

Cependant, cette évaluation, qui s'appuie sans distance critique ni précautions méthodologiques sur des sources hétérogènes et inégalement fiables, pèche par son manque de rigueur : d'une part, Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou font équivaloir le nombre total des musulmans pro-français et membres de leurs familles parvenus à trouver refuge en France (par quelque moyen que ce fût) à celui des « Français-Musulmans » nés en Algérie recensés sur le territoire métropolitain en 1968 ; or, nous avons vu que ce dernier chiffre sous-estimait celui des rapatriements de musulmans pro-français d'environ une dizaine de milliers (voir détails ci-dessus) ; d'autre part, Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou semblent tenir pour fiable l'estimation rétrospective faite par le général Buis du nombre des musulmans pro-français et membres de leurs familles rapatriés dans le cadre du plan général, laquelle évaluation sous-estime pourtant vraisemblablement d'au moins une vingtaine de milliers le nombre des personnes réfugiées ayant bénéficié du concours des autorités (et en particulier de l'armée). Compte tenu des responsabilités éminentes qui ont échu au général Buis - alors simple colonel - en tant que chef du cabinet militaire du haut-commissaire en Algérie, de telles approximations peuvent paraître étonnantes, même si, nous l'avons vu, le souci premier des autorités était alors de limiter les prises en charge, non de les faciliter. Car, même si elles ont été revues constamment à la hausse et corrigées selon les réalités (incontournables et pressantes) du terrain, les prévisions officielles de transfèrements vers la métropole ont eu dès l'origine tendance à sous-estimer (de propos délibéré) l'ampleur des mesures de protection et de sauvegarde rendues nécessaires par la situation de fait créée dans les ex-départements français. A ce propos, il est sans doute nécessaire de rappeler que le 30 mai 1962 le secrétaire d'Etat aux Rapatriés Robert Boulin estimait le nombre des personnes menacées, pour toute l'Algérie, à environ 5.000 (y compris les familles), ordre de grandeur confirmé quelques jours plus tard par un communiqué émanant du ministère des Armées, lequel évaluait à 4.930 le nombre des personnes susceptibles d'être prises en charge par les autorités (là encore familles comprises). Guy Pervillé, se fondant sur les notes prises en Conseil des ministres par Alain Peyrefitte et reproduites dans le tome 1 de C'était de Gaulle, rapporte - non sans malice - qu'à l'annonce des prévisions de Robert Boulin le général de Gaulle se serait écrié : « Ne calculez-vous pas un peu juste ? »597(*). « Un peu juste », en effet, au regard du rapport adressé à l'ONU par l'ex-contrôleur général des Armées Christian de Saint-Salvy qui, peu avant la conclusion des accords d'Evian, nous l'avons dit, avait estimé le nombre des musulmans pro-français menacés par d'éventuelles représailles à 250.000 (toutes catégories confondues, civiles et militaires), soit environ un million de personnes en incluant les membres de la (proche) famille.

- 2. Sur le nombre de musulmans pro-français massacrés par le FLN

a) La succession des faits

Au cours de la période transitoire courant de la conclusion des accords d'Évian jusqu'au référendum d'autodétermination, l'attitude du FLN à l'égard des anciens supplétifs musulmans de l'armée française était apparue plus ou moins contenue suivant les régions. Certes, de graves exactions furent immédiatement perpétrées à l'encontre de supplétifs démobilisés, notamment pour ce qui concerne certaines unités emblématiques, tel le célèbre "commando Georges". Mais, dans un premier temps du moins, ces exactions restèrent localisées. Le discours officiel du FLN, conformément à la ligne de conduite tracée par les accords d'Évian, se voulait magnanime. Il était cependant demandé aux supplétifs démobilisés de racheter leur conduite - au sens propre comme au sens figuré - en versant leur maigre pécule de fin de service au FLN . Bien que contraire à l'esprit des accords d'Évian, cette pratique fut tolérée - et parfois encouragée - par les autorités françaises et l'exécutif transitoire qui espéraient sans doute ainsi accélérer la pacification des esprits. Mais ainsi que le souligne Guy Pervillé, « cette mansuétude n'était qu'un expédient temporaire »598(*). De fait, au même moment, et dans l'attente du transfert définitif de souveraineté, certaines directives de l'état-major de l'ALN « préconisaient de tenir à jour des listes de traîtres, et de surveiller leurs déplacements »599(*). Cette consigne n'était pas isolée, comme en témoignent d'autres documents, précédemment cités (voir supra), faisant état de la duplicité du FLN à l'égard des ex-supplétifs pendant la courte période transitoire séparant la conclusion du cessez-le feu (le 19 mars 1962) de l'accession à l'indépendance de l'Algérie (le 3 juillet). Du reste, Guy Pervillé note que, dès janvier 1960, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), réuni à Tripoli, s'était prononcé - sans attendre les termes d'une éventuelle négociation600(*) - pour que « le sort définitif des «traîtres» [soit] décidé souverainement par l'Assemblée nationale et par le gouvernement de l'Algérie indépendante »601(*). Les représailles de l'après-indépendance ne furent donc pas simplement le fruit d'une éruption de colère spontanée, imputable à certains éléments incontrôlés.

Cette détermination, forgée de longue date, allait être redoublée dans la période de l'immédiat après-indépendance par la propension des différentes factions du FLN/ALN à céder à une forme de surenchère nationaliste pour asseoir leur légitimité. De fait, dès après l'accession à l'indépendance, la question de la succession de l'Exécutif provisoire mit aux prises trois mois durant deux coalitions. L'une, constituée autour d'Ahmed Ben Bella et du colonel Boumediene, était composée de l'ALN extérieure et des wilayas I, V et VI. L'autre, constituée autour du GPRA, était constituée des wilayas II, III et IV, ainsi que des Fédérations de France, de Tunisie et du Maroc. Les forces mieux équipées et organisées de l'ALN extérieure emportèrent la partie pour Ben Bella et Boumediene. Tout au long de cet « affrontement au bord de la guerre civile », « l'absence d'une autorité reconnue et obéie plongea l'Algérie dans une profonde anarchie »602(*). Dans ces conditions, ajoute Guy Pervillé, « les garanties de sécurité des personnes et des biens contenues dans les accords d'Évian devinrent plus que jamais lettre morte »603(*). En outre, relève-t-il, « les rivalités entre les chefs responsables de la Révolution algérienne les entraînèrent dans une surenchère nationaliste qui favorisa une chasse aux traîtres. Tous les concurrents dans la course au pouvoir avaient intérêt à se montrer implacables, ou tout au moins à ne pas protéger les «traîtres», pour ne pas laisser leurs adversaires mettre en cause leur patriotisme »604(*).

Dans ce contexte où justifications lointaines et immédiates se renforçaient les unes les autres, la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Évian fut précocement et systématiquement violée. Ainsi que le souligne Guy Pervillé, aussitôt l'indépendance proclamée, « les arrestations d'anciens harkis et autres «collaborateurs» des Français se multiplièrent en même temps dans toutes les régions, suivies souvent de sévices, de tortures et de supplices effroyables »605(*). Voici le bilan que dressait pour son arrondissement Jean-Marie Robert, ancien sous-préfet d'Akbou, dans une note adressée en mai 1964 à l'attention d'Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d'Etat et secrétaire général du Comité national pour les musulmans français :

« Pendant quelques semaines, tous crurent au miracle et au respect des accords d'Evian. Soudain, du 27 juillet au 15 septembre 1962 environ, la répression s'abattait sans aucune cause locale particulière. Une cinquantaine d'ex-supplétifs ou de civils furent tués par l'ALN dans les villages les plus éloignés.

« Mais surtout 750 personnes environ furent arrêtées et groupées dans trois «centres d'interrogatoire» (...). Dans ces centres, d'où l'on entendait loin à la ronde les hurlements des torturés, près de la moitié des détenus fut exécutée à raison de 5 à 10 chaque soir. L'emplacement des charniers situés à proximité des centres est connu (...). Ces centres contenaient environ deux tiers d'ex-supplétifs et un tiers de civils (maires, conseillers généraux, conseillers municipaux, chefs de village désignés, généralement contre leur gré par l'armée, anciens combattants et de plus ceux qui avaient été dénoncés, à tort ou raison, librement ou sous la torture, comme ayant travaillé pour la France). Un conseiller général, qui avait par conviction toujours pris position pour la France, a été arrêté le 1er août et enterré vivant le 7 août la tête dépassant et recouverte de miel en compagnie de plusieurs autres détenus dans le camp d'Ain Soltan près de Bordj Bou Arreridj devant ses 350 codétenus. Son agonie, le visage mangé par les abeilles et les mouches, dura cinq heures.

« A noter que durant cette période la population n'a participé aux supplices que de quelques dizaines de harkis - promenés habillés en femmes, nez, oreilles et lèvres coupés, émasculés - enterrés vivants dans la chaux ou même le ciment - ou brûlés vifs à l'essence. Cependant les supplices dans cette région n'atteignirent pas la cruauté de ceux d'un arrondissement voisin à quelques quinze kilomètres de là : harkis morts - crucifiés sur des portes - nus sous le fouet en traînant des charrues - la musculature arrachée avec des tenailles. De même dans cet arrondissement ne furent pas signalés les massacres par l'ALN de femmes et d'enfants de harkis, ce qui fut fréquent dans des arrondissements voisins où des femmes furent aussi tuées pour le seul fait d'avoir reçu des soins dans des infirmeries militaires.

« Cependant le 15 septembre le calme revenait et ne devait pas se démentir jusqu'au 15 octobre. (...) Pourtant la répression reprenait le 15 octobre 1962 à froid et sur la seule initiative de l'ALN-ANP (l'ANP avait fait son entrée dans l'arrondissement le 15 octobre) [NDA : l'Armée nationale populaire avait pris la suite de l'Armée de libération nationale à la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Elle était majoritairement constituée par les troupes de l'ex-Armée des frontières, commandée par Houari Boumediene]. L'on doit en effet noter que pas plus que la population, ni le FLN proprement dit, ni le pouvoir local n'ont participé en rien à cette nouvelle période de répression et qu'ils peuvent donc légitimement non pas nier ou prétendre ignorer mais désavouer et affirmer ne pas y avoir pris part. L'on ne peut cependant penser qu'ils en aient été contristés.

« Les 15, 16 et 17 octobre, une cinquantaine d'ex-harkis étaient massacrés par l'ALN. Les enfants comptaient les cadavres en allant en classe. (...) D'autre part, de fin octobre à début décembre, allait reprendre une nouvelle vague d'arrestations de ceux qui avaient déjà été détenus, puis libérés vers le 15 septembre. Il n'était plus question de centres d'interrogatoire : l'ALN exécutait sommairement, seules les personnalités avaient encore l'honneur de supplices et de tortures.

« Dans chaque commune (groupant en moyenne 13 villages et 7.000 habitants) 30 à 50 personnes furent abattues - harkis ou moghaznis, chefs de village ou conseillers municipaux et jusqu'à des septuagénaires présidents de petites sections locales d'anciens combattants. Dans certaines communes, la totalité des harkis a été tuée ; dans d'autres, une vingtaine seulement. (...) Enfin eurent lieu des massacres généraux dans des villages qui avaient été les premiers à se rallier à la France en 1957. Ainsi arrivaient fin novembre 1962 à Marseille, convoyés par l'armée, 50 rescapés, femmes et enfants, d'un village d'un arrondissement voisin où tous les hommes avaient été tués. Dans l'arrondissement dont il s'agit ici, l'on a seulement indiqué que dans un village profrançais tous les hommes étaient soit morts, soient prisonniers (...).

« Cependant, si au cours de la première vague de répression du mois d'août aucun des menacés n'avait pu s'échapper, sans doute parce que la population suivait encore aveuglément les ordres du FLN, plus de 200 personnes sont parvenues en France de fin octobre à fin novembre 1962 échappant de justesse à la mort. Elles ont souvent déclaré qu'elles avaient été prévenues de leur arrestation par la population quelques heures avant celle-ci et souvent nourries, cachées pendant 3 à 10 jours puis munies de viatiques pour pouvoir passer en France (...).

« La répression massive se termina fin 1962, début 1963. Cependant elle devait continuer de façon épisodique, au gré sans doute des cadres locaux et, à titre de diversion, à l'occasion des difficultés locales »606(*).

A cet égard, les conséquences de la non-intervention des troupes françaises encore présentes sur le sol algérien (mais consignées dans leurs casernes avec l'ordre exprès de ne pas intervenir) furent aggravées par le caractère exagérément tardif des protestations diplomatiques. Ce n'est que le 19 septembre - puis le 13 novembre 1962 (voir supra) - que l'ambassadeur de France en Algérie, Jean-Marcel Jeanneney, s'émut officiellement de la situation auprès des autorités algériennes, et pointa la violation caractérisée de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian. Quelles furent les suites de ces protestations ? Dans un rapport du 23 mai 1963 au Premier ministre, le général de Brébisson, commandant supérieur en Algérie, souligne certes que « le gouvernement algérien est intervenu (...) mais [que] la plupart du temps il a encouragé ou laissé faire, tout en semant le bruit que des dispositions seraient prises pour réimplanter hors de leur zone d'origine les familles de harkis »607(*). De fait, les réponses apportées par les autorités algériennes aux protestations françaises furent à la fois tardives et équivoques. Dans une lettre du 19 juin 1963, le ministre algérien de la Justice, Amar Bentoumi, s'il reconnaissait la réalité des exactions en cause (sans en préciser l'ampleur), en attribuait la responsabilité directe à des individus isolés, et la responsabilité indirecte aux accords d'Évian : il se serait agi de « réactions spontanées de vengeance », avivées par la frustration de l'Algérie de n'avoir pu « emprisonner et juger tous les collaborateurs, empêchée [qu'elle en fut] par ses engagements aux accords d'Évian »608(*). Et il ajoutait que, de ce fait, le gouvernement algérien avait dû fermer les yeux sur ces réactions609(*).

Cependant, dans cette même lettre, le ministre algérien de la Justice reconnaissait indirectement que ces exactions ne furent pas uniquement le fait de réactions spontanées de la population puisque, soucieux de montrer la bonne volonté dont aurait tout de même fait preuve le gouvernement algérien sur cette question, il expliquait que « lorsque l'Armée nationale populaire [anciennement Armée de libération nationale] intervint avec des méthodes encore plus brutales, il fallut bien sévir contre les coupables, lorsqu'ils étaient connus »610(*). Une sorte de confirmation en creux du récit de l'ancien sous-préfet d'Akbou, Jean-Marie Robert. À l'instar de ce dernier, qui distinguait plusieurs vagues de répression contre les musulmans précédemment engagés à un titre ou à un autre aux côtés de la France, Amar Bentoumi fait état de plusieurs stades dans le déroulement des épurations sauvages de l'après-indépendance : les réactions « spontanées » d'abord, l'intervention « brutale » de l'ANP ensuite. Les autorités et les forces de l'ordre ne furent donc pas étrangères aux exactions perpétrées à l'encontre des anciens supplétifs et autres catégories de musulmans pro-français, bien au contraire. Du reste, contrairement à ce que laisse entendre Amar Bentoumi, la clause d'amnistie contenue dans les accords d'Évian n'a en rien dissuadé les autorités algériennes d'emprisonner nombre d'anciens supplétifs ni d'organiser des procès de « collaborateurs » (même si la plupart des musulmans pro-français emprisonnés le furent sans procès). Selon Jean Monneret et Guy Pervillé, des procès publics furent ainsi organisés au mois d'août 1962 à Alger611(*). Dans sa lettre du 13 novembre 1962, l'ambassadeur de France Jean-Marcel Jeanneney évaluait à 7.000 le nombre d'anciens supplétifs (et autres catégories de musulmans pro-français) détenus en toute illégalité dans les geôles algériennes.

Guy Pervillé précise à cet égard que, au moment où les violences commencèrent à diminuer en intensité, au printemps 1963, le gouvernement algérien autorisa des visites régulières du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans les prisons des grandes villes (visites jusque-là autorisées de manière sporadique). En mai 1963, le CICR y dénombra 2.400 anciens supplétifs incarcérés. Cette organisation estima en outre à 7.000 le nombre des supplétifs incarcérés dans les divers camps d'internement et de travaux forcés qui lui étaient restés inaccessibles, ou dont l'existence était niée par les autorités algériennes612(*). En 1965, le CICR révisera son estimation à la hausse, évaluant le chiffre des supplétifs emprisonnés à 13.500613(*). Jamais, après-coup, les autorités algériennes ne décideront d'une amnistie générale pour ces "prisonniers de paix" dont le statut était contraire à la clause d'amnistie contenue dans les accords d'Évian. Amorcées seulement au compte-gouttes, les libérations s'échelonnèrent jusqu'en 1969. Néanmoins, un accord franco-algérien impliquant la médiation du CICR permit à 1.333 anciens prisonniers d'être "rapatriés" en métropole entre 1965 et 1970614(*).

Les témoignages recueillis par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche auprès de femmes de harkis disent bien à la fois ce que furent les conditions de détention de leurs maris, et ce que fut la vie quotidienne de femmes abandonnées à elles-mêmes dans un environnement hostile. Témoignage de Mme Khelfoun, veuve de 68 ans vivant à Bias : 

« [Après l'arrestation de mon mari], je suis restée seule avec mes enfants, dans la misère, dans un pays qui tuait les harkis. Quand ils ont emprisonné mon mari, ils m'ont chassé de chez moi. Les femmes de harkis n'avaient pas droit aux maisons. Je dormais dehors avec mes petits, dans la forêt, sous les arbres, et je les couvrais de branchages pour les protéger du froid. Dans la rue, je me faisais insulter : «Harkia !», criaient-ils. J'évitais le plus possible d'aller en ville. Mes enfants ont été expulsés de l'école. Les Chaabs (Algériens) refusaient que les fils de harkis étudient. Nous étions la risée du village. Ils organisaient des soirées sur les harkis, pendant lesquelles ils complotaient notre mort. Finalement, mon cousin nous a recueillis chez lui. Sans nouvelles de mon mari pendant cinq ans, je croyais qu'il était mort. Un jour, j'ai reçu une lettre de lui : il était à la prison de Batna. Je suis allée le voir, je l'ai trouvé maigre à pleurer. Il ne lui restait que la peau sur les os. Il m'a raconté que leurs gardiens pissaient sur des pastèques qu'ils leur mettaient sous le nez : «Mangez klebs !», criaient-ils »615(*).

De même, Zahia Rahmani revient sur les cinq années d'épreuves endurées par sa mère - et d'autres comme elle - après que son père fut arrêté :

« Elle me parle cette fois de sa guerre de femme. Les cinq ans sans Moze. Elle me dit son ardeur, celle qui lui fut nécessaire pour maintenir ses enfants en vie. Elle me dit sa joie. Celle d'avoir surmonté des temps ombrageux. Elle me dit sa patience, son assurance et sa ruse. Elle vivait maintenant dans une ville. A l'intérieur d'une grande bâtisse qui appartenait à la famille de son époux. Après l'arrestation de leurs hommes, les femmes s'y étaient rassemblées avec leurs familles. Les murs de la cour étaient hauts. Ils les protégeraient des assauts et des insultes. L'école n'existait plus. Les enfants en revenaient trop abîmés. Sur les toits, la nuit, des hommes, des amis proches, les veillaient. Ils les ont veillées jusqu'à la dernière nuit ». Plus loin, à propos de son grand frère : « On t'a poignardé à treize ans. Tu as eu le ventre ouvert parce que ton père était un traître. Mokrane [NDA : un autre de ses frères] t'a donné trois litres de son sang pour que tu vives... Tu as été sauvé. Cinq ans dans ce pays. Cinq ans expropriés, misérables et pourchassés. J'ai oublié pendant plus de trente ans ces années sordides et il a fallu que sur ton corps de grand frère je revoie cette chair boursouflée pour qu'à nouveau tous les cailloux nous tombent dessus... »616(*).

Nous l'avons dit, les représailles dont furent victimes les ex-supplétifs à l'été (1ère grande vague de représailles) et à l'automne 1962 (2ème grande vague) furent davantage et autre chose que la simple conjonction d'actes de vengeance isolés, supposément imputables aux seuls combattants de la vingt-cinquième heure. Perpétrées dans un climat de surenchère nationaliste (la première vague de représailles est immédiatement contemporaine des luttes de faction pour la prise de pouvoir au sein du FLN-ALN), puis d'affirmation de la domination du clan vainqueur (la deuxième vague de représailles, perpétrée par et sous l'impulsion de l'ex-armée des frontières, suit de quelques semaines la prise de contrôle du FLN-ALN par le binôme Ben Bella-Boumediene), ces violences ne sont pas détachables, dans leur signification, du contexte de fondation d'un régime militarisé de parti unique dans l'Algérie post-coloniale. Guy Pervillé : « Les arrestations suivies de tortures et de massacres qui frappèrent alors de nombreux Algériens compromis avec la France ont souvent été expliquées par des vengeances spontanées de la population ou par le zèle des marsiens, volontaires de la vingt-cinquième heure ayant besoin de prouver leur vertu patriotique. Ces explications sont insuffisantes : l'existence pendant plusieurs mois de camps de prisonniers oblige à mettre en cause la responsabilité des commandements des wilayas, de l'Etat-major de l'ALN et du gouvernement de la jeune République algérienne formé le 26 septembre 1962 par Ahmed Ben Bella. Tous les concurrents dans la course au pouvoir avaient besoin de montrer leur patriotisme en se montrant impitoyables envers les harkis »617(*). Pour cette raison, sans doute, ces actes de violence s'accompagnent, sinon systématiquement, du moins très fréquemment de mises en scène macabres destinées à marquer les esprits et, ce faisant, à asseoir le pouvoir de ceux qui les commanditent. On pourrait ici multiplier les témoignages faisant état de l'extrême cruauté des supplices infligés aux ex-supplétifs et autres catégories de musulmans pro-français618(*), apparentant la mise à mort à une cérémonie du "dire" (à l'adresse des gens ordinaires) autant que du "faire" (à l'encontre des ennemis désignés). Un supplément au n°371 du 14 novembre 1962 de la Nation française publie les premiers témoignages de harkis rescapés. Récit du moghazni K. Amar de la S.A.S. de Lentia, arrondissement de Mila (Constantinois) : « Voici ce qui s'est passé en Algérie à Trolard Taza : le FLN a reconstitué les deux petites unités de harkis qui avaient mené le combat dans les rangs de l'armée française. Devant un grand concours de population, il les a disposés face à face dans une arène improvisée, et leur a imposé une rencontre au poignard. Comme la combativité des malheureux, de dépit de la promesse faite de laisser la vie sauve à l'unité victorieuse, l'ALN, pour stimuler les énergies, a abattu sur-le-champ quelques harkis. Le combat eut lieu, âpre, sauvage... Et les survivants furent tous abattus par l'ALN et leurs corps abandonnés sans sépulture pendant plusieurs semaines »619(*). Le caporal L. Brahim de la SAS de Texenna, puis de Duquesnes, près de Djidjelli (Constantine), témoigne pour sa part avoir été directement victime de ces séances d'expiation collective : « (...) Puis un jour les Fellagha ont réuni toute la population civile. Ils nous ont à nouveau attachés les mains à tous les trois et à un autre moghazni de la SAS de Tamentout. Alors, pendant trois jours, les civils, conduits par les Fellagha, nous ont battus à coups de bâton, de pierre. Nos femmes ont subi le même sort que nous. Après ces trois jours, nous étions presque morts, nous quatre et nos femmes, couverts de plaies, surtout à la tête »620(*). Fatna Tabti se souvient avoir enduré une séance de torture publique de son mari, ancien moghazni à la SAS de Saint-Leu (près d'Oran), qui pensait avoir trouvé refuge à Chanzy, chez son beau-frère. Il est pourtant arrêté par l'ALN. Le surlendemain, « un camion parcourt Chanzy invitant les habitants «à venir au camp assister à des scènes de cinéma». Parmi les villageois amusés, Fatna et ses enfants voient son mari parmi d'autres harkis. «Tous en short, on les faisait escalader des rouleaux de barbelés» »621(*).

Dans un entretien avec Benjamin Stora, pour Les Années algériennes, l'ancien maire d'El-Affroun, Jack Averseng, dira avoir été personnellement témoin de ces massacres en place publique :

« Ce massacre des harkis, vous y avez personnellement assisté ?

J.A. : Oui.

- A El-Affroun ?

J.A. : A El-Affroun. Mais, bien sûr !

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

J.A. : On leur faisait boire du pétrole, et on leur mettait le feu.

- Vous l'avez vu, ça ?

J.A. : Mais oui ! Ça se passait sur la place publique.

- Vous étiez encore maire ?

J.A. : Non. Ça s'est passé après moi.

- Et vous n'avez pas pu vous opposer ?

J.A. : Mais l'armée n'a rien fait ! L'armée n'est pas sortie.

- Parce que l'armée française était encore là ?

J.A. : L'armée française avait ordre de ne pas bouger...

- Et on a laissé massacrer les harkis ?

J.A. : Oui !... On n'a pas voulu les avoir en France »622(*).

Encore une fois, ce déchaînement de violence et, plus encore, la "spectacularisation" de la mise à mort des « traîtres » dans un contexte où tout foyer de résistance hérité de l'ère coloniale est pourtant juridiquement et factuellement éteint ne sont pas dénués de sens, bien au contraire. L'emploi de telles méthodes atteste que ces violences participent non seulement d'un processus d'épuration, mais aussi - mais surtout - d'un processus de fondation : elles visent autant à édifier les gens ordinaires sur ce qu'il pourrait leur en coûter de contester l'hégémonie naissante du FLN qu'à éradiquer les « traîtres » en raison de leurs agissements passés. On voit comment l'ALN s'attache à impliquer les populations - ne serait-ce que passivement - dans l'exécution des représailles, de la même manière qu'elle s'était attachée à impliquer ces populations dans la conduite de la guerre (voir le chapitre III de la Partie 1 ci-dessous). Certes, aux dires de certains témoignages, les populations civiles ne sont pas pour rien dans cette escalade de manifestations d'ardeur - et de terreur - "patriotiques". Mais c'est bien dans un contexte de verrouillage politique de la société algérienne, sans claire distinction entre ce qui participe du domaine de la force et ce qui participe du domaine de la loi, que doivent être compris les agissements de ceux qu'il est convenu d'appeler les « marsiens ». Dans ce contexte insécure, l'abandon à la violence peut être vécue comme la condition même du dédouanement - les tueries, et notamment les exécutions publiques et les lynchages, revêtant alors comme une dimension cathartique. Témoignage de Messaoud Kafi, ancien harki : « C'était l'hystérie générale. Des foules immenses parcouraient la ville en hurlant. Ceux qui n'avaient même pas été harkis mais qui, par peur, s'enfuyaient étaient rattrapés puis lynchés par des hordes de voyous qui faisaient la loi à coups de hache et de gourdin »623(*).

De ce point de vue, le sort des prisonniers fut à l'unisson de celui des autres suppliciés. Dans sa lettre du 13 novembre 1962, l'ambassadeur de France s'inquiétait des « traitements particulièrement odieux » subis par les anciens supplétifs. Pour qui est familier des précautions de langage diplomatiques (même s'agissant d'une lettre de protestation), il est permis de penser que les traitements infligés à ces « victimes de la propagande colonialiste »624(*) furent en effet des plus odieux.

Ainsi, contrairement à ce que déclarait Ahmed Ben Bella le 3 juin 1963 en réaction aux protestations françaises, l'Algérie n'a jamais « pardonné » aux anciens harkis625(*). À l'inverse, tout indique que les représailles exercées à leur encontre n'ont été rendues possibles que grâce au concours et de par l'initiative des forces armées et, comme le confirme à demi-mot Amar Bentoumi, du fait de la complicité bienveillante - à tout le moins - des autorités algériennes. Témoignent en ce sens tant l'éventail des mauvais traitements infligés aux musulmans pro-français - emprisonnement, travaux forcés, exécutions sommaires précédées ou non de sévices, exécutions publiques précédées ou non de sévices - que le caractère cyclique des exactions. A cet égard, l'ancien sous-préfet d'Akbou, M. Jean-Marie Robert, pointant le caractère prémédité de ces massacres, souligne que ceux-ci ont été perpétrés par vagues successives, « s'abattant soudainement sans aucune cause locale particulière », et lors même que les victimes des vagues les plus tardives avaient jusque-là résidé dans leurs villages « sans être nullement inquiétées » : « Il n'était donc plus question de vengeance à chaud, ni même de liquider ceux qui s'étaient particulièrement engagés avec la France, ce qui avait été fait largement lors de la première vague de répression, mais de tuer ceux qui, ou bien n'avaient jamais caché leurs sentiments profrançais, ou bien simplement avaient accepté, sans que la population ne trouve rien à redire, de participer au système administratif de l'époque, sans avoir jamais pris part ni à la répression, ni à des prises de position politiques caractérisées. Beaucoup avaient même été inquiétés ou suspectés par l'armée à juste titre »626(*).

De fait, l'éventail des personnes ciblées va bien au-delà des seuls combattants musulmans de l'armée française. Jean-Marie Robert rapporte ainsi que, dans sa circonscription, les centres d'internement de l'ALN « contenaient environ deux tiers d'ex-supplétifs et un tiers de civils (maires, conseillers généraux, conseillers municipaux, chefs de village désignés, généralement contre leur gré par l'armée, anciens combattants et de plus ceux qui avaient été dénoncés, à tort ou raison, librement ou sous la torture, comme ayant travaillé pour la France) »627(*). Il revient sur ce point plus avant : « A noter également que l'on ne parle que de harkis alors que la proportion non négligeable de civils est de l'ordre d'un tiers constitué d'élus de tous rangs, de chefs de villages, d'anciens combattants ou de simples civils. À titre d'exemple, sur six conseillers généraux, deux ont été tués, deux ont pu se réfugier en France, un est en prison depuis le 1er août après d'atroces sévices et un autre a été libéré après deux mois de détention et de tortures. Sur onze maires : cinq tués, un en prison, deux évadés, un détenu puis libéré, un libre »628(*).

Ceci atteste que le massacre des harkis n'était pas la simple "rétribution" des exactions commises par certains anciens supplétifs, qu'il n'était pas un simple accès de vengeance des victimes de ces exactions, mais qu'il participait, de la part du FLN, d'une entreprise calculée, dont la visée était clairement hégémonique : il s'agissait bien, pour le futur parti-Etat, de faire table rase - au sens propre comme au sens figuré - des cadres d'allégeance liés de près ou de loin à la période coloniale, ainsi que de leurs chevilles ouvrières, civiles et militaires. Déjà, dans El Moudjahid du 1er novembre 1958, dans un style visiblement directement inspiré par la pensée de Frantz Fanon (voir ci-dessous629(*)), Krim Belkacem écrivait : « Notre révolution devient le creuset où les hommes de toute conditions, paysans, artisans, ouvriers, intellectuels, riches ou pauvres subissent un brassage tel qu'un type d'homme nouveau naîtra de cette évolution »630(*). A cet égard, Omar Carlier rappelle que « [les chefs de l'insurrection] se considèrent comme l'avant-garde d'une Révolution, à la fois nationale et internationale, nourrie en 1954 de références à Valéra et Mao, ou encore à Giap et Nasser ». Et il ajoute : « Révolution, tel est en effet, depuis l'Etoile Nord-Africaine, et surtout depuis l'OS, le mot magnétique du nationalisme radical. (...) Il s'agit également de fonder une Algérie nouvelle débarrassée de ses féodaux et de ses caïds »631(*). Plus encore que Krim Belkacem, l'auteur des Damnés de la terre632(*) et rédacteur d'El Moudjahid, Frantz Fanon était explicite sur le moyens requis pour atteindre à ce « changement de panorama » : « Dans décolonisation, il y a donc exigence d'une remise en cause intégrale de la situation coloniale. Sa définition peut, si on veut la décrire avec précision, tenir dans la phrase bien connue : «Les derniers seront les premiers». La décolonisation est la vérification de cette phrase ». Et il précise : « Présentée dans sa nudité, la décolonisation laisse deviner à travers tous ses pores, des boulets rouges, des couteaux sanglants. Car si les derniers doivent être les premiers, ce ne peut être qu'à la suite d'un affrontement décisif et meurtrier des deux protagonistes. Cette volonté affirmée de faire remonter les derniers en tête de file, de les faire grimper à une cadence (trop rapide, disent certains) les fameux échelons qui définissent une société organisée, ne peut triompher que si on jette dans la balance tous les moyens, y compris, bien sûr, la violence »633(*). Cela renvoie à une question importante, soulevée par Mark Levene : « Pourquoi des gens - que parfois même on n'aurait pas distingués du reste de la population dominante - se retrouvent-ils étiquetés, non seulement comme différents, mais d'une façon telle que l'Etat, à un certain moment, décide que la seule forme d'action possible est de les éliminer ? ». « Il semble, poursuit-il, que cela soit intrinsèquement lié aux efforts des Etats pour organiser socialement des groupes indigènes ou traditionnels, souvent de manière très rapide, voire par de grands bonds en avant de caractère révolutionnaire, et concerne ce qui se passe lorsque, face à la simple magnitude des tâches qu'ils s'assignent, ces Etats font dramatiquement fausse route. Ce n'est donc pas un hasard si les victimes des génocides sont ceux qui se trouvent en travers de la voie, qui s'opposent activement, ou dont les systèmes culturels de croyances remettent en question la plausibilité ou le sens de ces projets eux-mêmes »634(*).

b) Le bilan

Les estimations du nombre de musulmans pro-français massacrés après l'indépendance s'échelonnent entre quelques milliers et cent cinquante mille. Alistair Horne a qualifié ces variations d' « extravagantes »635(*) : en fait, elles sont fonction, d'abord, de l'approche méthodologique de leurs auteurs mais aussi, et parfois plus encore, de leurs engagements militants. Il est un fait, cependant, qu'en raison du mode opératoire de ces massacres et de leurs circonstances politiques, il n'existe sans doute, à ce jour, aucun élément de comptage ou d'archivage véritablement fiable ou exhaustif. Il est néanmoins possible d'invalider les évaluations extrêmes - les plus basses comme les plus hautes - tant apparaissent clairement les motifs de sous-évaluation ou de surévaluation dans la démarche d'auteurs qui, en outre, varient parfois assez nettement dans leurs propres estimations, sans justifier ces écarts ni rendre compte de leur méthode d'évaluation.

Le bilan du massacre des harkis présente ainsi des difficultés d'évaluation certaines, à la fois méthodologiques, politiques et idéologiques :

- méthodologiques d'abord, du fait, notamment, de la difficulté d'accès et de la parcimonie probable des archives afférentes à ces massacres en Algérie ainsi que de la difficulté, aujourd'hui encore, d'y recueillir des témoignages fiables et non contraints ;

- politiques ensuite, puisque cette démarche, par sa seule mécanique (et sans même préjuger de ses résultats comptables), vient heurter les récits consacrés des Etats algériens et français qui, chacun à leur manière ("victoire" pour les uns, solution "pragmatique" pour les autres), voient dans les accords d'Evian un épilogue signifiant et somme toute définitif à la guerre d'Algérie (voir la Partie 4) : il n'est qu'à voir, par exemple, en Algérie, le rôle joué par l'Organisation Nationale des Moudjahidin (ONM) dans le "filtrage" de la production historique;

- idéologiques enfin, puisque ceux à qui incombe professionnellement la charge d'opérer de telles évaluations, à savoir les historiens, ne sont pas, des deux côtés de la Méditerranée, sans investir dans leur démarche autre chose qu'une simple expertise professionnelle : le massacre des harkis est de ces épisodes de la guerre d'Algérie qui, pour des raisons qu'il nous appartiendra de préciser plus avant, suscite dans cette communauté de chercheurs des investissements d'ordre "extra-épistémologique".

Dans quelle mesure les évaluations des historiens ont-elles été affectées par ces difficultés ? Et comment ceux qui ont objectivé leur méthode d'évaluation ont-ils tenté de s'en affranchir ?

Un premier groupe d'historiens est constitué de ceux qui, proposant systématiquement des évaluations a minima du massacre des harkis, n'ont pour autant jamais objectivé leur méthode d'évaluation (sans que l'on sache très bien, donc, quelle est dans leur démarche la part de la prudence méthodologique et la part des résistances "extra-épistémologiques"). Parmi ceux-ci se trouve un spécialiste reconnu et honoré de la guerre d'Algérie, l'historien Charles-Robert Ageron, directeur du Groupe de recherche sur l'histoire de la décolonisation à l'IHTP, qui, dans l'un de ses articles, avait suscité la polémique en écrivant l'expression « drame des harkis » entre guillemets et assortie d'un point d'interrogation636(*). Dans un précédent article, en 1995637(*), celui-ci estimait d'ailleurs à « plusieurs milliers » seulement le nombre des supplétifs massacrés après le 19 mars 1962. Or, les estimations "planchers" les plus courantes font état d'au moins 30.000 victimes. Et selon Alistair Horne638(*), Ahmed Ben Bella lui-même, pourtant peu suspect de vouloir grossir les chiffres des massacres de l'après-indépendance, avait estimé le nombre des victimes à 15.000.

Nous verrons plus avant639(*) que les « engagements progressistes » de Charles-Robert Ageron640(*), et son soutien revendiqué à la politique de sortie de crise suivie par le général de Gaulle en 1962, ne sont sans doute pas pour rien dans sa volonté de minimiser l'ampleur des représailles consécutives à la signature des accords d'Evian et à l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Mais les estimations de Charles-Robert Ageron pèchent d'abord et avant tout par l'absence d'objectivation de sa méthode d'évaluation ; aussi sont-elles sujettes à d'importantes variations - inexpliquées - d'une publication l'autre : « plusieurs milliers » en 1980641(*), « de 10.000 à 30.000 » en 1991642(*), à nouveau « plusieurs milliers » en 1995643(*), et « 10.000 » en 2000644(*).

A l'instar de Charles-Robert Ageron, l'historien Gilbert Meynier645(*) a également tendance à proposer des évaluations a minima des massacres postérieurs à la signature des accords d'Evian sans pour autant objectiver sa méthode d'évaluation. Ainsi, dans un article commun avec Mohammed Harbi646(*), article qui se voulait une réponse à la sortie du livre de Georges-Marc Benamou (Un Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie), ces auteurs écrivent que, « à titre hypothétique, l'origine de ces dizaines de milliers de gens tués comptabilisés comme harki(s) pourrait provenir d'un amalgame non innocent avec les Algériens tués d'une manière ou d'une autre par l'ALN-FLN de 1954 à 1962, et comprenant, outre les harki(s) tués en 1962-63, les «traîtres» abattus et les victimes des purges internes de l'ALN, total général que l'un de nous (Gilbert Meynier) a proposé, au grand maximum, à une cinquantaine de mille en chiffres ronds »647(*). Il se trouve que les deux derniers bilans catégoriels - celui concernant les civils musulmans abattus par le FLN/ALN entre 1954 et 1962 d'une part, celui concernant les purges internes au FLN ou au mouvement nationaliste dans son ensemble (guerre FLN-MNA) d'autre part - sont relativement bien connus et non sujets à des écarts extravagants d'un historien l'autre. Il est donc possible, par déduction, d'approcher le bilan du massacre des harkis tel que l'estiment Mohammed Harbi et Gilbert Meynier. Le premier bilan catégoriel (bilan des civils musulmans abattus par le FLN/ALN entre 1954 et 1962) a donné lieu à un décompte très officiel de la part des autorités françaises peu après la signature des accords d'Evian, bilan non contesté (mais très peu cité) par les historiens : ce décompte officiel fait état de 29.674 civils musulmans tués ou disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 en raison des agissements du FLN (pour 3.163 victimes européennes, auxquels s'ajoutent 13.610 civils musulmans blessés et 7.541 européens). Le deuxième bilan catégoriel (bilan des purges internes au FLN et au mouvement nationaliste dans son ensemble), qui n'a fait l'objet d'aucun décompte officiel, donne lieu à des estimations qui s'échelonnent entre 10.000 (Guy Pervillé) et 14.000 victimes (Maurice Faivre). Il en découle, par simple déduction, que Mohammed Harbi et Gilbert Meynier estimeraient le nombre des musulmans pro-français tués après la signature des accords d'Evian comme étant compris entre 6.000 et 10.000, soit un niveau comparable aux estimations les plus basses de Charles-Robert Ageron.

Un deuxième groupe est constitué de ceux, parmi les historiens, qui ont basé leurs évaluations sur une méthode précise, objectivée et, à ce titre, falsifiable (au sens de réfutable). Ainsi en va-t-il, en premier lieu, du général Maurice Faivre, qui estime à environ 65.000 le nombre des supplétifs massacrés après le 19 mars 1962, avec une marge d'incertitude assez importante de 44%648(*). Auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l'histoire des combattants musulmans de l'armée française, l'auteur - lui-même ancien chef de harka - ne cache pas sa sympathie pour les intéressés. Mais il fonde ses calculs sur une méthode - la méthode démographique - dont il expose les tenants, et qu'il est loisible à tout un chacun de critiquer dans ses aboutissants. Son point de départ, donc, est l'estimation du nombre global de morts musulmans - toutes obédiences politiques confondues - engendrés par la guerre d'Algérie. Cette estimation, originellement due aux calculs de l'historien Xavier Yacono (né à Alger en 1912)649(*), se fonde sur la comparaison de deux évaluations théoriques de l'effectif de la population algérienne musulmane en 1962 : « L'une, calculée régressivement à partir des données de 1966, l'autre, en progressant à partir de celles de 1954, en supposant dans les deux cas un accroissement linéaire. La première étant inférieure à la seconde, la différence correspond au déficit démographique total causé par la guerre »650(*). Cette méthode, ajoute Guy Pervillé, « considère globalement les pertes de la population recensée comme «française musulmane» en 1954 et comme «algérienne» en 1966 »651(*), sans distinguer entre les camps opposés, entre les civils et les combattants, entre les morts accidentelles et les morts violentes. Elle englobe les pertes des militants et combattants du FLN, les victimes des règlements de compte entre le FLN et le MNA (Mouvement National Algérien, de Messali Hadj), les victimes des purges internes au FLN, les victimes civiles musulmanes des activités terroristes du FLN, les pertes des supplétifs musulmans tués au combat, les victimes civiles musulmanes des opérations de ratissage de l'armée française, les anciens supplétifs victimes des représailles du FLN après la conclusion du cessez-le-feu, mais aussi la part de surmortalité civile indirecte et le déficit de naissances due à la dégradation des conditions de vie. Au total, donc, Xavier Yacono estime vraisemblablement inférieures à trois cent mille (300.000) les pertes de la population musulmane entre 1954 et 1962. Partant de ces estimations globales et des bilans catégoriels connus, Maurice Faivre s'est efforcé d'approcher le nombre des musulmans assassinés après le 19 mars 1962. Il s'en explique :

« Les études démographiques fondées sur les recensements de 1954 et 1966 concluent que les pertes de la population algérienne dues à la guerre sont comprises entre 234.000 (estimation Ageron pour l'Algérie sans les émigrés) et 290.000 (estimation maximale Yacono). Si l'on retranche de ces chiffres :

- les combattants décédés : 158.000 (pertes ALN/FLN et purges internes) + 6.615 (supplétifs et soldats réguliers musulmans de l'armée française) + 16.678 (civils musulmans tués par le FLN) = 180.993

- les musulmans disparus : 13.296 civils + 1.500 supplétifs + 550 militaires = 15.326 + N

on obtient des valeurs comprises entre 37.680 et 93.680, soit une moyenne de 65.000 (à 44% près), pouvant correspondre aux harkis massacrés en 1962, et dont il faudrait retrancher N disparus non signalés. Cette estimation est imprécise et ne peut être vérifiée. Elle suppose que les recensements sont exacts, et en particulier que le taux de croissance de la population musulmane entre 1954 et 1966 est nettement supérieur à 3% »652(*).

Charles-Robert Ageron n'est d'ailleurs pas sans ignorer l'approche de Xavier Yacono qu'il a reprise à son compte en 1992 pour estimer les pertes globales au sein des populations musulmanes, les chiffrant pour sa part à quelque 250.000653(*). Mais, curieusement, il n'y fait jamais référence pour distinguer entre les différentes catégories de victimes au sein de cet ensemble, et notamment pour fonder ses estimations des massacres de l'après-indépendance, lesquelles semblent devoir davantage à la volonté de ne pas exagérer les chiffres - au risque de les minimiser - qu'à celle de les approcher au plus près. Il est vrai que l'intérêt de la méthode démographique réside moins dans ses apports en termes de précision des bilans catégoriels que dans sa capacité à invalider les bilans catégoriels fantaisistes (notamment les surévaluations), justement parce qu'elle donne une échelle de mesure globale. Ainsi les estimations globales de Yacono et Ageron invalident-elles les "estimations-slogans" à usage de propagande, telle celle du million et demi de martyrs algériens accréditée par le FLN654(*), ou - pour ce qui nous concerne plus directement - celle des cent cinquante mille (150.000) anciens harkis et membres de leurs familles massacrés après l'indépendance, chère à certaines associations de rapatriés655(*). Pour sa part, Guy Pervillé souligne que cette dernière estimation, de par son caractère outré, « nuit à la crédibilité de ce que les intéressés affirment et, à la limite, peut provoquer un réflexe de méfiance a priori »656(*).

Un troisième groupe d'historiens propose des évaluations "hautes" du massacre sans pour autant objectiver ses méthodes de chiffrage. Ainsi en va-t-il par exemple de Mohand Hamoumou, lui-même fils de harki, dont plusieurs contributions font état d'un bilan tournant autour de 100.000 victimes, bilan qui, quoique assez nettement inférieur à celui des 150.000 proposé par les acteurs associatifs pré-mentionnés, est très certainement surévalué.

Ainsi que le souligne Jacques Sémelin, « les caractéristiques révoltantes des massacres ne doivent pourtant pas empêcher de s'interroger sur la logique des acteurs et de leurs intentions »657(*). Et l'auteur d'inviter l'analyste à saisir « ce qui, dans le crime de masse, relève du froid calcul des hommes »658(*). Dans le chapitre suivant, il nous faudra précisément mettre au jour les visées politiques qui ont présidé au ciblage systématique des civils musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre, puis à leur éradication massive après la guerre. A cet égard, il est essentiel de déconstruire l'habillage rhétorique des massacres : comment les musulmans non inféodés au FLN (qu'il s'agisse de musulmans dits « pro-français » ou de nationalistes dissidents) ont-ils été figurés politiquement par cette organisation ? Et qu'est-ce que ces figurations nous disent de la rationalité stratégique du FLN dans et par-delà la guerre ?

L'examen des conditions de fondation de l'Algérie nouvelle et de la visée hégémonique qui la sous-tend appelle donc une mise en perspective des pratiques de démonisation (violence symbolique) et d'éradication (violence révolutionnaire). Ou, pour le dire autrement, une mise en évidence du mouvement itératif entre langage et violence, à savoir : la question des fondements imaginaires de la violence politique659(*) et, symétriquement, celle de la rétroaction de la violence sur les imaginaires politiques.

III. Une destinée pré-tracée : le massacre des harkis par le FLN, un crime de froide logique révolutionnaire

La figuration comme « traîtres » et le ciblage systématique des musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre d'Algérie, puis le sort "exemplaire" réservé à nombre d'entre eux après l'indépendance, sont des composantes essentielles de l'histogenèse du nouvel Etat algérien. Conformément à la visée hégémonique du FLN dans la société algérienne, la fondation du nouvel ordre politique participe d'abord et avant tout d'une politique de la table rase", entièrement tendue vers ce « monde tout artificiel, placé en avant du présent » décrit par Georges Sorel660(*), et qui appelle l'élimination sur le territoire comme dans l'imaginaire de tout ce qui ne trouve pas sa place dans le récit de la "Révolution" : au mythe nationaliste d'une Algérie exclusivement arabe et musulmane (« Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes ! »661(*)) s'ajoute celui - césariste - de l'unanimité des masses derrière le FLN (« Un seul héros, le Peuple ! »). La recomposition par le vide de l'Algérie nouvelle exigeait donc - outre le départ des Européens et des autochtones de confession juive - que les musulmans francophiles et les nationalistes dissidents soient assimilés non à des opposants mais à des « traîtres » ; non à une des multiples facettes du « Nous » mais à "l'ennemi intérieur" à la solde de l'étranger.

Compte tenu de cette visée hégémonique, le massacre des harkis à l'issue de la guerre d'Algérie - précédé du ciblage systématique des civils musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre (jusque et y compris, donc, les nationalistes dissidents) - est un crime "logique". Loin d'être un événement contingent ou irrationnel, le massacre des harkis est consubstantiel de la stratégie du FLN dans et par-delà la guerre : d'une logique de front unique à une logique de parti unique, le FLN n'entendait pas simplement assumer un rôle de « libérateur » mais aussi et surtout un rôle de « guide » dans la société algérienne, sur le modèle des partis-Etats alors en vogue dans les régimes du tiers-monde. Déjà, la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956, qui dépeint le FLN « comme guide unique de la Révolution Algérienne », exige que le FLN soit reconnu « comme seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation », et stipule que « les conditions sur le cessez-le-feu étant remplies, l'interlocuteur valable et exclusif pour l'Algérie demeure[ra] le FLN »662(*). Cette même plate-forme précise d'ailleurs que « toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement, élections, etc.) ». Dans ce droit fil, la Constitution du 10 septembre 1963 - la première de l'Algérie post-coloniale - énonce que le FLN est le « parti unique d'avant-garde en Algérie » (article 23) et qu'il :

« - Mobilise, encadre et éduque les masses populaires pour la réalisation du socialisme ;

- Perçoit et reflète les aspirations des masses par un contact permanent avec celles-ci ;

- Elabore, définit la politique de la nation et en contrôle l'exécution;

- Est composé, animé et dirigé par les éléments révolutionnaire les plus conscients et les plus actifs ;

- Base son organisation et ses structures sur le principe du centralisme démocratique. » (Préambule)663(*).

Qu'on ne s'y trompe pas : ni le principe de l'unité d'action dans la guerre d'indépendance, ni l'impératif de formation de l'esprit national (qui, l'un et l'autre, peuvent revêtir des modalités multiples, plus ou moins consensuelles) n'impliquent par essence qu'une fraction de la société, se posant en dépositaire exclusif de l'esprit et de la légitimité nationale, impose en retour son hégémonie sur le reste de la société. Nulle fatalité liée au processus de décolonisation donc, mais une logique d'action particulière, visée et entreprise par une organisation donnée, qu'il s'agit précisément de mettre au jour pour comprendre ce en quoi et ce pourquoi la figuration politique du harki comme « traître » est, par excellence, un artefact politique. Un artefact dont les conséquences, bien réelles elles, furent ce que l'on sait.

En ce sens, il nous faudra considérer le ciblage systématique des populations civiles non inféodées au FLN pendant la guerre, puis l'éradication des musulmans pro-français après la guerre, comme liés non seulement à une certaine manière de conduire la guerre et de la conclure, mais aussi - et surtout - à « un processus de fabrique de pouvoir »664(*). Jacques Sémelin, se référant à Charles Tilly : « On a ici en tête la relation entre war making et state making qui peut être complétée par celle de crime making »665(*). « Oser massacrer des civils, écrit Jacques Sémelin, c'est recourir à une méthode de lutte extrême, soit pour se saisir du pouvoir, soit pour le conserver. Tout se passe comme si celui qui se montre le plus résolu à donner la mort, y compris contre des civils, conquiert du même coup l'ascendant nécessaire à exercer sa propre autorité sur les survivants »666(*). Et l'auteur d'ajouter : « De ce point de vue, l'action de massacrer n'est pas l'expression d'un pouvoir qui se sent fort mais qui aspire à le devenir. Massacrer ne serait pas en ce sens l'expression d'une position de force mais plutôt de faiblesse, qu'il s'agit précisément de subsumer par le recours au massacre »667(*).

Aussi, plutôt que de considérer le massacre des harkis comme un moment d'hystérie collective ou un « trou noir », au sens d'un événement vide de sens échappant à toute rationalité668(*), il nous faudra montrer que, loin de constituer une rupture de sens dans l'histoire de la guerre d'Algérie et de l'accession à l'indépendance de ce pays, il est au contraire paradigmatique des voies et moyens du FLN dans et par-delà la guerre : moment fondateur de l'Etat-FLN, il est « la voie par laquelle un pouvoir impose sa transcendance sur les individus en s'arrogeant le droit de tuer en masse un segment de cette société »669(*). Au fond, le massacre des harkis est à l'articulation d'une certaine manière de conduire la guerre (via notamment une stratégie d'implication forcée des populations civiles et l'application corrélative d'une politique de terreur à l'encontre des récalcitrants et des "tièdes") et d'une certaine manière de concevoir le politique (visée hégémonique dans la société algérienne, d'une logique de front unique à une logique de parti unique) : à la fois résultante et moment fondateur, donc. Aussi ne s'agira-t-il pas de faire l'étude de ce massacre en tant qu'évènement ponctuel mais, à la manière de Jacques Sémelin, « de prendre en compte le phénomène plus large qui le précède et l'accompagne »670(*), à savoir :

- « l'ensemble d'actes souvent d'une extrême violence qui précèdent et/ou accompagnent les massacres proprement dits »671(*) : en l'occurrence, la politique de terreur pratiquée par le FLN à l'encontre des populations civiles européennes et, surtout, musulmanes entre 1954 et 1962 ;

- « la formation d'un imaginaire de destruction comme opérateur collectif du crime de masse » 672(*), dont participe notamment la construction d'une figure de l'ennemi intérieur.

L'insurrection du 1er novembre 1954, décidée par les membres les plus résolus de la branche armée clandestine du Parti populaire algérien (PPA)/Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), était moins le fruit d'une réflexion prospective sur les principes qui devaient guider l'édification d'une Algérie nouvelle673(*), que l'expression de l'impatience des éléments les plus radicaux à engager la destruction de l'ordre établi : le vrai dénominateur commun résidait donc dans la réfutation du réformisme et la promotion de la lutte armée674(*). Mohamed Boudiaf, interrogé par Yves Courrière quelques années après l'indépendance, ne dit pas autre chose : « A la veille de l'insurrection, nous n'avions pas une conception précise de ce que devrait être le programme de la révolution algérienne. Le mot révolution désignait surtout la façon dont nous entendions conquérir l'indépendance contre l'appareil colonial, d'une part, par la violence, contre les méthodes réformistes et bureaucratiques du mouvement nationaliste, de l'autre, en faisant éclater les vieilles structures de ce mouvement »675(*). Cet accord a minima sur l'emploi de la violence, décidé par une faction minoritaire de la mouvance nationaliste, n'est pas sans faire peser de lourdes hypothèques sur le processus ainsi enclenché : sans claire vision de l'avenir, l'entreprise insurrectionnelle n'encourrait-elle pas le risque d'être prisonnière des moyens au détriment des fins ?

Ce risque - qui était en même temps une opportunité pour les éléments les moins "politiques" du PPA - a été semble-t-il parfaitement assumé, voire revendiqué par ses promoteurs676(*). D'ailleurs, la proclamation du 1er novembre 1954, outre l'objectif de l'indépendance (qui, à ce stade, reste cependant une "coquille vide" en l'absence de programme de gouvernement), fixe avant tout des objectifs négatifs aux insurgés, à savoir : 1) « l'anéantissement [au sein de la mouvance nationaliste] de tous les vestiges de corruption et de réformisme cause de notre régression actuelle » ; 2) « la liquidation du système colonial »677(*).

Le premier objectif situe l'entreprise insurrectionnelle dans une logique de front unique et affirme son caractère hégémonique. L'emploi d'un vocabulaire hygiéniste - il est notamment question d'« assainissement politique par la remise du Mouvement National Révolutionnaire dans sa véritable voie » - et la manipulation des catégories du "pur" et de "l'impur" - il est encore question de l'« anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme » - signifient bien cette volonté de plier la mouvance nationaliste, jusque là diverse dans ses modalités d'expression et dans ses mots d'ordre, à une stricte discipline révolutionnaire : ce n'est plus la chose politique qui gouverne la destinée de la mouvance nationaliste, mais le fait accompli de l'insurrection et de sa répression. « Notre désir, peut-on lire en amorce de la proclamation, est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l'impérialisme et ses agents : administratifs et autres politicailleurs véreux »678(*). La chose politique, en tant qu'elle n'est pas formatée par et pour l'insurrection, est présentée comme une impureté, qui corrompt les esprits et les volontés. Les instructions données - depuis Le Caire - par Ben Bella en 1955 traduisent bien cette hantise d'une solution négociée, qualifiée alors - non sans mépris - de « bourguibiste » : « Les démocrates français parlent beaucoup de la solution tunisienne en Algérie. On avance même la question des interlocuteurs valables. On pense à Abbas et surtout à Messali pour jouer le rôle de Bourguiba (...). La vigilance des combattants tuera dans l'oeuf le bourguibisme en Algérie »679(*). Dans ses mémoires inédits, commentés par Gilbert Meynier680(*), Lakhdar Ben Tobbal (qui fut l'un des commanditaires de l'assassinat d'Abane Ramdane) marque clairement cette primauté des moyens, en même temps qu'un certain mépris pour la chose politique :

« [La discipline] était de fer (...) car nous avions devant nous une organisation solide, et puis, en plus, c'était une guerre. En temps de guerre, il ne peut y avoir de place pour la parlotte ou pour le blablabla » (Ben Tobbal, p.267)681(*).

Le Parti communiste algérien (PCA), qui proposa une alliance politique au FLN peu après le déclenchement de l'insurrection, ne put obtenir « la transformation du Front en un rassemblement pluraliste associant plusieurs partis sur la base d'un programme commun »682(*). Le FLN n'accepta d'intégrer des militants communistes qu'à titre individuel et exigea du PCA qu'il s'auto-dissolve. Mieux, les quelques maquis communistes qui refusèrent de se fondre dans l'ALN furent combattus et détruits par cette dernière683(*). Le FLN intervint plus violemment encore contre le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, leader historique de la mouvance nationaliste, qui avait refusé de prêter allégeance au FLN. Les affrontements furent d'ailleurs comparativement plus violents (et continus) en France métropolitaine, au sein de la communauté immigrée, où Messali Hadj bénéficiait d'une forte audience684(*). La tragédie de Melouza, cependant, témoigne de ce que la lutte pour la suprématie entreprise par le FLN fut également sans merci en Algérie685(*). Jusqu'au bout, le FLN refusera de donner suite aux appels à la trêve lancés par le MNA, comme il refusera obstinément de s'associer au projet de Conférence de la Table ronde « sans préalable ni exclusive » prônée par Messali Hadj pour trouver une « solution démocratique » au conflit algérien686(*). De fait, donner suite à l'une ou l'autre de ces propositions aurait impliqué pour le FLN de reconnaître le MNA comme un interlocuteur légitime, ce qui allait à l'encontre de sa prétention hégémonique. Guy Pervillé estime à près de 10.000 tués et 23.000 blessés le bilan total de la guerre intestine au sein de la mouvance nationaliste algérienne entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962. Maurice Faivre avance pour sa part le chiffre d'environ 14.000 tués687(*). En outre, après que les autorités françaises, en mars 1962, eurent accédé, de fait, à la prétention du FLN de représenter par exclusive les intérêts du peuple algérien (le MNA ayant été tenu à l'écart du processus de négociation d'Evian), « le GPRA prit des mesures immédiates visant à éradiquer le MNA : arrestation et détention secrète de tous ses militants, à moins qu'ils acceptent de renier leur parti et d'adhérer au FLN »688(*). Certes, à partir de juin 1955, et non sans hésitation, d'autres leaders des anciennes formations nationalistes - au premier rang desquels Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda - acceptèrent de rejoindre le Front et de dissoudre leurs organisations, mais « [ils] restèrent spécialisés dans des fonctions de représentation, de propagande ou de gestion »689(*). Guy Pervillé d'ajouter : « Le véritable pouvoir de décision et de contrainte appartint toujours aux «activistes» issus du groupe des 22 fondateurs, chefs politico-militaires du FLN-ALN ». Cette stratégie de front unique (et hégémonique) n'était pas simplement conjoncturelle. Plus qu'un principe de guerre, elle allait valoir principe de gouvernement puisque, dès janvier 1960, et conformément à la voie tracée par la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 (voir ci-dessus), les statuts du FLN adoptés par le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) stipulèrent que l'organisation était appelée à « poursuivre après l'indépendance du pays sa mission historique de guide et d'organisateur de la Nation algérienne »690(*). Il était même fait explicitement référence au modèle léniniste du « centralisme démocratique » dans l'article 7 des statuts691(*).

Le second objectif consigné dans la proclamation du 1er novembre 1954 - à savoir « la liquidation du système colonial » - témoigne de la primauté de la geste insurrectionnelle sur toutes les justifications qui pourraient l'encadrer. Conquérir l'indépendance, c'est d'abord et avant tout faire table rase du passé : « La doctrine est simple. Le but à atteindre c'est l'indépendance nationale. Le moyen, c'est la révolution par la destruction du régime colonialiste »692(*). Guy Pervillé note ainsi que le mot « révolution », plutôt que de définir un contenu programmatique précis, « qualifiait des principes et des pratiques faisant de l'efficacité le seul critère du choix des moyens, à l'opposé du réformisme et du légalisme »693(*). Dans ses mémoires inédits, Lakhdar Ben Tobbal précise : « Si vous êtes prêts à tuer et à sacrifier votre vie, le programme existe » (Ben Tobbal, p.30)694(*). La logique de front unique avaient vocation à assurer cette unité d'action qui, dès l'entame de l'insurrection, conférera au FLN une redoutable efficacité opérationnelle, d'abord sur le plan "militaire" puis, par la force des choses, sur le plan diplomatique. Par contraste avec cette unité d'action, les principes programmatiques, insuffisamment élaborés et étroitement subordonnés à l'impératif d'efficacité opérationnelle, apparaissaient écartelés entre un discours "progressiste" (i.e. socialiste) et un discours "identitaire" (i.e. islamo-nationaliste) : le discours de la révolution sociale, conforme à l'air du temps, le disputait à celui de la restauration des principes islamiques, dans un confusionnisme qui ira grandissant à mesure que l'on approchera du dénouement du conflit695(*). Ainsi, pour Guy Pervillé, « le programme du FLN apparaissait au départ comme un compromis éclectique entre les «principes islamiques» mal définis hérités de la tradition précoloniale, et les idéaux révolutionnaires, démocratiques et laïques, empruntés à l'enseignement républicain français et au mouvement communiste international »696(*). De même, Mohammed Harbi, qui fut un acteur de cette période (avec des sympathies marxistes affichées), reconnaît rétrospectivement que « le courant populiste amalgamait des systèmes symboliques et des langages idéologiques hétéroclites sans se soucier de leurs contradictions ». Et il ajoute : « Le populisme, hégémonique au sein du FLN, lorsque celui-ci accéda au pouvoir en 1962, fut marqué d'une faiblesse congénitale résultant de la combinaison, en son sein, d'un projet volontariste d'administration autoritaire du pays et, sous le mythe d'une «authenticité» à retrouver, d'un projet de restauration culturelle »697(*). Ahmed Ben Bella, premier président de la république algérienne, lui-même écartelé entre le dogme de la restauration du caractère arabo-islamique de l'Algérie698(*) et la mystique de l'autogestion socialiste, symbolisera à lui seul ce confusionnisme programmatique. Cependant, pour hétérogènes qu'ils soient au niveau idéologique, ces discours avaient en commun d'être en pratique des discours de l'exclusive, promouvant l'usage de la violence à des fins messianiques : messianisme révolutionnaire et messianisme religieux ont en commun d'être pareillement rétifs à toute forme de compromis avec l'adversaire, que celui-ci fût combattu comme « oppresseur » ou comme « infidèle »699(*). Sur le court terme, donc, ce confusionnisme idéologique servait la poursuite des objectifs dits "négatifs" (ou "destructeurs" de l'ordre établi) précédemment évoqués ainsi que l'usage des moyens les plus radicaux pour ce faire.

A. L'invocation autoritaire de l'Un ou la prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la représentation des aspirations de la population algérienne

Nous l'avons vu, le FLN revendiquait non seulement des pouvoirs fondateurs (la fondation d'un Etat-nation indépendant en rupture complète avec le passé colonial), mais aussi des pouvoirs hégémoniques (l'établissement d'un régime de parti unique fondé sur le principe du centralisme démocratique). Cette visée hégémonique de l'entreprise frontiste impliquait la « reconnaissance du FLN comme seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation »700(*). Et donc l'obligation pour les anciennes formations nationalistes de s'auto-dissoudre sous peine d'être éliminées par la force. Cette prétention au monopole de la représentation du peuple algérien était redoublée, sur le plan rhétorique, par le postulat de l'unanimité des masses musulmanes derrière le FLN. Lequel - corrélativement - impliquait que les musulmans non inféodés au FLN - et particulièrement les harkis - fussent désignés non comme des opposants mais comme des « traîtres », non comme une autre facette du « Nous » mais comme une figure de l'ennemi intérieur.

Ainsi, dans le contexte de la décolonisation et de l'instauration d'un régime de parti unique, les liens entre fiction et fondation apparaissent clairement : l'élaboration imaginaire de l'Un ne va pas sans la désignation fantasmatique de l'Autre, radicalement "extériorisable" donc "tuable". A cet égard, donc, la figuration du harki comme "traître" est le symétrique - et le complément indispensable - du mythe du « Peuple-Un », unanime et unanimement groupé derrière le FLN. Or, ainsi que le signale Jacques Sémelin, de telles représentations anthropomorphiques du politique agissent potentiellement comme opérateurs de crime collectif « en ce sens qu'elles réifient, nivellent les caractéristiques personnelles des individus visés au profit d'un seul trait de nature politique, raciale, ethnique, etc. » : perçus à travers un ensemble compact, ceux-ci sont littéralement "massifiés", pour ne plus constituer qu'une seule et même cible. C'est précisément de cette figuration/essentialisation du harki comme ennemi intérieur qu'il nous faut maintenant traiter.

- 1. Le « traître imaginé » ou l'effacement de la frontière entre opposition et subversion

Le FLN se définissait non comme une entreprise politique soucieuse de concourir avec d'autres pour recueillir des suffrages, mais bien comme le « guide de la Nation » dans son entier701(*) : un parti plébiscitaire, en somme. Dans cette logique, l'obligation faite aux formations nationalistes rivales de s'auto-dissoudre était redoublée par l'obligation faite aux masses musulmanes d'apporter leur concours à la « Révolution » ou, tout au moins, de se conformer à ses mots d'ordre : « Le Front de Libération Nationale est ton Front, sa victoire est la tienne (...). Ton devoir impérieux est de soutenir tes frères combattants par tous les moyens (...). Donc, sans perdre une minute, organise ton action aux côtés des forces de libération à qui tu dois porter aide, secours et protection en tous lieux et en tous moments. En les servant tu sers la cause. Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l'action est une trahison »702(*). Ainsi l'organisation alla-t-elle jusqu'à criminaliser l'attentisme ou la neutralité affichée des populations civiles musulmanes. Et a fortiori s'agissant de l'engagement dans les rangs adverses, engagement qualifié sans surprise de « trahison » puisque le FLN se voulait le dépositaire exclusif des aspirations des populations musulmanes. À cet égard, le journaliste Jean Daniel, pourtant convaincu de la nécessité de l'accession à l'indépendance de l'Algérie (fût-ce au prix d'une domination du FLN), n'en dressa pas moins un constat sévère : « Les premiers maquisards de novembre 1954 ont fait ce rêve insensé de livrer d'abord une guerre civile, pour transformer tous les Algériens en étrangers à l'intérieur d'un territoire francisé. Cela ne pouvait se faire que dans le sang, par la terreur, le sectarisme, l'intimidation religieuse. Il fallait transformer en traîtres tous ceux qui n'étaient pas pour l'indépendance ou qui n'y songeaient pas (...). Il fallait inventer le concept de trahison et faire de tous les incertains et de tous les tièdes, comme de tous les passifs, des renégats, des apostats et des collaborateurs » (20 novembre 1962)703(*). De fait, l'engagement des populations civiles musulmanes aux côtés du FLN n'était pas simplement optatif mais impératif. Aussi n'était-ce pas à l'organisation de convaincre les populations du bien-fondé de son entreprise, mais aux populations de convaincre le FLN de l'effectivité de leur contribution à l'insurrection. La culpabilité, voire la « dette », étaient a priori du côté des populations : « Algériens ! venez en masse renforcer les rangs du «FLN». Sortez de votre réserve et de votre silence (...). Ainsi, vous vous acquitterez envers votre conscience et votre pays d'une lourde dette »704(*). Fort du postulat de la coïncidence des vues entre les visées de l'organisation et l'intérêt national, le Front, inversant la source de la légitimité, avait aussi renversé la charge de la preuve. Et Guy Pervillé d'écrire : « Les libérateurs se préparaient à juger chacun des membres du peuple algérien au lieu de se laisser juger par lui »705(*).

A cet égard, Sylvie Thénault souligne que, pendant la guerre, « l'appareil judiciaire est conçu au sein du FLN comme le moyen de propager la Révolution et de sanctionner ceux qui n'y prêteraient pas main forte ». « Cette logique, ajoute-t-elle, implique d'ailleurs la mise sous tutelle politique des structures judiciaires créées ». Et de citer des procès-verbaux de tribunaux de la wilaya III prononçant des peines de mort contre des civils qui disent - dans leur diversité et leur "extensivité" mêmes - ce que fut le contrôle implacable du FLN sur la composante musulmane de la population algérienne, aux fins de prévenir tout "déviationnisme". L'aperçu non exhaustif des motifs invoqués pour motiver la condamnation à mort est édifiant à cet égard : « a pris les armes contre l'ALN et accusé d'avoir collecté des impôts », « dénonciation », « engagé au MNA », mais encore « a payé ses impôts », « a assassiné sa femme sans motif » (sic) ou « elle a participer (sic) au viol volontaire (sic) avec le djoundi ». Sylvie Thénault précise à cet égard que « les relations sexuelles hors mariage sont qualifiées de viols avec consentement ou volontaire » et que « les affaires de ce type sont relativement nombreuses »706(*). Ceci pose d'ailleurs la question du statut des femmes dans la « Révolution » algérienne, et souligne un décalage manifeste avec une vision progressiste de l'insurrection, vision artificiellement projetée de l'extérieur par certains soutiens français au FLN.

Cependant, en dépit des menaces, des millions de musulmans demeurèrent prudemment attentistes, donnant des gages à chacune des deux parties (et ce au moins jusqu'à ce que, au cours de l'année 1960, l'inflexion de la politique du général de Gaulle devienne évidente707(*)), tandis que des centaines de milliers d'autres prenaient une part active à l'administration ou à la défense de l'Algérie française. Bien que niée par les autorités algériennes depuis 1962, cette réalité ambivalente fut pourtant largement anticipée et constatée par les stratèges du FLN qui, dès l'entame de l'insurrection, ciblèrent systématiquement ceux - musulmans pro-français et nationalistes "dissidents" - qui refusaient de sacrifier à l'autorité exclusive de cette organisation708(*). L'objectif était d'édifier les populations civiles musulmanes sur ce qu'il leur en coûterait de déroger à l'autorité exclusive du FLN et, plus encore, de se "compromettre" avec les autorités en place. Littéralement : une politique de la terreur. « En principe, écrit Mohammed Harbi, la terreur est un instrument de défense révolutionnaire contre les collaborateurs, pour raffermir la discipline nationale. En fait, elle touche indistinctement tous les milieux »709(*). Du reste, le ton tout à la fois paternaliste (« Le Front de Libération Nationale est ton Front ») et menaçant (« Se désintéresser de la lutte est un crime ») des deux premiers appels du FLN atteste, par son ambivalence, du décalage entre la rhétorique unanimiste du Front et la réalité autrement plus labile des aspirations des populations civiles musulmanes. « Le fait est, écrit Guy Pervillé, que le FLN dut mener une guerre sur deux fronts : contre la France pour lui imposer le droit de l'Algérie à l'indépendance, et contre plusieurs catégories d'Algériens qui refusaient d'admettre sa légitimité »710(*). Le bilan des victimes civiles du terrorisme du FLN - ventilé par communauté de rattachement - témoigne de cette réalité ambivalente. Ainsi, le décompte officiel établi à la suite de la conclusion des accords d'Évian fait état de 29.674 civils musulmans tués ou disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 en raison des agissements du FLN, pour 3.163 européens (auxquels s'ajoutent 13.610 civils musulmans blessés et 7.541 européens). Le ratio des tués et disparus - 1 civil européen pour 9 civils musulmans - équivaut donc très exactement à l'importance démographique relative des deux communautés dans la population algérienne. Encore ce bilan est-il exclusif des dizaines de milliers de musulmans victimes des représailles de l'après-19 mars 1962711(*). Guy Pervillé : « Le FLN a tué beaucoup plus d'Algériens «traîtres» à sa cause que d'ennemis «colonialistes» étrangers ; et les cruelles représailles qui se sont déchaînées après l'indépendance n'ont fait que rendre le constat plus éclatant. Ce bilan de guerre civile - inavouée comme telle - interdit de parler d'un soulèvement national unanime »712(*).

Cette politique de la terreur fut fondée sur l'effacement de la frontière entre "opposition" et "subversion" : dès l'origine, toute marque d'opposition au FLN fut conçue comme un indice de subversion puisque le FLN se voulait l'émanation exclusive du "Peuple". Cette fiction de l'identité, de l'unanimité du "Peuple" derrière le FLN n'était pas seulement due aux circonstances de la guerre. Son inspiration devait au moins autant à la volonté de préempter l'après-guerre qu'à la nécessité de mobiliser les populations en temps de guerre. L'instauration du parti unique après-guerre avait d'ailleurs été décidée pendant la guerre, témoignant de ce que l'entreprise de « libération » du Peuple algérien était conçue, simultanément, comme une entreprise hégémonique au profit de son « avant-garde ». Omar Carlier souligne à cet égard que « le point commun entre tous ces hommes résidait dans l'accord sur la nécessité de l'action armée, pour en finir avec le colonialisme et construire une Algérie nouvelle. La majorité adhérait à l'idée en marche de tiers-mondisme et de non-alignement. Certains, toutefois, étaient déjà sensibles à des influences de droite, voire d'extrême droite ». Et il ajoute : « En 1954, beaucoup sont fascinés par les grands leaders du Tiers-monde, mais aussi par les modèles autoritaires, et les personnages d'hommes forts ou de dictateurs, sans se réclamer pour autant d'une idéologie précise, phalangiste, national-socialiste, ou marxiste-léniniste. Ils ne croient pas, pour certains ils ne croient plus, au modèle démocratique, en tout cas pour l'Algérie, et voient volontiers leur pays sous la férule d'un despote éclairé »713(*). Et, conformément à une logique centripète d'exercice de la terreur inhérente à toute force politique se posant comme hégémonique, ladite terreur fut exercée tant à l'encontre des éléments « traîtres » extérieurs à la mouvance nationaliste qu'au sein même de cette mouvance.

- Au sein de la mouvance nationaliste

Historiquement, la mouvance nationaliste s'est affirmée dans la pluralité : pluralité des opinions exprimées, pluralité des suffrages recueillis714(*). Outre les partisans sincères de l'intégration dans un cadre français et ceux, plus intéressés, qui usaient de leur strapontin comme d'une prébende (les fameux "béni-oui-oui"), le mouvement nationaliste lui-même était partagé entre plusieurs courants et familles de pensée, depuis l'UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien) de Ferhat Abbas, « parti appelant les deux populations de l'Algérie à collaborer dans une République algérienne fédérée à la République française »715(*), jusqu'au PPA-MTLD de Messali Hadj (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques)716(*). Le PPA-MTLD était lui-même une mouvance composite, depuis les « centralistes », partisans d'une position légaliste (certains étaient même de proches collaborateurs du maire libéral d'Alger, Jacques Chevalier), jusqu'aux activistes de l'OS (Organisation spéciale, l'aile armée clandestine du PPA-MTLD, dirigée notamment par Hocine Aït Ahmed, et qui servira de vivier au Comité révolutionnaire d'unité et d'action/Front de libération nationale), en passant par les « messalistes » proprement dits (dans une perspective plus populiste, axée sur la figure charismatique de Messali). Sans oublier l'Association des Oulémas (« qui visait à défendre la personnalité algérienne contre l'assimilation, suivant le slogan : «L'Islam est ma religion, l'arabe est ma langue, l'Algérie est ma patrie» »717(*), sans pour autant prôner la lutte armée) ou le Parti communiste algérien (PCA) qui, en 1954, « comptait une majorité de membres musulmans »718(*). A l'inverse, à compter du 1er novembre 1954, le FLN, dans sa quête totalisante et violente, se posera en apôtre unique du sentiment national (notamment contre le MNA), en promoteur unique de la justice sociale (notamment contre le PCA) et en garant unique de l'orthodoxie confessionnelle (notamment contre les ulémas). Toute dissension sera assimilée à une trahison et combattue comme telle. François Gèze souligne à cet égard « le rôle majeur qu'a joué très tôt au coeur même du combat de libération la culture paranoïaque des services de renseignement et de contre-espionnage du FLN (le MALG, ministère de l'Armement et des Liaisons générales), établi à Tripoli en Libye » sous l'autorité d'Abdelhafid Boussouf (principal commanditaire de l'assassinat d'Abane Ramdane), et « dont les actions étaient bien sûr dirigées contre l'armée française, mais qui assurait aussi une fonction de contrôle et de vigilance intérieure contre les combattants algériens eux-mêmes ». « Les hommes de Boussouf, ajoute François Gèze, avaient été formés par le KGB à Moscou, au sein de la fameuse promotion «Tapis rouge» »719(*). Selon Ould Kablia, président de l'Association des anciens du MALG, « le MALG disposait de 1.400 agents, 1.500 collaborateurs avec un budget équivalent au quart du budget du GPRA »720(*).

- Au sein de la composante musulmane dans son ensemble

Nous l'avons vu, la simple indécision est assimilée à une trahison par le FLN, qui proclame dès novembre 1954 que « se désintéresser de la lutte est un crime ». A fortiori, la démarche qui consiste à s'affranchir ouvertement des cadres de la communauté politique imaginée par le FLN - surtout s'il s'agit de la combattre par les armes comme l'ont fait les harkis - représente un point d'extrême hostilité. Krim Belkacem assigne les « traîtres notoires » comme objectif prioritaire aux commandos qui lancent l'insurrection le 1er novembre 1954721(*). Le commando Chihani (du nom d'un des premiers dirigeants de la Wilaya I, dans les Aurès, qui sera par la suite victime d'une purge interne) reçoit comme consigne de « tuer les musulmans dont on connaît les sympathies pro-françaises après les avoir sondés sur leurs opinions »722(*). « Chaque patriote se fera un devoir d'abattre son traître », proclamait en décembre 1955 un tract du chef politique d'Alger Abane Ramdane723(*). Parvenue à ce point, souligne John Crowley, « la guerre contre l'ennemi intérieur se nie comme telle, pour se penser comme opération d'extermination «hygiénique» »724(*). Ainsi en sera-t-il, également, après-guerre, au moment d' « épurer » l'Algérie de ceux que les nouveaux maîtres de ce pays ont pu considéré être des "scories" de l'ancien régime725(*).

- 2. La réduction de l' « Un » au « Même », ou l'exclusive d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah)

Cette conception unanimiste des aspirations du peuple algérien se devait de puiser dans un imaginaire national recomposé et ajusté à la politique de la table rase promue par le FLN. Il fallut, non sans difficultés et contradictions internes, réinventer une algérianité qui fasse "bloc", qui s'ajuste aux orientations programmatiques du FLN (pourtant elles-mêmes écartelées entre socialisme et "identitarisme"/nationalisme) et, surtout, à sa volonté de constituer, sur le mode du centralisme démocratique, un front puis un parti unique plutôt qu'une société politique ouverte. Cette difficulté à façonner un imaginaire national "monobloc", exclusif de ceux - nombreux et divers - qui ne partageraient pas une conception étroite de l'algérianité ou de la destinée nationale (Européens, Juifs et Kabyles notamment), explique les tâtonnements qui marquent la construction de cet imaginaire entre 1954 et 1962. Néanmoins, l'évolution est claire, qui tend à repousser l'orientation plutôt laïcisante, plurielle et neutraliste (au plan international) de la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 pour l'orientation plus explicitement exclusive et sectaire (islamisante, arabisante et clairement anti-occidentaliste, pan-arabiste et anti-sioniste) du Congrès de Tripoli de juin 1962 puis, surtout, de la Constitution du 10 septembre 1963 (la première de l'Algérie indépendante).

Cependant, cette évolution fut en réalité bien moins longue et difficile à se dessiner que ne le laissent paraître les textes. Il est nécessaire, à cet égard, de distinguer entre les grands textes programmatiques (essentiellement à usage de propagande extérieure et dont il faut se garder, pour cette raison même, d'exagérer l'influence au sein de l'organisation) et les directives de terrain qui, les uns et les autres, tablent sur des univers argumentatifs relativement hétérogènes726(*). Il est de fait incontestable qu'à des degrés divers de la hiérarchie (quoique plus précautionneusement s'agissant des chefs historiques ou des "vitrines" politiques de l'organisation) les cadres du FLN et, surtout, de l'ALN ont abondamment joué, par exemple, de la manipulation des symboles et mots d'ordre religieux (le djihâd, notamment) ou du panarabisme pour nourrir la révolte auprès des masses. Ainsi, pour l'anthropologue du sacré Abderrahmane Moussaoui, « il n'est pas superflu de rappeler qu'en Algérie le djihâd fut le mot d'ordre le plus mobilisateur durant la guerre de libération » et que, dès avant, « pendant toute l'histoire du mouvement national, cette catégorie a structuré les discours et informé les consciences »727(*). Symétriquement, il est nécessaire de relativiser, au sein même des instances dirigeantes du FLN, l'influence réelle de la tendance laïcisante et le poids des orientations contenues dans la plate-forme de la Soummam. Ce dont témoigne d'ailleurs l'assassinat d'Abane Ramdane, cheville ouvrière de cette plate-forme, aussi bien que chef de file de la tendance laïcisante et partisan d'une « primauté du politique sur le militaire » qui n'aura jamais d'autre existence que fictionnelle728(*).

Les lignes-forces de ce « discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah729(*)) qui, peu à peu, dessine les contours d'un imaginaire national sur-mesure pour les visées hégémoniques du FLN se déclinent comme suit :

- au nom du panarabisme, le mythe des origines véhiculé par le FLN survalorisait les origines arabes des populations algériennes, au détriment de leurs racines berbères, sans même parler des influences juives et européennes ;

- corrélativement, l'invocation - certes non univoque puisque s'y mêle une rhétorique anti-impérialiste d'inspiration socialiste - du djihad (les combattants sont appelés moudjahidin, les combattants morts au champ d'honneur des chouhada, l'organe du FLN est intitulé El Moudjahid, etc.), redoublée par une stricte enclosure du champ religieux (condamnation du mysticisme religieux, et notamment des marabouts) et une forme de surenchère dans les manifestations de puritanisme religieux (prohibition de la consommation d'alcool et de tabac sous peine de mutilations faciales, par exemple), appelait à une forme d'exclusivisme vis-à-vis des autres religions, y compris "autochtones" comme la religion juive ;

- enfin, l'invention d'une ambition nationale plus soucieuse d'intégralisme que de syncrétisme, et dont les postulats anti-impérialistes confinaient parfois à l'anti-occidentalisme, devait sceller le sort des populations d'origine européenne.

Par-delà la lettre de ce « discours de l'enfermement » , et ce qu'il est censé nous dire de ce que sont et de ce que veulent les Algériens, ce qui importe ici, ce sont les usages politiques de d'un tel discours, à savoir : ce qu'il nous dit du FLN et de ce que sont ses visions et principes de division du monde social et politique.

a) L'exclusivisme identitaire ou la primauté d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah)

Au plan identitaire, la tentation exclusiviste se fit jour au sein de la mouvance nationaliste avant même le déclenchement de la « Révolution » à travers, avons-nous dit, la survalorisation des origines arabes des populations algériennes, au détriment de leurs racines berbères, sans même parler des influences juives et européennes. Les Oulémas, sous l'égide d'Abdelhamid Ben Badis, joueront un rôle central en Algérie dans la promotion d'un enseignement en langue arabe et dans la réactualisation des valeurs arabo-islamiques symbolisées par la formule : « Un pays, l'Algérie ; une religion, l'Islam ; une langue, l'arabe »730(*). L'Etoile Nord-Africaine, d'abord simple structure satellite du Komintern, s'en détache rapidement pour s'inscrire, notamment après l'arrivée de Messali Hadj, dans une optique plus classiquement nationaliste, articulée autour de l'affirmation de la personnalité arabo-musulmane du peuple algérien731(*). Guy Pervillé rappelle d'ailleurs que dès 1949, Messali Hadj, alors figure de proue du PPA-MTLD (avant de se faire déborder, une fois l'insurrection lancée, par son aile activiste armée732(*)), « fit condamner les «berbéristes» qui proposaient une définition pluraliste de la nation algérienne »733(*). À cet égard, le modus vivendi des années de lutte n'offrira qu'un semblant de répit : nous l'avons dit, Ahmed Ben Bella, qui rejetait la lettre des accords d'Évian et la perspective d'une Algérie multiethnique et multiconfessionnelle, devait marteler à titre d'avertissement quelques semaines avant l'accession à l'indépendance (et alors qu'il faisait escale à Tunis en provenance du Caire) : « Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes ! », ajoutant que le FLN allait envoyer cent mille Algériens en Palestine pour combattre Israël734(*). Cet avertissement concernait aussi bien la communauté autochtone de confession juive (qui suivra massivement la communauté européenne dans l'exode) que les Berbères (et particulièrement les Kabyles) qui, en dépit d'un engagement plus que significatif dans la lutte armée, se voyaient ainsi clairement signifier une fin de non-recevoir quant à la reconnaissance de leurs spécificités par le futur Etat algérien.

Au même moment, le « Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire » (adopté à l'unanimité par le Conseil National de la Révolution Algérienne, C.N.R.A., au Congrès de Tripoli de juin 1962), considérant que « les valeurs nationales [ont été] élaborées dans la cadre de la civilisation arabo-musulmane », assignait au futur gouvernement algérien la tâche prioritaire de « rendre à la langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation », et l'invitait à « combattre le cosmopolitisme culturel et l'imprégnation occidentale qui ont contribué à inculquer à beaucoup d'Algériens le mépris de leurs valeurs nationales »735(*). Ce mythe de la permanence ou, tout au moins, de la préexistence de la nation algérienne à la présence française repose sur une vision à la fois essentialiste, exclusiviste et figée de l'appartenance ou du sentiment d'appartenance à ladite nation, lors même qu'un Maurice Thorez, par exemple, certes à bien des égards étranger à l'univers mental des nationalistes algériens mais peu suspect de sympathies colonialistes, décrivait l'Algérie comme une « nation en formation ». Du reste, l'affirmation selon laquelle une nation algérienne, cimentée de longue date par le sentiment d'une commune arabité et islamité, aurait préexisté à l'ère coloniale est longtemps apparue fragile aux yeux mêmes d'un nationaliste modéré comme Ferhat Abbas, souvent cité à cet égard, qui a « participé activement au mouvement Jeune Algérien, qui réclamait, jusqu'en 1936, l'égalité des droits dans le cadre de la souveraineté française »736(*) : « Si j'avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste et je n'en rougirais pas comme d'un crime. Les hommes morts pour l'idéal patriotique sont journellement honorés et respectés. Ma vie ne vaut pas plus que la leur. Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n'existe pas. Je ne l'ai pas découverte. J'ai interrogé l'histoire, j'ai interrogé les vivants et les morts ; j'ai visité les cimetières. Personne ne m'en a parlé. Nous avons écarté une fois pour toutes les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l'oeuvre française dans ce pays »737(*).

Cependant, telle n'est pas, déjà, à l'époque, la tonalité des discours des militants du PPA-MTLD qui, à la différence de Ferhat Abbas, « opèrent sous la bannière de la rupture radicale avec le présent colonial et font du religieux une arme de défi politique »738(*). Telle n'est plus, a fortiori, la tonalité du programme de Tripoli, véritable "charte de gouvernement" avant l'heure. Le peuplement européen, en dépit d'un enracinement séculaire, y est dépeint comme étant « étranger » à la nation algérienne739(*) et, plus encore, sa présence y est décrite comme étant par essence (et dans son entier740(*)) délétère pour cette dernière : « Tout cela consacre I'échec de la double entreprise contre-nature du colonialisme français qui tendait à détruire radicalement notre société pour la remplacer par un peuplement étranger intensif et à la maintenir, par la contrainte, dans la stagnation et I'obscurantisme (...). En effet, les envahisseurs français avaient tenté, en plein XIXème siècle, de rééditer contre les Algériens, l'entreprise d'anéantissement dont fut victime la société indienne d'Amérique à partir de la fin du XVème siècle ». Il s'ensuit que « la Révolution a pour tâches de consolider la nation devenue indépendante en lui restituant toutes ses valeurs frustrées ou détruites par le colonialisme »741(*).

Plus encore, la Charte d'Alger, adoptée à l'issue du 1er Congrès post-indépendance du FLN (du 16 au 21 avril 1964), proposera aux militants de base comme aux observateurs étrangers un "roman des origines" fabriqué sur mesure pour réfuter « la tendance erronée à subordonner l'existence d'une nation algérienne à l'intégration d'une minorité étrangère qui (malgré certaines exceptions) se comportait comme occupant le pays » et, ce faisant, justifier la politique de la table rase voulue par le FLN à l'encontre des composantes juives et européennes de la population algérienne. Dans le passage à suivre, cité in extenso, invasions romaines, vandales et byzantines sont placées sur un même plan et présentées comme uniment « oppressives » (entendre : à l'instar de la colonisation française) ; à l'inverse, les invasions arabes sont saluées pour leur caractère « libérateur » et semblent n'avoir jamais soulevé aucune résistance. L'explication en est simple : tandis que celles-là s'apparentaient sans équivoque possible à une « domination étrangère », celles-ci s'accordaient spontanément avec les dispositions fondamentales du peuple algérien :

« Le peuple algérien est un peuple arabo-musulman. En effet, à partir du VIIIème siècle, l'islamisation et l'arabisation ont donné à notre pays le visage qu'il a sauvegardé jusqu'à présent. Du IIème siècle avant J.C. au VIIIème siècle après J.C., ce furent essentiellement des luttes contre la domination étrangère romaine, vandale et byzantine. A cette résistance populaire acharnée s'attachent des noms tels que celui du véritable héros que fut Jugurtha. L'opposition à l'oppression se traduisit, sur le plan idéologique, par le boycottage systématique de la religion des oppresseurs. Au VIIème siècle, la rapidité et la profondeur du processus d'islamisation et d'arabisation qui commence ne peut s'expliquer que par le rôle libérateur de cette religion et de cette civilisation nouvelle qu'un peuple aussi combatif n'aurait pas acceptées si elles ne lui apportaient libération, promotion sociales, enrichissement culturel, prospérité et tolérance. Le caractère arabo-musulman demeure ainsi, le fondement de la personnalité algérienne »742(*).

Il s'ensuit, pour les rédacteurs, que « la division du monde arabe en unités géographiques ou économiques individualisées n'a pu reléguer à l'arrière-plan les facteurs d'unité forgés par l'histoire, la culture islamique et une langue commune » et que « l'essence arabo-musulmane de la nation algérienne a constitué un rempart solide contre sa destruction par le colonialisme »743(*).

Cet exclusivisme identitaire demeurera l'une des marques de fabrique de l'État-FLN. Ainsi, au cours du Printemps kabyle, en 1980, le président Chadli confirmera sans ambages cette pétition de principe : « Nous sommes arabes que nous le voulions ou non. Nous appartenons à la civilisation arabo-islamique et l'Algérien n'a point d'autre identité que celle-ci »744(*). Il faudra une deuxième fronde populaire, au printemps 2001, pour que le berbère soit reconnu non pas langue officielle au même titre que l'arabe mais, du moins, « langue nationale »745(*).

b) L'exclusivisme religieux, entre condamnation du maraboutisme et condamnation de l'oecuménisme

L'imaginaire de guerre du FLN, ferment de l'imaginaire national de l'Algérie post-coloniale (voir la Partie 2), emprunte abondamment au pouvoir mobilisateur et sectateur des mots d'ordre religieux. Certes, initialement, les grands textes programmatiques de l'organisation balançaient semble-t-il plus volontiers vers la mystique tiers-mondiste (ou socialiste) des combats de libération nationale que vers la mystique religieuse du djihâd.

Cependant, il est nécessaire, à cet égard, de distinguer entre les grands textes programmatiques (essentiellement à usage de propagande extérieure et dont il faut se garder, pour cette raison même, d'exagérer l'influence au sein de l'organisation) et les directives de terrain. Ainsi en va-t-il, par exemple, du décalage flagrant entre les mots d'ordre des émeutes du Nord-Constantinois du 20 août 1955, sous l'égide de Zighout Youcef, et les déclarations d'intention contenues dans la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 qui, les uns et les autres, empruntent à des univers de justification à bien des égards symétriques. S'agissant des émeutes du Nord-Constantinois, marquée par l'exposition délibérée par le FLN de civils algériens lancés sommairement armés à l'assaut des villes et des bourgades, Charles-Robert Ageron rapporte qu' « à Robertville un homme en uniforme appela à la guerre sainte à midi du haut de la mosquée »746(*), et indique que « selon les témoins français des chants patriotiques ou des slogans mensongers soutenaient leur courage : «l'armée égyptienne débarque», «des avions bombardent Constantine», «l'Amérique est avec nous» »747(*). Dans le même temps, la plate-forme de la Soummam stigmatisait le colonialisme qui, « pour atteindre son but, organisa la panique, accusant le gouvernement d'abandonner la minorité ethnique non-musulmane à la «barbarie arabe», à la «guerre sainte», à une Saint-Barthélemy plus immonde ». Ce credo en forme de dénégation revenait plusieurs fois dans le corps du texte : « Combien apparaît dégradante la malhonnêteté des Bidault, Lacoste, Soustelle et du Cardinal Feltin lorsqu'ils tentent de tromper l'opinion publique française et étrangère en définissant la Résistance Algérienne comme un mouvement religieux fanatique au service du panislamisme (...). La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l'Algérie, mais entre d'une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et d'autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition sociale » (...). La Révolution Algérienne n'est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington (...). La Révolution Algérienne n'est pas une guerre civile, ni une guerre de religion », etc.

Il y a ainsi un décalage évident entre les grands discours programmatiques (à usage essentiellement externe), et les discours mobilisateurs sur le terrain, qui privilégient le registre identitaire au sens large. Guy Pervillé rapporte que dans son récit La conjuration au pouvoir, publié chez Arcantère en 1988, « l'ancien moudjahid kabyle Mohammed Benyahia raconte qu'il prêchait aux paysans l'avènement d'une Algérie «claire et limpide comme de l'eau de roche, qui n'aurait pas d'autre constitution que l'Islam et d'autre leader que le prophète» »748(*). De même, Mohammedi Saïd, ancien membre des services secrets allemands pendant la seconde guerre mondiale, qui fut l'un des principaux responsables de la wilaya 3 et le grand ordonnateur du massacre de Melouza, faisait de sa religiosité le moteur principal de son engagement749(*). Plus généralement, relève Charles-Robert Ageron, « les responsables politico-militaires et ceux du service des biens «habous» particulièrement les mourchid(s) avaient ordre de veiller simultanément à l'éducation religieuse des djounoud et des civils » ; le colonel Mohand Ou El Hadj rappelait lui-même que « la Révolution algérienne est fondée et bâtie sur le respect des principes de l'Islam et c'est à ce titre qu'elle a été acceptée et encouragée par le peuple algérien. Si les Algériens ont consenti le sacrifice suprême, ajoutait-il, c'est pour que vive l'Algérie libre dans l'ombre de l'Islam »750(*).

Cette surenchère dans les manifestations de fondamentalisme et de puritanisme religieux participaient, dans la logique de la guerre révolutionnaire, des techniques de contrôle des populations civiles musulmanes. Se posant en garant de l'orthodoxie religieuse pour asseoir son pouvoir sur les masses (en même temps que pour se défaire de l'image de « bandits » qui leur était accolée par les autorités), le FLN avait ainsi interdit aux hommes de fumer, boire ou jouer sous peine de mutilation des lèvres ou du nez751(*). Pour Amar Ouzegane, qui fut un dirigeant communiste avant d'intégrer le FLN, les prétentions du FLN, loin d'être exorbitantes, s'inscrivaient dans la norme d'une société islamique et apparaissaient rien moins que légitimes aux yeux des populations civiles, voire salutaires : « Non, le FLN n'a jamais été isolé du peuple algérien. Par exemple, le boycottage du tabac était recommandé d'une façon autoritaire. L'amende de cinq mille francs était suivie d'une sanction excessive à l'encontre des fumeurs impénitents dont la désobéissance publique prenait le caractère d'un défi provocateur. La provisoire mutilation des azlams, fautifs au nez coupé, n'a jamais soulevé une condamnation plus grande que la lapidation des ivrognes et des wakkline ramdhne, les mangeurs de carême rossés par les bandes d'enfants, défenseurs fanatiques de la tempérance, de la diète et de la moralité publique »752(*). De la même manière, la condamnation de l'indigénisme, et notamment de certaines formes dites "altérées" ou syncrétiques de l'Islam, tel le maraboutisme, participe également des techniques de contrôle des populations. De fait, les marabouts, en tant que détenteurs d'un pouvoir coutumier d'ordre politico-religieux qui n'avait que peu ou pas été remis en cause par la colonisation, sont apparus menaçants aux yeux du FLN, car susceptibles de relativiser son influence, voire de se constituer en contre-pouvoir, notamment dans les douars les plus reculés753(*).

L'ambivalence de la place faite à l'islam dans le combat libérateur transparaît déjà dans l'appel du 1er novembre, texte au statut mal assuré, quelque part entre l'imprécation guerrière et la visée programmatique. Cet appel consiste en fait en un double appel : du FLN et de l'ALN. L'appel du FLN, s'il s'assigne pour but l'indépendance nationale, l'envisage à la fois par : 1) « La restauration de l'État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques » ; et 2) « Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de confession ». L'appel de l'ALN s'articule lui plus directement autour de la confusion entre « devoir religieux » et « devoir national » : « Prends garde aux faux communiqués, aux mensonges, à la corruption, aux promesses dont le but est de te détourner de la voie que nous ont dicté notre religion et notre devoir national (...). DIEU est avec les combattants des justes causes et nulle force ne peut les arrêter désormais hormis la mort glorieuse ou la Libération Nationale ».

Par surcroît, il est nécessaire de relativiser, au sein même des hautes instances dirigeantes du FLN, l'influence réelle de la tendance laïcisante et le poids des orientations contenues dans la plate-forme de la Soummam, dont le principal maître d'oeuvre fut le très contesté (et bientôt éliminé) Abane Ramdane. Dans une communication intitulée « L'Islam et la Révolution algérienne », présentée lors de la Conférence du Conseil islamique tenue à Genève les 10 et 11 mars 1985, Ahmed Ben Bella, s'attachant à décrire « le rapport de l'Islam avec la révolution du 1er novembre », affirme que « la révolution du 1er novembre ne se différencia de ses précédentes que parce qu'elle fut victorieuse, (...) avec une invariance : l'Islam »754(*). Et il ajoute :

« Répondant à un appel lancinant, parfois ténu, surgi du plus profond de lui-même, le peuple algérien fit face à son destin (...). Un facteur irrigua en permanence ce comportement, impulsa ces ressorts mentaux : l'Islam. Dans ce terreau fécond s'ancrent nos motivations profondes, nos latences. C'est notre sanctuaire. Quand il nous faut accomplir un geste capital, un effort suprême, quand le mur de nos certitudes s'effondre, que les coups pleuvent sur nous et que notre être profond est menacé, c'est vers ce sanctuaire que nous nous tournons, que nous cherchons refuge, pour reprendre notre souffle, pour puiser la force de poursuivre le combat (...). C'est là une réalité qui a fait, qui fait, la texture même de notre vie. Si la colonisation a finalement échoué, cela est dû à un fait irréfragable : l'Islam. Qui n'a pas compris cela, n'a rien compris à la révolution algérienne, n'a pas saisi l'intelligence profonde des événements qui se sont déroulés sur notre terrain (...). Cette lutte impitoyable, épuisante, le peuple algérien la mènera en s'arc-boutant sur ses ancrages arabo-islamiques. Chaque fait, chaque circonstance est interprétée par référence à ce patrimoine. Le soldat pour la liberté s'appelle moudjahid c'est d'ailleurs le nom donné à l'organe de presse officiel de la Révolution algérienne : El Moudjahid qui se perpétue de nos jours encore ; le mort pour la patrie s'appelle chahid et les combats s'engagent au cri de Allah Akbar fusant tel un trait de feu lancé à la face de la barbarie et de la tyrannie. L'actualité est ainsi soumise à une lecture coranique permanente (...). Le rapport de l'Islam avec la Révolution algérienne est là, en contrepoint, irréfragable. Il est dans cette mouvance ininterrompue entre le Maghreb et le Machreq. Il est dans les yeux rivés sur la Kaâba et un tombeau à Médine. (...) Il est encore, telle une estampille indélébile sur toutes les chartes, toutes les constitutions, tous les textes fondamentaux de l'après-indépendance (...). Qui peut dire l'influence qu'a pu produire sur Messali le fait qu'il ait appartenu dans sa jeunesse à la confrérie des Derkaouas ? Sur Aït Ahmed, qui lui-même a vécu dans la maison de ses parents, la vie d'une confrérie kabyle ? Ou sur moi-même, le fait que mon père ait été Mokkadem de la confrérie des Mouqahliya (fusiliers) ? (...) Mais tout le monde aura compris que pour Moufdi Zakaria et ces étudiants musulmans nord-africains de 1935, comme pour nous-mêmes et ceux qui viendront après nous, qu'il n'y a eu, qu'il n'y a et qu'il n'y aura pour l'éternité qu'une seule et véritable patrie : l'Islam ».

Et le premier président de la République algérienne de conclure par une prise de position qui, établissant une claire filiation entre les idéaux "trahis" de la Révolution de Novembre et la structuration souterraine de l'islamisme politique en Algérie au milieu des années 1980, semble lui apporter une pleine caution : « Même lorsque nous paraissons nous en [l'Islam] éloigner le plus, lorsque par exemple, le développement se confond avec son contraire et que l'agression culturelle, sous couvert de modernité, se fait triomphante, c'est justement à ce moment là que se produit la récurrence. A ce moment là, notre jeunesse dans une vague irrésistible atteignant toute la terre d'Islam, construit et emplit les mosquées. Alors. à nouveau, notre passé, intensément, resurgit et revit en nous, emplissant notre espace et fondant notre imaginaire redevenu créatif et s'élève, fuse dans l'arc en ciel de ce mot magique: Allah Akbar ». Ces paroles, prononcées en 1985, attestent s'il en était besoin de ce que l'islamisme politique et ses multiples expressions (y compris les plus radicales) sont au moins autant un héritage qu'une remise en cause des valeurs de Novembre755(*).

Quant à Benyoucef Ben Khedda, dernier président du GPRA, il se félicite rétrospectivement que « le courant islamique, absent de la scène politique en 1962, prendra le relais, trente ans après, en réhabilitant les valeurs de novembre 1954 qui prônaient les principes islamiques »756(*).

c) L'exclusivisme programmatique, entre anti-impérialisme et anti-cosmopolitisme

L'exclusivisme arabo-musulman a nourri la rhétorique et, plus encore, motivé le combat et les politiques d'un FLN qui, à l'indépendance, s'autoproclamera Parti unique, fera de l'Islam La religion d'État (au détriment du judaïsme et du christianisme) et de l'arabe La langue officielle (au détriment du français et du berbère). Le préambule de la Constitution de 1963 proclame ainsi que « l'Islam et la langue arabe ont été des forces de résistance efficaces contre la tentative de dépersonnalisation des Algériens menée par le régime colonial » et qu'en conséquence « l'Algérie se doit d'affirmer que la langue arabe est la langue nationale et officielle et qu'elle tient sa force spirituelle essentielle de l'Islam, religion de l'Etat », ajoutant toutefois - fragile concession - que « la République garantit à chacun le respect de ses opinions, de ses croyances et le libre exercice des cultes » (article 4). A tous égards, les conceptions de la nation algérienne du FLN plaidaient pour un exode massif des Européens et des Juifs, autrement dit : une indépendance par le vide.

Dès avant cela, pendant la guerre même, l'action psychologique du FLN - telle que véhiculée par les tracts notamment, à l'attention tant des musulmans engagés dans ou aux côtés de l'armée française que des populations civiles - jouaient d'arguments identitaires au sens le plus étroit et le plus exclusif du terme. Ainsi, les tracts à l'adresse des soldats musulmans les avertissaient que « c'est le moment ou jamais pour vous de comprendre que vous être des musulmans et des Algériens, d'une race supérieure et pure » (tract de 1956), menaçant les récalcitrants d'être à tout jamais exclus de la famille musulmane (« Ils ne pourront aller au pèlerinage et leurs prières seront sans effet » (tract de 1959, diffusé par l'Etat-major ouest de l'armée des frontières)757(*). Sur certains cadavres de "traîtres" exécutés pour l'exemple « on trouvait des pancartes rédigées en arabe : «Français ! Ce traître vous ressemble, cet homme impur est à votre image» »758(*). Charles-Robert Ageron souligne également le rôle de la propagande orale et des « causeries éducatives » dispensées par les officiers politiques chargés de donner une éducation « révolutionnaire » à des populations faiblement alphabétisées. Un des thèmes constants, selon l'auteur, visait à célébrer « l'unité » de la composante musulmane de la population algérienne, mais dans une acception somme toute exclusive des autres composantes : « Les Algériens appartiennent à la même race arabo-berbère restée pure parce qu'elle a refusé de se mélanger aux envahisseurs romains, byzantins, français. C'est pour cela qu'ils ont gardé les caractères purs de leurs ancêtres, guerriers loyaux, courageux et dignes »759(*). Peu après mai 1958 et les scènes de "fraternisation" d'Alger, l'ALN multiplia les tracts très courts invitant la population à se conformer à la visée unanimiste du FLN : « Halte à l'intégration », « Voter c'est trahir la patrie algérienne, la race arabe et la religion musulmane », « Ne votez pas ! Si vous votez pour la France, vous deviendrez français alors que vous ne l'êtes pas », etc. En dehors de ces slogans à fort contenu "patriotique", « la Révolution algérienne restera toujours un slogan mobilisateur, non une doctrine ou un programme qu'on aurait expliqué à la population des douars »760(*). En outre, « en direction des Européens, (...) la propagande fut molle, menée sans conviction, ni imagination et ne toucha qu'une poignée de chrétiens et de communistes. (...) Mais la propagande fut d'autant plus inefficace que la presse française d'Algérie révélait à l'occasion certaines directives totalement différentes. Ainsi la wilaya II ordonnait-elle en octobre 1960 «d'abattre les Européens sans distinction, de déposer des bombes dans les salles de cinéma, les bals, les cafés et les bâtiments publics» »761(*).

Quoique dans un registre plus "jargonneux" que les tracts précédemment cités, les visées programmatiques proprement dites du FLN, articulées, en interne, autour de l'impératif d' « édification révolutionnaire de l'Etat et de la société » et de « réalisation du socialisme »762(*), et orientées, en externe, vers la « lutte anti-impérialiste dans le monde », puisaient également dans une rhétorique clairement exclusiviste. De fait, de telles visées, dirigées aussi bien contre la propriété privée et le droit d'expression des minorités en interne que contre l'Occident et Israël en externe, étaient clairement et délibérément incompatibles avec le maintien en Algérie des communautés juive et européenne.

Rétrospectivement, le premier président de l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, campant sur ses positions exclusivistes d'alors, réaffirmera d'ailleurs que le maintien des Européens dans l'Algérie nouvelle - possibilité censément garantie par les accords d'Évian - était incompatible avec son programme de gouvernement : « On ne pouvait pas concevoir une Algérie avec un million cinq cent mille pieds-noirs. Mais c'est pas un acte de rejet, je vous assure. Les pieds-noirs, moi, je pense qu'ils sont des victimes. J'ai des amis pieds-noirs. Mais, lucidement, je ne voyais pas le projet de l'Algérie que je portais en moi, une Algérie qui allait vers les options socialistes, une Algérie qui allait combattre l'impérialisme, qui se serait engagée totalement dans le combat anti-impérialiste non seulement pour l'Algérie mais aussi pour les autres pays. Nous avons fait ça. L'Algérie ne pouvait pas faire ça avec un système de Rhodésie »763(*).

Le programme de Tripoli est, à ce sujet, on ne peut plus clair :

« [La Révolution] combattra le cosmopolitisme culturel et l'imprégnation occidentale qui ont contribué à inculquer à beaucoup d'algériens le mépris de leurs valeurs nationales »764(*).

Plus loin, des paragraphes entiers sont consacrés à ce qui est désigné comme le « problème posé à la Révolution par la présence du peuplement français d'Algérie », laquelle peut être considérée comme « l'expression la plus typique de la politique néo-colonialiste de la France » :

« La coopération, telle qu'elle ressort des accords, implique le maintien de liens de dépendance dans les domaines économique et culturel. Elle donne aussi, entre autres, des garanties précises aux Français d'Algérie pour lesquels elle ménage une place avantageuse dans notre pays. Il est évident que le concept de coopération, ainsi établi, constitue l'expression la plus typique de la politique néo-colonialiste de la France. Il relève, en effet, du phénomène de reconversion par lequel le néo-colonialisme tente de se substituer au colonialisme classique. (...) D'ailleurs, cette coopération, produit d'une reconversion factice, se révélera difficile étant donné le comportement des Français d'Algérie qui prennent, dans leur immense majorité, fait et cause pour I'OAS. Agents actifs de I'impérialisme colonial dans le passé et instruments conscients dans la guerre de répression qui prend fin, les Français d'Algérie sont inaptes à tenir le rôle de support principal et de garant de la politique de coopération que la France leur a assigné dans son plan néo-colonialiste. (...) Abstraction faite de toute qualification technique, l'écrasante majorité des Français d'Algérie, en raison même de leur mentalité colonialiste et de leur racisme, ne seront pas en mesure de se mettre utilement au service de l'Etat algérien. (...) La liquidation de I'OAS, qui est une nécessité immédiate, laisse entier le problème posé à la Révolution par la présence du peuplement français d'Algérie »765(*).

Ce rejet du « cosmopolitisme culturel et [de] l'imprégnation occidentale » et, par-là, de « la présence du peuplement français d'Algérie », rejet que motive une fragile théorie du complot (le « plan néo-colonialiste » de la France), s'articule, au plan programmatique et institutionnel, autour de trois orientations majeures qu'illustrent partiellement les propos pré-cités d'Ahmed Ben Bella :

- i. La « planification de l'économie » dans un cadre collectiviste, ce qui implique, d'une part, de « [liquider] les bases économiques de la colonisation agraire et [de limiter] la propriété foncière en général [pour rendre] disponibles les superficies nécessaires à une réforme agraire radicale » et, d'autre part, de « nationaliser en priorité les branches essentielles du commerce extérieur et du commerce de gros et [de] créer des sociétés d'Etat par produit ou groupe de produits »766(*) ;

- ii. L'asservissement des libertés individuelles et politiques à la visée d'« édification révolutionnaire de l'Etat et de la société » : « Le sort de l'individu étant lié à celui de la société tout entière, la démocratie, pour nous, ne doit pas être seulement l'épanouissement des libertés individuelles, elle est surtout l'expression collective de la responsabilité populaire »767(*). Il en ressort, aux termes mêmes du préambule de la Constitution de 1963, que « la nécessité d'un parti d'avant-garde et son rôle prédominant dans l'élaboration et le contrôle de la politique de la nation sont les principes fondamentaux qui ont déterminé le choix des solutions apportées aux différents problèmes constitutionnels qui se posent à l'Etat algérien ». De fait, le FLN, qui « base son organisation et ses structures sur le principe du centralisme démocratique » (préambule), est « le parti unique d'avant-garde en Algérie » (article 23) ; aux termes de l'article 24 de la Constitution de 1963, il « définit la politique de la nation, inspire l'action de l'Etat et contrôle l'action de l'Assemblée nationale et du Gouvernement »768(*) ;

- iii. Une politique extérieure guidée par un « neutralisme » et un « anti-impérialisme » qui, à bien des égards, sont synonymes d'anti-occidentalisme : « La politique extérieure de I'Algérie indépendante doit demeurer fortement guidée par les principes d'une lutte conséquente contre le colonialisme et l'impérialisme, le soutien des mouvements à l'unité au Maghreb, dans le monde arabe et en Afrique, l'appui au mouvement de libération et la lutte pour la paix. (...) Le soutien des pays socialistes qui, sous des formes diverses, se sont rangés à nos côté durant la guerre et avec lesquels nous devons renforcer les liens déjà existants, crée des possibilités réelles de dégagement à l'égard de l'impérialisme »769(*).

Les orientations programmatiques contenues dans le programme de Tripoli (juin 1962) aussi bien que l'édifice institutionnel bâti sur ces bases un an plus tard (Constitution du 10 septembre 1963) étaient donc parfaitement antinomiques avec les engagements pris par les plénipotentiaires du FLN au cours des négociations d'Evian, à l'hiver 1962. De fait, à rebours du texte des accords, qui énonce que le futur État algérien garantira aux Européens et aux Juifs d'Algérie tant « le respect de leurs droits de propriété » qu'« une juste et authentique participation aux affaires publiques », le Conseil National de la Révolution Algérienne (C.N.R.A.), en opposition ouverte avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (G.P.R.A.), s'en démarquera très nettement deux mois plus tard (avant même l'accession à l'indépendance) au cours du Congrès de Tripoli. Considérant que « les garanties données [au peuplement français d'Algérie] par les accords d'Evian imposent son maintien dans notre pays en tant que minorité de privilégiés », et que « la prépondérance des Français d'Algérie demeure écrasante dans les domaines économique, administratif et culturel et va à l'encontre des perspectives fondamentales de la Révolution », le programme de Tripoli énonce que, « dans le cadre de sa souveraineté interne, I'Etat algérien sera en mesure de l'enrayer en décidant des réformes de structure applicables à tous les citoyens sans distinction d'origine ». A la coopération, « produit d'une reconversion factice [du colonialisme] », l'Algérie nouvelle préférera donc la politique de la "table rase" : « Une solution correcte du problème de la minorité française passe obligatoirement par une politique conséquente sur le plan anti-impérialiste »770(*).

Nous l'avons dit, l'insurrection du 1er novembre 1954 est, à l'origine, le fait d'une fraction minoritaire de la mouvance nationaliste : le Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action (CRUA), composé de membres de l'ex-Organisation Spéciale (OS), la branche armée du PPA-MTLD. Cette fraction, composée d'hommes d'action profondément hostiles au réformisme comme à toute forme de compromis avec la puissance coloniale, est avant tout soucieuse d'engager la lutte armée. Tant par souci d'efficacité opérationnelle qu'au nom d'une certaine vision du politique (qui fait de l'efficacité le seul critère de choix des moyens), elle entend subordonner la libre expression des tendances et le libre choix des populations au double principe de l'unité d'action et de l'unicité des revendications. D'où la prétention du FLN, dès l'entame de l'insurrection, à assurer l'exclusivité de la représentation des aspirations de la population algérienne.

Cette visée hégémonique, nous l'avons vu, s'étayait, au plan discursif/représentationnel, sur la construction d'un imaginaire national "monobloc" qui, d'une part, participait de l'effacement de la frontière entre opposition et subversion au sein de la composante musulmane (tout opposant ou simple réfractaire au FLN - au sein ou en dehors de la mouvance nationaliste - était un « traître » à l'Algérie) et qui, d'autre part, était exclusif - à différents titres - des composantes non musulmanes de la population algérienne. Corrélativement, cette visée hégémonique appelait l'élimination de tout ce qui, dans les imaginaires comme sur le territoire, s'inscrivait en faux contre le mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN. D'où la figuration politique des harkis - et, plus largement, des musulmans non inféodés au FLN - comme « traîtres », car le traître, à la différence de l'opposant, est radicalement "extériorisable", donc "tuable" : il n'est pas considéré comme une autre facette du « Nous », mais comme un intrus, un "chancre". Jacques Sémelin : « Pour qu'un massacre puisse prendre corps, il faut très probablement que la société vive déjà dans un certain climat d'anxiété et/ou de récrimination à l'encontre de telle ou telle catégorie de population »771(*). Et il ajoute : « Le poids de la peur et de l'imaginaire semblent toujours là - avant le massacre - pour impulser son passage à l'acte : on tue à l'avance avec les mots »772(*). Le langage fait le lit de la violence non seulement en disqualifiant l'autre jusqu'à le déshumaniser, mais aussi - et surtout - en « [polarisant] des groupes sur une base dichotomique amis/ennemis, "nous" contre "eux" ». Et « de cette polarisation identitaire paranoïaque jaillit le projet du massacre ». Cependant, ajoute Jacques Sémelin, « le massacre, une fois accompli, va lui-même renforcer cette polarisation »773(*). « En somme, conclut-il, le massacre est à la fois le produit et le vecteur des ces mobilisations identitaires destructrices »774(*).

Nous verrons ainsi comment la stigmatisation des musulmans non inféodés au FLN a conditionné et, symétriquement, est sortie renforcée de l'exercice par cette organisation (à l'issue mais, déjà, pendant la guerre d'Algérie) d'une politique de la terreur à leur encontre : ciblage systématique des musulmans pro-français et des nationalistes "dissidents", et implication forcée des populations civiles musulmanes dans la lutte, jusque et y compris la "politique du pire", c'est-à-dire l'exposition délibérée des populations aux représailles de l'armée française.

B. L'exercice stratégique de la terreur ou la « conscientisation » à marche forcée des populations

Guerre complexe, multiple, la guerre d'Algérie fut à la fois une guerre de décolonisation tournée contre la puissance "occupante" et une guerre révolutionnaire tournée contre les réfractaires au nouvel ordre social voulu par le FLN. Certes, compte tenu de la disproportion des forces en présence, l'entreprise du FLN n'avait de chance de réussir que si, d'une manière ou d'une autre, elle s'assurait le concours - au moins passif - des populations civiles. Mais plutôt que de simplement organiser la participation des franges les plus désireuses de s'associer à l'insurrection, le FLN, qui se voulait politiquement hégémonique, entreprit non seulement de réduire la capacité de nuisance des franges les plus réfractaires, mais encore d'impliquer - par la force si nécessaire - les franges les plus indifférentes à son entreprise. Dans sa proclamation du 1er novembre 1954, le FLN avait d'ailleurs clairement annoncé sa volonté de s'autoriser de principes - les « principes révolutionnaires » - qui l'amèneraient à employer « tous les moyens » pour arriver à ses fins : « Conformément aux principes révolutionnaires et compte tenu des situations intérieure et extérieure, [nous en appelons à] la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu'à la réalisation de notre but »775(*). Comme le souligne Guy Pervillé, « cette formule d'un pragmatisme absolu impliquait la subordination de la morale à l'efficacité »776(*) en ce qu'elle « impliquait notamment toute forme d'action violente visant des civils sans armes et non des combattants armés capables de riposter, et destinée à terroriser les survivants »777(*). Autrement dit, la visée hégémonique du FLN était nécessairement coextensive de l'application d'une politique et du recours à des moyens - les attentats aveugles ou ciblés - qui font de l'indétermination du champ de bataille (le maquis et la rue) et de l'ennemi (l'homme en uniforme et le civil) l'essence même de la lutte.

De fait, l'implication forcée des populations civiles est une visée stratégique de toute guerre révolutionnaire, en ce qu'elle est un moyen d'étendre le champ des violences et des contre-violences à l'ensemble de la société et, ce faisant, de décourager la recherche du compromis et l'expression de positions tierces778(*). Luis Martinez souligne ainsi, à propos de la "deuxième" guerre d'Algérie, que « des pratiques de terreur sont utilisées par les protagonistes : elles engendrent un sentiment d'insécurité qui vise à un découpage de la population au sens politique, entre "amis" et "ennemis". Cela est perceptible parmi les individus qui ne se définissent ni comme des sympathisants du régime, ni comme des islamistes, ce qui accroît leur crainte d'être des cibles flottantes »779(*). De même, Philippe Braud montre que la « stratégie de terrorisation cherche à briser progressivement le sentiment de sécurité en écartant toutes les barrières qui sembleraient mettre à l'abri telle ou telle catégorie de population »780(*). La politique de la terreur vise ainsi, dans une perspective hégémonique, à polariser les populations entre "pro" et "anti", sans médiations possibles. Il n'y a plus ni terrain neutre (ou société civile), ni tiers parti : « Vous êtes avec nous ou contre nous ». Au cours de la guerre d'Algérie, ce moyen a pu être justifié par certains soutiens au FLN, au nom de la disproportion des forces en présence781(*). Mais est-ce simplement cela qui est en jeu pour ceux qui y ont recours ? Ce viol des lois de la guerre est-il simplement un pis-aller ou vaut-il, par-delà, principe de gouvernement ? Le fait est que la quasi-totalité des mouvements de « libération nationale » qui ont oeuvré dans le tiers-monde au cours des années 1950 et 1960 se sont "civilisés" - une fois la partie gagnée - sous la forme de partis uniques se réclamant, à l'instar du FLN, du « centralisme démocratique ». Michael Walzer, qui s'est intéressé de longue date à ces questions, y est revenu peu après le 11 septembre 2001 : « [A familiar argument to justify terrorism] is that terrorists are weak and can't do anything else. But two different kinds of weakness are commonly confused here: the weakness of the terrorist organization vis-à-vis its enemy and its weakness vis-à-vis its own people. It is the second type - the inability of the organization to mobilize its own people - that makes terrorism the option and effectively rules out all the others: political action, non-violent resistance, general strikes, mass demonstrations. The terrorists are weak not because they represent the weak but precisely because they don't - because they have been unable to draw the weak into a sustained oppositional politics. They act without the organized political support of their own people. They may express the anger and resentment of some of those people, even a lot of them. But they have not been authorized to do that, and they have made no attempt to win any such authorization. They act tyrannically and, if they win, will rule in the same way »782(*). Michael Walzer montre aussi combien cette stratégie d'implication forcée des populations civiles - cette politique de la "terreur" - peut produire des effets infiniment plus rapides et spectaculaires que le harcèlement direct des forces de l'ordre : « Terrorists are like killers on a rampage, except that their rampage is purposeful and programmatic. It aims at a general vulnerability. Kill these people in order to terrify those. A relatively small number of dead victims makes for a very large number of living and frightened hostages »783(*).

Il est véritablement symptomatique, à cet égard, nous l'avons dit, qu'au cours des six premiers mois de l'insurrection algérienne les victimes civiles des actes terroristes du FLN aient été quasi-exclusivement des victimes musulmanes. Dès ses débuts, l'insurrection conduite sous l'égide du FLN affirmait son caractère hégémonique, ciblant par privilège ceux-là mêmes dont elle prétendait porter les aspirations. Un bilan officiel des victimes civiles du terrorisme du FLN établi et arrêté en juin 1957, un peu plus de 30 mois après le déclenchement de l'insurrection, faisait état de 1.152 Européens tués ou disparus pour 8.497 musulmans784(*). Benjamin Stora, qui rapporte également ces chiffres (en précisant que ce bilan partiel se décomposait en « 16.382 attentats contre des civils, et seulement 9.134 contre les forces de l'ordre françaises »), estime que « la logique d'une révolte d'un peuple unanime contre un occupant étranger donnerait d'autres chiffres, une proportion inverse ». Et il ajoute : « Force est de constater que ces données statistiques donnent à voir une violence délibérée, en vue de faire accepter son point de vue »785(*).

- 1. Le ciblage systématique des musulmans pro-français et des nationalistes dissidents

Et, de fait, tout au long de la guerre (et, plus encore, au-delà, comme en témoignent les assassinats et détentions arbitraires d'anciens harkis et assimilés dans les mois et les années qui suivent l'accession à l'indépendance de l'Algérie), les insurgés ciblèrent systématiquement les franges de la population civile qui n'étaient pas inféodées au FLN, soit que les intéressés fussent ouvertement "pro-français", ou présumés tels par leurs fonctions (gardes forestiers, gardes champêtres, caïds, élus ou candidats786(*), fonctionnaires, professions libérales, anciens combattants, etc.787(*)), soit qu'ils se reconnussent dans d'autres formations nationalistes, à commencer par le Mouvement National Algérien (MNA), jusque et y compris des catégories aussi arbitraires que les « bourgeois » ou les « filles du 13 mai »788(*).

Une logique redondante en Algérie. A propos de la "seconde guerre d'Algérie", Luis Martinez montre ainsi que, dans le cas d'espèce des « guérillas révolutionnaires », et des actes de guérilla orchestrés par le Mouvement pour l'Etat islamique (MEI) et son leader, Saïd Makhloufi, en particulier, « le recours à la violence n'est pas orienté vers les seules forces de sécurité, mais prend pour cible, parmi le «peuple», des civils réactionnaires : «Un peuple qui soutient, par peur ou par ambition, un régime qui le tyrannise et l'oppresse, en devient l'allié. De fait, la lutte devient non seulement un devoir, mais cesser de collaborer avec le régime en place et les oppresseurs corrompus devient un impératif» (Saïd Makhloufi, Traité de désobéissance civile, 1991) »789(*). Luis Martinez ajoute : « Le choix stratégique du MEI, qui se porte davantage sur le « peuple » que sur les forces de sécurité, a sans doute grandement contribué à celui du GIA. (...) Le GIA, séduit par l'analyse de Saïd Makhloufi sur l'importance de l'attitude du « peuple » dans la lutte armée, classe tous les individus en « ennemis de l'islam » et « partisans du djihâd ». Les civils se retrouvent dès lors sommés de choisir leur camp sous peine de mourir. (...) Ainsi, loin de se limiter aux forces de sécurité, le GIA entre en guerre contre l'ensemble des groupes sociaux qui, involontairement ou délibérément, assurent la pérennité du régime »790(*).

Ainsi, en situation de guerre révolutionnaire, la conscientisation à marche forcée des populations passe par la mise à mort (ou la menace de mise à mort) des "traîtres". Et il importe, à cet effet, que l'éventail des personnes ciblées soit aussi large que possible afin que nul ne se sente soustrait à la menace, donc à l'obligation de prouver son "patriotisme". Ainsi en fut-il, dès avant l'exemple bien connu de Melouza (dans la nuit du 28 au 29 mai 1957), de la « Nuit rouge de la Soummam » : dirigée - dans la nuit du 13 au 14 avril 1956 - contre un gros village, Ioun Dagen, qui avait été constitué en autodéfense par un notable de grande tente. D'après Yves Courrière, Amirouche « avait déclaré tout le village traître et l'avait rayé de la carte. Le village avait été encerclé de nuit, investi par surprise et Amirouche avait donné l'ordre de tuer tout le monde. «Hommes, femmes et enfants, avait-il crié, et que ce châtiment soit exemplaire !». Ce fut un carnage épouvantable. On murmura qu'il y avait eu entre 1.000 et 1.100 morts »791(*).

Quelques mois plus tard, au cours d'une conférence de presse à New-York, le 17 novembre 1956, Mohamed Yazid déclarait que « pour faire l'unité algérienne, il ne [fallait] pas hésiter à tuer et à écraser toute opposition »792(*). Puis, au printemps 1957, le CCE donnait l'ordre écrit aux responsables des wilayas «de brûler tous les villages qui ont demandé la protection de la France, et d'abattre tous les hommes âgés de plus de vingt ans qui y habitent» »793(*). Du reste, d'après Charles-Robert Ageron, même lorsqu'elles étaient spécifiquement dirigées contre des membres des forces armées (militaires d'active, supplétifs, policiers, etc.) ou des élus et membres de l'administration coloniale (caïds, gardes forestiers, etc.), ces menaces « visaient les familles aussi bien que les individus coupables »794(*). Selon l'auteur, des lettres en français parvenaient aux intéressés, les sommant en ces termes de démissionner : « Notre armée avertit tous les goumiers qu'ils mourront comme des salauds (...). Toutes vos familles seront massacrées »795(*).

Cette même logique valait aussi en métropole, où la Fédération de France du FLN faisait régner un climat de terreur, à l'encontre des messalistes ou, plus simplement, des "mauvais payeurs", comme en témoigne Mohammed : « Il y avait une discipline de fer, imposant par exemple l'interdiction de boire, pour éviter les bavardages. Etre dénoncé pour un Ricard coûtait 50 F d'amende. La cotisation annuelle valait 35 F, je faisais la collecte avec un jeune type, très dynamique. Un jour, un restaurateur rechignait à sortir l'argent. Le jeune lui a dit : «Paye ou je te liquide». Il a tiré. A la fin de chaque mois, on envoyait des rapports en 17 points, très détaillés. Pour moi, le travail était dur mais exaltant. C'était comme un bouton électrique, tu appuies dessus, on t'obéit à la minute »796(*).

- La mise à mort des « traîtres » comme étai de la conscience révolutionnaire, ou la règle de l'attentat préalable

Outil de "conscientisation" à marche forcée des populations civiles, la mise à mort des "traîtres" fut symétriquement utilisée au titre d'épreuve "initiatique" ou probatoire pour les candidats au maquis : ordre était donné aux néophytes d'abattre un "traître", ce qui avait le double avantage de s'assurer de la "sincérité" de leur engagement et de les placer dans une situation sans retour, préalable commode à leur radicalisation. Voici ce que déclarait Krim Belkacem à l'automne 1960 : « Le troisième problème est celui de l'attentat ; pour être admis dans les rangs de l'ALN, il faut abattre un colonialiste ou un traître notoire. L'attentat est le stage accompli par tout candidat à l'ALN797(*).

Saïd Ferdi, qui fut forcé de s'engager dans l'armée française à l'âge de 14 ans, a raconté quelles furent les conséquences de cette règle dans son village : « Les révolutionnaires appliquaient une discipline très sévère à l'intérieur même du réseau. Pour être admis parmi eux, il fallait (...) commettre un attentat. On désignait à l'intéressé une victime, on lui indiquait le lieu, la date et l'heure de l'assassinat, et il devait exécuter strictement les ordres. La moindre erreur était punie de mort. Cela se produisit trois fois dans mon village. La première, l'homme tira sur le gendarme qu'il devait tuer, mais, affolé, le rata. A son retour, les maquisards le fusillèrent. Le second n'avait pas respecté l'heure indiquée (...). Le troisième avait parlé à des amis de son projet avant de l'exécuter. Les révolutionnaires appliquaient ces méthodes pour deux raisons : l'une était d'empêcher chaque nouveau maquisard de revenir en arrière en le compromettant définitivement aux yeux de l'administration française, l'autre d'imposer une discipline rigoureuse pour que les hommes appliquent strictement les ordres et qu'ainsi tout fonctionne au mieux »798(*).

Dans une interview parue dans une édition saisie de L'Express, puis publiée par Témoignages et Documents de mars 1959, Si Azzedine, qui fut commandant de la wilaya IV, raconte comment il a lui-même été amené à commettre son premier attentat le jour où il a été admis comme moussebiline du FLN, le 31 juillet 1955 : « J'avais appris que le gardien de nuit musulman [NDA : de l'usine de Maison-Carrée où travaillait Si Azzedine] nous dénonçait. J'en ai rendu compte aux frères et l'on m'a chargé de supprimer le gardien. C'est la première fois que je devais tuer un homme. Comme j'étais sportif et que l'on savait que j'avais de la poigne, on m'a chargé de faire cela à la dure, c'est-à-dire par strangulation. Nous ne voulions pas alerter la police en nous servant d'armes à feu. C'était ma première épreuve, et je l'ai à moitié ratée. J'ai bien étranglé le gardien, mais l'alerte avait été donnée, une patrouille a tiré sur moi, j'étais blessé au mollet. Je me suis d'abord caché et j'ai réussi à m'enfuir. Aussitôt, j'ai été envoyé dans le maquis de Palestro »799(*).

Dans son ouvrage, La guerre civile en Algérie, Luis Martinez signale d'ailleurs que cette pratique s'est perpétuée d'une guerre d'Algérie l'autre : « [L'assassinat d'inspecteurs, de policiers ou de secrétaires dans un commissariat] constitue un rite d'initiation : l'assassinat à visage découvert entraîne inéluctablement ses exécutants à rejoindre les rangs de la guérilla, à l'abri des maquis. Par ce type de cible et de méthode, les instructeurs de la guérilla, en conseillant aux « émirs » de s'en prendre d'abord aux policiers locaux, ont pu bénéficier de l'arrivée régulière de nouvelles recrues. (...) [Tout en constituant une garantie de l'authenticité de l'entrée en dissidence des nouveaux convertis au djihâd,] ce procédé leur ôte surtout la possibilité d'un retour à la vie civile à l'instar des combattants de la Renamo au Mozambique »800(*).

- 2. La « politique du pire » ou l'exposition délibérée des civils musulmans aux représailles de l'armée française

Outre le ciblage systématique des musulmans non inféodés au FLN (ou "politique de la terreur"), et dans une même logique de subordination des fins aux moyens, le FLN eut fréquemment recours à la politique dite du pire, en exposant délibérément les populations civiles musulmanes aux représailles de l'armée française. Des "coups" étaient montés par le FLN à proximité des villages ou impliquant directement les populations civiles, laissant accroire à l'appui spontané desdites populations, aux seules fins de susciter en retour des représailles aveugles de la part de l'armée française. Cette stratégie visait, par la violence de la répression, à accentuer le sentiment de césure entre les populations et l'armée d'une part, entre les communautés musulmane et européenne d'autre part. D'après Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi, la violence est ici « stratégie délibérée visant à creuser un fossé entre les communautés, à supprimer tous les hésitants, tous les hommes de dialogue, tous ceux qui rêvaient d'une indépendance avec la France et non contre elle ». « Dans ces conditions, ajoutent-ils, entre l'armée et les moudjahidin, il n'y avait guère de place pour la neutralité, il n'y avait pas de troisième voie, il ne restait qu'un chemin pour la survie, étroit comme une meurtrière »801(*).

A cet égard, il faut à nouveau mentionner l'exemple paradigmatique des émeutes du 20 août 1955, dans le Nord-Constantinois, où hommes, femmes et enfants furent "mobilisés" par l'organisation et lancés - le plus souvent désarmés ou sommairement armés d'outils agricoles802(*) - à l'assaut des bourgades et des villes contre d'autres populations civiles. Dans un premier temps, l'effet de surprise joue à plein en faveur des insurgés qui, fanatisés par les slogans mensongers des quelques djounouds qui les encadrent (voir supra), se livrent au massacre de quiconque se trouve sur leur chemin803(*) ; dans un second temps, conformément aux attentes des chefs locaux de l'insurrection (et de Zighout Youcef en particulier) qui ont tout fait pour la susciter, la répression - brutale, collective, aveugle - s'organise et broie les émeutiers désarmés, dépourvus de toute science de la guerre et livrés à leur sort par les maquisards qui, plutôt que de les protéger ou faire face aux troupes d'intervention, se sont repliés sur leurs positions804(*)

D'après Charles-Robert Ageron, qui cite une de ses directives, Zighout Youcef, considérant que « la Révolution n'est pas suffisamment aidée par la population », était fermement décidé à « déclencher une série d'opérations où il engagerait [celle-ci] », afin que cesse toute « ambiguïté » au sujet de « la fraternisation entre les populations algérienne et française ». Et, ce, quel qu'en fût le prix : « Il y aura des pertes très fortes, mais même si la moitié de la population est décimée, la Révolution y gagnera car l'Algérie bougera »805(*).

Quelque temps auparavant, déjà, Zighout Youcef, « visant le PC du colonel Ducournau à El-Arrouch, entreprit de mêler la population civile à ses soldats. Ceux-ci avaient ouvert le feu, puis s'étaient aussitôt retirés quand les parachutistes français intervinrent. Face à une foule en furie, le colonel Ducournau interdit à ses hommes de tirer sur des villageois sans armes déjouant ainsi le piège de Zighout »806(*). Il n'en fut rien, on le sait, à la suite des émeutes du 20 août qui, il est vrai, avaient visé des civils. En dépit - ou, plutôt, grâce - aux milliers de victimes probables de la répression parmi la population civile, Charles-Robert Ageron peut certes écrire que « la stratégie de Zighout, qui visait essentiellement à creuser le fossé entre les populations européenne et algérienne et à obliger les hésitants à se rallier au FLN, fut politiquement payante »807(*).

Au-delà de cet épisode marquant, les exemples abondent pour témoigner de ce que la politique du pire fut un moyen communément utilisé par le FLN pour impliquer les populations civiles dans la guerre et aviver le sentiment de césure entre les communautés. Mouloud Feraoun, en mars 1956 : « Ces gens là qui tuent froidement des innocents sont-ils des libérateurs ? Si oui, songent-ils une seconde que leur violence appellera l'autre "violence", la légitimera, hâtera sa terrible manifestation. Ils savent les populations désarmées, tassées dans leurs villages, excessivement vulnérables. Préparent-ils sciemment le massacre de "leurs frères" ? En admettant même qu'ils soient des brutes sanguinaires - ce qui d'ailleurs ne les excuse pas mais au contraire plaide contre eux, contre nous, contre l'idéal qu'ils prétendent défendre - ils doivent songer à nous épargner, donc à ne pas provoquer la répression »808(*).

L'emploi de ces deux stratégies complémentaires - l'une dirigée contre les "traîtres" (politique de la terreur), l'autre contre les "attentistes" (politique du pire) - est la conséquence logique de l'effacement de la frontière entre "opposition" et "subversion" et de la subordination des fins aux moyens. L'une et l'autre de ces stratégies procédaient d'une "conscientisation" à marche forcée des populations civiles musulmanes, dont témoignaient initialement les menaces proférées dans la proclamation du 1er novembre 1954 à l'adresse de ceux qui « contrecarreraient » la lutte ou qui, simplement, s'en « désintéresseraient » (voir supra). La première par l'exercice direct de la violence à l'encontre de ceux qui réprouvaient et/ou combattaient l'entreprise du FLN. La seconde par la provocation délibérée de représailles aveugles, disproportionnées de la part d'un adversaire qui, dans les faits, s'avérait lui-même souvent peu soucieux (principe de la responsabilité collective) de faire la différence entre les populations civiles et les combattants de l'ALN.

Entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962, moins d'une victime civile sur 9 des actes de terrorisme du FLN fut d'origine européenne809(*). Ce bilan brouille le tableau idéel d'une guerre de « libération » tournée prioritairement contre l' « occupant » et mobilisant spontanément et uniment les masses musulmanes aux côtés du FLN. Guy Pervillé : « La lutte contre les «traîtres» et les réfractaires prit les proportions d'une guerre civile qui démentit l'unanimité nationale présumée »810(*). A cet égard, le vernis de la propagande unanimiste achève de s'écailler après le 19 mars 1962. À compter de cette date, mais plus encore à partir de l'accession à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, et lors même que l'objectif de « libération nationale » serait formellement atteint, les exactions à l'encontre des civils musulmans et des civils européens encore présents en Algérie non seulement se poursuivent, mais redoublent. Dans un climat d'impunité totale, bientôt aggravé par les luttes de factions entre l'armée des frontières et les maquis de l'intérieur, des dizaines de milliers d'anciens supplétifs rendus à la vie civile - ainsi que d'autres catégories de musulmans pro-français - seront en proie à des représailles vengeresses, tandis qu'au même moment des milliers de civils européens seront tués ou enlevés sans que des mesures énergiques fussent prises par les autorités françaises pour leur porter secours et faire appliquer la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian. Au 30 avril 1963, le « Bilan des exactions contre les personnes civiles » dressé par l'ambassade de France en Algérie faisait état de 3.098 civils européens enlevés après le 19 mars 1962, parmi lesquels 969 avaient été retrouvés vivants, 306 retrouvés morts, et 1.818 restaient disparus811(*). Pour sa part, l'Association de solidarité des familles et enfants de disparus (ASFED) dit tenir à jour un fichier de 2.500 noms et évalue le nombre des victimes à plus de 6.000812(*).

Quoiqu'il en soit, si l'on s'en tient au seul bilan officiel, on constate que le nombre des victimes européennes tuées ou disparues au 30 avril 1963 (soit 2.124 personnes sur une période de 13 mois) est égal aux deux tiers du nombre des civils européens tués et disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 (soit 3.163 personnes sur une période de près de 89 mois). D'autre part, le nombre des civils musulmans tués ou disparus dans l'année qui suit le 19 mars 1962 (de 30.000 à plus de 90.000 personnes selon les estimations, voir supra) est au minimum égal - et au maximum le triple - de celui des civils musulmans tués ou disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 (soit 29.674 personnes). Ceci témoigne - sans équivoque possible - de ce que la guerre d'Algérie ne s'est pas terminée au soir de la conclusion des accords d'Évian, ni même au soir de l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Ceci témoigne surtout de ce que la lutte pour l'indépendance ne pouvait être détachée, dans l'esprit de ses promoteurs, d'une lutte implacable pour l'hégémonie politique : une politique de la table rase, en somme.

Les convulsions liées à la prise de pouvoir du FLN et à la fondation d'un Etat à sa mesure furent symptomatiques d'une ère de « massification » et de « brutalisation » des moeurs politiques (via le réinvestissement par le Sud de l'antienne révolutionnaire). Entre messianisme et populisme, de la déification du Peuple (« Un seul héros, le Peuple ») à sa réification (le Parti unique ou Parti-Etat), la subjugation des populations civiles, on l'a vu, passait par l'effacement de la frontière entre opposition et subversion, et l'invocation autoritaire de l'Un.

D'une réification l'autre, en France aussi - où ce sont non les conditions de fondation mais de stabilisation de l'ordre politique qui étaient en jeu - l'on choisit de taire le différend plutôt que de vivre avec. A leur arrivée en métropole, les ex-supplétifs, témoins gênants d'une décolonisation ratée, furent rendus à leur condition d'indigènes : population administrée, ségrégée, réduite au silence. Ainsi, la logique d'exclusion d'Evian et les événements associés s'est prolongée, sur l'autre rive de la Méditerranée, dans les dispositifs d'accueil et de (non-)intégration auxquels furent assujettis les rescapés.

IV. Du regroupement à la relégation : la politique d' « accueil » des Français musulmans rapatriés

Il nous a été donné de voir, dans le chapitre II, quelles étaient - au moment de "planifier" ou, plutôt, de contingenter leur rapatriement - les interrogations et, surtout, les préventions des autorités quant aux capacités d'adaptation en métropole des anciens supplétifs et de leurs familles. S'ajoutant à la volonté expresse du chef de l'Etat de taire les conséquences dramatiques de la politique de dégagement telle que visée et entreprise, ainsi qu'aux soupçons du ministre de l'Intérieur et du ministre d'Etat en charge des Affaires algériennes quant à une possible collusion "harkis-OAS", ces interrogations (et ces préventions) motivèrent d'abord largement - quoique secrètement - le caractère minimaliste du « plan général de rapatriement ». Puis, dans la foulée, ces mêmes interrogations et préventions motivèrent la mise en place d'une politique spécifique dite de « reclassement collectif » à l'adresse de ceux qui, au fil du temps, purent quand même gagner la métropole. Cette politique, plutôt que de faciliter l'adaptation donc l'intégration des Français musulmans rapatriés, signera pour nombre d'entre eux (et pour longtemps) à la fois leur mise sous tutelle administrative et leur enclosure géographique. Mais garantira, par-là même, et pour plus d'une décennie, leur mise sous l'éteignoir.

Conçue dès l'origine comme « une vaste entreprise de moralisation »813(*), cette politique visait à prévenir autant que possible le reclassement individuel des familles, les autorités craignant - ou feignant de craindre - qu'elles ne « s'embourgeoisent trop rapidement » au prix d'une « rupture brutale avec leur standing courant et les réalités vitales de l'existence »814(*). Faute de pouvoir s'appuyer - dans une large proportion - sur des réseaux de solidarité privés, les Français musulmans rapatriés ont donc vécu à leur arrivée en métropole une situation de « quasi-internement administratif »815(*). Jugés « socialement inadaptés à notre mode de vie », ils sont d'emblée soumis à un « système d'accueil et de reclassement » particulier, qui les voue d'abord à ces « espaces d'invisibilité » que sont les camps militaires. Ceux-ci, fonctionnant comme des « centres de transit et de reclassement », ont pour vocation d'héberger temporairement et de trier les familles en instance d'acheminement vers d'autres sites réservés : hameaux forestiers et cités périurbaines qui ont pour caractéristiques communes d'être « gérés par l'administration et placés sous contrôle d'un personnel d'encadrement spécialisé »816(*). Ces sites - plus d'une centaine - sont configurés de manière à « concilier les intérêts et les préoccupations des administrations [ou des entreprises] concernées et des communes d'implantation » : construits à même le bassin d'emploi (chantiers de forestage, mines, industries...), ils sont généralement situés à bonne distance des villages. Paradoxalement, nous l'avons vu, c'est précisément cette situation d' "exo-territorialité" qui, aux yeux de l'administration, est censée garantir la « normalisation » progressive des Français musulmans rapatriés. Mais pour certains, jugés inaptes au travail - infirmes, malades mentaux, traumatisés de guerre, parents âgés, femmes seules chargées de famille, etc. - , les perspectives d'intégration ou de « normalisation » s'arrêtent à la porte des camps militaires. Et ceux-ci, originellement conçus par l'administration pour remplir une mission transitoire, sont dès lors « appelés à être peuplés pendant plusieurs décennies »817(*).

Ces structures qui, plutôt que de simplement offrir une solution d'hébergement aux intéressés tendent à régir leur existence dans son entier818(*), s'apparentent à bien des égards aux « institutions totalitaires » décrites par Erving Goffman dans Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux. On y retrouve les dimensions d'invisibilité, de sérialité et de promiscuité, tout autant que les aspects disciplinaires, qui font l'ordinaire de ce genre d'établissements. Erving Goffman :

« C'est une caractéristique fondamentale des sociétés modernes que l'individu dorme, se distraie et travaille en des endroits différents, avec des partenaires différents, sous des autorités différentes, sans que cette diversité d'appartenance relève d'un plan d'ensemble. Les institutions totalitaires, au contraire, brisent les frontières qui séparent ordinairement ces trois champs d'activité ; c'est même là une de leurs caractéristiques essentielles. En premier lieu, placés sous une seule et même autorité, tous les aspects de l'existence s'inscrivent dans le même cadre ; ensuite, chaque phase de l'activité quotidienne se déroule, pour chaque participant, en relation de promiscuité totale avec un grand nombre d'autres personnes, soumises aux mêmes traitements et aux mêmes obligations ; troisièmement, (...) toute tâche s'enchaîne avec la suivante conformément à un système explicite de règlements dont l'application est assurée par une équipe administrative. Les différentes activités ainsi imposées sont enfin regroupées selon un plan unique et rationnel, consciemment conçu pour répondre au but officiel de l'institution »819(*). Il ajoute : « L'institution totalitaire est un mixte social, à la fois communauté résidentielle et organisation réglementée »820(*), dont la visée première est d'instaurer « un mode particulier de tension entre l'univers domestique et l'univers de l'institution »821(*). Jouant de cette tension comme d' « un levier utile pour le maniement des hommes »822(*), ces établissements s'imposent de fait comme « des foyers de coercition destinés à modifier la personnalité : chacun d'eux réalise l'expérience naturelle des possibilités d'une action sur le moi »823(*).

De fait, coupés de leurs droits, coupés du monde du travail et coupés de l'école, les Français musulmans rapatriés et leurs enfants ont, d'une certaine manière, fait l'expérience de cette vie en coupe réglée qui caractérise les institutions totalitaires. Il faudra attendre 1975 - et les premières révoltes des populations assignées à cette vie en "réserves" (selon les propres termes de l'ancien secrétaire d'Etat socialiste aux rapatriés, Maurice Benassayag) - pour que soient définitivement résorbés ces « centres de transit et de reclassement » devenus, du fait de l'impéritie des pouvoirs publics, espaces de relégation permanente.

A- « Une politique de reclassement collectif » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)

- 1. Des quais aux camps ou les prémisses d'une vie en coupe réglée

Aussitôt débarqués en métropole, les anciens harkis et leurs familles sont coupés du monde ou, plutôt de leur "nouveau monde" : aux premières heures, la prise en charge par les autorités de tutelle (armée et préfecture) est clairement marquée par le primat de l'invisibilité et de la sérialité.

L'invisibilité est la résultante d'une stratégie de rétention de l'information autour des arrivées qui vise à l'évitement de tout contact avec les populations civiles : les anciens supplétifs et leurs familles sont débarqués à l'écart du trafic de voyageurs et des plates-formes de transit "grand public", puis convoyés sous "protection" de l'armée jusqu'aux camps de transit, dans des convois spéciaux. Cette prise en charge standardisée des nouveaux arrivants (sérialité) ne laisse aucune part à l'initiative individuelle et/ou à l'activation de réseaux de solidarité privés. Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi :

« Il faut dire que les conditions entourant le «grand voyage» imposent un véritable rite auquel nul ne peut déroger : l'armée doit veiller à ce que ces arrivées s'effectuent à une heure tardive de la nuit, regrouper les harkis et leurs familles dans un hangar prévu à cet effet au cap Janet [Marseille], embarquer tout le monde aux premières lueurs du jour dans un train spécial venant chercher les harkis sur le port même pour les emmener au camp du Larzac »824(*).

Mohamed, un ancien harki rencontré lors de notre séjour à Largentière, se souvient très bien de ces conditions "d'accueil" particulières :

« Nous, quand on est rentrés en France en 1962, c'était le 9 juin exactement qu'on a quitté Mers-el-Kébir, le 11 juin on était à Marseille, vers 5 heures de l'après-midi, il faisait encore jour. L'accueil qu'on a eu : interdit de quitter le bateau le soir ; bon, on est restés dans le bateau, on a couché là. On était dans le port de marchandises, c'est pas le port où y'a les bateaux, non, non, non, c'était là où le train il faut qu'il arrive jusqu'au bateau. On avait les CRS qui étaient là... mais il n'y avait aucun officiel pour nous accueillir : le maire, Gaston Defferre, le Conseil général, le préfet : aucun ! Aucun ! Pas du tout. Ni des journaux, des journalistes, y'en a pas aussi, ni des "parlés", ni des "écrits", y'a personne ; ni la première chaîne, ni la radio. On a passé la nuit dans le bateau. Le lendemain matin, le train est venu jusqu'à côté de notre bateau - là où ils descendent les marchandises, quoi - tu descends du bateau, tu rentres dans le train. On a été à Béziers, à Béziers y'avait des soeurs, y'avait la Croix-Rouge, et là elles servaient du café, les gens [NDA : les officiels] n'étaient toujours pas là, nous on avait de la haine... incroyable. Et de là on est partis à Millau. A Millau, on est descendus du train, y'avait la gare, y'avait des tables, y'avait le préfet ou le sous-préfet, je me rappelle pas bien, et il y avait un général, là-bas, qui commandait le Larzac, un général biffin ; bon, on avait les cafés au lait, ils ont donné du lait aux enfants, et là y'avait des Simca qui nous attendaient : on a monté au Larzac le 12 juin »825(*).

Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou rapportent le témoignage de L.M., dont la teneur révèle un même souci de "discrétion" de la part des autorités :

« En fait, [à la suite du débarquement à Marseille et du convoyage en train] nous ne sommes pas arrivés en gare de Millau. Dans le train, il n'y avait que des harkis et des moghaznis mais plus de femmes et d'enfants que d'hommes. On s'est arrêtés en pleine campagne, on ne voyait pas de gare. On nous a fait descendre, femmes, enfants, tout le monde quoi, et on est montés sur des camions de l'armée qui n'avait pas de bâches. Maintenant que j'y pense, on aurait dit comme dans les films de cow-boys ou les reportages, il y a quelques années, sur les troupeaux américains où on voit les vaches descendre des wagons sur une planche et qu'on fait monter dans des camions. Nous, c'était pareil, car il y avait un camion par wagon et il fallait qu'on monte dans le camion qui était en face. On ne pouvait pas prendre un autre camion »826(*).

Le "primo-accueil" incombe ainsi prioritairement à l'autorité militaire, et secondairement aux services civils. Placée sous le sceau du provisoire et de la précarité, la vie dans les camps militaires - qui font office de camps de "triage" ou de "transit" dans l'attente d'une affectation dans un hameau forestier ou une cité périurbaine proche d'un bassin d'emploi - perpétue la rigueur et l'inconfort de la vie militaire, mais étendus cette fois aux familles dans leur entier. Abdelkrim Klech, enfant de harki né en Algérie, a connu ces camps : « Dans les campements de tentes du Gard, il faisait très froid, les femmes accouchaient dans les tentes, on pataugeait dans la boue »827(*).

Le décongestionnement des camps se heurtent aussi parfois à la mauvaise volonté des édiles locaux, qui refusent que soient construites des cités périurbaines sur le territoire de leur commune. Mohamed :

« [On est restés au Larzac du 12 juin jusqu'au mois de juillet 1962.] S'il y avait pas la Marine qui ont emmené... à Paris, ils ont ramassé de l'argent, ils ont commencé à chercher un peu partout, aucun maire il voulait des harkis sur sa commune.

- Personne ne voulait les accueillir ?

- Non, non, personne. La Marine elle est venue ici [à Largentière], elle a acheté des terrains là-haut, à Volpilliaire [NDA : à 3 kilomètres du bourg, de l'autre côté du versant de la colline, près des mines argentifères], et comme elle était propriétaire, elle a amené ses harkis ici, à Largentière. Voilà pourquoi on est venus à Largentière. Mais en tout cas, si elle avait pas acheté ce terrain, moi je serais pas là. (...) Au mois de juillet on a pris le train le soir, et à 7 heures du matin on était à Montélimar, et à Montélimar on a pris des Simca. A 9 heures, 9 heures et quart, on était ici : pas de maire, y'avait personne, y'a que nous et l'officier qui était avec nous. Bon, on a monté de là... pourtant à Largentière, y'avait des salles de sport... pourquoi il met pas des enfants... des femmes et des enfants dedans, et bon, nous on va monter les tentes. Bah non, les femmes étaient avec nous, elles étaient dans le camion, et nous on montait notre tente, là-haut... le village [NDA : le lotissement] existait pas encore, la route... c'était tout cassé, c'est nous qu'on l'a fabriquée aussi. Y'avait rien du tout.

- Vous n'avez pas été aidés ?

- Par qui ? Non, y'a que les chefs de la Marine, c'est tout, et... c'est normal, ils ont demandé le courant, ils ont branché le courant dans les tentes, ils ont mis pour tous les quartiers dehors. Et en 1962, pendant l'été, il faisait trente, quarante, ici, et l'hiver c'était au moins... il a neigé ici en Ardèche, eh ! bien un hiver incroyable - faut demander même aux Ardéchois si je dis des bêtises - il faisait trop froid. Et nous on était dans les tentes. On a passé comme ça, ben... y'a aucun Européen qui est venu tendre la main, y'en a aucun »828(*).

Pour autant, les solutions de reclassement visées par les pouvoirs publics sont quasi-systématiquement collectives : il apparaît ainsi très vite que, faute d'une politique volontariste visant au reclassement individuel des anciens harkis et de leurs familles, nombre d'entre eux n'auront d'autre choix, au fil des années, que de rester confinés dans un faisceau de structures - camps de "transit" détournés de leur vocation initiale, hameaux forestiers enclavés et cités périurbaines réservées - qui ont toutes en commun d'astreindre les intéressés à une forme de mise sous tutelle légale qui régente jusqu'aux aspects les plus routiniers de l'existence.

- 2. De la vie en "réserves" aux emplois réservés : « un destin préfabriqué »

a) Coupés de leurs droits : la mise sous tutelle légale

Astreints à être l'objet d'une politique de reclassement collectif, les Français musulmans rapatriés sont également voués à « un statut juridico-administratif spécifique », dont les deux dimensions principales sont :

- le détournement des prestations légales ;

- la rétention des documents administratifs par le personnel d'encadrement.

S'agissant du détournement des prestations légales, Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas soulignent que « grâce aux révisions de certains textes législatifs et de règlements administratifs, les Français-musulmans sont exclus du bénéfice des dispositions adoptées en faveur des rapatriés européens (dont l'importante réservation prioritaire de 30% de logements HLM en faveur des rapatriés) et cantonnés à une juridiction d'exception ». Ils précisent : « Une commission interministérielle convoquée le 13 juillet 1962 au Ministère des Rapatriés, réunissant aussi des représentants des Ministères du Travail et de la Santé, convient en effet d'attribuer la tutelle légale de tous les rapatriés musulmans stationnés dans les camps au ministère des Rapatriés, «personne morale assurant la charge permanente des familles». Du même coup, la population musulmane arrivée en France totalement démunie, se voit définitivement privée de toute ressource susceptible de lui garantir une quelconque autonomie et indépendance par rapport à l'administration qui la prend en charge »829(*). La justification donnée à cet état de fait par le chef du Service des Français d'Indochine et Musulmans (SFIM) dans une lettre à la Cour des Comptes est la suivante : « L'Etat français prenant totalement en charge ces musulmans et leurs familles (logement, nourriture, soins, etc.), il ne paraissait pas nécessaire ni opportun de leur verser les sommes relativement importantes que, dans leur imprévoyance bien connue, ils auraient risqué de gaspiller inutilement »830(*). Les sommes ainsi "thésaurisées"/détournées permettront de budgéter, selon des modalités opportunément indolores pour les finances publiques, d'une part, les rémunérations des monitrices de promotion sociale chargées de « hâter l'assimilation » des ex-supplétifs et membres de leurs familles hébergés dans les camps, et, d'autre part, de financer la mise en place de logements en dur dans les hameaux forestiers831(*). Commentaire rétrospectif de Dalila Kerchouche, fille de harki et journaliste à L'Express :

« Mes parents ont donc été spoliés. Leur argent a servi à financer un système d'exclusion. Ils ont payé leur propre prison ! (...) En coupant les vivres aux familles, les gouvernants de l'époque leur ôtaient toute chance de sortir du camp. Elles n'avaient donc pas le choix. (...) Je suis scandalisée »832(*).

S'agissant de la rétention des documents administratifs par le personnel d'encadrement, Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas signalent qu'il s'agit là d'un « moyen de prévenir les départs intempestifs, et non des moindres quand, parmi ces papiers, figurent ceux qui attestent la nationalité française des rapatriés »833(*).

Objets d'une mise sous tutelle légale, les anciens harkis sont ainsi traités comme des mineurs, qu'il faut à la fois accompagner et "protéger" contre eux-mêmes. Mais confinement et "dressage" visent aussi - et peut-être d'abord - à "protéger" les populations autochtones de la présence non désirée de cette étrange communauté, considérée et traitée à la façon des « classes dangereuses »834(*). Il n'est pas jusqu'au système du "livret ouvrier"835(*) qui ne soit réinstauré à leur attention. Ainsi, « le système de "reclassement collectif" interdit tout départ volontaire d'un chef de famille qui ne satisfait pas à la double présentation d'un certificat d'embauche et d'hébergement dans la commune de destination »836(*).

b) Coupés du monde du travail

Pour la plupart illettrés et souvent dénués de toute qualification professionnelle, les Français musulmans rapatriés constituent à leur arrivée en France une main d'oeuvre bon marché et d'autant plus malléable qu'elle est soumise à un système de reclassement collectif et un statut juridico-administratif spécifique. Une situation dont certains employeurs (y compris publics) - en plein accord avec les autorités (et dans l'indifférence des organisations syndicales, qui sont souvent hostiles par principe aux anciens harkis ; voir ci-dessous) - ne se priveront pas d'user et parfois d'abuser, en "offrant" aux intéressés des conditions de travail "ajustées", a priori peu compatibles avec une période de croissance et de plein emploi. Ainsi, les chefs de famille employés par l'O.N.F. sur les chantiers forestiers ne relèvent pas de la législation du travail : journaliers, leur rémunération ne constitue pas un salaire. Le préfet de l'Aveyron, loin de s'en émouvoir, se félicite - dans une lettre au SFIM du 29 septembre 1962 - de ce que « le salaire journalier est de nature à encourager le travail et l'amélioration du rendement. Il est, ajoute-t-il, plus en rapport avec la mentalité des intéressés »837(*). Les salaires journaliers s'échelonnent entre 14 et 20 francs, l'O.N.F. décidant librement des salaires dans chaque département, et les jours chômés pour causes d'intempéries ne sont pas rémunérés. « Nous sommes restés des ouvriers journaliers jusqu'en 1976, explique un chef de famille. Pendant toute cette période, la première chose à faire quand on se réveillait le matin, c'était de regarder le ciel pour savoir si on allait être payé »838(*).

S'ajoute à cela, il est vrai, les pressions exercées par certains syndicats et par la Fédération de France du FLN pour interdire l'accès des usines aux Français musulmans rapatriés. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou notent ainsi que les Français musulmans rapatriés « sont en butte avec une grande partie du monde ouvrier qui leur refuse aussi la possibilité de travailler. Le Parti communiste et la CGT informent le préfet IGAME des Bouches-du-Rhône qu'ils établissent une différence très nette entre les salariés d'une part et les capitalistes, colonialistes ainsi que les harkis d'autre part qui ne peuvent ni les uns, ni les autres être considérés comme des travailleurs »839(*). Même constat chez Fatima Besnaci-Lancou : « Régulièrement, des familles partaient [NDA : du camp de Rivesaltes] lorsqu'elles avaient obtenu un travail. Personne ne pouvait quitter définitivement les lieux sans promesse écrite d'hébergement et de travail. (...) Nous attendions patiemment notre tour. Le camp ressemblait à une immense salle d'attente. D'après les nouvelles de ceux qui étaient partis, il était difficile aux harkis de se faire accepter dans certaines grandes usines. Un syndicat majoritaire dans beaucoup d'entreprises faisait tout pour contrer leur embauche. J'étais trop jeune pour me souvenir du nom du syndicat. Beaucoup plus tard, j'ai compris qu'il s'agissait de la CGT. Proche du parti communiste qui avait soutenu la lutte pour l'indépendance, la CGT contribua ainsi fortement à nous maintenir dans le ghetto »840(*).

Et, de fait, un rapport du Conseil économique et social du 14 mars 1963, appelant les pouvoirs publics à réagir d'urgence, relevait que « le secteur industriel (celui où les salaires sont le plus élevés) [était] encore la chasse gardée du FLN »841(*).

c) Coupés de l'école

A l'instar de leurs parents qui, nous l'avons vu, sont soumis à des emplois et des conditions de travail "ajustés", les enfants de harkis sont, au cours des premières années, regroupés dans des classes élémentaires spéciales, composées uniquement de fils et filles de Français musulmans rapatriés, et implantées à même les camps, hameaux forestiers et cités périurbaines : l'exact symétrique de l'intégration par l'école, en somme. Selon Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, cet état de fait est pour partie lié à la "frilosité" des communes environnantes : « Les enfants qu'on a prévu de «mêler le plus possible à la vie et aux moeurs des métropolitains, de manière à devenir des Français», seront scolarisés dans des écoles spéciales en préfabriqué à l'intérieur des camps et hameaux forestiers, du fait du refus des communes environnantes de recevoir un grand nombre d'enfants musulmans842(*). Dalila Kerchouche signale que les enfants des personnels administratifs attachés à la gestion du camp n'était eux pas touchés par ce régime ségrégatif, et admis sans problème dans les écoles communales environnantes : « Les séquelles de cette ghettoïsation sont terribles. Au fil des années, les enfants accumulent un retard scolaire de trois ou quatre ans en moyenne. (...) Les enfants de harkis s'inventent un sabir « francarabe » incompréhensible pour les autres. La progéniture du personnel administratif, qui vit pourtant dans le camp, ne fréquente pas la même école, mais celle du village de Bias. Ma mère, intriguée par cette différence (...) se rend alors à l'école communale de Bias mais le directeur refuse d'inscrire ses enfants : «Ils doivent rester dans le camp, c'est obligatoire». Ma mère encaisse sans rien dire »843(*).

Ce régime ségrégatif est camouflé sous le vocable d' "écoles de rattrapage" : il ne s'agirait pas de couper par principe les enfants de harkis de l'école communale, mais de tenir compte de leurs conditions d'arrivée et de vie objectives, qui ne leur permettraient pas de suivre - du moins d'emblée - un cursus normal. Pourtant, de rattrapage il n'y aura point puisque, à l'inverse, dans ces conditions, c'est avec un retard scolaire accentué que les enfants intègreront le collège dans des villes et au milieu de camarades métropolitains qu'ils découvriront parfois à cette occasion. Interrogé par Le Monde, Hocine se souvient « [avoir] été scolarisé à l'intérieur du camp de la maternelle au CM2, par des instituteurs spéciaux, très durs, qui pratiquaient un emploi du temps bien particulier : classe le matin, bricolage et sport l'après-midi »844(*). Pour sa part, Abdelkrim Klech, qui s'est imposé depuis comme une "figure" de la mouvance associative harkie, se souvient avoir fréquenté un internat spécial créé par le ministère des rapatriés où les cours étaient assurés par des hommes du contingent, internat qu'il compare aujourd'hui à un « camp de redressement paramilitaire », avec lever de drapeau, cours de "savoir-vivre" et châtiments corporels845(*).

À cela s'ajoutait - et c'est un problème structurel qui demeure, aujourd'hui encore, pour les sites les plus enclavés - les difficultés dues à l'éloignement de nombreux hameaux et cités par rapport aux principales villes et voies de communication, donc le problème du transport scolaire pour ceux qui, d'emblée ou après quelques années de scolarité dans des classes spéciales à même le camp, furent dispersés dans les écoles, collèges et lycées des localités environnantes (sans même parler des universités, à la fois lointaines et inaccessibles). Selon Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, ces difficultés étaient « à peu près générales », « certains élèves devant ainsi faire plusieurs kilomètres pour rejoindre la ligne du car qui les emmènera à destination »846(*). Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière (en Ardèche), s'est heurté à de telles difficultés :

« Ici, au niveau géographique, et au niveau logistique, on est très excentrés, donc on a des problèmes pour aller sur les grandes études, pour avoir des compléments d'information, etc. Moi, imaginons, si je veux faire une formation en fac, il me faut trois heures de route pour aller à la fac la plus proche. Donc, même en cours du soir, ou quoi que ce soit, c'est pas imaginable. Si tu veux faire des études, tu es obligé de partir à Valence ou à Grenoble, et encore Valence, il y a quelques années, il n'y avait absolument rien... donc, pour aller en fac : Montpellier, Lyon, Grenoble. Ça engage des frais, de transport, de logement, bon, que tout le monde a, je ne dis pas que c'est spécifique aux harkis, mais nous nos parents, pour la plupart, sont... comment on appelle ça, des smicards, avec de très faibles revenus. Ils peuvent même pas nous permettre de nous aider dans nos études. J'te prends comme exemple ma propre soeur, qui a dû abandonner ses études de médecine par manque financier. En tout cas, moi je sais que mes parents pouvaient pas lui payer une chambre et les frais, c'était pas possible. (...) Et puis, en amont, tu as le problème des enfants, des jeunes, au niveau scolaire... bon, maintenant ça c'est quand même arrangé, après tout ce qu'on a pu faire au niveau de l'association, mais jusque... par exemple, moi, lorsque j'étais au primaire, je faisais encore douze... la cité, donc le camp de harkis, l'école, ce qui faisait à peu près une demi-heure de route, trois-quarts d'heure à pied, par tous les temps, quatre fois par jour. Donc, on sortait [de l'école] à onze heures et demie, on rentrait à une heure et demie l'après-midi, on arrivait à la maison à midi, il fallait qu'on mange et qu'on reparte à midi et demi pour arriver à l'école : qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente. Dans ces conditions là, il fallait après qu'on rentre à la maison étudier avec des parents qui sont illettrés, (...) dans des appartements qui étaient insalubres, avec aucun confort, l'isolement, et on était qu'entre nous : y'avait que des harkis d'origine, donc... comment pouvoir s'intégrer ? Comment pouvoir évoluer ? Comment pouvoir donner la base intellectuelle pour accéder à l'éducation ? »847(*).

B. « Des espaces de contrôle totalitaire » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)

Dans leur fonctionnement quotidien, les structures d'accueil réservées aux Français musulmans rapatriés sont conçues comme des univers sinon militarisés, du moins disciplinaires. Et ceci non seulement pour ce qui a trait aux camps de transit (qui sont des camps militaires proprement dits), que pour ce qui concerne les cités périurbaines et les hameaux forestiers où, significativement, « la totalité des emplois de chefs de hameau sont occupés par d'anciens officiers des Affaires musulmanes ou sahariennes »848(*). Plus significativement encore, les services de la préfecture décident au printemps 1963 que « la cité du Logis d'Anne [alors en cours d'aménagement] sera considérée un peu comme un camp » et qu'à ce titre « le personnel d'encadrement sera logé sur place »849(*).

H., qui avait 30 ans lorsque Michel Roux l'a interrogé, et qui a grandi au camp de Bias, témoignait du fonctionnement machinique du lieu : « Je me souviens d'avoir fait mes devoirs à la lueur des bougies. Le couvre-feu était à dix heures : le gardien coupait alors l'électricité. Sauf, bien entendu, sur les bâtiments des Européens. Walou pour les frigos, walou pour la télé. De toute façon, ceux qui en avaient une n'avaient pas le droit de poser l'antenne sur le toit. Il n'y avait pas d'eau chaude dans les baraques, les toilettes étaient à l'extérieur, quant aux douches - douze pour le camp entier - leur utilisation était réglementée quasi-militairement : les hommes se lavaient le samedi, les femmes le dimanche »850(*).

Ce régime disciplinaire spécifique est multidimensionnel : il repose à la fois sur l'isolement géographique, la dispersion des groupes d'affinités, l'infantilisation des chefs de famille et la violation de l'intimité.

- 1. Des espaces enclavés

Le contrôle des Français musulmans rapatriés passe par leur enclavement : c'est donc dans des camps militaires mis à disposition par l'armée, dans des hameaux forestiers reculés ou dans des cités bâties plusieurs kilomètres à l'écart des bourgs que sont regroupées les intéressés. Ainsi que le soulignent Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, « il n'est pas un seul des quelques 75 hameaux forestiers installés entre 1962 et 1974, qui ne fasse exception à la règle de l'isolement géographique »851(*). Selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, sur ces 75 hameaux, « seul le hameau du lieu-dit Les Peyrouas est proche de sa petite ville, Saint-Maximin, à environ un kilomètre et demi ! »852(*). Ce qui vaut pour les hameaux forestiers vaut pour les cités semi-rurales ou périurbaines. Selon Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, la cité du Logis d'Anne, dans les Bouches-du-Rhône, est située à douze kilomètres de Jouques et à dix kilomètres de Peyrolles (six et huit selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou). Enfin, « l'éclosion d'une quarantaine de cités urbaines s'est faite encore et toujours en périphérie des villes »853(*). Il est même des cas - s'agissant plus particulièrement des camps militaires reconvertis en cités - où l'isolement géographique se double d'un isolement physique, matérialisé par des murs ou grillages d'enceinte : ainsi en va-t-il du camp de Bias, où le portail est verrouillé chaque soir à 19 heures par le responsable du camp, et où « nuit et jour un gardien armé vérifie les allées et venues »854(*).

Certes, grâce à l'action conjuguée d'officiers européens et de familles de notables musulmans, des implantations non (ou moins) directement sériées par la politique de reclassement collectif ont pu s'opérer dans des espaces théoriquement non ségrégés, c'est-à-dire mixtes et relativement ouverts sur l'extérieur. Mais ces exemples n'offrent parfois eux-mêmes qu'un semblant d'exception. Ainsi en est-il, avons-nous dit, de la cité dite « Neuilly-Nemours » (ou Volpilliaire) à Largentière (Ardèche), bâtie en 1962 grâce à l'initiative conjointe d'une association d'officiers de Marine et de la ville de Neuilly, qui est située sur les hauteurs du village, sur un versant et à une distance telle qu'elle est invisible depuis le centre du bourg : c'était là une exigence sine qua non de la municipalité alors en place pour accorder le permis de construire. Elle a d'ailleurs, par la suite, été « gérée et encadrée par l'administration »855(*), à l'instar des autres sites de reclassement collectif856(*).

- 2. De la sériation à la sérialité, ou « la dispersion délibérée des groupes d'affinités » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)

A leur arrivée dans les camps de transit, les populations rapatriées sont l'objet d'opérations de "tri", de "classement" et de "dispersion". Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas évoquent ainsi les opérations de « dispersion des groupes d'affinité » et de « laminage des réseaux familiaux »857(*) auxquelles se livrent les autorités afin : (1) d' « éviter que ne se constituent [dans les camps] des îlots d'irrédentisme » ; et (2) de ne pas surcharger les hameaux forestiers et les cités périurbaines ou semi-rurales qui sont réservés aux ménages dits "productifs", à l'exclusion donc des inaptes au travail et autres « déchets et déshérités de la population musulmane rapatriée d'Algérie » - selon l' "élégante" formule du ministre de l'Intérieur de l'époque858(*) - qui tous sont internés dans le camp de Bias, spécifiquement dédié à leur "accueil".

Le statut ou le grade des chefs de famille jouent aussi dans ces opérations de sélection. La mère de Dalila Kerchouche, mariée à un simple supplétif, est ainsi séparée de sa famille (promise, grâce au passé d'anciens militaires de son père et de ses oncles, à un camp « plus petit et plus humain » situé près de Poitiers) et dirigée vers les grandes concentrations du sud de la France859(*).

- 3. De l'infantilisation à la déresponsabilisation des Français musulmans rapatriés

Nous l'avons dit, la politique de reclassement collectif astreint non seulement les Français musulmans rapatriés à un système d'accueil marqué par l'isolement géographique et la dispersion des groupes d'affinité, mais encore à une mise sous tutelle légale qui les prive de tout rapport direct avec les services sociaux et administratifs autres que l'autorité du camp : « Le personnel d'encadrement monopolise les rapports avec toutes les instances administratives et institutionnelles, qui ne peuvent s'adresser aux Français-musulmans qu'à travers leurs "chefs" »860(*). Or, Patrick Jammes, qui fut nommé médecin au dispensaire du camp de Bias au début des années 1970 signale que « le guichetier qui remplissait les papiers administratifs des harkis leur demandait 20 à 30 francs par dossier »861(*). Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas ajoutent qu'en sus de monnayer les démarches dont il est officiellement chargé, l'encadrement « peut se réserver la possibilité de ne rien faire s'il vaut sanctionner une famille »862(*).

Infantilisés, les chefs de famille sont aussi déresponsabilisés puisque ceux qui ont la chance de ne pas vivre désoeuvrés dans les camps sont assignés à des emplois réservés non qualifiants (travaux forestiers, extractions minières, etc.) qui les placent dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de leur employeur et de leur autorité de tutelle.

- 4. La violation de l'intimité, de la vie privée et des libertés individuelles

Par-delà cette mise sous tutelle légale infantilisante des Français musulmans rapatriés, qui les prive en tout ou partie d'un rapport direct avec les administrations et les services sociaux, et une politique de reclassement collectif déresponsabilisante qui assigne les éléments "productifs" à des emplois réservés, le dispositif d'encadrement à l'intérieur des camps est conçu de manière à discipliner l'ensemble des aspects de la vie privée : hygiène, correspondance, déplacements, "moralité" (tempérance, parcimonie, épargne, violences conjugales et familiales mais aussi choix éducatifs, etc.). Hocine, lui-même fils de harki, a vécu au camp de Bias. Il évoque « un monde de terreur » et « la répression quotidienne par une administration constituée essentiellement de Pieds-noirs, qui régentait tous les aspects de notre vie » : « Ils décidaient de tout pour nous, au point que l'autorité du chef de camp remplaçait celle de nos pères. L'administration attribuait un tour de douche hebdomadaire à chaque famille. Elle interdisait à nos mères de porter le foulard. Elle distribuait des tranquillisants aux nombreux vieux qui perdaient les pédales. Elle ouvrait notre courrier, gérait la boulangerie et l'épicerie du camp, nous faisait accompagner chez le médecin à l'extérieur, nous interdisait de fréquenter l'école du village voisin »863(*).

Rien ou presque n'est laissé à la libre initiative des individus, et c'est le soupçon qui, systématiquement, inspire les procédures et actes routiniers du personnel d'encadrement, aussi bien que les consignes des administrations qui les chapeautent :

- L'inspection journalière des baraquements

Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas pointent « la violation constante des intimités par les inspections journalières qui s'assurent du bon ordre et de la propreté »864(*).

- L' « ouverture, le filtrage, la censure et [parfois] le négoce du courrier » (Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas)

Dalila Kerchouche signale qu'à Bias « les lettres et les colis sont ouverts, lus, parfois détournés ou jetés à la poubelle par mesure de rétorsion »865(*). Plus généralement, dans l'ensemble des camps et hameaux, « l'envoi ou la distribution du courrier constitue - d'après Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas - le terrain d'élection de pratiques discrétionnaires du personnel S.F.M.. Gardien de portail, le chef du hameau remplit aussi des fonctions analogues à celles du "gate keeper" qui, dans les journaux anglo-saxons contrôle les articles, fait le tri entre ceux qui seront publiés et ceux qui ne le seront pas ». Et ils ajoutent : « Le contrôle du courrier permet ainsi de repérer ceux qui, à l'intérieur du hameau, prennent contact avec diverses autorités ou associations sans en référer à l'encadrement qui, nous l'avons vu, dissuade toute tentative de ce genre. Un sort tout particulier est fait à ceux qui s'adressent directement au ministère de tutelle pour se plaindre des pratiques des chefs de hameaux ou des inspecteurs. (...) Ces plaintes - le plus souvent anonymes - sont immédiatement répercutées par la hiérarchie à ceux-là même qu'elles mettent en cause, à charge pour eux de mener enquête, d'identifier leurs auteurs qui sont immédiatement renvoyés vers les cités d'hébergement ou mutés vers d'autres chantiers »866(*). Dans un précédent rapport, Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas avaient reproduit un tel courrier, qui vaudra à son auteur, identifié après enquête (conformément à ses craintes), d'être renvoyé du hameau de Pujol-de-Bosc vers un camp. En voici quelques extraits :

« Monsieur le Secrétaire d'Etat,

(...)

Depuis que nous sommes commandés par des sous-officiers, nous sommes en pleine misère, car si on ne leur donne pas à manger, des bouteilles ou quelque chose, ils se fâchent. Voilà pour la Croix-Rouge : elle donne des vêtements, mais notre chef de village les distribue à celui qui lui donne des poulets ou des bouteilles de champagne à minuit. Est-ce que c'est du bon travail ?

Nous travaillons à la forêt et nous touchons 15 francs par jour et il veut qu'on lui donne à manger, alors que j'ai neuf enfants. Ce qu'on vous demande de bien, c'est de changer de chef et de nous en envoyer un plus raisonnable. Tous ceux qui nous commandent font pareil.

(...)

Monsieur, on peut pas mettre notre nom parce que si la lettre revient, il va nous faire quelque chose ou faire un rapport pour nous envoyer ailleurs ou en Algérie. Tous les hommes veulent signer mais ils ont peur. Si vous n'y croyez pas, envoyez quelqu'un faire une visite.

(...)

Nous voulons un vrai Français honnête. Pour l'instant, c'est tout ce qu'on vous demande.

Veuillez agréer, Monsieur, mes respectueuses salutations et mes meilleurs remerciements »867(*).

- Le contrôle des entrées et des sorties (autorisations de sorties/laissez-passer)

A Saint-Maurice-l'Ardoise, « les hébergés sont interdits de sortie du camp sans autorisation préalable. Ils doivent présenter aux sentinelles qui gardent l'entrée un laissez-passer qui est aussi susceptible d'être demandé par la gendarmerie dans les localités voisines »868(*). Selon Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, ce contrôle des entrées et des sorties s'étend aux hameaux forestiers : « Souvent une clôture oblige ceux qui veulent le quitter à passer devant les bureaux de l'administration qui sont situés vers l'entrée ? Alors, ils doivent décliner le lieu où ils désirent se rendre, les motifs de sortie, etc. Il en va de même pour tous ceux qui désirent rentrer au hameau, et que l'encadrement a toute latitude d'interdire »869(*). C'est d'ailleurs le sens du rapport du chef du hameau de Truscas au contrôleur des contributions urbaines en 1964 : « Si la condition de citoyens français métropolitains acquise par les ex-harkis leur donne le droit d'aller librement où ils le désirent, il est quand même préférable en certains cas de pouvoir les surveiller et les conseiller »870(*).

Plus encore, au-delà des procédures routinières qui s'imposent à tous les individus et visent à en contrôler les flux, un "compte-rendu moral" individualise le soupçon, marquant littéralement à la trace chacun d'entre eux : « Comme la fiche de renseignements accolée à un objet tout au long d'une chaîne de fabrication, un bulletin est réservé à chaque individu dès son arrivée dans le camp, où le personnel d'encadrement inscrit les détails de ce que l'on sait de lui, de ce qu'il fait et du traitement dont il a été l'objet. Ce ne sont pas seulement des faits et des comportements qui sont enregistrés, mais aussi des attitudes, des intentions et des soupçons justifiant une surveillance plus ou moins particulière et suivie »871(*). Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou citent quelques unes de ces fiches de renseignements, en l'occurrence celles tenues par le chef de la cité du Logis d'Anne, dans les Bouches-du-Rhône : « A.M. vit de son salaire et économise régulièrement de petites sommes. Il ne s'adonne pas à la boisson et sa réputation comme celle de son épouse sont excellentes... Y.N. est très sobre, un des meilleurs éléments de la cité et sa moralité comme sa réputation sont excellentes... M.R. est un très bon élément, bon père de famille et travailleur intelligent. Serait beaucoup plus à l'aise en milieu européen qu'avec une communauté musulmane qui envie sa facilité d'adaptation à la vie métropolitaine »872(*).

Il n'est pas jusqu'à la manière d'habiller les enfants et le choix des prénoms qui ne soient l'objet d'un contrôle, étonnamment impulsé par le ministre en personne. Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas rapportent ainsi qu'« en 1962, le ministre des Rapatriés [NDA : sans doute Alain Peyrefitte, ministre des Rapatriés de septembre à décembre 1962, ou son successeur, François Missoffe] conseille à ses services de faire en sorte que les enfants soient vêtus à l'européenne [et] que les nouveaux-nés portent des prénoms français ».

Les habitudes vestimentaires des femmes de harkis, ainsi que leurs attributs de féminité, sont également l'objet d'une étroite attention, ainsi qu'en témoigne Khatidja (Mouans-Sartoux, Alpes-Maritimes) : « Au camp, j'aimais mettre du henné sur mes mains et mes cheveux. La femme du chef de camp m'a demandé : «Pourquoi vous mettez du henné ? Ça fait sale». Je lui ai répondu : «Et vous, pourquoi vous vous maquillez ? Le henné, c'est notre maquillage à nous». (...) Un jour, elle est entrée chez moi, je servais des frites à mes petits. Elle s'est glissée derrière moi, m'a passé la main sur la tête sans que je m'en aperçoive et m'a arraché mon foulard. Elle le tenait fièrement dans sa main, comme un trophée. Je lui ai dit : «Pourquoi vous me prenez mon foulard ?» - «Ne t'inquiète pas, je te le rends demain». Elle ne me l'a jamais rendu »873(*).

Ainsi, à bien des égards, le système d'accueil et de reclassement s'apparente à une vaste entreprise de moralisation et de dépersonnalisation, fondée sur le postulat d'une "arriération" qu'il convient à la fois de corriger et, surtout, de "neutraliser". En ce sens, l'enclavement géographique des sites réservés agit comme un "corridor sanitaire", "protégeant" les populations locales d'un contact non désiré et d'autant plus craint que les occasions de contacts mixtes sont rares et systématiquement découragées par le personnel d'encadrement.

Le prédicat du soupçon et la visée de "moralisation" qui inspirent cet encadrement totalisant (ou « totalitaire », au sens qu'en donne Erving Goffman) appellent - souvent plus que de raison - l'exercice de la sanction, voire de la sujétion pure et simple : ainsi en va-t-il de l'exercice de l'autorité dans le camp de Saint-Maurice l'Ardoise, où le personnel d'encadrement dispose de cellules privatives « qui ne cesseront pas d'être utilisées »874(*). Un fils de harki, interrogé par Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, en témoigne : « La prison du camp, on aurait pu s'en servir pour mettre quelques familles ! Mais il fallait bien une prison pour ceux qui n'obéissaient pas aux militaires. Ils pouvaient faire comme ils voulaient ; certains ont passé deux semaines dans cette prison. Pour un oui ou pour un non, quelqu'un qui élève la voix, «allez hop, à la prison» »875(*).

Une autre technique de sujétion communément employée à l'égard des récalcitrants - et l'on rejoint, plus encore ici, l'univers et les pratiques décrits par Erving Goffman - est l'internement d'office en hôpital psychiatrique. Le docteur Patrick Jammes, médecin au dispensaire de Bias, en témoigne : « Quand je suis arrivé à Bias, le chef de camp devait faire régner l'ordre. La sanction, la punition, c'était l'internement en hôpital psychiatrique. C. D. avait le pouvoir d'embastiller les harkis comme il voulait. Il internait un mari qui se disputait avec sa femme, un harki qui lui avait mal répondu ou qui buvait trop, un autre qui refusait de lui payer un bakchich. C'était un moyen de répression. Quand je suis arrivé, j'ai mis un terme à ces pratiques abusives »876(*). A cet égard, il est significatif, nous l'avons vu en introduction, que les premières thèses consacrées à la communauté harkie dans les années 1970 le furent par des étudiants en médecine. Certes, les traumatismes de la guerre ne sont pas étrangers à cette surreprésentation des anciens harkis dans les hôpitaux psychiatriques du Sud de la France. Mais la fréquence des pratiques disciplinaires sous forme d'internements abusifs y est aussi sans doute pour beaucoup.

L'exclusion quasi-totale du milieu ambiant et l'administration en "vase clos" auxquelles furent sujets les ex-supplétifs et leurs familles ont créé une situation de "hors" ou d' "exo-territorialité" au sens large (jusque et y compris l'exclusion du droit commun) qui, si elle signifiait bien la volonté initiale de "mise au pas" puis de "mise sous l'éteignoir" de cette population, ne pouvait que déboucher, à plus long terme, sur une impasse totale en termes d'insertion et, plus encore, d'intégration dans la société française.

C. « La rupture de 1975 et la politique de déconcentration » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)

Jusqu'au milieu des années 1970, ce système d'accueil et de reclassement suit un cours que rien ne semble devoir ébranler : il subit certes, ici et là, des inflexions, mais ces réformes ne sont qu'incrémentales. L'esprit et le mécanisme originels demeurent, fondés sur une prise en charge collective et disciplinaire en lisière du droit commun. Ce n'est qu'en 1975, à la suite des premières révoltes de la génération des enfants, que les pouvoirs publics vont reconsidérer en profondeur le dispositif ségrégatif mis en place jusqu'alors. De fait, treize ans après l'arrivée des premières familles, des révoltes éclatent à Saint-Maurice l'Ardoise, au Logis d'Anne, et sur d'autres sites réservés. Les fils de harkis, à rebours de l'attitude souvent résignée des chefs de famille (fruit du traumatisme de l'exil et de l'attitude du personnel d'encadrement, qui s'échine à les infantiliser et les déresponsabiliser), expriment leur volonté de sortir d' « un environnement préfabriqué » où les perspectives d'avenir se résument à la « pérennisation du provisoire », à savoir : ces camps de transit devenus cités de relégation permanente au gré d'une sujétion statutaire et d' « un dispositif de rétention méticuleux et inquiet »877(*).

Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas dressent la liste des revendications des émeutiers du Logis d'Anne, dans les Bouches-du-Rhône878(*), mais ces revendications valent pour l'ensemble des camps, hameaux et cités maintenus dans une logique comparable :

- la démolition des baraquements insalubres et non réparables, conçus initialement pour être provisoires, et leur remplacement par des logements en dur ;

- la suppression de l'encadrement militaire et du statut d'exterritorialité de la cité / du camp / du hameau ;

- la mise en place de liaisons de transport plus fréquentes entre la cité / le camp / le hameau et les localités environnantes, toujours délibérément situées à bonne distance ;

- l'amélioration du cadre de vie : ouverture de commerces, installation de cabines téléphoniques, équipements divers ;

- l'aménagement de carrés musulmans.

 
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Ces révoltes ont marqué un premier tournant dans l'histoire de cette communauté et, surtout, dans la manière dont elle a été prise en charge par les autorités puisque, dans la plupart des sites concernés, ces revendications minimales ont été satisfaites, avec plus ou moins de célérité. Pour autant, en dépit du démantèlement du système d'accueil et de reclassement collectif qui maintenait sous tutelle un certain nombre de Français musulmans rapatriés (encore un millier de familles en 1975), la récurrence des révoltes et des mouvements revendicatifs (en 1991 et en 1997-1998 notamment) témoigne de ce que : (1) le démantèlement du système à un instant "x" ne peut empêcher à lui seul que ne pèsent et se pérennisent à moyen et long terme les handicaps accumulés au cours de sa mise en oeuvre : ainsi en va-t-il notamment des retards scolaires et du déficit de formation des enfants socialisés dans de telles conditions ; et (2) la suppression de la tutelle et d'un encadrement administratifs liberticides ne suffisent pas à corriger, pour ceux qui choisissent de demeurer sur place (et ils sont nombreux parmi les plus démunis), certains handicaps structurels, tel l'isolement géographique et la pauvreté ou la vétusté des équipements.

Le tableau que l'on peut dresser, a posteriori, de la situation socio-éducative et socio-économique des Français-musulmans rapatriés et de leurs enfants permet de mesurer l'impact sur le moyen et le long terme des conditions d'accueil initiales.

Pour ce qui a trait à la situation socio-éducative des enfants de harkis, André Wormser rapporte qu' « en 1972, dans l'enseignement primaire [et s'agissant spécifiquement des populations regroupées au sein du système d'accueil et de reclassement, donc dans les camps / hameaux / cités périurbaines], « la moitié des enfants avait un retard scolaire d'un ou deux ans dès le cours préparatoire, qui croissait régulièrement jusqu'au CM2 atteignant jusqu'à trois ans et 83,30% de l'effectif. Ensuite 45% se retrouvaient en classes pratiques ou de transition, voie sans issue, ne donnant aucune formation, même professionnelle ; 27% étaient versés dans l'enseignement pré-professionnel. Dans le secondaire, 75% suivaient le cycle court - celui de l'échec - 25% seulement étaient susceptibles de s'engager dans le cycle long, menant à la terminale et au baccalauréat. Il était alors impossible d'en dire plus, car les plus âgés, en très petit nombre, atteignaient à peine la Seconde ». « Mais, ajoute-t-il, en 1982, la situation ne s'est pas améliorée. Le retard scolaire du départ s'est atténué, il est le même que pour tous les enfants de milieu identique - quartiers populaires, travailleurs émigrés - etc. Mais 80% ne vont pas au-delà du primaire, et à 16 ans ont tout au plus un CAP ou un BEP. 20% seulement accèdent à l'enseignement secondaire, 0,8% obtiennent le baccalauréat - 0,5% (moins d'un enfant sur 200, et généralement une fille) franchit le seuil de l'enseignement supérieur »879(*). Quelques années plus tard, en 1990, Catherine Wihtol de Wenden constate que « la situation scolaire des enfants de harkis se caractérise par des retards et plus globalement, par un fort échec scolaire, en particulier chez les enfants arrivés très jeunes en France ou qui y sont nés entre 1962 et 1972 [et qui, pour beaucoup, ont été socialisés dans le cadre du système d'accueil et de reclassement géré par l'administration] »880(*). A la même époque, Mohand Hamoumou, rapportant les termes d'une étude du secrétariat aux Rapatriés (mais sans en préciser les bases méthodologiques, s'agissant notamment de l'échantillonnage), estimait que 40% des enfants de harkis en fin de cycle n'avaient aucun diplôme, et 15% seulement atteignaient un niveau supérieur ou égal au BEPC881(*). Cependant, au même moment, les recherches conduites par A. Souida sur les villes de Roubaix et de Tourcoing font apparaître - dans la lancée du phénomène de "rattrapage" constaté par André Wormser au début des années 1980 (à la suite du démantèlement du système d'accueil et de reclassement) - que « de manière générale et contrairement aux affirmations habituelles, ces populations (surtout les plus jeunes) connaissent des réussites scolaires très significatives comparées à la population globale de ces deux villes où "l'échec scolaire" et le niveau d'instruction sont parfois des enjeux municipaux tant la situation est préoccupante »882(*). Ce phénomène de "rattrapage" reste cependant somme toute relatif puisque, s'il invite à la mesure quant à la description de la situation scolaire des enfants et petits-enfants de harkis par rapport à celle d'autres populations "allogènes", cela ne suffit pas - loin de là - à combler l'écart persistant avec la majorité de leurs compatriotes. Ainsi, plus récemment, Halima Belhandouz et Claude Carpentier, qui ont mené une étude sur vingt jeunes scolarisés dans les collèges du quartier nord d'Amiens (huit garçons, douze filles : certains sont des enfants d'anciens harkis, d'autres appartiennent à la troisième génération)883(*), donc dans un environnement a priori comparable avec l'agglomération de Roubaix et certainement moins défavorable que certains isolats géographiques (anciens camps ou hameaux forestiers), relèvent « des performances scolaires dans l'ensemble assez faibles », avec des différences garçons/filles assez marquées en faveur de ces dernières (comme cela a pu être constaté par ailleurs). Des observations somme toute assez similaires à celles faites vingt auparavant déjà par Saliha Abdellatif dans le même quartier de la Briqueterie, à Amiens, dans le cadre d'une thèse intitulée Enquête sur la condition familiale des Français musulmans en Picardie884(*). La scolarisation des enfants de harkis y était décrite comme étant marquée par des rapports conflictuels, par l'agressivité et l'inattention, autant de difficultés imputables, selon elle, à la violence d'un milieu scolaire indifférent à leurs différences. Le double constat d'un rattrapage progressif par rapport aux populations issues de l'immigration mais aussi de difficultés persistantes n'est d'ailleurs pas sans incidence sur la manière dont les autorités gèrent ces difficultés : partagées entre la volonté de réintégrer les anciens harkis et leurs enfants dans le droit commun (volonté sans cesse proclamée depuis le démantèlement du système d'accueil et de reclassement) et celle de mettre en place des dispositifs spécifiques pour pallier les handicaps spécifiques inhérents aux conditions d'accueil et d'installation de cette population, les autorités centrales sont parfois amenées à prendre des mesures qui apparaissent être en décalage avec les réalités du terrain aux yeux des services déconcentrés et des agents de l'Etat. Halima Belhandouz et Claude Carpentier notent ainsi qu' « entre 1994 et 1997, l'administration, soucieuse de mettre à la disposition des établissements de jeunes conscrits afin d'assurer le soutien scolaire des jeunes «Français musulmans», demanda de procéder au recensement systématique de ces derniers. Hostiles à ce projet de discrimination positive en faveur des seuls enfants de harkis, les responsables pédagogiques affectèrent les conscrits au soutien scolaire de tous ceux qui devaient en faire l'objet. Pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de juger, la spécificité «harkie» se trouvait ainsi récusée par les pédagogues »885(*). Plus fondamentalement, il apparaît que la réussite scolaire des enfants de harkis est généralement fonction du mode d'implantation des familles et varie significativement selon que les populations concernées ont été regroupées ou dispersées sur le territoire : « L'échec scolaire est moindre lorsque la population a été dispersée en milieu ouvert, au centre des villes, ou a bénéficié de la solidarité familiale de parents immigrés déjà présents sur le territoire sans avoir à dépendre de l'assistance administrative. Le témoignage du commandant Rivière à propos d'une population des Aurès originaire des mêmes villages le montre assez bien : «Pour des familles qui sont les mêmes, les études scolaires ont été meilleures en Indre-et-Loire (Château-Renault) qu'à Rouen. [De fait, alors qu'à Rouen les familles ont été regroupées dans une cité réservée périurbaine, à l'écart du reste de la population], à Château-Renault, les familles ont été disséminées parmi les Français, [et] il n'y a pas eu de ségrégation par l'habitat» »886(*).

S'agissant de la situation socio-économique des intéressés, le constat général est logiquement similaire : compte tenu des conditions d'accueil initiales offertes aux anciens harkis et leurs familles, la sectorisation est une donnée essentielle pour qui prétend évaluer le degré d'immersion des intéressés dans le tissu socio-économique de la nation. Et, de fait, les difficultés sont d'autant plus grandes que le mode d'implantation et de socialisation des familles a été marqué par l'enclavement géographique et relationnel. Les sites enclavés, généralement aménagés à la va-vite dans les années 1960 à proximité d'industries vieillissantes ou de chantiers de forestage susceptibles d'employer une main-d'oeuvre peu ou pas qualifiée, n'offrent aucun avenir aux nouvelles générations. Ainsi en va-t-il du lotissement de Volpilliaire, à Largentière, en Ardèche, où la mine qui employait les pères a fermé au début des années 1980. De ce point de vue, même s'ils sont eux aussi touchés par la précarité, les « disséminés » (les enfants de harkis résidant en région parisienne, par exemple) se voient offrir plus d'opportunités que les « assignés ». En outre, les aides spécifiques offertes aux anciens harkis en matière d'accession à la propriété ont eu pour effet pervers de fixer ces populations dans ces enclaves. A contrario, l'instauration d'une aide à la mobilité professionnelle avait pour objectif d'inciter les jeunes à s'émanciper du carcan communautaire dans lequel les avait enfermés la politique initiale de reclassement collectif.

Des chiffres circulent sur la situation d'emploi des fils et filles de harkis, mais ils sont généralement soit le reflet d'une situation locale difficilement extrapolable, soit des statistiques nationales établies par la Délégation puis la Mission interministérielle aux Rapatriés, mais qui, par définition, ne rendent compte que de la situation de ceux parmi les enfants de harkis qui se sont fait connaître auprès des services préfectoraux pour bénéficier d'un accompagnement à l'emploi ou à la formation (donc censément les plus fragilisés). Il n'existe pas de statistiques exhaustives en la matière, pour cette raison évidente que les enfants de harkis - Français par filiation - n'apparaissent pas en tant que tels dans les statistiques de l'INSEE (à l'exception, avons-nous dit, du recensement de 1968 qui n'est, en la matière, d'aucune utilité). Néanmoins, l'ensemble des estimations ou études faites, de quelque source qu'elles proviennent, s'accordent à aligner la situation d'emploi des intéressés sur celles des couches les plus fragilisées de la population française. Dans un communiqué de presse publié en janvier 1999, le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité indiquait que « 70% environ des harkis ont aujourd'hui un revenu au maximum égal au minimum vieillesse, soit 3.550 francs pour une personne seule ». Il était par ailleurs indiqué que « le taux de chômage de leurs enfants oscille autour de 30% ». Répétons-nous : ces chiffres sont des estimations puisque les membres de la communauté harkie ne constituent pas une catégorie à part dans les statistiques publiques. Ces chiffres, et notamment le deuxième, sont d'ailleurs contestés par certaines associations, qui considèrent qu'ils procèdent d'une sous-évaluation des difficultés auxquelles sont confrontées les générations suivantes. Il est vrai - pour les raisons précédemment exposées - que ces estimations nationales peuvent être largement en deçà de ce qui peut être constaté localement.

Jacques Chirac, s'exprimant à l'Élysée devant les présidents d'associations à l'occasion de la première Journée d'hommage national aux harkis, le 25 septembre 2001, s'était lui-même essayé à dresser un bilan de la situation socio-éducative et socio-économique des Français musulmans rapatriés et de leurs enfants, ainsi que des politiques qui leur furent consacrées. Je le cite :

« Malgré l'intervention de l'État, des collectivités locales et l'action généreuse de nombreuses associations, les difficultés de l'accueil initial, marqué par le confinement dans des camps ou le regroupement dans des quartiers isolés, ont conduit à des situations de précarité et parfois d'extrême détresse. Les conséquences en sont encore visibles aujourd'hui.

« Sans doute une France profondément marquée et divisée par le conflit algérien n'était-elle pas préparée à l'accueil des rapatriés. Mais il faut aujourd'hui réparer les erreurs qui ont été commises. Alors que tout dans notre tradition républicaine refuse le système des communautés, on a fait à l'époque, dans l'urgence, le choix de la séparation et de l'isolement. 

« Les jeunes ont également souffert, victimes de l'installation trop précaire de leurs parents. Leur scolarité, leur formation se sont déroulées dans des conditions particulièrement difficiles, qui sont encore à l'origine de handicaps importants.

« Pour eux comme pour la France, tout cela représente une perte de chances intolérable »887(*).

Au terme de cette première partie, et avant d'en venir à l'examen du "jeu" entre le passé et le présent (donc à l'examen des logiques rétrospectives - sociales et politiques - de la stigmatisation autour de la communauté harkie depuis la fin de la guerre d'Algérie), il nous faut brièvement revenir au contexte originel et insister sur certains points essentiels pour juger du "travail de l'écart" entre ce qu'a été - et ce qu'a signifié - pour les supplétifs eux-mêmes leur engagement aux côtés de l'armée française d'une part, et la manière dont cet engagement - ou, plutôt, ces engagements - nous ont été présentés sur le moment par d'autres acteurs interdépendants d'autre part. Nous avons vu que la guerre d'Algérie, loin de se laisser enfermer dans une définition univoque, a été un conflit "multifacettes", à bien des égards "indécidable". Les différents protagonistes se sont bien évidemment attachés à "travailler" (au sens de schématiser) cette complexité à leur avantage immédiat (et au regard de l'Histoire), ciselant un imaginaire de guerre sur mesure, aux fins tant de mobiliser - au sens propre et au sens figuré - les populations civiles, que de coaliser au service de la "Cause" un maximum de relais d'opinion. A cet égard, Valérie-Barbara Rosoux souligne très justement que « les faits n'ont pas de taille absolue et que la dignité des moments susceptibles de susciter l'attention dépend de l'intrigue choisie »888(*). La mise en évidence de ces « stratégies d'appropriation de l'imaginaire » (Béatrice Pouligny) nous autorise à juger pour ce qu'elles sont les "étiquettes" - négatives mais aussi positives - accolées aux harkis en raison de leur engagement aux cotés de la France, à savoir : des constructions qui opèrent par sélection de traits et d'événements (l'illusion "pars pro toto" décrite par Norbert Elias), à savoir la schématisation des « bonnes raisons » des intéressés889(*).

A cet égard, il nous faut particulièrement mettre en exergue la dimension de guerre civile du conflit algérien, qui éclaire d'un jour particulier l'accusation de "trahison" véhiculée sur le moment par le FLN à l'encontre des supplétifs musulmans de l'armée française. Témoigne tout d'abord de cette dimension de guerre civile la masse des engagements de civils musulmans au sein des troupes supplétives de l'armée française, mais encore l'engagement continu - certes moins massif mais tout aussi risqué, sinon plus - de civils musulmans dans les structures administratives et/ou électives. Certes, ces engagements n'ont sans doute été que très marginalement motivés par la volonté des intéressés de voir se maintenir à l'identique la présence française en Algérie. Cependant, outre le fait que telle n'était pas non plus la volonté exprimée par nombre de partisans de l' « Algérie française », cet engagement massif témoigne a minima de ce que nombre de musulmans ne se reconnaissaient pas dans la prétention hégémonique et/ou dans l'exclusivisme "socioculturel" ou "socio-confessionnel" du FLN, qui prétendait réduire les contours du "peuple algérien" à ceux de sa seule composante musulmane, arabe en particulier.

Dimension de guerre civile dont témoignent également, par l'absurde, à la fois la définition extensive que donne le FLN de la qualité de "traître" (depuis les élus jusqu'aux simples gardes champêtres, en passant par les supplétifs de l'armée française, les anciens combattants ou les nationalistes "dissidents") et, corrélativement, l'exercice massif de la terreur à l'encontre des segments de la population civile musulmane qui ne lui étaient pas inféodés. Dans les faits, le FLN se reconnaissait ainsi force "ennemis" au sein même de populations dont il assurait pourtant, dans ses discours, recueillir l'assentiment unanime.

Une réalité mouvante dont François Meyer, ancien lieutenant chef de harka, se fait l'écho : « Lieutenant en Algérie, j'ai servi pendant quatre années au 23ème régiment de spahis en Oranie, de 1958 à 1962, dans une unité où le concours des Algériens musulmans était considérable, et j'ai commandé successivement deux harkas, en tant que chef de commando du Secteur opérationnel à Géryville, puis à Bou Alam, toujours en Sud-Oranais. Je crois avoir connu une guerre dont la réalité a échappé à de nombreux Français, la guerre civile entre les Algériens au moment de la décolonisation »890(*). De même, pour l'historien Jean Monneret, « l'engagement massif de plusieurs centaines de milliers de Musulmans, échelonné sur plusieurs années, rend incontestable le terme de guerre civile entre Algériens »891(*). Il ajoute : « Comment ne pas voir que l'Algérie se distingue alors par une exceptionnelle intensité de cette guerre civile entre autochtones, par une exceptionnelle mobilisation musulmane aux côtés de l'Armée française, et par une exceptionnelle violence des représailles contre les vaincus »892(*). Et l'historien Guy Pervillé d'estimer à son tour que « la guerre d'Algérie a été, autant qu'une guerre entre deux peuples étrangers, une double guerre civile [entre Algériens et entre Français] »893(*).

En fait, nous l'avons vu, au regard de la visée hégémonique du FLN sur la société algérienne (d'une logique de front unique à une logique de parti unique), l'invention de la figure du harki comme "traître" va au-delà des nécessités tactiques ou conjoncturelles de la guerre d'indépendance. Ce dont témoigne d'ailleurs - nous allons le voir - la perpétuation "ex-post" de cette figure. L'invention puis la perpétuation de la figure du harki comme "traître" (et, plus généralement, la désignation de tous les musulmans non inféodés au FLN comme "ennemis intérieurs") est bien plutôt une nécessité structurelle pour une organisation qui, dès l'origine, s'est affirmée envers et contre l'idée d'une libre expression des tendances au sein de la mouvance nationaliste, puis, dans cette lignée, a instauré un régime de parti unique une fois l'indépendance acquise.

D'où la nécessité après-coup, dans l'Algérie post-coloniale, de faire de la figure du harki à la fois une figure taboue - car malvenue au regard du mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN - et une figure totem - une figure d'excommunication générique qui porte l'opprobre sur ceux qui, de propos délibéré ou non, s'opposent aux acteurs de la Révolution. Cet entre-deux est malaisé, qui voudrait à la fois minimiser l'importance de l'écho rencontré par le "parti de la France" pendant la guerre, tout en exagérant son influence - supposément occulte - sur la marche des choses en Algérie après la guerre. Les usages politiques de la figure du harki trouvent d'ailleurs comme un second souffle dans un contexte de guerre civile qui n'en finit pas d'ébranler l'assise politique du régime.

Symétriquement, en France, le rappel de cette dimension de guerre civile comme dimension constitutive de la guerre d'Algérie gêne les autorités, car il implique de faire retour sur un triple renoncement : i) la non-association des musulmans pro-français aux négociations d'Évian ; ii) leur non-rapatriement (ou, tout au moins, la volonté de le limiter au strict minimum) ; et iii) leur non-accueil (au sens de "non-intégration"). Devant la difficulté à justifier ouvertement le prix payé par ces populations, soudainement devenues quantité négligeable, nous verrons que les autorités ont jugé préférable, après-coup, de scotomiser leur existence en perpétuant la vision - à bien des égards réductrice, nous l'avons dit - d'une guerre de décolonisation mettant implicitement aux prises deux mondes homogènes et inconciliables : les colonisés et les colonisateurs.

Ainsi, la place faite à la figure du harki pendant puis après la guerre est symptomatique des conditions de fondation puis de stabilisation de l'ordre politique dans chacun des contextes visés. L'imposition de schèmes de lecture de la guerre d'Algérie qui en gomment la dimension de guerre civile - et donc l'implication massive de tierces parties : musulmans pro-français, nationalistes dissidents, OAS - est un enjeu majeur des pratiques mémorielles algériennes et françaises : les unes pour ne pas entamer le mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN, les autres pour taire autant que faire se peut les conséquences humaines de la politique de « dégagement » visée et entreprise par les autorités françaises d'alors. Ainsi, la caractérisation de l'épreuve endurée par les musulmans pro-français en conséquence directe de leur engagement ne s'arrête pas à l'énumération des supplices et des vexations qui leur furent infligés à l'heure des règlements de compte. Les violences symboliques ont perduré bien après que les violences expiatoires exercées par les armes dans l'immédiat après-guerre eussent cessé, et visent aujourd'hui encore à avilir ou à mortifier ceux qui ont survécu, ainsi que leur descendance, en les confinant dans une sorte de "no man's land" identitaire. C'est précisément à l'abord des gestes rétrospectives qui, depuis la fin de la guerre d'Algérie, sur l'une et l'autre rive de la Méditerranée, régissent la mise au ban et/ou la mise sous l'éteignoir des anciens harkis (au sens large) que sera consacrée la deuxième partie. Au fil de cet examen, je distinguerai principalement trois formes d'atteintes symboliques qui, chacune à sa manière, contribuent à outrager, à schématiser, voire purement et simplement à occulter le sens ainsi que les causes et les conséquences de l'engagement des anciens harkis aux côtés de la France :

- le regard "adversatif" de la geste officielle algérienne ;

- le regard "réductionniste" des intellectuels français en guerre d'Algérie ;

- le "non-regard" de l'historiographie officielle française.

Nous verrons que, sous l'effet de cette triple conjonction, les anciens supplétifs de l'armée française sont, jusqu'à ce jour, l'objet d'avanies ou de censures certes différenciées, mais convergentes : convergentes en ce qu'elles participent, chacune à sa manière, de la formation d'une imagerie globale, et globalement négative des intéressés.

PARTIE 2

Ce que parler des harkis veut dire

Partie 2

Ce que parler des harkis veut dire

Cette deuxième partie vise à objectiver non plus les logiques qui, au moment de la guerre d'Algérie, du côté français comme du côté du FLN, ont présidé à l'invention de la figure (et de la destinée) du harki, mais à objectiver les logiques qui, depuis lors, ont présidé à sa perpétuation, à l'identique ou sous une forme évolutive : comment et à quelles fins les intéressés ont-ils été figurés politiquement et intellectuellement depuis 1962, en France et en Algérie ? Selon quelles récurrences et lignes d'inflexion ? Autour de quels leitmotivs et interdits ? Pour quels usages et avec quel impact ?

Ce qui est en jeu, ici, c'est l'évolution des représentations collectives : non pas l'histoire de la destinée des harkis mais l'histoire de la mémoire de cette destinée, et les formes d'appropriation concurrentes qui cherchent à en arrêter le sens en fonction d'intérêts présents. Pourquoi se remémore-t-on et/ou commémore-t-on cette destinée ? Et pourquoi d'une façon plutôt que d'une autre ? Répondre à de telles interrogations nécessite, ainsi que le souligne Henry Rousso894(*), de connaître à la fois l'histoire elle-même (voir la Partie 1) et le contexte d'énonciation des discours rétrospectifs sur cette destinée : c'est précisément à objectiver comment des Etats ou des collectifs se remémorent le passé et l'inscrivent dans le - dans "leur" - présent qu'est dédiée cette deuxième partie.

Ainsi, l'exploration de la postérité symbolique de la figure du harki, autrement dit, des jeux (usages) et enjeux (impact) de mémoire autour de cette figure en France et en Algérie passe par une étude du discours public autour de la destinée des intéressés, donc par un travail sur les constructions intellectuelles et politiques de la figure du harki, en France et en Algérie, de 1962 à nos jours : qu'en est-il, d'une rive à l'autre de la Méditerranée, dans les discours politiques, des logiques de capitalisation ou, à l'inverse, de forclusion de cette figure ? Et quelle est, à cet égard, la place assignée aux massacres de l'après-indépendance ?

« De part et d'autre de la Méditerranée, écrivait Mohand Hamoumou en 1990, les harkis sont et restent le tabou des tabous » 895(*). Il ajoutait : « Les silences ou les oublis d'une société ne sont jamais le simple effet de l'érosion du temps ou de l'ignorance. Ainsi, les Algériens refusent l'histoire des Français musulmans pour préserver le mythe d'un peuple uni, acquis tout entier et spontanément au FLN. Nier les Français musulmans rapatriés permet aussi d'éviter d'analyser leurs engagements et d'exposer les erreurs et règlements de compte du FLN ainsi que reconnaître le génocide commis après l'indépendance, au mépris des accords d'Evian. Ces massacres, qui firent plus de cent mille victimes, gênent également la population française. Car si les Algériens les ont commis, la France, par sa passivité, les a permis : son armée présente en Algérie jusqu'en 1964 avait reçu l'ordre de ne pas intervenir ». Ainsi, poursuivait-il, « [aux] silences de l'histoire dont le but est de légitimer le pouvoir en place, s'ajoutent ceux qui répondent aux besoins de la société de refouler des événements traumatisants »896(*).

Cette visée de déconstruction du ou des discours publics (de ce qu'ils disent et de ce qu'ils passent sous silence) nous conduira, en Algérie, à objectiver les formes et usages attentatoires de la figure du harki sur la scène politique depuis 1962 (section I.A.1). Ces usages, nourris par une confusion délibérée entre l'idée d' "opposition" et celle de "trahison", sont d'ailleurs réversibles et mutuellement contradictoires puisque, depuis l'interruption du processus électoral en 1992, ils sont aussi bien l'apanage des tenants du pouvoirs que de leurs adversaires islamistes (section I.A.2). Il s'agira, ce faisant, de rendre compte du "travail de l'écart" entrepris par ceux qui, ayant la capacité de "faire voix" en Algérie depuis l'indépendance, se sont appliqués à hypostasier un faisceau de trajectoires biographiques - à savoir, ce que furent, dans leur diversité et leur complexité, les engagements des diverses catégories de musulmans pro-français aux côtés de la France - en un "épouvantail politique", mieux, une figure d'excommunication générique, transposée et transposable à une large palette de situations. Nous verrons cependant que, par-delà - ou en deçà - de ces formes et usages consacrés de la figure du harki, subsistent et se font jour des visions anticonformistes, en rupture avec les figurations manichéennes et attentatoires (section I.B).

Par ailleurs, en France, nous verrons, à la suite de Jacques Sémelin (qui souligne à juste titre combien « la passivité de l'environnement international constitue un facteur favorable au développement d'une situation de massacres »897(*)), qu'en raison même de ce qu'a été l'attitude de la France à l'égard de la situation dramatique dans laquelle furent placés, à l'été et à l'automne 1962, ses anciens ressortissants et serviteurs d'armes, la figure du harki a été peu ou prou mise sous l'éteignoir, au mieux "folklorisée", au pire totalement évacuée des récits officiels. A la passivité, sur le moment, des pouvoirs publics succédera donc l'indifférence au long cours des relais institutionnels de la mémoire, mais encore - sur le plan de l'entretien du souvenir - des formations politiques en tant que telles (section II.A). Or, nous verrons que cet écho officiel (très) assourdi de la destinée des anciens supplétifs (qui n'a été que faiblement "parasité" par les récits laudatifs - mais inaudibles - des « soldats perdus » de l'Algérie française), a pu faire le lit de certains usages détournés (banalisation des acceptions outrancières du terme "harki" dans le vocable politique) ou intéressés (clientélisme électoral) de la figure du harki (section II.B).

Nous verrons enfin que cette indifférence des relais institutionnels de la mémoire en France - indifférence dont Jean Baudrillard nous dit qu'elle est « une agression invisible, intangible, inavouable »898(*) - a été confortée par l'image pour le moins "flottante" que s'en sont formés ceux qui font profession de rendre le monde intelligible, à commencer par ceux qui, au cours de la guerre d'Algérie, se firent les protagonistes de la « bataille de l'écrit »899(*). Il nous faudra ainsi rendre compte des constructions intellectuelles ou, plus exactement, "intellectualistes" de la figure du harki, c'est-à-dire non pas tant les approches analytiques (historiennes en particulier) de cette figure (dont il a été fait état dans la Partie 1) que les prises de position idéologiques de ceux, intellectuels de profession (universitaires, journalistes, écrivains, éditeurs, etc.), qui, en France, usant de leur magistère moral comme d'un strapontin, ont véhiculé sur le moment et/ou véhiculent depuis lors un discours public "engagé" sur la guerre d'Algérie en général, et sur les harkis en particulier900(*) (chapitre III).

I. La figure du harki dans les gestes algériennes de la guerre d'Algérie

Il s'agira ici de procéder à l'examen du "jeu" entre le passé et le présent en Algérie, et de mettre en évidence les stratégies de capitalisation rétrospective d'un imaginaire de guerre qui, dans un contexte de perpétuation des violences politiques, tend à pérenniser ou à reconfigurer les usages de la figure du harki sur la scène politique, ainsi que la mise en évidence des effets produits par ces actes de (mé)connaissance sur la société algérienne dans son ensemble. Il nous faudra rendre compte non seulement des opérations figuratives (et autres formes d'appropriation de l'imaginaire) en tant que telles (à savoir comment les choses sont-elles représentées / narrées / mises en récit), mais aussi de la "rationalité stratégique" qui les sous-tend (à savoir pourquoi les choses sont-elles ainsi représentées / narrées / mises en récit) : comment et à quelles fins perpétue-t-on de tels usages ? Avec quels effets ? (section A.)

Il nous faudra cependant relativiser l'impact de telles figurations car, en dépit du poids écrasant de la geste officielle de la guerre d'Algérie et des mythes et figurations qui lui sont associés, il existe - de manière plus ou moins souterraine et informelle - des visions "non-conformistes" des harkis. Il sera donc fait état ici à la fois des pratiques mémorielles institutionnelles (mémoire officielle) et des "chemins de traverse" de la mémoire collective. (section B.)

A.  Le harki réifié ou la mémoire comme réalité instrumentale

La perpétuation "ex-post" de la figuration politique du harki comme « traître » en Algérie participe de ce que Béatrice Pouligny appelle les « techniques d'instrumentalisation de l'histoire et de redéfinition permanente du "nous" comme du "eux" »901(*) qui, jouant sur une mise en récit orientée de l'identité collective, servent une visée de légitimation du pouvoir. Il s'agit, pour le pouvoir en place, de prolonger à son avantage exclusif la « dialectique du dedans et du dehors »902(*) propre à l'invention d'un imaginaire de guerre : en instaurant la désignation de l'ennemi intérieur comme mode pérenne de régulation sociale et politique, ce sont les conditions de prise de pouvoir initiales - et l'hégémonie de fait qu'appelle l'exercice de la violence fondatrice - que l'on cherche à perpétuer ; car s'arroger le pouvoir de dire qui est l' "ennemi", c'est aussi, par contraste, s'arroger le pouvoir de s'autodésigner "ami" et, par-là, "émanation" ou "représentant" légitime du peuple. L'objectivation des logiques politiques de désignation de l'ennemi intérieur contribue ainsi à mettre à nu le socle de légitimation du personnel politique en Algérie et invite à s'interroger sur la manipulation de la mémoire comme outil de légitimation politique903(*). Nous verrons ainsi que, dans un contexte de verrouillage idéologique de l'Algérie post-coloniale, la perpétuation des usages de la figure du harki (mais, plus généralement, la perpétuation d'une "culture de guerre") a servi d'outil de "conformisation" politique pour les élites issus de la guerre dite de libération, qui se sont servis de cette figure-repoussoir pour décourager toute velléité ou décrédibiliser toute forme d'opposition (section A.1). Puis, plus récemment, dans cette Algérie des années 1990 (puis 2000) ouvertement gangrenée par la violence politique, l'instrumentation tous azimuts de la figure du harki a servi de procédé commode pour justifier l'éradication de l'adversaire plutôt que son inclusion dans un système de dissensus démocratique (section A.2).

- 1. Entre totem et tabou : une figure recomposée (1962-1988)

Déjà, au cours de la guerre d'indépendance, nous l'avons vu, tout l'objet de la propagande du FLN était de faire accroire, d'une part, à l'unicité des aspirations de la composante musulmane de la population algérienne et, d'autre part, à leur coïncidence parfaite avec les visées de l'organisation. « L'engagement du côté de la France, souligne Benjamin Stora, est nécessairement le fruit d'un mal exogène : dans le corps "sain" de la société nouvelle qui s'affirme par la guerre, il ne peut y avoir de place pour l'hésitation, l'erreur, qui se convertissent en fautes, puis en crimes. (...) Le mot "harki" apparaît dans le vocabulaire politique (et... quotidien) pour désigner les "complots" dirigés contre la difficile marche de la révolution. Et la violence du verdict contre ce "harki" s'exacerbe encore par les luttes de faction pour le contrôle du pouvoir, la recherche d'une légitimité nationaliste »904(*). La geste révolutionnaire du FLN participait alors d'une figuration manichéenne du conflit algérien, assimilant à une forme d'"apostasie ou d'"abjuration" - donc à une dissension d'ordre patriotique et, d'une certaine manière, religieuse compte tenu de l'indétermination relative des frontières entre djîhad et guerre d'indépendance - l'engagement d'une part non négligeable de la population musulmane en faveur de solutions favorables (« intégration ») ou non expressément défavorables à la présence française en Algérie (solution de la « table ronde » prônée par le MNA, par exemple). Pour le FLN, à l'inverse, la seule sortie envisageable hors de la situation coloniale consistait en une politique de la "table rase", en un choc frontal des communautés.

A l'indépendance, dans le droit fil de cette optique exclusiviste, la perpétuation d'une culture de guerre tendant à identifier toute forme d'opposition à une forme de trahison - d'une logique de "front unique" à une logique de "parti unique" - a contribué à délinéer, jusque et y compris dans le fonctionnement des institutions (au moins jusqu'aux émeutes d'octobre 1988 et l'institution du multipartisme), les contours officiels de l'espace politique de l'Algérie post-coloniale, comme circonscrit par l'opposition manichéenne entre le "peuple" - présenté comme "Un", unanime et uniment lié à l'Etat-FLN - et une "cinquième colonne" nécessairement liée au "parti de la France" (hizb frança). En somme, l'inverse d'un espace public de type habermasien, qui donne prise au dissensus démocratique et médiatise les relations entre l'Etat et la société905(*). De Ben Bella à Chadli, et plus encore sous l'ère Boumediene, l'Etat-FLN ne souffre pas de publicité critique sur son fonctionnement, ne tolère pas de contre-pouvoirs, et moins encore d'opposants : la discorde c'est la trahison. A cet égard, Ahmed Rouadjia compare l'Etat algérien à « une sorte de «machine jacobine» destinée à traquer des ennemis et des antirévolutionnaires, le plus souvent fictifs ». Et il ajoute : « Ainsi, la confusion entre l'Etat en tant que sujet et normes juridiques transcendantes et l'Etat en tant que force brute absolue est-elle totale dans la représentation politique algérienne. Si l'on sort du discours de jurisprudence, qui est une pâle copie du droit français, le discours politique sur l'Etat se ramène donc à une exaltation implicite des vertus physiques et coercitives de ce dernier. L'Etat doit être «fort», autoritaire, faute de quoi il ne saurait se faire respecter. Il doit sévir contre les «déviants», se montrer impitoyable envers ses ennemis, qui peuvent être des opposants (du temps où ceux-ci étaient bannis) ou des dénigreurs des «acquis» de la Révolution. Ceux qui pouvaient afficher des sympathies envers la France et sa culture étaient considérés également comme ennemis potentiels qu'il fallait stigmatiser. Pour surveiller tout ce monde de nuisance et l'empêcher de réaliser des noirs desseins, il faut une armée et une police, fortes et vigilantes. Cette approche mécanique de l'Etat est la matrice du totalitarisme »906(*).

Dans ce contexte hégémonique, la perpétuation de la figuration politique du harki comme « traître » et, plus généralement, l'instrumentation de « récits [de guerre] sursaturés d'intention à des fins de légitimation »907(*) avaient donc pour but (et ont pour conséquence, aujourd'hui encore, quoique dans un autre contexte et dans une autre mesure ; voir ci-dessous la section A.2) d'emprisonner le langage politique dans des limites très étroites : elle signifie comment sont considérés les opposants au régime et ce qu'il en coûte d'en être puisque, avec elle, subsistent en filigrane à la fois le souvenir du sort réservé aux harkis et la possibilité de sa répétition (résurgence du vocable de l'"éradication" au cours de la "deuxième" guerre d'Algérie). Ainsi, pour Lahouari Addi, la culture politique algérienne est fondé sur « le présupposé qu'entre Algériens il n'y a pas de conflits politiques. Il y a des conflits politiques entre Algériens et étrangers, ou entre Algériens patriotes et Algériens traîtres. Ce type de conflit n'a pas à être institutionnalisé, car les traîtres sont à exterminer physiquement, à «éradiquer», d'où le caractère sanglant de la crise actuelle, qui oppose, pour les uns, les traîtres à la nation, et pour les autres, les traîtres à l'Islam, qui définit la nation »908(*).

Les usages rétrospectifs de la figure du harki témoignent ainsi de la prégnance du champ lexical de la "trahison" ainsi que d'un principe de division du champ politique articulé autour de l'opposition "amis"/"ennemis". Pour cette raison, comme déjà dit en introduction, nous partirons du postulat - non exclusif mais fécond - qu'en Algérie, jusqu'à aujourd'hui, c'est du côté du rapport belliqueux, du côté du modèle de la guerre que l'on peut trouver un principe d'intelligibilité et d'analyse du pouvoir politique909(*). Plus que tout autre mode d'expression et d'objectivation du politique, la (sur)valorisation de l'identité, ainsi que l'usage - ou la menace de recours à - la violence (qui sont les corollaires obligés de la célébration obsessionnelle de l'Un), sont en Algérie des sources tautologiques de légitimation qui prévalent sur le libre débat d'idées et les modes démocratiques d'élection du personnel politique. Selon Mohamed Benrabah, « le régime n'a jamais cessé de violenter la société algérienne en lui imposant l'enfermement contre sa nature plurielle. (...) En renforçant les seuls caractères arabe et islamique de l'identité nationale, on nie les racines berbéro-latino-judéo-hispano-turco-franco-algériennes. (...) Pour faire "plus Arabe que les Arabes", on inculque le mépris des ancêtres berbères et on oblige les enfants à passer le plus clair de leur temps à faire l'histoire des autres : celle du Moyen-Orient. [Par surcroît], on leur transmet une histoire glorifiant la violence »910(*). Pour Guy Pervillé, « l'exaltation de la violence fondatrice de l'État algérien est inséparable de la culture politique algérienne, culture de guerre et de guerre civile. Le système politique élaboré par le FLN de 1954 à 1962, et institué de 1962 à 1989 sous la forme du parti unique, postulait l'unanimité nationale et l'imposait par la force. Toute divergence politique à l'intérieur du peuple algérien était niée en tant que telle et qualifiée de trahison au profit de l'ennemi extérieur, ce qui empêchait toute démocratie et livrait le pouvoir aux détenteurs de la force prêts à s'en servir. (...) Tel est le véritable lien qui rattache la récente surenchère de la violence aux massacres de 1962. Ainsi, l'amnistie bafouée d'Évian a été pour l'Algérie une occasion perdue de faire l'apprentissage de la tolérance, vertu fondamentale de la démocratie »911(*). De même, pour Luis Martinez, qui en fait « une des hypothèses de [son] livre », « la violence a valeur de vertu dans l'imaginaire de ce pays »912(*). Abderrahmane Moussaoui souligne également que « tout le discours politique de légitimation du pouvoir est fondé sur la guerre de libération », si bien que « l'entreprise politique prend des allures et des consonances bellicistes » : « L'effort de développement devient une bataille, et le dévouement dans l'accomplissement d'une tâche, un sacrifice ». Et il ajoute, soulignant combien cette culture de guerre imprègne en profondeur les visions et principes de division du monde social et politique en Algérie : « Au delà de l'Algérie, toute l'histoire de l'islam est une histoire de guerres, l'école se chargera de la faire découvrir. Sommée de (ré)apprendre son patrimoine culturel, pour parfaire son indépendance politique, la jeunesse algérienne découvrira un patrimoine arabe où la guerre figure en bonne place. Elle a ses règles et même son esthétique. Hassan Al Banna, le fondateur (en Égypte) et le guide suprême des Frères musulmans, en bon théoricien de la guerre sainte, n'a pas manqué de nous léguer sa conception en la matière dans deux écrits, aux titres éminemment évocateurs: «sinâ'at al mawt» (l'industrie de la mort) et «fann al mawt» (l'art de la mort) »913(*). Aussi Benjamin Stora estimait-il qu'il n'y avait pas lieu de s'étonner que « la perpétuation de la culture de guerre [ait] fini par générer des automatismes redoutables auprès d'une partie de la jeune génération. On ne peut pas impunément enseigner que le principe de la lutte armée est central de l'édification de la nation, et s'étonner ensuite de sa reprise dans la réalité »914(*). A cet égard, Gilbert Grandguillaume estimait en 1997 que « le massacre de 30.000 à 60.000 harkis, pendant l'été 1962, après l'indépendance, fournit certainement un arrière-plan à beaucoup de cruautés d'aujourd'hui. Reste dans tous les cas un manque de respect pour la vie assez stupéfiant. (...) La violence existe en Algérie à tous les échelons de la vie [et] (...) il n'y a pas de lieu de médiation qui puisse régler un conflit. (...) La violence apparaît souvent comme le seul recours ». « Cette violence, ajoute-t-il, pose la question de l'identité algérienne. (...) L'identité naissante a été forgée dans une optique de guerre, de manipulation à des fins de résistance. La mafia politico-militaire qui a pris le pouvoir en 1962 a ensuite recouru à l'Islam et à la langue arabe. Mais il n'y avait rien de spécifiquement algérien dans ces deux cadres de référence. Et ils ont encore une fois été utilisés en négatif, contre l'héritage français et finalement contre le peuple qui portait un héritage métissé »915(*).

Aussi, pour Fouad Soufi, si « certains traits, devenus symptômes, sont propres à l'espace algérien et à son impasse [symbolique] actuelle », nul doute que le caractère obsessionnel de l'instrumentation à des fins polémiques d'irrévérences telles que « parti de la France » ou « nouveaux harkis » ne trahisse le rôle outré imparti à la manipulation de la mémoire, à la fois « instrument et objectif de puissance »916(*). « Depuis 1962, souligne Guy Pervillé, et surtout depuis le début des années 1970, les autorités algériennes ont organisé et encouragé une commémoration systématique et obsessionnelle de la Guerre de libération (...). Elles ont ainsi perpétué une culture de guerre exaltant la rupture violente avec la France, qui faisait douter que la guerre d'Algérie était finie, et qui donnait l'impression d'un double langage contradictoire, entre un discours à usage externe prônant la coopération avec le partenaire français, et un discours interne dénonçant l'ennemi séculaire du peuple algérien et ses partisans »917(*). A cet égard, la mise en cause progressive du principe du parti unique au fil des années 1980 (« Printemps berbère », premiers maquis islamistes, émeutes d'octobre 1988) puis son abandon définitif en 1989 - corrélatif de l'épuisement du cadre référentiel d'inspiration socialiste/tiers-mondiste qui lui était associé - ne changera pas la donne918(*) : la composante proprement nationaliste et chauvine du populisme algérien en sort même renforcée.

En témoigne la réactualisation progressive par les élites et leaders d'opinion algériens - à compter des années 1990 - d'équations langagières illocutoires à fort accent "patriotique" (voir ci-dessous la section A.2), sur le modèle de la double équation langagière en cours pendant la (première) guerre d'Algérie et sous-tendant l'amalgame avec la période de l'Occupation en France : « moudjahidin = résistants » versus « harkis = collaborateurs »919(*). Dans une période où le rôle de « guide idéologique » originellement dévolu à l'ex-parti unique n'est plus constitutionnellement reconnu, cet amalgame est d'abord un moyen de pression et de conformation internes qui vise à couvrir d'indignité ceux qui n'ont pas pris part à l'insurrection, donc de verrouiller l'accès aux responsabilités politiques et aux ressources économiques921(*). Exemple éclairant : il existe en Algérie, depuis la réforme constitutionnelle de 1996, des dispositions (article 73) visant à rendre inéligibles : 1) les candidats nés avant juillet 1942 qui ne sont pas en mesure de « justifier de leur participation à la révolution du 1er novembre 1954 » ; 2) les candidats nés après juillet 1942 qui ne sont pas en mesure de « justifier de la non implication de leurs parents dans des actes hostiles à la révolution du 1er novembre 1954 ». Par ailleurs, un avant-projet de loi élaboré par le ministère de l'Agriculture en 2002 visait à réserver l'attribution des exploitations appartenant à l'État (sous forme d'un droit de concession renouvelable d'une durée de 90 années) aux seules « personnes physiques de nationalité algérienne n'ayant pas adopté une attitude indigne pendant la Révolution »922(*).

L'amalgame avec la période de l'Occupation en France est aussi un moyen de pression/culpabilisation à usage externe dont ne se privent pas d'user les dirigeants algériens à l'égard de l'ancien colonisateur. Les déclarations, déjà citées, d'Abdelaziz Bouteflika lors de sa visite d'Etat en France en juin 2000 l'illustrent parfaitement. Déjà, dans son édition du 31 octobre 1993, le journal indépendant El Watan, répercutant "l'information" faisant état de la présence d'enfants de harkis dans les groupes islamistes armés (voir la section A.2 ci-dessous), et ayant établi des listes de « traîtres » présumés ayant partie liée avec les GIA, concluait : « Au moment où les traîtres sont jugés un peu partout dans le monde pour leur collaboration avec l'ennemi - le cas de Thouvet (sic) en France par exemple - l'Algérie se retrouve déchirée par ceux-là mêmes qu'elle a amnistiés au lendemain de son indépendance malgré leur forfaiture et leur lâcheté durant la guerre de libération »923(*).

Dans ce contexte, la figure du harki n'a jamais été un objet de remembrance comme les autres en Algérie : elle n'a eu d'usage qu'instrumental, que totémique. L'efficace émotionnelle de telles mises en perspective semble devoir décourager à l'avance toute approche fine et heuristique des stratégies d'acteurs. Au fond, le harki figure en Algérie cet « ennemi intérieur » que nul ne connaît vraiment mais que tous haïssent d'évidence, et dont John Crowley nous dit que « loin de préexister à sa désignation, [il] est engendré en étant nommé »924(*). Ici comme ailleurs, donc, « la désignation de l'ennemi intérieur met en scène sa reconnaissance tout en l'interdisant »925(*). Car cette "reconnaissance" là s'oppose point par point à une reconnaissance intime ou socio-biographique susceptible de véhiculer des éléments de compréhension ou d'offrir prise à l'identification : il n'est ici nullement question d'un examen critique de la trajectoire des anciens harkis et de leurs familles ; et moins encore d'un examen des limites intrinsèques ou des résistances auxquelles s'est heurtée le FLN dans sa lutte de « libération nationale ». La diversité des positionnements au cours de la guerre d'Algérie est réduite à une opposition manichéenne entre une masse héroïque et unanime (« Un seul héros, le Peuple ») et ces exceptions haïssables que sont les harkis. Deux visions mensongères et interdépendantes dans le mensonge.

A l'articulation des conditions historiques et des ressorts normatifs de fondation puis de perpétuation du nouvel ordre politique algérien, les usages de la figure du harki naviguent ainsi, en Algérie, entre les écueils normativement contradictoires de l'évocation et de la symbolisation, témoignant de l'importance de la dimension narrative de l'identité collective. À la fois "figure-totem", emblématique de cette forme insidieuse de l'altérité qu'est la « trahison » et dont l'omniprésence calculée rappelle la menace qui pèse sur l'unité nationale (et la nécessité corrélative d'un pouvoir fort), et "figure taboue" dont il s'agit de faire oublier qu'elle fut l'une des composantes majeures du "Nous" (et de nier l'historicité dans une Algérie nouvelle que l'on eût voulue pareille à une table rase), la figure du harki dessine une geste foncièrement ambivalente, susceptible tant de servir que de desservir les desseins de l'imagerie officielle. D'où l'entre-deux paradoxal d'une propagande d'État sommée de faire en sorte que la figure du harki ne soit pas considérée comme étant « des nôtres » (comme étant une autre figure du "Nous") tout en accréditant l'idée qu'elle « nous » menace spécifiquement. Dans cette optique, tout l'effort de la propagande d'État doit tendre à rendre la figure du harki à la fois méconnaissable (sociologiquement altère) et reconnaissable (idéologiquement familière). La figure incarnée du harki est ignorée pour être hypostasiée en une représentation socialement générique de l'ennemi intérieur926(*). Les trajectoires vécues des supplétifs de l'armée française sont bannies hors du cadre d'appréhension et de compréhension de l'Algérie nouvelle, pour être uniment réduites à quelque résidu, à quelque aberration redevables du glacis colonial, parenthèse dont on s'interdit par principe d'apprécier la résonance (pour ne pas dire les apports). La figure du harki ne doit en aucune façon être une figure d'évocation dont la trame servirait l'analyse de la complexité algérienne : elle est La figure d'excommunication par excellence. Ce dont témoigne, par exemple, cet extrait du manuel de 9ème (l'équivalent de la 3ème en France) : « Des groupes de personnes ont préféré se vendre à l'ennemi et combattre leurs propres frères, déjà lors des premières révoltes au XIXème siècle, en échange d'argent, de biens, de titres. Ces groupes de harkas ont été responsables des pires répressions contre les civils algériens, ce sont eux qui ont été chargés de brûler les villages, des interrogatoires, de la torture et des assassinats, soit de la sale besogne de l'armée française »927(*). Mais plus encore cet échange entre Benjamin Stora et Mohammedi Saïd, ancien membre de l'Abwehr et responsable direct du massacre de Melouza, dans un entretien pour Les années algériennes au début des années 1990 :

« Mohammedi Saïd - Le harki, c'est l'homme indigne de vivre, d'exister. (...) Ce sont des traîtres qui massacraient tous les jours des dizaines et des dizaines (...).

Vous n'avez jamais pensé que les harkis aussi étaient des victimes de l'armée française ? (sic)

Mohammedi Saïd - Tant pis pour eux, ils l'ont voulu, ils l'ont voulu. Ils l'ont voulu... Qu'est-ce qui les a poussés à aller dans l'armée française ?... Qui ? Qui les a obligés à aller dans l'armée française ? Pourquoi aller dans l'armée française ? L'armée française vous demande de rentrer... bon... Je n'y vais pas tuer, moi. Je meurs. Je préfère mourir que d'aller faire la basse besogne !... Des massacreurs de civils, de femmes, d'enfants, de vieillards !... De viols !... Ils méritent la mort. Aujourd'hui, ils méritent la mort »928(*).

En fait, ainsi que le souligne Mohand Hamoumou, « ce que l'Algérie officielle ne veut surtout pas reconnaître c'est pourquoi des musulmans sont devenus harkis »929(*). Du reste, la discipline historique n'a jamais bénéficié que d'une autonomie relative en Algérie, où elle fait l'objet d'une étroite surveillance. Selon Hassan Remaoun, de l'Université d'Oran, la mise sur pied au début de la décennie 1970 par les autorités politiques d'un dispositif institutionnel orienté vers la recherche historique ne visait en fait qu'à mettre « l'histoire sous surveillance » et « a eu pour effet une instrumentalisation-marginalisation de la pratique historiographique académique »930(*). Et il ajoute : « Avec le parti FLN, l'Organisation des moudjahidines avait [au moins jusqu'en octobre 1988] un véritable droit de regard sur tout ce qui concerne de près ou de loin la Guerre de libération nationale ». En conséquence, poursuit-il, « les approches dominantes de la production historiographique sont trop marquées par la tentation apologétique et les corollaires implicites que sont l'occultation et la déformation ». « En réalité, conclut-il, le rôle éminemment fondateur assigné à cette guerre quant à l'émergence de l'Etat national n'est pas fait pour affranchir le travail historique des enjeux institutionnels du présent »931(*).

Benjamin Stora, soucieux de sérier la place et les limites du savoir académique dans l'Algérie post-coloniale, distingue à cet égard trois grandes périodes, marquées par une autonomisation progressive quoique relative de cette sphère932(*). Durant les années 1960, « l'urgence n'est pas à la production d'un savoir académique ou de récits d'histoire ». Les quelques rares ouvrages historiques sont « marqués de surcroît par une forte idéologie tiers-mondiste » : ainsi en va-t-il de Mohammed Cherif Salhi (Décoloniser l'histoire, 1965), dont la prose est avant tout une virulente dénonciation de la «science coloniale» », ou encore de Mostefa Lacheraf (Algérie. Nation et société, 1965), qui « se désigne comme appartenant à une nation dont le système colonial a voulu nier l'existence » et qui « entend accéder à l'objectivité par le biais de l'engagement ». Les années 1970, sous l'ère Boumediene, ne se distinguent en rien de la décennie précédente, si ce n'est par la publication - en France933(*) - des premiers travaux de Mohammed Harbi, qui « prend le contre-pied des récits unanimistes ou épiques » et « inaugure une autre conception de l'écriture nationaliste de l'histoire ». Les années 1990, enfin, sont marquées par un "dégel" relatif, avec l'apparition de nouvelles questions (la mythologie nationale, la circulation des mémoires et la fabrication de l'histoire officielle à travers les manuels scolaires) et de nouveaux historiens (Benjamin Stora cite notamment Daho Djerbal de l'université d'Alger, et Hassan Remaoun de l'université d'Oran). Cependant, et ce constat est central dans l'optique qui est la nôtre, Benjamin Stora souligne qu' « il reste force tabous sur cette guerre du côté algérien, et parmi eux, majeure, la question de la figure de l'Autre : l'Européen d'Algérie, le Pied-noir, le Juif d'Algérie, mais également les Harkis ». Constat plus pessimiste encore du côté de Mohammed Harbi, dans un entretien au journal El Watan, en mai 2001 : « Est-ce un problème d'absence de volonté politique ? De désintérêt des historiens algériens ? Il n'y a pas de champ intellectuel en Algérie. L'existence d'un tel champ suppose une totale liberté d'expression, un climat propice à l'échange et au débat en dehors de toute intervention de l'État. Il y a quand même une nouvelle génération d'historiens et de chercheurs. Je ne la connais pas bien. Ce que je sais des sujets de mémoire et de thèse déposés en histoire n'incite pas beaucoup à l'optimisme. Les Algériens sont passionnés par l'histoire mais leur demande est essentiellement prise en charge par les journalistes »934(*). Cependant, pour critique que soit le regard porté par Mohammed Harbi sur l'historiographie algérienne, sa manière de faire n'en demeure pas moins, à certains égards (et comme l'a souligné Benjamin Stora), « une autre conception de l'écriture nationaliste de l'histoire »935(*). A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler qu'outre ses responsabilités successives au sein de la Fédération de France du FLN puis du GPRA, Mohammed Harbi a été l'un des rédacteurs du Programme de Tripoli. Cela transparaît notamment s'agissant des limites qu'il pose à « la réévaluation de la question des harkis » : « Nous devons procéder à la réévaluation de la question des harkis. C'est une question complexe. Nous avons intérêt à examiner de plus près les motifs de l'engagement dans le camp français. Nous n'avons aucune raison de traiter ceux qui se sont comportés en mercenaires de la même manière que ceux qui ont été victimes de la conjoncture. Il y a de vrais criminels de guerre parmi les harkis, à l'instar de ceux du commando George. Le fait que des membres de l'armée de libération se soit mal comportés ne justifie pas l'appui au camp adverse. Il y avait une cause nationale à défendre »936(*).

Par ailleurs, Benjamin Stora souligne combien, à côté du travail des historiens proprement dits, « les écrivains algériens ont contribué par leurs écrits à la constitution d'un imaginaire, d'une connaissance et d'un savoir. Et les historiens auraient bien tort de se désintéresser de cette production littéraire, car elle est un outil particulièrement précieux pour pénétrer au coeur de la société algérienne et tenter d'en saisir les mythologies, les mentalités et les représentations »937(*). Dans l'ensemble, la production littéraire a joué un rôle de confortation/conformation des représentations consacrées plutôt qu'elle n'a contribué à "dépayser" le regard porté sur les harkis. Bouba Mohammedi Tabti en donne un bon aperçu dans sa thèse intitulée Espace algérien et réalisme romanesque des années 80, soutenue en 2001938(*). Dans La Mue, roman publié en 1985, Khélifa Benamara oppose les motivations du harki à celles du djoundi, et « le combat - souligne Bouba Mohammedi Tabti - prend l'allure épique du Bien et du mal ». Le narrateur évoque « les hordes de harkas (...) qui connaissaient aussi bien que les maquisards les sentiers de montagne », mais - note Bouba Mohammedi Tabti - « ils n'ont que ce point de commun avec les maquisards dont les distinguent leurs qualifications toutes négatives »939(*). S'agissant des romans de Chabane Ouahioune, Bouba Mohammedi Tabti relève que « selon le côté où ils se situent, ceux qui se battent ne sont pas désignés de la même façon : «djoundi» n'est pas seulement la traduction du français «soldat» ; il s'ajoute au terme des connotations valorisantes : au sème «combattant» se superpose l'idée de la justesse de la cause (quand le terme «harki» comprend toujours le sème trahison, «soldat» étant de valeur variable) »940(*). Enfin, dans Tombéza (Paris, Laffont, 1984), Rachid Mimouni, s'attachant à décrire le microcosme d'un village de regroupement pendant la guerre d'Algérie, joue du contraste entre les villageois, chez qui « le désir de vivre l'emporte sur toutes les humiliations » (Mimouni, p.133), et la brigade de harkis, dépeinte par lui comme une « concentration de dépravés, de sadiques, de vicieux, de pervers, de tarés, de névrosés, de vrais dingues, de brutes à l'état pur » (Mimouni, p.135). Cependant, Bouba Mohammedi Tabti souligne que Mimouni n'établit pas de hiérarchie entre « les "exploits" des harkis en amont et la revanche de leurs victimes en aval », entre avant et après le cessez-le-feu, puisque « aux brimades, aux tortures, aux viols, ont succédé les mêmes tortures, les castrations »941(*).

Via l'incrimination récurrente de la figure du harki, c'est à la vertu "intégrative" des conflits ou des menaces imaginaires, telle que décrite par Norbert Elias et John L. Scotson942(*), que l'on en appelle. De fait, de même que, dans une certaine mesure, « l'ennemi intérieur est engendré en étant nommé »943(*), symétriquement, l' « unicité » et la « cohérence » d'un corps social donné n'apparaissent comme des évidences que par contraste avec l' « extériorité absolue de l'ennemi intérieur »944(*). En somme, le registre de la « naturalité » sur lequel se décline la thématique de l'ennemi intérieur vaut également, quoique sur la base d'une valorisation symétrique, pour l'appréhension du corps social dans son entier : la désignation d'un ennemi intérieur « naturel » est aussi, et surtout, réaffirmation par contraste d'une communauté d'appartenance « naturelle ». Les deux désignations sont donc interdépendantes. Il appartient dès lors à l'observateur extérieur de déconstruire ces idéologies et de montrer en quoi cette « naturalité » est, selon les cas, en tout ou partie « imaginée »945(*), « manipulée », « hypostasiée ».

Ainsi, le mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN depuis le 1er novembre 1954 jusqu'à l'indépendance, soit le mythe d'une nation « conscientisée » dans et par la praxis révolutionnaire, est le dernier des grands mythes fondateurs à même de justifier la prédominance du militaire sur le politique en Algérie. La visée en est clairement "anthropomorphiste" puisqu'il s'agit - autant que possible - de faire réagir la société comme un seul homme. C'est pourquoi il importe aux autorités algériennes d'occulter l'historicité réelle du rapport des forces au sein de la composante musulmane de la population algérienne, composante dont le FLN revendiquait l'exclusivité de la représentation.

Mais la subjugation des foules n'est pas un processus univoque, purement instrumental. Ces mythes font l'objet d'une réappropriation par les gens ordinaires qui, sans être nécessairement dupes des fabulations proposées, peuvent aisément mesurer l'avantage qu'il y a à participer de la grâce collective dont le mythe revêt la communauté dans son ensemble. Ainsi en va-t-il, par exemple, du mythe « résistancialiste » en France946(*). Mais, symétriquement, et tout aussi aisément, les individus peuvent mesurer ce qu'il leur en coûterait de faire valoir leur singularité, particulièrement dans le cadre d'une société fermée - et l'Algérie des années 1960-1970 est incontestablement une société fermée, au sens où l'entend Karl Popper947(*) - où toute voix contraire est assimilée à une forme de dissidence. De ce point de vue, l'adhésion des gens ordinaires à une logique paranoïde de désignation de l'ennemi intérieur aux lendemains immédiats de la guerre d'Algérie, aussi bien que leur implication à quelque degré dans les violences politiques corrélatives (à commencer par les représailles massives à l'encontre des anciens harkis, dont on a pu dire qu'elles étaient pour partie - mais pour partie seulement - le fait des "combattants de la 25ème heure"), doivent aussi être interprétées comme étant la marque d'une réaction à caractère "défensif" : le rôle de la peur - la peur d'être à son tour désigné comme bouc émissaire - ne peut être négligé pour expliquer le comportement des individus. Au sortir de la guerre d'Algérie, dans un contexte "fluide" où, en l'absence d'Etat de droit solidement établi, nulle médiation ne venait s'opposer à l'arbitraire des détenteurs de la force, les Algériens ont pu être amenés à adhérer - en apparence du moins948(*) - à une idéologie qui désignait comme "amis" ceux qui y souscrivaient et comme "ennemis" ceux qui s'en défiaient ou restaient indifférents.

Ainsi, dans le contexte de l'Algérie post-coloniale, l'instrumentation de la notion de "trahison" par le parti-Etat FLN - dont la vocation est clairement hégémonique949(*) - vise moins à frapper d'anathème le comportement des anciens harkis eux-mêmes qu'à frapper d'interdit toute velléité d'opposition ou d'adversité, autrement dit, à édifier les observateurs sociaux sur ce qu'il pourrait leur en coûter de ne pas souscrire au mythe unanimiste. Les figures d'excommunication - telle la figure du harki en Algérie - sont donc des "catalyseurs à l'envers" qui jouent sur la fonction cohésive des peurs (l'image du traître est par définition plus détestable que celle de l'opposant, et le sort qui lui est promis plus effroyable), donc sur la volonté des gens ordinaires de se dédouaner d'une menace dont chacun pressent qu'elle peut se retourner contre soi.

Mais, parce qu'elle joue sur les vertus cohésives de la peur, cette rhétorique obsidionale est aussi un vecteur de fragilité à plus long terme. Car, comme le souligne Omar Carlier950(*), si la violence - comme stratégie de rupture avec l'ordre colonial et comme stratégie d'accès au pouvoir d'une minorité agissante - a été "fondatrice", accompagnant l'essor de la révolution, puis la construction d'un Etat militaro-populiste, à plus long terme cependant, cette forme de socialisation politique unanimiste et martiale - en instaurant la désignation de "l'ennemi intérieur" comme contrechamp de l'harmonie sociale, donc en ramenant l'idée d'opposition à celle de sédition - condamne le corps social à user par privilège de la violence comme mode de règlement des conflits, qu'il s'agisse d'exercer l'autorité (puisqu'on ne transige pas avec les « traîtres ») ou de la contester (puisqu'il n'y a d'autre alternative, dans un contexte artificiellement unanimiste, que de se soumettre ou de se rebeller). D'après Luis Martinez, l'idée que la guerre est un moyen légitime de sélection du personnel politique avait quasiment valeur de sens commun en 1997 en Algérie, imprégnant les représentations des gens ordinaires, quel que soit le bord où ils se situaient. Il écrit ainsi,  à propos des électeurs islamistes en milieu rural : « Les efforts de différenciation idéologique menés par les protagonistes ont peu d'effets. Le «choc culturel» entre islamistes et nationalistes est ramené à une lutte banale pour le pouvoir. Cette perception du conflit se fonde sur celle d'une profonde proximité des adversaires en présence ; c'est parce qu'ils aspirent aux mêmes fonctions et ont des désirs communs qu'ils s'entretuent : moudjahidin et militaires sont perçus comme appartenant à une même catégorie, ils font partie de ces hommes qui ont de la «virilité» et de «l'appétit». Ils forment les prétendants naturels à la direction du pouvoir, la guerre ne sert qu'à les sélectionner. Il n'y a aucune contestation possible : le pouvoir se prend par les armes »951(*). Même constat s'agissant des « patriotes » et des membres des « Groupes de légitime défense », ces civils armés par le pouvoir pour combattre les groupes islamistes, pour qui la légitimité sort moins des urnes qu'elle ne se gagne au bout du fusil. Ainsi en va-t-il de Meziane, ancien combattant (petit village, 1994-1995) : « Les islamistes, comme ils disent, ce sont des enfants abandonnés, ils ne savent pas ce que c'est la terre, ils ignorent comment leurs ancêtres l'ont perdue et comment nous, on la leur a rendue. C'est nous les chefs de l'Algérie. Avant nous, les gens vivaient dans les gourbis avec les animaux, mouraient de faim. Mais les jeunes, ils ne savent rien et ils veulent tout, tout de suite, et nous qu'est-ce qu'on devient ? Ils veulent nous jeter comme si on n'était rien : pour eux, on n'est pas des moudjahidin. C'est nous qui avons fait le vrai djihâd et c'est eux qui s'appellent « moudjahid » ! Mais s'ils n'attendent pas leur tour, ils n'auront rien. Ils veulent ce que l'on a, mais il faut le gagner. Eux, parce qu'ils ont voté, ils croient qu'ils peuvent tout nous prendre ! Pour ça il faudra qu'ils nous tuent tous, sinon jamais ils pourront nous commander »952(*).

De fait, ce qui est remarquable aujourd'hui, dans un contexte de violences politiques persistantes, c'est non pas tant la rémanence que la réversibilité de cette culture de guerre, qui a essaimé précisément jusque dans les discours et les pratiques des adversaires déclarés au régime : c'est ainsi que les groupes islamistes armés les plus radicaux réclament moins l'instauration d'un espace public démocratique où ils aient toute leur part que de pouvoir, à leur tour, imposer leur hégémonie sur la scène politique et le corps social algérien. Ainsi, Luis Martinez, nous l'avons dit, a pour « hypothèse centrale » qu' « un imaginaire de la guerre est commun aux protagonistes en Algérie et qu'il contribue à faire de la violence un mode d'accumulation de richesses et de prestige »953(*). Plus loin, encore : « Loin de constituer une rupture, voire une révolution en Algérie, l'émergence des émirs dans la guerre civile actuelle participe de cette image de la guerre comme mode par excellence de l'accès à la richesse et au prestige »954(*). Et la plupart des groupes islamistes armés recourent, pour ce faire, aux meurtres de civils, et parfois aux massacres de masse, comme l'avait fait avant eux le FLN pour asseoir sa domination pendant la guerre dite de libération puis aux lendemains de l'indépendance. Symétriquement, l'Armée nationale populaire (ANP), héritière directe de l'Armée de libération nationale (ALN), après avoir interrompu les élections législatives et dissous le FIS en 1992, refuse depuis lors de réintégrer ses adversaires islamistes dans le jeu démocratique (exception faite de formations présentées comme modérées, tel le MSP - ex-Hamas), ne leur laissant le choix qu'entre la soumission955(*) ou l'éradication. Les civils soupçonnés de complaisance à l'égard des groupes islamistes armés n'ont pas non plus été épargnés par la répression : l'on dénombre ainsi officiellement au moins 7.000 disparus956(*). En outre, selon des témoignages contestés par les autorités, certains massacres collectifs auraient été perpétrés par l'armée et indûment attribués aux islamistes957(*). Quoiqu'il en soit, il est un fait, désormais, que la figure du harki sert aussi bien d'épouvantail aux groupes islamistes armés pour disqualifier les élites en place que d'échappatoire commode à la caste militaire au pouvoir pour expliquer le délitement progressif de l'Algérie post-coloniale : plus que jamais, c'est la figure de l'ennemi intérieur, et non celle de l'opposant, qui régit la dynamique du dissensus en Algérie.

- 2. Entre Charybde et Scylla : une figure décomposée (depuis 1988)

Nous l'avons dit, dans un pays où prévalent les modes démagogiques d'objectivation du politique (notamment ceux fondés sur la violence ou le chantage à la violence), la figure du harki a fait office - et continue de faire office - de bouc émissaire "commode" pour tous les maux qui touchent l'Algérie indépendante. Et Mohamed Benrabah de dénoncer « une classe [politique] qui fait dans le nationalisme de bas étage, dont l'essence même est de voir le complot partout et d'exclure l'Autre. Désormais, il n'y a plus qu'Eux, les véritables «Algériens», et les Autres, moins ou pas algériens du tout, voire des traîtres à la nation »958(*). S'interrogeant sur les origines de cette vision obsidionale du politique, Mohammed Harbi, s'il dit se méfier d' « une vision déterministe qui consisterait à dire : ce qui se passe aujourd'hui, c'est ce qui est arrivé hier », vision qui « évacuerait totalement le rôle et la responsabilité des acteurs », admet cependant qu'« on ne peut pas ne pas s'interroger sur le rapport entre les méthodes employées pendant la guerre de libération et celles qu'utilisent aujourd'hui les islamistes ou l'armée »959(*). Et il ajoute : « Les gens sont conscients que la gestation du pouvoir algérien et de ses pratiques s'est faite au cours de la révolution même. Et que, pour n'avoir pas suffisamment réfléchi sur ce qui est arrivé à l'époque, les mêmes faits ont fini par se reproduire ». Benjamin Stora, s'il rejette lui aussi une notion de « récidive » qui laisserait accroire à une sorte de « malédiction » ou de « fatalité » de la violence en Algérie960(*) (tout en reconnaissant cependant qu'il existe « des tendance lourdes qui se retrouvent d'un conflit à l'autre »961(*), s'agissant notamment de l' « extraordinaire déferlement de violence » dont sont victimes les civils962(*)), note que « les acteurs eux-mêmes vivent dans la répétition » et « ont véhiculé cette idée de la répétition du conflit »963(*). Ce qui témoigne, nous semble-t-il, des effets à long terme sur les imaginaires politiques de la "fabrique" d'une culture de la violence pendant la guerre d'indépendance. Pour sa part, Guy Pervillé préfère d'ailleurs « insister davantage sur les ressemblances que sur les différences » entre les deux guerres d'Algérie, « parce que, dit-il, les premières ne sont pas de simples faux semblants : elles traduisent une réelle continuité, un véritable rapport de cause à effet entre la violence de la «guerre de libération» et celle de la récente guerre civile (ou «guerre contre les civils») » et, en particulier, un « rapport de cause à effet entre le système politique algérien instauré par le FLN et la perpétuation de la violence comme moyen privilégié de traiter les conflits politiques »964(*). Guy Pervillé de préciser : « On peut soutenir (et je ne suis pas le seul à le faire) que l'extrême violence de ce nouveau conflit est explicable par la culture politique algérienne issue de la guerre de libération nationale, et en particulier par la vision de l'histoire nationale et de la guerre de libération qui a été inculquée aux jeunes algériens par l'enseignement public et par la commémoration officielle »965(*). Un constat qu'établissait déjà Mohammed Harbi en 1993, à l'entame de la seconde guerre d'Algérie : « L'idéalisation de la violence requiert un travail de démystification. Parce que ce travail a été frappé d'interdit, que le culte de la violence en soi a été entretenu dans le cadre d'un régime arbitraire, l'Algérie voit resurgir avec l'islamisme les fantômes du passé »966(*).

Et c'est ainsi que l'interruption du processus électoral en décembre 1991, puis le déclenchement de la guerre civile en janvier 1992, n'ont eu pour résultat que d'intensifier et de diversifier les usages politiques de la figure du harki. Déjà les prémices de vacillement de l'État-FLN, à la suite des émeutes d'octobre 1988, avaient revivifié les usages attentatoires de la figure de l' "ennemi intérieur", comme en témoigne la lecture des événements opérée sur le moment par le colonel Amar Benaouda, l'un des 22 chefs historiques de la Révolution : « Durant les événements, certains éléments traîtres, nostalgiques de la période coloniale, se sont glissés dans les rangs des manifestants pour crier le slogan « Vive la France » et brûler les drapeaux algériens. (...) Ils ont tenté d'inciter à la guerre civile sur ordre de la France, qui a cru que c'était une occasion pour revenir »967(*). Depuis lors, l'arène politique, partagée entre "éradicateurs" et "prédicateurs", n'est plus qu'un vaste champ de manoeuvres attentatoires, où la dénonciation des « traîtres » et des « renégats » sert de langage commun d'expression du dissensus. « Paradoxalement, constate Benjamin Stora, c'est au moment où s'épuisent les légitimations du pouvoir algérien par recours à la guerre d'indépendance que s'affirme la nécessité de s'adosser à la tradition du fondement guerrier de la nation. Dans le «camp islamiste» comme dans le «camp démocrate», la volonté de répéter la séquence belliqueuse s'exprime dans le vocabulaire »968(*). Luis Martinez relève ainsi que « sur le plan symbolique, les «émirs» essaient de s'approprier le prestige des figures historiques qui jalonnent l'histoire sociale de l'Algérie : raïs, insurgé, seigneur rural, moudjahid ». Et il ajoute : « Ils puisent dans ces références leur modèle de combattant façonné par la violence et revendiquent la primauté des qualités guerrières sur les compétences religieuses ou politiques. Chérif Gousmi, responsable du GIA en 1994, président de la «commission politique et de la législation religieuse», mentionne dans une interview à la presse les critères du choix des «personnalités dirigeantes» : «Outre certaines qualités de commandement, il faut que la personnalité en question ait pris part au djihâd à travers des opérations militaires et qu'elle ait également tué un nombre suffisant d'ennemis de Dieu» [El Wasat, 29 janvier 1994]. (...) L'institutionnalisation de la violence comme mode d'accès à la direction politique incite par conséquent au crime »969(*). De même, Guy Pervillé observe-t-il qu' « aucune force politique organisée ne peut ni ne veut prendre le risque d'abandonner le patrimoine moral des combattants de la guerre de libération, arme idéologique décisive, à ses concurrents et adversaires »970(*). Dans cette arène, la figure du harki occupe "naturellement" une place de choix, comme le constatait Hocine Aït-Ahmed au cours de la campagne présidentielle de 1999 (avant de choisir de se retirer de la course - selon lui jouée d'avance - à l'investiture) : « Quelle amélioration espérer quand ceux qui prétendent nous gouverner s'acharnent à dresser les Algériens les uns contre les autres alors qu'il est plus que temps de panser nos blessures ? Depuis 7 ans, on a distillé la haine en traitant les uns ou les autres de harkis »971(*).

Ainsi, dans ce pays, la rhétorique de l'ennemi intérieur est à la fois un ferment inépuisable de haine et une ressource opportunément utilisée par les acteurs engagés dans la course au pouvoir pour décrédibiliser leur(s) adversaire(s). Une ressource dont l'usage est réversible et mutuellement contradictoire : à l'assertion grossière formulée par certains hiérarques, selon laquelle les islamistes armés seraient pour beaucoup des enfants de harkis, répond la stigmatisation par la mouvance islamiste et/ou arabisante972(*) de la qualité d'anciens déserteurs de l'armée française (« D.A.F. ») de certains généraux au pouvoir ; chacune des parties étant pour l'autre l'expression de cette "cinquième colonne" qui, au service de l'ex-colonisateur depuis toujours, ne s'est jamais complètement résolue à se défaire de l'uniforme français. Guy Pervillé, qui, dans un ouvrage collectif publié en 1997, avait déjà écrit un chapitre consacré à « la manipulation des mythes du «parti de la France» et des «anciens et nouveaux harkis» comme armes de propagande et de guerre civile »973(*), réaffirme dans un ouvrage publié en 2002 que, par mimétisme avec la première guerre d'Algérie, « chacun des deux protagonistes de la deuxième guerre d'Algérie, prétend se réserver le beau rôle du moudjahid et imposer à son ennemi celui du traître à la patrie ou à l'islam »974(*). Et dans une communication récente, il précise : « Les islamistes armés (...) identifiaient leurs adversaires (partisans de l'interruption des élections par le coup de force civil et militaire de janvier 1992) au «parti de la France» (Hizb França), à des «nouveaux pieds-noirs» ou à des «généraux harkis» (ayant déserté l'armée française avant 1962 pour noyauter l'armée algérienne). [De leur côté,] les adversaires des islamistes (...) dénonçaient les terroristes islamistes comme d'anciens «harkis» ou des fils de harkis désireux de venger leurs pères massacrés en 1962. Accusation formulée notamment par le ministre de l'Intérieur Abderrahmane Méziane le 1er novembre 1994 («des fils de harkis que l'histoire a jugés et condamnés à jamais») »975(*).

Ainsi, d'un côté, les hiérarques du régime et autres partisans du statu quo ont-ils, dès les premiers mois du conflit (et sous l'impulsion notable dudit ministre de l'Intérieur, Abderrahmane Méziane-Chérif), identifié les islamistes armés à « des forces rétrogrades inféodées aux harkis »976(*). La presse, semble-t-il, s'est fait complaisamment l'écho de ces rumeurs, jusque et y compris la presse réputée "indépendante". On peut lire dans l'édition du 31 octobre 1993 du journal El Watan que « c'est dans certaines mosquées de la capitale française et dans d'autres situées dans les concentrations de harkis du sud de la France (Aix-en-Provence par exemple) que le prosélytisme de l'ex-FIS agit le plus »977(*). Puis à la une de l'édition du 6 janvier 1994 : « Assassinat des Croates : encore des harkis ! »978(*). A nouveau, dans son édition du 1er mars 1994, ce même journal présente Djaffar el Afghani, émir du GIA de septembre 1993 à février 1994, comme un fils de harki qui aurait vécu à Nice jusqu'en 1977, de même que l'émir de l'Ouest, Kada Benchiha979(*). Le 28 août 1994, un nouvel article publié dans El Watan donne une liste de personnes interpellées et précise que l'une d'entre elles, « ayant demeuré à Laghouat, fils d'Harki, est toujours recherchée »980(*). Dans une interview donnée - sous couvert d'anonymat - à la revue Politique internationale au printemps 1998, un officier algérien de haut rang (le « général X ») assimilait formellement les membres des Groupes islamistes armés (GIA) à « des enfants de harkis [qui] viennent de France pour tuer des moudjahidin au nom du GIA et [qui] cherchent à venger leurs traîtres de pères »981(*). Et il ajoute : « Ce qui est intéressant, c'est que bien souvent les villages qui soutiennent les GIA sont ceux où habitent encore des harkis, qui ont trahi l'Algérie au profit de la France. Il arrive même que des enfants de harkis tuent d'anciens moudjahidin de la guerre de libération par pure vengeance ». Plus loin, à nouveau : « Nous avons identifié des éléments égyptiens, soudanais, tunisiens, libyens et marocains. Mais la plupart des terroristes étrangers viennent de France. Il s'agit de beurs et d'enfants de harkis devenus citoyens français ». Déjà, au cours de la campagne électorale précédant les élections présidentielles du 16 novembre 1995, le général-candidat Liamine Zéroual, faisant référence aux violences qui meurtrissent encore aujourd'hui l'Algérie (mais sans étayer le moins du monde ses allégations), avait déclaré que « la plupart des criminels et des mercenaires sont des harkis ou des fils de harkis, soutenus et financés par des puissances étrangères, et qui ont choisi la destruction de leur pays »982(*).

Pour Guy Pervillé, « la présence de harkis ou de fils de harkis parmi les islamistes peut être admise provisoirement en tant qu'hypothèse, sous réserve de procéder à un inventaire minutieux des cas individuels et de leur représentativité ; mais elle ne saurait fournir une explication globale de l'apparition de l'islamisme et du terrorisme islamiste en Algérie ». Et il ajoute, prenant à revers la lecture des cartes faites par le « général X » : « D'ailleurs, le premier groupe islamiste armé a été fondé en 1982 par un ancien maquisard de la wilaya IV, Mustapha Bouyali. Les cartes de l'implantation des GIA, héritiers de Bouyali, recouvrement exactement l'ancien territoire de cette wilaya. Ainsi, l'identification des terroristes islamistes aux harkis et fils de harkis détourne l'attention des véritables responsabilités »983(*).

D'un autre côté, la mouvance islamiste radicale accuse les élites en place d'être « des fourbes ou des harkis qui raffolent du pain trempé dans l'humiliation imposée par certains cercles français »984(*). Benjamin Stora note que « les islamistes «rejouent» eux aussi la guerre ancienne en voulant capter son héritage de mémoires. L'éditorial d'El Mounqid, le journal du FIS, en avril 1994, insiste sur la continuité entre les deux séquences (guerre d'indépendance, et période ouverte par l'interruption du processus électoral en janvier 1992) »985(*). Dans une lettre de l'AIS aux «anciens moudjahidin», cette organisation affirme aux intéressés : « Nous ne sommes pas contre vous comme veulent vous faire croire les médias, à la solde du pouvoir, qui sont mus et animés par les communistes, les fils de harkis et caïds. (...) Notre devoir islamique de conseil nous impose de vous ouvrir les yeux sur l'énorme complot qui se trame contre vous, parce que vous êtes le symbole d'une révolution bénie qui représente toujours un exemple aux révoltés contre l'oppression et l'orgueil... Notre djihâd est la suite logique du vôtre. Notre sang qui coule est la continuation du vôtre »986(*). Ainsi, comme le souligne Luis Martinez, « la stratégie de mobilisation du GIA tient aussi à l'utilisation remarquable du sentiment, très vivace en Algérie, d'être persécuté par la communauté internationale. Loin d'enfermer son combat dans le cadre du territoire, il élabore une construction de l'ennemi éminemment efficace : la France, le «juif», l' «apostat» constituent les principaux responsables des malheurs de l'Algérie »987(*). En 1995, l'instance exécutive du FIS à l'étranger n'hésitait d'ailleurs pas à présenter les islamistes armés comme les nouveaux hérauts du tiers-mondisme : « Nous avertissons toutes les associations et personnes qui ont choisi de s'opposer au peuple dans son djihâd contre les forces de spoliation et d'occidentalisation mues par une bande de militaires francomanes. Sachez qu'ils ont misé sur un cheval boiteux car le mouvement de l'histoire est toujours en phase avec les peuples opprimés »988(*).

De même, les tenants de la mouvance arabisante, mouvance conservatrice qui se situe en lisière de la mouvance islamiste radicale, attribuent-ils - tel Si Othmane989(*) - l'origine de la crise en Algérie aux « déserteurs de l'armée française qui gouvernent [ce pays] depuis 1962 », mais encore à « la troisième force «gaullienne» qui gouverne l'Algérie depuis 1962 et [à] son corollaire, la langue française »990(*). Il désigne nommément « les généraux Lamari, Touati et Nezzar », « «collaborateurs» algériens de la France formés dans les écoles de Lacoste et de Gaulle, les SFJA991(*) et l'armée française »992(*). Et il ajoute, à propos de son ouvrage intitulé L'Algérie, l'origine de la crise, publié en 1996 : « Ce livre tente de montrer comment la France a, durant la première guerre d'Algérie (1954/1962), préparé cette masse de collaborateurs de plus de 300.000 hommes afin qu'ils servent, dans l'Algérie indépendante, ses intérêts et maintiennent une présence permanente de la France en Algérie et toute l'Afrique francophone »993(*).

Il n'est pas jusqu'à Benyoucef Ben Khedda, dernier président en exercice du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), et figure de la mouvance « arabo-islamisante » modérée (il a créé en 1989 un éphémère parti intitulé El Oumma), de reprocher à ses successeurs d'avoir favorisé l'emprise des Algériens francophones sur l'appareil d'État algérien. Et l'intéressé d'assimiler ceux qui ont soutenu le coup de force de janvier 1992 à des « ennemis de la culture arabo-islamique »994(*). Et il ajoute : « des Algériens francophones, et surtout francophiles, occupent des postes-clefs dans les secteurs stratégiques de l'État. C'est une minorité qui cherche à défendre ses privilèges face au courant islamique majoritaire, à l'image des Pieds-noirs sous la colonisation française »995(*).

Quant à l'esprit de fronde dont se réclament les officiers dissidents du M.A.O.L. (Mouvement Algérien des Officiers Libres), il semble peu à même d'inaugurer une ère de plus grande transparence qui verrait, en même temps que la redéfinition des rapports entre l'institution militaire et les instances politiques, une interrogation lucide du passé. En effet, pour virulents que soient les termes de la polémique, ils participent d'une homologie structurale flagrante (et non d'une rupture épistémologique) avec les canons de la propagande d'État. Ainsi, quoiqu'il préconise « la convocation d'une conférence nationale pour la vérité et la réconciliation [sur le modèle sud-africain ?] » et qu'il considère que « la crise [ouverte en 1992] ne peut trouver une solution par des "semblants" d'accords mais par la recherche de compromis »996(*), le M.A.O.L. n'use, pour fustiger les caciques de l'A.N.P., d'autre registre polémique que celui de la thématique « harkie » : les principaux chefs de l'A.N.P. seraient des « nouveaux harkis » dont l'avènement « reconduit [l'Algérie] à l'heure de l'occupation »997(*), des « généraux harkis » ou des « traîtres harkis » qui ne représentent que « le retour rampant au colonisateur d'hier »998(*) et que l' « on n'ose même pas associer à la race humaine »999(*), ou encore « des harkis algériens [qui] ont utilisé la solution finale contre de braves Algériens, hommes et femmes »1000(*). Usant des mêmes schèmes attentatoires que les caciques de l'A.N.P. (« parti de la France », « anciens et nouveaux harkis », etc.), mais aux dépends de ces derniers, les officiers du M.A.O.L. considèrent qu'il n'est besoin, pour discerner l'origine des maux dont souffre actuellement l'Algérie, que de scruter l'horizon outre-Méditerranée tout en jetant un oeil dans le "rétroviseur" : « Actuellement, à tous les niveaux sensibles du commandement de l'armée nationale populaire, on retrouve obligatoirement un ou plusieurs militaires français qui dirigent et guident les généraux sur le sentier de la trahison, comme le faisaient d'ailleurs leurs pères trente-cinq ans auparavant »1001(*).

De même, quoiqu'en des termes moins virulents, l'auteur de La sale guerre Habib Souaïdia - pourtant réfugié en France - pointe lui aussi la main de l'étranger (et de la France en particulier) dans les malheurs actuels de l'Algérie. L'ancien officier des forces spéciales de l'ANP croit savoir pourquoi les élites militaires de son pays s'y comportent en « assassins » et en « mafieux » : « Les responsables [du drame de l'Algérie], ce sont les généraux à la tête de notre Armée nationale populaire, qui ont toujours violé sa devise : «La nation : devoir et sacrifice». Plusieurs d'entre eux sont des ex-officiers de l'armée française, qui n'ont déserté que dans les derniers mois de la guerre de libération et qui n'ont apporté à l'armée et à l'Algérie que la destruction et le malheur »1002(*). Et il ajoute : « La France les a toujours aidés discrètement, en leur vendant des armes, en formant des éléments du DRS, sans parler du blanchiment des centaines de millions de dollars détournés par les généraux avec la complicité de banques françaises (mais aussi suisses et autres). Il faut dire que les liens avec la France des généraux criminels sont nombreux et anciens. Certains d'entre eux, comme Mohamed Lamari et Fodhil Chérif, ont fait l'école de guerre à Paris. Il n'est pas surprenant qu'ils utilisent les mêmes sales méthodes (tortures, massacres, napalm, manipulations et intoxications en tout genre...) que celle de l'armée française contre le peuple algérien pendant la guerre de libération »1003(*). Il est noter que la publication de ce livre avait amené le général Nezzar à porter plainte en diffamation, en France, contre Habib Souaïdia et son éditeur, démarche dont il avait été débouté au début de l'automne 2002. Dans son livre-plaidoyer, Un procès pour la vérité, l'armée algérienne face à la désinformation (Éditions ANEP, Alger, 2002), Khaled Nezzar justifia sa démarche par son refus de « continuer à subir les accusations et les anathèmes à partir du territoire français sans oser apparaître là-bas pour aller une bonne fois pour toutes au fond des choses », tout en regrettant de ne pouvoir « tenir un procès en Algérie contre Souaïdia pour éviter de prêter le flanc aux gardiens vigilants du dogme, ces faux dévots de la révolution pure et dure qui, quarante ans après, débusquent le harki derrière chaque buisson ». Du reste, le "contre-feu" véhiculé par certains médias algériens consistera simplement - sous caution "d'expertise" clinique - à renverser les termes de l'accusation en assimilant à son tour Habib Souaïdia à un « fils de harki ». Une dépêche d'Algérie Presse Service en date du 25 février 2002 rapporte ainsi que « le journal Horizons [qui entend « s'inscrire résolument dans une ligne qui oeuvre à la pérennité de la République et de l'Etat algérien »1004(*)] est allé interroger un psychologue qui déclare que Habib Souaïdia a une personnalité «tourmentée» et souffre d'un «trouble de la généalogie», car paraît-il fils de harki, héritant de la "tare du père», c'est-à-dire de «la transgression des règles tacites de la communauté d'appartenance» et donc de «la culpabilité qui en découle» »1005(*).

Dans tous les cas, la clé de voûte de ces « étiquettes infamantes, employées comme des armes polémiques et sans souci de la vérité historique »1006(*), est la dénonciation du « parti de la France » (Hizb França). Autrement dit, cette idée déjà évoquée, et si largement ancrée et partagée, que les ruptures politiques en Algérie ne peuvent être le fruit de contradictions internes à la société algérienne, mais nécessairement la résultante d'un complot ourdi de l'extérieur : (1) cette idée, donc, s'agissant des cercles dirigeants en Algérie, que toute remise en cause fondamentale du système politique tel qu'il a été configuré en 1962 et qui ne serait pas la résultante d'une réforme impulsée par le pouvoir lui-même1007(*) doit être "naturellement" considérée non comme le fruit du jeu normal des institutions démocratiques mais comme un acte de guerre. Et traitée en conséquence1008(*) ; et (2) s'agissant de la mouvance islamiste, qui entend non pas se poser contre mais mener à son terme la guerre de "libération" entreprise en 1954 (les intéressés se décrivent d'ailleurs comme les « nouveaux moudjahidin »), cette idée que les impasses du système politique en place ne peuvent être des impasses proprement algériennes, liées notamment à la politique de "table rase" opérée par rapport à la période coloniale, mais, à l'inverse, l'indice de ce que les élites en place seraient encore profondément inféodées à la culture occidentale et au « parti de la France ». Ali Benhadj, ancien leader du FIS et lui-même fils de moudjahid (aujourd'hui libéré mais sous le coup d'une interdiction d'exercer toute activité politique) : « Si mon père et ses frères ont expulsé physiquement la France oppressive de l'Algérie, moi, je me consacre avec mes frères, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement, et à en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait vénéneux »1009(*).

Ainsi, comme le souligne Henry Rousso, « la position que l'on a par rapport à la France est l'un des éléments cruciaux du débat politique en Algérie »1010(*). Nous l'avons vu, ces cadres de pensée, qui découlent du dogme de l'Unité, donc de l'exclusivisme politique, identitaire et confessionnel du FLN/ALN pendant la guerre de « libération », ne sont ni nouveaux ni spécifiques de l'affrontement entre le pouvoir et les islamistes armés puisque ces mêmes qualificatifs avaient précédemment servi - en dépit de l'incommensurabilité relative des enjeux - de clefs de lecture des événements survenus en 1980 au cours du « Printemps kabyle ». A cette occasion, en effet, le ministre de l'enseignement supérieur alors en place, Abdelhak Brerhi, dénonça « les harkis qui ont brûlé le drapeau national à Oued Amizour »1011(*). De même, quelques années plus tard, à la suite de la création de la Ligue algérienne des droits de l'homme par des militants du mouvement culturel berbère, en juin 1985, le président Chadli déclara que « le recours à la tromperie sous le couvert des droits de l'homme n'est en fait qu'un prétexte pour la création d'un parti politique servant les intérêts des ennemis de l'Algérie »1012(*). Il ajouta : « D'autres groupes se font les champions du berbérisme et là, je me demande qui est berbère et qui ne l'est pas dans ce pays. Nous rejetons catégoriquement ce terme qui nous a été accolé autrefois. Cette rengaine procède en réalité de mentalités rétrogrades, exacerbées par le colonialisme, au moyen de la politique du «diviser pour régner». L'Algérie est une, et il m'a déjà été donné de dire que je suis un Algérien que l'islam a arabisé. J'y crois et j'en suis fier. (...) L'objectif recherché est donc de tenter de diviser la Nation »1013(*). Signe tangible du caractère structurant de l'antienne de la trahison dans le débat politique algérien, les mêmes schèmes de lecture et d'accusation seront mobilisés par le pouvoir pour rendre compte du Printemps noir (2001), vingt et un ans après le Printemps berbère. D'un président (Chadli Bendjedid) l'autre (Abdelaziz Bouteflika), l'on continue à dénoncer « un complot extérieur et intérieur visant à diviser le peuple algérien » (Abdelaziz Bouteflika, cité par El Moudjahid du 20 juin 2001). C'est également ainsi que sont interprétés les événements aux échelons subalternes puisque, selon l'édition du quotidien Liberté du même jour, « les gendarmes ont même insulté en termes très vulgaires (sic) les citoyens de Tizi-Ouzou : «Ouled França, ouled el harka, makache el amazighia» (fils de la France, fils de harkis, pas de Tamazight) ».

Sans surprise, ces anathèmes participent également des luttes d'influence au sein même du système. Ainsi en va-t-il des accusations lancées par Ali Kafi, qui avait été désigné président du Haut Comité d'État (HCE), conseil exécutif ad hoc mis en place après l'interruption du processus électoral en 1992, à l'encontre du général Khaled Nezzar, aujourd'hui en retraite et alors principal orchestrateur de ladite interruption. Ali Kafi - dont Mohammed Harbi dit qu'il est de « formation arabophone » et qu'il considère l'Algérie comme étant « de formation arabe et musulmane »1014(*) - avait accusé le général Nezzar de conduire un double jeu depuis qu'il avait déserté l'armée française au moment de la guerre d'indépendance : selon Ali Kafi, Nezzar aurait en fait servi à infiltrer l'ALN puis l'ANP pour le compte de la France. Ce genre d'anathèmes, qui visent à expliquer les difficultés actuelles de l'Algérie par la qualité d'anciens déserteurs de l'armée française (« D.A.F. ») d'une grande partie des élites militaires actuelles (dont le chef d'État-major, Mohamed Lamari), ont valeur de sens commun - nous l'avons vu - au sein de la mouvance arabisante/islamisante. Tout aussi intéressante, en l'occurrence, fut la réaction du général Nezzar, au cours d'une conférence de presse expressément convoquée en réponse à ces attaques. De fait, plutôt que d'en souligner le caractère démagogique, Khaled Nezzar s'est ému qu'on ait pu l'assimiler à un « harki », ce qu'il considère être « une grave accusation et une insulte » : « Il [Ali Kafi] a touché à ma dignité en tant que responsable politique et en tant que citoyen. Ali Kafi a voulu dire au peuple algérien qu'un de ses dirigeants était un harki. Ce qui est une grave manipulation » 1015(*). En somme, loin de remettre en cause l'existence d'une "cinquième colonne" pro-française, khaled Nezzar, cautionnant l'idée, se défend simplement d'y être lié.

Plus loin dans le temps, Ahmed Rouadjia rappelle que « le président Houari Boumediene n'hésitait pas à dresser les anciens moudjahidin contre les officiers démissionnaires de l'armée française qui pouvaient se montrer irrévérencieux ou récalcitrants, ou à exhumer lui-même leur passé de «collaborateurs» »1016(*). De même, Guy Pervillé rapporte qu'en mars 1988, à l'occasion du 4ème séminaire des Anciens moudjahidin sur l'écriture de l'histoire, trois anciens officiers de l'ALN - dont le colonel Amar Benaouda, déjà cité, qui a notamment pris part aux négociations d'Evian, puis a présidé la commission chargée d'instruire les accusations de prévarication portées à l'encontre d'Abdelaziz Bouteflika au moment où débutait sa courte période de disgrâce (1981-1987) - « ont appelé les «anciens moudjahidin» à se mobiliser contre «l'ennemi séculaire de notre peuple qui, vingt-cinq ans après l'indépendance, n'a pas encore abandonné l'espoir de nous soumettre à nouveau par Algériens interposés», «la France qui ne renoncera jamais à regagner une guerre qu'elle n'a perdu que militairement» (sic), «par l'intermédiaire d'anciens ou de nouveaux harkis, présents dans les rangs de l'Etat», car il existerait encore des Algériens «profondément français dans leur tête» »1017(*).

Plus récemment, au cours de la campagne présidentielle de 2004, le député FLN pro-Bouteflika, Abdelwahid Bouabdallah, soucieux de décrédibiliser Ali Benflis, secrétaire général de ce même parti et "concurrent" d'Abdelaziz Bouteflika dans la course à l'investiture suprême, avait affirmé au journal El Youm avoir identifié au comité central du FLN, du fait de la gestion d'Ali Benflis, des « fils de harki et de caïd ». Quant au chef du petit parti ultranationaliste "Ahd-54", Ali Fawzi Rebaïne, membre Fondateur de l'Association des fils et fille de Chahid de la wilaya d'Alger, il prônait, durant cette même campagne, le « retour aux sources » de la guerre d'Algérie et la chasse aux « traîtres » et aux « corrompus », appelant à « sanctionner les harkis ou fils de harkis ayant accédé au pouvoir depuis 1962 », mais encore à « débusquer et chasser les harkis «squattant» des postes de responsabilité au sein des institutions », martelant qu' « aucun harki ou fils de harki ne peut en aucun cas avoir droit à des postes de responsabilité sensibles au niveau de l'État »1018(*).

A ces intrigues touchant les élites politiques nationales, il faut ajouter les luttes d'influences locales, à des niveaux parfois très subalternes du système politico-administratif. Le cas d'espèce rapporté ci-dessous est illustratif de cette imprégnation des jeux d'influence, à quelque niveau que ce soit, par les usages de la figure de l'ennemi intérieur, mais encore du rôle de "caisse de résonance" joué par la grand presse, y compris celle qui se définit - et est généralement considérée - comme "indépendante" en Algérie. Ainsi, le quotidien El Watan, dans son édition du 9 janvier 2006, se fait le relais d'une campagne de dénigrement prenant des allures de "chasse aux sorcières" à l'encontre de l'un des candidats à la chambre de commerce Seybouse-Annaba. Le ton est inquisiteur et sans appel, comme en témoigne ce long extrait :

« Dans le lot des candidats de la CCI Seybouse-Annaba figure l'ancien président Zekri Brahim. Il avait été limogé de ce poste à la suite de nombreux scandales dont celui de l'établissement de visas au profit de faux commerçants moyennant contrepartie financière. Egalement parce qu'il a été prouvé qu'il s'agit d'un ancien supplétif de l'armée française : Service d'action sociale (SAS) [NDA : entendre "sections administratives spécialisées"] durant la guerre de libération et agent des services de renseignements français en Algérie. Ce qu'indique du reste l'attestation de travail établie et signée le 23 août 1960 par le sinistre lieutenant colonel Gabriel Bigeard (sic). Durant la guerre de libération, Bigeart (sic) était un tortionnaire auteur de nombreux assassinats de moudjahidin dont celui du martyr de la révolution Larbi Ben M'hidi. Ayant qualité d'attaché médico-social, Zekri Brahim assistait les tortionnaires de l'armée française d'occupation (il l'avait lui-même reconnu devant les magistrats lors d'une audience du tribunal correctionnel de Annaba où il s'était présenté en victime de diffamation contre un journaliste). Au lendemain de l'indépendance, il avait réussi à tromper ou à corrompre les différents services chargés des enquêtes d'habilitation. Elu président de l'union des commerçants de Annaba, ce harki noyauta les organisations et associations civiles. Ce qui lui avait permis de côtoyer les responsables locaux et nationaux dont des walis et des ministres. Ce dont il profita pour se faire désigner membre de la direction exécutive de wilaya. Cette situation donna un plus à son arrogance en tout lieu et à tout moment, y compris devant de hautes personnalités de l'Etat lors des visites officielles. « Considérez Monsieur l'ambassadeur que vous avez en moi, président de la CCI Seybouse, un compatriote », avait-il affirmé publiquement, toute honte bue, à un ancien ambassadeur de France en Algérie lors d'une réunion de travail tenue au siège de la CCI Seybouse. La longue investigation du journaliste qu'il avait poursuivi en justice mettra fin à ses agissements. La mission réelle en Algérie de ce triste sire fut ainsi dévoilée à l'opinion publique lors du procès. (...) La présentation par le journaliste au magistrat de la carte d'assurance sociale précisant sa fonction de supplétif SAS durant la guerre de libération, son attestation de travail signée par le Lt colonel Gabriel Bigeard (sic) et la liste des collaborateurs de l'armée française établie par le ministère algérien de la Justice soulignant que Zekri Brahim et son frère Abdallah avaient porté atteinte à la lutte de Libération nationale mirent fin à ses gesticulations. Le journaliste exhiba également deux lettres adressées en 1996 par Mustafa Benmansour (wali de Annaba à l'époque) au ministre de la Défense nationale et au ministère de l'Intérieur. Dans ces deux correspondances, le wali signalait que Zekri Brahim membre de la DEW avait volé des documents confidentiels du cabinet de la wilaya pour les remettre aux services de renseignements d'une puissance étrangère. Entre autres preuves accablantes quant à la collaboration de Zekri Brahim avec l'armée coloniale, le même journaliste présenta la décision du ministère algérien et une correspondance des services de l'APC datée du 13 octobre 2002 de Annaba soulignant toutes deux que Zekri Brahim et son frère Abdallah sont déchus de leurs droits civiques »1019(*).

Ainsi, en Algérie, la figure du harki est une figure de rhétorique dont l'usage - on ne peut plus commun et diffus - revêt à la fois une vertu dilatoire - reliant à des ramifications extérieures les difficultés qui trouvent leur source en interne - et attentatoire, visant à assimiler toute opposition, d'où qu'elle vienne, à une trahison (l'adversaire comme "cinquième colonne"). Cette rémanence et cette réversibilité des usages de la figure du harki montrent combien, dans ce pays, le politique se nourrit, encore et toujours, de « l'illusion de rejouer la guerre de libération »1020(*). Pour autant, nous verrons que s'expriment - par différents canaux - des gestes anticonformistes en Algérie, à la fois s'agissant de la «morale» à tirer de l'histoire de la guerre d'indépendance en général, et des jugements à porter sur les supplétifs musulmans de l'armée française en particulier.

B. Le harki retrouvé ? Les chemins de traverse de la mémoire collective

En dépit de l'instauration - à bien des égards formelle - du multipartisme en 1989, la geste officielle de la guerre de "libération" n'a subi que peu d'inflexions ces dernières années. Et, ainsi que le souligne Guy Pervillé, « le véritable «parti de la France» qui s'exprime de plus en plus ouvertement en présence des journalistes étrangers, n'a pas le droit de s'exprimer légalement. En effet, la Constitution du 23 février 1989, qui a libéralisé le régime politique algérien en reconnaissant les libertés publiques et le droit des citoyens à choisir leurs représentants entre les candidats de plusieurs partis, a interdit par plusieurs de ses articles toute remise en cause des «valeurs de novembre» aussi bien que de l'islam. Et aucune force politique organisée ne peut ni ne veut prendre le risque d'abandonner le patrimoine moral des combattants de la guerre de libération, arme idéologique décisive, à ses concurrents et adversaires. Bien au contraire, elles rivalisent dans une surenchère patriotique de revendications de repentance adressées à la France pour tous les crimes qu'elle a commis en Algérie de 1830 à 1962 »1021(*). De fait, la vision consacrée de la guerre d'indépendance, héritée du parti-Etat FLN, est aussi, d'une certaine manière, une vision "obligée" : il est en effet difficile d'y manquer sans s'exposer aux foudres de la Loi. Ainsi, la Constitution de 1996 (modifiant celle de 1989), actuellement en vigueur en Algérie, énonce toute une série de dispositions visant à sanctionner « les pratiques contraires à la morale islamique et aux valeurs de la Révolution de Novembre » (article 9). Le droit de créer des partis « ne peut être invoqué pour attenter aux valeurs et aux composantes fondamentales de l'identité nationale », et « toute obédience des partis politiques, sous quelle que forme que ce soit, à des intérêts ou parties étrangers, est proscrite » (article 42). L'article 61 énonce que « la trahison, l'espionnage, le passage à l'ennemi (...) sont réprimés avec toute la rigueur de la loi », tandis que l'article 62 « garantit le respect des symboles de la Révolution, la mémoire des chouhada et la dignité de leurs ayants droits et des moudjahidine ». Enfin, et cela a déjà été dit, l'accès à la fonction présidentielle est étroitement verrouillé par l'article 73 qui énonce entre autres conditions que le candidat doit « jouir uniquement de la nationalité algérienne d'origine », « être de confession musulmane », « attester de la nationalité algérienne du conjoint », « justifier de la participation à la Révolution du 1er Novembre 1954 pour les candidats nés avant juillet 1942 » et « justifier de la non implication des parents du candidat né après juillet 1942, dans des actes hostiles à la Révolution du 1er Novembre 1954 »1022(*).

Ce n'est donc pas sans audace que Maître Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la Ligue algérienne des droits de l'homme, déclarait en 2000 dans un article publié par le Jeune Indépendant, en pleine résurgence du débat sur la torture en France, que « la révolution algérienne a également eu sa part d'exactions », précisant que « près de trois mille cadres de l'ALN ont été torturés, puis exécutés dans les maquis dans l'affaire de la «bleuite» [NDA : opération d'intoxication des services spéciaux français] », tandis que « les assassinats de dizaines de milliers de harkis ont eu lieu parce que l'ALN était assurée d'une parfaite impunité »1023(*). Un discours, il faut le noter, qui, désignant explicitement l'ALN, rompt sensiblement avec l'incrimination générique des "marsiens" officiellement en cours en Algérie à cet égard (voir la Partie 1 et la Partie 4). Cependant, quelques années plus tard, et comme s'il était impératif d'atténuer d'une manière ou d'une autre la portée de telles dénonciations, il se défiera publiquement de vouloir établir quelque parallèle que ce soit avec les violences perpétrées par la partie française : « Il est vrai que le FLN a les mains tachées de sang, que des victimes innocentes ont été immolées, mais dans une proportion minime par rapport aux massacres opérés par l'armée française, les milices des colons, l'OAS et les harkis, contre le peuple algérien »1024(*).

Cependant, dans un contexte où la parole publique est en tout ou partie muselée, et s'agissant d'une thématique dont l'abord n'est ni anecdotique ni anodin en Algérie1025(*), l'efficace sociale d'une représentation ne se mesure pas seulement à l'aune de sa propension à être reprise, diffusée et commentée publiquement, mais aussi de sa propension à faire sens pour tout un chacun, intimement. Car la vision officielle, même (apparemment) hégémonique dans l'espace public, ne saurait à elle seule traduire la diversité des représentations véhiculées, de manière plus ou moins souterraine, par les différents segments de l'opinion algérienne à propos de la guerre d'indépendance en général, des anciens harkis en particulier. Valérie-Barbara Rosoux souligne que « l'hégémonie de l'acteur politique qui dépeint l'historiquement correct n'est jamais totale », « la mise en scène officielle du passé ne [pouvant] complètement venir à bout de la transmission discrète mais efficace d'une «mémoire souterraine» »1026(*). « Cette résistance, ajoute-t-elle, varie essentiellement en fonction de trois facteurs, non exclusifs l'un de l'autre : la plus ou moins grande fidélité de l'interprétation officielle de la réalité du passé (1) ; le niveau de correspondance avec les attentes de la population (2) et le degré de légitimité du commémorateur (3) ».

A cet égard (le rapport à l'hégémonie), Jean Leca disait percevoir - dans une intervention faite le 18 mars 2002 dans le cadre d'un colloque organisé par la Fondation pour la Recherche Stratégique - une évolution sensible des formes d'articulation du discours politique ainsi que des registres d'imputabilité, tendant à une autonomisation des sociétés civiles dans les pays du Maghreb, en Algérie en particulier : « Sur le rapport à l'hégémonie, ce qui m'a frappé c'est l'émergence d'une société civile dans les pays du Maghreb au cours des dix dernières années. Dans une certaine mesure, ces sociétés civiles qui adressent à l'État un discours très critique - et c'est d'autant plus vrai en Algérie -, ont pour effet justement d'atténuer ce discours du rapport à l'hégémonie : l'explication française des maux en Algérie commence à s'atténuer par rapport à l'explication interne. Cela construit un discours politique beaucoup plus crédible que celui qu'on avait sur les vingt années qui ont suivi l'indépendance. On retrouve certes les relents «il y a toujours un harki quelque part», «il y a toujours le parti de la France», mais il reste que dans cette société civile d'aujourd'hui, la responsabilité première de la crise est d'abord et avant tout mise sur les élites qui ont géré le pays depuis vingt ans. Donc le rapport à cette hégémonie fantomatique française a tendance à se résorber »1027(*).

En octobre 2004, un sondage CSA-RTL-Le Monde réalisé en Algérie et en France par Hervé Gattegno et Philippe Le Coeur, témoignait semble-t-il d'un tel frémissement de l'opinion algérienne. D'après les résultats de ce sondage, 31% des Algériens (contre 57%) estimaient que « la France a beaucoup apporté à l'Algérie », et 29% (contre 44%) qu' « [elle] s'est mal comportée à l'égard des harkis ». Cependant, ce sondage ne disait rien de ce que les Algériens pensaient de la manière dont l'Algérie s'était comportée à l'égard des harkis. La question - était-ce le fruit du hasard ? - n'avait pas été posée1028(*).

À défaut d'avoir pu mener directement sur place des enquêtes fines, localisées et individualisées (via des entretiens semi-directifs, par exemple), il m'a fallu entreprendre d'approcher ces expressions tierces par une voie indirecte. Outre des obstacles matériels difficilement surmontables pour moi (l'inconnue sécuritaire étant redoublée par l'absence de relais familiaux ou amicaux), on peut légitimement se demander, dans le contexte qui est présentement celui de l'Algérie, si mon statut de "jeune-chercheur-français-venant-enquêter-sur-la-question-des-harkis" n'eût pas été producteur de biais importants. À tout le moins, cela eût certainement contribué à ce que je sois en butte à de fortes résistances de la part de mes interlocuteurs, autant sans doute en raison de la pression du milieu social que de ma propre personne. Le facteur personnel n'en reste pas moins potentiellement important puisque le fait d'être jeune, d'être chercheur et d'être français sont autant d'obstacles potentiels à l'établissement d'une communication directe véritablement libre et sereine sur ces questions. Seule une enquête au long cours sur place eût sans doute permis de vaincre progressivement ces résistances. Ce qui, sans l'appui (et la protection) d'un réseau de connaissances personnelles, n'est pas chose aisée dans l'Algérie des années 1990 et 2000.

Dès lors, à quelles sources s'en remettre pour capter les expressions anticonformistes et/ou souterraines à propos de la guerre d'indépendance (et notamment des harkis) si, par définition, elles sont rétives à s'exprimer publiquement ? Outre certains ouvrages et articles savants, qui peuvent effleurer la question sans en faire leur objet premier, ont été sollicités :

- les forums de discussion qui garantissent l'anonymat (y compris l'invisibilité) de ceux qui s'y expriment, tels les forums qui se sont multipliés ces dernières années sur Internet. Certes, ces forums, s'ils ont l'avantage de libérer la parole des intervenants (de tous les intervenants), sont aussi potentiellement des lieux de manipulation et de provocation. En outre, du fait de la spécificité (et de la relative rareté en Algérie) du média utilisé, à savoir Internet, certains avis ont certainement tendance à être surreprésentés. Dès lors, ce n'est ni la représentativité statistique ni l'exhaustivité qu'il faut ici viser, mais plus modestement l'expression d'une certaine diversité, d'une certaine « altérité » au regard des expressions conformistes ;

- des monographies qui appréhendent l'opinion algérienne - ou, plutôt, les opinions algériennes - de manière très localisée, via des études de terrain au long cours tablant prioritairement sur le recueil de récits de vie. Ces travaux dits qualitatifs, parfois conduits par des familiers des enquêtés, ou qui prennent le temps de le devenir, évitent généralement les biais inhérents aux interviews conduites "en coup de vent" par des intervenants totalement extérieurs (et qui le resteront), à savoir l'expression d'une parole convenue (et ce d'autant plus si le sujet abordé revêt une charge dramatique et/ou polémique) ;

- certaines chroniques journalistiques (de type "contre-enquêtes") qui, bien qu'elles soient elles aussi concernées par les écueils méthodologiques précédemment mentionnés, peuvent, sous certaines conditions (et sous couvert d'anonymat pour les sources), délibérément viser à susciter/relayer les expressions tierces.

? La ventilation des opinions dans quelques forums de discussion

Un débat lancé en mars 2002 sur le « forum du souk » (www.medito.com), dont l'accroche était « Pour ou contre le retour des harkis au bled ? », a suscité de nombreuses réactions, échelonnées sur près d'une année et réparties entre 70 intervenants (Algériens d'Algérie, Algériens de France et Français originaires d'Algérie, enfants d'immigrés ou de harkis). On peut classer ces réactions en trois catégories : 1) ceux qui, dans la droite ligne de la représentation officielle du passé (et en des termes parfois beaucoup plus virulents), se refusent absolument à envisager que les anciens harkis puissent de nouveau fouler le sol algérien ; 2) ceux qui souhaitent tourner la page et seraient prêts à accueillir les anciens harkis sans pour autant cautionner leur engagement ; 3) ceux qui estiment que l'on n'a pas à juger du choix des harkis, choix respectable et, à certains égards, compréhensible. Sans surprise, la première catégorie est la mieux représentée (33 intervenants, soit 47,14% de l'ensemble). La deuxième catégorie, en rupture relative avec la ligne officielle, rassemble près d'un tiers des intervenants (22 personnes, soit 31,43% des intervenants) et la troisième, en rupture totale, un cinquième (15 personnes, soit 21,43% des intervenants). Cet échantillon, certes non représentatif, est donc singulièrement plus contrasté que ce que donne à voir et à entendre l'Algérie officielle. J'ai extrait, catégorie par catégorie, quelques argumentaires types à même d'illustrer la tonalité générale de chacune d'elles.

La catégorie 1, qui rassemblait près de la moitié des avis exprimés sur ce forum de discussion, est totalement en phase avec la geste officielle algérienne. Ce commentaire de "Cherbi", qui compte néanmoins parmi les messages les plus "modérés" (ou les moins injurieux), en rend parfaitement compte : « Quand on a trahi son pays, il faut assumer. Ils ont fait leur choix, alors qu'ils restent «chez eux» entourés de barbelés ».

S'agissant de la catégorie 2, le témoignage de "Makhlouf" illustre cette volonté propre à un certain nombre d'Algériens (ou d'enfants d'immigrés d'Algériens, ce qui est le cas de l'intéressé) de tourner la page du contentieux historique sans pour autant cautionner l'engagement des anciens harkis. Ceux-là rejettent la rhétorique "revancharde", parfois haineuse, ressassée par les autorités. Bien plus, "Makhlouf", conceptualisant ce que d'autres disent parfois de manière plus désordonnée, dépeint les outrances des autorités algériennes à l'égard des anciens harkis comme un exemple archétypique de manipulation de la figure de l' « ennemi intérieur ». Je le cite : « Personnellement, quoique ma famille ait payé un lourd tribut pour l'indépendance de l'Algérie (7 membres de la famille sont morts au djebel), je suis d'avis à ce que la page soit définitivement tournée. La France, la première concernée par le drame algérien, nous lui ouvrons les bras, tous les pays qui étaient en guerre se sont réconciliés une fois la paix retrouvée, pourquoi est-ce que l'Algérie n'oublierait pas l'errement d'une partie de ses fils qui, soit dit en passant, n'ont pas toujours choisi leur camp. Ma famille était FLN, je le répète, mais j'ai aussi fini par apprendre qu'une bonne majorité de harkis a été poussée dans les bras de l'armée française... je passe les détails, mais je ne justifie pas non plus tous les harkis, même si, pour moi, la page doit être tournée pour tous. Nos gouvernements respectifs, depuis 1962, ont tellement diabolisé les autres, nous ont tellement ressassé la haine de l'autre que nous, ses enfants, avons grandi avec cette haine. Nous haïssons tout le monde : harkis, juifs, l'occident entier, mais nous bradons nos richesses à ces mêmes "rejetés". Finalement, il n'y a que le peuple, dupe à merci, qui tombe dans le panneau de nos gouvernants qui nous créent des ennemis... Maintenant que les Français ne sont plus chez nous, on nous crée un "ennemi intérieur". Cette même politique est menée chez nous depuis l'indépendance... Je dirais même avant, car qu'est-ce qui avait poussé la majeure partie des messalistes à devenir des harkis ? Cela n'engage que ma personne, mais j'y crois. Je préfère la réconciliation à la haine, car nos enfants pourraient cultiver cette même haine et la transmettre, comme nos parents nous ont transmis la leur. Vous n'avez qu'à voir le rejet réciproque existant actuellement entre les fils de ceux qu'on appelle les "harkis" et les enfants des autres Algériens, ici en France. Quant à l'Algérie, des policiers de la PAF se comportent très négativement devant les fils de harkis qui viennent visiter le pays de leurs parents (le leur en fait), si bien qu'ils pensent ne plus remettre les pieds dans ce bled ». Et il ajoute, dans un autre message : « Notre génération doit pouvoir tourner la page... Je suis vraiment sincère, je tiens ce langage à tous les niveaux, même si, en passant, je déclenche la foudre des miens... qui parfois me traitent de harki ».

Enfin, le message de "Mylord" traduit ce que peut être l'attitude neutraliste de ceux (catégorie 3), certes largement minoritaires mais représentant tout de même 1 avis exprimé sur 5, qui se refusent à incriminer le choix des anciens harkis et dénient aux autorités algériennes actuelles toute légitimité pour entraver la liberté de circulation des intéressés. Je cite ce message : « Bouteflika n'a rien à dire, ils ont choisi de rester français, ça les regarde. Il ont le droit de se rendre en Algérie ».

Un autre débat, hébergé par Oragora (www.oragora.com), et qui a rassemblé 15 intervenants au cours du mois d'avril 2001, a confirmé cette ventilation des opinions sur la question parmi les Algériens ou Français issus de l'immigration algérienne. Ceux des intervenants - un peu plus de la moitié du total - que l'on peut ranger dans la catégorie 1 ont rejeté toute idée de pardon à l'égard des anciens harkis, voire de leurs enfants, arguant que les intéressés étaient « indignes d'appartenir à la race humaine » car porteurs du « gêne de la trahison », le seul droit pouvant leur être concédé étant « celui de se taire » ("Tarek Ibnouziane"). Toute idée de retour est également rejetée au prétexte que « l'Algérie n'est pas un dépotoir » ("Fierté harrachi"). Ceux des intervenants que l'on peut classer dans la catégorie 2, quoiqu'ils condamnent eux aussi l'attitude des anciens harkis (tout en établissant une distinction entre ceux qui se seraient "mal conduits" et les autres), refusent que cette condamnation englobe leurs enfants et dénoncent les usages politiques de la figure du harki : « On nous endort avec des boucs émissaires, en l'occurrence les harkis » ; « le débat sur les harkis est un faux débat qui veut faire oublier les véritables traîtres d'aujourd'hui qui par leur irresponsabilité et leur avidité ont conduit l'un des pays les plus riches d'Afrique au rang de république bananière, ou plutôt "dattière" » ("D.G.") ; « Je crois qu'il faut arrêter de mettre ce qui se passe en Algérie sur le dos des autres : un jour c'est la faute des harkis, un autre des Kabyles et l'autre de la France... STOP !!! » ("Lilu"). Enfin, une troisième catégorie d'intervenants - le cinquième du panel - se refusent à juger le "choix" des anciens harkis et souhaiteraient que leur soit accordée la possibilité de circuler vers l'Algérie. L'intervention de "Louize" est significative de cet état d'esprit : « Combien de fois ais-je entendu des Tiziens dire que l'Algérie aurait dû rester française ? Revoyez un peu vos discours, sachant qu'aujourd'hui en Algérie, après la concorde civile, certains tueurs ont été "graciés" (je n'appelle pas cela autrement !), ils ont le droit de se promener, de respirer l'air que bon nombre d'Algériens souffrants respirent, de se refaire une vie, et pourtant ils ont tué ! J'aimerais comprendre aussi d'où vient cette haine vis-à-vis des harkis. Je connais des Kabyles qui vivent à Tizi-Ouzou et qui, grâce à leurs cartes d'anciens combattants, vont au Consulat de France demander la nationalité française tout en vivant en Algérie. Et ceci en 2001, alors que les harkis ne vivent plus là-bas depuis des années, ils ne sont pas responsables de la situation actuelle en Algérie (du fait de leur exil, ils n'ont contribué à rien depuis 1962), alors foutez-leur la paix, gardez votre haine, ou remballez là en réfléchissant bien sur qui est votre véritable ennemi aujourd'hui. Et sachez que "Dieu" est plus compatissant vis-à-vis des harkis que vis-à-vis des gens comme certains remplis de haine ».

? Le rapport au passé des gens ordinaires : les sources indirectes (monographies, chroniques journalistiques, essais)

Une étude de Nacéra Aggoun intitulée « L'opinion publique algérienne du Chélif algérois à la veille de l'insurrection de 1954 par les sources orales, ou la version des colonisés »1029(*), étude nourrie par sa thèse alors en cours sur « La résistance algérienne dans le Chélif algérien 1945/1962 » (soutenue en 1996 sous la direction de René Gallissot), confirme l'ambivalence du ressouvenir de la période coloniale en général, des harkis en particulier. L'auteure rapporte ainsi que, dans l'esprit des gens ordinaires, « la colonisation est ambivalente, [à la fois] négative dans la lignée du discours de l'État, ou âge d'or que l'historien peut interpréter comme une nostalgie de la jeunesse à l'échelle de l'individu ». Selon la même étude, l'ambivalence concerne aussi l'image du harki, « traître-collaborateur » ou « victime ». De même, l'historien Guy Pervillé1030(*) - qui était membre du jury lors de la soutenance de thèse de Nacéra Aggoun - rapporte toute une série de témoignages faisant état du décalage entre les représentations des gens ordinaires et la doctrine officielle en Algérie, dont celui de l'ancien maquisard Ali Zamoum qui s'étonne, « plus de trente ans plus tard », d' « [éprouver] la nécessité d'avoir à plaider pour défendre cette cause sacrée pour laquelle des milliers d'hommes et de femmes se sont sacrifiés » à force d'entendre certains de ses congénères dire que « nous aurions été mieux si la France était restée. Actuellement les émigrés sont mieux que nous... »1031(*) ; ainsi en va-t-il également du témoignage d'un ancien policier algérien réfugié en France, Djilali Manigue, dont les propos ont été recueillis par Hacène Belmessous : « Je me dis que si les combattants pour l'indépendance avaient imaginé que l'Algérie basculerait dans le chaos aussi vite, ils n'auraient pas versé leur sang durant toutes ces années de guerre. Je pense que l'Algérie aurait dû rester française. Beaucoup de gens pensent que cela aurait été préférable »1032(*).

Le journaliste Bernard Guetta, à la faveur d'une série de reportages réalisés au moment du référendum sur la Loi de concorde civile, en septembre 1999, avait été témoin du décalage manifeste existant entre le discours officiel (sur la France et le passé colonial) et les expressions "spontanées" glanées ici et là auprès des gens ordinaires : « Tout, désormais, peut se dire, même cette inavouable passion pour la France. Un jeune flic : «Vous aimez Alger ? C'est bien. C'est les Français qui ont tout fait. La France, ce n'était pas l'Angleterre : elle exploitait ses colonies, mais elle les a aussi développées» (...). Et puis cette jeune femme, la trentaine, rencontrée dans une pizzeria : «Quand j'étais petite, mon père m'a emmenée voir l'immeuble où il travaillait du temps de la France. Il m'a dit : «Regarde, c'était propre, l'ascenseur marchait. Tu comprendras un jour» »1033(*). La seule présence du journaliste français suffit à déclencher de petits mouvements de foule : « Une voix : «Quel est le fou qui nous a donné l'indépendance ? ». Ça devient houleux. Une autre voix : «Il a raison. Si les Français étaient encore ici, ce serait mieux» »1034(*).

De même, dans Le Figaro du 13 juin 20061035(*), le grand reporter Irina de Chikoff relevait que « quand on interroge les gens de tous les jours, à Alger, Oran ou Constantine, le décalage entre le discours officiel, victimiste ou accusateur, et les sentiments manifestés par la population, saute aux yeux ». Ainsi, à propos du parallèle établi par Abdelaziz Bouteflika, qui a parlé de « génocide » et comparé le comportement de la France pendant la guerre d'Algérie à celui des nazis durant la Seconde Guerre mondiale, « Hocine, 30 ans, fait un geste significatif de la main : «Quand je vois comment mes compatriotes reçoivent les pieds-noirs, comment ils pleurent ensemble, dit-il, je suis obligé de me poser des questions sur cette histoire de génocide. On n'accueille pas à bras ouverts quelqu'un qui a tenté de vous éliminer. Ma génération ne sait pas grand-chose sur les temps où l'Algérie était française. On nous a surtout enseigné la guerre de libération, le sacrifice des martyrs, la victoire du vaillant peuple algérien. Des thèmes intouchables. Sacrés. Si on cherche à sortir des stéréotypes, on est immédiatement assimilé au hizb frança, le parti de la France, qui ne songerait qu'à refranciser l'Algérie» ». Les réactions engendrées par la visite de Jacques Chirac, en 2003, ont décontenancé le journaliste d'El Watan, Boukhalfa Amazit, qui fut de la « génération des utopies » : « Pour beaucoup d'Algériens, ceux qui vivent toujours dans le mythe de la révolution, ce fut un choc de voir les gamins faire une véritable ovation à la France. Moi-même, j'avais du mal à y croire. Est-ce à dire que la colonisation a eu du bon ? Même si tout ne fut pas négatif, je revendique le droit d'affirmer que je n'ai jamais demandé qu'on me fasse du bien ! ».

De même, Lahouari Addi constatait lui aussi en 1997 « un fait qui heurte le sentiment patriotique. Des centaines de milliers de jeunes nés après l'indépendance, dont certains sont des enfants et des petits enfants de martyrs, sont en admiration de la France, des centaines de milliers de jeunes souhaitent partir en France pour y vivre et y acquérir la nationalité française, cette même nationalité que leurs parents ont refusée dans les années cinquante pour arracher un Etat indépendant. Force est de constater - et il est inutile de ne pas regarder la réalité en face - que la guerre livrée en 1954 par l'ALN à la France coloniale a été perdue trente ans après ! »1036(*).

Autre indice, plus éloquent encore, le chiffre étonnamment élevé des demandes de « réintégration dans la nationalité française » tel que rapporté par Le Figaro du 29 juin 2006, sur la foi des informations communiquées par le consul général de France à Alger : selon ce dernier, pas moins de 100.000 demandes auraient été enregistrées en 2005, les candidats n'hésitant pas, pour étayer leurs dossiers, « à évoquer un aïeul, soldat dans l'armée française durant l'une des deux guerres mondiales », voire même « à réhabiliter un vieil oncle harki, rejeté jusque-là comme la honte de la famille »1037(*).

Ancien haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie algérien, Boualem Sansal est représentatif de cette génération désenchantée qui, née pendant la colonisation, ne se reconnaît pas dans le discours de l'exclusive et de la page blanche véhiculé jusqu'à l'obsession par les autorités algériennes depuis l'indépendance. Les propos de l'auteur du Serment des Barbares1038(*) affleurent même parfois la nostalgie, une chose inenvisageable au regard de la geste officielle de la guerre d'Algérie. Ainsi, évoquant Rouiba - où se situe l'intrigue de ce roman - dans une interview à Algérie Interface, en mars 2000 : « Les terres les plus fertiles ont été sacrifiées. On y a construit. Fini les fermettes. Comme s'il fallait effacer toutes traces de l'occupant. Tout cela est parti d'un esprit revanchard et vengeur. Qu'est-il advenu du domaine Borgeaud d'antan, un véritable paradis sur terre ? Que reste-t-il de Rouiba ? Il faut comprendre que je ne suis pas né en 62. J'ai Connu Rouiba quand elle avait cinq librairies. L'épicier et le boucher étaient des pieds-noirs, pas des colons. Ce qui est différent. Le contact était différent. Ils avaient des petits commerces et un esprit différent. C'est une autre forme d'occupation nullement comparable à celle qui se base sur la propriété foncière. L'Algérie est leur pays. (...) Le cas est identique [avec les harkis] et de plus soulève le problème de la génération des enfants de harkis. L'Algérie doit faire le deuil de son histoire et se réconcilier avec son passé ». La quatrième de couverture de son dernier roman, Poste restante : Alger1039(*), est à l'unisson de ce qui précède : 

« En France, où vivent beaucoup de nos compatriotes, les uns physiquement, les autres par le truchement de la parabole, rien ne va et tout le monde le crie à longueur de journée, à la face du monde, à commencer par la télé. Dieu, quelle misère ! Les banlieues retournées, les bagnoles incendiées, le chômage endémique, le racisme comme au bon vieux temps, le froid sibérien, les sans-abri, l'ETA, le FLNC, les islamistes, les inondations, l'article 4 et ses dégâts collatéraux, les réseaux pédophiles, le gouffre de la sécurité sociale, la dette publique, les délocalisations, les grèves à répétition, le tsunami des clandestins... Mon Dieu, mais dans quel pays vivent-ils, ces pauvres Français ? Un pays en guerre civile, une dictature obscure, une République bananière ou préislamique ? A leur place, j'émigrerais en Algérie, il y fait chaud, on rase gratis et on a des lunettes pour non-voyants ».

II. La figure du harki dans les gestes françaises de la guerre d'Algérie

Et qu'en est-il de ce "jeu" entre le passé et le présent sur l'autre rive de la Méditerranée ? Continuant de coller à l'optique générale qui est la nôtre dans la Partie 2 (à savoir : faire état du "travail de l'écart" entre ce qui a été et la manière dont il en est rendu compte a posteriori), il nous faut maintenant objectiver la manière dont l'Etat français, en tant qu'appareil de pouvoir et de savoir, s'exprimant à travers ces relais institutionnels de la mémoire que sont l'Exécutif politique, le Parlement et l'école, a mis en récit, depuis 1962, les tenants et les aboutissants de la guerre d'Algérie. Ce faisant, il nous faudra montrer dans quelle mesure - et de quelle manière - cette "geste officielle" de la guerre d'Algérie a influé sur la postérité symbolique des anciens supplétifs musulmans de l'armée française et ouvert - ou non - la voie à des interprétations et usages "concurrents", dont il faudra préciser la nature et l'impact.

Aux fins de prévenir d'emblée tout glissement sémantique et interprétatif, et nous appuyant pour cela sur une mise au point d'Henry Rousso1040(*), il nous faut ici préciser qu'à la différence de ce qui a pu être observé (en Union soviétique par exemple) ou continue de l'être dans certains Etats totalitaires (en Chine notamment), et à la différence de ce qui peut être observé dans un Etat protéiforme à forte composante militaro-populiste comme l'Algérie, ce que nous appelons en France "geste officielle" ou "mémoire officielle" ne vaut pas "histoire officielle", au sens d'une subordination de la discipline historique, de la presse ou des arts au pouvoir politique. En France, ce que nous appelons "mémoire officielle" n'est qu'une vision parmi d'autres visions existantes et librement publicisées du conflit algérien ; ce dont témoigne « la persistance depuis 1962 d'une production historiographique surabondante (et très difficile à recenser exhaustivement) : entre 10 et 20 titres nouveaux par an au bas mot, sans compter les oeuvres littéraires (romans, nouvelles, poésie, théâtre) ou audio-visuelles »1041(*). Une vision parmi d'autres, donc, mais une vision importante compte tenu du rôle essentiel joué par l'Etat dans "l'invention" (pendant la guerre d'Algérie) puis la "réinvention" de la destinée des anciens harkis et de leurs familles, à la suite de leur "rapatriement" puis de leur "mise sous tutelle" dans le cadre du système d'accueil et de reclassement (voir la Partie 1). Cette "geste officielle" s'exprime essentiellement à travers ces relais institutionnels de la mémoire que sont l'Executif politique (actes de gouvernement, déclarations publiques, pratiques cérémonielles), le Parlement (rapports et débats parlementaires, vote des lois) et l'école (programmes scolaires du premier et du second cycle, à savoir : l'histoire telle qu'on la raconte aux enfants et aux adolescents).

En outre, il est bon de préciser, à ce stade, que c'est à l'image des harkis telle qu'elle se dégage, en clair ou en creux, de la représentation officielle plus générale de la guerre d'Algérie qu'est consacré ce chapitre, et non pas tant à cette dimension particulière de la mémoire officielle qu'est la geste dite commémorative - ici comprise au sens de politiques de reconnaissance spécifiquement dédiés aux anciens harkis et à leurs enfants - qui sera plus systématiquement abordée dans la Partie 4.

Selon Benjamin Stora, le désir de taire un passé peu glorieux a conduit à passer sous silence l'histoire des Français musulmans rapatriés : « En France, admettre l'existence de ces acteurs d'un drame désormais retiré de l'affiche, ce serait mettre en accusation le gouvernement du général de Gaulle qui n'a jamais voulu planifier leur départ. Les harkis deviennent ainsi les témoins gênants de la guerre d'Algérie. L'absence d'intervention des troupes françaises entre mars et décembre 1962, on l'a vu, amène la "disparition" de dizaines de milliers d'Algériens musulmans »1042(*). « La société, écrit Marc Ferro, impose souvent des silences à l'histoire, et ces silences sont autant l'histoire que l'histoire »1043(*).

De manière plus générale, la guerre d'Algérie n'est, dans ses tenants comme dans ses aboutissants, « ni un facteur de cohésion nationale, ni une source de légitimité pour les dirigeants de la Vème République »1044(*). Par-delà le traumatisme des exactions perpétrées par l'armée française dans ses opérations de maintien de l'ordre, c'est semble-t-il la phase finale de la guerre d'Algérie qui pèse d'un poids inassumable dans les consciences françaises : aux contrecoups d'une politique de « pacification » souvent mal maîtrisée s'ajoute le traumatisme d'une politique de « dégagement » précipitée, dont le coût humain (voir la Partie 1) ressortit des "zones d'ombre" de la mémoire officielle. Il en a résulté, à droite comme à gauche de l'échiquier politique (pour des raisons diverses mais convergentes), une "fabrique" a minima du souvenir de la guerre d'Algérie par l'Etat. Cette mise en récit éthérée et l'entente tacite pour ce faire des diverses formations politiques (qui, héritières plus ou moins directes de celles qui avaient "fait" et "défait" à leur manière la guerre d'Algérie, se sont succédées depuis lors au pouvoir), ont signé comme l'élision de ceux qui en furent - côté français - les principales victimes : anciens harkis et pieds-noirs (section A).

Cette quasi-absence de prise de position officielle et, plus encore, d'exaltation du souvenir de la figure du harki jusqu'à la fin des années 1990 (que ne compense que très marginalement le légendaire construit autour de cette figure par les « soldats perdus » de l'Algérie française, qui en font comme l'étendard d'une « espérance trahie ») a ouvert la voie à des interprétations et usages "détournés" de cette figure : le harki comme injure de sens commun dans l'ordinaire des prises de position et des joutes politiciennes (détournement de vocable), et le harki comme masse de manoeuvre électoraliste (section B).

A.  Les habits officiels du souvenir : un récit éthéré (le harki sous l'éteignoir)

Pendant longtemps, en France, la guerre d'Algérie n'a été ni reconnue comme telle1045(*) ni commémorée1046(*). La geste officielle française n'a eu de cesse, depuis l'indépendance, de véhiculer une vision éthérée de cette guerre, à la fois anecdotique (une suite d'événements) et générique (la dernière étape du processus de décolonisation). Plus encore, ses principaux protagonistes ou victimes français (pieds-noirs, Français musulmans rapatriés, militaires de carrière et, de manière plus contrastée, appelés) ont été comme évacués des récits officiels.

Cette ataraxie relative des relais institutionnels de la mémoire fut d'abord celle du Parlement puis de l'école. Le législateur comme l'Exécutif, de droite comme de gauche, signifièrent dès la signature des accords d'Evian, et bien après encore en dépit des alternances politiques, « une volonté officielle d'oubli, traduite par une série de lois d'amnistie échelonnée de 1962 à 1982 et par l'absence de toute commémoration consensuelle »1047(*). L'école - l'école obligatoire mais aussi, quoique pour d'autres raisons, l'université1048(*) - ne fut bien entendu pas exempte des pressions, plus ou moins informelles, de la tutelle politique. D'après une enquête faite en 1992 auprès des jeunes Français âgés de 17 à 30 ans nés après la guerre d'Algérie, « la plupart d'entre eux (80,5% contre 18%) estim[ai]ent que l'école ne leur en a[vait] pas suffisamment parlé »1049(*). En outre, en conséquence de la différence de traitement longtemps opérée par les relais institutionnels de la mémoire, les jeunes générations « connaissent beaucoup mieux la Deuxième guerre mondiale que la guerre d'Algérie, et tendent à se représenter celle-ci d'après le modèle de celle-là »1050(*), conformément à ce que fut la propagande du FLN aussi bien que la geste des intellectuels français engagés à ses côtés pendant la guerre d'Algérie (voir le chapitre III de la Partie 2 ci-dessous). Cette situation, déplore Guy Pervillé, « valorise les ressemblances au détriment des différences », et fait fond à l'amalgame. Ainsi, un sondage Ligue de l'enseignement/IMA1051(*), paru dans Le Monde du 27 février 1992, montrait que la lutte du FLN pendant la guerre d'Algérie était assimilée à celle de la Résistance sous l'Occupation par une écrasante majorité de jeunes Français. De manière implicite, une telle mise en perspective véhicule une représentation stigmatisante des anciens harkis en ce qu'elle légitime et consacre les qualificatifs de collaborationnistes et de traîtres qui, aujourd'hui encore, leur sont accolés en Algérie. De telles assimilations, pour abusives qu'elles soient, ressortissent ainsi du sens commun, de la mémoire diffuse de la guerre d'Algérie et semblent, à ce titre, témoigner de la vulgarisation d'une lecture prosélyte des événements.

Pourtant, note Guy Pervillé, « chaque fois qu'il y a trouvé un intérêt politique et civique, l'Etat a favorisé sans délai l'étude des grands conflits. Aussitôt après la Grande Guerre, les pouvoirs publics ont aidé à fonder la Société et la Revue d'histoire de la Guerre. A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, ils ont créé deux commissions qui ont fusionné en 1951 pour former le Comité d'histoire de cette guerre, publiant sa revue, dont l'oeuvre historique fut considérable ». « Rien de tel, ajoute-t-il, après la guerre d'Algérie »1052(*). Aussi, lorsqu'il entend caractériser « la manière dont l'Etat s'est emparé de cette période et a tenté de la mettre sur la place publique », Henry Rousso indique qu'à la « phase de liquidation des séquelles » marquée par les premières amnisties a succédé une longue « phase de refoulement »1053(*) : la guerre d'Algérie et ses zones d'ombre sont peu ou prou évacuées de l'espace public ou, tout au moins, de l'espace politique jusqu'à la fin des années 1980. Jusqu'alors, si l'historiographie est relativement abondante, elle est très majoritairement composée de « témoignages plus ou moins engagés d'acteurs ou de spectateurs, importants ou modestes », ainsi que, dans une moindre mesure, d' « enquêtes et de récits de journalistes » (ainsi en va-t-il du récit en 4 tomes d'Yves Courrière ou des livres de Jean-Raymond Tournoux) : « Les ouvrages d'historiens professionnels sont beaucoup plus rares, et plus tardifs »1054(*). Et ni les uns ni les autres ne provoquent de débats tels qu'ils viennent contrarier significativement ou durablement cette « volonté politique de tourner la page » évoquée par Henry Rousso.

Il en ressort, dans ce contexte, une caractérisation désincarnée des événements d'Algérie, à la fois "stato-administrative" (les événements d'Algérie comme « opérations de maintien de l'ordre ») et "historiciste" (les événements d'Algérie comme soubresauts inéluctables d'un procès de décolonisation commencé en d'autres lieux et en d'autres temps). Des opérations et un processus rendus certes plus délicats qu'ailleurs en raison de l'ancienneté de la présence française, mais finalement gérés au mieux des intérêts de chacune des parties en présence (soit les « Algériens » d'un côté, les « Français » de l'autre) via l'épilogue officiel des accords d'Évian, présenté comme ouvrant la voie à une coopération raisonnée des deux entités. Comme si la France, loin de s'être entre-déchirée, s'était résolue de bonne grâce à l' « inéluctable ». Comme si l'Algérie et le FLN ne faisaient - "naturellement" - qu'un. Comme si les Français d'Algérie et les Français musulmans rapatriés n'avaient finalement pas été contraints à l'exil. Comme si, au fond, la reconnaissance par la France de l'indépendance "en l'état" de l'Algérie, loin de signer de quelque manière un échec (quant à l'évolution démocratique de l'Algérie) ou un déchirement (quant aux conséquences pour ses ressortissants et "amis" de la reconnaissance du FLN comme interlocuteur hégémonique), marquait bien plutôt une étape décisive dans l'adaptation de notre pays aux réalités économiques (entre "cartiérisme" et "aronisme") et géopolitiques du monde contemporain (la politique arabe du général de Gaulle). Tant et si bien que, si l'on s'en tenait à la geste officielle de cette période (et à l'histoire telle qu'on la raconte aux enfants), « l'on pouvait encore se demander si la guerre d'Algérie faisait partie de l'histoire de France, ou même si elle avait jamais eu lieu »1055(*).

De fait, la mise en intrigue générique de la guerre d'Algérie proposée par l'école élude les questions qui, d'une certaine manière, "rendent" leur spécificité à ce conflit. Michel Hagnerelle, inspecteur général de l'Éducation nationale, et Michel Lambin, professeur de classes préparatoires aux grandes écoles au lycée Watteau de Valenciennes, soulignent ainsi que l'approche de la guerre d'Algérie dans les manuels de terminale pose de sérieuses questions : « Alors que le programme de troisième mentionne ouvertement la «guerre d'Algérie», dans ceux de la classe de terminale la guerre ne figure pas toujours de façon explicite et, du reste, la seconde partie du programme a préféré parler de «l'émancipation des peuples dépendants et de l'émergence du Tiers-Monde». La guerre est donc présente dans des chapitres différents et dispersés suivant les manuels. On la retrouve au titre des relations est-ouest, de la décolonisation, de la France depuis 1945 ou encore, parfois, sous la forme d'un sujet corrigé ou d'un dossier, ce qui permet d'éluder certaines questions et laisse insatisfaits élèves et professeurs »1056(*). Ce constat d'une couverture à la fois insuffisante et élusive de la guerre est partagé tant par ceux des experts qui furent autrefois des acteurs engagés dans la lutte anticolonialiste que par ceux qui étaient trop jeunes pour y avoir pris part et/ou ne se revendiquent d'aucune filiation militante. Maurice T. Maschino, qui appartient à la première catégorie d'experts, déplorait en 2001 la « façon quasi-clandestine dont la guerre d'Algérie s'insère dans le programme »1057(*). Il constatait notamment que « la guerre d'Algérie n'est pas expressément mentionnée dans le programme de 3ème, ou dans cette partie du programme, elle-même réduite à la portion congrue, qui permet de l'aborder : «De la guerre froide au monde d'aujourd'hui (relations Est-Ouest, décolonisation, éclatement du monde communiste)» ». Et il ajoutait : « De la même manière qu'en 3ème, la guerre d'Algérie n'est pas l'objet d'un chapitre particulier en terminale. Elle n'est même mentionnée, comme telle, dans aucune des sections du programme - le monde de 1939 à nos jours ». Mais plus encore que cette place ténue dans les manuels, c'est la construction d' « un discours le plus consensuel possible [qui] propose aux élèves une lecture sans relief des événements » que pointe Maurice T. Maschino1058(*). Un constat partagé, nous l'avons dit, par Guy Pervillé (voir ci-dessus1059(*)), qui appartient à la deuxième catégorie d'experts1060(*).

Des divergences d'interprétation apparaissent cependant quant à la place relative dévolue à chacun des traits marquants de cette guerre dans les programmes scolaires. Si Maurice T. Maschino constate, d'une part, que les manuels « citent la démission du général de Bollardière, publient le «Manifeste des 121», et signalent La Question, d'Henri Alleg »1061(*), et, d'autre part, qu' « aucun ne prête attention aux conséquences politiques, en France comme en Algérie, de la guerre : à la trappe les harkis et les pieds-noirs », il ne s'interroge pas plus avant sur ce traitement différentiel, regrettant surtout que l'on ne s'attache pas davantage à déconstruire « la mise en place du système impérialiste » et « le scandale d'une république qui foule aux pieds ses valeurs ». Ce n'est pas le cas de Paul Thibaud, pourtant lui aussi engagé "contre" la guerre d'Algérie, qui constatait - et regrettait - en janvier 20011062(*) que les demi-silences des programmes scolaires affectent davantage la compréhension des conséquences de la politique de « dégagement » conduite à l'issue de la guerre que de la politique de « pacification » conduite pendant la guerre. Il s'étonnait ainsi de ce que les signataires de l'Appel des douze sollicitent la repentance de l'Etat français « à propos de faits [NDA : la torture] qui sont dans les manuels scolaires », et veuillent ainsi « consacrer plutôt que redresser la mémoire officielle et scolaire ». Il ajoutait : « Au risque de choquer certains de mes amis, je crois qu'il ne faut pas consacrer l'équation guerre d'Algérie = torture, formule dont la prévalence (ancienne, quoi qu'on en dise) dans l'opinion n'a pas eu que de bons effets. Il y a en effet, à côté de la bataille d'Alger, un autre moment essentiel pour comprendre la guerre d'Algérie, c'est l'échec des accords d'Evian dans une conjonction d'événements sinistres : OAS, harkis, exode des pieds-noirs, mise en place par la force d'un pouvoir algérien militaro-populiste »1063(*). Faut-il voir dans ce traitement différentiel l'influence des manières de voir propres à une majorité d'enseignants, eux-mêmes longtemps parties prenantes d'un certain climat intellectuel et politique ? Dominique Borne, inspecteur général de l'Éducation nationale, explique que « l'accueil critique des mémoires dans l'enseignement de l'histoire est aujourd'hui plus facile qu'il y a quelques années ». Il ajoute : « Quand la très grande majorité du corps enseignant partageait l'espoir d'un progrès continu de l'humanité et que les professeurs étaient donc portés par un «sens» de l'histoire, il n'y avait guère alors de place pour les vaincus. Les temps ont changé, les professeurs ont réappris le singulier et la contingence. Ils sont dorénavant prêts à faire place aux différentes mémoires. Si le savoir enseigné est partagé par tous, les identités peuvent trouver des repères dans la culture commune. Pour paraphraser Paul Ricoeur, l'histoire peut alors soigner les mémoires blessées »1064(*). A cet égard, la place plus que ténue faite, trois décennies durant (au minimum), à la destinée des harkis dans les manuels scolaires témoigne non seulement de cette volonté des autorités de "lisser" la trame du récit officiel pour faire de la guerre d'Algérie un épisode (presque) comme les autres, mais encore - peut-être - d'un assez large désintérêt du corps enseignant pour cette figure.

Quoi qu'il en soit, il est un fait que la vision éthérée des tenants et, plus encore, des aboutissants de la guerre d'Algérie telle que véhiculée par les relais institutionnels de la mémoire avait pour visée première - et a eu longtemps pour principal résultat - d'euphémiser l'expression des conflits de mémoire qui, dans les faits (quoique de manière confidentielle), n'avaient jamais cessé d'imprégner le ressouvenir de la guerre d'Algérie en général, de son épilogue dramatique en particulier. Et notamment s'agissant de ceux - pieds-noirs, Français musulmans rapatriés, militaires de carrière, appelés - qui n'ont pu reconnaître dans cette geste officielle, comme expurgée de toute dimension affective et de tout ressort dramatique, l'expression de leurs souffrances ou de leurs déchirures.

Regard générique, regard euphémique, la geste officielle française de la guerre d'Algérie participe ainsi de l'expurgation embarrassée de toute résonance affective et, pour tout dire, de la censure d'un sentiment d'incomplétude hérité d'un conflit qui « n'est tout simplement pas mémorable, [qui] ne figure pas, après l'affaire Dreyfus et la Résistance, parmi les épopées du sens, les émergences de la justice à quoi les Français aiment à se référer »1065(*). Prévaut en effet «  un sentiment général de mauvaise conscience »1066(*) : « Si la mémoire [de la guerre d'Algérie] est en effet difficile, ajoute Paul Thibaud, c'est parce qu'il n'y a pas de lieu où elle pourrait s'ancrer, qu'il manque au drame une issue vraiment acceptable et vraiment compréhensible »1067(*). De fait, à la « honte d'avoir fait cette guerre, et de l'avoir presque gagnée par des moyens plus ou moins avouables », s'ajoute la « honte de l'abandon final qui l'a rendue vaine et injustifiable »1068(*). Car, ainsi que le souligne Paul Thibaud, par-delà le caractère difficilement assumable, pour les pouvoirs publics, de la fréquence voire de la quasi-systématicité, en certains endroits et à certaines périodes, des faits de torture pendant la guerre d'Algérie1069(*), un autre moment essentiel pour comprendre la guerre d'Algérie et les silences qui entourent son évocation est « l'échec d'Évian, moment où se concentrent, où explosent tous les éléments du problème algérien. Or, l'une des causes de cette mauvaise fin fut la méconnaissance, y compris de la part des négociateurs français, de la vraie nature dictatoriale et antipluraliste du FLN »1070(*). Le récit de "l'entrée dans la modernité" - cette sorte de "morale officielle" de l'histoire de la guerre d'Algérie - trouve de fait ses limites dans la nature du système politique engendré en Algérie par la politique de « dégagement » visée et entreprise par les autorités françaises, nature dont témoignera précocement et dramatiquement l'exil forcé de centaines de milliers de personnes, puis l'assassinat de dizaines de milliers d'autres, dès après l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Ce dénouement qui n'en était pas un, cette issue « sans signification positive, susceptible de rassembler la collectivité nationale dans une mémoire commune, comme la Grande Guerre ou la Résistance »1071(*), a été et reste un facteur d'embarras à droite et à gauche de l'échiquier politique : à droite, difficulté à assumer le coût humain de la politique de « dégagement » voulue par le général de Gaulle (voir la Partie 1) ; à gauche (où l'on revendique aujourd'hui plus volontiers l'héritage du PSU et de la "deuxième gauche", ou encore du PCF, que celui de la SFIO "mollétiste"), difficulté à justifier ouvertement les raisons pour lesquelles les Français d'Algérie et les musulmans pro-français ont été tenus pour quantité négligeable dans le combat pour la décolonisation. Une gêne différenciée quant à ses motivations mais convergente quant à ses aboutissants : la marginalisation de ceux qui n'entraient ni dans les schémas liés à « la réorientation de la politique de grandeur de la France », ni dans ceux épousant « la marche inéluctable de l'Histoire ».

Ainsi, paradoxalement, l'édification puis la consolidation en France - jusqu'à ces dernières années - d'une vision éthérée de la guerre d'Algérie est le fruit de la conjonction des intérêts de familles politiques concurrentes, à savoir gaullistes puis néo-gaullistes d'une part, socialistes et communistes d'autre part. Ces familles politiques, dont l'étendue recouvre très largement ce que l'on subsume habituellement sous les vocables de "droite de gouvernement" et de "gauche de gouvernement", ont en commun de ne pas souhaiter donner un tour officiel à l'examen de leurs responsabilités respectives quant au sort finalement réservé aux pieds-noirs et aux musulmans pro-français. Du point de vue de ceux qui, dans le sillage de l'UDR puis du RPR, se posèrent en gardiens ou en héritiers de la mémoire gaullienne (et qui furent aussi, au moins jusqu'en 1974 et, dans une moindre mesure, jusqu'en 1981, les gardiens de la mémoire officielle), l'édification d'une geste hermétique à l'expression des mémoires victimaires françaises (portées par ceux qui, dans leur diversité, avaient directement souffert des conséquences de la politique de « dégagement ») , se devait de préserver la fiction d'une "sortie dans l'honneur", donc de taire l'incomplétude d'une "sortie de crise" qui, pour bien des pieds-noirs et musulmans non inféodés au FLN, n'en avait pas été une. Du point de vue des héritiers de la gauche dite « progressiste » (en position d'influence à partir de 1981, en dépit de la position personnelle inconfortable de François Mitterrand sur ces questions), la consolidation de cette geste officielle indifférente aux mémoires victimaires françaises se devait de préserver le sentiment de bonne conscience d'une mouvance qui, au nom de l'anticolonialisme, avait sinon fait fi du moins tenu pour un "mal nécessaire", d'une certaine manière, les souffrances de centaines de milliers de compatriotes. Et qui, au nom de la « Révolution » et/ou d'idéaux tiers-mondistes avait investi en Algérie bien d'autres illusions que celles de la paix et de la concorde retrouvées. Ainsi que le soulignait récemment Henry Rousso, « une partie de la classe politique qui est au pouvoir aujourd'hui [NDA : en 2002] a fait ses classes dans la lutte contre la guerre d'Algérie » et, à ce titre, « a contribué à porter une représentation de la guerre d'Algérie »1072(*).

C'est précisément pour ne pas avoir à faire face à ces bouffées de mémoire embarrassantes que gardiens de l' « orthodoxie gaulliste » et gardiens de l' « héritage progressiste » se sont attachés à pérenniser une vision "stato-administrative" et comme désincarnée de la guerre d'Algérie. Il en a résulté une stricte enclosure de l'espace commémoratif. De fait, constatait Guy Pervillé en 2002, « la mémoire des victimes françaises de la guerre d'Algérie n'intéresse guère plus que leurs parents, leurs amis, et leurs sympathisants idéologiques ; et les médias ne leur accordent que peu d'attention »1073(*). Une attention moindre, du moins, qu'aux victimes algériennes (ou françaises) des exactions perpétrées par l'armée française dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre. Une situation qui n'est pas faite pour embarrasser les autorités, bien au contraire. Car là est le paradoxe : la réorchestration médiatique récente des débats autour de l'emploi de la torture (voir ci-dessous), les actions judiciaires intentées à l'encontre de certains officiers (le général Aussaresses et le général Schmitt notamment) ou encore la mise en cause de certains hauts fonctionnaires français (Maurice Papon) sont au fond infiniment moins dérangeantes, pour les garants de la geste officielle française, que ne le sont les campagnes d'informations sur le bilan humain de l'après 19 mars 1962, ainsi que les actions en justice intentées pour « complicité de crimes contre l'humanité » ou « apologie de crimes de guerre » par des représentants des communautés harkie et pied-noire à l'encontre de responsables militaires (le général Katz) et politiques (Pierre Messmer). Tandis que les premières initiatives ne font que renforcer, d'une certaine manière, le bien-fondé des gestes gaullienne (nécessité de la politique de « dégagement ») et progressiste (nécessité de la dénonciation du colonialisme), à l'inverse, les autres initiatives heurtent frontalement les récits de l'entrée dans la modernité gaulliens et progressistes, les uns et les autres très largement oublieux des Français de toutes origines victimes d'une solution de "sortie de crise" au bilan pour le moins contrasté1074(*). Et il est remarquable que les premières initiatives aient fait infiniment plus de bruit que les secondes, moins encore du reste au regard de l'écho médiatique qui en a été donné (et qui déborde, de toute manière, le champ d'expression de la mémoire officielle) qu'au regard des réactions suscitées parmi les responsables politiques (voir la Partie 4).

Cependant, l'on assiste, depuis quelques années, à ce que Henry Rousso appelle « le retour du refoulé »1075(*). De fait, bien loin de cicatriser les conflits, la « cure de silence et d'oubli » prônée par les dirigeants de la Vème République n'a fait que figer des antagonismes qui resurgissent - et des blessures qui se libèrent - aujourd'hui avec d'autant plus de vigueur que leur expression et leur prise en charge ont été abandonnées de longue date à des initiatives individuelles s'ignorant - et, souvent, se méprisant - les unes les autres. Daniel Rivet relève ainsi que « des mémoires collectives antagonistes se sont constituées et maintenues en s'affrontant d'une manière récurrente, et rivalisent pour s'imposer comme mémoire officielle ou pour empêcher l'officialisation des mémoires concurrentes », nourrissant ce que l'auteur appelle « la dialectique de la célébration et de l'exécration du fait colonial »1076(*). « De plus, ajoute Guy Pervillé, la contradiction entre le devoir de mémoire de plus en plus exigeant invoqué pour les victimes de la Seconde guerre mondiale, et le devoir d'oubli longtemps prôné pour celles de la guerre d'Algérie, devient de plus en plus insupportable »1077(*) (voir aussi la Partie 4 de ce mémoire).

La guerre d'Algérie n'est ni une suite d'événements ordinairement cadencée par un début, un milieu et une fin, ni un épisode comme un autre du processus de décolonisation : ce qui s'y est joué (et perdu) continue de faire effet et de faire débat, aujourd'hui encore, en France et en Algérie. Ce « retour du refoulé », progressif à compter du début des années 1990, prendra un tour décisif (et spectaculaire) au tournant du siècle, à la faveur de la visite d'Etat en France du président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika. Quasi-simultanément, au printemps et à l'été 2000, Le Monde, L'Humanité et, à un degré moindre, Libération ouvrent - sur plusieurs semaines - une « fenêtre d'opportunité » médiatique autour des faits de torture pendant la guerre d'Algérie, donnant un écho sans précédent à des témoignages d'officiers (Jacques Massu, Paul Aussaresses, Marcel Bigeard ou Maurice Schmitt), de personnes torturées (Louisette Ighilahriz) ou nées de viols commis par des militaires français (Mohamed Garne), ainsi qu'à des revendications déjà anciennes, tel l'appel unilatéral à la repentance adressé à l'Etat français par des intellectuels engagés de longue date "contre" la guerre d'Algérie (l' « Appel des douze »). C'est dans ce contexte médiatiquement "porteur", quoique plus favorable aux groupes de pression qui ont lutté "contre" la guerre d'Algérie et/ou soutenu la lutte du FLN, que les collectifs de harkis et leurs amis interpellent à leur tour les autorités, leur reprochant notamment leur absence de réaction aux propos outrageants proférés à leur encontre sur le sol français par Abdelaziz Bouteflika (propos cités en introduction et repris dans la Partie 4), et réclamant eux aussi un geste de repentance de l'Etat français pour les massacres de l'été et de l'automne 1962 (et n'hésitant pas, pour ce faire, à ester en justice ; voir la Partie 4).

Il s'ensuivra, l'année suivante, l'instauration par le président de la République française, Jacques Chirac, d'une Journée d'hommage national aux harkis (voir les détails dans la Partie 4). Ceci pourrait, en première analyse, constituer le point d'orgue d'une phase d'anamnèse qui confinerait, selon Henry Rousso, à l' « hypermnésie ». Mais cela en démontre aussi les limites. De fait, le choix de l'instauration de cette Journée, qui n'est rien d'autre que la déclinaison à grande échelle d'une traditionnelle cérémonie de remise de médailles, n'innove que par l'ampleur donnée à l'événement, et ne répond qu'à la plus minime des exigences en termes de "devoir de mémoire" : rappeler que les harkis existent et qu'ils ont combattu aux côtés de la France. Rien ne change, par contre, dans ce qui est donné à voir de la destinée des intéressés comme dans ce qui est tu : on célèbre le harki « soldat de la France » mais rien n'est dit du harki « victime de la raison d'Etat ». On exalte sa « fidélité » et son « courage », mais on ne dit rien de ce que fut l'apathie volontaire des autorités françaises au moment de les soustraire aux représailles du FLN. La question des responsabilités françaises dans le massacre des harkis ne sera donc pas posée1078(*).

B. L'ordinaire des prises de position

Par-delà les habits officiels du souvenir, la figure du harki est invoquée ou évoquée de manière plus ordinaire et à différentes fins, manières et fins qui participent au moins autant de la construction d'une image diffuse des harkis que ce qu'en donnent à voir les relais institutionnels de la mémoire. Ces représentations et usages non officiels de la figure du harki peuvent s'inscrire dans une vision du monde (la « nostalgérie ») ou servir des intérêts plus prosaïques (clientélisme électoral) ; ils peuvent être laudateurs ou injurieux ; informés ou pré-formatés : nous les détaillerons chacun pour leur part mais, ce qui importe, c'est qu'ils sont tous dotés d'une certaine efficace sociale, soit parce qu'ils font sens auprès de couches plus ou moins élargies de la population et participent de l'ancrage d'une imago collective concurrente de celle véhiculée par la geste officielle (et, ce, d'autant plus, nous l'avons vu, que cette dernière se signale avant tout par sa discrétion), soit qu'ils nous informent de ce que peut-être la fonction de cette figure pour certains groupes intéressés à son exploitation.

Nous examinerons successivement :

- la banalisation des acceptions outrancières du mot « harki », employé à tout sujet et par toutes sortes d'acteurs comme synonyme de « traître » ;

- les usages et images de la figure du harki dans le paysage politique français (jusque et y compris les formes d'instrumentation électorale de cette figure) ;

- enfin, la place singulière tenue par la figure du harki dans la geste amère des « soldats perdus » de l'Algérie française, qui en font comme l'étendard de leurs « espérances trahies ».

- 1. Le détournement de vocable ou la banalisation des acceptions outrancières du terme « harki » (le harki comme référence injurieuse)

À l'instar de ce qui a cours en Algérie, quoique dans une proportion éminemment moindre, le terme "harki" fait l'objet d'usages dérivés en France et s'emploie fréquemment comme synonyme de « traître » pour qualifier des individus ou des groupes sans rapport avec ceux que ce terme désignait originellement. Cette banalisation de l'usage des acceptions outrancières du terme "harki" n'est pas seulement le fait de catégories de population mal informées et peu à même de faire la part des choses entre le sens premier du mot et son sens dérivé. Elle est aussi le fait de personnes qui, sachant pertinemment ce qu'elles font, ne se préoccupent guère d'entacher la réputation des anciens harkis et de leurs familles. Ainsi, dans l'optique de faire ce que l'on appelle habituellement un "bon mot", ou plus simplement de qualifier dépréciativement l'attitude ou le positionnement politique d'un adversaire, certains de nos représentants politiques et autres leaders d'opinion en viennent paradoxalement à consacrer une manière de dire qui, en Algérie, participe aujourd'hui encore d'une rhétorique politique "anti-française" (puisque l'emploi du terme "harki" y est fréquemment associé, sur un mode dépréciatif, à celui de l'expression « parti de la France »). Cette banalisation des acceptions outrancières du terme "harki" dans l'ordinaires des prises de position a pu être encouragée (en même temps qu'elle a confortée) l'élision - jusque très récemment encore - de cette figure dans la geste officielle française de la guerre d'Algérie.

L'exemple de l'ancien Premier ministre français Raymond Barre (mais encore du député et futur ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres), exposé en introduction, témoigne du reste de ce que cette banalisation des acceptions outrancières du terme "harki" est au moins en partie - et peut-être d'abord - la résultante de la faible considération portée à cette figure par les pouvoirs publics1079(*). Dans le livre qu'elle dédie à son père, un ex-supplétif qui a décidé - voici une quinzaine d'années - de mettre fin à ses jours immédiatement après avoir assisté à une cérémonie du 11-novembre, Zahia Rahmani, dans un style "âcre", incisif, interpelle les personnalités précitées (et d'autres) pour leur faire savoir ce qu'il lui en coûte d'entendre et de voir se banaliser de tels usages :

« On dit que tous les harkis et leurs descendants sont des lâches, des traîtres et des pleureurs. Toutes les insultes, tous les mépris, sont autorisés à leur sujet. Et nos députés ne sont pas en reste. Rappelez-vous ces phrases d'André Santini et de Renaud Donnedieu de Vabres que la presse a eu la bienveillance de rapporter il y a quelque temps. Le premier expliquant pourquoi il ne voterait pas le quinquennat par cette question, Serons-nous les harkis de la droite française ? Qu'est-ce qu'on doit comprendre de la part d'un homme [NDA : ancien secrétaire d'Etat aux Rapatriés en 1986-1987] qui appartient à un clan politique qui, depuis quarante ans, j'en suis le témoin, exploite à des fins électorales uniquement ces harkis de malheur ? Ces perdants qui n'ont plus aucune voix ! Moi j'entends que ce bonhomme nourri de cigares dit que lui ne trahira pas son clan. Mais il dit par la même occasion que le harki est un traître, que mon père est un fumier, un fumier qui a trahi sa communauté en soutenant l'Etat français. C'est peut-être vrai, mais lui, il n'a surtout pas le droit de le dire. Au même pupitre, son voisin à particule a couiné, Je ne serai pas le harki de J... Qu'importe, il peut choisir. Qu'est-ce qu'il est grand, combatif, cet aristocrate si bien converti aux bonnes moeurs de la République. Qu'est-ce qui autorise un élu, un parlementaire, à moquer ma douleur avec un tel cynisme, un tel mépris de la responsabilité ? Je ne serais donc que de la merde ? Et moi, à quelle saloperie du genre humain ai-je affaire ? »1080(*).

Ceux qui sont à l'origine de tels détournements de vocable en viennent d'ailleurs parfois à "surmarquer" l'acception dépréciative du terme "harki" en l'accolant à celui de "supplétif". C'est ainsi qu'un « proche de François Léotard », interviewé en juin 1997 par les Dernières Nouvelles d'Alsace, faisait part en ces termes - mais sous couvert d'anonymat - de la volonté de ses camarades de l'UDF de ne pas suivre l'appel de Patrick Devedjian à revoir l'organisation politique de la droite dans le cadre d'une formation unique : « Nous avons été les harkis de Balladur en 1995, ceux d'Alain Juppé en 1997. On ne va pas devenir les harkis de quelque supplétif maintenant »1081(*). Une (double) antienne qui a fait son chemin à l'UDF puisque l'année suivante, au moment du conseil national de ce parti, le président du Parti radical Thierry Cornillet, rejetait la perspective d'une liste unique de l'opposition aux élections européennes au cas où elle serait confiée à Philippe Séguin, avec cet argument semble-t-il imparable (et fruit d'une stratégie de communication au sein de l'UDF ?) : « Nous ne serons ni le supplétif, ni le harki de personne »1082(*).

Aux frontières de la dérision, le détournement de vocable peut aussi parfois revêtir les atours d'une improbable identification de sa destinée (politique) personnelle au martyre enduré par les harkis. C'est en des termes savamment pesés que l'ancien directeur général de la MNEF, Olivier Spithakis, se posait en victime expiatoire de Lionel Jospin lors du procès des emplois fictifs de la MNEF : « On a été les harkis de la présidentielle de 2002. On a décidé de nous sacrifier, de couper la branche. Nous sommes la génération trahie par l'histoire alors que nous pensions que nous étions soutenus au plus haut niveau de l'Etat et du parti. La duplicité, ça suffit. Moi, je ne dis pas que je suis un saint, mais il ne faudrait pas que d'autres s'attribuent l'image de la morale »1083(*).

S'agirait-il encore, pour la mouvance nationaliste catholique, de tirer les leçons de la « crise des caricatures », et Thierry Boudreaux, du mouvement identitaire Le Renouveau Français, considérant que « sous prétexte de refuser, à juste titre, que l'Islam fasse sa loi en Europe, on ne doit pas en venir à défendre l'abjecte pseudo-civilisation moderne qui défigure l'Occident jadis chrétien », lance un mot d'ordre qu'il veut être sans ambiguïté : « Ne soyons les harkis de personne ». Et il précise : « Nous ne devons pas nous retrouver à défendre leur fausse liberté, leur droit à ne rien respecter, leur droit absolu à toutes les provocations : que l'on trouve regrettable (et inutile) ou pas la publication des caricatures anti-Mahomet, nous ne tolérerons en tout cas jamais que ce genre de dessins ou railleries se fassent contre la religion catholique »1084(*).

Il n'est pas jusqu'au secrétaire général du Syndicat national des vétérinaires français (SNVF), le docteur Claude Andrillon, pour opérer de tels détournements de vocables. Soucieux de dénoncer le traitement dont étaient l'objet les quelque 5.000 vétérinaires regroupés sous son égide, réquisitionnés en 2001 par l'Administration pour venir en aide à leurs confrères du service public dans le cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse et la maladie de la vache folle, Claude Andrillon avait averti les pouvoirs publics que « les vétérinaires en ont assez d'être les harkis de l'administration », ajoutant : « Ce n'est pas facile. On est corvéable à merci »1085(*).

Quant au responsable Internet de la Fédération Des Astrologues Francophones (FDAF), Louis Saint Martin, il appelait les membres de la Fédération à s'interroger sur « le creux de la vague en astrologie », déplorant notamment « l'assujettissement (voire l'aliénation) de l'astrologie au langage de la psychanalyse. Pour beaucoup d'astrologues, ajoutait-il, l'astrologie est devenue le harki de la psychanalyse »1086(*).

Ces acceptions dépréciatives sont même, semble-t-il, devenus l'un des attributs de la francophonie puisque l'on trouve trace d'usages détournés de ce vocable au-delà même de nos frontières. C'est ainsi qu'un rapport parlementaire belge sur les Eléments constitutifs du contrat de gestion 2006-2011 de la RTBF pointait des « difficultés persistantes en ce qui concerne la différence de statut des personnels », soulignant que « les télévisions locales ne sont pas des harkis à qui on peut faire n'importe quelles missions. Il se pose la question de savoir quel est l'avenir des commissions régionales de la RTBF ? »1087(*). Plus loin, encore : « Il est clair que les télévisions locales ne peuvent être les harkis de la RTBF, le bagage et le travail des rédactions des télévisions locales s'est considérablement amélioré. L'information régionale doit se faire dans le journal télévisé, peut-être sous forme de micro-décrochage »1088(*).

De même (quoique dans un autre registre), Philippe Chevalier, du Groupe pour une Suisse sans armée (GssA), dénonçant les faux-semblants du « droit » voire du « devoir d'ingérence », s'inquiétait de ce que les soldats suisses soient amenés à s'inscrire dans le sillage « des puissances impériales (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, etc.) [qui], sous couvert de solidarité, continuent de mener leurs politiques hégémoniques », et se retrouvent ainsi en position de « devenir les harkis de l`OTAN »1089(*).

Aussi, et quoique ces "acrobaties de langage" ne soient pas, à proprement parler, des attaques dirigées contre la communauté en tant que telle, un certain nombre d'associations de harkis -inquiètes de leurs retombées indirectes en terme d'image et soucieuses qu'elles ne fassent pas école - ont décidé, ces dernières années, d'y répondre systématiquement par la voie judiciaire. A l'exemple de l'association Génération Mémoire Harkis (GMH), présidée par Smaïl Boufhal, qui est à l'initiative d'une plainte en diffamation visant l'ancien Premier ministre Raymond Barre (pour les propos cités en Introduction), estimant que celui-ci « avait publiquement porté atteinte à notre personnalité et à notre identité ». La sollicitation tous azimuts de l'institution judiciaire participe d'ailleurs, depuis quelques années, du renouvellement des formes de mobilisation collective au sein de la communauté. Nous y reviendrons en détail dans la Partie 4.

- 2. Entre positionnement politique et geste politicienne : images et usages des harkis dans le paysage politique français

Nous avons exploré, dans une section précédente, la manière dont, au nom de l'Etat français, il fut globalement rendu compte de la destinée de la communauté harkie par les différentes majorités de droite et de gauche qui, depuis 1962, au gré des alternances, ont assumé l'exercice du pouvoir. Il convient de compléter cette perspective institutionnelle par l'exploration des prises de position qui, expressément relatives à la destinée des harkis (il ne s'agit pas ici de détournement de vocable), sont professées dans le cadre non de l'exercice du pouvoir proprement dit mais de la compétition électorale : ce sont les images véhiculées par les organisations partisanes en tant que telles - c'est-à-dire en tant qu'elles sont engagées dans la compétition électorale pour y représenter un courant d'opinion, que ce courant soit ou non majoritaire - qui nous intéressent ici.

a) Entre geste gaullienne et gêne néo-gaulliste : de la difficulté d'un droit d'inventaire sur la personne du général de Gaulle au sein de la droite chiraquienne

Au fil de la première partie, il nous a été donné de voir ce que la politique algérienne du général de Gaulle, en particulier certains aspects liés au coût humain de la politique dite de « dégagement », avait de contestable. Cette réalité contrastée, plutôt que d'être ouvertement assumée, était, jusqu'à une date récente, peu ou prou évacuée par ceux qui se posaient en héritiers politiques et/ou en gardiens de la mémoire gaullienne ; ceux-ci insistant généralement plus volontiers, au prix de quelques omissions, sur le « pragmatisme » et les qualités de « visionnaire » du chef de l'État en cette circonstance. Ainsi, en 1992, Nicolas Sarkozy, alors secrétaire général adjoint du RPR, considérait que la décolonisation « n'était pas un sujet de débat » et que l'indépendance de l'Algérie avait été « une étape rapidement digérée », qui n'avait pas eu de caractère « structurant » dans la vie politique française, comparable à celui de l'Affaire Dreyfus ou de l'Occupation1090(*). Né le 28 janvier 1955, Nicolas Sarkozy est, il est vrai, de la "génération d'après", celle qui n'a pas à proprement parler "vécu" (politiquement s'entend) la guerre. Eric Raoult, né la même année que Nicolas Sarkozy, s'il tient lui aussi pour évident qu' « il fallait partir, bien sûr », admet cependant qu' « on l'a fait avec beaucoup de dégâts » : « Le 19 mars 1962, ce ne fut pas la paix. Les rapatriés et les harkis sont nos boat people. Nous avons géré cela moins bien que les Etats-Unis leur départ du Vietnam. On y a laissé un peu de l'honneur de notre pays »1091(*).

D'autres, anciens partisans ou sympathisants de l'Algérie française, notamment au sein de l'UDF, ont eux-aussi préféré garder le silence, quoique pour d'autres raisons. François Bayrou : « Ils avaient ramené de Gaulle au pouvoir et ils ont été trahis. Cela leur a laissé un rapport très étrange avec la parole politique, une suspicion durable à son endroit ». Et d'ajouter : « Il en reste une souffrance dans l'inconscient collectif de l'UDF » 1092(*).

La difficulté d'un droit d'inventaire sur la personne du général de Gaulle n'a certes pas empêché le RPR puis l'UMP de consacrer une « attention soutenue et régulière » (Stéphanie Abrial1093(*)) aux harkis, depuis la loi Santini de 1987 jusqu'à la loi du 23 févier 2005, en passant par la loi Romano de 1994 (et avec pour point d'orgue symbolique l'institution en 2001 par Jacques Chirac - puis la pérennisation - d'une Journée d'hommage national aux harkis). Cependant, cela ne va pas sans une lecture avantageusement simplificatrice du passé, comme en témoigne une affiche électorale, préparée spécialement pour la campagne présidentielle de 1988 et largement distribuée dans les hameaux et cités de harkis. Cette affiche représentait un Français-musulman en habit traditionnel, monté à cheval et armé d'un fusil, où l'on pouvait lire : « Nos pères ont choisi la France. Nous choisissons Jacques Chirac »1094(*). Or, en insistant sur le "choix" des pères, comme s'il se suffisait à lui-même pour expliquer la destinée des Français musulmans rapatriés, c'est ce qu'en ont fait leurs autorités de tutelle de l'époque qu'on élude ainsi opportunément. Ce qui, compte tenu de la filiation politique revendiquée par Jacques Chirac, ne doit bien sûr rien au hasard.

A cet égard, il n'est pas sans intérêt de noter que la décision d'instaurer une Journée d'hommage national aux harkis, prise au début de l'année 2001, a été précédée - et comme impulsée - par une action de lobbying d'Alain Madelin1095(*) lequel, précisément, se veut libre de toute attache à l'endroit de la personne du général de Gaulle, dont il avait combattu la politique algérienne alors qu'il était encore lycéen. Voici comment l'intéressé se remémore cette période : « Je me suis jeté [dans la vie politique] avec passion quand je n'avais pas seize ans. C'était au temps où l'histoire brûlait une partie de la jeunesse, la fin de la guerre d'Algérie, avec pour moi l'image insupportable de ceux qui avaient porté l'uniforme français, les harkis, qu'on avait alors abandonnés et laissés massacrer avec leurs familles ». Et il ajoute : « Aujourd'hui, dans les mêmes circonstances, les responsables de cet abandon seraient traduits devant un tribunal international »1096(*).

A l'inverse, André Santini, quoique parfaitement conscient de ce que furent les responsabilités françaises de l'époque dans la destinée tragique des harkis (ce qui ne l'a pas empêché par la suite, nous l'avons vu, de jouer du terme "harki" pour disqualifier les comportements de certains de ses congénères, au grand dam de Zahia Rahmani), s'était fondu - lorsqu'il exerçât les responsabilités de secrétaire d'Etat aux Rapatriés dans le gouvernement de Jacques Chirac en 1986-1987 - dans la geste atonale (et acritique) des gouvernements successifs depuis 1962, prodigue de subsides plutôt que de paroles. Il s'en était rétrospectivement expliqué lorsque je l'avais rencontré dans sa mairie d'Issy-les-Moulineaux, en 1999 :

« Question - J'ai l'impression que, en dépit de l'accroissement substantiel des sommes que vous avez allouées à l'indemnisation des harkis et de leurs familles, en dépit de certaines déclarations tendant à réhabiliter la figure du harki dans l'imaginaire collectif, et en dépit de la relative popularité que vous a valu votre action à l'endroit de la communauté harkie en son sein, [j'ai l'impression, disais-je] que vous n'avez, à l'instar de vos prédécesseurs et de vos successeurs, pu (ou voulu, ce sera à vous de me le préciser) vous affranchir de certaines timidités quant à l'imputation des responsabilités dans le massacre des harkis (j'entends par là la part propre des autorités françaises de l'époque, jusque et y compris les plus hauts échelons de la magistrature politique). Ma question serait : est-ce parce que, à titre personnel ou eu égard à vos fonctions, vous vous refusiez (et vous refusez toujours ?) à qualifier d' «abandon» le sort réservé aux musulmans pro-français par les autorités françaises de l'époque, ou est-ce parce que, étant sous l'autorité directe d'un Premier ministre qui se réclamait (et se réclame toujours) de l'héritage gaullien en politique, de telles déclarations vous auraient mis en porte-à-faux politiquement ?

André Santini - Je trouve que votre question est... remarquable d'intelligence et... et d'acuité... euh... parce qu'elle relève de la psychanalyse, et en politique... c'est très simple : la psychanalyse, on la fait "off" ; et dès que l'on est devant un micro ou autre, y compris moi-même qui ne suis pas réputé pour ma langue de bois, eh ! bien vous vous trouvez solidaire d'un gouvernement ; essayez de... de comprendre : nous étions tous pour l'Algérie française, nous avons été élevés dans cette tradition. (...) Et puis, un beau jour, on nous fait comprendre que ce n'est plus possible ; on essaye de comprendre, et... tous ces pauvres Algériens qui nous avaient fait confiance, qui s'étaient engagés, un ordre du jour commande qu'on ne les rapatrie pas, qu'ils restent là-bas, et puis, incontestablement, il y a eu les massacres des harkis...

- ... vous faites référence à la directive Joxe ?

- Oui, c'est ça, et puis... bien sûr... et il y a les instructions... militaires, aussi, je crois que c'était Ailleret... de ne pas embarquer de harkis. Certains l'ont fait, vous le savez, la preuve, un certain nombre ont été ramenés en France. (...) Alors, est-ce qu'il fallait... est-ce qu'il fallait... reconnaître cela ? Qu'est-ce que cela aurait apporté de le reconnaître ?

- C'est ce que je vous demande, justement...

- ... voilà... qu'est-ce que ça aurait apporté ? Moi je suis un pragmatique : je ne sais pas très bien quelle reconnaissance aurait été diffusée... et au profit de qui... à partir de là, cependant, et dans les arbitrages budgétaires, je ne me gênais pas pour dire... comme Clemenceau le disait pour les anciens de 14-18 : « Ils ont des dettes sur nous »...

- ... « Ils ont des droits sur nous »...

- ... « Ils ont des droits sur nous ». Et donc on a donné... mais c'est qu'au fond, on ne posait jamais le problème : mais qu'est-ce que ça aurait changé, d'un point de vue efficacité ? »1097(*).

b) Entre défiance et indifférence : la figure du harki dans les gestes communiste et socialiste de la guerre d'Algérie

Nous l'avons dit, à gauche, on revendique aujourd'hui plus volontiers l'héritage du PSU et de la "deuxième gauche", ainsi que de certains milieux intellectuels et étudiants sans étiquettes autres qu'un idéal révolutionnaire protéiforme, voire - non sans réserves - du PCF1098(*), que celui de la SFIO « mollétiste ». Le qualificatif de « mollétiste » est même devenu une étiquette dépréciative de ce côté-ci de l'échiquier politique, qualificatif accolé à quiconque est soupçonné de "trahir" les idéaux « progressistes » en raison de pressions exercées par les establishments politiques, économiques, militaires, etc.

Ainsi la gauche, qui « a vécu l'Algérie et sa guerre sur le mode de la culpabilisation », a-t-elle longtemps entretenu un rapport particulier à ce pays : « [L'Algérie], écrivait Benjamin Stora en 1992, est présentée comme un bloc indifférencié, peuple et gouvernement mêlés, presque située hors du temps. Décolonisée, l'Algérie n'a plus d'histoire antérieure. Pays de l'Est sous le soleil, on perçoit en quelque sorte une société «froide», répétitive, statique, ce qui permet une mise en musée. Cette attitude entrave toute approche critique de l'histoire algérienne, passée ou présente ». Et il ajoutait : « Cette homogénéité postulée de l'Algérie explique les relations d'Etat à Etat et le refus d'examen d'autres forces, d'autres mouvements sociaux ou politiques »1099(*). De même, Bernard Ravenel, qui fut en charge des relations internationales au sein du PSU entre 1974 et 1984, et dit avoir entamé après les émeutes d'octobre 1988 à Alger « une autocritique de fond de ce qui aura été le tiers-mondisme acritique du PSU », soulignait en 1998 que « dans la décennie 1971-1981, la gauche française tout entière a donné son soutien acritique au système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a attribué un surcroît de légitimité. Avec ce comportement suiviste, la gauche s'est auto-interdite de discuter publiquement les carences de ce régime, confortant la vision dominante d'un FLN toujours porteur d'un possible processus de libération ». Et il ajoutait : « En se limitant pour l'essentiel au niveau de la relation acritique d'Etat à Etat, la gauche française, avec des nuances mais globalement au moins jusqu'en 1988, a légitimé le système de pouvoir algérien »1100(*). A son tour, en 1991, Lionel Jospin, qui fut chargé des relations avec le tiers-monde au sein du PS, amorcera une première démarche autocritique : « Je me souviens encore de l'époque où, renouant les relations entre le PS français et le FLN algérien, nous taisions les observations critiques que nous aurions pu faire sur le «socialisme algérien». Le FLN était si jaloux de son indépendance et si assuré de ses choix qu'il ne nous était guère loisible d'engager de véritables débats sur les chances et les risques du modèle algérien. (...) C'est de cette autocensure que nous devons progressivement sortir »1101(*).

C'est dans ce contexte que doit être analysée la (non-)place faite à la figure du harki dans les gestes socialiste et communiste de la guerre d'Algérie. A cet égard, le fait que les harkas ont été officialisées sous le gouvernement Guy Mollet, le 8 février 1956 précisément, ajoute sans doute aux raisons qui ont conduit à ce que, après la guerre, le harki ait fait au mieux figure d'impensé, au pire figure de bouc émissaire : cette occultation ou ce rejet étaient d'autant plus forts, donc, qu'ils valaient aussi rejet des circonstances et configurations politiques ayant présidé à "l'invention" de la destinée des harkis.

- La figure du harki dans la geste communiste

A leur arrivée en France, nous l'avons vu1102(*), les Français musulmans rapatriés sont - selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou - « en butte avec une grande partie du monde ouvrier qui leur refuse la possibilité de travailler »1103(*). Ainsi, par exemple, nous l'avons vu, le parti communiste et la CGT adressent de concert cet avertissement au préfet IGAME des Bouches-du-Rhône : « [Nous établissons] [parmi les rapatriés d'Algérie] une différence très nette entre les salariés d'une part et les capitalistes, colonialistes ainsi que les harkis d'autre part qui ne peuvent ni les uns, ni les autres être considérés comme des travailleurs »1104(*). De même, Philippe Bouba, dans le mémoire qu'il a consacré à l'arrivée et à l'adaptation des pieds-noirs en Roussillon, rapporte ce que fut l'accueil de la section communiste locale. Dans un article du Travailleur Catalan en date du 2 juin 1962, les douleurs suscitées et la réalité même de l'exode des pieds-noirs sont mises en doute, les rédacteurs insinuant que « les appels pathétiques de dame radio, du conseil municipal de Perpignan, de Monseigneur l'Evêque, de la Chambre de Commerce et les écrits larmoyants de l'Indépendant » ne sont pas fondés, ajoutant que « le port présentait un spectacle de quai de gare, la veille de départ en vacances »1105(*). Dalila Kerchouche rapporte par ailleurs que ce même journal - à une date non précisée par l'auteur - s'est aussi "intéressé" à l'arrivée des anciens harkis. Elle cite un paragraphe qui, dit-elle, la « révulse littéralement » :

« Nous avions prévu, il y a quelques mois, que notre camp Joffre servirait de refuge à tous ces harkis et autres épaves dont ne voudrait pas l'Algérie nouvelle, indépendante et libre. C'est à plusieurs milliers qu'ils sont logés dans ce vaste emplacement, et on en attend d'autres, ils arrivent par trains entiers. Certains, trompés par de mauvais bergers, d'autres ayant des faits sur leur conscience à se reprocher, vis-à-vis de leur patrie. Et nous nous demandons si, devant cet afflux d'indésirables, nous ne devrons pas redoubler de vigilance pour éviter les provocations comme celles qui ont eu lieu en divers endroits de France et dont les harkis seuls ont à supporter la pleine responsabilité. Pour beaucoup d'entre eux, hommes à tout faire, ils doivent une dette aux colonialistes, qui les ont bien payés pour trahir leur pays, leurs frères. Et aujourd'hui, si nous nous réjouissons de la naissance d'une République algérienne, démocratique et populaire, où nous reconnaissons beaucoup de nos véritables amis, nous regrettons que le camp situé à 3 kilomètres de notre agglomération serve de dépotoir à ceux qui n'ont même pas le moindre scrupule de conscience »1106(*).

Les quelques enfants de harkis qui, pour quelque raison, s'engagent dans le militantisme politique au sein de ce parti ne tardent pas à prendre conscience et à sentir le poids de la situation contradictoire dans laquelle, de ce fait, ils se trouvent placés. Ainsi en va-t-il de Lucien Rafa, qui, en dépit des difficultés rencontrées, n'a pas abdiqué son engagement : « Communiste, encore, enfant de harki, à jamais, je ne parviens pas à assumer ce lourd dilemme : militant dès mon plus jeune âge au sein du Syndicat du Livre et ensuite au PCF, je me suis battu pour le droit des peuples à disposer de leur indépendance et j'ai quitté le Parti lors de la guerre en Afghanistan, pour le retrouver plus tard. Moi, fils de harki, c'est-à-dire la progéniture d'un «collaborateur et traître» à son peuple, pour ne pas dire «race», je m'engageais dans un parti révolutionnaire et, qui plus est, un parti qui avait soutenu le FLN ! (...) J'avoue avoir longtemps refoulé, nié ou tu ma «condition» de fils de harki - j'en ai eu honte quelquefois. Le regard, les réflexions, les interrogations des camarades, le mépris de certains... ont ajouté à ce sentiment de culpabilité »1107(*).

Pour sa part, Brahim Sadouni, un ancien harki, coupera court à son expérience de militant au sein du PCF dès qu'il se heurtera à l'hostilité ouverte de ses camarades de parti : « Peu après mon arrivée à Rouen, en 1973, j'ai fait la connaissance de Gérard, un syndicaliste de la CGT. Il est tuyauteur et comme je suis soudeur nous travaillons ensemble à l'atelier ou sur les chantiers. (...) Au bout de quelques mois, il me propose d'entrer au Parti. (...) A l'époque, je ne connais pas très bien la différence entre les diverses tendances politiques, mais je suis vraiment touché par la gentillesse de Gérard et par celle de ses camarades. (...) C'est ainsi que j'intègre la cellule du Parti, à Grand-Couronne, dont le maire est communiste. (...) Un soir, en 1973, Jean-Pierre Le Borgne, l'un des dirigeants de notre cellule, évoque la situation au Portugal. (...) A ce moment, je prends la parole. Les «camarades» sont tellement gentils avec moi qu'ils auront aussi un peu de compassion pour mes frères harkis.

- Vous nous parlez du Portugal. C'est très bien que la démocratie soit revenue là-bas. Mais c'est un pays qui est loin. Pendant ce temps il y a un problème grave à résoudre en France. C'est celui des harkis.

Je veux lancer un débat sur cette question.

Silence de mort dans la salle... mes paroles jettent un froid inattendu. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde se tait. Jean-Pierre Le Borgne me regarde, puis il prend la parole.

- Nous ne pouvons pas parler des harkis, Brahim.

- Pourquoi ?

- Parce que les harkis sont des traîtres.

Je me lève, choqué.

- Ah ! bon. Je suis un traître ?

J'enfile ma veste et ma casquette, puis je sors ma carte du Parti et la déchire devant tout le monde. (...) Des camarades essayent de me retenir :

- Toi, ce n'est pas pareil, me disent-ils. A l'époque tu étais trop jeune pour comprendre... »1108(*).

Il est un fait que, dans les premières années, la figure du harki a été tenue pour quantité négligeable voire, à des degrés divers, pour quantité méprisable à gauche. Au fil des années, cependant, avec l'évidence de la faillite du modèle socialiste algérien d'abord, l'accession aux responsabilités des socialistes et des communistes français ensuite, ceux-ci ont très progressivement été amenés sinon à réhabiliter du moins à composer avec cette figure, littéralement : à la re-considérer.

Aujourd'hui, une plus grande prudence est de mise au sein du PCF, où l'on admet volontiers que les Français musulmans rapatriés, à l'instar de tout groupe humain, est divers dans ses composantes. Charles Silvestre, éditorialiste à L'Humanité : « Que les harkis, qui n'ont pas tous la même histoire - beaucoup ont été embarqués par la puissance coloniale, d'autres se sont livrés sciemment dans le djebel ou à Paris même, sous les ordres de Papon, à des actes terribles -, soient eux aussi des victimes, que les pieds-noirs aient vécu un drame même s'il n'a rien à voir avec cette «Saint-Barthélemy» dont parle de façon ridicule l'hebdomadaire Le Point, [cela] n'est pas contestable »1109(*). Ainsi, l'image de « nervi du colonialisme », voire la caricature du « tortionnaire impavide et cupide », sans avoir complètement disparu des esprits, ne sont plus conçues comme hégémoniques. En fait, à l'instar de l'évolution constatée au sein du collège des intellectuels en guerre d'Algérie (voir ci-dessous le chapitre III de la Partie 2), l'image du harki est passée globalement de celle de « collabo » à celle de « malgré-nous » dans l'imaginaire du PCF. Ce qui, somme toute, n'est guère plus flatteur pour les intéressés, qui se voient ainsi ravalés du rang d'"esprits rudes" à celui d'"esprits simples". Comme en témoigne, avec une certaine véhémence, cet extrait d'un article de Jacques Cros, publié par Initiative Communiste, bulletin électronique du Pôle de Renaissance Communiste en France (PCRF), qui s'est constitué en 2004 autour de membres actuels et d'ex-membres du PCF, et qui appelle à « la renaissance d'un vrai parti communiste en France » : « A propos des harkis, il faudra bien un jour leur dire qu'à un certain moment ils n'ont pas fait le bon choix. On s'est servi d'eux, sans résultat au demeurant quant à l'issue de la guerre. Pour ceux qui les ont engagés contre leur peuple il n'était pas question d'autre chose que de les utiliser et le racisme allait de soi à leur encontre comme à l'encontre des Algériens qui avaient choisi le chemin de la dignité et de l'indépendance. Ce n'est pas impunément qu'on fait de la collaboration (de classe ou autre) »1110(*).

- La figure du harki dans la geste socialiste

Au moment des premières arrivées massives de rapatriés d'Algérie, en juillet 1962, Gaston Defferre, maire socialiste de Marseille (principale porte d'entrée sur la France des nouveaux arrivants), avait multiplié, à leur encontre, les déclarations inamicales. Le 22 juillet, à Paris-Presse : « Marseille a 150.000 habitants de trop. Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs ! ». Il récidive, quelques jours plus tard (le 26 juillet), dans une interview donnée au Figaro, témoignant de ce que ses déclarations ne sont pas le fruit d'un emportement mais d'une hostilité de principe :

Question : « Voyez-vous une solution au problème des rapatriés de Marseille ? ».

Réponse : « Oui ! Qu'ils quittent Marseille en vitesse »1111(*).

Cependant, quoique tapageuses, ces déclarations sont globalement trompeuses car c'est l'indifférence, plutôt qu'une hostilité affichée, qui, des années durant, prévaut au sein de la mouvance socialiste : le programme commun de la gauche en 1972 ne comporte ainsi aucune référence ou allusion aux suites de la guerre d'Algérie1112(*). Certes, par deux fois, dans un souci de rassemblement national (et peut-être aussi par souci d'attirer à lui les adversaires de la politique algérienne du général de Gaulle), François Mitterrand a signé sa volonté d'aborder de front les séquelles de la décolonisation en poussant plus avant la logique des lois d'amnistie : déjà, en 1966, il dépose un projet de loi - co-signé par Guy Mollet et Gaston Defferre (lequel doit désormais, contre sa volonté initiale, compter avec le poids électoral des rapatriés à Marseille) - proposant le rétablissement dans leurs grades et leurs fonctions des condamnés civils et militaires de l'OAS ; puis, le 3 décembre 1982, dans cette droite ligne (« Il appartient à la nation de pardonner »), il fait adopter par sa majorité - non sans remous internes - la dernière loi d'amnistie qui, de fait, réintègre dans l'armée les officiers généraux putschistes et leur octroie les « révisions de carrière » nécessaires à la perception de l'intégralité de leurs retraites. Mais, ce faisant, nous l'avons dit, il se heurte à de fortes oppositions internes car cette initiative bouscule et, d'une certaine manière, prend à revers la trame du ressouvenir de la guerre d'Algérie au sein de la mouvance socialiste.

Du reste, ces brusques bouffées de mémoire ne concernent que très indirectement - pour ne pas dire aucunement - les anciens harkis. Certes, à partir de 1981, la majorité de gauche pérennise et, dans une certaine mesure, améliore le dispositif d'accompagnement des familles de harkis mis en place à la suite du démembrement du système d'accueil et de reclassement (voir la Partie 1). Mais ces actions restent discrètes et ne s'accompagnent d'aucune prise de position publique ni d'aucun débat interne significatifs. Ainsi que le signale Stéphanie Abrial, « il est difficile de trouver une logique de positionnement politique sur la question des rapatriés » au sein du Parti socialiste. La responsable du service de documentation, contactée par l'auteure, signale d'ailleurs qu'à sa connaissance, « il n'y avait jamais eu de vrai débat sur la question des Français musulmans rapatriés et jamais de prise de position effective du Parti en tant que tel »1113(*).

Certes, peu avant les élections législatives de 2002, le Parti socialiste a élaboré un « Contrat de législature » spécifique en faveur de la communauté harkie. Mais ce texte, sur lequel est apposée la signature de Marie Richard, alors Secrétaire nationale à la Citoyenneté au Parti Socialiste, tient en fait sur trois pages et n'a donné prise à aucune discussion d'envergure au sein du Parti1114(*). L'explication en est d'ailleurs contenue dans le document lui-même qui explique que « le regard défiant que leur portent encore aujourd'hui des hommes de bonne volonté, progressistes, mais pour lesquels seuls les tenants de l'indépendance de l'Algérie ont droit de cité, empêchent [les anciens harkis] d'assumer au grand jour leur histoire et de la transmettre à leurs enfants et petits-enfants ».

La figure du harki n'est pourtant pas totalement absente des cadres du Parti, mais sa prise en charge est abandonnée à des initiatives individuelles, que celles-ci soient motivées par les trajectoires biographiques des intéressés1115(*) ou, plus prosaïquement, guidées par leurs intérêts électoraux. Car les quelques rares députés ou personnalités politiques socialistes de premier plan à avoir fait valoir leur singularité sur ces questions sont tous des élus de circonscriptions marquées par une forte implantation de populations rapatriées d'Algérie : outre le député de l'Hérault Kléber Mesquida, lui-même né en Algérie et auteur d'une proposition de résolution (n°1637) tendant à la création d'une « commission d'enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriées et harkis après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie », il en est ainsi des trois députés socialistes de l'Aude (Jean-Claude Perez, Jacques Bascou et Jean-Paul Dupré), de Gérard Bapt, député de Haute-Garonne, de Jean-Pierre Bacquet, député du Puy-de-Dôme, ou encore du président du Conseil régional de Languedoc-Roussillon et ancien maire de Montpellier, Georges Frêche.

Ce dernier, ancien militant maoïste (il adhère à 25 ans à la Fédération des cercles marxistes-léninistes, FCML, directement subventionnée par la valise diplomatique chinoise1116(*)), puis député socialiste de l'Hérault, a toujours joué d'une position affichée de "franc-tireur" au sein du Parti socialiste eu égard aux rapatriés ; allant même, pour ce faire, jusqu'à traiter publiquement les parlementaires qui avaient demandé l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 (énonçant le « rôle positif de la colonisation ») de « gugusses du PS qui font une opération politicienne », puis à entonner le « chant des Africains » en plein Conseil régional. Ce même jour, au déjeuner, Georges Frêche, s'adressant au porte-parole du groupe communiste, expliquait : « Moi, tu comprends, je ne suis pas à Nantes, où il n'y a pas l'ombre d'un rapatrié. Ici, à Montpellier, c'est eux qui font les élections »1117(*). Une stratégie électoraliste adoptée de longue date1118(*) et continûment payante puisque Georges Frêche sera régulièrement soutenu par les associations de rapatriés : en 1993, il est le seul candidat socialiste soutenu par le Recours ; en 2002, le Recours à nouveau, ainsi que l'Anfanoma, l'Association nationale des Français disparus en Algérie, l'Association des rapatriés anciens combattants d'Afrique du Nord, le Comité de défense des rapatriés et quelques autres amicales de pieds-noirs lui apportent leur soutien au motif que Georges Frêche a démontré son « attachement » et sa « fidélité » à la communauté, et qu' « il a refusé de voter la date souvenir du 19 mars »1119(*).

C'est dans ce contexte très particulier qu'a pris corps l'incident survenu le 11 février 2006 à Montpellier lors d'une cérémonie d'hommage à Jacques Roseau, ancien président de l'association de rapatriés le Recours (mort assassiné en 1993), cérémonie organisée par Georges Frêche en présence de Jack Lang. Pris à partie au cours de cette cérémonie par des fils de harkis membres de l'Association Justice Information Réparation (AJIR), qui souhaitaient lui faire part de leur mécontentement quant aux solutions de relogement proposées par la municipalité (la nouvelle mairie de Montpellier devant être édifiée sur le site d'une ancienne cité de transit, où vivent encore 106 personnes rassemblées dans 26 logements), Georges Frêche, apprenant par ailleurs que ces mêmes personnes avaient assisté le matin même à une manifestation organisée par des députés UMP hostiles à l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005, n'avait pas supporté que ceux qu'il estimait être de plein droit "ses" électeurs lui manquent ainsi ostensiblement. Sa réplique, qui fit scandale, fut cinglante : « Ils [les gaullistes] ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez encore leur lécher les bottes ! Mais vous n'avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes, vous n'avez aucun honneur ! ». Et d'insister : « Vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus toute leur vie ! Allez donc rejoindre vos frères les gaullistes qui ont laissé massacrer les vôtres, qui ont été égorgés comme des porcs. Allez leur lécher les bottes ! ». Deux jours plus tard, Georges Frêche convoquait la presse pour s'excuser publiquement d'avoir prononcé les mots « sous-hommes », expliquant s'en être pris à une personne en particulier et non à la communauté harkie dans son ensemble, et réaffirma « [avoir] toujours soutenu et aimé les harkis »1120(*). Il s'en expliquera à nouveau, le lendemain, dans le Midi Libre : « Je ne me suis jamais adressé aux harkis dans leur ensemble. J'ai eu une «engueulade» avec un harki et puis j'ai pensé que le mot employé était blessant pour lui. Je l'ai retiré. (...) Je défends les harkis depuis trente ans. Je les ai trouvés ici dans la boue. Au milieu des rats. (...) Les gaullistes et la droite les avaient laissés pourrir dans des conditions innommables ».

Mais plus encore que la sortie de Georges Frêche, c'est la (non-)réaction du Parti socialiste qui est ici d'intérêt pour nous. Interrogé par Libération à l'issue de la cérémonie sur les propos tenus en sa présence par Georges Frêche, Jack Lang assurait n'avoir rien entendu. Dans un point presse tenu deux jours plus tard (avant les excuses publiques de Georges Frêche), Bruno Le Roux déclarait - au nom des instances nationales - que « les propos de Georges Frêche, si je les ai bien entendus, me semblent à remettre dans un contexte local », ajoutant que « [c'était] à lui d'en préciser le sens et d'expliquer ses propos ». Sans menace de sanction, donc. Le lendemain, Georges Frêche, fort de son leadership sur une fédération rassemblant à elle seule 5.000 membres, était d'ailleurs l'invité de Dominique Strauss-Kahn, en recherche d'appuis pour sa campagne. Au même moment, Robert Navarro, premier secrétaire de la fédération de l'Hérault restait « injoignable », tandis que la militante de permanence s'étonnait de ce que le journal Libération cherche à recueillir des réactions : « Qu'est-ce que cela a à voir avec le PS ? »1121(*).

Plus significative encore fut la réaction des militants du siège parisien du PS après que des fils de harkis eurent installé un campement et entamé une grève de la faim rue de Solferino. Voici ce qu'en disent les intéressés eux-mêmes dans un communiqué diffusé à la presse : « Le collectif Justice pour les Harkis, l'association Harkis et Droits de l'Homme, ainsi que l'association UNIR sont scandalisées par l'attaque perpétrée par des gros bras du PS à l'endroit des grévistes de la faim qui s'étaient pacifiquement installés devant le siège du PS sis 10, rue de Solferino 75006 à Paris. En effet, profitant de l'éloignement de ces derniers, plusieurs personnes sorties du siège du PS ont sauvagement détruit leur campement, en confisquant  la bâche qui les protégeait de la pluie, en volant leurs panneaux d'affichages, laissant ainsi sous la pluie leurs couvertures ainsi que leurs effets personnels dont le sac contenant les médicaments du gréviste de la faim Abdelkrim Klech, atteint par ailleurs de diabète. Ce dernier consterné par ces méthodes a interpellé François Hollande qui traversait la cour du siège à ce moment là et qui, pour toute réponse, s'est mis à lui rire au nez. Sur cet affront, le chauffeur de François Hollande lui-même insulta les grévistes de «collabos». L'association Harkis et Droits de l'Homme s'indigne de ces méthodes fascisantes commanditées par le siège du Parti Socialiste et destinées à empêcher la liberté d'expression, fondement même de notre démocratie ». Gilles Manceron, vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme, interrogé le 13 février sur les raisons profondes d'un tel dérapage, soulignait que « cette idée que les harkis sont des traîtres est largement répandue en Algérie, en France et même à gauche »1122(*).

Le 18 février, après les excuses publiques de Georges Frêche, et face aux interrogations soulevées par le flottement des instances dirigeantes sur la question des sanctions, le PS diffusait un nouveau communiqué, soulignant que le Parti « a condamné et condamne des propos inacceptables qui exigeaient des excuses publiques », ajoutant : « Ces excuses ont été faites, ce qui n'est pas si fréquent en politique ». Cependant, le 28 février, François Hollande annoncera la suspension de l'intéressé des instances nationales du PS, décision jugée insuffisante par les associations de harkis comme par certaines voix internes au PS, venant notamment des fabiusiens et de l'ex-NPS (sans qu'il soit possible, ici, de faire la part des réactions sincères et des tentatives de déstabilisation)1123(*). Finalement, l'une des réactions les plus nettes viendra paradoxalement de Jean-Paul Bacquet, député PS du Puy-de-Dôme, dont nous avons dit qu'il s'était singularisé de longue date au sein de son parti sur la question des rapatriés et du rapport de la France à son passé colonial, adoptant des positions jusque-là très proches de celles de Georges Frêche : « Au moment où la conscience nationale semblerait trouver l'unanimité pour reconnaître les faits de guerre en Algérie et ceux qui ont combattu pour elle, ces propos sont inacceptables, je suis indigné, écoeuré. Ceux qui n'ont pas le courage de dénoncer les propos de Georges Frêche ont tort. Certes, il représente un certain nombre de voix au PS mais il vaut mieux perdre les voix d'une fédération que son âme et son honneur ! Quant à moi, je n'attends rien de Frêche. Ce que je ne peux accepter, c'est le mutisme des gens de son parti ! »1124(*).

c) Le Front national, entre "nostalgérie" et islamophobie

Au regard du souvenir de la guerre d'Algérie, et de la figure du harki en particulier, le Front National joue, d'une certaine manière, un rôle symétrique de celui du Parti communiste : quand ce dernier met en valeur la constance de ses engagements anticolonialistes (au prix de certaines omissions : on met en exergue Charonne plutôt que le vote des pleins pouvoirs à Guy Mollet) et loue le combat "libérateur" des Algériens (sans réel égard pour ceux des musulmans qui se sont opposés à l'hégémonie naissante du FLN), le Front national magnifie l' « oeuvre française outre-mer » et cristallise à son avantage, relaie et amplifie les frustrations de certains rapatriés, dont il a fait de longue date une clientèle électorale. Ainsi, à la différence du Parti communiste, qui considérait les Algériens d'Algérie "en bloc" (les « colonisés »), et qui, de nos jours en France, ne veut pas davantage établir de différence entre les "beurs" et les "enfants de harkis" (« qui ont les mêmes problèmes »), le Front national articule tout son discours autour de l'opposition - posée comme paradigmatique - entre la figure du harki, figure de l'allogène "méritant" car devenu Français « par le sang versé », et l'immigré naturalisé ou le fils d'immigré né en France, considérés comme des « Français de papier » suspects a priori de n'avoir pas « émis le désir ou prouvé leur assimilation à notre civilisation »1125(*). Ainsi Jean-Marie Le Pen s'indignait-il, en 1997, de ce que les « 110.000 immigrés clandestins ou plus - les soi-disant «sans-papiers» - vont être régularisés par les services du ministère de l'Intérieur, alors que dans le même temps, 35 ans après la fin de la guerre d'Algérie, nos compatriotes fils de harkis, sont encore obligés de faire la grève de la faim et que les pieds-noirs n'ont toujours pas été dignement indemnisés »1126(*). Cette "valorisation" de la figure du harki par contraste avec celle de l'immigré puise à la fois (i) dans la "morale" que le Front national tire de l'histoire de la guerre d'Algérie, et (ii) dans la conception qui est la sienne des conditions devant présider à l'acquisition de la nationalité française :

(i) Le Front national, organiquement créé en 1972, se présente comme le point de convergence de forces qui, tout au long de la seconde moitié du XXème siècle, n'auraient eu de cesse, à travers le monde, de combattre le « communisme » et « l'islamisme » : « Nous étions avec les peuples d'Indochine agressés par un marxisme à prétention puritaine qui causa le naufrage de cette civilisation en trente ans de guerre avant d'établir, ici, le génocide et le lao-gaï, là, misère et corruption la plus honteuse. Nous étions auprès de nos compatriotes d'Algérie, européens ou non, qui refusaient la dictature FLN, derrière laquelle se profilait déjà le fanatisme islamique, les égorgeurs d'hier fournissant les égorgés de demain »1127(*). A ce titre, le Front national, soucieux d'« intégrer la mémoire d'outre-mer dans la mémoire nationale » et de « rappeler ce que fut l'oeuvre de la France au profit de ces peuples dont elle rendit possible le développement moral, intellectuel et matériel », entend établir une claire ligne de partage entre ceux - les "harkis-français par le sang versé" - dont l'engagement est interprété comme un témoignage de « fidélité » à la France (et de gratitude à l'égard de son « oeuvre civilisatrice »), et ceux - les "immigrés-profiteurs" - dont la trajectoire est lue comme un témoignage répété d' « ingratitude ». Aussi le Front national, s'il accède aux responsabilités, « procédera[-t-il] à une renégociation globale des relations franco-algériennes sur la base de la stricte réciprocité. (...) La France conditionnera notamment l'accès limité des Algériens à son territoire à la libre circulation des harkis entre la France et leur terre natale, possibilité qui leur est actuellement refusée par l'Algérie »1128(*);

(ii) Pour le Front national, la nationalité française « s'hérite ou se mérite »1129(*) : dans cette logique, les harkis - français « par le sang versé » - figurent l'expression "la plus haute" d'une acquisition « au mérite » de la nationalité française ; par contraste, les naturalisés, les binationaux et les enfants nés en France de parents étrangers sont suspects de ne pas « [avoir] émis le désir ou prouvé leur assimilation à notre civilisation » : en somme, suspects d'être des « immigrés définitifs », institués en « colonies de peuplement » par le regroupement familial, et au sujet desquels se pose "naturellement" « la question du loyalisme »1130(*). Ainsi Jean-Marie Le Pen dépeint-il, dans le message qu'il adresse aux électeurs à l'occasion des élections européennes de 1999, « une immigration déferlante, bien différente de l'ancienne immigration des honnêtes gens européens ou harkis intégrés à la Patrie ». De même, Frédéric Butez, conseiller municipal Front national de Roubaix, réagissait-il en ces termes à la profanation d'une stèle érigée en hommage aux harkis : « En s'attaquant à cette stèle, les auteurs de ce méfait ont voulu salir la mémoire de ces combattants volontaires qui ont choisis la France au péril de leur vie. (...) A l'heure ou le débat sur la colonisation fait rage, il semble important et nécessaire au Front National de rendre hommage aux harkis. C'est notre devoir de mémoire. Ils ont choisi la France par amour, et non pas pour bénéficier de prestations sociales »1131(*).

Mais cette instrumentation du "harki" comme figure de l'exceptionnalité, ou de l'allogène exceptionnellement "méritant" par opposition à la masse des immigrés, se heurte fréquemment aux réponses d'ordre essentialiste (et, à ce titre, négatives) apportées à la question de la "solubilité" de l'Islam dans l'imaginaire et le corps de la Nation. Ainsi l'Université d'été du Front national fut-elle marquée, en 1999, par un important débat interne sur cette question après que Samuel Maréchal, directeur de la Communication du Front national, eut considéré qu'il était vain de nier la réalité d'une société multiconfessionnelle en France. Le délégué général Carl Lang et le maire d'Orange Jacques Bompard s'étaient immédiatement élevés contre une telle affirmation, de même que Bernard Antony, organisateur de l'Université d'été et chef de file de la branche catholique traditionaliste du Front national, pour qui l'Islam « n'est pas soluble dans la société française »1132(*). De telles déclarations brouillent et contredisent le schéma en apparence "limpide" de l'acquisition « au mérite » de la nationalité française, témoignant de la sorte de la fragilité du "piédestal" offert à la figure du harki dans l'imaginaire politique frontiste. Il n'est pas certain, à cet égard, que l'intervention de Jean-Marie Le Pen au cours de cette même Université d'été, affirmant pour sa part que la présence de musulmans en France est un problème « politique » et pas « religieux », ait suffi à lever toutes les équivoques au sein de son parti.

Du reste, les tentatives de récupération de l'électorat "rapatrié" poussent parfois jusqu'aux limites du compréhensible pour les militants, comme lors des élections européennes de 1999 où Jean-Marie Le Pen s'était affiché auprès de Charles de Gaulle (le petit-fils du général) à la tête d'une liste dite de « réconciliation nationale », où figuraient également Sid Ahmed Yahiaoui, fils d'un ancien sénateur Français-musulman assassiné par le FLN en 19621133(*), et de Farid Smahi, fils d'un Touareg algérien ayant servi dans l'armée française durant la Seconde guerre mondiale. Le choc fut tel pour certains que l'on s'enquit immédiatement d'obtenir la caution d'anciens membres de l'OAS, devenus militants du FN :

« L'heure est grave et cette élection doit marquer le début de la résistance du peuple français à l'oppression. Les adversaires d'hier décident de mener le combat pour la France à nos côtés. De ce point de vue, le ralliement à la cause que nous défendons du petit-fils du général de Gaulle est significatif et encourageant. Nous ne sommes pas des attardés de l'histoire accrochés à des combats perdus, nous sommes porteurs d'avenir, et l'avenir sera ce que les hommes d'honneur, de fidélité et de patriotisme en feront. Ce qui compte aujourd'hui, c'est de savoir qui veut résister ou qui veut devenir esclave des mondialistes. Alors nous disons, nous, défenseurs de l'Algérie française, bienvenue dans nos rangs à Charles de Gaulle, bienvenue à tous ceux qui voudront suivre son exemple » (Jean-Baptiste Biaggi, président d'honneur du Cercle National des Résistances, ancien député ; Pierre Descaves, ancien député, conseiller régional ; Roger Holeindre, président du Cercle National des Combattants ; Albert Peyron, président du Cercle National des Rapatriés, ancien député ; Jean-René Souêtre, secrétaire général du Cercle national des Résistances ; Jean-Jacques Susini, conseiller régional)1134(*).

Plus significatif encore de l'ambivalence du statut de la figure du harki dans l'imaginaire frontiste, les glissements sémantiques auxquels donne lieu l'emploi du terme "harki" dans certains discours de Jean-Marie Le Pen qui, s'il n'est pas employé comme synonyme de "traître" dans l'extrait qui suit, l'est assurément de façon dépréciative, exprimant l'idée d'une servitude de nos armées : « Notre armée d'active, soulignait-il, ne s'est jamais - paradoxalement - trouvée engagée autant que depuis un quart de siècle dans des opérations belliqueuses (Tchad, Zaïre, Liban, Mauritanie, Centre Afrique, Irak, Somalie, Rwanda, Balkans), mais hélas, pour le compte d'une autre politique nationale que la nôtre dans des emplois de supplétifs, de harkis de l'ONU et de l'OTAN »1135(*).

Mais, par-delà les banalisations dépréciatives ou les usages intéressés de la figure du harki, il est une geste collégiale - celle des « soldats perdus » de l'Algérie française - qui, quoique très largement inaudible (tant en raison de la faiblesse des effectifs de ceux qui la portent qu'en raison de son opposition idéologique et, en grande partie, sociologique aux relais institutionnels de la mémoire), accorde à cette figure une place exceptionnellement centrale et laudative.

- 3. Les évocations inaudibles ou la geste amère des « soldats perdus » de l'Algérie française (le harki comme étendard d'une « espérance trahie »)

Dans le Dictionnaire de la contestation au XXème siècle, Laurent Beccaria, qui a par ailleurs consacré une biographie à Hélie de Saint Marc, puis l'a aidé à rédiger ses souvenirs, dépeint les « soldats perdus » comme « une cohorte clairsemée - tout au plus quelques milliers - que la blessure algérienne a jetée dans l'illégalité entre 1960 et 1963 ». Et il ajoute :

« L'Indochine sert de creuset à ces hommes venus d'horizons opposés. Mais déjà, la métropole les ignore. Invités en 1948 par un sondage à classer les problèmes les plus graves de l'époque, les Français placent l'Indochine au dernier rang de leurs préoccupations. La même année, les citations décernées aux soldats français disparaissent du Journal officiel. (...) Il se développe parmi eux un climat en marge, voire en révolte, contre le modèle républicain de la IVème République, dont les jeunes officiers ne voient que la caricature des ministères qui se succèdent. Ce refus s'amplifie encore après les accords de Genève, quand reviennent les rescapés des camps Viêt-minh. Les deux tiers des prisonniers de Diên Biên Phu meurent en trois mois - entre juin et août 1954 -, durant une captivité d'épouvante. (...) Mais personne ne les écoute. Pire : la raison d'Etat exige que ces témoins gênants soient écartés pour ne pas entacher la signature encore fraîche des accords de Genève. L'absence de reconnaissance de leur épreuve les marque jusqu'au sang. En outre, le conflit colonial s'est doublé d'une guerre civile. Des centaines de milliers de Vietnamiens se sont engagés aux côtés de l'armée française. Il a fallu aider, parler, s'engager auprès des populations. Et puis, un jour, laisser tomber ses promesses et ses alliés. Ainsi, en une décennie, une génération militaire se détache de facto du reste de la nation. (...) Pourtant en Algérie, les capitaines croient trouver un aboutissement et une reconnaissance. Enfin une guerre en phase avec la métropole : L'Algérie c'est la France est le dogme absolu de tous les gouvernements jusqu'en 1959. (...) Logiquement, ces réfractaires appuient les émeutes du 13 mai et jouent un rôle clef dans les fraternisations de 1958 »1136(*).

Ainsi, tant en raison du précédent indochinois que des paramètres politiques propres au conflit algérien, la figure du harki joue sur le moment - y compris à titre générique (les musulmans pro-français comme acteurs et facteurs d'influence politique lors des journées du 13 mai) - un rôle pivot dans les choix de ces hommes (dont beaucoup ont par surcroît été chefs de harkas), et occupe-t-elle rétrospectivement une place singulière dans le récit qu'ils en font. A la lecture de leurs témoignages, la destinée des supplétifs - depuis l'engagement aux côtés de l'armée française jusqu'à la mort ou l'exil - symbolise mieux et plus que d'autres figures, semble-t-il, les « espérances trahies » de ceux qui corps et âmes ont voulu conserver l'Algérie à la France, ou du moins la soustraire à l'influence exclusive du FLN. Ces officiers, généralement originaires de métropole (à l'exception notable du général Jouhaud, lui-même pied-noir), bien qu'attachés aux Français d'Algérie et plus ou moins étroitement mêlés à leurs combats, avaient "leur" vision de l'Algérie française : ils croyaient à la nécessité et entendaient promouvoir la « promotion musulmane » dans le bled (exemple des Sections administratives spécialisées) comme à plus grande échelle : il n'est qu'à se rappeler, à cet égard, la tentative déçue d'un Challe, qui voit dans la création d'une Fédération des unités territoriales et des autodéfenses (voir la Partie 1) un formidable outil de cristallisation des "volontés" exprimées au cours des scènes de fraternisation de mai 1958 (qui doivent beaucoup, là encore, à l'initiative des militaires). La trace laissée par ces instants inédits - mais tardifs - dans l'histoire de l'Algérie française, qui précédèrent de peu et précipitèrent l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle, et qui s'ajoutèrent aux sentiments nés de la fraternité d'armes avec les unités supplétives, a été profonde, accouchant du sentiment corrélatif chez bien des officiers français d'être redevables des populations musulmanes non inféodées au FLN, d'être investis d'une mission particulière à leur égard. Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc évoque dans ses mémoires ce que furent pour lui ces instants : « J'ai vraiment pleuré, je n'ai pas honte de le dire, en voyant ces hommes déferler sur la place dans le soleil de la fin d'après-midi, à l'endroit même où, quelques mois auparavant, l'armée avait été obligée d'intervenir pour éviter des ratonnades. Pour un officier français, ces scènes de fraternisation étaient vraiment extraordinaires. Je crois que ces heures-là ont été déterminantes pour ce qui a été ensuite nos engagements et notre rébellion. Quand on a vu cela, il était impossible de l'oublier »1137(*). Dans un autre ouvrage : « En rangs serrés, les musulmans débouchèrent sur le rectangle colonial, éblouissant de blancheur, dans un délire de drapeaux. Sans un mot, je contemplais la houle humaine. Je découvrais que l'on pouvait pleurer de bonheur »1138(*).

Les espérances soulevées par ces scènes, et les premières déclarations apparemment concordantes du général de Gaulle, ne feront qu'aviver le sentiment d'amertume de ces officiers quand viendra l'heure de la politique de « dégagement ». Telle est la tonalité de la déposition du commandant Hélie Denoix de Saint Marc, le 5 juin 1961 devant le haut tribunal militaire, alors qu'il est jugé pour sa participation au "putsch" d'Alger :

« Ce que j'ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d'homme, Monsieur le président, j'ai vécu pas mal d'épreuves : la résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d'Algérie, Suez, et puis encore la guerre d'Algérie. En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l'adversaire, maintenir l'intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l'égalité politique. (...) Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours. (...) Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu'il fallait apprendre à envisager l'abandon possible de l'Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d'un coeur léger ? (...) Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d'Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant une mort affreuse. (...) Nous pensions à notre honneur perdu. Alors le général Challe est arrivé. (...) Il m'a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s'étaient engagés à nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur. Alors j'ai suivi le général Challe. (...) Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c'est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer (...) »1139(*).

Déjà, quelques jours auparavant, le 29 mai 1961, dans sa déposition devant le même haut tribunal militaire (et pour les mêmes chefs d'inculpation), Maurice Challe concluait son intervention en des termes qui recoupaient effectivement les motifs invoqués par Hélie de Saint Marc pour justifier de sa déclaration d'allégeance à l'intéressé :

« Ces hommes, ceux qui nous ont suivis, ceux qui ne nous ont pas suivis, depuis des années ont dans les yeux et dans les oreilles les regards et les cris de tous ceux qu'aux quatre coins du monde nous avons abandonnés : les catholiques du Tonkin, les Thaïs, les Méos, un nombre énorme de Vietnamiens, les Berbères du Maroc, les Arabes en très grand nombre, les Tunisiens, aujourd'hui les Algériens. Ces gens-là étaient venus voir des milliers d'officiers et de sous-officiers ; ils leur avaient dit : «Nous aimons la France, nous voulons rester à ses côtés ; nous nous ferons tuer pour elle, mais protégez-nous ; jurez-nous que vous allez rester avec nous, que vous ne nous abandonnerez pas, ni nous ni nos familles». Et nos officiers, et nos sous-officiers ont juré... Et puis, après, ils ont amené leur drapeau. Depuis des années cela se passe ainsi ; ils ont amené leur drapeau et ils sont partis avec, dans les yeux, les regards de douleur et de mépris de ceux que nous abandonnions. Alors on nous dit : «Obéissance... Discipline... Devoir...». Et nous répondons : «Oui, obéissance ; oui, discipline ; oui, devoir, jusqu'à la mort, jusqu'à la mort inclusivement, mais pas jusqu'au parjure dix fois, cent fois répété, parce que, tout de même, nous ne sommes pas des animaux domestiques mais des êtres humains et qu'il n'y a pas de raison d'Etat, il n'y a pas de loi au monde qui puisse obliger un homme à faire du parjure son pain quotidien» »1140(*).

A la différence de Saint Marc ou de Challe, le général Raoul Salan, s'il parle aussi en soldat « meurtri » à son procès un an plus tard (du 15 au 23 mai 1962), parle surtout en chef de l'OAS. Son discours, plus directement « politique » (au sens d'un plaidoyer pro-domo), n'en conserve pas moins certaines lignes argumentatives communes avec celles de ses camarades de révolte :

« J'ai été le témoin, en 1954, de l'horrible exode de plusieurs millions d'hommes. Ils s'accrochaient désespérément à nos camions. Ils tentaient de nous suivre en charrette ou d'embarquer sur nos bateaux. Ne leur avions-nous pas promis que jamais notre drapeau ne serait amené sur cette terre d'Indochine ? Ne nous avaient-ils pas crus ? (...) D'un tel désastre naît une résolution dans le coeur de ceux qui ont été les acteurs indignés et meurtris ». Puis, plus avant : « Le chef de l'état n'avait-il pas proclamé que « toutes les tendances, toutes » seraient consultées ? En privant les Français chrétiens et musulmans de toute possibilité légale d'expression, il semble que le général de Gaulle n'entendait reconnaître une tendance que si elle s'exprimait dans l'illégalité et par la violence. (...) Anciens combattants, militaires, supplétifs qui se donnèrent à plein pour cette pacification qui faisait notre fierté, après les avoir convaincus de notre résolution de rester, après les avoir compromis, ils sont bassement abandonnés. C'est une honte pour le pouvoir, mais c'est l'honneur de l'O.A.S. de leur avoir montré la fidélité de la France »1141(*).

Quelques mois plus tôt, en février 1962, Edmond Jouhaud, alors chef de l'OAS à Oran, utilise des arguments analogues dans une lettre qu'il adresse au préfet d'Oran : « Permettez-moi de vous demander de croire à ma sincérité. Je suis, au premier chef, inquiet pour les Musulmans. Nous avons tous, vous et moi, fait aux Musulmans des promesses. On les a assurés que la France ne les abandonnerait pas. On les a incités à accepter des postes d'autorité ; on a nommé des Musulmans préfets, sous-préfets, chefs de service. On a élevés au grade de général ou de colonel des Musulmans. Que deviendront-ils dans le nouvel Etat algérien qui sera, personne n'en doute, une République populaire ? J'ai commandé en Indochine. J'ai assisté à l'exode du Tonkin. Je sais le sort qui fut réservé à nos amis d'Hanoi. Nos musulmans, trompés, bernés, trahis, seront les victimes de notre lâcheté et ils nous maudiront »1142(*). A l'été 1961, déjà, dans une lettre circulaire adressée à un maximum d'officiers en Algérie et en métropole (aux fins de les convaincre de joindre leurs forces à celles de l'OAS), le général Jouhaud n'hésitait pas à jouer du sort prévisible réservé aux musulmans non inféodés au FLN en cas d'indépendance comme d'une « poire d'angoisse » (l'expression est du général de Gaulle) : « Leur devoir [à ces officiers] est, bien sûr, d'obéir sans hésitation aux ordres du gouvernement légal. Mais leur conscience leur dicte de ne pouvoir exécuter les directives qui tendent à amputer le pays d'une province. Leur conscience leur interdit d'abandonner des musulmans qui ont cru à la parole de la France et au serment des officiers »1143(*).

En 1957 déjà, Jean-Yves Alquier, qui fut neuf mois durant chef de Section administrative spécialisée, et dont la vocation, ès qualités, était d'être au contact des populations dans des régions jusque-là sous-administrées, exprimera, à son retour1144(*), ce qui n'était alors qu'une hantise :

« De mon dernier séjour à Tazalt, ce sont surtout les moments passés en tête-à-tête avec Si Abdelkader que je n'oublierai pas. La veille, nous nous étions dit adieu chez lui à Feddalha. Et pourtant, ce matin-là, dès le jour levé, il était à ma porte : «Mon lieutenant, je veux te parler, seul, une dernière fois avant que tu nous quittes. Il s'agit des jeunes de la Mechta dont je suis le chef. C'est moi qui les ai fait revenir d'Alger à ta demande pour travailler avec toi et le capitaine. Tant que vous étiez là, on avait confiance en la France. Mais maintenant, j'ai peur qu'elle nous abandonne. (...) Tu sais que si on donne l'indépendance à l'Algérie, tous ceux qui auront travaillé avec la France seront massacrés. Alors, voilà ce que je te demande ; ou bien tu me jures, à moi qui suis ton ami et ai confiance en toi, que jamais vous ne nous abandonnerez ; ou bien, avant de partir, autorise ces jeunes à partir travailler à Alger ou en France». (...) Et pendant que le vieux chef attend ma décision, je pense à tous ceux qui en Indochine ont été massacrés pour avoir cru que la France, après les avoir engagés à ses côtés, ne les abandonnerait pas... à ceux de Tunisie, fidèles jusqu'au bout, disparus sans laisser de trace depuis notre départ... à ceux du Maroc... Et une fois de plus, je me demande si, un jour, avec mes camarades, nous n'aurons pas sur la conscience la mort de ceux que nous avons ralliés, compromis pour toujours avec nous. (...) Devant Si Abdelkader qui m'interroge de son regard anxieux et embué de larmes, il ne s'agit pas d'un discours tels qu'on peut les faire à la tribune d'un parlement. Il s'agit de la vie d'hommes qui sont nos amis. Et, tout en évoquant le sang déjà versé, je signe les laissez-passer qui vont éloigner de leur Mechta ces jeunes hommes, mais aussi réserver leur avenir, quel qu'il soit »1145(*).

Et de fait, longtemps après qu'ils eussent été amnistiés, l'évocation du sentiment de « déshonneur » lié à la « parole donnée et reprise », ainsi que du traumatisme lié à l' « abandon des populations fidèles », résonnera comme un leitmotiv chez nombre de « soldats perdus » de l'Algérie française en même temps qu'elle servira de justification cardinale à leurs "plaidoyers" rétrospectifs. Edmond Jouhaud : « A qui revient le soin de rassurer [la population], de s'engager au nom de la nation, dans les villages du bled en particulier, sinon à l'armée ? Il ne saurait en être autrement. L'officier, dès lors, met en jeu son honneur. Cette parole donnée le conduit à suivre attentivement l'évolution de la politique. Il ne peut donner des assurances démenties le lendemain par le pouvoir, sans perdre son crédit et sa dignité. Selon un mot célèbre : «On ne peut demander à un soldat de faire du parjure son pain quotidien». C'est ce qu'auraient dû comprendre ceux qui avaient la charge de gouverner le pays, en ordonnant aux officiers de le pacifier, de rétablir la confiance et, pour ce faire, de s'engager personnellement auprès des populations indigènes. Le jour où ces officiers se rendront compte qu'ils ont été abusés, ils se révolteront »1146(*). De même, Pierre Sergent : « Les questions que se posaient les cadres du 1er REP étaient toujours les mêmes : le drapeau du FLN va-t-il flotter sur les départements français d'Algérie ? Après avoir été vaincu sur le terrain, le FLN entrera-t-il en vainqueur dans Alger ? Que vont devenir les populations de souche européenne ? Et les populations de souche musulmane qui avaient cru aux promesses de l'armée ? L'armée sera-t-elle donc éternellement vaincue, éternellement parjure ? »1147(*).

L'amertume que ces officiers n'ont depuis lors cessé de nourrir à l'égard de la tutelle politique est redoublée par le sentiment de ne pas avoir été compris (pour reprendre le titre du livre d'Edmond Jouhaud) ou jugés par l'opinion sur leurs véritables ambitions et déchirements. Hélie Denoix de Saint Marc, lui encore, y est revenu plusieurs dizaines d'années après, dans une série d'ouvrages écrits en collaboration avec Laurent Beccaria1148(*) :

« En 1962, l'opinion a accepté la fin de la guerre avec un certain soulagement, sans toujours en mesurer le prix à payer. Ce prix a été très élevé. L'affaire s'est soldée par la tragédie des harkis, le massacre de centaines de Français d'Algérie à Oran, le drame des disparus, le déracinement collectif et brutal d'un million de pieds-noirs - ce qui revenait à nier le droit du sol et à opérer une purification ethnique - et enfin par la livraison de l'Algérie et de ses habitants au seul FLN, en écartant toutes les autres tendances des populations algériennes. On peut dire : ça, c'est le passé, regardons l'avenir. Je veux bien, mais la connaissance exacte du passé me paraît nécessaire pour construire l'avenir »1149(*). Il ajoute : « C'était une guerre civile. Il fallait sortir de structures coloniales devenues obsolètes. Le FLN a voulu en sortir contre la France ; d'autres auraient souhaité en sortir avec la France et avec les pieds-noirs, pour bâtir un pays où la Bible, le Talmud et le Coran pussent vivre en paix. Ceux-ci étaient nos alliés et on ne les a pas défendus. Il est terrible de penser qu'une armée victorieuse sur le terrain n'ait pas défendu ceux qui avaient participé à cette victoire et les ait laissé massacrer. C'est une non-assistance à personnes en danger de mort »1150(*). Et de conclure : « «C'est inéluctable...» Combien de fois ais-je dû supporter ce mot monstrueux ! Je n'ai jamais accepté ceux qui passent par pertes et profits des communautés entières au nom d'une justice supérieure. Je crois à la paix des contraires. Des frères ennemis pouvaient renoncer à leur lutte sanglante et décider de vivre ensemble sur la même terre. A l'époque, je voulais bien mourir s'il le fallait pour le prouver. Nous avons dû attendre trois décennies pour que les accords De Klerk-Mandela, Arafat-Rabin, voire Lafleur-Tjibaou, apportent le gage que notre rêve n'était pas fou. Mais les élites françaises vivaient dans l'ivresse du sens de l'Histoire. Elles avaient rejeté Albert Camus, parce qu'il avait osé dire qu'entre la Justice et sa mère, il choisissait sa mère. (...) [Pour ma part], je savais que rien dans la vie n'est inéluctable - et jamais le massacre et l'abandon de ceux qui vous ont fait confiance »1151(*).

On retrouve, curieusement, des réflexions analogues, une même critique de la solution « intégraliste » en Algérie chez un Paul Thibaud, que tout sépare pourtant - a priori - de l'engament d'un Saint Marc. Paul Thibaud : « Les intellectuels ne pouvaient se contenter de dénoncer l'inacceptable, d'abord la torture, ils voulaient aussi proposer une solution parce qu'en marxistes (ou en hégéliens) qu'ils étaient, ils présupposaient son existence, et aussi parce qu'ils voulaient être des politiques efficaces : peut-on vraiment lutter pour une solution que l'on croit profondément insatisfaisante ? (...) En ce sens, le refus camusien de choisir la justice aux dépens de sa mère a une réelle validité. Mais le devoir d'engagement nous empêchait sur le moment de reconnaître cela (...) ». Et il ajoute : « L'issue la plus humaine aurait été le compromis entre les droits (primordiaux) des Algériens et ceux (réels) des pieds-noirs (...) sans qu'existent (...) les appuis nécessaires (...) chez les intellectuels de gauche fascinés par la solution intégrale. Les temps ont changé puisqu'en Afrique du Sud comme en Nouvelle-Calédonie, la politique du compromis a aujourd'hui ses chances. Elle les a parce qu'est reconnu ce que personne n'a vu pour l'Algérie sur le moment : le compromis avec les autres qui permet à un groupe national d'être démocratique pour ceux qui le composent »1152(*).

Des « soldats perdus » aux « soldats de l'écrit », de cette collégialité qui a sombré dans les derniers soubresauts sanglants de l'épopée coloniale à celle qui s'est formée politiquement "contre" la guerre d'Algérie et/ou pour le FLN, il y a un gouffre qui - en dépit de l'exemple précité1153(*) - ne s'est depuis jamais vraiment colmaté : « Que peuvent en effet se dire les officiers d'Indochine et les compagnons de route du PCF anticolonialistes, ou les étudiants idolâtres de Sartre ? Le même âge, et déjà incompréhensions et anathèmes »1154(*). Il n'y avait guère de points communs entre ceux qui, « depuis leur entrée dans la Résistance ont accumulé autant de combats que les soldats napoléoniens », mais plus encore de défaites et de renoncements (militaires et politiques1155(*)), et ceux pour qui, nous dit Michel Crouzet, « la guerre d'Algérie fut une bataille de «l'écrit», qui fut menée dès le début et gagnée »1156(*) ? Le statut, les formes, les significations et les usages de la figure du harki ne pouvaient être les mêmes selon que l'on tourne le regard vers les premiers (dont Laurent Beccaria nous dit qu'ils sont comme une « carotte géologique » des déchirures liées à l'effondrement de la mystique nationale), ou vers les seconds (qui, entre apprentissage intellectuel et "happening politique", ont hâté cet effondrement). Ceux-ci, à la différence de ceux-là, ont bénéficié de la reconnaissance qu'offrent non seulement la maîtrise des outils de production et de diffusion du savoir (due notamment à leur positionnement socioprofessionnel d'ensemble), mais encore le sentiment d'avoir "bataillé" dans le « sens de l'histoire » (sans que cela heurte outre mesure la geste gaullienne de la guerre d'Algérie, qui s'est fort bien accommodée d'un certain discours historiciste). Cette postérité à géométrie variable, sans commune mesure avec l'intensité et l'impact réels de l'engagement "dans" ou "en" guerre d'Algérie des uns et des autres, ne pouvait être sans conséquence sur la formation puis la sédimentation rétrospectives d'une certaine image des anciens harkis.

III. La figure du harki dans la geste intellectualiste de la guerre d'Algérie

L'objet de chapitre n'est pas de faire état de la manière dont les travaux historiques en tant que tels contribuent à informer et contextualiser la trajectoire des anciens harkis et de leurs familles (voir à cet égard la Partie 1), ni même d'objectiver ce en quoi les frontières parfois perméables entre "histoire" et "mémoire" sont susceptibles, dans les discours savants eux-mêmes, de faire obstacle à la réminiscence du massacre des harkis et à la reconnaissance des responsabilités qui y sont afférentes (voir à cet égard la section II.B.2.b de la Partie 4 intitulée « Obstructions savantes »). Ce chapitre vise à rendre compte de la manière dont un certain nombre d'intellectuels de profession (mais aussi des cohortes grandissantes d'étudiants), engagés "contre" la guerre d'Algérie (ou plutôt contre sa répression) et généralement situés à gauche ou à l'extrême-gauche de l'échiquier politique (voir ci-dessous pour une cartographie plus précise de la mouvance anticolonialiste), ont donné à voir - via une lecture prosélyte des événements - l'engagement des harkis et contribué, ce faisant, à brosser - directement ou "en creux" - une certaine image des intéressés. Cet examen se justifie d'autant plus que la position relative de ces intellectuels dans les sphères universitaire, éditoriale et journalistique leur a donné sur le moment - et leur donne a posteriori - une capacité à "faire voix" naturellement plus importante que celle de groupes dont la légitimité à dire ou la capacité à diffuser et transmettre leurs points de vue n'est pas reconnue ou établie professionnellement. De fait, ainsi que nous l'avons suggéré à la fin du chapitre précédent, la postérité de la geste intellectualiste de la guerre d'Algérie est sans commune mesure avec son impact politique réel sur le moment (impact certes en partie grevé, alors, par l'obstacle de la censure).

Il était donc particulièrement intéressant d'étudier comment le collège des intellectuels progressistes et anticolonialistes qui, pour certains au moins, avaient ambitionné de se poser en une sorte de "contre-pouvoir" au moment de la guerre d'Algérie (allant jusqu'à plaider la désobéissance civile ; cf. le « Manifeste des 121 »), avaient rendu compte (ou éludé) la trajectoire, la place et le rôle de ceux des musulmans algériens qui n'étaient pas inféodés au FLN : quelle image s'en étaient-ils formés, avec quel impact sur l'opinion publique, sur le moment et a posteriori ?

Mais de qui parle-t-on exactement ? Cette mouvance faisait-elle "bloc" ? Puisait-elle dans des référentiels communs ? Visait-elle simplement à la défense de principes éthiques ou visait-elle au renversement de l'ordre établi non seulement en Algérie (ordre "colonial") mais encore, par contrecoup, en métropole (ordre "bourgeois") ? En d'autres termes, cette geste était-elle simplement protestataire (refus des exactions perpétrées par les forces de l'ordre, en particulier la torture) ou participait-elle d'un projet politique plus englobant (i.e. "révolutionnaire") ? Les réponses à ces questions intéressent directement notre propos en ce sens qu'elles ont conditionné, dans une assez large mesure, la mise en récit et la figuration politique des harkis au sein d'une mouvance dont nous allons maintenant objectiver les contours.

Le premier constat est celui de la diversité des motivations et des visées des intellectuels français en guerre d'Algérie.

À titre rétrospectif, Pierre Vidal-Naquet, qui s'était lui-même engagé « contre » la guerre d'Algérie (ou plus exactement contre sa répression)1157(*), a distingué trois grands types idéaux d'intellectuels anti-colonialistes en guerre d'Algérie1158(*) :

- les « dreyfusards », au nombre desquels il se compte, qui s'élevaient au nom des principes des Lumières contre l'emploi de méthodes de répression immorales et pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes1159(*) ;

- les « bolcheviks », qui s'alignaient sur les positions anti-impérialistes de l'internationale communiste. Selon Pierre Vidal-Naquet, « [ils] se voulaient les héritiers du parti de la Révolution d'octobre et de ses espérances radicales et trahies, anti-staliniens mais fidèles au léninisme »1160(*) ;

- les « tiers-mondistes », qui voyaient dans les « luttes de libération nationale » du tiers-monde comme le signe avant-coureur de l'effondrement prochain du capitalisme. Selon Pierre Vidal-Naquet, ceux-ci, qu'ils fussent laïques ou chrétiens, se distinguaient des précédents par « leur humilité d'occidentaux par rapport au tiers monde souffrant et révolté »1161(*). Les « bolcheviks » et les « tiers-mondistes » servirent volontiers de « porteurs de valises » au FLN.

Cependant, selon nous, cette classification est peu à même de sérier une réalité beaucoup plus fluide et "labile". En fait, ainsi que le souligne Guy Pervillé, « la ligne de démarcation entre l'opposition à la guerre et le soutien inconditionnel au FLN était particulièrement floue en métropole »1162(*). D'ailleurs, Pierre Vidal-Naquet lui-même reconnaît qu'il s'agit de « trois types idéaux », entre lesquels il n'est pas facile de situer chacun sous une seule étiquette : des motivations multiples étaient possibles1163(*). Pour cette raison, il apparaît utile d'établir une "cartographie" des intellectuels en guerre d'Algérie qui, quoique s'étayant sur les catégorisations établies par Pierre Vidal-Naquet, les "décristallise" et les complète en introduisant d'autres facteurs de caractérisation/comparaison, à savoir : le positionnement socioprofessionnel, le rapport à la légalité républicaine (en rupture ou non), le degré d'adhésion aux revendications portées par la SFIO, la « deuxième gauche » ou l'extrême-gauche française (et notamment à la visée révolutionnaire) et le degré d'adhésion à la cause politique et/ou organique du FLN.

(i) La protestation morale au sens large :

Posture à la fois "dreyfusarde" et anticolonialiste : la dénonciation de la torture se double du soutien apporté à la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

Soutien critique à la SFIO ou au général de Gaulle pour les uns, mendésisme puis basculement politique vers la « deuxième gauche » pour les autres ;

Soutien moral à la cause indépendantiste, en particulier mais non exclusivement et inconditionnellement au FLN.

? Position strictement légaliste :

Parmi ceux - la grande majorité - qui adoptent une position strictement légaliste, on peut citer l'intellectuel catholique Pierre-Henri Simon, universitaire et membre de la revue Esprit, les signataires de l' « Appel à l'opinion pour une paix négociée en Algérie » (à ne pas confondre avec le « Manifeste des 121 »), lancé par la FEN à l'automne 1960 (dont Vladimir Jankélévitch, Jacques Le Goff et Paul Ricoeur parmi les universitaires, ou encore Daniel Mayer, président de la Ligue des Droits de l'Homme), ainsi que de grandes plumes de la littérature (Jules Roy) et du journalisme, officiant notamment à Esprit (Jean-Marie Domenach), à France-Observateur (Claude Bourdet, Gilles Martinet), à L'Express (Jean Daniel, François Mauriac), au Monde (Hubert Beuve-Méry, Henri Marrou) et à Témoignage Chrétien (Jacques Duquesne)1164(*).

? Position à la frontière de la légalité et de l'illégalité :

D'autres - minoritaires au sein de cette mouvance - en viennent occasionnellement à franchir le seuil de la légalité, tel Paul Thibaud qui, tout en collaborant à Esprit, diffuse, par principe, des textes censurés dans la revue clandestine Vérité-Liberté, qu'il dirige.

(ii) Les "passeurs" entre protestation morale et activisme politique :

Dans cette mouvance la posture "dreyfusarde" et anticolonialiste se double d'une forme d'activisme politique : la guerre d'Algérie est clairement conçue comme un viatique pour une redistribution des cartes à gauche, voire par-delà, ce dont témoigne par exemple le « Manifeste des 121 »1165(*), dont Pascal Ory et Jean-François Sirinelli disent qu' « [il] peut être légitimement considéré comme le symbole de la renaissance de l'extrême-gauche »1166(*) ;

Mendésisme puis basculement politique vers la « deuxième gauche » pour les uns, soutien au PCF et/ou sympathies tiers-mondistes pour les autres ;

Soutien moral à la cause indépendantiste, essentiellement confondue avec les intérêts organiques du FLN ;

Position à la frontière de la légalité et de l'illégalité.

Cette mouvance compte des universitaires (Pierre Vidal-Naquet, co-fondateur du Comité Maurice-Audin et collaborateur de la revue Témoignages et Documents auprès de Maurice Pagat et de Vérité-Liberté auprès de Paul Thibaud), des intellectuels communistes souhaitant aller au-delà de la ligne politique du Parti sans pour autant s'en détacher organiquement (Henri Alleg bien sûr, l'auteur de La question, Madeleine Rebérioux, membre active du « Comité pour la défense des libertés et de la paix en Algérie » et collaboratrice de Vérité-Liberté, ou Laurent Schwartz, universitaire et secrétaire du Comité Maurice-Audin entre 1959 et 1962.

(iii) Les « porteurs de valises » :

Dans cette mouvance, la protestation morale le cède au mysticisme révolutionnaire, qu'il soit d'inspiration tiers-mondiste et/ou qu'il concerne des « bolcheviks » en rupture de ban avec le PCF : l'Algérie est conçue comme un laboratoire politique et idéologique ;

Soutien moral et matériel, exclusif et inconditionnel, au FLN ;

Position en rupture ouverte avec la légalité.

Cette mouvance composite, située à la gauche de la gauche, comprend à la fois :

- les membres français du FLN (Frantz Fanon, l'auteur des Damnés de la terre, ou Daniel Timsit, issu d'une famille juive d'Algérie, communiste rallié au FLN, qui fut l'un des membres actifs d'un réseau de fabrication d'explosifs pour la Zone autonome d'Alger, et qui assumera plusieurs responsabilités dans le gouvernement d'Ahmed Ben Bella) ;

- les membres des réseaux de soutien au FLN (les « porteurs de valise » proprement dits) constitués autour de Francis Jeanson (philosophe, gérant des Temps Modernes et du bulletin clandestin Vérités Pour), puis du communiste Henri Curiel (le « Mouvement anticolonialiste français », MAF) : on peut citer, par exemple, Jacques Charby (pour le réseau Jeanson) et Georges Mattéi (pour le réseau Curiel) ;

- des insoumis et des déserteurs (ainsi en va-t-il, par exemple, de Maurice Tarek Maschino, qui obtint la nationalité algérienne en 1963 et fut professeur à Alger jusqu'en 1971, puis journaliste au Monde diplomatique depuis 1973, mais encore de Jean-Louis Hurst et Alain Krivine, fondateurs du réseau « Jeune Résistance ») ;

- le collectif d'avocats constitué autour de Jacques Vergès, Gisèle Halimi et Roland Dumas notamment ;

- l'équipe des Temps Modernes constituée autour de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Claude Lanzmann, Marcel et Paulette Péju, ou encore le dessinateur Siné ; une équipe dont Bernard Droz dit qu' « [elle] intégrait le martyre du peuple algérien dans la cause exaltante du tiers-mondisme révolutionnaire et rédempteur »1167(*) ;

- des éditeurs, dont les plus impliqués furent François Maspero et Jérôme Lindon (Editions de Minuit) ;

- les intellectuels communistes en rupture de ban avec le PCF, tel Robert Bonnaud, qui a quitté le Parti en 1956, après le vote des pouvoirs spéciaux et son rappel dans l'armée, ou Vercors (alias Jean Bruller, co-fondateur des Editions de Minuit), qui rompt avec le PCF en 1956 suite à l'intervention soviétique en Hongrie : il publie fin 1961 la revue Partisans, dont le premier numéro proclame - sous sa plume : « Nous avons opté pour une aide inconditionnelle à tout un peuple, comme à toute nation, en lutte pour son indépendance »1168(*) ;

- des universitaires, dont André Mandouze, professeur à l'Université d'Alger et cofondateur de la revue Consciences Maghrébines ;

- des chrétiens progressistes, tel Robert Barrat, journaliste à Témoignage Chrétien et secrétaire général du Centre catholique des intellectuels, ou Hervé Bourges, journaliste à Témoigne Chrétien de 1955 à 1959, puis chargé de mission auprès du garde des Sceaux Edmond Michelet ; il entretint à l'initiative de son ministre de nombreux contacts avec les dirigeants emprisonnés du FLN (dont Ahmed Ben Bella). Passé à l'opposition, il appuiera les membres du réseau Jeanson, et fera la liaison entre les détenus algériens et les dirigeants de la Fédération de France du FLN. Rédacteur en chef de Témoignage chrétien de 1961 à 1962, il optera pour la nationalité algérienne en 1963 pour devenir conseiller personnel du président Ben Bella comme directeur de la Jeunesse et de l'Éducation populaire, conseiller du ministre de la Justice puis, à la suite du coup d'Etat du 19 juin 1965, conseiller du ministre de l'information (non sans avoir été lui-même préalablement torturé par la Sécurité militaire)1169(*).

Par-delà les grandes figures, il est nécessaire de souligner les mutations qui affectent le monde étudiant à l'occasion de la guerre d'Algérie. Mutations sociologiques, d'abord, marquées par un quasi-doublement des effectifs étudiants (de 150.000 à 300.000 environ), et une croissance importante du poste « professeurs, professions littéraires et scientifiques » (qui passe de 80.000 à 125.000 entre 1954 et 1962)1170(*). Ces évolutions inspirent d'ailleurs à Maurice Nadeau la notion de « nouveau parti intellectuel »1171(*). Mutations idéologiques, ensuite, marquées par la politisation de l'UNEF, le syndicat majoritaire, jusqu'alors apolitique : « En 1956, rappellent Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, les minos l'emportèrent au sein de l'UNEF et la nouvelle équipe qui présida désormais aux destinées de l'organisation étudiante prit position contre la politique menée en Algérie »1172(*). De même, Michel Winock, qui fut un acteur de ces bouleversements : « L'impasse de la politique algérienne allait profondément remuer le monde étudiant. On ne saurait trop insister à ce sujet sur l'importance du 50ème Congrès de l'UNEF (...). Une partie des étudiants avait toujours été politisée (camelots du roi d'avant la guerre, étudiants communistes...) ; la nouveauté était que pour la première fois une puissante organisation de type syndical allait entrer progressivement dans la lutte politique, au point de devenir bientôt une des forces les plus indiscutables opposées à la guerre d'Algérie, réussissant - comme on devait le voir en octobre 1960 - à organiser les premières manifestations de masse, malgré l'absence et l'hostilité du parti communiste »1173(*). Et il ajoute : « De l'automne 1956 à décembre 1957, notre section Nouvelle Gauche de la Sorbonne devint la force la plus importante et la plus active après l'Union des étudiants communistes. Nous étions un pôle de convergence où se retrouvaient des anciens communistes, des trotskistes, des marxistes sans obédience, de nombreux chrétiens ou anciens chrétiens, des idéalistes de tout poil, des abonnés de France-Observateur désireux de lutter contre la guerre d'Algérie »1174(*). Pascal Ory et Jean-François Sirinelli d'ajouter : « Sans compter que, rétrospectivement, cette strate - en croissance numérique - apparaît bien comme une génération autonome, cimentée non seulement par les circonstances de son éveil politique mais aussi par la place qu'elle occupa, la trentaine venue, dans les milieux intellectuels - édition, journalisme, Université - des années soixante et soixante-dix, et par son rôle de «pépinière politique» (Alain Monchablon) pour la gauche non communiste renaissante après le Congrès d'Epinay de 1971 »1175(*). Bernard Ravenel, « militant PSU de la première heure » (1960), puis chargé des relations internationales au sein de ce parti entre 1974 et 1984, rappelait ainsi que « toute une génération - la mienne - s'était épanouie sur l'Algérie, sur Cuba, avant de fleurir sur le Viêt-nam et sur 68. (...) Cette génération politique née de la guerre d'Algérie, comme le PCF était né de la révolution prolétarienne, a fait de l'Algérie son pays de référence, son modèle dans le cadre d'un rapport Nord-Sud à transformer à l'échelle mondiale »1176(*).

Si l'on considère par ailleurs l'évolution au fur et à mesure de l'avancement du conflit des ressorts et formes d'engagements, le constat de la "labilité" ou de la perméabilité des frontières entre catégories en appelle un autre, à savoir celui de la radicalisation progressive - quoiqu'à différents degrés - des positionnements autour et au sein de la mouvance tiers-mondiste (i.e. révolutionnaire), qui devint un courant "porteur", notamment au cours des trois dernières années du conflit (1960-62). Radicalisation marquée à la fois par « le regain de l'influence sartrienne, l'apparition d'une «nouvelle gauche» et la renaissance d'une extrême gauche sur les flancs du Parti communiste »1177(*). Paul Thibaud note ainsi qu'« après plusieurs cohortes militantes (le réformisme plus ou moins mendésiste de 1956, le radicalisme plus ou moins marxiste de 1958-1960) que la guerre d'Algérie a désarçonnés, déstabilisés dans leurs convictions, viendra en effet la génération candidement tiers-mondiste de 1961-1962, qui croira épouser l'événement, pour qui octobre 1961 et février 1962 sembleront fonder un antifascisme international où l'OAS représente l'Occident et où les ex-colonisés revêtent la figure éthico-mythique du Peuple éternel ». « Le parcours de cette génération, ajoute-t-il, la porte à valoriser ce qui est le plus irréductible aux discours humanistes »1178(*).

De fait, pour toute une génération d'intellectuels se revendiquant comme « progressistes », les luttes dites de « libération » qui se développent dans le tiers-monde au cours des années 1950 et 1960, et tout particulièrement celle qui se développe sous l'égide du Front de Libération nationale en Algérie entre 1954 et 1962 :

(i) ouvrent une "fenêtre d'opportunité" politique, sont un moment fondateur de prise de conscience collective et d'activation du rôle des intellectuels dans la cité : l'acte de naissance d'une génération d'intellectuels "engagés" ;

(ii) sont corrélativement, pour certains d'entre eux (notamment ceux qui ne sont pas organiquement liés au PCF), le théâtre d'un réinvestissement et d'une refonte des schèmes d'analyse marxistes-léninistes.

Le tiers-mondisme naissant signe ainsi, dans le double contexte de la décolonisation et de la bipolarisation du monde, la transposition de la « lutte des classes » (et de la « dialectique du maître et de l'esclave ») sur le plan géopolitique. Ceux que Frantz Fanon appelle Les damnés de la terre1179(*) sont, pour cet auteur comme pour un nombre grandissant d'intellectuels ou d'étudiants qui se reconnaissent dans sa pensée1180(*), à l'avant-garde d'une révolution dont beaucoup doutent désormais qu'elle puisse être impulsée par un prolétariat occidental qu'on estime être démobilisé par les fruits de la croissance. Par contraste, l'inexorable montée en puissance des mouvements de libération nationale dans le tiers-monde serait, pour toute une frange de la gauche intellectuelle, comme le signe avant-coureur de la fin de l'Histoire, l'indice le plus sûr de l'effondrement prochain du capitalisme mondial. Raoul Girardet relève ainsi que le messianisme révolutionnaire, à la recherche d'une nouvelle terre d'élection, a opéré comme un « transfert de l'espérance révolutionnaire de la classe ouvrière des pays industrialisés aux peuples colonisés luttant pour leur indépendance »1181(*). « Simultanément, note Raoul Girardet, c'est la puissance d'attraction de l'Union soviétique et de la troisième Internationale qui chancelle. Conséquence de la déstalinisation et de ses avatars, conséquence aussi de la répression de la révolte hongroise, la grande lueur qui s'était levée à l'Est ne brille plus aussi intensément devant les imaginations et les coeurs ; la fascination qu'elle avait si longtemps exercée s'estompe ou s'éloigne ». « L'anticolonialisme [d'aspiration révolutionnaire], ajoute-t-il, a très probablement bénéficié de cette mise en disponibilité de certains élans et de certaines aspirations »1182(*). Robert Bonnaud : « Il y a un lien entre mon tiers-mondisme (je l'ai été, je le suis toujours) et l'idée que la masse principale de révolte potentielle, ce sont les pays du Sud, même avec le déclin actuel, la drogue, le banditisme ». Et il ajoute, à propos de l'Algérie : « J'étais très tiers-mondiste, j'avais une vision quelque peu planétaire »1183(*). Régis Debray : « Le tiers-mondisme ? J'y vois plutôt un transfert de messianisme du prolétariat industriel, peu coopératif, vers la paysannerie du tiers-monde, pour la construction de l'homme nouveau. Pour moi le tiers-mondisme fut une expérience de religiosité. (...) En rejoignant l'Amérique latine en 1963, j'ai peut-être cédé au principe de plaisir et quitté la réalité française à la recherche d'une terre de mission »1184(*).

Quoiqu'à des degrés divers selon les individus ou sous-catégories d'acteurs (voir ci-dessus), cette "sur-indexation" des principes éthiques par les fins politiques1185(*) a profondément marqué - et parfois brouillé - les ressorts et formes de l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie, comme en témoigne Paul Thibaud :

« Je me souviens d'avoir assisté en juin 1962, je crois, à une réunion publique réunissant sous la présidence de Sartre, pour constituer un front antifasciste, une bonne partie de la corporation des intellectuels, où le thème de l'alliance du peuple français et du FLN brillait d'un éclat et d'une autorité messianiques ». Et il ajoute : « La génération de 1960-1962 s'est identifiée à l'idéologie révolutionnaire antifasciste : elle a requinqué la vieille forme idéologique en invoquant une lutte que cette idéologie avait échoué à comprendre. Trop tard venue pour apprécier les ambiguïtés du problèmes, (...) cette génération tirera une leçon de révolutionnarisme abstrait d'une affaire qu'elle a vécue d'une manière adolescente tirant de cette histoire illisible moins des leçons qu'une impulsion (pour ne pas dire une prétention) et surtout le sentiment que les générations précédentes et les politiciens institutionnels s'y sont déshonorés »1186(*).

Il ressort de cet alignement progressif de la geste protestataire sur des positions de plus en plus marquées politiquement (et idéologiquement) une certaine inattention aux dimensions locales, discriminantes du conflit algérien. Or, c'est dans cette "sur-indexation" des enjeux propres au conflit algérien par d'autres enjeux qui les dépassent et, d'une certaine manière, les "écrasent", ainsi que dans la contradiction entre les principes éthiques opposés à tout ou partie des manifestations de la domination coloniale (en particulier la torture) et le soutien organique plus ou moins exclusif et inconditionnel apporté à une organisation - le FLN - qui avait fait, nous l'avons vu, de l'exercice de la violence à l'encontre des franges non inféodées de la population algérienne un principe moteur de la "Révolution", que se jouent :

- d'abord, la "non-appétence" des intellectuels en guerre d'Algérie pour la figure du harki, figure "non avenue", voire incongrue au regard de certains "métarécits" historicistes tendant à présenter l'évolution de la situation coloniale (et de la guerre d'Algérie en particulier) sous un jour manichéen. Dans un conflit que nombre d'intellectuels anticolonialistes (et pas seulement les intellectuels « tiers-mondistes » ou « bolcheviks ») disaient mu par la « dialectique du maître et de l'esclave », la figure du harki dérangeait car elle témoignait, par son existence même, de la fragilité d'une mise en récit tendant à réduire les ressorts de la guerre d'Algérie au schème d'opposition binaire « opprimés » versus « oppresseurs » / « colonisés » versus « colonisateurs ». De fait, comment parler du peuple algérien comme d'un bloc infissurable tout entier et spontanément acquis au FLN lors même, nous l'avons vu, que des centaines de milliers de musulmans auraient continûment pris part à la défense ou à l'administration de l'Algérie française ? Il y avait comme une impossibilité à penser et dire les harkis, à en proposer une vision congruente avec la mystique de la « Libération »/« Révolution ». Dès lors, plutôt que de s'interroger sur le comment et le pourquoi de cet engagement massif aux côtés de la France, la littérature anticolonialiste va le plus souvent purement et simplement scotomiser la figure du harki. (section A.1) ;

- ensuite, les rares allusions faites ici et là le seront sur un mode adversatif, relayant pour l'essentiel la propagande du FLN. Ceci vaut d'ailleurs aussi pour certaines catégories d'intellectuels qui, bien qu'a priori étrangers à la mystique révolutionnaire des « porteurs de valise », n'en partagent pas moins certains schèmes de pensée. Encore une fois, dans le feu des événements, les frontières catégorielles tendent à s'estomper, de même que les frontières entre l'intellection et l'intervention, au profit des schèmes de pensée les plus "efficaces" et les plus fédérateurs (à défaut d'être les plus nuancés) (section A.2).

Et qu'en a-t-il été a posteriori ? L'effondrement de la mystique tiers-mondiste, dont Robert Bonnaud dit qu'elle « frappe de dérision certaines de nos idées de l'époque »1187(*) a-t-il conduit la gauche intellectuelle à faire retour sur la figure du harki ? Le premier constat est celui de la persistance d'une non appétence des intellectuels pour cette figure1188(*). Pour autant, dans le peu qui s'exprime, un autre constat - tendanciel celui-là - s'impose : celui du passage d'une vision systématiquement dépréciative de la destinée des harkis à une vision globalement "déplorative". Autrefois assimilés à des « collabos » ou des « valets du colonialisme », les anciens harkis sont aujourd'hui préférentiellement dépeints comme de « pauvres hères »1189(*), plutôt "victimes" que "coupables" : des « malgré-nous », en somme (Gilles Manceron ; voir infra). Une telle évolution est solidaire de la relecture de la geste protestataire opérée depuis quelques années par ses principaux protagonistes. Relecture opérée à mesure - et à la mesure - de la délégitimation des messianismes laïcs. De fait, l'on insiste aujourd'hui plus volontiers sur la lutte contre la torture (en dépit du caractère généralement unilatéral de cette protestation) plutôt que sur le soutien délibéré à l'entreprise hégémonique du FLN, hier encore pensée comme nécessaire et porteuse d'espoir (tout au moins pour ceux que Pierre Vidal-Naquet dépeints comme des « tiers-mondistes » ou des « bolcheviks »). Cet écrasement rétrospectif des ressorts idéologiques de l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie, au profit des seuls ressorts éthiques, s'accompagne d'une opération de "lissage" de certains schèmes de lecture ou catégories discursives. Et il est un fait, pour ce qui nous intéresse, que ce travail de réajustement de la geste protestataire commande également de reconsidérer - ou de déconsidérer autrement - la destinée des anciens harkis (section B).

A. Les ressorts immédiats de la stigmatisation : une vision clairement adversative (1954-1962)

De toute évidence, l'« affaire algérienne » - dont Paul Thibaud nous dit qu'elle fut constitutive d'une mémoire collégiale « dessinant une geste [des intellectuels en guerre d'Algérie] », et qu'elle fut à ce titre une « expérience significative ou identitaire »1190(*) - fut - au moins autant dans sa dimension posturale que dans sa dimension idéologique - le lieu de cristallisation d'un certain état du rapport des forces intellectuelles aussi bien que le lieu de conformation d'une certaine conception du rôle de l'intellectuel dans la cité. Autrement dit, le lieu de conformation d'une certaine configuration de l'articulation entre l'intellection et l'intervention ; configuration ou posture très largement influencée par la théorie « marxo-existentialiste » de l'engagement, et marquée corrélativement par la prééminence de la dialectique (en tant que méthode) sur l'éthique, et du « radicalisme » sartrien (en tant que forme de l'engagement) sur la « pensée de midi » camusienne. A cet égard, la postérité abrasive du « Manifeste des 121 »1191(*), érodant le souvenir et jusqu'au ressouvenir de l' « Appel pour une trêve civile » de Camus1192(*), signe, dans la geste intellectuelle de la guerre d'Algérie, la préséance symbolique de la figure de l'intellectuel engagé sur celle du moraliste1193(*).

Nous verrons ainsi que le prisme passionnel de la littérature tiers-mondiste (à laquelle l'attelage Sartre-Fanon sert de figure de proue en même temps que de vivier théorique selon Annie Cohen-Solal1194(*)) a contribué à vulgariser une lecture réductionniste des événements d'Algérie, lecture dont la visée première était d'ordre prosélyte1195(*). Il s'ensuit une acception performative du rôle de l'intellectuel, sommé non seulement de réfléchir sur les événements mais d'en infléchir le cours, acception symptomatique d'un climat intellectuel où l'éthique de responsabilité le sacrifie non pas seulement circonstanciellement mais nécessairement à l'éthique de conviction. Cet "activisme" intellectuel est symptomatique, selon Michael Walzer, du conformisme révolté de l'après-guerre, à savoir l' « héroïsme existentiel », cette « conception courante du critique social comme étant quelqu'un qui se libère de ses loyautés particulières et regarde sa propre société de l'extérieur »1196(*). Et l'auteur d'ajouter : « Il est semblable à un juge, un juge activiste, peut-être, dont les décisions sont résolument impersonnelles. (...) Radicalement désocialisé, il est un bon candidat pour la discipline idéologique »1197(*).

Ainsi, à cette époque (quoique dès après la Libération), Sartre, abandonnant ostensiblement la notion de contingence1198(*) pour celle de totalisation1199(*), réintroduit la nécessité au coeur de l'être :

« Les hommes de mon âge le savent bien : plus encore que les deux guerres mondiales, la grande affaire de leur vie fut un affrontement perpétuel avec la classe ouvrière et son idéologie qui leur offrait une vision irrécusable du monde et d'eux-mêmes. Pour nous le marxisme n'est pas seulement une philosophie : c'est le climat de nos idées, le milieu où elles s'alimentent ; c'est le mouvement vrai de ce que Hegel appelle l'Esprit objectif »1200(*).

Cette évolution marque, selon Camus, une soumission au « conformisme révolté du XXème siècle », à savoir : « cette croyance à la finalité de l'histoire qui trahit la vie et la nature, qui substitue des fins idéales aux fins réelles, et contribue à énerver les volontés et les imaginations »1201(*). « L'histoire, ajoute Camus, seule raison et seule règle [est] alors divinisée, et c'est l'abdication de la révolte devant ceux qui prétendent être les prêtres et l'Eglise de ce dieu »1202(*).

Ce à quoi fait rétrospectivement écho Paul Thibaud, déjà cité : « Les intellectuels ne pouvaient se contenter de dénoncer l'inacceptable, d'abord la torture, ils voulaient aussi proposer une solution parce qu'en marxistes (ou en hégéliens) qu'ils étaient, ils présupposaient son existence, et aussi parce qu'ils voulaient être des politiques efficaces : peut-on vraiment lutter pour une solution que l'on croit profondément insatisfaisante ? (...) En ce sens, le refus camusien de choisir la justice aux dépens de sa mère a une réelle validité. Mais le devoir d'engagement nous empêchait sur le moment de reconnaître cela (...) »1203(*).

L'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie a donc été autre chose et davantage qu'une pure protestation morale. « L'un des effets de la lutte contre la guerre d'Algérie, note Claude Liauzu, a été la constitution d'un parti intellectuel autonome, prenant ses distances envers le pouvoir et se posant en critique de la civilisation occidentale »1204(*). La "sur-indexation" des principes éthiques par des revendications politiques plus ou moins hostiles à l'ordre établi en Algérie et en métropole, en d'autres termes, la radicalisation progressive des prises de position et leur alignement - plus ou moins poussé mais tendanciel au fil du conflit - sur l'analyse de la situation et les mots d'ordre tiers-mondistes et/ou révolutionnaires ont contribué à délinéer les contours d'une mouvance protestataire aux frontières certes labiles mais presque toujours délibérément en marge de la gauche institutionnelle. Jean-Paul Sartre, dans la lettre qu'il adresse depuis le Brésil au président du tribunal en charge de conduire le procès des membres du réseau Jeanson (lettre en fait rédigée par Claude Lanzmann et Marcel Péju, avec une signature apocryphe de Siné), est explicite sur le fait que l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie est aussi et surtout une forme de positionnement politique interne, visant à redessiner les contours du paysage politique français en général, à redistribuer les cartes à gauche en particulier : « Devant une évolution [NDA : de la situation politique en France] que l'on peut sans exagération qualifier de fasciste, la gauche est impuissante, et elle le restera si elle n'accepte pas d'unir ses efforts à la seule force qui lutte aujourd'hui réellement contre l'ennemi commun des libertés algériennes et des libertés françaises. Et cette force, c'est le FLN. (...) Les Français qui aident le FLN ne sont pas seulement poussés par des sentiments généreux à l'égard d'un peuple opprimé (...), ils travaillent pour eux-mêmes, pour leur liberté et pour leur avenir. (...) Ils ont été à l'avant-garde d'un mouvement qui aura peut-être réveillé la gauche, enlisée dans une misérable prudence. Elle aura mieux préparé à l'inévitable épreuve de force avec l'armée, ajournée depuis mai 1958 »1205(*). Du reste, le discours de la mouvance anticolonialiste était à la fois en rupture de ban avec celui de la SFIO (émergence de la « Nouvelle Gauche ») et avec celui du Parti communiste français. Un discours à la fois plus radical et plus "romantique", au sens d'un romantisme révolutionnaire. C'est cette mouvance tiers-mondiste/révolutionnaire qui, dans une assez large mesure, a catalysé - notamment dans les dernières années - l'opposition à la guerre d'Algérie dans le champ intellectuel.

De fait, ainsi que le reconnaît rétrospectivement Paul Thibaud, la préséance symbolique de la figure de « l'intellectuel engagé » sur celle du « moraliste » signe, au moment de la guerre d'Algérie, « la priorité du geste de rupture sur toutes les justifications dont on peut l'encadrer »1206(*). Conformément au mythe sartrien de la "rupture épistémologique", nombre d'intellectuels engagés ont pensé et réagi à ce conflit en marge de leurs attaches sociales, morales et nationales. Les propos de Simone de Beauvoir, rendant compte des sentiments qui furent les siens après le retour au pouvoir du général de Gaulle, sont symptomatiques de cette posture : « On m'avait traitée, parmi quelques autres, d'antifrançaise : je le devins. Je ne tolérais plus mes concitoyens (...). Je ne pouvais plus m'asseoir à côté d'eux (...). Je me sentais aussi dépossédée qu'aux premiers temps de l'Occupation. C'était même pire parce que, ces gens que je ne supportais plus de coudoyer, je me trouvais, bon gré mal gré, leur complice ». Ou encore : « Je ne supportais plus ce pays. Ces gens dans les rues (...), c'était des bourreaux d'Arabes : tous coupables. Et Moi aussi. «Je suis française». Ces mots m'écorchaient la gorge comme l'aveu d'une tare. (...) Les uniformes français aujourd'hui me donnaient le même frisson qu'autrefois les croix gammées »1207(*).

A l'instar de Paul Thibaud, Jean-Claude Guillebaud, journaliste et éditeur qui se dit appartenir à cette génération, s'interroge lui aussi après-coup sur la prééminence de cette posture fondée sur la « haine de soi », posture qu'il qualifie rétrospectivement de « démagogique » :

« Nous sommes arrivés à l'âge adulte à la fin de la guerre d'Algérie ; nous sortions des guerres coloniales avec sur nos épaules le remords occidental ; nous étions écrasés par ce que Pascal Bruckner a appelé «le sanglot de l'homme blanc». Jusqu'à la fin des années 70, nous avons donc été assez réceptifs à la mise en critique acerbe de l'héritage occidental, cette honte de soi ou cette haine de soi, qui s'accompagnait d'une ouverture à l'autre allant jusqu'à la démagogie. C'est au nom de ce deuil occidental et de ce postulat selon lequel nous n'avons pas, nous Occidentaux, à donner de leçons au reste du monde, que toute une génération a pu consentir, approuver ou se compromettre avec les totalitarismes. Et c'est ainsi qu'on a versé dans un tiers-mondisme complaisant »1208(*).

À cette aune, donc, les gestes de rupture priment les paroles de temporisation, assimilées à des paroles de compromission (avec l'Occident, le colonialisme, la bourgeoisie, etc.). « Cela débouche, écrit Paul Thibaud, sur une opposition (aux dépends du second) de l'action et du discours », dont témoigne « la dérive fanono-sartrienne vers le tiers-mondisme radical ». Et il ajoute : « La violence sans langage, qui ne s'autorise moralement que des injustices et violences précédemment subies, suscité une dérive du langage révolutionnaire qui durera plus de dix ans »1209(*).

Une telle perspective, où l'intervention prévaut sur l'intellection, ne pouvait que décourager une vision fine et heuristique de ce que signifiait l'engagement de centaines de milliers de musulmans aux côtés de l'armée française. Aussi les harkis et autres catégories de musulmans non-inféodés au FLN ont-ils été tenus pour quantité négligeable dans la « bataille de l'écrit ».

1. « Chose colonisée » et « spectateur écrasé d'inessentialité » (Frantz Fanon) : le harki, une figure non avenue

Nous l'avons dit, la transposition de schèmes d'analyse marxistes-léninistes dans le champ des « luttes de libération nationale » marque l'âge d'or d'une génération acquise à l'idée de révolution, et soucieuse de trouver un dérivatif à une lutte des classes que l'on juge être « chloroformée » par la croissance à l'Ouest, et dénaturée par la terreur stalinienne puis l'hégémonisme soviétique à l'Est (Budapest). De fait, le moment où finit de se disloquer l'empire colonial français semble augurer, pour une large frange de la gauche intellectuelle, l'avènement d'une nouvelle ère dont on espère qu'elle ébranlera par contrecoup l'édifice « bourgeois » occidental dans son entier, et non seulement le système colonial. À cet égard, l'éveil du tiers-monde semble signer en plein l'accomplissement de la prophétie léninienne : « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Ainsi, dans la droite ligne d'une vision hégéliano-marxiste de l'Histoire, mais avec pour agent historique le colonisé plutôt que le prolétaire, la lecture intellectuelle - sinon intellectualiste - de la guerre d'Algérie sacrifie-t-elle aux artifices de prises de position très largement empreintes d'historicisme.

Dans son acception épistémologique, c'est-à-dire du point de vue de la théorie de la connaissance, l'historicisme participe d'une conceptualisation formelle (c'est-à-dire purement logique) et globalisante du devenir humain (c'est-à-dire non attachée à telle ou telle signification particulière, mais à ce mouvement d'ensemble qu'est le mouvement de l'Histoire). Autrement dit, l'historicisme est une tentative de « totalisation logique de l'histoire », ou encore, « [une] correction de l'historique par le logique »1210(*), « [un concept générique] porteur d'un développement propre étranger aux hommes » et qui vise, selon Karl Popper, « à découvrir les lois naturelles [c'est-à-dire inexorables] auxquelles obéit le développement des sociétés »1211(*) . Ce versant axiomatique de l'historicisme en tant qu'épistémè, c'est-à-dire en tant que configuration du savoir, ne va pas sans l'autre versant - axiologique, celui-là - de l'historicisme en tant que « mysticisme », ce que Popper appelle l' « historicisme moral » et qu'il dépeint comme un « futurisme moral » à l'aune duquel est moral ce qui est prédictible1212(*) ; en d'autres termes, l' « historicisme moral », c'est cette idée que non seulement l'Histoire est une totalité en cours d'accomplissement, mais aussi - et surtout - une Vérité en cours d'accomplissement1213(*), soit l'affirmation de la rationalité absolue de l'histoire1214(*). Mais dès lors que celui qui s'attelle à découvrir les lois inexorables du développement des sociétés fait en même temps oeuvre de prophète1215(*), l'historicisme, dans sa dimension instrumentale la plus prosaïque, n'est rien moins qu'une rationalisation doctrinale d'évolutions passées ou en cours, et non le reflet d'une quelconque nécessité objective, comme inscrite dans le cours des choses. A cette aune, donc, l'historicisme n'est que pure spéculation partisane et repose sur la fixation arbitraire - comme nécessaire - d'une configuration contingente de rapports de forces historiques, autrement dit, sur la "naturalisation" d'un rapport de domination. Le devenir historique est réduit à une alternative politique manichéenne, dont l'un des termes est posé comme nécessaire - c'est-à-dire inéluctable. Ainsi en va-t-il du schème d'interprétation proposé par Simone de Beauvoir dans La force des choses, qui pose et suppose qu' « en Algérie, il n'y avait qu'une alternative, le fascisme ou le F.L.N. »1216(*) .

Un contexte intellectuel : l'Algérie au prisme de la littérature tiers-mondiste

Plus que d'autres, comme en témoignent ses succès d'édition, Frantz Fanon1217(*) a symbolisé ce réinvestissement de l'espérance révolutionnaire, et contribué à la refonte des schèmes d'analyse marxiste-léniniste dans le contexte des luttes de libération nationale. La postérité de son oeuvre, oeuvre lyrique, enragée, plaie ouverte sur le monde colonial - qui signe, en pleine guerre d'Algérie, la renaissance du nihilisme révolutionnaire1218(*) - est symptomatique, dans l'intellectualisation de cette période, de la prégnance de cette attitude qui vise à faire de l'histoire un absolu, à lui imprimer un sens (entendu à la fois comme "direction" et comme "signification"), attitude qui a - et a eu - pour corollaire une inattention systématique aux dimensions locales, discriminantes du conflit algérien. Dans Les damnés de la terre, publié pour la première fois chez Maspero en 1961 avec une préface de Jean-Paul Sartre (sur laquelle nous reviendrons), Frantz Fanon écrit :

« La décolonisation, on le sait, est un processus historique : c'est-à-dire qu'elle ne peut être comprise, qu'elle ne trouve son intelligibilité, ne devient translucide à elle-même que dans l'exacte mesure où l'on discerne le mouvement historicisant qui lui donne forme et contenu »1219(*).

Simone de Beauvoir, aussi peu soucieuse que Fanon de considérer la crise algérienne dans sa singularité, écrit pour sa part :

« Quand la révolte a éclaté dans les Aurès, j'ai pensé que, du moins en Afrique du Nord, le colonialisme n'en avait plus pour longtemps. (...) L'insurrection qui venait de se déclencher était irréversible, j'en étais certaine, à cause du précédent indochinois, et de la marche du monde en général ; la conférence de Bandoeng confirma cette conviction ; elle annonçait l'imminente décolonisation de toute la planète »1220(*).

La littérature tiers-mondiste revêt ainsi une dimension messianique, millénariste même, qui traduit cette attente dans et par l'Histoire d'une rédemption collective qui se voudrait à la fois « programme de désordre absolu »1221(*), concourant à « cette sorte de table rase qui définit au départ toute décolonisation »1222(*), en même temps que procès de « création d'un homme nouveau » :

« La décolonisation, écrit Frantz Fanon, est très simplement le remplacement d'une "espèce" d'hommes par une autre "espèce" d'hommes. Sans transition, il y a substitution totale, complète, absolue. (...) A vrai dire, la preuve du succès réside dans un panorama social changé de fond en comble »1223(*).

A l'instar du manichéisme et de la définition qu'en donne Henri-Charles Puech, « [l'historicisme] est une gnose, et comme toute gnose, il est essentiellement fondé sur une "connaissance" qui apporte avec elle-même le salut, sauve par elle-même, (...) elle rend l'homme conscient de ce qu'il est en sa réalité propre, lui explique sa condition présente et comment s'en libérer, tout aussi bien qu'elle l'assure de ce qu'il sera, de ce qu'il est appelé à être »1224(*) :

« La décolonisation, écrit Frantz Fanon, est la rencontre de deux forces congénitalement antagonistes qui tirent précisément leur originalité de cette sorte de substantification que sécrète et qu'alimente la situation coloniale. (...) L'importance extraordinaire de ce changement est qu'il est voulu, réclamé, exigé. La nécessité de ce changement existe à l'état brut, impétueux et contraignant, dans la conscience et dans la vie des colonisés »1225(*).

Plus loin, il ajoute  :

« La décolonisation (...) porte sur l'être, elle modifie fondamentalement l'être (...). Elle introduit dans l'être un rythme propre, apporté par les nouveaux hommes, un nouveau langage, une nouvelle humanité. La décolonisation est véritablement création d'hommes nouveaux »1226(*).

Raoul Girardet note ainsi que « toute une mythologie affective tend à se construire autour de l'image privilégiée du héros des guerres de «libération populaire», du guérillero vietnamien ou du maquisard algérien ». « Le prolétaire des sociétés néo-capitalistes, ajoute-t-il, a cessé d'apparaître comme l'instrument privilégié de la transformation révolutionnaire du monde [au profit de] la paysannerie des pays sous-développés, seule classe véritablement «radicale», dans la marche vers la révolution socialiste »1227(*). La réduction, la schématisation du sens de l'engagement de notables et supplétifs musulmans aux côtés de la France procèdent d'une telle logique prédicative1228(*) puisque, par contraste avec ces « nouveaux hommes », « [saisis] de façon quasi-grandiose par le faisceau de l'histoire », le harki est condamné à rester ce que Frantz Fanon appelle une « chose » colonisée, « un spectateur écrasé d'inessentialité (...) plongé dans la répétition sans histoire d'une existence immobile »1229(*); se "distinguant", selon l'auteur, par leur « faiblesse idéologique » et leur « instabilité spirituelle », les harkis, parce qu'ils ne participent pas de cette « praxis violente et totalisante » qui définit « le processus même par lequel [le colonisé] se libère », sont pour Frantz Fanon d' « authentiques otages » des forces colonialistes :

« L'oppresseur, qui ne perd jamais une occasion de faire se bouffer les nègres entre eux, utilisera avec un rare bonheur l'inconscience et l'ignorance qui sont les tares du lumpen-prolétariat. Cette réserve humaine disponible, si elle n'est pas immédiatement organisée par l'insurrection, se retrouvera comme mercenaires aux côtés des troupes colonialistes. En Algérie, c'est le lumpen-prolétariat qui a fourni les harkis et les messalistes »1230(*).

On notera que le choix des qualificatifs aussi bien que celui des verbes tendent uniment à dépeindre sur le mode passif du façonnement, du conditionnement, de l'(auto)intoxication (ou de la « fausse conscience »), la manière dont les populations musulmanes « non immédiatement organisées par l'insurrection » (c'est-à-dire non « conscientisées », non soumises à ce que la vulgate révolutionnaire désigne sous le terme de « (ré)éducation politique ») se meuvent et s'émeuvent, pensent et agissent dans leur environnement social. Ainsi, une des constantes de la profession de foi historiciste est de dénier à l'adversaire - réduit au statut moralement invalidant d' « agent » des forces obscurantistes - la qualité de sujet (de sujet socio-historique s'entend), en tant - précisément - qu'il n'a pas été saisi par « le faisceau grandiose de l'Histoire ». Un tel syllogisme conduit à ne pas rendre leur part aux raisons de l'adversaire, à lui refuser le sens et jusqu'au sentiment de sa responsabilité propre, à lui donner le caractère d'une chose, d'un instrument. Au fond, au travers du prisme historiciste, la figure du harki ne dessine rien moins qu'un être politiquement fruste.

L'inattention systématique portée aux dimensions locales, discriminantes du conflit algérien

Figure par trop "couleur locale", par trop circonstancielle au regard d'un discours globalisant et définitif sur l'histoire, la figure du harki ne pouvait être représentée sous d'autres traits que ceux de la contingence, sinon de l'aberrance. Comme si les musulmans pro-français (ou non inféodés au FLN) n'étaient que les "ombres portées" du colonialisme1231(*). Dans sa préface aux Damnés de la terre, Sartre, quoique visant non pas les supplétifs de l'armée française (les harkis proprement dits) mais les notables musulmans participant de l'administration de l'Algérie coloniale (qu'il qualifie de « roitelets vendus, [de] féodaux, [de] fausse bourgeoisie forgée de toutes pièces »), stigmatise sur ce même mode de l'aliénation les élites musulmanes non acquises au FLN :

« L'élite européenne entreprit de fabriquer un indigénat d'élite ; on sélectionnait des adolescents, on leur marquait sur le front, au fer rouge, les principes de la culture occidentale, on leur fourrait dans la bouche des baillons sonores, grands mots pâteux qui collaient aux dents ; après un bref séjour en métropole, on les renvoyait chez eux, truqués. Ces mensonges vivants n'avaient plus rien à dire à leurs frères »1232(*).

De la même manière, Jacques Vergès perpétuait trente ans après l'idée d'une coupure radicale entre les « Algériens » d'un côté, la « coalition des pieds-noirs et des harkis » de l'autre, ces derniers (les harkis) étant ainsi commodément isolés du reste de la population musulmane et assimilés à un "réduit collaborationniste" en dépit de la masse et de la continuité des engagements (qu'écrasent délibérément les effets de réécriture, accolant et liant les harkis aux pieds-noirs comme l'esclave à son maître) :

« C'est par centaines que des Algériens moururent alors dans les supplices, sans que les pouvoirs publics, pourtant informés, s'en émeuvent. Les musulmans - comme on les appelait à l'époque - ne représentaient-ils pas, pour les laïco-socialistes, le retour au passé, et la coalition des pieds-noirs et des harkis la modernité ? »1233(*).

« Que Les damnés de la terre aient été publiés précédés d'une longue introduction de Jean-Paul Sartre, le fait n'est, en lui-même, nullement négligeable », note Raoul Girardet : « L'oeuvre de Frantz Fanon se trouve par-là même intégrée à tout un vaste mouvement de renouvellement de la pensée révolutionnaire »1234(*). A la limite, pour cette fraction qui se voulait radicale de l'intelligentsia de gauche (par opposition à cette « gauche respectueuse » que raillent Marcel Péju et Jean-Paul Sartre), le drame algérien devient l'objet d'une « passion française », une ligne de fracture intellectuelle et politique, moins en vertu de ses dimensions locales, discriminantes - toujours plus insaisissables, irréductibles - que parce qu'effectivement il se présente à elle comme la nouvelle terre d'élection du messianisme révolutionnaire. Ce dont témoigne, par excellence, l'extrait précédemment cité de la lettre adressée par Jean-Paul Sartre au tribunal militaire à l'occasion du procès intenté aux principaux animateurs du réseau Jeanson (voir supra). De la même manière, Simone de Beauvoir assure dans La force des choses que « la gauche française ne pouvait reprendre ses positions révolutionnaires qu'avec le FLN »1235(*). Plus avant, elle s'interroge : « Mais leur victoire déboucherait-elle sur le socialisme ? » ; ce à quoi elle s'empresse de répondre par l'affirmative, précisant même : « avec l'aide des Chinois si c'était nécessaire »1236(*).

Ce primat des enjeux scolastiques et idéologiques ne pouvait que décourager une analyse fine et circonstanciée - à tout le moins nuancée - des « événements » d'Algérie. Aussi la figure du harki - élément pivot de la complexité algérienne - n'a-t-elle eu que très rarement droit de cité dans la geste des intellectuels français en guerre d'Algérie.

Plus généralement, l'inattention systématique portée aux dimensions locales, discriminantes du conflit puise dans la critique radicale - consubstantielle de l'idéologie dite de la « libération » - de toutes les formes de particularisme local ou religieux : régionalisme, maraboutisme, traditionalisme ou néo-traditionalisme. Ces particularismes sont assimilés à des vestiges de féodalité et, à ce titre, dépeints par Edward Saïd1237(*) - lisant Fanon - comme des vecteurs d'euphémisation, voire d'ignorance volontaire des inégalités de classe et des rapports de pouvoir dans la situation coloniale. Aussi Edward Saïd différencie-t-il « l'expérience éclairante du parti de la libération » d'une part, l' « indigénisme et l'idéologie assez naïve du «retour aux sources» qui le fonde »1238(*) d'autre part : « Il faut outrepasser les identifications fondées sur la conscience identitaire », écrit-il1239(*). Et il ajoute : « [Le message de Fanon], c'est que nous devons tous réécrire à neuf nos histoires et nos cultures comme autant de palimpsestes »1240(*).

On est là en plein dans la dimension millénariste de l'idéologie de la libération, ce jacobinisme révolutionnaire qui, fondé sur la mystique téléologique de la table rase, se veut une force anti-identitaire, « un type particulier d'énergie nomade, migratoire et antinarrative »1241(*), en rupture avec l' « indigénisme », l' « essentialisme », le « dogme de la mimésis » et les « passions identitaires ». Sa visée n'est pas la cohabitation négociée de la diversité des composantes de la population algérienne mais l'élévation des masses colonisées du stade de la « conscience identitaire » au stade de la « conscientisation ». Cela implique de compter au rang des éléments « contre-révolutionnaires » non seulement les harkis, élus, fonctionnaires ou anciens combattants musulmans (qui n'ont pas même atteint le stade de la « conscience identitaire »), mais encore ceux qui, appartenant à la composante « féodale » (chefs traditionalistes, marabouts, tribalistes et régionalistes), cultivent un discours qui fait obstacle à cette élévation. Frantz Fanon décrit sans détour les tenants et les aboutissants de ce jacobinisme révolutionnaire :

« La lutte armée mobilise le peuple, c'est-à-dire qu'elle le jette dans une seule direction, à sens unique. (...) La violence du colonisé, avons-nous dit, unifie le peuple. De par sa structure en effet, le colonialisme est séparatiste et régionaliste. Le colonialisme ne se contente pas de constater l'existence de tribus, il les renforce, les différencie. Le système colonial alimente les chefferies et réactive les vieilles confréries maraboutiques. La violence dans sa pratique est totalisante, nationale. De ce fait, elle comporte dans son intimité la liquidation du régionalisme et du tribalisme. Aussi les partis nationalistes se montrent-ils particulièrement impitoyables avec les caïds et les chefs coutumiers. La liquidation des caïds et des chefs est un préalable à l'unification du peuple »1242(*).

Plus loin, il précise :

« Le colonialisme emploiera pour réaliser ses objectifs (...) les traditionnels collaborateurs, chefs, caïds, sorciers. Les masses paysannes plongées, nous l'avons vu, dans la répétition sans histoire d'une existence immobile continuent à vénérer les chefs religieux, les descendants des vieilles familles. La tribu, comme un seul homme, s'engage dans la voie qui lui est désignée par le chef traditionnel. A coups de prébendes, à prix d'or, le colonialisme s'attachera les services de ces hommes de confiance »1243(*).

Puis - usant d'un discours "hygiéniste" - il conclut :

« Ce peuple déshérité, habitué à vivre dans le cercle étroit des luttes et des rivalités, va procéder dans une atmosphère solennelle à la toilette et à la purification du visage local de la nation. (...) L'unité nationale est d'abord l'unité du groupe, la disparition des vieilles querelles et la liquidation définitive des réticences. Dans le même temps, la purification englobera les quelques autochtones qui, par leurs activités, par leur complicité avec l'occupant ont déshonoré le pays. Par contre les traîtres et les vendus seront jugés et châtiés »1244(*).

« La libération nationale n'est pas - et n'a jamais été - en continuité culturelle avec l'indépendance nationale », écrit Edward Saïd1245(*). Pour Edward Saïd, la doxa « indigéniste » n'est que l'image renversée de la doxa impérialiste, en proie aux mêmes écueils, au même « potentiel de paralysie culturelle » (p.383). « La libération, ajoute-t-il, est un processus, non un but automatiquement atteint avec l'indépendance des nouvelles nations ». Et l'auteur d'imputer les impasses politiques de l'anti-impérialisme (en Algérie notamment) au rôle délétère des « nationalistes bourgeois », de « simples correspondances indigènes de leurs maîtres impériaux » (p.379), coupables d'avoir écrit « une histoire simplement nationale », d'être « [entrés] dans le modèle narratif des Européens » et d'« [avoir] répété l'impérialisme », aux dépends des « tendances libérationnistes » du FLN1246(*). Or, cette explication en forme de clivage entre « nationalisme orthodoxe » et « parti de la libération » évacue opportunément, semble-t-il, les impasses liées non à la prévalence de l'un ou de l'autre mais bien plutôt à leur conjonction confuse - entre djihad et révolution, fondamentalisme et avant-gardisme - dans les voies et moyens du FLN pendant la guerre (voir la Partie 1). De fait, et les djihadistes et les idéologues de la libération ont fait de la violence vertu au cours de ce conflit, et sacrifié au mythe de la table rase, qu'il se soit agi de promouvoir le retour aux sources (et de porter le regard loin en arrière) ou de promouvoir l'avènement d'un homme nouveau (et de porter le regard loin en avant).

Ainsi, les intellectuels tiers-mondistes ont-ils pu concevoir le théâtre d'opérations algérien comme un terrain d'expérimentation idéologique qui, par-delà la révolte, ses causes et ses solutions potentiellement locales, pouvait et devait servir l'idée générique de révolution, conçue comme un schème transposé et transposable : « L'Algérie, souligne Jean-Robert Henry, a fonctionné un peu comme un laboratoire des aspirations et des mythes politiques (...) de la gauche française »1247(*). Pour cette raison, sans doute, bien des intellectuels, voulant « projeter à tort leurs idéaux sur un réel qui les ignore »1248(*), ont méconnu l'importance du facteur religieux (ou identitaire, au sens large) dans le combat "libérateur". Tel fut par exemple le cas de Pierre Vidal-Naquet (voir la Partie 1), mais encore de Laurent Schwartz, qui reconnaît rétrospectivement en avoir sous-évalué la prégnance : « J'ai espéré qu'ils ne seraient pas musulmans à ce point-là, qu'ils garderaient les Français en Algérie, mais sans privilèges. Nous avons sous-estimé les questions nationales, les crimes commis par les Algériens sur les Français »1249(*).

« L'impression qui m'est restée de cette époque, écrivait Paul Thibaud en 1991, est un sentiment d'illisibilité. Nous étions dans une période de visions politiques qui se voulaient exhaustives ; il était entendu qu'une idéologie digne de ce nom devait être capable de discriminer entre le bien et le mal pour l'humanité entière et dans toute situation : tous les combats politiques devaient pouvoir être reliés substantiellement, on devait pouvoir dire si et comment ils participaient à la cause du progrès de l'humanité. Est-ce ou non progressiste ? La réponse à cette question devait être univoque, il était impensable qu'un progrès dans un domaine fût payé par une régression dans un autre domaine. Il en devait pas y avoir d'ambiguïté, le sens de l'événement devait pouvoir être énoncé sans hésitation et sans remords »1250(*).

A cette aune, relève Michael Walzer, les harkis et autres catégories de musulmans non-inféodés au FLN décrivaient comme « des obstacles de terrain que le plan du bien et du mal ne représente que de manière inadéquate »1251(*). Des indicibles du « mouvement de l'Histoire », en somme.

- 2. « Ces hommes en bleu payés pour trahir leurs frères » (Simone de Beauvoir) : le harki, une figure malvenue

Figure accessoire au regard d'un système de pensée messianiste (voire millénariste, à travers l'avènement proclamé d'un « homme nouveau »), figure littéralement non avenue donc, le harki dessine également une figure malvenue - notamment pour ceux des intellectuels qui lient leur engagement aux intérêts organiques du FLN, mais pas seulement -, figure dont l'apostolat pèche non seulement par son étroitesse mais encore par sa vilenie : ne pointe-t-on pas, par privilège, la brutalité et la vénalité de ce mercenaire payé 8,25 francs par jour ? Lorsque Simone de Beauvoir se propose de définir - ou, plus exactement, de qualifier - l'engagement des harkis, c'est effectivement pour leur opposer un déni de conscience morale et politique, la « trahison » trouvant son pendant et sa raison d'être dans la « vénalité » : « Ces hommes en bleu payés pour trahir leurs frères »1252(*), écrit-elle à propos des quelque quatre à cinq cent harkis de la Force de police auxiliaire de Paris (FPA). De même, Jean-Paul Sartre, dans sa préface aux Damnés de la terre, confond-il dans un même rejet les « comptoirs européens » et les « mercenaires qui les défendent »1253(*).

Le romancier algérien Mehdi Charef, qui n'avait que dix ans en 1962, et vivait déjà en métropole, suggère pour sa part que si la solde journalière qui était offerte aux harkis constituait bien un des motifs premiers de leur engagement, elle ne pouvait, en raison même de sa modestie, présumer d'une quelconque forme de vénalité (c'est-à-dire d'amoralité) mais bien plutôt de précarité (c'est-à-dire de dénuement), ce qui va à l'encontre du qualificatif dégradant de mercenaire auquel a été par trop complaisamment associée la figure du harki. Dans Le harki de Meriem, publié aux Editions Mercure de France, Mehdi Charef écrit :

« En cette fin des années cinquante, les mots "guerre" et "indépendance" n'existaient pas dans cette campagne. Il était loin d'Alger et des Aurès, et puis il s'en fichait Azzedine de savoir s'il y aurait guerre ou indépendance, donc s'il finirait gradé ou les couilles dans la bouche. Il ne s'engagea pas contre quelqu'un, il s'engagea contre la terre, le ventre aride de sa terre, une terre où il n'y avait plus qu'à crever. Et comme il ne lui restait plus que sa vie, il l'avait donnée pour les siens »1254(*).

De la divinisation de l'histoire à la fétichisation de la violence (la praxéologie de la « table rase »)

Le déni de conscience morale et politique opposé aux harkis par certains intellectuels engagés en guerre d'Algérie décrit aussi - et surtout - un rapport à la violence proprement antinomique de celui que subsume la croyance en les qualités dites « propédeutiques », voire « prophylactiques », de la praxis révolutionnaire : tandis que « dans la violence, l'opprimé puise son humanité », que les moyens extrêmes dont use le « révolutionnaire algérien » sont subsumés dans la finalité historiciste qui en est comme la réparation anticipée, à l'inverse, la violence non pas révolutionnaire, non pas « libératrice », mais policière, coercitive des harkis - violence délictueuse quoiqu'elle vise l'ordre, violence délictueuse parce qu'elle vise l'ordre - astreint ses auteurs à la déréliction. En témoignent les indignations sélectives de Simone de Beauvoir, qui, dans La force des choses, voit dans l'assassinat en plein Paris d'Ali Chekkal, ancien vice-président de l'Assemblée algérienne - qu'elle dépeint comme « le plus important des collabos musulmans » - « un acte analogue à ceux que, pendant la résistance, on appelait héroïques »1255(*) ; Simone de Beauvoir, encore, qui ne paraît point s'émouvoir de ce que dans la nuit du 14 juillet 1958, et toujours en plein Paris, « onze personnes [eussent été] descendues par les Algériens, dont six musulmans collabos »1256(*) ; Simone de Beauvoir, toujours, qui, évoquant la rencontre entre Sartre et Fanon, rapporte que ce dernier - psychiatre de formation - « apprit [aux révolutionnaires algériens] à contrôler leurs réactions au moment de déposer une bombe ou de lancer une grenade »1257(*) ; Simone de Beauvoir, pourtant, de faire soudainement montre d'un sentiment de révolte face aux manifestations de violence - ou, plutôt, face à certaines manifestations de violence - et de stigmatiser « les traitements infligés par les harkis [à] des hommes en sang [qu'ils] traînent d'une maison à une autre »1258(*). Michael Walzer : « On trouve peu de signes chez Simone de Beauvoir d'un grand attachement à la vie de qui que ce soit. Les attentats terroristes contre des civils français la laissaient indifférente ; et les morts du côté algérien ne l'outragent que lorsque les Français en ont été la cause (...). Elle est au fait de la brutalité des guerres intestines du FLN, mais elle choisit de ne pas en parler dans ses écrits : elle semble n'avoir jamais songé au destin probable de la communauté pied-noir [NDA : et, a fortiori, à celui des musulmans pro-français] dans l'éventualité d'une victoire du FLN »1259(*).

De la même manière (quoique dans un registre moins directement adversatif), dans un article qu'il avait consacré à « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis » (voir l'analyse détaillée de cet article infra), article originellement paru dans Le Monde des 11 et 12 novembre 1962, Pierre Vidal-Naquet - étayant sa démonstration sur des impressions visuelles et sur la généralisation d'éléments de preuve localisés - avait lui aussi contribué à véhiculer une image brutalisante des harkis, les dépeignant comme des hommes sans idéal péchant par défaut de conscientisation, que seule la perspective d'assouvir leurs penchants les plus vils avait pu convaincre de rester fidèles à l'armée française : « Que les harkis aient régné par la terreur, trop de témoignages le prouvent. Ceux qui ont pu voir Octobre à Paris se souviendront toujours du visage des témoins algériens quand ils prononcent ce nom détesté. Que cette terreur ait été un instrument de guerre qui seul pouvait à son tour maintenir les harkis dans l'obéissance à leurs chefs, il n'est pas permis non plus d'en douter. Dans un rapport officiel rédigé à la fin de mai 1961, un lieutenant chef de harka exposait que ses hommes «avaient été dès le début habitués à avoir toute liberté d'action après les accrochages» ; il expliquait aussi qu'au lendemain de l'interruption des opérations offensives (20 mai 1961) il ne put empêcher ses harkis de gagner le djebel qu'en les autorisant à exécuter six prisonniers »1260(*). De même, Jules Roy, dans la "réponse" qu'il adresse en 1972 à l'ouvrage du général Massu, La vraie bataille d'Alger, brosse une image vile des harkis, entre servilité et brutalité : « Ah ! si vous étiez né youpin ou raton, mon général... Si vous aviez vu les vôtres arrêtés, poussés à coups de crosse dans les camions et les clôtures de barbelés, réduits à laper leur soupe dans la gamelle comme des bêtes, et, en vrais chiens, humiliés, je vous le demande encore, quel parti auriez-vous choisi : celui des harkis de l'Algérie des maîtres, ou l'autre ? »1261(*).

Ainsi doit-on distinguer entre la violence servile des harkis, cerbères aliénés d'un ordre périmé, usant d'une violence sans langage, d'une violence qui est à elle seule sa propre fin -car sans autre objet que le maintien d'un ordre illégitime -, et cette violence "nécessaire" portée par ces "acteurs d'historicité" que sont les révolutionnaires algériens, violence propédeutique dont Frantz Fanon nous dit qu' « [elle] revêt des caractères positifs, formateurs »1262(*), qu' « [elle] [illumine] la conscience du peuple » et qu' « [elle] confère aux masses un goût vorace du concret »1263(*) ; violence nécessaire, violence propédeutique, mais par-dessus tout langage (ou registre de langage) propre à la raison historique, non pas moyen mais praxis, poursuite valorisée et valorisante d'une Vérité en devenir.

De fait, nous l'avons dit, pour ceux qui s'inscrivent dans le sillage de Sartre et Fanon, la révolution algérienne est censée accoucher d'un « homme nouveau », « purifié » ; sans qu'au départ cette notion de « pureté » ne soit définie par d'autres accents que ceux de la virilité. Ainsi, Sartre qui, tout en mettant en exergue une certaine surdétermination socio-historique de l'action humaine, s'était élevé dans Critique de la raison dialectique (1960) contre le caractère supposément mécaniste d'une telle surdétermination, et s'était ému de ce qu'en pareil cas ce concept ne réduisît l'homme à « un produit passif, une somme de réflexes conditionnés [dont l'action est gouvernée] par le principe d'inertie »1264(*), prend pourtant des accents messianistes dans sa préface aux Damnés de la terre (1961) pour se féliciter de ce que « Fanon [soit] le premier depuis Engels à remettre en lumière l'accoucheuse de l'histoire ». Dans cette « incandescente préface - presque fascisante », estime Olivier Todd1265(*), au brûlot tiers-mondiste de Frantz Fanon, Sartre se fait l'apôtre d'une violence « nouvelle » et « irrépressible » dans et par laquelle, selon lui, le colonisé trouve et prouve son humanité en tuant le colonisateur :

« Quand les paysans touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés : l'arme d'un combattant, c'est son humanité. Car, en ce premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. Dans cet instant, la nation ne s'éloigne pas de lui : on la trouve où il va, où il est, jamais plus loin, elle se confond avec sa liberté »1266(*).

C'est dans et par la violence que le colonisé, à la fois porté par l'Histoire et acteur de son propre destin, se révèle et se réalise aux yeux de l'humanité tout entière. Ainsi, contre ce que Frantz Fanon appelle « les formes esthétiques du respect de l'ordre établi [qui] créent autour de l'exploité une atmosphère de soumission et d'inhibition », contre ce que Jean-Paul Sartre (dans sa préface aux Damnés de la terre) qualifie d' « exquise justificatrice » du « pillage systématique » et des « massacres » perpétrés par l'Occident dans les pays colonisés, se développe autour du tiers-mondisme un fort courant anti-humaniste, qui - exact contrepoint théorique de cette idéologie supposément « menteuse » et « hypocrite » qu'est « l'humanisme bourgeois » - en appelle à la libération de la violence et récuse la perspective d' « une entente à l'amiable »1267(*). Fanon, mariant les registres idéologiques et psychiatriques, se montre d'ailleurs convaincu des vertus sublimatoires et « désintoxiquantes » de la violence révolutionnaire :

« Au niveau des individus, la violence désintoxique. Elle débarrasse le colonisé de son complexe d'infériorité, de ses attitudes contemplatives ou désespérées. Elle le rend intrépide, le réhabilite à ses propres yeux »1268(*).

« Cette violence irrépressible, commente Sartre, ce n'est pas une absurde tempête, ni la résurrection d'instincts sauvages, ni même un ressentiment, c'est l'homme lui-même se recomposant (...). Nous étions homme à ses dépens, il se fait homme aux nôtres. Un autre homme de meilleure qualité »1269(*).

Aussi, pour Sartre, la vigilance anxieuse dont fait montre Albert Camus pour contenir les termes du conflit dans des limites qui n'attentent pas au principe de l'équivalence des vies, et à celui - corrélatif - de la prééminence des règles du jeu de la sociabilité sur les enjeux politiques de la lutte, est symptomatique de l'esprit de compromission qui anime ce qu'il appelle - avec Marcel Péju1270(*) - la « gauche respectueuse », à savoir « une gauche qui respecte les valeurs de droite même si elle est consciente de ne pas les partager »1271(*). Ainsi, l' « Appel pour une trêve civile » est une « prise de position pseudo-universaliste »1272(*) qui, condamnant au même titre les attentats terroristes algériens et la répression française, « prétend interdire aux forces réelles des opprimés de les transformer en revendications appuyées par les armes »1273(*). Pour Sartre, à l'inverse, « il faut que [l'intellectuel] examine [les moyens] en fonction du principe que tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces sauf ceux qui altèrent la fin poursuivie »1274(*). Pour cette raison, ajoute-t-il, « il fallait comprendre que l'insurrection de l'Algérie, insurrection de pauvres, sans armes, traqués par un régime policier, ne pouvait ne pas choisir les maquis et la bombe »1275(*).

De même, Albert Memmi, dont Camus avait préfacé le premier ouvrage La statue de sel, largement autobiographique, en 1953 (donc avant le déclenchement de l'insurrection), s'en détachera rapidement une fois celle-ci lancée, témoignant de la soudaine radicalisation des positions. En 1957, par deux fois, il brosse un portrait sans appel de Camus, où pointe l'ironie. D'abord dans son Portrait du colonisé (et du colonisateur), publié en avril 1957 et préfacé cette fois par Jean-Paul Sartre :

« En bref, l'homme de gauche ne retrouve dans la lutte du colonisé, qu'il soutient a priori, ni les moyens traditionnels ni les buts derniers de cette gauche dont il fait partie [cette « gauche respectueuse » raillée par Jean-Paul Sartre]. Et bien entendu, cette inquiétude, ce dépaysement sont singulièrement aggravés chez le colonisateur de gauche, c'est-à-dire l'homme de gauche qui vit en colonie et fait ménage quotidien avec ce nationalisme. Prenons un exemple parmi les moyens utilisés dans cette lutte : le terrorisme. Le colonisateur de gauche avait beau faire des efforts, certains actes lui parurent incompréhensibles, scandaleux et politiquement absurdes ; par exemple la mort d'enfants ou d'étrangers à la lutte, ou même de colonisés qui, sans s'opposer au fond, désapprouvaient tel détail de l'entreprise. Au début, il fut tellement troublé qu'il ne trouvait pas mieux que de nier de tels actes ; ils ne pouvaient trouver aucune place, en effet, dans sa perspective du problème. Que ce soit la cruauté de l'oppression qui explique l'aveuglement de la réaction lui parut à peine un argument : il ne peut approuver chez le colonisé ce qu'il combat dans la colonisation, ce pourquoi précisément il condamne la colonisation. Puis, après avoir soupçonné à chaque fois la nouvelle d'être fausse, il dit, en désespoir de cause, que de tels agissements sont des erreurs, c'est-à-dire qu'ils ne devraient pas faire partie de l'essence du mouvement. Les chefs certainement les désapprouvent, affirme-t-il courageusement. Un journaliste qui a toujours soutenu la cause des colonisés, las d'attendre des condamnations qui ne venaient pas, finit un jour par mettre publiquement en demeure certains chefs de prendre position contre les attentats. Bien entendu, il ne reçut aucune réponse ; il n'eut pas la naïveté supplémentaire d'insister »1276(*).

De même, dans La force des choses, Simone de Beauvoir assure que « jamais Camus ne prononça de phrases plus creuses que lorsqu'il demanda : pitié pour les civils ». Puis, quelques pages plus loin : « Maintenant, le pied-noir l'emportait sur l'humaniste »1277(*). Déjà, dans sa préface aux Damnés de la terre, Sartre s'en était pris - dans une allusion non dissimulée à l'auteur de Ni victimes ni bourreaux - au promoteur de l' « Appel pour une trêve civile » : « Ils ont bonne mine les non-violents : ni victimes ni bourreau ! Allons ! Si vous n'êtes pas victimes, quand le gouvernement que vous avez plébiscité, quand l'armée où vos jeunes frères ont servi, sans hésitation ni remords, ont entrepris un «génocide», vous êtes indubitablement des bourreaux »1278(*).

Michael Walzer : « Dans le schéma marxiste [et/ou tiers-mondiste], un intellectuel pied-noir était exactement semblable à un intellectuel bourgeois »1279(*). A l'instar de ce dernier, l'intellectuel pied-noir appartient à « une minorité qui a historiquement tort » (Albert Memmi1280(*)). Dès lors, « la thèse courante à gauche est simple et directe : il faut répudier ce genre d'appartenance. (...) Sur cette base, la critique sociale de l'intérieur est littéralement impossible : l'intellectuel pied-noir doit se transformer, d'abord, en observateur détaché, puis en défenseur de la libération algérienne»1281(*). A cet égard, Michael Walzer, qui avait déjà critiqué les formes de l'engagement sartrien dans La critique sociale au XXème siècle (ouvrage publié pour la première fois en 1988), est revenu, après les attentats du 11 septembre 2001, sur les justifications idéologiques que certains intellectuels trouvent au terrorisme, à commencer par la notion de "culpabilité objective" :

«Terrorism is the work of visible hands - an organizational project, a strategic choice, a conspiracy to murder and intimidate. No wonder the conspirators have difficulty justifying in public the strategy that they have chosen. But when moral justification is ruled out, the way is opened for ideological apology. In parts of the European and American left, there has long existed a political culture of excuses focused defensively on one or another of the older terrorist organizations: the IRA, FLN, PLO, and so on (...)». Il ajoute: «[A common] excuse plays on the notion of innocence. Of course, it is wrong to kill the innocent, but these victims aren't entirely innocent. They are the beneficiaries of oppression; they enjoy its tainted fruits. And so, while their murder isn't justifiable, it is ... understandable. What else could they expect?»1282(*).

De la notion de « fausse conscience » à celle de « culpabilité objective »

Pour Albert Memmi, la situation coloniale n'est pas réformable : elle ne peut être que « brisée ». Cela justifie que les civils d'origine européenne soient subsumés, en dépit de leur diversité, sous le vocable de « colonisateurs » et dépeints, à ce titre, comme des « privilégiés non légitimes, c'est-à-dire [des] usurpateurs »1283(*). Il s'ensuit que le colon - quoi qu'il en ait, et « par une sorte de fatalité intérieure » - est "par essence" un « oppresseur ». Pour lui, la quête de l'innocence est sans fin et la vie un dédouanement permanent. A cet égard, ni la frontière entre "civils" et "combattants", ni une neutralité affichée ne sauraient faire office de garantie puisque l'on ne peut pas - par nature - être neutre dans une telle situation. Albert Memmi :

« S'acceptant comme colonisateur, le colonialiste accepte en même temps, même s'il a décidé de passer outre, ce que ce rôle implique de blâme, aux yeux des autres et aux siens propres. Cette décision ne lui rapporte nullement une bienheureuse et définitive tranquillité d'âme. Au contraire, l'effort qu'il fera pour surmonter cette ambiguïté nous donnera une des clefs de sa compréhension. Et les relations humaines en colonie auraient peut-être été meilleures, moins accablantes pour le colonisé, si le colonialiste avait été convaincu de sa légitimité. En somme, le problème posé au colonisateur qui se refuse est le même que pour celui qui s'accepte. Seules leurs solutions diffèrent : celle du colonisateur qui s'accepte le transforme immanquablement en colonialiste »1284(*).

Sur cet arrière-fond spéculatif, l'expiation - et peut-être même le meurtre1285(*) - devient en quelque sorte "nécessaire" :

« La révolte est la seule issue à la situation coloniale qui ne soit pas un trompe-l'oeil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis. Il a été arraché de son passé et stoppé dans son avenir, ses traditions agonisent et il perd l'espoir d'acquérir une nouvelle culture, il n'a ni langue, ni drapeau, ni technique, ni existence nationale ni internationale, ni droits, ni devoirs : il ne possède rien, n'est plus rien et n'espère plus rien. De plus, la solution est tous les jours plus urgente, tous les jours nécessairement plus radicale. Le mécanisme de néantisation du colonisé, mis en marche par le colonisateur, ne peut que s'aggraver tous les jours. Plus l'oppression augmente, plus le colonisateur a besoin de justification, plus il doit avilir le colonisé, plus il se sent coupable, plus il doit se justifier, etc. Comment en sortir sinon par la rupture, l'éclatement, tous les jours plus explosif, de ce cercle infernal ? La situation coloniale, par sa propre fatalité intérieure, appelle la révolte. Car la condition coloniale ne peut être aménagée ; tel un carcan, elle ne peut qu'être brisée »1286(*).

Simone de Beauvoir est plus explicite encore : « Les ennemis des colonisés, c'était d'abord les colons, accessoirement l'armée qui les défendait »1287(*).

Albert Camus n'avait certes pas attendu d'en être directement la cible pour dénoncer les artifices de la notion de « culpabilité objective », qu'il sentait poindre dans « une équivoque conception du monde qui remet à la seule histoire le soin de produire les valeurs et la vérité ». Déjà dans L'Homme révolté, en 1950, il écrivait : « [Sans cette foi active dans les représentants de la vérité], [le sujet] risque toujours, sans l'avoir voulu et avec les meilleures intentions du monde, de devenir un criminel objectif »1288(*). En outre, rien n'était plus étranger à Albert Camus que cette idée d'une « expiation nécessaire » des Français d'Algérie, idée connexe de celle de « culpabilité objective », symptomatique pour lui de la « frivolité » et du « pharisaïsme » de ceux qui, parmi les partisans français du FLN, « n'ont jamais placé que leur fauteuil dans le sens de l'histoire »1289(*) : « Si certains Français considèrent que, par ses entreprises coloniales, la France est en état de péché historique, ils n'ont pas à désigner les Français d'Algérie comme victimes expiatoires («Crevez, nous l'avons bien mérité !»), ils doivent s'offrir eux-mêmes à l'expiation. En ce qui me concerne, il me paraît dégoûtant de battre sa coulpe, comme nos juges-pénitents, sur la poitrine d'autrui »1290(*).

Or, ce qui - dans l'esprit des soutiens français au FLN - vaut pour les civils européens vaut a fortiori pour les civils musulmans réputés leur être inféodés, lesquels, en plus d'avoir objectivement tort, sont subjectivement méprisables (car marqués du sceau de la « trahison »).

Le refus de la symétrie entre les exactions commises par le « colonisé » et celles commises par - ou au nom du - « colonisateur »

Certes, la fétichisation "fanono-sartrienne" de la violence du colonisé, elle-même sous-tendue par la notion de "culpabilité objective", fut loin d'être un trait commun à tous les intellectuels français engagés contre la guerre d'Algérie1291(*). Par contre, le refus de la symétrie entre les exactions commises par le « colonisé » et celles commises par - ou au nom du - « colonisateur » traversa lui l'ensemble des strates de la gauche intellectuelle anticolonialiste. Ainsi, dans une critique collective faite en 1992 du film de Benjamin Stora1292(*), Les années algériennes, Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Madeleine Rebérioux, Annie Rey-Goldzeiguer et Pierre Vidal-Naquet estimaient que « le défaut majeur du film est de faire croire qu'on peut renvoyer dos à dos les partenaires affrontés en parlant de violence des deux côtés, finalement en donnant quitus au colonialisme innommé par la tentative d'égalisation des deux plateaux de la balance, quand ces plateaux ne pourront jamais, sous peine de graves falsifications, devenir égaux »1293(*).

Quelques années plus tard, Pierre Vidal-Naquet, à nouveau : « Entre Boussouf et Aussaresses, il y a malheureusement quelque chose de commun [à propos de l'assassinat de Abane Ramdane], ce qui ne veut pas dire, évidemment, qu'il y avait symétrie entre le colonisateur et le colonisé »1294(*). De même, Gilles Manceron : « Quand on parle de la Seconde guerre mondiale, on présente bien le nazisme comme une horreur, et la Résistance comme légitime. Pour l'Algérie, on se contente de dire qu'il y a eu des horreurs dans les deux camps, sans dire que celles qui ont été commises par la France relèvent d'un combat illégitime et qu'elles ont été assumées par une République, ce qui est scandaleux »1295(*).

Ce refus quasi-général de la symétrie entre les exactions liées à l'insurrection et celles liées à sa répression explique en grande partie la "timidité", sinon l'absence de réactions de la mouvance anticolonialiste (toutes tendances confondues) au moment et à la suite du massacre des harkis. Cela explique aussi pourquoi les quelques rares personnalités de gauche qui ont élevé la voix à ce sujet se sont attachées à en imputer la responsabilité première non au FLN mais au « système colonial » ou, tout au moins, à ses contrecoups.

L'article publié par Pierre Vidal-Naquet dans l'édition du Monde du 16 novembre 1962, article intitulé « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis »1296(*), est exemplaire à cet égard. Aux dires de certains auteurs1297(*), et de Pierre Vidal-Naquet lui-même, cet article aurait fait notablement exception dans le "désert" des réactions progressistes. Or, cette "sollicitude" se heurte, dans le fil dudit article, à des limites importantes et clairement exposées qui en relativisent le caractère exceptionnel ou hétérodoxe eu égard à la tonalité générale de la geste intellectuelle. De fait, Pierre Vidal-Naquet, quoiqu'il fasse état des massacres dont sont victimes en Algérie les anciens supplétifs de l'armée française, et qu'il dise s'en émouvoir, va s'attacher à relativiser ce drame (et les responsabilités algériennes qui y sont attenantes) en introduisant dans la dénonciation du crime les éléments de sa propre atténuation. Pierre Vidal-Naquet laisse d'abord entendre que la situation chaotique dans le bled est d'abord et avant tout la résultante obligée des destructions opérées par la répression, qui, en éradiquant les cadres du FLN, a laissé libre cours à des vengeances incontrôlables. En somme, pour l'auteur, ce n'est pas la situation hégémonique du FLN, et le climat d'impunité totale dans lequel évolue les cadres de cette organisation depuis l'accession à l'indépendance de l'Algérie qui sont en cause, mais l'insuffisance de leurs moyens et de leurs effectifs :

« Des haines se sont accumulées dont il eût été naïf de ne pas prévoir l'explosion et que les accords d'Evian, malgré l'amnistie qu'ils comportaient, pouvaient d'autant moins endiguer, que, dans le bled, l'O.P.A. [c'est-à-dire l'Organisation politico-administrative du FLN], qui seule aurait pu assurer une transition relativement calme entre l'ancien et le nouveau régime, avait été précisément détruite, les cadres du peuple algérien exterminés et que l'OAS régnait dans les grandes villes. Une révolution victorieuse, du reste, ne change pas dans ses débuts la nature des rapports sociaux, elle les inverse : la terreur de 1793 fut une forme d'absolutisme. Dans les excès de l'insurrection algérienne, il n'est que trop facile de reconnaître le négatif de la colonisation ; de même, dans la tragédie que vivent actuellement les anciens harkis, il est aisé de retrouver le visage hideux de ce que fut la pacification »1298(*). Et il ajoute : « Dans le bled, sans que le gouvernement puisse exercer de contrôle - on sait d'ailleurs à travers quelles crises il s'est installé au pouvoir -, des camps sommaires ont été créés - non sans doute partout, car il est des régions d'Algérie qui semblent avoir échappé à la répression - d'où des hommes ont été extraits pour être conduits à la torture et à une mort abjecte »1299(*).

Cette analyse appelle plusieurs commentaires. D'une part, l'idée que seule l'O.P.A. du FLN aurait pu assurer une transition relativement calme est une affirmation gratuite, qui fait fi - à l'inverse de ce qu'avance Pierre Vidal-Naquet - du contrôle étroit exercé par les autorités algériennes sur les camps d'internement et de travaux forcés répartis sur l'ensemble du territoire algérien (voir la Partie 1), et dont on ne peut raisonnablement accuser les « combattants de la 25ème heure » (ou « marsiens ») d'être les initiateurs, d'autant que la plupart de ces camps sont encore au place au moment où Pierre Vidal-Naquet écrit ces lignes ; à cet égard, nous l'avons vu, la survenue de vengeances "spontanées" ne saurait à elle seule justifier de l'assassinat de plusieurs dizaines de milliers d'hommes et de femmes, qui plus est lorsque ces massacres s'étalent sur plusieurs mois. D'autre part, l'incrimination réflexe de l'OAS apparaît ici proprement dilatoire puisque, lors même que l'OAS aurait mis fin à toute activité criminelle sur le sol algérien depuis la fin juin 1962 (soit dès avant l'indépendance de l'Algérie), les massacres de harkis se poursuivent au moment où l'auteur écrit ces lignes - nous sommes en novembre 1962, quatre mois ont passé depuis l'accession à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962. Ainsi, usant d'une dialectique globalisante (en quoi le parallèle avec la période de la Terreur nous éclaire-t-elle sur les circonstances singulières et nous informe-t-elle des responsabilités particulières qui ont présidé au massacre des harkis ?), celui qui, dénonçant l'usage de la torture au sein du Comité Maurice-Audin, s'était fait depuis 1957 une profession de foi de rappeler les autorités françaises à leurs responsabilités, en vient paradoxalement - au moment de rendre compte du massacre des harkis - à minorer la responsabilité des autorités algériennes, c'est-à-dire à souligner l'incapacité relative du - ou des - politique(s) à avoir toujours et partout prise sur le cours des choses. Il est d'ailleurs symptomatique qu'au titre d'agent d'historicité il invoque des concepts "fourre-tout" : la révolution, la colonisation et la pacification qui, à force de vouloir tout expliquer en général, n'expliquent rien en particulier. Ce faisant, l'auteur satisfait, me semble-t-il, à une double exigence : d'une part, il relativise la portée du crime, le "naturalise" en quelque sorte : rien qui ne soit conforme à la nature des choses, semble-t-il signifier ; d'autre part, mais cette seconde exigence est une conséquence logique de la première, il tend à rendre le crime impersonnel, anonyme, comme s'il n'était de criminels et de victimes que génériques : invoquant ces "monstres froids" que sont les concepts clefs précités, il tend à diluer/enchevêtrer les responsabilités du crime jusqu'à les rendre proprement inassignables.

Le massacre des harkis serait ainsi un crime sans responsables, ou plutôt une tragédie dont les responsabilités immédiates ne seraient que "superstructurelles", le geste de l'assassin n'étant motivé et ne pouvant être expliqué - en dernière instance - que par le crime plus grand dont il fut lui-même victime ; or, de ce que « les harkis aient régné par la terreur, trop de témoignages le prouvent », souligne Pierre Vidal-Naquet : « [N'étaient-ils pas], sur le plan général, un des éléments de l'appareil de répression semi-clandestin qui s'est peu à peu créé en Algérie », ajoute-t-il1300(*) ? Dès lors, projetant sur la guerre d'Algérie un vocable tiré d'une autre guerre, l'auteur estime que « les résistants algériens [de même que « les villageois trop longtemps terrorisés »] ont sans doute le droit de mépriser les harkis, et de les tenir pour des traîtres »1301(*). L'auteur d'insister : « Souvenons-nous de ce que fut la Libération pour les miliciens précisément, dans certains villages du midi de la France »1302(*).

Cette assimilation des harkis aux collaborationnistes, c'est-à-dire à ceux qui, en France, furent partisans d'une politique de collaboration avec l'Allemagne nazie, découlait plus globalement de la propension à établir un parallèle entre la situation de la France sous l'Occupation et celle de l'Algérie en guerre. Pierre Vidal-Naquet lui-même inclinera, après bien d'autres1303(*), à opérer de tels rapprochements : « Je n'emploie donc pas le terme de génocide même si certaines comparaisons viennent à l'esprit. Ainsi, dans l'affaire des cuves à vin, début 1957, où plusieurs dizaines d'Algériens sont morts d'avoir inhalé des émanations toxiques, il était difficile de ne pas penser aux chambres à gaz, même s'il n'y avait pas d'intention criminelle. À condition de ne pas confondre génocide et crime contre l'humanité, la comparaison (de la guerre d'Algérie) avec la période de l'Occupation est donc justifiée »1304(*). En 1961, Paulette Péju, journaliste à Libération (et qui était l'épouse de Marcel Péju, collaborateur des Temps modernes), osera elle aussi des parallèles qui ne laissaient guère de doute sur ce que lui inspiraient les supplétifs musulmans de l'armée française : « En opposant des Algériens à des Algériens, l'oppresseur garde les mains propres et tente de déchirer, contre elle-même, la communauté opprimée. Ainsi les Allemands, dans les camps de concentration, dressaient-ils les «droit commun» contre les déportés politiques, ou confiaient-ils à une police juive le soin de désigner les Juifs pour l'abattoir »1305(*).

Bien plus, dans le mouvement même où Pierre Vidal-Naquet adjure les autorités françaises de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la protection des anciens harkis et de leurs familles (« plus lourdes encore, écrit-il, sont les responsabilités qui pèsent sur le gouvernement français », comme s'il fallait, ce disant, qu'il se soulageât en partie du cas de conscience de rappeler les autorités algériennes à leurs engagements de non-représailles), l'auteur préconise que ceux des rescapés qui parviendraient à trouver refuge en France fussent « rééduqués » (ce sont ses propres termes) par les militants de la Fédération de France du FLN. L'auteur, faisant écho aux rumeurs gouvernementales d'une possible collusion harkis-OAS (voir la Partie 1), semble tenir pour évident que cette « rééducation » (politique ?) est nécessaire :

« C'est en France que les anciens harkis et leur famille peuvent être sauvés, c'est en France que pourront se trouver les militants algériens, moins marqués par la répression qu'en Algérie, malgré ce qu'ils ont subi eux aussi, capables d'entreprendre la rééducation nécessaire. On a pu concevoir que les harkis risquaient de devenir une masse de manoeuvre entre les mains d'officiers OAS ; cette crainte n'a plus guère de sens aujourd'hui. D'ailleurs, il appartient aux Français et aux Algériens de France, et notamment aux militants ouvriers, de faire en sorte que cette crainte soit vaine »1306(*).

Il faut pourtant rappeler, à titre de contre-élairage factuel, que les méthodes de la Fédération de France du FLN - dont les attentats ont causé la mort de plus de 4.000 personnes et en ont blessé près de 9.000 autres en métropole entre 1956 et 1962 (en quasi-totalité des civils musulmans1307(*)) - ne se distinguèrent en rien de celles de leurs camarades demeurés en Algérie (ce que semble ignorer Pierre Vidal-Naquet). Voici d'ailleurs ce qu'il en fût, dans un premier temps, des rapports entre « militants ouvriers » de la Fédération de France du FLN et anciens harkis réfugiés en France : « Nombreux sont les cas, de 1962 à 1966, de supplétifs interpellés et pris à parti par des Algériens mais aussi des Français. En décembre 1962, trois familles de harkis fuient Condé-sur-Escaut dans le Nord pour Mige dans l'Yonne. Les trois chefs de famille, employés aux mines, n'en pouvaient plus des brimades et des pressions des Algériens. Ils étaient de plus durement imposés par les responsables locaux du FLN. Des incidents éclatent un peu partout en France mais on ne fait pas alors la différence : «FLN, harkis, moghaznis, des bagarres d'Arabes» ! (...) Quatre harkis sont assassinés en une semaine, en juillet 1963, dans la région lilloise. La pression ne s'atténuera que lentement »1308(*).

Mais par-delà même le fait que le terme de « rééducation », lorsqu'il se veut synonyme de « conscientisation politique », soit porteur de sinistres consonances (la plus patente ayant précisément trait aux méthodes dites du « bourrage de crâne », à entendre au sens propre comme au sens figuré), il est frappant de noter qu'en arrière-fond, en sous-oeuvre d'un tel discours se dégage l'idée que puisque les harkis sont à « rééduquer », et puisque ce sont leurs adversaires les plus irascibles qui sont, selon Pierre Vidal-Naquet, les mieux à même et les plus indiqués pour opérer ce travail de « rééducation », dès lors, ce ne sont pas les "massacreurs" mais bien les "massacrés" qui sont porteurs d'une tare morale ; comme si tant l'engagement des harkis aux côtés de la France que les prolongements tragiques de cet engagement (soit le supplice qui est le leur) étaient la résultante d'une pathologie (faut-il la qualifier de "politique" ?) qui les affecte et qui, menaçant d'affecter l'ensemble de la population algérienne, suscite, par contrecoup, la réaction "immunitaire" des organes de résistance algériens : de la violence politique aux mesures prophylactiques, il n'y a parfois qu'un pas (voir supra), même si Pierre Vidal-Naquet témoigne manifestement d'une plus grande inclination pour les médecines "douces" (la « rééducation ») que pour les thérapies de choc, lesquelles provoquent son effroi.

Aussi, l'auteur, sous prétexte de magnanimité et d'appel à la clémence dans un climat de représailles exacerbées, en vient par des voies rhétoriques subtiles (sans jamais que cela n'apparaisse autrement que par implicite), sinon à faire porter aux victimes elles-mêmes la responsabilité de leur sort, du moins à relativiser leur statut de victimes (« Les résistants algériens ont sans doute le droit de mépriser les harkis, et de les tenir pour des traîtres »1309(*)) et, par là même, à relativiser la responsabilité des assassins (« Responsable des tortures et des assassinats dont ils [les harkis] ont été coupables, il [le gouvernement français] est aussi responsable des tortures et des assassinats dont ils sont les victimes », et n'a à ce titre « aucun droit de protester »1310(*)). Invoquant les causes exogènes, "infrastructurelles" des massacres (« Il est trop évident que ces hommes, même ceux qui ont commis, sur ordre, des crimes, sont des victimes autant que des coupables, des victimes de l'ordre colonial »1311(*)), l'auteur évacue tout questionnement sur les voies et moyens propres aux « révolutionnaires » algériens, qu'il s'agisse de la fétichisation de la violence et de la prévalence corrélative des moyens sur les fins (affirmée dès la Proclamation du 1er novembre), ou bien encore de l'exclusivisme d'un projet politique axé autour du refus radical d'une Algérie plurielle, tant sur les plans socioculturel, politique, qu'ethnique (Programme de Tripoli). D'ailleurs, c'est à peine si Pierre Vidal-Naquet ne s'excuse pas auprès des autorités algériennes de relater les faits dont il se fait le témoin : « Un Français ne s'adressera pas sans hésitation et difficulté aux autorités algériennes », écrit-il, ajoutant qu' « il n'est que trop aisé de retrouver le visage hideux de ce que fut la pacification dans la tragédie que vivent actuellement les anciens harkis »1312(*). Dans un billet rétrospectif, publié dans l'édition du Monde du 10 novembre 1999, Pierre Vidal-Naquet reconnaîtra certes « ne pas [avoir] peint en rose ce qui avait été l'activité des harkis » mais estimera pourtant, en réponse à Dominique Schnapper1313(*), que l' « on ne peut dire que cet article manifestait une sympathie seulement verbale ».

Cette application à éluder la question des voies et moyens du FLN, et l'insistance corrélative à relativiser tant la responsabilité des assassins que le statut même de victimes des anciens harkis, sont symptomatiques, me semble-t-il, des frontières de l'indignation qui circonscrivent tant le champ que les termes de l'intervention des intellectuels français en guerre d'Algérie. Alfred Grosser, dans un livre intitulé Le crime et la mémoire, livre consacré à la façon dont « de multiples crimes commis dans de multiples pays à des époques diverses (...) sont présents ou absents dans de multiples mémoires »1314(*), note que « le plus souvent, un groupe (...) cherchera à faire le silence sur des crimes ou des complicités dont l'évocation affaiblirait la bonne conscience qui soutient sa mémoire collective »1315(*). Tout au moins, ajouterais-je, cherchera-t-il à faire oeuvre de "contre-feu" rhétorique en introduisant dans la dénonciation du crime les éléments de sa propre atténuation, à l'instar de Pierre Vidal-Naquet dans son article « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis ». Alfred Grosser d'ajouter : « L'accès à la mémoire du crime passe sans doute par une libération intérieure, donc par un refus de l'endoctrinement ou de l'auto-endoctrinement. En Union soviétique, mais pas seulement là : en Chine, aussi, et dans tout pays dont l'idéologie se réclamait de la vérité tout en faisant fi de la vérité, demandait que le crime fût soit caché soit magnifié comme exploit, permettant ainsi à nombre d'intellectuels occidentaux, notamment français, d'admirer en toute certitude, en toute quiétude, quitte à gommer quelque peu les faits qui eussent pu les ébranler »1316(*).

Les schèmes d'analyse qui, au moment de la guerre d'Algérie, partageaient le monde colonial entre « opprimés » et « oppresseurs »1317(*) ont tenu pour contingente la destinée de ces acteurs "limites", "entre-deux", qu'étaient les supplétifs musulmans de l'armée française. Le massacre des intéressés, qui n'a soulevé que de très exceptionnelles et ambivalentes protestations, est lui-même apparu, dans une certaine mesure, comme un crime "non avenu". Ainsi expulsée hors du champ de l'analyse et de la compassion, la figure du harki n'a de fait été abordée que très épisodiquement et sous le seul sceau de la polémique, les intellectuels se faisant, en l'espèce, simple courroie de transmission de la propagande du FLN. 

Et, de fait, les quelques (rares) allusions faites à la situation des musulmans pro-français dans les prises de position publiques des intellectuels français en guerre d'Algérie le furent généralement sur un mode directement adversatif, voire injurieux, tendant à vulgariser dans l'opinion le parallèle réductionniste assimilant les harkis aux collaborationnistes, c'est-à-dire à ceux qui, en France, furent partisans d'une politique de collaboration avec l'Allemagne nazie durant la période de l'Occupation.

Ainsi en fut-il, nous l'avons vu, de Simone de Beauvoir (voir supra). Ainsi en fut-il, également, de Pierre Vidal-Naquet, qui trouvait à la fois sensée et justifiée la comparaison avec les « miliciens ». Il n'avait semble-t-il guère changé d'avis en novembre 2000 puisque, à l'occasion d'une conférence organisée à la librairie des Presses Universitaires de France (autour de la réédition du livre de Paulette Péju : Les harkis à Paris), il répétera qu' « on n'est pas loin de la vérité » lorsque l'on compare les anciens harkis à des collaborateurs. A cet égard, et bien que non contemporaine de la guerre d'Algérie, une tribune libre du dessinateur Siné, publiée dans l'édition en date du 8 octobre 1997 de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, participe très exactement des schèmes d'identification de la figure du harki tels que véhiculés par la mouvance anticolonialiste (notamment tiers-mondiste) au moment de la guerre d'Algérie. Siné, qui, à l'occasion du procès du réseau Jeanson en 1960, imita la signature de Jean-Paul Sartre en bas de la lettre apocryphe adressée au président du tribunal militaire, établit dans cette tribune libre un parallèle iconographique entre un supplétif bardé de médailles au garde-à-vous et un Maurice Papon hilare arborant une hypothétique croix de fer. Ces dessins sont assortis des commentaires suivants, qui valent - pour notre propos - d'être cités in extenso :

« Bien que je sois tout à fait d'accord avec les harkis qui font la grève de la faim pour obtenir, enfin, la reconnaissance que la France leur doit, je ne peux m'empêcher d'avoir envie de leur cracher à la gueule ! Le fait que la France se soit toujours conduite avec eux comme la reine des ordures ne peut faire oublier leur engagement à ses côtés quand celle-ci nettoyait ethniquement leur pays. Traîtres à leur patrie, ils ne méritent que le mépris, mais loyaux serviteurs de la puissance coloniale, collabos zélés, ils ont le droit à la gratitude et aux félicitations de leurs maîtres. Mais une fois la guerre perdue, ces derniers, après leur avoir fait faire les plus sales boulots et fait prendre les plus gros risques - infiltrer les réseaux clandestins, dénoncer leurs frères résistants - ils les ont parqués dans des camps et traités comme de la merde ! On ne sait plus, du coup, quels sont les plus exécrables, les plus pourris ? J'ai du mal, quand je vois à la téloche ces "Français musulmans" arborer ostensiblement leurs médailles de la honte, à ne pas imaginer Papon, à son procès, exhibant fièrement la croix de fer ! Quant aux enfants de ces harkis, les pauvres, ils n'ont guère le choix ! Soit (1) ils en sont fiers ou (2) ils en ont honte. Dans le premier cas, qu'ils crèvent ! Dans le second, qu'ils patientent jusqu'à ce qu'ils deviennent orphelins ! »1318(*).

Ces considérations - nous y reviendrons ultérieurement - vaudront une condamnation pénale à leur auteur ainsi qu'au directeur de la publication (voir la Partie 4)1319(*).

Tour à tour « objectivement coupable » et « subjectivement méprisable », sans que l'on sache très bien s'il est le jouet d'une "servitude réflexe" ou s'il se dédie tout entier à la servitude volontaire, le harki est, d'une certaine manière, le pont aux ânes de la geste progressiste ; figure "hors l'histoire", précisément, qui ne s'inscrivait pas dans le schéma binaire de la dialectique du maître et de l'esclave, et qui en montrait comme l'inanité. Car sous quel aspect figurer le harki ? Sous l'aspect du maître, lors même que Frantz Fanon, nous l'avons vu, qualifierait cet être politiquement fruste (c'est-à-dire « non conscientisé ») d' « authentique otage des forces colonialistes » ? Ou sous l'aspect de l'esclave, lors même que nombre d'intellectuels (notamment parmi ceux qui se firent les inspirateurs et/ou les courroies de transmission de la propagande du FLN), usant de ce que Camus appelle « la technique policière de l'amalgame », n'auraient eu de cesse de le ravilir au rang de « collaborateur » ou de « traître » ? L'aporie d'une telle dialectique transparaît au travers de la sibylline tentative de caractérisation de la destinée des anciens harkis à laquelle s'essaye Francis Jeanson, philosophe s'inscrivant dans la mouvance sartrienne des Temps modernes et principal animateur - avec Henri Curiel - des réseaux de soutien au FLN (les fameux « porteurs de valise »1320(*)) : « Les harkis, écrit-il, [sont des] forces supplétives d'Algériens ayant opté pour la répression »1321(*), comme si, d'une part, tout idéal leur était interdit (ou que la question ne se posait pas), et sans que l'on sache très bien, par surcroît, si l'auteur entend désigner par l'expression « opter pour la répression » le simple fait de s'aliéner statutairement à une entité répressive (les forces de l'ordre), ou s'il entend envisager l'acte du point de vue de sa valeur morale et stigmatiser une tare, une perversion (faire le choix de la répression pour la répression) à mi-chemin entre l'opportunisme et le sadisme. Une nouvelle fois, on navigue entre la notion de "traîtrise" - qui sous-tend l'idée d'une intention maligne, d'une servitude volontaire - et celle de "culpabilité objective" qui, à l'inverse, ne sous-tend aucune intention maligne mais bien plutôt la "non conscientisation", la "fausse conscience", "l'aliénation".

Comment cette image trouble, fuyante, entre l'injure et l'impensé, a-t-elle été affectée par le mouvement de bascule idéologique qui, depuis 1962 (mais plus encore depuis la fin des années 1970), a profondément bouleversé les équilibres géopolitiques ainsi que la structuration des champs politique et intellectuel dans le monde occidental, au point de donner corps et écho à des théories annonçant la « fin des idéologies »1322(*) puis la « fin de l'Histoire »1323(*). Nous verrons que ce mouvement de bascule idéologique a significativement influé - quoique avec certaines limites dont il nous faudra ici rendre compte - sur l'image rétrospective que se forment de leur engagement ceux qui, sur le moment, contribuèrent à informer et nourrir les débats relatifs à la guerre d'Algérie. Paul Thibaud, ancien directeur du bulletin clandestin Vérité-Liberté : « N'annonçant nulle parousie du tiers-monde, manifestant plutôt l'impossibilité de s'assumer [du] peuple [algérien], démentant les prétentions morales de la gauche française et l'idéalisme des intellectuels, la guerre d'Algérie est un événement tragiquement négatif, encore plus qu'on ne le pensait à l'époque. Et c'est parce qu'elle l'était que beaucoup de gens se sont racontés des histoires à l'époque »1324(*). Selon Guy Pervillé, ce jugement rétrospectif sur ce que furent les illusions révolutionnaires des intellectuels « tiers-mondistes » ou « bolcheviks » en guerre d'Algérie « suscite de fortes résistances parmi les anciens militants de la cause anticoloniale »1325(*). Cependant, dans un contexte idéologique mouvant, indubitablement marqué par le désenchantement - au moins relatif - des messianismes laïcs, ce travail de révision a bel et bien eu lieu. Or, ce travail de l'écart, particulièrement délicat s'agissant d'une expérience qui a fait office de marqueur identitaire pour toute une génération d'intellectuels, n'est pas sans influer, nous le verrons, sur la manière dont les intéressés se "re-figurent", voire "re-considèrent" rétrospectivement ce que fut la destinée des anciens supplétifs musulmans de l'armée française pendant et à l'issue de la guerre d'Algérie.

B. Les ressorts rétrospectifs de la stigmatisation : une vision déplorative ? (depuis 1962)

Quelles furent les conséquences du mouvement de bascule idéologique observé au cours des vingt à trente dernières années sur la manière dont les intellectuels autrefois engagés en guerre d'Algérie (ou ceux qui s'en disent les héritiers) rendent compte a posteriori de leur engagement propre ? Et dans quelle mesure cette nouvelle donne idéologique a-t-elle influé sur l'image que les militants de la cause anticoloniale (et ceux qui se réclament de leur héritage) se forment rétrospectivement des harkis ?

Pour ce qui a trait à la geste des intellectuels en guerre d'Algérie, la première conséquence de ce changement de paradigme a été l'écrasement rétrospectif des ressorts idéologiques de l'intervention de ceux qui s'étaient fait les hérauts de la cause "anti-impérialiste" sous une posture (presque) uniment éthique - ou « dreyfusarde ». Autrement dit, lors même que, sur le moment, les attendus de l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie, marqués par une forme de "sinistrisme" idéologique, eurent tendance à s'aligner, au fur et à mesure de l'avancement du conflit, sur les positions les plus "radicales" (ou, tout au moins, les plus marquées politiquement à gauche), à l'inverse, depuis lors (et plus encore depuis une vingtaine d'années), les retours qui s'opèrent sur cette période se caractérisent par l'euphémisation relative de cette dimension plus strictement idéologique et militante. D'une certaine manière, donc, les jeux de miroir (marqueurs identitaires) et enjeux de mémoire (marqueurs idéologiques) propres à cette mouvance font écran quant à la nature véritable des prédicats qui, sur le moment, étaient corrélatifs de l'intervention des intellectuels en guerre d'Algérie, et faussent ou fragilisent son interrogation critique.

En insistant sur la seule dimension éthique, notamment à l'occasion de la réactivation des débats entourant les faits de torture durant la guerre d'Algérie, c'est une vision "éthérée" de la geste protestataire que nous donnent à voir les principaux médias et leaders d'opinion. Une vision comme "expurgée" de résonances idéologiques jugées désormais obsolètes, donc à même de brouiller l'image, sinon de jeter le discrédit sur ceux qui s'en firent les porte-voix. La manière dont Gilles Manceron portraiture quarante ans après Marcel Péju, ancien collaborateur de Jean-Paul Sartre aux Temps modernes, le présentant comme un défenseur des libertés publiques en France et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes plutôt que comme un militant de la cause révolutionnaire (via le soutien apporté aux luttes de « libération »), est à cet égard hautement symptomatique. Gilles Manceron : « Marcel Péju a été de ceux qui ont combattu la guerre coloniale en Algérie et souligné ses effets déplorables sur les libertés publiques en France »1326(*). De la même manière, dans un article intitulé « Ces «traîtres» qui sauvèrent l'honneur de la France »1327(*), Dominique Vidal, journaliste au Monde diplomatique, présente l'engagement des « porteurs de valises » sous l'angle des seuls principes éthiques, à l'exclusion de toute inféodation partisane ou idéologique. Ils sont « ces hommes et ces femmes qui eurent le courage de dire non », non à la guerre d'Algérie « contre laquelle ils s'engagèrent »1328(*). Le « refus », l'« honneur », la « France » : tels sont les totems pour le moins inattendus que met désormais en exergue une génération (et ceux qui s'en réclament) désireuse de survivre aux mythes qui l'avaient fait naître à la politique. Comme un ultime paradoxe, donc, c'est à la solennité de la geste gaullienne que l'on en appelle pour accréditer la légende dorée de ceux qui, en ces années, considéraient pourtant avec défiance le retour au pouvoir du général de Gaulle1329(*). Et de faire leurs des valeurs hier encore décriées (car amalgamées sous l'étiquette-repoussoir de l'« humanisme bourgeois »), chères à cette « gauche respectueuse » si longtemps vilipendée.

Or, cette recomposition de la geste anticolonialiste sous des atours plus consensuels n'est pas sans implications sur les ressorts rétrospectifs de la figuration des anciens harkis : c'est de fait tout un registre de désignation de l'adversaire qu'il faut recomposer, sans haine ni sectarisme apparents. L'occultation de la dimension doctrinale de l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie passe en effet nécessairement par une révision des formes d'assignation statutaire des autres parties prenantes du conflit. Ainsi est-on passé, s'agissant des harkis, outre une indifférence ou une "inappétence" persistantes pour cette figure, d'une vision directement "adversative" à une vision globalement "déplorative". Dans le contexte de la guerre d'Algérie, nous l'avons vu, les harkis étaient volontiers dépeints comme des « traîtres » ou des « collabos ». Désormais, ils sont plutôt dépeints comme des « malgré-nous ». Hier ouvertement flétris, les anciens harkis sont aujourd'hui déconsidérés "par implicite". De fait, continuer à dépeindre les harkis comme des adversaires conscients de la politique hégémonique du FLN, eût obligé les intellectuels « tiers-mondistes » et « bolcheviks » qui se firent les promoteurs de cette politique à expliquer pourquoi elle était souhaitable et en quoi s'y opposer rendait les harkis « haïssables ». Soit l'effet inverse de celui recherché par ceux qui, désormais, dans un tout autre contexte idéologique, souhaitent majoritairement "lisser" ou éluder les ressorts doctrinaux qui furent à la base de leur engagement.

Le réajustement progressif de la figure du harki est donc directement fonction de ces enjeux d'image évolutifs. Hier encore dépeints comme des profiteurs du système colonial, les harkis sont désormais décrits, au mieux, comme des faire-valoir candides du « mythe colonial », des esprits simples abusés par la propagande cynique des autorités ; au pire, comme des esprits serviles corrompus par la misère et portés à assouvir sous l'uniforme français leurs penchants les plus vils, sans autre vision d'avenir clairement définie. Dans le premier cas, le harki est portraituré comme l'exact symétrique du maquisard du FLN : non un acteur porté par quelque idéal ou mu par une conscience politique, mais le produit passif de l'aliénation coloniale (section 1). Dans le second cas, l'accent est mis sur la « minorité des pires », conformément au mécanisme générateur de ce que Norbert Elias et John L. Scotson appellent « l'illusion pars pro toto »1330(*) : la figure du harki est ramenée tout entière aux agissements de certaines de ses composantes, les plus en pointe dans la répression policière. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la mise en exergue fréquente des agissements de la Force de police auxiliaire de Paris (FPA)1331(*), et en particulier de leur rôle dans la répression des manifestations du 17 octobre 1961 (section 2).

- 1. Un esprit simple : le harki, produit passif de l'aliénation coloniale

Figure indicible, littéralement inassignable dans les schèmes d'interprétation axés autour de la dialectique du maître et de l'esclave, la figure du harki est également donnée à voir comme inaudible, tant il apparaît incongru que les anciens supplétifs musulmans de l'armée française puissent avoir quelque chose à dire ou à faire valoir. Pour Pierre Vidal-Naquet, nous l'avons vu, les harkis apparaissent ainsi rétrospectivement moins comme des acteurs autonomes, à même - au moins dans une certaine mesure - d'opérer des choix (quelles qu'en fussent les motivations immédiates), que comme de « pauvres hères attirés par un salaire fixe dans un pays misérable »1332(*). De même, selon Mohammed Harbi1333(*), « une bonne majorité allait aux harkas comme on va à l'usine » 1334(*). « Dans leur majorité, ajoute-t-il, les harkis n'étaient pas motivés politiquement. Ils ne constituaient pas une alternative politique »1335(*). Du reste, François Gèze ne s'explique-t-il le "phénomène harki" qu'au prisme - et comme étant le fruit d'une longue tradition de manipulation coloniale : « Pendant plus d'un siècle, la France a monté les Algériens les uns contre les autres, elle a instrumentalisé la violence d'une manière qui ne souffre pas la comparaison avec ce qui eut lieu lors des colonisations françaises en Indochine ou britanniques en Afrique et en Inde. Cette façon d'utiliser les gens les uns contre les autres, comme l'ont fait encore les Français avec les harkis pendant la guerre d'indépendance, vient de très loin »1336(*). Et Gilles Manceron, historien et vice-président de la Ligue des droits de l'homme, de railler le président de la République lorsque ce dernier, à titre d'hommage, entend lier l'engagement de certains harkis non pas même à quelque forme d'adhésion à la doxa coloniale ou à quelque sentiment patriotique mais à un simple sentiment de révolte ou d'injustice face aux exactions du FLN. Gilles Manceron : « Dire, comme l'a fait le président Chirac, que les harkis «ont pris les armes pour défendre leur terre et protéger leur famille» relève de la perpétuation d'une légende coloniale et non de la vérité historique ». Et il ajoute : « À quoi sert de laisser entendre que leur choix était volontaire et que l'Histoire leur a donné raison, quand leur sort fut bien souvent subi et qu'ils ont été conduits à épouser la cause du colonisateur de leur pays »1337(*).

À en croire Gilles Manceron, rien dans le contexte de la guerre d'Algérie ne pouvait justifier que des musulmans puissent souhaiter prendre les armes aux côtés de l'armée française. Ne serait-ce pas là, selon lui, souscrire à la « légende coloniale »1338(*) ? Et il ajoute : « Le recrutement de ces auxiliaires par l'armée coloniale était celui de ruraux peu éduqués, qui passèrent parfois d'un camp à l'autre »1339(*). Des esprits simples, donc. En fait, pour Gilles Manceron, il semble aller de soi que, dans la plupart des cas, l'engagement dans les harkas était la résultante de la pression des autorités, non une démarche volontaire et réfléchie. Il en ressort un portrait "quasi-végétatif" des anciens supplétifs musulmans de l'armée française qui, par implicite, fait contraste avec celui des djounouds de l'ALN, dont la capacité à rationaliser politiquement leur engagement n'est que rarement interrogée en France (et moins encore en Algérie), car posée comme allant de soi.

L'historien Gilbert Meynier, qui dit avoir été « politiquement construit dans le militantisme anticolonial »1340(*), dépeint lui aussi les anciens harkis sur le mode passif du façonnement : « [Les harkis] furent des intermédiaires ballottés et manipulés qui ne comprirent massivement pas vraiment le sens de leurs engagements. Ils ne furent que des épiphénomènes d'une histoire qui les dépassait : non le principe structurant de l'histoire qui se faisait ». Et d'ajouter : « Il est donc difficile de les assimiler, ainsi qu'on l'a parfois pu faire en Algérie, à des «collaborateurs», du moins conscients et responsables, par une analogie trompeuse avec les collaborateurs français de l'ordre vichyste et nazi de 1940-45 »1341(*). Des « malgré-nous » plutôt que des « collabos », donc.

De telles positions de principe sont-elles totalement hermétiques aux données factuelles, éléments de contexte et témoignages ? Il semble que non puisque, en l'espace de deux ans, la position de Gilles Manceron, par exemple, va subir une inflexion somme toute notable. La cause en est, semble-t-il, la lecture du récit à portée autobiographique de Fatima Besnaci-Lancou, paru en 20031342(*). Gilles Manceron, qui s'est fait le rapporteur de ce livre pour l'association « Coup de soleil »1343(*), va en effet passer d'une vision de l'engagement des harkis fondée semble-t-il sur des a priori négatifs à une vision autrement plus nuancée. L'auteur commence par signaler que « le mérite de Fatima Besnaci-Lancou est de rapporter des histoires qui nous renseignent qualitativement sur les victimes [les musulmans pro-français massacrés après l'indépendance] et leurs bourreaux ». Apparemment ébranlé dans ses certitudes par ces informations de première main1344(*), Gilles Manceron reconnaît ensuite que « le contexte troublé de guerre nationale a pris par endroits et par moments des aspects de guerre civile » et que, de fait, « parmi les engagements divers des Algériens pendant les huit années de la guerre de libération, il n'est pas facile de faire la part des hasards, des solidarités et rivalités claniques ou familiales, et des réactions de survie devant la misère ou face aux formes de violence aveugle développées par les deux camps ». Et il ajoute : « Beaucoup songeaient surtout à sauver leur peau ou leur famille ». Des propos étonnamment proches de ceux de Jacques Chirac (voir ci-dessus), précédemment tournés en dérision. Mieux, l'auteur, qui s'insurgeait de ce qu' « on laisse entendre que le choix [des harkis] était volontaire et que l'Histoire leur a donné raison », invitait ses lecteurs à « ne pas oublier que plusieurs générations d'hommes algériens avaient construit des fidélités mentales avec l'univers de l'armée française, qui entraient en contradiction avec un sentiment national algérien naissant - ou renaissant - dans la société ». Il en concluait que « sauf pour une petite minorité, le choix de servir les Français n'a presque jamais été une opposition délibérée à l'idée d'une Algérie indépendante ». Une manière indirecte de reconnaître que les harkis ont pu être porteurs d'une autre vision de l'Algérie indépendante que celle, hégémonique et violente, du FLN. Donc que leur engagement pouvait être lui aussi volontaire, réfléchi et, pourquoi pas, idéaliste.

Selon nous, cette évolution témoigne de ce que l'idée que les choix ou options antagonistes opérés au moment de la guerre d'Algérie s'expliqueraient par une maturation ou une conscientisation politiques inégale des intéressés - idée couramment véhiculée au sein de la mouvance anticolonialiste - est en réalité bien fragile au regard des trajectoires vécues des acteurs de cette guerre.

- 2. Un esprit rude : le harki, exécuteur des basses besognes de la répression

Une autre vision réifiante des harkis, complémentaire de la précédente en ce qu'elle ajoute la brutalité à la débilité (au sens d'immaturité politique), est celle d' « hommes de main », de « nervis » stipendiés ou contraints par les autorités à se faire les exécuteurs des basses besognes de la répression : torture et exécutions sommaires. Là encore, à cette aune, les harkis ne sauraient apparaître comme des êtres « conscientisés », porteurs d'un idéal ou d'un sentiment de révolte, mais comme des êtres « aliénés », sortes de "rebuts" du système colonial. A cet égard, les quelques centaines de supplétifs de la Force de police auxiliaire de Paris (FPA) ont servi sur le moment et servent encore aujourd'hui de "totem négatif" à l'ensemble hétéroclite des centaines de milliers de musulmans s'étant engagés à un titre ou à un autre aux côtés de la France.

On pouvait lire, sur un tract en date du 17 octobre 1997 distribué par le collectif SCALP (Section Carrément Anti Le Pen)-REFLEX (Réseau d'Étude, de Formation et de Lutte contre l'Extrême droite et la Xénophobie), évoquant les événements survenus 36 ans auparavant dans Paris : « Sous l'autorité d'officiers français, le capitaine Montaner et le lieutenant Desrogeot, les harkis [NDA : de la Force de police auxiliaire, FPA] arrêtent, torturent et exécutent, sous la protection bienveillante de la République ». De même, Charlotte Nordmann, co-auteur du livre intitulé Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat à Paris1345(*), brossait, dans un article publié sur le site de l'association « 17 octobre 1961 : contre l'oubli », un tableau uniment brutalisant des harkis agissant sous l'égide de la FPA :

« Les violences à l'encontre de la population nord-africaine de Paris s'institutionnalisent : le préfet de police crée la Force de police auxiliaire, constituée de harkis, qui pratique la torture ; il fait ouvrir le Centre d'Identification de Vincennes, où peuvent être internés, sur simple décision administrative, sans jugement, les Nord-Africains «suspects». Maurice Papon va jusqu'à instaurer, le 1er septembre 1958, un couvre-feu pour les Nord-africains. Boycotté par le F.L.N., il tombe peu à peu en désuétude. Au cours des opérations de police, des internements, des rafles et des "contrôles" par les harkis, des hommes disparaissent. De nombreuses plaintes sont déposées, pour torture, pour meurtre ; malgré l'accumulation de témoignages accablants, malgré les constatations de sévices par des médecins, malgré le nombre de disparitions, aucune plainte n'aboutira. Toute la population nord-africaine de la région parisienne souffre de ces rafles systématiques et de la violence des harkis qui patrouillent dans les quartiers qu'elle habite, par exemple dans le 18ème ou le 13ème arrondissement »1346(*).

Il faut de nouveau souligner, à cet égard, la dissymétrie, voire la dimension unilatérale de telles dénonciations : au sein de la mouvance anticolonialiste, les anciens moudjahidin, à la différence des anciens harkis, ne sont généralement pas prioritairement dépeints à l'aune des méthodes employées mais bien davantage en fonction des visées qu'ils s'étaient assignées.

Sur le souvenir de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 et la manière dont il participe de la stigmatisation des anciens harkis dans la geste intellectuelle de la guerre d'Algérie

Henry Rousso : « A en croire certains débats, on a parfois l'impression que la guerre d'Algérie s'est résumée à ce massacre [du 17 octobre 1961], incontestable, et à propos duquel les historiens ne sont pas d'accord sur le nombre de morts. (...) C'est très bien que cet évènement soit connu, analysé voire même reconnu par des plaques ; mais n'ayons pas d'angélisme : si le 17 octobre est inscrit aujourd'hui dans notre conscience de meilleure manière que par le passé, c'est parce qu'il y a des groupes porteurs qui ont agi comme ils ont agi - on peut être d'accord ou ne pas être d'accord - et parce qu'il y a eu écho du point de vue de l'Etat. Mais ça pose quand même à chaque fois une série de problèmes, parce qu'on parle du 17 octobre, on a commémoré le 17 octobre, on a mis des plaques : [mais quid de] la rue d'Isly, [des] massacres d'Oran, etc. ? »1347(*).

De fait, par contraste avec l'isolement relatif des associations de harkis, dont les revendications liées à la reconnaissance des responsabilités afférentes au massacre des harkis trouvent un écho généralement mesuré ou éphémère (voir la Partie 4), l'exemple "foisonnant" du 17-octobre-1961 témoigne de ce que d'autres épisodes dramatiques ayant jalonné le cours de la guerre d'Algérie ont, à l'inverse, eu l'heur tant de susciter l'intérêt scientifique de l'analyste que de conduire des leaders d'opinion influents à se mobiliser. Ainsi, l'association « 17 octobre 1961 : contre l'oubli » a été créée par - et a su mobiliser autour d'elle de nombreux intellectuels, toutes générations confondues. Le comité d'honneur de cette association (présidée par Olivier Lecour Grandmaison) regroupe ainsi Pierre Vidal-Naquet, Francis Jeanson ou Madeleine Rebérioux, mais encore Lucie et Raymond Aubrac, Jean-Luc Einaudi, Olivier Revault d'Allonnes ou Claude Liauzu (qui est à l'origine de la pétition des historiens contre l'article 4 de la loi du 23 février 2005). L'association bénéficie aussi - entre autres - du soutien d'Alain Brossat, Nils Andersson ou Sidi Mohammed Barkat.

Ce contraste est significatif à la fois de l'intérêt et de la compassion sélectifs des intellectuels de profession - et notamment des universitaires - pour les crimes et victimes de la guerre d'Algérie. Or, la focalisation sur le 17 octobre 1961 et les répercussions parisiennes de la guerre d'Algérie n'a pas été sans conséquences, ces dernières années, sur la "re-composition" d'une image des harkis. Dans un article intitulé « Les Français devant la guerre civile algérienne » [à propos des affrontements FLN-MNA en métropole], Charles-Robert Ageron relevait que « quelques militants ou intellectuels engagés aux côtés du FLN et quelques journaux dénoncèrent systématiquement l'action de la police, «la chasse au faciès», «les sévices et tortures», et fustigèrent particulièrement l'action des harkis à Paris »1348(*). Ainsi, peu après que ce journal ait publié l' « Appel des Douze » (le 31 octobre 2000 précisément), L'Humanité du 18 novembre 2000 ré-exhumait sans autre commentaire « une enquête censurée du 7 mars 1961 », signée par Madeleine Riffaud, et intitulée « Au dossier de «l'affaire des harkis» ». On y lit : « La guerre continue à tuer, à salir, et parfois c'est à votre porte ». Madeleine Riffaud ajoutait : « De nombreux témoignages, transmis à la presse par plusieurs avocats, des lettres d'Algériens jugés innocents et relâchés sans inculpation, la visite spontanée de plusieurs d'entre eux, confirment que nous avions eu raison d'alerter l'opinion sur ce qui est en train de devenir le «scandale des caves qui chantent» ou «l'affaire des harkis» » (suivent deux témoignages à charge, cités in extenso)1349(*).

De fait, le souvenir des agissements de la Force de police auxiliaire de Paris (FPA) en général, du rôle de ses membres dans la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 en particulier, a joué et joue encore aujourd'hui un rôle premier dans la manière dont sont portraiturés les harkis dans la geste progressiste. Sur le moment déjà, nous l'avons vu, Simone de Beauvoir flétrissait « ces hommes en bleu payés pour trahir leurs frères »1350(*). Plus encore, dans Les harkis à Paris (brochure initialement publiée dans les Cahiers libres, chez Maspero, et récemment rééditée aux éditions La Découverte1351(*)), qui consiste en un recueil commenté de témoignages de victimes des exactions de la FPA (témoignages fournis et réécrits par le collectif des avocats du FLN conduit par Jacques Vergès), Paulette Péju choisissait de faire des membres de la FPA les parangons de la violence du colonisateur :

« Les harkis, eux, n'ont rien à ménager, rien à perdre que leur uniforme de mercenaire et le salaire de la trahison. Ils ont même tout à redouter d'une solution pacifique de la guerre d'Algérie, puisque sans la guerre et la répression ils ne sont plus rien : ni algériens, ni français. Méprisés par ceux qui les utilisent, rejetés de la communauté algérienne, ils s'acharnent avec d'autant plus de violences sur leurs compatriotes qu'ils assassinent en eux leur propre image perdue ; ils tentent d'effacer ce qu'ils ne peuvent plus être, ils fuient désespérément ce qu'ils sont devenus : les faux frères... »1352(*).

En 2001, Marcel Péju, son époux - interrogé par Gilles Manceron pour le revue Hommes et libertés - reviendra sur le rôle joué par ces auxiliaires musulmans « aux ordres de Maurice Papon » dans la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. Un rôle qui, selon lui, ne doit pas être oublié quand on examine plus globalement la question des harkis. L'auteur part d'une définition strictement négative et brutalisante des missions imparties aux supplétifs de la FPA : « La Force de police auxiliaire, installée par Maurice Papon à partir du printemps 1960 dans trois arrondissements parisiens, était composée de harkis chargés de commettre des agressions et assassinats ». Il ajoute : « Ils [les harkis] ont été utilisés par Papon dans les aspects les plus violents de la répression qui a suivi la manifestation du 17 octobre ». Sur cette base, Marcel Péju en vient à donner une définition générique du rôle imparti aux supplétifs musulmans de l'armée française au cours de la guerre d'Algérie : « Les harkis sont des Algériens qui décidèrent, pour des raisons diverses, de collaborer avec l'armée et la police françaises dans leur répression du mouvement de libération nationale algérien. Ce fut le cas des harkis de M. Papon comme des Algériens qui étaient employés en Algérie aux plus sales besognes, en particulier au sein des centres de torture ». Ainsi Marcel Péju n'hésite-t-il pas à faire de la description des pires agissements de la FPA une sorte de matrice de ce que furent et de ce que firent en tous lieux et de tous temps les harkis1353(*). Du reste, quoique l'ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre admette rétrospectivement que « nous [NDA : l'équipe des Temps Modernes] avons surestimé le caractère révolutionnaire du FLN »1354(*), il réaffirme sans ambages ses vues sur la question des harkis : « Soyons clairs. Pour moi, les harkis sont des collabos, c'est-à-dire des gens qui se sont faits les supplétifs de l'armée française et de la répression en Algérie. Ils ont participé à tous les crimes et en ont remis à l'occasion »1355(*).

Nous l'avons dit, cette image vile et réductionniste des supplétifs musulmans de l'armée française, réduite à ce qu'il y avait de pire dans les agissements de la FPA, participe de ce que Norbert Elias et John L. Scotson appellent l'illusion « pars pro toto »1356(*). Elle témoigne aussi peut-être d'une certaine "illusion d'optique" propre à l'engagement d'un certain nombre d'intellectuels en guerre d'Algérie. Guy Pervillé : « Notre connaissance des faits privilégie les grands événements qui ont retenu l'attention, en particulier celle des journalistes, parce qu'ils se déroulent le plus souvent à Alger ou à Paris, mais laissent dans l'ombre et le flou de larges intervalles chronologiques et de vastes espaces géographiques »1357(*). Les protagonistes de la « bataille de l'écrit » - dont l'épicentre parisien était très éloigné du champ de bataille proprement dit - furent ainsi nombreux à ramener la diversité des comportements et des rôles impartis aux supplétifs musulmans de l'armée française à ce qu'en donnait à voir - ou semblait donner à voir, car cette vision était elle-même sujette à interprétation - la seule FPA. Marcel Péju, en introduction de la réédition du livre autrefois rédigé par son épouse, Paulette Péju :

« Habitant un quartier où vivait, à l'époque, une forte population algérienne, il nous suffisait, en cette année 1960, d'approcher des fenêtres de notre cinquième étage pour voir leurs patrouilles, en file indienne, glisser lentement sur le trottoir d'en face, le long du jardin, comme aux aguets - bien qu'aucun fell ne se fût jamais dissimulé dans les bosquets -, la mitraillette à la main : les mêmes, ou leurs pareils, qui, sans doute, quelques heures plus tard, lanceraient des raids contre des cafés algériens, brutalisant et arrêtant les consommateurs, avant de les torturer dans les caves des hôtels que leur avait réquisitionnés la Préfecture de police »1358(*).

De même, Pierre Vidal-Naquet, évoquant ce que furent pour lui les faits marquants de ce conflit, donne une illustration saisissante de cet "effet grossissant" lié à la proximité géographique des lieux de production du savoir :

« Dans cette guerre d'Algérie, le souvenir qui, pour moi, reste le plus dramatique n'est pas Charonne, le 8 février 1962, dont on a beaucoup parlé, et dont on parle encore de temps en temps, mais le 17 octobre 1961. (...) Que s'était-il passé ? Il y avait eu des actes terroristes de part et d'autre à Paris. C'est-à-dire que, d'une part, les harkis et les policiers français rossaient, éventuellement tuaient, jetaient à la Seine un certain nombre d'Algériens, et d'autre part, les Algériens abattaient, tuaient un certain nombre de policiers. Le préfet Papon veut trouver une solution en imposant un couvre-feu aux Algériens, couvre-feu qui ne pouvait pas ne pas apparaître comme une mesure purement et simplement raciste. Les Algériens, à l'époque, ils étaient citoyens français. C'était donc une sorte de chasse au faciès qui s'organisait. Pour protester, les Algériens organisent le 17 octobre une énorme manifestation silencieuse, sans armes. Ils ne trouvaient aucune arme. Les gens étaient fouillés avant d'aller sur le lieu de la manifestation par les responsables du FLN. Et ils y allaient : les hommes, les femmes, les enfants, et on ne leur permettait pas d'avoir le moindre canif sur eux. Et puis là, ils ont été accueillis d'une façon inimaginable par des coups de feu, par des projections dans la Seine, et l'affaire a été tellement dramatique qu'il y a eu quand même plusieurs centaines de morts. (...) Voilà ce que fut ce 17 octobre, un des épisodes les plus brutaux et les plus oubliés de la guerre d'Algérie. Et je vous mets au défi d'interroger cinquante personnes et d'en trouver plus d'une ou deux qui saura ce que fut le 17 octobre 1961. Un des jours de honte de notre histoire »1359(*).

Ainsi, Pierre Vidal-Naquet conserve-t-il comme une « image rétinienne » (Jean-François Sirinelli1360(*)) de la guerre d'Algérie, ses souvenirs les plus marquants étant deux événements métropolitains qui, de fait, sont paradigmatiques de la geste progressiste en ce qu'ils donnent à voir et le FLN et la gauche française parés d'un même "habit victimaire" (s'agissant respectivement du 17 octobre 1961 et de Charonne). À l'inverse, c'est sous les traits impavides du bourreau qu'est figuré le harki, lequel « rosse, éventuellement tue et jette à la Seine un certain nombre d'Algériens ». Certes, Pierre Vidal-Naquet souligne bien qu' « il y a eu des actes terroristes de part et d'autre à Paris ». Mais le choix des termes pour décrire les exactions des uns et des autres témoigne à nouveau clairement du refus de considérer sur un même plan les exactions imputables au FLN et celles imputables aux forces de l'ordre : d'un côté, les harkis se livrent à des exactions sur des « Algériens », dont il ne nous est pas précisé s'ils sont ou non membres du FLN, ce qui laisse à penser qu'ils pourraient très bien n'être que des civils persécutés au faciès ; de l'autre coté, le FLN, qui s'en prend à des « policiers », donc des hommes en uniforme, armés et à même de se défendre. Or, le FLN ne s'est pas contenté de tuer des policiers en métropole mais aussi - et surtout - des civils, et notamment ces « Algériens » dont Pierre Vidal-Naquet laisse à penser que seuls les harkis et les policiers les brutalisaient1361(*). Ainsi Jean-Luc Einaudi, qui n'est pas universitaire mais dont les travaux sur le 17 octobre 1961 font autorité, rejette-t-il catégoriquement l'affirmation selon laquelle les méthodes de la Fédération de France du FLN - dont il rend partiellement compte dans ses ouvrages - aient pu en quelque manière expliquer (et moins encore justifier) l'emploi des supplétifs de la FPA, dont il apparente la mission à celle d'un "escadron de la mort" : « C'est absolument faux. Il n'y a jamais eu de menace sur la population, affirme-t-il, pas de bombes dans les cafés... Les FPA étaient là pour terroriser la population algérienne »1362(*).

Cependant, Pierre Vidal-Naquet, dans sa préface à la réédition du livre de Paulette Péju, Les harkis à Paris, s'il met en avant les comportements brutaux des membres de la FPA, prend soin, à l'inverse de Marcel Péju par exemple, de distinguer le rôle imparti à cette unité urbaine de celui imparti à l'ensemble des supplétifs de l'armée française qui, évoluant dans d'autres contextes, sont employés à d'autres tâches. Pierre Vidal-Naquet : « Les harkis dont il est question dans le livre de Paulette Péju, Les harkis à Paris, sont une force de police auxiliaire installée par Maurice Papon dans la capitale, qui a torturé et massacré des militants du FLN et des membres de l'immigration algérienne supposés lui être favorables. Il faut les distinguer de l'ensemble des Algériens ayant collaboré avec l'armée française en Algérie, qui sont loin d'avoir tous été assignés aux mêmes tâches, même s'il ne faut pas les présenter, comme le fait Dominique Schnapper dans sa préface au livre de Mohand Hamoumou, comme des gens ralliés volontairement aux valeurs éternelles de la France républicaine »1363(*).

Une personnalisation opportune ? La focalisation sur les « harkis de M. Papon » (Marcel Péju)

Dans son introduction à la réédition - en 2000 - du livre de Paulette Péju (1961), qui fut son épouse, Marcel Péju s'émeut de « l'épouvantable changement de climat que [l']irruption barbare des harkis, organisée par le triste Maurice Papon - déjà coupable, contre les Juifs, de crime contre l'humanité, comme cela sera reconnu bien plus tard -, avait créé dans plusieurs quartiers de Paris »1364(*).

Déjà, dans article intitulé « Un purieux Capon » publié dans l'édition du 18 avril 1961 du quotidien Libération (article reproduit dans Libération du 1er avril 1998, le jour de la délibération du procès Papon), Emmanuel d'Astier, qui était alors le directeur de ce journal, brossait des harkis un portrait qui se confondait étroitement avec celui, pour le moins trouble, du préfet de police de Paris : « On ne peut que plaindre les fonctionnaires d'autorité qui ont été conduits à faire carrière de 1940 à 1960 et à exprimer successivement l'autorité du maréchal Pétain, celle (pour autant qu'il y en ait eu une) de la IVème République, et celle de la monarchie De Gaulle. Cette épreuve difficile, avec son double jeu nécessaire et inévitable, a fini par donner à certains d'entre eux des moeurs assez spéciales. (...) Notre capon a aujourd'hui deux soucis majeurs : les plastiqueurs [de l'OAS] et les harkis. (...) Sans doute ne s'étonne-t-il pas des performances des harkis. Après les opérations de la Goutte d'Or, personne ne peut contester que ces messieurs, sous la tutelle de M. Papon, sont devenus aujourd'hui un sujet de préoccupation pour les Parisiens et même pour le gouvernement ».

Ainsi, la focalisation sur les membres de la FPA, et la construction corrélative d'une image d'ensemble des harkis fondée sur ce qu'il y a eu de pire dans les agissements de cette unité, a été renforcée ces dernières années par la mise en cause personnelle de Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, dans la répression des manifestations du 17 octobre 1961, mise en cause dont les effets propres sont aggravés par son inculpation puis sa condamnation pour complicité de crimes contre l'humanité en raison de ses agissements comme secrétaire général de la préfecture de Bordeaux sous l'Occupation. Or, il est frappant de constater combien les auteurs qui sont revenus sur les agissements de la FPA ont joué - souvent par implicite, parfois plus explicitement - de cet entrechoc des périodes et des anathèmes, présentant la FPA comme la "chose" de Maurice Papon, insistant sur le lien de subordination et, plus encore, sur le lien de "filiation" de cette unité avec la personne et "l'oeuvre" même de Maurice Papon. Pierre Vidal-Naquet : « Dans son livre, Paulette Péju parle des quelque 200 harkis installés par Maurice Papon en 1961 dans un certain nombre d'hôtels ou autres lieux des XIIIème et XVIIIème arrondissements de Paris. Il leur avait assigné le même rôle que celui qu'il avait confié en mars 1956, soit un an avant la «Bataille d'Alger», dans le Constantinois dont il était superpréfet, aux premières unités «spécialisées» dans la pratique de la torture, comme nous l'apprend le livre récent de Raphaëlle Branche »1365(*).

Cette personnalisation à outrance de l'emploi des harkis de la FPA autour de la figure de Maurice Papon n'est pas fortuite : elle prend source dans la pratique - habituelle au moment de la guerre d'Algérie - consistant à calquer sur ce conflit et ses acteurs des schèmes d'interprétation et lignes de fracture hérités de la Seconde guerre mondiale. Henry Rousso note ainsi que le procès Papon a été, pour un certain nombre d'acteurs, l'occasion de rejouer et de « surjouer » du registre des "similitudes" supposées entre les enjeux posés par la ressouvenance de la période de la Seconde guerre mondiale et celle de la guerre d'Algérie1366(*). Cette confusion rétrospective des anathèmes n'est pas non plus sans conséquences puisque, par contrecoup, elle ne fait que renforcer - et contribue à pérenniser - l'image de « collabos » accolée aux harkis.

Mais dans tous les cas, qu'ils soient rétrospectivement dépeints comme des "esprits vils" ou comme des "esprits simples", les ressorts individuels de l'engagement des supplétifs sont le plus souvent éludés pour se focaliser, à l'inverse, sur l'emploi - au sens le plus prosaïque du terme - qui aurait été fait de ces hommes, à savoir : un emploi strictement policier, répressif. Et s'il se trouve un nombre croissant d'acteurs, au sein de la mouvance anticolonialiste, pour considérer que la malignité est sans doute pour peu dans l'engagement des supplétifs (à la différence des « collabos »), tous cependant restent hermétiques à l'idée que les intéressés aient pu concevoir leur engagement sinon comme un choix toujours et systématiquement éclairé (politiquement s'entend) au moins le plus souvent comme une option volontaire. Gilles Manceron le dit bien, qui emprunte cependant pour ce faire à un vocable d'une autre guerre, comme s'il était décidément difficile de se faire une opinion circonstanciée, discriminante sur la destinée des anciens harkis : « Tous les harkis n'ont pas joué un rôle dans les aspects les plus brutaux de la répression et beaucoup, enrôlés au prix de fortes pressions, pourraient être comparés, plus qu'à des «collabos», à des «malgré nous» »1367(*).

Ce passage de l'image directement adversative de « collabo » à celle - globalement "déplorative" - de « malgré nous » est plus généralement symptomatique est plus généralement symptomatique d'un glissement de référentiel dans la manière dont la mouvance anticolonialiste donne rétrospectivement à voir son engagement (notamment s'agissant de ses franges les plus marquées politiquement). Ainsi, d'une période l'autre, d'un contexte idéologique l'autre, la stigmatisation des harkis change de nature, se fait moins virulente, moins directement conflictuelle. En un mot, elle tend à la ratiocination. De fait, tandis que la première période est marquée par le surinvestissement doctrinal par la gauche intellectuelle des luttes de « libération » dans le tiers-monde, la seconde se caractérise par l'effondrement des messianismes laïcs et, corrélativement, par l'escamotage progressif du lien doctrinal qui, originellement, unissait la mouvance dite progressiste et le FLN. Une constante cependant : le refus de principe de considérer les musulmans non inféodés au FLN comme des acteurs autonomes et, à plus forte raison, comme des acteurs engagés dans un conflit d'interprétation. Au fond, ce réajustement de la figure du harki n'est pas sans perpétuer une lecture réductionniste, somme toute binaire de la guerre d'Algérie. Une lecture qui, fondée sur un schéma d'opposition manichéen entre « opprimés » et « oppresseurs », ne laisse aucune part significative à un quelconque « tiers parti ». De fait, à l'aune de cette vision déplorative, les centaines de milliers de musulmans qui ont pris part à la défense ou à l'administration de l'Algérie française entre 1954 et 1962 paraissent n'avoir été que des figurants ou des pantins dans cette guerre : de « pauvres hères » (Pierre Vidal-Naquet), en somme, aussi victimes que coupables, parangons malheureux de cette éternelle masse de manoeuvre puisée dans la "lumpen-paysannerie" algérienne. Une telle vision, en plus de laisser subodorer - au moins par implicite - que l'idéal était dans un camp et un seul, témoigne, à n'en pas douter, d'une "sous-interprétation" des oppositions suscitées par la visée hégémonique du FLN et les pratiques de terreur qui lui furent corrélatives.

Au final, l'exploration - opérée au fil de cette partie - des jeux et enjeux de mémoire autour de la figure du harki témoigne de la place à la fois ténue et outrée qu'elle y occupe en France et en Algérie.

En France, la connivence tacite des gestes gaullienne et progressiste (socialiste et communiste) sur la phase finale de la guerre d'Algérie n'offre rétrospectivement qu'un espace restreint à la mise en exergue et à l'interrogation critique de la destinée des harkis1368(*). Il n'est pas besoin de faire appel à la théorie du "complot" pour le comprendre : les harkis gênent à droite et à gauche de l'échiquier politique, mais pour des raisons différentes. À droite, parce que la destinée tragique des harkis (au sens large) témoigne de ce que la politique de « dégagement » voulue par le général de Gaulle a été conçue sans égards pour ceux des musulmans qui s'étaient attachés, à titre civil ou militaire, à combattre l'emprise naissante du FLN. À gauche, parce que la tournure totalitaire du FLN et le silence fait autour des massacres de l'après-indépendance brouillent la bonne conscience anticolonialiste.

Or, les effets de cette forclusion de la figure du harki au sein des relais institutionnels de la mémoire comme sur la scène politique ont été redoublés, au sein des sphères de production et de diffusion du savoir, par ce que Jean-François Sirinelli a dépeint comme une « hémiplégie du souvenir »1369(*). L'historien Guy Pervillé, pointant la dissymétrie de l'écho médiatique donné aux actions de commémoration du souvenir des victimes du 17 octobre 1961 ou de Charonne d'une part, à la commémoration du souvenir des victimes du 26 mars 1962 ou du 5 juillet 1962 d'autre part, souligne que « la mémoire des victimes françaises de la guerre d'Algérie n'intéresse guère plus que leurs parents, leurs amis et leurs sympathisants idéologiques »1370(*). Une hémiplégie du souvenir qui, nous l'avons vu, est justifiée à demi-mot par le refus de condamner avec la même vigueur les exactions perpétrées par les deux camps. Ce dont rend parfaitement compte Jean-Claude Guillebaud, journaliste, essayiste et éditeur né à Alger en 1944, qui dit avoir appartenu à « cette génération qui, arrivée à l'âge adulte à la fin de la guerre d'Algérie, a versé dans le tiers-mondisme complaisant et la haine de soi »1371(*), mais qui, désormais, doute « qu'on fasse preuve de discernement lorsque, pressé de dénoncer, à juste titre, la torture «française», on oublie systématiquement d'évoquer l'extraordinaire sauvagerie de l'autre camp (...), un délire meurtrier qui alla bien au-delà de ce qu'implique une lutte de libération nationale (...), une violence qui réapparaît significativement dans l'Algérie d'aujourd'hui »1372(*). De même, Paul Thibaud souligne que « l'insurrection algérienne ne s'est jamais départie d'un intégralisme «sauvage», qui la rendait incapable de toute négociation comme on l'a vu encore en 1962, quand le fait d'assumer les accords d'Evian s'est révélé un handicap politique décisif »1373(*). « Pour la classe intellectuelle et politique française, poursuit-il, la guerre d'Algérie a été non pas un conflit sur la manière de réaliser à l'extérieur les valeurs libérales, mais la rencontre d'une révolte extérieure à son système de valeurs (...), une manière absolue de croire à sa cause et de l'imposer par tous les moyens. Cet intégralisme (...) a déconcerté et mis en crise toute la pensée politique du pays de décolonisation »1374(*). Et Paul Thibaud de conclure que « l'antihumanisme », « la dérive fanono-sartrienne vers le tiers-mondisme radical » furent la contrepartie de « cet échec à comprendre », « de ce désarroi intellectuel et militant quand s'est brisé le patriotisme de gauche de la Libération »1375(*). Mais c'est précisément parce que de tels retours sur soi sont l'exception plutôt que la règle, au sein de la classe politique comme au sein de la gauche intellectuelle, que des pans entiers de la guerre d'Algérie (épisodes et acteurs) continuent de faire figures d'impensés.

Cette inappétence médiatique, ajoutée au silence relatif des relais institutionnels de la mémoire, ont favorisé la persistance voire la banalisation de visions prosélytes - glorifiantes ou infamantes - des anciens harkis, qu'ils fussent considérés comme les "porte-étendards" des espérances déçues des « soldats perdus » de l'Algérie française (lors même que les "espérances" portées par les supplétifs musulmans de l'armée française étaient loin d'être automatiquement réductibles à celles de ces derniers, et que les fidélités nouées à l'endroit de tel ou tel officier n'étaient que rarement du ressort de l'obédience idéologique), ou bien qu'ils fussent considérés par certains protagonistes de la « bataille de l'écrit » - « tiers-mondistes » et « bolcheviks » notamment - au pire comme des « collabos » (les combattants du « mauvais choix »), au mieux comme des « malgré-nous » (les combattants d'un « non-choix »), toujours comme une figure dérisoire (dans tous les sens du terme).

En outre, en Algérie, les usages de la figure du harki témoignent, à l'articulation des conditions historiques et des ressorts normatifs de fondation puis de perpétuation de l'Etat-FLN, de l'importance de la dimension narrative de l'identité collective et de ses possibles manipulations : figure à la fois sociologiquement altère, dont il s'agit de faire oublier qu'elle fut l'une des composantes majeures du "Nous", et idéologiquement familière, dont l'omniprésence calculée (sous une forme figurée) rappelle la menace qui pèse sur l'unité nationale (et la nécessité corrélative d'un pouvoir fort). Cela est d'autant plus vrai depuis le début des années 1990, dans un contexte de guerre civile renaissante en Algérie : la figure du harki, son instrumentation tous azimuts pour qualifier l'adversaire (qu'il soit pro-système ou islamiste), n'y ont jamais été autant prégnantes depuis l'indépendance. Il en va d'ailleurs de même de la menace - et jusqu'au simulacre - de la réédition du massacre des harkis : que l'on pense au leitmotiv de "l'éradication", forme de vertu cardinale de la politique sécuritaire des autorités algériennes (au moins) jusqu'à la fin des années 1990, ou aux massacres à grande échelle perpétrés contre des civils par certains groupes islamistes armés. Cependant, nous l'avons vu (à travers l'étude des « chemins de traverse » de la mémoire collective en Algérie), cette vision du harki comme figure de l'ennemi intérieur, pour être assez profondément ancrée, n'est pas hégémonique au sein de la société civile.

Cet héritage très inconfortable de la figure du harki dans les gestes algériennes et françaises éclaire d'un jour particulier la dynamique des générations et le processus de construction identitaire au sein de la communauté harkie. Nous verrons ainsi, au fil de la Partie 3, que le sentiment de culpabilité des pères, dépassés par les conséquences d'un choix qui leur vaut d'être mis à l'index sur l'une et l'autre rive de la Méditerranée, leur commande le plus souvent de faire silence sur cet épisode décisif du roman familial que fut leur engagement aux cotés de l'armée française : de fait, comment, face à de tels amalgames, face à de telles schématisations, la parole du père qui tente de faire comprendre à ses enfants que ses choix et ses actes ne correspondent pas aux stigmatisations dont il est l'objet, peut-elle être assez forte pour lutter, neutraliser ou trouver des compromis pour être un bon objet d'identification filiale ? Il s'ensuit un défaut de transmission de ce que Erving Goffman appelle des « symboles de statut » (ou « symboles de prestige »1376(*)), qui précarise l'ancrage identitaire des enfants de harkis et les surexposent aux identités assignées par autrui.

C'est précisément ainsi que la psychanalyste Simone Molina, elle-même originaire d'Algérie1377(*), pose le problème de la transmission au sein de la communauté harkie : « La question se pose de savoir comment un homme peut devenir père et tenir, pour son enfant, cette place de père, lorsqu'il a été lui-même confronté à la négation de son existence en tant qu'être humain (...) ou à l'exclusion de fait, mais déniée dans le discours social : tel est le cas des harkis arrivés en France en 1962 ». Et elle ajoute : « Comment leurs descendants peuvent-ils "faire histoire" d'un événement dont la transmission, dans le discours familial et social, a été plus ou moins muette ? »1378(*). Quelques mois auparavant, déjà, dans un autre colloque : « La clinique en pédopsychiatrie montre combien ces histoires non formulées sont un terrible poids pour les enfants. Peut-on, par exemple aujourd'hui, se rendre compte de ce que signifie un exil sans retour possible ? Les harkis, en tant que "traîtres" à la cause algérienne ne pouvant pas espérer un jour faire ce voyage, que pouvaient-ils transmettre de cette histoire sans retour imaginable ? (...) A cela s'est ajouté ce second abandon : la ghettoïsation des familles de harkis, corollaire du mutisme de l'Etat français qui, de ce fait, maintenait dans la méconnaissance d'une partie non négligeable de l'histoire contemporaine, une population qui n'aspirait qu'à oublier »1379(*).

Ainsi, après avoir considéré les tenants des phénomènes de stigmatisation, à savoir les processus institutionnels par lesquels ont été produites et perpétuées les images stigmatisantes des anciens harkis et de leurs enfants en France et en Algérie (niveau macro-politique), il nous faudra par suite considérer leurs aboutissants, et rendre compte du système d'action dans et par lequel ces images sont routinièrement relayées et subies ; en somme, il nous faudra rendre compte - ici et maintenant, en France - de la manière dont s'opère la transmission de la mémoire et se définit le rapport à l'identité des fils et filles de harkis dans l'ordinaire des relations sociales et familiales (niveau infra ou micro-politique).

PARTIE 3

Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des relations sociales et familiales

Partie 3

Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des relations sociales et familiales

Les enfants de harkis sont le produit d'une histoire qui, de nos jours en France, dans l'ordinaire des relations sociales, les place à divers titres en porte-à-faux vis-à-vis de la société d'accueil. Et ce d'abord vis-à-vis du groupe dit "majoritaire" qui, plutôt que de faire droit à la singularité de la trajectoire des enfants de harkis, les considère de prime abord sur la base de leur faciès et des préjugés qui y sont associés. Mais ce également vis-à-vis des populations issues de l'immigration maghrébine (et de l'immigration algérienne en particulier), lesquelles, à l'inverse, ne manquent pas - lorsque cette singularité est connue - de marquer l'"étrangeté" de l'exil politique des anciens harkis et de leurs familles : un exil assimilé à un acte de « trahison » (ou, plutôt, à sa conséquence ultime), par contraste avec la migration des travailleurs algériens, conçue comme résultant non d'un choix politique mais d'une nécessité économique. Ceci n'est pas sans conséquences sur - et appelle l'étude des sentiments de filiation et d'identité de la deuxième génération, socialisée dans un environnement a priori - quoique diversement - stigmatisant, avec lequel elle doit apprendre à composer.

Précisément, il nous faudra examiner, à travers la dynamique des générations qui les sous-tend, les rapports problématiques entre "mémoire" et "identité" au sein de la communauté harkie. Comment "l'indexation" globalement négative de l'image des pères dans l'espace social et politique (voir la Partie 2) pèse-t-elle sur la transmission de la mémoire familiale et, par suite, sur la définition (ou l'indéfinition) de l'identité sociale des fils et filles de harkis1380(*) ? Notre hypothèse, à cet égard, est que la dynamique des générations au sein de la communauté harkie est marquée sinon par une "éclipse" du moins par une "friabilité" de la transmission de la mémoire communautaire. De cette cassure de la dynamique des générations résulte une crise des identités qui spécifie (en même temps qu'elle les trouble) les contours de la deuxième génération de harkis ; crise des identités marquée par une fragilité, une instabilité des critères d'identification et des identifications elles-mêmes, donc, corrélativement, par une perméabilité des catégories servant à se définir (tant individuellement que collectivement), c'est-à-dire une particulière sensibilité, sinon une grande vulnérabilité, aux identités assignées par autrui. Précisément, ce qui pose problème dans le cas des fils et filles de harkis c'est, alors même qu'ils ont hérité de la génération des pères de plus de questions que de réponses à propos de leur identité, de se situer soi par rapport aux autres et de situer les autres par rapport à soi quand les autres renvoient de soi, outre une indifférence persistante, des images antagonistes, voire paradoxales. Ceci - les rejaillissements intergénérationnels de la destinée matérielle et symbolique des parents - témoigne de relations tout à fait spécifiques entre mémoire, identité et dynamique des générations.

Pourquoi ce filtre heuristique du "ressenti" et de "l'intersubjectif", cette focalisation sur la manière dont les gens se définissent, définissent les autres et sont définis par autrui ? D'abord parce que notre ambition, dans cette partie, est de rendre compte du vécu des intéressés, de leur rapport intime aux phénomènes sociaux (choses et êtres). A rebours d'une explication globalisante et extérieure, se déprenant par principe du sens commun, notre intention n'est pas d'expliquer les êtres malgré eux, même si c'est là un risque inhérent à toute étude sociologique. Nous avons longuement développé ces points en introduction. Il suffit donc de rappeler que notre démarche est d'essence compréhensive : c'est le monde vécu de la stigmatisation, ou la stigmatisation telle qu'elle est routinièrement "agie" et subie, qui nous intéresse ici. Sur des bases analogues à celles d'un Vincent de Gaulejac1381(*), par exemple, il s'agira d'explorer la dynamique de construction du sujet, face à son histoire, à ses liens de filiation et au poids des assignations statutaires, et, par-là, de montrer comment les phénomènes sociaux et psychiques s'amplifient et s'influencent réciproquement, en particulier autour du sentiment de honte1382(*).

Au plan cognitif, les sentiments sont des médiateurs à travers lesquels l'individu éprouve concrètement - "métabolise" en quelque sorte - des phénomènes sociaux abstraits (telle la sociodynamique de la stigmatisation) qui, par leur ampleur et la complexité de leurs ramifications, échappent ordinairement à son champ d'appréhension intellectuelle (en même temps qu'à son champ d'action et de responsabilité). Autrement dit, lorsqu'un individu membre d'un groupe donné rend compte de la manière dont il est affecté au jour le jour par les exo-définitions de soi assignées par d'autres groupes interdépendants, c'est d'abord des sentiments "bruts" (la honte, la colère, l'embarras, etc.) et non un discours fini (des élaborations conceptuelles) qu'il exprime. De même lorsqu'il entreprend d'y réagir : c'est d'abord sur la base de ses affects qu'il règle sa ligne de conduite immédiate. Ainsi, les sentiments sont les catalyseurs des charges et réactions émotionnelles qui régissent la « ronde journalière » de l'individu1383(*). Et « les sentiments de honte, d'humiliation ou de révolte, jouent un rôle important dans la mise en oeuvre de stratégies sociales répondant à une situation d'exclusion »1384(*). Or, nous verrons que, dans l'entre-deux symbolique malaisé où se trouvent placés les fils et les filles de harkis, c'est la honte qui, plus souvent sans doute qu'à l'ordinaire de leurs concitoyens, régit leur définition des situations d'interaction et commande, en réaction, leurs stratégies de présentation de soi.

Mais qu'est-ce que la "honte", au juste ? À la suite de Vincent de Gaulejac, la honte peut être définie comme un « méta-sentiment », « un conglomérat de charges et de réactions émotionnelles, de sensations, d'affects où se mêlent des aspects psychoaffectifs et psychosociaux »1385(*). Un état générique, donc, d'essence à la fois affective et sociale qui, dans le cas d'espèce qui nous intéresse, renvoie au moins à deux ordres de ressentis :

- d'une part le sentiment de culpabilité des pères, dont les "choix", nous l'avons vu, se sont révélés lourds de conséquences, à la fois sur un plan matériel et sur un plan symbolique ;

Ici, le sentiment de culpabilité sanctionne la reviviscence d'un état de fait ou d'une succession de faits et de choix dont l'individu se sait être (ou se sent, au moins en partie) moralement comptable, et qu'il peine à assumer tant en raison de l'image négative renvoyée par autrui qu'en raison de l'ambivalence de ses sentiments propres sur la question. Le sentiment de culpabilité est associé à l'inhibition, et libère une agressivité plutôt tournée vers soi (ou les siens) : vis-à-vis de l'extérieur, l'individu ne sait plus quoi faire, ou n'ose plus agir ; il se mure dans le silence, s'abandonne parfois à l'alcool et/ou à la violence conjugale ou familiale, s'égare dans le délire, voire met fin à ses jours1386(*). Les exemples de cet ordre abondent dans la littérature consacrée aux Français musulmans rapatriés, qu'il s'agisse des études cliniques de tous ordres qui furent consacrées aux anciens harkis durant les années 1970, ou des récits autobiographiques publiés par leurs enfants au cours des années 1990 et 20001387(*).

- d'autre part, le sentiment d'humiliation des enfants qui, confrontés à un environnement stigmatisant, ne peuvent puiser dans la mémoire douloureuse de leurs parents les référents nécessaires à l'édification de contre-modèles valorisants.

Ici, le sentiment d'humiliation puise dans les conséquences d'un choix qui n'est pas directement le fait de l'individu mais auquel son image est invariablement associée. Le sentiment d'humiliation vient ainsi de ce que l'individu est publiquement désigné comme légataire d'une marque d'infamie : « fils de traître ! »1388(*), lors même qu'il n'aurait aucune prise sur la situation en cause : « l'individu se sent objet impuissant d'un rapport de forces inégal, mais pas responsable de la situation »1389(*). L'humiliation est associée au sentiment de révolte et libère une agressivité plutôt tournée vers autrui.

Au fil de cette partie, nous aborderons la sociodynamique de la stigmatisation au sein (la stigmatisation telle qu'elle est subie) et autour de la communauté harkie (la stigmatisation telle qu'elle est agie) mais, à la différence de la précédente partie, davantage en tant qu'aspect d'une relation « installés-marginaux » (perspective routinière)1390(*) qu'en tant qu'aspect d'une relation « ami-ennemi » (perspective institutionnelle)1391(*). Autrement dit, il s'agira moins, ici, de nous centrer sur les relations de pouvoir instituées (mémoires officielles) ou les stratégies d'influence d'acteurs constitués en communautés d'esprit ou d'adhésion (mémoire collégiale des intellectuels en guerre d'Algérie, par exemple) que sur l'ordinaire des relations sociales, ordinaire habituellement réglé par des rites d'interaction et des stratégies de présentation de soi et de désignation d'autrui qui relèvent d'un ordre essentiellement extra-juridique et extrapolitique1392(*). Dans cette optique, la sociodynamique de la stigmatisation sera envisagée comme le produit de la configuration formée par trois groupes interdépendants, à savoir : le groupe dit "majoritaire", les populations issues de l'immigration maghrébine et la communauté harkie, engagés à des degrés et pour des motifs divers dans ce que Isabelle Taboada Léonetti et Vincent de Gaulejac appellent une « lutte des places »1393(*).

Communauté de destin, la communauté harkie est le produit d'une histoire difficile à transmettre pour les pères aussi bien que difficile à recevoir pour leurs enfants. Cette histoire est d'autant plus difficile à transmettre pour les pères que, d'une part, elle les renvoie - outre les traumatismes liés aux événements proprement dits, depuis l'engagement aux côtés de l'armée française jusqu'à l'exil - à leur propre impuissance (au sens d'une incapacité à se faire maîtres de leur destin) et que, d'autre part, elle les expose potentiellement au désaveu de leurs enfants, socialisés dans un environnement qui ne les prépare pas à valoriser ce choix. D'autant que, même si les raisons de justifier ce choix ne manquent pas, l'appareillage critique et la maîtrise de la langue font trop souvent défaut aux pères (illettrés pour beaucoup) pour ce faire ou, plus exactement, pour faire en sorte que ces arguments soient jugés recevables non seulement par leurs enfants mais aussi par ceux-là même qui, spontanément, n'éprouvent aucune sympathie à leur endroit. En outre, cette histoire est difficile à recevoir pour leurs enfants, et ce d'autant plus qu'elle les oblige - pour "être" et "se connaître" - à transgresser l'interdit paternel et, par-là, à encourir le risque du conflit. Une histoire qui, par surcroît, nous l'avons dit, les place en porte-à-faux - et ce à divers titre - vis-à-vis de la société d'accueil. Il résulte de cette difficulté à dire et à recevoir une situation de relative déshérence identitaire qui se manifeste d'abord - au sortir de l'adolescence (et parfois bien plus tard) - par un « brouillage des catégories servant à se définir et à définir les autres »1394(*) (Chapitre I).

Cette situation induit corrélativement une grande vulnérabilité aux catégorisations formulées par autrui. Ceci est d'autant plus dommageable que, précisément, dans l'ordinaire des relations sociales, les enfants de harkis sont exposés à des flux d'informations contradictoires quant à la manière dont les autres les (dé)considèrent. De fait, les enfants de harkis se doivent de composer, d'une part, avec les flétrissures liées à leurs attributs phénotypiques et confessionnels, ou « stigmate tribal »1395(*) (flétrissures générées à divers degrés par les Français dits "de souche" ou qui se considèrent comme tels) et, d'autre part, avec les flétrissures liées à la (mauvaise) réputation des pères, ou « stigmate d'infamie »1396(*), flétrissures principalement générées - là encore à divers degrés - par les populations issues de l'immigration maghrébine, algérienne en particulier (chapitre II).

Les enfants de harkis se trouvent donc placés dans une sorte d'entre-deux phénoménologique qui s'ajoute et recoupe en partie l'"entre-deux feux" des atteintes symboliques - entre adversité et indifférence - étudié dans la Partie 2. À l'arrivée, le « brassage du vécu et du transmis » - autrement dit, le rapport aux origines et à la mémoire familiale, et la façon dont il peut produire la honte dans l'ordinaire des relations sociales - peut engendrer une situation de « déchirement » (Vincent de Gaulejac) ou d'écartèlement des identifications (pour soi et par autrui) en face de quoi les fils et filles de harkis sont en peine de trouver des médiations ou des compromis satisfaisants. Cette situation décrit ce que j'appelle un "triangle de stigmatisation". Ce triangle de stigmatisation est une représentation modélisée du « cycle des événements ordinaires »1397(*) qui font obstacle à une pleine acceptation des enfants de harkis dans leur environnement social (chapitre III).

I. De la confusion à la forclusion : le rapport à la mémoire familiale et la façon dont il peut (ou non) produire la honte chez l'enfant

Cette problématique de recherche invite à appréhender le concept d'identité dans une visée dynamique et interactive, autour du couplage transmission/appropriation ; notre approche doit donc être distinguée d'une conception primordialiste de l'identité. Jean-Charles Pochard :

« Le caractère permanent et fondamental de l'identité d'un groupe ne peut constituer qu'une vue de l'esprit ; l'identité du groupe est une construction mentale forcément réductrice puisque le résultat d'une sélection de traits »1398(*).

En pratique, dans la réalité sociale, l'identité se joue dans la relation et dans la variation. Elle n'est pas un état contenu dans un être, qui résulterait de la nature même de cet être ; les identités ne sont ni immanentes ni immuables, elles sont des constructions sociales dont les fondations et les superstructures sont déterminées par les situations sociales dans lesquelles elles sont érigées. Autrement dit, les identités supposent l'Autre pour exister (puisqu'elles ne sont pas immanentes) et se développer (puisqu'elles ne sont pas immuables) : « L'identité (...) est un construit évolutif qui vient donner du sens et de la valeur (positive ou négative) à une relation ou à un ensemble de relations »1399(*). De même, pour Claude Lévi-Strauss, « (...) l'identité est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu'il ait jamais d'existence réelle »1400(*) ; « [L'identité], ajoute Denis-Constant Martin, peut parler du temps, de l'espace et de l'individu dans son rapport aux groupes. Elle peut évoquer l'incertitude et l'angoisse en formulant un désir de liens, de sens et de valeurs partagés »1401(*). Si elle est mythe, l'identité plus largement est discours, et doit être analysée en tant que tel. Denis-Constant Martin :

« Pour la psychologie, l'identité n'est pas un état ou un avoir. Elle ne se maintient que par la prise de position ou de parole. (...) Les psychologues de l'identité parlent d'"identisation" pour exprimer le caractère à la fois actif et réactif du processus identitaire, envisagé comme construction/attestation, jamais achevé par hypothèse (...). Cette définition offre un bon garde-fou contre l'objectivation de l'identité »1402(*).

Précisément, au sein même de la communauté harkie, la difficulté des pères à s'assumer et à léguer « une indicible histoire »1403(*), en tant qu'elle entrave le processus identitaire envisagé comme récit - « le récit identitaire articule le temps et donne un sens au présent »1404(*) - et, par là, rompt la dynamique des générations, invite à considérer la parole, le dit et le non-dit, comme un espace transitionnel entre la mémoire (qui est transmission d'un passé vécu) et l'identité (qui est ré-appropriation de ce passé par la génération suivante dans une visée de dépassement : il s'agit d'invoquer l'essence pour gérer le changement). C'est ce que Paul Ricoeur a systématiquement exploré dans Soi-même comme un autre à travers la théorie de l'identité narrative :

« La compréhension de soi est une interprétation ; l'interprétation de soi, à son tour, trouve dans le récit, parmi d'autres signes et symboles, une médiation privilégiée ; cette dernière emprunte à l'histoire autant qu'à la fiction, faisant de l'histoire d'une vie une histoire fictive, ou si l'on préfère, une fiction historique, entrecroisant le style biographique des biographies au style romanesque des biographies imaginaires »1405(*).

Pour Ricoeur, l'identité narrative, soit d'une personne, soit d'une communauté, est le lieu recherché d'un "chiasme" entre histoire et fiction, ce qui, selon nous, peut aussi définir la mémoire, à condition de considérer que celle-ci n'est pas mémoire du réel (le passé en soi) mais travail sur le réel ; la mémoire est une interprétation du passé en cohérence avec le présent, qui médiatise, à travers la parole (le récit), l'interprétation de soi (identité). La narration historique permet de « refigurer le réel », de le « redéployer »1406(*), c'est-à-dire de replacer les rapports humains dans le temps et de gérer les changements qui pourraient apparaître comme discordants lors de l'affirmation d'une identité. Denis-Constant Martin :

« L'identité narrative fait de l'histoire individuelle une "fiction historique" où l'identité peut être conçue comme dynamique parce qu'elle réalise une médiation entre concordance (l'exigence de persistance) et discordance (qui résulte des changements) : le personnage s'y met lui-même en intrigue et peut ainsi réorganiser ses évolutions tout en proclamant sa permanence, voire ses filiations »1407(*).

C'est précisément sur la faculté de réaliser cette mise en intrigue de soi (tant individuellement que collectivement1408(*)), à s'inscrire dans une dynamique identitaire qui s'étaye sur les liens de filiation, que butent les fils et les filles de harkis confrontés à la « mémoire honteuse » (Mohand Hamoumou1409(*)) de leurs pères.

Nous partirons ici d'une double prémisse :

- d'une part, la transmission de la mémoire communautaire et, corrélativement, le sentiment d'appartenance communautaire ont pour premier vecteur (et premier filtre) la transmission de la mémoire familiale et le sentiment d'appartenance à une "lignée" ;

- d'autre part, la transmission de la mémoire familiale participe intimement des manières d'exercer et d'exprimer les rôles parentaux, paternel et maternel.

En l'espèce, la figure du père revêt naturellement une importance particulière puisque, plus encore qu'à l'ordinaire, il est, par son "choix" de devenir harki, au fondement de la destinée familiale et, par la capacité remarquable qu'a cette étiquette de "harki" non seulement de perdurer mais par surcroît de servir de stigmate, au fondement de la (mauvaise) réputation familiale. Un tel état de fait ne pouvait pas être sans conséquence sur les manières d'exercer et d'exprimer le rôle paternel, en particulier sur la manière d'exercer son rôle de tiers symbolique, à la fois "passeur" et "censeur". La figure du père est, de fait, une constellation où se mêlent les dimensions historique, psychologique et sociale. Jacqueline Palmade, invoquant le concept lacanien de « Nom-du-Père », en fait même la « métaphore vive de la vérité, symbole de la lignée »1410(*). « Métaphore vive de la vérité » car la paternité, à la différence de la maternité, n'est jamais qu'une conjecture, basée sur des déductions et des hypothèses. C'est l'émergence du « père symbolique », cette fonction de tiers prescripteur de la loi, qui le fonde dans son rôle de père. Autrement dit, le père est une sorte d' « articulation signifiante » qui condense en elle la loi et la filiation, la filiation parce que la loi.

Ainsi, c'est par la transmission de la loi, donc par la parole, que le père atteste de sa paternité, et c'est par la réappropriation de la loi (donc de la parole) paternelle(s) que ses enfants s'inscrivent dans un rapport de filiation. Le père apparaît dans l'histoire de l'enfant comme un "référent", à la fois hors de l'histoire de l'enfant et à l'origine de celle-ci. Sa qualité de tiers symbolique lui confère un rôle fondamentalement structurant pour le développement psychique de l'enfant et sa propension future à dire « Je ». Or, si le père est lui-même soumis à une loi supérieure, qui l'"écrase" et le réduit au silence y compris à l'égard de ses propres enfants, il lui devient difficile d'exercer sa fonction de tiers signifiant : le père, en tant que tiers signifiant, est "manquant". Ce « manque du père de l'avoir introduit au monde » (Jacqueline Palmade) n'est pas sans conséquence sur les processus d'identification puis d'individuation de l'enfant.

Il ne s'agit pas, pour autant, de minorer le rôle des mères dans la dimension symbolique. Certes, en l'espèce, être désigné ou se dire "fils" ou "fille de harki", c'est être identifié ou s'identifier au nom du père. Cela ne veut pas dire, pour autant, que la parole des mères ne soit pas structurante ou, à l'inverse, que l'effacement des mères soit sans conséquence pour les enfants. Cela ne veut pas dire, non plus, que les mères n'ont rien à dire sur - ou qu'elles ne sont pour rien dans la destinée familiale. Bien au contraire, les entretiens conduits au cours de nos travaux auprès des enfants, comme les témoignages recueillis par Dalila Kerchouche et Stéphane Gladieu auprès des mères1411(*), soulignent l'importance de leur obstination (dans leur rôle de mère) voire de leur affirmation (dans la dimension symbolique) face à des pères parfois résignés ; la difficulté et le courage que cela réclame, aussi.

Car c'est la résignation, le silence, qui prédominent ordinairement chez les parents : en somme, c'est la honte, au moins autant que la fierté, qui scelle les modalités de transmission de la mémoire familiale. Cette résignation apparente est source d'ambivalence affective chez les enfants en ce qu'elle les conduit à « vivre dans la recherche de médiations entre le désir de se distancier du milieu d'origine et celui de manifester une solidarité vis-à-vis de ce milieu »1412(*). Elle est à ce titre une entrave au processus d'autonomisation. Car si, comme le souligne A. Mucchielli, « l'acte autonome de l'identité est débarrassé des motivations liées au lien de dépendance »1413(*), à l'inverse, le silence de la mémoire familiale, en ce qu'il frustre les enfants du sentiment premier de s'inscrire dans une filiation (au besoin pour s'en défaire), les assujettit davantage encore à ce qui, dans le roman familial, pèse sans pouvoir être élaboré.

A. « Une indicible histoire » (Mohand Hamoumou) ou l'histoire d'une honte "partagée"

Selon Pierre Nora, parce qu'elle est transmission d'un passé vécu, la transmission de la mémoire est « ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations » ; « parce qu'elle est affective et magique, ajoute-t-il, la mémoire installe le souvenir dans le sacré et le tabou » : « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants, et, à ce titre, (...) [elle] ne s'accommode que des détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous, téléscopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transferts, écrans, censure ou projections »1414(*).

Si, le plus souvent, « la mémoire sourd d'un groupe qu'elle soude »1415(*), ce qui revient à dire, comme Halbwachs l'a fait, qu'elle est, par nature, multiple et démultipliée, collective, plurielle et individualisée, « parfois c'est une mémoire collective insupportable quand après une humiliation collective, elle ne peut plus assurer une identité valorisée, une mémoire qui soit amour de soi, du groupe »1416(*). Individuellement en proie au traumatisme d'une guerre qui longtemps cacha son nom et fluctua dans sa raison d'être, collectivement meurtris par le martyre de leurs camarades sacrifiés (par dizaines de milliers) à la raison d'Etat (voir Partie 1), déchirés par un exil qu'ils savent sans retour, culpabilisés, enfin, par ceux qui (des deux côtés de la Méditerranée) n'ont de cesse de vouloir en faire les "combattants du mauvais choix", les Français musulmans rapatriés ont très massivement choisi d'opposer le silence au déni :

« Des silences s'instituent devant l'horreur, la conscience impossible, inassumable, silence des bourreaux, de leurs complices, mais aussi parfois des victimes qui doivent survivre ; secrets, dénégations, falsifications, autant de déformations que dicte le présent avec ses nouvelles alliances, ses raisons d'Etat, ses deuils impossibles »1417(*).

Mohamed, lui-même ancien harki et président de l'association des anciens harkis et de leurs enfants sise à Largentière (Ardèche), dont nous avons déjà cité certains propos dans le fil de la Partie 11418(*), traduit parfaitement le sentiment de ses congénères, à leur arrivée en France, d'être la mauvaise conscience en même temps que les laissés-pour-compte de la métropole :

« On savait pas pourquoi la France était contre nous, parce que déjà... les regards de travers, on nous reçoit pas bien... on n'a pas compris du tout. Voyez, on a défendu une cause, on a défendu la France, quoi, on défendait notre patrie... bon, nous sommes venus en France, mais là on a pas eu un bon accueil ; pas avec les armes, mais... un autre truc. Alors, donc... y'a aucun... j'sais pas moi, y'en a aucun qui est venu nous voir, nous parler... du mal qu'on a eu, ou... les souffrances qu'on a eu... personne. Alors, si on entend parler, c'est uniquement du mal de nous. Mais pourtant, nous, on fait quel mal à la France ? Comment vous comprenez ça ? On a pas compris du tout ».

Réaction de Jean-Claude, fils de harki et secrétaire de l'association présidée par Mohamed, présent au moment de l'entretien :

« Et tout ça, j'veux dire, en remettant... à la limite quand on se dit qu'on a été envahis par un pays, ou qu'on est perdants, ou qu'on a fait des fautes, tout ça, on peut se dire, on peut arriver... pas à comprendre, mais en tout cas à l'entendre. Alors que là, eux avaient fait, pour eux, leur devoir et même plus que leur devoir. Et voilà comme ils étaient remerciés. Comment se repositionner, comment se positionner par rapport à ce qu'ils avaient fait, ils remettaient tout en... question : pourquoi ils avaient réagi comme ça ? Est-ce qu'il ne valait pas mieux, en fin de compte, la mort ? (...) J'veux dire, ils avaient vraiment... honnêtement, on se demande à quoi ils ont pu se rattacher »1419(*).

En contrepoint de cette mémoire collective "insupportable", le silence, le repli apparaissent aux yeux des pères désarmés par l'amertume et la culpabilité (ainsi que par une capacité limitée à "faire voix"), comme les plus sûrs remparts contre le brouhaha d'une Histoire qui avance malgré eux. Gérard Noiriel :

« Ceux qui ont été confrontés au traumatisme de la guerre ou de la persécution ne désirent souvent qu'une chose : oublier. Il y a des familles dans lesquelles jamais les parents n'ont évoqué devant leurs enfants leur vie d'avant, exacerbant par-là même le désir de savoir chez ces derniers »1420(*).

La mère de Boussad Azni, président du Comité national de liaison (qui regroupe une cinquantaine d'associations de harkis), ne parle pas français. Mais à l'évocation du mot harki, elle sait se faire comprendre : « Elle se passe la main sur le cou, comme un couteau qui égorge ». Quant à son père, il est mort sans jamais avoir raconté son histoire. Commentaire amer du fils : « Nos parents votaient à droite, ils croyaient que de Gaulle les avait sauvés. C'est la génération perdue, ils mourront sans comprendre »1421(*).

Inévitablement, le silence d'une mémoire laissée en déshérence crée un « malaise dans la filiation »1422(*), tant il est vrai que le « ré-enracinement, la construction d'une nouvelle lignée qui commence avec celui qui est parti nécessitent, sinon une "mythologie", du moins un "roman des origines" familiales »1423(*). C'est ce "roman" qui, dans le cas d'espèce des enfants de harkis, confrontés au sentiment d'hébétude et d'horreur mêlées des pères (condamnés, exilés, parqués), fait souvent défaut.

- 1. La difficulté d'en parler (du côté des pères)

Dès lors qu'il s'agit de parler de soi, la parole, loin de laisser spontanément "transparaître", de mettre en relation l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le social, se heurte à un flot de résistances ; enjointe ou conviée à exprimer l'essence d'un être, la parole est rendue plus fragile, elle se crispe, se rétracte ou s'éteint. Edmond-Marc Lipiansky :

« De même qu'on peut distinguer une identité sociale et une identité intime à la fois séparées et reliées, on peut différencier une parole sociale, en relation avec les rôles et les rituels d'interaction, et une parole intime exprimant l'authenticité d'un vécu personnel »1424(*).

Cette parole intime ne va pas de soi. Très souvent l'interdit frappe, à des degrés divers certes, les souvenirs, les pensées, les sentiments, les émotions qui ressortissent à l'expérience vécue. C'est ce que Erving Goffman désigne sous le vocable de « réserves du moi » et que Edmond-Marc Lipiansky définit de la manière suivante :

«  La barrière entre l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le social, se projette et se retrouve dans la coupure entre le dit et le non-dit. Cette coupure s'inscrit dans le sentiment qu'éprouve le sujet que, de son vécu intérieur, certains éléments sont dicibles, qu'ils peuvent être transmis aux autres sans trop de retenue, de gêne ou de malaise ; et que d'autres éléments, pour de multiples raisons ayant trait à l'interdit, doivent rester non-dits »1425(*).

L'expérience vécue en Algérie par les Français musulmans rapatriés est une expérience qui, précisément, touche aux « réserves du moi », parce qu'elle renvoie - dans ses tenants comme dans ses aboutissants - à une situation "extra-ordinaire", qui à la fois affecte profondément l'idée que les intéressés se font d'eux-mêmes et engage leur réputation aux yeux d'autrui. Il est difficile, dans ces conditions, de rendre cette expérience sans crainte de la trahir ou de se meurtrir. Le père d'Hassina1426(*) lui a parlé très tardivement, ainsi qu'à ses frères et soeurs, de son expérience vécue pendant la guerre d'Algérie : « En fait, au début, il ne savait pas comment appréhender la chose, il était très distant vis-à-vis de ses enfants » ; à l'instar du père de Dalila1427(*) (23 ans1428(*)), « [qui] vit avec ses souvenirs cachés de là-bas », « beaucoup de harkis de la première génération se sont murés dans le silence, ont très peu parlé à leurs enfants de ce qui pour eux a été un véritable choc », ajoute François1429(*). C'est le cas du père de Jacqueline1430(*), qui peine à extérioriser une souffrance malgré tout perceptible : « Mon père... déjà, dans son caractère, c'est pas quelqu'un d'expressif, c'est quelqu'un d'un peu renfermé, il parle pas beaucoup, et, en plus de cela, je pense qu'il voulait oublier et ne pas en parler parce que peut-être ça lui faisait mal, je sais pas, mais en tout cas il en parlait pas beaucoup ».

Dans cette distance se joue l'évanescence voulue mais impossible d'un passé que les pères voudraient voir forclos1431(*), troublant par-là même leur image auprès de leurs propres enfants : « J'ai eu aucune transmission, aucune expérience, mon père nous a jamais parlé de la guerre d'Algérie. (...) Disons que le problème c'est : j'ai jamais su cerner mon père, à travers ce problème, à travers cette catastrophe » (Karim1432(*)) ; « On avait pas de dialogue. (...) on m'a jamais répondu. Je savais qu'il était militaire puisqu'il était en tenue, mais le mot "harki"... on l'appelait "le harki". "Le harki", "le harki", qu'est-ce que ça veut dire ? Aucune réponse. Aucune réponse, et je grandissais... » (Dalila, 37 ans1433(*)) ; « Et c'est vrai, y'en a qui sont un peu déchirés parce que c'est leurs parents qui leur parlent pas ou qui leur cachent la vérité. J'en ai parlé avec quelqu'un qui m'a dit que, à l'époque, elle venait juste d'apprendre que son père était harki (...) ; et son père (...) il a jamais dit à ses enfants qu'il était harki. C'est dernièrement, grâce aux subventions que l'Etat donne, ils sont obligés de se justifier auprès de leurs enfants. Parce que, bon, quand ils reçoivent du courrier du ministère des rapatriés, les gosses ils demandent d'où ça vient. Voilà, c'est triste mais ça existe » (Jacqueline).

Le cas de figure ne se pose pas tout à fait de la même manière dans les sites "ségrégés" où, d'une certaine manière, l'on "naît" harki, ne serait-ce que parce qu'on s'auto-désigne et qu'on est désigné comme tel par les autres. Mais si l'étiquette en soi n'est pas une surprise, son "décodage" peut s'avérer tout aussi difficile et la parole des pères tout aussi parcellaire que dans les sites "mixtes" (ou, plutôt, anonymes) comme la région parisienne. Ahmed en conçoit une certaine amertume vis-à-vis de la société d'accueil, pressentant que le silence de son père lui a été imposé par l'enchaînement contraire des événements et l'attitude des autorités françaises : « Moi, mon père, il m'en a jamais vraiment parlé, on en a jamais vraiment discuté... ça fait pas partie des choses dont on parle à table, tu vois... et c'est peut-être ce qui fait qu'aujourd'hui, non pas que je suis extrémiste, loin de là, la France elle est ce qu'elle est, on peut pas juger un pays comme ça... ceux qui ont pris la décision, c'était une minorité... mais, quand même, le fait d'avoir été abandonnés, comme ça, et le fait que mon père il ne m'en parle pas vraiment, j'en garde des traces, et même de l'amertume »1434(*). Sujet tabou, également, pour le père de Mohamed1435(*) (35 ans), lequel prend soin de ne pas heurter cette réserve : « Pour mon père, c'est un sujet tabou, hein. (...) On aborde très rarement ce genre de sujet qui est quasiment tabou pour nous. Tabou, parce que, bon, y'a même plus à en discuter, mais au départ c'était... nous, on parle beaucoup avec... l'expression des yeux ». Pour sa part, Rachid1436(*) vit douloureusement le fait de n'avoir pu interroger son père avant sa mort, lui qui, enfant né sur le tard, n'avait osé - adolescent - aller au-devant d'un père déjà vieillissant et malade :

« Moi, souvent, je me dis : «Merde ! J'aurais...», bien sûr que j'aurais aimé poser la question à mon père : «Bon, qu'est-ce qui t'a poussé à... à opter pour... pour... enfin... pour être français, quoi, pour la France ?». Bon, ben, qu'est-ce que tu veux, j'ai pas eu... j'ai pas eu la chance... ben, je l'ai perdu, j'avais seize ans, j'te disais, mais, bon, jusqu'à l'âge de seize ans...

- ...c'est difficile de parler avec son père ?...

...ouais, ouais, puis mon père, déjà, mon père, il m'a fait... mes vieux, on va dire, ils m'ont fait quand... ils étaient déjà assez âgés, eux, hein, mon père il avait... mon père, ils mettent qu'il est né vers 1917, tu vois, ils savent même pas trop... quand sur le livret de famille, ils mettent 1917, ils mettent : «AbdelKader, né vers 1917» ; et puis ma mère elle est née en... 1920. Ma mère, par contre, elle a une date, mais, donc, ce que je veux dire, c'est que mon père et ma mère avaient quarante-sept et quarante-quatre ans quand ils m'ont eu, donc, tu vois, quand j'avais seize... quand je suis arrivé à l'âge de l'adolescence, bon, quand on a envie de poser des questions, on va dire, sur ce genre de choses, mon père avait déjà... il était malade, mon père est mort sur un lit d'hôpital, il était malade. Et... donc, c'est vrai que j'ai jamais eu... ». 

Dans l'un et l'autre contexte (sites "ségrégés" ou sites "intégrés"), même lorsque la parole se fait plus libre, le père a tendance à se focaliser sur les aspects les plus formels de son engagement. Ainsi, c'est davantage sur un mode "fictionnel/anecdotique" que le père de François évoque son passé ; il élude les traumatismes (l'équivoque ou la difficulté du choix, l'exil) pour ne donner à voir et à entendre de son engagement que les motifs de fierté, à commencer par le récit (circonstancié mais formel) des opérations militaires. Comme le père de Dalila (23 ans), qui ne s'est jamais découvert, qui ne s'est jamais expliqué spontanément sur les raisons profondes de son engagement, le père de Régika1437(*) n'a laissé transparaître que les à-côtés d'une période qui allait pourtant bouleverser sa vie en le contraignant, lui et sa famille, à l'exil : « La guerre... dire : «La guerre, j'ai tué», on peut pas, c'est pas un truc qu'on dit de toute façon à ses enfants (...). La guerre c'était la guerre, quoi, c'était... il a choisi, il a choisi, quoi. L'expliquer... c'est difficile pour un père de l'expliquer à un enfant (...). Non, il nous parlait de la caserne, sans plus, quoi ». De même s'agissant du père de Rachid, qui rendait plus volontiers compte des épisodes préalables à son engagement aux côtés de l'armée française : « Non, non. Non. Il me racontait plutôt, on va dire, à l'époque qu'il était pêcheur et docker, en Algérie, ça oui, il m'en a beaucoup parlé de ça ».

Avec l'exil et la succession des générations, c'est la possibilité même de "re-traduire" cette expérience à l'attention de leurs enfants qui semble s'être évanouie. Ainsi, le père d'Hassina a longtemps considéré que cette expérience ne pouvait être partagée qu'avec un groupe de pairs, de contemporains, c'est-à-dire avec ceux qui, tels ses amis harkis, avaient vécu les mêmes événements : « Il n'en parlait pas avec ses enfants de la manière dont il en parlait avec ses amis harkis (...). C'est quelque chose qu'il ne reprenait jamais avec nous ».

Ce mutisme, ce silence distant ou ces paroles convenues, en somme ces comportements de repli des pères s'ancrent également dans la stigmatisation, le rejet dont ils sont l'objet en France et en Algérie ; amers, ils portent leur passé comme un fardeau ; culpabilisés, ils vivent son rappel comme une dégradation. Selon Hassina, son père assume difficilement son engagement passé : « En fait, il aurait voulu ne pas avoir à porter cette partie de l'histoire (...). Il essayait de donner une image qui correspondait peut-être à l'Algérien type, à ce qu'il aurait peut-être voulu être ». Aussi Hassina analyse-t-elle le silence de son père comme la résultante d'une « projection de l'attitude de certaines personnes à son encontre sur ses propres enfants ». Soucieux de protéger ses enfants contre les attitudes de rejet et de stigmatisation que lui a valu son engagement auprès de la France pendant la guerre d'Algérie, le père d'Hassina a entouré ses enfants d'un "halo" de silence.

Les propos de Karim participent d'une même analyse : « [Mon père] a honte de raconter à ses enfants qu'il a trahi son pays, ouais... ouais, on peut l'expliquer comme ça sur le plan psychologique. Il a honte de nous raconter pourquoi il a choisi, pourquoi il a combattu (...). Pour moi, on pourrait dire : c'est la honte de dire à ses enfants : «J'ai trahi mon pays» ». Dalila (23 ans) conçoit également qu'un des fondements du silence de son père puisse être une part de honte. Mais, selon elle, il s'y ajoute le poids de l'incrédulité devant la tournure des événements - d'une incrédulité faite amertume : « Il n'imaginait que la France perdrait, il me disait : «C'était des chars, des avions contre des hommes». En fait, il ne se rendait pas compte ». A cet égard, quoique dans une optique quelque peu différente, les propos de Mohamed, lui-même ancien harki et président de l'association des anciens harkis et de leurs enfants sise à Largentière (voir ci-dessus et la partie 1), traduisent parfaitement le sentiment d'abandon sinon de "trahison" des intéressés face à ce que fut l'attitude de leurs autorités de tutelle à leur arrivée en métropole :

« Pourquoi les journalistes ils viennent pas [à notre arrivée en métropole] ? Pourquoi les journalistes ils demandent pas ? Pourquoi maintenant y'a quelque chose les journalistes ils vont partout à la télé ? Parce qu'à l'époque y'en avait pas ? Si, il y en avait des journalistes, mais c'était interdit par le ministre. Y'a des bateaux et des bateaux qui ont débarqués à Marseille : est-ce qu'il y a une fois un journaliste qui est venu ? Ça fait trente-six ans que je suis là, jamais un journaliste est venu me demander quoi que ce soit. Des fois ils passent l'émission à la télé... ils passent une émission [NDA : une émission sur les « porteurs de valise diffusée à l'automne 1998 sur Arte] qui est étranger à notre cause, là... c'était pas ça. Y'a beaucoup d'émissions je suis pas d'accord avec elles. Y'a des choses bizarres... en Algérie, des ministres, eh ! ben, ils viennent nous voir là-bas. Et puis quand on est ici, à côté, il n'y a aucun de ces ministres qui vient nous voir. C'est pourtant des rapatriés, là. Bah, aucun. Messmer, quand il était ministre des Armées, Michel Debré, quand il était Premier ministre, ils sont venus plusieurs fois, ils ont salué les harkis, ils ont salué même leurs familles, et là, depuis 1962 qu'on est rentrés ici, il n'y en a aucun qui s'est déplacé, qui est venu nous voir... jamais. Y'en a qui sont vivants et y'en a qui sont morts ».

Par surcroît, mais pour ce qui a trait spécifiquement à la situation des familles "disséminées" (par opposition aux familles regroupées dans des cités périurbaines, notamment dans le sud de la France) le manque de "liant" communautaire surexpose le père au regard d'autrui et accentue potentiellement les effets du stigmate d'infamie, donc le repli sur soi. L'isolement de la famille d'Hassina, le manque de "liant" communautaire, est ainsi une des raisons du mutisme de son père : « On vit dans une ville où il y a très peu de harkis, contrairement à d'autres familles qui étaient parfois regroupées (...) et c'est vrai que ça a généré des réactions assez néfastes (...). [On lui faisait sentir] qu'il était traître de l'Algérie ». Hassina souligne l'importance de l'encadrement ou, symétriquement, de l'absence d'encadrement communautaire dans la manière dont les harkis vivent leur "déchirure" : « C'est quand même lourd à porter, hein, d'avoir combattu contre son pays, et c'est bien ou bien, ou mal vécu, tout dépend de la manière dont la personne est entourée, encadrée, je crois que c'est très important parce que... le cas des harkis qui vivent dans le sud, qui sont très nombreux, qui vivent pratiquement en communauté, est assez différent de celui de mon père qui a vécu assez peu entouré de harkis finalement et qui s'est trouvé toujours confronté au regard de l'Algérien porté sur lui ». Pareillement, François pointe l'existence de silences "préventifs", ajustés à la définition de la situation, notamment dans certaines banlieues « où il y avait essentiellement des maghrébins, donc le père ne l'assumait pas par rapport aux autres, il le cachait, il voulait protéger ses enfants ».

Pourtant, si les modes d'implantation communautaires et les formes de sociabilité qui leur sont associées peuvent contribuer à rendre les Français musulmans rapatriés plus "assurés" d'eux-mêmes ou, tout au moins, plus "hermétiques" aux assignations statutaires dévalorisantes formulées par autrui, ces « réserves d'Indiens » (selon l'expression de Maurice Benassayag, ancien secrétaire d'Etat socialiste aux Rapatriés) que sont les cités-ghettos et autres hameaux forestiers sont vectrices, par la coupure qu'elles créent entre les harkis et le reste de la population, d'autres formes de blocage psychologique. Ainsi, selon Dalila (23 ans), les camps de transit et les hameaux forestiers ont servi à "cacher" les harkis, comme si on avait voulu leur signifier qu'ils devaient se sentir honteux de ce qu'ils avaient fait. Une forme de stigmatisation tacite, "en creux", qui, selon elle, a contribué à culpabiliser les harkis et à les faire se refermer sur eux-mêmes, à taire leur histoire, y compris vis-à-vis de leurs propres enfants : « Ça a contribué à les culpabiliser, le fait d'avoir été cachés comme ça, ça je suis sûre qu'ils en ont conscience, et ça a dû faire que eux-mêmes se sentent coupables, on les a forcés à se sentir coupables (...). C'est peut-être aussi pour ça qu'ils ont tant de mal à en parler. Je suis sûre que ça a une incidence ».

En outre, le regroupement des familles de Français musulmans rapatriés à l'écart du reste de la population, forme de ghettoïsation qui signifiait combien les harkis étaient considérés comme des "Français entièrement à part", a pu conduire ceux-ci à reconstituer un mode de vie communautaire centré autour des traditions d'origine, marque d'un "repli" identitaire sur un mode de vie apolitique ou "a-historique". Ainsi, l'exemple de François, qui a été élevé « autour d'une très forte communauté harkie » dont il souligne qu'elle est « d'origine kabyle », suggère que l'affirmation et la transmission de la "berbérité" par les Français musulmans rapatriés "d'origine kabyle" auprès de leurs enfants, permettent, dans une certaine mesure, de sortir de l'ambivalence créée par le clivage de fait entre racines algériennes et engagement, sinon "pour", du moins "avec" la France ; la référence à la "berbérité", dans son versant coutumier, dégagerait la communauté de l'obligation d'assumer un positionnement dicté par les méandres d'une Histoire qui s'est construite sans eux et quelquefois contre eux, entre nationalisme algérien et intégrationnisme français. De fait, explique François, « pendant longtemps, j'ai pas vraiment su ce que c'était qu'un harki (...) parce qu'on était pratiquement qu'entre nous [entre Kabyles], y compris à l'école où il y avait beaucoup d'enfants de harkis ».

Par-delà la crainte du désaveu (vis-à-vis de ses enfants, de son entourage et de son voisinage plus ou moins immédiat), c'est très certainement la crainte de réveiller ou d'aviver les séquelles héritées de la séquence de guerre et de la période d'après-guerre, de la violence donnée et de la violence reçue, qui explique le mutisme des pères. Les femmes de harkis ne sont d'ailleurs pas exemptes de tels traumatismes, comme en témoigne madame Allem, de Bias, aujourd'hui divorcée :

« Je vis seule dans ma maison, à Bias, avec mon vieux berger allemand. J'ai toujours une machette à portée de main, parce que j'ai peur que les fellagas ou les Chaabs ne viennent m'égorger la nuit. J'ai toujours peur »1438(*).

Symptomatiquement, les premiers travaux universitaires publiés autour de la communauté des Français musulmans rapatriés au cours des années 1970 furent des travaux d'étudiants en médecine. Ceux-ci furent relativement nombreux à choisir comme objet d'étude la population des anciens harkis internés dans des établissements psychiatriques, sans doute en raison de la fréquence anormalement élevée de ces internements. Certes, il nous a été donné de voir que certains chefs de camps usaient desdits internements (ou de la menace d'internement) comme d'une sanction disciplinaire : par suite, nombre d'entre eux peuvent être considérés comme abusifs (voir la Partie 1). Il n'en reste pas moins que le sentiment de culpabilité des pères, ajouté au traumatisme de la guerre et aux douleurs de l'exil, ont acculé nombre d'entre eux à des comportements de fuite de la réalité (alcoolisme), voire à des comportements de démence. Les études, les ouvrages à portée autobiographique (publiés notamment par des filles de harkis : Djami, Zahia Rahmani, Dalila Kerchouche ou Fatima Besnaci-Lancou, par exemple) mais encore les témoignages formels ou informels recueillis dans le cadre de mes propres investigations concordent d'ailleurs sur ce point.

Zahia Rahmani évoque ainsi les crises hallucinatoires chroniques auxquelles son père était en proie avant son suicide ; mais encore la fin brutale de son oncle, ancien harki lui aussi, victime d'une crise de démence aussi bien que du traitement de "choc" (et de chocs) qui lui fut infligé en retour :

« Personne ne supporte cette mort-là [son suicide]. Moze a glissé ! Il ne s'est pas tué, non. Ses amis le pleurent. Allez les voir, il leur manque. Pour eux, il était un héros. Un évadé, un survivant. Nous on l'a vu qui tremblait et qui pleurait, on l'a entendu hurler des noms la nuit, mais eux ils n'en veulent pas de cette mort-là ! Pas cette fin ! Pas lui ! Ce ne sont pas ses amis, ce sont des lambeaux. La mort les ronge depuis quarante ans ! Tout en eux est mort. Ce sont des loques. Aphasiques parmi les vivants ! Et chaque fois que l'un d'eux tombe, ils se retrouvent dans cet état, incrédules ! L'asile d'aliénés est leur seule demeure. Certains y vivent, d'autres y meurent. Le frère de Moze, l'autre frère emprisonné, celui qui comme lui s'est évadé, lui, il y est mort. A peine quarante-huit heures dans un de ces bâtiments et il y est mort. On a relevé cinquante-deux traces de coups et de piqûres sur son corps. Cinquante-deux. Cinquante-deux coups qu'il lui a mis l'hôpital psychiatrique, cinquante deux doses de violence et de substances dégueulasses pour le flinguer »1439(*).

Pour sa part, Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière, dresse un sombre panorama des incidences psychopathologiques de la transplantation puis de l'administration en vase clos des anciens harkis :

« Au niveau de la cité, et des harkis eux-mêmes, j'trouve que... si on... si on fait le point un peu, on a quand même des gens... on a quand même beaucoup de gens malades. J'crois qu'il y a beaucoup de gens qui... tous les harkis, pratiquement, j'crois que... oui, je peux faire le tour, je peux pas en trouver un... j'essaye, malheureusement, de... sauver la mise, j'en vois pas un seul qui... qui n'est pas atteint d'un trouble quelconque. Plus que somatique, je veux dire (...).Et en fin de compte, quand on recherche le... le mal, le responsable, disons, l'origine de ces maux, on s'aperçoit que c'est en fin de compte une blessure qui n'a pas été... qui n'a pas été pansée, au niveau de... de la guerre d'Algérie. Et surtout au niveau de leur arrivée, je crois que la guerre d'Algérie, c'est une chose, mais la phase la plus critique, ça a été leur accueil, l'abandon qui a été fait sur place. Et ensuite leur insertion. J'veux dire, jusqu'aux années 1980, quand même, jusqu'aux années 1981... on pourrait presque dire 1985, mais en étant large, on dira 1981, on n'a absolument pas, au niveau national et au niveau politique, pris en compte les conditions de vie. On s'est pas soucié de qu'est-ce... qu'est-ce qu'ils devenaient, où ils étaient - on les avait parqués, ils étaient là, ils vivotaient, j'crois que quelque part on avait espoir qu'ils s'éteindraient. Tout doucement, et on en entendrait plus parler ».

Mohamed (35 ans), qui vit lui aussi à Largentière, souligne pour sa part combien les contrecoups de ce régime d'exception se jouent des frontières générationnelles :

« Dans cette jungle, soit vous commencez à disjoncter, on en a eu des amis qui ont disjoncté, et... soit vous vous laissez aller, vous devenez fataliste et attentiste, soit vous essayez de vous battre, mais, encore une fois, toujours contre des moulins à vent, parce que y'a personne en face. Y'a personne. Même nos administrations jouent le jeu, tendent à faire que le système soit comme ça. Même nos administrations. Alors, vous, quand demain vous allez crier au loup, vous connaissez l'histoire du loup ? On va vous arrêter tout de suite, pourquoi ? Parce qu'on sait très bien que parmi l'administration, y'a des gens comme ça : vous allez passer pour un malade mental, et vous allez vous faire interner, on en a quatre ou cinq ici, à la cité, qui se sont fait internés, ça fait un taux élevé, des jeunes qui ont pété le "boulard" parce que : pas de travail, rien, rien, mais rien, rien, rien, rien. Les yeux pour pleurer. Rien ».

En outre, les ouvrages précédemment cités - notamment ceux à portée autobiographique - témoignent pour leur compte ou indirectement d'un phénomène longtemps passé sous silence par les anciens harkis eux-mêmes, bien sûr, mais aussi par les enfants, à savoir : la fréquence anormalement élevée des comportements de violence conjugale - voire familiale - au sein de cette communauté, particulièrement dans la promiscuité des camps de transit. Les mains courantes des personnels administratifs de ces camps, rendues publiques par certains de ces auteurs, en donnent d'ailleurs confirmation. Madame Betha, de Mende, a vécu et subi dans sa chair la déchéance d'un mari laminé psychologiquement par la guerre et ses après-coups :

« J'ai tout vécu avec mon mari. La guerre, l'exil, les camps. Quand il est sorti de prison, en 1968, il avait complètement changé. Il buvait, il avait plein de cicatrices sur le corps et il nous battait tout le temps, moi et mes enfants. Je n'en pouvais plus. Alors, j'ai divorcé ». Et elle ajoute : « Puis il a touché des indemnisations ; moi, je n'ai rien perçu, alors que moi aussi j'ai souffert. Moi aussi j'ai tout perdu en Algérie. A lui l'argent, à moi les enfants et la misère. Les femmes de harkis n'ont aucun droit. Elles n'existent pour personne »1440(*).

De même, Madame Haffi, de Bias, n'a pas de mots assez durs pour dire ce que fut le martyre de certaines femmes de harkis, souffre-douleur de maris eux-mêmes voués à l'autodestruction :

« Mon mari était violent. J'ai divorcé en 1975. Il buvait, me frappait, et il m'a tiré dessus deux fois avec sa carabine. Le soir, il rentrait ivre et je m'échappais par la fenêtre avec mes enfants. La guerre d'Algérie l'avait brisé. Beaucoup de harkis ont tué leur femme d'un coup de fusil. Ils avaient des armes parce qu'ils avaient peur du FLN et des Chaabs (Algériens). Et ils étaient portés sur la bouteille parce qu'ils ne travaillaient pas. La guerre les a rendus fous ». Et elle ajoute, à l'instar de madame Betha : « J'ai travaillé aux champs et à l'usine pendant vingt ans. Aujourd'hui, alors que ma vie a été plus dure encore que celle de mon mari, je n'ai pas été indemnisée, je n'ai droit à rien. Moi aussi j'ai subi la guerre comme mon mari. Moi aussi j'ai reçu des pierres quand on a quitté l'Algérie, moi aussi on m'a insultée, moi aussi on m'a enfermée dans des camps. Mais, aujourd'hui, ma vie et ma souffrance n'existent pour personne. Je vis avec 2.800 francs par mois, une misère. Honte sur la France de nous laisser crever comme ça »1441(*).

Cependant, les récits de violence conjugale ou familiale sont restés rares et, au mieux, allusifs au cours des entretiens formels et même informels qu'il m'a été personnellement donné de conduire1442(*). Deux personnes - un garçon et une fille - m'en ont fait part à demi-mot, l'un et l'autre plusieurs années seulement après notre première rencontre. La jeune femme en question est la soeur de Djami, l'auteur de C'est la vie, un récit aux accents parfois naïfs mais traversé de bout en bout par les actes de violence et de démence alcoolique du père1443(*).

Enfin, l'évocation de suicides (ou de tentatives de suicide) des pères, mais aussi des enfants, ponctuent la plupart des récits qui m'ont été faits sur la situation de cette communauté : beaucoup ont eu à subir dans leur entourage, ou à connaître auprès de leurs connaissances, de telles tragédies. Ainsi, Zahia Rahmani a construit son récit à portée autobiographique, un récit enfiévré intitulé Moze (le prénom de son père), en partant du suicide de ce dernier, au sortir d'une cérémonie du 11-novembre1444(*) : « C'est arrivé le 11 novembre. Mais c'est venu bien avant. Vivant, il était mort », écrit-elle à l'entame du Prologue. Elle ajoute presque aussitôt :

« Moze est mort avant sa mort. Ses pleurs, c'était sa mort qui gémissait. Debout, la nuit, dehors, dedans, seul ou avec nous, une affection de larmes. Une mort qui dure. Il n'était que ce débordement sans voix. Un râle, à la manière sourde d'une bouche ouverte. Moze est un supplétif de l'armée française. Il a rejoint ses compagnons d'armes le 11 novembre 1991. A 8 h 30, on l'a vu qui saluait le monument aux victimes de la Grande Guerre. A 9 h 15, deux chasseurs le trouvaient noyé flottant dans l'étang communal. Ses lunettes et son chapeau étaient près de lui »1445(*).

Un fils de harki, Bachir, rencontré au service des rapatriés de la préfecture de Paris, et qu'il m'a été donné de fréquenter régulièrement par la suite, m'a fait connaître plusieurs années après notre première rencontre que son père, après avoir été sujet à des crises de démence durant lesquelles il "revivait" ses guerres (Seconde guerre mondiale, guerre d'Indochine, guerre d'Algérie), a mis brutalement fin à ses jours. Enfin, dans son livre intitulé Mon père, ce harki, Dalila Kerchouche rapporte le suicide d'un de ses frères, incapable de trouver sa place dans la société d'accueil.

Autant de fléaux qui, à l'évidence, traduisent la difficulté des pères à assumer leur destinée et/ou à panser leurs plaies : une violence "rentrée", exercée contre soi ou contre les siens, clair aveu d'impuissance face à la situation qui leur est faite, en France et en Algérie, depuis la fin de la guerre. Cette forme de sidération au long cours, Moze, le père suicidé de Zahia Rahmani, l'exprimait à sa façon, de son vivant : d'après sa fille, son insulte préférée était « visage de soixante-deux », ce qui - bien plus que de longs discours - dit la fixation devant l'horreur et dans la douleur. De même, Mohamed, qui préside à Largentière l'association des anciens harkis et de leurs enfants, nous a dit avoir la sensation singulière d'être « mort en 1962 » :

« A quoi pensiez-vous, Mohamed, lorsque vous étiez sur le bateau entre l'Algérie et la France ? Vous vous en rappelez ?

- Euh... c'était fini, quoi. Déjà, en Algérie, on a déjà pensé qu'on était morts en 1962. (...) On attend encore la mort, maintenant, que...que la mort elle arrive, quoi

- A ce moment-là, vous n'avez pas regretté de vous être engagé ?

- Oui, mais en tout cas moi personnellement, je suis mort en 1962. Pour moi, c'était la fin.

- C'était trop dur à vivre l'exil ?

- Voilà. Je suis mort en 1962. Pour les jeunes qui sont nés ici, encore... mais pour nous... on a pas là-bas, ni ici ».

Ainsi, quelles qu'en soient les manifestations, la force de l'interdit au sein de la sphère familiale - repli mutique, sidération ou, plus rarement, violence retournée contre soi et les siens - signe l'impuissance des pères à faire face aux affres de la réminiscence. Cependant, souligne Vincent de Gaulejac, « le silence qui accompagne la honte n'est pas seulement produit par la difficulté d'en parler : il est aussi fonction des résistances à la recevoir »1446(*). Par souci de ne pas transgresser le tabou paternel, mais aussi d'éviter le conflit, les enfants n'osent que rarement faire le premier pas et solliciter directement l'expression d'une parole qui, spontanément, se dérobe. Or, derrière les frustrations identitaires "rentrées" de la génération suivante se profile, parfois, l'ambivalence des sentiments filiaux.

- 2. La résistance à la recevoir (du côté des enfants) : l'évitement du conflit ou la délicate transgression du tabou paternel

Très tôt, la force de l'interdit est "intuitivement" perçue par les enfants de harkis qui s'abstiennent d'interroger, de questionner leur père des années durant :

« On a senti que c'était quelque chose dont il ne fallait pas parler parce que c'était une blessure qui n'était pas encore pansée et que c'était quelque chose qu'il refusait de divulguer, quelque part, à ses enfants. On sentait... en fait, c'était presque intuitif » (Hassina).

Le respect du tabou paternel est corrélatif du souci des enfants de harkis de ne pas générer le conflit avec leur père, fût-ce au prix de leur équilibre personnel :

« Je suis d'une génération où les questions ne se posent pas à un père. Y'a quand même des valeurs humaines, des valeurs chez nous qui sont le respect et... et ça on ne peut pas passer outre, c'est impossible. Encore jusqu'à aujourd'hui je... j'ai beaucoup, beaucoup de respect même si... même si j'ai mal vécu à cause de lui (...) » (Dalila, 37 ans).

Hassina s'est longtemps refusée à faire oeuvre de connaissance à propos de l'histoire des harkis. Non pas qu'elle ne voulait pas savoir, mais elle ne cherchait pas à savoir, respectant en cela le silence de son père, sa fêlure intérieure :

« Je ne faisais pas l'effort d'aller chercher... je refusais en fait. Je savais que c'était quelque chose qui faisait peur... qui faisait mal à mon père et je ne voulais pas plonger dans cet univers ».

Pour sa part, Ahmed se refuse absolument à se mettre dans une position telle qu'elle l'amène à se poser en juge de son père, et qu'elle amène son père à se sentir jugé par son propre fils, ce qui, s'ajoutant aux pressions l'environnement social, ne lui laisserait aucun refuge, aucun espace de repli :

« Je lui parle de l'Algérie, mais je lui parle pas de cette époque là, parce qu'on a tout fait pour leur faire croire qu'ils avaient... j'veux dire, à partir du moment où la décision d'aller vers l'indépendance a été prise, on a plus voulu entendre parler d'eux... et moi, quelque part, je veux pas l'emmerder : s'il a envie d'en parler avec moi, on en parle... en tout cas, moi je dirai jamais que nos parents c'est des traîtres... et, quelque part, le fait d'en parler, ça suppose que je me pose des questions, j'sais pas... c'est facile de dire aujourd'hui que nos parents c'est des traîtres, c'est ceci ou c'est pas ceci... j'veux dire, nous on jamais connu une guerre, on ne sait pas ce que c'est, donc c'est facile de parler. Moi, je dis qu'il a agi au mieux pour l'intérêt de sa famille. En tout cas, je le questionne pas ».

De même, pour Hassina, refuser de forcer les non-dits de son père, c'est aussi une manière de ne pas se mettre en position de juger et, ce faisant, de ne pas générer en elle un « autre conflit », un conflit de "loyauté" :

« En fait, je voulais que ce soit un apport extérieur, et pas que ça vienne de moi. En fait, pas que ça vienne de moi parce que (...), quelque part, c'était générer un autre conflit pour moi (...) ».

Ainsi, la résistance à recevoir, l'acceptation du "non-dit" ou du "moins-disant", pour frustrantes qu'elles soient, peuvent être pour les enfants, dans un premier temps du moins, les solutions qui apparaissent les moins lourdes de conséquences. Car quérir cette parole interdite, c'est risquer d'être à son tour exposé au dilemme consistant soit à devoir assumer cet héritage pour ne pas trahir (intériorisation), soit à le rejeter sciemment pour ne pas devoir subir - par procuration, en quelque sorte - les avanies de l'environnement social, au risque de se poser en juge de moralité à l'égard de ses parents (forclusion). Dilemme difficile à trancher à l'adolescence, et qu'une attitude de retrait volontaire, de non-transgression du tabou paternel, permet de "fuir" momentanément au risque de constituer une entrave au processus d'autonomisation.

Certains, pourtant, osent transgresser l'interdit au risque de susciter un rapport de force filial et de se heurter à une claire fin de non-recevoir :

« Quand ma mère nous racontait, nous on voulait en savoir plus, surtout moi et mon frère, et on essayait de... forcer mon père à raconter, mais comme lui il est pas très communiquant (...). Lui, je pense qu'il préfère et qu'il préférait oublier, et pourtant on lui pose des questions et il s'énerve un peu parce qu'il a pas envie de revenir en arrière, quoi » (Jacqueline).

Le père de Dalila (23 ans), pressé par sa fille de lui en dire davantage, exprime lui aussi de la réticence à revenir sur son passé, à établir un dialogue avec ses enfants à ce sujet :

« Il me le dit lui-même : j'ai pas trop envie d'en parler, c'est du passé, je préfère pas y penser ».

Cette difficulté à forcer les « réserves du moi » paternelles est une entrave dans la recherche d'identité de l'adolescent :

« Ça restait un sujet tabou à la maison (...). Je ne sais pas s'il voyait qu'on était en train de rechercher une certaine identité, je ne sais pas s'il concevait tout ça » (Hassina).

Inévitablement, l'inhibition du jeu des questions-réponses relatives à la mémoire familiale est génératrice de frustration identitaire. C'est Dalila (23 ans) qui, constamment, fait le premier pas, va vers son père, lui pose des questions ; elle a toujours été très frustrée par ses réponses, et l'est encore aujourd'hui :

« Ça me manque énormément, c'est pour ça que je vais tout le temps vers lui (...). Ce week-end encore on en discutait, je lui posais des questions (...). En fait, c'est quelque chose auquel je pense souvent ».

Même frustration, même incompréhension chez Karim, qui n'a de cesse de sonder les arcanes du silence de son père :

« Tu te dis : «Mais merde !» ; ton père il a fait ceci, il a fait cela, il t'en a jamais parlé, c'est toi qui t'en es... au devant, pour essayer de comprendre, pour essayer de cerner ce problème-là, le problème des harkis (...) ».

Ce sentiment d'incomplétude est d'ailleurs susceptible de nourrir l'ambivalence des sentiments filiaux, comme en témoigne Pierrette, citée par Mohamed Kara :

« Beaucoup de parents n'expliquent pas à leurs enfants pourquoi ils ont fait ce choix. Moi, je sais que quand je ne savais pas, quand je ne connaissais pas l'histoire, des fois je me disais après tout, si je me mets à la place d'un immigré, est-ce que je ne vais pas me dire finalement que c'est des traîtres ? ».

Ainsi en va-t-il également de Karim, dont nous avons vu la frustration :

« Moi, dans la vie... j'ai eu une déception : c'est mon père. Pour moi c'est une déception : pourquoi il nous a pas raconté son... son "bordel", quoi ?! Pour moi c'est un bordel : ce qu'il a vécu, pourquoi il a fait ce choix, pourquoi ceci, pourquoi cela... non. Et ça restera toujours un secret (...). Simplement, je pars d'un principe : on vient au monde, tôt ou tard tu pars, mais vaut mieux laisser des traces avant que tu partes (...). Mon père, j'te dis franchement, je l'ai mis de côté, quoi (...). J'veux dire, j'ai un père qui a toujours gardé, gardé, gardé... et il est malheureux : «Vas-y, garde, garde, garde, et tu es malheureux à force» » (Karim).

B. « Le manque du père de l'avoir introduit au monde » (Jacqueline Palmade) : un obstacle à la « dynamique de l'appropriation » (Jean-Pierre Terrail)

Selon Edmond-Marc Lipiansky, il existe tout un faisceau d'étayages mutuels entre l'identité personnelle et la groupalité. Le groupe comme totalité constitue un objet d'identification sur lequel l'individu peut appuyer son identité :

« L'identification procède d'abord d'un mouvement allant de l'entourage vers l'enfant : c'est l'entourage qui lui apprend quelle est sa place dans la société (...). L'enfant intériorise peu à peu ses groupes d'appartenance, les "nous" auxquels il participe ; ces "nous" s'inscrivent dans une stratification sociale où ils se situent les uns par rapport aux autres, dans des rapports de pouvoir et dans une histoire qui a déposé dans la mémoire du groupe tout un ensemble d'événements, d'expériences, de modèles et de représentations »1447(*).

La réactualisation permanente de la conscience de soi par le récit - de soi à travers le roman des origines du groupe - constituent des conditions essentielles du maintien et de la réappropriation, d'une génération l'autre, de noyaux identitaires spécifiques à chaque communauté. La fonction du récit identitaire est de rendre normal, logique, nécessaire, inévitable, le sentiment d'appartenir, avec une forte intensité, à un groupe. « L'identité est en dernière instance un effet d'énonciation », écrit Edmond-Marc Lipiansky : « L'identité naît de l'affirmation qui la pose »1448(*).

En ce sens, le "non-dit" au sein de la sphère familiale est un obstacle à la dynamique de l'appropriation. La parole euphémique des pères, conséquemment la précarité de l'ancrage identitaire des enfants de harkis, provoquent, nous l'avons dit, un « brouillage des catégories servant à se définir et à définir les autres » (Claude Dubar). L'espace transitionnel entre soi et le monde est envahi par le doute et la confusion. Ce "malaise dans la filiation"1449(*), cette mémoire en déshérence, refoulée par les pères, quêtée par les enfants, serait un obstacle tant à l'épanouissement individuel des fils et des filles de harkis (en tant qu'il entrave la recherche d'une identité personnelle assumée) qu'à l'émergence d'une conscience collective, spécifique de la deuxième génération de harkis. Claude Dubar :

« L'identité de quelqu'un est ce qu'il a de plus précieux : la perte d'identité est synonyme d'aliénation, de souffrance, d'angoisse et de mort »1450(*).

Précisément, l'appropriation de la mémoire dans une visée de construction identitaire, la constitution d'un référentiel d'identité spécifique de la deuxième génération de harkis sont rendues délicates par l'indétermination de l'héritage mémoriel des pères :

« On a jamais pensé à la deuxième génération qui... bien plus que le harki a donné parce que... c'est pas facile d'être dans un pays étranger et de grandir sans repères, sans rien (...). Ceux qui sont aujourd'hui complètement déphasés, qui sont encore dans des camps, ceux qui... ben, qui n'ont plus de raison, parce qu'il y en a beaucoup qui se disent ça. Parce que moi j'en connais personnellement qui... qui ont des maisons, qui ont réussi leur vie, et tout, mais dans leurs têtes ça va pas du tout, puis ça n'ira pas ; ça n'ira pas parce qu'ils ont pas grandi avec... une réponse, avec... les parents n'ont jamais rien dit ; jusqu'à aujourd'hui, ils posent toujours la même question, à savoir : qu'est-ce qu'un harki ? Ils ne le savent pas » (Dalila, 37 ans).

Pour Dalila (23 ans), qui ne trouve pas dans l'attitude élusive de son père le point d'ancrage souhaité, la question de son identité a été très tôt - dès l'âge de dix ans - source d'incertitude (« Est-ce que je suis Française ? Est-ce que je suis Algérienne ? Est-ce que je suis Arabe ? Qu'est-ce que je suis ? ») et d'anxiété (« Je suis Arabe, je suis pas Française, c'est pas possible, qu'est-ce qu'on fait là ? On devrait être là-bas, c'est pas normal... ») :

« Quand j'étais petite, quand j'avais dix ans, [mon père] me posait la question pour plaisanter : «Est-ce que t'es Arabe ou Française ? Comment est-ce que tu te considères ?» (...). Et moi je répondais toute fière : «Mais je suis Arabe ! Je suis pas Française...» ».

De même pour ce fils de harki anonyme, interrogé par Mohand Hamoumou, qui dit « [avoir longtemps] vécu et grandi avec plus de questions que de réponses » :

« Longtemps, je me suis demandé si nos parents n'avaient pas perdu la mémoire. Il nous manquait à nous les enfants des morceaux de notre histoire. Pourquoi étions-nous là ? Pourquoi avions-nous un prénom français, une carte d'identité française, pas d'idée de retour en Algérie ? Pourquoi nous ne répondions pas aux attaques, aux insultes parfois de certains Algériens ? Je ne comprends pas pourquoi les immigrés pouvaient venir librement en France et que nos pères ne pouvaient pas aller librement en Algérie. Pourquoi le gouvernement français acceptait tout ça ? »1451(*).

A l'adolescence, l'absence de "réponse", le manque de repères, troublent et désorientent l'appréhension de soi des enfants de harkis, plus encore lorsque, à l'instar de Mohamed1452(*) (42 ans1453(*)), on est orphelin de père (en l'occurrence, à la suite d'un accident du travail) :

« (...) quatorze ans jusqu'à dix-huit ans paumé, complètement paumé, très sincèrement je me demandais comment je pourrais vivre, comment j'allais pouvoir retrouver des références par rapport au pays dans lequel je vivais, c'est-à-dire la France, et on a eu des moments de doute, très forts (...) ».

Hassina, à l'âge charnière de la fin de l'adolescence, à l'heure où la quête de l'autonomie passe par la prise de conscience de soi, a elle aussi traversé une crise identitaire majeure, au point de se sentir « perdue », sans repères :

« J'ai eu de gros problèmes d'identité vers l'âge de 18-20 ans (...). Te sentir perdu, c'est... y'a pas plus grave dans la vie, hein ».

Parce qu'inassouvie, dans l'enfance et à l'adolescence, par l'identification à la figure évanescente du père, la quête identitaire des enfants de harkis doit se re-construire tout au long de la vie :

« Mes frères et soeurs, quand je dis mes frères et soeurs c'est mes compatriotes de la deuxième génération (...), ils ont aucune pensée, quoi, (...) disons qu'ils fuient... c'est : «Je fuis mon identité», quoi, «je suis mal dans ma peau» ; je peux te dire, j'ai été mal dans ma peau jusqu'à l'âge de... 25 ans (...). Et surtout, ça c'est clair, c'est grave. Y'a des moments où tu te dis : «T'as pas d'identité» (...). Même maintenant, même maintenant j'ai pas d'identité. Même maintenant, je m'appelle Karim mais j'ai pas d'identité » (Karim).

De même, jusqu'à aujourd'hui, Dalila (23 ans) peine à se définir et à définir ses attaches :

« Je me sens française mais... pas tant que ça en fait ; pas tant que ça parce que j'ai pas l'impression de partager un passé avec la France (...). En France, y'a pas mes racines ».

K.D. Bouneb a souligné dans ses travaux la difficulté qu'ont les enfants de harkis à s'identifier à une communauté nationale précise : « Le territoire Français Musulman ne se définit pas par un espace géographique tangible, mais beaucoup plus par une condition historique comme l'a très bien souligné un jeune qui a participé à l'enquête : «Nos parents ont été foutus dehors, on n'a pas de pays, il faut qu'on s'en invente un» »1454(*). Issus d'une diaspora sans attaches ni terre promise, « les enfants de harkis, (...) ballottés entre une identité française et une identité algérienne, revendiquent assez souvent une identité qui n'est ni l'une ni l'autre, ils réclament une identité autre »1455(*).

Le sentiment d'appartenir à une communauté sans lieu à soi, donc sans influence et sans existence réelles (au sens de tangibles) est très répandu chez les enfants de harkis :

« En fait, c'est comme si vous existiez pas, vous avez pas de pays, des fois on se dit : «Mince ! On a pas de pays», quoi, on est des apatrides, on flotte entre deux pays, on est rejetés d'un côté et d'un autre » (Jacqueline) ; « C'est ça le problème : c'est qu'on n'a ni la France, ni l'Algérie, on n'a rien, on est seuls. On n'a pas d'Etat, on n'a pas d'états d'âme, donc on n'existe pas » (Régika).

« Les enfants de harkis, écrit K.D. Bouneb, ont en commun un sentiment d'appartenir à un groupe particulier, et cela quel que soit le lieu où ils vivent dans l'Hexagone. Ils se définissent comme : «ni Algérien, ni Français», ils sont "autres"1456(*) ; et l'auteur de s'interroger : « Ce sentiment d'appartenance à une communauté particulière peut-il subsister et se transmettre, tout en prenant des formes spécifiques, sans lien affectif avec un territoire, comme cela s'est produit pour les Tziganes ? »1457(*). Karim spécifie lui aussi la deuxième génération par référence à une « culture sans patrie » :

« (...) quand je dis nous sommes confrontés à trois cultures : il y a la culture française (...) ; tu as la culture maghrébine ; et la troisième culture, pour moi, c'est une culture sans patrie, sans patrie... c'est très grave. C'est culture... oubli, dans l'oubli, on est oubliés, quoi (...). J'ai toujours dit : le harki, c'est comme le Tzigane, c'est comme le Gitan : on n'a plus de patrie (...). Sans papiers. Sans identité (...). Sans patrie. Fils de harki sans patrie, ça... c'est la vérité : Gitan sans papiers, voilà. Ouais, voilà, on est des Manouches, quoi : ghettos, bidonvilles... parqués ».

Ainsi, la France, de terre d'exil des Français musulmans rapatriés, n'a su devenir, sur le plan affectif, mère patrie de la deuxième génération, d'où cette impression d' « avoir vécu en France sans vivre en France » lorsque, à l'instar de Mohamed (42 ans), on a passé sa jeunesse dans une « cité-ghetto » ; de là, également, cette impression de « ne pas exister » (aux yeux d'autrui) lorsque, comme Dalila (37 ans), on se heurte à l'indifférence de l'environnement social, qui se surajoute aux non-dits paternels :

« Lorsqu'on est venus à l'âge adolescent, on a regardé ça plutôt sous forme de ghetto que... qu'un camp d'urgence (...). La ville la plus proche c'était Largentière, et il fallait descendre là, à six kilomètres, pour rencontrer une personne étrangère à la communauté harkie, donc... c'est vrai que c'est quelque chose qui est très lourd, qui est très difficile à admettre, dans la mesure où on vivait en France sans vivre en France, hein, on était marginalisés déjà géographiquement » (Mohamed, 42 ans) ; « Pour l'instant, c'est pas le harki le plus fort, hein, parce que, ben, le harki il est tout seul, il a pas de gouvernement derrière, il a absolument personne, donc... il a même pas son identité pour se révéler, c'est ça le problème (...). Nous, nos parents, ils nous ont pas raconté parce qu'ils avaient honte. Mais les petits Algériens qui sont nés en Algérie, les immigrés qui sont arrivés, hier on leur a raconté, hein, on leur a raconté l'histoire de... de l'Algérie, parce que c'est chez eux, hein, mais nous on est arrivés en France : qu'est-ce que vous voulez qu'un instituteur français aille nous raconter ? Il peut pas. Il nous a pas... donc on n'existe pas, on ne sait rien finalement, on nous a ramenés dans une terre... qu'on ne connaît pas déjà, et on nous a pas dit pourquoi : on a grandi sans le savoir (...). Et personne ne [nous] dira, et les médias on dirait... ils nous boudent pas, mais quelque part ils nous en veulent. Quelque part tout le monde nous en veut. Quelque part on nous en veut beaucoup. Bon, vous êtes fort ou vous ne l'êtes pas. Vous le supportez ou vous ne le supportez pas. Mais c'est comme ça » (Dalila, 37 ans).

Même ressenti chez Mohamed (35 ans), qui constate avec amertume qu'être fils de harki, aujourd'hui, ramène surtout à un sentiment de vacuité :

« C'est une position qui est très délicate d'être fils de harki aujourd'hui. Ça ne veut rien dire pour la plupart des gens. (...) Parce que même dans les livres d'histoire pratiquement rien n'apparaît. (...) Au lycée ou même à l'école... quand vous apprenez l'histoire, c'est pas celle-là que vous apprenez, hein, non ! On l'a écrite avec notre sang, mais celle-là elle est plus qu'occultée, hein, elle existe pas, à croire que certains hommes politiques ont arraché les feuilles de... de cette ère, c'est peut-être le cas. (...) Au niveau de la parole, qu'est-ce que nous sommes ? On représente une petite partie de la France, petite, mais alors, partie infime, rien. Rien. On n'est rien, nous, sur l'échelle de la France, on est un petit pion, une petite goutte dans l'océan ».

Parfois, le désir de ne plus être les otages de la destinée insondable de leurs parents, le désir de ne plus être prisonniers de questions sans réponses, nourrit chez les enfants de harkis le rêve inaccessible d'un nouvel exil, volontaire celui-là, hors les contingences de l'histoire :

« Parce que quand tu penses... tu te dis, ton père : il a fait ça, il a fait ça, il a fait ça... quand tu vois des documents, quand tu bouquines, quand tu te documentes, tu te dis : «Putain, c'est pas possible, c'est pas possible...». Tu te retrouves RMIste en France (...), parqué dans un ghetto, euh... et les gens, en plus, racistes vis-à-vis de toi... Pourquoi ? J'aurais dû rester Algérien, j'aurais dû prendre le drapeau pas bleu-blanc-rouge, non, non, le vert. J'aurais dû prendre le drapeau blanc-vert avec le croissant de lune et l'étoile. Moi si je pouvais m'exiler ailleurs, franchement, si je pouvais brader ma nationalité, je la braderais. Pas... pas pour un pays africain, hein, mais pour un pays comme le Canada, l'Australie, euh... La nationalité australienne ? Ou canadienne ? Ah ! Je brade ma nationalité, la vérité. Là je dis : «Tchao la France !». C'est dommage de parler comme ça parce qu'en plus la France c'est le plus beau pays du monde. C'est dommage d'en arriver à penser comme ça » (Karim) ; « (...) quelque part, quand on y pense, on se dit : «Qu'est-ce que je fous là ?». Moi, personnellement, je voulais changer de nationalité et partir » (Jacqueline).

Le discours identitaire est tout autant un discours sur l'autre, ou les autres, qu'une proclamation de soi. « Il est comme le rêve d'un Soi magnifié par le contraste de l'Autre », écrit Denis-Constant Martin1458(*). En l'espèce, la pauvreté relative de l' « information sociale »1459(*) communiquée par les Français musulmans rapatriés à leurs enfants, le défaut de transmission de "symboles de prestige", ou "symboles de statut", surexposent la deuxième génération aux "symboles de stigmate", c'est-à-dire aux signes dont l'effet spécifique est d'attirer l'attention sur une faille honteuse dans l'identité de ceux qui les portent »1460(*). Or, l'individu stigmatisé qui présente à autrui un moi "précaire" s'expose à l'injure et au discrédit dans l'ordinaire des relations sociales. Il se révèle vulnérable aux assignations statutaires formulées par autrui et peu apte à soutenir un discours offensif : l'énergie investie dans l'affirmation de soi s'épuise le plus souvent dans la dénégation ou le contournement des offenses stigmatisantes.

II. La construction routinière du rapport « Nous / Eux » ou la difficulté d'être soi dans l'ordinaire des relations sociales

Selon Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, « des processus de valorisation et d'invalidation traversent continuellement les relations sociales »1461(*). Le jeu des assignations statutaires participent de ce que ces auteurs appellent « la lutte des places ». Les contacts impersonnels entre inconnus, en particulier, sont le lieu d'élection des réactions stéréotypées : « Le maniement du stigmate n'est qu'un rameau d'une activité fondamentale dans la société, à savoir le stéréotypage, le "profilage" de nos attentes normatives quant à la conduite et au caractère d'autrui »1462(*). Symétriquement, le sujet n'accède à la conscience de son identité que dans un rapport à autrui où il dépend intrinsèquement de l'autre pour sa propre définition ; autrement dit, l'identité d'un individu dépend autant des jugements d'autrui que de ses propres orientations et définitions de soi. Erik H. Erikson :

« L'individu se juge lui-même à la lumière de ce qu'il découvre être la façon dont les autres le jugent par comparaison avec eux-mêmes et par l'intermédiaire d'une typologie, à leurs yeux significative ; en même temps, il juge leur façon de le juger, lui, à la lumière de sa façon personnelle de se percevoir lui-même, par comparaison avec eux et les types qui, à ses yeux, sont revêtus de prestige »1463(*).

Cette description cherche à mettre en lumière l'interaction étroite entre l'identité pour soi et l'identité pour autrui, l'appréciation personnelle et la comparaison sociale. A cet égard, Erving Goffman a souligné que l'un des enjeux fondamentaux de l'interaction sociale était la "face" que chaque protagoniste s'efforce de présenter et de faire reconnaître - la face étant la valeur sociale positive, l'image de soi, qu'une personne revendique à travers la ligne de conduite qu'elle adopte dans les relations sociales où elle est engagée ; l'identité sociale désigne donc la représentation de soi que le sujet cherche à construire et à donner dans les interactions où il est impliqué, représentation qui demande à être confirmée et reconnue par autrui.

« La notion d'identité parle d'un être et d'autres, donc des rapports entre celui-ci et ceux-là », écrit Denis-Constant Martin1464(*). Claude Dubar affirme, lui aussi, la dualité dans le social de la définition de l'identité. Identité pour soi et identité pour autrui sont à la fois inséparables et liées de façon problématique : inséparables puisque l'identité pour soi est façonnée par d'autres regards et conditionnée par la reconnaissance qu'ils lui offrent (je ne sais jamais qui je suis que dans le regard d'autrui) ; liées de façon problématique car je ne peux jamais être sûr que l'idée que je me fais de mon identité coïncide avec celle qu'autrui s'en fait. « L'identité, écrit Claude Dubar, n'est jamais donnée, elle est toujours construite et à (re)construire dans une incertitude plus ou moins grande et plus ou moins durable »1465(*). Et il ajoute : « Il n'y a pas de correspondance nécessaire entre l'identité prédicative de soi qui exprime l'identité revendiquée par une personne singulière conformément à son histoire vécue individuelle et les identités attribuées par autrui, qu'il s'agisse des identités numériques qui vous définissent officiellement comme être unique ou des identités génériques qui permettent aux autres de vous classer comme membre d'un groupe, d'une catégorie, d'une classe »1466(*).

Claude Dubar appelle actes d'attribution ceux qui visent à définir « quel type d'homme (ou de femme) vous êtes », c'est-à-dire l'identité pour autrui : l'attribution de l'identité par les institutions et les agents directement en interaction avec l'individu « ne peut s'analyser en dehors des systèmes d'action dans lequel l'individu est impliqué et résulte de "rapports de force" entre tous les acteurs concernés et de la légitimité - toujours contingente - des catégories utilisées (...). Le processus aboutit à une forme variable d'étiquetage produisant ce que Goffman appelle les «identités sociales virtuelles» des individus ainsi définis »1467(*) ; et l'auteur appelle actes d'appartenance ceux qui expriment « quel type d'homme (ou de femme) vous voulez être », c'est-à-dire l'identité pour soi : les actes d'appartenance « ne [peuvent] s'analyser en dehors des trajectoires sociales par et dans lesquelles les individus se construisent des "identités pour soi" qui ne sont rien d'autre que «l'histoire qu'ils se racontent sur ce qu'ils sont» [R.-D. Laing, Le soi et les autres, Paris, Gallimard, 1971, p.114] et que Goffman appelle les «identités sociales réelles». Celles-ci utilisent aussi des catégories qui doivent avant tout être légitimes pour l'individu lui-même et le groupe à partir duquel il définit son identité pour soi »1468(*). Claude Dubar fait de l'articulation entre les systèmes d'action prescrivant des identités virtuelles d'une part, les "trajectoires vécues"1469(*) au sein desquelles se forgent les identités réelles auxquelles adhèrent les individus d'autre part, la clé du procès de construction des identités sociales.

En l'espèce, le trouble né, au sein du noyau familial, de l'introversion des pères et de l'élision précoce du sentiment de filiation est redoublé, de l'extérieur, par des actes d'attribution contradictoires quant à la manière dont les autres (dé)considèrent les fils et les filles de harkis : tandis que les uns, déniant la spécificité de l'héritage mémoriel des intéressés, s'articulent autour de préjugés socioculturels et tendent à réduire les enfants de harkis à leur seule maghrébinité, les autres, à l'inverse, soulignant la spécificité de cet héritage pour mieux la flétrir, se focalisent sur le choix des pères en faveur de la France durant la guerre d'Algérie, et tendent à faire de ce choix une sorte de "tare morale" indélébile et transmissible d'une génération l'autre. Dans Stigmate, Erving Goffman identifiait, pour les distinguer, la situation de l'individu discrédité par son « appartenance à un groupe tribal stigmatisé » et, d'autre part, la situation de l'individu discrédité par « la présence chez les parents d'une tare morale contagieuse »1470(*). Or, précisément, la caractéristique première de la « ronde journalière »1471(*) des enfants de harkis est qu'elle met simultanément en jeu « l'appartenance à un groupe tribal stigmatisé » (gestion des marqueurs superficiels de l'origine - couleur de peau, patronyme, etc. - vis-à-vis du groupe majoritaire) et « la présence chez les parents d'une tare morale contagieuse » (gestion des attributs biographiques intimes - et notamment la qualité de fils ou de fille de harki - vis-à-vis des populations issues de l'immigration). Il y a donc là une géographie duale des logiques routinières de la stigmatisation autour de la communauté harkie.

Il en ressort qu'à la difficulté éprouvée par les enfants de harkis à cerner cet autrui significatif qu'est le père, s'ajoute, vis-à-vis de cet autrui généralisé que sont les composantes du corps social extérieures au groupe d'appartenance, la délicate gestion du stigmate : à qui les enfants de harkis doivent-ils des informations sur leur identité réelle étant entendu qu'ils sont a priori et quotidiennement exposés, en vertu ou plutôt à cause de leur "faciès", au « stigmate tribal » et confondus par le groupe majoritaire avec ceux-là mêmes (les enfants d'immigrés) qui, paradoxalement, s'ils venaient à découvrir leur identité intime, seraient susceptibles de stigmatiser les attributs mémoriels jugés infamants que les fils et les filles de harkis ont "hérités" de leurs pères ?

Par "construction routinière du rapport Nous / Eux", c'est précisément cette « problématique des relations intersubjectives vécues » que nous entendons aborder, en la saisissant moins à travers le jeu des déterminismes sociaux qu' « à travers un ensemble de discours et de pratiques empiriquement observables », ainsi que nous y invite Eric Landowski1472(*). De la sorte, toujours en suivant Eric Landowski, nous entendons aboutir à « la construction d'une problématique à caractère opératoire concernant les relations et les stratégies identitaires entre individus ou entre groupes sociaux »1473(*).

Il nous faudra d'abord examiner « le cycle des événements ordinaires qui limitent l'acceptation par la société de l'individu «discrédité» »1474(*), en s'attachant à distinguer entre les sources, contours, fonctions et effets sur l'individu de ces mécanismes d'assignation statutaire dévalorisants (section A).

Il nous faudra ensuite faire état des « difficultés qu'éprouve l'individu «discréditable» à contrôler l'information sur lui-même »1475(*) en rendant compte des techniques d'ajustement ou stratégies d'accommodation dont il use routinièrement pour "faire avec" ces catégorisations ou exo-définitions de soi. En d'autres termes, il nous faudra rendre compte de ses capacités d'adaptation dans un environnement stigmatisant. Il s'agira précisément d'analyser la façon dont les enfants de harkis, confrontés à une insécurité identitaire permanente (c'est-à-dire à une incertitude quant à ce que sera l'attitude - de rejet ou bien d'acceptation - d'une nouvelle connaissance), manient l'information personnelle au cours des interactions de la vie quotidienne : « Ce qui se révèle de l'identité sociale d'un individu à chaque moment de sa ronde journalière et aux yeux de tous ceux qu'il y rencontre ne peut manquer d'être pour lui d'une très grande importance », souligne Erving Goffman. (...) L'information quotidiennement disponible sur soi-même est la seule base de départ possible lorsqu'il s'agit de décider quelle tactique adopter à l'égard de son stigmate, quel qu'il soit »1476(*) (section B).

A. L'infirmation de soi dans le regard d'autrui ou la surexposition des enfants de harkis aux exo-définitions de soi

Les représentations sociales - dogmes, préjugés, stéréotypes - visent à « situer les individus dans des rapports sociaux et à légitimer cette place ». Les stéréotypes, en particulier, « définissent des places sociales » et « imposent aux individus une image d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent éluder » (Vincent de Gaulejac). L'identité se constitue dans une relation soi-autrui où le regard de l'autre tient une place fondamentale. Ainsi, selon Alex Mucchielli, qui définit l'identité sociale comme la somme de toutes les relations d'inclusion ou d'exclusion par rapport à tous les groupes constitutifs d'une société, « on possède autant de facettes du Moi social qu'il y a d'opinions émises par les autres » : « Outre l'ensemble des énoncés que le sujet peut produire sur lui-même pour se définir, il faut intégrer dans la définition totale de l'identité - au sens général - l'ensemble des identités partielles, énonçables sur le sujet. Le nombre des identités partielles est élevé, car chaque partenaire et groupe peut avoir sa définition du sujet. Autant dire qu'en ce sens l'identité est difficile à atteindre »1477(*).

Ainsi, "l'identité totale" (Alex Mucchielli) de l'individu et/ou du groupe intègre, outre l'identité subjective (ou identité auto-attribuée), les identités attribuées de l'extérieur, c'est-à-dire les différentes définitions que les autres donnent de l'individu et/ou du groupe en question. La conscience de soi est aussi fondée sur la capacité à appréhender et "ré-élaborer" l'attitude d'autrui envers soi : l'individu peut s'éprouver lui-même en se plaçant aux divers points de vue des autres individus avec lesquels il entre en relation ; il se juge lui-même à travers le regard supposé des autres. Ainsi, pour G.H. Mead, être conscient de soi, c'est essentiellement devenir un "objet" pour soi, y compris - et surtout - en vertu ou à l'aune de ses relations avec les autres individus :

« Jusqu'à... il y a très peu... il y a cinq ans, je ne m'étais jamais posé la question : être fille de harki, ou pas... non, je vivais sans me... sans me poser de questions, sans me justifier, parce que déjà j'ai pas à me justifier, hein, mon père... il a fait ce qu'il a fait, mais j'ai commencé à me poser des questions quand j'ai commencé à entendre que le harki c'était un traître, le harki c'est ceci, le harki c'est cela... » (Dalila, 37 ans).

La notion de "soi reflété dans un miroir" ("the looking-glass self"), élaborée par Cooley, traduit le fait que le sujet s'imagine dans le regard d'autrui et anticipe les jugements que les autres peuvent porter sur lui. Ce jugement rétro-projeté - cette image de soi dans le regard d'autrui - influence constamment la conscience de soi et les sentiments qui lui sont liés (fierté, gêne, honte...).

En l'espèce, nous l'avons dit, le "Moi social" des enfants de harkis est le produit contradictoire d'une double influence. D'un côté, le sentiment d'appartenance des enfants de harkis - même et surtout s'il est faiblement étayé par la dynamique des générations au sein de la cellule familiale - se heurte de prime abord à la tyrannie des apparences (l'indifférenciation phénotypique avec la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine) du fait de l'influence "mécanique" du système de stéréotypes fixé par la société d'accueil. La primo-caractérisation (ou perception première) des enfants de harkis par le groupe majoritaire est ainsi porteuse, dans les interactions face-à-face, d'une forme de "tragique latent" : la dépossession de soi par l'amalgame induit, pour les enfants de harkis, l'obligation corrélative de s'accommoder des préjugés nourris à l'égard des Beurs. Ici, le « délit de faciès », qui fait des intéressés des "Algériens par méprise" en même temps que des "Arabes méprisés", sonne comme un double déni de "l'être" par "l'apparaître" (section 1). D'un autre côté, dans la bouche de certains fils d'immigrés algériens, la condamnation des enfants de harkis à la dépossession de soi fonctionne sur le mode de l'extrapolation et tend à faire de la qualité statutaire de fils ou de fille de harki une forme de tare morale congénitale. De fait, les enfants de harkis sont également confrontés à des attitudes d'ostracisme fondées sur la réactivation, d'une génération l'autre et d'un continent l'autre, du contentieux lié à l'engagement des harkis durant la guerre d'Algérie. Ces attitudes d'ostracisme sont plus particulièrement le fait de la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine, algérienne en particulier. C'est ainsi que nombre de fils et filles de harkis, évoquant la nature de leurs interactions "ès qualités" avec certains enfants d'immigrés algériens, nous ont fait part des tensions, voire des altercations que ce type de face-à-face était susceptible de provoquer (section 2).

1. La dépossession de soi par l'amalgame : le "délit de faciès", forme ordinaire de déni d'une mémoire singulière

De nombreuses recherches en sociologie1478(*) et en psychologie sociale1479(*) montrent qu'il y a à la base de la perception et de l'appréciation d'autrui - pour autant que cet autrui ne soit pas déjà connu - un mécanisme d'attribution de qualités stéréotypées, inférées sur la base de critères immédiatement perceptibles, a priori conçus comme "typifiants". L'évaluation de l'autre (individu ou groupe) se fait automatiquement et inconsciemment. Cette évaluation est liée à la perception elle-même. La première appréciation est ainsi fondée sur la perception d'un ensemble restreint d'éléments (une "forme") qui, par référence à un "répertoire d'identités" préconstitué, permet d'accéder à une "connaissance" immédiate d'autrui : « Les classifications qui en résultent tirent leur apparente légitimité (aux yeux de ceux qui y recourent) non pas d'une quelconque nécessité à caractère objectif mais seulement de la force de l'usage, qui «naturalise» les découpages ainsi obtenus, et les significations qu'on leur associe »1480(*).

Ces répertoires d'identité, en tant que grilles de perception et de décodage, contiennent comme par anticipation les significations qui leur sont associées : « Les sujets feront, dans cette optique, des attributions à autrui en fonction de la représentation cognitive qu'ils ont de la catégorie d'appartenance de cet alter »1481(*). C'est ce qu'a très bien montré Erving Goffman : lorsqu'un inconnu se présente à nous, nous formulons, sans en avoir toujours conscience, toutes sortes d'anticipations quant à son identité sociale, c'est-à-dire que nous cherchons à prévoir la catégorie à laquelle il appartient et les attributs qu'il possède. Nous appuyant alors sur ces anticipations, nous les transformons en attentes normatives, nous attendons donc de l'inconnu qu'il s'y conforme : cette caractérisation en puissance de l'inconnu compose son identité virtuelle. Quant à la catégorie et aux attributs qui particularisent en fait cet inconnu, ils forment son identité sociale réelle.

Or, il peut s'avérer que cet inconnu possède un attribut (c'est-à-dire une caractéristique physique, morale ou biographique) qui détonne par rapport au stéréotype que nous avons formulé à son égard et qui représente un désaccord particulier entre les identités sociales virtuelle et réelle. En l'espèce, pour ce qui a trait spécifiquement aux actes d'attribution opérés à l'endroit des fils et filles de harkis, les classifications fondées sur le décodage des seules qualités "manifestes" ou "superficielles" des individus - à commencer par l'apparence physique - sont génératrices de tels "désaccords". Ainsi, l'indifférenciation phénotypique de la deuxième génération issue de la communauté harkie et de la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine interdit-elle, au quotidien, la reconnaissance des enfants de harkis "en tant que tels" :

« Ce que je veux c'est être reconnu en tant que tel. Mais je l'aurai jamais cette reconnaissance (...). Dans la rue on va dire : «C'est un Arabe». Voilà, c'est clair. Et... je peux te garantir que tu le vis mal, hein. Tu le vis mal (...). Moi, j'aimerais bien qu'un jour on me reconnaisse en tant que tel, qu'on me reconnaisse citoyen français, pas... mitigé, quoi, pas panaché. Pour vous, je suis un panaché, dans la rue, je suis un panaché. Même pas un panaché, un Arabe, un "bronzé" » (Karim).

Un stigmate représente donc un certain type de relation - une relation insatisfaite - entre l'attribut (Karim est de nationalité française, par filiation qui plus est, et se définit comme français par le sang versé) et le stéréotype (son "faciès" l'apparente à un fils d'immigré, dont la "loyauté" à la société d'accueil est a priori conçue comme incertaine par le groupe majoritaire). A l'inverse, Erving Goffman appelle "normaux" ceux qui ne différent pas négativement des attentes normatives formulées par autrui : « Le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue. Ces points de vue sont socialement produits lors des contacts mixtes, en vertu des normes insatisfaites qui influent sur la rencontre »1482(*).

Eric Landowski souligne qu'en dépit de leur caractère réducteur, donc potentiellement "mensonger" (effets d'amalgame), ces activités de profilage/stéréotypage structurent fortement les relations sociales : « Ce n'en est pas moins sur la foi de préjugés de cette nature, ayant pour effet de valoriser systématiquement la possession de certains attributs sociaux, hérités ou acquis, par rapport à d'autres, que se fonde le plus communément la conscience et, plus encore peut-être, la fierté identitaire des groupes qui, dans le cadre d'une société donnée, se considèrent comme constituant le «Nous» de référence et, à ce titre, comme les seuls détenteurs du droit à être pleinement eux-mêmes, par opposition aux individus ou aux communautés particulières que leurs différences signalent (avec des degrés d'étrangeté infiniment variables) comme autant d'avatars prévisibles de «l'Autre» »1483(*).

Ainsi, dans une société d'accueil nivelée par un fort préjugé anti-arabe (et anti-algérien en particulier)1484(*), les enfants de harkis doivent composer tant avec des attributs héréditaires (le phénotype) qu'avec des pratiques coutumières (et notamment l'observance des règles attachées à la religion musulmane) qui les placent de prime abord en porte-à-faux avec l'image archétypale, stéréotypée que les Français ont d'eux-mêmes1485(*). Autrement dit, les attributs identitaires manifestes dont sont porteurs les enfants de harkis détonnent par rapport aux anticipations, aux attentes stéréotypées qu'ont les Français dits "de souche" (ou qui se considèrent comme tels) à l'égard de leurs semblables. Ce poids des anticipations, ce poids des étiquetages dans l'ordinaire des relations sociales aliène la caractérisation des enfants de harkis à certains indices "manifestes" (à commencer par l'apparence physique) et, à ce titre, réducteurs, voire potentiellement mensongers puisqu'ils ne rendent compte ni du vécu des intéressés, ni de leurs représentations ou sentiment d'appartenance :

« Si les gens savaient que j'étais comme ça, si les gens savaient que j'étais euh... harki, quoi, fils de harki, bon je pense que... (...) mais le problème c'est que je vais pas dévoiler euh... je vais pas dire : «Ouais, je suis fils de harki». Non, non, non, jamais de la vie (...). Je peux pas le dire, voilà. Me rabaisser ?! Je suis pas reconnu, je vais me rabaisser ? Attends, je vais pas baisser le pantalon quand même... » (Karim) ;

« J'ai rencontré énormément de harkis : des jeunes, des vieux, des enfants, des veuves, des divorcées, des... et... apparemment tout le temps le même problème, c'est... c'est ce problème identitaire, c'est cet amalgame qui est fait avec les Beurs, les immigrés, on va... alors on va pas aller dire à Pierre, Paul ou Jacques... qu'on est rapatriés, qu'on est des enfants de harkis : qui peut le savoir ? Qui peut nous aider ? Donc, finalement... on peut courir, on peut faire des pieds et des mains... si on ne dit pas, si à chaque fois on ne raconte pas que... on est issus de tel... de tel parent, que notre père a fait ça, si on ne montre pas les papiers, si on... bah... on existe pas a priori, notre parole ne vaut rien » (Dalila, 37 ans).

De la sorte, le paradoxe veut que les enfants de harkis, s'ils ne prennent pas l'initiative de faire connaître à leurs interlocuteurs leur qualité intime de fils ou de fille de harkis, sont spontanément confondus avec les jeunes issus de l'immigration maghrébine. Autrement dit, les enfants de harkis sont confondus avec ceux-là mêmes - les jeunes issus de l'immigration algérienne - qui, s'ils venaient à être informés de leur appartenance à la communauté harkie, seraient susceptibles de stigmatiser les enfants de harkis non pas pour ce qu'ils paraissent être, mais pour ce qu'ils sont réellement. Cette absence de "visibilité sociale" des enfants de harkis en tant que tels est d'autant plus durement ressentie par les intéressés qu'elle les expose, en dépit de leur nationalité (et au même titre que les "Beurs"), à des attitudes discriminatoires, au premier rang desquelles on trouve le "délit de faciès" ; le délit de faciès est une discrimination de fait (liée à des préjugés racistes) qui dénie l'appartenance de droit des harkis et de leurs enfants à la communauté nationale. L'oubli, la mémoire trouble des Français apparaissent ici en sous-oeuvre de l'amalgame et de l'intolérance :

« On devait avoir quatorze, quinze ans, on était à deux sur un cyclo, bon, ça ne se fait pas mais on l'avait fait : contrôle de gendarmerie (...). Et mon ami (...), qui lui est plus basané, moi bon, j'étais pas le type strictement arabe, mais lui, bon, c'est vraiment le... alors il dit, comme ça, bon d'une manière tout à fait innocente, il dit : «Ouais, M'sieur, soyez gentil, nous aussi on est Français». (...) Et ce brave gendarme nous dit : «Mais... t'as vu la gueule que t'as toi ?! T'es un Français ?!...». Bon, ça quand on est adolescent on peut pas le tolérer (...). On voit un représentant de l'Etat, qui est un gendarme, qui nous balance ça à travers le visage : «T'as vu la gueule que t'as ?!», c'est des mois, des années d'efforts pour s'intégrer qui peuvent être anéantis "en moins de deux" » (Mohamed, 42 ans).

Pour Rachid, fils de médaillé militaire, et Mohamed (35 ans), fils de harki et lui-même ancien sous-officier d'active, tous deux sans emploi, ces attitudes discriminatoires sont d'autant plus mal ressenties qu'elles les renvoient, la trentaine largement passée, à la réalité d'un monde où les apparences jouent contre les déclarations de foi :

« Pour ce qui est d'ici [Largentière], dis toi bien que si tu t'appelles pas Jean-Pierre ou Jean-Luc, t'as pas la tête... si t'es pas blond aux yeux bleus, dis toi bien dans ta tête, cette place, tu l'auras pas ; même si tu... tu dis être le fils du... de l'ancien combattant le plus décoré de France ; rien à faire, si t'as... un prénom ou un nom... tu vas chercher du côté... après Marseille, négatif, dis toi bien que t'as pas cette place. Et puis voilà, comme t'as vu, on prend des cafés, là, pendant que y'a des jeunes de notre âge qui... gagnent leur croûte. Nous, on est condamnés à parler de tout et de rien, et voilà, c'est notre train-train quotidien, ça, on nous condamne à rien foutre. C'est pas juste » (Rachid) ;

« Moi, je suis quand même sans emploi, donc, j'veux dire, quelque part, ça, on le vit très, très mal. Puis, par truchements respectifs, on vous fait croire que vous êtes soit trop qualifié - c'est souvent mon cas -, ou alors que vous ne correspondez pas au profil, ou alors que quelqu'un vient d'être embauché juste avant vous, enfin... c'est incroyable comme ça, à vous dire, c'est incroyable, quand je vous dis comme ça, vous vous dites : «Non, qu'est-ce qu'il me raconte là, c'est quand même la nation, l'A.N.P.E., c'est pas rien», mais quand vous voyez que l'A.N.P.E. elle-même euh... édite des brochures concernant... le fameux code B.B.R. ou 01, vous savez : Bleu-Blanc-Rouge : B.B.R. ou 01. ça fait partie des codes de l'A.N.P.E.. Quand vous avez une... une note comme ça concernant donc... une annonce d'emploi, le gars il met : B.B.R. ou 01. C'est-à-dire qu'il faut que ce soit un "French", quand je dis un "French", c'est... Alors, ça, vous me la retournerez comme vous voudrez, vous me direz : «Ah ! mais non, tu es déjà sur des préceptes...» ; non, c'est d'actualité, c'est ça aujourd'hui aussi. Pire, pire qu'hier. Pire qu'hier » (Mohamed, 35 ans).

Ainsi, « [dans la perspective] du groupe qui se pose et se comporte en occupant naturel et légitime - pour ainsi dire en propriétaire - de l'espace social considéré », et à l'aune du « système de stéréotypes identitaires fixé par [lui] », « certains membres de la communauté [nationale] en viennent tout naturellement à passer pour «un peu plus» sujets que d'autres - comme si, cumulant les marques d'appartenance sociale conventionnellement tenues pour les plus positives, ils incarnaient à eux seuls le type accompli du groupe considéré tandis que les autres n'en donneraient que des images par défaut, ou même en négatif »1486(*). Nicole Lapierre souligne à cet égard que, dans les familles d'installation récente où la transmission d'un univers référentiel englobant histoire et passé familial tend à l'identification avec la société d'accueil, « la problématique de l'origine et de la différence n'est réveillée que par l'affront des préjugés [raciaux] »1487(*). C'est typiquement le cas des familles de Français musulmans rapatriés. Là réside le "tragique latent" des primo-catégorisations imputables au groupe majoritaire : dans l'ordinaire fugace des relations sociales, c'est bien des qualités manifestes (i.e. immédiatement perceptibles) que l'on infère les "qualités d'âme", de manière pré-réflexive, conformément au système de stéréotypes propre à la société d'accueil. Autrement dit, c'est le "sang reçu" - ou plutôt son expression phénotypique - qui fonde le préjugé dans les interactions face-à-face, non le "sang versé" ; c'est le "faciès" qui vous classe, non la "vertu".

C'est dans ce déni ordinaire d'une mémoire singulière, fondé sur l'amalgame avec la figure-repoussoir de « l'Arabe » ou du « Maghrébin »1488(*), que se joue « l'expérience singulière d'appartenir à un groupe minoritaire stigmatisé et, en même temps, de se sentir complètement inséré dans le destin politique de la majorité qui le stigmatise »1489(*). De même, pour Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, « [quoique] les autoreprésentations collectives conservent une certaine autonomie, celle-ci peut conduire à des contradictions lorsque certaines catégories sociales partagent les normes de la société alors qu'elles sont exclues des représentations collectives de l'ensemble »1490(*). Ainsi, dans le décalage entre l'attribut (le sentiment d'appartenance) et le stéréotype (les préjugés raciaux) se joue parfois la dépréciation de soi des enfants de harkis, conformément aux attentes non satisfaites du groupe majoritaire :

« Comment ressens-tu l'indifférence, plus ou moins, de la population ?

- J'suis une merde.

- A ton avis, pour eux, t'es une merde ?

- Ouais, exactement.

- Tu comptes pas.

- Je compte pas » (Karim).

"Discrédités" (au sens goffmanien du terme) par le stéréotype qui lie l'appartenance à la communauté nationale à « la croyance, ancrée dans la conscience collective des Français, qu'être blanc et catholique fonde les droits supérieurs d'un homme national (...) »1491(*), victimes de "stigmates tribaux"1492(*) tels le délit de faciès, déni raciste d'un choix sinon "affectif" du moins volontariste, celui de la France par les harkis, leurs pères, les enfants de harkis sont également "discréditables", c'est-à-dire potentiellement exposés au stigmate d'infamie (au cas où leur identité intime - en l'occurrence leur qualité de fils ou fille de harki - viendrait à être connue ou révélée auprès de leurs interlocuteurs membres de la deuxième génération issue de l'immigration algérienne), les attributs en cause (centrés sur des thèmes moraux et politiques) n'étant en effet pas immédiatement perceptibles mais liés aux usages de la mémoire de la guerre d'Algérie et à la rémanence trans-générationnelle d'un blâme historique. Et K.D. Bouneb de souligner que « la minorité migrante maghrébine et certains Français, qui font l'amalgame entre l'occupation allemande et le phénomène de décolonisation des pays du tiers-monde, sont là pour rappeler aux jeunes Français musulmans la «collaboration» de leurs parents »1493(*).

2. La dépossession de soi par la flétrissure ou la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie

Le statut particulier assigné à la thématique harkie dans l'imaginaire nationaliste algérien - le harki endossant, dans le discours des plus hautes personnalités de l'Etat, le rôle commode et récurrent de bouc émissaire évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie indépendante (voir la Partie 2) - s'est banalisé au fil des décennies, pénétrant les consciences individuelles et acquérant valeur de sens commun. Ainsi, Hassina a pu constater de manière fortuite combien, en Algérie, la stigmatisation était à la fois diffuse et confuse :

« C'était il y a trois mois, je zappais sur les canaux arabes, et puis je suis tombée sur la télévision algérienne où il était question de sport. Et l'animateur qui se prend à dire en parlant d'un footballeur qui a marqué contre son équipe : «Un harki dans le sport !». Mais... je suis restée ébahie, je me suis dit : «Mais... c'est pas possible !» ».

Ce « clivage qui existe dans la bouche de certains Algériens » (Hassina) se retrouve en France, exacerbé tout à la fois par la différence de statut qui sanctionne, d'une part, l'exil politique des Français musulmans rapatriés, d'autre part, l'immigration économique des travailleurs algériens, et par la coexistence conflictuelle des deux groupes sur le sol français :

« (...) Franchement, on est bien en France, et... voilà, tu sais, nos parents ont sauvé leur peau, quoi. Maintenant, le reste, c'est que... bon, il y a beaucoup de jaloux, quoi, c'est... ça parle beaucoup, quoi, les harkis, tu sais, ils disent qu'on est... on est un peu rejetés, tu sais, ils nous... comment dire... tu sais, ils disent qu'on est des "traîtres", quoi.

- Mais qui dit que vous êtes des "traîtres" ?

- Ben... ceux qui sont venus après nous, après... après mes parents, quoi.

- Tu veux dire les immigrés ?

- Ouais, les vrais Algériens, ouais, ouais, les immigrés qui viennent maintenant en France, après mes parents, quoi. Tu sais, pour eux... j'sais pas, tu sais, nos parents c'est des "traîtres" » (Lahcène1494(*)) ;

« (...) En ce qui concerne les... les Algériens ou les Beurs, (...) la plupart... dès que vous parlez... quand ils savent pas que t'es harki, quand tu discutes politique ou ce qui se passe en Algérie, automatiquement ils te sortent : «Harki, harki...» ; ils peuvent pas parler de ce sujet-là sans sortir le mot "harki", ils peuvent pas parler de l'Algérie actuellement, ce qui se passe, etc., sans dire que c'est la faute aux harkis, que c'est les harkis qui font ça là-bas. L'immigré, ici, automatiquement il parlera des... : «Ah ! ouais, les harkis, c'est eux...». Voilà, c'est le bouc émissaire évident, dans toutes les discussions, même économiques, ils oublieront pas le harki. Même si tu parles de couture, ils te mettront quand même un harki à l'intérieur » (Jacqueline) ;

«  (...) C'est vrai que je connais beaucoup, beaucoup d'Algériens et... des Marocains, enfin des Maghrébins, et... je les entendais dire, parce qu'on a commencé à parler des harkis, en parlant d'eux [les islamistes]... vu ce qui se passe en Algérie et tout, en parlant d'eux comme des harkis » (Dalila, 37 ans).

Ces marques de défiance ne sont d'ailleurs pas seulement le fait de familles originaires d'Algérie, comme en témoigne Akila Bouremel, femme de harki, qui vit à Mende, en Lozère : « Dans l'immeuble, même les Marocains qui viennent d'arriver nous font des réflexions. «Vous, les harkis, vous n'êtes pas nos frères, vous avez retourné votre veste», m'a dit l'un d'eux »1495(*).

Ainsi, dans une société progressivement remodelée, au plan démographique, par de forts courants migratoires en provenance du Maghreb (et de l'Algérie en particulier), la cohabitation de facto entre populations issues de l'immigration algérienne et familles de harkis dans certains bassins d'emploi n'est pas sans générer des tensions et raviver des clivages. Clivages dont la charge polémique est aujourd'hui encore loin d'être neutralisée et qui, d'une certaine manière, gagnent en rigidité avec la succession des générations : il n'est pas rare, en effet, que les enfants d'immigrés algériens projettent sur les fils et les filles de harkis les termes même de la condamnation prononcée par leurs aînés à l'encontre des Français musulmans rapatriés :

« (...) aller à l'école, se faire traiter de traître, euh... de «fils de harki» quand j'avais huit ou neuf ans, je sais ce que c'est » (Karim) ; « (...) Je me souviens, à l'époque, il y avait des immigrés à l'école, et quand ils disaient : «fils de traître, fils de traître»... je sais qu'il y avait... j'ai des copains, euh... : «fils de traître et de machin...», mais... c'est... parce que c'est les parents qui ont dit ça aux enfants, et les enfants ils disent ça, je veux dire » (Rabah1496(*)).

Lakhdar Belaïd, journaliste et écrivain, fils d'un militant MNA, et auteur de Sérail killers1497(*), un polar tissé autour des déchirures enfouies entre nationalistes algériens et harkis à Roubaix, se souvient que « quand [il] étai[t] gosse, on se traitait de harki entre mômes, c'était l'insulte suprême. Encore maintenant, le mot a gardé valeur d'insulte, même chez les plus jeunes, c'est malheureusement culturel »1498(*). Très tôt, Ahmed a ainsi subi - d'abord sans les comprendre - les insultes de camarades nés en France de parents algériens :

« Ça doit faire trois ans que je m'intéresse à la guerre d'Algérie, aux événements comme ils disent. Avant, j'y connaissais rien. Quand j'étais môme, je savais pas ce que c'était un harki, j'veux dire historiquement, tu comprends ? Les seuls qui savaient quelque chose, c'était les Algériens, parce que eux... alors, finalement, les seules choses qu'on entendait, c'était des insultes...

- Ça t'est arrivé souvent de te faire insulter ?

- Oui, c'est arrivé... c'est arrivé une paire de fois. La première fois, c'était à l'école, j'avais 5-6 ans, et... je me suis fait traiter de «fils de traître», comme ça, directement : le gars s'est posté devant moi. Moi j'ai rien dit parce qu'il était plus âgé, il avait quelques années de plus que moi, mais... ça m'a fait mal, je peux te dire que ça a été douloureux ».

« Il n'est pas un enfant de harki, écrit Mohamed Kara, qui n'ait été virtuellement exposé, depuis sa prime enfance, aux avanies des enfants d'immigrés algériens au point d'en avoir intégré les traits les plus outrageants et de les tenir pour partiellement fondés, dans la mesure où ces incriminations ne trouvaient dans le foyer familial, au titre de répartie, qu'un silence assourdissant ». C'est très précisément ce qu'exprime Dalila (37 ans) :

« Nous, nos parents, ils nous ont pas raconté parce qu'ils avaient honte. Mais les petits Algériens qui sont nés en Algérie, les immigrés qui sont arrivés hier, on leur a raconté l'histoire de l'Algérie, parce que c'est chez eux (...). Alors quand vous grandissez, qu'on vous parle des harkis, et qu'on vous dit : «Voilà, il est égal à telle chose», bah... vous avez envie de vous cacher, hein, c'est normal, on a peur, c'est tout à fait normal ».

Le contraste est saisissant entre la précarité de l'ancrage mémoriel des fils et filles de harkis et la violence des réactions que leur vaut un lien de filiation qui suscite pourtant chez eux plus d'interrogations qu'il ne leur procure de certitudes :

« (...) Tu sais, ma soeur aînée, lorsqu'elle était au lycée, s'est vue cracher à la figure parce qu'elle était fille de harki, c'est, c'est... » (Hassina).

L'individu stigmatisé est un individu frappé d'infamie, qu'il faut éviter, surtout dans les lieux publics :

« Quand j'étais jeune, j'avais seize ans, y'avait un jeune que je côtoyais (...), bon il était d'Algérie (...), bon il a su que j'étais fille de harki (...), et un jour... j'ai une copine qui vient et me dit : «Tu sais, Régika, hein, on sait que tu es fille de harki, alors donc il te parle plus» » (Régika).

Il apparaît ainsi clairement que la rémanence du stigmate d'infamie s'étaye moins sur la réminiscence intime des faits, sur leur ressouvenir, que sur la réification d'une certaine mémoire des faits (donc de ses déformations successives). Il n'est qu'à voir, à cet égard, l'exemple - cité en introduction - de cette famille de harki acculée au déménagement par son voisinage algérien (ou d'origine algérienne) après que le père avait été publiquement et notoirement décoré de la médaille militaire le 14 juillet 2003, à Toulon. Les menaces (« traître », « collabo », « mouchard », criées au téléphone ou sur son passage) et les violences (ayant nécessité l'intervention des CRS) étaient proférées et exercées principalement par de jeunes Français d'origine algérienne, nés en France bien longtemps après la fin de la guerre d'Algérie, sans que cela, apparemment, ne soulève outre mesure l'indignation ou la réprobation de leurs aînés. En témoignent les propos d'une résidente, militante associative d'origine algérienne qui, tout en cherchant à minimiser l'ampleur des incidents, n'est pas loin, semble-t-il, d'en faire l'apologie : « La plupart des gens ont appris cette histoire dans les journaux. Tout le monde s'en fout, et je vais même vous dire une chose : beaucoup de gens pensent que c'est bien fait, parce que M. Araar n'avait pas à frimer avec sa médaille militaire. Et c'est vrai que, franchement, il n'y a pas de quoi se vanter. On nous demande de nous taire, mais que diraient les Français si Papon était décoré par les Allemands ? »1499(*).

Il n'est pas jusqu'au père de Zinédine Zidane qui, bien malgré lui, n'ait eu à subir les conséquences de la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie, après que Le livre d'or du football (édition 1998) ait laissé entendre - à tort - que le numéro 10 de l'équipe de France était « fils de harki », ce qui a valu à son père de recevoir « des coups de téléphone anonymes à deux heures du matin ». Devant la proportion prise par l'affaire, Smaïl Zidane n'a pas hésité à convoquer la presse à son domicile. Ce qui importe ici, c'est, au moins autant que les conséquences de cette fausse rumeur sur celui qui en a été l'objet, la manière dont ce dernier a justifié cette mise au point devant la presse : « Je suis Algérien de Kabylie. On ne peut pas le nier. Mais je n'ai jamais été harki ». Et il ajoute : « Je vous raconte ça pour être clair sur ma situation : je suis un immigré, de nationalité algérienne. Je n'ai trahi personne. Je respecte les lois du pays, et je ne suis pas là pour faire un procès à quiconque. Mais ça me fait mal de lire que Zinédine est fils de harki »1500(*). Tout aussi intéressante, "l'explication" de l'éditeur : « Nous avons confondu, comme beaucoup de gens, les Kabyles et les harkis. C'est une erreur regrettable, une connerie même ».

Norbert Elias et John L. Scotson, qui avaient observé des phénomènes analogues de rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie dans le quartier de Winston Parva, utilisent à ce propos la notion de « rejet primaire » : selon eux, le caractère axiomatique des préjugés collectifs augmente lorsque ceux-ci se transmettent d'une génération l'autre. Ils estiment ainsi que « lorsque les enfants assimilent de bonne heure les attitudes et les croyances discriminatoires, le sentiment que celles-ci sont vraies peut devenir presque indéracinable »1501(*). Les auteurs d'ajouter : « Ce rejet primaire approfondit l'effet que leur caractère communautaire a sur les préjugés collectifs, il les rend plus rigides »1502(*). Les paroles prêtées par l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun à Nadia, personnage de fiction incarnant une fille d'immigrés algériens, rendent parfaitement compte de ce phénomène. D'une génération l'autre, la figure du "renégat" supplante celle du "traître", avec pour constantes la vénalité, la déloyauté et la brutalité (Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996) : « Je fis remarquer à ma mère que nous n'avions plus rien à redouter : qui allait désormais nous envier ? Peut-être le gardien de l'immeuble, un vieux harki aigri et méchant ? Le pauvre homme avait tout perdu : honneur, femme, enfants. Il vivait seul et parlait à son transistor. Ses enfants avaient changé de ville et de nom. Mohand se faisait appeler David Kohen ; il insistait sur le K. Il portait la kippa et une étoile de David autour du cou. On ne savait pas comment il avait fait fortune, mais son père disait qu'on l'avait payé pour renoncer à l'islam et à l'identité kabyle. De temps en temps, il venait à Resteville pour frimer. Nul ne le reconnaissait. J'avais pitié de lui »1503(*). Quelques pages plus avant, évoquant les actes de violence perpétrés par les vigiles du supermarché du lieu, la narratrice précise : « Les fils de harki cognaient plus fort ; on aurait dit qu'ils avaient une revanche à prendre »1504(*).

Ainsi, dans la bouche de certains enfants d'immigrés algériens, la condamnation des enfants de harkis se cristallise sur le rôle joué par le père durant la guerre d'Algérie, en une sorte de raisonnement en miroir. À cet égard, notre hypothèse est que cette sorte de flétrissure par procuration des enfants de harkis participe, pour certains jeunes issus de l'immigration algérienne, d'une tentative de réappropriation du roman familial - "par contraste" pourrions-nous dire. Et, par là, d'une volonté de conjuration de leur propre "mauvais sort" dans la société française. De fait, dans une société qui pousse à l'assimilation sans en donner toujours les moyens, il s'agirait en quelque sorte de retrouver sens à l'expression des origines (en même temps que de revaloriser le statut de travailleurs migrants des parents), ordinairement vécus comme des facteurs de fragilisation identitaire, en se "re-définissant" par contraste avec la situation des anciens harkis et de leurs enfants, pour autant que ceux-ci soient dépeints comme des (fils de) « renégats », ayant « renié » leurs origines pour se faire une place dans la société d'accueil. Régies selon une trame stéréotypée héritée pour partie des formes orchestrées de la stigmatisation ayant cours en Algérie (et qui ne sauraient donc présager à elles seules de ce que pensent en leur for intérieur les jeunes issus de l'immigration), ces formes de "joute statutaire" s'apparentent sans doute davantage à des mécanismes conventionnels de "réassurance identitaire" (se "re-définir" par contraste avec l'autre) qu'à une véritable continuation de la guerre d'Algérie.

Cependant, dans un article donné à la revue Etudes en avril 1995, Lakhdar Belaïd (dont nous avons déjà parlé plus haut), pointait l'existence d'influences institutionnelles jouant de propos délibéré, d'un côté et de l'autre de la Méditerranée, dans le sens du maintien d'un niveau au moins minimal de tension :

« Depuis l'indépendance, le débat politique algérien a été réduit à sa plus simple expression : un discours essentiellement nationaliste, puis islamisant. On glorifie la révolution, (...) on stigmatise le «parti de l'étranger» ». Et il ajoute : « Les immigrés, notamment ceux de la première génération, n'ont pas été épargnés par ce phénomène. Ils se sont trouvés pris entre le discours populiste "clé en main" du régime d'Alger et les offices de surveillance et d'embrigadement qu'ont longtemps été les Amicales des Algériens en Europe ; y compris les jeunes, par l'intermédiaire de l'Union nationale de la jeunesse algérienne. Celle-ci n'a pas hésité, par exemple, dans les années 1970, à attiser les oppositions entre jeunes Algériens, Marocains et fils de harkis »1505(*).

A cet égard, dans une tribune libre publiée par Le Monde1506(*), où il entendait défendre « l'honneur de l'armée algérienne » et celle de son ancien chef d'Etat-major Khaled Nezzar en particulier (à l'occasion du procès en diffamation intenté par ce dernier à Habib Souadia, l'auteur de La sale guerre1507(*)), l'écrivain algérien Rachid Boudjedra, lui-même ancien membre du FLN (d'abord maquisard, puis représentant du FLN dans les pays de l'Est et en Espagne), semblait se féliciter qu'en France « le nationalisme pro-algérien de la nouvelle génération beur d'origine algérienne se manifeste de plus en plus ». Il ajoutait : « Il y a une sorte de fièvre identitaire qui s'installe dans cette communauté. Elle dit en gros : «Je suis français, mais touchez pas à mon Algérie». L'exemple regrettable de ces jeunes Algéro-Français en train de huer La Marseillaise et d'envahir le terrain du Stade de France, lors du match France-Algérie, fut un signe révélateur de cette nouvelle mentalité ». Et de conclure : « Il faut en tenir compte. Car pour ces jeunes beurs, Nezzar, c'est l'Algérie. Souadia, c'est quoi ? ».

Ce « nationalisme pro-algérien de la nouvelle génération », cette « fièvre identitaire », sont les exutoires trouvés par certaines franges de cette population (pas nécessairement marginalisées socialement) pour donner sens à la destinée de leurs parents et à leur propre existence. Les tensions persistantes avec la communauté harkie participent de ces mécanismes de "réassurance identitaire" : elles s'apparentent à ce que Paul Ricoeur appelle « une réplique symbolique aux faiblesses de l'identité »1508(*), par mise à distance et infériorisation d'un autre groupe interdépendant. En même temps, la stigmatisation de la figure du harki comme figure du « renégat » joue, auprès de certains secteurs de la communauté immigrée, un rôle de "garde-fou" contre une visée assimilatrice jugée « compromettante ». C'est la double fonction, cohésive et régulatrice, des préjugés collectifs qui visent à la fois à alléguer la supériorité des siens par rapport à un autre groupe interdépendant (fonction cohésive) en même temps qu'à renforcer le poids du contrôle communautaire (fonction régulatrice). Bouc émissaire évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie indépendante, la figure du harki a donc aussi valeur de "contre-étalon symbolique" pour certaines strates des populations issues de l'immigration maghrébine, algérienne en particulier.

Au regard des stigmatisations croisées (c'est-à-dire imputables à des groupes diversement positionnés sur l'échelle sociale), voire paradoxales (c'est-à-dire contradictoires les unes les autres) dont ils sont individuellement l'objet au cours des interactions de la vie quotidienne, il s'avère que les fils et les filles de harkis se trouvent placés, de nos jours en France, dans une situation identitaire fortement insécure. Situation duale (ou doublement insécure) qui les oblige à gérer un héritage grevé à la fois sur le plan sociopolitique (« stigmate d'infamie ») et sur le plan socioculturel (« stigmate tribal »). Une situation doublement contradictoire qui fait d'eux aussi bien des Algériens par méprise (aux yeux de la société dite d'accueil) que des Français méprisés (aux yeux de certains jeunes issus de l'immigration maghrébine). Dans ces conditions, se pose la question des "stratégies d'accommodation" dont vont user au jour le jour les enfants de harkis pour faire face, déjouer ou composer avec ces exo-définitions de soi qui, dans les interactions de la vie quotidienne, les placent potentiellement dans la situation d'être à la fois « discrédités » et « discréditables »1509(*) : dès lors, quand convient-il de déjouer les apparences ou, au contraire, d'en jouer ?

B. Le maniement du stigmate ou « les difficultés qu'éprouve l'individu «discréditable» à contrôler l'information sur lui-même » (E. Goffman1510(*))

Selon Erving Goffman, le stigmate peut se définir comme « la situation de l'individu que quelque chose disqualifie et empêche d'être pleinement accepté par la société [et de s'accepter soi pleinement] »1511(*). La situation où se trouvent placés de nos jours en France les enfants de harkis les confronte routinièrement à la question de la présentation de soi, autrement dit, à la gestion des marqueurs visibles ou invisibles de l'identité au cours des interactions de la vie quotidienne. Ainsi en va-t-il des « techniques de contrôle de l'information », tel « le faux-semblant »1512(*) (à l'endroit des populations issues de l'immigration maghrébine), ou des « techniques d'assimilation », tel « le surmarquage des attributs de francité »1513(*) (à l'adresse de la société d'accueil). Ces « techniques d'ajustement » (Erving Goffman) sont autant de stratégies d'accommodation à la situation d'interaction, au sens où Vincent de Gaulejac définit la notion de stratégie. Pour ce dernier, « la notion de stratégie se situe à l'articulation du système social et de l'individu, du social et du psychologique », et décrit simplement « les comportements, individuels ou collectifs, conscients ou inconscients, adaptés ou inadaptés, mis en oeuvre pour atteindre certaines finalités »1514(*). « Ces finalités, ajoute-t-il, sont définies par les acteurs en fonction de leur évaluation de la situation d'interaction, c'est-à-dire de l'importance des contraintes extérieures et de leurs propres capacités d'action »1515(*).

En fait, ainsi que le souligne Raymond Boudon, les objets sociaux se caractérisent par leur « ambiguïté ». Autrement dit, les critères sur la base desquels nous sommes identifiés et jugés dans les interactions de la vie quotidienne, y compris les stimuli physiques, comportent une certaine dose de flexibilité et d'arbitraire. « Cette ambiguïté est pénible, écrit Raymond Boudon, dans la mesure où elle est perçue comme une dissonance cognitive, et l'influence peut alors constituer un moyen pour trouver une solution à cette dissonance »1516(*). Il existe ainsi des stratégies de présentation de soi qui, précisément, sont des stratégies d'influence, et qui visent soit à réduire soit à entretenir l'ambiguïté selon ce qui est le plus conforme aux intérêts des personnes concernées. Raymond Boudon, se référant à Erving Goffman : « [L'identification d'autrui] est facilitée - ou contrariée - par l'influence que chacun des partenaires exerce sur l'autre pour se «faire valoir», pour apparaître sous le jour le plus favorable »1517(*).

Précisément, les enfants de harkis se trouvent placés dans une situation telle, de nos jours en France, qu'ils se doivent d'« user et ruser avec une très pragmatique agilité des repères de l'identité »1518(*). Usages et ruses que Erving Goffman rassemble sous la formule de « maniement du stigmate ». Selon cet auteur, le maniement du stigmate, dont participe primitivement l'apprentissage de techniques visant à ajuster la présentation de soi aux structures de l'interaction, constitue l'une des phases de la socialisation de l'individu stigmatisé. Il s'agit d'abord, pour les individus stigmatisés, de « découvrir selon quelles lignes il doivent se recomposer une conduite afin de minimiser l'importunité de leur stigmate »1519(*). À cet égard, Erving Goffman distingue entre la situation de l'individu « discrédité », « forcé de s'accommoder d'une tension »1520(*), et celle de l'individu « discréditable », « obligé de contrôler une information »1521(*). Ainsi, l'attitude de l'individu stigmatisé au cours de ce que l'auteur appelle les « contacts mixtes », c'est-à-dire lorsque les « normaux »1522(*) et les stigmatisés viennent à se trouver mutuellement en présence les uns des autres, est fonction à la fois de la visibilité de son stigmate, c'est-à-dire de sa plus ou moins grande propension à produire le moyen de faire savoir qu'il est "possédé" par cet individu, de la notoriété de son stigmate, soit la connaissance qu'ont les autres de sa situation, et enfin de l'importunité de son stigmate, à savoir dans quelle mesure il contrarie le flux de l'interaction. S'il s'agit d'un individu dont la différence est soit immédiatement perceptible (« (...) tu seras jamais intégré, ça... si tu es un Arabe, tu resteras un Arabe, même en étant fils de harki, oui, même en étant un fils de harki (...). Il suffit, en France, si tu es blond aux yeux bleus, tu es... issu de la communauté européenne : Espagnol... Grec, Portugais, ils vont pas te traiter de... de sale merde, quoi, mais si tu es typé, basané, alors là c'est la catastrophe. C'est la catastrophe ; Karim), soit déjà connue (« Il y a encore des personnes qui considèrent que les enfants de harkis sont des fils de traîtres et que les côtoyer est quelque chose de complètement insensé (...). Ma soeur a eu l'expérience de rencontrer une personne qui, à partir du moment où elle lui a appris qu'elle était fille de harki, n'a jamais cherché à la revoir, c'est... c'est quelque chose d'impensable » ; Hassina), les situations sociales « mixtes » tendent à produire des interactions flottantes et angoissées, accompagnées d'une grande tension. Mais lorsque la différence n'est ni immédiatement apparente, ni déjà connue, lorsque l'individu n'est pas « discrédité » mais bien « discréditable », le problème n'est plus tant de savoir gérer les tensions qu'engendrent les rapports sociaux que de savoir manipuler de l'information sur un handicap virtuel (avec les problèmes de dissimulation et de révélation qui se posent à lui) ; Erving Goffman désigne par « faux-semblant » le maniement d'une information discréditrice pour soi-même et non révélée : « Lorsqu'une différence est relativement invisible, ce que son possesseur doit apprendre avant tout, c'est qu'il peut compter en fait sur sa propre discrétion »1523(*) :

« Moi, je suis éducateur de métier, je me suis occupé de... de Beurs... délinquants, etc. J'ai jamais eu de problèmes. Mais je leur ai jamais dit que j'étais fils de harki, ça c'est clair. Ah ! là ç'aurait été... un problème. (...) Alors là... y'aurait plus eu de respect (...) » (Karim).

Amalgamés, en vertu de considération phénotypiques, avec les populations issues de l'immigration maghrébine (et victimes, au même titre que ces dernières, du "délit de faciès"), mais encore, au cas où leur qualité de fils ou de fille de harki viendrait à être connue ou révélée, potentiellement exposés au stigmate d'infamie (singulier paradoxe, de la part même de ceux avec lesquels ils sont ordinairement confondus), les enfants de harkis sont tour à tour placés, au cours de leur « ronde journalière », dans la situation de l'individu « discrédité » et celle de l'individu « discréditable ». Il apparaît ainsi que l'enfant de harki, s'il veut garder le contrôle de son identité personnelle, doit savoir à qui il "doit" beaucoup d'informations, et à qui il en "doit" fort peu. Pour cette raison, il lui faut apprendre à la fois :

- à déjouer les préjugés en se jouant des apparences, ce que Erving Goffman appelle l'« effort de couverture » (vis-à-vis du groupe majoritaire) (section 1) ;

- à déjouer les préjugés en jouant des apparences, ce que Erving Goffman appelle le « faux-semblant » : la stratégie de la "dilution" au sein des populations issues de l'immigration maghrébine participe du maniement d'une information "discréditrice" pour soi-même et non révélée (section 2).

1. L'effort de neutralisation des préjugés liés au faciès, ou « le surmarquage des attributs de francité » (Mohamed Kara)

a) L'usage de « désidentificateurs », ou comment ne pas « être parlé par son corps » (André Gorz)

Le choix de prénoms français par les parents (ou sous la pression de l'administration), ainsi que la francisation des patronymes (qui s'y surajoute ou non) par les parents et/ou les enfants participent au premier chef des techniques de "neutralisation" des préjugés liés au faciès. Dans le livre qu'elle consacre au phénomène du changement de nom, Nicole Lapierre souligne que « la plupart des parents originaires de pays du Maghreb préfèrent donner à leurs enfants des prénoms arabes traditionnels, en dépit des effets stigmatisants que ce choix peut susciter »1524(*). Plus encore, « la francisation de patronymes qui renvoient aux frontières symboliques de la terre d'Islam apparaît comme une rupture inacceptable pour beaucoup de musulmans ». « De fait, ajoute-t-elle, la quasi-totalité des changements de nom de consonance arabe sont le fait de personnes ayant pris leurs distances avec l'islam ; ce peut-être aussi une décision qui confirme une option paternelle en faveur de la culture et de la société françaises maintenue dans le contexte de la décolonisation »1525(*).

De même, selon Erving Goffman, les procédés tel que le changement de nom participent des « techniques d'assimilation »1526(*) qu'emploient les membres des minorités ethniques pour traduire leur volonté d'intégration ou leur sentiment d'appartenance à la société d'accueil, incidemment menacés par une apparence qui les rattache de prime abord à un « groupe tribal stigmatisé ». L'individu stigmatisé use du prénom et/ou du nom francisé(s) comme de « désidentificateurs », soit « un type de signes qui tendent - en réalité ou dans l'espérance - à briser un tableau autrement cohérent, mais pour le modifier dans un sens positif voulu par leur auteur, et dont l'effet n'est pas tant de poser une nouvelle revendication que de mettre fortement en doute celle qui existait virtuellement »1527(*).

En l'espèce, s'il procède d'une démarche volontaire des parents, le choix de prénoms "français" pour les enfants tend, dans le meilleur des cas, à souligner - et à signer aux yeux d'autrui - l'option des pères pour la France :

« Mon père m'a appelée Marianne, comme la République. Parce qu'il l'aimait profondément. Pour lui, elle était le symbole de la liberté ». Et elle ajoute : « Mon père était un grand érudit musulman. Un jour, je suis sortie en portant une robe fuchsia, avec un décolleté profond, des lacets, et très courte. Je ne pouvais même pas tirer dessus tellement il y avait peu de tissu. J'ai croisé mon père dans la rue. Il s'est exclamé : «Comme tu es belle ! Pourquoi n'as-tu jamais mis cette robe ? N'aie pas peur que le regard des hommes te salisse. Moi je suis français, et mon regard ne te salira jamais» »1528(*).

Plus prosaïquement, le choix de prénoms "français" peut signifier la volonté des parents de soustraire leurs enfants aux effets d'assignation et de stigmatisation liés aux prénoms particulièrement typifiants. C'est le cas de la maman de Sarah, qui n'a pas voulu que sa fille, « arrière-petite-fille et petite-fille de harkis », porte un prénom arabe, « pour qu'elle ne subisse pas le poids de cette histoire et qu'elle ne se heurte pas au racisme ». Et elle ajoute : « Même si plus tard je lui raconterai mon parcours et celui des harkis, je veux qu'elle vive comme tous les autres enfants. Loin de ce drame »1529(*).

Cependant, cette démarche peut être mal interprétée par certains enfants de harkis, qui peuvent ne voir dans cette décision que pur esprit de soumission, volonté d'effacement. C'est ce que reproche en substance Zahia Rahmani à son père, qui l'avait appelée "Isabelle", pour sa plus grande honte à elle, humiliée par ce prénom qui ne lui ressemblait pas et, plus encore, par l'attitude d'un père qu'elle voyait semblable à ces « petits soldats qui s'excusent tout le temps » :

« On n'a pas voulu nous voir. Nous, ceux de cette politique honteuse. Si seulement on avait parlé. Si on avait su. Mais on n'a pas su. Cette parole qu'on écoute, qui informe et qui libère on ne l'a pas eue. On n'a pas pu. On m'a donc appelée Isabelle. Ma soeur est devenue Francine et mon frère Francis. Isabelle, et le reste tu oublies. Ton père ne lève pas la tête et tu dois marcher avec des prénoms pareils ! On était la risée de tout le monde. Bonjour madame, bonjour monsieur ! Une ressemblance contrainte. Sans explication. Ressemble-moi. Ressemble-moi. C'est la seule chose que je supporte de toi ! Et toi, pauvre con, tu mimes ton maître »1530(*).

Cependant, d'autres facteurs - indépendants de la volonté des parents - peuvent expliquer pourquoi au sein de la communauté harkie la francisation des prénoms apparaît être une pratique relativement plus répandue qu'au sein des populations issues de l'immigration maghrébine (où cette pratique demeure très exceptionnelle). La fréquence du choix de prénoms français y est de fait étroitement corrélée aux conditions initiales de prise en charge des anciens harkis et de leurs familles par les autorités de tutelle : cette option fut ainsi la plupart du temps une option "sous pression", largement tributaire du zèle des administrateurs, assistantes sociales et autres personnels officiant dans les camps de regroupements et autres sites spécifiquement dédiés à l' « accueil » et au « reclassement » des Français musulmans rapatriés, qui entendaient faciliter l'intégration des enfants en imposant aux parents le choix d'un prénom "français". Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas rapportent ainsi que « les monitrices de promotion sociale prénomment souvent les nouveaux-nés dans les camps et les hameaux forestiers, contre l'avis des parents ; il est d'ailleurs très significatif de voir qu'une partie importante des jeunes Français-musulmans, nés entre 1962 et le début des années 1970, portent des prénoms français, alors qu'ils se font appeler dans leur entourage familial et communautaire par des prénoms arabes »1531(*). Pour leur part, Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou notent qu'au Logis d'Anne « une grande partie des enfants nés entre 1963 et 1970 portent des prénoms «français» imposés par l'assistante sociale ou la sage-femme ». Les auteurs d'ajouter : « Un refus était perçu comme la marque d'une volonté de non-intégration ! »1532(*). De même, Mohamed Bouremel, de Mende, rapporte que « dans le camp, en Lozère, l'assistante sociale choisissait le prénom des enfants à notre place. Du coup, une de mes filles s'appelle Danièle : c'est la seule qui porte un prénom français. Après j'ai refusé »1533(*).

La décision de franciser un patronyme - le "changement de nom" proprement dit - est encore plus exceptionnelle. Elle procède généralement de la volonté des enfants (et parfois aussi des parents) de déjouer un destin trop scellé par un nom qui « enserre l'individu et le déconsidère tout entier »1534(*), mais encore parfois - dans une démarche plus intérieure - de « mettre en correspondance le sentiment d'identité, la réalité de la citoyenneté et le caractère du patronyme »1535(*). En ce cas, ajoute-t-elle, « la dimension horizontale de l'affiliation et de l'intégration sociale y prend nettement le pas sur l'axe vertical de l'origine et de la filiation »1536(*).

Cependant, les témoignages recueillis par Nicole Lapierre marquent, dans leur diversité, combien la manière dont est assumée cette situation ainsi que les bouleversements induits divergent non seulement selon que cette francisation du prénom et/ou du nom a été imposée de l'extérieur ou choisie, mais encore - mais surtout - selon le degré de latitude qu'elle laisse à l'individu pour trouver et jouer du point d'équilibre entre l'axe vertical de la filiation et l'axe horizontal de l'affiliation. Les parents de Djellouli Bent Ahmed s'étaient vus imposer par l'administration du camp de lui donner un prénom français, tout en conservant la possibilité d'y accoler un prénom arabe en second1537(*). C'est ce prénom qui est utilisé dans les relations familiales et intra-communautaires. « L'usage d'une identité officieuse, réservée aux proches, délimitée à un espace de relations privilégiées au sein duquel elle fonctionne comme signe distinctif d'appartenance et d'inclusion, comme repère de familiarité et de reconnaissance, existe au demeurant dans de nombreuses collectivités », souligne Nicole Lapierre1538(*). Cependant, Djellouli use de son identité "composite" comme d'un atout dans ses relations sociales et professionnelles :

« Cela nous arrange bien avec l'administration d'avoir des prénoms français, mais à la maison on en a un autre, et puis on change selon les circonstances. Moi, sur ma carte de visite, pour un usage commercial, j'ai abrégé mon nom en Bent, M. Bent, c'est plus facile. On joue aussi avec les prénoms et avec les apparences, on des caméléons : avec les Juifs on peut laisser croire qu'on est Juif, avec les Beurs, qu'on est beur, avec les Italiens, même chose. C'est ce qu'il faut faire, travestir le système d'identité et en rire »1539(*). A l'inverse, Mohamed Guerroumi, pupille de la nation, devenu Jean-Pierre Guérin à la suite de l'internement de son père, ancien combattant d'Indochine et d'Algérie, n'a jamais rencontré que méfiance et soupçon avec cette identité en forme de table rase1540(*), et se dit « amputé ». Il a fait plusieurs demandes de retour à son identité originelle, constamment rejetées par les tribunaux.

Et Nicole Lapierre de souligner qu'« à la croisée de l'individuel, du familial et du social, (...) l'optique grossissante du changement de nom révèle l'ambivalence des phénomènes d'identification et d'affiliation, (...) mais aussi la pensée magique et les constructions idéologiques qui s'emparent des signes et repères de l'identité »1541(*). « Les propos des uns et des autres, ajoute-t-elle, témoignent de cette double pression, interne liée à la filiation, à l'héritage d'une histoire et au sentiment d'identité, externe liée à la stigmatisation et à l'identité dévalorisante assignée »1542(*).

b) La stratégie de divulgation de l'identité intime

La stratégie de divulgation de l'identité intime vise - par un acte déclaratif - à renverser les anticipations "réflexes" d'autrui, inférées sur la base du seul phénotype. Il s'agit, en se déclarant ouvertement "fils ou fille de", de dire : « Je ne suis pas celui que vous croyez ».

Ainsi en va-t-il par exemple de Mohamed (35 ans) qui, s'il dit « ne pas [être] exubérant dans [sa] position de harki ou de fils de harki », reconnaît cependant qu'il lui arrive de faire en sorte de déjouer les apparences :

« Maintenant, il y a des contextes qui veulent qu'effectivement tu dises : «Attendez, moi je suis pas...»

- Quels contextes ?

- Ah !, c'est selon le feeling. Dans le monde du travail, y'a des fois où tu es obligé de sortir tes crocs : «French, hein, OK ? D'accord ? Donc, j'ai rien à apprendre de toi. Rien à apprendre. Les leçons d'histoire ou de morale, c'est pas toi qui les donnes, c'est plutôt moi, alors s'il te plaît...». Parce que dans le monde du travail, si tu montres pas tes dents, tu te fais vite manger, hein. Donc, de temps en temps, il faut savoir remettre les choses à leur place, historiquement, dire : «Attention !, Monte Cassino, la libération de l'Europe. On rigole des "enturbannés", des "négros", comme vous les appelez, hein, mais... Monte Cassino, c'est Mohamed, Ali, Mustapha qui ont fait Monte Cassino, donc, s'il te plaît, l'histoire, celle qu'on t'a ressassée dans les bouquins et celle que je connais moi, c'est pas du tout la même. Alors, rendons à César ce qui lui appartient». Et, en général, après... personne ne vient empiéter sur les plates bandes de l'autre, ça se passe très, très bien ».

De même, un fils de harki de 29 ans, interrogé par Moustapha Diop, reconnaissait « [se présenter] comme fils de harki pour échapper parfois au statut d'Arabe »1543(*).

Les effets non escomptés de la stratégie de divulgation de l'identité intime

Cependant cette stratégie, si elle peut déjouer les attitudes d'ostracisme fondées sur une anticipation erronée des attaches nationales (et il est généralement d'importance, pour les enfants de harkis, français par filiation, de ne pas être considérés et plus encore traités en étrangers par les membres du groupe majoritaire), ne peut décourager celles fondées sur ces autres « stigmates tribaux » que sont selon Erving Goffman la « race » et la « religion » (exception faite de ceux - une toute petite minorité - parmi les enfants de harkis qui se sont convertis au catholicisme et choisissent d'en faire ouvertement état).

Par ailleurs, la stratégie de la divulgation expose les enfants de harkis au risque d'être stigmatisés pour ce qu'ils sont - ou, plutôt, pour ce que sont les harkis aux yeux des autres. Ainsi en va-t-il de la flétrissure de sens commun - redevable d'un déficit d'information (ou d'une forme de paresse intellectuelle) - assimilant les harkis à des « collabos ». Ainsi en va-t-il, a fortiori, de la flétrissure plus inflexible - car motivée idéologiquement - propre à certains cercles anticolonialistes marqués par leur engagement durant la guerre d'Algérie (ou s'en réclamant), et dont l'influence sur le sens commun - via la diffusion de schèmes de pensée qui opèrent et prospèrent à titre de réducteurs de complexité - n'est du reste pas négligeable.

En outre, par-delà même l'anathème, la stratégie de la divulgation est potentiellement invalidante lorsqu'elle se heurte, de la part de l'interlocuteur, à une totale méconnaissance de ce que sont les harkis. Eu égard au trouble ainsi institué dans le cours normal de l'interaction, l'explication elle-même peut devenir source d'humiliation, signant aux yeux des intéressés combien ils sont des Français "entièrement à part".

Aussi, la proposition selon laquelle la divulgation - à l'adresse du groupe majoritaire - de l'identité intime des enfants de harkis va « briser un tableau autrement cohérent mais pour le modifier dans un sens positif [voulu par l'auteur de la divulgation] » est à la fois vraie et fausse. D'une part, une telle stratégie n'autorise qu'à se dégager partiellement des anticipations négatives fondées sur la primo-caractérisation (phénotypique) de l'individu : au contact d'un enfant de harki, un individu profondément raciste - à la différence peut-être du xénophobe, qui est mû par la peur des "intentions hostiles" de l'étranger - ne pourra être ébranlé dans ses préjugés raciaux par une profession de foi qui viserait d'abord à signifier un attachement spirituel à la société d'accueil. D'autre part, la stratégie de la divulgation expose potentiellement les enfants de harkis à une forme de discrédit - le stigmate d'infamie (lié à l'étiquette de « collabos » accolée à leurs parents) - que n'appelait pas auprès du groupe majoritaire leur situation antérieure de « discrédité » (en tant qu'« étrangers »). Ainsi, le caractère paradoxal de la « ronde journalière » des enfants de harkis est en quelque sorte porté à son comble lorsque leur effort pour s'extraire de leur condition d'individus « discrédités », plutôt que de déjouer cette condition invalidante, la suscite d'une autre manière en modifiant la nature du discrédit qui leur est attaché1544(*). Pis encore, la stratégie de la divulgation peut à l'occasion ajouter au discrédit préalable, sans l'effacer : c'est le cas par exemple de certains employeurs qui, en plus de compter au passif des enfants de harkis leurs attributs patronymiques et/ou phénotypiques, les considèrent être par surcroît, en leur qualité d'enfants de harkis, des « semeurs de troubles » potentiels, ce notamment dans les régions ou l'implantation des familles s'est opérée sur un mode communautaire1545(*). Il est bien évident, cependant, que le risque d'être exposé au stigmate d'infamie à la suite d'un acte déclaratif (« Je suis fils ou fille de ») est moins grand au regard du groupe majoritaire qu'auprès des populations issues de l'immigration algérienne.

2. L'effort de conformation aux anticipations normatives des populations issues de l'immigration maghrébine, ou « le surmarquage des attributs de l'arabité » (Mohamed Kara)

A l'inverse de la stratégie de la divulgation, dont elle est en quelque sorte le symétrique, la stratégie de la "dilution" au sein des populations issues de l'immigration maghrébine appelle le "camouflage" de leur filiation par les enfants de harkis. En l'espèce, en tant que l'individu n'est pas déjà « discrédité » mais bien potentiellement « discréditable », il s'agit pour les enfants de harkis non pas de déjouer mais, au contraire, de jouer des apparences pour prévenir à leur endroit toute forme de flétrissure liée au stigmate d'infamie. Erving Goffman appelle « faux-semblant » le maniement d'une information "discréditrice" pour soi-même et non révélée. Et il ajoute : « Dès lors qu'un individu a quelque chose de compromettant dans son passé ou son présent, on peut penser que la précarité de sa position varie en proportion directe du nombre de personnes dans le secret »1546(*). Ainsi, du fait même de la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie (voir plus haut), les enfants de harkis se voient ordinairement contraints de se replier sur une identité de façade qui ne déroge pas aux attentes normatives des enfants d'immigrés, malgré le sentiment évident de frustration qui s'ensuit :

« (...) les jeunes issus de l'immigration, c'est-à-dire y'a pas marqué là qu'on est harkis, donc nous on le dit pas d'entrée, parce que... (...) je le dis pas forcément parce que... ça nous crée des problèmes automatiquement (...). Moi, j'irai jamais dire d'entrée à quelqu'un : «Je suis fille de harki», sans avoir discuté avec lui une ou deux journées, ou plus. Voilà. Aux Beurs, on peut pas leur dire qu'on est enfants de harkis, ou quoi, parce que y'a tout de suite le regard de travers, le soupçon... je sais pas comment dire mais après... derrière le dos, ça parle beaucoup, et puis automatiquement y'a le téléphone arabe, donc tout le monde va vous regarder de loin, comme ça, et puis... y'aura un poids sur le dos et... c'est pas... je peux pas... moi personnellement je pourrais pas » (Jacqueline) ; « Quand on me demande d'où je viens, je dis : «Je suis Marseillais. Je suis né à Marseille. Mais je suis d'origine algérienne». Tu peux pas dire : «Je suis fils de harki». C'est impossible. C'est mal perçu. C'est l'impression que j'ai, c'est mal perçu. Tu as des gens qui vont comprendre, tu as des gens qui vont pas comprendre. Bon, je suis Marseillais d'origine algérienne, point à la ligne. Moi j'aimerais bien dire à tout le monde que je suis fils de harki... : «Traître ! Tu es un traître, ils ont vendu leur pays» » (Karim).

De même, Hocine, 26 ans, ne se dévoile qu'avec parcimonie à ses amis « fils de combattants FLN » :

« Fils de collabo, c'est quand même difficile à porter. J'ai beaucoup d'amis parmi les fils de combattants FLN. Nous avons la même tête et les mêmes difficultés. Mais je ne dévoile mes origines qu'à ceux qui peuvent comprendre »1547(*).

Pour sa part, Farid, qui vivait dans un quartier habité par une forte proportion de populations immigrées, se souvient des consignes inhibantes (et sans doute effrayantes) de sa mère : « Quand on sortait dehors, ma mère nous disait souvent en se mettant le doigt sur la bouche : «Ne dit jamais qu'on est des harkis» »1548(*).

Cette propension à se replier sur une identité de façade est d'autant plus forte pour ceux qui, vivant dans des quartiers "mixtes" où les familles de harkis sont une "indicible" exception, ne bénéficient pas du sentiment de "réassurance" identitaire offert par les sites "fermés", marqués par une sociabilité de type communautaire (un des rares "apanages" des familles "ségrégées"). Un témoignage saisissant m'en a d'ailleurs été donné quasi-fortuitement, en deux étapes, d'abord à la faveur d'une discussion informelle avec une personne de ma connaissance, d'origine marocaine, sur mon lieu de domiciliation (en région parisienne), puis dans le cadre de mes investigations de terrain à Largentière (en Ardèche). J'appris d'abord, de la bouche de cet ami d'origine marocaine, alors même que je lui expliquais l'objet de mes travaux, que Magid1549(*), jeune homme de mon âge que je connaissais depuis l'enfance pour avoir longtemps pratiqué le football avec lui, était petit-fils de harki, mais qu'il avait fait jurer aux rares "affranchis" de garder pour eux ce "secret" (qu'il tenait visiblement pour une tare honteuse eu égard aux représentations véhiculées par son environnement amical). Je n'en avais, de fait, jamais rien su auparavant. Magid a vécu son enfance et son adolescence dans une cité HLM où la proportion des familles issues de l'immigration maghrébine est relativement forte. Quelque temps après, je rencontrai, au cours de mon séjour à Largentière, un fils de harki prénommé Hicham1550(*), dont le nom de famille était identique à celui de Magid. Je conçus d'abord cela comme un hasard et n'opérai aucun rapprochement. Hicham, plus âgé que Magid, et vivant dans un site "ségrégé" au milieu d'une forte communauté harkie (et de quelques familles d'origine marocaine, minoritaires) assumait totalement, et généralement ouvertement aux yeux d'autrui (y compris vis-à-vis des personnes issues de l'immigration maghrébine), sa condition de fils de harki. Je fus donc extrêmement surpris de l'entendre évoquer, au fil de la conversation, l'existence d'un neveu prénommé Magid, domicilié dans la même ville que moi et qui, par ce fait, ne pouvait être que le Magid que je connaissais moi-même. Cet exemple témoigne par excellence de ce que la cohésion communautaire - ou son absence - est un facteur crucial dans le fait d'assumer ou non ouvertement son ascendance lorsqu'on est fils ou même - à l'instar de Magid - petit-fils de harki.

Erving Goffman note que pour un individu « normal »1551(*), « quoique sa ronde journalière le mette habituellement en contact avec des gens qui le connaissent de façons différentes, (...) un certain type de structure biographique unique se maintient toujours »1552(*). Un individu « normal » peut être ainsi défini comme un individu dont le passé ou le présent ne recèle rien qui ne déroge fondamentalement au stéréotype que l'on s'en fait, et pour qui nul problème de « révélation » ou de « dissimulation » ne menace de contrarier la présentation de soi ou l'identification par autrui. À l'inverse, s'agissant des enfants de harkis, il est possible d'affirmer que, du fait des contradictions inhérentes à la manière dont les uns - le groupe majoritaire - et les autres - les populations issues de l'immigration (algérienne, en particulier) - perçoivent et sont susceptibles de considérer les intéressés et, corrélativement, de l'ambivalence des stratégies de présentation de soi qu'ils peuvent être amenés à assumer, les rencontres fortuites de la vie quotidienne sont génératrices d'une confusion des identifications et d'une ségrégation des rôles difficilement compatibles avec le maintien d'une "structure biographique" unique. Du reste, soulignons-le à nouveau, le registre identitaire auquel il est fait appel est d'autant plus étendu que les stigmatisations sont croisées, c'est-à-dire imputables à des groupes diversement positionnés sur l'échelle sociale, et que - par surcroît - ces stigmatisations peuvent être paradoxales, c'est-à-dire contradictoires les unes les autres. Se pose ainsi la question de la congruence entre l'identité pour soi et l'identité pour autrui : « On pense fréquemment, non sans raison, que celui qui fait semblant doit se sentir déchiré entre deux attachements. D'une part, il éprouve une certaine impression de distance à l'égard de son «groupe», puisqu'il n'est guère capable de s'identifier pleinement à l'attitude de celui-ci envers ce qui peut lui être imputé. Mais, d'autre part, il ne peut manquer de se sentir déloyal et de se mépriser quand il ne réagit pas contre les remarques «insultantes» qu'adressent les membres du groupe au sein duquel il fait semblant à ceux de la catégorie hors de laquelle il feint d'être, surtout s'il lui paraît dangereux de se tenir à l'écart de ces séances de dénigrement »1553(*).

Le déploiement routinier de telles stratégies de contrôle de l'information marque « la dépendance statutaire des individus vis-à-vis de la position [relative] et de l'image des groupes auxquels ils appartiennent »1554(*). Et ce plus encore « lorsqu'on appartient à un groupe faiblement structuré et organisé »1555(*). Au final, ainsi que le souligne Erving Goffman, « l'individu stigmatisé est avant tout formé à la conception qu'ont les autres de ses semblables »1556(*). Il s'ensuit, pour les enfants de harkis, un écartèlement des identifications au niveau du Moi, qui augure chez la plupart d'une sensation de « déchirement ».

III. L'écartèlement des identifications au niveau du Moi : le concept de triangle de stigmatisation et la notion de « déchirement » (Vincent de Gaulejac)

Ce chapitre consacre une forme de montée en généralité, et ce à double titre :

- d'abord via un effort de modélisation de la sociodynamique de la stigmatisation au sein et autour de la communauté harkie, à travers la notion de "triangle de stigmatisation" (section A.);

- ensuite via la mise en évidence du double étayage, affectif et social, du sentiment d'humiliation des enfants de harkis, déchirés entre la nécessité de composer au jour le jour avec un environnement social stigmatisant et la "honte d'avoir honte" de leurs parents1557(*) (section B.).

A. Le concept de triangle de stigmatisation

L'effort de modélisation de la sociodynamique de la stigmatisation s'articule autour de la notion de "triangle de stigmatisation" ou, plus exactement, de double triangle de stigmatisation. Nous distinguerons entre :

- d'une part, un triangle "catégoriel" qui modélise la dynamique externe de "générescence" d'une imagerie globale (et globalement négative) de la figure du harki (section 1) ;

- d'autre part, un triangle "existentiel" qui modélise le brassage du "reçu" et du "vécu" chez les enfants de harkis dans l'ordinaire des relations sociales et familiales (section 2).

1. Un triangle "catégoriel"

Ce triangle catégoriel peut être dépeint comme le lieu de coalescence d'un regard institutionnel (gestes officielles algérienne et française), d'un regard collégial (geste des intellectuels en guerre d'Algérie) et d'un regard routinier (les anticipations statutaires fondées sur l'activation de stéréotypes physiques et réputationnels dans l'ordinaire des relations sociales). Eric Landowsi parle à cet égard d'un « jeu à trois » des catégorisations, ou d'un triptyque « catégories officielles », « catégories savantes », « catégories naturelles »1558(*).

Ce lieu où s'agglomèrent et s'amalgament ces différents "regards" est aussi, nous l'avons vu, le lieu de "générescence" d'une imagerie globale - et globalement négative - des intéressés. Ainsi, le triangle de stigmatisation "catégoriel" rend compte de la dynamique de confluence des formes d'assignation statutaire qui limitent l'acceptation des intéressés et de leurs enfants en France et en Algérie. Autrement dit, ce triangle de stigmatisation catégoriel est une forme de modélisation de ce que Erving Goffman décrit comme « l'histoire de la capacité qu'a un attribut [en l'occurrence, la qualité de harki] de servir de stigmate dans une société donnée »1559(*).

Triangle de stigmatisation catégoriel

Formation d'une "imago"/imagerie globale (et globalement négative)

Catégories "officielles" Catégories "savantes"/militantes

(gestes officielles algérienne et française) (geste des intellectuels français)

Catégories "naturelles"/routinières

(activation de stéréotypes dans l'ordinaire des relations sociales)

2. Un triangle "existentiel"

Ce triangle "existentiel" modélise le brassage du "reçu" et du "vécu", le rapport à la mémoire et aux origines et la façon dont il peut - ou non - produire la honte dans l'ordinaire des relations sociales, de nos jours en France : en somme, il est le lieu cardinal - quasi-géographique - d'expérimentation de la honte par les fils et filles de harkis au cours de leur « ronde journalière ».

Ce triangle de stigmatisation "existentiel" est le produit de trois types d'influences routinières :

- À la base de ce triangle, l'influence "rentrée", à la fois spéculaire (car elle a trait à l'identification au père) et tyrannique (car régie par les affects), du "non-dit" paternel, cette difficulté des pères à dire et à transmettre à leurs enfants un roman familial marqué par leur engagement aux côtés de la France et les conséquences dramatiques qui en ont résulté. Il en résulte - double violence psychologique et affective - l'intériorisation par l'enfant du regard que la société porte sur ses parents et, corrélativement, l'effondrement toujours possible, toujours menaçant de l'image de l'idéal parental.

- Sur le premier versant du triangle, l'influence machinale, mécanique du système de stéréotypes fixé par le groupe majoritaire : dans les interactions fugaces de la vie quotidienne, les extrapolations/anticipations fondées sur la seule apparence physique des sujets jouent contre la reconnaissance des enfants de harkis "en tant que tels", en raison de la prégnance du « stigmate tribal » et de l'amalgame avec la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine. Ce parasitage de la « reconnaissance sociale » par la « reconnaissance cognitive » (Erving Goffman)1560(*) signe, pour les enfants de harkis, le "tragique latent" de la construction routinière du rapport Nous / Eux vis-à-vis du groupe majoritaire.

- Sur l'autre versant du triangle, l'influence "déclarée", ouvertement hostile, des préconceptions négatives / des a priori négatifs nourris plus ou moins systématiquement au sein des populations issues de l'immigration maghrébine (algérienne en particulier) à l'encontre des anciens harkis et, par une sorte de raisonnement en miroir, à l'encontre de leurs enfants. Le paradoxe est que cette rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie est alimentée par ceux-là mêmes - certains fils et filles d'immigrés maghrébins - avec lesquels les fils et les filles de harkis sont ordinairement confondus par les membres du groupe majoritaire.

Enfin, à l'épicentre de ce triangle, l'état de dissonance cognitive, la sensation de « déchirement » (Vincent de Gaulejac) auxquels sont sujets les enfants de harkis. Cette sensation de déchirement est la conséquence de l'écartèlement des manières de s'identifier et d'être identifié par les autres, mais plus encore de l'impossibilité de puiser dans un récit familial grevé par les "non-dits" un moyen terme sécurisant, des médiations satisfaisantes que les enfants de harkis puissent opposer aux avanies multiples et contradictoires dont ils sont l'objet. Aspects psychoaffectifs et psychosociaux entrent ainsi dans une dynamique de renforcement qui intensifie et pérennise la sensation de déchirement.

Ainsi, ce second triangle est le lieu de confluence des informations portées à leur endroit et/ou à leur encontre par leur environnement immédiat dans l'ordinaire des relations sociales, autrement dit, une représentation modélisée du « cycle des événements ordinaires » qui limitent la possible projection et la possible affirmation des enfants de harkis dans la société d'accueil.

Triangle de stigmatisation existentiel

Ecartèlement des identifications au niveau du Moi : la notion de "déchirement"

Le système de stéréotypes fixé par Les préconceptions négatives des

la société d'accueil populations issues de l'immigration

(l'amalgame avec les populations algérienne

issues de l'immigration maghrébine) (la rémanence

transgénérationnelle du stigmate d'infamie)

L'interdit parental

L'interdit paternel

(la difficulté des pères à "dire" et à "transmettre")

À travers ce double étayage, "catégoriel" et "existentiel", de la sociodynamique de la stigmatisation, transparaît un autre étayage, affectif et social. Autrement dit, à la honte de la situation objective dans laquelle ils se trouvent routinièrement placés du fait du regard ou, plutôt, des regards portés sur la trajectoire singulière de leurs parents et de l'obligation corrélative de devoir composer avec ces regards pour s'en accommoder tant bien que mal (et plutôt mal que bien au regard du coût intime de telles stratégies d'accommodation) se surajoute, chez les enfants de harkis, la "honte d'avoir honte". Car si la honte est d'abord le produit d'un système de signes véhiculés de l'extérieur autour et à l'encontre de la communauté harkie, son expression se trouve renforcée par la "cassure" de la dynamique des générations au sein même du noyau familial, l'ambivalence des sentiments filiaux se nourrissant de la résignation supposée des parents (ou présentée comme telle par certains enfants) :

« Lorsque l'enfant a le sentiment que ses parents sont résignés ou qu'ils sont responsables de cette situation, (...) qu'ils ne semblent pas avoir conscience de la souffrance psychique et psychologique qu'elle engendre alors que l'environnement est stigmatisant, (...) l'enfant est partagé entre deux attitudes : trahir pour se sauver, ou reproduire pour ne pas trahir »1561(*).

Pour l'auteur, cette « dualité du sentiment de honte entre la stigmatisation sociale et la dévalorisation des parents », cette redondance ou ce mouvement de renforcement entre la « violence symbolique » (« liée au regard de la société ») et la « violence psychique » (« liée à l'effondrement de l'image paternelle »), sont générateurs d'une sensation de « déchirement identitaire »1562(*).

B. La notion de « déchirement » (Vincent de Gaulejac) : « l'insécurité ontologique des enfants de harkis, entre irrésolution identitaire et ambivalence des sentiments filiaux » (Mohamed Kara)

Selon Jean-Claude Deschamps et Alain Clémence, la notion d' « équilibre cognitif », conceptualisée notamment par Fritz Heider1563(*) et Leon Festinger1564(*), part de l'idée qu'il existe chez l'individu un « besoin » fondamental d'organiser ses relations interpersonnelles, d'atteindre à une vision équilibrée, congruente de son environnement, « de telle manière que, dès qu'il y a déséquilibre, il y a tentative de restaurer un état équilibré ». Et ils ajoutent : « La non cohérence, l'inconsistance, ou même la contradiction, entraînent un processus d'autorégulation visant à restaurer la cohérence ou l'équilibre »1565(*).

Or, en l'espèce, la mise en branle de tels mécanismes d'autorégulation et de retour à la consonance cognitive est rendue particulièrement difficile du fait de la situation décrite par le triangle de stigmatisation (voir ci-dessus). Les enfants de harkis, nous l'avons vu, vivent en France dans le paradoxe de ne pouvoir être (du fait de l'amalgame avec les populations issues de l'immigration maghrébine) et de devoir ne pas être (pour ne pas s'exposer aux avanies véhiculées par ceux-là mêmes avec lesquels ils sont ordinairement confondus). Et le silence du père, parce qu'il ne sait pas ou ne veut pas expliquer, va, d'une certaine manière, "donner raison" aux éléments de stigmatisation.

La honte surgit dès lors au centre des possibilités chez l'individu stigmatisé. Celle-ci, précisément, peut être définie comme un « méta-sentiment », « un conglomérat de charges et de réactions émotionnelles, d'affects, de sensations où se mêlent des aspects psychoaffectifs et psychosociaux » ; selon Vincent de Gaulejac, ces différents aspects « peuvent, soit se compenser et faciliter les processus de dégagement, soit se renforcer mutuellement et enchaîner le sujet dans l'impossibilité de trouver une issue aux contradictions qui le traversent »1566(*). En l'espèce, la honte liée au poids des "étiquetages" dans l'ordinaire des relations sociales se nourrit de l'ambivalence des sentiments filiaux (ambivalence liée à la "démission" apparente des pères face aux pressions inhibitrices de l'environnement social). Il s'ensuit une forme de "noeud socio-psychique" qui ajoute la culpabilité à la honte : c'est la "honte d'avoir honte".

C'est aussi ce que suggère Mohamed Kara, qui évoque, à propos des enfants de harkis, « un sentiment de double honte : honte persistante de son stigmate et, contradictoirement, honte de ne point l'assumer »1567(*). De même, Erving Goffman souligne que « celui qui fait semblant doit se sentir déchiré entre deux attachements », car « il ne peut manquer de se sentir déloyal et de se mépriser quand il ne réagit pas contre les remarques «insultantes» qu'adressent les membres du groupe au sein duquel il fait semblant à ceux de la catégorie hors de laquelle il feint d'être, surtout s'il lui paraît dangereux de se tenir à l'écart de ces séances de dénigrement »1568(*). En témoigne Kamel, interrogé par Mohamed Kara : « C'est plus douloureux parce qu'on se sent frustrés. Normalement, on devrait dire qu'on est harkis et qu'ils se trompent en étant racistes (les immigrés), ils ne connaissent pas l'histoire »1569(*).

Aussi, placés routinièrement - c'est-à-dire au gré de leur « ronde journalière » - au coeur d'une situation d'intercommunication paradoxale, et parfois durablement confrontés à l'interdit paternel, les enfants de harkis traversent généralement, à un moment ou à un autre de leur « itinéraire moral », ce que Vincent de Gaulejac décrit comme une situation de « déchirement ». La notion de « déchirement » est définie par cet auteur comme « le produit de contradictions face auxquelles le sujet ne trouve pas de médiations satisfaisantes »1570(*) :

« D'une part, on avait les Français "de souche" qui, eux, nous considéraient comme... «l'Arabe» voire, pour certains, «le bougnoule» tout simplement, et puis de l'autre côté vous aviez l'immigré algérien qui lui nous disait : «Mais ça c'est des harkis ou fils de harkis», avec tout ce que ça a de péjoratif quand c'est dit par un Algérien, c'est-à-dire que c'est un traître, vous comprenez » (Mohamed, 42 ans).

Dès lors, adolescent, Mohamed (42 ans) en vient à se sentir complètement "paumé" ; lui qui a perdu très tôt son père manque, plus encore que ses camarades peut-être, des référents, des repères nécessaires pour faire face aux assignations statutaires, le plus souvent contradictoires, mais qui toutes tendent à les marginaliser, dont sont l'objet les membres de la communauté harkie :

« Et donc, c'est vrai que nous... on était là, on... nos repères, nos références, on en avait pas, on savait pas si on était français, si on était arabes, si on était... on le savait pas du tout parce quelle que soit la personne avec qui on pouvait parler, on ne pouvait jamais s'associer ni à son discours, ni à ses références à elles parce que bon... on était rejetés, tout simplement. Et c'est vrai que, encore une fois, en tant qu'adolescent, c'est quelque chose qui vous trouble pendant des années, et... en ce qui nous concerne, moi et des dizaines d'autres enfants à l'époque, on a eu du mal à se raccrocher à quelque chose, on a eu du mal à se dire : «Bon, ben... on va dans cette direction ou dans celle-là», parce qu'on était paumés, tout simplement, on était paumés ».

K.D. Bouneb constate « l'incapacité [de certains enfants de harkis] d'avoir une identité propre investie positivement. Les jeunes ne possèdent ni groupe de référence, ni groupe d'appartenance précis, c'est en marge de deux cultures [et de deux mémoires] qu'identification et identité, chez eux, se constituent et se structurent, et les difficultés de rejet vont être une entrave à une identification valorisante (...). Le désir d'avoir une identité propre [leur] est refusé aussi bien par la société d'origine que par la société d'accueil »1571(*). Soulignant le rôle déterminant du regard de l'autre dans la qualité de l'adaptation de la deuxième génération, l'auteur ajoute : « Etre traité de «fils de traître» par les Algériens ou de «bougnoule» par les Français, cela n'est pas sans conséquence sur le devenir psychologique du jeune, enfant de harki »1572(*). Il cite, à cet égard, le témoignage de N., 17 ans, fille de harki :

« (...) mais il y a une chose qui me désole beaucoup, c'est que nous les Français Musulmans, nous sommes pris entre deux feux, nous sommes comme des girouettes. Pour les Français, nous ne sommes pas chez nous, car ce n'est pas écrit sur notre front qu'on est des Français. Et si nous voulons aller en Algérie, on nous dit : «oui, vous êtes des Français, retournez chez vous !». Alors vers qui se tourner ? Et dire qu'après plus de 20 ans l'Algérie est toujours aussi rancunière envers nos parents, qui par la faute de cette rancune ne peuvent plus retourner voir leur pays, leurs familles. Alors, lorsque l'on nous dit à nous les jeunes : vous êtes des Français à part entière, je rigole, car comment voulez-vous être Français ou Algérien en étant souvent rejeté des deux côtés. Nous sommes de vraies girouettes »1573(*).

Mohamed Kara souligne ainsi que « c'est la réversibilité des effets de leur identification par autrui, selon qu'elle s'effectue par les Français de souche européenne ou les enfants d'immigrés, qui est source de tension morale permanente et d'insécurité ontologique. (...) Selon l'interlocuteur, le harki tendra à l'exaltation factice de certains traits identitaires susceptibles de lui faciliter l'inclusion parmi les Français de souche européenne ou, alternativement, à occulter des informations stigmatisantes vis-à-vis des immigrés algériens et de leurs enfants. (...) En permanence et selon les circonstances, le harki s'aliène dans un personnage et édifie, bricole même, un rôle de composition ». Et il ajoute : « L'enfant de harki est agi, plus qu'il n'agit, par les termes confus de ce paradoxe identitaire qui scelle son irrésolution »1574(*).

De même, par « atteintes à l'unité de sens », Carmel Camilleri désigne les atteintes à la cohérence entre la « fonction ontologique » de l'identité et sa « fonction pragmatique », la seconde étant régie par l'accommodation à l'environnement1575(*). Précisément, par-delà l'amalgame et la flétrissure per se, ce sont les stratégies adaptatives visant à composer avec le regard de l'autre qui - plus encore - sont susceptibles de toucher à l'estime de soi de l'individu stigmatisé. De telles stratégies marquent en effet l'intériorisation du stigmate par le sujet, elles fabriquent de l'aliénation : la dialectique dissimulation/divulgation, entre "faux-semblant" à l'égard des populations issues de l'immigration et "surmarquage des attributs de francité" à l'égard du groupe majoritaire, condamne les enfants de harkis à vivre sans cesse dans l'intermédiarité, la composition, le "bricolage identitaire".

Dans les cas extrêmes, l'identité sociale constitue un "faux-self", servant à masquer et à protéger le "vrai self" (Donald W. Winnicott). A cet égard, Edmond-Marc Lipiansky avance l'hypothèse que plus les limites du moi intime sont mal établies, plus l'identité pour soi est fragile ou mal étayée, et plus fortes seront la coupure et la barrière entre le moi social et le moi intime. En l'occurrence, la difficulté d'assumer aux yeux d'autrui une filiation aux frontières mal établies dépêche la dilution du moi intime des fils et filles de harkis lors des contacts "mixtes". Ce faible degré de correspondance, cette faible "congruence" (Carl Rogers) entre le moi intime, la conscience qu'en a le sujet et la façon dont il l'exprime socialement dans ses relations à autrui est source de souffrance pour les intéressés :

« J'ai beaucoup de mal à le dire et... je le dis en fait quand je suis au pied du mur, quand je peux pas esquiver (...) ; ça me fait peur d'en parler, j'ai pas envie que les gens le sachent (...) c'est assez difficile à porter (...) c'est pas quelque chose que je dis spontanément quand je rencontre quelqu'un » (Dalila, 23 ans) ; « C'est-à-dire qu'on est obligé de cacher ce qu'on est parce que aussi bien du côté français que du côté algérien, euh... on se fera toujours insulter par des gens... côté français qui sont plus ou moins de tel bord politique, on se fera toujours insulter de «traîtres» et de... d'«enfants de traîtres», etc., et du côté algérien, c'est encore pire, donc quelque part on en souffre de ne pas pouvoir revendiquer ce qu'on est. Voilà, c'est... c'est très, très difficile et c'est... des fois ça peut vous briser (...) » (Jacqueline).

« On comprend donc, écrit Erving Goffman, que le faux-semblant soit un phénomène qui a toujours amené à se poser des questions sur l'état d'esprit de ceux qui s'y livrent ». Et il ajoute : « Avant tout, on suppose qu'à vivre une existence sans cesse en danger de s'effondrer, le dissimulateur doit nécessairement payer un prix psychologique très lourd, connaître une angoisse très profonde »1576(*). C'est assurément le cas de Leila, 39 ans, qui a perdu son père alors qu'elle était encore enfant, et qui ne sait comment se défaire de l'étiquette infamante accolée à son père - cette « tare morale contagieuse »1577(*) - et du mal de vivre qui lui est corrélatif :

« Être harki, c'est être coupable. On m'a collé une étiquette, "harki", et elle ne me quittera jamais. (...) J'ai vu des psychiatres, mené plusieurs psychothérapies, pris des médicaments. Mais je me sens impuissante face à ce problème. Je ne peux pas déclarer la vérité à tout le monde, ni changer les mentalités. Dans l'esprit des gens, le harki reste un traître, un point c'est tout. Et moi, je me sens fragilisée par tout ça »1578(*).

Il peut résulter de cette atteinte à la cohérence entre la « fonction ontologique » de l'identité et sa « fonction pragmatique » une forme d'incapacité des individus à se constituer en acteurs. Cette incapacité se traduit par des comportements de retrait, de raréfaction des relations amicales et sociales. Vincent de Gaulejac note qu' « une fois installée, la honte devient alors inhibition ». « Le sujet, ajoute-t-il, redoute toutes les situations qui pourraient réveiller sa blessure. Il les évite, tend à s'isoler, à se replier sur lui-même, à se couper de toute relation pour ne risquer de revivre une telle violence »1579(*). « En gardant ainsi ses distances, écrit Erving Goffman, l'individu discrédité parvient du même coup à limiter les tendances qu'ont les autres à se construire une image de lui »1580(*). La situation de Karim, qui vit seul à Paris, est exemplaire à cet égard :

« Moi, je te dis franchement, depuis que je suis à Paris : boulot-maison, boulot-maison, de temps en temps je sors voir des amis, mais autrement, aller me balader dans Paris, pour être catalogué, pour être euh... pour qu'on te dévisage... (...) Ce que je ne tolérerai jamais, c'est que... on est des bouc émissaires, on nous confond, on sait pas qui on est, qui nous sommes. Ils vont dire : «C'est des Arabes». Et puis voilà, c'est clair ».

S'agissant plus spécifiquement des populations "assignées", socialisées dans des "sites réservés" en marge de la société d'accueil et du "Nous" de référence, l'intériorisation du stigmate peut générer des phénomènes de repli communautaire, de mise au ban "volontaire" par rapport au reste de la société, sur un mode plus ou moins anomique. Ainsi en va-t-il des attitudes et comportements de certains jeunes enfants de harkis issus des sites "ségrégés" de Largentière (la ville fut d'ailleurs classée "site sensible" en 1981) ou Lodève, par exemple. La relégation géographique originelle, liée au parcage et à la mise sous tutelle par les autorités de familles jugées globalement inaptes à s'intégrer au mode de vie métropolitain (voir la Partie 1), a accouché, pour les générations nées et socialisées dans ces territoires d'exception, d'une relégation sociale différée en même temps que de la cristallisation progressive d'un sentiment sinon d'une "culture" de la marginalité. A cet égard, Vincent de Gaulejac pointe les effets de « glissement entre situation sociale et qualité morale »1581(*) (perçue et auto-attribuée), à travers « la chaîne : mépris, relégation, perte symbolique de l'utilité sociale, mise en cause de l'identité collective et personnelle, retrait social, mépris, relégation, etc. »1582(*).

Le cas de Lodève (dans l'Hérault), qui m'a été rapporté par un étudiant en sciences politiques issu d'une famille lodèvoise "de vieille souche", illustre la lente cristallisation, d'une génération l'autre, de la logique de l'exclusion. À leur arrivée, les familles de Français musulmans rapatriés étaient communément désignés par les Lodévois sous le vocable de « harkis », conformément à leur statut durant la guerre d'Algérie. En dehors des activités salariées, les contacts "mixtes" restaient exceptionnels, les anciens harkis et leurs familles vivant dans une cité à l'écart du village. Cette situation d'enclosure relative, acceptée avec "fatalisme" (et peut-être aussi parfois avec soulagement) par la génération des pères, fût progressivement perçue comme une situation d'exclusion par les générations suivantes, confrontées dès leur plus jeune âge au décalage existant entre le discours de l'intégration et les conditions pratiques de sa (non-)matérialisation dans un cadre à la fois ségrégé, donc, et progressivement sinistré au plan industriel. Sensibles au regard porté sur leurs parents (et à la résignation apparente de ces derniers face à la situation qui leur était faite), et rendus amers par les conditions de leur socialisation, certains enfants de harkis ont pu ainsi développer des comportements qui - plus ou moins "volontairement" - les plaçaient en porte-à-faux avec la société « d'accueil », conformément à la logique de l'exclusion décrite par Vincent de Gaulejac. Celle-ci veut que la perte de l'estime de soi [l'intériorisation du stigmate] s'objective dans des comportements asociaux à l'encontre de l'environnement immédiat, comportements qui, à leur tour, alimentent la chaîne de l'exclusion. Or, la multiplication des actes d'incivilité n'est pas sans conséquence sur la perception des intéressés par la communauté villageoise. C'est ainsi que, toujours selon notre source estudiantine, les Lodévois, au vu des actes de petite délinquance dont certains enfants de harkis se rendent effectivement responsables, les ont progressivement assimilés aux jeunes issus de l'immigration maghrébine, ou plutôt à leur stéréotype négatif. De fait, sans égard pour la destinée de leurs parents, les générations suivantes sont désormais désignées sous le vocable indifférencié (et connoté péjorativement dans l'esprit de ceux qui l'emploient) d' « Arabes ». Il en résulte, d'une part, que les intéressés sont symboliquement exclus de la communauté villageoise - l' « Arabe » c'est l' « Autre » - et que, d'autre part, ils sont dépouillés de leur spécificité pour être assimilés à un groupe - les "Beurs" - dans lequel ils peuvent ne pas se reconnaître et qui, par surcroît, est susceptible de les rejeter. Et l'on pressent combien cette déictique dépersonnalisante est à même de nourrir la chaîne de l'exclusion, avivant frustration et sentiment de perte de l'utilité sociale, et motivant en retour des comportements de retrait ou de mise au ban volontaire.

De même, à Largentière (Ardèche), où j'ai séjourné, c'est la défiance, la crispation sur les identités qui l'emportent sur l'ouverture à l'autre (y compris au sein des jeunes générations). Le quartier de Volpillaire, où furent accueillis les anciens harkis et leurs familles en 1962 est situé sur des hauteurs insoupçonnées (car barrées par la végétation) depuis le bourg, qui plus est sur le versant opposé (à l'instar de la mine argentifère, désaffectée depuis le début des années 1980, distante de seulement cinq cent mètres), à 3 kilomètres du coeur de Largentière. Situation d'enclosure relative et déclin de l'activité industrielle, donc, là encore. Il est vrai que cette implantation avait été opérée en dépit de la volonté des autorités municipales de l'époque, grâce à la mise à disposition par l'armée de terrains dont elle était propriétaire. Il est clairement apparu, au cours de mon séjour, que les passerelles entre autochtones et familles de harkis étaient peu nombreuses, tant au plan de la vie de la cité (on ne compte qu'une fille de harki au sein du Conseil municipal alors que la communauté harkie représente près de 20% de la population de Largentière) qu'au plan de la sociabilité proprement dite : les hommes ne fréquentent pas les mêmes cafés, et l'Union Sportive de Largentière (le club de football local) loin de jouer un rôle de trait d'union entre jeunes "gaouris" (Français dits "de souche") et enfants de harkis est l'objet d'ambitions mutuellement exclusives (voir l'Annexe n°2 : « De l'entre-soi des rencontres de football dominicales à Largentière au repli communautaire »). Jean-Claude, un fils de harki de 31 ans, qui exerce la profession d'aide-soignant et s'investit en tant que secrétaire au sein de l'association des harkis et de leurs enfants (voir supra), m'a fait bénéficier de son regard distancié sur sa propre communauté. Sa position, il est vrai, est relativement atypique puisqu'il est l'un des seuls, parmi les jeunes de sa génération, à avoir poursuivi des études supérieures et réussi un concours administratif : « J'ai dû d'abord m'intégrer à ma propre communauté », reconnaît-il. Jean-Claude regrette l'absence de mixité au sein de l'équipe de football de Largentière, son côté « harka reconstituée » depuis sa reprise en main par des jeunes issus de la communauté il y a deux ans. Cette fermeture relative lui semble préjudiciable à une véritable intégration de la deuxième génération dans le tissu social de Largentière : « Les "gaouris", dit-il, ont peur de venir jouer dans l'équipe, ils craignent d'être rejetés, voire d'être violentés ». Comment en est-on arrivé là ? Jean-Claude insiste sur l'« arriération » des mentalités sur Largentière, tant d'un côté que de l'autre : il pointe à la fois la mentalité « paysanne » (qu'il emploie au sens de « rétrograde ») des populations autochtones, qui les préparait mal à s'accommoder de l'arrivée massive de populations allogènes, et le fait que les enfants de harkis ont tendance à reproduire certaines traditions « aliénantes » héritées de leurs parents, notamment la séparation garçons/filles (très prégnante, au point que les filles demeurent relativement "invisibles" dans la ville1583(*)). A rebours de certains de ses congénères, qui disent vouloir constituer une liste à fort accent communautaire pour s' « emparer » de la mairie, Jean-Claude marque plus nettement sa volonté, au cas où il participerait à la compétition électorale, de figurer au sein d'une liste pluraliste où les candidats issus de la communauté harkie figureraient en nombre limité (pas plus de 3). Plus généralement, il refuse le repli sur soi fataliste de ses congénères, tout en concédant que son pouvoir de changer les choses à cet égard reste limité : « Déjà, quand j'étais au primaire, et au collège ensuite, on était deux clans : y'avait le clan des... des Français, "de souche", et nous. Pour te dire, j'étais le seul à faire l'intermédiaire entre les deux. Le seul. Que ça soit au primaire ou au collège. Au lycée, bon, là, par contre, on était tellement en minorité que... on faisait difficilement le clan : j'étais le seul au lycée ». Les attitudes de Jean-Claude renvoient à la notion goffmanienne de « normification », à savoir « l'effort qu'accomplit le stigmatisé pour se présenter comme quelqu'un d'ordinaire, sans pour autant toujours dissimuler sa déficience »1584(*). A l'inverse, les propos de Rachid et Mohamed (28 ans), par exemple, sont illustratifs de cette "tentation du repli communautaire"1585(*) qu'avive, à Largentière, la socialisation dans un environnement clos, en marge des grands noeuds de communication et des grands bassins de vie et d'emploi :

« Je vais te dire un truc : tu sais c'est qui les racistes en... en Ardèche ? A Largentière, je te parle, c'est pas nous les Arabes qui sommes racistes ; et je vais te dire même mieux, on est plus avancés qu'eux. On est même plus avancés que les Français quelques fois. C'est eux qui sont racistes, les paysans du coin, les jeunes paysans du coin, et tout, pas que les paysans, les jeunes en général. Ils en sont encore euh... euh... euh... «Sale Arabe !», j'sais pas si à Paris tu l'entends : «Sale Arabe !», ou... à Paris, c'est mélangé, quoi, tu vois, c'est mélangé, c'est bien mélangé, y'a pas tellement de problèmes comme... ici, tu sais, c'est quoi ? C'est les "Arabes" , tu vois ce que je veux dire, c'est les Arabes » (Mohamed, 28 ans).

« Et c'est vrai aussi qu'on a une grande gueule, on accepte pas euh... on est les premiers "rebeus", on va dire, dans le coin... à s'être rebiffés ; et du coup : «Largentière, ouais, c'est des sauvages». Mais les gens qui viennent à Largentière, qui s'installent à Largentière, qui y vivent, qui y ont des vacances, on va dire, qui ont la chance de nous rencontrer nous, les fils de harkis ou d'autres, des fils d'immigrés ou quoi que ce soit, se rendent compte que non, ils avaient tout faux, c'était que des ragots. Tu comprends où je veux en venir ? »1586(*) (Rachid).

Mohand Hamoumou souligne ainsi que « la concentration et l'isolement d'une minorité conduisent à des projections, des interprétations, qui génèrent la marginalisation de cette minorité ». Et il ajoute : « Les harkis, en certains lieux comme à Bias, Narbonne ou Jouques, n'ont pas fait exception à cette règle sociologique. Leur mise à l'écart a empêché les autochtones de les connaître réellement. La concentration a mis en avant, en les amplifiant, les différences culturelles du groupe plutôt que les qualités individuelles de ses membres. (...) L'isolement provoque un sentiment d'exclusion et par réaction de défense, un repliement sur sa culture d'origine. Ce retour aux sources, parfois ostentatoire et agressif, est vécu par l'environnement comme un refus d'intégration, alors qu'il est la conséquence d'un sentiment de rejet. On mesure la difficulté de sortir d'un tel cercle vicieux »1587(*).

Par-delà même ces comportements de repli et de fermeture à l'autre (au sens d' « autrui généralisé »), l'intériorisation du stigmate, et de la honte qui lui est corrélative, peut induire des attitudes de forclusion de la figure du père (cet « autrui significatif »1588(*)), c'est-à-dire de rejet de tout ce qui, symboliquement, rattache l'enfant à la trajectoire singulière de son père, même si un tel positionnement est l'exception plutôt que la règle. Erving Goffman évoque à cet égard « l'ambivalence qui imprègne l'attachement de l'individu pour sa catégorie stigmatique »1589(*), laquelle ne vas pas sans vacillation, notamment à l'adolescence, marquée par une plus grande perméabilité aux influences extérieures : « Les critères que la société lui a fait intérioriser sont autant d'instruments qui le rendent intimement sensible à ce que les autres voient comme sa déficience, et qui, inévitablement, l'amènent, ne serait-ce que par instants, à admettre qu'en effet il n'est pas à la hauteur de ce qu'il devrait être », et « [à percevoir] l'un de ses propres attributs comme une chose avilissante à posséder, une chose qu'il se verrait bien ne pas posséder »1590(*). C'est le cas de Leila, 39 ans, qui, fragilisée par la déchéance progressive puis la mort prématurée de son père, se sent aujourd'hui totalement écrasée par le poids de la honte, écartelée entre « la haine des immigrés algériens et le mépris des Français à notre égard » :

« En Algérie, mon père a été emprisonné pendant six ans. Il ne m'a jamais raconté ce qu'il avait subi là-bas. La guerre d'Algérie puis la prison l'ont achevé : il s'est mis à boire, il gaspillait tout son argent dans les bars, il était déboussolé. Quand j'étais petite, je lui en voulais. Maintenant, je le comprends, mais je ne lui pardonne pas. Il est mort en 1975 d'un accident de voiture. (...) Nous, les enfants, avons hérité de nos pères l'identité de traîtres, de collabos, de harkis... Ces mots me font mal. "Harki", je ne supporte plus ce mot. On m'a trop appris qu'il voulait dire "traître". Bien que je ne sois pour rien dans cette histoire, je me sens coupable. J'en veux à mon père et à ma mère de nous avoir embarqués, nous, leurs enfants, dans cette histoire. Ils ont fait de nous des enfants de traîtres. Le mot "harki", je le hais de toutes mes fibres, c'est une culpabilité insupportable. J'ai honte d'être une harkie. J'en veux à mes parents d'avoir choisi la France »1591(*).

De même, les échanges parfois virulents entre Rachid et Mohamed1592(*) (28 ans)1593(*), en désaccord quant à la manière d'apprécier et d'intégrer - à des fins de construction identitaire - ce que fut le choix de leurs pères pendant la guerre, témoignent de ce que le mutisme des Français musulmans rapatriés, leur résignation apparente peut résonner chez certains enfants comme un aveu de culpabilité, et nourrir chez ces derniers un vif sentiment de honte. Ainsi en va-t-il de Mohamed (28 ans), qui s'imaginerait volontiers être le fruit d'un autre "voyage" :

« Mohamed (28 ans) - Moi, personnellement, je revendiquerai jamais que je suis un harki. Je préfère qu'on considère comme si j'étais arrivé hier dans un bateau, quoi, tu vois ; je le revendiquerai jamais, j'suis pas fier de ce qu'ont fait mes parents, franchement, fils de harki, j'aime pas...

- Et toi Rachid, est-ce que tu tiens le même raisonnement que Mohamed ? Est-ce que tu es fier de ce qu'ont fait tes parents, ou pas ?

Rachid - Ah ! oui, que mon père ait été harki, oui, OK !, y'a pas de problèmes, mais il l'a été pour diverses raisons, c'est sa vie on va dire. Non, j'ai pas de jugement à prendre sur mon père. J'ai pas le droit de juger mon père. C'est mon père. Quelle que soit la décision qu'il ait prise, je l'approuve. [S'adressant à Mohamed] C'est l'histoire de ton père, hein, que tu le veuilles on non, hein, faut pas renier... si tu renies ton passé, tu renies ton avenir aussi, hein...

Mohamed - ...non, moi je veux défendre l'histoire de mes parents lorsque...

Rachid - ...tu vas dire quoi à tes futurs enfants, hein ?! [Rachid élève singulièrement le ton] Tes gamins, tu leur diras quoi : que leurs ancêtres s'appellent Vercingétorix ? Tes gamins, il faudra qu'ils sachent exactement les choses...

Mohamed - ...non, moi, personnellement, tu vois, mon père c'est un harki et tout, mais moi personnellement... j'ai la carte d'identité française, tu vois, mais, pour moi, je suis algérien. Tu vois, si on me demande : « De quelle race tu es ? De quelle origine tu es ? », ou même : « Comment vous sentez-vous : français ? algérien ? », moi je dirai que je suis algérien, mais...

Rachid - ...moi je dis plutôt que je suis français d'origine algérienne...

Mohamed - ...non, moi je dis : « Je suis algérien »...

- Et pourquoi tu ne veux pas dire, comme Rachid, que tu es français d'origine algérienne ? Ça te gêne ?

Mohamed - Non, non. Non, ça me gêne pas, mais je suis algérien, c'est ça, je suis algérien...

Rachid - ...alors sors moi une carte verte, enculé va !...

Mohamed - ...moi je suis fier d'être algérien, si tu veux, c'est pas... mes parents ils ont pris le bateau, un jour, pour venir en France, mais moi, franchement, je suis fier d'être algérien. Une fois, je parlais avec des mecs, y'a pas longtemps, ils me disaient : « Ouais, mais si t'es fier d'être algérien, pourquoi tu retournes pas en Algérie faire quelque chose pour ton pays ? », moi je lui dis : « Mais même...

Rachid - ...exactement, dans ce cas, va le reconstruire ! »

Mohamed Kara signale lui aussi, à propos des plus jeunes d'entre les enfants de harkis, que « la frustration est immense - produit de l'exclusion et du racisme - au point qu'il semblerait qu'ici ou là, certains jeunes soient tentés de remettre en question les choix parentaux d'origine ou de rechercher une identité plus uniforme du côté de l'islam »1594(*). L'auteur s'appuie notamment, pour ce dire, sur les propos d'Yves, qui a longtemps vécu en site fermé : « Il y a des enfants, explique Yves, qui remettent en cause le choix de leurs parents et donc qui veulent redevenir algériens »1595(*).

Cependant, à l'instar de Rachid (voir ci-dessus), une majorité d'enfants de harkis, même parmi ceux qui n'osent ou n'ont pas la possibilité d'interroger leurs parents, refusent de se poser en contre la destinée familiale. C'est le cas de Jean-Claude, secrétaire de l'association des anciens harkis et de leurs enfants, qui assimile les attitudes de forclusion de la figure du père à des comportements de "fuite", aussi vains que délétères pour les intéressés eux-mêmes :

« On peut pas se détacher de nos parents, on peut pas se détacher des harkis, on peut pas dire : «Eux, ils ont fait ça, tant pis, je suis contre ce qu'ils ont fait, je n'accepte pas ce qu'il a fait mon père, mais moi je suis...». Non. Tu es en lien avec eux. Que tu le veuilles ou que tu le veuilles pas ».

Cet écartèlement entre « des identifications nécessaires et impossibles »1596(*) est générateur de souffrance en même temps que d'aliénation : l'intériorisation du stigmate peut aller jusqu'à des formes d'isolement volontaire (notamment dans le cas des "disséminés", socialisés dans un environnement "mixte", doublement dépersonnalisant), de repli communautaire (cas des "assignés", socialisés en marge de la société d'accueil et du "Nous" de référence), voire de forclusion de la figure du père (quand le sentiment d'humiliation est trop fort, et l'étayage biographique trop fragile pour se constituer des réserves de "répliques symboliques"). Dans tous les cas, cela signe la difficulté des enfants de harkis - en butte aux effets cumulatifs des stigmatisations croisées et de l'interdit parental - de s'assumer et de s'affirmer individuellement dans l'ordinaire des relations sociales autrement qu'en usant de techniques d'ajustement. Il y a là comme une forme de "mort sociale", qui constitue une atteinte profonde à l'estime de soi : « Avoir une place sociale, écrit Vincent de Gaulejac, c'est avoir un statut, une identité, une reconnaissance. La place est structurante. L'absence de place sociale confronte le sujet au vide, à l'inexistence. Il est renvoyé à lui-même, à ses failles et à ses angoisses »1597(*). Et il ajoute : « La honte isole parce que le sujet ne sait jamais quelle place occuper. (...) Littéralement : «Il ne sait plus où se mettre» »1598(*).

Pour autant, le déploiement systématique de "stratégies d'ajustement" au(x) regard(s) de l'Autre, et plus encore les comportements - plus spécifiques à certains individus ou contextes - de "fuite" ou de "refus" de la relation à l'autre (isolement volontaire et repli communautaire), ne circonscrivent jamais qu'un premier stade dans l' « itinéraire moral » des enfants de harkis1599(*). Car si « dans un premier temps l'expérience de la honte est un élément neutralisateur qui le coupe de sa subjectivité, (...) dans un second temps, la honte va être l'élément dynamisant qui va pousser [l'individu] à devenir le sujet de son histoire »1600(*). Ainsi, il vient généralement un moment où, par-delà les stratégies d'accommodation, ces stratégies élusives qui visent à composer au jour le jour avec les assignations statutaires formulées par autrui, se fait jour le désir inverse : celui de ne plus subir l'influence des autres, de ne plus s'y conformer jusqu'à s'effacer, mais de gagner les autres à sa part d'influence, d'imposer le respect en toute connaissance de cause et en toute transparence. Et plutôt que de régler individuellement leur conduite sur la manière dont les autres les (dé)considèrent (stade des stratégies réflexes), il s'agit, pour les enfants de harkis, de faire en sorte d'accéder collectivement à une forme de reconnaissance sociale (stade des stratégies réflexives). Une reconnaissance qui sape en leurs fondements les idéologies de statut qui ont cours à leur endroit, et vise à "retourner" la qualité de fils ou fille de harki en un signe valorisant.

Cette inscription volontariste dans un travail collectif de réparation des termes de l'échange passe préalablement ou simultanément par un travail intime de "dégagement" par rapport à la honte, au sens de recouvrement des capacités de symbolisation. Le sentiment intime de ne pas avoir prise sur - et de ne pas être en prise avec une identité qui s'interdit de poindre autrement qu'en pointillés de la mémoire réprimée des pères exacerbe le désir des enfants de harkis de transgresser le tabou paternel et de recouvrer, à travers la résurgence du drame vécu par leurs parents, un sentiment d'appartenance assumable et autonome.

PARTIE 4

Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire

Partie 4

Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire

On s'intéresse ici à l'affirmation et au redoublement du "Je" par l'inscription d'un "Nous" dans l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé. L'accent est porté non plus sur la stigmatisation telle qu'elle est subie mais sur la stigmatisation telle qu'elle est individuellement et collectivement "réagie", donc sur ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire, d'une logique adaptative à une logique revendicative. Ceci implique d'aborder la question de la reconnaissance au sens le plus extensif du terme, et les enjeux de visibilisation qui lui sont corrélatifs : à la fois, donc, la reconnaissance comme travail de dégagement vis-à-vis de la honte (entre retour sur soi et retour à la figure du père) mais encore la reconnaissance comme travail de l'écart dans une visée de réparation des termes de l'échange (à travers les enjeux de traduction politique de cette quête de la reconnaissance, jusque et y compris la question du pardon).

Cela renvoie à des questionnements sociologiques et politologiques classiques - notamment la question de la fierté (au sens de retournement du stigmate) et la question du porte-parole (s'agissant de la capacité et de la légitimité à "faire voix" au nom d'un collectif).

S'agissant du premier point, la question se pose moins, selon nous, en termes de fierté que de dignité, au sens primordial d'accès à l'existence sociale, de reconnaissance d'une place sociale1601(*). De fait, la communauté harkie est le fruit d'une histogenèse particulière, elle est communauté de destin, née dans et en conséquence de la guerre d'Algérie, sans autre singularité clairement objectivable : ni origine ethnique, ni couleur de peau, ni religion qui ne lui soient spécifiques. C'est cette indétermination première (dont nous avons vu qu'elle pouvait susciter l'amalgame, ce comble de la non-reconnaissance) qui donne aux enjeux de visibilisation une texture toute particulière en la circonstance : avant que de penser faire de cette destinée un drapeau (et qu'est-ce à dire lorsque les autres renvoient de vous des images contradictoires les unes les autres, voire paradoxales ?), la première urgence est de sortir de cette situation paradoxante, donc de s'accepter et de se faire accepter "en tant que tel(s)" en dépit de possibilités de reconnaissance a priori fortement grevées par les effets du double triangle de stigmatisation. Ainsi, comme le souligne Mohamed Kara, les enfants de harkis « disposent d'une identité sociale virtuelle (celle de l'immigré) et d'une identité sociale réelle (celle du harki) alternativement discréditantes selon les conjonctures »1602(*). En d'autres termes, les intéressés sont susceptibles d'être stigmatisés pour ce qu'ils sont (des enfants de harkis) par ceux-là même avec lesquels ils sont confondus (les enfants d'immigrés), et pour ce qu'ils paraissent être (des enfants d'immigrés) par ceux auxquels ils s'identifient (les Français dits "de souche"). A cet égard, les témoignages de Georgette et Jean, recueillis par Mohamed Kara, disent bien l'acuité des problèmes de visibilisation dans le cas d'espèce des enfants de harkis : « Vous vous savez qui vous êtes, affirme Georgette, mais en fait c'est le regard des autres qui dit qui vous êtes. C'est ça le problème. C'est le regard des autres qui nous dit à chaque instant dans quelle situation on se trouve, où on doit aller, et ça c'est pas normal ». De même, Jean : « C'est que nous on sait très bien où on est, mais eux ils ne savent pas où nous placer. Alors soit ils nous cataloguent comme immigrés, soit de l'autre côté on se fait cataloguer comme traîtres. C'est le problème au fond à mes yeux pour les fils de harkis. Moi franchement, je sais très bien où je suis, c'est les gens qui ne savent pas »1603(*). On voit bien, dans ces conditions, pourquoi la question se pose moins en termes de fierté que de lutte contre le mépris et l'indifférence. Le premier défi est d'exister à ses yeux propres comme aux yeux d'autrui, donc de s'affranchir du « sentiment d'identité vécu comme une contrainte »1604(*) : contrainte intime, du fait de la dévalorisation de la symbolique paternelle, contrainte sociale, du fait de la dépendance corrélative dans laquelle les enfants de harkis se trouvent d'être soumis au jugement de l'autre.

S'agissant du second point (la question du porte-parole), est ici privilégiée une optique compréhensive qui aborde la question des mobilisations dans l'intermédiarité entre l'individu et le groupe plutôt qu'elle ne se focalise par privilège sur leur expression institutionnelle, au sens étroit d'une sociologie des l'action collective et des organisations qui amènerait à "sacraliser" l'acteur associatif et les "grandes figures communautaires" (pour autant qu'elles existent, ce qui n'est pas le cas ici). Il ne s'agit donc pas d'opérer une coupure entre la dimension individuelle et la dimension collective mais d'opérer leur mise en perspective, de montrer les lignes de continuité entre la quête à être de l'individu et la lutte pour la réhabilitation de la figure du père, en mettant l'accent sur le redoublement du "Je" par l'inscription d'un "Nous" dans l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé - de chaque individu, qu'il soit ou non statutairement légitimé à faire voix, et qu'il s'en reconnaisse ou non la capacité. Cette optique est d'ailleurs en phase avec la réalité essentiellement "paroissiale" d'une mouvance associative dont la propension à exister en tant que lobby reste relativement faible, en dépit d'évolutions organisationnelles récentes sur lesquelles nous reviendrons in fine (émergence de collectifs et réorientation sensible des mots d'ordre et des modalités d'action). Cette absence d'acteurs saillants et reconnus (et plus encore d'acteur hégémonique, qui se poserait et s'imposerait comme interlocuteur indépassable dans la trame de la négociation) a été la cause en même temps que le produit de modalités de mise sur agenda gouvernemental invariablement inspirées par une visée de "dépolitisation" des mots d'ordre, tendant à présenter ceux qui s'en font les relais comme des cas sociaux plutôt que comme des acteurs sociaux. Nous y reviendrons, exemples à l'appui, dans les développements consacrés aux modalités de traduction politique des aspirations à la reconnaissance portées par les anciens harkis et leurs enfants.

Au fil de la Partie 3, il a été dit que la "cassure" de la dynamique des générations au sein de la communauté harkie engendre pour les enfants une difficulté à s'assumer soi, individuellement, comme "fils ou fille de" : comme le soulignent plus généralement Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada-Léonetti, « ils perdent le sens de la filiation qui les inscrit dans une histoire familiale et sociale ; il ne dépendent plus que de l'image sociale renvoyée par les autres »1605(*). Ainsi, tandis que le groupe majoritaire (composé de ceux que l'on appelle commodément les Français "de souche") refuse de reconnaître, en vertu de considérations phénotypiques, la qualité de citoyen de droit aux enfants de harkis en les confondant, de fait, avec les populations issues de l'immigration maghrébine, la minorité migrante précisément, et notamment la deuxième génération issue de l'immigration algérienne, impute - ou, plutôt, est susceptible d'imputer - aux fils et filles de harkis les attributs stigmatisants d'une mémoire que ceux-ci peinent à investir positivement en raison des impedimenta qui entravent la dynamique des générations.

Dès lors, comment passer d'une situation de dépendance statutaire, marquée par le poids des étiquettes et le déploiement routinier de stratégies adaptatives, à un horizon d'affirmation individuelle et collective, marqué par un travail de réappropriation de la mémoire familiale et, ce faisant, de « désimplication »1606(*) vis-à-vis des normes négatives qui ont cours à son endroit ? Erving Goffman décrit cette étape de cristallisation d'un "Nous" dans le for intérieur de l'individu stigmatisé comme étant celle de la « maturité »1607(*). Cette étape nécessite de remonter aux sources de la honte pour s'en dégager. Ce travail de "dégagement" est tout à la fois intime et interpersonnel, en ce sens qu'il participe à la fois de la transgression du tabou paternel (niveau intime) et de l'expression - pour soi et pour autrui - de la différence avec la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine (niveau interpersonnel) : en somme, il s'agit de doubler la quête à être d'une quête à apparaître, "en tant que tel", par-delà les amalgames et les faux-semblants. Ce faisant, ce travail de dégagement vise à permettre à tout un chacun de recouvrer ses capacités de symbolisation et, par là, de « sauvegarder son unité » face aux pressions contradictoires de son environnement. (Chapitre I.)

Ainsi, pour être viable, la stratégie de la « désimplication » implique de pouvoir puiser dans l'histoire familiale (i.e. communautaire) les ressources pour refuser la légitimité de la stigmatisation sociale. Autrement dit, l'aspiration à être soi des enfants est aussi aspiration à être reconnu en tant que "fils ou fille de" par d'autres groupes interdépendants. Cela passe nécessairement par la réhabilitation de la figure du père, donc par la mise en cause des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment sa stigmatisation, ce que Erving Goffman appelle le « retournement du stigmate ». Ainsi, la quête à être et à apparaître en tant que tels des enfants de harkis est indissociable d'une quête à réapparaître pour leurs parents. Il s'agit, au prix d'une forme d'« insurrection symbolique », de parvenir à une forme aboutie de recouvrement d'appartenance, intime et sociale, pour soi et aux yeux d'autrui.

Cette aspiration à être reconnu par d'autres groupes interdépendants, y compris - et surtout, en l'espèce - par les autorités de tutelle, qui sont parties prenantes de la destinée dramatique des anciens harkis et de leurs familles, amène à s'interroger sur les processus de "traduction", autrement dit, sur les jeux de pouvoir (mobilisations) susceptibles d'accompagner - et les contenus politiques (politiques publiques) susceptibles de matérialiser de telles aspirations à la reconnaissance. A cet égard, nous verrons que, pour ceux qui se font les porte-voix de la communauté harkie, l'aspiration à être reconnu et célébré dans sa singularité passe, en raison des épreuves endurées et du sentiment d'abandon qui leur est corrélatif, par une forme de reconnaissance institutionnelle qui ne soit pas seulement réminiscence mais aussi résipiscence de la part des autorités. Symétriquement, pour ces dernières, l'enjeu est précisément de savoir quel contenu et quelle mesure donner à ces notions de réminiscence et de résipiscence : se souvenir / célébrer quoi ? Et assumer la responsabilité / se repentir de quoi ?

Par conséquent, il nous faudra ici assortir l'étude des stratégies et formes de lutte pour la reconnaissance au sein de la communauté harkie, et de leur efficace sociale, par l'étude des politiques de la reconnaissance (ou de la reconnaissance comme forme politique) telles que conçues et mises en place par les pouvoirs publics français à l'adresse de cette communauté : dans quelle mesure les unes et les autres sont-elles congruentes ? C'est ce travail de l'écart entre la logique propre à la raison d'État et les revendications identitaires des intéressés qui est ici en jeu, en dépit - et du fait même - des écueils qui en rendent la conduite aléatoire :

- du côté des enfants de harkis, outrance de la victimisation ou du "dolorisme" si la démarche revendicative ne s'inscrit pas dans une volonté sincère de réparation des termes de l'échange et d'ouverture à l'autre, même (conçu comme) "agresseur" ; dérive corrélative vers « des crispations qui ne sont que des stéréotypes en miroir »1608(*), à savoir : assistance plutôt que lutte pour la reconnaissance et retournement du stigmate ;

- du côté des pouvoirs publics, l'écueil de la fuite des responsabilités : (i) via des modalités de traduction qui visent à réduire les revendications des enfants de harkis à de simples demandes d'assistance, à l'exclusion donc de leur volet symbolique : la visée étant, autant que possible, de transformer des acteurs sociaux en cas sociaux (politique du bakchich) ; (ii) via la folklorisation des anciens harkis eux-mêmes, dont on ne célèbre à dessein qu'une épure consensuelle : le harki « soldat de la France » plutôt que « victime de la raison d'Etat ».

La mise en évidence de ce point d'indétermination entre réminiscence et résipiscence, réparation et réconciliation, nous amènera, in fine, et par-delà même les enjeux de traduction qui intéressent d'abord la communauté harkie dans son rapport à l'Etat français (modèle assistanciel-cérémoniel), à interroger les formes et conditions de possibilité d'une politique du pardon qui, en France comme en Algérie, soit véritablement conçue comme un au-delà de la reconnaissance ; et, ce, dans une visée de réparation des termes de l'échange et d'instauration d'une forme au moins minimale de réciprocité dans les relations entre l'État algérien et la communauté harkie d'une part, l'État français et la communauté harkie d'autre part.

En l'espèce, nous verrons que, par-delà même la difficulté théorique de concevoir une politique du pardon véritablement opératoire, les conditions pour ce faire sont loin d'être réunies. Et ce y compris au sein de la communauté harkie où l'on n'hésite plus à ester en justice pour acculer à la repentance ceux - États ou anciens hauts responsables - que l'on accuse de fuir leurs responsabilités. (Chapitre II.)

Ainsi, au fil de cette quatrième et dernière partie, nous aborderons successivement :

- la quête à être des enfants de harkis, ou la reconnaissance comme recouvrement d'appartenance (dimension intime) ;

- la quête à apparaître des enfants de harkis, ou la reconnaissance comme démarcation (dimension interpersonnelle) ;

- la quête à réapparaître - au nom des pères - des enfants de harkis, ou la reconnaissance comme réminiscence (dimension sociopolitique) ;

- enfin, dans une optique plus prospective, la quête à "disparaître" des enfants de harkis, ou la reconnaissance comme résipiscence (dimension éthico-politique).

I. Remonter aux sources de la honte : la reconnaissance comme travail de dégagement (au sein de la communauté harkie)

Le travail de "dégagement" marque une étape décisive dans l'itinéraire moral des fils et filles de harkis. Il consiste, pour les intéressés, à remonter aux sources de la honte, autrement dit, à réinvestir le roman familial pour étayer leur sentiment d'identité sur des bases plus circonstanciées, moins sujettes aux pressions contradictoires de l'environnement social. Il s'agit, par-là, de faire la part de ce qui, dans la trajectoire des parents, leur apparaît effectivement assumable ou inassumable et, ce faisant, d'opposer aux assignations statutaires parfois violentes dont ils sont l'objet une image - voire un idéal - de soi mieux informés. (A.1)

Corrélativement, cette quête à être, qui vise à rétablir le lien filial dans toute sa complexité, se double, pour les enfants de harkis, d'une quête à apparaître "en tant que tel" dans l'ordinaire des relations sociales ; il s'agit, par-delà les amalgames et les faux-semblants, de se donner à voir dans toute son intégrité, en se démarquant - autant que nécessaire (quoique non systématiquement) - d'avec la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine. (A.2)

Ainsi, le travail de dégagement est un préalable nécessaire à l'autonomisation de la quête identitaire des enfants de harkis (donc à la mise en cause des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation) en ce qu'il leur permet, dans un second temps, soit d'assumer en toute connaissance de cause - et de revendiquer ouvertement, pour soi et avec les autres - le substrat familial et communautaire, de faire sien l'"esprit" du groupe tout en concourant à sa dynamique ("au nom des pères", dirions-nous), soit - éventuellement - de choisir de s'en déprendre, là encore en toute connaissance de cause1609(*). (B.)

A. La mobilisation du sujet pour sauvegarder son unité (dimension individuelle)

Le récit est partie intégrante de l'identité : l'individu, comme le groupe, « prend conscience de lui en se souvenant », écrit Maurice Halbwachs1610(*) ; par sa réactualisation permanente, le souvenir est "re-vécu" et "re-traduit" en expérience personnelle et groupale. Aussi, selon Claudine Attias-Donfut, la mémoire collective est définie en cela qu'elle est "vivante", elle n'existe que par les collectivités qui la vivent. C'est de son caractère vivant et vécu que découlent ses modes de fonctionnement, et notamment « sa fonction mythologique de "roman" du groupe qu'elle constitue et qui la constitue »1611(*). La mémoire collective des groupes érige les souvenirs en « modèles d'enseignement » pour le présent (Maurice Halbwachs), établit le lien entre passé, présent et futur, et transcende les générations. Claudine Attias-Donfut :

« Sa fonction primordiale est d'ordre mythologique (...). C'est en quelque sorte le récit de vie de la collectivité en même temps que son projet de vie. Elle en ordonnance les divers éléments dans la direction qu'elle confère au temps. (...) Mémoires, souvenirs ou témoignages attribués à une génération ne sont intelligibles que par rapport aux autres, qu'en tant que séquences d'une mémoire collective qui les englobe dans une continuité temporelle dotée de signification et chargée de projets »1612(*).

Selon Gérard Namer, l'expérience la plus claire que donne Maurice Halbwachs de la notion de mémoire collective est celle de la mémoire familiale, « mémoire affective, vécue, d'individus et mémoire-savoir rationnelle du sens de la généalogie »1613(*). Sur cette base, Gérard Namer définit la mémoire comme la « langue porteuse de l'unité de sens d'une logique institutionnelle » (en l'occurrence, l'institution familiale)1614(*). Nous l'avons vu, c'est ce sens de la "généalogie" qui, très souvent, fait défaut à la deuxième génération de harkis, confrontée au silence de la mémoire. L'absence de transmission de la mémoire familiale équivaut donc à l'absence de transmission d'un « champ de signification »1615(*) grâce auquel le groupe et tout un chacun en son sein « reconstruit la diversité de ses expériences en une identité de soi »1616(*). Car, de même que « l'identité dépend de l'appui que prête au jeune individu le sentiment collectif d'identité qui caractérise les groupes sociaux auxquels il appartient »1617(*), symétriquement, « comment imaginer qu'une communauté puisse se maintenir si ses membres n'adhèrent pas à un noyau identitaire commun qu'ils transmettent à la génération suivante ? »1618(*).

Ainsi, il naît de "l'aphonie" de la mémoire familiale au sein de la communauté harkie un "besoin de mémoire collective" pour la deuxième génération, d' « une mémoire qui pourrait recoudre, ravauder, qui réunifie les bouts de mémoires collectives dispersés et en lambeaux »1619(*). C'est ce qu'exprime ce témoignage, posté sur le forum d'un site Internet consacré à la communauté harkie :

« Bonjour, je suis Habiba et je découvre le site. J'ai plaisir à voir que la communauté Harki existe, je voulais seulement adresser mon soutien moral à toutes les bonnes initiatives, merci de me montrer que je ne suis pas seule et que je peux enfin m'adresser aux personnes qui ont un passé commun au mien. Mon père a fait cette guerre et il est très peu bavard, il ne m'a raconté que très peu de choses, j'ai appris par les médias, j'ai su combien cette guerre fut une guerre ignoble. J'ai donc commencé à faire un travail de recherche qui me permet de comprendre ce que mes parents ont vécu. J'espère que j'aurais l'occasion de discuter avec d'autres enfants d'Harkis et même avec des acteurs de cette guerre. A bientôt »1620(*).

Ainsi en va-t-il également de ce témoignage recueilli par Mohand Hamoumou :

« J'ai vécu, j'ai grandi avec plus de questions que de réponses. J'ai eu peur de ne pas pouvoir comme mes parents répondre à ces questions pour mes enfants. Mais, heureusement, depuis quelques années, les choses bougent. Il y a enfin des livres qui expliquent. Ça nous permet de mieux comprendre, de mieux répondre aussi [« aux attaques, aux insultes parfois de certains Algériens »]. C'est aussi des occasions de parler avec mon père. Il complète, il confirme. Ça lui fait à la fois du mal et du bien d'en parler. Il regrette de ne pas savoir bien lire pour lire des gros livres comme ça. Il dit que c'est du passé, qu'il faut oublier. Mais aussi qu'il faut leur rendre justice, dire la vérité »1621(*).

- 1. « Le besoin de savoir à qui et à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » (P. Nora) ou la nécessaire transgression du tabou paternel (niveau intime)

Selon Vincent de Gaulejac, le « secret » est l'élément déterminant de l'intériorisation de la honte, donc du stigmate :

« Le secret ne peut être partagé, ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas transmis. Les histoires de famille sont nourries de secrets dont personne ne parle et que tout le monde connaît. Mais ce savoir ambigu. On sait qu'il y a quelque chose à savoir sans savoir exactement quoi. Il y a donc une trace, symptôme de quelque chose, sans que l'origine en soit connue. Le secret est donc paradoxal : il ne fait pas directement partie de l'histoire vécue et pourtant il structure cette histoire, il la surdétermine, il est agissant dans le psychisme, il est marquant. (...) En voulant dissimuler, il indique qu'il y a là quelque chose à savoir. En voulant cacher, il suscite la curiosité, l'envie de savoir, jusqu'à devenir un besoin de savoir ». Et il ajoute : « La malédiction [du secret et de la honte] condamne tous les descendants à se sentir coupables sans comprendre pourquoi. (...) Chacun est traversé par une histoire qui lui est antérieure mais dont il ne connaît pas la réalité »1622(*).

En l'espèce, ce besoin de mémoire collective, au moment même où l'expérience vécue du souvenir de la guerre d'Algérie et de l'exil commence à s'effacer, est symptomatique d'une génération confrontée, à l'extérieur, au mariage paradoxal (et "paradoxant") de l'indifférence et de l'injure, et dans le "cénacle", au silence résigné de leurs aînés ; ainsi, à l'exemple d'Hassina, chacun(e) a conscience d'appartenir à une génération marquée, dans sa quête identitaire, par le poids de l'histoire et de ses écrans, handicap et force à la fois puisque cette expérience commune est en quelque sorte constitutive d'un lien spéculaire entre les enfants de harkis :

« Personne ne peut partager ce que cette communauté a vécu (...). C'est vrai, on partage une histoire à part, je crois (...). Ce qui est très caractéristique de cette communauté harkie dans la génération à laquelle j'appartiens, c'est que chacun de nous s'est cherché, continue peut-être de se chercher, mais s'est cherché, à un moment ou à un autre, par rapport à cette fracture, si on peut l'appeler ainsi, et ça c'est une force qui quelque part nous réunit » (Hassina).

« En exerçant notre mémoire, écrit Youri Afanassiev, nous nous interrogeons sur le sens de notre propre vie, nous voulons comprendre notre place dans l'histoire et nous comprendre nous-mêmes »1623(*). Précisément, selon François, « il y a un double héritage identitaire quand on est fils de harki » :

- un héritage culturel, qui peut être commun avec la deuxième génération issue de l'immigration algérienne (voire maghrébine) ;

- un héritage historique, spécifique pour sa part puisqu'il est « dû au fait d'être fils de harki », et qu'il est « fait autour d'un drame, fait de beaucoup de souffrances », pour la plupart ineffables.

Or, constate François, « de plus en plus de fils de harkis veulent savoir ce qu'a fait leur père ». Lui aussi a voulu percer les "secrets" de son père, aller au-delà de ce qu'il laissait filtrer spontanément : « J'ai voulu en savoir beaucoup plus quand même, j'ai fait mon petit travail à côté pour savoir comment lui, trente après, percevait son choix et percevait l'Algérie ».

Recouvrer un sentiment d'appartenance c'est, selon la formule de Halbwachs, « commencer à penser avec les autres »1624(*). Or, le non-dit, le tabou, parce qu'ils troublent l'acquisition du « savoir intuitif », du « code symbolique commun » qui fonde la relation entre les membres de la communauté harkie, entravent la participation affective de la deuxième génération à l'identité communautaire, identité collective dont « procède ontogénétiquement l'identité individuelle »1625(*) :

« J'ai l'impression qu'il y a tout un passé derrière moi, un passé enfoui, que je connais très mal et j'aimerais bien partir à sa découverte, (...) aller fouiller, savoir exactement ce qui s'est passé » (Dalila, 23 ans) ; « (...) et ces mots qu'on crie, qu'on disait : «l'Oranaise» ou... «le harki» ou des mots comme... je comprenais pas, je savais pas et c'est grâce à une personne que j'ai commencé à réfléchir, à faire des retours sur moi-même, à retrouver mes propres valeurs, bon, ça demande des années et des années, hein. Encore aujourd'hui, j'suis dessus. (...) Et puis finalement on se rend compte qu'on sait même pas qui on est, hein, parce qu'on assume une scolarité normale, et tout, mais bon... en passant au-dessus de notre soi. C'est ça. Et... grandir sans identité c'est pas évident pour plus tard. (...) Toute cette période-là moi j'ai pas existé, j'ai commencé à exister quand j'ai commencé à vouloir comprendre qui était mon père (...) » (Dalila, 37 ans).

Selon Alex Mucchielli, un sujet ne peut affirmer son identité individuelle que s'il peut à la fois se sentir appartenir à un groupe de ses semblables et se sentir autonome par rapport à l'emprise collective de ce groupe :

« Le problème de l'identité personnelle, qui est en partie le problème du positionnement de sa valeur par rapport à un autrui significatif qu'il faut à la fois imiter et maintenir à distance, recoupe le dilemme humain fondamental de la recherche de la bonne distance affective »1626(*).

Le sentiment d'identité s'inscrit dans une tension et une homologie entre l'individu et le groupe. Il est le résultat d'un double processus qui opère en même temps « au coeur de l'individu ainsi qu'au coeur de la culture [ou de l'histoire] de sa communauté »1627(*) :

« L'identité sociale d'un individu est liée à la connaissance de son appartenance à certains groupes sociaux et à la signification émotionnelle et évaluative qui résulte de cette appartenance »1628(*).

Parfois, la recherche de la "bonne" distance affective est rendue particulièrement délicate lorsque le mutisme du père, l'absence de transmission du roman familial créent un besoin de mémoire "obsessionnel" qui aliène les enfants de harkis à la figure fuyante du père, obérant parfois la quête de l'autonomie (mise à distance - accommodation) qui est le versant dynamique de l'appropriation :

« Le jour où il s'en va et... je l'enterre, je saurai pas pourquoi... tu comprends ce que je veux dire ? Pour moi, c'est pas une blessure, c'est une connerie humaine, c'est... c'est de l'inconscience, quoi (...). C'est plutôt moi qui m'y suis intéressé à ce problème-là le jour où j'ai su que mon père était harki, donc je suis allé fouiner dans les bibliothèques, etc. » (Karim).

A l'inverse de Karim, qui vit seul à Paris, ceux des enfants - les "assignés" - qui vivent au milieu de leurs congénères peuvent plus facilement trouver à qui s'adresser pour obtenir les réponses aux questions qu'ils se posent. Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière, souligne que « c'est souvent par intermédiaire, c'est rarement le père au fils directement, mais c'est par l'oncle, le voisin... ». Ainsi en va-t-il de Mohamed (35 ans) qui s'informe « au travers des gens qui ont l'âge de mon père », ou d'Ahmed, qui a discuté « avec d'autres personnes âgées » :

« Ben, moi, j'ai eu envie de savoir, mais... je me fie pas... qu'aux livres... parcimonieux qui existent, l'école ne m'en a pas non plus donné beaucoup, donc, après, c'est les questions, des réponses, j'entends au travers des gens qui ont l'âge de mon père, on arrive comme ça à... » (Mohamed, 35 ans) ; « En fait, on connaît l'Algérie au travers des récits des autres, mais pas de nos parents. Je discute pas avec mon père, mais je vais discuter avec le père du voisin ; et vice-versa : son fils, il en parlera plus facilement avec mon père » (Ahmed).

Pour tous les enfants de harkis, la question fondamentale est celle du "choix". Ainsi, ce qui trouble, ce qui interroge fondamentalement Dalila (23 ans), ce sont les circonstances et les raisons de l'engagement de son père aux côtés de l'armée française, qu'elle voudrait mieux connaître et comprendre. Pour ce faire Dalila envisageait - au moment où je l'interrogeais - d'écrire un livre qui restituerait le drame indicible vécu par ses parents, « pour me débarrasser de toutes mes angoisses par rapport à ça ; ça a un effet cathartique ». Un moyen aussi, sans doute, de trouver la bonne distance affective vis-à-vis d'un père alors encore réticent à se livrer. Dans cette même optique, Dalila ressentait le besoin de remonter aux sources géographiques de la destinée familiale, et de faire - en leur compagnie - le chemin inverse de ses parents :

« Ce que j'adorerais faire, ce serait retourner en Algérie avec mes parents. Je sais que ce serait difficile, mais ce serait vraiment quelque chose que je voudrais faire, retourner avec mes parents voir la famille qui est restée là-bas, discuter avec eux ».

Et, de fait, quelques années après que cet entretien avait été réalisé (au printemps 1997), Dalila a assouvi et son besoin d'écriture et son rêve de voyage (quoique sans ses parents) ; l'on pourrait même dire qu'elle a accompli l'un par l'autre puisque son livre est d'abord et surtout le récit de son voyage, voyage à rebours sur la trace de ses parents (à travers la France et l'Algérie), à la fois retour au point d'origine et voyage intérieur dans les arcanes de la mémoire paternelle. Ce livre - fait exceptionnel - a d'ailleurs valu à Dalila l'honneur des médias, y compris audiovisuels. C'est, je crois, ce qui m'autorise, pour ce qui la concerne, à faire exception à la règle de conservation de l'anonymat des personnes interviewées. Dalila Kerchouche - puisque c'est d'elle dont il s'agit - est l'auteur de Mon père, ce harki, livre préfacé par Jacques Duquesne1629(*). En voici la quatrième de couverture, qui dit bien cette volonté obstinée, finalement récompensée, de transgresser le tabou paternel, ce « besoin de savoir à qui et à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » :

« Enfant, j'ai adoré mon père. Adolescente, je l'ai détesté. Parce qu'il était harki, parce qu'il a soutenu l'armée française pendant la guerre d'Algérie, j'ai longtemps cru que mon père était un traître. Il n'a jamais nié. Il ne m'a jamais rien dit. Devant son silence, j'ai décidé de partir sur les traces d'un fellah et d'une bergère, mes parents, dont la vie a basculé un matin de juin 1962. Quarante après, j'ai refait leur parcours dans les camps où la France les a parqués : leur passé et mon présent se sont tissés, noués, intimement mêlés. Ces pages sont leur histoire et ma quête. Dans ce voyage au bout de la honte, j'ai découvert une horrible machinerie d'exclusion sociale et de désintégration humaine. Et puis, j'ai traversé la Méditerranée. En Algérie, j'ai poursuivi ma quête, dans une région en guerre contre l'islamisme, j'ai retrouvé des membres de ma famille et le village de mes parents qu'ils n'ont jamais revu. Là-bas, j'ai compris qui étaient vraiment les harkis, leur rôle dans la guerre d'Algérie, leurs tiraillements, leurs secrets aussi. J'ai enfin percé le silence qui pèse sur cette histoire. J'ai su, alors, pourquoi j'avais écrit ce livre : pour parler à mon père ».

Un tel voyage, conçu comme une forme de "come-back identitaire" en Algérie (François), a également aidé Hassina à faire la part des choses en lui démontrant - au prix de certains conflits intérieurs - que le point d'origine des parents ne valait pas à lui seul ancrage identitaire pour les enfants ; au fond, ce voyage ne fut jamais qu'une porte d'entrée vers une autre quête, plus intérieure, sur sa condition d'enfant de harki :

« [Mon premier voyage,] c'est un voyage qu'on a fait avec mon père et ma mère et... il fallait absolument qu'on le fasse, c'était... c'était nécessaire (...). Aller en Algérie avec ses parents, c'est... pour t'aider à te trouver je crois que c'est important (...). En fait, je crois que c'est voir ses parents complètement perdus ici et se dire : «Mais finalement ils ont un lieu à eux». Je crois que c'est ça. C'est les voir dans ce lieu dans lequel ils se retrouvent complètement, dans lequel ils sont eux-mêmes (...). C'est se dire que finalement (...) ils ont un repère ». Elle ajoute : « [Moi,] j'avais 16 ans à l'époque et mon père ne m'en avait pas parlé donc, pour moi, j'allais découvrir ce qui correspondait... à ce qu'on était finalement. Et en fait non, c'est pas du tout ce que j'ai trouvé. Et... je crois que ça a été positif et négatif parce que ça m'a... ça m'a remise en question, par la suite, forcément. J'ai recherché mon identité par rapport à ça... et puis à 16 ans je... j'avais pas tellement la notion de ce qu'était une enfant de harki ; par la suite, bien entendu, j'ai compris en fait à quoi ça correspondait (...) ».

Son premier voyage, Mohamed (42 ans) ne l'envisage pour sa part qu'au terme d'une longue réflexion, d'un long retour sur soi, à l'âge de 34 ans :

« J'ai pas voulu retourner tout de suite, parce que, pour moi, l'Algérie, à dix-sept, dix-huit ans, (...) c'était le brouillard complet. La France c'était aussi le brouillard, et l'Algérie c'était pareil, donc... Mais, par contre, je suis retourné en Algérie à l'âge de... c'était en 89, donc j'avais trente-quatre ans, mon regard était différent. La sérénité était revenue et, par conséquent, je pouvais retourner ».

Dans son cas, il est vrai, le recouvrement d'appartenance, le rétablissement du lien filial avec un père parti trop tôt (Mohamed n'était alors qu'un enfant), emportant avec lui le sens d'un engagement, ne peut s'opérer par le langage. Cette parole à jamais évanouie, cet échange impossible, Mohamed va les sublimer sur un mode mimétique, en marchant littéralement sur les traces de son père. Plus qu'un acte de mémoire, plus qu'une quête identitaire, c'est une démarche empathique : Mohamed va re-vivre les souffrances endurées par son père, pour donner corps aux récits épars de son grand-père et des autres harkis de la cité de Largentière, où il a passé son enfance :

« Je voulais retourner (...) par rapport à mon père que je n'ai pas connu, que je n'ai pratiquement pas connu parce qu'il est décédé j'avais neuf ans, et quand on enlève les années de guerre, je l'ai pratiquement jamais vu, donc voir (...) l'endroit où il a vécu, par exemple, quand il s'est évadé des prisons du FLN (...). Tout en étant serein et puis tranquille, je ne voulais quand même pas oublier les trois, quatre mois de prison que mon père avait fait dans les prisons du FLN et qui auraient pu se terminer par sa mort, tout simplement, et ensuite les deux, trois mois où il a vécu comme une bête dans un massif montagneux, je voulais y aller pour concrétiser dans mon esprit et voir, donc, exactement les conditions dans lesquelles mon père a pu vivre, et puis, au-delà de lui, tous les harkis qui ont été massacrés aussi, la ville où on était en Algérie, c'est des centaines de harkis qui ont été massacrés. Pour voir, là aussi, le site, même sans connaître exactement au centimètre près l'endroit où ils ont pu être massacrés (...). Donc, c'était pas le touriste, je voulais pas aller en touriste, pas du tout, c'était vraiment pour revivre et puis vivre et concrétiser un petit peu ce que mon grand-père a pu me dire sur l'Algérie, ce que les harkis de la cité de Largentière ont pu me dire ».

De même, c'est dans la réminiscence des souffrances endurées par les siens, dans le ressouvenir de la trajectoire qui fut celle de ses parents (et de son père en particulier), que Challah1630(*) trouve la force d'affronter ses « petits malheurs » du quotidien, lui qui estime ne pas avoir réussi sa vie professionnelle, mais estime avoir réussi sa vie de citoyen, « qui est mille fois plus importante que la vie professionnelle » :

« (...) Perdre l'Histoire, ce serait une grave erreur ; oublier l'Histoire, c'est impossible ; on voudrait parfois, mais... c'est impossible, on ne peut pas oublier (...). Moi, en tant que fils de harki, je... on voudrait parfois oublier, mais on peut pas. On peut pas. Ça s'efface, mais ça... refait surface. On voudrait, mais on peut pas. Pardonner, on peut. Mais oublier, c'est encore plus dur (...). Par contre, l'oubli il est facile pour la personne qui le fait [NDA : qui fait le mal], très facile. Mais pour celui qui subit, on a beaucoup plus de mal à oublier (...). Moi, par exemple, je suis né en France, mais j'essaie de comprendre... c'est une histoire que j'essaie de comprendre mais que je ne vis pas, parce que je n'ai pas vécu ces circonstances là, donc j'imagine... il y a beaucoup de jeunes fils de harkis qui s'imaginent cette histoire, mais ils en parlent comme s'ils l'avaient vécu, ce qui est archi-faux. Ça m'empêche pas de me construire ma propre histoire, de me donner... une raison... une raison de vivre. Je n'ai pas connu cet instant présent mais on me l'a transmis, mes parents me l'ont transmis, en me racontant, bien entendu, comment c'était en Algérie, et tout... Je suis arrivé à comprendre. A comprendre qui ? A comprendre mon père, ce qu'ils avaient vécu, quelles étaient les circonstances... atténuantes... qui les ont poussé à entrer en France. Ça a été l'injustice, ça a été le non-respect d'autrui... un non-respect qu'on leur a infligé comme ça, c'est-à-dire... mon père était dans l'armée française, il était infirmier... on l'accusait de faits qu'il avait jamais commis... sans doute par jalousie... et puis un beau jour, j'ai eu la famille de ma mère, ils étaient en train de ramasser des amandes... mon père était un homme respectable, par rapport à sa personnalité, son charisme naturel ; c'est un homme sur lequel on pouvait compter, je dis bien et j'insiste : c'est un homme qui avait une personnalité ; c'est un mur qu'il s'était construit ; et malgré cette personnalité, cette bonté... parce qu'il allait de douar en douar, faire des distributions de médicaments, il donnait des piqûres, il soignait les gens, hommes, femmes et enfants, malgré ça... y'avait ce côté... ce côté... chauvin de certains algériens qui n'aimaient pas cette initiative prise par mon père qui est entré dans l'armée française tout en restant au service de l'Algérien et des Français... bon, parce qu'on parle de l'Algérie mais l'Algérie était française... au service de la France en quelque sorte... bon ça ne plaisait pas à... certains Algériens, et puis... et puis un soir il est rentré à la maison, et puis bon... y'a eu cinquante-quatre morts dans la famille, donc ce sont... des membres de ma famille que je n'ai pas connus, qui étaient en train de ramasser des amandes, et ce jour-là la rivière était... rouge de sang ; elle était rouge de sang. Le soir mon père en rentrant, ma mère lui a dit : «Voilà, voilà, voilà». Ils ont tué le chien - on avait un chien qui s'appelait [inaudible] - ils l'ont tué. Mon père a dit à ma mère : «Maintenant, tout de suite, à cet instant présent : on quitte la maison ; on s'en va ; on s'en va au poste». Ils sont allés au poste de l'armée française. (...) Ils sont rentrés en France. Ils sont rentrés en France du poste au bateau... dans un GMC bâché ; la sensation qu'a eu ma mère à cette époque : elle a simplement dit qu'on avait l'air... comme du bétail qu'on amenait au bateau (...) déracinés... tristes... bon, le mot n'est pas assez... plus que triste, quoi, la déchirure... la déchirure... ». Et il ajoute : « Moi, ce malheur me donne une force telle que je deviens... [silence]... ce que je suis. J'veux dire... ce malheur là, toute cette monotonie qui s'installe en moi, qui m'habite, qui s'en va, tu sais, comme un brouillard qui s'installe et qui s'évapore... ça me donne beaucoup de force... donc, je lutte. Je lutte parce que moi aussi j'ai dormi longtemps, et un beau jour je me suis dit : «Tu te réveilles, ou alors, ça va être l'enclume sur la tête, et tu risques pas de savoir où ça tombe» »

Ce ré-ancrage mémoriel, cette remembrance du lien de filiation sont des préalables nécessaires à l'affirmation de soi et à l'autonomisation de la quête identitaire des enfants de harkis :

« L'imaginaire et l'historicité sont articulés l'un à l'autre. La capacité de se projeter dans un avenir dépend de la possibilité de se situer par rapport au passé. La levée du refoulement de l'imaginaire (...) permet de comprendre en quoi [le sujet] est le produit d'une histoire, de quelle manière il a été déterminé pour se comporter ainsi, là où il porte l'histoire des autres et là où il est intervenu pour se construire comme un être propre et singulier ». Et il ajoute : « Le sujet peut alors repérer les différents facteurs qui ont provoqué la honte, comprendre en quoi ils sont reliés afin de substituer aux émotions inhibantes une expression qui libère »1631(*).

- 2. Le besoin de s'opposer pour se poser ou l'expression de la différence avec la deuxième génération issue de l'immigration (niveau interpersonnel)

Dans leur volonté d'être soi, les enfants de harkis en viennent généralement - quoique plus ou moins tardivement, et selon des modalités qui peuvent différer sensiblement d'un enfant à l'autre - à se distinguer des populations issues de l'immigration, allant parfois jusqu'à réinvestir les attitudes d'ostracisme fondées sur des préjugés socioculturels dont ils sont eux-mêmes victimes. « Cette attitude, écrit Nicole Lapierre, évoque celle du parvenu à l'égard du «paria», telle que l'a analysée Hanna Arendt dans la bourgeoisie judéo-allemande : le premier s'arrachant à la condition du second, ne veut plus rien avoir de commun avec ce dernier ; son drame est que la société majoritaire à laquelle il adhère et s'identifie ne le reconnaît pas tout à fait pour l'un des siens »1632(*). De fait, cette volonté de distinction est d'autant plus forte que sur lesquels se fonde la perception spontanée d'autrui (à commencer par le "faciès") sont, au quotidien, une entrave à la reconnaissance en tant que tels des enfants de harkis. "Discrédités" par ce que Erving Goffman appelle le "stigmate tribal", et ordinairement amalgamés aux populations issues de l'immigration maghrébine, les intéressés en viennent généralement - quoique plus ou moins tardivement au sortir de l'adolescence - à vouloir "rétablir l'invisible", c'est-à-dire à vouloir évoquer et invoquer les ressorts d'un passé familial et communautaire singulier, au fondement d'une identité individuelle et collective spécifique :

« Je suis fille de harki, je ne suis pas n'importe quel Algérien en France (...). Y'a un événement historique qui fait que je suis là où je suis et que j'appartiens à une communauté différente, qui n'est pas ici, qui n'est pas là-bas, et qui est différente de tout le monde » (Hassina).

La volonté de se démarquer des populations issues de l'immigration maghrébine conduit parfois les enfants de harkis à s'auto-attribuer - et à "essentialiser" - des qualités conçues comme à la fois "typifiantes" et "différentielles" (au prix d'une autre "essentialisation", celle des défauts prêtés aux "beurs") : des thèmes tels que le sens civique, le patriotisme (très prégnant dans le discours de certains fils et filles de harkis) marqueraient un net clivage entre les deux groupes :

« On ne veut pas être assimilés avec des beurs. Parce que ces gens-là, ils sont pas pareils que nous (...). J'pense que chez la plupart des jeunes harkis c'est... être harki c'est... c'est un état, si je peux dire, c'est un fait, on est harkis, on est pas beurs, on veut pas être assimilés avec les beurs. Le beur, c'est autre chose : c'est quelqu'un qui casse, j'dis pas que nous on casse pas, il faut pas exagérer, on est pas tous des saints, mais j'veux dire, on s'exprime pas par la violence à chaque fois qu'on veut quelque chose (...). Parce que dans le coeur on est harkis, c'est un... je sais pas comment dire, on est harkis, on le sait, et... automatiquement on se comportera autrement que... les immigrés, quoi, parce qu'on a la France, on a le drapeau dans le coeur, donc on... civiquement parlant, si on peut dire, on sera plus citoyen qu'un immigré (...). Etre harki, c'est un certain état d'esprit : c'est être citoyen... plus qu'un beur, quoi, voilà » (Jacqueline) ; « (...) Moi, ce qui me gêne chez les beurs, enfin... ce qui me gêne c'est que, bon, ils se disent Français, mais... pas de coeur, voyez, c'est... ils sont Français par intérêt, parce que, bon, ils sont nés là, ils ont la nationalité française... mais... c'est tout, pour eux ça représente pas... quelque chose de profond, quelque chose qu'ils aient choisi, quelque chose... et c'est ça qui me... qui me gêne. Y'a une différence quand même, avec le beur, c'est que nous, enfants de harkis de la deuxième génération, on a épousé... disons... la civilisation, enfin la culture occidentale, on sait que notre vie se fait ici, que ce sera toujours ici, que... bon, moi, quand j'écoute la Marseillaise, j'ai la chair de poule, je pense pas qu'un beur... ait la chair de poule en écoutant la Marseillaise » (Taouès1633(*)).

On retrouve dans les propos de Lahcène et de sa tante Zohra, qui vivent à Largentière (en Ardèche), l'expression de cette barrière invisible entre "Eux" et "Nous", que renforce l'attribution à l'autre (« les Algériens durs ») de traits négatifs censés témoigner de ce que la différence de trajectoire historique a également accouché de qualités morales discriminantes :

« Et les rapports sont difficiles avec eux [NDA : les beurs d'Aubenas, ville voisine de Largentière] ?

Lahcène - Ben... c'est-à-dire, ouais, ils le disent pas en face, tu sais, on le ressent, tu peux pas le dire en face, mais quelque part c'est... tu sais, pour tout, tu sais, pour... bon moi de toute façon je traîne toujours avec ceux de Largentière, tu sais, quoi... on est toujours entre "harka", tu sais... [rires] on se mélange pas, tu vois, on se mélange pas, bon, à part le sport, quoi. A Largentière, au club, tu sais quoi, bon, y'a des Marocains, y'a des Algériens, tu sais c'est bien, tous unis quoi. Sinon, on est toujours ensemble, toujours solidaires quoi. Si ça chauffe, on est tous là quoi, tous unis. Depuis gamins, on a grandis...

Il n'y a pas de place pour une réconciliation ?

Lahcène - Bon, de toute façon ça a jamais dégénéré, ça a jamais... tu sais, on a toujours fait comme si on calcule pas, mais bon moi je suis toujours avec les harkis, c'est mes seuls amis, quoi, tu sais, on s'appelle "frères" entre nous, tu sais, c'est "frères", c'est pas... non, non, franchement, Aubenas, nous on se mélange pas avec eux, quoi, tu sais on est... eux ils ont leurs propres activités là-bas, et puis ici on a... bah... on a rien, on a rien, quoi. On a rien. Alors que eux... eux ils ont tout, eux, les M.J.C., les maisons de jeunes, ils ont... pfff... ils ont tout quoi, eux.

Avec les Marocains [qui habitent Largentière] ça se passe mieux qu'avec les Algériens [qui habitent Aubenas] ?

Lahcène - Ah ! ouais, mieux, mieux, ah ! oui, mieux, oui, oui. Eux, franchement, ils sont... tu sais, franchement, les Marocains, ils sont bien, quoi. Y'a des amis qui jouent au foot avec nous et... ils sont vraiment bien, tu sais, ils cherchent pas à poser de questions aussi, c'est comme ça. Mais c'est vrai que ceux d'Aubenas, c'est pas pareil quoi. Y'a beaucoup de... comment dire... j'vais pas dire des familles sauvages, quoi, mais... c'est des Algériens... euh... durs, quoi, tu sais, mais bon ça c'est...

Zohra - C'est des Algériens qui aiment bien travailler en France mais... qui veulent toujours... retourner dans leur pays, ils veulent toujours retourner. C'est pas pareil.

Vous avez l'impression qu'ils ne sont pas autant attachés...

Zohra - ...non, bah, non, surtout ils sont là pour travailler, pour... voilà, et un jour ou l'autre ils retournent chez eux. Ils vont en vacances, ils construisent une maison, donc ici ils sont là... on l'entend tout le temps, sans arrêt, qu'ils sont là que pour travailler, pour... c'est tout. Voilà ».

Cette adhésion à certains stéréotypes négatifs véhiculés à l'encontre des populations originaires du Maghreb serait, pour certains enfants de harkis, un gage (illusoire ?) d'acceptabilité de la part de la société d'accueil :

« Etre enfant de harki, c'est... je peux dire à des gens que j'ai la nationalité française sans... dans mon coeur me dire que je l'ai prise, parce que je l'ai eue à la naissance et... je sais pas, je peux me justifier auprès des gens que je suis pas d'origine... immigrée, et... déjà ça passe beaucoup mieux, beaucoup, beaucoup mieux, déjà rien que le fait de dire aux gens que... t'es pas issue de l'immigration, ça passe beaucoup mieux et c'est la vérité » (Jacqueline) ; « (...) vu mon nom et mon prénom, ils peuvent dire que je suis un immigré. Ils peuvent penser que je suis un immigré, et vu ce qu'il se passe actuellement en France, il peut y avoir un rejet, je veux dire (...). Si je leur dis rien (...), de suite ils risquent de me cataloguer en tant qu'immigré. Et je préfère leur dire que... je suis musulman et que... je suis Français » (Rabah).

Dans leur volonté d'apparaître "en tant que tels", de n'être pas "une autre facette des beurs", certains en viennent à vouloir arborer des signes distinctifs, des sceaux de "notoriété", qui rétablissent l'invisible aux yeux d'autrui :

« (...) Ce qu'on voudrait, c'est une priorité aux harkis, et que ça se voie sur la carte d'identité. Je ne suis pas français musulman même si la religion est suivie dans les maisons, je suis un Français fils de harki. Comme ça, on peut faire la différence avec Français fils de FLN »1634(*).

Mais, plus fondamentalement, cette volonté de distinction doit être comprise comme un acte de filiation assumée, qui vise à entériner le choix du père, à le faire sien :

« (...) nous, c'était un choix, c'était un choix par rapport à une guerre, par rapport à un contexte. On était pas là pour... c'est pas pour des raisons économiques qu'on est là, nous, on a rejoint la patrie, et puis "point", c'est tout » (Régika) ; « (...) le fait que maintenant il y a un amalgame qui soit fait entre les immigrés, etc.... on met tout le monde dans le même sac, nous on a notre identité, on a une référence par rapport à nos parents qui ont choisi la France, et nous on est Français désormais, qu'on le veuille ou non, on est Français » (Mohamed, 42 ans).

Cette volonté de distinction, cette volonté de se réclamer - en dépit du poids de l'activation des stéréotypes dans l'ordinaire des relations sociales - d'une forme d'"intégrité identitaire" est une démarche qui peut se heurter à d'autres obstacles, plus idéologiques, de la part de certains secteurs d'opinion au sein du groupe majoritaire. Ainsi en va-t-il de la réaction suscitée chez Michel Polac, animateur d'une émission consacrée aux problèmes d'immigration et d'intégration (diffusée le 14 juillet 1990), par les propos d'une jeune militante MRG (Mouvement des Radicaux de Gauche), fille de harki. Celle-ci, revendiquant « l'intégration totale » pour les membres de la communauté harkie, avait tenu à se démarquer absolument des populations issues de l'immigration maghrébine, déplorant même que ces derniers auraient plus d'avantages qu'eux. Michel Polac, animateur de l'émission, avait alors rétorqué que de tels propos étaient susceptibles de faire le jeu du Front national, s'attirant les protestations de l'intéressée ainsi que d'Ali Boualam (fils du Bachaga Boualam), autre invité de ce débat. L'animateur, en désaccord avec les producteurs de l'émission, avait par suite introduit un référé devant le tribunal d'instance pour que l'émission soit déprogrammée et « retravaillée ». Ce recours sera finalement rejeté et l'émission diffusée en l'état1635(*). Ainsi, au poids des stéréotypes (stigmate tribal), qui jouent contre la reconnaissance en tant que tels des enfants de harkis dans les interactions de la vie quotidienne, s'ajoute le poids de certains schèmes de pensée, qui, procédant par amalgame (entendre distinguer sa situation et/ou son héritage symbolique de fils ou fille de harki de ceux des beurs, c'est faire le jeu du Front national), considèrent comme non légitime - ou politiquement incorrecte - cette volonté de distinction des enfants de harkis.

D'autres enfants de harkis, il est vrai, refusent absolument d'être distingués des populations issues de l'immigration maghrébine, et ne se reconnaissent aucune spécificité, ou la rejettent explicitement. C'est le cas de Mohamed (28 ans) qui, par les accents volontairement "outrés" de sa démonstration, heurte le sentiment d'amour-propre de son ami Rachid, lui aussi fils de harki :

« Mohamed (28 ans) - Non, mais, franchement, ceux qui arrivent à faire la distinction, c'est-à-dire qu'un fils de harki, un jeune fils de harki qui revendique qu'il est harki, pour moi, c'est grave. Parce que moi, devant la population immigrée, tu... tu... devant les Français, quoi, on a le droit de revendiquer qu'on est des harkis, qu'on a des droits et tout, mais j'veux dire, vis-à-vis des immigrés ou quoi, je revendiquerai jamais que je suis un harki, et moi, j'te dis, personnellement, que vis-à-vis de notre pays, vis-à-vis de la France, t'as le droit de revendiquer que t'es un harki, mais moi je revendiquerai jamais vis-à-vis de la France que je suis un harki, jamais, je le ferai jamais, je préfère qu'on considère comme si j'étais arrivé hier dans un bateau. (...) Mais moi, mes problèmes, c'est différent, quoi, franchement, moi... franchement faire la différence entre les fils de harkis, comme tu disais tout à l'heure, je ferai jamais la différence, je montrerai jamais que je suis un fils de harki, je défendrai jamais les harkis spécialement ; je dirais même, les fils de harkis je les défendrai jamais, si un jour j'ai l'occasion de les défendre, je les défendrai jamais. (...) Tu me parles de la communauté harkie ? Moi, franchement, je trouve que c'est dépassé, franchement... dernièrement, à Montpellier, tous les harkis ils ont fait des manifestations, les harkis ils ont fait des manifestations, ils ont ressorti leurs médailles, et tout, franchement, eh ! ben, moi, j'aurais honte... quand ils ont fait ça, franchement...

Rachid - ...moi j'en ai une médaille, fais pas chier, j'en ai une, hein...

Mohamed - quand ils ont manifesté avec leurs médailles et tout...

Rachid - ...oh !...

Mohamed - ...quand ils ont manifesté avec leurs médailles et tout, les... les... les... les harkis qui étaient à Montpellier, avec leurs médailles et tout, j'ai eu honte, franchement, j'ai eu honte... ».

D'autres encore, s'ils se sentent spontanément plus proches des beurs que des Français dits de souche, parce qu'en butte aux mêmes difficultés, savent néanmoins que cette communauté d'esprit ne résisterait pas une minute à l'évocation de la destinée paternelle. Le cas d'espèce d'Ahmed est symptomatique de cette ambivalence des processus d'identification/distinction à l'égard des beurs :

« Tu dis te sentir étranger à ton propre pays : est-ce que cela signifie que tu te sens plus proche des enfants d'immigrés que des jeunes gaouris, comme moi ?

- Non, plus proche des étrangers.

- Y compris des immigrés algériens ?

- Oui, parce que... leur histoire est différente de la nôtre, mais ils vivent des choses comme nous, ils sont rejetés comme nous, donc automatiquement on se sent plus proche d'eux... Comment t'expliquer ? C'est simple : si demain je me retrouve dans une ville inconnue, perdu, j'ai deux types en face de moi, un Algérien et un Européen : automatiquement, vers qui je vais être amené à demander de l'aide ? Ça va être l'Algérien.

- Et la différence d'histoire, tu n'as jamais eu à en...

...si, quelque part, si ; si je commence à penser à la guerre d'Algérie et à ce qu'ils pensent de nous, je vais pas dire que je les hais, mais... c'est tout comme. C'est bizarre, hein ? Mais bon... c'est chaud. Je sais pas si c'est propre aux gens du sud, mais quelque part on a le sang qui boue. Et j'veux dire, s'il commence à avoir des commentaires déplacés, là je m'emporterai. Et pourtant je le respecte. En sa présence, j'en parlerai pas. Parce qu'on a un point de vue qui automatiquement sera différent. Il y a quelque chose qui fait que nos parents ont pris des chemins différents, mais on n'a pas à en parler. On n'a pas à les juger. Mais, accepter non. Je sais que lui il acceptera pas qu'on en parle, et moi non plus j'accepterai pas. Mais c'est pas pour ça qu'on se détestera, bien au contraire ».

Outre la mobilisation du sujet pour sauvegarder son unité (dimension individuelle), le travail de dégagement par rapport à la honte passe aussi, indissociablement (quoique fréquemment avec un certain décalage dans le temps), par une lutte pour la reconnaissance aux yeux d'autrui. Dans ce second "temps" de la « stratégie de la désimplication », il s'agit de puiser dans le substrat familial et communautaire les ressources pour recouvrer ses capacités de symbolisation vis-à-vis de l'extérieur et mettre en cause les valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation : non plus simplement la transgression intime du tabou paternel, mais le refus assumé et proclamé - au nom des pères et des pairs - des normes négatives véhiculées par l'environnement social :

« Pour développer une identité positive, il faut avoir non seulement la conscience d'une identité personnelle, mais aussi celle d'appartenir à un groupe avec des caractéristiques auxquelles on peut s'identifier, et des caractéristiques positives »1636(*).

Cette seconde phase, qui peut être dite "collective" au sens où l'individu entend désormais se réclamer d'un « Nous » qui l'englobe et le dépasse, correspond à une forme d' « insurrection symbolique » marquée par une volonté de réactivation de l'héritage mémoriel et de réhabilitation de la figure du père au-delà du cercle communautaire (ce que Erving Goffman appelle le « retournement du stigmate »).

B) La lutte pour la réhabilitation de la figure du père ou la nécessaire mise en cause des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation (dimension collective)

Cette deuxième phase du travail de dégagement, qui voit l'individu s'inscrire de propos délibéré dans un "être collectif", correspond à une nouvelle étape de la mobilisation du sujet pour recouvrer ses capacités de symbolisation : il s'agit, selon la belle expression de Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, de « faire du père le combat du fils »1637(*). La lutte pour la réactivation de l'héritage mémoriel et, surtout, la réhabilitation de la figure du père aux yeux d'autrui (ou retournement du stigmate) vaut aussi, pour les enfants, restauration de l'identité blessée : c'est une défense contre la souffrance et la honte. Il s'agira pour les enfants de harkis, en se réclamant clairement et délibérément de leur groupe d'appartenance, de produire « un autre système d'évaluation », autrement dit, d'agir sur « [cet] ensemble de représentations de soi à la société [NDA : Norbert Elias et John L. Scotson parleraient à cet égard d' « idéologies de statut »] dont une des fonctions est précisément de situer les individus dans les rapports sociaux et légitimer cette place »1638(*) :

« L'appartenance à un groupe, écrivent Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada-Léonetti, permet de se défendre contre un "regard social" méprisant et stigmatisant. Le groupe peut produire des contre-modèles et refuser les normes sociales dominantes invalidantes. Il évite donc le processus d'intériorisation de la honte sociale ». Et ils ajoutent : « [Le groupe] constitue une médiation entre l'individu et la société :

- médiation socialisante parce qu'il inscrit l'individu dans des réseaux de solidarité qui élargissent ses relations au-delà de la sphère familiale ;

- médiation identitaire puisque les liens établis avec "ses semblables" permettent de développer des identifications positives qui neutralisent les aspects négatifs liés à l'appartenance à un groupe social dominé »1639(*).

La deuxième génération, dans sa volonté de sauver de l'oubli la mémoire du groupe d'appartenance et de faire connaître et reconnaître cette "face cachée" de l'histoire de France, revendique ainsi des origines que les parents ont tout fait pour oublier. Leur désir d'appartenance pleine et entière à la société française, les enfants de harkis le vivent ainsi sur le mode de la fidélité à la figure du père, à son "choix", à son combat ; à l'instar de Karim, qui dit « [se battre] à travers les convictions de [son] père », mais encore de Rabah et Mohamed (42 ans), qui confondent fidélité au drapeau et fidélité filiale, ou d'Ahmed, qui fait sienne sans complexe l'histoire de son père :

« (...) J'ai fait un choix, mon père a fait un choix, j'ai fait un choix : c'est la France (...). Quand je vois ma carte d'identité, bah, j'en suis fier. Parce qu'on s'est battus pour ça, ça a une valeur morale beaucoup plus grande. Et quand j'ai eu mon service militaire, ben... j'étais fier d'avoir fait mon service militaire, d'avoir servi le drapeau français. Et quand je vois le drapeau français, euh... je disais : «Tiens, mon père... mon père y gardait ce drapeau aussi». Il l'a même servi des années et des années, il s'est battu pour ça (...). Quand je vois le drapeau français qui flotte, je pense à tout ce qu'il a... tout ce qu'il a enduré, tout ce qu'il a fait (...) » (Rabah).

« Mes parents ont aimé ce pays, mes grands-parents ont aimé ce pays, moi je dois rester fidèle à ça (...). Hors de question à ce qu'on trahisse tout ce que nos parents ont fait pour la France. Il faut être fidèle, même si on a pas été remerciés en retour, je dirais (...). Ce message, quelque part, il a survécu à nos parents, même si mon père est décédé, même si j'étais gamin, le peu de choses qu'il ait pu me dire sur ces problèmes... avec quelques années de plus ce message a ressurgi » (Mohamed, 42 ans).

« Mais aujourd'hui je suis fier. Je suis fier... enfin fier... pas fier dans le sens... mais je ne changerais pour rien au monde d'histoire. C'est mon histoire, je suis fier de ce que mon père a fait. Si demain on me donnait la possibilité de changer de peau, je ne changerais rien, non » (Ahmed).

Mais s'ils se fixent pour objectif de réactiver la mémoire de leurs parents, les fils et filles de harki entendent aussi s'en servir comme d'un "garde-fou" et ne pas reproduire, à la différence de leurs aînés, une certaine forme de "naïveté" ou de "résignation" eu égard aux agissements d'autres groupes interdépendants (et des pouvoirs publics en particulier). La dynamique des générations s'inscrit ainsi indissociablement dans la fidélité et le refus : fidélité à la figure du père, refus du statut adventice qui lui a été assigné dans la société française ; Mohamed (42 ans) entend ainsi être davantage ou autre chose qu'un simple rouage de transmission de la mémoire familiale, de sorte que celle-ci vive non seulement "par" mais "à travers" lui ; il entend véritablement l'incorporer, c'est-à-dire l'enrichir de ses expériences et sentiments propres sur la situation de la communauté :

« (...) Mais rester fidèle ça ne veut pas dire être aveugle, fermer les yeux sur tout, donc ça je ne peux pas le concevoir, je me suis dit : «Mes parents aimaient la France, bon...» ; moi également je fais en sorte de comprendre les choses et d'arriver à aimer ce pays, mais pas à n'importe quel prix. Je veux participer à la vie de ce pays. Et puis tenter de voir les problèmes de l'intérieur pour ne pas être, comme mes parents, amené à la boucherie les yeux fermés. Niet. Je ne voulais pas de ça ».

L'autonomisation de la quête identitaire des enfants de harkis passe par ce va-et-vient « identification - fusion/mise à distance - rejet ». Selon Edmond-Marc Lipiansky, l'identité se propose ainsi, au niveau même de sa définition, dans le paradoxe d'être à la fois ce qui rend semblable et différent, unique et pareil aux autres ; fondamentalement, la signification reste indécidable :

« On peut poser l'hypothèse que l'identité ne se soutient que dans cette oscillation et qu'il importe que le paradoxe ne soit pas résolu. Sinon, c'est la chute dans l'un des termes de la contradiction : l'unicité autistique ou l'indifférenciation uniformisante du fusionnel qui signent l'un et l'autre la perte de l'identité »1640(*).

Pour Jean-Claude, comme pour Dalila (37 ans), cette quête de la reconnaissance - aussi bien que la requête d'une décision politique qui pourrait la fonder - sont d'abord conçus comme un moyen de donner du sens et de trouver une place dans la société d'accueil, afin de ne pas se laisser "laminer" socialement :

« Est-ce qu'à l'instar de Mohamed [président de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière], tu attends un geste de reconnaissance de l'Etat français, notamment un geste de reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français dans l'abandon des harkis ?

Jean-Claude - Ah ! moi, oui. Ah ! oui. Même... même, à la limite, plus. Plus encore que lui. Parce que lui. Là, c'est clair. Je pense que... leur génération [Jean-Claude me désigne Mohamed], ils ont souffert, ils ont souffert d'une adaptation, de... de... d'un manque de reconnaissance, mais ils ont les éléments de leur propre vie. Si tu veux, ils ont pas ce blanc, là, parce que eux l'ont vécu, ils ont leur histoire : ils ont avant la guerre, ils ont leur histoire pendant la guerre, mais c'est leur histoire, ils l'ont vécue. Alors que nous, c'est un élément de notre histoire que nous n'avons pas vécu. (...) Je sais que je suis algérien, je sais que j'ai mes grands-parents en Algérie, je sais que j'ai tout ça, et puis y'a cette guerre, cette arrivée en France, cette "exportation", parce que pour moi c'est une exportation, qui fait que ça a creusé un vide. Ça a creusé un vide que je ne connais que par les... les récits des plus anciens. Mais eux, ce vide il est concret, si tu veux, ils l'ont vécu. Pour nous, il est imaginaire. Et moi j'ai besoin autant qu'eux, et peut-être plus qu'eux, que la nation, et la France, et la décision politique en tant que telle, veuillent les reconnaître en tant que tels. Ça serait un peu, si tu veux, cimenter un peu, donner un sens, et concrétiser cette période de vide ».

« Vous savez, les gens déjà ils sont déçus, ils sont désespérés, y'en a qui veulent casser, y'en a qui veulent... parce que... on ne leur permet pas d'avoir une identité. C'est ça, je crois, surtout.

- Il y a un manque de reconnaissance ?

Dalila (37 ans) - Ah ! Complet, complet. Complet, on ne leur permet pas d'être eux-mêmes, hein ».

A la différence de la génération des pères, génération meurtrie qui a préféré oublier une page de l'histoire qui s'est écrite malgré elle, génération "honteuse" (car culpabilisée) qui a préféré taire sa déchirure, la deuxième génération ose se départir, dans les termes mêmes de son aspiration à la réminiscence de l'héritage mémoriel communautaire, du statut anecdotique et dégradant qui se dégage de cet autre stéréotype - paternaliste - du harki, « figure vivante du "bon Arabe", de celui qui cesse d'être ce qu'il est pour devenir pleinement français »1641(*). Cette mise en accusation du statut caricatural dévolu à leurs pères par l'imagerie d'Etat, laquelle étouffe le dramatique (le harki, « victime de la "raison d'Etat" ») dans le cérémonieux (le harki, « soldat de la France »), mais aussi la divergence exprimée par rapport à "l'acceptation" de ce statut hypocrite par leurs parents, signent et signifient l'autonomisation de la quête identitaire d'une génération décidée à soutenir une démarche plus offensive, moins respectueuse de l'ordre établi et de la "raison d'Etat" :

« On nous a laissés trente-cinq ans, on nous a oubliés, mais si c'est pour nous promettre des choses, comme y'a quelques années, y'a pas très longtemps, et qu'on ne fait rien, et qu'on nous prend pour des imbéciles parce qu'on pense que c'est la génération d'avant ; mais nous, la deuxième génération, c'est plus ça, il faut... il faut que la France se dise... on pense qu'on est restés comme dans les années 1962, comme nos parents étaient mentalement. Mais non, c'est fini » (Régika) ;

« (...) Contrairement à beaucoup d'autres dans des manifestations ou quoi que ce soit qui porteraient le drapeau français, moi je le ferais pas (...). Parce que quelque part on a été trompés, nous on continue à s'accrocher à la France, à dire qu'on est Français alors que la France nous rejette (...). Parce qu'on nous a pas rendu l'honneur qu'on doit nous rendre. C'est pas avec un timbre, ou avec... cent mille francs, ou je sais pas combien que y vont nous... (...). Donc je pourrais pas moi porter un drapeau alors que mon père... il est mort... il sera mort, je sais pas, sans reconnaissance, sans rien. C'est pas possible. Et voilà, le bon petit "bougnoule" qui fait son harki après la commémoration, euh... moi, ça, ça me dégoûte trop. C'est vraiment... la caricature : le harki y porte un drapeau, y défile avec des médailles, et après y fait cuire un méchoui (...). Voilà, donc je pense que nous on a pas à être les porte-drapeau alors que d'autres ne le font pas (...). On est français, et on fait comme les autres Français, on porte pas notre drapeau. On est fiers d'être français, comme n'importe quel autre Mathieu, ou Jean-Jacques, ou... je sais pas, mais... pourquoi l'autre il porterait pas le drapeau et nous on le porterait toute notre vie ? (...) Y'a pas besoin de... de faire du cinéma : «France, France, France». On est français. Nos parents le font parce qu'ils sont vieux, mais nous, ça y est, on est dans la société française, on est intégrés, on a pas besoin de le faire. Voilà, on nous donne pas ce qu'on veut et on nous fait défiler comme des abrutis devant les caméras avec un costume traditionnel, un méchoui et un drapeau, ça veut dire que encore on est... pour eux, on est encore différents » (Jacqueline).

Aussi la réhabilitation attendue de la figure du père, et d'un engagement auquel ils doivent d'être ce qu'ils sont, passe, pour les enfants de harkis, par l'interpellation d'un Etat considéré comme moralement débiteur et oublieux de ses devoirs les plus sacrés, à commencer par le devoir de mémoire. Mais pas n'importe quelle mémoire : il faut dire, certes, mais dire aussi - dire surtout - ce que le folklore des cérémonies patriotiques ne dit pas :

« (...) Et la France, son problème, c'est qu'elle a été muette depuis 1962. On a tout dit et n'importe quoi sur les harkis, sur les militaires... la France est restée muette. Et elle aurait pas dû (...). Bon, maintenant, la France elle va être bien gentille, qu'elle arrête de se foutre de nous, qu'elle fasse ce qu'il y a à faire pour rétablir, pour réhabiliter la mémoire de nos parents, bon, plus l'école, apprendre aux jeunes, mais... la vraie version, pas la version qu'ils ont envie, et tous les... parce que, bon, pour les livres d'histoire, c'est quand même... ce sont les intellectuels, les intellectuels doivent se mettre d'accord. (...) Il faut que ça ressorte, qu'on raconte la vérité aux Français » (Régika).

« En fait, faudrait qu'il y ait des gens de chez nous qui traîne l'Etat français devant la Cour européenne. Parce qu'en ce moment, c'est la mode : tout le monde traîne tout le monde. Nous aussi qu'on les traîne pour génocide. J'veux dire, ils ont quand même massacré 350.000 ou 400.000 harkis en Algérie (sic), alors que les militaires français étaient enfermés dans les casernes et qu'on massacrait les gens à la porte des casernes. (...) En tout cas, si ils veulent vraiment honorer la mémoire de nos parents, y'a que comme ça. Et nous ça nous foutra moins les boules, on aura moins l'impression qu'on s'est servi d'eux, que la France elle reconnaît qu'elle les a abandonnés lâchement » (Ahmed).

C'est avec tout autant de véhémence, mais par l'écriture (et par un acte qui vise autant à édifier ou mortifier l'autre qu'à se libérer soi), que Zahia Rahmani, dont le père s'est suicidé immédiatement à la suite d'une cérémonie du 11-novembre, exprime cette attente de la "vraie version", cette « attente d'entendre autrement la sentence qui lui dira, Nous l'avons trompé » :

« Moze n'a pas parlé. Il a cessé. Il ne parlera plus. De ce qui l'a tué, de ce qu'il a compris, il n'a rien dit. Ce que sa langue ne suffisait pas à dire, c'est le système qui permit à l'Etat français de fabriquer une armée de soldatsmorts sans se soucier qu'ils étaient des hommes. (...) J'ai dit que Moze ne parlait pas. Sans langue, il était aussi sans territoire. Ni nomade ni apatride, ni errant ni exilé, il serait ce qu'une autre langue, celle de l'injure faite à l'homme, désigne comme un banni, un être indigne. C'était une espèce d'homme »1642(*). Et elle ajoute : « Ce regard insoutenable, cette figure extrême de la culpabilité, je veux m'en défaire. Je ne veux pourtant pas l'innocenter. (...) Par l'écriture, je sais que je l'expose et le réduis. Par l'écriture je me défais de lui et vous le remets. Mais je rappelle, étant sa fille, que je suis aussi ce qui est venu par lui et le continue. Un legs. Une exécution testamentaire ouverte par son salut aux morts. Je suis parole faisant serment non pas de mort, mais faisant serment avec la mort comme parole. Moze m'a offert la sienne »1643(*).

Ce ressentiment durable eu égard à la pusillanimité et au cynisme des autorités de l'époque, cette amertume aussi à l'encontre d'une société d'accueil qui voile d'indifférence le souvenir de leurs parents, nourrissent chez les enfants de harkis l'ambivalence du rapport à la patrie, à la fois terre d'élection du père et précipice de son idéal, terre d'exil plutôt que terre d'accueil. Et l'on ressent, au travers des propos de Jacqueline ou de Mohamed (42 ans), que les enfants de harkis - confrontés, qui plus est, aux difficultés d'intégration que l'on sait (voir Partie 3) - ont paradoxalement beaucoup moins bien accepté la "trahison" dont ont été victimes leurs parents que leurs parents eux-mêmes :

« On parle avec l'émotion, c'est quelque chose qu'on ne peut pas admettre. (...) On se dit que ça aurait pu se passer différemment si on avait pas considéré les harkis comme... j'allais dire des kleenex. (...) C'est vrai qu'on peut ressentir quelque frustration, et moi je dis et je souhaite de tout coeur que cette frustration n'arrive pas dans beaucoup de cas, du moins je l'espère, à des réactions qu'on a pu connaître par le passé, cité des Oliviers et consorts. (...) Nous, adolescents, on l'avait pas admis, et aujourd'hui encore je l'admets pas qu'on ait pu, donc, négocier sur le dos de nos parents et qu'on les ait laisser être massacrés par le FLN. (...) Et moi, lorsque j'ai compris que la cause harkie la France s'en tapait comme de sa première chemise, on avait... euh... je dirais, quand même, "gros sur la patate", on avait "gros sur la patate", et ça, rajouté avec les difficultés qu'on vivait dans cette cité-ghetto, ça pouvait que nous donner un sentiment d'injustice, là aussi le mot n'est pas fort (...). Tout ça, nos parents l'auraient accepté, mais nous, non, on a pas pu l'accepter » (Mohamed, 42 ans) ; « La France a lâché ses soldats. Et ça on le pardonnera jamais, ça on le dira toujours (...). On l'a pas encore avalé. Parce que... on nous a créés, on nous a inventés. Et on nous a lâchés. On est pas venus tout seuls, on a pas demandé. On a pas demandé... à devenir ce qu'on est devenus. C'est pas eux qui ont eu l'idée, et hop ! Non, on nous a créés, on nous a inventés, on nous a lâchés après. Voilà. Et c'est en fait un objet ou un vêtement : «Hop !», on lâche quoi, c'est... c'est inhumain » (Jacqueline).

Ce sentiment d'être les oubliés à bon compte de la guerre d'Algérie fait craindre à certains enfants de harkis de n'être jamais que des "figurants" ou des "silhouettes", les sujets fictionnels d'une communauté éphémère, "périssable", sans ressort ni visibilité sociale propres :

« (...) Il faut déjà qu'on apprenne aux jeunes à l'école, surtout aux jeunes, parce qu'en fait les gens qui savent... ce qu'on est, qui sont un peu au courant, ce sont tous des personnes âgées qui vont disparaître (...). Donc, quand ces personnes vont mourir, nous on va mourir avec, si on peut dire. Voilà. (...) Mais je veux dire on n'existera plus, quoi, dans peut-être dix ans, quinze ans, "harki" ça va être encore moins connu que ce qu'il y a maintenant, quoi » (Jacqueline).

« (...) De toute façon, moi, je pense que, d'ici quelques années, ça existera plus tout ça : les harkis, les ceci...

- La spécificité harkie va s'éteindre avec les pères ?

Ahmed - Y'en a qui vont le garder, mais pas beaucoup...

- Donc, c'est une communauté qui est vouée à disparaître en tant que telle ?

Ahmed - En tout cas, moi, c'est l'idée que j'en ai. Maintenant, je peux me tromper, hein...

- Et ça, à ton avis, c'est plutôt un bien ou...

Ahmed - Non. Non. Pour moi, c'est pas une bonne chose. Mais, bon, on est pas aidés. Mais si tu regardes la parabole, en Algérie, chaque année, ils ont la commémoration de la guerre d'Algérie, comme quoi ils ont gagné, ceci, cela. En France, tu trouveras dans aucun livre l'histoire de la communauté harkie ».

« Nous encore on a la chance de pouvoir se rattacher à eux [les harkis], par rapport à ce que eux peuvent nous apporter, mais nos enfants à nous, eux, n'auront plus ce... et je crains fortement pour... pour eux par rapport à des difficultés qu'ils pourraient rencontrer ensuite au niveau de leur propre personnalité, leur propre construction de... de leur être. Y'a que l'histoire qui fait que les gens se rattachent à... retrouvent leurs racines dans l'histoire... moi, par exemple, moi je sais de qui je viens parce que j'ai eu la chance de pouvoir les côtoyer de près. Et mes enfants, mettons, ils auront ce récit que par rapport à moi, donc déjà d'un fantasme. Et donc plus ça ira, plus nos racines vont se diluer, et moins on pourra se retrouver et reconnaître ses racines ; et je pense qu'on peut pas avancer si on n'a pas déjà mis en place et bien marqué ses... ses racines. On peut pas avancer. Je pense que de toute façon à un moment ou à un autre l'Etat français sera obligé de le faire, on va s'apercevoir qu'il a eu tort de pas le faire, et en paiera les pots cassés » (Jean-Claude).

Précisément, comment cette volonté largement affirmée des fils et filles de harkis de mettre en cause les valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation, et de tramer autrement que sur un mode dissymétrique la relation à l'Autre, est-elle comprise, "traduite" et relayée par les pouvoirs publics en France ? De même, quel espace l'Algérie - avec laquelle il est question de signer un "traité d'amitié" - offre-t-elle à une possible réparation des termes de l'échange ?

II. Réparer les termes de l'échange : la reconnaissance comme travail de l'écart (autour de la communauté harkie)

A la nécessaire mise en cause, par l'individu, « des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation » (la reconnaissance comme travail de dégagement ; voir ci-dessus) s'ajoute celle, non moins nécessaire (mais nécessairement structurée autour de logiques d'action collective, via la mobilisation d'un répertoire d'actions et de revendications, ciblées ou génériques), « des rapports sociaux qui l'ont fondée »1644(*). Mais comment les choses peuvent-elles se présenter autrement dans les rapports entre la communauté harkie et la société française d'une part, entre la communauté harkie et la société algérienne d'autre part, que comme "friction" entre des usages de la mémoire qui ont des fonctions identitaires symétriques, et empêchent symétriquement toute réflexion sur les responsabilités historiques ? Peut-on envisager d'ouvrir, en France et en Algérie, un espace de délibération politique qui, porteur d'une forme au moins minimale de réciprocité, implique la reconnaissance des anciens harkis et de leurs enfants comme interlocuteurs ? Et si non, où situer les résistances à promouvoir, autour d'une politique de la reconnaissance et du pardon, « un apprentissage de l'art de vivre ensemble »1645(*) ? Au regard même des intéressés, si la « fixation d'une mémoire victimaire »1646(*) structure le lien social qui fait des anciens harkis et de leurs enfants une communauté à part, le pardon devient, à la limite, une menace de dissolution. Car toute reconnaissance, et a fortiori celle que confère le pardon, est à la fois un soulagement et une "petite mort" pour une communauté marquée par l'épreuve du désastre.

En France, les politiques de la reconnaissance mises en place à destination des anciens harkis et de leurs familles ont été - quasiment par exclusive - des politiques "palliatives" s'attachant à traiter les conséquences sociales différées de la politique initiale de mise sous tutelle, mais encore des politiques "élusives" visant à célébrer une image consensuelle des anciens supplétifs (comme "dédramatisée" ou "dé-historicisée") plutôt qu'à mettre en lumière la chaîne des événements aussi bien que des responsabilités ayant conduit aux massacres de l'été et de l'automne 1962. (section A)

Cette difficulté des Etats à faire droit au dissensus lorsque leur responsabilité propre est engagée, à laquelle s'ajoute la virulence persistante des résistances ou des censures partielles opposées à la mise en lumière du drame des harkis par différents collèges d'acteurs dotés d'une forte capacité et légitimité à "faire voix", font obstacle à la mise en place d'une politique du pardon qui, reposant a minima sur un examen concerté des faits et la reconnaissance du différend entre les parties prenantes (ce qui est déjà beaucoup), ne soit ni une résipiscence téléguidée ni une résipiscence octroyée. Il s'ensuit, depuis quelques années, une multiplication des procédures contentieuses engagées par des individus ou collectifs issues de la communauté harkie aux fins de déjouer - via la sollicitation du « tiers de justice »1647(*) - la pesanteur des évolutions sociopolitiques. (section B)

A) En deçà de la reconnaissance : les grâces octroyées ou la prégnance du modèle "assistanciel-cérémoniel"

Qu'en est-il, en France, des politiques de la reconnaissance mises en place à destination de la communauté harkie ? Entre politique d'assistance et geste cérémonielle, quelles sont les lignes directrices et véritable portée des signes de reconnaissance adressés par l'État français à la communauté des Français musulmans rapatriés, toutes générations confondues ? Sur quelle définition de la situation des intéressés ces politiques reposent-elles ? Et quelle image des Français musulmans rapatriés et de leurs enfants contribuent-elles à véhiculer ? En d'autres termes, dans quelle mesure les politiques de la reconnaissance mises en place à destination des anciens harkis et de leurs familles sont-elles congruentes avec les demandes de reconnaissance exprimées par les intéressés ?

Nous aborderons ici, successivement, deux types de politiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics français spécifiquement à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants :

- les politiques de type "assistanciel" progressivement mises en place à la suite du démantèlement, en 1975, de la politique initiale de mise sous tutelle d'un certain nombre de familles regroupées dans des sites réservés, et visant à pallier - jusqu'à aujourd'hui - les effets adverses de cette politique de confinement (section 1) ;

- les politiques d'ordre cérémoniel ou symbolique, mises en place beaucoup plus tardivement, qui visent à célébrer la mémoire de l'engagement des anciens supplétifs (section 2).

- 1. La relation d'aide institutionnelle (volet assistanciel)

Avant d'en venir à l'examen de la nature (et de la qualité) des relations établies entre pouvoirs publics et bénéficiaires dans le cadre de la politique d'assistance mise en place à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants, et, par-là, d'objectiver les effets de sens et d'image qui lui sont inhérents, un bref retour sur l'historique du cadre législatif et réglementaire est nécessaire à titre de mise en perspective. Initialement (1962-1975), nous l'avons vu, les familles - tout au moins celles qui n'eurent pas la possibilité de s'appuyer sur des réseaux de solidarité familiaux ou amicaux pour faciliter leur installation immédiate - furent astreintes à une politique dite de « reclassement collectif », dans des sites réservés (camps, hameaux forestiers, cités périurbaines), où l'ensemble des aspects de la vie sociale et professionnelle étaient régentés par un personnel d'encadrement et subordonnés à un régime d'exception : la mise sous tutelle. Cette politique de mise sous tutelle n'a été démantelée qu'en 1975, et sous la contrainte de révoltes conduites sous l'impulsion de jeunes fils de harkis, dans différents camps du sud de la France (voir la Partie 1).

Il a fallu en outre attendre 1974 (12 ans après qu'eurent officiellement pris fin ce qui n'était alors que les « événements d'Algérie ») pour que la qualité d'anciens combattants et le bénéfice des pensions d'invalidité soient reconnus aux anciens harkis. Et il a encore fallu attendre 1982 pour que soit mis en place un nouveau cadre cohérent d'intervention à la suite du démantèlement de la politique de mise sous tutelle, sept ans plus tôt : la mise en place d'une délégation nationale à l'action éducative, sociale et culturelle (future ONASEC) s'accompagne de la mise en branle de tout un éventail de mesures visant à faciliter l'insertion sociale et professionnelle des enfants de harkis.

Enfin, il faudra attendre les lois Santini du 11 juillet 1987 et Romani du 11 juin 1994 pour qu'en plus des aides à l'insertion proposées aux enfants de harkis des indemnisations soient pour la première fois versées aux anciens harkis eux-mêmes, en réparation des préjudices subis en raison et à la suite de leur transplantation1648(*).

La loi du 11 juin 1994 « relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie », adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, entérinait ainsi le plan d'action le plus ambitieux jamais mis en oeuvre, tant à l'adresse de la première génération, qu'à l'adresse de la génération suivante. Outre l'allocation forfaitaire dite « complémentaire » de 110.000 francs, cette loi dispensait tout un ensemble de mesures - échelonnées initialement sur cinq ans à compter du 1er janvier 1995 - concernant le logement (via des aides à l'accession à la propriété, à l'amélioration de la résidence principale et à la résorption du surendettement immobilier), l'aide au conjoint survivant et la reconnaissance d'un statut de victime de la captivité en Algérie pour la première génération ; et, s'agissant de la génération suivante, l'aide à la formation, à l'emploi et à la mobilité professionnelle (via notamment le versement de primes à la mobilité et l'aide à la réservation de logements sociaux).

Ce plan, qui devait arriver à échéance à la fin de l'année 1999, a été prorogé par deux fois par le gouvernement Jospin. Une première reconduction jusqu'à la fin de l'année 2000, qui a vu la création de la "rente viagère" pour la première génération1649(*), et la redynamisation des dispositifs d'aide à l'emploi et à la formation pour la deuxième génération. Puis une deuxième reconduction jusqu'à la fin de l'année 2002, qui s'est accompagnée d'une réduction de l'éventail et de l'ampleur des mesures (notamment s'agissant des aides à la formation et à l'emploi), fondée sur la perspective d'un retour définitif au droit commun au 1er janvier 2003.

A la suite de l'alternance et de l'installation du gouvernement Raffarin, ce retour vers le droit commun semblait dans un premier temps se confirmer. D'une part, la délégation aux rapatriés était supprimée et remplacée par une mission interministérielle aux Rapatriés (MIR) qui, quoique placée sous l'autorité directe du Premier ministre, apparaissait à bien des égards plus anonyme et moins affirmée dans ses prérogatives. En outre, la charge de rapporteur spécial de la part du budget consacrée aux rapatriés était supprimée dans le cadre du projet de loi de finances 20031650(*).

Pour autant, l'article 34 bis du projet de loi de finances rectificative pour 2002 spécifiait la pérennisation de la rente viagère (désormais appelée « allocation de reconnaissance ») en faveur des harkis et de leurs conjoints survivants, ainsi que la prolongation d'un an de certaines mesures en leur faveur (aide spécifique pour l'accession à la propriété et secours en faveur des personnes en proie au surendettement immobilier). Pour ce qui a trait aux jeunes générations, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin annonçait, dans une réponse à une question écrite du sénateur socialiste Jean-Marc Pastor, que les mesures concernant les bourses scolaires seraient prorogées en 2003 et qu' « un accompagnement particulier sera effectué pour les enfants d'anciens supplétifs, en matière d'emploi, pour leur permettre de bénéficier pleinement de toutes les nouvelles mesures mises en oeuvre par le Gouvernement en faveur des publics en difficultés »1651(*). Accompagnement dont les modalités restaient cependant à préciser.

Parallèlement à cette politique "d'attrition" progressive du plan d'action en faveur des anciens harkis et de leurs enfants (notamment s'agissant de ces derniers), le gouvernement instaurait un Haut Conseil des Rapatriés dont la mission est d' « émettre des avis ou propositions concernant les mesures relatives aux rapatriés », cet organe consultatif étant composé à parts égales de représentants des rapatriés d'origine européenne et de représentants des Français musulmans rapatriés, ainsi que des universitaires spécialistes de ces dossiers. Ce Haut Conseil des Rapatriés a contribué, par ses travaux, à l'élaboration de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », rendue célèbre par le polémique née autour de son article 4 (abrogé depuis) invitant « les programmes scolaires [à reconnaître] en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer ». Pour ce qui nous concerne plus particulièrement, cette loi, particulièrement centrée sur les questions de mémoire1652(*), entérinait la nécessité d'un retour progressif au droit commun, notamment s'agissant de la deuxième génération pour laquelle seules sont prorogées les aides scolaires (et non les dispositifs spécifiques d'aide au retour à l'emploi)1653(*).

Cet inventaire rapide, s'il rend compte de ce que fut - au plan de l'ingénierie politique - l'évolution de la politique "d'accueil" puis d'assistance spécifiquement mise en place à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants, ainsi que de son cadre réglementaire, ne nous dit rien, cependant, des effets de sens ou d'image redevables de sa mise en oeuvre, ce qui - compte tenu de la problématique qui est la nôtre - est essentiel pour nous. Or, de l'avis même des intéressés, la relation d'aide institutionnelle, pour être nécessaire, est impropre en tant que telle à satisfaire pleinement les demandes de reconnaissance des fils et filles de harkis, et ce pour au moins trois raisons : (1) par sa nature même, la relation d'aide institutionnelle est une relation asymétrique, verticale, qui se délinée selon une optique étroitement assistancielle : la qualité de bénéficiaire ne signifie pas ou n'englobe que très imparfaitement celle d'interlocuteur, et moins encore celle de co-producteur des politiques concernées. La relation d'aide peut - pour cette raison - servir de "politique-écran", être l'objet d'usages dilatoires de la part des pouvoirs publics, habituellement enclins à répondre aux requêtes mémorielles (et notamment aux demandes de résipiscence) par des offres de gratification matérielle ; (2) dans son exécution même, la relation d'aide institutionnelle pâtit de carences relationnelles importantes : la manière dont les agents de l'administration préfectorale en charge de ce dossier formalisent les contacts avec les bénéficiaires est habituellement exagérément tatillonne et suspicieuse, ce que confirme pleinement l'observation participante conduite entre début mai 2000 et fin février 2001 au sein du service des rapatriés de la préfecture de Paris en ma qualité d'agent de coordination chargé de l'emploi (ACCE) ; (3) enfin, la mise en place puis la pérennisation de dispositifs inspirés - avant l'heure - par le principe de la "discrimination positive" (sans même parler de la politique initiale de "mise sous tutelle", qui relève encore d'un autre registre), en ce qu'elles n'ont été - au moins jusqu'à la fin des années 1990 - qu'imparfaitement accompagnées d'un travail de mise en perspective historique visant à souligner - aux yeux de l'opinion - la singularité de la trajectoire et des difficultés auxquelles avaient été confrontés les intéressés (voir la Partie 2), ont pu engendrer, au fil du temps, des effets "contre-productifs" en termes d'image, dont témoigne particulièrement l'étiquette d' « éternels assistés » accolée aux enfants de harkis : du reste, la volonté affichée de longue date par les pouvoirs publics d'un « retour au droit commun » a été continûment contredite, au sein de ces mêmes instances, par des intérêts d'ordre électoral qui, de législature en législature, les ont amené à reconduire des plans d'action spécifiques à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants (même si - nous l'avons vu - la tendance est à la réduction de l'ampleur de ces plans, tout au moins s'agissant des mesures d'assistance matérielle)1654(*).

(1) Les carences d'ordre symbolique ou les limites intrinsèques à la relation d'aide institutionnelle : l'exemple des modalités de mise sur agenda, de traduction et de prise en charge politiques des revendications des grévistes de la faim, à Paris, en 1997-1998

Les politiques d'ordre assistanciel ont pour premier objectif de "réparer" tant le préjudice matériel subi au moment de l'exil (mesures d'indemnisation des parents) que les conséquences sociales à moyen et long terme pour leurs enfants des conditions de socialisation initiales (en particulier mais non exclusivement pour ceux qui ont vécu ou vivent aujourd'hui encore dans des "isolats" : aides au logement, à la mobilité professionnelle, à l'embauche, à la formation, etc.). Pour autant, nombreux sont ceux, parmi les enfants, qui exigent davantage ou autre chose que de simples mesures compensatoires, à savoir : la mise à plat des responsabilités françaises - politiques et militaires, directes et indirectes - dans l'abandon et le massacre des harkis. Pour ceux-là, la relation d'aide institutionnelle - quoique nécessaire - ne saurait être assimilée à un acte de reconnaissance plein et entier, en ce qu'elle s'inscrit dans une relation asymétrique et aliénante, où les uns donnent sans se livrer, et où les autres reçoivent sans avoir voix au chapitre : ses vertus sont palliatives avant d'être curatives. Précisément, compte tenu des silences embarrassés des relais institutionnels de la mémoire, en France, sur la question des harkis (au moins jusqu'à une date récente et l'instauration, en 2001, de la Journée d'hommage national aux harkis1655(*)), il n'est que de constater l'insistance longtemps mise par les autorités à "re-traduire" les demandes qui lui étaient adressées dans une optique étroitement (et délibérément) assistancielle, simplement redevable de l'intervention de l'Etat-providence, plutôt que de faire écho à leur dimension plus spécifiquement symbolique (ou mémorielle), incomparablement plus délicate à satisfaire car touchant directement à la "raison d'Etat".

Ainsi, bien loin de ressortir d'un « contre-don de reconnaissance symbolique »1656(*), les modalités de mise sur agenda et de "règlement" par les pouvoirs publics du problème posé par les grèves de la faim successives entreprises par des fils de harkis originaires du sud de la France sur l'esplanade des Invalides entre avril 1997 et avril 1998, sont symptomatiques de cette « pathologie du non-savoir » d'une nation longtemps rétive, voire incapable (Pierre Lepape écrit les lignes qui suivent en 1993) « de se retourner sur la réalité de son passé, de mettre en scène ses traumatismes et ses divisions, (...) de débrider et de fouiller [ses] plaies les plus vives »1657(*). Territoire clos, comme mis sous l'éteignoir par des barrages filtrants, le campement des fils de harkis en grève de la faim sur l'esplanade des Invalides ressemble étrangement à ces camps de transit devenus cités de relégation permanente dans lesquels leurs parents furent confinés à leur arrivée en France. C'est là, « tout près des ministères, de Matignon ou de l'Assemblée nationale », qu'ils entendent « rappeler son tort à la République »1658(*). Au nom des pères dirions-nous :

« Nous sommes là pour crier : «Au secours, on va mourir de votre indifférence et de votre mépris». Nous voulons que la France rende leur dignité à nos parents avant qu'ils ne soient plus de ce monde. Il y a deux lignes dans les livres d'histoire ». Et d'ajouter : « Jospin doit engager publiquement la parole de l'Etat devant le peuple et reconnaître le génocide contre les harkis. La République doit solder sa dette une bonne fois pour toutes » 1659(*).

Que fut-il répondu à ces hommes qui se disaient « prêts à donner leur vie pour défendre la cause harkie »1660(*), et qui, au-delà des revendications matérielles, entendaient signifier à la fois un besoin de reconnaissance et, plus encore, une demande de résipiscence ? Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité : « Je regrette que ces jeunes qui sont désespérés n'aient pas saisi la main que nous leur tendions pour leur apporter des réponses personnelles afin de mettre un terme à cette grève de la faim qui peut mettre en danger la vie de certains »1661(*). Quelques jours plus tôt, déjà, un communiqué du ministère de l'Emploi et de la Solidarité annonçait que « la situation individuelle [des grévistes de la faim] a fait l'objet localement d'un examen attentif bienveillant »1662(*).

A cet égard, Emmanuelle Gilles rapporte que déjà au cours des émeutes de l'été 1991, dans différents sites à forte implantation communautaire du sud de la France (dont la cité des Oliviers à Narbonne), « les étapes de la négociation [avaient] été escamotées par les rapports clientélistes, eux-mêmes fondés sur des promesses de promotion individuelle »1663(*).

Cette politique du bakchich vise à dépolitiser les mots d'ordre et à en désamorcer la charge polémique via l'octroi de gratifications matérielles au cas par cas. Jouant de la situation pécuniaire souvent précaire des intéressés (et qu'il avait lui-même, au moins jusqu'au démantèlement des camps, contribué à pérenniser), l'Etat a pendant des années mobilisé des ressources importantes pour désolidariser les acteurs de la scène contestataire, allant donc pour ce faire jusqu'à octroyer des gratifications individuelles aux personnes mobilisées. Cette manière de faire est non seulement caractéristique d'un « système politique français qui [à l'égard des minorités notamment] privilégie la cooptation personnelle sur la promotion collective, et la résolution privée des conflits sur la négociation publique »1664(*), elle est aussi, et surtout, illustrative de l'intangibilité d'une imagerie d'Etat rétive à toute forme d'examen de conscience relativement aux grands conflits du 20ème siècle. Le ressort symbolique, à la fois mémoriel et sociétal de l'action entreprise (à savoir la mise en cause des frontières du "Nous" de référence), est éludé par la désignation ad nutum d'un « inspecteur général des affaires sociales »1665(*), désignation dont la vocation dilatoire était clairement de réduire la sollicitation critique du devoir de mémoire collective à celle - plus prosaïque - d'un devoir de solidarité nationale engageant les fonctions régaliennes de l'Etat-providence et présentant les grévistes de la faim non comme des porte-parole mais comme des « désespérés » (Martine Aubry). Accréditant par-là même « l'opinion qui fait parfois des harkis d'éternels assistés »1666(*), et avalisant un « système d'exclusion légal qui les a marginalisés d'office »1667(*). L'expression polémique d'un mal-être qui puise sa signification dans les arcanes de la mémoire collective, ou plutôt dans son asphyxie, est ainsi banalisée, euphémisée (i.e. dépolitisée). Des acteurs sociaux sont transformés en cas sociaux ; une « entreprise de résistance au mensonge officiel »1668(*), ouvrant droit à l'ouverture d'un débat public, est réduite à une demande d'assistance redevable d'un marchandage au cas par cas :

« On nous a promis une table ronde le mardi suivant. Mais le dimanche, des fonctionnaires sont venus proposer des emplois aux grévistes, à condition qu'ils partent immédiatement. A chaque fois, on nous envoie un sous-fifre qui nous offre des emplois au cas par cas, alors que nous luttons pour une reconnaissance »1669(*).

Epilogue : de fait, le 7 octobre 1997, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité diffusait un communiqué annonçant que six des sept grévistes de la faim avaient décidé, la veille, « de cesser leur mouvement et de regagner leur domicile » après que « leurs revendications personnelles [avaient] été satisfaites, chacun [ayant] pu choisir un emploi proche de son domicile », et que « des anomalies personnelles touchant leurs familles, qu'ils dénonçaient, seraient étudiées au cas par cas »1670(*). Abdelkrim Klech, porte-parole du mouvement, en désaccord avec ses camarades1671(*), plus jeunes que lui, décidait - après avoir pourtant été hospitalisé d'urgence une première fois - de poursuivre cette grève de la faim avec trois autres personnes, originaires de la région parisienne, sur l'esplanade des Invalides :

« Les six jeunes ont été manipulés. Je ne peux pas les blâmer. Ils étaient très faibles après 47 jours de jeûne, et quand vous êtes faible, vous acceptez n'importe quoi ». Et il ajoutait : « Chirac a été assez courageux pour dire pardon aux Français de confession juive il y a deux ans. Personne ne nous a dit pardon. Nous voulons que le Premier ministre [NDA : Lionel Jospin] nous dise publiquement pardon »1672(*).

Même réaction indignée, à Bias (Lot-et-Garonne), de Sherif Tamazount, président de l'Association des enfants de l'oubli :

« Je suis écoeuré. Martine Aubry a travaillé au corps les grévistes de la faim tout le week-end et lundi elle a résolu leur cas. Au départ, ils étaient contre, mais c'est logique qu'à la fin, fatigués par quarante-cinq jours de grève, ils finissent par céder. C'est indigne d'un ministre, alors qu'on devrait régler une bonne fois le problème globalement »1673(*).

De son côté, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, apprenant la poursuite de la grève, faisait courir le bruit que les grévistes étaient « manipulés  par le Front national »1674(*). En janvier 1998, pourtant, Abdelkrim Klech, diabétique, continuait seul la grève de la faim sur l'Esplanade des Invalides, après deux nouvelles hospitalisations. Et après que le ministère ait proposé un emploi pour sa femme, au chômage. "Proposition" refusée :

« Je ne fais pas la grève de la faim pour ça. On m'accuse d'être manipulé, mais je demande simplement justice »1675(*).

(2) Les carences d'ordre relationnel : l'exemple de la mise en oeuvre du plan d'action en faveur des anciens membres des formations supplétives et de leurs familles au sein du service des rapatriés de la Préfecture de Paris (mai 2000-fin février 2001)

Dans un livre déjà évoqué, Zahia Rahmani brosse un tableau sans concession de la relation d'aide institutionnelle telle qu'elle est concrètement et routinièrement mise en oeuvre :

« Pour eux [les anciens supplétifs et membres de leurs familles], on a créé une administration, le service des harkis au secrétariat d'Etat aux rapatriés. C'est le bureau des Chiens. Il y en a un dans chaque département. Vous appelez et on vous parle comme à un chien et vous faites réclamation, vous réclamez qu'on vous parle autrement, et on vous répond comme au chien que vous êtes et vous réclamez, vous dites, Mais je ne suis pas ce que vous croyez ! Et lui, celui qui vous parle comme à un chien, on lui a tellement dit ce que vous êtes qu'il ne peut pas croire que vous voulez juste lui poser une question. Vous êtes un réclamant ! On vous dit, Il y a une administration pour les harkis.

Vous y allez. Il y a une administration pour vous, il faut y aller. Il faut voir !

- Toc-toc. Heu ! Je voulais savoir si pour mes études de...

- Non. Non. NON...

- J'ai entendu dire que...

- Non... Non, non et non... Renseignez-vous !

- Ben ! Justement on m'a dit que le gouvernement propose...

- NON ! Vous venez fouiller les poubelles, ramasser ce qui reste, gratter les fonds de caisse. Allez, couture pour les filles. Pour les fils ? Bûcheron dans les Vosges. Pas plus, ça suffit ! Dehors ! »1676(*).

Cette évocation, qui retraduit sur un mode fictionnel une expérience vécue, est à bien des égards conforme à ce que j'ai moi-même pu observer dix mois durant au sein du service des rapatriés de la préfecture de Paris : j'y ai exercé, dans le cadre de mon service national, les fonctions d'agent de coordination chargé de l'emploi (A.C.C.E.). Ces manières d'être et de faire sont certes plus ou moins accentuées et fréquentes d'un fonctionnaire l'autre, ou d'une préfecture l'autre. Il est certain cependant que, loin d'être le fruit des seules contingences individuelles, ces manières de faire participent d'un "climat", d'une "ambiance" professionnelle qui préexistent et s'imposent, d'une certaine manière, aux agents préfectoraux. Deux exemples et une explication à cela. Premier exemple, ma "formation" accélérée (sur deux jours) aux fonctions d'A.C.C.E., au tout début de ma période militaire. J'ai gardé des notes de l'enseignement qui m'avait été dispensé : force est de constater qu'on y insistait davantage sur les traits de "réclamants" des fils et filles de harkis - qu'il nous fallait apprendre à « apprivoiser » (c'est le terme même qui avait été prononcé, non sans provoquer quelque inquiétude chez certains de mes condisciples, qui se formèrent aussitôt des intéressés une image a priori négative, voire franchement "adversative") - que sur la spécificité de leur trajectoire socio-historique (or, la plupart des volontaires aux fonctions d'A.C.C.E. ne connaissaient rien à l'histoire des anciens harkis et de leurs familles)1677(*). Deuxième exemple, le plus frappant, mon entrée en fonction au sein du service des rapatriés : une heure a suffi à mes futurs collègues pour me faire comprendre combien ils étaient las d'occuper les fonctions qui étaient les leurs, me dépeindre les bénéficiaires comme des « chieurs » (c'est le terme qui a été employé d'emblée), et me raconter les altercations les plus violentes qui les avaient opposés aux dits bénéficiaires (y compris une prise d'otage) ; a contrario, il ne me faudra compter que sur moi-même pour me familiariser avec les textes des circulaires d'application et apprendre à gérer, à ma façon, la relation aux bénéficiaires, la seule règle tangible qui m'ait été transmise étant celle de "l'évitement" : abréger les conversations téléphoniques, ne pas recevoir les personnes qui se présentent sans rendez-vous (même si l'on est disponible) et espacer au maximum les entrevues afin de ne pas donner à croire que l'on peut être aisément sollicité (voir ci-dessous).

L'explication à de tels comportements réside fondamentalement, me semble-t-il, dans ce que les fonctionnaires attachés aux antennes préfectorales de l'ex-Délégation aux Rapatriés (aujourd'hui Mission interministérielle aux Rapatriés) n'avaient reçu aucune formation spécifique ni fait oeuvre d'acte de volontariat pour exercer les attributions qui étaient les leurs. Car si le support offert aux anciens membres des formations supplétives et à leurs enfants est spécifique (tant en termes de mesures que de mise à disposition de moyens1678(*)), les méthodes d'exécution, elles, sont génériques1679(*). J'ai pu mesurer les conséquences d'un tel détachement au sein du service des rapatriés de la Préfecture de Paris. D'abord, et à une exception près, la connaissance de la trajectoire singulière des anciens harkis et de leurs familles était nulle ou quasi-nulle parmi les quatre (puis trois) fonctionnaires en place. J'ai ainsi été témoin de ce qu'une personne attachée au Service des Rapatriés depuis plusieurs années se soit trouvée incapable d'expliquer à un interlocuteur - qui la questionnait au téléphone à ce sujet - ce qui différenciait historiquement la trajectoire des anciens supplétifs de celle des travailleurs migrants1680(*). Et si la connaissance des textes et circulaires d'application ne pouvait être mise en doute (au moins pour ce qui concerne la préfecture de Paris1681(*)), l'écoute, la compréhension, et plus encore l'empathie, étaient généralement étrangères à l'univers mental des personnels en charge de mettre en oeuvre le plan d'action. C'est la méfiance qui primait : les anciens harkis, mais surtout leurs enfants, étaient perçus avant tout comme des "quémandeurs" et des "querelleurs" qu'il convenait de "recadrer" dans des limites aussi étroites que possible. S'y mêlaient occasionnellement des considérations sur la mentalité supposément "retorse" des populations originaires du Maghreb (j'ai d'ailleurs moi-même été l'objet d'une mise en condition édifiante à ce propos le jour de mon entrée en fonction). Méfiance, mais aussi défiance : suite à divers incidents survenus au fil des années dans le service (allant de l'agression verbale à la séquestration), les rendez-vous étaient pris uniquement par téléphone, et toute personne se présentant directement à l'accueil de la préfecture était éconduite et priée de suivre la procédure "normale". Il existait même une "liste noire" de personnes à ne recevoir sous aucun prétexte, avec pour seule justification le bon - ou, plutôt, le mauvais - vouloir des personnels chargés de les accueillir. Que tel individu fût considéré comme un « emmerdeur notoire » suffisait, de fait sinon de droit, à lui ôter la capacité de se présenter dans les bureaux : il m'a ainsi été reproché d'avoir reçu dans l'exercice de mes fonctions des individus qui avaient été décrété persona non grata par mes collègues. Quoiqu'il en fût, et de manière plus générale, les personnes reçues l'étaient en tant qu'administrés, sans égard aucun pour leur qualité d'ancien harki, de veuve de harki, ou de fils ou fille de harki. Cette absence d'égard ou de considération, qui se muait parfois en sourde hostilité à l'encontre de certains représentants de la deuxième génération, appelait tout naturellement excès de zèle et arbitraire. La gestion des dossiers "à la tête du client" était, au moment de mon affectation, pratique courante dans le service : qu'un fils ou une fille de harki s'avise de faire valoir ses droits avec quelque virulence ou insuffisamment d'obséquiosité, et son dossier était aussitôt ostensiblement retiré du haut de la pile des dossiers en souffrance pour être remisé à sa base, sans égard pour sa date de dépôt (j'ai vu faire cela à plusieurs reprises)1682(*). D'ailleurs, et c'était là un trait communément partagé dans le service, les personnels se comportaient en propriétaires des crédits alloués aux bénéficiaires. Il n'était ainsi pas rare d'entendre les agents préfectoraux s'exprimer comme suit : « Je vous ai déjà donné telle somme, Je ne vous donnerai rien d'autre, etc. ». Les zones d'incertitude liées à l'interprétation des textes - à certains égards inapplicables "en l'état" car trop lacunaires, y compris les circulaires d'application - étaient toujours tranchées de manière restrictive, comme s'il était préférable de puiser le moins possible dans les crédits plutôt que de répondre à des situations d'urgence. Du reste, le traitement des demandes était la plupart du temps contenu dans les strictes limites de la mission impartie aux fonctionnaires, sans autre forme d'échange ou d'initiative : l'investissement personnel ne dépassait jamais les bornes de ce qui est statutairement requis, et suffisait à peine à s'y conformer. Les retards non justifiés faisaient l'ordinaire des journées de travail. Les départs anticipés étaient plus que fréquents. La disponibilité strictement contingentée : répondre au téléphone en dehors des heures ouvrées (9h00-12h15 / 14h00-17h15 en théorie, mais 9h00-12h00 / 14h00-17h00 en pratique) était une gageure, quand bien même l'agent concerné serait toujours présent dans son bureau. Plus encore, lorsque les personnels étaient affairés à des discussions extraprofessionnelles dans le bureau de l'un(e) ou de l'autre, ou qu'ils s'engageaient dans le couloir en partance vers la photocopieuse, il n'était pas même pensable qu'ils interrompent leur conversation ou qu'ils rebroussent chemin pour répondre. Cette fin de non-recevoir était d'ailleurs généralement ponctuée d'un : « J'suis pas là ! » qui signifiait bien davantage que le simple éloignement physique. Plus généralement, les sonneries étaient fréquemment marquées d'un : « Ils ne nous lâcheront donc jamais ! » témoignant d'une même absence de considération. Mais le plus délétère au plan relationnel, à l'instar de ce que souligne Zahia Rahmani dans l'extrait précité, résidait dans la manière de répondre au téléphone. Dans le ton employé, d'abord. Immanquablement froid au premier abord, immanquablement colérique en cas d'insistance ou de "résistance" de l'interlocuteur1683(*). Il y avait aussi cette propension, qui avait (tacitement) valeur de règle d'or, à ne jamais aller au-devant des desiderata des bénéficiaires potentiels, de décourager leurs attentes, de les maintenir aussi longtemps que possible dans l'incertitude : les bénéficiaires se voyaient ainsi fréquemment reprocher - et cela est également souligné par Zahia Rahmani - de ne pas formuler des demandes suffisamment précises, lors même, d'une part, que les textes eux-mêmes se caractériseraient par leur opacité, et que, d'autre part, les fonctionnaires affectés au service des rapatriés auraient précisément pour mission première de répondre aux demandes de clarification à ce sujet. En outre, la diffusion du texte de la circulaire d'application auprès des bénéficiaires potentiels était volontairement contingentée sous prétexte du temps mobilisé pour effectuer les photocopies (et lors même qu'il existerait un service de reprographie au sein de la préfecture). Enfin, le fait même que les attributions d'agent de coordination chargé de l'emploi (A.C.C.E.) étaient confiées à un appelé du contingent pouvait poser problème, et ce à double titre. D'abord parce que cela induisait mécaniquement une instabilité dans la mission d'accompagnement vers l'emploi ou la formation professionnelle des fils ou filles de harkis en situation d'exclusion, les A.C.C.E. se succédant tous les dix mois. En outre, la mission de l'A.C.C.E. étant considérée comme une sinécure au regard des autres options qui s'offraient aux appelés du contingent, et la charge de sa succession étant confiée à l'A.C.C.E. lui-même, le mode privilégié de recrutement était la cooptation. Sauf exception, donc, les A.C.C.E. en place ne l'étaient pas en raison de leur expertise en matière d'insertion professionnelle et/ou de leur expertise quant à la situation d'ensemble des anciens harkis et de leurs enfants, mais en raison de leur proximité relationnelle avec leur prédécesseur. J'ai ainsi fait figure d'exception en adressant CV et lettre de motivation au service des rapatriés de la Préfecture de Paris. Mais surtout en faisant montre d'un investissement personnel et d'une empathie qui, aux dires mêmes des bénéficiaires (mais au grand dam de mes collègues, dont je bousculais les habitudes), tranchaient avec les situations connues jusqu'alors.

Ahmed et Mohamed (35 ans), qui bénéficient de l'aide d'un A.C.C.E. en poste à la sous-préfecture de Largentière, ne sont pas dupes des limites intrinsèques et du caractère somme toute "décoratif" des moyens en personnel mis à leur disposition :

« L'organisation, elle est simple : tu as une pièce, t'as un bureau ; par rapport à d'autres départements, il paraît que c'est quand même le top, hein, parce qu'on peut y aller quand on veut, tout ça ; le seul truc, c'est que c'est un appelé du contingent ; ça change tous les dix mois ; le temps qu'il arrive, qu'il prenne ses marques, il faut 2 mois ; le temps qu'il commence à prendre des contacts pour être opérationnel, j'dirais il en faut 3 ; le temps qu'il commence à traiter quelques dossiers, on est déjà le sixième mois, et après il faut qu'il prépare... parce que lui il part 2 mois après, faut qu'il prépare son avenir à lui. Donc, y'a pas de suivi. C'est clair. Ça fait dix ans que ça dure, donc tu vois tout de suite qu'ils veulent pas qu'il y ait un réel suivi. J'ai rien contre les militaires. Mais c'est pas quelqu'un qui serait venu faire un temps ici ; il est venu parce qu'il est forcé, voilà. Et c'est comme ça dans toute la France » (Ahmed).

« On vous envoie des aides-éducateurs, et puis des gens qui s'occupent de vous, pour faire tampon, à la sous-préfecture. Ah !, il s'occupe, ah !, il est gentil le gars, hein. Adorable. Etudiant, super sympathique. Mais il est comme moi. Il a pas plus de pouvoirs que moi j'en ai. Mais il est là, ça donne l'impression qu'il s'occupe. Tu vois, c'est la petite marionnette qui est mise entre... le pouvoir et... le peuple. Et là, il est gentil, il est super sympathique, on s'entend super bien. C'est un gars formidable. Mais lui, tout seul, qu'est-ce qu'il peut faire ? » (Mohamed, 35 ans).

(3) Le caractère potentiellement stigmatisant des dispositifs de discrimination positive ou la nécessité d'un retour au droit commun ?

Enfin, la relation d'aide institutionnelle, en ce qu'elle a longtemps procédé - et continue de l'être, dans une moindre mesure - de la perpétuation de dispositifs d'assistance spécifiques plutôt que d'une politique volontariste de retour au droit commun (et dont les tenants sont obscurcis, aux yeux de l'opinion, par les silences des relais institutionnels de la mémoire quant à la destinée singulière des anciens harkis et de leurs familles), a pu contribuer à nourrir une image dépréciative des intéressés. Cette politique de "discrimination positive" avant l'heure a, de fait, généré l'image d' « éternels assistés » qui colle à la peau des Français musulmans rapatriés et de leurs enfants :

« J'veux dire les gens en France ils peuvent pas comprendre. On leur parle des harkis ? «Oui, on leur donne des sous, mais pourquoi ?»... Tout est toujours ramené à une question de sous, j'veux dire... y'a pas d'explication, rien... de temps en temps on leur donne 10.000 francs, si ils ont envie d'installer le chauffage chez eux, et tout, mais y'a pas d'explication. Par contre, on en fait une pub monstre, comme ça le simple citoyen français, il va dire : «Y'en a marre ! C'est toujours les harkis qu'on aide, nous on crève la dalle, pourquoi ?» » (Ahmed).

En outre, ces mises à disposition de moyens spécifiques peuvent susciter ou se heurter à une opposition de principe des personnels en charge d'accomplir des missions de service public. Halima Belhandouz et Claude Carpentier, dans une étude qu'ils consacrent au "décrochage" scolaire des enfants de harkis dans le quartier nord d'Amiens, rapportent ainsi que l'affectation dans les écoles d'aides-éducateurs issus du contingent au seul bénéfice des enfants et petits-enfants de harkis avait suscité l'hostilité du corps enseignant :

« Entre 1994 et 1997, l'administration, soucieuse de mettre à la disposition des établissements de jeunes conscrits afin d'assurer le soutien scolaire des jeunes «français musulmans», demanda de procéder au recensement systématique de ces derniers. Hostiles à ce projet de discrimination positive en faveur des seuls enfants de harkis, les responsables pédagogiques affectèrent les conscrits au soutien scolaire de tous ceux qui devaient en faire l'objet. Pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de juger, la spécificité "harkie" se trouvait ainsi récusée par les pédagogues »1684(*).

 

De la même manière, alors que j'étais en charge - dans le cadre de mes fonctions d'A.C.C.E. - d'assurer deux fois par semaine une permanence dans une agence parisienne de l'A.N.P.E. (Agence Nationale Pour l'Emploi) au bénéfice des fils et filles de harkis dont j'avais à traiter les dossiers à la préfecture, certains membres du personnel de l'agence me firent part de leur étonnement et même de leur opposition de principe à de telles mises à disposition de moyens.

Enfin, les effets d'image liés à cette politique de "discrimination positive" peuvent être douloureusement ressentis au sein même de la communauté harkie, où certains ne cachent pas que - de fait - la pérennisation de certaines mesures d'assistance a pu induire chez les plus jeunes « comme une fatalité, comme un ancrage culturel [au sens où] ils ont tout le temps besoin d'un tiers ». Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière  :

« Moi, je suis vraiment pas pour qu'on apporte tout cuit, parce que de toute façon, je pense que c'est pas rendre service aux gens. (...) Si tu veux, moi, quand je dis ne pas apporter tout cuit, c'est-à-dire, on peut pas dire : «Ben, tiens, monsieur, puisque vous êtes fils de harki, on vous donne le poste de secrétaire en chef de la sous-préfecture». Non ! Ça a trop existé, et on voit ce que ça a fait, ça n'a fait que... desservir plutôt que servir. Non, pour ça, je suis pas d'accord. Donc, on doit pouvoir, par contre, prendre notre avenir en main, et ne plus penser assistanat. Ça c'est le grand problème qu'on a eu, c'est qu'on a hérité, quelque part, d'une... d'une forme d'assistanat, et c'est devenu presque culturel.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Eh ! bien, vu le cheminement, quand ils regardent derrière, ils voient ce qu'ont eu leurs parents, eux ils voient rien devant eux, ils ont peur, donc ils essaient de se rattacher à quelque chose de solide, et encore un peu, entre guillemets, à la "mère patrie". Et ils veulent tous être fonctionnaires, mais en n'ayant pas les capacités. Bon c'est vrai que pendant leurs années... nos parents, tu devenais cantonnier, tu devenais même gardien de la paix, il suffisait...si tu savais écrire ton nom et ton prénom. En 1962 ou 1965, je sais plus quand ils ont fait entrer les harkis dans la police, c'était ça. Il suffisait de savoir écrire son nom. Les... les critères de... d'accession à ces postes... bon, c'est plus du tout ça, hein, vu la conjoncture et le chômage qu'il y a. Mais, quelque part, au niveau symbolique, je pense qu'il y a ce côté euh... maternel, quoi, de la "mère patrie" qui protège et subvient à tous les besoins... c'est symbolique, mais c'est cet assistanat qu'ils ont eu culturellement. Et donc, maintenant, quand je parle avec les jeunes, trop peu à mon goût ont ce sens de l'importance des études, qui ont besoin... qui envisagent des... des études en fac, ou machin. (...) Je me rappelle, dans les réunions, on me disait : «Mais ils ont pas la formation et ils ont pas les diplômes». Donc, ils me renvoyaient en pleine figure : «Ils sont pas formés pour ça». A ce moment là, que voulais-tu que je leur réponde ? C'est une réalité. Mais je pouvais pas leur dire : «Ben, ils l'ont pas, mais prenez les». Moi, je suis fondamentalement contre, comme je te disais d'abord, et j'aurais pas accepté qu'on laisse quelqu'un qui sait à peine lire son nom, secrétaire... à tel et tel endroit, par exemple. C'est pas possible. Et c'est les mettre en difficulté. Et ça, je crois que c'est le plus grand danger qu'on ait, c'est justement d'assister les gens, de les habituer à cet... à cet assistanat, parce qu'on peut plus les autonomiser ».

Ainsi, la relation d'aide institutionnelle, dans son volet strictement assistanciel, est non seulement insuffisante mais potentiellement "contre-productive", à certains égards, dans l'optique d'offrir aux anciens harkis et leurs enfants une reconnaissance pleine et entière dans la société d'accueil. C'est d'ailleurs une toute autre définition, ou une définition élargie de la reconnaissance en actes qu'investissent, en leur nom propre et au nom des pères, les filles et fils de harkis :

« (...) Bah, il ne suffit pas de dédommager des harkis et de leur dire : «Voilà... prenez, et puis...», non, c'est pas en ces termes qu'on entend une attention particulière, hein ; c'est reconnaître au quotidien sa place dans la société française ; c'est ça qui est important. Une volonté de savoir que cette communauté n'a finalement sa place nulle part et que si elle a une place, c'est bien en France qu'elle doit l'avoir » (Hassina) ; « (...) Je te dis franchement, un harki, il ira pas, il ira jamais pleurer. Pourquoi il ira jamais pleurer ? Parce qu'il a sa dignité, il préfère mieux vivre dans sa misère qu'aller demander quelque chose. Lui, ce qu'il cherche, c'est que le gouvernement, la nation, l'Etat français le reconnaisse, le reconnaisse en tant que... patriote. Parce que le harki sait ce que c'est le patriotisme (...). On peut pas... on peut pas acheter un être humain, on peut pas l'acheter avec l'argent, c'est impossible, c'est impossible, on peut pas, on ne s'achète pas » (Karim)

Qu'en est-il, à cet égard, du volet symbolique/"immatériel" des politiques de la reconnaissance mises en place par les pouvoirs publics à destination de la communauté harkie ? Les pouvoirs publics qui, jusqu'à une date récente, avaient considéré et traité ce dossier dans une optique assistancielle étroitement délinéée par l'agenda du ministère des Affaires sociales et de l'Emploi, prêtent depuis quelques années une attention beaucoup plus soutenue aux questions d'ordre mémoriel et cérémoniel. Cette évolution, à bien des égards conforme aux revendications exprimées par les intéressés, doit pour partie, nous l'avons dit, à l'instauration en 2003 du Haut Conseil des Rapatriés, qui a fait des questions de mémoire l'un de ses champs d'intervention prioritaires, comme en témoigne - y compris pour prêter le flanc à la polémique - la loi du 23 février 2005, très largement inspirée des réflexions menées au sein de cet organe. Cette volonté plus nettement affirmée - et institutionnellement consacrée - de prêter écoute aux revendications des acteurs associatifs réunis au sein du Haut Conseil des Rapatriés (notamment dans leur volet mémoriel/symbolique), avait été précédé en 2001, à l'initiative du président de la République (quoiqu'en grande partie sous la pression des événements, un an après la visite d'Etat controversée d'Abdelaziz Bouteflika et un an avant les élections présidentielles de 2002), par l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis. Cette initiative - inédite par son ampleur, et bientôt pérennisée - était-elle à même d'apporter une réponse définitive à la quête de reconnaissance des enfants et, surtout, à la lutte pour la réhabilitation de la figure du père ? Rien n'est moins sûr, nous le verrons, puisque cette cérémonie, pour être nationale, n'en reste pas moins très traditionnelle dans ses attendus comme dans sa scénographie : grande et solennelle cérémonie patriotique ponctuée par des distributions de médailles, la Journée d'hommage national aux harkis, en célébrant le harki « soldat de la France » au détriment du harki « victime de la raison d'Etat », ne joue-t-elle pas, d'une certaine manière, la réminiscence contre la résipiscence ?

- 2. Le cérémoniel consensuel

Par-delà la relation d'aide institutionnelle, relation asymétrique, verticale, qui vise à "compenser" ou à "traiter" au cas par cas certains "dommages collatéraux" (matériels) liés à la trajectoire singulière de leurs parents, les enfants de harkis entendent être reconnus par et dans une filiation qui, à leurs yeux, est aussi une "épopée du sens", et qui non seulement leur parle (et constitue l'ensemble de ces familles en "communauté de destin") mais parle à l'ensemble de la Nation ; et c'est précisément cela qu'ils souhaitent voir reconnu, et c'est à cette aune qu'ils souhaitent être considérés : non pas seulement comme des "cas sociaux" passibles de mesures d'assistance (même et, d'une certaine manière, surtout si elles sont dérogatoires au droit commun, pour les raisons précédemment exposées), mais comme les héritiers d'une destinée qui les pose en acteurs privilégiés du roman national et dont ils entendent - et attendent - qu'elle soit réexaminée sans détour par la collectivité nationale :

« Moi, ce que je veux, mon père est décédé aujourd'hui, je veux une reconnaissance, mais une reconnaissance qui s'appelle reconnaissance. OK ! On nous a fait un monument rue... du Chapeau rouge, ou je ne sais plus quoi, mais ça ne suffit pas, ça suffit pas. (...) Je veux qu'il y ait un rétablissement, quelque part. Bon, maintenant il est mort, mais même... qu'il ait les honneurs... les honneurs qui lui sont dus. Moi, c'est ça. L'argent, l'argent, on s'en fout de l'argent. (...) Parce que aux harkis, on leur a pas donné les lauriers de la gloire, mais on leur a donné les lauriers du déshonneur sur leur propre terre, ici, en France, c'est leur terre de toute façon, ça il faudra que les Français se le mette dans la tête, parce qu'on sera là sur des générations et des générations » (Régika).

Le 6 février 2001, la présidence de la République annonçait, à l'issue de la réunion du Haut conseil de la mémoire combattante, qu'une « Journée d'hommage national aux harkis » allait être célébrée dans le courant de cette même année 2001 - la cérémonie sera finalement fixée au 25 septembre - dans la Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides, sous le haut patronage du chef de l'Etat Jacques Chirac (et du Premier ministre socialiste d'alors, Lionel Jospin), mais encore dans chaque département de France sous l'égide des préfets, ainsi que dans vingt-six "lieux de mémoire" de la communauté harkie (tel le camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne) : pour la première fois depuis l'accession à l'indépendance de l'Algérie et la survenue des événements dramatiques de l'été et de l'automne 1962, pas moins de 39 ans après, un hommage d'envergure nationale, impliquant les plus hautes personnalités de l'Etat, allait être officiellement rendu aux anciens supplétifs de l'armée française. Fait sans précédent également, cette Journée d'hommage national aux harkis allait bénéficier - la première année, du moins - d'une large couverture médiatique.

(1) Mais pourquoi ce geste - formellement spectaculaire - lors même que trente-neuf années durant la geste officielle française de la guerre d'Algérie aurait recouvert d'un voile "pudique", sinon embarrassé, la destinée des anciens harkis et de leurs familles ? (2) Et par-delà le relief inhabituel donné à cet événement, qu'en est-il du fond du message délivré ? Cette Journée d'hommage national tranche-t-elle véritablement par son contenu - et l'image véhiculée des anciens harkis - avec les habituelles cérémonies patriotiques (et autres cérémonies du souvenir) qui leur étaient jusqu'alors consacrées ? (3) Du reste, qu'en est-il des attentes suscitées ? Le contenu de cet hommage est-il congruent avec les aspirations à la reconnaissance exprimées par les intéressés ou ceux qui s'en font les porte-voix ?

L'explication de la mise en place de cette Journée d'hommage national réside d'abord dans l'émotion suscitée par les propos du président algérien Abdelaziz Bouteflika à l'occasion de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, et dans la volonté - initialement timide - d'en amortir l'onde de choc. Invité à s'exprimer en direct dans le journal de France 2, Abdelaziz Bouteflika, avait alors assimilé les harkis à des « collabos ». Jouant sur un ressort émotionnel pour le moins sensible en France (marquée par le souvenir de la collaboration, ce « passé qui ne passe pas »), le président algérien avait jugé les anciens harkis indignes de fouler à nouveau le sol algérien ou, pour reprendre son expression exacte, indignes de « toucher la main » des Algériens (voir l'introduction de cette thèse). 

Mais plus encore que cette sortie - violente mais somme toute classique dans le contexte politique algérien - c'est la timidité de la réaction des autorités françaises qui, sur le moment, avait choqué les représentants de la communauté harkie. Car, précisément, c'est en France et non en Algérie que le président algérien s'était ainsi exprimé. À Patrick Poivre d'Arvor, qui, à l'occasion de la traditionnelle garden-party de l'Elysée, le 14 juillet 2000, lui demanda ce qu'il pensait du parallèle entre harkis et collaborationnistes établi publiquement par Abdelaziz Bouteflika au cours de sa récente visite d'État en France, Jacques Chirac tint le langage convenu et dilatoire du responsable politique mis dans l'embarras. S'il se déclara choqué par les déclarations du chef de l'État algérien, il n'expliqua pas pourquoi ce parallèle était infamant tant pour les intéressés eux-mêmes que pour l'Etat Français en tant que tel. Il ne revint d'ailleurs pas davantage sur la question de la responsabilité de l'État français dans l'abandon à un sort prévisible de la majeure partie de ceux qui avaient pris une part active à l'administration (notables, fonctionnaires) et à la défense (supplétifs) de l'Algérie coloniale (voir la Partie 1). Navigant à vue, le chef de l'État se contenta de rappeler que les anciens harkis et leurs enfants étaient des Français à part entière, bénéficiant des mêmes droits et astreints aux mêmes devoirs que tous leurs concitoyens.

Encore cet exercice dilatoire apparaît-il presque audacieux par contraste avec la déclaration du porte-parole adjoint du Quai d'Orsay du 20 juin 2000, déclaration à bien des égards illustrative de ce que l'expression "langue de bois (diplomatique)" veut dire, et qui vaut d'être reproduite dans son entier :

« Journalistes - Quelle réflexion vous inspire la déclaration de Monsieur Bouteflika sur les harkis ?

Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay - D'une manière générale aujourd'hui, ce que nous retenons de ce voyage, c'est que la France et l'Algérie s'emploient à refonder leur relation bilatérale. Nous traçons de nouvelles perspectives, nous nous tournons vers l'avenir et nous cherchons aussi également, par un travail sur la mémoire, à essayer de parvenir à une lecture dépassionnée de notre histoire commune. Nous avons relevé le message d'ouverture du président Bouteflika en direction des Français originaires d'Algérie, où il a reconnu les liens qu'ils constituent entre les deux pays. Nous espérons que l'exigence qu'il a ainsi ouverte pour l'ensemble de la communauté nationale française pourra avec le temps être réalisée.

Journalistes - Vous n'êtes pas scandalisé par les propos de Monsieur Bouteflika ?

Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay - Cela montre que nous avons effectivement, comme l'ont dit les deux chefs d'Etat, à faire un travail de mémoire et qu'il doit parvenir à une lecture dépassionnée de notre histoire commune. Ce travail de mémoire a progressé mais il n'est pas encore achevé, naturellement.

Journalistes - Ces propos sont honteux. Le gouvernement français ne va-t-il pas protester, faire quelque chose ?

Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay - Nous retenons que nous avons fait de véritables progrès. Nous avons franchi une étape importante, pour refonder la relation bilatérale et aussi dans ce travail sur la mémoire qui est essentiel. Encore une fois, nous avons relevé le message d'ouverture du président Bouteflika en direction des Français originaires d'Algérie.

Journalistes - C'est pour les pieds-noirs simplement, car pour les Français musulmans et les harkis il n'y a pas de message d'ouverture mais un message de fermeture ?

Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay - La communauté nationale française est une et indivisible »1685(*).

Cette démission plus que manifeste des pouvoirs publics suscita aussitôt la colère des anciens harkis et de leurs enfants, qui multiplièrent les manifestations de protestation dans les semaines qui suivirent, partout en France. Aussi la décision d'instaurer une Journée d'hommage national aux harkis, prise en tout début d'année suivante, a-t-elle été explicitement conçue par le chef de l'Etat comme une "réponse" différée à la sortie du président Bouteflika, et comme un geste d'apaisement ou, plutôt, un geste de "rattrapage" à l'adresse de la communauté harkie. C'est du moins ainsi que peut être interprétée la déclaration de l'intéressé à l'issue de la réunion du Haut conseil de la mémoire combattante, le 6 février 2001, au cours de laquelle fut décidée la mise en place de cette Journée d'hommage national :

« Les Français rapatriés, en particulier les anciens des forces supplétives, ont été très affectés en l'an 2000 par diverses déclarations ou témoignages qui les renvoient à leur douloureux passé ainsi qu'à leur sentiment d'abandon. La France doit accomplir à leur égard un geste symbolique très fort et spécifique afin de leur témoigner sa reconnaissance et de leur montrer qu'ils sont partie intégrante de la communauté nationale, eux et leurs enfants »1686(*).

C'est encore de cette manière que peut être interprétée la déclaration faite par le chef de l'État à l'occasion même de la Journée d'hommage national aux harkis, le 25 septembre 2001, au cours de la réception offerte à l'Élysée aux présidents d'associations et aux décorés du jour :

« C'est pour la France une question de dignité et de fidélité. La République ne laissera pas l'injure raviver les douleurs du passé. Puisse ce 25 septembre témoigner de la gratitude indéfectible de la France envers ses enfants meurtris par l'histoire ! (...) Engagé comme vous dans le conflit algérien, je sais l'aide que vous avez apportée à la France. Je comprends le sentiment d'abandon et d'injustice que vous avez pu éprouver. Et je partage votre amertume devant certaines attitudes et certains propos. Sachez que je les condamne fermement »1687(*).

Très clairement, l'objectif de la présidence de la République était - à la veille des élections présidentielles de 2002 - de "créer l'événement" autour de la communauté harkie afin de compenser et d'apaiser la colère suscitée, l'année précédente, par la non-réaction du chef de l'Etat aux propos du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Mais quelles furent, au sein de la communauté harkie, les attentes suscitées par l'annonce de l'instauration de cette Journée ? La volonté affichée par la présidence de « témoigner sa reconnaissance et de montrer [aux anciens harkis] qu'ils sont partie intégrante de la communauté nationale, eux et leurs enfants » était-elle à la hauteur des aspirations exprimées par les membres de cette communauté et ceux qui s'en font les porte-voix ?

Le secrétaire général du collectif national « Justice pour les harkis »1688(*), Mohamed Haddouche1689(*), estimait - peu avant la cérémonie proprement dite - que la Journée d'hommage national était la bienvenue « à la condition expresse qu'il y ait une reconnaissance de l'abandon, du désarmement et du massacre de harkis, commis avec la complicité de la France », ajoutant : « Si l'hommage ne contribue pas à établir la vérité, à faire reconnaître les fautes commises par l'Etat français, alors ce sera un coup d'épée dans l'eau »1690(*).

Cependant, lors même que les associations de harkis et leurs soutiens auraient attendu de cette Journée (sans trop y croire tout de même) qu'elle marque la reconnaissance officielle par Jacques Chirac de la co-responsabilité des autorités françaises d'alors dans le massacre des harkis1691(*), celle-ci n'a affirmé son caractère exceptionnel qu'au regard du nombre de plaques inaugurées et de médailles distribuées, beaucoup plus important qu'à l'habitude. Initialement conçue pour être unique, cette Journée d'hommage - qui donna lieu à diverses manifestations sur l'ensemble du territoire national, dont la plus solennelle fut organisée dans la cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides en présence d'un exécutif bicéphale : Jacques Chirac et Lionel Jospin (cohabitation et futures élections présidentielles obligent) - fut donc, en plus d'être une cérémonie consensuelle, une cérémonie somme toute conventionnelle. Certes, dans son discours, et avec l'autorité et la solennité que confère l'habit présidentiel à ce genre de déclaration, le président de la République évoqua publiquement les répercussions dramatiques du cessez-le-feu, ainsi que les effets à moyen et long terme des conditions d'accueil réservées aux rescapés, mais sans que nul schème ou ordre de responsabilité ne fût clairement défini, ni - a fortiori - que nulle personne ou entité ne fût expressément mise en cause.

Un schéma déjà éprouvé donc (distribution de médailles et inauguration de plaques), mais habillé de plus beaux atours qu'à l'ordinaire : par la mobilisation des plus hautes personnalités de l'Etat, le choix de l'enceinte (pour la cérémonie principale) et l'écho médiatique donné à cette manifestation. Cependant, quant au fond du message délivré, il n'est que de constater le caractère peu "transgressif" de la démarche. Cette absence de volonté de rupture par rapport à une geste officielle continûment éthérée pour ce qui a trait à la phase finale de la guerre d'Algérie en général, aux attendus et aux conséquences de la politique de dégagement entreprises par le général de Gaulle en particulier, est illustrée par le choix et le contenu du texte apposé sur la plaque inaugurée à cette occasion par le président de la République. Loin d'être une création originale, le texte apposé sur la plaque a été emprunté à l'article 1er de la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, dite loi Romani, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Le contenu en est pour le moins atone : « La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu'ils ont consentis ».

L'image véhiculée des anciens harkis par le discours du président de la République dans la Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides - des « combattants fiers et courageux » qui ont mérité la reconnaissance de la Patrie « par leur fidélité et leurs sacrifices » - conforta, pour l'essentiel, l'image des anciens harkis traditionnellement véhiculée par les pouvoirs publics, à savoir : l'image "folklorisée", volontairement "dédramatisée", du « fidèle patriote » naturellement épris des valeurs de la République. Cette image d'Epinal, pour caricaturale et réductrice qu'elle soit au regard de la complexité de la - ou, plutôt, des trajectoires des intéressés, a ceci de commode qu'elle "lisse" les aspérités desdites trajectoires, et en évacue les aspects potentiellement polémiques (notamment dans la phase finale de la guerre d'Algérie) : le harki « soldat de la France », donc, plutôt que le harki « victime de la raison d'Etat ».

Pour autant, cette Journée d'hommage ne fut pas complètement anodine. De l'inédit il y eut. Par petites touches. Et en plusieurs temps. Premier temps : un bref passage du discours prononcé par le président de la République dans la Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides. Ainsi Jacques Chirac, nonobstant l'ordinaire des formules éculées (les harkis, « Français à part entière », formule empruntée au général de Gaulle) ou grandiloquentes (« Que justice soit enfin rendue à leur honneur de soldat, à leur loyauté et à leur patriotisme ! Que leur dignité d'hommes libres soit enfin reconnue ! »), en a aussi directement appelé à « porter un regard de vérité sur une histoire méconnue, une histoire déformée, une histoire effacée ». Signifiant par-là implicitement que d'autres avant lui, sciemment ou non, ne s'étaient pas toujours acquittés de la charge de « témoigner à nos frères d'armes l'estime et la reconnaissance auxquelles ils ont droit »1692(*). Deuxième temps : la tonalité plus "politique" de l'autre discours prononcé par le président de la République, dans la salle des Fêtes de l'Elysée, à l'occasion de la réception offerte aux présidents d'associations (et aux décorés de la matinée). Après avoir pointé la « barbarie » des massacres perpétrés à l'encontre des anciens supplétifs de l'armée française (sans toutefois en dépeindre les circonstances ni désigner les responsables directs de ces massacres), le président de la République a reconnu que la France, en quittant le sol algérien, « n'a pas su les empêcher, elle n'a pas su sauver ses enfants ». Une reconnaissance à demi-mot de la responsabilité des autorités françaises d'alors dans l'abandon au massacre des harkis (le mot "abandon" n'est précisément pas prononcé), mais non sans hardiesse de la part d'un homme qui se revendique de l'héritage politique des personnalités potentiellement incriminées (Jacques Chirac ne dit pas « La France n'a pas pu sauver ses enfants », il dit : « La France n'a pas su sauver ses enfants »). Enfin, dans ce même discours, Jacques Chirac a reconnu que le sort réservé en France à ceux qui purent échapper aux massacres et gagner la métropole avait également à voir avec une forme de délaissement ou d'abandon. Je cite : « Alors que tout dans notre tradition républicaine refuse le système des communautés, on a fait à l'époque, dans l'urgence, le choix de la séparation et de l'isolement »1693(*).

Cette Journée d'hommage national, d'abord reconduite à titre exceptionnel le 25 septembre 2002, n'a été pérennisée que le 2 avril 2003, à l'occasion de l'installation du Haut Conseil des rapatriés. Elle perdit cependant très vite de son importance aux yeux des médias comme aux yeux des politiques. Ainsi, la célébration conduite en 2002 le fut non plus sous l'égide du président de la République mais du nouveau Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Charles Tamazount, président du « Comité Harkis et Vérités » (et membre du Parti socialiste), y a vu le signe d'un certain détachement du Président de la République qui « n'avait pas à faire face à des échéances électorales proches »1694(*). L' « accent de vérité » mis en exergue l'année précédente par Jacques Chirac, et entrevu au détour de certains passages des déclarations de l'intéressé (voir ci-dessus), ne fut dès cet instant plus de mise. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s'en tint à déclarer que « la place des harkis est dans notre mémoire nationale », et qu'il était « temps de leur rendre leur histoire, partie intégrante de notre histoire nationale ». Un discours sans autre relief que les habituelles formules grandiloquentes (« Les harkis ont perpétué, dans l'honneur et dans la dignité, les vertus les plus nobles de la nature humaine et du comportement du soldat ») et qui, une nouvelle fois, n'osa pas aborder de front la seule question véritablement pendante : celle des responsabilités françaises dans la tragédie de l'après-19 mars 1962. Dans un style volontiers impersonnel (pour ne pas risquer de mettre en cause qui que ce soit), Jean-Pierre Raffarin se borna à rappeler que « la guerre devait être suivie de multiples drames et de nombreuses tragédies pour les harkis comme pour leurs familles ». Les célébrations conduites en 2003 et 2004 ne le furent plus que sous l'égide de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, et Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, ce qui revenait, à nouveau, à confiner la célébration de cette destinée et des drames qui l'avaient jalonnée aux seules frontières du monde "ancien combattant". Certes, en 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin présidait en personne une cérémonie qui, cependant, n'éveillait plus guère l'attention des médias depuis 2001, et que ne signalait guère, cette fois encore, un discours aussi remarquablement atone et convenu que les précédents.

Aussi, même considérée comme souhaitable par la plupart des acteurs associatifs issus de cette communauté, cette journée n'est cependant pas à même, selon eux, d'apporter une réponse satisfaisante et crédible à la question de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français dans l'abandon au massacre des anciens supplétifs de l'armée française. Pour Boussad Azni, président du Comité national de liaison des harkis et vice-président du Haut Conseil des rapatriés (et qui avait appelé à voter Jacques Chirac en 2002),  « une Journée, ce n'est pas suffisant. On veut que la France reconnaisse la responsabilité du gouvernement de 1962 dans les massacres commis en Algérie après le 19 mars 1962 ». De manière plus virulente, Abdelkrim Klech, président du collectif Justice pour les Harkis, dénonçait dans la Journée d'hommage « une mascarade de plus » et exigeait de la France qu'elle assume au grand jour ses responsabilités dans l'abandon et le massacre des harkis : « Nous voulons que le gouvernement et l'Assemblée nationale aient enfin le courage de débattre du problème harki en commençant par reconnaître la responsabilité de la France »1695(*). Pour sa part, Khader Moulfi, porte-parole et coordinateur de la Coalition nationale des harkis et des associations de harkis, sise à Roubaix, rebaptisait cette cérémonie « Journée d'hypocrisie nationale », tout en appelant à son boycott. 

Ainsi, la Journée d'hommage national aux harkis, si elle marque une avancée indéniable de la geste cérémonielle en tant que telle (tout au moins quant à son ampleur), n'est guère empreinte, jusqu'à présent, quant au fond du message délivré, de la volonté de marquer une rupture significative avec la mécanique du souvenir jusque-là mise en branle par les relais institutionnels de la mémoire. En jouant la carte de la réminiscence (« Leur place est dans notre mémoire nationale au sein des armées qui ont illustré notre drapeau »1696(*)) contre celle de la résipiscence (peu ou pas de retour sur ce que fut l'attitude de la France à leur égard au moment du désengagement effectif des armées), cette Journée d'hommage national demeure très nettement en deçà du besoin de reconnaissance exprimé par les intéressés ou ceux qui s'en font les porte-voix. Mohamed Haddouche, alors président de l'Association Justice Information Réparation (AJIR pour les harkis) et aujourd'hui membre des instances nationales, s'exprimant à la suite de la deuxième Journée d'hommage national aux harkis, en 2002 :

« L'an dernier, les harkis se sont réjouis de cette marque de reconnaissance attendue depuis 39 ans et en furent reconnaissants à Jacques Chirac. Cette année, ils se sont réjouis de sa pérennisation. Mais cet hommage rendu à toute une communauté ne saurait être une fin en soi. (...) Le président de la République doit aller au terme de sa démarche et proclamer solennellement la responsabilité des gouvernants de 1962 dans la tragédie des harkis livrés à la «barbarie» du FLN. En effet, rendre hommage n'est pas reconnaître la responsabilité du désarmement, de l'abandon des populations pro-françaises d'Algérie, du massacre de près de 150.000 personnes qui s'en est suivi, ainsi que l'accueil réservé aux rescapés »1697(*).

Ce qui s'exprime, dans et par cette mise en cause ou, tout au moins, cette demande de mise à plat des responsabilités gouvernementales, c'est la volonté d'être reconnu et de bâtir autrement la relation à l'autre dans le rapport entre l'Etat français et la communauté harkie. Cette reconnaissance là, c'est l'acceptation de l'autre dans un rapport de réciprocité, l'affirmation de son égale dignité. À l'inverse, le signe de la sujétion, c'est le sentiment d'être traité en objet - objet de mesures sociales, par exemple - sans autre forme de considération. Or, la négation de l'autre comme sujet est une violence profonde, que ne sauraient compenser les aides matérielles. Celles-ci ne sont jamais en principe que des mesures d'accompagnement, qui sanctionnent sur le plan matériel l'acte préalable de reconnaissance symbolique. À défaut d'autre témoignage de considération, la compensation financière est une aumône, une non-relation. Or, pour que je puisse reconnaître l'autre, il faut que je puisse me reconnaître en lui, que je puisse l'accepter comme un semblable. Il faut que, décentrant ma perspective égotiste, rien ne s'oppose à l'idée qu'il puisse devenir un autre moi, et réciproquement, que je puisse devenir un autre lui. La reconnaissance, c'est l'acceptation de ce qui chez l'autre participe de l'altération de mon identité. Ce qui n'est rien moins qu'inconfortable. Le bon plaisir, à l'inverse, ses grâces octroyées, n'implique aucune violence sur soi. Il est un attribut de puissance, non de réciprocité. L'acceptation de l'autre est toujours acceptation de l'autre malgré soi.

« Les gestes d'hommes d'Etat demandant pardon à leurs victimes attirent l'attention sur la force de la demande de pardon dans certaines conditions exceptionnelles », souligne Paul Ricoeur1698(*). A cet égard, tant les déclarations d'Abdelaziz Bouteflika lors de sa visite d'Etat en France, ressassant l'adversité plutôt que « suscitant une «disposition à la considération» »1699(*), que le tour convenu, très politiquement correct, pris par la Journée d'hommage national aux harkis, où l'on célèbre - comme si cela allait de soi - le « harki soldat de la France » plutôt que de revenir, précisément, sur la politique de mise à distance mise en oeuvre à l'époque pour les maintenir à tout prix en Algérie (voir la Partie 1), est un autre moyen de maintenir les intéressés à distance, de les mettre en scène. Donc de ne pas les reconnaître. C'est ce qu'exprime, à sa manière, Zahia Rahmani, dans un dialogue imaginaire avec le président d'une hypothétique Commission nationale de réparation :

« Nous n'avons pas cessé d'attendre. Ce temps a été long. L'Histoire nous a enseigné que la justice ne s'exerce qu'en l'absence des acteurs véritables. Le temps fait la justice. Je la réclame, il la réclame, nous la réclamons. (...) Nous ne demandons aucune mort, aucune pendaison, aucun supplice, mais la convocation est là depuis si longtemps. Pour ce retard, nous voulons un tribut. Nous souhaitions depuis toujours donner ses chances à l'histoire mais personne ne s'est présenté. A force nous sommes venus. Nous voulons ces jugements qui nous sont dus. Vite, des proclamations, des placards, des affiches et des livres. Des mots qui le disent !

- On a reconnu le malheur de vos familles ! Le président ne l'entend pas comme moi. Je lui dis que je veux l'ambitieuse vérité et pas une inscription au calendrier national.

- Je ne veux pas de commémoration. (...) Cette reconnaissance que vous dites, c'est notre docilité que vous payez en retour. Et de cela même je ne peux pas vous insulter, sinon et à tout moment je deviens une étrangère. Je vous dois à vie ma servitude. Mais dois-je pour autant taire les morts que nous partageons ? Il en tombe tous les jours ! »1700(*).

C'est cet "au-delà" de la reconnaissance, cet "au-delà" des grâces octroyées et des cérémonies consensuelles, qu'il nous faut maintenant aborder à travers la notion et l'ingénierie politiques du pardon, ses conditions de possibilité et ses chemins de traverse judiciaires.

B) Le pardon : un au-delà de la reconnaissance ?

L'inaptitude du modèle "assistanciel-cérémoniel" à promouvoir une véritable réparation des termes de l'échange, donc à instaurer une relation de réciprocité fondée sur la mise à plat du différend historique et des responsabilités qui y sont afférentes, souligne la nécessité d'aller au-delà de ce modèle. Mais pour aller vers quoi ? Comment réparer sans faux-fuyants (du côté français, où l'on ne voudrait donner à voir qu'une image "folklorique" des anciens harkis), sans faux-semblants (du côté algérien, où l'on feint la magnanimité à l'égard des enfants tout en restant inflexible à l'égard des parents) ni esprit de revanche (du côté des anciens harkis et de leurs enfants) ? Il s'agira ici d'ouvrir un débat éthique et pratique à propos du pardon, de ses règles et de ses conditions, afin d'envisager les moyens de « sortir de l'infernale antinomie entre la dette et l'amnésie »1701(*).

Débat éthique et pratique car la politique du pardon (ou le pardon en politique) ne procède pas seulement de la définition et de la mise en place in abstracto d'une ingénierie (section 1), mais du cheminement d'un esprit, de la volonté marquée de réparer les termes de l'échange, et de construire le rapport à l'autre autrement que dans la haine et le ressentiment. Or, dans le cas d'espèce qui est le nôtre, ce cheminement se heurte in concreto, en France et en Algérie, à un certains nombres d'écrans ou d'impedimenta d'ordre militant, savant ou étatique qui, chacun à leur manière, témoignent de l'impréparation des mentalités (section 2). 

Ces inerties, indéterminations ou obstructions conjuguées signent, s'agissant de la trajectoire des anciens harkis et de leurs familles (depuis l'engagement jusqu'à la mort ou l'exil), la difficulté à la fois de rétablir l'assise matérielle et l'épaisseur symbolique des faits, mais plus encore d'instaurer une véritable relation d'échange avec d'autres acteurs interdépendants. Il s'ensuit, du côté des enfants, la tentation de "forcer" le pardon en sollicitant ce que Sandrine Lefranc appelle le « tiers de justice ». Or, nous verrons que la judiciarisation des revendications portées par cette communauté n'est pas sans susciter un malaise chez certains commentateurs, qui évoque à ce propos un possible mésusage ou « abus » de justice (section 3). 

- 1. Les préconditions philosophiques du pardon en politique : du pardon "christique" au pardon opératoire

Comment décentrer et faire se rencontrer « des identités engoncées dans des conflits insurmontables ou des mémoires engoncées dans des passés irréparables » ? Comment sortir de « la croissance infinie de l'échange des maux »1702(*) ? En somme, comment répondre au tragique de l'irréversible là où l'histoire touche au tragique ?

La réponse à ces questions est d'autant plus cruciale que, dans les rapports entre la communauté harkie et l'Etat français d'une part, entre la communauté harkie et l'Etat algérien d'autre part, « tout se passe comme si l'histoire juxtaposait des réponses à des questions diverses, (...) et [comme si] chacun des acteurs [était] pris dans la logique de sa quête »1703(*). Il n'y a pas de question commune, pas d'échange possible sous un principe commun. « Le tragique consiste précisément à ne pas pouvoir devenir autre que soi-même »1704(*). Dès lors, « tout le problème politique du vivre ensemble, écrit Olivier Abel, tient au travail de mise en intrigue des mémoires dans un compromis partagé ou un modus vivendi tel que l'on puisse sortir des temps sombres et revenir au monde ordinaire »1705(*).

Ici, à l'instar des philosophes Olivier Abel1706(*) et Paul Ricoeur1707(*), ou du sociologue John Crowley1708(*) notamment, notre optique participe du souci de "pragmatiser" les axes de réflexion attenants à la question du pardon (traditionnellement d'essence normative ou théologique), pour proposer de cette notion une définition "opératoire", susceptible de "coller" aux enjeux sociopolitiques contemporains :

- une définition qui, d'une part, soit suffisamment "lâche" et pragmatique pour ne pas risquer de trahir la complexité et la singularité des situations historiques : « [Les conditions du pardon] ne sauraient être présentées comme des règles exhaustives ni absolues mais comme des indications, qui font en quelque sorte que le pardon demandé ou donné est acceptable »1709(*) ;

- une définition qui, d'autre part, soit suffisamment assurée d'elle-même pour satisfaire formellement aux conditions de réciprocité dans l'échange (le pardon a ceci de spécifique qu'il autorise en principe à « laisser place à autre que soi »1710(*)) sans pour autant relativiser la part de responsabilité de l'agresseur (plus particulièrement dans le cas des massacres collectifs, où il y a une forme de hiérarchisation des responsabilités à établir).

Pour Olivier Abel, qui prend acte de l'incommensurabilité des univers de justification dans le tragique de l'histoire, et du caractère inexpiable des crimes de masse, « la sagesse du pardon [en politique] est une sagesse pratique qui ne propose pas une délivrance du tragique mais une délivrance dans le tragique même : le pardon est la vertu du compromis parce qu'il accepte le différend »1711(*). Non pas ce pardon moral élémentaire qui « rythme la mémoire ordinaire de l'échange, avec ses dettes rétribuables, effaçables », qui « suppose une temporalité causale et continue, où les maux ont des causes assignables quelque part dans la structure de l'échange », et qui « s'applique seulement à des situations claires, ou clarifiées par convention »1712(*) ; mais un autre pardon, « pas très moral, mais beaucoup plus sage »1713(*), qui touche à « des identités engoncées dans des conflits insurmontables, et qui disparaîtraient hors de ces conflits, à des mémoires enracinées dans des créances et des dettes impayables, comme enfouies dans un passé irréparable »1714(*). Ce pardon-là, « loin d'être une petite affaire de morale ou de religion personnelle, se tient partout où il y a un rapport au passé, à l'irréparable, à la mémoire, à une histoire qui n'est pas seulement celle des gloires mais aussi celle des souffrances »1715(*).

De fait, à l'échelle d'un massacre collectif, nulle réparation ou compensation n'est susceptible de "purifier" (du latin "expiare") le crime commis, c'est-à-dire littéralement de le débarrasser de la souillure morale dont il est entaché. Paul Ricoeur : « L'énormité des crimes rompt avec le principe de proportion qui régit les rapports entre l'échelle des délits ou des crimes et celle des châtiments. Il n'y a pas de châtiment approprié à un crime disproportionné. En ce sens, de tels crimes constituent un impardonnable de fait »1716(*). Et il ajoute : « Mais plus importante que la punition - et même que la réparation - reste la parole de justice qui établit publiquement les responsabilités de chacun des protagonistes et désigne les places respectives de l'agresseur et de la victime dans un rapport de juste distance »1717(*). Dès lors, à la différence de l'expiation, le pardon ne saurait s'appliquer aux faits eux-mêmes (car leurs conséquences sont irréversibles, non susceptibles d'être réparées) mais, plus modestement (et plus pragmatiquement), à la relation des faits, c'est-à-dire à la manière de considérer collectivement les faits et de considérer collectivement l'autre - la victime ou l'agresseur - considérant les faits. Il s'agit à la fois de dire le mal et d'écouter l'autre dire le mal, et de le faire sur un mode apaisé. C'est ce que Paul Ricoeur appelle « les bienfaits du dissensus »1718(*). On a ici affaire à « un dépassement du conflit qui n'en implique pas la négation »1719(*), à savoir « une sorte de compromis, une composition des mémoires qui les oblige à se réinterpréter ensemble mais sans s'abolir, une intrigue capable de faire accepter le différend lui-même » 1720(*). Olivier Abel :

« Le pardon recherché ici animerait cette invention à plusieurs du compromis par le renoncement à l'unilatéralité qui définit le point de vue tragique, cette étroitesse de l'angle d'engagement qui fait que l'on s'enfonce dans son droit comme dans son tort et, finalement, dans son malheur »1721(*).

Cependant, le pardon, s'il se veut un "acte-ensemble", ne saurait dans les faits mobiliser uniment la victime et son offenseur. Olivier Abel : « Il ne faut pas confondre le pardon demandé avec le pardon obtenu, comme on le fait souvent en parlant «en gros» de pardon » 1722(*). « De toute façon, ajoute-t-il, il y a entre les deux la différence entre un tort commis et un tort subi »1723(*). Car si, sur un plan nouménal, « [cette dynamique] place la demande de pardon et l'octroi du pardon sur un plan d'égalité et de réciprocité, comme s'il existait entre les deux actes de discours une véritable relation d'échange »1724(*), il est un fait que, dans le concret des relations sociales, la structure de l'échange entre la "dette" et "l'amnésie" est asymétrique. La logique de l'amnésie - de l'oubli "agi" - participe chez l'offenseur de l'euphémisation de la mémoire de la faute et revêt, à ce titre, le caractère d'une échappatoire . À l'inverse, la logique de la dette participe de la cristallisation de la mémoire du tort chez la victime. Elle revêt un caractère obsessionnel qui s'objective sur le mode du ressentiment et de la fixation. Elle est une forme - une forme au long cours - de la sidération : « Il y a un point à partir duquel la dette n'est plus qu'une obsession, comme l'oubli n'était qu'amnésie. La dette fait alors que l'on réagit à tout comme s'il s'agissait toujours de la même chose, que tout réactive. Elle rend incapable de réagir à autre chose ; elle rend incapable d'agir, simplement, à nouveau (...). Dans la logique de la dette apparaît une mémoire malade, incapable d'oublier ni d'effacer, et donc incapable de se souvenir d'autre chose »1725(*).

Aussi, l'acte de pardon, à travers lequel la victime dépare la mémoire du tort de son caractère obsessionnel et se libère du ressentiment qu'elle nourrissait à l'égard de son agresseur, ne saurait être s'il n'est précédé par un acte de reconnaissance de la réalité et de la gravité des faits à travers lequel l'offenseur "rencontre" sa faute, donc sa victime : « Il s'agit, selon Paul Ricoeur, « de reconquérir, du sein de la relation horizontale d'échange, la dissymétrie d'une relation verticale inhérente à l'équation initiale du pardon »1726(*). En d'autres termes, il s'agit, pour l'agresseur, de « rétablir les faits historiques et d'appeler désormais les choses par leur nom » ; en somme, de s'astreindre à assumer le crime et d'accepter d'en être comptable.

Du reste, une politique du pardon initiée par l'agresseur mais qui, réduite à l'état de simple formule de politesse ou de grâce octroyée, tiendrait pour négligeable la mise en lumière des faits et des responsabilités ne saurait être qu'un état de fait arbitraire, sans portée ni résonance, un chapitre que l'on clôt, en somme, quand tout devrait être revisité, "publicisé", débattu. Prétendre expier le crime, c'est entretenir l'illusion de pouvoir l'effacer. Dans ces conditions, la demande de pardon ne revêt que trop le caractère d'une fuite des responsabilités, ne s'apparente que trop à une échappatoire, comme s'il suffisait de demander pardon pour être pardonné tout en faisant l'économie d'une anamnèse véritable :

« Le pardon, écrit Olivier Abel, n'est pas une parole magique, immédiate, qui tirerait un trait sur tout, mais c'est une rupture avec le silence, une libération de la mémoire ». Et il ajoute : « En ce sens-là, le pardon ne se commande pas, c'est un acte de volonté passive, comme un accouchement, qui prend du temps »1727(*).

Très clairement, la vocation première du pardon n'est pas de "liquider" le contentieux, mais de le dénouer, de le rendre mutuellement intelligible. Daniel Sibony :

« Il s'agit [pour un corps endeuillé ou dans l'impasse] de se pluraliser, pour que s'ouvre un jeu de la vie où la rencontre et le conflit soient possibles sans qu'on en meure. (...) Pour se rencontrer il faut être "contre", différent, mais assez serein dans cette différence pour ne pas croire que l'enjeu de la rencontre c'est que l'un ou l'autre doit rester sur le carreau ; (...) pour rendre enfin possible des luttes qui ne soient pas des meurtres ; pour permettre d'autres violences que narcissiques »1728(*).

À son tour, le pardon accordé par la victime à son agresseur, s'il résulte d'une initiative unilatérale de la victime, lors même que l'agresseur n'aurait fait montre d'aucune velléité de reconnaissance de la réalité et de la gravité des faits, ne s'apparente-t-il pas à une forme de renoncement, comme si la sérénité, la tranquillité d'esprit pouvaient se gagner au prix de la dignité, la concorde au prix de la justice ? La victime peut-elle ou doit-elle attendre de l'offenseur que, par la grâce, par la magie d'un pardon non sollicité, il se départisse de tout mépris, de toute morgue, qu'il abandonne toute velléité de domination ? N'est-il pas illusoire, sinon absurde, d'attendre de l'agresseur qu'il vous rende grâce d'être pardonné pour des faits dont il ne veut reconnaître ni la gravité, ni même la réalité ? Certes, à titre purement individuel, le pardon "gratuit", unilatéral, est toujours possible. Mais un tel pardon "christique" échappe complètement au registre politique : il engage l'individu dans son for intérieur mais, ce faisant, le dépouille de sa capacité à "faire voix", à parler pour les autres. Jacques Derrida lui-même, s'il plaide in abstracto pour un pardon « pur » qui, « pour avoir son sens propre, doit n'avoir aucun «sens», aucune finalité, aucune intelligibilité même »1729(*), « un pardon inconditionnel et anéconomique accordé même à qui ne le demande pas », reconnaît cependant que cette vision « abrahamique » et « hyperbolique » du pardon comme « don gracieux, sans échange et sans condition », « demeure hétérogène à l'ordre du politique ou du juridique tels qu'on les entend ordinairement » et ne s'applique pas à la réalité d'une société au travail dans des processus pragmatiques de réconciliation. Il en ressort que « si l'on veut - et il le faut, ajoute Derrida - que le pardon devienne effectif, concret, historique », « si l'on veut qu'il arrive, qu'il ait lieu en changeant les choses » et « s'inscrive dans l'histoire, le droit, la politique, l'existence même », « il faut que sa pureté s'engage dans une série de conditions de toutes sortes (psychosociologiques, politiques, etc.) ». Et de conclure : « C'est entre ces deux pôles de l'inconditionnel et du conditionnel, irréconciliables mais indissociables, que les décisions et les responsabilités sont à prendre »1730(*).

Appliqué au champ politique, le pardon ne peut être ni un acte gratuit - un trait tiré sur le passé circonvenant à toute forme d'examen de conscience - ni un acte unilatéral, mais bien au contraire une prise de risque assumée et partagée, par-delà le ou les discours de l'identification sécurisante. « [Le pardon], écrit Olivier Abel, libère d'une excessive obsession de l'identité. Avec lui la mémoire n'est plus l'interminable récit du passé, ou plus exactement l'interminable garantie d'une identité »1731(*). Le pardon introduit une altération dans l'identité même, « il touche à l'identité en tant qu'elle est ancrée dans un souvenir qu'elle répète, ou dans un oubli désormais sacré [i.e. institutionnalisé] »1732(*). Il ouvre un espace de négociation qui « permet, voire impose, de nommer le conflit et d'en reconnaître l'adversité réciproque »1733(*).

Au fond, le pardon, en ce qu'il peut et doit être envisagé comme un « acte éthique d'autonomie », est une forme d'acceptation : acceptation des faits et acceptation de l'autre. Olivier Abel : « Il s'agit de ne pas laisser chacun à sa place mais de l'obliger à se déplacer, à venir se replacer dans l'intrigue, dans l'histoire » et, par ce déplacement, « à se rendre contemporains les uns les autres »1734(*). Au regard de l'agresseur, il s'agit d'accepter de faire retour au passé, au passé tel qu'il pèse et tel qu'il heurte la geste de l'identification sécurisante, donc de réinvestir, en même temps que le champ du "réel", le champ de la responsabilité. C'est ce que Paul Ricoeur appelle « l'imputabilité », à savoir « ce lieu où l'agent se lie à son action et s'en reconnaît comptable »1735(*). Aussi le pardon ne vise-t-il pas à effacer la faute mais à en « délier » l'agresseur en le « liant » par une promesse : celle de s'en tenir comptable à et pour l'avenir.

Au regard de la victime, il s'agit d'accepter la réalité de la perte, d'accepter le tragique de l'irréversible. « En désignant l'irréparable, l'intraitable, ce qu'on ne peut pas raconter entièrement, écrit Olivier Abel, le pardon accepte qu'il y a de la perte. Il fait ce travail de deuil sans lequel il n'y a pas de travail d'enfantement ou de résurrection possible d'un autre présent » 1736(*). Condition même de la sublimation, le pardon scelle chez la victime le réinvestissement d'un présent dont le ressentiment et le désir de vengeance l'avaient tenue éloignée.

Ainsi, à l'échelle de nos sociétés, le pardon ne saurait faire sens en politique s'il ne s'accompagne d'un vaste mouvement de remembrance qui heurte l'indolence ou l'intangibilité des mémoires constituées, d'un travail « où l'on cherche ensemble un langage qui puisse exprimer le tort subi et être entendu par celui qui l'a commis, énoncer le tort commis et être entendu par celui qui l'a subi »1737(*). Il s'agit d'en faire non un geste commode, un "pardon" par le geste (une politique de la page blanche : « on se serre la main et on oublie tout »), mais une geste incommode, un récit bipartite où la "poignée de main" peut éventuellement procéder de - mais ne précède en aucun cas - l'échange de paroles. C'est cette exploration commune des faits et de leurs effets, et, par là même, de la responsabilité des acteurs, qui donne son sens et sa portée politiques véritables au pardon. La politique du pardon ne doit pas viser à clore un chapitre mais à l'ouvrir, et à l'ouvrir ensemble. C'est cette « acceptation de la possibilité du langage de l'autre » qui, selon Olivier Abel, définit l' « unité conceptuelle du pardon »1738(*). C'est encore elle qui, selon Paul Ricoeur, autorise « de répliquer de manière responsable aux contraintes temporelles auxquelles est soumise la continuation de l'action au plan des affaires humaines »1739(*).

John Crowley souligne cependant que « cette transformation radicale ne relève pas, en général, de la réconciliation à proprement parler - sauf à porter ce terme très loin de son usage ordinaire, chargé de connotations morales au sens fort du terme. Le concept qui lui correspond le mieux est la reconnaissance »1740(*). Et il ajoute : « Une telle reconnaissance suppose d'accorder une légitimité précédemment niée à l'adversaire : de considérer qu'il avait des raisons compréhensibles de faire ce qu'il faisait. Compréhensibles ne signifie pas valables : on peut donner raison à son ennemi, mais ce n'est pas une exigence logique de la réconciliation. Il suffit qu'il soit possible de désigner ses actions comme sensées compte tenu de ses représentations - ce qui suppose que l'on puisse, au moins en principe, imaginer d'avoir les mêmes représentations »1741(*). Ainsi, les conditions politiques du pardon exigent de chacun « un déplacement, une sorte de communication de responsabilité, de partage. (...) Le pardon travaille à élargir le langage de chacun, oblige chacun à faire place, dans son langage, à la possibilité du langage de l'autre, (...) dans un travail de concessions réciproques, de narration à plusieurs voix »1742(*).

Ceci dit, et pour faire retour au cas d'espèce qui est le nôtre, il apparaît que les conditions du pardon ne sont réunis ni sur le plan de l'imputabilité, puisque tant le rétablissement des faits (les massacres de l'été et de l'automne 1962) que le partage des responsabilités (en France et en Algérie) continuent de se heurter à des fins de non recevoir de différents ordres mais convergentes quant à leurs effets, ni sur le plan de la réciprocité, puisque la figure du harki continue d'être l'objet d'usages réifiants - entre évocations malveillantes et célébrations lénifiantes - qui, d'un côté et de l'autre de la Méditerranée, concourent à lui dénier la qualité d'interlocuteur digne de considération morale et/ou politique.

- 2. L'état des résistances : une politique non avenue ?

En l'espèce, le « cheminement de l'esprit de pardon » (Paul Ricoeur) se heurte à trois formes d'impedimenta :

- militants, au nom d'une approche qui, par principe, se refuse à détacher l'examen de la trajectoire des anciens harkis de la condamnation "en bloc" du « système colonial », et s'interdit, par conséquent, d'examiner les "bonnes raisons" des premiers sous peine de paraître vouloir prêter le flanc à la réhabilitation du second (section a.) ;

- savants, en raison de l'indétermination relative entre démarche savante et trajectoire militante pour ceux des historiens professionnels qui se sont éveillés à la politique pendant la guerre d'Algérie, et qui, sur ce sujet plus que sur d'autres peut-être, sont potentiellement en butte à des effets de miroir qui leur commandent de privilégier certains aspects de cette guerre plutôt que d'autres, ou de les aborder dans une optique en quelque manière préemptée par ces enjeux de mémoire (section b.) ;

- étatiques, puisque d'une part, en Algérie, la figure du harki continue de n'avoir d'autre usage qu'instrumental - à des fins attentatoires et dilatoires - dans un champ politique "corseté" par « une histoire convenue, unanimiste »1743(*), et rien, ni la succession des générations ni la succession des guerres, ne semble devoir frayer le passage à une reconnaissance autre que totémique et polémique de ces « corps de personnages » et de ces « histoires de vie »1744(*) longtemps mis à distance, bien au contraire ; et puisque d'autre part, en France, le réexamen des tenants ayant prévalu au moment de mettre en branle la politique de dégagement et de décider du sort des anciens supplétifs musulmans de l'armée française, aussi bien que le ressouvenir des aboutissants de cette politique, se heurtent à la difficulté, pour ceux qui ont succédé au général de Gaulle à la tête de l'Etat (à droite et à gauche de l'échiquier politique), de "désacraliser" une figure dont la réputation est désormais consensuelle (section c.).

a) Inerties militantes

Ce qui fait obstacle, d'abord, au cheminement de « l'esprit de pardon »1745(*), c'est la frontière symbolique du "politiquement correct". Cette frontière invisible, mais "agissante", explique - en partie au moins - l'inappétence des leaders d'opinion et des analystes pour cette question. Est en cause, plus précisément, l'étiquette « Algérie française » (entendre « O.A.S. et soutiens ») accolée aux anciens harkis, marginalisant la prise en compte des questionnements afférents à leur destinée à quelques cercles restreints, eux-mêmes ostracisés : on pense par exemple à Radio Courtoisie, qui revendique ouvertement ses accointances avec la droite dite « nationale ». Là réside une différence essentielle avec le récent réinvestissement médiatique du débat relatif aux faits de torture pendant la guerre d'Algérie. De fait, ce débat, déjà très vif en son temps, est relayé par une large frange de la gauche intellectuelle qui, aujourd'hui plus qu'hier, est "en place" dans les sphères de production et de diffusion du savoir1746(*). Autrement dit, le débat moral est aussi affaire de « fenêtre d'opportunité », et toutes les mémoires traumatisées n'ont pas des chances égales d'être portées et relayées dans leur demande de reconnaissance par des leaders d'opinion influents.

Il est cependant nécessaire de distinguer entre, d'une part, une parole strictement militante, liée à des collèges d'acteurs autrefois engagés en guerre d'Algérie ou qui se réclament de cet engagement et, d'autre part, l'écho certes plus "arrondi", moins tranché, qu'en donnent à voir certains grands organes de presse (qui proposent comme une lecture "banalisée" des schèmes d'interprétation plus "serrés" élaborés par les premiers), mais qui - par ce fait - contribuent tout autant - sinon plus - à leur "ancrage" dans l'opinion.

S'agissant des premiers, Marcel Péju, ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre et signataire du Manifeste des 121, invité à l'automne 2003 par l'hebdomadaire Marianne à réagir à la parution du livre de Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, n'avait pas hésité - dans un article intitulé « Contre les harkis et contre le massacre des harkis » - à assortir (et donc à relativiser ?) sa condamnation des massacres de l'après-indépendance par le rappel de la supposée qualité de « traîtres » des anciens harkis :

« La question des harkis ? Soyons clairs. Pour moi, les harkis sont des collabos, c'est-à-dire des gens qui se sont faits les supplétifs de l'armée française et de la répression en Algérie. Ils ont participé à tous les crimes et en ont remis à l'occasion. Cependant, le sort qui leur a été réservé est tout à fait abominable. Je condamne absolument les massacres des harkis commis grâce à la passivité des autorités algériennes indépendantes, tout en condamnant la trahison commise par les harkis »1747(*).

Trois ans auparavant déjà, dans un billet intitulé « Harkis et «collabos»» publié dans l'hebdomadaire Jeune-Afrique L'intelligent du 27 juin 2000, Marcel Péju se lamentait que « la visite en France d'Abdelaziz Bouteflika [ait] conduit certains commentateurs à revenir, de façon généralement agressive, sur le sempiternel problème des harkis ». Après avoir rappelé que les harkis « ne différaient guère, par exemple, des membres de la Milice dite française de Joseph Darnand, qui, sous l'Occupation, se firent les sicaires de la Gestapo », Marcel Péju s'était étonné de ce que la réaction du président Bouteflika (assimilant précisément les harkis à des collabos ; voir l'introduction et plus bas dans cette partie) eût suscité l'émotion de certains :

« Que les autorités françaises aient des responsabilités, donc des obligations, à l'égard des «collabos» qu'elles employèrent - les harkis - et qu'elles s'en soucient fort peu, est une chose ; qu'il soit indigne de faire porter aux fils les fautes des pères est encore moins contestable. Mais ce sont là des problèmes français. Quant aux Algériens désormais indépendants - malgré les efforts des harkis - il leur appartient, et à eux seuls, de traiter la question comme ils l'entendent. Après tout, nul ne s'aventura à prier le général de Gaulle, au lendemain de la Libération, d'amnistier (entre autres) Darnand et ses miliciens. Il les laissa fusiller sans états d'âme »1748(*).

 

Quelques mois plus tard, dans un billet d'humeur intitulé « Hommage aux «collabos» ? », et publié dans l'hebdomadaire Jeune-Afrique L'intelligent du 27 février 2001, Marcel Péju, heurté par l'annonce de l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis, avait comparé cette initiative à celle d' « un chancelier allemand [qui], perdant la tête, institue[rait] une «journée d'hommage national» aux soldats de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) »1749(*). Peu après encore, interrogé par Gilles Manceron à propos de la fin de non-recevoir opposée l'année précédente par le président Bouteflika, au cours de sa visite d'Etat en France, à la question de la libre circulation des anciens harkis entre la France et l'Algérie, Marcel Péju s'en était tenu, quarante ans après l'accession à l'indépendance de l'Algérie, à une stricte discipline idéologique en avançant que la « réponse à cette question relevait de la souveraineté algérienne, et d'elle seule ». Et, ce, lors même que le principe de libre circulation aurait compté au nombre des acquis négociés et validés (mais jamais respectés) par la partie algérienne au moment de la signature des accords d'Evian, en mars 19621750(*).

A l'instar de Marcel Péju, le dessinateur et polémiste Siné, qui fut lui aussi à l'avant-garde de la « bataille de l'écrit » (voir la Partie 2), continue de dépeindre les anciens harkis (et les pieds-noirs) sous des traits qui ne doivent rien à une volonté d'apaisement. Dans la Partie 2, nous avons cité in extenso les commentaires qu'avaient inspiré à l'intéressé les grèves de la faim successives sur l'esplanade des Invalides en 1997-1998, commentaires qui, par leur caractère « hautement injurieux », lui vaudront d'être condamné pénalement à la suite d'une action en justice intentée par une association de harkis1751(*). En dépit de cette condamnation, Siné n'a pourtant pas hésité - dans l'hebdomadaire Charlie-Hebdo en date du 11 janvier 2006 - à faire à nouveau usage de la même ligne argumentaire : « La mission dirigée par Jean-Louis Debré sur le «rôle positif» ou non de la colonisation va interroger des Pieds-noirs et des Harkis pour connaître leurs sentiments à ce sujet. C'est un peu comme si, pour écrire l'histoire de l'occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale, on allait demander leur avis à d'anciens collabos ».

Par-delà ce registre directement inspiré et véhiculé par des acteurs se réclamant de la mouvance anticolonialiste, il convient de sérier quelle est la part des grands organes de presse nationaux dans la co-construction et la diffusion d'une parole sinon strictement "militante", du moins "autorisée" à l'égard des anciens harkis. Et notamment s'agissant de l'opinion qui s'exprime au fil des éditoriaux, laquelle traduit davantage ou autre chose que la simple aptitude professionnelle du journaliste à traiter l'information. La ligne éditoriale, qui emprunte et relaye une vision du monde "incubée" et "travaillée" en d'autres lieux, ou sur une scène intellectuelle plus large, est de ces facteurs d'influence qui sont à même d'offrir à certains engagements militants la reconnaissance de l'opinion. Ou de la leur refuser.

L'annonce de l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis, en février 2001, fut à cet égard un événement "catalyseur", propice à nourrir et révéler la ligne éditoriale des grands organes de presse quant aux demandes de reconnaissance des anciens harkis et de leurs enfants (et à leur mise sur agenda politique). Ainsi en fut-il des éditions du Monde du 7 février 2001 et de L'Humanité du 8 février (par la plume de Charles Silvestre), qui y consacrèrent leurs éditoriaux, et dont la vision des choses emprunte à bien des égards au conformisme intellectuel de la gauche anticolonialiste (voir la Partie 2).

Ainsi, l'éditorial du Monde, qui condamne les manoeuvres électoralistes dont sont régulièrement l'objet les harkis, et dont participerait au premier chef l'instauration de cette Journée d'hommage national (« La défense des harkis sert ici une mauvaise cause, électoraliste, comme une sorte de geste à l'intention de ceux que le débat sur la torture a mis mal à l'aise »), véhicule lui-même une vision réifiante des intéressés, en assujettissant toute velléité de célébration de leur destinée à une grille de lecture anticolonialiste qui la ramène tout entière aux seuls « errements de la République » en Algérie, et qui reste empreinte de mauvaise conscience à l'égard d'une Algérie indépendante vis-à-vis de laquelle la rédaction du Monde préférerait visiblement que les autorités françaises fassent "profil bas" :

« Décréter une «Journée d'hommage national» aux harkis n'est-ce pas prendre la défense d'une guerre coloniale qui fait partie des errements de la République ? N'est-ce pas inutilement injurier l'avenir de nos relations avec l'Algérie indépendante ? »1752(*).

Ce qui est suggéré, semble-t-il, ici, c'est que les harkis en tant que tels n'existent que par nous, ou plutôt que par nos fautes, nos « errements », comme si rien excepté la brutalité de l'armée française ou le cynisme des autorités coloniales (et les effets aliénants du système colonial lui-même) n'avait pu justifier que des Algériens prennent les armes contre le FLN. A condition de faire fi du contexte de guerre civile qui se surajoutait alors à celui d'une guerre de décolonisation, ou de passer rapidement sur les voies et moyens qui furent ceux du FLN au cours de cette guerre (voir la Partie 1), les harkis peuvent ainsi apparaître comme une création "ex-nihilo" voire une "engeance monstrueuse", purement instrumentale. Ils sont par excellence des objets de culpabilité qu'il convient de taire plutôt que de célébrer : « La République de demain devrait plutôt se construire sur la condamnation nette et entière des guerres coloniales », conclut l'éditorial1753(*).

L'éditorial de L'Humanité, publié le lendemain et qui se réfère explicitement - pour le louer - à l'éditorial du Monde, use des mêmes arguments-repoussoirs (« [L'objectif de cette initiative], y est-il écrit, est de satisfaire une partie de l'opinion, la plus nostalgique, la plus guerrière et la plus droitière. On aimerait croire que ce choix ne relève pas, de surcroît, d'un calcul électoral »), et véhicule une vision tout aussi réifiante des intéressés (« des hommes, des femmes et leurs enfants dont on s'est salement servi avant de les reléguer »1754(*)). Et ce journal, au prix d'une vision clairement adversative de la destinée des harkis, de borner explicitement les frontières de l'indignation aux limites délinéées par une grille de lecture idéologique distinguant deux « camps », l'un s'inscrivant dans le sens de l'Histoire, l'autre non :

« Si l'on comprend bien, la douleur héritée de cette guerre et méritant par priorité la "repentance" nationale devrait être d'abord et essentiellement celle du "camp" qui, du côté de la France, combattit l'inéluctable indépendance algérienne. Au point que le journal Le Monde pose à juste titre cette question : «Décréter une journée d'hommage national aux harkis, n'est-ce pas prendre la défense d'une guerre coloniale qui fait partie des errements de la République» ».

Cette ligne éditoriale n'a du reste jamais variée puisque Emmanuelle Gilles signale qu'au cours des émeutes de 1991 dans le sud de la France, ce même journal, présentant les fils et filles de harkis impliqués dans ces mobilisations comme « des enfants d'hommes que la France entraîna dans la sanglante défense de ses intérêts d'Etat impérialiste », assurait les intéressés du « soutien des communistes dès lors qu'ils s'engagent dans la lutte pour leur émancipation »1755(*) ; ce qui signifiait, précise Emmanuelle Gilles, que ce soutien leur était assuré « à la condition non négligeable de ne plus revendiquer leur identité harkie »1756(*). Du reste, l'auteur souligne que « les journalistes de L'Humanité [avaient] interprété ces révoltes comme similaires aux troubles des banlieues »1757(*), s'interdisant toute référence à la trajectoire et aux revendications spécifiques des intéressés pour confondre leur situation et leurs aspirations avec celles des Beurs, lors même que les enfants de harkis interrogés par Emmanuelle Gilles n'auraient eu de cesse, à l'inverse, de dénoncer cet amalgame.

Cependant, l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis a été, pour certains leaders d'opinion autrefois engagés "contre" la guerre d'Algérie, et qui - de leur propre aveu - étaient jusqu'alors passés "à côté" du drame des harkis, l'occasion - 40 ans après - de faire "amende honorable", en mettant en cause des instructions gouvernementales dont ils disent ne pas avoir eu connaissance sur le moment, ou en allant - tel Jean Daniel - jusqu'à « demander pardon » aux harkis.

Ainsi, Jacques Julliard s'émeut-il rétrospectivement, dans la chronique qu'il consacre à la première Journée d'hommage national aux harkis, en septembre 2001, des tenants et des aboutissants pour les intéressés de la politique de dégagement alors visée et entreprise, au point non seulement de blâmer l'attitude du général de Gaulle en la circonstance, mais encore de brosser un portrait étonnamment compréhensif de certains « soldats perdus » :

« On ne peut entendre ou lire sans indignation les récits sur l'abandon des harkis par l'armée française au moment de l'indépendance ; les subterfuges utilisés pour les désarmer, en prétextant une inspection d'armes. Car la France désarmait ses partisans avant de les livrer à leurs bourreaux. (...) On ne l'a pas assez dit : c'est pour avoir été contraints au déshonneur que nombre d'officiers se sont engagés dans l'OAS. La plupart d'entre nous ne connaissaient pas encore les termes des instructions de Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, interdisant d'embarquer les harkis en France. Et les accords d'Evian ont été, à ma connaissance, négociés sans que la France s'avise de la sauvegarde de ceux qu'elle avait compromis à ses côtés. On a un peu de peine à le dire, mais hélas ! il faut le dire : la livraison des harkis à leurs bourreaux est une tache sur l'honneur du général de Gaulle »1758(*).

Jacques Duquesne, pour sa part, reconnaît « n'avoir rien vu » et se reproche, plus franchement encore que Jacques Julliard, de n'avoir pas fait preuve de plus de discernement ou d'esprit d'initiative en la circonstance :

« Nous-mêmes les journalistes nous sommes passés complètement à côté du drame des harkis. Il y a bien eu quelques articles, notamment ceux de Lacouture et de Vidal-Naquet [NDA : voir l'analyse de cet article dans la Partie 2], mais la vérité est que les Français ne voulaient plus entendre parler de l'Algérie. Pour eux la page était tournée. Moi qui suis parti d'Algérie après l'indépendance et qui y suis retourné pendant deux semaines en octobre 1962, j'avoue n'avoir rien vu. Jamais je n'aurais soupçonné un massacre d'une telle ampleur. Ne pas avoir poussé l'enquête plus avant constitue l'un des plus grands regrets de ma vie de journaliste »1759(*).

De son côté, Jean Daniel, visiblement soucieux de s'acquitter d'une « dette morale », est revenu à plusieurs reprises ces dernières années sur cet épisode tragique de la guerre d'Algérie. D'abord dans Le Figaro des 17 et 18 juin 2000, dans un article intitulé « France-Algérie : Pardon aux harkis » :

« La guerre d'Algérie a été aussi une guerre civile où de très nombreux algériens sont morts du fait d'initiatives algériennes et la repentance, dans ce cas, est valable pour tout le monde. Nous avons tous à demander pardon aux harkis. Ce que je fais ici ».

Puis, dans Le Nouvel Observateur du 22 juin 2000, à la suite de la publication de son entretien avec le Président algérien, Abdelaziz Bouteflika :

« Je voudrais dire à mon interlocuteur présidentiel que les harkis ne sont pas selon moi des collabos. Ils ont souvent rallié la France parce qu'ils étaient persécutés par des éléments incontrôlés de l'ALN. Les responsables du malheur des harkis sont à la fois la France et l'Algérie. Les deux pays devraient s'unir dans un geste commun pour demander pardon et pour réparer. Mais c'est l'heure du départ. Ses accompagnateurs pressent le président. Une fois de plus, la question des harkis ne sera pas posée. Mais on peut espérer aujourd'hui qu'elle va, enfin, l'être ».

Enfin, dans un éditorial du 6 novembre 2003 (Le Nouvel Observateur, n°2035), Jean Daniel réaffirme que « le massacre par l'armée algérienne de nombreux supplétifs qui pendant la guerre civile ont choisi la France est une tâche indélébile dans l'histoire de la guerre de libération. Les Algériens n'ont pas appliqué les accords d'Evian en mars 1962 ». Et il ajoute : « Mais l'abandon de ces mêmes supplétifs, ou harkis, par la République française constitue l'une des pages les plus honteuses de la geste gaullienne. Nous sommes un certain nombre à avoir pensé cela et à l'avoir écrit depuis une vingtaine d'années. Bien tard ? Ce n'est pas, en effet, à notre honneur. Mais nous l'avons fait, notamment (...) en écrivant, Jean Lacouture et moi, une préface aux confessions dramatiques de Fille de harki [de Fatima Besnaci-Lancou1760(*)] ».

Dans cette préface, précisément, Jean Daniel et Jean Lacouture écrivent notamment : « De toutes les tragédies collectives qui ont affligé notre temps depuis la shoah, celle qu'ont vécue les harkis d'Algérie est peut-être pour nous la plus douloureuse - parce que rien n'en paraît marquer la fin, rien ne semble ouvrir la voie à la rédemption ou au pardon, ou plus justement à un réexamen équitable de ce qui fut, en l'occurrence, faute, crime, hasard, malchance, poids du destin aveugle »1761(*).

b) Indéterminations savantes

L'histoire contribue-t-elle en France à la perpétuation d'une vision, sinon "orientée", du moins connotée - négativement s'entend - des anciens supplétifs musulmans de l'armée française ? Donc au maintien d'un climat intellectuel peu favorable à la sortie hors d'une configuration sociale et politique stigmatisante à leur endroit ? La question peut sembler provocante. Elle ne l'est pas si l'on prend soin de distinguer entre la visée de l'histoire comme discipline académique d'une part, et sa réalité comme produit "daté" et "situé" du travail des historiens d'autre part.

En tant que discipline académique, l'histoire commande en son principe une visée d'objectivité. Est ici ambitionné « la fidélité épistémique à l'égard de ce qui est advenu »1762(*), la coïncidence parfaite entre la chose passée et son ressouvenir. En cela, l'histoire prend clairement ses distances avec la mémoire qui, individuelle ou collective, officielle, collégiale ou familiale, vise à la symbolisation du passé, donc à sa subjectivation. Certes, les tierces mémoires d'un même événement sont des matériaux par excellence de l'histoire immédiate. Mais c'est précisément dans cette mise en perspective que se situe la vocation propre de l'histoire : "com-prendre", appréhender ensemble les différents espaces de sens, temporalités et significations vécues d'un même événement pour en rendre toute la complexité. Paul Ricoeur : « À l'histoire revient le pouvoir d'élargir le regard dans l'espace et dans le temps, la force de la critique dans l'ordre du témoignage, de l'explication et de la compréhension, la maîtrise rhétorique du texte, et plus que tout l'exercice de l'équité à l'égard des revendications concurrentes des mémoires blessées et parfois aveugles au malheur des autres »1763(*). Aussi l'historien n'entre-t-il pas dans une relation de rejet par rapport à la mémoire, mais dans une dynamique de décentrement par rapport à l'éventail des mémoires qui chacune pour son compte prétend à l'exclusive de la reviviscence des faits. Guy Pervillé : « La vérité historique ne se confond pas avec la mémoire particulière qu'un groupe considère comme son patrimoine, mais elle doit se construire en confrontant et en combinant sans exclusive les témoignages et les documents de toutes les tendances »1764(*).

Cette visée d'objectivation est prise en charge par un corps d'experts, censément à même de « s'abstraire radicalement des contingences du monde »1765(*) et, à ce titre, « prétendants à la fonction du tiers »1766(*). Spécialistes de l'exhumation et de la recension du souvenir, ils tendent non à la célébration mais à la reconstitution de la chose passée, chacun d'eux se faisant « spectateur bienveillant et impartial de ce monde dans lequel nous ne sommes qu'un parmi quelques milliards »1767(*).

Bien que souhaitable, cette démarche de "décentrement" - ce que Paul Ricoeur appelle « la prétention de l'histoire à se situer hors de tout point de vue particulier »1768(*) - est, dans les faits, éminemment difficile à tenir puisque, à l'instar d'autres discours, le discours historien - en France et en Algérie - est un discours situé. Olivier Mongin nous invite ainsi prudemment à « considérer que l'histoire ne parvient jamais à s'émanciper totalement de la mémoire »1769(*). Et ce plus encore s'agissant d'un conflit qui, aujourd'hui comme hier, a déchaîné les « passions françaises », à commencer par celles des clercs, et où les frontières entre démarche savante et démarche militante sont apparues - et apparaissent encore - éminemment labiles. De fait, nous l'avons vu, la geste "protestataire" au moment de la guerre d'Algérie fut avant tout une geste intellectuelle ou, plutôt, une geste d'intellectuels. Autrement dit, ceux qui aujourd'hui écrivent l'histoire de la guerre d'Algérie sont, bien souvent, ceux-là mêmes qui, hier, ont pris parti. La frontière entre le "prosélyte" et le "savant" apparaît ainsi pour le moins incertaine dans les propos d'un Pierre Vidal-Naquet (« Pour l'enseignement, je constate que la plupart des manuels parlent de la torture pendant la guerre d'Algérie en se référant soit à mes propres travaux ou à La question d'Henri Alleg. Il ne faut pas charger les professeurs de tous les péchés d'Israël ! »1770(*)) qui, du reste, assume assez ouvertement cette indétermination :

« Mohammed Harbi et moi sommes qualifiés de témoins-historiens. Il va sans dire que nous ne le sommes pas au même niveau. Dans cette période, Harbi [NDA : qui fut l'un des rédacteurs du Programme de Tripoli] a exercé des fonctions de responsabilité directe. Il a été membre de la fédération de France du FLN et conseiller de la délégation algérienne lors des pourparlers d'Evian. Il s'est ensuite reconverti dans la pratique historienne. Pour ma part, si j'ai eu des responsabilités dans l'opposition à la guerre d'Algérie, j'étais un citoyen-historien qui pensait qu'un historien doit produire de l'histoire. En tant qu'historien engagé dans la bataille, je m'intéressais à d'humbles vérités. A la fin de la guerre d'Algérie, paraissait chez Maspero une revue à laquelle je participais et qui s'appelait Partisans. J'étais un partisan. Est-ce compatible avec le métier d'historien ? Il est clair que nous nous heurtions à d'autres obstacles. A l'illusion de la révolution, d'une part, et surtout à cet énorme obstacle que représentait pour nous la très mythique unité du FLN. Tout cela a-t-il volé en éclats en 1962 ? Pas entièrement puisque beaucoup d'entre nous - partisans - se raccrochèrent à telle ou telle faction. Je me réfugiais dans la figure de Boudiaf. Mais Boudiaf n'était la révolution que parce qu'assurément Ben Bella ne l'était pas, et Boumediene encore bien moins. Mais un homme comme Michel Raptis - Pablo - crut jusqu'en 1965 que l'ALN de l'extérieur, porte-parole de la paysannerie, était la classe porteuse de la révolution. Mais il était certain que leur révolution n'avait que de lointains rapports avec ce que nous mettions dans ce mot. Nous sommes tout de même débarrassés de cette mythologie, mais pas tous, et pas complètement »1771(*).

Cette confusion possible des registres, assumée ou non par les intéressés, ne peut cependant être sans conséquences sur la manière dont s'opère la démarche de "décentrement" par rapport à l'éventail des mémoires en lutte pour imposer leur vision de l'événement, démarche dont nous avons vu qu'elle était censément au coeur de l'éthique professionnelle des historiens. A cet égard, l'initiative prise par un certain nombre d'historiens de relancer, à la veille du 46ème anniversaire de l'insurrection du 1er novembre 1954 (et avec l'appui direct du journal L'Humanité1772(*) et plus indirect du Monde), les débats autour de la torture pendant la guerre d'Algérie, initiative connue sous le nom d' « Appel des Douze » (31 octobre 2000), est illustrative de la perméabilité du discours historien aux joutes mémorielles. Dans ce cas d'espèce comme dans d'autres, l'historien n'est plus seulement un technicien de la restitution du passé mais un acteur qui s'estime en droit - à la fois au nom de son expertise et de ses engagements militants - à définir et à imposer une vision "légitime" du passé. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l'historienne et ancienne militante du P.C.F. Madeleine Rebérioux1773(*), signataire de l' « Appel des Douze » aux côtés de Pierre Vidal-Naquet et Henri Alleg, qui estime d'un côté que le « colonialisme » devrait faire l'objet d'un traitement formellement analogue à celui de la Shoah au collège et au lycée1774(*), mais qui, d'un autre côté, n'avance qu'avec prudence son espoir de pouvoir « parler des crimes du FLN sans insulter les Algériens ». Or, l'on pourrait tout autant incliner à penser - par exemple avec Pascal Bruckner1775(*) ou Alfred Grosser1776(*), lesquels pointent l'écueil d'un ethnocentrisme renversé (ou d'un tiers-mondisme mal compris) invitant à considérer les crimes commis par des non-Occidentaux comme plus facilement "excusables" ou "assimilables" par les intéressés - que c'est précisément le fait de se garder d'en parler (ou de ne le faire qu'avec une extrême circonspection ou affectation) qui est "insultant" ou dommageable pour les Algériens.

Guy Pervillé notait ainsi que « le travail des historiens sur ce sujet brûlant [NDA : la guerre d'Algérie] est de plus en plus perturbé par les conflits qui s'exaspèrent entre les groupes porteurs de mémoires antagonistes, qui font pression sur eux pour les inviter ou les obliger à prendre leur parti. Et les historiens eux-mêmes semblent disposés à céder à ces sollicitations »1777(*). Et il ajoutait : « Prise entre deux feux, exposée aux pressions contraires des deux camps, comment la communauté des historiens de métier a-t-elle réagi ? Elle a malheureusement beaucoup perdu de la cohésion qui était la sienne auparavant. Ses membres se sont laissés entraîner de plus en plus souvent dans des controverses et même des polémiques réciproques, dont les enjeux et les arguments sont au moins autant politiques qu'historiques. Et cela parce que la plupart d'entre eux ont vécu la guerre d'Algérie en tant que citoyens avant de l'étudier comme historiens »1778(*).

Bien entendu, cette "tessiture" mixte de la démarche historienne, écartelée à des degrés divers entre enjeux politiques et historiques, se double de logiques de gratification mutuelle consistant à reconnaître - et à faire reconnaître - par privilège les qualités professionnelles de ceux des historiens qui s'inscrivent dans un même courant d'opinion :

« De même que Che Guevara disait que le devoir d'un révolutionnaire c'est de faire la révolution, je dirai que le devoir d'un historien c'est de faire de l'histoire. Et là, il n'y en a pas beaucoup. Un des seuls à faire de l'Histoire en profondeur, c'est Mohammed Harbi et sur ce point, il mérite tout notre soutien. J'ajouterai aussi un homme comme Gilbert Meynier qui lui aussi fait véritablement de l'Histoire »1779(*).

Aussi nous a-t-il semblé utile d'éclairer les opinions qui s'expriment au sujet des harkis - notamment celles qui s'expriment sous couvert de l'expertise historienne - par des éléments de biographie de leurs auteurs. Car l'inappétence intellectuelle de certains historiens pour la destinée des harkis - considérée comme un objet d'analyse de second ordre - et/ou la tendance corrélative à relativiser (sans nier tout à fait) son caractère dramatique, peuvent témoigner de préventions certainement moins heuristiques que biographiques (et pourtant non explicitées comme telles1780(*)). Ainsi en va-t-il également, a fortiori, des présentations exagérément dépréciatives (ou laudatives) des anciens harkis. Il s'agira, en somme, de "désacraliser" la posture de l'historien en pointant aussi souvent que nécessaire « l'intrication de la mémoire et du savoir historique »1781(*).

Parmi les travaux historiques qui, à leur manière, font obstacle au « cheminement de l'esprit de pardon » dans le cas d'espèce du massacre des harkis, les travaux de Charles-Robert Ageron occupent une place à part. D'abord parce qu'à la différence de nombre d'historiens professionnels autrefois engagés « contre » la guerre d'Algérie ou se réclamant des luttes anticolonialistes, Charles-Robert Ageron n'a pas choisi d'ignorer la destinée des harkis (et, par là, de la construire comme objet de "second ordre" ou de "second rang"), mais de démonter - avec les outils de l'historien - ce qu'il considère être des exagérations ou des reconstructions quant à la manière dont cet objet a pu être traité par d'autres que lui. Ensuite parce que ces travaux - principalement trois articles publiés dans la revue d'histoire Vingtième siècle1782(*) - font "autorité" auprès de ses pairs, notamment ceux qui se reconnaissent dans ses engagements anticolonialistes. Ainsi, dans un article publié dans Confluences Méditerranée en réaction à la parution du livre de Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, les historiens Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, ulcérés par le « travail rapide » de Benamou, mais qui n'ont eux-mêmes jamais consacré plus que des incidentes à la question des harkis, renvoient expressément le lecteur aux travaux de Charles-Robert Ageron : « Et Benamou ignore les trois articles fondamentaux de Charles-Robert Ageron qui, à notre avis, font autorité, ou devraient faire autorité sur le sort des harki(s) », écrivent-ils1783(*). Pour sa part, Guy Pervillé, soulignant que « Charles-Robert Ageron ne se cache pas d'approuver globalement la politique algérienne du général de Gaulle, et son aboutissement les accords d'Evian », rappelle que l'intéressé « s'était longtemps refusé à écrire sur les événements de 1954 à 1962, car il se méfiait de sa subjectivité de témoin engagé » 1784(*).

Dans « Le drame des harkis en 1962 »1785(*), article explicitement fait en réponse à la publication de la thèse de Mohand Hamoumou chez Fayard1786(*), Charles-Robert Ageron, qui sous-entend que ce livre pourrait faire la part belle « aux souvenirs déformés des mémoires » et, ce faisant, se prêter à une « [exploitation] à des fins politiques et médiatiques », entend pour sa part « rappeler quelques faits sûrs et révéler certains textes » conformément aux canons de « l'histoire scientifique ». Sa démonstration va pourtant plus loin qu'une simple réfutation méthodique de certaines affirmations de Mohand Hamoumou puisque l'auteur entend d'une part, dénoncer « l'abandon prétendu des harkis » et, d'autre part, relativiser l'ampleur des massacres de l'après-indépendance pour se démarquer de ceux qui - tel Mohand Hamoumou - les qualifient de « génocide des harkis » :

(1) en premier lieu, donc, l'auteur, qui rappelle les différentes options offertes aux ex-supplétifs et rapporte les chiffres des transferts opérés dans le cadre du "plan général de rapatriement" (soit 21.000 sur l'ensemble de l'année 1962), et qui produit deux documents émanant pour l'un du Premier ministre Georges Pompidou (lequel invite les autorités militaires à transférer en métropole les anciens supplétifs et membres de leurs familles réfugiés dans les casernements français en Algérie) et l'autre de l'ambassade de France en Algérie (faisant part des protestations du gouvernement français eu égard aux sévices infligés aux anciens supplétifs et, surtout, à l'inaction apparente des nouvelles autorités)1787(*) s'étonne que l'on puisse qualifier d' « abandon » l'attitude des autorités françaises d'alors à l'égard des musulmans qui, à un titre ou à un autre, s'étaient engagés aux côtés du colonisateur. Cette courte démonstration souffre pourtant de nombreuses insuffisances :

(1.1) il n'est fait mention dans cet article : ni de l'exclusion de toute partie autre que le FLN et l'Etat français du processus de négociation d'Evian (les pieds-noirs et les musulmans pro-français étant exclus, ès qualités, de cette négociation), ni de l'absence de garantie autre qu'une clause de non-représailles très générale et dénuée de toute menace de rétorsion en cas de violation par la partie algérienne, ni enfin de l'exclusion automatique de la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local au jour de l'indépendance. Bref, Charles-Robert Ageron ignore la fragilité des garanties statutaires (politiques et juridiques) offertes aux musulmans non inféodés au FLN dans ce contexte de transition brutale (du 19 mars au 3 juillet il s'écoule à peine plus de trois mois).

(1.2) l'auteur ne fait pas davantage mention ni la "lettre" ni de "l'esprit" qui président à l'élaboration puis à la mise en place du plan général de rapatriement : les directives Messmer et Joxe sont ignorées, de même que les instructions du général de Gaulle au Comité des Affaires algériennes ; les conditions de célibat nécessaires à l'engagement dans l'armée ne sont pas davantage mentionnées (voir la Partie 1). En outre, s'il cite le chiffre de 21.000 rapatriements opérés par les voies officielles (pour l'année 1962), Charles-Robert Ageron ne s'étonne guère de la lenteur des opérations : certes, un peu moins de la moitié de ce total est évacué "préventivement" fin juin-début juillet, avant la première grande vague de massacres (qui s'étale de mi-juillet à fin août), mais cette opération est alors conçue comme quasi-définitive ; par suite, c'est sous la pression des événements qu'un deuxième contingent d'environ 2.500 personnes est évacué fin juillet, puis un troisième d'environ 1.500 personnes entre la mi-septembre et la mi-octobre (plusieurs semaines après la première grande vague de massacres) ; et c'est seulement à ce moment (le 19 septembre précisément), qu'est édictée la directive Pompidou citée par l'auteur ; enfin, un reliquat important de 6 à 7.000 personnes est évacué en novembre-décembre (8 à 9 mois après la signature des accords d'Evian, et plus de 4 à 5 mois après l'accession de l'Algérie à l'indépendance), alors que la seconde grande vague de massacres s'est abattue sur l'Algérie, à compter de la mi-octobre (et alors que les camps d'hébergement accueillent encore 20 à 25 personnes par jour). Ce n'est d'ailleurs que le 13 novembre qu'est adressé le message de protestation de l'ambassade de France cité par Charles-Robert Ageron. Encore ce total de 21.000 transferts sur l'année 1962 comprend-il les proches parents des anciens supplétifs : ce ne sont en fait que 3 à 4.000 chefs de familles au maximum - les anciens supplétifs proprement dits - qui sont donc concernés ;

(1.3) et s'il mentionne les instructions de Georges Pompidou en date du 19 septembre 1962, qui « estime nécessaire d'assurer le transfert des anciens supplétifs qui sont venus chercher refuge [de leur propre initiative] auprès des forces françaises », il omet de rappeler en contrepoint qu'ordre avait été donné aux forces françaises encore présentes en Algérie de s'abstenir de toute intervention d'initiative pour porter assistance à leurs anciens compagnons d'armes : seuls ceux qui parviendraient par leurs propres moyens à gagner les casernements seraient secourus (et c'est ainsi que des tortures et des exécutions en place publique furent pratiqués à proximité des postes français sans entraîner la moindre réaction) (voir la Partie 1). Car c'est là un point fondamental : c'est la gestion du fait accompli qui a prévalu, non une attitude proactive ;

(2) en second lieu, si l'auteur s'attache à dénoncer les chiffres-slogans outranciers tendant à exagérer le bilan du massacre des harkis (tel celui de 150.000, qui procède d'extrapolations hasardeuses ; voir la Partie 1), il tend lui-même à accréditer une évaluation que la plupart des historiens tiennent pour exagérément basse ou partielle, celle avancée sur le moment par le journaliste Jean Lacouture pour la seule période comprise entre le 19 mars et le 1er novembre 1962, soit 10.000 victimes. Mais Charles-Robert Ageron - qui reproche à Mohand Hamoumou d' « [être] brouillé avec les chiffres » - n'explique pas comment Jean Lacouture a pu produire une telle évaluation ; pis, il semble ignorer que ce dernier parle aujourd'hui de 30.000, voire de 100.000 victimes au gré de ses publications ou interviews. Une référence bien fragile, donc, que l'auteur justifie pourtant de la sorte : « Puis-je signaler que cette évaluation de 10.000 harkis massacrés était celle-là même du porte-parole de l'armée et de l'ambassadeur [de France en Algérie] Jean-Marcel Jeanneney ? ».

Et Charles-Robert Ageron de conclure - et c'est essentiel pour ce qui nous concerne ici - de la manière suivante : « Est-ce là vraiment une page honteuse de notre histoire ? ».

Par ailleurs, dans un autre article, intitulé « Le «drame des harkis». Histoire ou mémoire ? » (les guillemets sont de l'auteur), publié peu après la visite controversée d'Abdelaziz Bouteflika en France, en juin 2000, Charles-Robert Ageron revient plus en longueur sur la séquence immédiatement postérieure à la signature des accords d'Evian et à la démobilisation des harkis aux fins, écrit-il, de « s'informer et d'établir un bilan scientifique d'événements que les Français tiennent parfois pour un «lâche abandon de musulmans fidèles» », et de présenter « ce que furent les attitudes de l'armée et du gouvernement algériens vis-à-vis du sort qu'ils entendaient réserver aux ex-supplétifs »1788(*). Si, à la différence de ses précédents articles, l'auteur fait cette fois-ci ouvertement état de certaines des directives et instructions gouvernementales tendant à limiter le flux des rapatriements de supplétifs (à savoir celles visant à interdire les opérations de transfèrement opérées en dehors du plan général et à sanctionner leurs auteurs), ainsi que de celles visant à interdire les opérations de secours dans le bled, il n'en continue pas moins à battre en brèche ce qu'il appelle les « accusations «d'abandon de nos fidèles harkis» »1789(*), arguant de ce que « l'action de transfert » conduite par le gouvernement n'avait pas été insuffisante mais « trop discrète » pour être reconnue à sa juste valeur1790(*). La raison en est, selon lui, la décision du ministère des armées de ne pas diffuser « une étude préparée par le haut commandement en juin 1963 expliquant «le problème des supplétifs» et les solutions apportées », étude classée sans suite afin de ne pas apporter « de l'eau au moulin des nostalgiques de l'Algérie française et de l'OAS » :

« Ainsi s'explique peut-être, ajoute Charles-Robert Ageron, le silence officiel, finalement maladroit, qui laissa libre cours aux pires accusations, sur la lâcheté du gouvernement et la faiblesse des rapatriements »1791(*).

"Défaut de communication" plutôt qu'"abandon" ? Encore une fois, l'auteur, s'il produit dans cet article une documentation abondante sur le "double jeu" du FLN dans les semaines qui suivent la signature des accords d'Evian (promesses publiques de pardon et appels officieux à la vengeance), fait par contre l'impasse sur les effets de la propagande officielle française tendant à présenter les accords d'Evian comme une panacée en matière de garanties offertes aux personnes et aux biens, et sur les possibilités plus que ténues offertes aux anciens supplétifs pour bénéficier de la protection de l'armée (notamment l'absence de possibilité réelle d'engagement pour ceux qui n'étaient pas célibataires, le retour à la vie civile avec prime de recasement étant dans ce cas systématiquement encouragé). Ceci étant passé sous silence, Charles-Robert Ageron en vient naturellement à établir un "audacieux" quorum des responsabilités pour ce qui a trait aux massacres de l'été et de l'automne 1962 : outre le FLN, qu'il désigne comme principal responsable, la co-responsabilité du drame tiendrait selon lui moins aux autorités françaises qu'aux anciens supplétifs eux-mêmes, qui « ne voulurent pas s'expatrier ». Sa conclusion vaut d'être citée dans son intégralité :

« Les associations de harkis qui se sont multipliées en France ont développé la légende du «génocide» des harkis victimes du colonialisme. Les responsables en seraient, selon elles, l'armée et le gouvernement français qui auraient volontairement abandonné au massacre leurs fidèles soldats et limité au maximum l'accueil des réfugiés. La France coupable de «non-assistance à personne en danger devrait faire publiquement repentance». Il n'appartient pas à un historien de cacher ce qu'une recherche minutieuse lui a appris. Les harkis confiants dans les promesses du FLN ne voulurent pas, pendant longtemps, s'engager dans l'armée régulière, ni s'expatrier. Quand ils s'y décidèrent devant les violences subies, ils furent finalement, sans doute trop tardivement, reçus en France et peu à peu réinstallés ». Et il ajoute, sans dire un mot des camps ni des effets pervers des dispositifs d'aide spécifiques qui ont succédé à la politique de mise sous tutelle initiale : « Une aide spécifique fut accordée pour faciliter leur insertion économique et sociale et celle de leurs enfants. Ainsi la République française a témoigné solennellement, par la loi du 11 juin 1994, «la reconnaissance prioritaire de la dette morale de la nation à l'égard de ces hommes et de ces femmes qui ont directement souffert de leur engagement au service de notre pays» »1792(*).

Il est à noter que cette argumentation est très exactement la même que celle développée rétrospectivement par Pierre Messmer, alors ministre des Armées (voir ci-après la section II.B.2.c de la Partie 4 : « Obstructions étatiques »), qui, dans une interview au Monde le 24 septembre 2001 (à la veille de la première Journée d'hommage national aux harkis), entendait établir « une hiérarchie dans les responsabilités » : « Le principal responsable, c'est le FLN, qui a trompé les harkis et les a massacrés ; ensuite, ce sont les harkis eux-mêmes qui se sont laissé tromper ; en troisième lieu, ce sont ceux qui n'ont pas été les délivrer pour ne pas mettre en danger le cessez-le-feu [entendre le gouvernement français] ». Cette coïncidence de vue vient-elle de ce que Charles-Robert Ageron a largement puisé dans les archives personnelles de Pierre Messmer pour écrire cet article ? Toujours est-il que ces deux analyses, l'une produite par un historien professionnel, l'autre par un ancien responsable politique, aboutissent l'une et l'autre à considérer comme injustifiée toute demande de repentance adressée à l'Etat français pour cette même raison que les anciens harkis seraient finalement davantage responsables de leur malheur que leurs anciennes autorités de tutelle.

« L'historien n'est pas un pur esprit détaché de la société, écrit Alfred Grosser dans Le crime et la mémoire. Il n'acquiert et ne présente pas un pur savoir. Il est tributaire de sa propre mémoire. (...) Il risque ainsi d'infléchir ses analyses pour rendre anodin tel crime, pour exalter le souvenir de telle catégorie de victimes plutôt que de telle autre »1793(*).

Pour ce qui le concerne, et à rebours des analyses de Charles-Robert Ageron (qui incriminent prioritairement le FLN), le professeur algérien de sociologie de l'IEP de Lyon, Lahouari Addi, tendait - au prix d'une analyse systémique - à relativiser la responsabilité propre du FLN. Posant d'une part que « les courants nationalistes modérés n'ayant obtenu aucune réforme, le courant radical s'enracina dans la population, ce qui lui permit de lancer l'insurrection de 1954 », et posant d'autre part que « le FLN a été la réponse à la rigidité du système colonial qui ne réagissait et ne comprenait que le langage de la violence », Lahouari Addi en vient à cette conclusion : « Les victimes du FLN ne sont-elles pas, au fond, des victimes du système colonial qui a laissé exploser la révolte populaire dont le FLN a été l'expression ? »1794(*). De l'incrimination indifférenciée du « système colonial » à l'euphémisation des crimes du FLN (et notamment du massacre des harkis), l'espace du pardon dans les rapports entre la communauté harkie et l'Etat algérien est, là encore, à l'aune d'une analyse qui brouille l'imputabilité des faits jusqu'à les rendre inassignables, réduit à la portion congrue.

Même raisonnement, mais poussé plus loin encore du côté de Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, dans l'article précédemment cité, en réponse au livre de Georges-Marc Benamou, Un Mensonge français. Les auteurs y établissent une nette distinction entre les violences « industrielles » de l'armée française et la violence du FLN, qualifiée de « fondamentalement artisanale » et, qui plus est, dirigée vers « l'affranchissement des Algériens » :

« L'armée française fut plus massivement et plus industriellement tortionnaire que certains éléments d'une ALN, fondamentalement artisanale dans sa violence, et qui, au moins, luttait pour l'affranchissement des Algériens ; et que les Algériens se défendaient contre un conquérant qui les avait conquis dans la brutalité. Quand on ne se contente pas de l'écume des aboutissements factuels, c'est la violence française qui fut première »1795(*).

A cette aune, donc, le massacre des harkis n'est qu'un « aboutissement factuel », l' « écume » de cette causalité (maléfique) première qu'est le « système colonial ». Pourquoi s'attarder sur le premier (le massacre des harkis, objet historique de second rang), comme sur les voies et moyens du FLN, quand, en première comme en dernière instance, c'est l'analyse du second (le système colonial) qui devrait être par privilège l'objet des investigations historiques (puisque tout en découle) ? Fort d'une expertise "infrastructurelle" qui voit plus loin que - ou en deçà de « l'écume des aboutissements factuels », l'historien se sent ainsi légitimé à qualifier de « fondamentalement artisanale » une violence qui a coûté la vie à 30.000 civils musulmans et un peu moins de 4.000 civils européens entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 (soit une victime européenne pour sept à huit victimes musulmanes), ainsi qu'à plusieurs dizaines de milliers d'ex-supplétifs musulmans (et membres de leurs familles) et quelque 2 à 3.000 civils européens après le 19 mars 1962 (voir la Partie 1). Toutes les violences ne se valent pas, cela est clairement expliqué. Mais cela signifie-t-il aussi qu'il faille distinguer entre les victimes ?

A ce propos, Guy Pervillé dit partager le « malaise » exprimé par cet autre historien qu'est Daniel Rivet :

« Gardons-nous de croire, écrit Guy Pervillé, que la campagne de dénonciation de la torture française en Algérie, lancée par Le Monde et relayée par L'Humanité depuis juin 2000, ait divisé la France en deux camps bien définis : celui de la vérité, et celui du mensonge. L'historien Daniel Rivet n'est pas le seul à estimer que «la lecture du Monde depuis juin 2000 installe le lecteur dans le malaise. Une fixation s'y opère sur la torture, les viols, les sévices exercés par la seule armée française au cours de la guerre d'Algérie. Les autres dimensions de la guerre sont occultées» »1796(*).

c) obstructions étatiques

La question de la "normalisation" des relations diplomatiques entre les deux protagonistes d'une guerre restée longtemps innommée de ce côté-ci de la Méditerranée, ou mythifiée de l'autre côté, est le fil d'Ariane des relations franco-algériennes depuis maintenant près de quarante ans. La "doxa normalisatrice" de Jacques Chirac, en visite d'Etat en Algérie en 2003, donne à cet égard une illustration saisissante de ce que l'expression "user d'un langage diplomatique" veut dire :

« Après l'Indépendance, des hommes de vision ont montré le seul chemin, celui de la réconciliation, du développement, de l'avenir. Malgré les obstacles et les hésitations, la coopération entre nos deux pays est devenue petit à petit une réalité. Le temps de l'indépendance ne fut jamais celui de la rupture. Le général de Gaulle, pas plus que les dirigeants du jeune Etat algérien, ne la souhaitaient ni ne l'envisageaient. Au contraire, le mot-clé devint celui de "coopération". Le lien fut maintenu, à travers des milliers de jeunes Français qui ont participé à l'aventure de la naissance d'un Etat, à travers des milliers de jeunes Algériens qui sont venus étudier et travailler en France. Notre relation s'est peu à peu affermie, sous l'autorité et l'impulsion des personnalités qui, en Algérie comme en France, ont su se rencontrer, à l'instar de Houari Boumediene et de Valéry Giscard d'Estaing, de Chadli Bendjedid et de François Mitterrand ». Et il ajoute : « Et je voudrais dire combien nous partageons votre vision d'un Islam tolérant, ouvert aux autres religions, attentif aux Eglises chrétiennes d'Algérie, avec lesquelles vous avez su préserver des liens de confiance, de respect et d'amitié »1797(*).

Le langage diplomatique a ceci de particulier - c'est sa fonction propre - qu'il ne vise pas à dire les choses telles qu'elles se sont passées mais telles qu'elles peuvent être entendues : quand bien même faudrait-il, pour ce faire, transmuer l'épopée provisoire - et somme toute anecdotique - des quelques milliers de « pieds-rouges » (et autres coopérants français) en un élan de réconciliation tel qu'il aurait suffit à panser les plaies engendrées par l'exode de centaines de milliers de pieds-noirs ; mais encore, à nouveau, jeter un voile pudique sur le drame des harkis : « Le temps de l'indépendance ne fut jamais celui de la rupture ». A l'inverse, pour l'historien Guy Pervillé, « la paix en Algérie - ou plutôt la cessation progressive des hostilités - n'a pas apporté un véritable apaisement, ni aux vaincus, ni même aux vainqueurs (...). Les relations franco-algériennes ont été bâties sur des fondations malsaines. C'est pourquoi, quarante après, elles restent à refonder »1798(*). L'écueil, ici, serait de ne vouloir se réconcilier qu'entre homologues ou entre "amis". Les voyages récurrents en Algérie des anciens soutiens français au FLN - qui furent partie prenante du conflit - ne concourent pas davantage aujourd'hui à la réconciliation des deux peuples que ne le firent leurs prises de position unilatérales au moment de la guerre d'Algérie. De même, les réconciliations protocolaires qui, chacune à son tour, prétendent refermer les blessures sans même les examiner - au prétexte qu'il faut désormais se tourner vers l'avenir - apparaissent-elles dérisoires aux yeux de ceux qui savent le poids des inimitiés. Ainsi, en dépit de la présence remarquée d'Hamlaoui Mekachera, la question de la liberté de circulation des anciens harkis n'a-t-elle été que discrètement évoquée au cours de la visite d'État de Jacques Chirac en Algérie en mars 2003 (la première d'un président de la République française depuis l'indépendance), la seule allusion publique faite à ce sujet l'ayant été devant la communauté française d'Algérie1799(*). Un point qui, pourtant, relève de la stricte application des accords d'Évian. Guy Pervillé d'ajouter, à propos de la partie algérienne : « Il est vrai que se réconcilier avec d'anciens ennemis expose au reproche de la trahison de la part de certains des siens. C'est pourquoi l'art de faire la paix est beaucoup plus difficile que celui de faire la guerre »1800(*). De fait, évoquant la visite d'État du président Chirac au printemps 2003 en Algérie (à la suite de celle du président Bouteflika en France en juin 2000), une nouvelle fois présentée par la presse française (télévisuelle notamment) comme l'indice d'une « normalisation » des relations entre les deux pays, le journaliste algérien Mustapha Hammouche, usant d'un rare accent de vérité (cette chronique lui vaudra d'être poursuivi pour « outrage au président de la République », avant d'être acquitté), avait dénoncé « la duplicité d'un sérail politique qui se gonfle des retrouvailles algéro-françaises d'un côté, et légitime d'un autre son interminable monopole du pouvoir par le péril que constitue «le parti de la France» ». Il ajoutait : « La composition même de la délégation française, qui compte, entre autres, un ministre harki [NDA : Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'État aux Anciens combattants, n'était pas harki mais officier d'active] et un juif de Constantine, se veut l'expression d'une disponibilité à reconsidérer une refondation réclamée par notre président avant d'être contrariée sitôt les caméras rangées et dès qu'il est revenu dans sa famille idéologique ». Et Mustapha Hammouche de douter ouvertement de la réalité d' « un saut qualitatif dans le rapport bilatéral » de la part d'un gouvernement « qui vit de l'épouvantail de la «main étrangère» »1801(*).

Ainsi, la question de la "normalisation" des relations diplomatiques entre la France et l'Algérie affleure celle, autrement plus sensible - et tangible, de la réconciliation entre « isolats mémoriels, [ces] mémoires particulières en lutte les unes contre les autres qui sont souvent celles des traumatisés »1802(*). « Il est vain, estime Guy Pervillé, d'espérer une réconciliation entre l'Algérie et la France sans une réconciliation à l'intérieur des deux peuples »1803(*). À cet égard, en France, plus encore que le débat entourant la réminiscence tardive des faits de torture pendant la guerre d'Algérie, c'est son orchestration médiatique qui est ici significative. Lutte frontale entre deux mémoires particulières (celle, collégiale, des intellectuels en guerre d'Algérie et celle, institutionnelle, de l'armée1804(*)), cette réactualisation soudaine d'une polémique déjà ancienne n'a fait qu'accroître, à compter de l'été 2000, le sentiment d'émiettement des requêtes mémorielles. Ainsi que le souligne fort justement Paul Thibaud, si l'équation guerre "d'Algérie = torture" venait à prévaloir dans l'opinion, c'est un autre moment essentiel pour comprendre la guerre d'Algérie qui pourrait être éludé, soit « l'échec des accords d'Évian dans une conjonction d'événements sinistres : O.A.S., harkis, exode des pieds-noirs, mise en place par la force d'un pouvoir algérien militaro-populiste »1805(*). Dès lors, la prévalence médiatique de la geste protestataire, loin de « désenclaver les mémoires traumatisées », ne ferait que nourrir la frustration ou l'acrimonie souterraines d'autres mémoires particulières :

« Désenclaver les mémoires traumatisées, réveiller la mémoire commune suppose qu'on mesure l'échec d'Evian, moment où se concentrent, où explosent tous les éléments du problème algérien. (...) Or, l'une des causes de cette mauvaise fin fut la méconnaissance, y compris de la part des négociateurs français, de la vraie nature dictatoriale et antipluraliste du FLN. Ceci pour une part, parce que la question de la torture avait été privilégiée et hypostasiée. (...) Au lieu donc de nous associer à une sorte de commémoration de nos luttes, essayons de dépasser ce qu'il y eut d'aveuglement dans ce combat contre le pire » 1806(*).

Précisément, comment faire sourdre en France et en Algérie ce qui, dans la ressouvenance du massacre des harkis, fait écran lorsqu'il s'agit de se définir collectivement par rapport à la guerre d'Algérie en général, à sa phase finale en particulier ? Car, à l'inverse du débat sur la torture, l'examen tant des attendus que des répercussions de cet épisode sur les sociétés algérienne et française semble ne pas pouvoir ou ne pas devoir avoir lieu : nul espace de délibération politique où puissent débattre de manière contradictoire les protagonistes du drame, nul espace d'intelligibilité où puisse s'exprimer publiquement le dissensus1807(*).

Ce qui fait écran, d'abord, en Algérie, c'est ce repli sur soi en forme de table rase engagé par le FLN au moment de l'exode forcé des Algériens de confession juive et catholique, et dont le point d'orgue, en quelque sorte, fut le massacre des harkis à l'été et à l'automne 1962. Or ce dernier épisode n'en finit pas, selon Daniel Sibony, de servir de « loi narcissique » à cette Algérie que l'on disait autrefois « nouvelle » ou « post-coloniale », mais qui, de fait, n'a jamais cessé de vivre dans « une sorte de panique identitaire qui s'exprime dans [une] violence «élémentaire», [laquelle] questionne les éléments constituants d'un collectif, et le ramène à cette scène «primitive» où l'on sacrifie de l'humain à la déesse primordiale »1808(*). Car si « l'Algérie et la France n'ont pas cessé l'une et l'autre de souffrir des conditions de leur séparation », c'est bien la première, estime Guy Pervillé, qui a payé le plus lourd tribut : « [durant trente ans], les dirigeants algériens ont perpétué, sous prétexte de commémorer le souvenir des héros et des martyrs, une culture de guerre et de ressentiment envers la France », si bien que, depuis 1992, « l'Algérie est déchirée par une nouvelle guerre civile entre deux camps qui prétendent également continuer le combat des moudjahidine contre le «parti de la France» »1809(*). Dès lors, s'interroge l'auteur, « quelle est la responsabilité de la commémoration obsessionnelle de la «guerre de libération» dans la répétition d'un passé sanglant ? »1810(*). (section 1)

Pour autant, souligne Guy Pervillé, la situation en tous points symétrique qui prévaut en France - cette amnésie « officiellement prônée depuis 1962 et jusqu'il y a peu »1811(*) - n'est pas non plus, d'évidence, le meilleur moyen de tourner la page. La non-réaction du président de la République française, Jacques Chirac, aux propos de son homologue algérien en juin 2000 - assimilant publiquement les anciens harkis à des « collabos » lors de sa visite d'Etat en France - est ainsi symptomatique des réticences françaises à envisager ouvertement les conséquences humaines de la politique de « dégagement » entreprise en Algérie sous l'égide du général de Gaulle. (section 2)

1) L'Algérie des "gardiens de la Révolution" ou la difficulté de s'inscrire dans une démarche de pardon sans altérer les frontières de l'identité

Quelles seraient, pour les autorités algériennes, les implications pratiques d'une politique du pardon telle que sériée dans le cadre de nos réflexions liminaires ? Certes, le fait du massacre des harkis - de toutes les façons inexpiable - n'est en lui-même pas susceptible d'être réparé : il demeure et demeurera toujours un des événements fondateurs de l'Algérie nouvelle. Cependant, l'état du rapport des forces - sociales, politiques et institutionnelles - qui y a présidé, ainsi que le type de justifications dont il est entouré, sont eux réformables. C'est là la part dévolue à la demande de pardon : non une réparation des faits (l'agresseur, s'il peut se défaire de sa morgue, ne peut ressusciter les morts), mais une réparation des termes de l'échange. A cette aune, il ne s'agirait bien sûr pas, pour les autorités algériennes, de déconsidérer le sens de l'engagement du FLN, mais bien plutôt d'accepter d'en reconsidérer - au sens le plus pragmatique du terme - l'histogenèse ; et notamment de reconnaître que cet engagement a suscité, au sein même d'une population dont le FLN revendiquait l'exclusivité de la représentation, une adversité qui avait sa raison d'être, méconnue en son temps puisque combattue non par des voies démocratiques mais au prix d'une violence sans langage1812(*) . Ce serait, en somme, récuser cette propension récurrente des vainqueurs à ajouter l'hégémonie à la victoire, à écrire l'Histoire de leur seul point de vue et à leur seul profit moral. Guy Pervillé :

« Même si l'histoire doit tenir un juste compte de l'énorme inégalité de puissance et de richesse entre les deux camps, et de leur exploitation systématique par les autorités françaises, elle ne saurait pour autant exclure a priori le rôle des méthodes de guerre et de gouvernement du FLN-ALN tendant à multiplier les traîtres pour prouver la vertu des patriotes. L'histoire de la Révolution algérienne doit prendre en considération, comme l'a fait celle de la Révolution française, l'existence de l' « anti-révolution », de la résistance du peuple aux abus de la révolution, qui ne se réduit pas à une simple contre-révolution »1813(*).

Il s'agirait ainsi, pour les autorités algériennes, de "déprivatiser" ou "d'externaliser" la figure de l'ennemi intérieur, d'extraire la symbolique officiellement attachée à la figure du harki du registre du "démonisme", pour faire des anciens harkis et de leurs enfants des interlocuteurs. Et c'est précisément dans cette capacité à "dépayser" le regard que réside l'unité conceptuelle du pardon : faire place à autre que soi et, par-là, faire place à un autre soi. Ceci n'implique pas que les parties s'accordent soudainement sur la morale de l'Histoire, mais qu'elles se fassent place les unes les autres et s'accordent à explorer conjointement la complexité de leur différend. Une telle démarche ne toucherait d'ailleurs pas seulement à la qualité des relations entre la communauté harkie et l'Algérie, mais encore à la qualité des relations au sein même du corps social et politique algérien. De fait, nous l'avons vu, le signifié attaché au massacre des harkis, à savoir le primat d'un discours de l'enfermement et d'une praxéologie de l'éradication, continue présentement de régir les comportements de préservation et de conquête du pouvoir dans ce pays : chacun des adversaires de la guerre civile actuelle prétend en effet combattre des « harkis » indignes d'avoir voix au chapitre, et que l'on peut donc tuer impunément. En ce sens, l'examen sincère et partagé de la charge traumatique héritée des violences de l'immédiat après-indépendance pourrait plus largement contribuer à objectiver les impasses liées au ressassé de la violence fondatrice et à la "névrose" de la trahison.

Mais qu'en est-il, en l'état actuel des choses, en Algérie ? Les conditions politiques du pardon - et d'une demande de pardon - sont-elles réunies ? La réponse, d'évidence, est non. Le récit hypostasié de la guerre de libération nationale1814(*) et le mythe selon lequel l'indépendance fut conquise au terme d'une victoire militaire de l'Armée de Libération Nationale (ALN) sert, aujourd'hui encore en Algérie, à justifier la mainmise de l'Armée Nationale Populaire (ANP) sur l'appareil d'État. Car pour violentes que fussent les rivalités internes au cénacle algérien, les élites au pouvoir depuis 1962 ont ceci en commun qu'elles entendent capitaliser à des fins politiques, et quoi qu'il en coûte à l'avènement d'une société ouverte, la légitimité que leur confère leur participation à la guerre de libération nationale. Le récit mythifié des origines tendant à faire accroire à l'unanimité des masses derrière le FLN, aussi bien que la stigmatisation générique de la figure du harki en tant que figure de « l'ennemi intérieur », sont autant de procédés dilatoires qui, postulant la monovalence des aspirations du corps social algérien, permettent d'imputer les ferments de division interne à d'autres que soi. Dès lors, accepter de demander pardon aux harkis, n'est-ce pas, pour les autorités algériennes, risquer d'altérer les frontières de l'identité post-coloniale et, par-là même, risquer de faire vaciller le socle symbolique sur lequel s'étayent les pratiques monolithiques du "système" depuis l'indépendance ?

A cet égard, l'analyse des enjeux éthiques et pratiques du pardon trouvent, dans le contexte de la "seconde guerre d'Algérie", des prolongements inattendus et éclairants1815(*). Ainsi, en septembre 1999 (quelques mois avant sa venue en France), le président algérien Abdelaziz Bouteflika, évoquant sa politique dite de « concorde civile »1816(*), avait laissé entendre sur une radio périphérique française (en l'occurrence « Beur FM », dont l'audience est très majoritairement le fait de populations issues de l'immigration maghrébine) que le vrai visage de "l'ennemi intérieur", bien que dissimulé sous des masques changeants, restait en définitive toujours le même :

« A l'indépendance, nous avons commis une grave erreur, nous n'allons pas la refaire. Nous avons jugé par le phénomène de la responsabilité collective. Ainsi, il y avait un harki [et] nous avons jugé toute la famille comme ayant été coupable de collaboration. Grave erreur que nous payons maintenant, car dans les maquis, il y a des enfants de harkis ».

De même, dans une interview accordée à « France Culture », le 12 septembre 1999 :

« La communauté nationale, ici et ailleurs, se doit d'assumer ses enfants, tous ses enfants. Cette erreur, au demeurant tragique, a été commise à l'indépendance de l'Algérie. Elle ne sera pas commise avec moi. A l'indépendance, nous avons traité le problème des harkis de façon collective. Nous sommes en train de payer la facture. Une partie des maquis, ce sont des enfants de harkis »1817(*).

On peut lire en filigrane des déclarations d'Abdelaziz Bouteflika une esquisse de reconnaissance des massacres qui ont suivi l'indépendance de l'Algérie, sans pour autant que les responsabilités en soient clairement définies (Abdelaziz Bouteflika se contentant de manier le "nous" de manière volontairement elliptique). Cette reconnaissance implicite de la réalité des massacres de l'après-indépendance, sinon des responsabilités qui y sont liées, et de leur caractère massif, valait-elle pardon ou prémisse de pardon à l'égard des anciens harkis et de leurs familles ? Assurément, non. Car ce que déplore ici le président de la République algérienne, ce ne sont pas en soi les violences rétorsives exercées à l'encontre des intéressés (« Nous avons jugé », dit-il, comme s'il était naturel que de tels "jugements" fussent prononcés), mais le manque de "discernement" dans l'exercice desdites violences. Un mea culpa "opérationnel" plutôt qu'une demande de pardon, en somme. Car s'il paraît signifier qu'il était parfaitement légitime de sanctionner les anciens supplétifs de l'armée française (lors même que les sévices infligés aux ancien harkis l'ont été en violation complète de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian), Abdelaziz Bouteflika suggère par contre qu'il eût été à la fois possible et préférable de s'y prendre autrement pour fléchir leurs proches parents et, ce faisant, véritablement désarmer toute velléité de réinvestissement du "modèle" paternel chez leur progéniture. Ainsi, d'une guerre d'Algérie l'autre, la chaîne d'imputabilité reste identique à elle-même : les enfants de harkis aujourd'hui, comme leurs parents hier, sont de tous les mauvais coups portés à l'Algérie (« dans les maquis, il y a des enfants de harkis »). Le lien établi entre le passé et le présent pointe ainsi moins la responsabilité propre du FLN/ALN et de leurs héritiers directs dans "l'enracinement" d'une culture de la violence en Algérie que celle, commode et récurrente, de la figure du harki, bouc émissaire évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie nouvelle (voir la Partie 2). Cependant, contexte de « concorde civile » oblige, l'assimilation des enfants de harkis aux maquisards islamistes est opérée non sur un mode uniment accusateur mais sur un mode partiellement auto-accusateur : certes, les enfants de harkis, tout comme leurs pères, sont des "monstres", mais c'est "nous" qui, par manque de vigilance ou de discernement, les avons engendrés.

Dans un schéma en tous points identiques (et sous couvert de jeter un regard lucide sur le passé), le général "en retraite" Khaled Nezzar, ex-chef d'état-major de l'ANP et ex-ministre de la Défense (l'un des personnages les plus influents en Algérie), avait - au cours d'une conférence de presse tenue en mars 2000 - estimé publiquement que « l'Etat aurait dû amnistier les harkis juste après l'indépendance pour éviter les problèmes d'aujourd'hui »1818(*). Par suite, les propos tenus trois mois plus tard par Abdelaziz Bouteflika à l'occasion de sa visite d'Etat en France, expliquant en direct à la télévision - en réponse à une question sur les entraves à la libre circulation des anciens harkis entre la France et l'Algérie - que le moment n'était pas encore venu pour les Algériens de « toucher la main d'un collabo », confirmeront avec éclat que le massacre des harkis n'était présentement pas susceptible d'être évoqué autrement que sur un mode purement instrumental en Algérie. Propos du reste confirmés mot pour mot un mois plus tard, dans une interview au Parisien, le président algérien revenant sur sa sortie du mois précédent en ces termes : « Dois-je vous dire que ma sympathie est telle pour les résistants de la France libre et mon respect tel pour l'homme du 18 juin que je ne m'imagine pas serrant la main aux collabos qui ont livré Jean Moulin »1819(*). Puis, quelques semaines plus tard, dans une interview au Figaro Magazine : « Je n'ai au fond de moi-même aucune aménité pour les collabos de quelque pays que ce soit et pour quelque cause patriotique que ce soit. Je crois avoir dit quelque part qu'il me rebuterait de serrer la main au misérable qui a donné Jean Moulin. Comment voulez-vous, sans offenser brutalement le peuple algérien dans sa dignité, que je puisse serrer la main à celui qui a donné Larbi Ben M'Hidi »1820(*).

Cette posture du président Bouteflika, se présentant en gardien de la dignité du peuple algérien dans un contexte où la démocratie est pourtant loin d'être une valeur-étalon du jeu politique algérien, n'a pu manquer d'interroger le journaliste indépendant et ancien responsable du bureau du Moyen Orient de Reportes sans frontières, Djallal Malti : « Le refus de permettre aux harkis de retourner dans leur pays natal est présenté comme une volonté populaire. Comparant les harkis aux «collabos» sous l'Occupation, Abdelaziz Bouteflika soutient que «les conditions ne sont pas encore venues pour des visites de harkis» en Algérie, car «l'opinion n'est pas mûre pour ce genre d'opération». Mais les Algériens ont-ils jamais été consultés, ou informés, sur la question ? ». Et il ajoute : « La falsification de l'histoire du pays sert de fondement idéologique au régime. En s'abritant derrière son nationalisme ombrageux, il interdit à quiconque, et en particulier à la France, de le questionner sur son absence de légitimité démocratique »1821(*).

Par de telles fins de non-recevoir, pouvant aller jusqu'à l'insulte publique (jusque et y compris sur le sol français, donc), le président de la République algérienne signifie aux anciens harkis qu'ils ne font pas - aujourd'hui encore - de bons interlocuteurs. Et, ce, moins sans doute en raison des qualités qui leur sont imputées (« traîtres », « collabos », etc.) qu'en raison de la "levée des tabous" qu'une mise à plat du différend risquerait d'entraîner. Car ce qui importe ici c'est moins l'insulte par elle-même, ce qu'elle exprime dans sa littéralité (qui n'est guère nouveau en Algérie), que ce qu'elle vise à décourager et délégitimer chez ceux qui en sont la cible, à savoir : l'expression d'une autre parole et, plus encore, d'une parole accusatrice. Il n'est qu'à voir, à cet égard, la levée de boucliers suscitée en Algérie par l'annonce conjuguée à l'hiver puis à l'été 2001, d'une part, de l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis et, d'autre part, des actions en justice pour crimes contre l'humanité intentées contre X en France par d'anciens harkis1822(*). L'ancien ministre de l'information du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Mohammed Yazid, devait ainsi déclarer au quotidien El Moudjahid qu'aucun harki n'avait été torturé en Algérie après la conclusion des accords d'Évian. Il précisait qu'aucune directive n'avait été donnée en ce sens par le FLN, sans toutefois exclure qu'il y ait eu des règlements de compte d'ordre privé. Et l'ancien ministre d'ajouter que si de nombreux harkis avaient été emprisonnés par le FLN à cette époque, c'était précisément pour leur éviter d'être massacrés1823(*). Une façon de reconnaître les faits de massacre mais sans se remettre en cause, donc. Tel est en effet l'enjeu pour les autorités algériennes : dénier le caractère systématique et planifié des violences rétorsives infligées aux harkis aux lendemains de l'indépendance. La mise en cause des "marsiens" - ces "résistants" de la 25ème heure - et la "transmutation" rétrospective des camps d'internement et de travaux forcés en "refuges" sont les corollaires obligés d'un tel déni. Mais s'il réfute l'implication du FLN en tant que tel dans l'élimination des anciens harkis au lendemain de l'indépendance, Mohammed Yazid, à l'instar de nombreux autres acteurs du champ politique algérien (voir la Partie 2), n'hésite cependant pas à user de la rhétorique de l'ennemi intérieur pour décrédibiliser ses adversaires politiques. Il aurait ainsi découvert, quarante ans après la fin de la guerre, que « certains harkis se sont glissés dans les arcanes du pouvoir et occupent aujourd'hui des postes importants [en Algérie] »1824(*). Ces deux déclarations de Mohammed Yazid, à une semaine d'intervalle, illustrent bien la dialectique de la "disparition / surexposition" des anciens harkis en Algérie : niés dans leur destinée collective (gênante à plus d'un titre pour les autorités actuelles), mais plus que jamais "promus" au rang de contre-étalons symboliques et/ou de bouc émissaires évidents pour tous les maux qui touchent l'Algérie contemporaine.

Du reste, après que le chef de l'Etat algérien avait de nouveau clairement signifié, quelques semaines seulement après sa visite d'Etat en France, cette absence de volonté de dialogue (et de réexamen des responsabilités attenantes au massacre des harkis)1825(*), les réactions engendrées en Algérie par les déclarations de Jacques Chirac à l'occasion de la première Journée d'hommage national aux harkis1826(*), le 25 septembre 2001, témoignaient de ce que le statut dévolu à la figure du harki dans l'imaginaire national algérien n'avait guère évolué depuis 1962, et ne se prêtait de toute façon guère à l'amorce d'un processus de pardon. Voici d'ailleurs ce que furent, dans les jours qui suivirent, les titres et les commentaires de la presse algérienne, tels que rapportés par le journal Le Monde, du 28 septembre 2001 : le journal arabophone du parti FLN, Saout Al Ahrar, s'emportait de ce que « la France demande à l'Algérie de s'excuser auprès des traîtres ! » ; le Quotidien d'Oran s'étonnait de ce que « Chirac charge le FLN », estimant que le président de la République française avait commis une « effronterie historique » qui lui permettait d'être « dans l'air du temps, celui de l'Occident civilisé face aux autres, les barbares ». « En l'occurrence, ajoutait ce journal, le barbare serait le FLN ». Le quotidien El Watan dénonçait pour sa part une opération électoraliste « devant un parterre d'anciens Français musulmans piteusement au garde-à-vous, supplétifs de l'armée coloniale, désarmés et abandonnés par elle dès la signature des accords d'Evian ». De même, le quotidien La Tribune estimait que « Chirac avait cru bon de capitaliser les voix [des harkis] ». Du reste, pour El Watan, la question des harkis n'est pas une affaire algérienne : ce sont des gens qui « ont choisi leur camp, leurs ennemis, leur destin, et qui - dans un excès de zèle lâche et barbare -ont commis des actions innommables contre la population civile ». Ce journal ajoutait : « Quand ces "soldats de pacotille" - l'expression est du général de Gaulle - ont été abandonnés par leurs maîtres, il était difficile de retenir les parents de ceux dont les fils et les filles ont été par eux assassinés »1827(*). Déni des anciens harkis, donc, déni de la responsabilité du FLN dans les massacres de l'après-indépendance aussi, assimilés à des « vendettas ». La tonalité de la presse n'est, sur ce sujet, guère différente de celle des autorités.

Au même moment, du reste, un communiqué diffusé par le Centre national des études et recherches sur le mouvement national et la révolution de Novembre 1954 (C.N.E.R. 54)1828(*), une structure directement placée sous l'égide du ministère des Moudjahidine, récusait que le FLN eût été à l'origine des massacres de l'après-indépendance, l'imputant aux « Marsiens, c'est-à-dire à ceux qui se sont ralliés tardivement - à l'annonce du cessez-le-feu - au combat pour la libération du pays ». Et ce communiqué d'ajouter, dans une dernière mise au point à bien des égards surprenante, que « le nombre de victimes, délibérément gonflé à 500.000 par les sources françaises (sic), oscillerait en fait entre 75.000 et 100.000 victimes »1829(*). Etonnante mise au point qui, partant de chiffres éminemment fantaisistes (les "chiffres-slogans" propagés par des acteurs associatifs en France n'ont jamais été au-delà d'un "bilan" de 150.000 victimes ; voir la Partie 1), en arrive à une estimation relativement élevée qui, prise au sérieux, discréditerait complètement - par son ampleur même - l'affirmation précédente de la non-implication du FLN et de l'ALN dans ces massacres.

Par suite, les autorités algériennes n'auront de cesse de nier que les représailles de l'après-indépendance ait pu être, de quelque manière, planifiées par - et conduites sous l'égide du FLN. Ainsi, Rédha Malek, ancien porte-parole de la délégation du FLN à Evian, reprenant point par point l'argumentaire développé avant lui par Mohammed Yazid (voir ci-dessus), estimait - lors d'une conférence-débat organisée le 1er novembre 2004 à l'occasion du cinquantenaire de la « Révolution » - que « les harkis n'ont pas été tués par le FLN » et que « le principe de non-représailles a été scrupuleusement respecté ». « Les Français, ajoutait-il, avancent le chiffre de 250.000 harkis décimés (sic). Ce qui est faux. Il ne s'agissait que de règlements de compte dans des villages ». Et de conclure, à l'instar de Mohammed Yazid : « Les autorités algériennes les ont même protégés en les mettant à l'ombre après l'indépendance pour leur propre sécurité »1830(*).

Plus récemment encore, dans une interview accordée au Quotidien d'Oran en mars 2006, Ali Haroun, ancien responsable de la Fédération de France du FLN et membre du CNRA, affirmait que « le drame des harkis n'a pas été le fait d'une politique délibérée de vengeance et de règlements de compte ». Et il ajoutait : « Jamais un ordre de vengeance n'a été donné par le FLN. J'ai été membre du Conseil national de la révolution algérienne. Je peux attester que rien de tel n'a été décidé au sein des instances de la révolution. (...) Je peux vous affirmer qu'au niveau du FLN, il n'y a jamais eu d'ordre ou d'instruction appelant à en découdre avec les harkis. Si cette décision existe, qu'on me la montre ! ». Reprenant à son compte une ligne argumentative chère à certains historiens français (voir la Partie 1), Ali Haroun affirme du reste que le FLN - en proie à de violentes luttes de faction pendant l'été 1962 -n'existait plus en tant que tel au moment de l'accession à l'indépendance de l'Algérie : « Il n'y a plus de FLN à ce moment-là. Le mouvement a explosé le 6 juin 1962 au soir de la session inachevée du CNRA Tripoli. Pendant la période incriminée, il n'y a plus de direction du FLN capable de donner des ordres applicables sur l'ensemble du territoire national et même dans ses représentations à l'étranger. Dès lors, toute une série d'initiatives et d'attitudes sont prises à l'échelon de base ou individuel. Il est regrettable que l'on amalgame entre le FLN du temps de la guerre et ce qu'il en reste au plus fort de la période trouble ». Conclusion d'Ali Haroun, en tous points identiques à celles de ses anciens condisciples : « Les plus extrémistes, ceux qui ont commis le plus de mal à l'égard des harkis, ce sont les résistants de la 25ème heure. Ceux qu'on appelle les «Marsiens» »1831(*). Nous ne reviendrons pas en détail sur les commentaires qu'appellent les propos d'Ali Haroun (voir les réponses apportées à ce type d'argumentaire dans la Partie 1). Quelques remarques simplement : (1) l'idée qu'il n'existait, au cours de l'été 1962, aucun échelon de commandement intermédiaire entre la direction centrale du FLN et « l'échelon de base ou individuel » est démenti par le fait même des luttes de factions ; (2) ces luttes de factions n'ont pas détourné les wilayas de l'optique d'une épuration mais, au contraire, ont entraîné une course à la surenchère de ce point de vue ; (3) Ali Haroun fait totalement l'impasse sur la deuxième grande vague de massacres (octobre-novembre 1962), perpétrée par l'ANP plusieurs semaines après qu'un gouvernement eût été constitué autour d'Ahmed Ben Bella et de l'état-major de l'armée des frontières (placée sous le commandement de Houari Boumediene), de même qu'il fait l'impasse sur l'existence de plusieurs dizaines de camps d'internement, de torture et de travaux forcés répartis sur l'ensemble du territoire algérien.

Cependant, ce qui importe ici, ce sont les implications évidentes d'un tel déni : le FLN n'ayant rien à se reprocher quant aux massacres de l'après-indépendance, et ceux-ci ne pouvant dès lors constituer une violation caractérisée de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian, les autorités algériennes n'entendent naturellement pas demander pardon. Du reste, ces mêmes autorités, n'ont de cesse de flétrir ouvertement les anciens harkis, signifiant clairement qu'il appartient à ces derniers - et à ces derniers seuls - d'assumer le poids de la dette ; et signifiant implicitement que si la question du pardon devait se poser un jour, elle se poserait en termes de pardon "octroyé", non de pardon "demandé". Le fait du prince, donc, telle cette politique d'artifice qui, feignant d'avoir tiré leçon du passé pour surmonter la crise actuelle, ne fait que perpétuer - d'une génération l'autre - une même logique de désignation de l'ennemi intérieur (et de fuite des responsabilités). Ali Haroun :

« On devrait dépassionner le débat. Le problème se pose moins pour les harkis - le plus jeune doit avoir 70 ans - que pour leurs enfants. A mes yeux, il faut reconsidérer autrement le débat pour deux raisons au moins. La première : on n'est jamais responsable des faits et gestes de ses parents. Deuxième raison : aujourd'hui, les enfants de harkis se sentent rejetés. Ils sont assis entre deux chaises, n'ont plus de référents et sont, hélas !, une proie facile pour l'intégrisme »1832(*).

Ce schéma dilatoire visant à assimiler les islamistes armés à des enfants de harkis (comme s'il ne pouvait y avoir de dissensions internes entre "vrais" Algériens) est en cours, nous l'avons dit, depuis le début de la deuxième guerre d'Algérie, et revient généralement en force à l'approche des échéances électorales. Il avait ainsi connu un regain spectaculaire au moment de la campagne référendaire visant à ratifier le projet de « Charte sur la paix et la réconciliation nationale ». A plusieurs reprises au cours de sa tournée pré-référendaire, à l'été 2005, le président Bouteflika avait joué de cette dialectique entre une posture de la "magnanimité" se voulant en rupture avec les temps fondateurs, et une logique de l'incrimination qui s'inscrivait dans leur continuité - dans leur pleine "filiation", devrait-on dire. Ainsi, le 8 septembre 2005, à Oran :

« Nous avons commis des erreurs à l'encontre des familles et des proches des harkis et n'avons pas fait preuve de sagesse. Nous avons suscité en eux un sentiment de haine et de rancoeur, portant ainsi un préjudice au pays ». Préjudice moral ? Certes non : « Une grande partie de la crise qu'a connue le pays est due à cette très grave erreur »1833(*).

Des propos en tous points identiques à ceux tenus par ce même Abdelaziz Bouteflika, six ans plus tôt, à l'occasion de la campagne référendaire de la « Loi de concorde civile » (voir plus haut). Puis, dans la foulée de son intervention à Oran, répondant à une question d'un lycéen, le 10 septembre 2005 à Blida :

« L'Etat n'a pas traité de manière convenable la situation des harkis. Quel est le tort des enfants de harkis aujourd'hui ? Ils peuvent venir en Algérie et repartir librement ! Ils sont les bienvenus à condition qu'ils ne créent pas la zizanie », ajoutant par ailleurs que la question des harkis proprement dits avait été « définitivement tranchée »1834(*).

Des propos d'Ali Haroun et du président Bouteflika, il ressort cette même ambiguïté calculée entre volonté de rupture avec le passé (« L'erreur serait de tenir rancoeur aux enfants de harkis »1835(*)) et éternel ressassé des antiennes fondatrices (« On devrait agir avec plus d'objectivité pour retirer cette écharde qui constitue un véritable piège »1836(*)). Avec deux constantes : l'une, allusive ou implicite, consistant à assimiler les islamistes armés visés par le projet de « Charte sur la paix et la réconciliation nationale » (et, avant cela, par la « Loi de concorde civile ») à des enfants de harkis, et donc à expliquer les impasses de l'Algérie post-coloniale non par les effets différés de la visée hégémonique et de la culture de guerre véhiculées par le FLN et ses héritiers, mais par la perpétuation d'une seule et même causalité maléfique, à savoir : l'existence d'une "cinquième colonne" uniment attachée, d'une génération l'autre, à la destruction de l'Algérie ; l'autre, très explicite, consistant à pourfendre sans faiblir la figure du harki, à la maintenir - aujourd'hui comme hier - délibérément et fermement à distance pour éviter d'attenter de quelque manière à la geste officielle de la guerre d'Algérie, la légitimation du système ne tenant - en dernière instance - qu'à la perpétuation à l'identique du roman national. Du reste, cinq jours seulement après qu'Abdelaziz Bouteflika avait déclaré (à Oran) regretter les « erreurs » commises à l'indépendance à l'encontre des familles de harkis tout en alléguant qu' « une bonne partie de la crise actuelle [était] due à ces erreurs », Saïd Barkat, ministre de l'agriculture, s'emploiera dans cette même ville d'Oran (et sous les ovations nourries du public, note la journaliste du Monde) à lever les ambiguïtés attenantes à ce discours de l'entre-deux :

« La majorité du peuple algérien est contre la venue des harkis en Algérie car ce sont des traîtres à leur pays et à leur nation. Quant à leurs enfants, ils seront les bienvenus à condition qu'ils reconnaissent de facto les crimes de leurs parents », ajoutant qu'à ses yeux les harkis étaient « des vendus et de vieux gradés de la honte »1837(*).

Des propos en droite ligne de ceux tenus par Abdelaziz Bouteflika lors de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, et qui confirment qu'en Algérie ne sont présentement réunies ni les conditions de réciprocité (quant à la reconnaissance des anciens harkis comme interlocuteurs) ni les conditions d'imputabilité (quant à la reconnaissance des responsabilités attenantes au massacre des harkis) nécessaires au cheminement et à la mise en branle d'une politique du pardon, bien au contraire puisque le poids de la dette est entièrement rejeté sur les épaules des ex-supplétifs de l'armée française, le FLN n'étant coupable - à la différence de ces derniers - d'aucun crime. Enfin, les enfants de harkis - s'ils entendent regagner et être "acceptés" en Algérie - n'ont d'autre choix que de « prétendre devenir des Algériens à part entière »1838(*), c'est-à-dire de « reconnaître les crimes de leurs parents »1839(*).

2) La France dans l'ombre d'un grand Français, ou la difficulté de faire sourdre un passé occulté sans mettre en cause la réputation consensuelle du général de Gaulle

En France, l'idée d'une reconnaissance officielle de la responsabilité de l'État français dans l'abandon au massacre des harkis - l'une des principales revendications portées par le monde associatif - se heurte à l'intangibilité d'une imagerie d'État rétive, par sa nature même, à toute forme d'examen de conscience. Certes, cette revendication se fonde sur un précédent : la reconnaissance par Jacques Chirac de la responsabilité propre de l'appareil d'État français dans la politique de persécution et dans la déportation des Juifs sur et à partir du territoire national entre 1940 et 1944. Cependant, pour ce qui a trait à la phase finale de la guerre d'Algérie, une telle revendication mettrait en jeu la réputation désormais consensuelle du général de Gaulle, et n'est sans doute pas susceptible - pour cette raison - d'être satisfaite à court ou moyen terme. Une difficulté - la difficulté d'ébranler la "statue" du général de Gaulle - dont Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière, a pleinement conscience :

« (...) Le fond, je pense, c'est que les gens... si tu reconnais ouvertement qu'il y a eu quelque chose à ce moment là, les harkis, c'est que... il s'est passé quelque chose, il y a quelque chose dans la marmite : ils vont vouloir voir ce qui s'y passe, et y'a pas toujours de belles choses... on est les premiers pour savoir ce qu'il s'est passé. Et s'il y a quelque chose, il va falloir désigner des responsables. Et comme... le premier en... pour ne pas le nommer [rires], le plus haut placé, c'est de Gaulle, donc... si tu veux, ça entraîne beaucoup trop de choses à l'heure actuelle. Ce qui risque de se passer, à mon avis, c'est que... quand on aura dépassé... disons, que tous les responsables qui étaient à ce moment là, et qui auront disparu, on pourra, peut-être, entrebâiller. Entrebâiller. Parce que je pense que le mythe de Gaulle, eh ! bien, pour le remettre en cause, ça va être un peu dur, hein ».

De fait, la politique de "sortie de crise" finalement privilégiée en la circonstance a presque toujours été présentée et louée - y compris par les adversaires politiques du général de Gaulle - pour son "pragmatisme". Parce qu'autorisant la France politique à sortir du « bourbier » algérien tout en semblant simultanément satisfaire au principe du droit à l'autodétermination des peuples, les accords d'Evian ont été présentés comme le témoignage et la condition de la « grandeur » retrouvée par les "gardiens" de la mémoire gaullienne et l'historiographie officielle1840(*), mais encore comme un « immense soulagement » par ceux qui se situent dans le sillage des "opposants" à la guerre d'Algérie1841(*). Or, l'explication globalisante selon laquelle le général de Gaulle aurait réinscrit la France dans le "sens de l'Histoire" et préservé ses intérêts "vitaux"1842(*) en parachevant le processus de décolonisation en général, en dénouant le drame algérien en particulier, n'est recevable comme telle que si elle s'abstrait des conséquences humaines imputables aux modalités pratiques d'exercice de cette politique. Le désengagement brutal de la France de toute opération de maintien de l'ordre en Algérie - à peine plus de trois mois après la conclusion du cessez-le-feu - témoigne de ce que la prévention des heurts diplomatiques avec l'Algérie prévalait clairement sur la prévention des atteintes aux personnes. Les déclarations du général de Gaulle lors du Conseil des ministres du 4 mai 19621843(*), mais encore - entre autres - la note du 24 août 1962 du commandant supérieur des forces Françaises en Algérie à l'adresse du commandant supérieur de la base logistique de Mers-el-Kébir1844(*), déjà cités dans la Partie 1, en sont de clairs témoignages. L'exaltation du "pragmatisme" gaullien (i.e. de la capacité du chef de l'Etat à dénouer politiquement le drame algérien), mais encore la célébration de la "paix" retrouvée, reposent ainsi sur l'occultation du lourd tribut payé par les musulmans pro-français et de nombreux Européens d'Algérie à la réorientation de la politique de grandeur de la France. Donc sur une grille de lecture strictement "westphalienne" des tenants et aboutissants du conflit algérien.

A l'inverse, poser la question du pardon impliquerait de rendre compte de la trame de la "disparition" des harkis, donc de faire retour sur les arbitrages éthiques ayant présidé à la politique de « dégagement » telle que visée et entreprise par le chef de l'Etat et ses ministres. Ces arbitrages, quels furent-ils ? La politique de « dégagement » commandait de découpler les dispositions touchant aux intérêts "stratégiques" de la France (bases militaires, centres d'expérimentation, gisements pétrolifères, etc.) de celles relatives à la sécurité des personnes (pieds-noirs et musulmans pro-français), de loin les plus lourdes à mettre en oeuvre. Car celles-là seules, qui - par leur nature - dépassaient le cadre proprement algérien, servaient semble-t-il la réorientation de la politique extérieure de la France. De fait, dans un monde bipolaire où les possessions impériales n'avaient plus guère valeur d'attributs de grandeur et de puissance dans le concert des nations, de Gaulle, qui s'apprêtait à retirer la France de l'intégration militaire (ou processus de planification de défense) au sein de l'OTAN, s'était persuadé que la recherche de tierces alliances - donc de meilleures relations avec le bloc des « non-alignés » - était nécessaire au maintien du rang de la France dans le monde. Dans cette optique, le maintien - même momentané - de relations étroites avec les Français d'Algérie et les musulmans non-inféodés au FLN (notamment pour s'assurer du respect de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian), était conçue par le chef de l'Etat comme une forme d'ingérence inopportune, car préjudiciable à ses desseins diplomatiques. La politique de « dégagement » impliquait, par conséquent, que la France se désengageât de l'application des dispositions relatives à la sécurité des personnes - les "opérations de police" étant la composante même du « bourbier » algérien - et s'en remette, en l'espèce, au bon vouloir du futur État algérien. Aussi, pour solennelles et rassurantes que furent les exégèses officielles au moment de la conclusion des accords d'Evian, jamais l'armée française - qui stationna pourtant en Algérie jusqu'en juin 1964 - ne reçut l'ordre d'intervenir pour secourir ceux qu'elle avait irrémédiablement "compromis". Pas davantage, elle ne reçut l'ordre d'intervenir pour secourir les milliers de pieds-noirs enlevés après l'indépendance et qui, à l'instar des harkis, connurent un sort effroyable. « Les intérêts stratégiques de la France, écrit Guy Pervillé, furent de loin les mieux respectés (...). Les dernières troupes de l'armée de terre furent évacuées en juin 1964 et toutes les bases concédées [par l'Algérie] furent rendues avant terme, au moment où le gouvernement français avait cessé de les juger indispensables (les sites sahariens en 1967, Mers-el-Kébir en 1968, Bou Sfer en 1970) ». Cependant, ajoute-t-il, « l'honneur [de la France] a, dans le même temps, souffert de l'abandon de trop de ses ressortissants et de ses partisans à des vengeances prévisibles. Les intérêts des Français d'Algérie ont été sacrifiés à ceux (énergétiques et stratégiques) de la métropole »1845(*). De fait, en dépit d'« actes contraires aux garanties d'Évian [sur la sécurité des personnes] et incompatibles avec une coopération sereine », et en dépit de « la révision permanente [des accords d'Evian] qu'exigeait l'Algérie », « De Gaulle presque seul imposa la poursuite d'une coopération qu'il voulait exemplaire [avec l'Algérie indépendante] afin de rétablir le prestige français dans le monde arabe et le Tiers Monde »1846(*). Guy Pervillé ajoutant : « Les intérêts essentiels de la France ne se confondaient plus avec ceux de ses ressortissants »1847(*). À cet égard, certaines déclarations du général de Gaulle en Conseil des ministres - outre celle du 4 mai 1962, précédemment mentionnée - sont des plus significatives1848(*).

Pour Alain-Gérard Slama, « le fondateur de la Vème République a négocié à la hâte, sans égard pour le coût humain de son impatience »1849(*). De même, pour la sociologue Dominique Schnapper, qui fut directrice de thèse de Mohand Hamoumou, « ce que nous apprennent les travaux des historiens, c'est que le chef de l'Etat ne s'embarrassait pas de considérations morales. (...) Désormais, la France, débarrassée de la dernière guerre coloniale, était libre de se consacrer à la grande politique mondiale »1850(*). Partant d'une même analyse mais aboutissant à des conclusions différentes, Paul-Marie Coûteaux, ancien gaulliste "de gauche"1851(*), actuel député européen élu sous l'étiquette du Mouvement Pour la France (MPF), président d'honneur du Rassemblement pour l'Indépendance et la Souveraineté de la France (RIF) et auteur de Génie de la France, de Gaulle philosophe (Paris, J.-C. Lattès, 2002), estime pour sa part que « derrière la question de De Gaulle, se pose celle de la France. Pour ou contre de Gaulle, c'est pour ou contre la France ou plus exactement la grandeur de la France, ce qui à mes yeux revient au même. (...) De Gaulle est le symbole de ce qui est fort et volontaire dans une période qui doute. Il incarne l'Histoire et ses risques dans un temps qui n'aime ni les risques ni l'Histoire. Toute la question est là. Est-ce qu'on accepte la France comme un objet de noblesse avec la volonté opiniâtre de faire l'Histoire en assumant ses risques, comme l'affaire des harkis ? Ou fait-on passer la France en jugement permanent en ne retenant que ses fautes ? (...) De Gaulle a consacré sa vie à une logique qui est celle de la politique. Cette logique ne va pas sans grandeur, ni sans risque. La vie aussi tue ! ». Et il ajoute : « Il est vrai que de Gaulle n'avait pas pour les Arabes en général une passion débordante ; il était comme Jeanne d'Arc qui aimait les Anglais, à condition qu'ils restent chez eux... »1852(*).

A bien des égards, le cas d'espèce de la destinée faite aux anciens harkis s'offre comme un "cas limite", illustratif des impasses fondamentales auxquelles peut se heurter la poursuite d'une politique de grandeur qui, conçue de manière essentiellement "holistique", abstrairait le rayonnement du "tout" de la somme des bien-être - de la réduction des malheurs - individuels. « L'affaire des harkis » a-t-elle vraiment été « assumée », comme le suggère Paul-Marie Coûteaux ? Ces arbitrages, cette certaine idée de la France et des fondements de la "raison d'Etat"1853(*), les responsables politiques sont-ils aujourd'hui prêts à en débattre ouvertement, et à en explorer les failles ? Une parole ou une politique du pardon à l'adresse des anciens supplétifs, au nom de l'Etat français, sont-ils envisageables ? Autrement dit, la revendication portée par la quasi-totalité des associations de harkis et collectifs d'envergure nationale, à savoir : la reconnaissance par l'Etat français de sa responsabilité propre dans l'abandon au massacre des anciens supplétifs de l'armée française (sur le modèle des propos prononcés par Jacques Chirac le 16 juillet 1995, à l'occasion du 53ème anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver1854(*)), est-elle susceptible d'être satisfaite à court ou moyen terme ? Il reste en fait nombre d'hypothèques à lever dans cette perspective. Certes, des entailles à la "carapace" confortable du "discours de la méthode" gaullien ont pu être portées ici et là, mais sans volonté véritable de créer un effet de rupture . Ainsi en va-t-il de Jacques Chirac qui, à l'occasion de la première Journée d'hommage national aux harkis, le 25 septembre 2001, reconnaissait que « la France n'a[vait] pas su protéger ses enfants », mais sans aller au-delà dans l'explication de texte, et sans davantage y revenir les années suivantes, Jacques Chirac se faisant désormais représenter par son Premier ministre (ou son ministre de la Défense) en cette circonstance. Pour sa part, Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et ancien officier de l'armée d'active pendant la guerre d'Algérie, a certes prononcé des paroles plus nettes que celles du président de la République, mais sans que celles-ci soient susceptibles de rencontrer un écho et d'être revêtues d'une portée symbolique comparables :

« L'armée française comme le FLN ne leur ont pas dit la vérité. A partir du 19 mars 1962, à chaque fois que les unités françaises se retiraient, il y avait des exactions. C'était une période curieuse, où le plus grand désordre régnait. J'ai moi-même pris l'avion et je suis rentré car je n'avais plus d'ordre ». Et il ajoute : « La France n'a pas tout entrepris pour protéger ceux qui l'avaient servie. Nous n'avons pas fait notre devoir jusqu'au bout. Je ne sais pas si aujourd'hui nous pouvons les regarder en face : c'était une responsabilité collective. Il existait à l'époque une sorte de naïveté étatique qui consistait à croire que les accords d'Evian seraient respectés. Or, le FLN n'a pas tenu parole. Et la France, elle, n'a pas suffisamment exigé le respect de ce traité alors qu'elle en avait les moyens »1855(*).

Des paroles fortes mais qui, jouant sur le registre de la « naïveté étatique » (à cette aune, les autorités auraient été prises de cours par le déchaînement des violences), se gardent d'envisager - et moins encore de reconnaître - que cette politique dite de « dégagement » fût le fruit d'arbitrages délibérés (voir la Partie 1) visant, au nom d'une certaine conception de la raison d'Etat (et en toute connaissance de cause quant aux conséquences induites), à précipiter le transfert de souveraineté et, ce faisant, à privilégier l'exercice des garanties afférentes au maintien de certains attributs de puissance (sites d'expérimentation nucléaire, gisements pétrolifères, bases d'expérimentation d'armements chimiques, bases navales, etc.) sur l'exercice des garanties afférentes à la sécurité des personnes, entièrement abandonné au bon vouloir des nouvelles autorités algériennes.

Du reste, ces quelques ouvertures ponctuelles, éminemment liées aux circonstances (dans le cas de Jacques Chirac) ou à l'itinéraire personnel des intéressés (dans le cas d'Hamlaoui Mekachera), ne sont pas grand-chose au regard du poids de la geste gaullienne (et de ses silences consacrés), ce dont témoigne la ferme résistance opposée au cheminement de « l'esprit de pardon » par l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle, Pierre Messmer, dernier protagoniste vivant du gouvernement alors en place, dont le rôle fut prééminent dans le sort fait aux anciens supplétifs (voir la Partie 1), mais encore de l'amiral Philippe de Gaulle, le propre fils du général.

Ce dernier, dans une interview parue en 2004 dans le Midi libre à l'occasion de la sortie du deuxième tome de ses mémoires1856(*) s'était élevé contre ceux qui accusent son père « d'avoir abandonné les Français d'Algérie », ajoutant : « Et puis tout le monde ne voulait pas partir, comme ces cent mille harkis qui ont rejoint l'armée algérienne »1857(*). Sans que l'on sache très bien s'il contestait par là le fait même du massacre ou s'il en imputait la responsabilité au manque de discernement des intéressés, qui se seraient en quelque sorte "jetés dans la gueule du loup".

De même (quoique usant d'autres arguments que celui du ralliement en masse à l'ALN), l'ancien ministre des Armées, Pierre Messmer, laisse rétrospectivement entendre que « beaucoup de harkis ont refusé de venir en France ». Il ajoute qu' « en restant en Algérie, ils percevaient une forte prime de démobilisation » dont ils prétendaient « profiter » pour « construire des fermes ou agrandir leurs exploitations ». Ne touchant mot de l'exégèse des accords d'Evian faite sur le moment par les autorités françaises (exégèse gonflée d'optimisme), ni des efforts déployés par ces mêmes autorités pour inciter leurs anciens serviteurs d'armes musulmans à préférer la solution du recasement plutôt que celle du transfèrement vers la France (la proposition d'engagement dans l'armée française étant par surcroît réservée aux seuls célibataires), Pierre Messmer ajoute : « Nous ne les avons pas laissés tomber. C'est eux qui, trompés par les promesses de mansuétude du FLN, ont choisi de se faire démobiliser. Très peu d'entre eux ont accepté la proposition d'engagement dans l'armée que nous leur avons faite. La raison est qu'ils n'avaient pas envie de s'éloigner de leurs villages ». Ce disant, Pierre Messmer en vient naturellement à établir « une hiérarchie dans les responsabilités » qui, par extraordinaire, pointe la naïveté des victimes elles-mêmes avant que d'incriminer la politique de « dégagement » entreprise par son gouvernement : « Le principal responsable, c'est le FLN, qui a trompé les harkis et les a massacrés ; ensuite, ce sont les harkis eux-mêmes qui se sont laissés tromper ; en troisième lieu, ce sont ceux qui n'ont pas été les délivrer pour ne pas mettre en danger le cessez-le-feu [entendre le gouvernement français] »1858(*). Une analyse qui, on l'a vu, est peu ou prou celle de l'historien Charles-Robert Ageron.

Pierre Messmer explique qu'« un accord avait été négocié et [qu']il était naturel de penser qu'il serait respecté ». Et il ajoute : « La bonne foi des signataires français a été totale »1859(*). Il précise en outre qu'« à cette époque, les chefs du FLN usaient de tact et de souplesse, affirmant aux supplétifs qu'il n'y aurait aucune représailles à leur encontre après la guerre » et que « lorsque, quelques semaines plus tard, [le FLN] a jeté le masque, le repliement des harkis a tout de suite été mis en place »1860(*). En somme, l'ancien ministre des armées, usant du registre de la bonne foi abusée, explique que les autorités françaises ont été prises de cours, rien selon lui ne pouvant laisser supposer a priori que le FLN trahirait les engagements pris à Evian. En supposant même que cette déclaration fût sincère, on s'étonne de ce que Pierre Messmer, plutôt que d'en tirer rétrospectivement des leçons sur la manière dont ont été conduites les négociations par les autorités, stigmatise l'attitude des « harkis eux-mêmes qui se sont laissés tromper ». Cette explication, qui s'autorise elle aussi d'une certaine naïveté, a d'ailleurs tout d'une construction rétrospective puisque, nous l'avons vu dans la Partie 1, les négociateurs d'Evian et leurs conseillers étaient parfaitement avertis de la duplicité du FLN. Du reste, sans souci apparent de la contradiction, Pierre Messmer déclare dans la foulée que « la question ne se posait pas en termes de confiance, car je n'en avais strictement aucune à l'égard du FLN »1861(*). Dans ces conditions, comment Pierre Messmer pouvait-il penser qu'il était « naturel » que les accords d'Évian fussent respectés s'il n'avait aucune confiance dans ses interlocuteurs ? Par surcroît, comment pouvait-il, sur ces bases, inciter ses anciens serviteurs d'armes à regagner leurs foyers ? Des confidences en parfait décalage avec le ton des tracts distribués par l'armée française à ses supplétifs au moment de leur démobilisation (« Harkis ! À l'heure de la paix, le blé vaut plus cher que les cartouches », etc. ; voir la Partie 1).

Par ailleurs, comment expliquer que les forces militaires encore stationnées en Algérie après l'indépendance ne soient pas intervenues pour secourir les harkis effectivement persécutés par le FLN, en violation ouverte des clauses de non-représailles contenues dans les accords de cessez-le-feu ? L'explication rétrospective donnée par Pierre Messmer a le mérite de la franchise : « Toute la question était de savoir si nous allions réoccuper des villages pour sauver quelques familles de harkis, au risque de relancer la guerre. Le général de Gaulle a tranché : il n'en était pas question ». Il ajoute : « Il s'agissait de savoir si nous voulions finir une guerre de décolonisation, ou si nous voulions la continuer. Il est vrai que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles. Cet épisode m'a plongé dans une grande tristesse mais, lorsqu'on gouverne, il faut choisir »1862(*).

Ces derniers propos apportent une lumière décisive sur ce que fut - officieusement - la stratégie gouvernementale à l'égard des anciens supplétifs et de leurs familles : 1) dans l'interview donnée au Monde, Pierre Messmer affirme à la fois qu' « il était naturel [pour le gouvernement] de penser que cet accord serait respecté » (registre de la bonne foi abusée), puis - sans souci apparent de la contradiction - qu'il était clair dans son esprit « que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles » (ce qui fragilise a contrario le scénario d'un gouvernement dépassé par les événements) ; 2)  il confirme en outre que la décision de ne pas secourir les harkis effectivement persécutés après l'accession à l'indépendance de l'Algérie procédait bien d'un « choix », pris au plus haut niveau, et non d'un défaut d'information ou d'une foi aveugle en l'avenir.

Le point clef, ici, c'est ce choix de « ne pas relancer les hostilités » tout en sachant que cela « pouvait avoir des conséquences terribles ». Le parti pris est clairement exposé - mais seulement rétrospectivement - par l'ancien ministre des Armées : la "paix des officines" plutôt que la paix civile. Autrement dit, le choix a consisté à sacrifier les conditions d'un retour effectif à la paix civile (en abandonnant les conditions initialement définies - de 1958 à 1960 - par le général de Gaulle lui-même1863(*)) pour hâter les conditions d'une normalisation diplomatique. Pas de période de transition, donc, mais une politique de « dégagement » (dixit de Gaulle) dont les responsables étaient parfaitement à même d'anticiper les conséquences1864(*). Un « choix » clair et délibéré (« lorsqu'on gouverne, il faut choisir » ) que ne saurait occulter le scénario de la bonne foi abusée (« Un accord avait été négocié, et il était naturel de penser qu'il serait respecté »).

Des propos qui amènent à s'interroger sur les fondements de la raison d'État qui ont prévalu à cette occasion. De fait, ce « choix » de fermer les yeux sur le massacre de dizaines de milliers d'anciens harkis et membres de leurs familles - « quelques familles de harkis », dit Pierre Messmer - plutôt que d'intervenir pour les secourir au risque de « relancer la guerre » illustre de manière dramatique ce que recouvre traditionnellement la notion de "raison d'État". Une notion tout entière contenue dans celle de "real politik" mais dont on ne peut dire - sans s'interroger au cas par cas - qu'elle est une politique "réaliste", et moins encore une politique de raison. Les explications de l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle éclairent également d'un jour nouveau les polémiques rétrospectives autour de la notion d' « abandon », fréquemment utilisée (mais aussi contestée, par Charles-Robert Ageron notamment ; voir supra) pour qualifier la politique gouvernementale à l'égard des anciens harkis. Elles vont en tout cas dans le sens d'une intentionnalité (Pierre Messmer marque de façon insistante les « choix » qui furent ceux du gouvernement) qui étaye plutôt qu'elle ne fragilise l'emploi de cette notion.

Cependant, l'ancien ministre des Armées, s'il reconnaît a posteriori que les conséquences de la politique de "sortie de crise" prônée en la circonstance par l'exécutif français « ne furent pas toujours honorables », ne remet pas pour autant en cause la conception de la "raison d'Etat" qui avait servi de fondement à cette politique. Dans son discours de réception à l'Académie française, le 10 février 2000, il assumait ainsi ouvertement la nécessité d'abstraire les conceptions holistiques du « bien et [du] repos de la patrie » des « conséquences douloureuses et pas toujours honorables » qui découlent sur le terrain de leur mise en application : « Pour le ministre que j'étais, il est dur et risqué d'ordonner à une armée invaincue sur le terrain un cessez-le-feu et un retrait que l'adversaire a été incapable de lui imposer et, ensuite, d'en gérer les conséquences douloureuses et pas toujours honorables. (...) Il y a des guerres justes mais il n'y a pas de guerre propre et, dans les grandes crises, nul ne gouverne innocemment. Pour le bien et le repos de la patrie, doit-on prendre le risque de perdre son âme ? »1865(*). La réponse implicite que l'on devine, Pierre Messmer l'avait donnée plus clairement à Marc d'Anna, qui l'interviewait en mars 1998 pour la revue électronique Nouvelle Liberté : « Malgré tous les drames (départ d'un million d'Européens, massacre de milliers de Harkis par les Algériens), la première période, qui suit l'indépendance et qui va jusqu'à la prise de pouvoir par les "durs", les rapports franco-algériens s'inscrivaient dans le cadre d'une certaine forme de collaboration. On pouvait encore travailler ensemble. Après la signature des Accords d'Evian en effet, nous restions à Mers-el-Kébir et dans le Sahara, en conservant ainsi une base de lancement pour nos fusées ainsi qu'un terrain d'essai de nos armes chimiques. Des Centres d'essais nucléaires étaient installés à In Ekker. Pendant cette période, les rapports étaient convenables. On évitait les drames »1866(*).

A cet égard, Jean-Marie Rouart (lui aussi membre de l'Académie française), dans un article intitulé « La froideur de la raison d'Etat » publié dans Le Figaro littéraire du 27 avril 2000, prenait le contre-pied de son nouveau condisciple en soulignant que « la sensibilité d'aujourd'hui qui tend à substituer l'humanitaire au politique, les droits de l'homme à la raison d'Etat, nous fait regarder d'un autre oeil la politique algérienne du général de Gaulle ». « La question, ajoute-t-il n'est pas de réveiller le débat sur l'indépendance de l'Algérie. (...) Mais quelle indépendance et dans quelles conditions ? Toute la question est là. La population française d'Algérie installée depuis cent trente ans et les militaires qui avaient cru aux engagements et aux promesses du pouvoir politique notamment en compromettant les supplétifs indigènes, les harkis, pouvaient-ils décemment être traités aussi sommairement ? On a rayé le passé d'un trait de plume ». Et de conclure : « A ces questions de simple humanité, de Gaulle a pris le parti de répondre par la politique de l'amputation à chaud. Tout grand homme a ses limites. Le Général pressé de restaurer l'image de la France, pressé de lui faire jouer un rôle sur la scène internationale, ne voulait pas que le drame algérien retarde le moment de cet engagement sur la scène mondiale. Au-delà de la question humanitaire, il semble que de Gaulle ait pris de grandes libertés avec une question qu'il aurait dû avoir à coeur de respecter : la parole de la France. (...) L'Etat n'a pas assuré son rôle. Il s'est soustrait à sa mission essentielle qui est de sauvegarder ses nationaux et de ne pas établir de distinction entre eux »1867(*).

Inversement, donc, pour toutes les raisons précédemment exposées par l'intéressé (responsabilité première du FLN et des harkis eux-mêmes dans la tragédie de l'après-indépendance, politique de « dégagement » conforme aux intérêts "vitaux" du pays), Pierre Messmer oppose une nette fin de non-recevoir à l'idée d'une quelconque repentance de l'Etat français à l'endroit des anciens harkis : « Ma réponse est non, catégoriquement non ! Les regrets sont à exprimer d'abord par le FLN, qui a massacré les harkis. Nous n'avons massacré personne ! ». Pour les mêmes raisons, Pierre Messmer s'offusque des actions judiciaires engagées ces dernières années par certaines associations et particuliers pour « crimes contre l'humanité », et qui visent notamment les responsables de la politique gouvernementale d'alors : « On s'apercevra que cette démarche est parfaitement absurde. Aussi bien juridiquement que moralement. Si l'on suit cette logique, il faut poursuivre les dirigeants du FLN, y compris certains ministres algériens en exercice. M. Bouteflika est un ancien FLN, et je le tiens pour l'un des principaux complices des crimes commis contre les harkis »1868(*). De même, deux ans après, dans une interview accordée à l'hebdomadaire Valeurs actuelles : « S'il y a une autorité contre laquelle les harkis devraient porter plainte, c'est le gouvernement algérien et en particulier le FLN qui, à l'époque, contrôlait le gouvernement algérien. C'est le FLN qui a massacré les harkis et par conséquent, c'est lui le principal coupable. Ce que l'on peut reprocher à la France, c'est en quelque sorte la non-assistance à personne en danger. Mais s'il y a eu «crime contre l'humanité», ce crime est celui du FLN et pourtant, personne ne poursuit le FLN »1869(*).

Or, c'est précisément cette « non-assistance à personne en danger » - que Pierre Messmer semble tenir pour relativement accessoire (en tout cas non susceptible de constituer un crime et de motiver des poursuites judiciaires) - que les anciens harkis et leurs enfants souhaitent voir officiellement reconnue : non pour en minimiser la portée, mais pour entendre une parole qui rétablisse (les faits) et qui répare (les termes de l'échange). Telle n'est pas l'optique de Pierre Messmer. Dès lors, au regard de l'incommensurabilité des points de vue (donc du difficile cheminement de « l'esprit de pardon » dans les rapports entre la communauté harkie et l'Etat français), et de l'impossibilité corrélative de réparer les termes de l'échange sur d'autres bases que le modèle "assistanciel-cérémoniel", ceux qui se font les porte-voix de la communauté harkie ont de plus en plus fréquemment recours à ce que Sandrine Lefranc appelle le « tiers de justice »1870(*) : pour faire mémoire, envers et parfois contre l'Etat. En 1998 déjà, trois ans avant que le président du Comité national de liaison, Boussad Azni, ne dépose la première plainte pour crimes contre l'humanité (voir ci-dessous), Ahmed nous faisait part de son impatience d'aller au-delà du schéma assistanciel-cérémoniel afin que la question de l'imputabilité ne puisse être éludée :

« Mais moi j'aimerais qu'un jour le gouvernement de l'époque soit traîné en justice. Y'a pas eu vraiment de reconnaissance de la nation comme quoi y'avait des erreurs qui avaient été commises au moment des accords d'Evian. Bon, si tu veux Jacques Chirac, il reconnaît le sacrifice des harkis et tout, mais nulle part il dit que De Gaulle il nous a laissés tomber là-bas, que le gouvernement de l'époque il a laissé massacrer 350.000 personnes (sic). J'veux dire, pour moi c'est pas une reconnaissance, c'est presque si... si il nous distribue pas un bon point, comme ça, sans plus. Mais c'est pas ça qu'on demande. On a droit à quoi ? Un petit discours du président par lequel il reconnaît qu'on a été courageux ? C'est nos parents, nous on a rien à voir là-dedans. C'est pas ça, en fait. Oui, nos parents ils ont été courageux, et ils ont été honnêtes : ils ont tenu leur engagement envers la France. Maintenant... la France elle est loin d'avoir tenu les siens. Tant qu'il n'y aura pas une véritable reconnaissance de ce que nos parents ont fait en Algérie, ou de ce qu'ils ont subi plutôt, et de ce que, surtout, l'Etat français a fait en Algérie, c'est-à-dire l'abandon, tout ça, y'a pas de justice. Il peut pas y avoir de justice » (Ahmed).

- 3. Le strapontin judiciaire : le pardon mis en demeure ?

On assiste, depuis quelques années, à une rupture dans les logiques d'action collective de la communauté harkie, rupture marquée par la judiciarisation des revendications portées par cette communauté. De fait, les acteurs associatifs qui en sont issus, ou qui s'en réclament, ont multiplié les actions en justice, et ce principalement depuis l'été 2001. Ces actions, à la différence des procédures contentieuses classiques lancées pour régler des différends entre particuliers, ont une optique clairement revendicative, qui rompt avec le cours "normal" de la justice : l'idée est non seulement de faire justice mais aussi, et peut-être surtout, de faire mémoire. Le prétoire sert ici de strapontin politique et médiatique, et ce qui s'y exprime n'a pas vocation à y rester confiné, bien au contraire. Ainsi, pour Mohamed Haddouche, membre des instances dirigeantes de l'Association Justice Information Réparation (AJIR pour les harkis), à l'origine du dépôt d'une plainte pour apologie de crime de guerre à l'encontre de Pierre Messmer (voir ci-dessous), il est notoire que « le grand public connaît très mal cette page sanglante de l'histoire ». Et il ajoute : « Le sort des harkis massacrés alors que les forces françaises étaient encore présentes, reste tabou. Nous voulons enfin la vérité historique »1871(*). de même, pour Me Emmanuel Altit, l'un des avocats sollicités par les associations et familles de harkis dans l'optique d'engager des procédures contre X pour "crimes contre l'humanité et complicité", « il est un devoir que de tenter de faire connaître, sinon de réparer ces injustices ». Et il ajoute : « Le but de cette plainte est judiciaire, bien sûr, puisqu'il s'agit de lutter contre l'impunité. Mais elle est aussi pédagogique et thérapeutique »1872(*). D'où le malaise, exprimé par certains commentateurs, au sujet d'un mésusage ou d'un "abus" de justice. Nous y reviendrons.

Les actions entreprises se caractérisent par leur diversité, puisque l'on peut distinguer : des actions en diffamation - intentées par exemple à l'encontre du dessinateur de Charlie-Hebdo, Siné1873(*), de l'ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre Marcel Péju1874(*), mais encore de l'ancien Premier ministre, Raymond Barre1876(*) ; des plaintes pour apologie de crimes de guerre déposées à l'encontre de l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle, Pierre Messmer1877(*) ; enfin des plaintes déposées contre X pour « crime contre l'humanité et complicité », qui visent notamment à établir la co-responsabilité des autorités françaises de l'époque dans le massacre de dizaines de milliers d'entre eux à la suite de la conclusion des accords d'Evian et de la proclamation du cessez-le-feu1878(*). C'est surtout ce dernier type de plaintes qui fait débat, car ce sont ces plaintes pour « crime contre l'humanité et complicité » qui posent le plus crûment la question de la repentance, donc celle de la légitimité du recours à l'institution judiciaire comme modalité de gestion politique de la mémoire.

Ces actions ont toutes, ou presque, pour dénominateur commun - ou, plutôt, pour "détonateur" commun - l'émotion suscitée par les propos du président algérien Abdelaziz Bouteflika à l'occasion de sa visite d'Etat en France, en juin 2000 (voir supra). A la suite de la sortie non contrée - ou si timidement - du président algérien sur le territoire national, l'Etat comme tiers, garant de vérité et de justice ou, plus simplement, gardien de la mémoire nationale, est apparu définitivement discrédité aux yeux de nombre de représentants de la communauté harkie. « A cet instant, affirmait Boussad Azni, fils de harki issu de Bias et président du Comité national de liaison des harkis (à l'origine des premiers dépôts de plaintes pour « crime contre l'humanité » à l'été 2001), les harkis ont compris qu'ils n'étaient rien »1879(*). D'où cette multiplication des actions en justice, cette sollicitation de ce que Sandrine Lefranc appelle le « tiers de justice »1880(*) pour faire mémoire, envers et parfois contre l'Etat. Jusqu'alors, plusieurs voies avaient été explorées (manifestations, révoltes sporadiques et grèves de la faim principalement, ainsi que des actions de lobbying généralement peu ou mal relayées et coordonnées) qui n'avaient pu aboutir, au mieux, qu'à amener l'Etat à des hommages convenus et dilatoires : célébrer les « frères d'armes » (les harkis « soldats de la France ») pour mieux faire oublier les « frères que l'on désarme » (les harkis « victimes de la raison d'Etat ») ; distribuer des médailles pour mieux faire oublier le "revers de la médaille" : l'après-guerre, les feux mal éteints. Ainsi, pour Mohand Hamoumou, président de l'Association Justice Information Réparation (AJIR pour les harkis), « nous n'en serions pas là [NDA : au stade des actions en justice] si la France avait reconnu ses torts »1881(*). De même, pour Boussad Azni, « puisque la France veut faire la lumière sur la guerre d'Algérie, qu'elle assume cette histoire complètement, sans oublier les dizaines de milliers de harkis qu'elle a abandonnés en 1962 »1882(*). De ce point de vue, la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a constitué une nouvelle occasion manquée puisque les amendements - socialistes et centristes notamment - visant à officialiser la reconnaissance par la France de la responsabilité du gouvernement de l'époque dans l'abandon au massacre des harkis ont été rejetés par la majorité parlementaire (UMP).

Enfin, par-delà les contentieux spécifiquement liés à la destinée de la communauté harkie, ces actions prennent place dans un contexte où c'est l'ensemble des conflits de mémoire liés à la guerre d'Algérie qui cherchent dans le "strapontin judiciaire" un nouvel exutoire. En témoignent aussi bien le procès pour « apologie de crimes de guerre » intenté au général Aussaresses par la Ligue des droits de l'homme, le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples), le Rassemblement démocratique algérien pour la paix, et l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), que les plaintes déposées contre X pour « crimes contre l'humanité et complicité, enlèvements, séquestrations et détentions arbitraires » par l'association Jeune Pied-Noir et treize familles de disparus européens en Algérie. Il faut noter que les avocats en charge de ce dernier dossier - à savoir Me Emmanuel Altit et Me Philippe Reulet - sont également en charge de certaines des plaintes pour « crimes contre l'humanité » déposées contre X par des représentants de la communauté harkie.

Cette concomitance témoigne clairement de ce que le recours judiciaire apparaît désormais comme une modalité forte de la gestion et des usages politiques de la mémoire de la guerre d'Algérie. Mais pourquoi, au juste ? Que signifie cette sollicitation subite et tous azimuts de l'institution judiciaire plus de quarante ans après la conclusion des accords d'Evian et l'accession à l'indépendance de l'Algérie ? Que nous dit-elle de l'état des conflits, clivages, rancoeurs et frustrations nés dans et à la suite de la conclusion donnée à cette guerre ?1883(*) Et que nous dit-elle de la capacité des États à faire droit à la diversité des mémoires, à réconcilier les vécus et/ou à faire face à leur propre mise en accusation ? N'y a-t-il réellement d'autres moyens, aujourd'hui en France, de solliciter ou d'obtenir le pardon que de le "mettre en demeure", judiciairement s'entend ? Et qu'est-ce que ce pardon "arraché" - ce pardon qui veut faire justice - a encore à voir avec ce pardon "concerté" qui, sachant le tragique de l'irréversible et la disproportion du rapport des forces, veut dire et entendre plutôt que trancher (voir supra) ? Ne risque-t-il d'aviver les clivages plutôt que de les résorber ?

Pour ce qui concerne plus spécifiquement les actions en justice entreprises par les représentants de la communauté harkie, il est possible de décrire ce processus de judiciarisation du politique (et des conflits de mémoire) à travers un triple questionnement : en quoi ces démarches introduisent-elles une rupture dans les logiques d'action collective des représentants de la communauté harkie (section a.) ; Quels sont, factuellement, les ressorts juridiques mais aussi sociologiques de telles démarches, en particulier pour ce qui a trait aux dépôts de plainte contre X pour « crimes contre l'humanité et complicité » ? Autrement dit, au regard de la lettre et de l'esprit des lois d'amnistie - votées immédiatement à la suite de la conclusion des accords d'Evian pour la première (le 22 mars 1962), et le 31 juillet 1968 pour la quatrième et dernière (dite de « portée générale ») - ces démarches apparaissent-elles recevables ou, à l'inverse, totalement anachroniques ? (section b.) ; les actions en justice entreprises par des représentants de la communauté harkie participent-elles d'un mésusage de l'institution judiciaire, voire d'un "abus de justice", cette dernière étant sommée de trancher des conflits de mémoire là où elle ne devrait avoir vocation qu'à dire le droit ? Ou bien, à l'inverse, ces démarches offrent-elles un recours légitime aux victimes face au pouvoir d'obstruction des Etats - ces Etats dont Sandrine Lefranc nous dit qu'ils usent (et parfois abusent) de ce qu'elle appelle les « bâillons démocratiques »1884(*) (dont les amnisties sont l'exemple prototypique) aux fins d'interdire, dans les situations de criminalité bureaucratique notamment, la recherche et la sanction des responsabilités ? (section c.)

a) Les actions en justice : un nouveau répertoire d'action politique

Le renouvellement des formes de mobilisation collective (après des années d'émeutes sporadiques et de grèves de la faim) marquerait la "maturation" d'une génération - celle des enfants - qui prend conscience de ce que fut et de ce que représente, au plan politique, la destinée matérielle et symbolique de leurs parents ; et qui sait combien pèse, non seulement sur les anciens harkis et leurs familles, mais aussi sur les sociétés politiques algérienne et française dans leur ensemble, le traumatisme lié aux massacres de l'après-indépendance. Pour Me Emmanuel Altit, « on se retrouve aujourd'hui à la croisée de différentes générations. Les enfants ont moins à craindre que leurs parents. En leur donnant la parole, cette plainte marque le début de tout un processus ». Me Philippe Reulet considère pour sa part que l'initiative de ses clients est « la preuve d'une certaine maturité ». De fait, ceux qui se font les porte-voix de la génération des enfants, une génération mieux informée et dans l'ensemble mieux insérée socialement que celle des parents (en dépit de forts handicaps sur lesquels il n'est pas utile de revenir ici), insistent aujourd'hui au moins autant sur la nécessaire réhabilitation morale des pères et l'examen des responsabilités historiques que sur les luttes pour la dignité matérielle. L'on observe ainsi une forme de glissement sémantique (modalités d'action) et thématique (axes revendicatifs) des luttes entreprises. Après l'urgence du démantèlement des camps dans les années 1970, le moyen terme des aides spécifiques à la formation et à l'emploi pour les enfants dans les années 1980 et 1990, c'est au stigmate, à l'opprobre attachés à la qualité d'ancien harki (et même, parfois, de fils ou de fille de harki) que l'on entend désormais prioritairement s'attaquer : d'une part en mettant en exergue, dans leur complexité, les circonstances et les motivations de l'engagement des pères aux côtés de la France et, d'autre part, en dénonçant le sort qui leur fut réservé à l'issue de la guerre d'Algérie, et en pointant les responsabilités algériennes et françaises en la matière.

Témoigne de cette "maturation" militante l'évolution des formes de structuration des associations, ainsi que la réorientation de leurs options stratégiques : ainsi, d'un paysage éclaté, presque "paroissial" des structures associatives, essentiellement tournées vers l'action locale - entraide communautaire, médiation auprès des différentes entités administratives, etc. - l'on est passé à une situation marquée par l'émergence de structures ou de collectifs nationaux. Le collectif « Justice pour les harkis », présidé par Abdelkrim Klech (l'une des figures "historiques" du mouvement associatif1885(*)), s'est ainsi donné pour objectif « d'unir dans cette structure le maximum d'associations et de fédérations pour coordonner les revendications et les actions ». Il rassemble à ce jour une cinquantaine d'associations harkies et pieds-noirs, issues de la plupart des régions de France. Ainsi en va-t-il également du Comité national de liaison des harkis, présidé par Boussad Azni, autre figure phare du mouvement associatif (voir ci-dessus). Ces structures, dont la vocation est clairement fédérative et revendicative, ont pour idée-force d'agir sur le terrain de la réparation symbolique et historique. Ainsi, par exemple, l'Association Justice Information Réparation pour les Harkis (AJIR pour les harkis), qui fonctionne également sur un mode fédératif, place-t-elle au premier rang de ses objectifs « d'obtenir de l'Etat français qu'il exerce le devoir de mémoire qui lui incombe en reconnaissant officiellement la responsabilité du gouvernement de 1962 [dans les massacres de l'après-indépendance] ». Même hiérarchisation des revendications pour le collectif « Justice pour les harkis », qui place les luttes mémorielles avant les luttes matérielles et précise vouloir obtenir « des gestes symboliques des plus hautes autorités de l'Etat et un véritable accomplissement du "devoir de mémoire" de la nation ». Ces deux associations, à l'image de beaucoup d'autres (harkies et pieds-noirs), se sont en outre particulièrement attachées à empêcher que la date du 19 mars soit officiellement reconnue et célébrée en France comme date anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, précisément parce que les pogroms dont furent victimes nombre d'anciens harkis et membres de leurs familles à l'issue de la guerre d'Algérie (ainsi que les quelque trois mille enlèvements d'Européens officiellement dénombrés au printemps et à l'été 1962) furent bien la résultante d'une violation caractérisée du cessez-le-feu signé le 19 mars 1962 entre l'armée française et le Front de libération nationale (FLN) (voir l'Annexe n°4).

Ces évolutions organisationnelles et ces réorientations stratégiques s'accompagnent, nous l'avons dit, d'un renouvellement des formes de mobilisation collective, renouvellement dont la manifestation la plus éclatante est la sollicitation tous azimuts du tiers judiciaire, qu'il s'agisse de sanctionner des propos jugés outrageants (actions en diffamation et plaintes pour apologie de crime de guerre) ou d'établir et de sanctionner des responsabilités collectives (plaintes pour crime contre l'humanité). Ainsi, l'association AJIR, toujours elle, entend-elle s'attacher par priorité à « défendre en justice les intérêts moraux ou matériels de la communauté ou de l'un de ses membres, notamment pour réparer toute atteinte portée à son honneur ». En se plaçant sur le terrain de la dignité morale et de l'intervention judiciaire, il s'agit clairement, pour ceux qui opèrent en qualité d' « entrepreneurs identitaires »1886(*) au sein et au nom de la communauté harkie, de se déprendre d'une logique étroitement "assistancielle", visant à marchander ou à arracher quelque avantage immédiat directement auprès des pouvoirs publics. L'idée n'est plus de considérer les préjudices subis comme un dommage particulier mais comme un crime qui intéresse - et dont pâtit - la société française dans son ensemble. L'un des enjeux, de ce point de vue, est d'opérer ce que Sandrine Lefranc appelle « une montée une généralité, soit la conversion du "bruit" de la plainte en un langage éthico-juridique susceptible de rompre l'enfermement dans une identité close ». Or, ajoute-t-elle, « les exigences nées de cette position de surplomb ne peuvent être satisfaites qu'à la condition qu'une scène judiciaire soit accessible aux victimes »1887(*). Bien évidemment, il s'agit aussi, corrélativement, de décourager la mise en oeuvre par les pouvoirs publics d'une politique dite du bakchich. L'efficacité d'une telle politique explique l'échec relatif des formes d'action collective basées sur une logique de mise en demeure directe des pouvoirs publics : émeutes et grèves de la faim, notamment. Il n'est qu'à voir, pour s'en convaincre, les modalités de mise sur agenda et de "règlement" par les pouvoirs publics du problème posé par les grèves de la faim successives entreprises par des fils de harkis sur l'esplanade des Invalides entre avril 1997 et avril 1998, privilégiant systématiquement l'examen des situations individuelles des grévistes sur la négociation publique, suscitant le dépit du porte-parole du mouvement, Abdelkrim Klech (voir ci-dessus la section II.A.1 : « La relation d'aide institutionnelle »). Il est vrai, souligne Charles Cadoux, que si « la grève de la faim est un moyen de pression spécifique sur le pouvoir », « sa dimension politique n'est pas facile à cerner étant donné la diversité des motivations qui inspirent les grévistes de la faim »1888(*), lesquels peuvent tout à la fois rechercher un avantage individuel et viser la modification de la situation commune.

C'est précisément de cette marge d'indétermination dont jouaient les pouvoirs publics. Sandrine Lefranc note que « les harkis et leurs enfants, mobilisés pour obtenir reconnaissance, pensions, emplois et autres facilités, avaient pour principal interlocuteur le ministère des Affaires sociales, ce qui montre qu'ils ne constituaient pas tant, aux yeux des pouvoirs publics, un groupe "victime" de la guerre (ou du moins partie prenante de la guerre), qu'un groupe "d'immigrés" caractérisé par les difficultés de son "intégration", en dépit de leur nationalité française »1889(*). A cet égard, le recours à une institution tierce - en l'occurrence, le « tiers de justice » pour reprendre l'expression de Sandrine Lefranc - signifie d'abord la volonté des acteurs de sortir d'une logique de transaction directe avec l'Etat, laquelle, nous venons de le voir, encourt le risque de tourner au marchandage. A l'inverse, le recours judiciaire, sans abolir complètement la disproportion des forces avec l'Etat, la relativise et décourage au moins en partie les politiques de marchandage telles que précédemment évoquées ou, du moins, rend leur mise en oeuvre plus malaisée. Il faut donc, en l'espèce, considérer ces actions en justice moins comme des actes contentieux au sens strict ou traditionnel du terme que comme des modalités de gestion des jeux et enjeux de mémoire au sein et autour de la communauté harkie. On voit bien, notamment au regard des plaintes déposées contre X pour « crimes contre l'humanité et complicité », ou encore des plaintes pour « apologie de crimes de guerre » déposées contre Pierre Messmer, qu'il y a plus en jeu dans ces actions en justice que la simple responsabilité pénale des personnes (physiques ou morales) visées : c'est un jugement sur l'histoire aussi qui, d'une certaine manière, est attendu. Et c'est d'ailleurs bien cela qui, à son corps défendant, transparaît dans les propos de Me Philippe Reulet : « Il ne s'agit certes pas de faire l'Histoire devant une juridiction. Je ne suis pas pour la judiciarisation de l'Histoire. Mais nous voulons des comptes : qui a fait quoi, et pourquoi». Et l'avocat du Comité national de liaison des harkis d'ajouter : « La France, avant de se repentir à l'égard de ses ennemis d'hier, devrait le faire pour ceux qui l'ont défendue »1890(*). De même, les plaignants à l'origine de l'action intentée pour « apologie de crimes de guerre » à l'encontre de Pierre Messmer, notamment l'Association justice information réparation (AJIR) et Génération mémoire harkis (GMH), ont fait valoir que l'enjeu premier de cette procédure, par-delà même l'incrimination individuelle de Pierre Messmer, était de court-circuiter les représentations consensuelles véhiculées par le modèle assistanciel-cérémoniel : « Messmer n'est qu'un prétexte : nous voulons que la vérité historique soit rétablie et que la responsabilité indirecte des gouvernants de 1962 soit reconnue et déclarée officiellement. Et que la question des harkis ne soit plus traitée de façon purement sociale »1891(*). Au fond, l'objectif des plaignants et de leurs avocats est non seulement de poursuivre (au sens pénal du terme), mais aussi de proposer et, si possible, d'imposer de nouvelles clefs de lecture de la destinée et du sort fait aux harkis, en usant du prétoire comme d'un strapontin politique et médiatique. Il s'agit donc bien de "médiatiser" les luttes, au double sens du terme : d'abord parce que l'on recourt au « tiers judiciaire » ; ensuite parce que l'on s'efforce, par cette voie, de publiciser certains mots d'ordres. On entre donc ici dans une « logique de surabondance » qui, selon Sandrine Lefranc, rompt avec le « cours normal de la justice », à savoir « une justice qui incrimine, inculpe, prononce une sentence et sanctionne »1892(*). Le dépôt de plainte est ici plus largement conçu comme un "signe social".

Or, cette utilisation des tribunaux comme d'un strapontin politique et médiatique, et notamment les dépôts de plaintes contre X pour « crimes contre l'humanité et complicité », ne sont pas sans susciter de profondes réserves. Ainsi, dans un article publié par la revue Esprit et paru à l'occasion de la sortie du livre de G.-M. Benamou, Un Mensonge Français, Daniel Lindenberg, historien des idées et professeur à l'Université Paris VIII, avait soulevé la question des « procès rétrospectifs et de leur intérêt », pointant « la commode criminalisation ou même judiciarisation a posteriori de faits qui ne relèvent plus que du jugement des historiens. C'est faire, en effet, comme si, pendant des décennies (parfois depuis plus d'un demi-siècle), les horloges de l'histoire s'étaient arrêtées et que, brusquement, une machine morale à remonter le temps fonctionnait, mettant face à face les bourreaux et les victimes comme au 1er jour. Cela ne peut conduire qu'à des contresens et à des frustrations qu'il est ensuite impossible d'apaiser. (...) Faire comme si les amnisties et les réconciliations qui suivent les grands drames nationaux n'existaient pas, comme si à tout moment le devoir de mémoire devait entraîner la réouverture des plaies fermées à grand-peine, ne va pas de soi ». Et Daniel Lindenberg de juger ainsi « fantasmatique » l' « ouverture de procédures pour «crimes contre l'humanité» »1893(*).

De fait, n'est-ce pas un anachronisme que de vouloir rendre justice, quarante ans après, littéralement hors contexte ? Et est-ce bien la vocation de l'institution judiciaire que de trancher des conflits de mémoire ? Sans même qu'il soit besoin de mettre en doute la réalité du massacre des harkis, ni même - pour le moins - l'ambiguïté de l'attitude des autorités françaises à cette occasion, il est en effet permis de s'interroger sur la nécessité d'instruire judiciairement ce crime, à quarante ans de distance, lors même que les contemporains auraient jugé préférable d'amnistier l'ensemble des infractions commises au titre de l'insurrection algérienne d'une part, dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre d'autre part, précisément aux fins de dépénaliser les rapports entre les différents protagonistes du drame (littéralement : les "normaliser") et ainsi sortir d'une logique du ressentiment. Car s'il apparaît légitime de vouloir encore chercher à comprendre où sont les responsabilités du drame (pour l'histoire), d'aucuns estiment à l'inverse qu'il est à la fois contraire à la lettre et à l'esprit des lois d'amnistie d'assortir une telle recherche de la menace de poursuites pénales à l'encontre des responsables supposés. A cet égard, cependant, il nous faudra rappeler - avec Paul Ricoeur - que l'amnistie participe « des formes institutionnelles d'oubli dont la frontière avec l'amnésie est aisée à franchir »1894(*). De fait, l'amnistie vise non seulement à supprimer rétroactivement le caractère délictueux des faits auxquels elle s'applique, mais aussi, d'une certaine manière, à clore l'espace des débats : mesure d'apaisement mais aussi mesure d'oubli, sa légitimité comme son efficace sociale restent sujets à caution. Car la tentation est grande, pour les responsables politiques, de faire d'une mesure d'apaisement une mesure d'impunité. Aussi nous faudra-t-il éclairer la discussion des « abus de justice » pointés par Daniel Lindenberg par la mise en exergue de possibles « abus d'oubli » (Paul Ricoeur).

Ceci étant posé, et avant d'aborder les réserves de fond quant au mésusage ou à l'utilisation supposément "abusive" de l'outil judiciaire (notamment s'il s'agit, par la sollicitation du « tiers judiciaire », de défaire ce que le politique, dans un cadre démocratique, a déjà tranché), il apparaît nécessaire d'examiner plus avant les réserves fondées sur l'affirmation du caractère anachronique de ces démarches.

b) Les ressorts juridiques et sociologiques des actions en justice entreprises par des représentants de la communauté harkie

La thèse défendue par Daniel Lindenberg est confortée par la jurisprudence puisque, jusqu'ici, l'ensemble des plaintes pour « crimes contre l'humanité et complicité » déposées contre X par des représentants de la communauté harkie se sont heurtées à des refus d'informer de la part des juges, et cela pour deux raisons principales :

- D'abord en raison d'une stricte limitation du champ d'application pénale de la notion de « crime contre l'humanité », limitation qui a perduré, en France, jusqu'au 1er mars 1994 et l'entrée en vigueur du nouveau code pénal. Avant le 1er mars 1994, la notion de « crime contre l'humanité » était certes déjà intégrée à l'ordre juridique français. Mais elle ne l'était pas à la faveur d'une disposition de portée générale (comme c'est le cas désormais), mais du fait de l'intégration dans le corpus juridique français des dispositions du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg, lesquelles ne concernent que les faits commis pour le compte des pays européens de l'Axe pendant la Seconde Guerre mondiale. Quant aux dispositions du nouveau code pénal, qui donnent à la notion de « crime contre l'humanité » une portée générale (sans limitation de son champ d'application), elles ne peuvent être appliquées à des faits antérieurs au 1er mars 1994, en vertu du principe de non-rétroactivité. C'est en raison de cette stricte limitation du champ d'application pénale de la notion de « crime contre l'humanité », qui a perduré jusqu'au 1er mars 1994, et non en raison de la nature des actes incriminés (puisque ceux-ci, à défaut de relever de son champ d'application jurisprudentielle, relèvent incontestablement de la définition notionnelle du « crime contre l'humanité »)1895(*), que les plaintes déposées par des représentants de la communauté harkie se sont heurtées jusqu'ici à des refus d'informer1896(*). Le sentiment de Daniel Lindenberg d'avoir affaire à des démarches anachroniques mérite donc d'être à la fois précisé et discuté : ce n'est en aucune manière un obstacle lié à l'écoulement du temps et à la prescription qui est ici en cause (et ce d'autant moins que les crimes contre l'humanité sont reconnus comme étant « imprescriptibles par leur nature » au regard de la loi du 26 décembre 1964), mais un obstacle - faut-il dire technique ? - lié à l'absence de portée générale de la notion de crime contre l'humanité en droit français jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, le 1er mars 1994 ;

- Ensuite, les refus d'informer qui sont opposés à ces démarches sont motivés par cet autre obstacle légal que constitueraient les lois d'amnistie successives votées, pour la première, immédiatement à la suite de la conclusion des accords d'Evian le 22 mars 1962, puis, pour la quatrième et dernière (dite de « portée générale »), le 31 juillet 1968. La question, ici, est de savoir si les représailles sanglantes exercées à l'encontre des harkis après la conclusion des accords d'Evian et, surtout, après l'accession à l'indépendance de l'Algérie entrent ou non dans le périmètre des lois d'amnistie. S'agissant de la première loi d'amnistie, celle du 22 mars 1962, la réponse est aisée : cette loi, votée avant que ne commencent ces massacres, et qui énonce textuellement ne s'appliquer qu'aux actes commis avant le 20 mars 1962 au titre de l'insurrection algérienne ou au titre des opérations de maintien de l'ordre, ne saurait en aucun cas couvrir les (co-)responsabilités afférentes au massacre des harkis. La loi d'amnistie suivante (du 23 décembre 1964) s'en tient également aux infractions commises en Algérie avant le 20 mars 1962. La troisième étend l'amnistie aux infractions commises avant le 3 juillet 1962 (le gros du massacre des harkis, qui survient à l'été et à l'automne 1962 n'est donc pas concerné) et s'en tient de toute manière aux infractions commises dans le cadre d'opérations de police administrative ou judiciaire, d'opérations de rétablissement de l'ordre ou d'opérations visant à empêcher l'exercice de l'autorité de l'Etat : rien ici qui ne caractérise en propre le massacre des harkis. Reste bien sûr la dernière loi d'amnistie, celle du 31 juillet 1968, dite de « portée générale » : celle-ci énonce que sont amnistiées de plein droit « toutes les infractions commises en relation avec les événements d'Algérie », et ce sans date butoir. La question, dès lors, est de savoir si les éventuelles responsabilités françaises dans l'abandon au massacre des harkis sont susceptibles d'être couvertes par ce texte. Un rappel essentiel d'abord : à la différence de la quasi-totalité des infractions couvertes par les lois d'amnistie successives, les représailles exercées à l'encontre des anciens harkis le sont essentiellement après l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Les responsabilités éventuelles qui, du côté français, y sont afférentes englobent donc une période qui dépasse de loin ce que recouvre l'expression aujourd'hui caduque d' « événements d'Algérie » (à titre de comparaison, les derniers "faits d'armes" de l'OAS sur le sol algérien surviennent fin juin 1962, avant que ne s'opère le transfert de souveraineté). Peut-on, dans ces conditions, considérer que ce crime là, qui est un crime d'après-guerre et non un crime de guerre, ressortisse ou puisse ressortir d'un même traitement que les excès commis par les deux parties en guerre (ou même trois si l'on compte l'OAS) ? Voilà, en tout cas, qui met le pouvoir d'interprétation du juge à rude épreuve. Se pose d'ailleurs, à propos de la politique de strict contingentement des rapatriements et de l'interdiction des opérations de sauvegarde décidées par la France à l'encontre de ses anciens serviteurs d'armes musulmans (voir la Partie 1), la question de la qualification pénale de « crimes de bureau » qui, sans être à proprement parler des actes de guerre ou des actes nécessaires à la guerre, sont déterminés par elle ou par ses prolongements. Il ne fait guère de doute que ces actes n'ont pas été reconnus en leur temps comme susceptibles de constituer des infractions. Il n'est guère douteux non plus, pour cette raison même, que leur portée dépasse de loin celle couverte par le champ des lois d'amnistie (même dites de « portée générale ») et laisse pendante la question de leur examen politique et juridique rétrospectif. A cet égard, Sandrine Lefranc souligne la difficulté d'incriminer les actes ordonnés par les responsables d'un régime - même démocratique - et relayés par leurs agents : « Même si les codes ont progressivement intégré le principe d'une responsabilité collective ou imputable à des personnes morales, la criminalité bureaucratique n'est pas un phénomène complètement appréhendé par le droit : le postulat de l'innocence des représentants et agents de l'Etat semble encore prévaloir »1897(*).

Ainsi en est-il de la lettre des lois d'amnistie. Mais qu'en est-il de l'esprit ? Au fond, ce que semble vouloir signifier Daniel Lindenberg lorsqu'il qualifie ces démarches d'anachroniques, c'est qu'elles heurtent l'esprit de ces lois, conçues - dit-il - comme des mesures d'apaisement. Et les actions entreprises par des représentants de la communauté harkie viendraient mettre à mal cette volonté d'apaisement ou de "normalisation". Précisément, à cet égard, il apparaît essentiel d'informer l'éthique du souvenir (comment devrait-on se souvenir ou encadrer politiquement le souvenir du massacre des harkis) par sa pragmatique (comment se souvient-on, en réalité, du massacre des harkis, et pour quels usages). Car, en la matière, l'idée selon laquelle prévaudrait, en Algérie et en France, un esprit d'apaisement ou de "normalisation" est, dans les faits, au minimum fragile, et certainement hasardeuse (voir la Partie 2 et la section II.B.2 ci-dessus). De même qu'est sujette à caution une lecture des intentions du législateur au moment de voter les lois d'amnistie qui n'y verrait que la volonté - affichée sur le moment - d'apaiser les tensions sociales, et non le souci d'occulter certaines responsabilités politiques lourdes1898(*). Sur le moment, déjà, l'attitude constante des autorités françaises fut, avant l'accession à l'indépendance de l'Algérie, de minimiser les dangers qui guettaient les anciens supplétifs puis, après l'accession à l'indépendance, de minorer l'ampleur des représailles (voir la Partie 1). Et, depuis lors, le ressouvenir - le simple ressouvenir - du massacre des harkis a longtemps posé problème en France. Jusqu'au début des années 1990, l'on peut même parler, s'agissant des relais institutionnels de la mémoire (à commencer par l'école), de quasi-forclusion (voir le chapitre II de la Partie 2). En témoignent, à droite et à gauche (quoique sur des registres différents), les réactions au dépôt d'une plainte pour « crimes contre l'humanité » fin août 20011899(*). Et s'agissant de ces autres relais d'opinion que sont les sphères universitaires, éditoriales ou journalistiques, d'une "inappétence intellectuelle" certaine qui, pour n'être pas totale ni toujours hostile, était globalement génératrice de vide (voir le chapitre III de la Partie 2 ainsi que les sections II.B.2.a et II.B.2.b de la Partie 4 ). La réaction de Charles Silvestre - rédacteur de « l'Appel des douze » et journaliste à L'Humanité - à l'annonce anticipée du dépôt d'une plainte pour « crimes contre l'humanité » est à cet égard caractéristique : « Il ne manquait plus que ça ! Les harkis, ou plus exactement ceux qui prétendent parler en leur nom, portent plainte pour crimes contre l'humanité contre la France. (...) Y a-t-il eu des crimes contre les harkis, des tortures, des exécutions sommaires ? C'est indéniable. Mais pourquoi, dans quelles conditions, et qui en porte la principale responsabilité ? (...) Pour les harkis, comme pour toutes les parties embarquées dans cette tragédie, ce qui est en cause, c'est la colonisation, ses moeurs de maîtres à esclaves, son cynisme dans l'utilisation d'indigènes contre d'autres, la guerre coloniale, avec son cortège de cruautés sans nom, son école de violence sans fin, comme on le voit encore sur place »1900(*). Dans un schéma classique à gauche1901(*), l'incrimination générique du système colonial tend ici clairement à disculper le FLN et ses soutiens français. Au passage, les violences actuelles en Algérie sont elles aussi conçues non comme la résultante de la culture de la violence longtemps portée par le FLN et ses héritiers mais encore et toujours comme un héritage du système colonial. 

Ainsi, en France, les massacres semblaient sinon n'avoir jamais existé du moins n'être qu'un épiphénomène, et le problème de la gestion du traumatisme ne pas devoir se poser au-delà du seul cercle des Français musulmans rapatriés et de leurs enfants. Mais ces plaintes visent également le comportement des autorités algériennes, ordonnateurs et exécutants directs du massacre. Or, sur cet autre rivage de la Méditerranée, nous l'avons vu, il est moins encore question d'apaisement : mais ce n'est tant la volonté d'occulter les responsabilités du massacre qui est cause - la question ne se pose même pas1902(*) - que la persistance d'une surenchère verbale à l'encontre des anciens harkis. Cette surenchère participe d'abord d'usages directement attentatoires de la figure du harki. Ainsi, en Algérie (mais aussi bien souvent dans la communauté algérienne ou d'origine algérienne en France), les harkis continuent d'être insultés1903(*), ostracisés1904(*) et parfois même menacés1905(*). Cette surenchère participe aussi d'usages dérivés de la figure du harki, d'ordre incantatoire, autour de la manipulation des mythes du « parti de la France » et des « anciens et nouveaux harkis »1906(*) (voir le chapitre I de la Partie 2 ainsi que la section II.B.2.c de la Partie 4).

Ainsi, la situation en France et en Algérie conduit-elle, dans une certaine mesure, sinon à réenvisager du moins à nuancer l'affirmation selon laquelle les actions en justice entreprises par des représentants de la communauté harkie seraient anachroniques. Et à poser différemment la question de leur légitimité, en liant l'examen de cette question à la notion de "mémoire équitable". Car si pour Daniel Lindenberg c'est le politique, et non la justice, qui a vocation à - et dispose de la légitimité pour - gérer les conflits de mémoire, cette affirmation se heurte potentiellement aux situations où est en jeu une criminalité d'ordre bureaucratique, plaçant l'Etat dans la situation impossible d'être à la fois juge et partie.

c) Est-ce bien la vocation de l'institution judiciaire de trancher des conflits de mémoire ?

Pour Daniel Lindenberg, le politique excède par essence le droit : des lois d'amnistie ont été votées, prenons-en acte. Au fond, n'est-ce pas un crime de "lèse-démocratie" que d'entendre défaire, par l'action judiciaire, ce que le politique a fait ? Certes, c'est une chose de considérer que le politique est supérieur à la justice ou, pour le dire autrement, que la "chose votée" est supérieure à la "chose jugée" ; mais c'en est une autre de ne pas voir l'ambiguïté même du politique : le politique, y compris dans un cadre démocratique, est traversé par des rapports de force, des non-dits, des justifications de second ordre qui excèdent et parfois dénaturent le sens donné à la ratification populaire, et qui rendent précisément nécessaire de contrebalancer et d'éclairer l'action du politique par celle de la justice. Sandrine Lefranc met ainsi en exergue les ambiguïtés liées à ce qu'elle appelle « les bâillons démocratiques », ou encore « la politique de l'oubli imputée aux gouvernements démocratiques », qu'elle définit comme « un oubli volontaire qui consiste en un simple silence sur des thèmes qui sont jugés menaçants pour la cohésion sociale, leur mise hors parole ». Et Sandrine Lefranc de pointer les effets pervers des « techniques de bâillonnements » (dont les lois d'amnistie sont la forme la plus aboutie) : si ces techniques peuvent être selon elle justifiées par « la nécessité intrinsèque à la préservation d'un cadre démocratique, étroitement lié à la recherche du consensus » (cette fameuse volonté d'apaisement, notamment dans un contexte d'après-guerre civile), « ces méthodes de stabilisation, ajoute-t-elle, peuvent aussi avoir l'effet inverse de celui recherché, en provoquant une exacerbation des tensions sociales et la résurgence ponctuelle du "réprimé" »1907(*) ; et, ce, notamment si le sentiment se fait jour que cette « méthode des omissions » vise moins à préserver la démocratie de luttes factionnelles qu'à occulter l'existence d'une criminalité bureaucratique et à couvrir les responsabilités qui lui sont liées. Paul Ricoeur : « L'amnistie, en tant qu'oubli institutionnel, touche aux racines mêmes du politique et, à travers celui-ci, au rapport le plus profond et le plus dissimulé avec un passé frappé d'interdit. La proximité plus que phonétique, voire sémantique, entre amnistie et amnésie signale l'existence d'un pacte secret avec le déni de mémoire qui, on le verra plus tard, l'éloigne en vérité du pardon après en avoir proposé la simulation »1908(*).

Ainsi, rien ne garantit que l'Etat, s'il se fait à la fois juge et partie, le fasse pour le bénéfice de tous plutôt que pour le bénéfice de quelques-uns. Au pire des cas, le pouvoir de rémission juridique offert au politique - à travers les lois d'amnistie - se transforme véritablement en pouvoir d'obstruction. Sandrine Lefranc : « Le choix de la stabilisation du régime (et de la sauvegarde des intérêts propres des personnels politiques) se fait au détriment des exigences des victimes et des principes de la démocratie que sont l'égalité devant la loi et le caractère systématique de l'administration équitable de la justice »1909(*). A cet égard, les actions en justice entreprises par les victimes peuvent apparaître comme une tentative légitime de contournement de cette situation d'indétermination où l'Etat - pris dans ce que Sandrine Lefranc appelle un « dédoublement schizophrénique » (puisque « l'Etat offenseur n'est pas distancié de l'Etat justicier ») - ne peut remplir le rôle de tiers1910(*).

L'affirmation de la supériorité de la "chose votée" sur la "chose jugée" peut donc apparaître spécieuse lorsque, comme c'est le cas ici, elle est oublieuse du pouvoir d'obstruction des Etats. En outre, quand bien même consentirait-on à admettre en général la supériorité de la "chose votée" sur la "chose jugée", il faudrait peut-être encore admettre une limite à ce principe, une limite éthique. Cette limite est la suivante : la rémission juridique offerte par les lois d'amnistie ne peut valoir que pour des situations où la réciprocité des crimes appelle la réciprocité de leur rémission. En l'espèce, les lois d'amnistie votées par le Parlement français le 22 mars 1962 à la suite des accords d'Evian couvrait aussi bien les exactions commises par les forces de l'ordre que par la rébellion : autrement dit, le tortionnaire aussi bien que le poseur de bombes voyaient leurs crimes amnistiés. A l'inverse, le massacre des harkis est un crime totalement asymétrique et unilatéral, un crime d'après-guerre perpétré à l'encontre de sujets dépourvus de tout pouvoir de nuisance, puisque préalablement désarmés et rendus à la vie civile, ainsi que de leurs proches. Dans ces conditions, l'idée que l'esprit des lois d'amnistie puisse couvrir les éventuels co-responsables français d'un tel crime peut apparaître discutable, précisément parce que cela rompt avec la logique de réciprocité précédemment évoquée, et que cela entérine l'idée d'une amnistie unilatérale, décidée à l'initiative de certains co-responsables du crime et pour leur seul bénéfice direct.

A cet égard, le fait que ces amnisties aient été votées dans un cadre et selon une procédure démocratiques ne change rien au problème. Car au regard de la notion de "mémoire équitable", le passif apparaît évident, suscitant naturellement un sentiment d'injustice chez les victimes, plutôt que cet apaisement que l'on prétend fonder sur une politique d'oubli : « Lorsque la faute commise par l'Etat est si massive qu'elle remet en cause l'union de la balance (la justice) et du glaive (le crime autorisé par la loi ou "violence légitime"), l'Etat a du mal à en finir avec cette faute », écrit Sandrine Lefranc. Elle ajoute : « La mémoire de la faute perdure. [Mais] les obstacles pratiques, et les impératifs politiques et juridiques aboutissent le plus souvent à des lois d'amnistie, par lesquelles l'Etat offenseur n'est pas distancié de l'Etat justicier »1911(*). De même, pour Paul Ricoeur, « en côtoyant ainsi l'amnésie, l'amnistie place le rapport au passé hors du champ où la problématique du pardon trouverait avec le dissensus sa juste place » et, de ce fait, « condamne les mémoires concurrentes à une vie souterraine malsaine ». Et il ajoute : « La mémoire privée et collective serait privée de la salutaire crise d'identité permettant une réappropriation lucide du passé et de sa charge traumatique. En deçà de cette épreuve, l'institution de l'amnistie ne peut répondre qu'à un dessein de thérapie sociale d'urgence, sous le signe de l'utilité, non de la vérité »1912(*). Et c'est bien là, en effet, tout le problème.

Conclusion

Le cas des anciens harkis et de leurs familles souligne l'intérêt d'asseoir l'analyse de ce que Norbert Elias et John L. Scotson appellent la sociodynamique de la stigmatisation sur une mise en regard ou une mise en abîme réciproque de la stigmatisation telle qu'elle est "agie" d'une part, de la stigmatisation telle qu'elle est subie et "réagie" d'autre part. A cet effet, l'approche "écologique" ici adoptée - double approche à la fois explicative (« l'histoire de la capacité qu'a un attribut de servir de stigmate ») et compréhensive (« l'itinéraire moral de l'individu stigmatisé »), aussi bien que diachronique et synchronique -, permet de rendre compte, à travers la dynamique des générations qui la sous-tend, de l'articulation entre histoire, mémoire et identité. Cette double approche souligne tant :

- l'épaisseur historique des logiques sociales et politiques de la stigmatisation au sein et autour de la communauté harkie, depuis la mise en oeuvre de stratégies d'influence et d'appropriation de l'imaginaire au moment de la guerre d'Algérie (invention d'une figure et d'un destin), jusqu'à la gestion et aux usages politiques rétrospectifs de cette figure ;

- que les effets performatifs à long terme de telles opérations figuratives dans l'ordinaire des relations sociales et familiales, d'une génération l'autre, ici et maintenant en France.

A cet égard, ce cas d'espèce éclaire remarquablement les ressorts complexes de la dialectique identification/identisation d'une part (ou « comment être ce que l'on est »), et des mécanismes d'attribution ou processus de catégorisation d'autre part (« être pour l'autre »1913(*)), en raison précisément de l'indécidabilité et de l'instabilité notables du « jeu des contraintes sémiotiques » (jeux de miroir et présuppositions réciproques) qui détermine le niveau de tension s'exerçant sur les fils et filles de harkis dans les interactions de la vie quotidienne, tant au sein du cercle familial qu'en dehors. Cette indétermination relative est à la source d'une configuration stigmatisante à la fois paradoxale et "paradoxante" pour les intéressés.

Dès lors, plus encore, peut-être, que d'autres cas d'espèce où la possession d'une caractéristique déviante déterminée s'avère plus décisive - aux yeux des « entrepreneurs de morale », bien sûr, mais aussi des personnes étiquetées - que la possession d'autres caractéristiques (ainsi en va-t-il notamment de la dépendance vis-à-vis du statut socialement défini sur la base du "faciès" ou des "origines", qui s'impose avec une certaine univocité à la fois comme objet de discrimination et comme objet possible de valorisation : la « négritude », « Black pride/Black is beautiful », etc.1914(*)), ce cas d'étude, où le feu croisé des stigmatisations n'assigne aucune place clairement déterminable et assumable aux intéressés (donnant une coloration très particulière à la question de la reconnaissance et aux enjeux de visibilisation qui lui sont corrélatifs) marque particulièrement bien en quoi et pourquoi il n'est pas d'attributs objectivables qui, en dehors de tout processus réflexif ou attributif, prédétermineraient une fois pour toutes et une fois pour tous à quel groupe ou catégorie d'individus vous appartenez (et, plus encore, quel individu vous êtes). De fait, il n'est pas d'attributs - visibles ou invisibles - qui ne soient potentiellement manipulables, ambigus ou "trompeurs", par/pour soi (en raison d'un décalage provoqué ou subi entre les attributs stigmatiques/les catégories déviantes et le sentiment d'identité) ou par/pour autrui (en raison d'un décalage extrapolé ou, à l'inverse, insoupçonné entre l'attribut et le stéréotype).

Ainsi, « fiction narrative » (Paul Ricoeur) en même temps que compromis, l'identité est un construit social, un "intertexte", le produit fragile et évolutif d'une tension entre ce que je veux être et ce que je découvre (devoir) être aux yeux d'autrui.

En l'espèce, la "quête à être" des enfants de harkis, déjà grevée par les impedimenta liés au sentiment de culpabilité des pères, se heurte par surcroît au quotidien à la difficulté d'opérer la "gestion du paraître" dans une voie qui soit congruente avec l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes, les obligeant à d'incessants écarts d'identité eu égard à l'éventail à la fois large et contradictoire des catégories et coordonnées servant à les classer quelque part dans l'espace social au(x) regard(s) de l'Autre. De fait, nous l'avons vu, le jeu des assignations statutaires qui régissent la ronde journalière des enfants de harkis les confronte alternativement à la honte (par extrapolation des qualités morales invalidantes prêtées aux pères) et à l'amalgame (pré-catégorisations au "faciès").

D'un côté, donc, la rémanence du stigmate d'infamie d'une génération l'autre et d'une rive à l'autre de la Méditerranée (notamment au sein des populations issues de l'immigration algérienne) témoigne de la capillarisation des anathèmes politiques au niveau médian des relations interpersonnelles, et, par là, de ce que Paul Ricoeur appelle « la fragilité cognitive résultant de la proximité entre imagination et mémoire » : les requêtes de légitimité d'un système d'autorité, via la mise en place de stratégies d'appropriation de l'imaginaire et la mobilisation de systèmes symboliques (invention d'une figure de l'ennemi intérieur, par exemple), génèrent des réponses sociales en termes de croyances.

D'un autre côté, l'amalgame avec les populations issues de l'immigration maghrébine signe l'acuité des enjeux de visibilisation au regard du groupe majoritaire. Par delà le poids des anticipations statutaires dans l'ordinaire fugace des rencontres interpersonnelles (à savoir la mobilisation réflexe de stéréotypes typifiants et réducteurs fondés sur l'apparence physique des sujets), cette indistinction/indifférenciation peut aussi être d'essence normative et procéder de la volonté de certains collèges d'acteurs de ne pas établir de différence avec les "Beurs", ou procéder de la simple méconnaissance de la trajectoire singulière des anciens harkis et de leurs familles.

D'où la difficulté des enfants de harkis - entre infamie et amalgame - à se voir reconnaître une place spécifique dans « l'espace social réel », entendu comme « espace d'interaction au sein duquel les sujets se perçoivent, se connaissent et se reconnaissent les uns les autres »1915(*). « Lorsque le stigmate est héréditaire, écrit Erving Goffman, l'instabilité interactionnelle qui en résulte peut avoir des conséquences tout à fait générales pour ceux à qui échoit le mauvais rôle » (Goffman, p.161). D'autant qu'en l'espèce les attributs en cause sont liés à la fois à la transmission de caractères génétiques et à l'extrapolation de qualités morales prêtées aux pères : en ce sens, on peut dire qu'ils collent tout à la fois littéralement et métaphoriquement à la peau des fils et filles de harkis.

Aussi, au terme de ce travail, la question qui se pose à l'analyste de savoir si les anciens harkis, leurs enfants et petits-enfants forment une communauté reçoit une première réponse, empiriquement fondée. Ce, quand bien même cette communauté serait restrictivement définie comme « l'agrégat de ceux contraints d'endurer les mêmes privations à cause du même stigmate » (Erving Goffman, p.134). « Les membres des groupes déviants organisés ont évidemment une chose en commun, écrit Howard Becker : leur déviance. C'est elle qui leur donne le sentiment d'avoir un destin commun, d'être embarqués sur le même bateau. La conscience de partager un même destin et de rencontrer les mêmes problèmes engendre une sous-culture déviante, c'est-à-dire un ensemble d'idées et de points de vue sur le monde social et sur la manière de s'y adapter, ainsi qu'un ensemble d'activités routinières fondées sur ces points de vue. L'appartenance à un tel groupe cristallise une identité déviante »1916(*). De fait, en dépit des querelles sémantiques et disciplinaires parfois un peu convenues qui visent à en restreindre l'usage, il apparaît qu'un tel emploi se justifie pleinement en la circonstance par la "communauté de destin", donc de trajectoire qui a été celle des intéressés, s'agissant tant des motifs et conditions de départ d'Algérie que de la configuration matérielle et symbolique de leur installation qui les distinguent clairement d'autres populations originaires d'Algérie et du Maghreb. Ceci, cependant, n'est en rien contradictoire avec le constat de la diversité bien réelle des caractéristiques sociologiques ou des jugements de valeur et d'opinion de ceux qui, dans des circonstances précises, ont été massivement contraints à l'exil (et non à l'immigration) puis sujets à des modes d'administration ainsi qu'à des modes de désignation symbolique spécifiques de la part des différentes composantes de la société dite "d'accueil".

Nous voyons cependant qu'à cette définition "en négatif", définition doublement réactionnelle (à la souffrance des parents d'une part, aux atteintes symboliques dont ils sont l'objet dans l'environnement social d'autre part) s'ajoutent des critères d'identification positifs, plus "politiques", fondés sur la réminiscence de l'héritage mémoriel des pères, et qui décrivent une phase ultérieure de l'itinéraire moral des fils et filles de harkis. Ainsi que le signale Erving Goffman, « le caractère visiblement fâcheux de tel attribut personnel et la capacité qu'il a de mettre en branle le jeu du normal et du stigmatisé ont leur histoire, histoire que viennent régulièrement modifier des actions sociales délibérées »1917(*). La lutte pour la réhabilitation de la figure du père, de même que celle, corrélative, pour la reconnaissance de la responsabilité de l'État français dans l'abandon de leurs anciens serviteurs d'armes, scellent positivement, chez nombre d'enfants de harkis, la conscience d'un lien spéculaire, d'un héritage commun dont ils seraient les dépositaires. Pour autant, cette dynamique, qui décrit une relation de contemporanéité entre la génération des pères et la génération suivante, suffira-t-elle - à plus long terme - à sceller un destin communautaire ? La réappropriation collective du terme harki par les enfants de harkis fera-t-elle encore sens pour les petits-enfants et arrières petits-enfants ? Ce lien spéculaire est-il à même de perdurer et de s'enraciner au-delà de la deuxième génération en dépit de la disparition progressive des anciens harkis et de l'évanouissement probable du souvenir de leur engagement et des tensions qui lui sont liées ? Ainsi, la question de savoir si cette communauté de destin peut faire "souche" en tant que telle, et sous quelle forme, reste ouverte.

Par suite, la question de savoir si la définition et l'"exploitation" politique de tels critères d'identification est souhaitable pour les personnes concernées intéresse moins l'analyste que le moraliste ou l'éditorialiste. C'est dans cette perspective qu'il faut replacer l'insistance de certains observateurs à dénier l'existence d'un fait communautaire harki, lesquels, procédant par extrapolation, craignent que la mise en exergue de cette destinée ne plaide pour une forme de repli victimaire des intéressés et/ou ne signe une forme de réhabilitation du passé colonial de la France. Encore une fois - et cela apparaît remarquablement dans ce cas d'espèce, l'identité n'est pas un pur "donné", mais une dynamique sous influence, contrainte par les exigences contradictoires liées au besoin de « savoir à qui et à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » d'une part, la nécéssité de composer avec les perceptions et attentes de l'environnement social d'autre part. « On peut admettre, écrit Erving Goffman, que l'une des conditions nécessaires de la vie sociale est le partage par tous les individus d'un ensemble unique d'attentes normatives. (...) Toutefois, les normes dont nous traitons ici s'appliquent à l'identité, à l'être et sont donc d'un type particulier. Leur succès ou leur échec agit de façon très directe sur l'intégrité psychique de l'individu. En même temps, le simple désir de les respecter - la pure bonne volonté - ne suffit pas, car, bien souvent, l'individu n'exerce aucun contrôle immédiat sur le degré de son adhésion. C'est une affaire de conformité et non de soumission »1918(*).

En témoigne - par l'absurde, dirions-nous - le choix photographique opéré pour illustrer un article de Didier Eribon dans le Nouvel Observateur du 7 au 13 octobre 1999 (p.150-151), article intitulé « Un essai posthume d'Abdelmalek Sayad - L'immigré et son ombre ». Dans cet article, Didier Eribon entendait mettre en exergue certains aspects particulièrement « concrets » de la pensée de l'auteur, à commencer par son analyse du « rapport des immigrés à la Sécurité sociale ». Se fondant sur Sayad, il soulignait ainsi que « pour un émigré, chez qui la nécessité de chercher un travail a été la raison de son émigration, et la seule justification qu'il pouvait se donner à lui-même et aux siens pour quitter son pays, être malade (...) peut être une manière de continuer à donner un sens à sa vie et de préserver son honneur lorsqu'il n'a plus aucune chance de trouver un emploi ». Ce passage, présent dans le corps du texte, est repris en légende de l'illustration photographique. Or, ladite photographie, loin de représenter un immigré malade, est un portrait d'Abdelkrim Klech, président du collectif « Justice pour les harkis » (et lui-même fils de harki), le présentant allongé dans son campement de l'esplanade des Invalides alors qu'il poursuivait seul une grève de la faim en janvier 1998 pour attirer l'attention des médias et des décideurs sur la destinée faite aux anciens harkis et leurs familles. Ces éléments de décryptage ne sont bien entendu pas précisés au bas de cette illustration, dont la légende laisse donc bien au contraire accroire qu'elle représente un « immigré malade ». Le choix de cette photographie est d'autant plus surprenant qu'apparaît clairement en arrière-plan du campement un poster représentant l'oncle d'Abdelkrim Klech, en uniforme et bardé de médailles. Ainsi, un cliché rendant compte de l'aspiration à la reconnaissance en tant que tel d'un fils de harki, et des privations volontaires - acte politique s'il en est - auxquelles il s'astreint pour y parvenir, est détourné de sa vocation initiale - et comme "désignifié" ou "insignifié" - de manière telle qu'il nourrit un amalgame contre lequel s'élève précisément l'intéressé. Ainsi, dans et par ce "quiproquo", ce dernier est comme "remis à sa place" : Algérien par méprise plutôt que Français à part entière. Plus qu'une anecdote, il y a là un symbole de la situation de cette communauté de destin qui, située sur un point de rupture ou de déséquilibre à l'articulation du « temps phénoménologique » et du « tiers-temps de l'histoire »1919(*), vit dans le paradoxe de ne pouvoir être (du fait de l'amalgame avec les populations issues de l'immigration) et de devoir ne pas être (pour échapper au regard accusateur de ceux là mêmes avec lesquels il sont confondus).

Dans La plaisanterie, Milan Kundera souligne - à travers les pensées du narrateur, Ludvik - que « les choses conçues par erreur sont aussi réelles que les choses conçues par raison et nécessité ».  Et de livrer ses doutes quant à la possibilité de toute réparation des termes de l'échange dans un monde régi par l'absurdité et l'incommunicabilité :

« Comme j'aimerais révoquer toute l'histoire de ma vie ! Seulement, de quel droit pourrais-je la révoquer, si les erreurs dont elle est née ne furent pas les miennes ? (...) De telles erreurs étaient si courantes et si communes qu'elles ne représentaient pas des exceptions ou des «fautes» dans l'ordre des choses, mais constituaient au contraire cet ordre. Alors qui est-ce qui s'était trompé ? L'Histoire elle-même ? La divine, la rationnelle ? Mais pourquoi faudrait-il lui imputer des erreurs ? Cela n'apparaît ainsi qu'à ma raison d'homme, mais si l'Histoire possède vraiment sa propre raison, pourquoi cette raison devrait-elle se soucier de la compréhension des hommes et être sérieuse comme une institutrice ? Et si l'Histoire plaisantait ? A cet instant, j'ai compris qu'il m'était impossible d'annuler ma propre plaisanterie, quand je suis moi-même et toute ma vie inclus dans une plaisanterie beaucoup plus vaste (qui me dépasse) et totalement irrévocable »1920(*).

ANNEXES

Annexe n°1

Protocole d'enquête et méthodologie de l'entretien semi-directif

Compte tenu de la diversité des conceptions et critères de la scientificité en matière d'entretiens de recherche, il nous faudra ici préciser les règles de l'art qui, pour chacune des deux campagnes d'entretiens semi-directifs (pour un total de 18 entretiens ; grille récapitulative ci-dessous) réalisées successivement en région parisienne et en Ardèche (à Largentière, précisément), ont présidé : 1) à la constitution puis à la fermeture du corpus ; 2) à la conduite de l'entretien (grille et consigne d'entretien, attitude du chercheur en situation).

Entretiens, printemps 1997, Paris

Dalila (23 ans), pigiste.

Dalila (37 ans) est secrétaire.

François (29 ans) est enseignant-chercheur.

Hassina (26 ans) est étudiante en arabe (niveau maîtrise).

Jacqueline (26 ans) est hôtesse d'accueil.

Karim (31 ans) est ouvrier professionnel des sports.

Mohamed (42 ans) est commandant de police.

Rabah (35-40 ans) est fonctionnaire.

Régika (37 ans) est chauffeur de taxi.

Taouès (47 ans) est responsable des relations publiques au sein d'une association de rapatriés.

Entretiens, novembre 1998, Largentière (Ardèche)

Ahmed (environ 25 ans) est salarié et prend des cours du soir en plus de son travail.

Challah (35 ans), sans emploi.

Jean-Claude (31 ans) est aide-soignant.

Lahcène (24 ans) travaille en CDD à la mairie de Largentière comme ouvrier polyvalent.

Mohamed (28 ans), sans emploi.

Mohamed a 35 ans, ancien militaire de carrière, actuellement sans emploi.

Rachid (34 ans), sans emploi.

Zohra (45 ans), femme au foyer.

1. Les critères de constitution et de fermeture du corpus

1.1 Les critères de constitution du corpus

Compte tenu de la problématique et de la posture analytique qui sont les nôtres, il ne s'agissait pas pour nous de viser à l'exhaustivité et de constituer un panel représentatif au sens statistique du terme : le maître mot en la matière était plutôt "diversité" ; de fait, l'objectif n'était pas de restituer l'état de l'opinion à un moment donné sur une question précise (sur le mode photographique du sondage d'opinion) mais d'explorer en profondeur, au travers de récits de vie, ce que nous avons appelé des "mondes subjectifs" ; de ce point de vue, il s'agissait plutôt de constituer un panel qui, dans la mesure du possible, rende compte de la diversité de cette population au regard de certains critères clefs - modes d'implantation des familles et formes de sociabilité qui leur sont associées, âge/degré de maturation des individus, sexe et statut socioprofessionnel - afin de déterminer si et dans quelle mesure ces facteurs (isolément ou selon certaines combinaisons) influent sur l'itinéraire moral des fils et filles de harkis, autrement dit, sur la manière dont ils vivent et gèrent la succession d'étapes biographiques jalonnant la "découverte" (chocs affectifs et relationnels) puis le "maniement" du stigmate (choix stratégiques à opérer).

1.1.1 Les clivages liés aux modes d'implantation des familles et aux formes de sociabilité qui leur sont associées

Un premier critère de constitution du panel était celui de la diversité des modes d'implantation des familles et des formes de sociabilité qui leur sont associées : Comment les formes de l'habitat (au sens large du terme) affectent-elles les relations sociales et la manière dont les fils et filles de harkis  "font avec" les anathèmes ou stéréotypes véhiculés à leur encontre et à l'encontre de leurs parents ? En particulier, peut-on opérer, de ce point de vue, un distinguo entre la situation des "assignés" (socialisés dans une enclave communautaire ou "site réservé") et celle des "disséminés" (socialisés dans un environnement mixte et anonyme ou "site intégré") ? Précisément, le choix d'un double terrain d'investigation - d'une part Largentière, sous-préfecture de l'Ardèche, où il existe, un peu à l'écart du village, un lotissement spécifiquement dédié à l'accueil des anciens harkis et de leurs familles, et, d'autre part, la région parisienne, où les anciens harkis et leurs familles vivent de manière disséminée et anonyme - participe du souci d'apporter à ces questions des éléments de réponse tangibles.

1.1.2 Les clivages liés au degré de maturation des individus

Il était tout aussi important de diversifier l'échantillonnage en fonction de l'âge et donc du degré de "maturation" des fils et filles de harkis aux fins d'appréhender l'influence de ce facteur sur le maniement du stigmate et, par-là, de sérier les différentes étapes de "l'itinéraire moral" des enfants de harkis. Parmi les 18 personnes interrogées (tous sites confondus), 2 se situaient dans la tranche d'âges 18-24 ans, 8 dans la tranche d'âges 25-34 ans et 8 étaient âgés de 35 ans ou plus.

1.1.3 Les clivages liés au genre

Nous avons également voulu tester l'influence du genre sur "l'itinéraire moral" des enfants de harkis : le sentiment d'identité et de filiation, la qualité des relations avec autrui, la nature des stratégies opérées et/ou la propension à la mobilisation varient-ils selon le sexe des intéressés ? La parité hommes/femmes a été respectée dans la mesure du possible : totale en région parisienne, où le nombre de fils et filles de harkis interrogés était égal, nulle à Largentière où, à une exception près, seuls des hommes ont pu être interrogés. Cela tient certainement à la différence de contexte et de modalités d'approche : en région parisienne, le nombre d'intermédiaires était limité, et les prises de contact étaient individuelles, au coup par coup et noyées dans l'anonymat des foules ou des ensembles urbains ; à l'inverse, à Largentière, mon séjour a dû être préparé à l'avance, mon arrivée était attendue et ne pouvait passer inaperçue dans un cadre qui ne m'était pas familier ; certaines personnes furent contactées à l'avance, d'autres rencontrées sur place ; de ce point de vue, mon "extériorité" (au lieu et à la communauté) a, de toute évidence constitué un obstacle, les femmes - et particulièrement les jeunes femmes - étant très peu visibles dans le village, à la différence des hommes qui fréquentent le café, s'adonnent à des activités sportives (la rencontre dominicale de football dans une équipe composée quasi-exclusivement de fils de harkis - et gérée par une association communautaire - est un moment de sociabilité important), etc.

1.1.4 Les clivages liés au statut socioprofessionnel

Enfin, une autre variable essentielle dans l'appréhension de l'itinéraire moral des fils et filles de harkis est celle de leur statut socioprofessionnel : les enfants de harkis en situation de précarité sociale vivent-ils différemment leur quête identitaire et réagissent-ils différemment aux informations véhiculées par leur environnement que ceux ayant emprunté "l'ascenseur social" ? La réussite professionnelle peut-elle compenser la honte des origines et/ou la difficulté à s'assumer en tant que tel aux yeux d'autrui ? Et qu'en est-il, de ce point de vue, de la propension et des formes de l'engagement associatif : varient-elles - et si oui, dans quelle mesure - selon le statut socioprofessionnel des intéressés ? Parmi les 18 personnes interrogées, on comptait : 4 personnes en recherche d'emploi, 2 ouvriers, 3 employés, 4 personnes exerçant des professions intermédiaires, 2 cadres ou assimilés, 1 étudiante, 1 femme au foyer et 1 personne à son compte.

1.2 Les critères de fermeture du corpus

A l'issue de mon séjour à Largentière et de ma deuxième campagne d'entretiens formalisés, il m'est apparu que la valeur ajoutée d'une troisième campagne d'entretiens formalisés de type semi-directif ne saurait, sur l'essentiel, m'apporter de nouveaux éléments de compréhension : leur utilité ne pouvait être désormais qu'incrémentale, avec l'introduction de cas marginaux. Il me semblait, de fait, avoir atteint un seuil de saturation quant à la collecte de l'information sur les structures fondamentales du maniement du stigmate (cadre cognitif et répertoires d'actions) et à l'influence relative des principales variables sociogéographiques précédemment énumérées. Je décidais de m'en tenir, à titre supplémentaire, aux informations collectées au cours de mes nombreux entretiens informels ainsi que de mes activités d'agent de coordination chargé de l'emploi (ACCE) au sein du service des rapatriés de la préfecture de Paris. Je me réservais la possibilité d'une troisième campagne d'entretiens formalisés au cas où il me serait apparu nécessaire d'explorer certaines dimensions jusque-là mal sériées ou mésestimées. Ce ne fut pas le cas.

2. La conduite de l'entretien

2.1 La consigne et la grille d'entretien

Nos entretiens de recherche étaient structurés par une consigne et une grille d'entretien, ce qui leur conférait un caractère semi-directif.

2.1.1 La consigne d'entretien

Premier élément structurant, la consigne d'entretien lance et cadre - au moins initialement - le cours de l'entretien. Pour ce qui nous concerne, sa formulation a légèrement évolué entre la première vague d'entretiens (en région parisienne) et la seconde (à Largentière).

Lors de la première vague d'entretiens (en région parisienne), l'intitulé de la consigne d'entretien fut volontairement construit de manière à canaliser l'espace de la parole autour de l'articulation (supposément signifiante donc problématique) entre phénomènes de transmission et phénomènes d'identification.

Cette consigne, double dans sa formulation, était la suivante :

- « De quelle manière votre père vous a-t-il fait partager son expérience de la guerre d'Algérie, puis de l'exil ? »

(Il est ici précisé aux enquêtés que ce qu'on leur demande de nous expliquer n'est pas tant ce que leur père leur a dit de lui et des siens que la manière, l'état d'esprit au travers duquel il leur a transmis cet héritage mémoriel)

- « Dans quelle mesure cette mémoire familiale, et la manière dont elle vous a été transmise, vous a servi à répondre aux questions que vous vous posiez sur votre identité ? ».

Au risque d'induire un biais de directivité (risque a priori minimisé par la longueur des entretiens), la formulation d'une consigne initiale directe et précise se justifiait, me semblait-il, par la nature des questions abordées : interroger le rapport à la mémoire familiale et la façon dont il peut ou non produire la honte chez l'enfant, c'est interroger un ensemble de sentiments et d'expériences profondément intimes, c'est toucher à ce que Erving Goffman appelle les "réserves du moi"1921(*) ; précisément, le pari était qu'en confrontant d'emblée les enquêtés à ces questions, mais selon une formulation neutre, a-conflictuelle, il serait possible d'en dédramatiser l'abord et donc, dans une certaine mesure, de libérer la parole des intéressés.

Au terme de la première vague d'entretiens, il est apparu que l'efficace d'une telle approche était inégale : pour certains, l'effet désinhibant se vérifiait, la consigne les amenant d'emblée à se soulager d'un ressenti généralement contenu, donc insuffisamment élaboré (au sens psychologique du terme) ; pour d'autres, à l'inverse, le biais de directivité était trop fort, et la complexité de la consigne - double dans sa formulation - trop grande, déstabilisant mes interlocuteurs et portant préjudice - un temps du moins - à la fluidité des échanges.

Je décidai donc, s'agissant de la deuxième vague d'entretiens, de prévenir ces biais en éludant la deuxième partie de la consigne pour ne retenir que la première (« De quelle manière votre père vous a-t-il fait partager son expérience de la guerre d'Algérie, puis de l'exil ? »). De cette façon, la consigne (plus simple dans sa formulation), tout en continuant à mettre d'emblée l'accent sur la relation au père, n'introduisait plus que de manière implicite la question des liens entre filiation et sentiment d'identité, ménageant davantage de progressivité à l'expression du ressenti.

2.1.2 La grille d'entretien

L'autre élément structurant, avons-nous dit, est la grille d'entretien. Celle-ci, élaborée sur la base de connaissances et de questionnements préalables à l'enquête, n'est rien d'autre qu'une sorte de "réservoir" d'idées (et de questions) dans lequel l'enquêteur est libre de puiser à tout moment pour introduire ou développer des thématiques qui n'auraient pas ou trop succinctement été abordées par l'enquêté et, ce, de préférence sous la forme de relances collant le plus étroitement possible au cours "naturel" de l'entretien. L'idéal restant bien sûr que ces thématiques soient abordées spontanément par l'enquêté, sans intervention expresse de l'enquêteur. C'est l'existence même d'une telle grille et l'influence qu'elle peut avoir sur le cours et le contenu de l'entretien qui différencie l'entretien semi-directif de l'entretien non-directif (ce dernier n'étant "structuré" que par la consigne initiale). Il faut préciser, pour ce qui me concerne, que cette grille d'entretien n'avait d'existence que virtuelle : intériorisée, elle ne s'offrait pas à la vue de l'enquêté ; elle fut en outre évolutive, dans la mesure où de nouvelles connaissances et de nouveaux questionnements sont apparus au fur et à mesure de mes entretiens et investigations.

2.2 L'attitude du chercheur en situation : le mouvement de va-et-vient entre l'implication et la distanciation

Il existe, s'agissant de l'attitude du chercheur en situation d'entretien, une opposition, volontiers polémique, entre les conceptions de l'entretien soucieuses de s'en tenir à une stricte neutralité axiologique (entretien non ou semi-directif classique, et récits de vie1922(*)) et celles inspirées par la maïeutique (démarche dite d' « objectivation participante »1923(*)). En fait, les unes et les autres divergent dans leurs objectifs : 1) La spécificité et la difficulté propres à la technique non (ou semi-)directive réside dans la dissociation, conçue comme nécessaire sur un plan heuristique, entre le principe de "neutralité bienveillante", qui sied à l'écoute et à la compréhension du cadre de référence de l'enquêté, et les jugements de valeur portés sur son discours (que l'enquêteur doit se garder d'exprimer) ; 2) A l'inverse, la visée d' « objectivation participante » assignée par Pierre Bourdieu aux entretiens, en ce qu'elle subsume la visée proprement cognitive du travail d'étude et de recherche dans une visée de changement social qui l'intègre et la dépasse, est diamétralement opposée à une telle visée compréhensive.

Pour ce qui nous concerne, et compte tenu de la problématique et de la posture analytique qui sont les nôtres, notre choix s'est clairement porté sur la première démarche, dite « compréhensive » (neutralité axiologique). Cependant, il n'est pas inutile de confronter cette démarche à celle inspirée par la maïeutique (démarche dite d' « objectivation participante ») afin de mieux saisir, par effet de contraste, la spécificité de notre démarche.

2.2.1 La démarche d'"objectivation participante"

Dans une démarche d'"objectivation participante", la posture de l'entretien vise moins à créer les conditions d'une libre expression de l'enquêté, de ses cadres de référence et autres "mondes subjectifs", qu'à amener celui-ci à une autre compréhension de lui-même, fondée sur le savoir générique, englobant du chercheur. La démarche d' « objectivation participante » sous-tend donc une attitude fortement interventionniste du chercheur dans le cours de l'entretien, attitude elle-même basée sur l'idée que les sciences sociales n'ont pas seulement pour rôle de promouvoir la connaissance mais aussi, indissociablement, de promouvoir une prise de conscience (en l'occurrence, celle de l'enquêté) et, ce faisant, le changement individuel et social.

Ainsi, pour Pierre Bourdieu, la visée d' « objectivation participante » participe d' « un travail socratique d'aide à l'explication » 1924(*) qui, « à la façon d'un accoucheur »1925(*), vise à « assister l'enquêté, dans un effort douloureux et gratifiant à la fois, pour mettre au jour les déterminants sociaux de ses opinions et de ses pratiques dans ce qu'elles peuvent avoir de plus difficile à avouer et à assumer »1926(*) ; ou encore à « aider l'enquêté à livrer sa vérité ou, mieux, à se délivrer de sa vérité »1927(*). G. Grunberg et E. Schweisguth d'avancer, à cet égard, que « le type d'entretien ainsi défini serait donc, en quelque sorte, l'équivalent sociologique d'une cure psychanalytique »1928(*).

Cette « compréhension générique et génétique de ce qu'est l'enquêté » se déduit donc moins du discours de l'enquêté lui-même que d' « une représentation vérifiée des conditions dans lesquelles l'enquêté est placé et de celles dont il est le produit : c'est seulement lorsqu'elle s'appuie sur une connaissance préalable des réalités que la recherche peut faire surgir les réalités qu'elle entend enregistrer » 1929(*). « Le rôle de l'entretien n'est pas alors de découvrir ou de comprendre l'enquêté, soulignent Grunberg et Schweisguth, mais de lui faire livrer les éléments de sa vie que l'enquêteur connaît par avance et qui lui paraissent pertinents »1930(*). « Le principe de base, ajoutent-ils, en est que le sociologue détient à l'avance la connaissance de la réalité sociale et que les propos des enquêtés (...) n'ont pour fonction que d'illustrer cette réalité et de confirmer la «connaissance préalable» (P.Bourdieu, op.cit., p.916) que le chercheur en a déjà »1931(*).

Cet effet de « révélation », en tant qu'il est posé comme « préalable » à la compréhension1932(*), caractérise en propre la visée d' « objectivation participante ». Pour Pierre Bourdieu, « il va de soi que l'entretien ne vise pas seulement à faire dire à l'enquêté ce qu'il est, ce qu'il fait ou ce qu'il pense, mais aussi, et avant tout, à (...) faire produire par les enquêtés eux-mêmes, avec l'aide de l'enquêteur, une explication de ce qu'ils font, de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils souffrent, en termes de déterminants sociaux, ce processus étant désigné sous le terme d'objectivation participante »1933(*) ; puisque le narrataire « est en quête non pas des systèmes de représentations à travers lesquelles les personnes interrogées perçoivent et évaluent le monde, mais de la production par l'enquêté de sa propre explication »1934(*), la collecte du récit se doit d'être une véritable maïeutique. Le narrataire « collabore directement à la production du récit », « [il] se trouve entièrement engagé dans cette entreprise de création commune »1935(*) ; bien plus, « narrateur et narrataire sont des partenaires qui se trouvent situés dans un rapport dialectique »1936(*).

En ce qu'elle tend à ramener « la signification des opinions et des comportements à leurs déterminants sociaux »1937(*), cette visée de « construction méthodique » des entretiens, « forte de la connaissance de conditions objectives communes à toute une catégorie », nous semble, à la suite de G. Grunberg et E. Schweisguth définir une approche réductionniste, particulièrement eu égard à notre objet d'étude et à notre problématique : « On trouve ici parfaitement illustrée la permanence chez Pierre Bourdieu d'une conception étroite du social, dans laquelle, par exemple, les notions d'identité et de sentiment d'appartenance à un groupe défini sur la base d'un critère national, religieux ou ethnique n'ont pas leur place, et doivent s'effacer devant les seules explications pertinentes que sont les déterminismes liés aux positions dominantes ou dominées dans l'espace social. Dès lors, on ne s'étonnera pas qu'il considère comme mystificateur un propos qui analyse de manière introspective les contradictions du sentiment d'identité défini par un sentiment de double appartenance nationale »1938(*).

Le postulat, propre aux conceptions déterministes, d'un sens caché inaccessible au sens commun induit « la fiction d'un observateur omniscient »1939(*). « Manifestement, notent G. Grunberg et E. Schweisguth, le «regard qui consent à la nécessité à la manière de Dieu»1940(*) n'est de mise pour Pierre Bourdieu que lorsque les enquêtés entrent dans la conception de la nécessité qui est la sienne »1941(*). Car « à partir du moment où l'on entend faire tenir à l'enquêté un discours explicatif conforme à un paradigme déjà existant, il est évident que le système général d'explication doit être présent dans l'esprit de l'enquêteur avant même le commencement de l'entretien »1942(*). Pierre Bourdieu ne dit pas autre chose, pour qui « il faut poser que comprendre et expliquer ne font qu'un »1943(*). Il n'y a pas chez lui d'autonomie de l'approche empirique, de l'investigation proprement dite : pour lui, estiment Grunberg et Schweisguth, « la vraie méthode consiste essentiellement en la connaissance de la "vraie" théorie du social »1944(*).

Ainsi, la visée d' « objectivation participante », en ce qu'elle implique une attitude très interventionniste de l'enquêteur et une conception finaliste de l'interview, relève selon nous davantage d'une praxis que d'un pur travail de recherche1945(*) :

« Dans l'esprit de Pierre Bourdieu, la publication de tels entretiens n'est pas seulement un acte scientifique mais aussi un «acte politique», un acte d'intervention sur le monde social. En effet, «ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire», et c'est de la part des hommes politiques être coupable de «non-assistance à personne en danger» que de ne pas tirer «parti des possibilités, si réduites soient-elles» (P. Bourdieu, p.944) que la science offre à l'action. C'est enfin un acte thérapeutique dans la mesure où, en faisant connaître à ceux qui souffrent l'origine sociale de leur malheur, on leur permet «de découvrir la possibilité d'imputer leur souffrance à des causes sociales et de se sentir ainsi disculpés» (Ibidem) »1946(*).

A l'inverse, l'entretien non (ou semi-) directif classique ne constitue ni une relation amicale ni une relation d'aide : c'est une technique de recueil d'information qui vise à pénétrer le cadre de référence de l'individu, à en objectiver les principaux points d'articulation, sans prétendre ni le valider ni le corriger.

2.2.2 L'entretien non ou semi-directif classique

Pour un interviewer, s'inscrire dans une démarche compréhensive, c'est être mû par la volonté d'approcher le cadre de référence de l'enquêté au moyen d'une attitude bienveillante, de « montrer à l'enquêté qu'on le respecte a priori tel qu'il est, quelles que soient ses opinions, et que l'on cherche à le comprendre en entrant dans la logique qui lui appartient en propre ». « D'un point de vue technique, ajoutent Grunberg et Schweisguth, le «oui» de l'enquêteur qui ponctue fréquemment les déclarations de l'enquêté dans l'entretien non (ou semi-)directif, ne signifie pas «oui, je suis d'accord avec vous» mais «oui, je vous écoute et je vous comprends» »1947(*). Le premier objectif des chercheurs qui utilisent l'entretien non ou semi-directif est de « faire produire par l'enquêté un discours qu'ils n'auront en aucune manière préstructuré, dans lequel l'enquêté donne son avis sur le problème qui lui est soumis en utilisant son propre système de perception et de représentation du monde. Les représentations sociales que véhiculent les propos des enquêtés constituent, ainsi, le premier objet de leur étude »1948(*).

Il ne s'agit donc pas de prétendre amener les interviewés à une conscience plus "haute" d'eux-mêmes, au nom d'une hypothétique vision "en surplomb" et d'un projet politique tourné vers le changement social, mais, plus modestement, de saisir leur "sens commun", leur définition de la situation, pour comprendre ce qu'est leur rapport au monde, sans prétendre l'amender ni le valider.

Contrairement aux images de passivité et de laisser faire qui lui sont communément associées, une telle attitude (caractérisée par la volonté de laisser se développer des réponses très éloignées de la pensée du chercheur) exige de l'enquêteur un très important engagement personnel. R. Ghiglione et B. Matalon, évoquant l'attitude "critique" de l'expérimentateur piagétien, soulignent que l'enquêteur « intervient en posant de nouveaux problèmes, toujours choisis en fonction des réponses précédentes, ou en discutant des réponses données, en montrant les contradictions, non pour faire comprendre [il ne s'agit précisément pas d'un processus d' « objectivation participante »] mais pour explorer la structure cognitive sous-jacente, dont on s'efforcera toujours de ne pas sortir, évitant pour cela tout apport de raisonnements nouveaux, si ce n'est très consciemment, à titre de réactifs »1949(*).

Ainsi, la conduite de l'entretien est "active" en ce sens que 1) l'interviewer, dans un effort permanent et subtil de recentrage, doit « être capable de ramener toujours la compréhension de ce qui est dit par rapport à l'objet de l'entretien »1950(*), et 2) il doit faire preuve d'implication, non pas en guidant le cheminement intellectuel de son interlocuteur vers un schème explicatif connu et validé par lui à l'avance, mais en lui manifestant sa compréhension du contenu, en le relançant, en faisant le point et en synthétisant régulièrement ce qui a été dit.

Mais, dans le même temps, une certaine distance, à la fois sociale et affective, est nécessaire à la conduit de l'entretien de recherche. Distance sociale, parce qu'une trop grande familiarité entre l'enquêteur et l'enquêté pourrait engendrer « une connivence défavorable à l'explicitation de tout ce qui va de soi entre deux personnes partageant les mêmes références »1951(*) ; distance affective « en raison de la réticence possible, de la part de l'enquêté, à faire certains aveux à quelqu'un qu'il connaît, qu'il est appelé à revoir et dont il a davantage de raisons de redouter le jugement. Il est des aspects de soi-même que l'on peut plus facilement accepter de confier à un spécialiste de l'écoute qui, par son attitude, montre qu'il ne vous juge pas, et dont on sait qu'on ne risque pas de rencontrer le regard dans les situations quotidiennes »1952(*).

2.3 La question de l'utilité de l'entretien pour l'enquêté

Mais s'il n'est ni relation d'aide ni relation amicale, à quoi l'entretien de recherche peut-il servir aux personnes interviewées ? Cette question n'est ni déplacée ni superfétatoire car, dans une situation où l'enquêteur a tout à attendre de l'enquêté sans rien pouvoir ni devoir lui promettre en retour (ni émoluments, ni perspectives de changement individuel ou social), la situation d'entretien a quelque chose d'artificiel, d'inégal, d'ambigu : pourquoi raconter sa vie à un parfait inconnu qui, par surcroît, vous considère au mieux comme un "objet d'étude", au pire comme le "quantième" d'un échantillon ? Du reste, "raconter sa vie" - jusque et y compris les anfractuosités et les blessures de l'existence - n'est ni un acte spontané ni un acte anodin, y compris même dans le cours d'une conversation amicale à bâtons rompus où le récit s'articule de préférence sur un mode anecdotique. Mais c'est sans doute aussi précisément pour cela qu'une telle situation peut avoir une vertu "libératoire" pour les intéressés : se raconter, raconter à un étranger des choses que l'on garde habituellement pour soi ou, tout au moins, dans un entre-soi restreint, c'est aussi se libérer - ne serait qu'une fois - d'une réserve qui, à la longue, peut être pesante ; et c'est aussi, du même coup, prendre conscience que l'on peut être, en tant que tel, reconnu et considéré digne d'intérêt par quelqu'un qui n'est ni un proche ni un ami, dans une relation qui n'est ni marchande ni conflictuelle. De fait, il est souvent arrivé que mes interlocuteurs témoignent et me fassent part de cette vertu à la fois libératrice et valorisante de l'entretien. De même, Béatrice Pouligny, qui a été confrontée pour sa part à des victimes ou témoins directs de crimes de masse, raconte que « lors d'enquêtes de terrain, dans le passé, le fait de n'avoir jamais pu raconter son histoire et d'avoir ainsi vu son expérience et sa souffrance reconnue étaient des leitmotivs de nombreux entretiens que j'ai conduits »1953(*).

Annexe n°2

De l'entre-soi des rencontres dominicales de football à Largentière (Ardèche) au repli communautaire (1998)

Le club de football de Largentière, laissé en déshérence deux ans auparavant par ses anciens dirigeants, a été, depuis lors, repris en main par des éducateurs issus de la communauté harkie. Cette initiative, qui faisait table rase du passé (auparavant, l'équipe était peu ouverte aux enfants de harkis), a suscité une dynamique essentiellement communautaire : l'équipe première, ainsi que la réserve, sont composées aux quatre cinquièmes de jeunes issus de la communauté harkie, auxquels se joignent quelques beurs (principalement d'origine marocaine) ; les "gaouris" (ou Français dits "de souche") se comptent sur les doigts d'une seule main. En outre, et la remarque est loin d'être adventice, bien au contraire, les trois entraîneurs sont eux-mêmes membres de la deuxième génération de harkis. En un sens (que certains déplorent, au sein même de la communauté), cette reprise en main s'apparente à une mainmise, mainmise qui, selon Jean-Claude (lui-même enfant de harki), préviendraient nombre de jeunes gaouris contre l'envie de participer à la vie du club. Quoique Mohamed (35 ans), entraîneur de l'équipe première, s'en défende avec véhémence, certains craignent de voir évoluer le club vers une forme de communautarisme, symétrique de la situation connue précédemment mais aboutissant au même résultat : la coexistence obstinée de deux mondes parallèles.

En ce dimanche de novembre à Largentière, l'équipe première rencontre (à l'occasion d'un match de coupe) une équipe qui évolue habituellement trois divisions au-dessus de la sienne, tandis que l'équipe réserve (toujours à l'occasion d'un match de coupe) se déplace dans un quartier "chaud" d'Aubenas, match qui revêt une signification extra-footballistique puisqu'il marque, par surcroît, l'opposition (traditionnellement empreinte d'une certaine tension) entre les "Algériens" (entendre les enfants d'immigrés algériens) d'Aubenas et les "harkis" de Largentière.

A match exceptionnel, affluence exceptionnelle : environ deux cent personnes (essentiellement des hommes, plutôt jeunes) se pressent autour du stade de Largentière pour assister au match de l'équipe première. La part des membres de la communauté harkie dans la composition du public (toutes générations confondues) avoisine les soixante pour cent, alors qu'elle ne représente, selon Mohamed (35 ans) que quinze à vingt pour cent de la population totale de Largentière. La proportion s'élève à mesure que la fourchette d'âges prise en compte s'abaisse, atteignant un pic d'environ quatre-vingt pour cent pour les 12-25 ans.

Une soixantaine de jeunes - fils et petits-fils de harkis (exclusivement des garçons) - sont rassemblés derrière le banc de touche de l'équipe, le long de la main courante ou, plus en retrait, sur une butte qui fait face au terrain. Ils forment, au sein du public, le groupe le plus imposant (entre un tiers et un quart de l'assistance), le plus bruyant et, semble-t-il, le plus concerné : les joueurs leur sont visiblement familiers. Au sein de ce "kop" improvisé, deux sous-groupes - caractéristiques de deux classes d'âges bien distinctes - se détachent : d'une part, les "minots" (10-14 ans) ; d'autre part, les "grands frères" (25-29 ans). Les adultes et les "vieux" sont eux répartis tout autour du terrain, par petits groupes. Il y a davantage de mixité parmi les plus âgés.

Ce qui frappe de prime abord y compris, et surtout, au sein de la strate la plus juvénile du public, c'est la prégnance de l'entre-soi, d'un communautarisme "réflexe", non pressenti, non rationalisé, mais qui s'impose, qui va de soi. Pour preuve, l'absence totale de mixité : un petit groupe, formé d'une dizaine d'adolescents (des gaouris), reste à l'écart, excentré ; sa composition, tout autant que l'attitude d'ensemble de ses membres, contrastent avec celles du groupe précité : filles et garçons y sont également représentés et les chamailleries intestines prévalent de beaucoup sur la tension du match, peu concernés tant par la rencontre (qui est avant tout prétexte à sortie) que par ses acteurs (dont ils ne semblent pas familiers), ils se dispersent aussitôt le coup de sifflet final, au contraire des jeunes fils de harkis (tout au moins les plus âgés d'entre eux) qui resteront de heures près de la buvette à "refaire" le match autour d'un verre. Cette césure entre "harkis" et "gaouris" au sein des jeunes générations n'est pas seulement circonstancielle : à la faveur d'un entretien, quelques jours plus tard, Rachid et Mohamed (28 ans) m'en confirmeront la réelle prégnance, tout au long de l'année.

En cours de seconde mi-temps, l'équipe réserve, qui revient victorieuse de son match à Aubenas et dont la moyenne d'âge est sensiblement moins élevée, signale bruyamment (klaxons bloqués) son retour, débordements de joie à la mesure de la rivalité, voire de l'animosité qui, selon Lahcène, baignent l'atmosphère des rencontres (sportives mais aussi, parfois, quotidiennes) entre "ceux" de Largentière (les enfants de harkis) et "ceux" d'Aubenas (les enfants d'immigrés algériens, tout particulièrement) ; Lahcène, tout à sa joie, de m'expliquer que, de fait, le match a été "chaud" et les tacles « à hauteur des genoux »...

Je compte profiter de la présence familière de Lahcène (que j'ai interviewé l'avant-veille) pour offrir ma démarche à l'attention de quelques-uns de ses camarades, conformément, d'ailleurs, à une proposition de l'intéressé lui-même (lors de notre première entrevue). Lahcène pensait en effet faciliter, par son entremise, les prises de contact avec des jeunes qu'il avait présentés comme étant quelque peu « sauvages », donc difficiles à aborder sans intermédiaire connu et reconnu. Cependant, en situation, au milieu du groupe des pairs, Lahcène, sans doute gêné par ma compagnie, présence étrangère qui détonne au milieu du groupe des pairs, adopte une attitude exagérément précautionneuse - sinon distante (il feint d'abord de ne pas me voir malgré l'évidente singularité de ma présence, c'est-à-dire, précisément, en raison de cette singularité). Cette attitude témoigne de l'enclosure relative du groupe, de la prégnance d'une forme diffuse de contrôle communautaire, enjoignant ceux qui s'y soumettent au plus grand discernement - sinon à une certaine circonspection - quant à l'introduction d'éléments allogènes en son sein. En outre, manifestement déconcerté (pour lui-même1954(*)) et mis en porte à faux (vis-à-vis de ses camarades) par l'incongruité d'une démarche, la mienne, qui ne vise pas à prêter assistance à - mais à solliciter le concours bienveillant de jeunes qui sont eux-mêmes en attente de quelque chose, bien plus, qui se considèrent en droit d'attendre quelque chose des autres, Lahcène se contente pour toute entremise d'un geste circulaire et vague (« Ben, voilà, ils sont là... »), qui me laisse face à mes responsabilités. Je prends donc mon parti d'aborder librement un de ses camarades ; Lahcène, qui suit la scène de loin, lance à mon sujet : « Il travaille dans le social », ajoutant inextricablement à la confusion de la situation ; confusion qui n'est pas seulement d'ordre sémantique puisque travailler dans et sur le social, ce n'est évidemment pas la même chose en soi, mais, surtout, cela n'a pas les mêmes implications pour mes interlocuteurs.

Ce statut virtuel qui m'est conféré à la dérobade (Lahcène a-t-il jamais compris l'objet de ma démarche ?) a le don de faire naître un (faux) espoir chez mon vis-à-vis (« Vraiment, tu travailles dans le social ?! ») et, conséquemment, de fragiliser ma démarche, celle-ci pouvant apparaître "vaine", sinon inopportune pour les intéressés, par contraste avec celle d'un travailleur social ou d'un chargé de mission/prospecteur dans le domaine de l'emploi ; de fait, ma tentative de rétablissement de la situation d'interaction, par redéfinition des statuts (« Je suis étudiant, je m'intéresse à la communauté harkie, je pensais que nous pourrions parler de ta situation... ») et redistribution des rôles (inversion de la polarisation offreur/demandeur et "démonétisation" des termes de l'échange - je n'ai rien à offrir, sinon de l'attention, à mon vis-à-vis), se heurte à une fin de non recevoir explicitement motivée par l'absence de perspectives matérielles : « Parler, je l'ai déjà trop fait, c'est du concret qu'il nous faut ». Comme pour faire écho à son refus et à son désarroi, certains s'écrient, sans s'adresser directement à moi (mais le message est clair) : « Y'a pas de boulot ! ».

Ce qui est en jeu, ici, c'est d'abord "l'incongruité" d'une démarche réflexive/idéelle quand l'urgence, pour mes interlocuteurs, est à l'amélioration de leur situation matérielle. Ce qui est en jeu également, mais de manière plus structurante (et souterraine), c'est la violence symbolique inhérente à une démarche qui les invite à mobiliser des compétences (notamment langagières) dont ils peuvent a priori se sentir dépossédés puisque, pour la plupart, ils ne disposent que d'un faible capital scolaire1955(*).

Nouvelle rencontre, deux jours plus tard, avec le jeune qui m'avait pris pour un travailleur social et qui avait décliné ma proposition d'entretien. Malgré ma mise au point de dimanche, la confusion demeure : il me demande si je suis rémunéré pour mes activités, dont la véritable nature lui reste visiblement étrangère puisqu'à nouveau il m'interpelle sur la nature des aides que je - ou "nous" (moi et l'institution que je suis censé représenter) - suis (sommes) susceptible(s) de "leur" (les jeunes de Largentière) apporter. Nouvelle mise au point. Mon interlocuteur de conclure sur un : « C'est bizarre, quand même ». Le malentendu demeure.

Il en ressort un état d'esprit général fait de dépendance et de méfiance mêlées vis-à-vis de l' « hors-groupe », l'extérieur étant à la fois conçu comme la seule planche de salut possible sur le plan matériel et comme un monde inconnu, voire vaguement hostile, sur le plan des relations interpersonnelles. Cette fermeture relative à l'autre est d'abord le produit d'une socialisation en « vase clos » (sur l'autre versant de la colline, en lisière de Largentière, au beau milieu de l'Ardèche), qui plus est en butte à une mentalité autochtone que nombre d'enfants de harkis qualifient volontiers de « rétrograde » et qui, même en l'absence d'un climat d'animosité véritablement perceptible, n'inviterait que modérément au cosmopolitisme. Et, de fait, chacun garde ses distances.

Annexe n°3

Le contre-exemple institutionnel de la « Loi de concorde civile »

Le processus initié par la « Loi de concorde civile », promulguée le 16 juillet 1999 en Algérie en vue de « dégager des issues appropriées aux personnes impliquées et ayant été impliquées dans des actions de terrorisme ou de subversion »1956(*), puis parachevé par la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », adoptée par référendum le 29 septembre 2005, plutôt que de viser à la réparation des termes de l'échange avec l'adversaire, participe de ces « stratégies de disculpation qui, selon Paul Ricoeur, font obstacle au cheminement de l'esprit de pardon »1957(*).

De fait, la démarche générale de la présidence algérienne ressortit moins de la volonté d'aménager un espace de réciprocité où puisse être énoncé - et non effacé - le différend, au sens où l'on en viendrait à « [construire] un mixte entre plusieurs langages, plusieurs univers de justification (...) sans trancher définitivement sur le fond »1958(*), que d'une grâce amnistiante conditionnée par un acte de capitulation en bonne et due forme1959(*) et assortie d'un ultimatum1960(*). En somme : le "fait du prince", un processus unilatéral de réconciliation, conforme à l'acception religieuse du terme, soit une « cérémonie par laquelle un pécheur est pardonné et réadmis à la communauté par l'église »1961(*). Il ne s'agit donc pas d'instaurer un rapport de réciprocité avec l'adversaire, mais, après s'être assuré de son « amendement entier »1962(*), de faire acte de mansuétude à son égard ; autrement dit, de l'amener à résipiscence contre la promesse d'une impunité relative (et la certitude d'une impunité totale pour soi). Ce primat de l'amodiation sur la délibération appert de l'article 1er de la loi dite de « concorde civile », lequel dispose qu'il s'agit de « dégager des issues appropriées » non à la situation mais « aux personnes impliquées ou ayant été impliquées dans des actions de terrorisme ou de subversion ». Cette loi s'attache ainsi moins à réunir les conditions d'un règlement politique global du conflit qu'à réunir celles, dissolvantes, d'un sauf-conduit au cas par cas. Elle ne saurait dès lors satisfaire ni les victimes civiles du terrorisme islamiste, ni les familles de disparus. Pas plus qu'elle ne saurait satisfaire l'aspiration de l'ex-F.I.S. (dissous) à être réintégré dans le jeu politique. Ainsi, pour Cherifa Kheddar, qui a fondé une association de victimes suite à l'assassinat de plusieurs membres de sa famille par des islamistes armés, « [la loi sur la « concorde civile »] blanchit les terroristes sans véritable procès. On devrait même assigner l'État qui ne nous a pas protégés. Il faudrait en tout cas que nous puissions avoir un débat public sur ce qui s'est passé, et pas simplement tourner la page »1963(*). Pour antagoniques que fussent leurs univers de justification et leurs ordres d'engagement, c'est le même type de réserves et de récriminations qui ressortaient des propos d'Abdelkader Hachani, n°3 du F.I.S., peu avant son assassinat le 22 novembre 1999. Pointant le caractère « ambigu » de la démarche référendaire d'Abdelaziz Bouteflika, tant du point de vue du libellé de la question1964(*) que de celui de la limitation dans le temps des bénéfices attachés à la loi de « concorde civile », Abdelkader Hachani craignait que « cette manière de procéder serve à lui donner un alibi pour le déclenchement d'une action répressive plus forte encore que celle qui a eu lieu jusqu'à présent ». Il appelait à ce que « soient jugés, dans le camp du pouvoir comme dans l'autre, ceux qui ont commis des crimes. Nous ne pourrons nous réconcilier que si les responsabilités de chacun sont clairement établies. Quand je saurai qui a tué mon frère, je pourrai lui pardonner » ; « Mais, une fois encore, ajoutait-il, j'ai le regret de croire que la violence va continuer, car on ne s'attaque pas aujourd'hui à ses causes »1965(*).

Dans la droite ligne de la « Loi sur la concorde civile », la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » adoptée par référendum le 29 septembre 2005, plutôt que de faire droit au différend, pose que « l'évolution de l'Algérie a été déviée de son cours naturel par une agression criminelle sans précédent » et que « nul, en Algérie ou à l'étranger, n'est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de tous ses agents qui l'ont dignement servie ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international ». En conséquence, cette charte stipule que « le peuple algérien, tout en étant disposé à la mansuétude, ne peut oublier les tragiques conséquences de l'odieuse instrumentalisation des préceptes de l'Islam, religion de l'Etat » et « [interdit] aux responsables de cette instrumentalisation toute possibilité d'exercice d'une activité politique et ce, sous quelque couverture que ce soit »1966(*).

Annexe n°4

La bataille du 19-mars

En France, la célébration de fait, par certaines autorités officielles (notamment des communes), de la date anniversaire de la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, le 19 mars 1962, fait polémique. De telles cérémonies commémoratives, célébrées à l'initiative de la FNACA (Fédération Nationale des Anciens Combattants d'Afrique du Nord en Algérie, au Maroc et en Tunisie, d'obédience communiste et socialiste) et de l'ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, des Combattants pour l'Amitié, la Solidarité, la Mémoire, l'Antifascisme, l'Antiracisme et la Paix, de stricte obédience communiste) - qui mènent à cet effet d'intenses actions de lobbying auprès des élus locaux et des pouvoirs publics pour que ces commémorations soient systématisées1967(*) et que le 19 mars soit entérinée par la loi comme date officielle de commémoration du souvenir de la guerre d'Algérie -, sont conçues par l'ensemble des autres associations d'anciens combattants et de rapatriés comme une insulte à l'égard de la mémoire des centaines de militaires, des milliers de pieds-noirs et des dizaines de milliers de harkis et membres de leurs familles morts ou disparus après cette date1968(*).

Cette indignation est partagée par la plupart des fils et filles de harkis que nous avons pu interroger :

« Il y a juste quelques jours on a fêté le trente-cinquième anniversaire du 19 mars (...). Certains disaient que le 19 mars, c'était la fin de la guerre, hélas !, je suis désolé, mais pour nous c'est le début du massacre » (Mohamed, 42 ans) ;

« Ils veulent en plus... commémorer le 19 mars... voilà, c'est ce qui me dégoûte. Commémorer le 19 mars ? Ils ont honte de parler de la guerre d'Algérie, euh... c'est même pas dans les livres d'histoire, etc., on n'en parle jamais à la télé (...) et puis... le 19 mars on commémore les accords d'Evian, alors que c'est honteux pour la France. La France, y veulent pas exorciser ça, ils veulent pas en parler et y veulent commémorer un 19 mars... c'est dingue quoi, c'est... c'est cracher sur les morts qu'il y a eu, Français et... harkis (...). C'est vraiment un très grave sujet (...). C'est comme si on commémorait Hitler ou... je sais pas, l'armistice avec Pétain quand il a signé. Dans les accords d'Evian, c'est stipulé ceci, cela, ils ont rien respecté, ils ont... massacré des gens, la France a lâché les harkis, la France a ordonné à ses hommes de désarmer les harkis, de les renvoyer dans leurs douars, de ne pas les prendre sur les bateaux, de les débarquer sur les quais (...) (Jacqueline).

Ainsi, l'opportunité de la commémoration du 19 mars 1962 a de tout temps été contestée non seulement par la majeure partie du monde combattant, pour qui cette date vaut confiscation d'une victoire, mais aussi - et surtout - par les rapatriés pieds-noirs et harkis, pour qui elle marque le début de l'exil et des massacres. Du reste, cette opposition a également été marquée, en leur temps, par Valéry Giscard d'Estaing (« L'anniversaire des Accords d'Evian n'a pas à faire l'objet d'une célébration »1969(*)) et François Mitterrand (« S'il s'agit de marquer le recueillement national et d'honorer les victimes de la guerre, je dis que cela ne peut pas être le 19 mars »1970(*)), puis plus récemment par Jacques Chirac, au cours de la Journée d'hommage national aux harkis :

« Pour les populations civiles, le 19 mars 1962 a marqué la fin des hostilités militaires, mais pas la fin des souffrances. D'autres épreuves, d'autres massacres sont venus s'ajouter aux peines endurées pendant plus de sept ans. Qu'elles soient tombées avant ou après le cessez-le-feu, nous devons à toutes les victimes l'hommage du souvenir. Oublier une partie d'entre elles, ce serait les trahir toutes ».

Pourtant, à l'approche des élections présidentielles de 2002, ce consensus politique tacite - mais à bien des égards artificiel à gauche, car longtemps redevable pour l'essentiel de la volonté personnelle de François Mitterrand - a volé en éclat : une proposition de loi du 5 décembre 2001 relative à « la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie » émanant de la majorité de gauche (projet commun aux socialistes, communistes, radicaux de gauche et Verts) a ravivé la polémique et l'a installée au coeur de l'hémicycle de l'Assemblée nationale. En dépit des paroles de dédramatisation voulues par les initiateurs da la proposition1971(*), celle-ci a soulevé maintes protestations non seulement de la part de l'opposition parlementaire (à quelques exceptions près), mais aussi - et surtout - de la part de la très grande majorité des associations d'anciens combattants et de rapatriés pieds-noirs et harkis.

Ainsi, le 31 décembre 2001, Smaïl Boufhal, président de « Génération Mémoire Harkie » et élu local socialiste, soulignait que le choix de cette date, plutôt que de rassembler dans un même recueillement les différents protagonistes français de la guerre d'Algérie, approfondissait le clivage né du contraste entre « le début du calvaire des harkis et l'exil douloureux de nombreux Français d'Algérie » d'une part, le « soulagement de ceux qui avaient 20 ans dans les djebels » d'autre part. Usant d'un argumentaire comparable, Mohand Hamoumou, président de l'Association Justice, Information, Réparation pour les Harkis (AJIR), faisait part en ces termes - dans une lettre adressée à l'attention de la rapporteure de la proposition de loi, Marie-Hélène Aubert (deputée Verts) - de son profond scepticisme quant à la capacité de cette proposition de loi à réconcilier les Français avec leur histoire : « La proposition de loi parle de «dimension pédagogique». Comment expliquer «pédagogiquement» aux générations à venir que l'on célèbre une date synonyme, certes de «quille» pour des appelés mais aussi de non respect d'accords officiels et de début des massacres horribles et massifs de ceux qui avaient cru aux valeurs françaises et avaient refusé non l'indépendance mais le terrorisme du FLN pour y parvenir ». Le 14 janvier 2002, Charles Tamazount, président du « Comité Harkis et Vérité » et membre du Parti socialiste, s'inquiétait de ce que « choisir le 19 mars, c'est occulter une nouvelle fois, de manière légale de surcroît, le drame des harkis ». Le 15 janvier, jour du débat parlementaire préalable à la mise au voix de la proposition de loi, la semaine suivante, à l'Assemblée nationale, une quinzaine de personnalités de toutes sensibilités issues ou connues pour leur engagement auprès de la communauté harkie1972(*) tenaient une conférence de presse devant le Palais Bourbon pour faire connaître leur opposition à ce qu'ils considéraient être une « provocation ». Le lendemain, certains d'entre eux1973(*) adressaient une « lettre aux députés socialistes ». Les signataires, « militants ou sympathisants socialistes et personnalités apolitiques », y dénonçaient « la démagogie vis-à-vis de l'électorat beur [à l'approche des élections présidentielles] » et « l'insulte à la mémoire de tous ceux massacrés après le 19 mars au mépris d'Accords d'Evian jamais respectés par l'Algérie ». « [Cette proposition de loi], ajoutaient-ils, choque les citoyens lassés de la repentance à sens unique, exaspère la majorité des anciens combattants et meurtrit toute la communauté de rapatriés, harkis et Pieds Noirs ».

Ainsi, dans cette « bataille du 19 mars »1974(*), le conflit ne porte pas seulement sur l'interprétation des faits (la décolonisation en tant que norme historique), mais leur ordonnancement même est fragmenté, recomposé (remémoration des séquences ayant conduit et résulté de la décolonisation). Ainsi, écrit Olivier Abel, « le tragique de l'histoire oppose des mémoires incompatibles, non seulement parce que l'histoire est racontée dans une pluralité de récits formés à partir de points de vue séparés (...), mais souvent la temporalité commune est elle-même brisée, parce qu'il n'y a pas de question commune qui nous rendrait contemporains les uns des autres, il n'y a plus d'échange possible sous un principe commun »1975(*).

Néanmoins, conscient des clivages suscités par cette proposition de loi, le secrétaire d'État socialiste aux Anciens combattants, Jacques Floch, avait déclaré que celle-ci devrait être soutenue par « au moins 70% des députés » pour être retenue. De même, le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, avait exprimé le souhait que le projet recueille au moins les deux tiers des suffrages des inscrits à la Chambre basse, « sinon cela (voudra) dire que le débat n'est pas mûr et on en restera là ». En raison de la défection d'un nombre relativement important de députés de la majorité plurielle (six socialistes et trois verts ont voté contre ce texte, et quinze socialistes et trois verts se sont abstenus) et d'un nombre insuffisant de ralliements à droite (seuls 17 députés de l'opposition ont voté pour1976(*)), ce quota ne sera pas atteint (le résultat final étant de 278 voix "pour", 204 "contre", et 35 abstentions). En conséquence, le jour même, 22 janvier, les services du Premier ministre confirmaient que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne serait pas inscrit à l'ordre du jour du Sénat.

À la suite de l'alternance politique du printemps 2002, le nouveau secrétaire d'État aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, a mis en place une commission présidée par l'historien Jean Favier, et composée de douze présidents d'associations et fédérations d'anciens combattants de la guerre d'Algérie (dont la FNACA), chargée de fixer une date de commémoration de la guerre d'Algérie. Au cours d'une conférence de presse, Hamlaoui Mekachera a chargé cette commission « de trouver une solution qui convienne au monde combattant ». Arguant du fait que le choix de cette date devait « s'inscrire dans une démarche de rassemblement, faute de quoi [ce choix] perdrait son sens », il a en outre assuré que l'État « ne s'occuperait ni de près ni de loin de ce débat ». Par suite, si la majorité des associations d'anciens combattants s'accordait à rejeter le date du 19 mars (exceptions faites de la FNACA et de l'ARAC, qui réaffirmaient leur préférence pour ce choix), les avis divergeaient quant au choix d'une autre date : la commission optera finalement pour le 5 décembre (faite « Journée nationale d'hommage aux «morts pour la France» pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie »), date d'inauguration en 2002 du Mémorial national de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie (situé quai Branly, à Paris). Ce choix a été officialisé le 26 septembre 2003, par décret du président de la République. Cependant, pour sa part, la FNACA continue depuis lors à célébrer le « 19-mars : fin de la guerre d'Algérie » et à militer pour l'officialisation de cette date1977(*).

Ainsi, l'exemple de la « bataille du 19 mars » témoigne - dans l'interprétation à donner de la phase finale de la guerre d'Algérie, et dans les usages qui en sont fait rétrospectivement - de « l'étroitesse de l'angle d'engagement des protagonistes », et de ce « qu'à travers la finitude de leurs points de vue chacun d'eux développe une visée de légitimation infinie » 1978(*).

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES

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? Des précisions intéressantes sur les circonstances qui ont présidé à la constitution puis à la dispersion du maquis OAS de l'Ouarsenis, constitué fin mars 1962 autour des formations supplétives du bachaga Boualam, ainsi que sur le rôle ambigu joué par ce dernier, à la fois élément déclencheur de la sédition puis élément moteur de la reddition de ses hommes (voir notamment les chapitres 66, 67 et 68).

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Témoignages de personnels affectés dans les structures d'accueil et de reclassement collectif des anciens harkis et de leurs familles

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Sur les desseins politiques des élites musulmanes pro-françaises : récits, (auto)biographies, témoignages

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Approche polémique, immédiatement contemporaine de la guerre d'Algérie

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Moinet (B.), Ahmed ? Connais pas... Le calvaire des harkis,, Paris, Lettres du monde, 1980, [Rééditions en 1989 (Editions de l'Athanor) et 1997 (Godefroy de Bouillon)].

Ruty (Lucien), Chronique d'une honte partagée : la tragédie harkie, Cabédita, 1994.

Tebib (Roger), Les harkis : du génocide aux ghettos, inédit (document dactylographié), sans date.

Titraoui (Taouès) et Coll (Bernard), Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991.

? Taouès Titraoui et Bernard Coll sont les fondateurs et animateurs de l'association Jeune Pied-Noir. Ce livre, publié en 1991, à une époque où la question des harkis était peu débattue, a été, à sa manière, un livre "pionnier". S'il ne participe pas d'une démarche historienne - c'est plutôt un livre "militant", qui vise à "faire mémoire" envers et contre la mémoire officielle - il est très bien documenté et présente l'essentiel de ce qui était disponible avant l'ouverture des archives, tant au plan des missives officielles que de l'iconographie.

Titraoui (Taouès) et Coll (Bernard), Agenda-guide 1997 des harkis, des pieds-noirs, des Français d'A.F.N. et d'Outre-Mer et de tous leurs amis, Bièvres, Jeune Pied Noir.

Approche romanesque

Belaïd (Lakhdar), Sérail killers, Paris, Gallimard, 2000.

Chamski (Thadée), La Harka, Paris, Robert Laffont, 1961.

Charef (Medhi), Le harki de Meriem, Paris, Le Mercure de France, 1989.

Kemoun (H.), M. le harki, Paris, Editions A. Carrière, 2003.

Mimouni (Rachid), Tombéza, Paris, Robert Laffont, 1984.

Rudefoucauld (Alain-Julien), J'irai seul, Paris, Le Seuil, 2002.

Approche théâtrale

Messaoud Benyoucef, Le nom du père, Nointel, L'Embarcadère, 2005.

Cette pièce a été l'objet d'une vive polémique (des enfants de harkis ont même entrepris de s'opposer à sa représentation en certains endroits), l'auteur algérien s'étant vu reprocher de véhiculer une image injurieuse des anciens harkis et de leurs enfants.

3. Ouvrages de sociologie et de sociologie politique

Épistémologie et méthodologie des sciences sociales

Boudon (Raymond) et Bourricaud (François), Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982.

Bourdieu (Pierre), Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Droz, 1972.

Bourdieu (Pierre), Ce que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.

Bourdieu (Pierre), La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.

Demazière (Didier), Dubar (Claude), Analyser les entretiens biographiques. L'exemple de récits d'insertion, Paris, Nathan, 1997.

Doron (Roland), Parot (Françoise), Dictionnaire de psychologie, Paris, PUF, 1991.

Fischer (G.-N.), Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Paris, Bordas, 1987.

Fischer (G.-N.), La psychologie sociale, Paris, Editions du Seuil, 1987.

Ghiglione (R.), Matalon (B.), Les enquêtes sociologiques : théories et pratiques, Paris, Armand Colin, 1978, p.74.

Hughes (Everett C.), Le regard sociologique, Paris, Editions de l'E.H.E.S.S., 1996.

Lalande (A.), [1926], Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1992 (2 tomes).

Mucchielli (A.), Les méthodes qualitatives, Paris, QSJ ?, n°2591, P.U.F., 1991.

Poirier (J.), Clapier-Valladon (S.), Raybaut (P.), Les récits de vie, théorie et pratique, Paris, P.U.F., 1995.

Watier (Patrick), La sociologie et les représentations de l'activité sociale, Paris, Méridiens-Klincksieck/Masson, 1996.

Strauss (Anselm), La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L'Harmattan, 1992.

Sociologie de l'identité, sociologie de la déviance, sociologie clinique, sociologie de l'exclusion, sociologie des générations, sociologie de la mémoire, sociologie du quotidien

Attias-Donfut (Claudine), Sociologie des générations. L'empreinte du temps, Paris, PUF, 1988.

Becker (Howard S.), Outsiders, études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 [1ère édition : 1963, The Free Press of Glencoe].

Berger (P.) et Luckmann (T.), La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1986.

Camilleri (Carmel), et al., Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990.

Chevalier (Jacques), dir., L'identité politique, CURAPP-CRISPA, Paris, PUF, 1994.

Coenen-Huther (Josette), La mémoire familiale, Paris, L'Harmattanr, 1994.

Deschamps (Jean-Claude), L'attribution et la catégorie sociale, Berne, Peter Lang, 1977.

Deschamps (Jean-Claude), Clémence (Alain), L'explication quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000.

Dubar (Claude), La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin, 1991.

Elias (Norbert), Scotson (J.-L.), Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

Erikson (Erik H.), Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris, Flammarion, 1972.

Gaulejac (Vincent de) et Taboada Léonetti (Isabelle), dir., La lutte des places. Insertion et désinsertion, Marseille/Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

Gaulejac (Vincent de), Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

Gaulejac (Vincent de), L'Histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.

Gautheron (Marie), dir., L'honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque, Paris, Editions Autrement, 1991.

Goffman (Erving), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Editions de Minuit, 1968.

Goffman (Erving) [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975.

Halbwachs (Maurice), La mémoire collective, Paris, PUF, 1968 [1ère édition en 1950].

Halbwachs (Maurice), Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994 [1ère édition : 1925].

Landowski (Eric), Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, PUF, 1997.

Lapierre (Nicole), Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999).

Levi-Strauss (Claude), L'identité, Séminaire interdisciplinaire du Collège de France, Paris, PUF, 1987 [1ère édition Grasset, 1977].

Lipiansky (E.M.), Identité et communication, l'expérience groupale, Paris, PUF, 1992.

Mannheim (Karl), Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990.

Mead (G.H.), L'esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963 [1ère édition : 1934].

Mucchielli (Alex), L'identité, Paris, « Que sais-je ? », PUF, 1992 [2ème édition].

Namer (Gérard), Mémoire et société, Paris, Librairie des Méridiens, 1987.

Namer (Gérard), La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997.

Ricoeur (Paul), De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Le Seuil, 1965.

Ricoeur (Paul), Temps et récit. Tome 1 : « L'intrigue et le récit historique », Paris Seuil, 1983 ; Tome 2 : « La Configuration dans le récit de fiction », Paris Seuil, 1984 ; Tome 3 : « Le temps raconté », Paris Seuil, 1985.

Ricoeur (Paul), Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

Tap (Pierre), Identité individuelle et personnalisation, colloque international Toulouse sept. 1979, Toulouse, Privat, 1980, T.1.

Tap (Pierre), Identités collectives et changements sociaux, Toulouse, Privat, 1980, T.2.

Terrail (Jean-Pierre), La dynamique des générations : activité individuelle et changement social, Paris, L'Harmattan, 1995..

Sociologie politique des identités, des imaginaires, de la nation, de la mémoire et du pardon (y compris la judiciarisation du politique)

Abel (Olivier), dir., Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991.

Anderdon (Benedict) [1983], L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.

Bayart (Jean-François), L'illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996. 

Castoriadis (Cornélius), L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.

Conan (Eric), Rousso (Henry), Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, 1996.

Foucault (Michel), Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.

Gellner (E.), Hobsbawn (E. H.) et Ranger (Terence), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

Girard (René), La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.

Girardet (Raoul), Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986. 

Grosser (Alfred), Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989.

Lefranc (Sandrine), Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

Martin (Denis-Constant), dir., Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994.

Moreau-Defarges (Philippe), Repentance et réconciliation, Paris, Presses de la FNSP, 1999.

Nora (Pierre), dir., Les lieux de mémoire, tome 1, « La République », Paris, Gallimard, 1984.

Nora (Pierre), dir., Les lieux de mémoire, tome 2, « La Nation », vol.3, Paris, Gallimard, 1986.

Osiel (Mark), Juger les crimes de masse. La mémoire collective et le droit, Paris, Seuil, 2006 (Préface d'Antoine Garapon).

Peschanski (Denis), Pollak (Michael) et Rousso (Henry), dir., Histoire politique et sicences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991

Ricoeur (Paul), La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

Rigby (Andrew), Justice and Reconciliation. After the Violence, Lynne Rienner Publishers, Boulder/London, 2001.

Rousso (Henry), Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990 [1ère édition : 1987].

Sorel (Georges) [1908], Réflexions sur la violence, Paris, Marcel Rivière, 1972.

Smith (Anthony D.), The Ethnic Origins of Nations, Oxford, Blackwell, 1986.

Taylor (Charles) [1992], Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994.

Taylor (Charles) [1989], Les sources du moi. La formation de l'identité moderne, Paris, Seuil, 1998.

Todorov (Tzvetan), Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 2004 [1ère édition : 1995].

Sociologie politique des conflits (y compris les crimes de masse)

Chaliand (Gérard), Stratégies de la guérilla, Paris, Editions Payot & Rivages, 1994 [1ère édition : Mazarine, 1979].

Féron (Elise), Hastings (Michel), L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002.

Levene (Mark) & Roberts (Penny), ed., The Massacre in History, New York-Oxford, Berghahn Books, 1999.

Sémelin (Jacques), Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.

Sociologie de l'immigration et de l'intégration

Amar (Marianne), Milza (Pierre), L'immigration en France au XXème siècle, Paris, Armand Colin, 1990.

Geisser (Vincent), Ethnicité républicaine. Les élites d'origine maghrébine dans le système politique français, Paris, Presses de la F.N.S.P., 1997.

Noiriel (Gérard), Le creuset français. Histoire de l'immigration (XIXe-XXe siècles), Paris, « L'univers

Historique », Seuil, 1988.

Sayad (Abdelmalek), La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré, Paris, Seuil, 1999, avec une préface de Pierre Bourdieu.

Schnapper (Dominique), La France de l'intégration, Paris, Gallimard, 1991.

Stora (Benjamin), Ils venaient d'Algérie. L'immigration algérienne en France 1912-1992, Paris, Fayard, 1992.

Terrasse (Jean-Marc), Génération beur etc..., Paris, Plon, 1989.

Philosophie politique et philosophie historique

Kundera (Milan), La plaisanterie, Paris, Gallimard, 1985 [1ère édition : 1967].

Habermas (Jürgen) [1962], L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1997.

Jankélévitch (Vladimir), L'imprescriptible. Pardonner ? Dans l'honneur et la dignité, Paris, Seuil 1986 [1ère édition : 1948, Les Temps modernes]

Jankélévitch (Vladimir), Le pardon, Paris, Aubier, 1957.

Lazzeri (Christian), Reynié (Dominique), dir., Le pouvoir de la Raison d'État, Paris, P.U.F., 1992.

Lazzeri (Christian), Reynié (Dominique), dir., La raison d'État : politique et rationalité, Paris, PUF, 1992.

Machiavel, Le Prince, Paris, Nathan, 1982.

Popper (Karl), La société ouverte et ses ennemis, 2 vol., Paris, Seuil, 1979 [1ère édition : 1945].

Autres

Chevalier (Louis), Classes laborieuses, classes dangereuses, Paris, Hachette, 1984.

Faure (A.), dir., La construction du sens dans les politiques publiques ; débats autour de la notion de référentiel, Paris, L'Harmattan, 1995.

Jobert (Bruno), Muller (Pierre), L'Etat en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, 1987.

ARTICLES, contributions à des ouvrages collectifs et allocutions

1. Articles consacrés à la guerre d'Algérie

Sur la construction de l'Etat-FLN

Rouadjia (Ahmed), « L'Etat algérien et le problème du droit », Politique étrangère, IFRI, été 1995.

Sur la phase finale de la guerre d'Algérie et les conséquences de la politique de « dégagement »

Pervillé (Guy), « Les accords d'Evian et les relations franco-algériennes » in Rioux (Jean-Pierre), dir., La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990.

Sur les desseins politiques de la France en guerre d'Algérie

Peyrefitte (Alain), « L'homme qui habitait sa statue », Historia, n°400, 1980.

Sur le climat intellectuel autour de la guerre d'Algérie : commentaires, témoignages, études

Brillet (Emmanuel), « De la congruence entre l'intellection et l'intervention : Sartre et Camus en guerre d'Algérie », Cahiers Politiques, CREDEP - Paris IX-Dauphine, n°5, Juin 2000, p.31 à 58.

Crouzet (Michel), « La bataille de l'écrit », La Nef, « Numéro spécial : Histoire de la Guerre d'Algerie, suivie d'une histoire de l'O.A.S. », Paris, Julliard, n°12-13, octobre 1962-janvier 1963.

Quemeneur (Tramor), Insoumission, tortures et indépendance algérienne. Des débats entre morale et politique (1954-1962), communication au VIème Congrès de l'Association française de science politique, Rennes, 30 septembre 1999.

Vidal-Naquet (Pierre), « Une fidélité têtue. La résistance française à la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, vol. n°10, 1986, p.3 à 18.

Sur les imaginaires constitués (officiels et collégiaux) et les enjeux historiographiques de la guerre d'Algérie

Addi (Lahouari), « Réflexion politique sur la tragédie algériene », Confluences Méditerranée, n°20, hiver 1996-1997.

Carlier (Omar), « D'une guerre à l'autre, le redéploiement de la violence entre soi », Confluences Méditerranée, n°25, printemps 1998, p.123 à 137.

Gèze (François), « Algérie : face au poids de l'histoire et à la manipulation », Politique autrement, n°13, juin 1998.

Leca (Jean), « Récits et contre-récits de représentations politiques, sociales et religieuses au Moyen-Orient », intervention faite le 18 mars 2002 dans le cadre d'un colloque organisé par la Fondation pour la Recherche Stratégique.

Lepape (Pierre), « Du silence à la mémoire. La guerre d'Algérie dans la littérature », Etudes, octobre 1993, p.395.

Moussaoui (Abderrahmane), « De la violence au djihad », Histoire des Sciences Sociales, n°6, novembre-décembre 1994, p.1315-1333.

Moussaoui (Abderrahmane), « Algérie, la guerre rejouée », La Pensée de Midi, Hiver 2000, n° 3, p.28-37.

Pervillé (Guy), « L'Algérie dans la mémoire des droites », in Sirinelli (Jean-François), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, tome II, p.621-656.

Pervillé (Guy), « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004.

Remaoun (Hassan), « Pratiques historiographiques et mythes de fondation : le cas de la Guerre de libération à travers les institutions algériennes d'éducation et de recherche », in Ageron (Charles-Robert), dir., La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin/Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.310 à 312.

Rousso (Henry), « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002.

Rouyard (Frédéric), « La bataille du 19 Mars », in Jean-Pierre Rioux, La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990.

Soufi (Fouad), « Pratiques historiographiques et mythes de fondation. Le cas de la Guerre de libération à travers les institutions d'éducation et de recherche algériennes » in Charles Ageron, dir., La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.305-322.

Stora (Benjamin), « Algérie : absence et surabondance de mémoire », Esprit, n°208, janvier 1995.

Stora (Benjamin), « Maroc-Algérie. Retour du passé et écriture de l'histoire », Vingtième siècle, n°68, octobre-décembre 2000.

Stora (Benjamin), « L'Algérie d'une guerre à l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.

Thibaud (Paul), « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.46-60.

Thibaud (Paul), « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.197-200.

2. Articles spécifiquement consacrés à la destinée des harkis et de leurs enfants

Approche polémique, immédiatement contemporaine de la guerre d'Algérie

Vidal-Naquet (Pierre), « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat. Un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989.

Approche historique et socio-historique

Abdellatif (Saliha), « Les Français-musulmans ou le poids de l'Histoire à travers la communauté picarde », in Les Temps Modernes, numéro spécial mars-avril-mai 1984.

Ageron (Charles-Robert), « Le drame des harkis en 1962 », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6.

? L'historien Charles-Robert Ageron, directeur du Groupe de recherche sur l'histoire de la décolonisation à l'IHTP, indique avoir expressément publié cet article en réponse à la thèse de Mohand Hamoumou (Les Français musulmans rapatriés. Archéologie d'un silence ; voir références infra) aux fins de rétablir « quelques vérités historiques » selon lui mises à mal par cet auteur. La « réponse » de Charles-Robert Ageron à Mohand Hamoumou lui vaudra à son tour une « contre-réponse » de la part du colonel Abd-el-Aziz Meliani (voir références ci-dessous).

Ageron (Charles-Robert), « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.3 à 20.

Ageron (Charles-Robert), « Le «drame des harkis». Mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000, p.3 à 15.

Boulhais (Nordine), « Les harkis chaouïas, des Aurès au bassin de la Sambre (1954-1996) », Revue du Nord, vol. 78, n°316, 1996, p.581-604.

Charbit (Tom), « Saint-Maurice-l'Ardoise, socio-histoire d'un camp de Harkis (1962-1976) », Migrations Etudes, n°128, septembre 2005, p.1 à 12.

Chauvin (Stéphanie), « Des appelés pas comme les autres ? Les conscrits « français de souche nord-africaine » pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n° 48, octobre-décembre 1995, p.21 à 30.

Faivre (Maurice), « Une histoire douloureuse et controversée », Hommes et migrations, n°1135, septembre 1990, p.13-20.

Faivre (Maurice), « L'histoire des harkis », Guerre mondiales et conflits contemporains, n°202-203, avril/septembre 2001, p.55-63.

Faivre (Maurice), « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002.

Font-Piquet (Christine), « De Nemours à Largentière, une solidarité : le réseau des officiers de la DBFM », in Jean-Jacques Jordi et Émile Temime (dir.), Marseille et le choc des décolonisations, Aix-en-Provence, Édisud, 1996.

Frémeaux (Jacques), « Aux origines des troupes supplétives », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.12 à 17

Hamoumou (Mohand), « Les Français-Musulmans : rapatriés ou réfugiés ? », AWR Bulletin, Revue trimestrielle des problèmes des réfugiés, Vienne, n°4, 1987, p.185-201.

Hamoumou (Mohand), « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p. 25-45.

Hamoumou (Mohand), « Français musulmans rapatriés. Archéologie d'un silence », Mire Info, n°22, février 1991, p.30-35.

Hautreux (François-Xavier), « L'engagement des harkis (1954-1962). Essai de périodisation », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n°90, avril-juin 2006.

Hautreux (François-Xavier), « Au-delà de la victimisation et de l'opprobre : les harkis », communication donnée dans le cadre du colloque intitulé « Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l'histoire franco-algérienne » et organisé à Lyon, par l'Ecole normale supérieure Lettres et Sciences humaines, du 20 au 22 juin 2006.

Jasseron (G.), « Les harkis en France », Annuaire de l'Afrique du Nord, n°4, 1965.

Jauffret (Jean-Charles), « The Harkis : The Experience and Memory of France's Muslim Auxiliaries », in Alexander (Martin S.), Evans (Martin) and Keiger (J.F.V.), The Algerian War and the French Army, 1954-1962, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002.

Meliani (Abd el Aziz), « Le drame des harkis en 1962 : abandon prétendu ou abandon délibéré ? - Réponse au Professeur Charles-Robert Ageron », Pieds-Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui (PNHA), n°52 et 53 de décembre 1994 et janvier 1995.

Meyer (François), Le drame des harkis, Allocution prononcée à l'occasion de la rencontre « Histoire et mémoire : les harkis, 1954-1962 », Paris, Pavillon Gabriel, 7 mars 1999.

Pervillé (Guy), « Guerre d'Algérie : l'abandon des Harkis », L'Histoire, n° 102, juillet-août 1987.

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Pervillé (Guy), « Guerre d'Algérie : l'abandon des harkis », in Ageron (Charles), L'Algérie des Français, Paris, Seuil, 1993.

Pervillé (Guy), « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du «parti de la France» aux «anciens et nouveaux harkis» », in Ageron (Charles-Robert), La guerre d'Algérie et les algériens (1954-1962), Paris, Armand Colin/Masson, 1997.

Pervillé (Guy), « La tragédie des harkis : qui est responsable ? », L'Histoire, n° 231, avril 1999.

Schoen (P.), « Le problème des harkis », Veille, n°14, Juin-Juillet 1962.

Schoen (P.), « Les harkis, rapatriés sans patrie », Etude, n°320, janvier 1964.

Schoen (P.), « Les harkis en France », Documents Nord Africains, n°608, 22 mai 1965.

Approche sociologique et socio-politique centrée sur la dynamique des générations, les logiques sociales et politiques de la stigmatisation au sein et autour de la communauté harkie, et les conditions d'insertion socio-économique et citoyenne

Abdellatif (Saliha), « Etre français-Musulman en Picardie », in La France au pluriel, Pluriel/Crispa, L'Harmattan, 1984.

Abdellatif (Saliha), « Les Français-Musulmans ou le poids de l'histoire à la travers la communauté picarde », Les Temps Modernes, n° 452-453-454, mars-avril-mai 1984, p.1812-1838.

Abdellatif (Saliha), « Le Français Musulman ou une entité préfabriquée », Hommes et migrations, n°1135, septembre 1990, p.28-33.

Abdellatif (Saliha), Douadi (R.), « L'habitat », Hommes et migrations, 1135, septembre 1990, p.39-40.

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Fabbiano (Giulia), « Les descendants d'immigrés algériens et les descendants de harkis au miroir de la terre perdue », Colloque international : « 1985-2005 : 20 ans de recherches sur les migrations internationales », Poitiers, 5-7 juillet 2006.

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Wihtol de Wenden (C.), « Qui sont les harkis ? Difficulté à les nommer et les identifier », Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.7-12.

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Wormser (A.), « L'action du Comité National pour les musulmans français », Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.53-58.

Yahiaoui (R.), « Amiens, la Cité de la Briquetterie », Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.46-49.

Approche littéraire

Arezki (O.), « Le vainqueur, le juste et la supplique du harki », Algérie Littérature / Action, n°27-28, janvier-février 1999, p.122-127.

3. Articles de sociologie et de sociologie politique

Épistémologie et méthodologie des sciences sociales

Bourdieu (Pierre), « Comprendre », in Bourdieu (Pierre), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p.903-939.

Grunberg (G.), Schweisguth (E.), « Bourdieu et la misère : une approche réductionniste », R.F.S.P., février 1996, p.138.

Sociologie de l'identité, sociologie de la mémoire, sociologie des générations

Luckmann (Thomas), « Les temps vécus et leurs entrecroisements dans le cours de la vie quotidienne », Politix, « Se référer au passé », Paris, L'Harmattan, n°39, troisième trimestre 1997, p.17 à 38.

Martin (Denis-Constant), « Le choix d'identité », R.F.S.P., vol.42, n°4, août 1992, p.582 à 593.

Molina (Simone), « Je suis semblable à celui qu'en le reconnaissant comme homme, je fonde à me reconnaître comme tel », actes du colloque « Pluralité des langages et singularité de la Parole », Rencontre du 26 juin 1996 au Point de Capiton, à L'Isle-sur-Sorgue ; actes publiés au Point de Capiton, L'Isle-sur-Sorgue.

Molina (Simone), Introduction aux actes du colloque « Traumatisme et Transmission, un double reflet de la trace », Rencontre du 22 novembre 1997, au Cercle, à Avignon ; actes publiés au Point de Capiton, L'Isle-sur-Sorgue.

Palmade (Jacqueline), « L'identité comme travail de l'écart », Éducation Permanente, n°128, 1997.

Théry (Irène), « Malaise dans la filiation », Esprit, n°227, décembre 1996, p.50-53.

Sociologie politique des identités, de la nation, des imaginaires, de la mémoire et du pardon (y compris la judiciarisation du politique)

Abel (Olivier), « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993.

Abel (Olivier), « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000.

Laborie (Pierre), « Histoire politique et histoire des représentations mentales », in Peschanski (Denis), Pollak (Michael) et Rousso (Henry), dir., Histoire politique et sicences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991.

Lavabre (Marie-Claire), « Du poids et du choix du passé. Lecture critique du «Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sicences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.265 à 278.

Lavabre (Marie-Claire), « Lectures critiques. Usages du passé, usages de la mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994.

Mayer (Arno), « Les pièges du souvenir », Esprit, « Le poids de la mémoire », 7, juillet 1993.

Quattrocchi-Woisson (Diana), « Du rosisme au péronisme. Le rôle de l'histoire dans la construction d'une identité nationale », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sicences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.215 à 232.

Rosoux (Valérie-Barbara), « Les usages de la mémoire dans les relations internationales », communication donnée dans le cadre de la journée thématique « Stratégies de la mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de Grenoble.

Smith (Anthony D.), « Nationalisme et religion politique » in Féron (Elise), Hastings (Michel), L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002, p.25 à 40.

Sociologie politique des conflits (y compris les crimes de masse)

Braud (Philippe), « La violence politique : repères et problèmes », Cultures et Conflits, n°9/10, 1993.

Féron (Elise), « L'impératif de loyauté : les deux communautés d'Irlande du Nord et la figure de l'ennemi intérieur », Communication dans le cadre de l'atelier sur la figure de l'ennemi intérieur, Congrès de l'AFSP, Rennes, 1999.

Féron (Elise), « Le conflit après le conflit. L'Irlande du Nord sur les chemins de la paix », Collloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille, 27 octobre 2000.

Pouligny (Béatrice), Groupe de recherche : « Faire la paix : Du crime de masse au peacebuilding », Compte-rendu de la réunion inaugurale du 8 février 2001.

Sémelin (Jacques), « Penser les massacres », R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001.

4. AUTRES ARTICLES

Cadoux (Charles), « Approche politique de la grève de la faim », in Jacques de Lanversin (dir.), La grève de la faim ou le dérèglement du sacré, Paris, Economica, 1984.

Lindenberg (Daniel), « De Gaulle : un procès journalistique rétrospectif », Esprit, n°300, Décembre 2003, p.194-196.

REVUES

1. Numéros spéciaux consacrés à la guerre d'Algérie et aux relations franco-algériennes

Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990.

2. Numéros spéciaux consacrés à la destinée des harkis et de leurs enfants

Approche polémique immédiatement contemporaine de la guerre d'Algérie

La nation française, « Le livre blanc des harkis », n° 371, 1962.

Approche historique

Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002.

Approche sociologique centrée sur la dynamique des générations et les conditions d'insertion socio-économique

Hommes et Migrations, « Les harkis et leurs enfants » , n°1135, septembre 1990, p.3-69.

3. Sociologie de la mémoire, historiographie

Esprit, « Les historiens et le travail de mémoire », n°266-267, août-septembre 2000.

4. Sociologie politique de la reconnaissance, du pardon et de la réconciliation

Crowley (John), dir., « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41.

TRAVAUX UNIVERSITAIRES / MÉMOIRES / THÈSES

Abdellatif (Saliha), Enquête sur la condition familiale des Français musulmans en Picardie, Thèse de

troisième cycle, EHESS, Paris VII, 1981.

Abrial (Stéphanie), Les identités politiques des enfants de harkis. Implications citoyennes et niveau d'intégration sociale de jeunes franco-maghrébins, entre héritage culturel et modernité, thèse de doctorat soutenue en 1999 à l'IEP de Grenoble.

Belkiter (H.), Conséquences de la guerre et de la paix sur l'intégration des harkis et de leurs familles : étude historico-sociologique, Thèse de sociologie, Montpellier 3, 1996.

Berthelier (R.), Incidence psychopathologique de la transplantation dans une population musulmane,Thèse de psychologie, Lyon, 1976.

Bouamama (Saïd), Jeunes Manosquins issus de l'immigration algérienne. Héritiers involontaires de la guerre d'Algérie, Manosque, CREOPS (Centre régional d'Etudes et d'Observation des Politiques et des Pratiques Sociales), 2003.

Bouillaguet (R.), Les politiques sociales mises en oeuvre en faveur des Français Musulmans, IEP de Grenoble, septembre 1984.

Boulhais (Nordine), Les communautés harkies du Nord, en particulier celle du bassin de la Sambre. Mémoire d'une population.Milieux économiques, associatifs et socio-culturels, Mémoire de Maîtrise d'histoire, Université Lille 3, 1994.

Bouneb (K.D.), Musulmans-Français de la seconde génération. Adaptation, phénotype et représentation de soi, Thèse de 3ème cycle sous la direction de J. Raveau, Paris 5, 1985.

Boutouil (Kamal), Lallaing, Montigny, Pecquencourt : l'attitude des Harkis à l'égard de l'Islam de 1962 à nos jours, Mémoire de Maîtrise d'Histoire, Lille 3, 2002 (dir. : D. Delmaire)

Briere (J.-L.), Quelques aspects de la vie des Français-musulmans de Semoy (Loiret), mémoire, Ecole Nationale de la Santé Publique, 1973.

Cirba (R.), Troubles mentaux chez les transplantés musulmans, Thèse de Médecine, Montpellier, 1973.

Daurelle (A.), Les harkis, mémoire de Droit international, Aix-en-Provence, 1975.

Devaux (A.), Etude comparative de la population d'une école de village composée à mi-partie d'enfants d'origine algérienne. Une aperçu de la vie en France d'anciens Harkis et de leurs familles, Thèse de 3ème cycle en psychologie sous la direction de Mme Gratiot, Université Paris V, 1976.

Enjelvin (G.D.), Carte d'identité et identité à la carte en France : le cas de l'intégration de la population Harkie, Thèse anglaise, M. Phil. Loughborough, 1997.

Etchegaray (M.), Un camp de réfugiés algériens en France : Bias, Thèse de médecine, Bordeaux II, 1973.

Font-Piquet (Christine), L'engagement des anciens harkis de Largentière auprès de l'armée française : connaissance et interprétation de leurs descendants, DEA d'anthropologie, Université de Montpellier III, 1993.

Gensane (Pierre), Commentaires sur l'alcoolisme dans une population d'anciens harkis hospitalisés. A propos de quinze observations d'un service de psychiatrie adulte, Thèse de médecine, Montpellier 1, 1985.

Gilles (Emmanuelle), Les évènements de l'été 1991 : un début de réglement de la question harkie ou la poursuite de l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003 (dir. : P. Leroy)

Guerard (S.), Etude du processus identitaire des enfants de harkis, Mémoire de DEA de l'IEP de Paris, 1996.

Hamoumou (Mohand), Essai de compréhension de quelques processus d'acculturation à travers les enfants d'anciens harkis, maîtrise de psychologie, Université de Clermont-Ferrand II, 1981.

Hamoumou (Mohand), Essai d'analyse du vécu d'une population en situation d'acculturation : le cas des jeunes filles d'origine algérienne, mémoire de DESS de psychologie clinique, IPA, Université de Clermont-Ferrand II, 1982.

Hamoumou (Mohand), Le sens de l'honneur, mémoire de DEA de sociologie, EHESS, 1983.

Hamoumou (Mohand), Les Français-Musulmans rapatriés. Archéologie d'un silence, Thèse de sociologie sous la direction de L. Valensi, EHESS, Paris, 1989.

Heinis (Anne), L'insertion des Français-Musulmans. Étude faite sur les populations regroupées dans le midi de la France dans les centres d'ex-harkis, thèse de sciences économiques, Montpellier, Université Paul Valéry, 1977.

? Anne Heinis était chargée de mission en 1963 au cabinet du ministre des Rapatriés, François Missoffe.

Idrissi (A.), Les Français musulmans ou l'émergence d'une force politique, Thèse de 3ème cycle sous la direction de G. Michaud, Université de Nice, 1984.

Jarrigue (R.), Système de communication d'une communauté harkie dans son environnement :: vers une identité « Harkie », Thèse de troisième cycle de Lettres et Sciences Humaines, Université Bordeaux 3, 1983.

Juan Mazel (E.), Contribution à l'étude de la psychopathologie des anciens harkis et de leurs descendants à la lumière d'une politique de secteur, Thèse de médecine, Marseille, 1976.

Lanversin (A. de), Etude d'une communauté de Harkis à Saint-Maximin-La Sainte Baume, mémoire sous la direction de R. Leveau, IEP, Paris, 1987.

Launay (P.), Le passage au politique des enfants de harkis : le cas des Bouches-du-Rhône, Mémoire de l'IEP, Aix Marseille 3, 1990.

Legrand (Aurélie), La honte des harkis, mémoire de l'I.E.P. de Rennes, 1997.

Martinez (G.), Enquête psycho-pathologique dans un groupe d'adolescents et d'adoslescentes en milieu harki, Thèse de médecine sous la direction du Pr. Scotto, Aix Marseille 2, 1984.

Morel (M.), 1962-2002 : la France face aux harkis : quelle reconnaissance ?, Mémoire de science politique, Insitut d'Etudes Politiques de Grenoble, Saint-Martin-d'Hères, 2002.

Muller (Laurent), Le travail de la mémoire au sein des familles de Français Musulmans Rapatriés en Alsace, Thèse de sociologie politique, Strasbourg 2, 1998.

Petit (G.), La cité d'accueil de Saint-Maurice-l'Ardoise, Mémoire de l'IEP, Aix Marseille 3, 1991.

Petonnet (Colette), Etude d'une cité de transit de la région parisienne, Thèse de 3ème cycle en ethnologie, Paris, 1967, 438 p.

Planel (P.), Les harkis en Ardèche : approche culturelle, sociale et psychopathologique, Thèse de médecine, Lyon 1, 1984.

Pouvreau (M.), Les problèmes médico-sociaux d'une population de musulmans rapatriés, Thèse de médecine, Université de Bordeaux, 1971.

Tourret (A.), Etude comparative de la population d'une école de village composée à mi-partie d'enfants d'origine algérienne, un aperçu de la vie en France d'anciens harkis et de leurs enfants, Thèse de 3ème cycle,

Paris 5, 1976.

Vernay (D.), Un regroupement de Français Musulmans. L'atelier de tissage de Lodève, Mémoire de diplôme de l'EHESS, 1976.

Yahiaoui (R.), Histoire des harkis de 1954 à nos jours, mémoire de DEA d'histoire, Université Lille III, 1987.

RAPPORTS PARLEMENTAIRES, rapports d'évaluation et autres documents officiels

Barbeau (C.) , Rapport sur la situation des Français Musulmans rapatriés d'Algérie, Paris, Groupe de travail interministériel présidé par M. C. BARBEAU, 1973.

Benkoudda (M.), Les Français Musulmans dits «rapatriés», un quart de siècle après leur déracinement, 2 livres blancs dans le cadre d'une commission nationale mise en place par M. Raymond Courrière, octobre 1984.

Diefenbacher (M.), Parachever l'effort de solidarité nationale envers les rapatriés, promouvoir l'oeuvre collective de la France outre-mer, Paris, Mission interministérielle aux rapatriés, 2003.

Palach (J.-M.), Radane (R.), Rapport sur les cellules pour l'emploi des rapatriés d'origine nord-africaine, Paris, Inspection Générale des Affaires Sociales, juillet 1999.

Secrétariat d'Etat aux Rapatriés (Ministère des affaires sociales et de la solidarité nationale), Vaincre l'oubli : 81-84, Paris, Secrétariat d'Etat chargé des rapatriés, 1984.

Service central des rapatriés, Démographie : évaluation de la population FMR, Paris, décembre 1997 (document interne).

AUTRES RAPPORTS

Abdellatif (Saliha), Un isolat contemporain : les Français-musulmans, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, 1990.

Abi Samra (Marwan), Finas (François-Jérôme), Regroupement et dispersion. Le rapport des Français musulmans à l'espace résidentiel, Lyon, ARIESE, 1985.

Abi Samra (Marwan), Finas (François-Jérôme), Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale des Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987.

Caisse Nationale des Allocations Familiales (éd.), Territoires, itinéraires, réseaux : trajectoires des familles françaises-musulmanes, Bureau de la recherche de la caisse nationale des allocations familiales, 1990,

Charbit (Tom), Les Français musulmans rapatriés et leurs enfants, Synthèse bibliographique pour la Direction de la population et des migrations - Ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, Décembre 2003.

Hamoumou (Mohand), Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988.

Servier (Jean), dir., Enquête sur les Musulmans Français (premier rapport), C.N.M.F., 1972, 2 tomes.

Servier (Jean), dir., Enquête sur les Musulmans Français (deuxième rappor)t, O.N.A.S.E.C./C.N.M.F., Montpellier (C.E.R.A.S.), 1984.

Servier (Jean), Enquête sur la condition des Musulmans français, Centre d'Etudes et d'Anthropologie

sociale, Montpellier, 1993.

ÉMISSIONS TÉLÉVISÉES ET RADIO-DIFFUSÉES, DOCUMENTAIRES, FILMS

« Destin de Harki », 2000 ans d'histoire, émission de P. Gélinet, France Inter, 29 octobre 2002.

« Fils de harkis », Document vidéo réalisé par F. Haroud, avec les participations de M. Hamoumou et J. Oubechou, Grenoble, Aster distribution (26 minutes), 1998.

« Harkis, crime d'Etat ? », Document vidéo de M. Gagnant, Arte, 2002.

« L'histoire oubliée : les harkis », A. de Sédouy et E. Deroo (réalisateurs, commentateurs et interviewers), avec les participations du Colonel P. Hentic, M. Benassayag, Général M. Faivre, Paris, GMT productions, Europe Images International (distribution). Vol. 1 : « L'enrôlement », 52 Minutes ; Vol. 2 : « L'abandon », 52 minutes ; Vol. 3 : « Les fils de l'oubli », 52 minutes, 1993.

« Le massacre des Harkis : 1962 », Emission de P. Gélinet, avec les témoignages de G. Kerrouane, harki, B. Ben Said Remli, harki de 1956 à 1962, B. Ben Memmouchi Litim, harki, Colonel B. Moinet, etc. ; textes lus par A. Kabouche, Paris, Radio-France INA, France Inter, 1993.

« Les harkis de Saint-Valérien », E. Martinez, réalisation. G. Sarthoulet, reportage, Paris, Office de

radiodiffusion-télévision française (production), Bry-sur-Marne, Institut National de l'Audiovisuel (distribution), 15 minutes, N&B, 1970.

« Les harkis ou 500.000 Français en quête d'une histoire », François Gaspard et Patrick Pesnot (interview et production), Claude Guerre (réalisation), J.-Y. Alquier, M. Benassayag, M. Harbi et al. (participants) ; Première diffusion sur France Culture le 31 juillet 1989. Réédité sur CD en 1999 ; émission en 5 volumes radio-diffusée du 31 juillet au 4 août 1989.

« Les Harkis. Quarante ans le dos à la mer », Document vidéo de J.-C. Deniau et J.-P. Bertrand, France 2, 2003.

REVUES DE PRESSE

Fondation Nationale des Sciences Politiques, « Les harkis en France de 1962 à 2002 : dossier de presse », Paris, Centre de documentation contemporaine, 2 tomes microfichés

Fondation Nationale des Sciences Politiques, « Les harkis en France depuis 2002 : dossier de presse », Paris, Centre de documentation contemporaine, 1 tome.

* 1 « L'oubli, et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été les plus bienfaisantes » (Ernest Renan, « Qu'est-ce qu'une nation ? » in Joël Roman (dir.), Qu'est-ce qu'une nation ? et autres essais politiques, Paris, Presses Pocket, 1992, p.41 ; repris in John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales » in Cultures & Conflits, n°41, Printemps 2001).

* 2 « Oui, j'y voyais clair soudain : la plupart des gens s'adonnent au mirage d'une double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des erreurs, des péchés, des torts). L'une est aussi fausse que l'autre. La vérité se situe juste à l'opposé : tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance et par le pardon) sera tenu par l'oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tous les torts seront oubliés » (Milan Kundera [1967], La plaisanterie, Paris, Gallimard, 1985, p.422). C'est l'auteur qui souligne.

* 3 Cf. Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975.

* 4 Paul Ricoeur, Temps et récit, Paris Seuil, 3 tomes : 1983-1985 ; Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 5 Cf. Marie-Claire Lavabre, « Du poids et du choix du passé. Lecture critique du «Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.265 à 278.

* 6 Mohamed Benrabah, « Le désespoir algérien », Libération, 2 mai 2001. Abdelaziz Bouteflika est né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc). Encore étudiant, il rejoint l'Armée de libération nationale (ALN) en 1956, devient secrétaire de la wilaya V, est nommé commandant en 1962. A l'indépendance, en 1962, il devient député de Tlemcen, puis ministre de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement du président Ahmed Ben Bella. En 1963, à l'âge de 26 ans, il est nommé ministre des Affaires étrangères. Limogé par Ben Bella en mai 1965, il retrouve immédiatement ce poste à la suite du coup d'Etat de Houari Boumediene, le 19 juin 1965, et le conservera jusqu'à la mort de ce dernier fin 1978. Au début de 1979, Chadli Bendjedid, qui succède à Boumediene, le nomme ministre d'Etat. Il est cependant peu à peu écarté de la scène politique : poursuivi par la Cour des comptes pour des « irrégularités » dans la gestion du budget des Affaires étrangères, puis exclu du Comité central du FLN, il est contraint de quitter la scène politique puis l'Algérie en 1981. Il séjourne pendant six ans aux Emirats Arabes Unis, en Suisse et en France. De retour en Algérie en 1987, il réintègre deux ans plus tard le Comité central du Front de libération national (FLN). En avril 1999, il est élu président de la République (sans opposition, du fait du retrait la veille du scrutin des six autres candidats), puis réélu en avril 2004 avec 85% des voix. En dépit d'une brève période de disgrâce (1981-1987) sous la présidence de Chadli Bendjedid, Abdelaziz Bouteflika, qui fut l'homme lige du président Houari Boumediene, est donc par excellence un homme du "système", dont il incarne la continuité.

* 7 De fait, cette décoration qui, sur le moment, lui avait valu « l'honneur des médias », lui vaudra aussi, par suite, d'être en butte à « une animosité accrue » de la part de son voisinage algérien : « J'étais sans cesse victime de menaces téléphoniques et d'agressions verbales, traité de «pourri vendu à la France», de «traître» et de «collabo». On ne comptait plus les menaces téléphoniques, injures et provocations, proférées à mon encontre et celle de ma famille ». D'abord anonymes (menaces téléphoniques, tags), ces tentatives d'intimidation avaient très vite dégénéré en insultes, puis en bagarres rangées avec les fils de monsieur Araar, allant jusqu'à occasionner des blessures et nécessiter l'intervention des CRS (deux personnes étant placées en garde à vue). «Nous avons reçu de multiples menaces de mort. On nous traitait de «collabos», de «traîtres». On affirmait qu'on aurait notre peau. Moi, j'en ai tant vu pendant la guerre d'Algérie, que rien ne m'impressionne. Mais j'ai eu peur pour ma famille ». A la suite de cette brusque flambée de violence, la famille Araar fut contrainte d'être évacuée sous protection policière et provisoirement logée dans un hôtel. Grâce à la mobilisation des élus locaux, une solution pérenne fut rapidement trouvée dans le parc HLM de Toulon (dans une cité d'abord gardée secrète pour préserver leur tranquillité). Le choc n'en fut pas moins grand pour le principal intéressé : «C'est une affaire très grave. A travers moi, c'est la République française tout entière et la démocratie, qu'on attaque. J'en ai honte. Mon père a fait toute la guerre de 1914-1918. Il a perdu un bras dans les tranchées, à Verdun. Moi, j'ai fait toute la campagne d'Algérie, de 1957 à 1962. J'ai reçu une balle dans la mâchoire. Je suis devenu Français par le sang versé. Et, à 67 ans, j'en suis réduit à me terrer dans un vieil hôtel » (Cité dans Var-Matin, édition du 12 novembre 2003 ; revue de presse établie par la section toulonnaise de la Ligue des droits de l'Homme et consultable à cette adresse : perso.wanadoo.fr/felina/doc/tln/araar.htm).

* 8 Voir la section II.A de la Partie 2 : « Les habits officiels du souvenir : un récit éthéré ».

* 9 Voir la section II.B de la Partie 2 : « L'ordinaire des prises de position ».

* 10 Lettre ouverte de Smaïl Boufhal, président de l'association Générations Mémoire Harkis (GMH), en date du 16 octobre 2001.

* 11 Ibid.

* 12 A l'issue de la réunion du Haut conseil de la mémoire combattante du 6 février 2001, au cours de laquelle fut décidée la mise en place de cette Journée d'hommage national, Jacques Chirac déclarait explicitement: « Les Français rapatriés, en particulier les anciens des forces supplétives, ont été très affectés en l'an 2000 par diverses déclarations ou témoignages qui les renvoient à leur douloureux passé ainsi qu'à leur sentiment d'abandon. La France doit accomplir à leur égard un geste symbolique très fort et spécifique afin de leur témoigner sa reconnaissance et de leur montrer qu'ils sont partie intégrante de la communauté nationale, eux et leurs enfants » (Déclaration disponible sur www.elysee.fr).

* 13 Nous verrons que cette destinée - depuis l'engagement aux côtés de l'armée française jusqu'aux massacres de l'après-indépendance ou l'exil - est gênante, à plus d'un titre, non seulement pour les raisons d'Etat algérienne et française, mais aussi pour un certain nombre d'acteurs occupant en France des positions centrales dans la production et la diffusion du savoir et qui, sur le moment ou depuis lors, furent liés par leurs engagements militants à la mouvance anticolonialiste (voir les parties 1 et 2).

* 14 Voir la section I.A de la Partie 2 : « Le harki réifié ou la mémoire comme réalité instrumentale ».

* 15 Voir le chapitre III de la Partie 2 : « La figure du harki dans la geste intellectualiste de la guerre d'Algérie », ainsi que la section II.B.2.b de la Partie 4 : « Obstructions savantes ».

* 16 Howard S. Becker (1963), Outsiders. Etude de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p.229.

* 17 Ibidem.

* 18 Howard S. Becker (1963), Outsiders. Etude de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p.232.

* 19 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

* 20 Howard S. Becker, op.cit., p.229.

* 21 Ibid, p.232. Sur la notion d'"entrepreneur de morale", voir p.171 à 187.

* 22 Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.

* 23 Michel Hastings, « Imaginaires des conflits et conflits imaginaires », Colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP de Lille, 27 octobre 2000.

* 24 Voir notamment Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975 ; Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975 ; Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986 ; Jean-François Bayart, L'illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996 ; Pierre Laborie, « Histoire politique et histoire des représentations » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991.

* 25 Cf. Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; et Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 26 Gustave-Nicolas Fischer définit la représentation sociale comme « un processus d'élaboration perceptive et mentale de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies) » (Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Presses de l'Université de Montréal, Dunod, 1987, p.118).

* 27 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.99, 100 et suivantes.

* 28 Ce qu'Arno Mayer appelle « les aspects utilitaires de la mémoire » (« Les pièges du souvenir », Esprit, « Le poids de la mémoire », 7, juillet 1993), et ce que Paul Ricoeur dépeint comme étant la « fonction ostentatoire de l'imagination », ou encore « la dimension pragmatique liée à l'idée d'exercice de la mémoire » (La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.99, 100 et suivantes).

* 29 La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.99, 100 et suivantes ; voir aussi Valérie-Barbara Rosoux, « Les usages de la mémoire dans les relations internationales », communication donnée dans le cadre de la journée thématique « Stratégies de la mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de Grenoble.

* 30 Thomas Luckmann, « Les temps vécus et leurs entrecroisements dans le cours de la vie quotidienne », Politix, « Se référer au passé », Paris, L'Harmattan, n°39, troisième trimestre 1997, p.17 à 38.

* 31 M.-C. Lavabre, « Du poids et du choix du passé. Lecture critique du «Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.265 à 278.

* 32 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.579-580.

* 33 Pierre Laborie, « Histoire politique et histoire des représentations mentales » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.167.

* 34 Marie-Claire Lavabre, « Lectures critiques. Usages du passé, usages de la mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994.

* 35 Pierre Laborie, « Histoire politique et histoire des représentations » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.166-167.

* 36 Ibidem.

* 37 Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, tome 2, « La Nation », vol.3, Paris, Gallimard, 1986, p.25.

* 38 Paul Ricoeur, De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Le Seuil, 1965.

* 39 L'Etat en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, 1987, p.23.

* 40 Arno Mayer, « Les pièges du souvenir », Esprit, 7, juillet 1993 ; voir aussi Tzvetan Todorov, « La mémoire et ses abus », Esprit, 7, juillet 1993.

* 41 Pierre Laborie, « Histoire politique et histoire des représentations mentales » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.163.

* 42 Henry Rousso (1987), Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p.13.

* 43 Marie-Claire Lavabre, « Du poids et du choix du passé. Lecture critique du «Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.269-270.

* 44 Ernest Gellner, Eric H. Hobsbawn et Terence Ranger, The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

* 45 Benedict Anderdon (1983), L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.

* 46 Anthony D. Smith, The Ethnic Origins of Nations, Oxford, Blackwell, 1986.

* 47 Anthony D. Smith, « Nationalisme et religion politique » in Féron (Elise), Hastings (Michel), L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002, p.25 à 40.

* 48 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.579.

* 49 Pascal Ory, Une nation pour mémoire, 1889, 1939, 1989, trois jubilés révolutionnaires, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p.8, cité in M.-C. Lavabre, « Lectures critiques. Usages du passé, usages de la mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994, p.483.

* 50 M.-C. Lavabre, « Lectures critiques. Usages du passé, usages de la mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994, p.487.

* 51 Diana Quattrocchi-Woisson, « Du rosisme au péronisme. Le rôle de l'histoire dans la construction d'une identité nationale », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.215 à 232.

* 52 Voir par exemple : Pierre Nora, « Mémoire collective », in Jacques Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, CEPL, 1978, p.398 à 401 ; Henry Rousso (1987), Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990 ; Pierre Laborie, « Histoire politique et histoire des représentations mentales », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.155 à 170.

* 53 Diana Quattrocchi-Woisson, « Du rosisme au péronisme. Le rôle de l'histoire dans la construction d'une identité nationale », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.227.

* 54 F. Guibal, « Sans idéologie ? » , in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.237.

* 55 Henry Rousso, « Pour une histoire de la mémoire collective », in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.264.

* 56 Jacques Sémelin, « L'imaginaire dans le crime de masse », Colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille, 27 octobre 2000 ; voir aussi Jacques Sémelin, « Penser les massacres », R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001 ; Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.

* 57 René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.

* 58 cf. Carl Schmitt, La notion de politique. Théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992 ; voir aussi John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales » in Cultures & Conflits, n°41, Printemps 2001, p.75 à 98.

* 59 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

* 60 Béatrice Pouligny, Groupe de recherche : « Faire la paix : Du crime de masse au peacebuilding », Compte-rendu de la réunion inaugurale du 8 février 2001, p.12.

* 61 Michel Hastings, « Imaginaires des conflits et conflits imaginaires », Colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille, 27 octobre 2000. Voir aussi Elise Féron et Michel Hastings, « The new Hundred Years Wars », International Social Science Journal, n°177, septembre 2003.

* 62 Georges Sorel (1908), Réflexions sur la violence, Paris, Marcel Rivière, 1972.

* 63 Jacques Sémelin, « L'imaginaire dans le crime de masse », communication donnée dans le cadre du colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille, 27 octobre 2000. Voir aussi Jacques Sémelin, « From massacre to the genocidal process », International Social Science Journal, n°174, Décembre 2002.

* 64 Mark Levene, « Les génocides : une particularité du XXème siècle », conférence donnée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs le samedi 4 novembre 2000 à Paris. Voir aussi Mark Levene, « The Changing Face of Mass Murder. Massacre, genocide and post-genocide », International Social Science Journal, n°174, Décembre 2002.

* 65 A ce sujet, voir Elise Féron, « L'impératif de loyauté : les deux communautés d'Irlande du Nord et la figure de l'ennemi intérieur », Communication dans le cadre de l'atelier sur la figure de l'ennemi intérieur, Congrès de l'AFSP, Rennes, 1999 ; voir aussi Elise Féron, « Le conflit après le conflit. L'Irlande du Nord sur les chemins de la paix », Colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille, 27 octobre 2000, ainsi que Elise Féron, La Harpe et la Couronne. L'imaginaire politique du conflit nord-irlandais, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000.

* 66 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.183.

* 67 Ibid, p.182-183.

* 68 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.580.

* 69 G.-N. Fischer, La psychologie sociale, Paris, Seuil, 1997.

* 70 « Quand les hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences ».

* 71 R.K. Merton (1953), Eléments de méthode sociologique, Paris, Plon, 1965, p.170.

* 72 Ibid, p.172-173.

* 73 Michel Wieviorka, chapitre introductif à l'édition française de l'ouvrage de Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.182-183.

* 74 Voir Jacqueline Palmade, « L'identité comme travail de l'écart », Éducation Permanente, n°128, 1997 ; voir aussi Thomas Luckmann et la notion de « schème biographique », qu'il définit comme une « toile de fond significative » qui « [ancre] des déroulements temporels de courte portée dans des déroulements temporels de plus longue portée » et « [met] une vie individuelle en rapport avec quelque chose qui transcende le temps de cette vie » ; non pas « de simples mesures de la durée », mais « une mesure «morale» de l'enchaînement des actions ». Ainsi, la reconstruction est consubstantiellement liée à la justification ; elle vise à ramasser l'historicité du groupe d'appartenance en une formule narrative au caractère fortement axiologique (cf. « Les temps vécus et leurs entrecroisements dans le cours de la vie quotidienne », Politix, « Se référer au passé », Paris, L'Harmattan, n°39, troisième trimestre 1997, p.17 à 38). Thomas Luckmann utilise aussi la notion de « temporalités historiques », qu'il définit comme des catégories interprétatives « ayant acquis le statut d'objectivité culturelle » (Ibid).

* 75 Charles Taylor (1992), Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994 ; voir aussi Charles Taylor (1989), Les sources du moi. La formation de l'identité moderne, Paris, Seuil, 1998.

* 76 G.-N. Fischer, La psychologie sociale, Paris, Seuil, 1997, p.162.

* 77 Howard S. Becker, Outsiders, études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985.

* 78 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.91.

* 79 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, La lutte des places. Insertion, désinsertion, Paris, Desclée de Brouwer, 1997 ; voir aussi Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

* 80 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.181 et 182.

* 81 Denis-Constant Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en politique ?, Paris, PFNSP, 1994.

* 82 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 83 Selon Pierre Bourdieu, la notion de « violence symbolique » renvoie et caractérise « tout pouvoir qui parvient à imposer des signification et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force » (Pierre Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Droz, 1972, p.18), soit cette forme particulière de violence « qui s'exerce pour l'essentiel par les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, (...) à la limite, du sentiment » (Pierre Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p.11-12).

* 84 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.580.

* 85 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.43, 44 et 46.

* 86 En 1997, la Délégation aux Rapatriés évaluait officiellement le nombre des harkis, toutes générations confondues, à environ 450'000 (contact téléphonique, juillet 1997).

* 87 Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990, p.25.

* 88 Georges-Marc Benamou, Un mensonge français. Retours sur la guerre d'Algérie, Paris, Robert Laffont, 2003.

* 89 Djami, C'est la vie, Paris, La Pensée Universelle, 1993.

* 90 Voir notamment les thèses de K.D. Bouneb (Musulmans-Français de la seconde génération. Adaptation, phénotype et représentation de soi, Thèse de 3ème cycle sous la direction de J. Raveau, Paris 5, 1985) et Mohand Hamoumou (Les Français-Musulmans rapatriés. Archéologie d'un silence, Thèse de sociologie sous la direction de L. Valensi, EHESS, Paris, 1989).

* 91 Voir notamment les thèses d'Anne Heinis (L'insertion des Français-Musulmans. Étude faite sur les populations regroupées dans le midi de la France dans les centres d'ex-harkis, thèse de sciences économiques, Montpellier, Université Paul Valéry, 1977) et de Saliha Abdellatif (Enquête sur la condition familiale des Français musulmans en Picardie, Thèse de troisième cycle, EHESS, Paris VII, 1981), ainsi que les rapports de Saliha Abdellatif (Un isolat contemporain : les Français-musulmans, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, 1990) et de Jean Servier, ethnologue et ancien administrateur colonial, qui fut directement à l'origine de la création des harkas (Enquête sur les Musulmans Français, C.N.M.F., 1972, 2 tomes ; puis Enquête sur les Musulmans Français, 2ème rapport, O.N.A.S.E.C./C.N.M.F., Montpellier (CERAS), 1984).

* 92 Abi Samra (Marwan), Finas (François-Jérôme), Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale des Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987.

* 93 La thèse de K.D. Bouneb, précédemment citée.

* 94 Voir notamment la thèse de Mohand Hamoumou (Les Français-Musulmans rapatriés. Archéologie d'un silence, Thèse de sociologie sous la direction de L. Valensi, EHESS, Paris, 1989) et son rapport à l'attention du ministère de la Culture (Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988).

* 95 Voir notamment Titraoui (Taouès) et Coll (Bernard), Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991 ; Meliani (A.), La France honteuse. Le drame des harkis, Paris, Perrin, 1993 ; et Azni (Boussad), Harkis, crime d'État. Généalogie d'un abandon, Paris, Ramsay, 2002.

* 96 Voir par exemple, s'agissant des livres : Faivre (Maurice), Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995 ; et s'agissant des articles : Faivre (Maurice), « Une histoire douloureuse et controversée », Hommes et migrations, n°1135, septembre 1990, p.13-20 ; Faivre (Maurice), « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002.

* 97 S'agissant des livres : Hamoumou (Mohand), Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard, 1993, et Jordi (Jean-Jacques), Hamoumou (Mohand), Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999 ; s'agissant des articles, voir notamment : Hamoumou (Mohand), « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p. 25-45.

* 98 Son ouvrage : Roux (Michel), Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991 ; s'agissant des articles, voir notamment : Roux (Michel), « Le poids de l'histoire », Hommes et migrations, n° 1135, septembre 1990, p. 21-27. Roux (Michel), « Bias, Lot-et-Garonne, le camp des oubliés », Hommes et migrations, n°1135, septembre 1990, p.41-45.

* 99 Voir notamment : Pervillé (Guy), « La tragédie des harkis », L'Histoire, n° 140, janvier 1991, p.120 à 123, ainsi que Pervillé (Guy), « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Ageron (C.-R.), dir., La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.323-332.

* 100 Voir notamment les trois articles parus dans la revue Vingtième Siècle : Ageron (Charles-Robert), « Le drame des harkis en 1962 », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6 ; Ageron (Charles-Robert), « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.3 à 20 ; et Ageron (Charles-Robert), « Le «drame des harkis». Mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000, p.3 à 15.

* 101 Boulhais (Nordine), Histoire des harkis du nord de la France, Paris, L'Harmattan, 2005.

* 102 Charbit (Tom), Les harkis, Paris, La Découverte, 2006.

* 103 Kara (Mohamed), Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997.

* 104 Muller (Laurent), Le silence des harkis, Paris, L'Harmattan, 1999.

* 105 Abrial (Stéphanie), Les enfants de harkis. De la révolte à l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002.

* 106 Hommes et Migrations, « Les harkis et leurs enfants » , n°1135, septembre 1990, p.3-69.

* 107 Guy Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et ses enjeux politiques en France », article consultable à cette adresse : http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Collo/perville.pdf.

* 108 Après son exil, le bachaga Boualam - qui fut vice-président de l'Assemblée nationale de 1958 à 1962 - a publié coup sur coup trois recueils de souvenirs et d'impressions sur la situation politique en Algérie : Boualam (Saïd), Mon pays, la France !, Paris, France-Empire, 1962 ; Boualam (Saïd), Les harkis au service de la France, Paris, France-Empire, 1963 ; et Boualam (Saïd), L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire, 1964.

* 109 Meliani (A.), La France honteuse. Le drame des harkis, Paris, Perrin, 1993.

* 110 Saïd Ferdi, Un enfant dans la guerre, Paris, Seuil, 1981.

* 111 Brahim Sadouni, Destin de harki, publié chez Cosmopole en 2001, version augmentée d'un récit déjà publié une première fois à compte d'auteur en 1989.

* 112 Voir par exemple : « L'histoire oubliée : les harkis », A. de Sédouy et E. Deroo (réalisateurs, commentateurs et interviewers), avec les participations du Colonel Pierre Hentic, de Maurice Benassayag, du Général Maurice Faivre, Paris, GMT productions, Europe Images International (distribution), 52 minutes, 1993 ; et « Harkis, crime d'Etat ? », Document vidéo de M. Gagnant, Arte, 2002.

* 113 « Fils de harkis », Document vidéo réalisé par Farid Haroud, avec les participations de Mohand Hamoumou et Jamel Oubechou, Grenoble, Aster distribution (26 minutes), 1998.

* 114 Voir par exemple : « Les Harkis. Quarante ans le dos à la mer », Document vidéo de J.-C. Deniau et J.-P. Bertrand, France 2, 2003.

* 115 « Les harkis ou 500.000 Français en quête d'une histoire », François Gaspard et Patrick Pesnot (interviews et production), Claude Guerre (réalisation), J.-Y. Alquier, M. Benassayag, M. Harbi et al. (participants). Première diffusion sur France Culture le 31 juillet 1989. Réédité sur CD en 1999.

* 116 Parmi les productions les plus récentes, on peut citer notamment : Lakhdar Belaïd, Sérail killers, Paris, Gallimard, 2000, un polar sur fond de "feux mal éteints" entre nationalistes algériens et anciens harkis à Roubaix ; Alain-Julien Rudefoucauld, J'irai seul, Paris, Le Seuil, 2002, sur l'errance d'un fils de harki hanté par sa mémoire ; et Hadjila Kemoun, Mohand le harki, Paris, Editions A. Carrière, 2003, huis clos tendu entre un ancien harki et un ancien ministre des Armées.

* 117 Norbert Elias, John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

* 118 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975.

* 119 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975.

* 120 Ibid, p.127.

* 121 Howard S. Becker [1963], op.cit., p.229.

* 122 Voir Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

* 123 Terry Cochran, « La violence de l'imaginaire. Gramsci et Sorel », Tangence, n°63, juin 2000, p.55-73.

* 124 Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.

* 125 Erving Goffman, op.cit., p.46.

* 126 Ibid, p.45-46.

* 127 Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit., p.34.

* 128 Ibid, p.35.

* 129 Avant-propos de Michel Wieviorka in Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.

* 130 Erving Goffman, op.cit., p.46.

* 131 Erving Goffman, op.cit., p.45-46.

* 132 Cf. Howard Becker, op.cit., p.232.

* 133 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

* 134 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

* 135 Avant-propos de Michel Wieviorka in Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.

* 136 Howard Becker, op.cit., p.47.

* 137 Erving Goffman, op.cit., p.161. De même, Howard Becker souligne que « les normes sociales, loin d'être immuables, sont continuellement reconstruites dans chaque situation, pour s'adapter aux commodités, volontés et positions de pouvoir des divers participants » (Howard Becker, op.cit., p.216).

* 138 Ibid, p.45-46.

* 139 Herbert Blumer, «Society as Symbolic Interaction» in Arnold Rose (editor) Human Behavior and Social Processes : An Interactionist Approach (Boston: Houghton Mifflin Company, 1962), p.188; cité et traduit in Howard Becker, op.cit., p.195.

* 140 Ibidem.

* 141 Terry Cochran, « La violence de l'imaginaire : Gramsci et Sorel », in Tangence, Numéro 63, « Fictions et politique », sous la direction de Jacques Cardinal, Juin 2000, p.55 à 73 ; article consultable sur http://www.erudit.org/revue/tce/2000/v/n63/008182ar.pdf.

* 142 Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.

* 143 Terry Cochran, « La violence de l'imaginaire : Gramsci et Sorel », in Tangence, Numéro 63, « Fictions et politique », sous la direction de Jacques Cardinal, Juin 2000, p.55 à 73 ; article consultable sur http://www.erudit.org/revue/tce/2000/v/n63/008182ar.pdf.

* 144 Terry Cochran, art.cit..

* 145 Ibid.

* 146 Ibid.

* 147 Intervention de Max Pagès : « Changements politiques et régression psychologique collective », Groupe de recherche du CERI : « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », compte-rendu de la réunion du 5 juin 2001 : « Idéologies et imaginaires : avant et après », p.10.

* 148 Ibid, p.8.

* 149 Voir aussi René Girard, Le bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982.

* 150 Compte-rendu de la réunion du 5 juin 2001 (« Idéologies et imaginaires : avant et après ») du groupe de recherche du CERI : « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.12.

* 151 Béatrice Pouligny, « Faire la paix après un crime de masse : un défi pour l'analyse et l'intervention », colloque international « Des conflits en mutation ? », le 8 juin 2001, à l'université Paul Valéry-Montpellier III, texte de communication, p.11.

* 152 Ibidem.

* 153 Jacques Sémelin, « Penser les massacres », R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.16.

* 154 Boudon (Raymond) et Bourricaud (François), Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982, p.302.

* 155 Ibidem.

* 156 Voir notamment Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au collège de France (1975 - 1976), Paris, Seuil, 1997.

* 157 C'est très exactement le sens des paroles prononcées par le général de Gaulle en 1965, au cours d'un déjeuner dans la préfecture de Mamers (Sarthe), et rapportées par Alain Peyrefitte dans C'était de Gaulle : « Il existe une couche de Français, peut-être un sur cinq ou un sur dix, qui m'en voudront jusqu'à leur dernier souffle, de les avoir transformés en débris de l'Histoire. Les gens de Vichy, les politiciens de la IVème, les pieds-noirs, m'exècrent moins pour les déboires qu'ils ont connu de mon fait, que pour les bienfaits que j'ai procurés à la France en les rudoyant. Le temps fournit la preuve qu'ils s'étaient trompés. Ils ne me le pardonneront jamais » (Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le monde », Paris, Editions de Fallois/Fayard, 1997, p.92. C'est moi qui souligne).

* 158 Erving Goffman, op.cit., p.46.

* 159 Howard Becker, op.cit., p.153.

* 160 Ibid, p.229-230.

* 161 Ibid, p.208.

* 162 Erving Goffman, op.cit., p.45-46.

* 163 Patrick Watier, La sociologie et les représentations de l'activité sociale, Paris, Méridiens-Klincksieck/Masson, 1996.

* 164 Jean-Michel Chapoulie, préface à Howard Becker, op.cit., p.16

* 165 Howard Becker, op.cit., p.196. « Les théories interactionnistes, écrit Howard Becker, ont prospéré sur la base d'un état d'esprit qui prend au sérieux les aspects banals de l'existence et ne se contente pas d'invoquer comme mécanismes explicatifs des forces mystérieuses et invisibles » (Howard Becker, op.cit., p.217). Voir aussi, à ce sujet, la notion d' « attribution » telle que développée par Jean-Claude Deschamps et Alain Clémence (L'explication quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000). La notion d'attribution, liée au développement d'une psychologie sociale cognitive, renvoie à la manière dont le sujet « cherche à donner un sens aux événements, aux comportements, aux interactions sociales. » (p.14-15). Dans ce sens, « l'attribution peut être conçue comme un processus de construction de la réalité ou comme un processus de mise en oeuvre de représentations » (p.17). Une des particularités des études sur l'attribution - au-delà des disparités que l'on peut rencontrer en la matière - est qu'elles partagent un intérêt commun pour les explications "naïves" ou "profanes" des événements quotidiens. Selon Deschamps et Clémence, ces processus renvoient à la compréhension que l'on se forge de la structure causale du monde et, partant, déterminent pour une large part nos interactions avec ce monde.

* 166 Herbert Blumer : « Essayer de saisir le processus d'interprétation en restant à l'écart, comme l'observateur dit "objectif", et en refusant de prendre le rôle de l'acteur, c'est risquer la pire forme de subjectivisme : celle dans laquelle l'observateur objectif au lieu de saisir le processus d'interprétation tel qu'il se produit dans l'expérience de l'acteur, lui substitue ses propres conjectures » ; Herbert Blumer, «Society as Symbolic Interaction» in Arnold Rose (editor) Human Behavior and Social Processes : An Interactionist Approach (Boston: Houghton Mifflin Company, 1962), p.188; cité et traduit in Howard Becker, op.cit., p.195.

* 167 Ces questions ne sont pas sans implication pratique sur le plan méthodologique, notamment pour ce qui a trait à la conduite et à l'exploitation des entretiens (voir l'Annexe n°1).

* 168 Claude Dubar, La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, p.111 et suivantes.

* 169 Ibid.

* 170 Jean-Pierre Terrail, La dynamique des générations, Paris, L'Harmattan, 1995.

* 171 Ibid, p.19-20.

* 172 Ibid, p.19.

* 173 G.H. Mead, L'esprit, le soi et la société, Paris PUF, p.39.

* 174 Jean-Pierre Terrail, op.cit., p.122.

* 175 Jean-Pierre Terrail, op.cit., p.123.

* 176 Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations - L'empreinte du temps, Paris, PUF, 1988, p.188.

* 177 Ibid, p.189. Dans le vocabulaire piagétien, le dépassement de l'égocentrisme s'opère par le mécanisme de "décentration" : « Ce concept se réfère à une relation de réciprocité (...). L'égocentrisme cognitif provient d'un manque de différenciation entre son point de vue et les autres possibles. Se décentrer, c'est déplacer son centre, comparer ses actions à d'autres actions possibles », in J. Piaget [1946], Le développement de la notion de temps chez l'enfant, Paris, PUF, 3ème édition, 1981, p.275.

* 178 Irène Théry, « Malaise dans la filiation », Esprit, n°227, décembre 1996, p.50-53.

* 179 Josette Coenen-Huther, La mémoire familiale, Paris, L'Harmattan, 1994, p.31.

* 180 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.200.

* 181 Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire - La République, Paris, Gallimard, 1984, Tome 1.

* 182 Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.413.

* 183 Selon Erikson (E.H. Erikson, Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris, Flammarion, 1972), l'identité n'existe que par le sentiment d'identité. Ce sentiment repose lui-même sur un ensemble de processus, dont les processus d'identification, d'évaluation par rapport à autrui et d'intégration des valeurs dominantes. Précisément, la notion de "monde subjectif" renvoie à un faisceau de perceptions propres au sujet et à l'articulation - plus ou moins congruente, plus ou moins valorisante - de ces perceptions entre elles : 1) la perception du sujet (individu ou groupe) par lui-même ; 2) la perception d'autrui ; 3) la perception du regard porté sur soi par autrui ; 4) la perception des valeurs dominantes.

* 184 Laurent Muller (Le silence des harkis, Paris, L'Harmattan, 1999) avait ainsi fait de ses fonctions d'ACCE en Alsace le vecteur principal de sa thèse en termes de ressources empiriques.

* 185 Voir notamment son article intitulé « Algérie 62 : «cessez-le-feu» et devenir des supplétifs musulmans », sans précision de support ni de date ; article consultable sur le site du collectif Justice pour les harkis : www.chez.com/justiceharkis/.

* 186 Dalila Kerchouche présente ainsi son voyage : « J'ai 29 ans depuis une semaine, à peu près l'âge que ma mère avait quand elle a franchi la Méditerranée, en 1962. Comme elle, je vais entamer un long périple. Je calquerai mes pas sur les siens et sillonnerai les camps, du moins ce qu'il en reste, de l'Auvergne au Lot-et-Garonne, en passant par la Lozère et le Morvan. Comme elle, je vais franchir la Méditerranée... Pour découvrir l'Algérie, ce pays haï et adoré que je ne connais pas ». Plus loin : « Pourtant, c'est là-bas que la vie de ma famille a basculé. Là-bas que mon père est devenu harki. (...) Là-bas, aussi, que je poursuis, après les camps, ma quête "harkéologique" dans le passé, mon voyage à la source du drame ». Et d'ajouter : « Comment les Algériens se comporteront-ils quand je leur dirai : «Je suis une fille de harkis» ? Devrais-je affronter la haine que mes parents ont fuie il y a quarante ans ? Si je parviens à retrouver la famille de mon père - ce qui n'est pas gagné -, comment va-t-elle m'accueillir ? Les villageois vont-ils me chasser à coups d'insultes et de jets de pierres ? Vont-ils rejeter la «fille du traître». Les doutes m'assaillent » (cf. Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Editions du Seuil, 2003, p.31-32, 187 et 191).

* 187 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.314-315.

* 188 Ibidem.

* 189 Caïd : juge, chef de la police et responsable administratif. Le système du "caïdat", mis en place par les Turcs, a été repris par les Français. Mohand Hamoumou définit comme suit le rôle des 900 caïds (qui étaient secondés par les gardes champêtres) : « Surveiller la population indigène, recouvrer l'impôt et informer l'autorité française » ; cf. Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, p.25. Pour sa part, le « projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire », dit « programme de Tripoli », adopté à l'unanimité par le Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA) peu avant l'indépendance, en juin 1962, définit comme suit le système du caïdat : « Au moment de la conquête coloniale, les féodaux algériens, qui étaient déjà impopulaires, s'empressèrent de pactiser avec l'ennemi, n'hésitant pas à participer à sa guerre de pillage et de répression. (...) De caste militaire et terrienne quelle était, la féodalité algérienne est devenue progressivement administrative. Ce rôle lui, permis de poursuivre son exploitation du peuple et d'agrandir ses domaines fonciers, Le corps des caïds, tel qu'il s'est perpétué jusqu'a nos jours, est l'expression la plus typique de cette féodalité » (Le texte intégral de ce programme est disponible sur le site de la présidence algérienne à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm).

* 190 Terry Cochran, art.cit.

* 191 Cf. Béatrice Pouligny, « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding. Une approche transdisciplinaire », Compte-rendu de la réunion de travail inaugurale du groupe de recherche du CERI : « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », 8 février 2001, p.14.

* 192 Jacques Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.16.

* 193 Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, 1975, p.179.

* 194 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

* 195 La reconnaissance officielle par l'Etat français de sa part de responsabilité dans l'abandon au massacre des anciens harkis et de leurs familles est désormais la première des revendications mises en avant par l'ensemble des grands mouvements associatifs au sein de la communauté.

* 196 L'enjeu n'est d'ailleurs pas que symbolique puisque la réponse à ces questions détermine aussi la nature des politiques de transferts de fonds consenties par l'Etat : plans d'aide (avec une marge de manoeuvre limitée par rapport au droit commun) ou mesures d'indemnisation ?

* 197 Voir Sandrine Lefranc, « Les politiques du pardon : la continuation du conflit par d'autres moyens », in Elise Féron et Michel Hastings, L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002, p.272.

* 198 Nous n'avons en effet pas conduit de campagne d'entretiens directement auprès des anciens harkis eux-mêmes, nos enquêtes de terrain ayant ciblé uniquement leurs enfants (voir les Parties 3 et 4). Nous avons cependant fait une exception à Largentière dans le cadre d'un double entretien avec Mohamed, ancien supplétif et président de l'association de harkis locale, et Jean-Claude, fils de harki et secrétaire de l'association.

* 199 Le général Maurice Faivre est docteur en science politique et lui-même ancien chef de harka. Ses trois ouvrages de référence sont : Un village de Harkis. Des Babors au pays drouais, Paris, L'Harmattan, 1994 ; Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995 ; et Les archives inédites de la politique algérienne (1958-1962), Paris, L'Harmattan, 2000.

* 200 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.19.

* 201 Voir Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.367.

* 202 La famille de Mostefa Ben Boulaïd - l'un des 9 chefs historiques du FLN - en est originaire.

* 203 Jacques Frémeaux, « Aux origines des troupes supplétives », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.12 à 17.

* 204 Jacques Frémeaux, « Aux origines des troupes supplétives », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.17.

* 205 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.20.

* 206 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21.

* 207 Voir infra la section I.E de la Partie 1 : « Les facettes d'un comportement : attitude à l'égard des populations civiles et des prisonniers, attitude au combat et loyauté » ; voir aussi Partie 2, section III.B.2 : « Sur le souvenir de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 et la manière dont il participe de la stigmatisation des harkis dans la geste intellectuelle de la guerre d'Algérie », ainsi que : « Une personnalisation opportune, ou la focalisation sur les «harkis de M. Papon» (Marcel Péju) ».

* 208 Selon l'historien Charles-Robert Ageron, le nombre de ces « harkettes, employées, par exemple, pour la fouille des femmes aurait atteint 343 en décembre 1961 (« Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.6).

* 209 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.19.

* 210 Voir notamment Grégor Mathias, Les sections administratives spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), Paris, L'Harmattan, 1998.

* 211 Sur une tentative avortée de création d'un "contre-maquis" en Kabylie, voir par exemple Camille Lacoste-Dujardin, Opération Oiseau Bleu. Des kabyles, des ethnologues et la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1997.

* 212 Voir notamment Yves Courrière, La guerre d'Algérie - III : L'Heure des Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970, p.245 à 247 et 250-251.

* 213 Sur le FAAD, voir notamment Jacques Frémeaux, « La guerre d'Algérie et le Sahara », in Ageron (Charles-Robert), dir., La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.97 et 103 ; sur les tentatives d'approche entre le FAAD et l'OAS, voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - IV : Les Feux du Désespoir, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1971, p.597 et suivantes.

* 214 Jacques Frémeaux, « Aux origines des troupes supplétives », Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002, p.13.

* 215 Ibidem.

* 216 Sans doute, avons-nous dit, parce qu'il désigne la catégorie la plus nombreuse, la plus offensive aussi.

* 217 Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988.

* 218 FSNA, selon la terminologie de l'époque : Français de souche nord-africaine.

* 219 À ce stade,des précisions s'imposent au plan de la terminologie. Ainsi, lorsqu'il s'agira de désigner, au fil de l'exposé, l'ensemble formé, d'une part, par les différentes catégories de soldats supplétifs et, d'autre part, par les militaires d'active, les conscrits, les commis de l'État et les notables, nous emploierons, comme substitut à l'usage extensif du terme « harkis », l'expression « musulmans pro-français ». Cependant, l'expression « musulmans pro-français » procède davantage d'un choix par défaut, par élimination, que de l'affirmation pleine et entière de son pouvoir discriminant. Ainsi, les expressions « Algériens pro-français » ou « autochtones favorables à la France » ne conviennent pas car elles sont potentiellement inclusives des pieds-noirs (ceux-ci se considérant alors comme des Algériens et étant de fait, pour la plupart, des autochtones au sens étymologique du terme). L'expression « indigènes favorables à la France » ne convient pas davantage, car elle inclut théoriquement la composante juive séfarade de la population algérienne qui, à l'inverse des Européens d'Algérie, est de peuplement très ancien. Mais qui, à la différence des musulmans, a été collectivement "francisée" à la suite du décret Crémieux. L'expression « Arabes pro-français » ne convient pas non plus car elle fait abstraction des populations berbères (notamment kabyles), nombreuses à s'être engagées aux côtés de la France. Nous retiendrons donc l'expression « musulmans pro-français » qui, quoiqu'elle fasse abstraction des quelques tribus berbères christianisées à s'être constituées en troupes supplétives, reste le qualificatif le plus précis pour désigner ceux dont il est ici question.

Par ailleurs, lorsqu'il s'agira de désigner dans leur ensemble les différentes catégories de personnels en armes attachés en qualité d'auxiliaires au maintien de l'ordre aux côtés de l'armée française (à l'exception, donc, des militaires d'active, des conscrits, des commis de l'État et des notables), nous emploierons l'expression « supplétifs musulmans » de préférence au vocable « harkis », ce dernier étant pour ce faire à la fois trop large - puisqu'il est emblématique, dans son usage extensif, d'un ensemble indivis incluant d'autres catégories de personnels, militarisés et non militarisés - et trop restreint - puisqu'il ne désigne, en toute rigueur, qu'une catégorie de supplétifs parmi d'autres. En dépit des apparences, l'expression « supplétifs musulmans » n'est pas redondante puisque des autochtones d'origine européenne furent eux aussi constitués en troupes supplétives (même si cela reste l'exception) : ainsi en va-t-il des Unités territoriales (UT), qui joueront un rôle majeur dans le déclenchement de la « semaine des barricades » (janvier 1960). En toute rigueur, la qualité de « supplétif » est donc en soi insuffisamment discriminante. En outre, pour les raisons exposées précédemment à propos de l'expression « musulmans pro-français », le qualificatif « musulmans », accolé à celui de « supplétifs », nous semble le plus pertinent pour circonscrire la population dont il est ici question.

* 220 Stéphanie Chauvin, « Des appelés pas comme les autres ? Les conscrits «français de souche nord-africaine» pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n° 48, octobre-décembre 1995, p.21 à 30. Ce chiffre est contesté par Maurice Faivre qui décompte « 160.000 FSNA appelés, dont 123.000 ont servi en Algérie » (Maurice Faivre, « Les harkis contestés », texte inédit, décembre 1995, p.5).

* 221 Par exemple, les classes 1947 à 1950 ne furent pas appelées sous les drapeaux.

* 222 Stéphanie Chauvin, « Des appelés pas comme les autres ? Les conscrits «français de souche nord-africaine» pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n° 48, octobre-décembre 1995, p.26.

* 223 Voir la Partie 1, section II.A.1.c : « La promesse non tenue du maintien automatique dans la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local ».

* 224 « Au fil des mois, de toute façon, notent M. Amar et P. Milza, l'abus de langage tombe de lui-même. Les fonctionnaires civils et militaires ayant trouvé une nouvelle affectation, seuls restent les harkis, au sens générique de supplétifs, déracinés, analphabètes, abandonnés à leur arrivée dans les camps de regroupement » (M. Amar et P. Milza, L'immigration en France au XXème siècle, Paris, Armand Colin, 1990).

* 225 Voir à cet égard les témoignages rapportés par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.18 et 21.

* 226 Mohand Hamoumou, prenant acte de l'inégalité de statut social et culturel en Algérie des actuels Français musulmans rapatriés et des différents motifs d'engagement avec ou pour la France, propose au final de caractériser cette population comme suit : elle désigne « un ensemble de personnes de souche arabe ou berbère ayant eu un comportement pro-français durant la guerre d'Algérie, en raison duquel elles ont dû quitter le pays lors de son accession à l'indépendance en optant pour la citoyenneté française » (Mohand Hamoumou cité in Catherine Wihtol de Wenden, « Harkis : le paradoxe identitaire », Regards sur l'actualité, Paris, La Documentation Française, n°175, novembre 1991, p.134.).

* 227 Selon le bachaga Boualam, citant un général, à la fin de 1956 et au début de 1957, « les demandes d'armes par les autodéfenses affluèrent, mais les volontaires pour s'engager dans les harkas afin de participer de façon active à la lutte étaient en si grand nombre qu'il fallut contingenter chaque mois et par zone le nombre d'engagements à accepter en fonction des crédits et des armes disponibles » (Saïd Boualam, Les harkis au service de la France, Paris, France-Empire, 1963, p.154).

* 228 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21-22

* 229 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.10-11.

* 230 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21-22. Charles-Robert Ageron, relayant les estimations du 2ème bureau (établies au 1er novembre 1960) aboutit à des chiffres équivalents à ceux de Maurice Faivre, à savoir : un maximum historique de 214.000 combattants musulmans, dont 178.160 sont effectivement armés (« Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.10-11) ; voir aussi Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.136-137.

* 231 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.322.

* 232 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21 à 23.

* 233 Cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.136.

* 234 Cf. Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.125, 258 et 266-268. Voir aussi Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.322-323.

* 235 Cf. Djamila Amrane, Les femmes algériennes dans la guerre, Paris, Plon, 1991, p.232. Voir aussi Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.322-323.

* 236 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.136-137.

* 237 Cité in Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21.

* 238 Ibidem.

* 239 Maurice Challe, Notre révolte, Paris, Presses de la Cité, 1968, p.128.

* 240 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21.

* 241 Ibidem.

* 242 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.9, 10 et 13.

* 243 Maurice Faivre, « Les harkis contestés », texte inédit, décembre 1995, p.4.

* 244 Nous reviendrons en détail, tout au long de cette thèse, sur ces constructions figuratives, ce qu'elles donnent à voir des harkis et - surtout - de ceux qui les véhiculent ; voir notamment la Partie 2.

* 245 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.12.

* 246 Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.140.

* 247 Cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.117.

* 248 Cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.117.

* 249 Ibidem.

* 250 Ibid, p.27.

* 251 A l'image des porte-drapeaux de l'association d'anciens combattants de Mostaganem, assassinés à tour de rôle à huit reprises et toujours remplacés.

* 252 « En 1954, j'avais 11 ans », raconte Messaoud Kafi, enfant de harki et harki lui-même. « Je vivais dans un hameau perché dans les Aurès. La première école était à quatre jours de marche.  Un jour, mon père a été enlevé par le FLN et battu, parce qu'ils le soupçonnaient d'être profrançais. Pour finir, ils lui ont pris son fusil. Mon père ne leur a jamais pardonné : il s'est donc engagé dans les harkis » (cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.)253. Ainsi, plus encore que la correction infligée, c'est la spoliation du fusil, véritable camouflet synonyme d'atteinte à la virilité, qui est ici conçue comme le motif principal d'engagement dans les harkis.

* 254 A cet égard, les témoignages publiés par Mohand Hamoumou dans son rapport au ministère de la Culture (Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre) attestent de que cette obligation d'abattage des chiens a pu profondément choquer certaines personnes - contraintes de procéder elles-mêmes à la mise à mort ou d'y assister - et les inciter à s'engager dans les harkas (Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.162).

* 255 Sur le conservatisme social et religieux du FLN (notamment dans les campagnes), par opposition à la phraséologie marxiste employée dans les villes et vis-à-vis du monde extérieur : cf. Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et histoire (1954-1962), Paris, Fayard, 2004.

* 256 Tract reproduit par Bernard Coll et Taouès Titraoui, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.35. Cet ouvrage reproduit également des clichés d'époque présentant de telles mutilations faciales - nez coupés - ainsi que le résultat des opérations de chirurgie réparatrice faites en retour (p.36).

* 257 Citation extraite de Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, Paris, Le Seuil, 1963, et reproduite in Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.160.

* 258 Sur l'idéologie de la libération et la mystique de la "table rase", voir le chapitre III de la Partie 2.

* 259 Voir ci-dessous la section III.B.1 de la Partie 1 : « Le ciblage systématique des musulmans pro-français et des nationalistes dissidents ».

* 260 Malika, fille de harki, citée in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 261 Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.158 à 163.

* 262 Ferhat Abbas, Autopsie d'une guerre, Paris, Garnier, 1980, cité in Mohand Hamoumou in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.31.

* 263 Cet assassinat - qui le visait indirectement - a-t-il précipité le ralliement de Ferhat Abbas au FLN ? Les avis divergent sur la question. Toujours est-il que la peur suscité par les "démonstrations de force" du FLN pouvaient susciter contradictoirement soit l'engagement dans les maquis, soit l'engagement dans les harkas. Mais ce qu'elles interdisaient de fait (et de propos délibéré), c'était la neutralité : la seule alternative était de se plier à la menace ou de la combattre.

* 264 Mohammed Harbi, Le FLN : mirages et réalités, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980, cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.31.

* 265 Extrait du Procès de Raoul Salan, compte-rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1962, cité in Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.151-152. Voir aussi la description que fait Mohand Hamoumou des techniques du fait accompli et de l'"engagement" progressif (Ibid, p.153 à 155).

* 266 Cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 267 Cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#. Brahim Sadouni relate en détail cet épisode décisif de sa vie dans un livre intitulé Destin de harki. Le témoignage d'un jeune Berbère enrôlé dans l'armée française à 17 ans, Paris, Cosmopole, 2001, p.42-43. On peut y lire notamment : « Je comprends au regard du harki qui me donne mon paquetage que je ne suis pas le premier à me trouver devant une telle alternative. Être harki ou perdre tout moyen de subsistance ? Être harki ou mourir ? Une page de ma vie vient d'être tournée » (p.43).

* 268 Cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 269 Un des exemples les plus célèbres de ces engagements forcés d'adolescents nous est fourni par le témoignage - tôt publié - de Saïd Ferdi, contraint de s'engager à l'âge de 14 ans ; cf. Saïd Ferdi, Un enfant dans la guerre, 1954-1962, Paris, Le Seuil, 1981.

* 270 Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.150.

* 271 Ibid, p.158.

* 272 L'un des exemples les plus fameux fut celui du commando Georges, constitué pour l'essentiel par d'anciens maquisards de l'ALN, sous le commandement de Georges Grillot ; aux lendemains de la conclusion des accords d'Évian et de la dissolution du commando, ses membres furent presque tous exécutés par le FLN, et ce dans d'horribles conditions puisque certains d'entre eux furent ébouillantés vivants sur la place publique.

* 273 Maquisards enrôlés de force dans l'ALN ; maquisards révoltés par les excès de l'ALN tant à l'égard des populations civiles qu'à l'égard des autres mouvements nationalistes (tel le MNA de Messali Hadj) ; maquisards terrorisés par l'arbitraire des purges et règlements de comptes pratiqués dans les propres rangs de l'ALN ; etc. 

* 274 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.12.

* 275 Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.140.

* 276 Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus Harkis, Paris, Fayard, 1993, extrait cité sur le site du collectif Justice pour les harkis : www.chez.com/justiceharkis/.

* 277 Ibid.

* 278 Voir Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.367.

* 279 Cité in Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.96. Voir aussi, au sujet de Jean Servier, le tome III : L'heure des colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970.

* 280 Sur la rivalité FLN/MNA comme dimension de l'enjeu de l'unanimisme, voir infra la section III.A de la Partie 1 : « L'invocation autoritaire de l'Un ou la prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la représentation des aspirations de la population algérienne ».

* 281 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002, p.20.

* 282 Citée in Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus Harkis, Paris, Fayard, 1993 ; repris sur le site du collectif Justice pour les harkis : www.chez.com/justiceharkis/.

* 283 Voir à cet égard l'exemple de la famille de Dalila Kerchouche in Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003.

* 284 Cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 285 Citée in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 286 Voir infra le chapitre III de la Partie 1, ainsi que les chapitres I et III de la Partie 2.

* 287 Voir infra le chapitre II de la Partie 1.

* 288 Cité in Le Monde du 9 juin 2001.

* 289 Paulette Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000.

* 290 Voir la section III.B.2 de la Partie 2.

* 291 Témoignages recueillis, réécrits, et fournis à Paulette Péju par le collectif d'avocats pro-FLN animé par Jacques Vergès.

* 292 En métropole (principalement en région parisienne), ces affrontements feront plusieurs milliers de morts et près d'une dizaine de milliers de blessés. Le bilan officiel des attentats du FLN (et du MNA) en métropole pour la période comprise entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962 est de 12.989 agressions ayant occasionné 4.176 tués et 8.813 blessés (dont musulmans : 3.957 tués et 7.745 blessés ; métropolitains civils : 150 tués et 649 blessés ; militaires : 16 tués et 140 blessés ; policiers : 53 tués et 279 blessés).

293 Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi in Les harkis : une mémoire

* 294 Madeleine Riffaud, « Au dossier de «l'affaire des harkis» », L'Humanité du 7 mars 1961 ; article consultable à cette adresse : http://www.humanite.presse.fr/journal/2000/2000-11/2000-11-18/2000-11-18-014.html.

* 295 L'article évoque « de nombreux témoignages transmis à la presse par plusieurs avocats », sans doute le collectif de Jacques Vergès.

* 296 Antoine Coursat et Richard Lerchbaum, « Ils ont torturé dans Paris », Le vrai papier journal, n°7, février 2001, p.26-30.

* 297 « Les harkis les [d'autres "suspects"] avaient déshabillés, ligotés puis obligés à s'accroupir sur des bouteilles de bière. Ensuite on leur posait des questions et s'ils ne répondaient pas bien, les harkis leur appuyaient sur les épaules jusqu'à ce que la bouteille éclate... J'ai vu un jeune gars qui a saigné durant des jours après ce supplice et je peux vous l'affirmer pour l'avoir connu auparavant : ce n'était qu'un simple cotisant » ; cité in Antoine Coursat et Richard Lerchbaum, art.cit., p.27.

* 298 « Ils me font mettre tout nu, puis ils m'attachent le dos sur une grosse roue de camion ou de bus, pieds et poings liés. Ils commencent alors à me faire le supplice de l'eau. Un harki me tire les cheveux pour que je rejette ma tête en arrière tandis qu'un autre m'enfonce un tuyau dans la bouche. Ensuite, ils déversent des litres et des litres d'eau savonneuse. Il font ça pendant des heures pour nous faire gonfler. (...) Une fois bien plein, ils me mettent sur le côté pour me faire vomir. Ils me laissent comme ça pendant une demi-heure ou une heure, puis ils reviennent et recommencent... » ; Ibidem.

* 299 « Une fois de plus, ils m'attachent nu. Ils prennent une serpillière mouillée pleine de cendres et de charbon et me la collent sur le visage, le nez et la bouche, pour m'étouffer. Si je voulais parler, il fallait que je lève le petit doigt. Comme il n'y avait aucun autre moyen pour respirer, eh bien beaucoup ont fini par parler... moi aussi, j'ai reconnu tout ce qui m'était reproché » ; Ibidem.

* 300 Antoine Coursat et Richard Lerchbaum, « Ils ont torturé dans Paris », Le vrai papier journal, n°7, février 2001, p.30.

* 301 Cité in Le Monde du 12 octobre 2001. Voir aussi Benoist Rey [1961], Les égorgeurs : guerre d'Algérie, chronique d'un appelé, 1959-1960, Editions du Monde Libertaire, 1999.

* 302 Témoignage publié à cette adresse: http://mairie.urcuit.free.fr/algérie.htm.

* 303 Témoignage publié à cette adresse: http://mairie.urcuit.free.fr/algérie.htm.

* 304 Ibid. C'est nous qui soulignons.

* 305 Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 306 Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 307 Raphaëlle Branche, La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie,
1954-1962
, Paris, Gallimard, 2001, p.317-318.

* 308 Document cité dans le n°223 de la revue Historia (juin 1965).

* 309 Propos rapportés par Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire, 1964, p.75.

* 310 Interview donnée à la revue L'Histoire, n°140, janvier 1991, p.120.

* 311 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.15.

* 312 Maurice Faivre, « Les harkis contestés », document inédit, décembre 1995, p.2.

* 313 François Meyer, « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.3. 

* 314 Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002, p.20.

* 315 Ibidem.

* 316 Ibid, p.21.

* 317 Ibid, p.22.

* 318 Ibidem.

* 319 Général Crémière, « Le secteur de Bordj Bou Arreridj et ses supplétifs en 1961-62 », Histoire et défense. Montpellier, 1/93 ; cité in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.127-128.

* 320 FSE, selon la terminologie de l'époque, par opposition à FSNA, Français de souche nord-africaine.

* 321 Témoignage consultable à cette adresse: http://mairie.urcuit.free.fr/algerie.htm.

* 322 François Meyer, « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.3. 

* 323 Maurice Faivre, « Les harkis contestés »,

* 324 Patrick Rotman, Bertrand Tavernier, La guerre sans nom. Les appelés d'Algérie 54-62, Paris, Seuil, 1992, p.260-261.

* 325 Elles sont généralement - mais pas exclusivement - le fait d'intellectuels et d'historiens de gauche qui, anciens soutiens au FLN et/ou soutiens proclamés à la politique algérienne du général de Gaulle, ont toujours tenu pour négligeable la portée de l'engagement de centaines de milliers de musulmans aux côtés de la France, et ne se sont intéressés au drame des harkis que pour en minimiser l'ampleur.

* 326 Le chiffre des "150.000", qui procède d'extrapolations (délibérément) hâtives (voir infra), est véhiculé par des associations de rapatriés de toutes origines (européenne et musulmane) aux fins de "choquer" l'opinion publique et l'amener à soutenir les demandes de réparation, voire d'expiation, adressées à l'Etat français.

* 327 L'extrait de ce dialogue (privé) entre Alain Peyrefitte et le général de Gaulle, fin 1961, est illustratif de ce que le chef de l'Etat entendait par politique de « dégagement » :

« Alain Peyrefitte - «Vous m'aviez dit en juillet [1961] que le FLN ne conclurait jamais la paix si on ne lui enfonçait pas dans la gorge une poire d'angoisse. A-t-il changé ? Si vous ne voulez plus du partage comme poire d'angoisse, que nous resterait-il ? »

Charles de Gaulle - «Il nous resterait le dégagement ! Il faudrait dégager au plus vite. Ce serait peut-être tant mieux pour nous ; ce serait en tout cas tant pis pour eux.»

Ainsi Malraux avait raison sur de Gaulle contre de Gaulle. Le Général bascule. Il cesse d'être partageux pour devenir dégageux.

Alain Peyrefitte - «Vous ne pouvez pas faire de plus grand cadeau aux gens du FLN que d'annoncer notre retrait ! C'est tout ce qu'ils souhaitent ! »

Charles de Gaulle - «Grand bien leur fasse !» »

(Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.89).

* 328 Charles de Gaulle à Alain Peyrefitte, à l'issue du Conseil des ministres du 9 octobre 1963, à propos du soulèvement kabyle conduit sous l'égide du FFS de Hocine Aït-Ahmed : « Tout ça était inévitable. L'essentiel, c'est que c'est eux qui ont dû faire face à la rébellion des Kabyles, au maintien de l'ordre, à la cohésion nationale. S'ils s'entre-tuent, ce n'est plus notre affaire. Nous en sommes dé-bar-ras-sés, vous m'entendez ? » ; cf. Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le monde », Paris, Editions de Fallois/Fayard, 1997, p.439. C'est l'auteur qui souligne.

* 329 Voir ci-dessous la section II.A.1.c de la Partie 1 : « La promesse non tenue du maintien automatique dans la nationalité française des Algériens de statut civil de droit local ».

* 330 Ce rapport est cité par de nombreux auteurs ; il est reproduit en partie par Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire, 1964, p.131 et suivantes.

* 331 1. Entre Français d'Algérie et Français de métropole (via les affrontements entre l'Organisation de l'armée secrète et l'armée régulière) ; 2. entre musulmans "loyalistes" et musulmans nationalistes (via les affrontements entre les formations supplétives de l'armée française et l'Armée de libération nationale) ; et 3. entre factions rivales au sein de la mouvance nationaliste (via les affrontements entre le MNA de Messali Hadj et le FLN).

* 332 Maurice Allais [1962], L'Algérie d'Évian, Jeune Pied-Noir, 1999, deuxième édition, p.24.

* 333 Extrait cité par Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris, Éditions de l'Alma, 1962, p.149.

* 334 Ibidem.

* 335 Cité in Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.183.

* 336 Ibid, p.184. Voici - plus en détail - ce que furent les mots du chef de l'Etat, ce 5 septembre 1960 : « Qui peut croire que la France, sous le prétexte d'ailleurs fallacieux d'arrêter les meurtres, en viendrait à traiter avec les seuls insurgés (...) ? A les bâtir comme étant la représentation unique de l'Algérie tout entière ? Bref, à admettre que le droit de la mitraillette l'emporte sur celui du suffrage ? » (cité in Mohand Hamoumou, « Le drame des harkis ou la double faute des gouvernants », Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002, p.33).

* 337 Cité in Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.190.

* 338 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.185.

* 339 Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur », Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002, p.7.

* 340 Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur », Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002, p.7.

* 341 Alain Peyrefitte, Faut-il partager l'Algérie ?, Paris, Plon, 1961, p.106. Extrait cité et commenté par Maurice Allais [1962], L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.70 ; Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.169 ; Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.224.

* 342 Bien qu'ayant le vague sentiment d'avoir été floué, Alain Peyrefitte acceptera, en avril 1962, la charge de secrétaire d'État à l'Information dans le premier cabinet Pompidou avant d'être désigné ministre des Rapatriés en septembre 1962, puis ministre de l'Information en décembre 1962, ce qui l'amena à conduire et à cautionner une politique dont il dénonçait l'augure l'année précédente.

* 343 D'après Charles-Robert Ageron, certains passages - restés secrets - du programme de Tripoli (à l'issue de la réunion dans cette ville du Conseil National de la Révolution Algérienne, du 27 mai au 7 juin) préconisaient d' « encourager les Français à partir » et de « liquider progressivement les accords d'Evian » ; cf. Charles-Robert Ageron, « La prise du pouvoir par le FLN (entretien) », in L'Histoire, « Les derniers jours de l'Algérie française », n°231, avril 1999, p.58 à 63.

* 344 Maurice Allais (1962), L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.69.

* 345 Texte complet de l'accord de cessez-le-feu reproduit par Maurice Allais (1962), L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.306-307.

* 346 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.218-219.

* 347 Ibid, p.219.

* 348 Jean Monneret, op.cit., p.325.

* 349 Cité par Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne 1958-1962, édité chez l'Harmattan, et repris sur le site du collectif Justice pour les harkis : www.chez.com/justiceharkis/.

* 350 Charles de Gaulle, allocution du 4 novembre 1960, Discours et messages, t.3, p.259-260.

* 351 Discours du général de Gaulle prononcé à la Radiodiffusion-Télévision Française le 16 septembre 1959, repris in Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris, Éditions de l'Alma, 1962, p.275.

* 352 Propos cités par Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.182.

* 353 Cité in Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.124-125.

* 354 Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 et 192.

* 355 Cité in Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.124-125.

* 356 Ibidem.

* 357 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.

* 358 Les accords d'Évian stipulaient pourtant que le futur État algérien devait « [souscrire] sans réserve à la Déclaration universelle des droits de l'homme et [fonder] ses institutions sur les principes démocratiques et sur l'égalité des droits politiques entre tous les citoyens sans discrimination de race, d'origine ou de religion » ; texte des accords consultable sur : http://www.chronicus.com/present/docs/evian.htm.

* 359 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.227.

* 360 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.249. C'est nous qui soulignons.

* 361 Maurice Allais (1962), L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.40.

* 362 Discours du général de Gaulle prononcé à la Radiodiffusion-Télévision Française le 16 septembre 1959, repris in Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris, Éditions de l'Alma, 1962, p.276.

* 363 Document produit in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 1995, p.103-104. C'est nous qui soulignons.

* 364 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.328.

* 365 Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 1995, p.100. C'est nous qui soulignons.

* 366 Les musulmans de statut civil de droit commun sont ceux qui ont choisi de renoncer à leur statut civil de droit local (coranique ou berbère) pour acquérir une citoyenneté pleine et entière, et accéder notamment au premier collège électoral ; nous reviendrons plus avant sur l'origine de cette distinction entre Algériens de statut civil de droit local (l'immense majorité des musulmans) et Algériens de statut civil de droit commun (la totalité des pieds-noirs plus quelques milliers de notables musulmans), ainsi que sur les (étroites) voies de passage d'un statut à l'autre.

* 367 Maurice Faivre, op.cit., p.100.

* 368 Ibid, p.101.

* 369 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.329.

* 370 Les Algériens de statut civil de droit commun bénéficiaient quant à eux, pour une période de trois années à compter du jour de l'autodétermination, de la constitution d'une Association de sauvegarde, reconnue d'utilité publique, et d'une Cour des garanties, chargée de veiller au respect de leurs droits. Or, l'Association de sauvegarde refusera à plusieurs reprises d'instruire des recours déposées par des familles de disparus musulmans, arguant du fait que seuls les Algériens anciennement de statut civil de droit commun étaient couverts par ces dispositifs, conformément à la lettre des accords d'Évian. Les autres, devenus des nationaux algériens, devaient s'en remettre directement aux nouvelles autorités.

* 371 « Au surplus, au regard de la France, aucun Algérien quel qu'il soit ne peut perdre sa nationalité. Ceux qui refuseront d'accepter, le cas échéant, la nationalité algérienne, pourront conserver la nationalité française et s'installer en métropole à ce titre » (cité in Maurice Allais [1962], L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.202. C'est nous qui soulignons).

* 372 Cité in Maurice Allais [1962], L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.202. Voir aussi Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire, 1964, p.359 à 361. C'est nous qui soulignons.

* 373 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.328.

* 374 Une directive signée du général de Gaulle en date du 26 juin 1962, intitulée « Problème de la nationalité », et formalisée immédiatement à la suite de la réunion du Comité des Affaires algériennes du 21 juin, précise sans équivoque possible qu'une ordonnance sera promulguée avant le 1er juillet pour (...) maintenir aux Algériens musulmans la jouissance de la nationalité française, mais en subordonner l'exercice à une déclaration » ; directive produite in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.192. C'est nous qui soulignons.

* 375 « Quand on m'a dit qu'il fallait aller devant le juge pour être français, j'étais fou. J'étais en colère contre la France. De Gaulle avait dit qu'on était tous français, pareils, de Dunkerque à Tamanrasset. Mitterrand aussi avait dit «l'Algérie c'est la France». Quand il fallait se battre en 1940 pour venir libérer la France, j'étais français. Mais quand il fallait venir se réfugier en France, la France ne nous connaît plus comme français. Il faut aller demander la nationalité au juge. C'est une honte ». Témoignage de M. L., 1998, recueilli par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou in Les Harkis, une mémoire enfouie, Paris, Autrement, 1999, p.21.

* 376 S'agissant de la forme, Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, se fondant sur les images d'un reportage télévisé, en décrivent le cérémonial : « En juin 1963, le magazine Cinq colonnes à la une diffuse un long reportage intitulé «C'était les harkis». On y voit dans les premières images un couloir où des harkis avec femmes et enfants se pressent en ordre, puis la caméra s'attarde sur une salle presque vide. Une table derrière laquelle se trouve un juge ayant devant lui deux piles de dossiers soigneusement posés en constitue l'unique mobilier. Le juge appelle sans hésitation un homme et lui demande : «Voulez-vous garder la nationalité française ?». Au «oui» prononcé fortement, le juge approuve par un solennel : «Signez là». Arrivent un harki et sa femme, les cheveux noués dans un foulard. Elle ne parle pas le français et ne sait pas signer, mais elle s'applique sous la direction de son mari et sous l'objectif indiscret de la caméra » (Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les Harkis, une mémoire enfouie, Paris, Autrement, 1999, p.22).

* 377 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.37.

* 378 Selon le Comité national pour les Français-Musulmans (Problèmes pratiques relatifs aux déclarations de nationalité, 15 mai 1969), des ajournements ou des refus furent motivés par le fait que les « déclarants ont fait l'objet de remarques défavorables » ou par « leurs fréquents changements de domicile parfois non signalés » (cité in Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.228).

* 379 Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.228.

* 380 Cité par Abdel-Aziz Méliani, La France honteuse. Le drame des harkis, Éditions Perrin, et repris sur le site du collectif Justice pour les harkis, www.chez.com/justiceharkis/.

* 381 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.43. Sur ce dernier point, l'argument avancé par les autorités semblait quelque peu fallacieux, sinon hypocrite, puisque l'instauration d'un code de l'indigénat instituant un régime répressif spécifique compensait pour le moins la non-sujétion des indigènes musulmans à certaines obligations édictées par le code civil.

* 382 Seuls 65.000 membres des élites militaires, culturelles, politiques, administratives, économiques et sociales furent admis sans abandon de leur statut personnel dans le collège des citoyens français (premier collège) par ordonnance du 7 mars 1944. S'agissant du deuxième collège (musulman), il fallut attendre l'ordonnance du 17 août 1945 puis la loi électorale du 5 octobre 1946 pour que sa représentation à l'Assemblée nationale soit simplement égale à celle du premier collège ; cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.53 et 55.

* 383 Cela apparaît clairement au regard de la différence de traitement appliqué aux populations indigènes selon qu'elles soient de confession juive ou musulmane, c'est-à-dire relativement peu nombreuses ou pléthoriques ; voir ci-dessous.

* 384 Patrick Weil, Qu'est-ce qu'un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002, p.225-244 ; extrait repris sur le site de la Ligue des droits de l'homme de Toulon à cette adresse : http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=148.

* 385 Voir Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.25-26, et Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », European University Institute, Florence, Working Paper, septembre 2003, p.15 ; article consultable à cette adresse : http://www.iue.it/PUB/HEC03-03.pdf.

* 386 De 1865 à 1937, seules 4.298 accessions individuelles à la citoyenneté furent enregistrées (cf. Rapport de la sous-commission parlementaire d'enquête en Algérie, mars-avril 1937, présidée par Joseph Lagrosillière ; repris in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.42). Selon Guy Pervillé, au total, leur nombre n'a jamais dépassé 10.000 personnes, soit 1 indigène musulman pour 1.000.

* 387 Devant la commission des réformes musulmanes, en 1944, le cheikh Bachir el Ibrahimi, successeur du cheikh Ben Badis à la tête de l'Association des Oulémas, exprima nettement la difficulté - sinon l'impossibilité - d'une démarche qui obligeait les intéressés à choisir entre l'accès à une pleine citoyenneté et le renoncement à une pleine sociabilité religieuse : « Les Musulmans ne sollicitent pas l'honneur d'être élevés à la citoyenneté française, se considérant déjà très élevés de par leur qualité de musulman » (Compte-rendu de la commission des réformes musulmanes, Alger, 1944, p.66 ; reproduit par Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.43). L'association des Oulémas, « composée de savants dans les disciplines religieuses, ayant poursuivi leurs études dans les universités arabo-islamiques de Tunis, de Fez, du Caire, de Damas ou de Médine », visait, selon Guy Pervillé, « à épurer la religion musulmane de toutes ses déviation (telles que les superstitions du maraboutisme) et à défendre la personnalité algérienne contre l'assimilation » (Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.85). Pour sa part, la commission des réformes musulmanes, composée de hauts fonctionnaires, d'hommes politiques français d'Algérie et de métropole, et de notables musulmans, avait été mise en place par le Comité français de Libération nationale en vue d'élaborer un ensemble de réformes politiques, économiques et sociales en faveur des élites et des masses musulmanes.

* 388 Dans un article écrit en 1926, le jeune Ferhat Abbas s'était expliqué du caractère profondément antisocial d'une telle procédure : « La naturalisation individuelle ne se justifie pas (...). Nous sommes des Algériens, nous faisons partie d'une famille, nous faisons partie d'une société (...). Aurait-on par hasard la prétention de changer quoi que ce soit à cette société par la naturalisation individuelle ? Non, ce qu'il faut, c'est la loi pour tous, si vraiment on veut guider l'Algérie musulmane vers une civilisation plus haute. L'individu, fût-il un génie ne compte pas. Il ne compte que dans la mesure où subissant la loi commune, il en prépare les réformes et l'évolution » (cf. « L'intellectuel musulman en Algérie » [1926], reproduit in Le Jeune Algérien, Paris, 1931 ; réédition Garnier, 1981, p.112 ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.44). De même, en 1937, Ferhat Abbas, qui réclamait encore la naturalisation "dans le statut" pour tous les musulmans (afin que soit reconnue l'égalité dans la différence juridique), écrivait : « On nous dit : «Naturalisez-vous. Qu'est-ce qui vous en coûte ? Une formalité, une simple déclaration». Mais comment veut-on que nous le fassions ? Tous nos morts nous regardent au fond de leurs cimetières. Pouvons-nous les trahir ? Comprenez-nous, l'islam est déjà usé, envahi de toutes parts par les idées de l'Occident, ne nous demandez pas de le répudier [...]. Laissez-nous venir à vous tels que nous sommes, reprendre notre oeuvre en commun avec vous » (cité par Françoise Gaspard, « Violette l'Arabe », in L'Histoire, « Le temps des colonies », avril 2001, p.88).

* 389 Mohand Hamoumou : « Les formalités imposées étaient contraignantes et les naturalisations furent rares : une trentaine seulement de musulmans eut recours chaque année au sénatus-consulte de 1865 car abandonner le statut civil de droit local équivalait, dans l'esprit de la grande majorité des musulmans, à un reniement culturel et religieux. (...) Renoncer à la loi islamique équivalait, en effet, pour un musulman à commettre un crime d'apostasie, donc à se condamner à mort socialement » (Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard, 1993, p.52).

* 390 Il faut noter que, paradoxalement, à la différence des indigènes musulmans algériens, les enfants d'étrangers musulmans (tunisiens ou marocains) nés en Algérie (donc en territoire français) bénéficiaient automatiquement de la pleine jouissance de la citoyenneté française par application de la loi du 26 juin 1889 destinée à assimiler les immigrants étrangers. Ainsi, ce que l'on accordait automatiquement aux enfants d'immigrants musulmans étrangers, on ne l'accordait qu'au cas par cas et sur demande expresse aux indigènes musulmans de nationalité française.

* 391 Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », European University Institute, Florence, Working Paper, septembre 2003, p.10 ; article consultable à cette adresse : http://www.iue.it/PUB/HEC03-03.pdf.

* 392 Pour prendre la mesure du caractère volontariste d'une telle politique, il convient de souligner avec Guy Pervillé que jusqu'alors « peu de juifs Algériens avaient utilisé la procédure d'accession à la citoyenneté française définie par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, parce qu'elle exigeait la renonciation au statut personnel fondé sur la loi mosaïque » ; cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.37. Mais si un même scrupule avait dissuadé juifs et musulmans d'Algérie de faire usage de la procédure individuelle d'accession à la citoyenneté française définie par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, force est de constater que la réponse apportée par les pouvoirs publics fut bien différente d'une catégorie indigène l'autre. Ainsi faudra-t-il attendre 1958 pour que les musulmans soient considérés comme des citoyens de plein suffrage et de pleine représentation, avec l'instauration du suffrage universel dans un collège unique. À la différence des juifs, cependant, cette reconnaissance collective de la pleine citoyenneté des indigènes musulmans ne sera pas conditionnée par l'abandon du statut personnel. Le contexte était tout autre, il est vrai. L'expérience de la « citoyenneté dans le statut », qui révolutionnait la conception universaliste de l'appartenance juridique à la nation française, sera cependant de courte durée puisqu'elle prendra définitivement fin avec l'accession à l'indépendance de l'Algérie. De fait, la procédure de recouvrement de la nationalité française offerte aux musulmans francophiles repliés en France (cf. supra) impliquait la soumission au Code civil et, d'une certaine manière, le retour à la procédure de « naturalisation » définie par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865.

* 393 De par l'application de cette loi, les enfants d'étrangers musulmans (tunisiens ou marocains) nés en Algérie bénéficiaient automatiquement de la pleine jouissance de la citoyenneté française. Ainsi, paradoxalement, ce que l'on accordait automatiquement aux enfants d'immigrants musulmans étrangers, on ne l'accordait aux indigènes musulmans français que sur demande expresse des intéressés et sous condition d'en être jugé « digne » par les autorités.

* 394 Jean Monneret : « Ce n'est pas un des moindres paradoxes des accords d'Evian que, destinés à «décoloniser» l'Algérie, ils aient pris pour base distinctive des dispositions qui avaient été parfois critiquées comme typiques du colonialisme. On comprend d'ailleurs pourquoi le gouvernement français s'était engagé dans cette voie. Le FLN, à Evian, n'aurait pas accepté que l'on créât dans la population algérienne des distinctions portant atteinte au dogme de «l'unité du peuple». Il ne devait donc pas y avoir de Musulmans pro-français sous quelque forme que ce soit. La référence au statut de droit coranique permettant sous ce rapport, de considérer cette population à peu près comme un bloc ». Ainsi, ajoute-t-il, « le FLN a utilisé, pour son propre compte, une distinction dont ses idéologues et ses partisans avaient souvent combattu le principe même » (Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.327).

* 395 Ce dont témoignait récemment encore un amendement constitutionnel adopté à l'occasion des élections présidentielles de 1999, qui rend inéligibles les candidats qui ne seraient pas en mesure de justifier de leur participation à la guerre d'indépendance entre 1954 et 1962, pour autant qu'ils aient été en âge d'y prendre part.

* 396 Car c'est bien ainsi que le général Buis - alors colonel et directeur du cabinet militaire du haut-commissaire de la République française en Algérie entre le 19 mars et le 3 juillet 1962 - justifie rétrospectivement la différence de traitement opérée sur le moment entre les musulmans pro-français et les pieds-noirs pour ce qui a trait aux rapatriements. Dans une interview donnée à la revue L'Histoire, en janvier 1991, le général Buis, évoquant les restrictions apportées au rapatriement des anciens supplétifs, explique qu' « il ne fallait pas compliquer une tâche prioritaire s'agissant d'ayant-droit [les pieds-noirs] » (Cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.40). Il sous-entend ainsi clairement que, n'étant plus considérés comme des « ayant-droit » par les autorités françaises au jour de l'indépendance (du fait de leur déchéance automatique de la nationalité française), les anciens supplétifs ne pouvaient bénéficier des mesures de rapatriement préventif qu'à titre secondaire et exceptionnel.

* 397 Note retrouvée dans les archives du secrétariat d'État aux Affaires algériennes par et citée in Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.331-332.

* 398 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.332.

* 399 Ibidem.

* 400 Ibidem. Au cours des secondes négociations d'Évian, peu après la rédaction de cette note, cette dernière invite ne sera pas davantage suivie que les autres par des négociateurs français mis sous pression par le général de Gaulle, et pressés d'en finir. De fait, si l'on se réfère à la lettre des accords d'Évian, seuls les quelques milliers de musulmans de statut civil de droit commun, à l'exclusion de la masse des musulmans de statut civil de droit local donc, auraient pu théoriquement être admis au bénéfice de la convention d'établissement prévue pour les Européens, et vivre avec les garanties afférentes en Algérie. Pour preuve, le 17 juillet 1962, quelques jours à peine après que fût proclamée l'indépendance de l'Algérie, l'association de sauvegarde instituée par les accords d'Évian pour une période de trois années à dater du jour de l'autodétermination aux fins de « contribuer à la protection des droits garantis aux nationaux français » (puis, à l'issue de ce délai, de façon permanente aux fins d' « assurer la protection de la personne et des biens et la participation régulière à la vie de l'Algérie des Algériens de statut civil français ») refusa d'enregistrer les demandes de recherche formulées par des familles de disparus musulmans au prétexte qu'elle n'avait à connaître, aux termes de ces accords, que les demandes émanant des nationaux français anciennement de statut civil de droit commun ; à l'exclusion, donc, des nationaux algériens anciennement de statut civil de droit local. Cet épisode est rapporté dans des articles du Monde datés des 17 et 22 juillet 1962 (articles cités par Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.329).

* 401 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.331-332. c'est nous qui soulignons.

* 402 Charles de Gaulle à Louis Joxe, propos cités in Paris-Match, n°672 du 24 février 1962, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.180.

* 403 D'après le témoignage de Louis Terrenoire, De Gaulle et l'Algérie, Fayard, cité in Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d'Algérie, France-Empire, 1972, p.552, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui, op.cit., p.180.

* 404 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.284-285.

* 405 Charles de Gaulle, Comité des Affaires algériennes du 3 avril 1962, notes prises par le secrétaire général du gouvernement et citées in Maurice Faivre, op.cit., p.98. Pourtant, moins d'un an et demi auparavant, au cours de l'allocution radiotélévisée du 4 novembre 1960, le général de Gaulle déclarait : « L'Algérie de demain, telle qu'en décidera l'autodétermination, pourra être bâtie ou bien avec la France, ou bien contre la France. Celle-ci, je le déclare une fois de plus, ne s'opposera pas à la solution, quelle qu'elle soit, qui sortira des urnes. Si ce devait être la rupture hostile, nous ne nous acharnerions certainement pas à rester de force aux côtés de gens qui nous rejetteraient, ni à engouffrer dans une entreprise sans issue et sans espoir des efforts et des milliards dont l'emploi est tout trouvé ailleurs. Nous laisserions l'Algérie à elle-même, tout en prenant, bien entendu, les mesures nécessaires pour sauvegarder, d'une part ceux des Algériens qui voudraient rester Français, d'autre part nos intérêts » (c'est nous qui soulignons).

* 406 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.324.

* 407 Le FLN ayant été la seule formation invitée à la table des négociations d'Évian, il fut logiquement la seule formation habilitée à représenter la composante musulmane de la population algérienne au sein de l'exécutif provisoire. Quant à la Force locale, placée sous les ordres de cet exécutif, et dans laquelle fut reversée une partie des GMS (Groupes mobiles de sécurité), elle servit dans les faits de bureau de recrutement à l'ALN.

* 408 Justification rétrospective de Pierre Messmer, alors ministre des Armées : « Mais nous n'allions tout de même pas remettre des gens armés dans la nature en plein cessez-le-feu ! » ; cf. Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde, 25 septembre 2001, p. 22.

* 409 Bernard Moinet, Ahmed ? Connais pas..., Éditions Lettres du Monde ; extrait repris sur le site du collectif « Justice pour les harkis » : www.chez.com/justiceharkis/. Responsable du 5ème Bureau de Sidi-Bel-Abbès (Action psychologique), Bernard Moinet a participé activement à la création des harkas d'Oranie. Il commandera par la suite une harka montée jumelée à son escadron blindé. Fervent défenseur de l'Algérie française, il sera renvoyé en métropole en avril 1962 pour « idées non conformes ». Apprenant en 1963 la liquidation physique des harkis placés autrefois sous son commandement, il quittera aussitôt l'armée d'active. Il a depuis lié son nom à celui de la défense de la cause des anciens harkis.

* 410 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.4.

* 411 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.340.

* 412 Tract de la wilaya V (Oranie), cité par le général François Meyer, in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.4.

* 413 Ibidem.

* 414 Communiqué de Pierre Messmer, ministre des Armées, en date du 8 mars 1962 ; cité par le général François Meyer, in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.4.

* 415 Message rapporté par Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire, 1964, p.69.

* 416 Général Buis, interview donnée à la revue L'Histoire, janvier 1991 ; extrait cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.84-85. C'est nous qui soulignons.

* 417 D'après le témoignage de Louis Terrenoire, De Gaulle et l'Algérie, Fayard, cité in Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d'Algérie, France-Empire, 1972, p.552, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui, op.cit., p.180.

* 418 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.5.

* 419 Ibid, p.4.

* 420 Ibid, p.5.

* 421 Ibid, p.6.

* 422 Mohand Hamoumou, « Le drame des harkis ou la double faute des gouvernants », Guerre d'Algérie magazine, n°4, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur », juillet-août 2002, p.33.

* 423 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.6.

* 424 Ibidem.

* 425 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.377.

* 426 Pour autant, l'existence de telles instructions est on ne peut plus symptomatique de la volonté des autorités de tutelle de maintenir un maximum de supplétifs et membres de leurs familles en Algérie. Il a sans doute fallu la résistance, au moins passive, de certains officiers (y compris supérieurs) chargés de les appliquer pour qu'elles ne soient pas systématiquement suivies d'effets. Ainsi en fut-il, par exemple, du "contournement" par l'état-major de la base de Mers-el-Kébir des procédures présidant à la constitution comme à l'instruction des demandes de rapatriement des supplétifs de la demi-brigade de fusiliers marins de Nemours (DBFM) : des civils sont faits commandos-marines de dernière heure, si bien que ce sont 650 personnes au lieu de 400 prévues initialement que l'on embarque vers la France (cf. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.46-47).

* 427 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.340.

* 428 Pour en convaincre, l'auteur souligne notamment que l'engagement proposé était « résiliable à tout moment » ; cf. Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p. 20.

* 429 Ibidem.

* 430 Patrick Rotman, Bertrand Tavernier, La guerre sans nom. Les appelés d'Algérie 54-62, Paris, Seuil, 1992 p.267-268.

* 431 Charles de Gaulle, Comité des Affaires algériennes du 3 avril 1962, notes prises par le secrétaire général du gouvernement et citées in Maurice Faivre, op.cit., p.98.

* 432 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.

* 433 Ibidem.

* 434 Voir à cet égard le témoignage éclairant de Brahim Sadouni, Destin de harki. Le témoignage d'un jeune Berbère enrôlé dans l'armée française à 17 ans, Paris, Cosmopole, 2001, p.86-87. Brahim Sadouni a écrit une première version de ce récit dans un livre, Français sans patrie, édité à compte d'auteur en 1985.

* 435 Cité in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.10-11. C'est nous qui soulignons.

* 436 Le 3 avril 1962, au cours d'une séance du Comité des Affaires algériennes ; voir plus haut.

* 437 Cité in Maurice Faivre, op.cit., p.95-96.

* 438 Tract reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.102-103.

* 439 Yves Courrière, La guerre d'Algérie - III : L'Heure des Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970, p.622 à 624.

* 440 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.2.

* 441 En l'état, cette affirmation pouvait laisser penser que cette possibilité leur serait aussi offerte en Algérie. Ce qui ne sera pas le cas, nous l'avons vu.

* 442 Il importe de mettre en perspective les assurances du général Crépin, assurances contemporaines des faits, avec les propos rétrospectifs du général Buis, alors colonel et chef du cabinet militaire du haut-commissaire de la République en Algérie, pendant la période de passation des pouvoirs (19 mars - 2 juillet 1962). Ce dernier explique désormais qu' « il n'était pas question pour l'armée de s'aventurer dans la nature pour récupérer des harkis qui n'avaient pas été rassemblés en même temps que les unités organisées. Dites-vous bien qu'elle n'était plus opérationnelle, sauf pour sa défense, et remplacée par une vague force territoriale. Elle était simplement stationnée sur le territoire algérien, dans des garnisons » (Témoignage du général Buis, L'Histoire, n°140, janvier 1991, p.121. C'est nous qui soulignons).

* 443 Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.40.

* 444 Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995.

* 445 Ibid, p.83.

* 446 Cité in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.11.

* 447 Voir notamment Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.324 ; Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.95 ; et Maurice Faivre, « Les harkis contestés », texte inédit, décembre 1995, p.6.

* 448 Directive mentionnée dans une lettre adressée par l'historien Maurice Faivre à Arlette Chabot, présentatrice de l'émission « Mots croisés » sur France 2.

* 449 Cité in Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.175. C'est nous qui soulignons.

* 450 Ibidem.

* 451 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136. c'est nous qui soulignons.

* 452 Charles de Gaulle à Louis Joxe, propos cités in Paris-Match, n°672 du 24 février 1962, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.180.

* 453 D'après le témoignage de Louis Terrenoire, De Gaulle et l'Algérie, Fayard, cité in Philippe Tripier, Autopsie de la guerre d'Algérie, France-Empire, 1972, p.552, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui, op.cit., p.180.

* 454 Directive citée in Maurice Faivre, op.cit., p.155.

* 455 Ibidem.

* 456 Document cité et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165.

* 457 Directive citée par Jean-Jacques Jordi, « A propos des harkis », in Jacques Frémeaux et Michèle Battesti (dir.), Sorties de guerre, Ministère de la Défense, Cahiers du Centre d'Etudes d'Histoire de la Défense, n°24, 2005.

* 458 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.333-334.

* 459 Maurice Faivre rapporte ainsi le témoignage de Pierre Rivière, un ancien chef de SAS, qui, à la sous-préfecture d'Arris, a été témoin de ce que « la prime de recasement fut payée aux harkis [par les autorités françaises] en présence du représentant du FLN, auquel chaque homme versait "spontanément" l'enveloppe qu'on venait de lui remettre » ; cf. Maurice Faivre, « Les harkis contestés », document inédit, décembre 1995, p.6.

* 460 Propos rapportés par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.34. 

* 461 Paroles rapportées par Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 462 D'après une fiche du cabinet du ministre des Armées en date du 29 juin 1962 qui fait le point sur ce sujet ; fiche citée in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.5.

* 463 Journal officiel du 5 juin 1962 ; intervention reproduite in Bernard Coll et Taouès Titraoui, op.cit., p.177-178.

* 464 Référence faite à Charles-Robert Ageron, voir supra.

* 465 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.6.

* 466 Exemples extraits des archives départementales des Bouches-du-Rhône par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.37.

* 467 Note reproduite par Maurice Faivre d'après une copie de l'original tel qu'il est parvenu au P.C. de la Zone Est Constantinois ; cf. Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.170.

* 468 Extrait cité dans « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.7. Voici le texte intégral de la note du colonel Buis : « Le ministre d'Etat chargé des Affaires Algériennes a appelé l'attention du Haut Commissaire sur certaines initiatives prises en Algérie pour organiser l'émigration et l'installation en métropole de familles musulmanes désireuses de quitter le territoire algérien. C'est ainsi que le 9 mai, sept familles d'ex-moghaznis ont quitté Oran pour s'installer dans la région de Dijon. Or, dans la conjoncture actuelle, on ne peut laisser à une autorité quelconque l'initiative des mesures de ce genre qui ne peuvent relever que de décisions prises à l'échelon du gouvernement. Le transfert en métropole de Français-musulmans effectivement menacés dans leur vie et dans leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération préparée et planifiée. J'ai en conséquence l'honneur de vous demander de bien vouloir prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de toute initiative isolée destinée à provoquer l'installation de Français-musulmans en métropole. Il vous appartiendra seulement d'instruire les demandes émanant des personnels demandant à se réfugier en métropole, et de me transmettre vos propositions, qui seront présentés au secrétariat d'État aux Rapatriés  ».

* 469 Télégramme retrouvé dans les Archives départementales des Bouches-du-Rhône par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.38.

* 470 Extrait cité in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.175.

* 471 Cf. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.346-347.

* 472 Message n°1334 MA/CAB/DIR, cité in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.7. Le 13 mai 1962, ce message est répercuté à l'adresse des différents Corps d'Armées par le Chef d'Etat-major, le colonel Valentin : « Note de service n°1013 EMI/MOR a fixé conditions dans lesquelles les FSNA, supplétifs et civils engagés aux côtés forces armées et dont la vie serait en danger pour ce motif doivent être regroupés avant transfert en Métropole - Vous demande veiller stricte application de ces instructions. En particulier : - Personnes à transférer doivent être limitées à celles réellement menacées ; - Transport et installation ne seront exécutés que sur ordre et suivant modalités à fixer par départements ministériels compétents - Ministre des Armées a décidé à ce sujet refouler sur Algérie tous supplétifs et civils pris en charge par Armées, mis en route sans son autorisation » (Ibidem).

* 473 Propos rapportés in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.7.

* 474 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde, 25 septembre 2001, p. 22 ; interview reprise en intégralité sur : http://www.chez.com/constit/harkis.html.

* 475 Ibidem.

* 476 Pierre Montagnon, né en 1931, Saint-Cyrien, acteur et témoin de la guerre d'Algérie, sept fois cité, deux fois blessé comme chef de section dans les rangs des parachutistes de la Légion, officier de la Légion d'Honneur à titre militaire, est historien conférencier, lauréat de l'Académie française. Interné politique d'avril 1962 à décembre 1964 pour avoir combattu dans les rangs de l'OAS - il participa notamment à la mise sur pied du maquis de l'Ouarsenis qui associait à des commandos européens les supplétifs musulmans du bachaga Boualam (voir infra), il est l'auteur de nombreux ouvrages parus chez Pygmalion.

* 477 Pierre Montagnon, La guerre d'Algérie, Pygmalion, 1984, p.392, cité in Bernard Coll et Taouès Titraoui, op.cit., pp.191-192.

* 478 Bernard Moinet, Ahmed ? Connais pas... : le calvaire des harkis, Paris, Godefroy de Bouillon, 1997, p.183 à 186 ; cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.48-49.

* 479 Exemple extrait des archives départementales des Bouches-du-Rhône par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.45.

* 480 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.339.

* 481 Procès-verbal de l'intervention du général de Gaulle, reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.191-192.

* 482 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.43.

* 483 Ibid, p.45.

* 484 Témoignage de F.R. rapporté par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.43-44.

* 485 Extrait cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.46.

* 486 Extrait cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.46.

* 487 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.146.

* 488 Nicolas d'Andoque, Guerre et paix en Algérie. L'épopée silencieuse des SAS, Paris, Éditions SPL, 1977, p.153, passage cité par Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.340.

* 489 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.

* 490 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.38 et 86.

* 491 Cité par Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.220.

* 492 Ibidem.

* 493 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.341.

* 494 Ibid, p.343.

* 495 Anthony Clayton, Histoire de l'armée française en Afrique, 1830-1962, Paris, Albin Michel, 1994, p.233.

* 496 D'après Rémy Kauffer, L'OAS, Paris, Fayard, 1986, p.274, cité in Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.221.

* 497 Saïd Boualam, Mon pays, la France, Paris, France-Empire, 1962, p.30-34 ; cité par Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.223.

* 498 Cité in Saïd Boualam, Les harkis au service de la France, Paris, France-Empire, 1962, p.246-247 ; repris in Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.223.

* 499 Extrait cité in Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.342.

* 500 Ibidem.

* 501 Décision rapportée in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.8.

* 502 Ibid, p.9-10.

* 503 Dans une interview - déjà mentionnée - à la revue L'Histoire, le général Buis, alors colonel et chef du cabinet militaire du haut commissaire de la République en Algérie, affirme rétrospectivement qu' « il n'était pas question pour [l'armée] de s'aventurer dans la nature pour récupérer des harkis qui n'avaient pas été rassemblés en même temps que les unités organisées » (L'Histoire, n°140, janvier 1991, p.121).

* 504 Dans un entretien au Monde, le 25 septembre 2001, l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle explique pourquoi les forces militaires encore stationnées en Algérie après l'indépendance ne soient pas intervenues pour secourir les harkis persécutés par le FLN « Toute la question était de savoir si nous allions réoccuper des villages pour sauver quelques familles de harkis, au risque de relancer la guerre. Le général de Gaulle a tranché : il n'en était pas question ». Et il ajoute : « Il s'agissait de savoir si nous voulions finir une guerre de décolonisation, ou si nous voulions la continuer. Il est vrai que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles. Cet épisode m'a plongé dans une grande tristesse mais, lorsqu'on gouverne, il faut choisir » (Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22). A nouveau, deux ans plus tard, répondant aux questions de François d'Orcival dans Valeurs actuelles : « Pierre Messmer s'adresse au Général : «Autorisez-vous les opérations coups de poing de l'armée française pour récupérer les harkis dans telle ou telle zone que nous avons évacuée ?». Le Général refuse : «Je ne veux pas que vous recommenciez la guerre d'Algérie». Commentaire de Messmer : «A mon avis, on aurait pu faire ces opérations et courir le risque - et je ne crois pas que la guerre d'Algérie aurait recommencé» » (Interview de Pierre Messmer par François d'Orcival, publiée sous le titre : « Le témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est celui du FLN» » dans Valeurs actuelles du 7 au 13 novembre 2003, p.19).

* 505 Dans une entretien publié dans la revue L'Histoire, Jean-Marcel Jeanneney, premier ambassadeur de France en Algérie après l'indépendance, explique que « l'armée - sur laquelle j'avais autorité - avait encore d'importants effectifs sur place, mais elle ne devait pas intervenir pour rétablir l'ordre : c'eût été recommencer la guerre » ; cf. Jean-Marcel Jeanneney, « Ambassadeur de la France en Algérie (entretien) », L'Histoire, « Les derniers jours de l'Algérie française », n°231, avril 1999, p.62.

* 506 Ibid, p.9.

* 507 Ibidem.

* 508 Voir ci-dessous la section II.B.2 de la Partie 1 : « Sur le nombre de musulmans pro-français massacrés par le FLN ».

* 509 Cité in Maurice Faivre, op.cit., p.157.

* 510 Cité in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.9. C'est nous qui soulignons.

* 511 Lettre citée in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.9.

* 512 C'est ainsi que, dès le 4 juillet 1962 (le lendemain même de l'accession à l'indépendance de l'Algérie), à la suite des premiers rapatriements effectués en juin (et dont nous avons vu le caractère minimaliste), le colonel Buis, chef du cabinet militaire du haut commissaire de la République en Algérie, s'empresse d'écrire au général Parlange, qui lui avait fait part de ses inquiétudes, que « l'oeuvre d'honneur et de justice que constituait le rapatriement des Musulmans menacés a été largement conçue, minutieusement conduite et intégralement réalisée » (Cité in Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.215. C'est nous qui soulignons).

* 513 Déclaration au Conseil des ministres du 25 juillet 1962, citée par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.196.

* 514 Ceux-là même dont le général de Gaulle disait, dans son discours du 4 juin 1958, à Alger : « C'est bien avec ces représentants élus que nous verrons comment faire le reste » (cité in Michel Winock, « La France en Algérie. Cent trente ans d'aveuglement », L'Histoire, « Les derniers jours de l'Algérie française », n°231, avril 1999, p.43). Il en ira bien différemment, nous l'avons vu, avec la reconnaissance du FLN comme seul interlocuteur légitime au cours du processus de négociation.

* 515 Jean Monneret, op.cit., p.336.

* 516 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.229. C'est nous qui soulignons.

* 517 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.

* 518 Message cité in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.9. C'est nous qui soulignons.

* 519 Ibidem.

* 520 Ibidem.

* 521 Note reproduite in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.

* 522 Cité in Jean-Jacques Jordi, « A propos des harkis », in Jacques Frémeaux et Michèle Battesti (dir.), Sorties de guerre, Ministère de la Défense, Cahiers du Centre d'Etudes d'Histoire de la Défense, n°24, 2005, p.49. Le 13 novembre, à nouveau, l'ambassadeur de France attirera l'attention du ministre des Affaires étrangères de la République algérienne sur « les graves préoccupations que lui cause le sort des anciens auxiliaires algériens de l'armée française », ajoutant : « Le gouvernement français s'élève avec indignation contre des actes qui portent atteinte aux dispositions des accords d'Evian sur la sécurité des personnes et qui sont en outre contraires au droit des gens et aux principes de la Charte des Nations Unies auxquels l'Algérie vient de souscrire. Il attend du gouvernement algérien qu'il prenne des mesures rigoureuses pour interdire toute forme de représailles avouées ou occultes et mettre fin à une situation qui, en se prolongeant, risquerait d'avoir des conséquences sérieuses sur les relations franco-algériennes » (Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.57).

* 523 Note citée in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.

* 524 Note citée in Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.56.

* 525 Note reproduite in Jean Monneret, op.cit., p.348-349. Cette note est répercutée, le jour même (20 octobre 1962 ), par une autre note du général Le Ray (gendre de François Mauriac) : « Général supérieur [Brébisson] prescrit qu'à compter du présent ordre tout accueil d'Algériens demandant asile à nos forces devra être soumis à sa décision. En conséquence, tout hébergement accordé dans l'intervalle présentera un caractère révocable stop. L'attention des chefs de corps est attirée de façon pressante sur la nécessité de restreindre au stricte minimum le nombre de cas à soumettre à la décision supérieure et qui les engagent personnellement ainsi que les commandants de division. Signé : Général le Ray »526 (Note citée in Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.218).

* 527 Notamment pour ceux qui, tel le colonel Buis, chef du cabinet militaire du haut-commissaire de la République en Algérie entre le 19 mars et le 2 juillet 1962, les soupçonnent d'avoir - « dans leur majorité » - joué un « double jeu » (voir les références de la citation plus haut).

* 528 A cet égard, voir notamment Jérôme Hélie, Les accords d'Evian : histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992.

* 529 Message cité in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.

* 530 Voir ci-dessous la section II.B.2 de la Partie 1 : « Sur le nombre de musulmans pro-français massacrés par le FLN ».

* 531 Fiches citées in Maurice Faivre, op.cit., p.190. Le Commandant supérieur de Brébisson signalera d'ailleurs rétrospectivement un « déchaînement de la population en novembre et décembre 1962 » (cité par Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.181).

* 532 Charles de Gaulle, décision du 30 novembre 1962 consécutive au Comité des Affaires algériennes du 16 novembre 1962, citée in Maurice Faivre, op.cit., p.192.

* 533 Maurice Faivre, « Les harkis contestés », document inédit, décembre 1995, p.6.

* 534 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994.

* 535 Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.57-58.

* 536 Ibid, p.39.

* 537 Charles-Robert Ageron, « La prise du pouvoir par le FLN (entretien) », in L'Histoire, « Les derniers jours de l'Algérie française », n°231, avril 1999, p.63. Pour sa part, Gabriel Jasseron rapporte, à propos de Ben Bella et de son attitude vis-à-vis des supplétifs après l'indépendance, le témoignage d'un ancien harki, qui passa huit mois en prison à la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie : « Il est venu, lui, en personne dans les camps. C'était en septembre ou en octobre 1962. On nous a alignés tous. Ben Bella a passé devant nous comme une revue, en nous couvrant d'insultes et en donnant parfois lui-même des coups de poing dans le visage ou des coups de pied dans les parties génitales de ceux qui le regardaient avec trop d'arrogance. L'un de nous portait une longue moustache. Ben Bella l'a saisie et a tiré de toute sa force en arrachant la peau jusque sous le nez, et il a continué son inspection en riant comme un fou. Puis, il nous a insultés tous, dans un discours où il nous a traités de tous les noms. La colère montait en nous, chacun serrait les poings car les mitraillettes étaient braquées sur nous. Mais un vieil homme, prisonnier, lui lança : «tu n'as rien à nous reprocher, Ben Bella, toi aussi tu as travaillé avec la France, tu as même servi l'armée française, tu étais adjudant». Ben Bella ne répondit pas, un officier de l'ALN fit sortir ce vieillard courageux, et deux soldats l'abattirent devant nos yeux » (Gabriel Jasseron, Les Harkis en France, Paris, Editions du Fuseau, 1965 ; cité in Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.179).

* 538 Le général de Gaulle par lui-même, rapportant à Alain Peyrefitte les termes de son entretien avec Ahmed Ben Bella ; cité in Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le monde », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1997, p.445.

* 539 Abdel-Aziz Méliani, La France honteuse. Le drame des harkis, Paris, Perrin, 1993 [réédition en 2001 chez Perrin, sous le titre Le drame des harkis].

* 540 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.

* 541 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le monde », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1997, p.439.

* 542 En témoigne, par exemple, l'âpreté du débat rétrospectif entre Stéphane Zagdanski et Paul-Marie Coûteaux à propos de l'attitude du général de Gaulle sur la question des harkis (Le Figaro Magazine du 15 novembre 2003, propos recueillis par Sébastien Lepaque) ; voir aussi, à cet égard, la polémique suscitée par la sortie du livre de Georges-Marc Benamou (Un mensonge français. Retours sur la guerre d'Algérie, Paris, Robert Laffont, 2003), dont le chapitre le plus commenté fut précisément celui consacré au massacre des harkis.

* 543 Voir notamment Mario Bettati, Le droit d'ingérence. Mutations de l'ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996 ; Mario Bettati et Bernard Kouchner, Le devoir d'ingérence. Peut-on les laisser mourir ?, Paris, Denoël, 1997 ; voir également Charles Zorgbibe, Le droit d'ingérence, Paris, PUF, QSJ ?, 1994.

* 544 www.charles-de-gaulle.org/degaulle/fiches.htm.

* 545 C'est du mois ainsi que l'on peut interpréter ces quelques développements de Paul-Marie de la Gorce : « De Gaulle, dès son retour au pouvoir (1958) avait pensé qu'il y avait trop de musulmans algériens sous l'uniforme français. Lors de son voyage en Algérie, il s'informe, en juin, de leur nombre et apprenant qu'ils étaient 25.000, il jugea que c'était excessif : il prescrivit à Salan que ce chiffre ne soit pas dépassé. Il consentit, pourtant, en contrepartie du retrait de 60.000 soldats français du contingent en 1959, au recrutement de 60.000 supplétifs mais à condition que ce renfort ne soit que provisoire » (De Gaulle, Paris, Perrin, 1999, p.1002).

* 546 D'après Alain de Boissieu, le général de Gaulle était hostile à « l'engagement des harkis en opérations contre leurs frères de race » (Alain de Boissieu, Pour servir le Général (1946-1970), Paris, Plon, 1982, p.151 ; repris in Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.7).

* 547 Interview de Pierre Messmer par François d'Orcival, publiée sous le titre : « Le témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est celui du FLN» » dans Valeurs actuelles du 7 au 13 novembre 2003, p.19.

* 548 Des propos qui, en l'espèce, ont valeur de reconstruction puisque, selon Alain Peyrefitte, le général de Gaulle prévoyait à titre personnel un flux de rapatriements égal à 200.000 personnes au maximum pour 1962 (cf. Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994).

* 549 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.52.

* 550 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.56.

* 551 Olivier Todd, Camus, une vie, Paris, Gallimard, 1999, p.712.

* 552 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.188.

* 553 Jean-Raymond Tournoux, La Tragédie du Général, Paris, Plon, 1967 ; repris in Guy Pervillé « Guerre d'Algérie : l'abandon des Harkis », L'Histoire, n° 102, juillet-août 1987, et Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.107.

* 554 Jean-Raymond Tournoux, La Tragédie du Général, Paris, Plon, 1967. Voir aussi Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire, 1964, p.75.

* 555 Cyrus Sulzberger, Les derniers des géants, Paris, Albin Michel, 1972, p.106.

* 556 Philippe de Gaulle, De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac (tome 1), Paris, Plon, 2003, p.433.

* 557 Pervillé (Guy), « L'Algérie dans la mémoire des droites », in Sirinelli (Jean-François), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, tome II, p.648.

* 558 Le Figaro littéraire, Jeudi 27 avril 2000, p.5.

* 559 Le Figaro littéraire, Jeudi 27 avril 2000, p.5.

* 560 La Nouvelle République, n°3, mars 1998 ; cf. http://www.nouvelleliberte.com/archives/n3/politique.htm.

* 561 Christian Fouchet, Au service du général de Gaulle, Paris, Plon, 1971.

* 562 Jérôme Hélie, Les accords d'Evian : histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992, p.78.

* 563 Voir infra le chapitre IV de la Partie 1 : « Du regroupement à la relégation : la «politique d'accueil» des Français musulmans rapatriés ».

* 564 Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.169.

* 565 Marianne n°341, semaine du 3 au 9 novembre 2003 ; cf. http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/33/F2/document_article_marianne.phtml.

* 566 Charles de Gaulle, Mémoires d'espoir : le renouveau 1958-1962, Paris, Plon/Presses Pocket, 1970, p.51 et 53.

* 567 Conseil des ministres du 25 juillet 1962, propos rapportés par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.196. C'est nous qui soulignons.

* 568 Propos rapportés par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.196. C'est nous qui soulignons.

* 569 Interview au Monde, le 25 septembre 2001, à l'occasion de la première Journée d'hommage national aux harkis.

* 570 Sur les voies et moyens du FLN, voir infra le chapitre III de la Partie 1.

* 571 Marianne n°341, semaine du 3 au 9 novembre 2003 ; cf. http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/33/F2/document_article_marianne.phtml. Pour sa part, Alain Peyrefitte rapporte en ces termes les propos tenus par le chef de l'Etat au cours d'un déjeuner dans la préfecture de Mamers (Sarthe), le 22 mai 1965 : « Il existe une couche de Français, peut-être un sur cinq ou un sur dix, qui m'en voudront jusqu'à leur dernier souffle, de les avoir transformés en débris de l'Histoire. Les gens de Vichy, les politiciens de la IVème, les pieds-noirs, m'exècrent moins pour les déboires qu'ils ont connu de mon fait, que pour les bienfaits que j'ai procurés à la France en les rudoyant. Le temps fournit la preuve qu'ils s'étaient trompés. Ils ne me le pardonneront jamais » (Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le monde », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1997p.92. C'est moi qui souligne).

* 572 Il s'agit ici de distinguer entre la situation - très largement minoritaire - de ceux qui, dès avant 1962, avaient été francisés par décret et dont la situation au regard de la nationalité relevait, à l'instar des pieds-noirs, du droit commun et celle de l'immense majorité des musulmans pro-français qui, rattachés au statut civil de droit local en Algérie, furent astreints, en vue de recouvrer la nationalité française, à une déclaration d'option devant le juge d'instance une fois parvenus sur le territoire métropolitain.

* 573 Qu'ils fussent simples supplétifs, militaires de carrière, anciens combattants, élus ou fonctionnaires.

* 574 Le recensement de 1968, s'il comptabilise en tant que tels les « Français-Musulmans », et s'il les dispatche selon le sexe, le lieu de naissance (selon qu'ils soient nés en Algérie avant 1962 ou en France depuis lors) et la région d'implantation, ne distribue pas les Français musulmans rapatriés selon leurs catégories d'élection en Algérie, pas plus qu'il ne les distribue selon les modalités pratiques de leur transfèrement vers la métropole.

* 575 La mesure du volume global des rapatriements nous est fournie par les données du recensement de 1968, lequel distingue entre les « Français-Musulmans » nés en Algérie avant 1962 - c'est-à-dire les Français musulmans rapatriés proprement dits - et ceux nés en métropole depuis lors.

* 576 La mesure du volume des rapatriements effectivement pris en charge par les autorités ressortit pour l'essentiel de l'agrégation de décomptes officiels sporadiques.

* 577 D'après les résultats de l'enquête sur les Français -Musulmans menée par Jean Servier en 1972 à la demande du Comité national pour les Français-Musulmans ; cf. Michel Roux, op.cit., p.223-224.

* 578 Le père d'un des enfants de harkis que nous avons été amené à interroger au cours de nos travaux est ainsi décédé en 1967 à la suite d'un accident de travail.

* 579 Soit que l'information leur fit défaut pour faire valoir leurs droits, soit que leur demande fût purement et simplement rejetée (il y eut près de 10.000 refus pour 70.000 demandes entre 1962 et 1970 ; cf. Michel Roux, op.cit., p.228). Voir supra les développements que nous consacrons à la question de la nationalité.

* 580 Aucun exemple de ce type n'a été porté à notre connaissance.

* 581 Cependant, il faut noter qu'une dizaine de milliers de musulmans rapatriés d'Algérie qui n'avaient pu faire valoir leurs droits avant terme (c'est-à-dire avant que la forclusion ne fût décrétée) se verront réintégrés dans la nationalité française par décret entre 1968 et 1984 (cf. Michel Roux, op.cit., p.227). Voir ci-dessous nos développements sur les statistiques de déclaration de nationalité.

* 582 Soit 87.816 « Français-Musulmans » nés en Algérie recensés en 1968 sur l'ensemble du territoire métropolitain (exception faite de la région Midi-Pyrénées), auxquels il faut ajouter environ 3.575 Français musulmans rapatriés pour la seule région Midi-Pyrénées, une dizaine de milliers de personnes qui n'ont pu (ou voulu) se faire reconnaître la nationalité française avant le 21 mars 1967, et quelques centaines ( ?) de personnes décédées entre le moment de leur entrée sur le territoire métropolitain et la date du recensement.

* 583 Cf. Michel Roux, op.cit., p.226.

* 584 Michel Roux rapporte qu'une statistique ultérieure, émanant de la même administration, fait état de 59.684 déclarations enregistrées entre 1962 et 1970 (cf. Michel Roux, op.cit., p.226). Cette légère inflation par rapport aux chiffres arrêtés en 1968 peut paraître étonnante concernant une procédure décrétée forclose en mars 1967. Elle traduit en fait son élargissement exceptionnel aux personnes retenues prisonnières en Algérie et arrivant en France après cette date.

* 585 Cf. Michel Roux, op.cit., p.226.

* 586 Estimation avancée par le colonel Schoen, et citée in Anne Heinis, L'insertion des Français-Musulmans. Étude faite sur les populations regroupées dans le midi de la France dans les centres d'ex-harkis, thèse de sciences économiques, Montpellier, Université Paul Valéry, 1977, p.44. Ces refus administratifs semblent avoir été compensés par la suite par la mise en oeuvre de la procédure dite de « réintégration par décret » (procédure dont Michel Roux nous dit qu'elle fut soumise aux conditions et aux règles de la naturalisation), qui concerna une dizaine de milliers de musulmans pro-français entre 1968 et 1984 (cf. Michel Roux, op.cit., p.226-227).

* 587 De toute évidence, de tels cas de figure, qui procédaient ou induisaient une forme d'isolement géographique et/ou moral, demeurèrent exceptionnels.

* 588 Déclaration faite le 22 janvier 1963 selon Maurice Faivre (cité in B. Coll et T. Titraoui, op.cit., p.217) et le 22 avril 1963 selon Michel Roux (op.cit., p.217) ; ce bilan a par ailleurs été repris sa,ns précisions sur son origine par Charles-Robert Ageron (« Le drame des harkis », Vingtième siècle, n°42, avril-juin 1994, p.5).

* 589 « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.

* 590 Document cité in Michel Roux, op.cit., p.217.

* 591 Il était stipulé dans la Déclaration de principes relative aux questions militaires contenue dans les accords d'Evian que les effectifs des forces françaises, d'abord ramenés à 80.000 hommes dans un délai de douze mois à compter de l'autodétermination, seraient définitivement rapatriés vers la France « à l'issue d'un second délai de vingt-quatre mois » (D'après les extraits des accords d'Evian cités in Maurice Allais, op.cit., p.322-323).

* 592 Colonel Schoen, « Notes des 6 et 10 décembre 1972 », cité in M. Roux, op.cit., p.217. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, il restait en Algérie environ 25.000 prisonniers en octobre 1964, et 13.500 en 1965 (D'après Guy Pervillé, « La tragédie des harkis : qui est responsable ? », L'Histoire, n°231, avril 1999, p.66).

* 593 3.800 selon Maurice Faivre (« Evolution des effectifs des Français musulmans rapatriés », document daté de 1987 et publié in B. Coll et T. Titraoui, op.cit., p.217), 5.000 selon Guy Pervillé (art.cit., p.66).

* 594 Guy Pervillé, art.cit., p.66. C'est nous qui soulignons.

* 595 Charles-Robert Ageron, « Le drame des harkis », Vingtième siècle, n°42, avril-juin 1994, p.6.

* 596 Cf. Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Editions Autrement, 1999, p.48-49.

* 597 Cf. Guy Pervillé, art.cit., p.66.

* 598 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.216.

* 599 Ibidem.

* 600 A cet égard, Benyoucef Ben Khedda a présenté rétrospectivement les accords d'Évian comme « le type même du compromis révolutionnaire, où le GPRA a sauvé les positions clés de la Révolution tout en se montrant souple sur les aspects secondaires ou susceptible d'être révisés » (Les accords d'Évian, Alger, OPU et Paris, Publisud, 1986, p.39 ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.209).

* 601 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.216.

* 602 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.217-218.

* 603 Ibid, p.218.

* 604 Ibid, p.219.

* 605 Ibid, p.218.

* 606 Document cité et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165, et in Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p.30-32.

* 607 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.222.

* 608 Extrait de la lettre d'Amar Bentoumi cité in Guy Pervillé, op.cit., p.222.

* 609 Ibidem. C'est nous qui soulignons.

* 610 Ibid, p.222.

* 611 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.317 ; et Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.219.

* 612 Début septembre 1962, le Deuxième Bureau avait localisé une cinquantaine de camps d'internement sur l'ensemble du territoire algérien, dont 4 chantiers de déminage (Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.179).

* 613 Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.55.

* 614 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.222.

* 615 Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.101.

* 616 Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser, 2003, p.155-156 et 158.

* 617 Guy Pervillé, « La tragédie des harkis : qui est responsable ? », L'Histoire, n°231, avril 1999, p.65.

* 618 Voir, par exemple, les témoignages tardifs - rapportés par Dalila Kerchouche - des derniers rescapés de familles décimées, arrivés par convoi spécial en 1968 (Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.134-135).

* 619 Témoignage repris in Gérard Israël, Le dernier jour de l'Algérie française, Paris, Robert Laffont, 1972, p.320. C'est nous qui soulignons.

* 620 Supplément au n°371 du 14 novembre 1962 de la Nation française ; témoignage repris in Gérard Israël, Le dernier jour de l'Algérie française, Paris, Robert Laffont, 1972, p.319. C'est nous qui soulignons. Ces témoignages, et d'autres encore, ont également été repris par Maurice Challe, Notre révolte, Paris, Presses de la Cité, 1968, p.421 à 441.

* 621 Nidam Abdi, « Chez les Tabti, au nom du père harki », Libération du 24 juillet 2002, p.12. C'est nous qui soulignons. Voir aussi les récits recueillis par Bernard Moinet (Ahmed ? Connais pas... Le calvaire des harkis, Paris, Lettres du monde, 1980), qui témoignent de ce que ces "jeux du cirque" ou séances de torture publique furent organisés par l'ALN sur l'ensemble du territoire, et sous des formes souvent bien plus cruelles que celles ici rapportées. Voir à cet égard le récit que fait Zahia Rahmani (d'après le témoignage de sa mère, qui y a assisté) de la mise à mort - entre autres - de son grand-oncle, brûlé vif devant sa famille et les villageois, dont des femmes et des enfants (Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser, 2003, p.150-151).

* 622 Reproduit in Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.201.

* 623 Témoignage cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 624 Expression employée par Amar Bentoumi, ministre de la Justice algérien, dans sa lettre du 19 juin 1963 cité par Guy Pervillé, op.cit. , p.222.

* 625 Déclaration citée in Guy Pervillé, op.cit., p.222.

* 626 Document cité et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165, et in Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p.30-32.

* 627 Document cité et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165, et in Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p.30-32.

* 628 Ibid.

* 629 Voir aussi le chapitre III de la Partie 2 pour une présentation détaillée de l'idéologie fanonienne de la "libération" et ses conséquences - directes ou en creux - sur la construction d'une image des harkis et autres catégories de musulmans pro-français (ou non-inféodés au FLN).

* 630 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.162.

* 631 Omar Carlier, « D'une guerre à l'autre, le redéploiement de la violence entre soi », Confluences Méditerranée, n°25, printemps 1998, p.123 à 137. C'est nous qui soulignons.

* 632 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1982 [1ère édition : 1961].

* 633 Ibid, p.6-7.

* 634 Mark Levene, « Les génocides : une particularité du XXème siècle », conférence donnée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs le samedi 4 novembre 2000 à Paris. Voir aussi Mark Levene & Penny Roberts (ed.), The Massacre in History, New York-Oxford, Berghahn Books, 1999; et Mark Levene, « The Changing Face of Mass Murder. Massacre, genocide and post-genocide », International Social Science Journal, n°174, Décembre 2002.

* 635 Alistair Horne, Histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Albin Michel, 1980.

* 636 Charles-Robert Ageron, « Le «drame des harkis» : mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000.

* 637 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.3 à 20.

* 638 Alistair Horne, Histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Albin Michel, 1980.

* 639 Voir la section II.B.2.b de la Partie 4, consacrée à la question du pardon, et intitulée : « Obstructions savantes ».

* 640 Selon les termes de l'historienne Madeleine Rebérioux qui, membre du Parti communiste dans les années 1950-1960 et signataire de l' « Appel des douze », s'inscrit elle-même dans cette mouvance.

* 641 Charles-Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1980, p.116.

* 642 Charles-Robert Ageron, La décolonisation française, Paris, Armand Colin, 1991, p.154.

* 643 Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.20.

* 644 Charles-Robert Ageron, « Le «drame des harkis» : mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000, p.6. Cette dernière estimation se réclame explicitement de l'évaluation partielle faite, à l'automne 1962, par le porte-parole de l'armée ainsi que par l'ambassadeur de France, Jean-Marcel Jeanneney, qui, pour toutes les raisons exposées au fil de cette première partie, n'avaient guère intérêt à se montrer exhaustif en la matière.

* 645 Dans un entretien avec le journaliste Algérien Kadour M'Hamsadji, Gilbert Meynier explique « [avoir] été politiquement construit dans le militantisme anticolonial ». Après avoir milité à l'UNEF pendant la guerre, il a participé aux « chantiers culturels » à Alger en 1963-1964 (sous Ben Bella), puis a enseigné un an au lycée d'Oran en 1967-1968 et deux ans à l'Université de Constantine en 1968-1970 (sous Boumediene). Il reconnaît avoir été « favorable au combat indépendantiste algérien et [avoir], pendant longtemps, sacralisé le FLN » (L'Expression, 9 mars 2005, entretien avec Gilbert Meynier, « En histoire, tout est dialectique », par Kadour M'Hamsadji ; article disponible à cette adresse : http://dzlit.free.fr/meynier.html).

* 646 Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme médiatique », Confluences Méditerranée, n°48, hiver 2003-2004.

* 647 Ibid.

* 648 Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.263.

* 649 Xavier Yacono, « Pertes algériennes de 1954 à 1962 », Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, n°34, 1982-2.

* 650 Pervillé (Guy), Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.239.

* 651 Ibidem.

* 652 Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.263.

* 653 Charles-Robert Ageron, « Les pertes humaines de la Guerre d'Algérie », La France en guerre d'Algérie, Catalogue de l'exposition de la BDIC, Nanterre, Musée d'histoire contemporaine, 1992.

* 654 Selon Jean-Paul Mari (« Le vrai bilan des pertes », Le Nouvel Observateur du 28 février 2002), le chiffre initial d' « un million de morts » est lancé dès le 15 octobre 1959 par El Moudjahid, l'organe officiel du FLN (auquel collabore notamment Frantz Fanon ; voir la Partie 2). Puis, en 1963, le préambule de la première constitution de l'Algérie indépendante gravera dans le marbre le chiffre du « million et demi de martyrs ». De même, selon Charles-Robert Ageron, « c'est en 1960 que fut repris massivement le slogan du «million de martyrs» », mais « ce n'est qu'au moment des accords d'Evian que la propagande du FLN accrédita brusquement le chiffre d'un «million et demi de martyrs» » (Charles-Robert Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.220).

* 655 Le chiffre des 150.000 est notamment porté et relayé par l'association Jeune Pied-Noir, qui exerce une action de lobbying importante en direction des pouvoirs publics et des médias, et dont l'objectif premier est moins d'approcher au plus près le chiffre des victimes que de frapper l'opinion.

* 656 Intervention du Guy Pervillé au cours du colloque « La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire » Jeudi 14 - Vendredi 15 novembre 2002 Amphi 24, Campus Jussieu, 2 Place Jussieu-75005. En fait, le chiffre de 150.000 anciens harkis et membres de leurs familles massacrés après l'indépendance, qui a été imprudemment élevé au rang de dogme par certains secteurs de l'opinion, a été obtenu "artisanalement" : il est le fruit de l'extrapolation d'une estimation opérée dans un seul des soixante-douze arrondissements d'Algérie, qui plus est dans sa fourchette la plus haute. Ainsi, dans un rapport adressé au vice-président du Conseil d'État en 1963, l'ancien sous-préfet d'Akbou, Jean-Marie Robert, avait évalué à un millier (1.000) le nombre des tués dans l'arrondissement dont il avait anciennement la charge. Précisant - sur la base des témoignages qui lui étaient parvenus - que cet arrondissement était notoirement plus calme que les autres, il en avait conclu que la moyenne des tués pour chacun des 72 départements d'Algérie devait se situer entre 1.000 et 1.500, avec possiblement des pointes à 2.000. Or, ainsi que le souligne Guy Pervillé, « la méthode consistant à extrapoler une estimation fondée sur un ou plusieurs témoignages localisés en la multipliant par des coefficients ne fait que multiplier la marge d'incertitude initiale ». Du reste, si l'on appliquait strictement les fourchettes indiquées par Jean-Marie Robert, l'on devrait convenir que le bilan pour toute l'Algérie doit se situer entre 72.000 et 144.000 morts. Le chiffre de 150.000 est donc un arrondi supérieur peu rigoureux, fondé sur le postulat que le volume des exactions constatés sur chacun des 71 autres arrondissements d'Algérie a été plus de deux fois supérieur à celui constaté sur le seul arrondissement d'Akbou. À cet égard, la moyenne "basse" avancée par Jean-Marie Robert constitue une base d'évaluation infiniment plus crédible, le chiffre obtenu étant assez proche de celui avancé par Maurice Faivre sur la base de la méthode démographique.

* 657 Jacques Sémelin, « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », groupe de recherche du CERI, compte-rendu de la réunion du 8 février 2001, p.5.

* 658 Ibidem.

* 659 Max Pagès propose de la notion de violence politique cette définition : « La violence politique peut être définie comme une violence collective exercée sur le corps social au nom de la collectivité elle-même, qu'il s'agisse d'impératifs moraux, religieux, ou proprement politiques, par l'Etat ou par des institutions qui visent à le renverser ou à le transformer. Elle se manifeste par les persécutions, les tortures, les guerres, les massacres, le terrorisme, les déplacements forcés de population, les génocides... » ; cité dans le compte-rendu de la réunion du 5 juin 2001 (« Idéologies et imaginaires : avant et après ») du groupe de recherche du CERI : « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.4.

* 660 Georges Sorel [1907], Réflexions sur la violence, Paris, Seuil, 1990, p.43-44.

* 661 Déclaration publique d'Ahmed Ben Bella à son arrivée à l'aéroport de Tunis en provenance du Caire, peu après la conclusion des accords d'Évian.

* 662 Texte consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/soummam.htm.

* 663 Texte consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm.

* 664 Jacques Sémelin, « Remarques introductives sur la notion de crime de masse », texte présenté lors de la réunion du 8 février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2.

* 665 Ibidem.

* 666 Jacques Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.7.

* 667 Jacques Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.7.

* 668 Pour une approche transdisciplinaire et comparative des imaginaires de la destruction et de la rationalité stratégique des massacres, voir Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.

* 669 Jacques Sémelin, « Remarques introductives sur la notion de crime de masse », texte présenté lors de la réunion du 8 février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2.

* 670 Ibid, p.1.

* 671 Ibid, p.2.

* 672 Ibidem.

* 673 A cet égard, les textes fondateurs du FLN en tant que parti-Etat (à l'indépendance, donc) sont des plus explicites, même s'il faut aussi y voir la marque des luttes d'influence conduites par "ceux de l'armée des frontières" (groupés autour de Boumediene) à l'encontre des "chefs historiques". Voici ce que dit la Charte d'Alger, adoptée à l'issue du 1er Congrès du parti du Front de Libération Nationale (du 16 au 21 avril 1964) : « Le passage à la lutte armée a été déterminé par l'impasse que connaissait l'ensemble du Mouvement de Libération nationale. L'impréparation dans tous les domaines ne permettait pas d'envisager la guerre de libération nationale dans toutes ses implications. C'est ainsi que la question fondamentale de l'exploitation de la victoire et de l'organisation sociale de l'Algérie indépendante dont dépendaient le style de guerre, les alliances et la nature de la direction, n'a pas été clairement posée au départ ». C'est nous qui soulignons. Texte complet consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm.

* 674 « Une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d'elle la majorité des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l'impasse où l'ont acculé les luttes de personnes et d'influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire » (Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm).

* 675 Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.171.

* 676 Le « principe de la révolution armée illimitée jusqu'à l'indépendance » a été entériné à l'unanimité des 22 chefs historiques le 25 juillet 1954, un peu plus de trois mois avant le déclenchement de l'insurrection (cf. Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.161). « Nous tenons à cet effet à préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l'intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et prestige, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et aveugle, qui s'est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de lutte pacifique » (Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm).

* 677 Proclamation reproduite in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.124. C'est nous qui soulignons.

* 678 Proclamation du 1er novembre 1954 ; Source : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm.

* 679 Instructions retrouvées dans les archives de Chihani Bachir, chef de la zone Sud-Constantinois, et citées par Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris, Editions de l'Alma, 1962, p.182.

* 680 Gilbert Meynier, « Idéologie et culture politique de la Révolution algérienne : les mémoires inédits de Lakhdar Ben Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997.

* 681 Ibid, p.275.

* 682 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.133.

* 683 Voir notamment Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.294 à 299 et p.376.

* 684 La lutte entre le FLN et le MNA a occasionné la plupart des 4'055 tués et près de 9'000 blessés officiellement décomptés au sein de la communauté algérienne de métropole entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 ; cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242.

* 685 En une seule nuit, à Melouza, plus de trois cent villageois réputés gagnés à l'influence du MNA furent massacrés par le FLN. Par la suite, le FLN tenta de faire porter la responsabilité de ce massacre à l'armée française. Guy Pervillé estime à environ 6000 tués et 4000 blessés le bilan de l'affrontement fratricide entre nationalistes algériens en Algérie même (cf. Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242). Le commanditaire de ce massacre, Mohammedi Saïd, qui, à l'indépendance, deviendra vice-président du Conseil sous Ben Bella puis membre du Conseil de la Révolution sous Boumediene, « a fait son temps de service en Allemagne nazie et raconte qu'il a fait partie de la légion de l'émir Amin Hossini, grand mufti de Jérusalem, qui a créé les SS arabes. Ensuite, Mohammedi Saïd est entré dans l'Abwehr, les services secrets allemands, et a été parachuté en Tunisie où il a été arrêté à la fin de la guerre par les Forces françaises » (cf. Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.220 ; sur le massacre de Melouza, voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - III : L'Heure des Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970, p.58-59).

* 686 A ce sujet, voir notamment les travaux du Centre de Recherche et d'Etude sur l'Algérie Contemporaine (CREAC ; http://www.creac.org/), en particulier ceux de Jacques Simon (La solution démocratique au problème algérien (1954-1962) : la FEN et la table ronde).

* 687 Cf. Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995.

* 688 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.216. A titre d'exemple, l'historien algérien Rabah Belaïd rapporte qu'à l'indépendance près de 700 combattants du MNA ont été égorgés par leurs rivaux du FLN près de Biskra (Interrogé et cité par Christophe Boltanski, « Dans les Aurès, le spectre de l'autocar », Libération, 25 octobre 2004, p.43).

* 689 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.134.

* 690 Extrait des statuts du FLN adoptés par le CNRA en janvier 1960 ; extrait cité par Guy Pervillé, op.cit., p.135.

* 691 Ibidem.

* 692 Extrait de la plate-forme du Congrès de la Soummam, août 1956 ; passage cité in Guy Pervillé, op.cit., p.126.

* 693 Guy Pervillé, op.cit., p.125.

* 694 Repris in Gilbert Meynier, « Idéologie et culture politique de la Révolution algérienne : les mémoires inédits de Lakhdar Ben Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.268.

* 695 Sortie vainqueur des luttes d'influence de l'immédiat après-indépendance, l'armée des frontières, avec à sa tête le colonel Boumediene, choisira l'option socialiste dans sa déclinaison franchement étatiste (notamment après le renversement de Ben Bella), option plus conforme à ses intérêts qu'un régime islamique. Pour autant, l'État-FLN entretiendra la confusion précédemment évoquée en instituant l'Islam religion d'État, puis en promouvant une politique d'arabisation qui, plutôt que de prévenir la contestation identitaire, en fera le lit. Une constante cependant : le rejet institutionnel de la démocratie pluraliste jusqu'en 1989, puis son rejet de facto après l'interruption du processus électoral fin 1991 au profit d'une forme d'oligarchie pluraliste, ouverte aux tendances pro-système uniquement.

* 696 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.127.

* 697 Mohammed Harbi, « L'Algérie prise au piège de son histoire », Le Monde diplomatique, mai 1994. Voir aussi Mohammed Harbi, Aux origines du FLN. Le Populisme révolutionnaire en Algérie, Paris, Christian Bourgois, 1975 ; Le FLN : mirages et réalités, des origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980 ; et L'Algérie et son destin, croyants ou citoyens, Paris, Arcantère, 1993.

* 698 En mars 1962, après la conclusion des accords d'Evian, Ben Bella préféra se rendre d'abord au Caire et ne faire au retour qu'une escale technique à l'aéroport de Tunis pour proclamer ostensiblement et par trois fois - comme s'il avait une mission impérieuse à remplir - devant les médias et les responsables tunisiens venus le saluer : « Nous sommes des Arabes ! Nous sommes des Arabes ! Nous sommes des Arabes ! ». En outre, dans une déclaration récente à El Jazira, Ahmed Ben Bella a déclaré : « La révolution algérienne était d'essence islamique et arabe. Elle a eu lieu surtout grâce au soutien des Égyptiens. Le Congrès de la Soummam était une trahison puisqu'il a rayé de sa charte ces deux références essentielles » (Cité par Mohammed Harbi au cours du colloque La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire qui s'est tenu les jeudi 14 et vendredi 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu).

* 699 Selon Mohammed Harbi, « les conceptions du FLN sur la guerre comme djihad, sa tendance à voir dans l'opposition une déviation et une hérésie, son évaluation de la représentativité à partir du consensus, son approche du problème des minorités, enfin sa pratique de l'épuration comme élimination de l'impur, sont toutes empruntées à la tradition » (Le FLN, mirages et réalités, p.305 ; cité in Guy Pervillé, op.cit., p.264-265). Emprunt à la tradition, certes, mais pas seulement puisque chacune de ces conceptions - messianisme, exclusivisme, unanimisme, autoritarisme - a trouvé un support égal dans le discours dit « progressiste » (i.e. révolutionnaire) comme en témoignent les emprunts à la doctrine du centralisme démocratique, à laquelle il sera explicitement fait référence dans les statuts du FLN.

* 700 Extrait de la plate-forme du Congrès de la Soummam publiée in El Moudjahid, n°4, t. 7, p.59-60 ; extrait repris in Guy Pervillé, op.cit., p.128.

* 701 Cf. plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 et statuts du FLN votés en janvier 1960 par le CNRA.

* 702 Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 : appel de l'ALN ; extrait cité par Guy Pervillé, op.cit., p.135 ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.algeria-watch.org/farticle/1954-62/proclamation1nov.htm. C'est nous qui soulignons.

* 703 Extrait tiré de La Blessure, Paris, Grasset, 1992, p.129 ; cité in Guy Pervillé, op.cit, p.143.

* 704 Extrait du deuxième appel du FLN, daté du 1er avril 1955, rédigé par Abane Ramdane à Alger ; extrait cité par Guy Pervillé, op.cit, p.136.

* 705 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.136.

* 706 Sylvie Thénault, « L'organisation judiciaire du FLN », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.146 et 148.

* 707 Guy Pervillé de souligner le caractère décisif de l'évolution des prises de position du général de Gaulle sur l'état de l'opinion musulmane : « Le principe de l'indépendance de l'Algérie avait été reconnu par une décision unilatérale du président de la République française, avant les journées de décembre 1960 [journées marquées par les premières manifestations populaires réclamant dans les rues d'Alger et des plus grandes villes des négociations entre de Gaulle et Ferhat Abbas]. Le basculement de l'opinion musulmane peut donc être interprété autant comme une conséquence de l'évolution de la politique gaullienne que comme un facteur d'accélération de celle-ci » (Pour une histoire de la guerre d'Algérie, p.171-172).

* 708 Yves Courrière rapporte ainsi qu'au cours des six premiers mois du conflit (entre le 1er novembre 1954 et début mai 1955), ce sont presque uniquement des civils musulmans (à l'exception du couple Monnerot et d'un autre Européen tués le 1er novembre 1954), victimes musulmanes dont le chiffre s'élève à plusieurs centaines, qui sont visés par la politique de terreur du FLN (Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969).

* 709 Mohammed Harbi, Le FLN : mirages et réalités, des origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980, p.259.

* 710 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.132.

* 711 Cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242-243.

* 712 Ibid, p.246.

* 713 Omar Carlier, « Le 1er novembre 1954 à Oran », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.23-24.

* 714 Cf. Benjamin Stora, Les sources du nationalisme algérien, Paris, L'Harmattan, 1989.

* 715 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.116.

* 716 Le MTLD était la vitrine légale du PPA, interdit le 26 septembre 1939.

* 717 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.85.

* 718 Ibid, p.101.

* 719 François Gèze, « Aux origines de la violence », Mouvements, novembre-décembre 1998. Voir aussi Mohammed Harbi, « Le système Boussouf », in Reporters sans frontières, Le drame algérien. Un peuple en otage, Paris, La Découverte, 1996.

* 720 Cité par Tahar Mohamed Al Anouar, « Abdelhafidh Boussouf, «Si Mabrouk», le concepteur des services de renseignement de la Révolution algérienne », El Moudjahid du 29 décembre 2004.

* 721 Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.254.

* 722 Ibid, p.299.

* 723 Cité in Guy Pervillé, op.cit., p.146. Cette proclamation est paradoxale à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle semble présupposer qu'il y a autant de « traîtres » que de « patriotes » au sein de la population musulmane, ce qui va à l'encontre du mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN. Ensuite parce qu'Abane lui-même a ensuite été considéré comme un « traître » et éliminé à ce titre par le Comité de Coordination et d'Exécution (CCE, l'exécutif du FLN).

* 724 Dossier « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.83.

* 725 J'ai indiqué en introduction ce qu'avait été la justification donnée à Monsieur Alexandre M. lorsqu'il s'était enquit du sort et des raisons de l'assassinat de ma grand-tante, de son mari et de leur fils de 7 ans auprès d'un jeune parent de ceux-ci, que Monsieur M. indiquait être un « indicateur du FLN ». A la question d'Alexandre M. : « Mais pourquoi avoir tué aussi le petit Djelloul, ce petit innocent ? », il fut répondu : « Pour que la graine disparaisse » (voir l'introduction).

* 726 Pour plus de détails, voir ci-dessous la section b. : « L'exclusivisme religieux, entre condamnation du maraboutisme et condamnation de l'oecuménisme ».

* 727 Abderrahmane Moussaoui, « De la violence au djihad », Histoire des Sciences Sociales, n°6, novembre-décembre 1994, p.1315-1333.

* 728 Pierre Vidal-Naquet reconnaîtra d'ailleurs a posteriori qu'il avait sous-estimé le poids de l' « arabo-islamisme » ainsi que « la nature fondamentalement nationaliste [du FLN] » pendant la guerre d'Algérie (« La guerre d'Algérie. Bilan d'un engagement », entretien avec Pierre Vidal-Naquet, Confluences Méditerranée, n°19, automne 1996).

* 729 Voir notamment Mohamed Benrabah, Langue et pouvoir en Algérie. Histoire d'un traumatisme linguistique, Paris, Editions Séguier, 1999, ainsi que Mohamed Benrabah, « Le désespoir algérien », Libération, 2 mai 2001.

* 730 D'après Monique Gadant (Islam et nationalisme en Algérie, Paris, L'Harmattan, 1988, p.64), « l'histoire de l'Algérie, telle qu'elle fut écrite par les Oulémas dans les années trente, est animée par le souci de réveiller la conscience nationale. Elle illustre la fierté d'être algérien. Elle transfigure et fait jouer à la conquête arabe et à l'Islam le rôle d'événement déterminant dans l'unification de la Nation. (...) Le FLN, à travers El Moudjahid, reprendra l'essentiel de l'histoire oulémiste » ; citée in Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.15.

* 731 Voir notamment Charles-André Julien [1952], L'Afrique du Nord en marche : Algérie, Tunisie, Maroc, 1880-1952, Paris, Omnibus, 2002.

* 732 À savoir le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA), composé d'anciens de l'Organisation spéciale (OS), la branche armée du PPA-MTLD, et qui prendra le nom de Front de libération nationale (FLN) à la veille de l'insurrection du 1er novembre 1954.

* 733 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.91. A ce sujet, voir aussi Omar Carlier, « Nationalisme et identité : la crise «Berbériste» de 1949 », Annuaire de l'Afrique du Nord, Editions du CNRS, 1984, p.347-371 ; repris in Omar Carlier, Entre nation et djihad. Histoire sociale des radicalismes algériens, Paris, Presses de la FNSP, 1995.

* 734 Déclaration publique d'Ahmed Ben Bella à son arrivée à l'aéroport de Tunis en provenance du Caire, peu après la conclusion des accords d'Évian - cité par Pierre Vidal-Naquet, « La vérité de l'indicatif », entretien pour la revue Vacarme, propos recueillis par Isabelle Saint-Saëns et Philippe Mangeot, septembre 2001 (entretien consultable en ligne à cette adresse : http://vacarme.eu.org/article205.html). Au même moment, le programme dit de Tripoli, adopté par le CNRA à l'unanimité en juin 1962, énonçait que « le conflit arabo-israélien n'a pas eu, en Algérie, de répercussions graves, ce qui aurait comblé le voeu des ennemis du peuple algérien », ajoutant : « Sans puiser dans l'histoire de notre pays les preuves de tolérance religieuse, de collaboration dans les plus hauts postes de l'Etat, de cohabitation sincère, la Révolution Algérienne a montré par les actes, qu'elle mérite la confiance de la minorité juive pour lui garantir sa part de bonheur dans l'Algérie indépendante » ; cf. Le texte du « Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire» (adopté à l'unanimité par le C.N.R.A. à Tripoli en Juin 1962) est consultable dans son intégralité à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.

* 735 Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.

* 736 Benjamin Stora, « Un pharmacien à Sétif », Le Monde, édition du 4 juillet 2004 ; article consultable à cette adresse : http://www.jijel.info/modules/news/article.php?storyid=32.

* 737 L'Entente du 23 février 1936 ; extrait cité in Bernard Droz et Evelyne Lever, Histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Seuil, 1982.

* 738 Benjamin Stora, « Un pharmacien à Sétif », Le Monde, édition du 4 juillet 2004 ; article consultable à cette adresse : http://www.jijel.info/modules/news/article.php?storyid=32.

* 739 « Plus qu'une simple conquête coloniale destinée à s'assurer le contrôle des richesses naturelles du pays, cette entreprise a visé, par tous les moyens, à substituer un peuplement étranger au peuple autochtone », fort de « son appartenance à une culture et à une civilisation communes au Maghreb et au monde arabe » (Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm).

* 740 « L'implantation de plus en plus intensive d'un peuplement étranger conçu à la fois comme instrument de I'impérialisme et comme société coloniale vouée tout entière à la direction politique et administrative et à l'exploitation du peuple algérien » (Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm).

* 741 Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm. (C'est nous qui soulignons.) De fait, à l'indépendance, le FLN s'empressera de faire de l'arabe la langue officielle exclusive, au détriment du français et du berbère. La Constitution de 1963 stipule ainsi clairement que « la langue arabe est la langue nationale et officielle de l'Etat » [article 5] et qu'en conséquence « la réalisation effective de l'arabisation doit avoir lieu dans les meilleurs délais sur le territoire de la République » [article 76] (Le texte intégral de la Constitution de 1963, première constitution de l'Algérie indépendante, est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm).

* 742 Le texte intégral de la Charte d'Alger (1964) est consultable à cette adresse : www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm.

* 743 Le texte intégral de la Charte d'Alger (1964) est consultable à cette adresse : www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm.

* 744 Cité in « Rapport du Congrès mondial amazigh au Comité pour les droits économiques sociaux et culturels de l'ONU sur la question amazighe (berbère) en Algérie ». C'est nous qui soulignons. Le texte est consultable dans son intégralité à cette adresse : http://www.diariodecanarias.com/98cma-rapport.html. Voir aussi: http://www.congres-mondial-amazigh.org/.

* 745 Sur ces questions, voir aussi Gilbert Grandguillaume, « Langues et nation : le cas de l'Algérie », in Gilbert Meynier (dir.), L'Algérie contemporaine. Bilan et solutions pour sortir de la crise, Paris, L'Harmattan, Les Cahiers de Confluences, 2000, p.89-99.

* 746 Charles-Robert Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.37.

* 747 Ibid, p.38. Voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.182 à 189.

* 748 Cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.143.

* 749 Gilbert Meynier (« Emigration, armée, culture et démocratie en Algérie », Confluences Méditerranée, n°3, printemps 1992) rapporte ainsi que Mohammedi Saïd, qui « fut l'un des partisans impitoyables de la manière forte », « prétendait rendre obligatoire la pratique de la prière à l'indépendance » ; cité in Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.322.

* 750 Charles-Robert Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.225-226.

* 751 Cf. Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.112. Voir aussi Taouès Titraoui et Bernard Coll, qui publient une photographie d'un mutilé du nez, avant et après une opération de chirurgie plastique réparatrice (Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.37).

* 752 Amar Ouzegane, Le meilleur combat, Paris, Julliard, 1962, p.263 ; cité in Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.36.

* 753 A ce sujet, le programme dit de Tripoli, adopté à l'unanimité par le C.N.R.A. en Juin 1962, stigmatise ce « féodalisme administratif » qu'aurait été « le maraboutisme des grandes congrégations », lequel, « dans le contexte obscurantiste dé la colonisation, n'a cessé d'exploiter, par la superstition et des pratiques grossières, le sentiment religieux », en même temps qu'il a « contribué à altérer l'esprit de I'islam et entraîné I'immobilisme de la société musulmane ». Et de rappeler combien « la réaction [contre ces congrégations] prit souvent [pendant la guerre] une forme de confrontation exacerbée », ajoutant même : « Poussée trop loin, elle parut, un moment, jeter une confusion dangereuse relativement au problème des priorités, des urgences. Fallait-il accorder la priorité à la lutte contre le colonialisme, ou s'attaquer d'abord à purifier le dogme, et, par voie de conséquences, à affronter les confréries ? » ; cf. Le texte du « Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire» (adopté à l'unanimité par le C.N.R.A. à Tripoli en Juin 1962) est consultable dans son intégralité à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.

* 754 Cette communication est consultable dans son intégralité à cette adresse : http://www.archipress.org/bb/revolu.htm.

* 755 Il est d'ailleurs curieux de voir la place prise par la plate-forme de la Soummam dans les manuels scolaires français pour rendre compte des valeurs de la Révolution - il n'est, pour ce faire, que de mobiliser des souvenirs personnels - lors même que son principal inspirateur a été tôt assassiné par ses compagnons d'armes et que la politique suivie pendant et après la guerre ne fut qu'une seule et même remise en cause (sinon le contre-pied systématique) de certains des grands principes contenus dans ce texte programmatique, à savoir : laïcité, suprématie du politique sur le militaire, etc.

* 756 Benyoucef Ben Khedda, L'Algérie à l'indépendance : la crise de 1962, Alger, Dahlab, 1997, p.92 ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.279.

* 757 Charles-Robert Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.210, 226 et 227.

* 758 Ibid, p.210.

* 759 Ibid, p.223-224.

* 760 Ibid, p.219.

* 761 Ibid, p.222.

* 762 « La guerre de libération menée victorieusement par le peuple algérien redonne à l'Algérie sa souveraineté nationale et son indépendance. Le combat n'est pas pour autant achevé. Il est appelé, au contraire, à se poursuivie afin d'étendre et de consolider les conquêtes de la lutte armée par I'édification révolutionnaire de l'Etat et de la société » ; cf. Le texte du « Projet de programme pour la réalisation de la révolution démocratique populaire» (adopté à l'unanimité par le C.N.R.A. à Tripoli en Juin 1962) est consultable dans son intégralité à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.

* 763 Cité dans la série d'émissions diffusées par Radio-France sur la guerre d'Algérie, émission n°7, « L'OAS - Les derniers jours », conception et réalisation : Patrice Gélinet et Christine Bernard-Sugy, 1987.

* 764 Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.

* 765 Ibid. C'est nous qui soulignons.

* 766 Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm. Luis Martinez (La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998) a montré comment ces sociétés d'Etat allaient en fait servir de paravent à la "privatisation/prédation" de l'économie -notamment dans le secteur de l'import-export - au profit des seuls caciques du FLN/ALN.

* 767 Ibid.

* 768 Le texte intégral de la Constitution de 1963, première constitution de l'Algérie indépendante, est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm.

* 769 Le texte intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.

* 770 En Algérie, certaines "oeuvres" de fiction, publiées - ainsi que le souligne Guy Pervillé - « au temps où le gouvernement algérien disposait du monopole de l'édition, de l'information et de l'enseignement », témoignent d'ailleurs que cette conception somme toute extensive de « l'anti-impérialisme » (convoqué pour "solutionner" le « problème de la minorité française ») n'était pas, ici et là, sans s'apparenter à l'anti-occidentalisme le plus équivoque. Pour Abdelkader ben Azzedine Ghouar, par exemple, la politique de la table rase trouve sa justification dans un racisme sommaire et, semble-t-il, assumé : « Des Espagnols aux casquettes molles tombaient, des Maltais aux tignasses pouilleuses aussi, des Italiens aux visages cauteleux (...). Ahmed tirait avec le sentiment de nettoyer les rues, de les débarrasser de toute cette faune parasite qui les encombrait » (Abdelkader Ben Azzedine Ghouar, Cinq fidayine ouvrent le feu à Constantine, Alger, ENAL, 1986, p.195 ; cité in Guy Pervillé, « Réflexions sur la réévaluation du bilan de la guerre d'Algérie », Actes du colloque du Cercle algérianiste de Bordeaux, L'Aventure française en Algérie, 1830-1862, Talence, 8 mars 1997, p.2). Dès avant, le 29 mars 1962, Mohamed Masmoudi, ministre tunisien de l'Information, déclarait dans le journal Jeune Afrique : « Il faut dépeupler, déporter le ramassis de petits blancs d'Algérie » Cité in Allais (Maurice) [1962], L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.53.

* 771 Jacques Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.11.

* 772 Ibid, p.12.

* 773 Ibidem.

* 774 Ibid, p.12-13.

* 775 Extrait de la Proclamation du FLN du 1er novembre 1954 ; extrait cité par Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.124.

* 776 Ibid, p.142.

* 777 Ibid, p.263.

* 778 Voir notamment Gérard Chaliand, Stratégies de la guérilla, Paris, Editions Payot & Rivages, 1994 [1ère édition : Mazarine, 1979].

* 779 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.125.

* 780 Philippe Braud, « La violence politique : repères et problèmes », Cultures et Conflits, n°9/10, 1993, p.26.

* 781 Pierre Vidal-Naquet: « Je n'ai jamais eu envie de faire l'apologie des attentats du FLN, même si j'ai pu comprendre que ce terrorisme-là était ce que l'on a appelé «l'arme du pauvre» » (« La torture en Algérie. Entretien avec Raoul Girardet et Pierre Vidal-Naquet », L'Histoire, n°140, janvier 1991, p.104-107).

* 782 Michael Walzer, "Excusing Terror," The American Prospect, vol. 12, no. 18, October 22, 2001.

* 783 Ibidem.

* 784 Aspects véritables de la rébellion algérienne, Ministère de l'Algérie, juin 1957.

* 785 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.167.

* 786 Selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, un tract du FLN de décembre 1955 « préconisait l'emploi de la force le jour des élections, l'exécution des candidats de quelque bord qu'ils appartinssent, l'enlèvement et l'égorgement de tous les agents électoraux, la démission de tous les élus en place, et la suppression physique de tout élu qui refuserait de démissionner » (Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.26).

* 787 Il n'est ici question que des populations civiles, à l'exclusion, donc, des supplétifs, conscrits et engagés musulmans qui pouvaient être considérés comme des cibles "légitimes" au regard des lois de la guerre.

* 788 Sur l'éventail des musulmans visés, voir Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.320-321, qui évoque également les représailles exercées à l'encontre du MNA et du FAAD.

* 789 Luis Martinez, op.cit., p.314-315. Il faut ici souligner la proximité rhétorique entre ce texte et l'appel du 1er novembre, en particulier ce passage : « Le Front de Libération Nationale est ton Front, sa victoire est la tienne (...). Ton devoir impérieux est de soutenir tes frères combattants par tous les moyens (...). Donc, sans perdre une minute, organise ton action aux côtés des forces de libération à qui tu dois porter aide, secours et protection en tous lieux et en tous moments. En les servant tu sers la cause. Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l'action est une trahison » (Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 : appel de l'ALN ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.algeria-watch.org/farticle/1954-62/proclamation1nov.htm).

* 790 Ibid, p.316-317.

* 791 Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.374 ; voir aussi Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme médiatique », Confluences Méditerranée, n°48, hiver 2003-2004.

* 792 Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.171.

* 793 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.166.

* 794 Charles-Robert Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.208.

* 795 Ibid, p.210.

* 796 Propos recueillis par Florence Aubenas, « Algériens de France isolés dans l'isoloir », Libération des 10 et 11 avril 1999, p.11.

* 797 Interview de Krim Belkacem, « L'ALN dans la guerre de libération », Revue de politique internationale, Belgrade, 15 février 1960 ; repris in Maurice Allais [1962], L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.42.

* 798 Saïd Ferdi, Un enfant dans la guerre, 1954-1962, Paris, Le Seuil, 1981.

* 799 Témoignage repris in Gérard Chaliand, Stratégies de la guérilla, Paris, Editions Payot & Rivages, 1994, p.165-166.

* 800 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.135-136.

* 801 Jordi (Jean-Jacques), Hamoumou (Mohand), Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.32-33.

* 802 D'après Charles-Robert Ageron, « tous les témoins français civils ou militaires ont confirmé que participèrent aux attaques dans des proportions variées des paysans sans armes, hommes, femmes et enfants ». Il ajoute : « Ceux qui étaient pourvus d'armes de guerre et souvent d'uniformes ne représentaient pas plus de 5% des assaillants, d'autres plus nombreux, disposaient de fusils de chasse (mais étaient-ils 45% ?). La majorité, semble-t-il, était composée de civils, munis de pioches, de serpes et de couteaux » ; cf. Charles-Robert Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.38.

* 803 Le Gouvernement général de l'Algérie établira comme suit - pour les journées des 20 et 21 août - le bilan des victimes des émeutiers : 123 tués (dont 71 civils européens, 21 civils musulmans et 31 membres des forces de l'ordre) et 223 blessés (dont 51 civils européens, 47 civils musulmans et 125 membres des forces de l'ordre).

* 804 D'après Charles-Robert Ageron, « les militaires français constatèrent que très peu parmi les hors-la-loi, cadres et réguliers, furent tués [au cours de la répression] » ; cf. Charles-Robert Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.38.

* 805 Charles-Robert Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.32. Voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.112.

* 806 Charles-Robert Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.31.

* 807 Ibid, p.45.

* 808 Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, Paris, Le Seuil, 1963, p.91 ; cité in Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.168-169.

* 809 Pour un rappel précis du bilan officiel, voir supra la section III-A-1. : « Le «traître» imaginé ou l'effacement de la frontière entre opposition et subversion ».

* 810 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.258.

* 811 Ibid, p.243.

* 812 Capitaine Marc-Louis Leclair, Disparus en Algérie, 3000 Français en possibilité de survie, Jacques Grancher, 1986. Pour sa part, l'association Jeune Pied-Noir évoque le chiffre extravagant de 25.000 Européens disparus après le 19 mars 1962. Ce chiffre est à considérer pour ce qu'il est aux yeux mêmes de ceux qui le véhiculent : non une estimation, mais un instrument de pression et de lobbying en direction des pouvoirs publics, des médias et de l'opinion. L'association Jeune Pied-Noir véhicule également, sans plus de souci d'exactitude, l'estimation-slogan de 150.000 harkis massacrés après le 19 mars 1962 (voir supra la section II-B-2. : « Sur le nombre de musulmans pro-français massacrés par le FLN »).

* 813 Marwan Abi Samra, François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.31.

* 814 Note de travail du Ministère de l'Intérieur citée par Marwan Abi Samra, François-Jérôme Finas, op.cit. p.51.

* 815 Marwan Abi Samra, François-Jérôme Finas, op.cit., p.4.

* 816 Ibidem.

* 817 Marwan Abi Samra, François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.50.

* 818 Dans le cadre de cette politique, écrivent Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, « les Français-musulmans sont l'objet d'une prise en charge totale sur le plan économique, social et éducatif, et d'une relégation institutionnelle » (Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.5).

* 819 Erving Goffman, Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968, p.47-48. C'est nous qui soulignons.

* 820 Ibid, p.54.

* 821 Ibid, p.56.

* 822 Erving Goffman, Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968, p.56.

* 823 Ibid, p.54.

* 824 cf. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.41.

* 825 Entretien, Largentière, novembre 1998. Mohamed, recruté à 17 ans dans les harkas à la suite de l'assassinat de son père et de l'incendie de sa maison par le FLN, en 1958, est aujourd'hui président de l'association de harkis de Largentière.

* 826 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p. 51.

* 827 Cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 828 Entretien, Largentière, novembre 1998.

* 829 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.33-34.

* 830 Extrait cité in Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.34.

* 831 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.34-35.

* 832 Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.66.

* 833 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.83.

* 834 Cf. Louis Chevalier, Classes laborieuses, classes dangereuses, Paris, Hachette, 1984.

* 835 Ce système de certificats d'embauche qui régulait les déplacements des travailleurs fut institué en 1803 par le Consulat et ne fut supprimé qu'en 1890.

* 836 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.81.

* 837 Cite par Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.36.

* 838 Ibid, p.63-64. C'est nous qui soulignons.

* 839 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.58.

* 840 Fatima Besnaci-Lancou, Fille de harki : le bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie, Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003 (Avec une préface de Jean Daniel et Jean Lacouture), p.78-79.

* 841 Ibid, p.58-59.

* 842 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.24.

* 843 Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.140.

* 844 Cité par Philippe Bernard, « De la honte à la rage », Le Monde, 21 mars 1992, p.8.

* 845 Cité par Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre Belgique, article consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.

* 846 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.59.

* 847 Entretien, Largentière, novembre 1998. Jean-Claude, 31 ans, est aide-soignant.

* 848 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.98.

* 849 Le rédacteur du compte-rendu de la réunion extraordinaire du jeudi 25 avril 1963, cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.103.

* 850 H., 30 ans, interrogé par Michel Roux, « Bias, Lot-et-Garonne. Le camp des oubliés », Hommes et migrations, n°1135, septembre 1990, p.43.

* 851 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.53 et p.71-72.

* 852 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.97.

* 853 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.32.

* 854 Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.129.

* 855 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, op.cit., p.11.

* 856 Sur la cité de Volpilliaire, à Largentière, voir Christine Font-Piquet, L'engagement des anciens harkis de Largentière auprès de l'armée française : connaissance et interprétation de leurs descendants, DEA d'anthropologie, Université de Montpellier III, 1993. Voir aussi Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.98-99.

* 857 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, op.cit., p.16 et p.48-49.

* 858 Cité in Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.50-51.

* 859 Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.52.

* 860 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, op.cit., p.46.

* 861 Patrick Jammes, interrogé par Dalila Kerchouche, op.cit., p.149. Voir aussi Patrick Jammes, Médecin des harkis au camp de Bias, 1970-1999, Sainte-Colombe-de-Villeneuve, Editions de la Motte, 1999.

* 862 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, op.cit., p.77.

* 863 Témoignage recueilli par Philippe Bernard, « De la honte à la rage », Le Monde, 21 mars 1992, p.8.

* 864 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.17.

* 865 Dalila Kerchouche, op.cit., p129.

* 866 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.77-78.

* 867 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Le rapport des Français musulmans à l'espace résidentiel, Lyon, ARIESE, 1985 ; repris in Dalila Kerchouche, op.cit., p.172-173.

* 868 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.17.

* 869 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.70.

* 870 Extrait cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.99.

* 871 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, op.cit, p.45.

* 872 Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.105-106.

* 873 Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003.

* 874 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.14.

* 875 Ibid, p.18.

* 876 Cité in Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.154.

* 877 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987,, p.106.

* 878 Ibid, p.102.

* 879 André Wormser, « En quête d'une patrie. Les Français-Musulmans et leur destin », Les Temps Modernes, n°452-453-454, mars-avril-mai 1984, p.1851-1852. C'est nous qui soulignons

* 880 Catherine Wihtol de Wenden, « L'école et la formation », Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.50.

* 881 Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p.39.

* 882 A. Souida, « Roubaix, les «RONA» dans la Cité », Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.62. C'est nous qui soulignons.

* 883 Halima Belhandouz, Claude Carpentier, « Une construction socio-historique du "décrochage" scolaire - Le cas des Français musulmans du quartier nord d'Amiens », VEI enjeux, n°122, Centre National de Documentation Pédagogique, septembre 2000.

* 884 Saliha Abdellatif, Enquête sur la condition familiale des Français musulmans en Picardie, Thèse de troisième cycle, EHESS, Paris VII, 1981.

* 885 Halima Belhandouz, Claude Carpentier, « Une construction socio-historique du "décrochage" scolaire - Le cas des Français musulmans du quartier nord d'Amiens », VEI enjeux, n°122, Centre National de Documentation Pédagogique, septembre 2000.

* 886 Catherine Wihtol de Wenden, « L'école et la formation », Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.50.

* 887 Discours reproduit sur le site de l'Elysée : www.elysee.fr.

* 888 Valérie-Barbara Rosoux, « Les usages de la mémoire dans les relations internationales », communication donnée dans le cadre de la journée thématique « Stratégies de la mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de Grenoble.

* 889 Cf. Raymond Boudon, Raison, bonnes raisons. La rationalité : notion indispensable et insaisissable ?, Paris, PUF, 2003.

* 890 Le drame des harkis en 1962, allocution donnée à l'occasion de la « Rencontre Histoire et Mémoire-Les Harkis, 1954-62 », rencontre organisée à Paris, au Pavillon Gabriel, le dimanche 7 mars 1999. C'est nous qui soulignons.

* 891 Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.322.

* 892 Ibidem.

* 893 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.313.

* 894 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ; intervention en écoute sur le site du Monde à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 895 Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990, p.25.

* 896 Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990, p.43-44.

* 897 cf. Jacques Sémelin, « Penser les massacres », R.I.P.C., vol. 7, n°3, 8 février 2001, p.14.

* 898 Jean Baudrillard, « Paysage sublunaire et atonal », entretien avec Jean Baudrillard in Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991.

* 899 « La bataille de l'écrit », La Nef, « Numéro spécial : Histoire de la Guerre d'Algérie, suivie d'une histoire de l'O.A.S. », Paris, Julliard, n°12-13, octobre 1962-janvier 1963.

* 900 Il est bien évident, cependant, que les travaux historiques ne sont pas eux-mêmes vierges de tout positionnement d'ordre politique et que les visions et principes de division du monde dont ils sont porteurs peuvent, en outre, avoir un impact et faire l'objet d'usages proprement politiques. Dans cette mesure (mais dans cette mesure seulement), ils intéressent directement l'optique qui est ici la nôtre.

* 901 Béatrice Pouligny, « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding. Une approche transdisciplinaire », compte-rendu de la réunion de travail du groupe de recherche du CERI du 8 février 2001, p.16.

* 902 Ibid, p.17.

* 903 A cet égard, voir notamment Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 904 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.200.

* 905 Jürgen Habermas [1962], L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1997.

* 906 Ahmed Rouadjia, « L'Etat algérien et le problème du droit », Politique étrangère, IFRI, été 1995, p.3.

* 907 Groupe de recherche « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding. Une approche transdisciplinaire », compte-rendu de la réunion du 3 avril 2001 : « Histoires et mémoires des crimes de masse », p.9.

* 908 Le Monde, 29 novembre 1995, p.16. Voir aussi, Lahouari Addi, L'Algérie et la démocratie. Pouvoir et crise politique dans l'Algérie contemporaine, Paris, La Découverte, 1994.

* 909 Pour Hocine Aït-Ahmed, l'un des chefs historiques de la Révolution, tôt mis à l'écart pour avoir contesté le principe du parti unique et être entré en rébellion en Kabylie sous l'égide du Front des forces socialistes (ce qui lui vaudra de connaître l'emprisonnement puis un long exil en Suisse de 1966 à 1989), « le pouvoir actuel, en Algérie, se sert encore de ce passé [colonial] comme une excuse. Faute de légitimité politique, il cherche des faux-fuyants. Alors que tout ce qui nous arrive maintenant est entièrement de leur faute. » Propos recueillis par Thierry Leclère, Télérama du 8 août 1990 ; cf. http://www.geocities.com/hocine_ait_ahmed/Telerama1990.html.

* 910 Mohamed Benrabah, « Bouteflika arrachera-t-il l'Algérie à son enfermement ? », Libération, lundi 13 septembre 1999, p. 6. Voir aussi Mohamed Benrabah, Langue et pouvoir en Algérie. Histoire d'un traumatisme linguistique, Paris, Editions Séguier, 1999.

* 911 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.282-283.

* 912 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.9.

* 913 Abderrahmane Moussaoui, « De la violence au djihad », Histoire des Sciences Sociales, n°6, novembre-décembre 1994, p.1315-1333.

* 914 Benjamin Stora, « Algérie : absence et surabondance de mémoire », Esprit, n°208, janvier 1995, p.67.

* 915 La Croix du 2 septembre 1997. Voir aussi Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983.

* 916 Fouad Soufi, « Pratiques historiographiques et mythes de fondation. Le cas de la Guerre de libération à travers les institutions d'éducation et de recherche algériennes » in Charles Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.305-322.

* 917 Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du «parti de la France» aux «anciens et nouveaux harkis» », in Ageron (Charles-Robert), La guerre d'Algérie et les algériens (1954-1962), Paris, Armand Colin/Masson, 1997, p.327.

* 918 A cet égard, Mohammed Harbi estimait en 1994 que « l'intention à peine cachée d'une telle réforme [NDA : l'institution du multipartisme] était de passer d'un système de monopartisme à un système de parti dominant. (...) La caste au pouvoir - sous les contraintes de la réalité - mimait le changement pour maintenir inchangée la situation » (Mohammed Harbi, « La tragédie d'une démocratie sans démocrates », Le Monde, 13 avril 1994).

* 919 A cet égard, Guy Pervillé rappelle que, déjà, au moment de la guerre d'Algérie, l'insurrection du FLN « se présentait comme la «Résistance algérienne» à l'agression française, par une identification implicite à la Résistance française contre l'occupation allemande »920. Cet amalgame avec la période de l'Occupation avait pour principal intérêt de proposer des clefs de lecture pré-formatées des événements en cours, à forte portée légitimante pour soi et délégitimante pour ses adversaires, l'équation « moudjahidin = résistants » n'allant pas sans l'équation complémentaire « harkis = collabos ». Il était encouragé, en métropole, par certains courants d'opinion particulièrement actifs dans leur opposition à la guerre d'Algérie (et, pour certains, dans leur soutien direct au FLN) qui, pour réfuter l'accusation de « trahison » qui leur était accolée, s'étaient eux-mêmes identifiés à une nouvelle « résistance ». Ainsi en allait-il du réseau de soutien au FLN constitué autour de Jean-Louis Hurst et Alain Krivine notamment, qui s'était précisément baptisé « Jeune Résistance ». Dans ce cas comme dans celui de la propagande du FLN, l'amalgame avec la période de l'Occupation en France participait d'une rhétorique d'"habillage" des luttes engagées, laissant "hors-champ" d'autres références et motivations idéologiques, a priori moins consensuelles (voir infra le chapitre III de la Partie 2 : « La figure du harki dans la geste intellectualiste de la guerre d'Algérie »).

* 921 A ce sujet, voir Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998.

* 922 Cf. Badreddine Khris, « Privatisations-concessions : les détails du projet de loi », Liberté, 27 novembre 2002.

* 923 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, 118-119.

* 924 John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.83.

* 925 Ibid, p.76.

* 926 Andreï Melvil souligne que « l'escalade de la psychologie de l'hostilité a sa logique particulière qui mène à une totale déshumanisation de l'image de l'ennemi, qui se voit privé du moindre trait humain, de toute figure humaine. C'est pourquoi l'«ennemi absolu» est pratiquement impersonnel, il est une abstraction : «le complot judéo-maçonnique international», «le gouvernement communiste mondial», «l'impérialisme mondial», etc. (Andreï Melvil, « Image de l'ennemi », in Y. Afanassiev, M. Ferro, 50 idées qui ébranlent le monde : dictionnaire de la Glasnost, Paris, Payot, 1990, p.32).

* 927 Benjamin Stora, « Aux bancs de l'histoire officielle. 1954-2004 : les Algériens face à leur guerre d'indépendance », Libération, p.34.

* 928 Repris in Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.200-201.

* 929 Extrait de l'intervention de Mohand Hamoumou, intitulée « Histoire des Harkis : la fin d'un tabou ? », dans le cadre du colloque « La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire » organisé sur le campus de Jussieu, à Paris, les 14 et 15 novembre 2002. C'est nous qui soulignons. De formation historienne, Mohand Hamoumou, lui-même fils de harki, est spécialiste de cette question.

* 930 Hassan Remaoun, « Pratiques historiographiques et mythes de fondation : le cas de la Guerre de libération à travers les institutions algériennes d'éducation et de recherche », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin/Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.310 à 312.

* 931 Ibid, p.312-313. Du même auteur : Gilles Manceron et Hassan Remaoun, D'une rive à l'autre. La guerre d'Algérie, de la mémoire à l'histoire, Paris, Syros, 1993. Voir aussi, à ce sujet : Fouad Soufi, « La fabrication d'une mémoire : les médias algériens (1963-1995) et la guerre d'Algérie », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin/Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.289-303. Guy Pervillé, qui souligne lui aussi que « les recherches des historiens algériens, à cause de l'importance de leurs implications politiques, sont placés sous la double surveillance du gouvernement et de l'Association nationale des Anciens Moudjahidine », rappelle à cet égard que les participants algériens et étrangers au premier colloque international d'histoire organisé à Alger en 1984 (colloque dont l'objet était le « Retentissement de la Révolution algérienne ») furent expressément invités par les autorités algériennes « à témoigner sans réticence que la Révolution algérienne avait été «un combat exemplaire pour tous les hommes libres» ; mais un historien algérien qui voulait parler du terrorisme fut interrompu » (Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.276). Plus récemment, « un deuxième colloque sur Messali Hadj [un premier avait été autorisé à Tlemcen] projeté à Batna par un universitaire, ancien moudjahid, a été bloqué par une plainte de l'Association des Anciens Moudjahidine pour atteinte aux symboles de la Révolution » (Ibid, p. 277-278).

* 932 Benjamin Stora, « Repères sur l'historiographie algérienne de la guerre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.

* 933 Son premier ouvrage, Aux origines du FLN, sera longtemps interdit en Algérie.

* 934 El Watan du 17 mai 2001 ; article consultable à cette adresse : http://www.harkis.com/presse%202001%20tr2.htm.

* 935 Benjamin Stora, « Repères sur l'historiographie algérienne de la guerre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001. C'est nous qui soulignons.

* 936 Entretien accordé à El Watan, jeudi 15 septembre 2005.

* 937 Benjamin Stora, « Repères sur l'historiographie algérienne de la guerre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.

* 938 Bouba Mohammedi Tabti, Espace algérien et réalisme romanesque des années 80, Thèse de Doctorat d'Etat, Département des lettres et langues, Université d'Alger, 2001.

* 939 Ibid, p.70-71.

* 940 Ibid, p.92.

* 941 Ibid, p.231,232 et 255.

* 942 Norbert Elias, John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

* 943 John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, p.83.

* 944 Pour un compte-rendu critique de l'interprétation "schmittienne" de la figure de l' « ennemi intérieur », la situant sur le point d'indétermination de la distinction entre ennemis « privé » (inimicus) et « politique » (hostis), voir John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.75 à 98. Voir aussi Carl Schmitt, La notion de politique/Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972. 

* 945 Benedict Anderson [1983], L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Éditions La Découverte, 1996.

* 946 Voir à ce sujet : Henry Rousso [1987], Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990 ; et Vichy, un passé qui ne passe pas, avec Eric Conan, Paris, Fayard, 1994.

* 947 Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, 2 vol., Paris, Seuil, 1979.

* 948 Nous n'avons certes pas les moyens empiriques d'être définitif sur le statut du harki dans les représentations des gens ordinaires en Algérie. Il faudrait, pour ce faire, que soient réunies les conditions sociales et politiques (tant en termes de pacification des esprits que de garantie des libertés publiques) hors lesquelles toute recherche de terrain (notamment sous la forme d'entretiens approfondis menés auprès d'un échantillon un tant soit peu représentatif de la population algérienne) se heurterait à des entraves matérielles et symboliques rédhibitoires. Cependant, l'hypothèse de la fonction « conjuratoire » de la figure du harki dans l'ordinaire des prises de position se fonde sur un faisceau d'indices redevables tant des conversations informelles que nous avons pu mener avec des personnes issues de l'immigration algérienne que de la campagne d'entretiens approfondis que nous avons menés en France auprès de plusieurs dizaines de fils et filles de harkis. Ceux-ci, évoquant la nature de leurs interactions quotidiennes avec certains enfants d'immigrés algériens préalablement informés de leur appartenance à la communauté harkie, nous ont fait part des tensions (voire des altercations) que ce type de face-à-face était susceptible de provoquer. La stigmatisation des enfants de harkis par certains jeunes « beurs » peut être interprétée comme une tentative de retournement du stigmate et de réappropriation symbolique du roman familial. L'algérianité originelle et la trajectoire dessinée par la migration socio-économique des parents, ordinairement vécues comme des facteurs de fragilisation identitaire, peuvent être extra-ordinairement valorisées par contraste avec la situation des anciens harkis et de leurs enfants, censés avoir trahi leurs origines pour se faire une place dans la société d'accueil. D'autre part, plusieurs des enfants de harkis que nous avons interrogés nous ont fait part de la prégnance de l'acception générique du terme harki (usitée pour fustiger les personnes dont le comportement est censé attenter aux intérêts de la collectivité) dans le vocabulaire routinier des Algériens de France et d'Algérie. Alors qu'elle visionnait, via le satellite, un programme sportif retransmis par la télévision algérienne, la fille d'un ancien supplétif de l'armée française fut ainsi stupéfaite d'entendre le commentateur qualifier de « harki » un footballeur qui avait marqué contre son camp. Il est vrai que le contexte, dans le bled comme dans certaines cités, se prête moins à l'interrogation des faits qu'à leur "conjuration" : ces formes routinières de stigmatisation s'apparentent d'ailleurs davantage à des mécanismes conventionnels de "réassurance identitaire" (se "re-définir" par contraste avec l'autre) qu'à des définitions raisonnées de la situation des intéressés. Et, à ce titre, elles ne présagent en rien de ce que pensent en leur for intérieur les Algériens de France et d'Algérie (A cet égard, voir ci-dessous la section I-B de la Partie 2 : « Le harki retrouvé ? Les chemins de traverse de la mémoire collective »).

* 949 Voir la section III.A de la Partie 1 : « L'invocation autoritaire de l'Un ou la prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la représentation des aspirations de la population algérienne ».

* 950 Omar Carlier, Entre nation et djihad. Histoire sociale des radicalismes algériens, Paris, Presses de la FNSP, 1995.

* 951 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.297. C'est nous qui soulignons.

* 952 Cité in Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.299-300. C'est nous qui soulignons.

* 953 Ibid, p.23.

* 954 Ibid, p.31. De même, Ahmed Rouadjia souligne que le « goût du secret, cultivé [par l'armée], depuis la guerre d'indépendance, tient beaucoup moins à la volonté de protéger le secret d'Etat contre quelque visée extérieure que ce soit qu'au désir de préserver à tout prix les intérêts et le monopole de la caste militaire que menacent des compétiteurs locaux, nombreux et revanchards » (Ahmed Rouadjia, « L'Etat algérien et le problème du droit », Politique étrangère, IFRI, été 1995, p.35). De manière plus générale, Andreï Melvil note que « l'image de l'ennemi » et « l'hystérie autour de la menace extérieure » sont utilisées « pour justifier la politique du secret et du soupçon généralisé, pour susciter la «mobilisation» de la société, une unité nationale fallacieuse, la «chasse aux sorcières», la répression de la dissidence, et pour détourner l'attention des problèmes intérieurs » (Andreï Melvil, « Image de l'ennemi », in Y. Afanassiev, M. Ferro, 50 idées qui ébranlent le monde : dictionnaire de la Glasnost, Paris, Payot, 1990, p.33).

* 955 Dans la droite ligne de la Loi sur la concorde civile, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005 « [interdit] aux responsables de cette instrumentalisation de la Religion, toute possibilité d'exercice d'une activité politique et ce, sous quelque couverture que ce soit. » ; cf. le texte de la Charte est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/chartereconciliation.htm.

* 956 La Charte pour la paix et la réconciliation nationale (adoptée le 29 septembre 2005), soucieuse de minimiser au maximum la responsabilité de l'Etat, présente le dossier des disparus en ces termes : « Le Peuple algérien rappelle que le dossier des disparus retient l'attention de l'Etat depuis une décennie déjà et fait l'objet d'une attention particulière en vue de son traitement approprié. Il rappelle également que le drame des personnes disparues est l'une des conséquences du fléau du terrorisme qui s'est abattu sur l'Algérie. Il affirme aussi que dans de nombreux cas, ces disparitions sont une conséquence de l'activité criminelle de terroristes sanguinaires qui se sont arrogés le droit de vie ou de mort sur toute personne, qu'elle soit algérienne ou étrangère. Le Peuple algérien souverain rejette toute allégation visant à faire endosser par l'Etat la responsabilité d'un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d'agents de l'Etat, qui ont été sanctionnés par la Justice chaque fois qu'ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l'ensemble des forces de l'ordre qui ont accompli leur devoir, avec l'appui des citoyens, et au service de la Patrie ».

* 957 Voir Habib Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne, Paris, La Découverte, 2001. Dans un discours prononcé le 14 août 2005, peu avant la tenue du référendum sur le projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika, soucieux de faire fi de telles accusations, a une nouvelle fois clairement pointé la "main de l'étranger" : « L'Algérie, qui a toujours démontré sa solidarité avec les autres peuples, et qui demeure déterminée à soutenir les causes nobles et justes dans le monde, a découvert dans l'épreuve cruelle qu'elle vient de vivre, qu'elle ne devait compter que sur elle-même et sur ses propres moyens. Dans sa très grande majorité, le monde a assisté sans réaction et souvent même sans compassion, au martyr de notre peuple face à l'hydre du terrorisme que nous combattions et que nous dénoncions déjà comme un fléau qui ignore les frontières. Ce silence s'est trop souvent paré hypocritement des vertus de la démocratie et des droits de l'homme. Des voix ont même poussé l'indécence jusqu'à s'interroger sur « qui tue qui » en Algérie. Sans haine et sans rancoeur, nous ne devons pas oublier cela, surtout lorsqu'il s'agit de consolider notre propre avenir national. » (le texte du discours est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/d140805.htm.

* 958 Mohamed Benrabah, « Le désespoir algérien », Libération, 2 mai 2001.

* 959 « L'heure de la vérité », interview de Mohammed Harbi et Benjamin Stora par Agathe Logeart et Claude Weill, in Le Nouvel Observateur, n°2085, du 21 au 27 octobre 2004, p. 42-44.

* 960 Benjamin Stora, « L'Algérie d'une guerre à l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001, p.64.

* 961 Ibid, p.60.

* 962 Ibid, p.62.

* 963 Ibid, p.58.

* 964 Guy Pervillé, « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.

* 965 Ibid.

* 966 Mohammed Harbi, L'Algérie et son destin, croyants ou citoyens, Paris, Arcantère, 1993, p.155.

* 967 Interview à L'Unité ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.293.

* 968 Benjamin Stora, « L'Algérie d'une guerre à l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001, p.60.

* 969 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.320-321.

* 970 Guy Pervillé, « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.

* 971 Discours de Hocine Aït-Ahmed, salle Harcha, Alger, 4 février 1999 ; texte consultable à cette adresse : http://www.algeria-watch.org/farticle/presid/presid2.htm.

* 972 Cf. Si Othmane, L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions, 1996 (voir infra).

* 973 Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du «parti de la France» aux «anciens et nouveaux harkis» », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens (1954-1962), Paris Armand Colin, 1997, p.323 à 331.

* 974 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.278.

* 975 Guy Pervillé, « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.

* 976 Abderrahmane Méziane-Chérif, ministre algérien de l'Intérieur, cité par El Watan du 1er novembre 1994.

* 977 Passage cité in Kara (Mohamed), Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.119.

* 978 D'après Emmanuelle Gilles, Les évènements de l'été 1991 : un début de règlement de la question harkie ou la poursuite de l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003, p.89.

* 979 D'après Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.164.

* 980 Cité in Benjamin Stora, « L'Algérie d'une guerre à l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.

* 981 « Algérie : les grands cimeterres sous la lune », entretien conduit par Amir Taheri auprès d'un officier algérien de haut rang sous couvert d'anonymat, Politique internationale, printemps 1998.

* 982 cité in El Watan du 15 novembre 1995.

* 983 Guy Pervillé, « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.

* 984 Extrait d'un recueil de lettres de l'AIS-FIS, intitulé : Mots de vérité à ceux qui se sentent concernés, rédigées par l'instance exécutive du FIS à l'étranger, avril 1995 ; cité par Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.307.

* 985 Benjamin Stora, « L'Algérie d'une guerre à l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.

* 986 Extrait d'un recueil de lettres de l'AIS-FIS, intitulé : Mots de vérité à ceux qui se sentent concernés, rédigées par l'instance exécutive du FIS à l'étranger, avril 1995, p.9 ; cité par Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.140.

* 987 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.318. C'est nous qui soulignons.

* 988 Extrait d'un recueil de lettres de l'AIS-FIS, intitulé : Mots de vérité à ceux qui se sentent concernés, rédigées par l'instance exécutive du FIS à l'étranger, avril 1995 ; cité par Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.332.

* 989 Si Othmane, L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions, 1996.

* 990 Si Othmane, L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions, 1996, p.24-25.

* 991 Service de formation de la jeunesse algérienne, structure encadrante mise en place par l'armée en Algérie à partir du 1er décembre 1958, et visant, selon le général de Segonzac (qui la dirigea), à « donner une éducation à la fraction de la jeunesse musulmane qui lui [était] confiée, en vue de lui permettre de devenir maîtresse de son destin dans un cadre français » (cité in Maurice Faivre, « L'action de l'armée en faveur des jeunes et des femmes en Algérie », Le Casoar, n°167 ; article consultable à cette adresse : http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=106&SID=281eb98ebadf5de25cd2db692c7bb8c9)

* 992 Si Othmane, L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions, 1996, p.26.

* 993 Ibid, p.28. Plus loin, encore : « Ce livre tente aussi de répondre à une question que tous les Algériens se posent : qu'est-ce que Hizb França (le parti de la France) ?Comment s'est-il formé ? Quel est le nombre de ses adhérents ? (...) Le Hizb França est devenu comme un fantôme dont tous les Algériens ressentent les méfaits, mais dont personne n'a pu saisir la réalité » (Ibid, p.30-31).

* 994 Benyoucef Ben Khedda, L'Algérie à l'indépendance : la crise de 1962, Alger, Dahlab, 1997, p.48-49 ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, p.279.

* 995 Benyoucef Ben Khedda, L'Algérie à l'indépendance : la crise de 1962, Alger, Dahlab, 1997 ; cité in Benjamin Stora, « L'Algérie d'une guerre à l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes de la DESCO, université d'été, Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.

* 996 Communiqué du mardi 11 janvier 2000 : http://www.anp.org.

* 997 « Le serment » du M.A.O.L. ; ce texte, ainsi que ceux dont sont extraits les citations à suivre, est consultable dans son intégralité sur le site Internet du M.A.O.L. : http://www.anp.org.

* 998 « Le nouvel appel du 1er novembre » : http://www.anp.org.

* 999 « Au peuple algérien : ici commence la vérité » : http://www.anp.org.

* 1000 « L'Armée Nationale Populaire : Vérités » : http://www.anp.org.

* 1001 « Au peuple algérien : ici commence la vérité » : http://www.anp.org.

* 1002 Habib Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne, Paris, La Découverte, 2001, p.325.

* 1003 Ibid, p.326.

* 1004 Jaquette de présentation du journal consultable en ligne à cette adresse : http://www.horizons-dz.com/Services/qui%20somme%20nous.htm.

* 1005 Dépêche APS du 25 février 2002.

* 1006 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.280.

* 1007 Comme cela a pu être le cas en février 1989, suite à l'adoption d'une Constitution rompant - au moins formellement - avec le système de parti unique.

* 1008 Nous l'avons vu, c'est au nom de ces antiennes du « parti de la France » et de « la main de l'étranger » que le colonel Amar Benaouda, l'un des 22 chefs historiques de la Révolution, justifiera la répression des émeutes d'octobre 1988. Selon Guy Pervillé, le colonel Amar Benaouda « accusa la France d'avoir provoqué les émeutes d'octobre 1988 à Alger pour punir le président Chadli d'avoir ordonné la fermeture aux élèves algériens des lycées de la mission culturelle française, en infiltrant parmi les jeunes manifestants des «éléments traîtres» qui auraient crié « Vive la France » et brûlé des drapeaux algériens » (Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Ageron (C.-R.), dir., La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.325).

* 1009 Propos cités in Le Monde du 14 octobre 1994 et repris in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.279.

* 1010 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ; intervention en écoute sur le site du Monde à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 1011 Propos cités sur www.tamurt-imazighen.com.

* 1012 Ibid.

* 1013 Ibid.

* 1014 Intervention donnée dans le cadre du colloque « La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire », qui s'est tenu les jeudi 14 et vendredi 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu. Les actes du colloque sont parus aux Editions Bouchene ; cf. Lucette Valensi et Annie Dayan, La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire, Saint-Denis, Editions Bouchene, 2004.

* 1015 Propos rapportés par El Watan du 20 mars 2000 et repris sur www.pourinfo.ouvaton.org/actualites/nezzar/nezzarkafiwatan.htm.

* 1016 Ahmed Rouadjia, « L'Etat algérien et le problème du droit », Politique étrangère, IFRI, été 1995, p.355.

* 1017 Intervention des colonels Amar Benaouda, Salah Boubnider et Lamine Khane, rapportée in Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Ageron (C.-R.), dir., La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.324-325.

* 1018 AFP, 7 avril 2004.

* 1019 A. Djabali, « Election à la chambre de commerce - Une candidature controversée », El Watan, édition du 9 janvier 2006. C'est nous qui soulignons.

* 1020 Luis Martinez, op.cit., p.330.

* 1021 Guy Pervillé, « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.

* 1022 Constitution de 1996 (modifiant la Constitution de 1989) ; texte consultable en intégralité à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1996.htm.

* 1023 Propos rapportés dans Le Monde du 2 décembre 2000.

* 1024 « Lettre ouverte à des ministres français hôtes de l'Algérie », en date du 13 juillet 2004.

* 1025 Et ce d'autant plus, nous l'avons vu, que la figure du "harki" a valeur de contre-étalon symbolique à la fois pour les tenants du système et pour ceux qui aspirent à les renverser.

* 1026 Valérie-Barbara Rosoux, « Les usages de la mémoire dans les relations internationales », communication donnée dans le cadre de la journée thématique « Stratégies de la mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de Grenoble.

* 1027 Jean Leca, « Récits et contre-récits de représentations politiques, sociales et religieuses au Moyen-Orient », intervention faite le 18 mars 2002 dans le cadre d'un colloque organisé par la Fondation pour la Recherche Stratégique ; le texte de l'intervention est consultable à cette adresse : http://64.233.183.104/search?q=cache:DVRc-xwiVG4J:www.frstrategie.org/barreFRS/publications_colloques/colloques/20020318/20020318.doc+%22h%C3%A9g%C3%A9monie+fantomatique+fran%C3%A7aise%22&hl=fr&gl=fr&ct=clnk&cd=1&ie=UTF-8.

* 1028 Résultats publiés dans Le Monde du 30 octobre 2004 et rapportés par Guy Pervillé in « La «première» et la «deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et différences », communication présentée à la journée d'étude sur « France-Algérie : mémoire et oublis », organisée à l'Institut für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.

* 1029 Nacéra Aggoun, « L'opinion publique algérienne du Chélif algérois à la veille de l'insurrection de 1954 par les sources orales, ou la version des colonisés », in Régine Goutalier (dir.), Mémoires de la décolonisation. Relations colonisateurs-colonisés, l'Harmattan, 1995.

* 1030 Guy Pervillé, « Le nationalisme algérien en question » in Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.292-296.

* 1031 Ali Zamoum, Le pays des hommes libres, Tamurt Imazighen. Mémoires d'un combattant algérien, 1940-1962, Grenoble, La pensée sauvage, 1998, p.301-302 ; propos rapportés par Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.294.

* 1032 Témoignage cité in Hacène Belmessous, Algérie, généalogie d'une fatalité. Des réfugiés se racontent, Editions Paris-Méditerranée, 1998, p.85.

* 1033 « L'Algérie de Bouteflika », 2ème article, Le Monde du 15 septembre 1999.

* 1034 « L'Algérie de Bouteflika », 3ème article, Le Monde du 16 septembre 1999.

* 1035 « L'héritage français s'effiloche en Algérie », Le Figaro du 13 juin 2006.

* 1036 Lahouari Addi, « Réflexion politique sur la tragédie algérienne », Confluences Méditerranée, n°20, hiver 1996-1997, p.47.

* 1037 Arezki Ait-Larbi, Le Figaro du 29 juin 2006.

* 1038 Boualem Sansal, Le serment des barbares, Paris, Gallimard, 1999.

* 1039 Boualem Sansal, Poste restante : Alger, Paris, Gallimard, 2006.

* 1040 cf. « La mémoire et l'histoire », table ronde animée par Henry Rousso, directeur de l'institut d'histoire du temps présent (CNRS), dans le cadre de l'université d'été « Apprendre et enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain », organisée le 24 avril 2002 par le Ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ; actes consultables à cette adresse : http://eduscol.education.fr/D0033/algerie_actetbronde.pdf.

* 1041 Guy Pervillé, op.cit., p.270.

* 1042 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.207.

* 1043 Marc Ferro cité in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.232.

* 1044 Guy Pervillé, op.cit., p.273.

* 1045 L'expression « opérations de maintien de l'ordre » n'a été officiellement remplacée par le terme « guerre » qu'à la faveur de la loi du 18 octobre 1999, plus de trente-sept ans après la fin de la guerre d'Algérie, et quarante cinq ans après son entame.

* 1046 Ce n'est que le 18 septembre 2003 qu'a été instituée, par décret, une « Journée nationale d'hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie ». Cette Journée nationale d'hommage a finalement été fixée au 5 décembre de chaque année, à la suite d'une longue polémique autour de la date du 19 mars, initialement pressentie sous le gouvernement Jospin (voir la Partie 4). La date du 5 décembre correspond à celle de l'inauguration par Jacques Chirac en 2002 du Mémorial national, Quai Branly, à Paris, à la mémoire des soldats français (dont les supplétifs musulmans) tués en Algérie, au Maroc et en Tunisie de 1952 à 1962. Ce choix d'une date neutre est un choix délibéré, qui participe d'un souci d'apaisement.

* 1047 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.270 et 273.

* 1048 « La plupart des historiens universitaires ont longtemps considéré cette guerre comme relevant de «l'histoire immédiate», c'est-à-dire du journalisme », souligne Guy Pervillé (op.cit., p.272).

* 1049 Alain Coulon, Connaissance de la guerre d'Algérie, Ligue de l'enseignement et Institut du monde arabe, 1993.

* 1050 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.273.

* 1051 Cité in A.-M. Duranton-Crabol, Le temps de l'OAS, Bruxelles, Editions Complexe, 1995, p.255.

* 1052 Guy Pervillé, op.cit., p.273.

* 1053 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ; intervention en écoute sur le site du Monde à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 1054 Guy Pervillé, op.cit., p.271.

* 1055 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.269.

* 1056 Michel Hagnerelle, inspecteur général de l'Éducation nationale et Michel Lambin, professeur de classes préparatoires aux grandes écoles au lycée Watteau de Valenciennes, Apprendre et enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, Atelier n°4 : « Les manuels scolaires », Actes de l'université d'été de la Direction de l'Enseignement scolaire, Ministère de l'Education nationale, Octobre 2001.

* 1057 Maurice T. Maschino, « L'histoire expurgée de la guerre d'Algérie », Le Monde Diplomatique, 8 février 2001, p.8.

* 1058 Ibid, p.8-9.

* 1059 Voir aussi l'analyse faite par Guy Pervillé des manuels de terminale dans le cadre de l'atelier sur l'enseignement de la guerre d'Algérie des Agoras méditerranéennes de l'Association des professeurs d'histoire et géographie (APHG), publiée dans Historiens et géographes, n°308, mars 1986, p.893-897.

* 1060 « Je n'avais pas quatorze ans quand le référendum du 8 avril 1962 a ratifié massivement les accords d'Evian, et je n'ai même pas eu le temps de songer que si la guerre avait continué, j'aurais pu moi aussi être envoyé risquer ma vie en Algérie. Le fait que je n'ai pas eu à souffrir personnellement ni familialement de la guerre d'Algérie ni de son issue m'a permis de la considérer immédiatement comme une énigme historique, beaucoup plus que comme un problème politique ou éthique, et c'est plus tard que j'ai peu à peu pris conscience de ces enjeux » ; « Mes réponses aux questions de Guy Hennebelle », n° 62 de la revue Panoramiques, 1er trimestre 2003, p.150-158 ; cf. http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=19.

* 1061 Déjà, 2 mois auparavant, dans l'édition du journal Libération du 5 décembre 2000, le journaliste Emmanuel Davidenkoff soulignait que « tous [les manuels d'histoire] font état de la pratique de la torture, en adjoignant parfois des documents chocs » (p.23).

* 1062 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.197-200.

* 1063 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.198.

* 1064 Dominique Borne, inspecteur général de l'Éducation nationale, Apprendre et enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, Atelier n°4 : « Les manuels scolaires », Actes de l'université d'été de la Direction de l'Enseignement scolaire, Ministère de l'Education nationale, Octobre 2001.

* 1065 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.49.

* 1066 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,, p.270.

* 1067 Paul Thibaud, art.cit., p.49.

* 1068 Guy Pervillé, op.cit., p.270.

* 1069 La « caution » informelle donnée par les pouvoirs publics à l'emploi de la torture a été dénoncée en son temps par Pierre Vidal-Naquet, dans un ouvrage qui sera interdit de parution pendant dix ans : La torture dans la République (1954-1962), Paris, Maspero, 1972. Les travaux récents de Raphaëlle Branche - Pierre Vidal-Naquet était membre de son jury de thèse - sont venus compléter cette perspective en l'enrichissant de nouveaux documents consultés à la faveur de l'ouverture des archives ; cf. l'ouvrage extrait de sa thèse : La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard, 2001. Elle y expose la « réalité protéiforme » quoique « non systématique » de l'emploi de la torture pendant la guerre d'Algérie, et le « contexte incitatif », voire la « duplicité » des gouvernements de la IVème République à cet égard.

* 1070 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p. 199.

* 1071 Guy Pervillé, op.cit., p.270.

* 1072 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ; intervention en écoute sur le site du Monde à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 1073 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.305.

* 1074 Cf. Jérôme Hélie, Les accords d'Evian : histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992.

* 1075 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ; intervention en écoute sur le site du Monde à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 1076 Daniel Rivet, « Le fait colonial et nous : histoire d'un éloignement », Vingtième siècle, revue d'histoire, n°33, janvier-mars 1992, p.127-138 ; repris in Guy Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et ses enjeux politiques en France », Communication au colloque « Les usages politiques de l'histoire dans la France contemporaine, des années 1970 à nos jours » organisé par le Centre d'histoire sociale du XXème siècle, p.2 ; cf. texte consultable à cette adresse : http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Collo/perville.pdf.

* 1077 Guy Pervillé, op.cit., p.273.

* 1078 Nous reviendrons plus avant dans la Partie 4 sur les enjeux et limites des politiques de reconnaissance.

* 1079 Voir l'introduction et la Partie 4 pour les suites judiciaires données à ces propos.

* 1080 Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.57-58.

* 1081 Edition électronique des Dernières Nouvelles d'Alsace en date du 2 juin 1997.

* 1082 Edition électronique de L'Humanité en date du 30 novembre 1998.

* 1083 Propos rapportés par Le Monde du 10 mars 2006.

* 1084 http://www.renouveaufrancais.com/.

* 1085 Reuters, 19 mars 2001.

* 1086 Message en date du 2 mars 2006, consultable à cette adresse : http://www.astrophilo.com/ar003.php.

* 1087 Parlement de la communauté française, session 2005-2006, 8 mai 2006 : Eléments constitutifs du contrat de gestion 2006-2011 de la RTBF, rapport présenté au nom de la commission de la Culture, de la Jeunesse, de l'Audiovisuel, de l'Aide à la presse et du Cinéma par mesdames Isabelle Emmery et Caroline Cassart-Mailleux, messieurs Jean-Paul Procureur et Josy Dubie, p.20.

* 1088 Ibid, p.21.

* 1089 « Les soldats suisses veulent-ils devenir les harkis de l`OTAN ? », article publié dans Le Courrier et consultable à cette adresse : http://www.lecourrier.ch/.

* 1090 Patrick Jarreau, « Un clivage dans l'inconscient des politiques », Le Monde, 18 mars 1992, p.17.

* 1091 Ibidem.

* 1092 Ibidem.

* 1093 Cf. Stéphanie Abrial, Les identités politiques des enfants de harkis. Implications citoyennes et niveau d'intégration sociale de jeunes franco-maghrébins, entre héritage culturel et modernité, thèse de doctorat soutenue en 1999 à l'IEP de Grenoble. Voir aussi Stéphanie Abrial, « Visions, perceptions et expériences de la citoyenneté par les fils et les filles de harkis : des jeunes à l'épreuve de leur identité », actes du colloque « Identité collective et représentation symbolique », Paris, F.N.S.P., 3-6 juillet 1996 ; et Stéphanie Abrial, Les enfants de harkis. De la révolte à l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002.

* 1094 Affiche reproduite in Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.239.

* 1095 Dans deux lettres ouvertes rédigées à l'automne 2000 depuis le camp de harkis de Fuveau et adressées, pour l'une, à Lionel Jospin et, pour l'autre, à Jacques Chirac, Alain Madelin avait exhorté les représentants de l'Exécutif à pratiquer, au nom de la Vème République, le « devoir de mémoire » envers les harkis. Il se félicitera de l'instauration par le président de la République d'une Journée d'hommage national aux harkis, et assistera à la 1ère cérémonie.

* 1096 Cf. http://www.alainmadelin.com/biographie/.

* 1097 Entretien, 1999, Mairie d'Issy-les-Moulineaux.

* 1098 Le PCF, qui avait cautionné par le vote de ses parlementaires l'envoi - décidé par le président du Conseil Guy Mollet - du contingent en Algérie en 1956, et qui avait dû faire face à l'entrée en dissidence du Parti communiste algérien (PCA), puis à l'absorption/destruction de ce dernier par le FLN, doit, lui aussi, rétrospectivement assumer des réalités politiques factuelles peu en rapport avec la geste anticolonialiste alors affichée par le Parti.

* 1099 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.300.

* 1100 Bernard Ravenel, « La gauche française au miroir de l'Algérie », Mouvements, Novembre-décembre 1998.

* 1101 Lionel Jospin, L'invention du possible, Paris, Flammarion, 1991, p.222.

* 1102 Voir le chapitre IV de la Partie 1.

* 1103 Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.58.

* 1104 Ibidem.

* 1105 Philippe Bouba, L'arrivée et l'adaptation des pieds-noirs en Roussillon, entre rancoeur et espoir (1962-1970) ; cf. http://philippebouba.natationinfo.com/index.php?go=grand1.

* 1106 Paragraphe cité in Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.64-65.

* 1107 « Moi, Lucien Rafa, fils de harki... », article paru dans l'édition du 11 décembre 2000 du journal L'Humanité. C'est nous qui soulignons.

* 1108 Brahim Sadouni, Destin de harki. Le témoignage d'un jeune Berbère enrôlé dans l'armée française à 17 ans, Paris, Cosmopole, 2001, p.148-150.

* 1109 Charles Silvestre, « Guerre d'Algérie. Un sale livre sur une sale guerre », L'Humanité, édition du 8 novembre 2003.

* 1110 Jacques Cros, « Colonialisme, point de vue sur les derniers développements », 21 février 2006 ; cf. http://www.initiative-communiste.fr/wordpress/?p=492.

* 1111 Cf. Cécile Mercier, Les Pieds-Noirs et l'exode de 1962, Paris, L'Harmattan, 2003.

* 1112 Cf. Gilles Manceron et Hassan Remaoun, La guerre d'Algérie, de la mémoire à l'histoire, Paris, Syros, 1993 ; http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=804.

* 1113 Stéphanie Abrial, Les enfants de harkis. De la révolte à l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002, p.51.

* 1114 Ce texte est consultable à cette adresse : http://www.harkisetverite.info/actualite/actualite2002.html.

* 1115 Kléber Mesquida, député socialiste de l'Hérault, est de ceux-là. Lui-même originaire d'Algérie, il avait évoqué en séance, le 11 juin 2004, le souvenir de ses grands-parents, agressés et torturés dans leur ferme algérienne par le FLN ; cf. Claude Askolovitch, « Colonisation : d'une vérité l'autre », Le Nouvel Observateur Hebdo, N° 2144, décembre 2005, p.8.

* 1116 Christophe Bourseiller, « Un «Chinois» nommé Frêche », L'Express du 4 juillet 2005 ; article consultable en ligne à cette adresse : http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=433866.

* 1117 François Martin-Ruiz, « Quand M. Frêche entonne un chant colonial », Le Monde du 2 décembre 2005.

* 1118 Dès 1973, à l'occasion de sa première élection à l'Assemblée nationale, Georges Frêche approche le Front national [fondé le 5 octobre 1972] entre les deux tours pour s'assurer des voix de ses électeurs. Pour sa part, Georges Frêche présente les choses un peu différemment, assurant qu' « en 1973 le Front national n'existait pas encore », et qu' « [il avait] rencontré une association de pieds-noirs anti-gaullistes qui ont appelé à voter pour moi. Des voix que j'ai acceptées, sans états d'âme » (L'Express du 29 novembre 2004 ; cf. : http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=430664). En 1994, apprenant qu'Henri Alleg a participé à un débat avec la CGT dans un local prêté par la mairie de Montpellier, Georges Frêche déclare en Conseil municipal : « Si j'avais su à l'avance qu'Henri Alleg y participait, je n'aurais pas donné de salle. (...) La présence de ce cadre français du FLN - le mouvement des égorgeurs de harkis et de pieds-noirs - constituait à Montpellier une véritable provocation ». Il ira plus loin encore en évoquant un acte de « trahison » qui « a valu à d'autres douze balles dans la peau » (L'Humanité du 7 décembre 1994 ; cf. http://www.humanite.fr/journal/1994-12-07/1994-12-07-713619). Enfin, justifiant à sa manière la décision du Conseil régional du Languedoc-Roussillon d'apporter un soutien massif à la création d'un Musée de la Présence Française en Algérie (1830-1962), il déclare : « On ne va pas faire un musée de l'histoire de l'Algérie, car c'est à Alger de le faire. On va rendre hommage à ce que les Français ont fait là-bas », ajoutant : « Ces imbéciles d'anticolonisateurs, ces professeurs d'histoire ne savent pas de quoi ils parlent. (...) Rien à foutre des commentaires d'universitaires trous du cul. On les sifflera quand on les sollicitera. (...) S'il le faut, on créera un comité scientifique avec un seul membre, Georges Frêche ! » (Le Midi libre du 16 novembre 2005 et Libération du 17 novembre).

* 1119 L'Express du 29 novembre 2004 : http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=430664.

* 1120 Journal télévisé de 20 heures, TF1.

* 1121 Pierre Daum, Libération, mardi 14 février 2006.

* 1122 Propos recueillis par François Sionneau le 13 février 2005. C'est nous qui soulignons.

* 1123 Par suite, une information judiciaire sera ouverte le 2 mars, puis une mise en examen prononcée le 21 mars après que la justice eût été saisie par diverses associations de harkis et que le garde des Sceaux, Pascal Clément, eût été saisi par Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens combattants, en application en application des dispositions de l'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui stipulent que « sont interdites toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilées ».

* 1124 Conférence débat organisée à Clermont-Ferrand en présence de Louis Giscard d'Estaing, député-maire de Chamalières, et de nombreux enfants de harkis membres de l'Association Justice Information Réparation (AJIR).

* 1125 Extrait du programme du Front national pour la Présidentielle 2007 ; cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf.

* 1126 Jean-Marie Le Pen, 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge, 26 septembre 1997 ; cf. http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=1.

* 1127 Programme du Front national. C'est nous qui soulignons ; cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf. C'est nous qui soulignons.

* 1128 Cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf+.

* 1129 Cf. http://www.frontnational.com/argumentaires/derive_droit_nationalite.php.

* 1130 Cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf.

* 1131 Communiqué de presse du 30 janvier 2006 intitulé : « Français par le sang versé ». C'est nous qui soulignons ; texte consultable à cette adresse : http://fnroubaix.hautetfort.com/archive/2006/01/30/francais-par-le-sang-verse.html.

* 1132 AFP, 2 septembre 1999.

* 1133 Sid Ahmed Yahiaoui a depuis démissionné du FN et siège comme non-inscrit au sein du Conseil régional PACA.

* 1134 Document publié sur un site non-officiel du Front national : http://www.veritesurlefn.org/modules/xfsection/article.php?articleid=134.

* 1135 Discours prononcé à La Trinité-sur-Mer le 18 août 2001 et consultable à cette adresse : http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=21. C'est nous qui soulignons.

* 1136 Laurent Beccaria, « Soldats perdus », in Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au XXème siècle, Paris, Larousse, 2004, p.566-567.

* 1137 Cité in Laurent Beccaria, Hélie de Saint-Marc, Paris, Librairie Académique Perrin, 1988, p.193.

* 1138 Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris, Perrin, 1995.

* 1139 Déposition d'Hélie Denoix de Saint Marc, le 5 juin 1961, devant le Haut tribunal militaire ; extraits cités dans Lieutenant-colonel Pierre Brière, « Fors l'honneur », Armées d'aujourd'hui, n°271, juin 2002, p.52-53.

* 1140 Déclaration reprise in Maurice Challe, Notre révolte, Paris, Presses de la Cité, 1968, p.83-84. C'est l'auteur qui souligne.

* 1141 Déclaration du général Salan à son procès (du 15 au 23 mai 1962) ; texte intégral sur http://www.salan.asso.fr/declaration.htm; voir aussi Le procès de Raoul Salan, Compte-rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1962.

* 1142 Lettre reproduite en annexe in Edmond Jouhaud, Serons-nous enfin compris ?, Paris, Albin Michel, 1984, p.289-290.

* 1143 Cité in Jean Ferrandi, 600 jours avec Salan et l'OAS, Paris, Fayard, 1969, p.179.

* 1144 Par la suite, Jean-Yves Alquier s'efforcera - à l'image d'un Maurice Challe - de mettre en place un parti visant à organiser politiquement les masses musulmanes non inféodées au FLN, puis s'élèvera contre la politique de « dégagement » voulue par le général de Gaulle : soupçonné d'activisme, il subira six mois de détention avant de bénéficier d'un non-lieu.

* 1145 Jean-Yves Alquier, Nous avons pacifié Tazalt. Journal de marche d'un officier parachutiste, Paris, Robert Laffont, 1957, p.270 et 271. « J'ai connu un capitaine des Bérets Rouges, ajoute Jean-Yves Alquier, qui était obsédé par la pensée qu'il avait perdu son honneur en Indochine, en décidant des centaines de jeunes catholiques vietnamiens à rejoindre ses supplétifs à force de leur répéter - parce qu'il y croyait - : «On ne vous laissera jamais tomber». Et à notre départ, les Viets les ont fusillés pour avoir cru en sa parole... » (Ibid, p.203). De même, Hélie de Saint Marc invoquera-t-il le traumatisme hérité de son expérience indochinoise pour expliquer son entrée en dissidence : « Mon passé vietnamien a eu sa part dans mon choix. Dans les heures essentielles, l'esprit ressuscite de lui-même des images décalées. Pendant que le général Challe me parlait, je revoyais un poste de bambou en Haute-Région, le jour de 1948 où j'avais accepté de former des partisans à Talung. J'ai senti de nouveau le souffle de la honte. Je ne pouvais pas refuser d'entrer dans la révolte » (Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris, Perrin, 1995, p.265).

* 1146 Edmond Jouhaud, Serons-nous enfin compris ?, Paris, Albin Michel, 1984, p.120.

* 1147 Pierre Sergent, Ma peau au bout de mes idées, Paris, La Table Ronde, 1968 ; cité in Edmond Jouhaud, op.cit., p.121.

* 1148 Voir notamment Laurent Beccaria, Hélie de Saint-Marc, Paris, Librairie Académique Perrin, 1988 ; Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris, Perrin, 1995 ; Hélie de Saint Marc, Les sentinelles du soir, Paris, Les Arènes, 1999 ; Hélie de Saint Marc, Toute une vie, Paris, Les Arènes, 2004.

* 1149 Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris, Perrin, 1995.

* 1150 Ibid.

* 1151 Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris, Perrin, 1995, p.263.

* 1152 Thibaud (Paul), « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.58.

* 1153 Hélie Denoix de Saint-Marc et Paul Thibaud ont il est vrai l'un et l'autre, au sein de leurs "milieux" respectifs, bien davantage le profil du "franc-tireur" que celui du "chien de garde".

* 1154 Laurent Beccaria, « Soldats perdus », in Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au XXème siècle, Paris, Larousse, 2004, p.567.

* 1155 « Tout commence, écrit Laurent Beccaria, avec le désastre de 1940 et le traumatisme infligé à des adolescents qui voient s'écrouler en quelques jours la France établie et officielle, les préfets et les autorités, affolés au coeur de la débâcle. Des milliers d'adolescents font ainsi leur entrée dans la vie au milieu d'un écroulement total » (p.566). Ce n'est qu'un début : « Qu'on songe à l'enchaînement des faits : Cao Bang, Diên Biên Phu, les camps Viêt-minh, Suez, la bataille d'Alger, le retournement gaulliste. Comme il existe des individus marqués par la fatalité, certains groupes d'hommes peuvent aussi être poursuivis par un destin contraire, une sorte de malchance » (Laurent Beccaria, « Soldats perdus », in Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au XXème siècle, Paris, Larousse, 2004, p.567).

* 1156 « La bataille de l'écrit », La Nef, « Numéro spécial : Histoire de la Guerre d'Algérie, suivie d'une histoire de l'O.A.S. », Paris, Julliard, n°12-13, octobre 1962-janvier 1963, p. ... ?. Michel Crouzet, alors enseignant communiste, co-fondateur du Comité Maurice Audin, signataire du Manifeste des 121, est rétrospectivement décrit par Pierre Vidal-Naquet comme « un stalinien de vieille roche qui commençait à se déstaliniser » (Interview de Pierre Vidal-Naquet, « La vérité de l'indicatif », Vacarme, par Isabelle Saint-Saëns et Philippe Mangeot, septembre 2001 ; cf. http://www.vacarme.eu.org/article205.html).

* 1157 Pierre Vidal-Naquet, signataire du « Manifeste des 121 », fut l'un des pétitionnaires les plus prolifiques de la période, jusque et y compris la guerre du Viêt-Nam : il signera 39 pétitions sur les 488 publiées par Le Monde entre 1958 et 1969 (Jean-François Sirinelli, « Le manifeste, une passion française », propos recueillis par Annette Lévy-Willard et Antoine de Gaudemar, Libération du 12 janvier 1998). Adversaire résolu de Guy Mollet, il plaidait pour une redistribution des cartes à gauche (« J'ai bu du champagne le soir de la mort de Franco et le soir de la mort de Guy Mollet » - L'Evénement du jeudi du 4 au 10 septembre 1986, p.88). Son engagement a donc été autre chose et davantage qu'une pure protestation morale de type dreyfusard. Nous y reviendrons.

* 1158 Pierre Vidal-Naquet, « Une fidélité têtue : la résistance française à la guerre d'Algérie », in XXème siècle, revue d'histoire, n°10, 1986, repris dans Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.58-63. 

* 1159 « Les dreyfusards, écrira Pierre Vidal-Naquet, sont les héritiers (ou les imitateurs) du grand mouvement qui rassembla des intellectuels et quelques politiques autour d'un officier juif accusé de trahison, condamné et innocent. Ce fut un mouvement laïque et pourtant il avait une dimension religieuse. (...) Dans le dreyfusisme de la guerre d'Algérie, la dimension française et même patriotique était fondamentale. Que le pays de Droits de l'homme puisse laisser ses gouvernements tolérer puis ordonner, voire organiser la torture était proprement insupportable » (cf. Pierre Vidal-Naquet, « Une fidélité têtue : la résistance française à la guerre d'Algérie », in XXème siècle, revue d'histoire, n°10, 1986, repris dans Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.58-63). Cependant, Pierre Vidal-Naquet, dont les motivations étaient à la fois plus complexes et plus larges qu'une simple protestation morale de type dreyfusard, reconnaîtra lui-même que cette référence à l'affaire Dreyfus était équivoque. En effet, « Dreyfus était un innocent, étranger à sa propre affaire » ; mais ce n'était pas le cas de l'ensemble des victimes de la répression qu'Audin était censé représenter. « Parmi les victimes de la torture, procédé criminel selon la loi française, il y avait certes un nombre considérable d'innocents, il y avait aussi des combattants membres du FLN, du PCA, du MNA, et même des criminels de guerre, victimes à leur tour d'autres criminels de guerre, infiniment mieux armés et plus puissants, il est vrai. Tous ceux qui ont été présentés alors comme des «innocents» ne l'étaient pas au sens légal du mot », nuançait-il, tout en réaffirmant que leur cause était juste et méritait d'être défendue : mais était-ce encore du dreyfusisme ? (Cf. Pierre Vidal-Naquet, L'affaire Audin (1957-1978), Paris, Editions de Minuit, 1989. p.30-32 ; voir aussi Guy Pervillé, « La projection de la mémoire de l'Affaire Dreyfus sur la guerre d'Algérie », MIHREC (Mémoires, Identités, Représentations, Histoire comparative de l'Europe), n°5, 2001, p.43-46).

* 1160 Ibid.

* 1161 Ibid.

* 1162 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.139.

* 1163 En 1986, dans l'article même où il propose ces trois catégories : « Je viens de proposer trois types idéaux. Je suis pourtant conscient autant que quiconque de ce que ce classement a d'artificiel. (...) Entre les trois modèles que j'ai tenté de dégager et de décrire, il y eut donc toutes les interférences possibles et imaginables. Cela ne les empêche pas, je crois, d'être significatifs » (« Une fidélité têtue. La résistance française à la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, vol. n°10, 1986, p.11 et 13). Puis, quelques années plus tard, dans une interview accordée à Claude Lecomte : « Il est un vrai que chacun a en réalité un peu des trois. Je l'ai d'ailleurs écrit en précisant qu'en chacun de nous les proportions variaient selon les tempéraments et selon les moments. Moi, je suis fondamentalement un dreyfusard mais les deux autres catégories également apparaissent » (« Les valeurs dreyfusardes qui m'imprègnent », interview par Claude Lecomte in Regards n°42, janvier 1999).

* 1164 Jean-François Sirinelli rappelle que Jacques Soustelle avait qualifié France-Observateur, L'Express, Le Monde et Témoignage Chrétien de « quatre grands de la contre-propagande française » (« Les intellectuels français en guerre d'Algérie », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.23).

* 1165 Stigmatisant la « timidité doctrinale » de certains « groupements politiques et journaux d'opinion », les signataires du manifeste disaient respecter et juger justifiée « la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français », ajoutant que « la cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres ».

* 1166 Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.202.

* 1167 Bernard Droz, entrée « Algérie » in Jacques Julliard, Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français. Les personnes, les lieux, les moments, Paris, Seuil, 2002, p.56.

* 1168 Extrait cité in Tramor Quemeneur, Insoumission, tortures et indépendance algérienne. Des débats entre morale et politique (1954-1962), communication au VIème Congrès de l'Association française de science politique, Rennes, 30 septembre 1999, p.19.

* 1169 Voir notamment Hervé Bourges, L'Algérie à l'épreuve du pouvoir, Paris, Grasset, 1967, et De mémoire d'éléphant, Paris, Grasset, 2000.

* 1170 Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.208

* 1171 Dans Les Lettres Nouvelles de février 1961 ; cf. Claude Liauzu, « Intellectuels du Tiers-Monde et intellectuels français », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.161.

* 1172 Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.201.

* 1173 Michel Winock, La République se meurt : chronique 1956-1958, Paris, Seuil, 1978, p.169. Alain Monchablon rapporte que fin septembre 1960, une note interne à la mino porte : « Nous n'avons nul droit de condamner ceux qui ont choisi de résoudre l'équation : guerre d'Algérie = guerre d'extermination, France = fascisme », tout en refusant pour l'UNEF les solutions illégales. Alain Monchablon précise cependant qu'un membre du Bureau de l'UNEF se portera insoumis, tandis qu'un président d'AGE et plusieurs responsables seront arrêtés pour aide au FLN (Alain Monchablon, « Syndicalisme étudiant et génération algérienne », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.188).

* 1174 Michel Winock, La République se meurt : chronique 1956-1958, Paris, Seuil, 1978, p.170.

* 1175 Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.201.

* 1176 Bernard Ravenel, « La gauche française au miroir de l'Algérie », Mouvements, Novembre-décembre 1998.

* 1177 Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.196.

* 1178 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.53.

* 1179 Frantz Fanon (1961), Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1982.

* 1180 Ce livre devient immédiatement un livre culte, diffusé à des dizaines de milliers d'exemplaires en français comme en anglais. Claude Liauzu indique les chiffres suivants : 1961, 1er tirage : 3.300 exemplaires ; « Cahiers libres » 1961-1968, 35.000 exemplaires ; « Petite Collection Maspero » : 115.000 exemplaires ; Total 1987 : 160.000 exemplaires (Claude Liauzu, « Intellectuels du Tiers-monde et intellectuels français », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.173).

* 1181 Raoul Girardet (La Table Ronde, 1972), L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1986, p.313. Pour sa part, Benjamin Stora parle d' « un véritable transfert de combativité et d'affectivité révolutionnaire : la lutte armée du FLN est compensatrice de l'absence de perspectives révolutionnaires en France » (La gangrène et l'oubli, Paris, La Découverte, 1992, p.51).

* 1182 Ibid, p.314.

* 1183 « Un franc-tireur minuscule », entretien avec Robert Bonnaud par la revue Vacarme, n°14, hiver 2001, par Jean-François Perrier, Jeanne Revel et Isabelle Saint-Saëns ; cf. http://www.vacarme.eu.org/article79.htm.

* 1184 Propos recueillis par Eric Conan et Christian Makarian, in Eric Conan, « La fin des intellectuels français », L'Express du 30 novembre 2000, p.116.

* 1185 Le bulletin Vérités pour, diffusé par le réseau Jeanson, a pour sous-titre : « Centrale d'information sur le fascisme et l'Algérie » (Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.44). Le mouvement Jeune Résistance se réclame lui aussi de la « solidarité révolutionnaire franco-algérienne » (« Quel antifascisme ? », Jeune Résistance. Pour la solidarité révolutionnaire franco-algérienne, n°7-8, sans lieu, janvier 1962, p.1), et avance que « s'il est en France des internationalistes conséquents, ce sont ceux-là mêmes qui luttent aux côtés de leurs frères algériens contre l'impérialisme français, sa police et son armée » (Extrait cité in Tramor Quemeneur, Insoumission, tortures et indépendance algérienne. Des débats entre morale et politique (1954-1962), communication au VIème Congrès de l'Association française de science politique, Rennes, 30 septembre 1999, p.19).

* 1186 Paul Thibaud, « L'événement qui nous tourmentait », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.381 et 383.

* 1187 Robert Bonnaud : « Il y a eu un révolutionnarisme, un tiers-mondisme illusoire généralisé qui voyait dans tout leader du tiers-monde le type qui allait assurer l'avenir de ce pays ». Et d'ajouter : « Peut-être que les dégâts faits par la colonisation, et l'horreur du fait colonial, qui était relativement ressentie par les intellectuels, où il y a eu tous les travaux sur le tiers-monde, peut-être que ces idées-là aujourd'hui sont en perte de vitesse à cause de la régression globale, de l'effondrement du communisme, du fait que le marxisme paraît obsolète, de la fin des grands récits, des grandes idéologies... Peut-être que tout cela réhabilite indirectement un certain passé colonial de l'Occident. L'histoire de l'Algérie, et de l'Algérie coloniale, souffre de cette situation, mais il y a d'autres exemples, comme l'Indochine » (« Un franc-tireur minuscule », entretien avec Robert Bonnaud par la revue Vacarme, n°14, hiver 2001, par Jean-François Perrier, Jeanne Revel et Isabelle Saint-Saëns ; cf. http://www.vacarme.eu.org/article79.html).

* 1188 Du reste, le récent - quoique temporaire - regain d'intérêt des médias pour le sujet au début des années 2000 fut d'abord la résultante d'une certaine coïncidence entre la visite d'Etat d'Abdelaziz Bouteflika en juin 2000 (assortie des déclarations que l'on sait ; voir l'introduction et la Partie 4) et de la multiplication des récits à portée autobiographique d'anciens harkis ou d'enfants de harkis (dont une majorité de filles). À l'inverse, rien ou presque n'est redevable de prises de position explicites - et explicitement nouvelles - de la part des intellectuels qui, à un titre ou à un autre (acteur et/ou commentateur), ont associé leur nom la manière dont a été pensé ce conflit. À cet égard, les remous engendrés par la publication d'Un mensonge français, le best-seller de Georges-Marc Benamou, n'ont fait qu'illusoirement exception. De fait, les prises de positions suscitées, plutôt que de nourrir un débat de fond sur les questions soulevées par Benamou (au premier rang desquelles la question des harkis), ont symptomatiquement davantage tourné autour de la manière dont le "milieu intellectuel" considérait cet auteur et sa démarche éditoriale. En outre, ce constat d'une non appétence persistante a été corroboré, à titre personnel, par un échange avec Daniel Timsit, cet ancien artificier du FLN au moment de la « bataille d'Alger » (cf. Pierre Vidal-Naquet, interviewé par le Nouvel Observateur du 21 février 2002 : « En 1956, par l'intermédiaire de Boualem Oussedik, [Daniel Timsit] adhère directement au FLN et fabrique des explosifs qu'il croit destinés au maquis »). Alors qu'il intervenait dans un colloque organisé dans la mairie du 20ème arrondissement de Paris pour évoquer ses souvenirs de militant anticolonialiste (mais il ne dit mot, à cette occasion, de ses activités d'artificier), je l'interrogeais sur son silence - et celui de ses pairs - sur la question du massacre des harkis. Il me répondit qu'il appartenait aux intéressés d'écrire eux-mêmes leur histoire, comme si pour lui cette question était sans objet (Table ronde "histoire et mémoire", « Maghreb des livres », manifestation organisée par l'association « Coup de Soleil » les 16 et 17 octobre 1999 à la mairie du 20ème arrondissement de Paris).

* 1189 Pierre Vidal-Naquet, à l'occasion d'une intervention à la librairie des Presses Universitaires de France, le 15 novembre 2000, boulevard Saint-Michel.

* 1190 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.47.

* 1191 Claude Liauzu soulignait en 1990 que « le «Manifeste des 121» et le procès du réseau Jeanson ont eu une portée considérable à l'époque et dans les mémoires collectives : 4 manuels d'histoire sur 11 font référence au texte des 121, qui est le seul cité des trois manifestes d'intellectuels concurrents sur l'attitude des jeunes envers la guerre » (« Le contingent entre silence et discours ancien combattant », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.510).

* 1192 Dans un contexte au relief tout particulier pour lui, Albert Camus se prévalait d'une « pensée de midi » qui commandait d'intercéder, auprès des parties belligérantes, en faveur des populations civiles de manière à ce qu'en aucun cas les attendus politiques et/ou idéologiques du conflit ne présagent - ou ne présument - d'une atteinte irréversible au caractère pluriel de la sociabilité algérienne : « Personne, ni d'un côté ni de l'autre, ne devrait se refuser à donner au conflit des limites qui l'empêcheront de dégénérer. Je propose donc que les deux parties prennent, simultanément, l'engagement public de ne pas toucher, quelles que soient les circonstances, aux populations civiles. Cet engagement ne modifierait pour le moment aucune situation. Il viserait seulement à enlever au conflit son caractère inexpiable et à préserver, dans l'avenir des vies innocentes » ; cf. Albert Camus, « Appel pour une trêve civile » [1956], Actuelles III, Chroniques algériennes (1939-1958) in Albert Camus, Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.982.

* 1193 Les lectures croisées de Sartre et Camus témoignent de ce que l'intellectuel engagé prend pour fin l'homme tel qu'il doit conduire l'histoire, s'en faire le moteur, pour se réaliser, tandis que le moraliste prend pour fin l'homme tel qu'il doit se conduire dans l'histoire pour rester fidèle à lui-même (cf. Emmanuel Brillet, « De la congruence entre l'intellection et l'intervention : Sartre et Camus en guerre d'Algérie », Cahiers Politiques, CREDEP - Paris IX-Dauphine, n°5, Juin 2000, p.31 à 58).

* 1194 Annie Cohen-Solal, Sartre (1905-1980), Paris, Gallimard, 1985, p.556. « La place politique que Sartre avait acquise dans le contexte de la guerre d'Algérie, avait fait venir à lui des sympathisants du monde entier. En ce début des années 1960, dans les foyers de prise de conscience politique qui se développaient en Afrique, en Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud, en Europe aussi, bien sûr, parmi ces jeunes gens d'extrême gauche qui se mobilisaient pour l'expérience chinoise, l'expérience algérienne, l'expérience cubaine, Sartre était perçu comme un modèle théorique. Il devenait pour un temps le prophète de ce monde nouveau qui semblait se réveiller brutalement, pour se libérer des chaînes de l'Occident impérialiste et colonisateur » (p.552).

* 1195 Marie-Christine Granjon souligne que pour le leader étudiant Marc Kravetz (UNEF), dont elle rapporte les propos, « Sartre a été une «référence essentielle» : ses textes sur la guerre d'Algérie «ont servi de repères, de stimulants, de révélateurs» à une «génération intellectuelle» » (« Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et le conflit algérien », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.134.

* 1196 Michael Walzer (1988), La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.159 et 165.

* 1197 Michael Walzer (1988), La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.156 et 165.

* 1198 Selon Emmanuel Mounier, dans le premier univers sartrien, celui circonscrit par L'Être et le Néant (1943), « le destin collectif de l'humanité est impensable » (Emmanuel Mounier, Malraux, Camus, Sartre, Bernanos. L'espoir des désespérés, Paris, Seuil, 1953, p.134). « À l'antipode de l'être-verbe, en lui-même «lumière de lumière», et pour l'univers entier source d'illumination », l'être sartrien est inintelligible, injustifiable, « sans raison, sans cause, sans nécessité » (Ibid, p.127). Dès lors, « pour un existentialisme rigoureux, il y a une histoire, mais flottante au fil du temps et de la liberté, sans structure, sans finalité. Il s'oppose en ce point aussi bien au christianisme qu'au marxisme. (...) Le monde est à chaque instant de l'histoire entièrement parié par chacun de ses agents. Nous ne pouvons dire s'il ira dans son ensemble vers le meilleur ou vers le pire, vers ceci ou vers cela ; nous ne pouvons (...) parce que pour personne et pour rien, ni pour l'humanité comme tout, qui n'a pas d'être, ni pour une existence transcendante a priori niée, il n'existe à proprement parler d'histoire, hors cette héroïque instabilité de chaque minute prête à se défaire et l'Univers entier avec elle » (Ibid, p.134).

* 1199 Au sens de « dépassement [dialectique] vers la totalité » (Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p.11).

* 1200 Jean-Paul Sartre cité in Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.364. Dans sa préface à la Critique de la raison dialectique, Sartre considère de la même manière « le marxisme comme l'indépassable philosophie de notre temps et [tient] l'idéologie de l'existence et sa méthode «compréhensive» pour une enclave dans le marxisme lui-même qui l'engendre et la refuse tout à la fois » (Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p. 9-10. C'est nous qui soulignons).

* 1201 Albert Camus, L'homme révolté [1951] in Albert Camus, Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.479.

* 1202 Albert Camus, « Lettres sur la révolte » [1952], Actuelles II in Albert Camus, Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.770-771.

* 1203 Thibaud (Paul), « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.58.

* 1204 Claude Liauzu, L'Europe et l'Afrique méditerranéenne de Suez (1869) à nos jours, Bruxelles, Editions Complexe, 1994.

* 1205 Lettre reproduite in Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.572-573.

* 1206 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.53.

* 1207 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.390-391 et 406-407.

* 1208 « Quel héritage pour faire face aux défis du présent ? », rencontre avec Jean-Claude Guillebaud dans le cadre des mardis de « Politique Autrement », le 7 novembre 2000, La lettre, n°22, février 2001 ; cf. http://www.politique-autrement.asso.fr/lettre/lettre22.htm.

* 1209 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.52-53.

* 1210 Robert Paris définissant la notion d'historicisme in André Burguiere, Dictionnaire des sciences historiques, Paris, P.U.F., 1986, p.442.

* 1211 Karl Popper [1962], La société ouverte et ses ennemis (tome II : Hegel et Marx), Paris, Editions du Seuil, 1979, p.133.

* 1212 Ibid, p.139.

* 1213 Sartre, dans sa préface à la Critique de la raison dialectique, s'était précisément proposé d'aborder dans un second tome (qui ne paraîtra jamais) « le problème de la totalisation elle-même, c'est-à-dire de l'Histoire en cours et de la Vérité en devenir » ; cf. Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p.11. C'est nous qui soulignons.

* 1214 En tant que la « Raison dialectique » participe, selon Sartre, d'un rapport nécessaire - quoique mouvant - de la connaissance et de l'être.

* 1215 Ce que Sartre lui-même semble suggérer au détour d'une proposition ambivalente où, sous couvert d'énoncer une règle générale, il laisse poindre la possibilité d'y déroger : « L'expérience ? en général ? ne peut fonder par elle seule que des vérités partielles et contingentes » (Jean-Paul Sartre, op. cit., p.10. C'est nous qui soulignons).

* 1216 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.392.

* 1217 Médecin-chef et psychiatre, Frantz Fanon, originaire des Antilles et auteur de Peau noire, masques blancs (Paris, Seuil, 1952), démissionne de son poste à l'hôpital de Blida-Joinville (Algérie) pour rejoindre, en janvier 1957, les instances dirigeantes du FLN à Tunis. Il s'engage dans la lutte en qualité de rédacteur de Résistance Algérienne puis d'El Moudjahid, l'organe du FLN/ALN, et de représentant du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) à la conférence Afro-Asiatique du Caire (décembre 1957). En décembre 1958, il est membre de la délégation algérienne au Congrès Panafricain d'Accra, puis est nommé représentant permanent auprès du GPRA dans cette même ville d'Accra. Claude Lanzmann, des Temps modernes, l'a rencontré en compagnie de Marcel Péju à l'été 1960, à Tunis. Il en a rendu compte à Annie Cohen-Solal : « [Fanon] allait sur le terrain, dans ces wilayas retranchées à la frontière algéro-tunisienne, rencontrer les révolutionnaires, leur faire des conférences, leur parler de ses lectures, de celles de Sartre notamment : il leur expliqua même un jour - l'année même de sa publication - ce qu'il avait aimé dans la Critique de la raison dialectique ! Il allait former théoriquement ces groupes, ces militants parmi lesquels on retrouvait des hommes tels que le colonel Houari Boumediene, Ben Khedda - le pharmacien de Blida - qui allait remplacer Ferhat Abbas à la tête du G.P.R.A., Abdelaziz Bouteflika, ou encore Ahmed Medgui, futur ministre de l'Intérieur du gouvernement algérien... Tous ces gens avaient la plus grande estime, la plus vive admiration pour Fanon qu'ils désignaient d'ailleurs avec déférence, en parlant du «docteur Fanon» » (Annie Cohen-Solal, Sartre (1905-1980), Paris, Gallimard, 1985, p.552-553).

* 1218 Pour Camus, est nihiliste non pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit à rien de ce qui est, ici et maintenant.

* 1219 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.6.

* 1220 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.339. C'est nous qui soulignons.

* 1221 Frantz Fanon, op. cit., p.6.

* 1222 Ibid, p.5.

* 1223 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.5.

* 1224 Henri-Charles Puech définissant la notion de «manichéisme» in Encyclopdia universalis, corpus 14, p.436 à 446. C'est nous qui soulignons.

* 1225 Frantz Fanon, op. cit., p.5-6. C'est nous qui soulignons.

* 1226 Ibid, p.6.

* 1227 Raoul Girardet, L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1986, p.313-314 [1ère édition : La Table Ronde, 1972].

* 1228 Logique prédicative car, à l'aune d'une telle argumentation, « les concepts sont regardés comme contenant en puissance, et comme appelant de façon anticipatrice, les représentations mentales susceptibles de leur servir d'arguments » ; autrement dit, « une importante caractéristique logique des prédicats est que leur application conduit soit au vrai soit au faux » ; se reporter à la définition que propose Jean-François Le Ny de la notion philosophique de « prédication » in Encyclopédie philosophique universelle, « Les Notions Philosophiques », Paris, PUF, 1990, tome 2, p.2025 et 2027. C'est nous qui soulignons.

* 1229 Ibid, p.6 et 85.

* 1230 Ibid, p.86. C'est nous qui soulignons.

* 1231 Certes, nous avons vu au fil de la première partie combien les motivations des intéressés avaient été diverses. Mais faut-il qu'un engagement soit idéaliste ou altruiste au sens "plein" ou "romantique" du terme (par "patriotisme" ou par "amour des droits de l'homme", par exemple) pour que ceux qui en sont les protagonistes soient à même de lui conférer un sens politique ? Même un fellah dont la motivation première serait l'attrait de la solde, et aussi illettré soit-il, n'aurait-il pas conscience, en revêtant l'uniforme français, de contracter un engagement qui l'amène et l'astreint à une situation autrement plus complexe que n'importe quel autre métier ? N'a-t-il pas une conscience au moins minimale du contexte dans lequel s'inscrit son engagement et du positionnement que cela l'oblige à assumer ? En d'autres termes, ne peut-on penser pas penser qu'à quelque degré, même minimal, son choix intègre des facteurs politiques ? Symétriquement, on semble suggérer que, pour les moudjahidin, la question du choix et des motivations - forcément idéalistes - qui y ont présidé ne se pose pas. Ce sont là deux visions qui, découlant d'un prisme historiciste manichéen, sont nécessairement réductionnistes.

* 1232 Jean-Paul Sartre, préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961.

* 1233 Jacques Vergès, Lettre ouverte à des amis algériens devenus tortionnaires, Paris, Albin Michel, 1993, p.13.

* 1234 Raoul Girardet, L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1986 [1ère édition : La Table Ronde, 1972], p.312.

* 1235 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.483.

* 1236 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.610-611.

* 1237 Edward Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000. Voir aussi Jacques Pouchepadass, « Les subaltern studies ou la critique postcoloniale de la modernité », L'Homme, n°156, oct.-déc. 2000, p.161-185.

* 1238 Edward Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p.384.

* 1239 Ibid, p.381.

* 1240 Ibidem.

* 1241 Ibid, p.387.

* 1242 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.51.

* 1243 Ibid, p.85.

* 1244 Ibid, p.82.

* 1245 Edward Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p.385.

* 1246 Edward Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p.374 à 385. Sur le moment, déjà, Simone de Beauvoir distinguait « parmi les chefs connus [du FLN], deux tendances : les politiciens du type classique [NDA : sans doute vise-t-elle des hommes comme Ferhat Abbas ou Benyoucef Ben Khedda], prêts à la collaboration ; une autre qui exigeait la réforme agraire et le socialisme » (Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.610).

* 1247 Jean-Robert Henry, « La France au miroir de l'Algérie », Autrement, 1982, n°38.

* 1248 Daniel Sibony, « Algérie : une étrange violence », Libération du 6 avril 1998.

* 1249 Rémy Rieffel, « L'empreinte de la guerre d'Algérie sur quelques figures intellectuelles de gauche », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.197. Pour leur part, Jérôme Hélie (Les accords d'Evian : histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992, p.43-44) et Paul Thibaud (« L'événement qui nous tourmentait », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, op.cit., p.381-382) citent respectivement La Naissance du nationalisme algérien d'André Nouschi (Minuit, 1962), et La Révolution algérienne par les textes (Maspero, 1961) d'André Mandouze, comme des exemples d'ouvrages ayant considérablement gommé la dimension islamique de l'insurrection algérienne.

* 1250 Paul Thibaud, « L'événement qui nous tourmentait », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.377.

* 1251 Walzer (Michael) [1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.154.

* 1252 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.525.

* 1253 Jean-Paul Sartre, préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961.

* 1254 Mehdi Charef, Le harki de Meriem, Paris, Le Mercure de France, 1989.

* 1255 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.402.

* 1256 Ibid, p.450.

* 1257 Ibid, p.620.

* 1258 Ibid, p.611.

* 1259 Michael Walzer (1988), La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.157.

* 1260 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.215-216.

* 1261 Jules Roy, J'accuse le général Massu, Paris, Seuil, 1972, p.96. Il faut noter que ce même Jules Roy s'associera, 25 ans après (et somme toute paradoxalement eu égard aux lignes précitées), à un appel intitulé « Justice pour les harkis » (publié dans Libération du 23 décembre 1997), dans lequel on peut notamment lire : « Par indifférence, par incurie, par lâcheté, par hostilité même, on a laissé les harkis dans un abandon matériel et moral qui a fait de ces hommes et de leurs enfants, français à part entière, des marginaux héréditaires. Avoir honte des harkis, c'est avoir honte de nous-mêmes ».

* 1262 Frantz Fanon, op. cit., p.51.

* 1263 Ibid, p.52.

* 1264 Jean-Paul Sartre, « Question de méthode » in Critique de la raison dialectique, op. cit., p.60.

* 1265 Olivier Todd, Albert Camus, une vie, Paris, Gallimard, 1996, p.756.

* 1266 Extrait cité in Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997, p.542. Onze ans auparavant, dans L'homme révolté, Camus avait dénoncé l'arbitraire du « nihilisme révolutionnaire et la fétichisation de la violence qui lui est corrélative : « [Des coeurs médiocres] se consoleront au nom de l'histoire de ce que la violence soit nécessaire [donc excusable], et ajouteront alors le meurtre au meurtre, jusqu'à ne faire de l'histoire qu'une seule et longue violation de tout ce qui, dans l'homme, proteste contre l'injustice ». Et de conclure : « En face d'une future réalisation de l'idée, la vie humaine peut être tout ou rien. Plus grande est la foi que le calculateur met dans cette réalisation, moins vaut la vie humaine. A la limite, elle ne vaut plus rien » (L'homme révolté in Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965).

* 1267 Ibid, p.6.

* 1268 Ibid, p.51-52.

* 1269 Cité in Raoul Girardet, L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, La Table Ronde, 1972, p.309.

* 1270 Marcel Péju, « Une gauche respectueuse », Les temps modernes, Paris, n°169-170, avril-mai 1960, p.1512 et suivantes.

* 1271 Jean-Paul Sartre, « Plaidoyer pour les intellectuels » [1965], Situations VIII, Paris, Gallimard, 1972, p.421.

* 1272 Ibidem.

* 1273 Jean-Paul Sartre, « Plaidoyer pour les intellectuels » [1965], Situations VIII, Paris, Gallimard, 1972, p.410.

* 1274 Ibid, p. 424. C'est l'auteur qui souligne.

* 1275 Ibid, p. 405. « Arrachés de la France bourgeoise, ne pouvant devenir algériens, Sartre et Beauvoir voient un monde que l'idéologie a aplati, écrit Michael Walzer. Le FLN représente la libération, les Français sont des fascistes. Les choix politiques sont d'une facilité extraordinaire : une fonction directe de la distance critique » (Michael Walzer [1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.157). Dans cette optique, la modération camusienne et les entreprises de médiation qui l'accompagnent, seront interprétées par la mouvance sartrienne comme l'expression d'une vaine (et lâche) reculade devant l'Histoire. Et c'est ainsi que l'on en vient à assimiler la « morale de Croix-Rouge » de l'auteur de L'homme révolté (l'expression est de Francis Jeanson ; cf. « Albert Camus ou l'âme révoltée », Les Temps modernes, mai 1952) - pourtant loin d'être inactif, comme en témoignent son « Appel pour une trêve civile » et ses Chroniques algériennes - à un « silence » : « Parmi les laïques, s'indigne Simone de Beauvoir, que de silences consentants ! Celui de Camus me révoltait. (...) La supercherie, c'est qu'il feignait en même temps de se tenir au-dessus de la mêlée, fournissant ainsi une caution à ceux qui souhaitaient concilier cette guerre et ses méthodes avec l'humanisme bourgeois » (Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.406).

* 1276 Albert Memmi [1957], Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une préface de Jean-Paul Sartre. Voir aussi Albert Memmi, « Le colonisateur de bonne volonté », La Nef, 12 décembre 1957. Juif tunisien de langue maternelle arabe, mais formé à l'école française, Albert Memmi choisira de s'engager aux côtés des mouvements indépendantistes. Bien qu'ayant soutenu le mouvement indépendantiste en Tunisie, il ne pourra trouver sa place dans le nouvel Etat et se repliera en France, demandant et obtenant la nationalité française en 1965.

* 1277 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.364 et 372.

* 1278 Jean-Paul Sartre, préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.20.

* 1279 Michael Walzer [1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.158.

* 1280 Albert Memmi, Portrait du colonisé, cité in WALZER Michael, op.cit., p.158.

* 1281 Michael Walzer [1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.158.

* 1282 Michael Walzer, "Excusing Terror", The American Prospect, vol. 12, n°18, 22 Octobre 2001. C'est nous qui soulignons.

* 1283 Albert Memmi [1957], Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une préface de Jean-Paul Sartre.

* 1284 Albert Memmi [1957], Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une préface de Jean-Paul Sartre.

* 1285 Sur la notion de « meurtre nécessaire », voir John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.79-80.

* 1286 Albert Memmi [1957], Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une préface de Jean-Paul Sartre. C'est nous qui soulignons.

* 1287 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.364.

* 1288 Albert Camus, L'homme révolté, in Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965.

* 1289 Albert Camus, « Lettres sur la révolte », Actuelles II, in Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.772.

* 1290 Albert Camus, «Avant-propos» aux Chroniques algériennes in Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.897.

* 1291 En mai 1960, dans Esprit, Jean Daniel dit « [craindre] que nos philosophes n'en soient arrivés à «sacraliser» le FLN comme les intellectuels staliniens sacralisaient il y a quelques années le Parti communiste. C'est la recherche angoissée de l'absolu disparu » (repris in Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997, p.539).

* 1292 Benjamin Stora, issu de la gauche trotskyste (Organisation communiste internationaliste, OCI), se réclame lui-même de l'héritage anticolonialiste ; voir son récit de ses années d'engagement : Benjamin Stora, La dernière génération d'octobre, Paris, Stock, 2003 : « On sait, et cela éclaire en partie mon parcours d'historien, que je suis né dans une famille juive d'Algérie. Sans nul doute, la blessure de l'exil, l'attachement à mon enfance, le traumatisme de la guerre vécue entre 1955 et 1962 ont-ils favorisé cette longue recherche sur l'histoire algérienne, commencée dans les années 1970. Mais il est une autre origine qui éclaire ce parcours, celle de mon engagement politique. Rares sont ceux qui savent à quel point le militantisme a occupé une vie antérieure, et ce texte va surprendre » (Quatrième de couverture).

* 1293 Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Madeleine Rébérioux, Annie Rey-Goldzeiguer et Pierre Vidal-Naquet, « Les années algériennes, ou la soft histoire médiatique ? », Peuples méditerranéens, n°58-59, 1ersemestre 1992, et Naqd, revue d'études et de critique sociale (Alger), n° 2, février-mai 1992, p. 91-99.

* 1294 Déclaration faite à l'occasion du colloque La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire, organisé les jeudi 14 et vendredi 15 novembre 2002 sur le Campus de Jussieu à Paris.

* 1295 Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff, « La torture sans commentaires », Libération du 5 décembre 2000, p.23.

* 1296 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989.

* 1297 Selon Michel Winock, « il faut encore rendre cette justice aux intellectuels «dreyfusards», dont Pierre Vidal-Naquet fut une des figures courageuses. A la tête du Comité Maurice-Audin, il n'hésite pas à mettre en cause les responsabilités du FLN et du gouvernement français dans le massacre des harkis - ces unités arabo-berbères supplétives que les autorités ont constituées dans la lutte contre le FLN » (Le siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997, p.544).

* 1298 Ibid, p.216.

* 1299 Ibidem.

* 1300 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.218.

* 1301 Ibid.

* 1302 Ibid. C'est nous qui soulignons. A rebours de Pierre Vidal-Naquet, Jean Lacouture s'est attaché à montrer en 1985, dans un livre intitulé Algérie, la guerre est finie, combien était fragile l'assertion tendant à établir des faits de « collaboration » dans le cas algérien, et donc la propension à ramener les attendus des représailles de 1962 à ceux de l'épuration de 1944 : « Les dirigeants du nouvel Etat arguèrent [à propos des massacres de l'après-indépendance] qu'il s'agissait là de «bavures» et que ces violences, dues à la colère populaire contre des «collaborateurs», ne différaient guère de ce qui s'était passé en France pendant l'été et l'automne 1944. Ce qui était confondre des situations historiques fort différentes. Etant données la complexité des situations dans l'Algérie d'avant 1962, la nature des rapports établis depuis plusieurs générations entre l'armée française et la population algérienne, la situation des anciens combattants musulmans, les faits de «collaboration» en Algérie ne sauraient en bon droit être assimilés à la collusion des ressortissants d'un Etat souverain avec une armée d'occupation étrangère ». Et d'ajouter : « Il fallait avoir une conscience politique relativement affinée pour pouvoir déceler à partir de quel moment le fait de servir dans l'armée française, comme l'avaient fait avec éclat nombre de dirigeants nationalistes (tel Ahmed Ben Bella) constituait un crime » (Jean Lacouture, Algérie, la guerre est finie, Bruxelles, Editions Complexe, 1985, p.176).

* 1303 Claude Bourdet (« Notre Gestapo algérienne », France-Observateur du 13 janvier 1955), Hubert Beuve-Méry (« Sommes-nous les vaincus de Hitler ? », Le Monde, 13 mars 1957), Maurice Tarek Maschino (dénonçant la « nazification » du régime), etc. Sur le réinvestissement de schèmes d'interprétation se rapportant à la période de l'Occupation, voir Tramor Quemeneur, Insoumission, tortures et indépendance algérienne. Des débats entre morale et politique (1954-1962), communication au VIème Congrès de l'Association française de science politique, Rennes, 30 septembre 1999 ; voir aussi Tramor Quemeneur, « Réfractaires français dans la guerre d'Algérie (1954-1962) », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d'Algérie, Bruxelles, Éditions Complexe, 2001, p.115-136.

* 1304 Le Monde du 28 novembre 2000 (c'est nous qui soulignons). Déjà, le 5 septembre 1960, au cours du procès du réseau Jeanson, Pierre Vidal-Naquet, appelé comme témoin, avait déclaré à l'audience s' « [être] beaucoup penché sur le problème des tortures. Il s'agissait bel et bien d'un système, d'un univers concentrationnaire comme celui dans lequel j'avais perdu mes parents ». Il reviendra par la suite sur cette comparaison : « Je regrette la comparaison entre l'Algérie et la disparition dans les chambres à gaz. Pour le reste, j'ai eu totalement raison » (cité in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.45).

* 1305 Paulette Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000, p.108. En outre, cette tendance à établir des homologies phénoménales et/ou structurales, révéler (réveiller ?) des oppositions récurrentes (ou supposées telles) d'acteurs, expliquer causalement selon des liaisons, voire des lois, déjà établies, revêtait - et revêt encore aujourd'hui - une fonction de légitimation qui n'est pas sans rapport avec le concret des relations sociales (« la lutte des places ») puisque professée par un collège d'acteurs - les « porteurs de valise » - soucieux d'établir une filiation valorisante entre résistance et anticolonialisme et de retourner, ce faisant, l'accusation de trahison qui leur était accolée par les pouvoirs publics. Ainsi en va-t-il de Jean-Paul Sartre, dans sa lettre au président du tribunal permanent des forces armées, à l'occasion du procès du réseau Jeanson : « Les professeurs de la Sorbonne, pendant la Résistance, n'hésitaient pas à transmettre des plis et à faire des liaisons. Si Jeanson m'avait demandé de porter des valises ou d'héberger des militants algériens, et que j'aie pu le faire sans risque pour eux, je l'aurais fait sans hésitation » (Extrait cité in Francis Jeanson, Sartre dans sa vie, Paris, Editions du Seuil, 1974, p.217). Commentaire de Francis Jeanson : « Qu'il me pardonne si je me trompe, mais je crois bien que Sartre - vers cette époque-là - s'est plus ou moins senti réconcilié avec lui-même. Un peu comme au temps de l'occupation allemande, la situation se clarifiait, l'adversaire était facile à désigner, et l'exercice de la liberté, grâce aux obstacles mêmes qui lui étaient opposés, pouvait de nouveau échapper à son habituelle compromission avec l'ordre établi » (Ibid, p.219).

* 1306 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.218.

* 1307 Le bilan officiel des attentats du FLN (et du MNA) en métropole pour la période comprise entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962 est de 12.989 agressions ayant occasionné 4.176 tués et 8.813 blessés (dont musulmans : 3.957 tués et 7.745 blessés ; métropolitains civils : 150 tués et 649 blessés ; militaires : 16 tués et 140 blessés ; policiers : 53 tués et 279 blessés).

* 1308 Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi in Les harkis : une mémoire enfouie, Paris, Autrement, 1999, p.58-59. Voir aussi le Conseil du rapport économique et social du 14 mars 1963, cité dans la Partie 1. Dalila Kerchouche fait état de cas de séquestration et d'assassinats d'anciens harkis par des membres de la Fédération de France du FLN, à Clermont-Ferrand, en septembre 1962 (Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.49-50). Pour sa part, Fatima Besnaci-Lancou rend compte, à travers le récit de son oncle (un ancien militaire d'active, qui a réussi à fuir l'Algérie par ses propres moyens - avec l'aide d'un pied-noir en instance d'embarquement - après y avoir été victime de sévices), du contrôle très étroit exercé dans les bassins d'emploi industriel par les membres de ladite Fédération de France : « Arrivés à Port-Vendres, les réfugiés algériens étaient pris en charge par la Croix-Rouge, la police et la gendarmerie. Je montrai mes papiers militaires à un gendarme qui me demanda si j'étais rapatrié. Je ne connaissais pas le sens du mot. On me remit deux cents francs et un billet pour Metz en me disant qu'en Lorraine, je trouverais du travail dans les mines de charbon ou dans l'industrie. A Metz, je dénichais rapidement un hôtel bon marché et un travail de terrassier. (...) Le lendemain, le patron de la pension me convoqua dans son bureau pour remplir une fiche réglementaire. Dans la pièce se trouvaient également deux hommes armés. Leurs poches épousaient la forme des pistolets. Ils me demandèrent pourquoi j'avais quitté le pays. Je répondis que j'étais venu chercher du travail pour subvenir aux besoins de ma famille. Ils me demandèrent mon nom, mon prénom, mon âge et l'adresse de mes parents en Algérie en me promettant de faire une enquête. Si je n'étais pas un ancien de l'armée française, affirmaient-ils, je pourrais travailler et vivre tranquillement en France. Dans le cas contraire, je ne serais en sécurité nulle part, ni en France, ni en Allemagne. Puis ils partirent en me prenant cent francs d'impôt obligatoire pour les orphelins d'Algérie. (...) Je passai la nuit suivante à côté de la gare » (Fille de harki : le bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie, Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003, p.95-96). Après avoir été trouver refuge dans une gendarmerie, il sera finalement réintégré dans l'armée.

* 1309 « Les résistants algériens ont sans doute le droit de mépriser les harkis, et de les tenir pour des traîtres » (Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.218).

* 1310 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.217.

* 1311 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.218.

* 1312 Pierre Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis », in Face à la raison d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.216-217.

* 1313 Dans une libre opinion intitulée « Justice pour les harkis », publiée dans l'édition du Monde en date du 4 novembre 1999, Dominique Schnapper avait écrit ceci : « Les intellectuels de gauche, spécialisés dans la défense des victimes, avaient été trop engagés dans le juste combat contre les tortures de l'armée française et dans l'appui au FLN pour qu'ils pussent faire autre chose, au mieux, que de leur manifester, verbalement une fois, leur sympathie. Les défenseurs des harkis n'étaient pas dans le bon camp, et toutes les victimes n'ont pas le droit à la même solidarité ».

* 1314 Et dont il est symptomatique que l'auteur omette lui-même d'évoquer le massacre des harkis lors même qu'il consacrerait certains développements à s'étonner de ce que « les présentations de la répression française en Algérie, de 1954 à 1962, oublieront, omettront souvent de parler des crimes commis par le FLN » (Alfred Grosser, Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989).

* 1315 Alfred Grosser, Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989, p.29.

* 1316 Ibid, p.208.

* 1317 « Ce monde compartimenté, ce monde coupé en deux est habité par des espèces différentes. (...) Quand on aperçoit dans son immédiateté le contexte colonial, il est patent que ce qui morcelle le monde c'est d'abord le fait d'appartenir ou non à telle espèce, à telle race. (...) L'espèce dirigeante est d'abord celle qui vient d'ailleurs, celle qui ne ressemble pas aux autochtones, «les autres» ». (Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.9).

* 1318 Jouant sur des ressorts émotionnels puissants, ce parallèle, quoique ou parce que grossier, fera florès auprès de secteurs mal informés - ou peu enclins à l'être - de l'opinion. J'ai été moi-même témoin de ce que, une fois informés du sujet de ma thèse, les non-spécialistes avaient spontanément tendance à se former une image réflexe des intéressés qui, précisément, était conforme au schéma pré-établi : « harki = collabo ».

* 1319 En dépit de cette condamnation, Siné continue d'user de ce parallèle dans ses prises de position publiques. C'est ainsi que dans Charlie Hebdo du 11 janvier 2006, il écrit : « La mission dirigée par Jean-Louis Debré sur le "rôle positif" ou non de la colonisation va interroger des Pieds-Noirs et des Harkis pour connaître leurs sentiments à ce sujet. C'est un peu comme si, pour écrire l'histoire de l'occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale, on allait demander leur avis à d'anciens collabos ». A cette occasion, de nouvelles poursuites ont été engagées contre lui par diverses associations de rapatriés, harkis et pieds-noirs.

* 1320 Voir notamment Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La résistance française à la guerre d'Algérie, Paris, Seuil, 1982.

* 1321 Francis Jeanson, Sartre dans sa vie, Paris, Editions du Seuil, 1974, p.220.

* 1322 Voir notamment Daniel Bell [1960], La fin des idéologies : sur l'épuisement des idées politiques dans les années 1950, Paris, PUF, 1997.

* 1323 Voir notamment Francis Fukuyama, La fin de l'histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

* 1324 « Le combat pour l'indépendance algérienne : une fausse coïncidence », entretien avec Paul Thibaud et Pierre Vidal-Naquet, in Les violences en Algérie, recueil de textes de la revue Esprit, n°71 de la collection Opus chez Odile Jacob, 1997, p.157-176 ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.291-292 ; voir la Partie 4 : « Les conditions du pardon : obstructions militantes ».

* 1325 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.292.

* 1326 « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec Marcel Péju, ancien secrétaire général des Temps modernes, Hommes et libertés, N°116, septembre - novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf. http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868. C'est nous qui soulignons.

* 1327 Dominique Vidal, « Ces «traîtres» qui sauvèrent l'honneur de la France », Le Monde Diplomatique, septembre 2000, p.28-29.

* 1328 On touche peut-être ici à l'un des plus grands poncifs de la guerre d'Algérie : le pacifisme supposé des soutiens français au FLN, lesquels soutinrent pourtant indéfectiblement une insurrection qui portait dans ses fonts baptismaux les espérances révolutionnaires de toute une frange de la gauche intellectuelle.

* 1329 Dans un article intitulé « Les grenouilles qui demandent un roi » et publié dans L'Express du 25 septembre 1958, Jean-Paul Sartre, qui appelle à voter "Non" au référendum constitutionnel qui doit se tenir trois jours plus tard, explique en ces termes les raisons de son choix : « Ne l'oubliez pas ; toute l'ambiguïté vient de là : de Gaulle n'est pas fasciste, c'est un monarque constitutionnel ; mais personne ne peut plus voter pour de Gaulle aujourd'hui : votre "Oui" ne peut s'adresser qu'au fascisme. Comprenons enfin qu'on ne tire pas un pays de son impuissance en confiant la toute-puissance à un seul homme ».

* 1330 Cf. Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

* 1331 Ce dont témoigne, par exemple, la réédition récente des opus de Paulette Péju [1961], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000.

* 1332 Intervention à la librairie des Presses Universitaires de France, le 15 novembre 2000, boulevard Saint-Michel.

* 1333 Pendant la guerre, Mohammed Harbi, aujourd'hui historien vivant en France, fut successivement militant de la Fédération de France du FLN jusqu'en 1958 (chargé de la propagande), puis cadre civil dans différents ministères du GPRA (notamment aux Affaires étrangères), et enfin expert aux négociations d'Evian.

* 1334 Mohammed Harbi interrogé par Nadjia Bouzeghrane pour le journal algérien El Watan du 15 septembre 2005 ; interview consultable à cette adresse : http://www.elwatan.com/2005-09-15/2005-09-15-26214.

* 1335 Ibid.

* 1336 François Gèze, « Algérie : face au poids de l'histoire et à la manipulation », Politique autrement, n°13, juin 1998.

* 1337 Gilles Manceron, « Justice et ambiguïtés de l'hommage aux harkis », Hommes et Libertés, N°116, septembre-novembre 2001 [ http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idhomme=889&idpere=868.

* 1338 Ibid.

* 1339 « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec Marcel Péju, ancien secrétaire général des Temps modernes, Hommes et libertés, N°116, septembre - novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf. http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.

* 1340 Entretien donné par Gilbert Meynier à Kadour M'Hamsadji sous le titre : « En histoire, tout est dialectique », et publié dans le journal algérien L'Expression en date du 9 mars 2005, ; cf. http://dzlit.free.fr/meynier.html.

* 1341 Entretien donné par Gilbert Meynier à Nadjia Bouzeghrane pour le journal algérien El Watan du 10 mars 2005 sous le titre : « Les harkis n'ont été ni plus ni moins que des mercenaires » ; interview consultable à cette adresse : cf. http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=539.

* 1342 Fatima Besnaci-Lancou, Fille de harki, Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003 (Avec une préface de Jean Daniel et Jean Lacouture).

* 1343 http://www.coupdesoleil.net/lettrecds.htm.

* 1344 Fatima Besnaci-Lancou, fille de harki, avait huit ans en 1962. Après avoir évoqué les circonstances de l'engagement de son père auprès de l'armée française, elle raconte comment plusieurs membres de sa famille, ainsi que de proches connaissances, en vinrent à être massacrés par le FLN quelques semaines après l'indépendance, et ce presque toujours au terme d'effroyables tortures.

* 1345 Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat à Paris, Paris, La Dispute, 2001.

* 1346 Charlotte Nordmann, « Ce qui s'est passé le 17 octobre 1961 » ; article consultable à cette adresse : http://17octobre1961.free.fr/pages/Histoire.htm (site de l'association « 17 octobre 1961 : contre l'oubli »). C'est nous qui soulignons.

* 1347 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée à dans le cadre de l'Université de tous les savoirs ; texte disponible à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 1348 Charles-Robert Ageron, « Les Français devant la guerre civile algérienne », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.61.

* 1349 Article réédité dans L'Humanité du 18 novembre 2000.

* 1350 Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.525.

* 1351 Paulette Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000. Cette réédition est augmentée d'une introduction de Marcel Péju et d'une préface de Pierre Vidal-Naquet, sur lesquelles nous reviendrons.

* 1352 Paulette Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000, p.109. C'est nous qui soulignons.

* 1353 « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec Marcel Péju, ancien secrétaire général des Temps modernes, Hommes et libertés, N°116, septembre - novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf. http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.

* 1354 Interview de Marcel Péju par Sarah Raouf, du Quotidien d'Oran, dans un article intitulé : « Mots croisés sur France 2 : De nouveau, la guerre d'Algérie ».

* 1355 Marcel Péju, « Contre les harkis et contre le massacre des harkis », Marianne, n°341, semaine du 3 au 9 novembre 2003. Marcel Péju apparaît clairement comme une sorte d'exception quant aux effets produits par le mouvement de bascule idéologique des vingt à trente dernières années sur les formes de désignation de l'adversaire : lui persiste et signe, dans des termes identiques à ceux d'autrefois.

* 1356 Norbert Elias et J.-L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.

* 1357 Intervention de Guy Pervillé dans le cadre du colloque La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire, organisé les jeudi 14 et vendredi 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu, à Paris.

* 1358 Introduction à la réédition du livre de Paulette Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000, p.21.

* 1359 Cité dans la série d'émissions diffusées par Radio-France sur la guerre d'Algérie, émission n°7, « L'OAS, les derniers jours », conception et réalisation : Patrice Gélinet et Christine Bernard-Sugy, 1987. C'est nous qui soulignons.

* 1360 « Assurément, écrivait Jean-François Sirinelli en 1991, la guerre d'Algérie a marqué en profondeur une génération de jeunes clercs en lui conférant un principe d'identité. Pour cette raison même, cette génération, qui est passée entre-temps sur le devant de la scène, a conservé comme une image rétinienne de ce conflit, et sa vision de la cité s'en ressentira toujours » (« Les intellectuels français en guerre d'Algérie », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991, p.28).

* 1361 Il faut ainsi de nouveau rappeler que le bilan des exactions du FLN en métropole s'établit à près de 4.000 morts et 8.000 blessés (11.567 victimes précisément selon le Journal Officiel du 14 avril 1962), quasiment tous musulmans, et en quasi-totalité des civils, au sein d'une population de quelques trois à quatre cent mille travailleurs immigrés. Il en ressort que la fréquence anormalement élevée de l'emploi de méthodes répressives illégitimes au sein de la FPA trouve son pendant dans le contrôle extraordinairement sévère et meurtrier exercé par la Fédération de France sur ceux qu'elle prétendait représenter par privilège : car à moins de considérer que les civils musulmans visés par le FLN en métropole - qu'ils fussent militants du MNA ou qu'ils rechignassent à cotiser au FLN - n'étaient pas de "vrais" Algériens, le contexte de guerre à Paris fut autrement plus complexe que le schéma ressassé d'un affrontement binaire entre forces de l'ordre (« harkis » ou « policiers ») d'un coté, et « Algériens » de l'autre.

* 1362 Propos recueillis par Antoine Coursat et Richard Lerchbaum, « Ils ont torturé dans Paris », Le vrai papier journal, n°7, février 2001. C'est nous qui soulignons.

* 1363 Pierre Vidal-Naquet « La première dénonciation des crimes », Hommes et Libertés, n°116, septembre - novembre 2001.

* 1364 Introduction à la réédition du livre de Paulette Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000, p.21.

* 1365 Pierre Vidal-Naquet « La première dénonciation des crimes », Hommes et Libertés, n°116, septembre - novembre 2001.

* 1366 Henry Rousso, « La guerre d'Algérie dans la mémoire des Français », allocution prononcée à dans le cadre de l'Université de tous les savoirs ; texte disponible à cette adresse : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.

* 1367 « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec Marcel Péju, ancien secrétaire général des Temps modernes, Hommes et libertés, N°116, septembre - novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf. http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.

* 1368 « On a cru, écrivait Paul Thibaud en 1990, que La Dépossession du monde (Jacques Berque, 1964) ouvrait un champ à un pluralisme radicale des formes politiques, culturelles, économiques. La diplomatie gaulliste d'un côté, le tiers-mondisme révolutionnaire de l'autre ont été en France comme une intériorisation de la décolonisation » (Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.54-55).

* 1369 Le milieu intellectuel sécrétant sa propre mémoire, l'historien risque, en effet, s'il n'y prend garde, de se promener dans une galerie des glaces déformantes. Déformation double, et déjà signalée : cette mémoire intellectuelle n'a-t-elle pas fait la part trop belle aux souvenirs d'une partie de la gauche ? (...) Assurément, la guerre d'Algérie a notamment marqué en profondeur une génération de jeunes clercs en lui conférant un principe d'identité. Pour cette raison même, cette génération, qui est passée entre-temps sur le devant de la scène, a conservé comme une image rétinienne de ce conflit » (Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au XXème siècle, Paris, Fayard, 1990, p.221 à 223. C'est nous qui soulignons).

* 1370 Guy Pervillé, op.cit., p.305.

* 1371 « Quel héritage pour faire face aux défis du présent ? » Rencontre avec Jean-Claude Guillebaud dans le cadre d'un Mardi de Politique Autrement, le 7 novembre 2000, La lettre, n°22 ; cf. http://www.politique-autrement.asso.fr/lettre/lettre22.htm.

* 1372 Jean-Claude Guillebaud, « D'une torture à l'autre », Sud-Ouest dimanche, 17 juin 2001, p.2. Cité in Guy Pervillé, op.cit., p.307.

* 1373 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.51-52.

* 1374 Ibid, p.52.

* 1375 Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.52-53.

* 1376 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.59.

* 1377 Lors d'un colloque organisé le 26 juin 1996 au Point de Capiton (Espace de recherches psychanalytiques, à L'Isle-sur-Sorgue, dans le Vaucluse), Simone Molina disait d'elle-même : « Je suis ( vous voyez... j'aurais dû écrire "j'ai été" !) moi-même victime d'un attentat OAS en 1962, dans un quartier socialement mixte d'Alger ». Et elle ajoute : « Les positions humanistes et démocrates de mes parents étaient sans doute trop insupportables ? ».

* 1378 Simone Molina, Introduction aux actes du colloque « Traumatisme et Transmission, un double reflet de la trace », Rencontre du 22 novembre 1997, au Cercle, Avignon ; actes publiés au Point de Capiton, L'Isle-sur-Sorgue.

* 1379 Simone Molina, « Je suis semblable à celui qu'en le reconnaissant comme homme, je fonde à me reconnaître comme tel », actes du colloque « Pluralité des langages et singularité de la Parole », Rencontre du 26 juin 1996 au Point de Capiton, à L'Isle-sur-Sorgue ; actes publiés au Point de Capiton, L'Isle-sur-Sorgue.

* 1380 Par "fils et filles de harkis", nous entendons exclusivement désigner les membres de la deuxième génération.

* 1381 Cf. Vincent de Gaulejac, L'Histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.

* 1382 Cf. Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

* 1383 Pour une définition précise du concept goffmanien de « ronde journalière », voir plus bas l'entame du chapitre II de la Partie 3.

* 1384 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

* 1385 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.73.

* 1386 Voir plus bas la section I.A.1. de la Partie 3 : « La difficulté d'en parler (du côté des pères) ».

* 1387 Voir notamment le récit de Djami (C'est la vie, Paris, La Pensée Universelle, 1993), marquée par la très violente décrépitude d'un père à jamais marqué par la guerre, ou celui de Zahia Rahmani (Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003), dont le père, enfermé dans son mutisme et le souvenir d'une éprouvante captivité, choisit de mettre fin à ses jours un 11-novembre. Nous reviendrons sur ces deux récits plus avant.

* 1388 Nombreux sont les enfants de harkis à nous avoir fait part de la prégnance, aujourd'hui encore, de telles interjections.

* 1389 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Desclée de Brouwer, Paris, 1996, p.185

* 1390 Norbert Elias, John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.51.

* 1391 Voir à cet égard les éclairages critiques apportés par John Crowley au sujet de la distinction opérée par Carl Schmitt selon laquelle « la discrimination spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c'est la distinction de l'ami et de l'ennemi » (Carl Schmitt, La notion de politique / Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p.64), en particulier la nécessité de ne pas céder à une forme d'illusion anthropologique ou essentialiste en la matière, et de considérer le caractère artificieux d'une telle distinction. Ainsi, le propre de l'ennemi intérieur, « considéré de manière sérieusement schmittienne », est, selon John Crowley, « de se situer sur le point d'indétermination de la distinction entre inimicus et hostis » : « il n'est dans un rapport d'inimitié avec tel ou tel, ajoute-t-il, que parce que politiquement désigné comme tel » (John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley, Cultures & Conflits, n°41 : « Pacifications, Réconciliations » (tome 2), printemps 2001, p.82-83).

* 1392 En ce sens que, dans les interactions de la vie quotidienne, les gens ordinaires se rattachent ou sont identifiés de prime abord à des catégories sociales définies de manière essentiellement "empirique" : les Français dits "de souche", les populations issues de l'immigration maghrébine, les fils et les filles de harkis, etc.

* 1393 Cf. Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

* 1394 Claude Dubar, La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991.

* 1395 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.14.

* 1396 Ibidem.

* 1397 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.112.

* 1398 Jean-Charles Pochard, « «Nous, vous, eux», la discrète contribution des pronoms au processus d'identification politique », in Denis-Constant Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.85.

* 1399 Denis-Constant Martin, « Le choix d'identité », R.F.S.P., vol.42, n°4, août 1992, p.583.

* 1400 Claude Lévi-Strauss (dir.), L'identité, Paris, Grasset, 1977, p.332.

* 1401 Denis-Constant Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.20.

* 1402 Denis-Constant Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.246.

* 1403 Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990.

* 1404 Denis-Constant Martin (dir.), op.cit., p.32.

* 1405 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p.138.

* 1406 Olivier Mongin, Paul Ricoeur, Paris, Le Seuil, 1994.

* 1407 Denis-Constant Martin, op.cit., p.21.

* 1408 Si l'on suit Paul Ricoeur, il n'y a pas de difficulté épistémologique à glisser de l'individuel au collectif. Des modèles - les « organisations symboliques », les « représentations » (Edmond-Marc Lipiansky) - assurent la correspondance entre structures psychiques et structures sociales.

* 1409 Mohand Hamoumou, « Les harkis, un trou de mémoire franco-algérien », Esprit, « France-Algérie : les blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990, p. 25-45 ; voir aussi Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988.

* 1410 Ces considérations sont le fruit d'un séminaire méthodologique dans le cadre du DEA 126 (science politique, université Paris IX-Dauphine, 1998-1999) au cours duquel Jacqueline Palmade avait eu l'amabilité de consacrer quelques commentaires à mes travaux.

* 1411 Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003.

* 1412 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.88. C'est nous qui soulignons.

* 1413 A. Mucchielli, L'identité, Paris, Q.S.J. ?, PUF, n°2288, 1992, 2ème édition, p.68.

* 1414 Pierre Nora, op.cit.

* 1415 Ibid.

* 1416 Gérard Namer, Mémoire et société, Paris, Librairie des Méridiens, 1987, p.239.

* 1417 Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations - L'empreinte du temps, Paris, PUF, 1988, p.182.

* 1418 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Mohamed, recruté à 17 ans dans les harkas à la suite de l'assassinat de son père et de l'incendie de sa maison par le FLN, en 1958, est aujourd'hui président de l'association de harkis et de leurs enfants de Largentière. Ses propos, recueillis en présence de Jean-Claude (fils de harki et secrétaire de l'association présidée par Mohamed), ont un statut à part dans le corpus des entretiens : son cas doit être distingué de celui des trois autres Mohamed, qui sont pour leur part des fils de harkis.

* 1419 Entretien, Largentière, novembre 1998. Jean-Claude, 31 ans, est aide-soignant.

* 1420 Gérard Noiriel, Le creuset français, histoire de l'immigration XIXème-XXème siècles, Paris, Seuil, 1988, p.215.

* 1421 Boussad Azni, 42 ans, cité par Pascale Nivelle, « Accord et harki », Libération des 10 et 11 novembre 2001.

* 1422 Irène Théry, « Malaise dans la filiation », Esprit, n°227, décembre 1996, p.50-53.

* 1423 Ibid, p.216.

* 1424 Edmond-Marc Lipiansky, Identité et communication, l'expérience groupale, Paris, PUF, 1992, p.128.

* 1425 Ibid, p.129.

* 1426 Entretien, printemps 1997, Paris. Hassina a 26 ans. Elle est étudiante en arabe (niveau maîtrise) et prépare un CAPES d'arabe à Paris.

* 1427 Entretien, printemps 1997, Paris. Dalila a 23 ans. Pigiste dans un hebdomadaire parisien à grand tirage axé sur l'actualité politique, elle est titulaire d'une licence de philosophie et a été formée aux métiers du journalisme dans le cadre d'un contrat de qualification.

* 1428 Notre corpus d'entretiens comprenant deux Dalila (23 et 37 ans), nous préciserons leur âge pour les distinguer.

* 1429 Entretien, printemps 1997, Paris. François a 29 ans. Enseignant-chercheur à Paris, il poursuit actuellement une thèse de science politique.

* 1430 Entretien, printemps 1997, Paris. Jacqueline a 26 ans. Détentrice d'un bac G1 et d'un DEUG d'histoire, elle est aujourd'hui hôtesse d'accueil dans la succursale parisienne d'une grande marque automobile.

* 1431 Témoignage de Mohamed Bouremel, la soixantaine, Mende (Lozère) : « A Mende, encore aujourd'hui, les harkis ne se réunissent jamais dans l'année. Même le jour de l'Aïd-el-Kébir, on fait profil bas, on baisse la tête, on fait tout pour ne pas se faire remarquer. Parce qu'on a peur d'être renvoyés en Algérie » ; cité par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.107.

* 1432 Entretien, printemps 1997, Paris. Karim a 31 ans. Sa formation est polyvalente : titulaire d'un C.A.P. de cuisine, d'une capacité en droit et d'un bac G1 (obtenu en candidat libre), il est également détenteur d'un diplôme d'Etat dans l'action sociale relatif aux fonctions d'animation. Il travaille aujourd'hui dans l'administration en tant qu'ouvrier professionnel des sports et se prépare à un concours d'agent de maîtrise.

* 1433 Entretien, printemps 1997, Paris. Dalila a 37 ans. Elle a mené, à l'issue de sa scolarité, des études de comptabilité commerciale (interrompues en deuxième année). Elle est aujourd'hui secrétaire.

* 1434 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Ahmed a environ 25 ans. Il est salarié et prend des cours du soir en plus de son travail pour remédier à une mauvaise orientation initiale.

* 1435 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Mohamed a 35 ans. Il a servi onze années dans l'armée en tant que sous-officier après avoir poursuivi des études supérieures. Il est actuellement sans emploi et entraîne, à titre bénévole, l'équipe première de football de Largentière

* 1436 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Rachid a 34 ans. Il a quitté l'école à 15 ans et demi, puis a perdu son père peu après, alors qu'il était âgé de 16 ans. Paysagiste de formation, il est actuellement sans emploi. Il dit, avec ironie, n'avoir « jamais rien à foutre » et définit le Bar-PMU Les Recollets comme son « fief ». Son entretien a lieu en présence de Mohamed, 28 ans, sans emploi.

* 1437 Entretien, printemps 1997, Paris. Régika a 37 ans. Titulaire d'un BEP de couture, elle exerce aujourd'hui la profession de chauffeur de taxi. Elle est également présidente d'association.

* 1438 Témoignage de Madame Allem, Bias (Lot-et-Garonne), recueilli par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.99.

* 1439 Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.30-31.

* 1440 Madame Betha, la soixantaine, Mende (Lozère), citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.92.

* 1441 Madame Haffi, 67 ans, Bias (Lot-et-Garonne), citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.100.

* 1442 À cet égard, le "coût" narcissique de l'écrit est moindre que celui d'un entretien face-à-face, qui plus est avec un inconnu, puisque l'écrit permet de choisir les mots et le moment, tout en préservant l'auteur d'un rapport direct avec son interlocuteur-lecteur.

* 1443 Djami, C'est la vie, Paris, La pensée universelle, 1993.

* 1444 Zahia Rahmani, op.cit.

* 1445 Ibid, p.19-20.

* 1446 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.19. En intériorisant le regard que la société porte sur ses parents, l'enfant est, selon Vincent de Gaulejac, partagé entre deux attitudes : « trahir pour se sauver » (la forclusion), ou « reproduire pour ne pas trahir » (l'intériorisation de la honte familiale). La forclusion, ou l'exclusion de toute référence au père comme tiers signifiant, se traduit par la désunion d'un « représentant » sensible (le père) et d'un « représenté » symbolique (la figure du père) : le réel subsiste, mais hors la symbolisation. A l'inverse, l'intériorisation consiste à endosser l'héritage paternel et les contradictions qui lui sont inhérentes (pour soi et/ou aux yeux d'autrui), quel qu'en soit le coût psychologique.

* 1447 Edmond-Marc Lipiansky, op.cit., p.34.

* 1448 Ibid, p.7-8.

* 1449 Irène Théry, art.cit.

* 1450 Claude Dubar, op.cit., p.7.

* 1451 Témoignage anonyme extrait de Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988 ; repris in Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi, op.cit., p.123.

* 1452 Entretien, printemps 1997, Evry (Essonne). Mohamed a 42 ans. Commandant de police, il a, auparavant, brièvement exercé la profession d'aide comptable (voie qui correspondait à sa formation initiale mais guère à ses aspirations). Mis au fait de l'orientation particulière de notre recherche, Mohamed nous informe d'entrée que son père est décédé (accidentellement) en 1964 ; Mohamed n'était alors pas encore sorti de l'enfance (il avait 9 ans) et n'a donc jamais réellement eu l'occasion de converser "d'homme à homme" avec son père. Nous avons dû modifier, en conséquence, les termes et l'orientation de la consigne d'entretien, initialement centrée sur la relation directe père/enfant. Néanmoins, il va de soi que la référence spirituelle, l'identification à l'image idéelle fantasmée et/ou relayée du père sont récurrentes dans les propos de Mohamed et présentent, du point de vue de notre analyse, un intérêt de tout premier ordre.

* 1453 Notre corpus d'entretiens comprenant trois Mohamed (28, 35 et 42 ans), nous préciserons leur âge pour les distinguer.

* 1454 K.D. Bouneb, Délit de Faciès. Intégration des harkis ?, Paris, Editions Tougui, 1991, p.57.

* 1455 Ibid, p.124.

* 1456 Ibid, p.149.

* 1457 Ibid, p.151.

* 1458 Denis-Constant Martin, op.cit., p.583.

* 1459 Selon Erving Goffman, « [L'information sociale] touche à ce qui caractérise [un individu] de façon plus ou moins durable, par opposition aux humeurs, aux sentiments ou aux intentions qu'il peut avoir à un moment donné » ; Erving Goffman, op.cit., p.58-59.

* 1460 Ibid, p.59.

* 1461 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p.18.

* 1462 Erving Goffman, op.cit., p.68.

* 1463 Erik.H. Erikson, Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris, Flammarion, 1972, p.17.

* 1464 Denis-Constant Martin, op.cit., p.15.

* 1465 Claude Dubar, op.cit., p.113.

* 1466 Ibid, p.114.

* 1467 Ibid, p.115-116.

* 1468 Ibid, p.116.

* 1469 La notion de "trajectoire vécue" désigne la manière dont les individus reconstruisent subjectivement les événements qu'ils jugent significatifs de leur biographie sociale et/ou de la mémoire de leur groupe d'appartenance.

* 1470 Erving Goffman, op.cit., p.49.

* 1471 Selon Erving Goffman, « la ronde journalière représente un concept-clé, car c'est elle qui relie l'individu à ses diverses situations sociales. Il s'ensuit qu'on ne saurait l'étudier sans une intention précise, sans chercher à découvrir une réalité définie : si l'individu est une personne discréditée, le cycle des événements ordinaires qui limitent son acceptation par la société ; s'il est discréditable, les difficultés qu'il éprouve à contrôler l'information sur lui-même ; Erving Goffman, op.cit., p.112.

* 1472 Eric Landowski, Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, PUF, 1997, p.45.

* 1473 Ibid, p.48.

* 1474 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.112.

* 1475 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.112.

* 1476 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.64-65.

* 1477 Alex Mucchielli, op.cit., p.66-67.

* 1478 Outre Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, voir notamment Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1986.

* 1479 Voir notamment Jean-Claude Deschamps, L'attribution et la catégorie sociale, Berne, Peter Lang, 1977, ainsi que Jean-Claude Deschamps et Alain Clémence, L'explication quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000.

* 1480 Eric Landowski, Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, PUF, 1997, p.46.

* 1481 Jean-Claude Deschamps, L'attribution et la catégorie sociale, Berne, Peter Lang, 1977, p.12.

* 1482 Erving Goffman, op.cit., p.161.

* 1483 Eric Landowski, op.cit., p.46-47.

* 1484 En février 2003, un sondage CSA / Le Parisien / Aujourd'hui en France réalisé par téléphone auprès d'un échantillon national représentatif de 1.000 personnes âgées de 18 ans et plus montrait que 62% des Français avaient une mauvaise image de l'Algérie. Trois ans plus tôt, en février 2000, un même sondage faisait état de 82% d'opinions négatives (sondage CSA / MEDI 1 réalisé les 15 et 16 février 2000 auprès d'un échantillon national représentatif de 1.002 personnes âgées de 18 ans et plus).

* 1485 A cet égard, il n'est pas inutile de citer à nouveau le général de Gaulle, s'adressant à Alain Peyrefitte dans le cadre d'une conversation privée, en 1959 : « C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuplement européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu'on ne se raconte pas d'histoires ! » ; cf. Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.52. C'est nous qui soulignons.

* 1486 Eric Landowski, op.cit., p.46-47.

* 1487 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995, p.225.

* 1488 En France, la cristallisation de l'imaginaire xénophobe en un racisme anti-arabe résulte principiellement de l'association entre histoire coloniale et dynamiques migratoires selon Éric Savarèse (Histoire coloniale et immigration. Une invention de l'étranger, Paris, Séguier, 2000), du transfert de la mémoire de l'« Algérie française » selon Benjamin Stora (Le Transfert d'une Mémoire. De l' « Algérie française » au racisme anti-arabe, Paris, La Découverte, 1999).

* 1489 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.21. C'est nous qui soulignons.

* 1490 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p.98.

* 1491 K.D. Bouneb, op.cit., p.127.

* 1492 Selon Erving Goffman, participent des stigmates tribaux (ou ethniques) la race, la nationalité et la religion.

* 1493 K.D. Bouneb, op.cit., p.61.

* 1494 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Lahcène a 24 ans. Dépourvu de diplôme, il travaille en CDD à la mairie de Largentière comme ouvrier polyvalent. L'entretien se déroule en présence de Zohra, 45 ans, une tante de Lahcène, elle-même fille de harki.

* 1495 Akila Bouremel, la soixantaine, Mende (Lozère), citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.107.

* 1496 Entretien, printemps 1997, Paris. Rabah a entre 35 et 40 ans. Il est fonctionnaire.

* 1497 Lakhdar Belaïd, Sérail killers, Paris, Gallimard, 2000.

* 1498 Interview de Lakhdar Belaïd par Delphine Thouvenot pour l'Ecole supérieure de journalisme de Lille ; cf. interview consultable à cette adresse : http://www.esj-lille.fr/atelier/magan2/lilledeu/gens/belaid.htm.

* 1499 Charles Bénédicte, « Il était médaillé : ça n'a pas arrangé ses affaires. L'ex-harki s'expulse de sa cité », Marianne, n°344, semaine du 24 novembre 2003 au 30 novembre 2003 ; http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/30/E9/document_article_marianne.phtml. Dix-huit auparavant, en avril 1985, à Toulon également, un fait divers plus dramatique encore, mais dont les ressorts sont comparables, avait défrayé la chronique. Un ancien harki âgé de 58 ans avait tué trois de ses voisins (deux d'origine algérienne, un d'origine marocaine), après qu'il eût été l'objet, pendant des mois, d'insultes, de vexations et de brimades en raison de son engagement passé aux côtés de l'armée française. Il avait été hospitalisé quelques jours auparavant à la suite d'une énième échauffourée, et s'était adressé plusieurs fois à la police pour porter plainte, sans résultat. Robert Mouson, alors président de l'association des Français musulmans et de leurs amis avait apporté les précisions suivantes : « Les immigrés le prenaient régulièrement à partie. Il n'en pouvait plus. La vie devenait infernale pour lui. Sa plainte n'a pas eu de suite et il en était déçu. D'ailleurs, ce n'est pas un cas unique. Des bagarres éclatent régulièrement avec les mêmes antagonistes et pour les mêmes raisons dans les foyers Sonacotra de la ville. Il y a déjà eu trois blessés. Les Français musulmans paient très cher leur choix. Ils doivent se taire ou recevoir des coups » (Propos rapportés dans Le Figaro du 16 avril 1985, avec pour titre : « Le coup de folie de l'ancien harki », et pour sous-titre : « Il était un «traître» pour ses voisins algériens. Dimanche soir, à Toulon, il n'a plus supporté. Le sang a coulé »).

* 1500 Smaïl Zidane, cité par Christine François, « Le père de Zidane ne veut plus qu'on le traite de «harki» », La Provence du 24 septembre 1998. C'est nous qui soulignons.

* 1501 Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit., p.176.

* 1502 Ibidem.

* 1503 Tahar Ben Jelloun, Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996 ; extrait cité in Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.120.

* 1504 Tahar Ben Jelloun, Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996 ; extrait cité in Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.120.

* 1505 Lakhdar Belaïd, « Crise algérienne : la (non-)réaction des Algériens vivant en France », Etudes, avril 1995, p.442.

* 1506 Rachid Boudjedra, « L'honneur de l'armée algérienne », in Le Monde du 6 juillet 2002, p.15.

* 1507 Habib Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne, Paris, La Découverte, 2001.

* 1508 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 1509 Voir les définitions de ces notions ci-dessous, dans la section B.

* 1510 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.112.

* 1511 Ibid.

* 1512 Ibid, p.58 et 112 à 121.

* 1513 Cf. Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.150-151 et 164-165.

* 1514 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.184.

* 1515 Ibidem.

* 1516 Raymond Boudon, entrée « Influence », in Raymond Boudon et François Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982, p.299.

* 1517 Ibid, p.299-300.

* 1518 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.284.

* 1519 Erving Goffman, op.cit., p.125.

* 1520 Ibid, p.123.

* 1521 Ibidem.

* 1522 Sous le vocable de « normaux », Erving Goffman entend désigner les individus qui ne différent pas négativement des anticipations que nous formulons quant à leur identité sociale.

* 1523 Erving Goffman, op.cit., p.99.

* 1524 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.188-189.

* 1525 Ibid, p.84-85 et 190.

* 1526 Erving Goffman, op.cit., p.124-125.

* 1527 Erving Goffman, op.cit., p.60.

* 1528 Marianne, la trentaine (Rivesaltes, Pyrénées-Orientales), citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.106.

* 1529 La maman de Sarah, anonyme (Perpignan), citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.106

* 1530 Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.66-67.

* 1531 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.23-24.

* 1532 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.108.

* 1533 Mohamed Bouremel, la soixantaine, Mende (Lozère), cité par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.107.

* 1534 « A travers la stigmatisation, écrit Nicole Lapierre, le nom n'est plus seulement un attribut plus ou moins arbitraire, il devient une essence. Ainsi les noms particulièrement typifiants glissent-ils du signe d'origine à la nature de l'être » (Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.281).

* 1535 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.285.

* 1536 Ibidem.

* 1537 Djellouli Bent Ahmed : « Nous, nous étions dans un camp plus ou moins administré par les Pieds-noirs où les changements de prénoms étaient nombreux car il y avait une assistante sociale pied-noir qui les changeait d'office, sans l'avis des parents. Elle a choisi le prénom des enfants dans plus de deux mille familles, elle les a tous francisés. Pendant son règne, à chaque naissance, elle inscrivait un prénom français » ; cité par Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.283.

* 1538 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.342-343.

* 1539 Ibid, p.284.

* 1540 Mohammed Guerroumi : « Quand je téléphonais pour un boulot ou un appartement et que je disais Guérin Jean-Pierre, pas de problème... Mais quand je me présentais avec ma tête basanée et frisée, il n'y avait plus de boulot pour moi, ou plus d'appartement » ; cité par Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.334.

* 1541 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.14-15.

* 1542 Ibid, p.191.

* 1543 Moustapha Diop, « Regards croisés », Hommes & Migrations, n°1135, septembre 1990, p.34.

* 1544 Sur la postérité abrasive de la geste anticolonialiste de la guerre d'Algérie et ses effets inhibiteurs sur les enfants de harkis, en particulier s'agissant de la faculté de se réclamer de son ascendance : voir les témoignages de T., 29 ans, titulaire d'une maîtrise d'informatique (« A l'adolescence, ce mot de harki m'a gêné : sans m'en rendre compte, j'avais été un peu contaminé par l'intoxication gauchiste qui relayait celle du FLN »), et de Z., 34 ans, licenciée en psychologie (« Eux les copains immigrés, ils citaient Fanon, Vidal-Naquet, Avoir vingt ans dans les Aurès, etc. (...). J'ai compris plus tard qu'on nous a confisqué notre histoire, qu'on nous a imposé une façon de la voir avec des lunettes déformantes ») in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.17 et 121.

* 1545 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas rapportent le témoignage d'un jeune du Logis d'Anne (Bouches-du-Rhône), qui laisse entendre que la (mauvaise) réputation des fils de harkis dans la région n'est pas pour rien dans ses difficultés à trouver un travail : « Du travail, il n'y en a pas. Aujourd'hui, je suis resté toute la journée à Manosque chercher du boulot, j'ai cherché partout dans les stations services, dans les hôtels, dans les magasins. Je veux faire n'importe quoi, mais tu sais, tu n'es pas seulement arabe, mais en plus tu es harki, alors... » (Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.148).

* 1546 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.96.

* 1547 Hocine, 26 ans, cité par Philippe Bernard, « De la honte à la rage », Le Monde du 21 mars 1992, p.8.

* 1548 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.145.

* 1549 J'ai volontairement changé son prénom pour préserver son anonymat.

* 1550 J'use là encore, pour les mêmes raisons, d'un pseudonyme.

* 1551 Erving Goffman définit comme « normaux » les individus qui, dans le cercle des rapports sociaux ordinaires, « ne divergent pas négativement des attentes particulières nourries à leur endroit » ou, pour le dire autrement, « qui ne possèdent une différence fâcheuse d'avec ce à quoi nous nous attendions » ; cf. Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.15.

* 1552 Ibid, p.90-91.

* 1553 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.107.

* 1554 Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.18.

* 1555 Ibidem.

* 1556 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.157.

* 1557 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.72.

* 1558 Eric Landowski, Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, PUF, 1997.

* 1559 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.46.

* 1560 Par « reconnaissance cognitive », Erving Goffman désigne « l'acte de perception qui consiste à "situer" un individu comme ayant telle ou telle identité sociale ou personnelle ». Par « reconnaissance sociale », l'auteur renvoie à la connaissance intime, personnelle, que l'on a de quelqu'un, par-delà l'acte de perception (Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.85-86).

* 1561 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.88.

* 1562 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.86 et 130.

* 1563 Fritz Heider, The psychology of interpersonal relations, New York, John Wiley & Sons, 1958.

* 1564 Leon Festinger, A theory of cognitive dissonance, Stanford, Stanford University Press, 1957.

* 1565 Jean-Claude Deschamps, Alain Clémence, L'explication quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000, p.11-12.

* 1566 Vincent de Gaulejac, op.cit., p.73.

* 1567 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.146-147.

* 1568 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.107.

* 1569 Kamel (sans précision d'âge), cité in Mohamed Kara, op.cit., p.147.

* 1570 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.65.

* 1571 K.D. Bouneb, op.cit., p.61.

* 1572 Ibidem.

* 1573 Ibid, p.104.

* 1574 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.138, 152 et 153.

* 1575 Carmel Camilleri, « Identité et gestion de la disparité culturelle : essai d'une typologie », in C. Camilleri, J. Kastersztein, E. M. Lipiansky, H. Malewska-Peyre, I. Taboada-Leonetti, & A. Vasquez (Eds.), Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990, p.85 à 110.

* 1576 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.106-107.

* 1577 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.49.

* 1578 Leila, 39 ans, Bias (Lot-et-Garonne) ; citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.92.

* 1579 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.69.

* 1580 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.120.

* 1581 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.87.

* 1582 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places. Insertion et désinsertion, Marseille/Paris, Desclée de Brouwer, 1994 ; voir aussi Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.72.

* 1583 Commentaire de Lahcène à ce sujet : « Ici, c'est plutôt discret, ici. Ici, tu peux pas te montrer avec une femme. Tu sais, c'est le respect par rapport... le respect, c'est les traditions, quoi. Tant que t'es pas marié ou fiancé, tu peux pas... ».

* 1584 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.44. Plus loin, Goffman ajoute : « Allié ou non à ses semblables, l'individu stigmatisé manque rarement à manifester l'ambivalence de ses identifications lorsqu'il voit l'un de ceux-ci exhiber, sur un mode baroque ou pitoyable, les stéréotypes négatifs attribués à sa catégorie. (...) D'où les tentatives d'"épurement" par lesquelles l'individu stigmatisé s'efforce non seulement de "normifier" sa conduite, mais aussi d'amender celle de certains de ses pareils. Et c'est peut-être lorsqu'un stigmatisé, se trouvant "avec" un normal, vient à croiser l'un de ces éléments déplaisants de son groupe que l'ambivalence s'exprime avec le plus d'acuité » (p.129-130. C'est nous qui soulignons).

* 1585 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997.

* 1586 Ces remarques recoupent en partie l'impression qui avait été la mienne au contact de certains Ardéchois de "vieille souche". Alors que j'expliquai à un homme d'un certain âge habitant un village voisin de Largentière la raison de ma présence dans la région, sa première réaction fut de se lamenter que les harkis et leurs enfants n'étaient « pas très travailleurs ». Il est ainsi bien évident qu'une "réputation" précède les enfants de harkis, qui, sans autre égard pour la trajectoire particulière des anciens harkis et de leurs familles, ne facilite pas leur insertion socioprofessionnelle dans la région.

* 1587 Mohand Hamoumou, « Révoltes des enfants d'anciens harkis : quelques clés pour comprendre », Esprit, septembre 1991, n°174, p.113.

* 1588 Les notions d' « autrui généralisé » et d' « autrui significatif » sont empruntées à G. H. Mead [1934], L'esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963.

* 1589 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.52.

* 1590 Ibid, p.17-18.

* 1591 Leila, 39 ans, Bias (Lot-et-Garonne) ; citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.92.

* 1592 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Mohamed a 28 ans. Il est sans emploi.

* 1593 Notre corpus d'entretiens comprenant trois Mohamed (28, 35 et 42 ans), nous préciserons leur âge pour les distinguer.

* 1594 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.139.

* 1595 Ibidem.

* 1596 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.65.

* 1597 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.201.

* 1598 Ibid, p.66.

* 1599 Par « itinéraire moral », Erving Goffman entend désigner la « suite d'adaptations personnelles » auxquelles sont contraintes « les personnes affligées d'un certain stigmate » (Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.45-46).

* 1600 Vincent de Gaulejac, op.cit., p.69.

* 1601 Pour Vincent de Gaulejac, l'affirmation du sentiment d'identité passe par la quête de la dignité, qu'il définit à la fois comme mobilisation du sujet pour sauvegarder sa subjectivité et quête de la réciprocité dans l'espace social et politique, « sans trahir ni se déjuger ». Il s'agit - tout à la fois individuellement et collectivement - de signifier son refus de la dépendance statutaire : « Le sentiment d'identité a deux aspects : un aspect personnel qui est l'expression de l'individualité, sentiment d'être acteur de sa propre vie, d'être sujet de son histoire, de pouvoir affirmer son existence propre, de pouvoir dire je ; un aspect social qui inscrit l'individu dans un groupe (...) par la reconnaissance de son appartenance à ce groupe, et qui évoque l'idée de réciprocité. La dignité s'étaie sur ces deux composantes de l'identité : le respect de soi qui renvoie à la personne ; le respect que les autres vous portent » (Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.136-137).

* 1602 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.138.

* 1603 Ibid, p.157.

* 1604 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.198-199.

* 1605 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada-Léonetti, La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, p.77.

* 1606 Ibid, p.194-195 (voir détails infra).

* 1607 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.123.

* 1608 Interview de Philippe Blanchet par Dialogues politiques en hommage à Pierre Bourdieu ; cf. http://www.la-science-politique.com/revue/revue1/article9.htm.

* 1609 « La formation de l'identité, écrit Erik H. Erikson, commence là où cesse l'utilité de l'identification. Elle surgit de la répudiation sélective et de l'assimilation mutuelle des identifications de l'enfance ainsi que de leur absorption dans une nouvelle configuration qui, à son tour, dépend du processus grâce auquel une société identifie le jeune individu en le reconnaissant comme quelqu'un qui avait à devenir ce qu'il est et qui, étant ce qu'il est, est considéré comme accepté » (Citation de E.H. Erikson, Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris, Flammarion, 1972, in Alex Mucchielli, L'identité, Paris, « Que sais-je ? », PUF, 1992, p.60-61).

* 1610 Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, PUF, 1968 (1ère édition 1950), p.78.

* 1611 Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations. L'empreinte du temps, Paris, PUF, 1988, p.185.

* 1612 Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations. L'empreinte du temps, Paris, PUF, 1988, p.184.

* 1613 Gérard Namer, Mémoire et société, Paris, Librairie des Méridiens, 1987, p.224.

* 1614 Ibid, p.226.

* 1615 Ibid, p.227.

* 1616 Ibid, p.224.

* 1617 Edmond-Marc Lipiansky, op.cit., p.42.

* 1618 Claude Dubar, op.cit., p.47.

* 1619 Gérard Namer, Mémoire et société, Paris, Librairie des Méridiens, 1987, p.239.

* 1620 Témoignage publié sur le forum du site administré par Amid Toualbia ; cf. http://www.harkis.org/news/index.php3?forum=1.

* 1621 Témoignage anonyme extrait de Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988 ; repris in Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi, op.cit., p.123.

* 1622 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.243-244.

* 1623 Youri Afanassiev, entrée « Mémoire-histoire », in Youri Afanassiev et Marc Ferro (dir.), 50 idées qui ébranlent le monde, Paris, Payot, 1990, p.412.

* 1624 Maurice Halbwachs, op.cit., p.48.

* 1625 Alex Mucchielli, op.cit., p.68.

* 1626 Ibid, p.60.

* 1627 E.H. Erikson, Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris, Flammarion, 1972, p.13.

* 1628 Citation de H. Tajfel in Serge Moscovici, Introduction à la psychologie sociale, Paris, Larousse, 1972, p.292.

* 1629 Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Editions du Seuil, 2003 (avec une préface de Jacques Duquesne).

* 1630 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Challah a 35 ans. Détenteur d'un CAP, il est actuellement sans emploi. Se définissant comme un artiste, il participe de temps en temps à des radio-crochets.

* 1631 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.223 et 259.

* 1632 Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999), p.225.

* 1633 Entretien, printemps 1997, Paris. Taouès a 47 ans. Née en Algérie, et "rapatriée" à l'âge de 12 ans, elle est mariée à un fils de pied-noir et responsable des relations publiques au sein d'une association de rapatriés.

* 1634 Témoignage de M. L. extrait du documentaire intitulé Les Harkis, IIIème partie, réalisé par Alain de Sédouy et Eric Deroo, GMT Productions, 1994 ; repris in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.92.

* 1635 Cf. Le supplément télévision du Monde des 22 et 23 juillet 1990.

* 1636 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p.97.

* 1637 Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi, op.cit., p.14.

* 1638 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p.62 et 195.

* 1639 Ibid, p.34.

* 1640 Edmond-Marc Lipiansky, op.cit., p.18.

* 1641 Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.415.

* 1642 Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.20 et 23.

* 1643 Ibid, p.23-24.

* 1644 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p.98.

* 1645 Pierre Hassner, Introduction au dossier « mémoire, justice, réconciliation », Critique internationale, n°5, 1999, p.124 ; cité in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.8-9.

* 1646 Daniel Rivet, « Présence/absence des accords d'Évian et des premiers jours de l'indépendance algérienne dans quelques journaux français », allocution donnée dans le cadre du colloque intitulé « La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire » et organisé les 14 et 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu, à Paris.

* 1647 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

* 1648 La loi du 11 juillet 1987, dite loi Santini, entérinait ainsi le versement d'une indemnité forfaitaire de 60.000 francs. A la suite, et dans une même logique, la loi du 11 juin 1994, dite loi Romani, entérinait le versement d'une indemnité forfaitaire dite « complémentaire » - par rapport à celle de 1987 - de 110.000 francs.

* 1649 La rente viagère est une allocation versée annuellement au bénéfice des anciens harkis (ou veuves de harkis) dont les revenus sont proches du minimum vieillesse.

* 1650 D'après le Comité Harkis et Vérité, présidé par Charles Tamazount, juriste et enfant de harki originaire du camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne ; cf. www.chez.com/harkis.

* 1651 Réponse du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin publiée dans le Journal Officiel du Sénat du 2 janvier 2003 (page 23) à la question écrite du 25 juillet 2002 du sénateur socialiste Jean-Marc Pastor.

* 1652 Outre l'article 4, désormais abrogé, l'article 3 porte création d'une « fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie », et l'article 5 interdit « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki », ainsi que « toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d'Evian ». Nous y reviendrons plus avant.

* 1653 Pour sa part, la première génération - anciens harkis ou conjoints survivants - bénéficie de la prorogation des aides à l'acquisition ou à l'amélioration de la résidence principale, des demandes de secours exceptionnels pour faire face au surendettement immobilier, ainsi que de la possibilité de choisir entre une « allocation de reconnaissance » versée annuellement sans limitation de durée (2.800 euros par an) ou un capital plus important versé en une seule fois (30.000 euros).

* 1654 Symptomatiques à cet égard étaient les conclusions du rapport établi en 1999, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, par le député Serge Blisko, qui, tout en appelant à « sortir des dispositifs dérogatoires qui stigmatisent les harkis au sein de la communauté nationale au profit d'un travail de mémoire et de reconnaissance historique », affirmait cependant que les « dispositifs de réparation mériteraient sans doute d'être prolongés d'une année supplémentaire » (Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur la proposition de résolution de Monsieur François Goulard « tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation actuelle des harkis en France et plus particulièrement sur la situation de leurs enfants »). En 1990, déjà, le ministère de la Solidarité faisait savoir que le gouvernement envisageait de supprimer les aides spécifiques et de faire revenir les harkis sous le régime général : « Beaucoup d'argent a été mal employé. Il a eu une efficacité très relative, et a renforcé la marginalisation » (Source anonyme au sein du ministère, citée in Libération du 16 octobre 1990).

* 1655 Voir plus la section II.A.2 de la Partie 4, ainsi que la Partie 2.

* 1656 Didier Demazière, Claude Dubar, Analyser les entretiens biographiques. L'exemple de récits d'insertion, Paris, Nathan, 1997.

* 1657 Pierre Lepape, « Du silence à la mémoire. La guerre d'Algérie dans la littérature », Etudes, octobre 1993, p.395.

* 1658 Abdelkrim Klech, porte-parole des grévistes de la faim, cité in Maach R., « L'intransigeance amère des fils de harkis », Libération, 6 octobre 1997, p.17.

* 1659 Ibidem.

* 1660 Ibidem.

* 1661 Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, en réponse à une question d'Emmanuel Hamel, sénateur, séance du 30 septembre 1997. C'est nous qui soulignons.

* 1662 Nice-Matin du 27 septembre 1997.

* 1663 Emmanuelle Gilles, Les évènements de l'été 1991 : un début de règlement de la question harkie ou la poursuite de l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003, p.74.

* 1664 Vincent Geisser, Ethnicité républicaine. Les élites d'origine maghrébine dans le système politique français, Paris, Presses de la F.N.S.P., 1997, p.230.

* 1665 Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, en réponse à une question d'Emmanuel Hamel, sénateur, séance du 30 septembre 1997.

* 1666 Maach R., art.cit., p.17.

* 1667 Dalila Kerchouche, « Harkis : le droit à l'histoire », L'Express, 9 octobre 1997, p.49.

* 1668 Marie-Claire Lavabre, « Usages du passé, usages de la mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994.

* 1669 Abdelkrim Klech, cité in Cédric Alviani, « Harki solitaire face au dôme des invalides », Libération, 1er janvier 1998, p.18.

* 1670 Aujourd'hui en France, Le Télégramme et Nice-Matin du 7 octobre 1997. C'est nous qui soulignons.

* 1671 Il faut noter que ces mêmes modalités de mise sur agenda avaient abouti à de mêmes résultats en 1991, à Narbonne, où les « effets de récupération » liés à la défection de certains leaders - démobilisés par des promesses individuelles d'embauche - « [avaient] été mal ressentis par l'ensemble des jeunes harkis, trahis dans leur élan collectif », et « [avaient] entravé l'issue de la révolte » (Emmanuelle Gilles, Les évènements de l'été 1991 : un début de règlement de la question harkie ou la poursuite de l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003, p.74).

* 1672 Libération du 7 octobre 1997 et The Irish Times du 8 octobre 1997 (« Son of a soldier betrayed by French colonisers still fights the Algerian war », par Lara Marlowe).

* 1673 Sherif Tamazount, interrogé par Françoise Lemoine, Le Figaro du 9 octobre 1997.

* 1674 Le Monde du 8 octobre 1997.

* 1675 Abdelkrim Klech, cité in Cédric Alviani, « Harki solitaire face au dôme des invalides », Libération, 1er janvier 1998, p.18.

* 1676 Zahia Rahmani, op.cit., p.53-54.

* 1677 Sur un plan plus strictement "technique", la personne en charge de cette formation - une consultante privée rémunérée par l'Armée - nous avait conseillé de demander aux intéressés « s'ils aimaient plus le calcul ou les lettres ». Je ne m'étendrai pas sur ce que cela indique de l'image formée et de la considération portée aux enfants de harkis par cette personne.

* 1678 En 1997, le journaliste du Télégramme Ferdi Motta rapportait que dans le Morbihan, à la suite du départ à la retraite d'une fonctionnaire en place depuis 30 ans, c'est le service du regroupement familial des étrangers qui avait hérité de ce dossier : « Une anomalie, écrivait-il alors, qu'on reconnaît sur place dans une belle formule : «C'est vrai qu'il y a là un problème de communication externe» ! » ; Ferdi Motta, « En Bretagne aussi comment peut-on être harki ? », Le Télégramme, 2 octobre 1997 ; article consultable à cette adresse : http://www.bretagne-online.com/telegram/htdocs/archive/1997/19971002/article/2674041.htm.

* 1679 Sur la relation de guichet dans d'autres contextes, voir Vincent Dubois, La vie au guichet, Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 1999 ; et Mireille Eberhard, « Catégorisations ethnico-raciales au guichet », Les Cahiers du Cériem, n° 8, décembre 2001, p.35-49.

* 1680 De même, à la préfecture des Côtes-d'Armor, Ferdi Motta a tôt fait de décontenancer « [une] employée un peu déboussolée [qui] s'interroge à voix haute : «C'est quoi au juste les harkis» ? » ; Ferdi Motta, art.cit. ; cf. http://www.bretagne-online.com/telegram/htdocs/archive/1997/19971002/article/2674041.htm.

* 1681 « A la préfecture du Finistère, écrit Ferdi Motta, on avoue un certain embarras et l'impossibilité d'indiquer le montant des aides versées aux harkis lesquels peuvent pourtant bénéficier d'aides au logement ou d'un coup de pouce dans la recherche d'un travail » ; Ferdi Motta, art.cit. ; cf. http://www.bretagne-online.com/telegram/htdocs/archive/1997/19971002/article/2674041.htm.

* 1682 Cette gestion des dossiers "à la tête du client" n'était semble-t-il pas propre au service des Rapatriés de la préfecture de Paris puisque Abdelkrim Klech, porte-parole du collectif « Justice pour les harkis », dénonçait - dans un courrier adressé aux plus hautes autorités - des « anomalies » dans le fonctionnement des "cellules emploi" mises en place dans plusieurs départements par la Délégation aux Rapatriés, comme ces listes de bénéficiaires potentiels, établies par la préfecture des Bouches-du-Rhône, où était mentionné le caractère "alcoolique" ou "contestaire" des intéressés (L'indépendant du 18 janvier 1999).

* 1683 A tel point que les accès de colère de mes collègues interrompaient parfois le cours normal des entretiens que je pouvais conduire dans le bureau d'à côté avec d'autres bénéficiaires, présents physiquement pour leur part, m'obligeant à des explications franches et embarrassées.

* 1684 Halima Belhandouz, Claude Carpentier, « Une construction socio-historique du "décrochage" scolaire - Le cas des Français musulmans du quartier nord d'Amiens », VEI enjeux, n°122.

* 1685 Déclaration reproduite à cette adresse : http://www.france.diplomatie.fr/actual/dossiers/visite-bout/bout-pp2006.html.

* 1686 Le texte intégral de cette déclaration est disponible sur www.elysee.fr.

* 1687 Le texte intégral de ce discours est disponible sur www.elysee.fr.

* 1688 Le collectif « Justice pour les harkis » a été créé à l'occasion des grèves de la faim successives entreprises en 1997-1998 sur l'esplanade des Invalides, à Paris (voir supra), sous l'égide d'une figure du mouvement associatif, Abdelkrim Klech.

* 1689 Mohamed Haddouche est aujourd'hui membre des instances nationales de l'Association Justice Information Réparation, AJIR, présidée par Mohand Hamoumou.

* 1690 Dépêche AFP, 25 septembre 2001.

* 1691 Le secrétaire général du collectif national « Justice pour les harkis », Mohamed Haddouche, estimait ainsi que la Journée d'hommage national était la bienvenue « à la condition expresse qu'il y ait une reconnaissance de l'abandon, du désarmement et du massacre de harkis, commis avec la complicité de la France » ; cf. dépêche AFP, 25 septembre 2001.

* 1692 Le texte intégral de ce discours est consultable sur www.elysee.org.

* 1693 Le texte intégral de ce discours est consultable sur www.elysee.org.

* 1694 Voir le site Internet de cette organisation : www.chez.com/harkis/.

* 1695 A cet égard, la discussion puis le vote récent de la loi du 10 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a constitué une nouvelle occasion manquée puisque les amendements - socialistes et centristes notamment - visant à officialiser la reconnaissance par la France de la responsabilité du gouvernement de l'époque dans l'abandon au massacre des harkis ont été rejetés par l'Assemblée.

* 1696 Jean-Pierre Raffarin, discours donné dans la cour d'honneur des Invalides à l'occasion de la deuxième Journée d'hommage national aux harkis.

* 1697 Mohamed Haddouche, « A propos du 25 septembre », Paroles données, Bulletin de l'Association Justice Information et Réparation pour les Harkis, Octobre 2002, p.2.

* 1698 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.619.

* 1699 Paul Ricoeur citant Klaus-Michael Kodalle in La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.618.

* 1700 Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.113 à 115.

* 1701 Olivier Abel, « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993, p.62.

* 1702 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.77.

* 1703 Olivier Abel, « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993, p.62.

* 1704 Ibid, p.64.

* 1705 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.80.

* 1706 Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991.

* 1707 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 1708 John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations », Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°40 et 41.

* 1709 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.75.

* 1710 Ibid, p.87.

* 1711 Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991, p.64-66.

* 1712 Olivier Abel, « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993, p.60-61.

* 1713 Ibid., p.64.

* 1714 Ibid, p.61.

* 1715 Ibid., p.72.

* 1716 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.612-613.

* 1717 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.615.

* 1718 Ibid, p.588.

* 1719 John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.

* 1720 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.78.

* 1721 Ibidem.

* 1722 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.75.

* 1723 Ibidem.

* 1724 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.594-595.

* 1725 Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991, p.70.

* 1726 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.594-595.

* 1727 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.75.

* 1728 Daniel Sibony, « Algérie : une étrange violence », Libération, 6 avril 1998.

* 1729 « Je prendrai alors le risque de cette proposition : à chaque fois que le pardon est au service d'une finalité, fût-elle noble et spirituelle (rachat ou rédemption, réconciliation, salut), à chaque fois qu'il tend à rétablir une normalité (sociale, nationale, politique, psychologique) par un travail du deuil, par quelque thérapie ou écologie de la mémoire, alors le «pardon» n'est pas pur ni son concept. Le pardon n'est, il ne devrait être ni normal, ni normatif, ni normalisant. Il devrait rester exceptionnel et extraordinaire, à l'épreuve de l'impossible : comme s'il interrompait le cours ordinaire de la temporalité historique » (Jacques Derrida, « Le siècle et le pardon », Le Monde des Débats, décembre 1999. Propos recueillis par Michel Wieviorka).

* 1730 Jacques Derrida, « Le siècle et le pardon », Le Monde des Débats, décembre 1999. Propos recueillis par Michel Wieviorka.

* 1731 Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991, p.71.

* 1732 Ibid, p.70.

* 1733 John Crowley, « Introduction », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.11.

* 1734 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.81.

* 1735 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.594.

* 1736 Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991, p.70.

* 1737 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.80.

* 1738 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.81 et 87.

* 1739 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.631.

* 1740 John Crowley, « Introduction », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.10-11.

* 1741 John Crowley, « Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.), « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.86. C'est l'auteur qui souligne.

* 1742 Olivier Abel, « Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire », Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.80.

* 1743 Benjamin Stora, « Les enjeux et les difficultés d'écriture de l'histoire immédiate au Maghreb ». Ce texte est une mise en forme de l'entretien accordé par Benjamin Stora à Farida Moha, publié par le journal marocain Libération, le 22 février 2000, sous le titre : « Raconter des histoires, est-ce vraiment de l'histoire ? ». Il est consultable à cette adresse : www.ihtp.cnrs.fr/dossier_htp/htp_BS.html.

* 1744 Benjamin Stora, « Les enjeux et les difficultés d'écriture de l'histoire immédiate au Maghreb ». Ce texte est une mise en forme de l'entretien accordé par Benjamin Stora à Farida Moha, publié par le journal marocain Libération, le 22 février 2000, sous le titre : « Raconter des histoires, est-ce vraiment de l'histoire ? ». Il est consultable à cette adresse : www.ihtp.cnrs.fr/dossier_htp/htp_BS.html.

* 1745 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 589.

* 1746 D'après un sondage téléphonique effectué auprès de 130 journalistes « représentatifs par catégorie de supports et de rubriques », et publié par l'hebdomadaire Marianne du 23 avril 2001, 63% des journalistes interrogés déclaraient avoir l'intention de voter pour un candidat de gauche au 1er tour de l'élection présidentielle de 2002, contre seulement 6% pour un candidat de droite, le reste refusant de se prononcer.

* 1747 Marcel Péju, « Contre les harkis et contre le massacre des harkis », Marianne, n°341, semaine du 3 novembre au 9 novembre 2003.

* 1748 Marcel Péju, « Harkis et «collabos»», Jeune-Afrique L'intelligent du 27 juin 2000, n°2059, p.39.

* 1749 Marcel Péju, « Hommage aux «collabos» ? », Jeune-Afrique L'intelligent du 27 février 2001, n°2.094, p.54.

* 1750 « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis », entretien avec Marcel Péju, ancien secrétaire général des Temps modernes ; propos recueillis par Gilles Manceron et publiés in Hommes et libertés, n°116, septembre-novembre 2001 ; cf. http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.

* 1751 Voir ci-après la section II.B.3 de la Partie 4 : « Le strapontin judiciaire ».

* 1752 C'est nous qui soulignons.

* 1753 Cet éditorial, qui exprime le sentiment général de la rédaction, ne saurait cependant présager de l'opinion de chacun des journalistes qui y travaillent. Il convient ainsi de noter qu'Eric Fottorino, dans une chronique publiée deux ans plus tard et intitulée « L'honneur des harkis », approuvait, pour ce qui le concerne, l'instauration d'une telle journée, tout en considérant que cela n'était qu'un minimum « pour comprendre combien la France s'[était] mal comportée, qui a fait que des enfants ont pu regarder leurs pères comme des traîtres » (Eric Fottorino, « L'honneur des harkis », Le Monde du 3 novembre 2003).

* 1754 Charles Silvestre, « Opération harkis », L'Humanité du 8 février 2001. C'est nous qui soulignons.

* 1755 L'Humanité du 1er juillet 1991 ; extraits cités in Emmanuelle Gilles, Les évènements de l'été 1991 : un début de règlement de la question harkie ou la poursuite de l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003, p.39.

* 1756 Ibidem. C'est nous qui soulignons.

* 1757 Ibid, p.34-35.

* 1758 La chronique de Jacques Julliard : « Harkis : le temps de la honte », Le Nouvel Obervateur du 6 septembre 2001. C'est nous qui soulignons.

* 1759 L'Express du 30 août 2001.

* 1760 Fatima Besnaci-Lancou, Fille de harki : le bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie, Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003 (Avec une préface de Jean Daniel et Jean Lacouture).

* 1761 Préface de Jean Daniel et Jean Lacouture in Fatima Besnaci-Lancou, Fille de harki : le bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie, Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003, p.9. Déjà, dans Télérama du 13 septembre 1991, Jean Lacouture écrivait : « Ce tabou-là n'est pas près d'être levé. Cent mille personnes sont mortes par notre faute. Un massacre honteux pour la France comme pour l'Algérie. Le déshonneur est trop lourd à porter ».

* 1762 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 1763 « L'écriture de l'histoire et la représentation du passé », conférence à la Sorbonne, 13 juin 2000, cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.313.

* 1764 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.321.

* 1765 Thomas Nagel [1991], Egalité et partialité, Paris, P.U.F., 1994, cité in Paul Ricoeur, « Les rôles respectifs du juge et de l'historien », Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.50.

* 1766 Paul Ricoeur, « Les rôles respectifs du juge et de l'historien », Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.50.

* 1767 Thomas Nagel [1991], Egalité et partialité, Paris, P.U.F., 1994, cité in Paul Ricoeur, « Les rôles respectifs du juge et de l'historien », Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.51.

* 1768 Paul Ricoeur, « Les rôles respectifs du juge et de l'historien », Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.51.

* 1769 Olivier Mongin, « Les discordances de l'histoire et de la mémoire », Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.8.

* 1770 « La guerre d'Algérie. Bilan d'un engagement », entretien avec Pierre Vidal-Naquet, Confluences Méditerranée, N°19, Automne 1996.

* 1771 Intervention faite dans le cadre du colloque « La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire » organisé sur le campus de Jussieu, à Paris, les 14 et 15 novembre 2002 (retranscription opérée sur la base d'un enregistrement fait par nous). C'est nous qui soulignons.

* 1772 Le texte de l' « Appel des Douze » a été rédigé par Charles Silvestre, journaliste à L'Humanité.

* 1773 Madeleine Rebérioux, professeur d'histoire à Paris VIII (Vincennes, puis Saint-Denis) de 1969 à 1988, a été adhérente au PCF entre 1946 et 1969 avant d'en être exclue pour « gauchisme », après avoir participé à la fondation de la revue d'extrême-gauche Politique aujourd'hui. Très engagée aux côtés du FLN pendant la guerre d'Algérie, elle fut membre active du « Comité pour la défense des libertés en Algérie » (issu du « Comité pour les libertés » qu'elle co-fonda en 1952) ; secrétaire du Comité Maurice-Audin  (1959-1962) ; collaboratrice de Vérité-Liberté ; signataire du « Manifeste des 121 ». Professeur d'Histoire à Paris VIII (Vincennes, puis St Denis) de1969 à 1988. Elle animera le « Collectif interuniversitaire contre la guerre au Vietnam » (1965-1969) et militera au FSI (Front de solidarité Indochine, émanation de la LCR d'Alain Krivine). Elle est aussi administrateur de l'association Henri-Curiel.

* 1774 « La Ligue des droits de l'homme pense, et les Douze sont d'accord, que l'enseignement doit éclairer les adolescents sur ce qu'a été le système colonial, sur la manière dont il fonctionnait, associé à l'histoire de la République. Ce sont des choses qui doivent être dites, connues, comprises au même titre que la Shoah. Il y a eu de l'antisémitisme. Il y a eu un système colonial en France doublement articulé, pendant la guerre, sur la démission du politique devant l'armée et le refus d'admettre l'état de guerre » (« Torture : et les politiques ? », entretien avec l'historienne Madeleine Rebérioux, L'Humanité, 3 Juillet 2001. C'est nous qui soulignons).

* 1775 Pascal Bruckner, Le Sanglot de l'Homme blanc. Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, Seuil, 1983.

* 1776 Alfred Grosser, Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989.

* 1777 Guy Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et ses enjeux politiques en France », communication au colloque Les usages politiques de l'histoire dans la France contemporaine, des années 70 à nos jours, Paris, 25-26 septembre 2003 ; article consultable à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=20.

* 1778 Ibid.

* 1779 « La guerre d'Algérie. Bilan d'un engagement », entretien avec Pierre Vidal-Naquet, Confluences Méditerranée, N°19, Automne 1996.

* 1780 D'où le parti pris qui est le nôtre, à titre personnel, de nous livrer dès l'introduction de ce mémoire à ce que nous avons appelé un "contre-transfert". Nous en assumons les risques, nous en mesurons également les bénéfices. Libre au lecteur de relativiser ce qui est dit - et de souligner ce qui n'est pas dit - au regard de nos résistances biographiques. Libre à nous d'en accepter l'augure avec sérénité puisque, par définition, un discours situé et reconnu comme tel par son auteur le dispense d'arborer l'attitude fausse (et parfois infatuée) de ceux qui, soucieux d'exercer un magistère moral sur leur lectorat, se livrent à d'opportuns écarts d'identité : hier encore militants, acteurs ou héritiers, aujourd'hui historiens sans passé.

* 1781 Olivier Mongin, « Les discordances de l'histoire et de la mémoire », Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.9.

* 1782 Charles-Robert Ageron, « Le drame des harkis en 1962 », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6 ; Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.3 à 20 ; Charles-Robert Ageron, « Le «drame des harkis». Mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000, p.3 à 15.

* 1783 Mohamed Harbi et Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme médiatique », Confluences Méditerranée, n°48, Jeudi 12 février 2004.

* 1784 Guy Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et ses enjeux politiques en France », communication au colloque Les usages politiques de l'histoire dans la France contemporaine, des années 70 à nos jours, Paris, 25-26 septembre 2003 ; article consultable à cette adresse : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=20. Pour sa part, Alain Maillard de La Morandais rapporte que Charles-Robert Ageron fut membre du « Comité d'action des universitaire libéraux » aux côtés d'André Mandouze ou du docteur Pierre Chaulet (L'honneur est sauf, Paris, Seuil, 1990, p.74).

* 1785 Ageron (Charles-Robert), « Le drame des harkis en 1962 », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6.

* 1786 Hamoumou (Mohand), Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard, 1993.

* 1787 Ces deux documents sont cités dans la Partie 1 de cette thèse.

* 1788 Charles-Robert Ageron, « Le «drame des harkis». Mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000, p.3.

* 1789 Ibid, p.5.

* 1790 Ibidem.

* 1791 Charles-Robert Ageron, « Le «drame des harkis». Mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000, p.5.

* 1792 Ibid, p.14-15.

* 1793 Alfred Grosser, Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989, p.31.

* 1794 Lahouari Addi, « Les colonies, terres de torture », Libération du 7 décembre 2000, p.6.

* 1795 Mohamed Harbi et Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme médiatique », Confluences Méditerranée, n°48, Jeudi 12 février 2004. C'est nous qui soulignons.

* 1796 Guy Pervillé, « Les sciences historiques et la découverte tardive de la guerre d'Algérie : d'une mémoire conflictuelle à la réconciliation historiographique ? », exposé prononcé lors d'un colloque algéro-germano-français organisé par le Georg Eckert Institut à Braunschweig (Allemagne) en février 2004 ; article consultable à cette adresse: http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=40. De la même manière, Jack Lang, alors ministre de l'Education nationale, qui s'était exprimé ès qualités dans le cadre de l'université d'été « Apprendre et enseigner l'Algérie et le Maghreb contemporain organisée le 29 août 2001 par le ministère de l'Education nationale, soulignait - dans un contexte de réactivation par L'Humanité et Le Monde des polémiques autour des exactions perpétrées par l'armée française au cours de la guerre d'Algérie - que « l'historien doit s'attacher à l'objectivité des faits et à l'équité des jugements. Il lui appartient de dénoncer le procédé qui consiste à juger des actes semblables en utilisant "deux poids et deux mesures", avec indulgence ou avec sévérité, selon qu'il s'agit de son camp ou du camp opposé, ce qui revient à autoriser l'emploi de "tous les moyens" à ceux dont on estime qu'ils ont raison et à dénoncer la méthode chez ceux auxquels on donne tort ».

* 1797 Discours du président de la République française, Jacques Chirac, devant le Parlement algérien (Alger, 3 mars 2003). C'est nous qui soulignons.

* 1798 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.230.

* 1799 Jacques Chirac : « J'ai rappelé à mes hôtes combien il est important que tous les citoyens français qui désirent revoir leur terre natale ou celle de leurs aïeux puissent se rendre dignement en Algérie. Et je pense bien sûr, notamment, aux Harkis » ; allocution faite devant la communauté française installée en Algérie (Alger, le 3 mars 2003) et consultable sur www.elysee.fr.

* 1800 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.311.

* 1801 Mustapha Hammouche, « Voyage politicien », Liberté, 2 mars 2003.

* 1802 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.198. C'est l'auteur qui souligne.

* 1803 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.311.

* 1804 Voir notamment Le livre blanc de l'armée française en Algérie, Paris, Editions Contretemps, 2001, oeuvre collective de 500 officiers généraux ayant servi en Algérie entre 1954 et 1962, et qui se veut une réponse explicite à ceux qui sont à l'origine de la réorchestration des débats autour de la torture pendant la guerre d'Algérie : « Officiers ayant servi en Algérie de 1954 à 1962, en notre nom et au nom de tous les hommes que nous avons commandés, morts et vivants, nous voulons apporter notre témoignage sur le rôle de l'armée à cette époque. Cela dans le double but de dépassionner les débats et de rétablir la vérité historique, masquée aussi bien par les provocations que par leurs exploitations médiatiques ».

* 1805 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.198.

* 1806 Ibid, p.199.

* 1807 Dans son dernier ouvrage, Paul Ricoeur fait de l'expression publique du dissensus, guidée par l'esprit de pardon, la condition de « la salutaire crise d'identité permettant [au niveau de la mémoire privée et de la mémoire collective] une réappropriation lucide du passé et de sa charge traumatique » ; cf. Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 589.

* 1808 Daniel Sibony, « Algérie : une étrange violence », Libération, édition du 6 avril 1998.

* 1809 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.230-231.

* 1810 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.231.

* 1811 Guy Pervillé, op.cit., p.231.

* 1812 Il convient de rappeler, à cet égard (voir la Partie 1), que la guerre d'Algérie, loin d'être uniquement (et uniment) une guerre de décolonisation, fut (déjà) une guerre civile puisque, entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962, le ratio des victimes civiles du FLN (ventilées selon leur communauté de rattachement) est en étroite corrélation avec le rapport démographique qui prévalait alors en Algérie entre les communautés musulmane et européenne : il y eut ainsi 3.663 victimes civiles européennes des actes de terrorisme du FLN (2.788 tués, 875 disparus) pour 29.674 Musulmans (16.378 tués, 13.296 disparus), soit un Européen pour huit Musulmans. Ce ratio, établi pour la période comprise entre le déclenchement de l'insurrection et la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, ne tient pas compte des dizaines de milliers d'anciens harkis massacrés par le FLN après la proclamation du cessez-le-feu et l'accession à l'indépendance de l'Algérie.

* 1813 Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du «parti de la France» aux «anciens et nouveaux harkis» », in Charles-Robert Ageron, La guerre d'Algérie et les algériens (1954-1962), Paris, Armand Colin/Masson, 1997, p.330.

* 1814 La geste algérienne de la guerre d'Algérie participe, jusqu'à aujourd'hui, d'une vision obsolescente et dogmatique du monde, fortement empreinte d'historicisme et de messianisme. Le préambule de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005 est tout entier imprégné d'une telle vision : « La Glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954, peut-on y lire, est venue, telle une lumière dans une nuit de ténèbres, cristalliser les aspirations du Peuple algérien et le guider dans la voie du combat pour la reconquête de son indépendance et de sa liberté ». Cette vision ressortit à la fois d'un rapport onirique, fantasmatique au passé et d'une « idéologie de l'enfermement » (Mohamed Benrabah) qui en est comme le corollaire. Je cite à nouveau le préambule : « Tout en soulignant sa volonté d'ancrer l'Algérie dans la modernité, [le peuple algérien] proclame sa détermination à oeuvrer à la promotion de sa personnalité et de son identité. Le Peuple algérien appelle chaque citoyen et chaque citoyenne à apporter sa contribution au renforcement de l'unité nationale, à la promotion et à la consolidation de la personnalité et de l'identité nationales et à la perpétuation des nobles valeurs de la Déclaration du Premier Novembre 1954, à travers les générations. Convaincu de l'importance de cette oeuvre qui mettra les générations futures à l'abri des dangers d'un éloignement de leurs racines et de leur culture, il charge les Institutions de l'Etat de prendre toutes les mesures de nature à préserver et à promouvoir la personnalité et l'identité nationales, à travers la valorisation de l'Histoire nationale ainsi que dans les domaines religieux, culturel et linguistique ».

* 1815 Pour une analyse resserrée des usages détournés de la figure du harki par les protagonistes de la seconde guerre d'Algérie, voir aussi Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p. 323-332.

* 1816 Sur la politique de « concorde civile » comme contre-exemple institutionnel de la politique du pardon, voir l'Annexe n°3.

* 1817 Propos repris in El Watan, mardi 14 septembre 1999, p.4.

* 1818 El Watan, 20 mars 2000.

* 1819 Le Parisien- Aujourd'hui du 18 juillet 2000.

* 1820 Le Figaro Magazine du 2 septembre 2005.

* 1821 Djallal Malti, « Paris a la mémoire courte, Alger aussi », le 23 juin 2000 ; article consultable à cette adresse : www.mon.cplus.fr/infos/web/monde/algerie/memoire_1.htm.

* 1822 Voir ci-après la section II.B.3 de la Partie 4 : « Le strapontin judiciaire : le pardon mis en demeure ? ».

* 1823 AP, 13 mars 2002.

* 1824 El Watan, 21 mars 2002.

* 1825 « Je n'ai au fond de moi-même aucune aménité pour les collabos de quelque pays que ce soit. (...) Je crois avoir dit quelque part qu'il me rebuterait de serrer la main au misérable qui a donné Jean Moulin. Comment voulez-vous, sans offenser le peuple algérien dans sa dignité, que je puisse serrer la main de celui qui a donné Larbi Ben M'hidi ? » (Interview au Figaro Magazine, 2 septembre 2000).

* 1826 Après avoir implicitement mais fermement mis en cause le FLN (« Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus »), Jacques Chirac s'était nettement démarqué - mais plus d'un an après - des propos du président Bouteflika : « Je partage votre amertume devant certaines attitudes et certains propos. Sachez que je les condamne fermement ».

* 1827 Extraits cités par Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, 28 septembre 2001, p.34.

* 1828 Pour un bref aperçu des activités de ce centre : http://www.andru.gov.dz/programme_du_centre_national2.htm.

* 1829 Extraits cités in Le Quotidien d'Oran du 4 octobre 2001 sous le titre : « C'est l'oeuvre des «Marsiens» ».

* 1830 Rédha Malek, « La guerre de Libération nationale et l'opinion publique internationale, enjeux d'une bataille diplomatique et médiatique », communication donnée au Centre international de presse (CIP) ; extraits cités par Le Soir d'Algérie du 1er novembre 2004 sous le titre : « Rédha Malek remet les pendules à l'heure : «Les harkis n'ont pas été tués par le FLN» ».

* 1831 Interview réalisée à Paris par le correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, le 7 mars 2006, sous le titre : « Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ».

* 1832 Interview réalisée à Paris par le correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, le 7 mars 2006, sous le titre : « Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ». C'est nous qui soulignons.

* 1833 Propos rapportés par El Watan du 10 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika : «L'Algérie a été injuste avec les familles de harkis» ».

* 1834 Propos rapportés par El Watan du 11 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika à Blida : «La question des harkis a été définitivement tranchée» ».

* 1835 Bouteflika le 10 septembre à Blida ; propos rapportés par El Watan du 11 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika à Blida : «La question des harkis a été définitivement tranchée» ».

* 1836 Interview d'Ali Haroun réalisée le 7 mars 2006 à Paris par le correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, sous le titre : « Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ».

* 1837 Saïd Barkat le 13 septembre 2005 à Oran, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser ».

* 1838 Abdelaziz Bouteflika, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser ».

* 1839 Saïd Barkat, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser ».

* 1840 Voici ce qu'on peut lire sur le site de la présidence de la République : « L'année 1962 marque un véritable tournant. Libéré de la guerre d'Algérie, mais non de ses séquelles (rapatriement des Français, attentats de l'OAS), le chef de l'Etat s'attache à mener une politique d'indépendance nationale renforçant ainsi le rang de la France » (http://www.elysee.fr/elysee/francais/la_presidence/la_galerie_des_presidents/v_eme_republique/charles_de_gaulle.20982.html).

* 1841 Claude Lecomte, dans L'Humanité du 19 mars 1997 : « L'annonce du cessez-le-feu le 19 mars à 12 heures en Algérie fut d'abord, ici, en France, celle d'un immense soulagement. Enfin, cette guerre allait prendre fin. (...) Ce jour est désormais celui de la fin de cette guerre, celui de la fin d'un cauchemar de près de huit années ».

* 1842 Dans le langage diplomatique courant, cette expression renvoie à celle d'"intérêts stratégiques", l'emploi de l'adjectif "vital" ne devant, à cet égard, pas prêter à confusion : il ne s'agit pas, la plupart du temps, d'y inclure la préservation des vies humaines.

* 1843 « Que personne ne doute que la France n'exercera plus aucune responsabilité, ni politique, ni de maintien de l'ordre, au plus tard six mois après le cessez-le-feu ! Que les musulmans préparent le gouvernement de l'Algérie ! Que les Européens se persuadent qu'il faut ou bien s'accommoder avec les musulmans sans que la France les protège, ou bien rentrer en France ! » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, Paris, Fayard, 1994, p.124-125. C'est nous qui soulignons).

* 1844 « Dans ma note citée en référence, j'ai attiré votre attention sur les difficultés présentées par l'arrivée en France, des ex-supplétifs et je vous demande d'inciter à n'accorder asile que dans les cas exceptionnels (...).Comme de plus, il est à craindre que le gouvernement algérien prenne rapidement ombrage de nos centres largement ouverts à ses opposants, il est nécessaire que le courant des musulmans menacés qui alimente régulièrement nos camps soit interrompu (...) ».

* 1845 Guy Pervillé, « Les accords d'Evian et les relations franco-algériennes » in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.487-489 et 492-493.

* 1846 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.227.

* 1847 Ibid, p.233.

* 1848 Lors du Conseil des ministres du 25 juillet 1962, à propos des représailles s'exerçant sur les musulmans non-inféodés au FLN (nous sommes alors au coeur de la première grande vague de représailles) : « On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France, comme tels, que s'ils couraient des dangers ! » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte, op.cit., p.196). Mais encore, au cours du Conseil des ministres du 29 août 1962 : « Il faut bien admettre que l'Algérie vit actuellement dans la confusion. Mais il est de notre devoir de faire comme si elle devait s'en sortir » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte, op.cit., p.249. C'est nous qui soulignons).

* 1849 Alain-Gérard Slama, La guerre d'Algérie. Histoire d'une déchirure, Paris, Gallimard, 1996, p.158.

* 1850 Dominique Schnapper, allocution introductive au colloque « Les harkis et la communauté nationale. Ombres et lumière », qui a eu lieu au Sénat le 22 octobre 1999 ; communication reproduite sous le titre « Justice pour les harkis » in Le Monde du 3 novembre 1999.

* 1851 Il fut membre du Centre d'Etudes, de Recherches et d'Education socialiste (CERES), un courant du Parti socialiste, puis du Mouvement des Démocrates de Michel Jobert.

* 1852 Le Figaro Magazine du 15 novembre 2003, propos recueillis par Sébastien Lepaque. C'est nous qui soulignons.

* 1853 Sur les fondements philosophiques et éthiques de cette notion, voir notamment Marcel Lamy, « Machiavel et la raison d'État », Conférence prononcée au lycée Chateaubriand de Rennes le mardi 3 décembre 2002 ; texte de cette intervention disponible à cette adresse : http://www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/lamy_machiavel.htm. Marcel Lamy part d'une définition utilitaire - et même thérapeutique - de la notion, qu'il emprunte à Platon : « Le mensonge est utile aux hommes, comme une espèce de pharmakon dont l'emploi doit être réservé aux médecins et interdit aux profanes. C'est donc aux gouvernants de l'État qu'il appartient de tromper les ennemis et les citoyens dans l'intérêt de l'État et personne d'autre n'y doit toucher » (République, III, 789 b). Il complète cette première approche - un peu trop assurée d'elle-même - par une citation plus hésitante de Jean Bodin : « Il n'est pas si aisé à juger quand un prince tient quelque chose d'un bon roi et d'un tyran. Le temps, les lieux, les personnes, les occasions qui se présentent, contraignent souvent les princes à faire choses qui semblent tyranniques aux uns et louables aux autres » (Les Six livres de la République, II, 4, publié en 1583). Voir aussi Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), Le pouvoir de la Raison d'État, Paris, P.U.F., 1992, et Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), La raison d'État : politique et rationalité, Paris, PUF, 1992.

* 1854 C'était par exemple le sens de la demande formulée par Dominique Schnapper dans son allocution introductive au colloque « Les harkis et la communauté nationale. Ombres et lumière », qui a eu lieu au Sénat le 22 octobre 1999 : « La France s'est mal conduite. Elle n'a pas respecté sa parole pour des raisons politiques. Elle a abandonné à la vengeance de ses ennemis ceux qui s'étaient engagés pour elle. Elle n'a pas su accueillir sur son territoire ceux qu'elle avait recrutés pour mener la guerre. (...) Les juifs resteront toujours reconnaissants à Jacques Chirac, président de la République, qui a reconnu la responsabilité de la France dans le statut des juifs d'octobre 1940 et dans les déportations. Jacques Chirac a compris que les fautes refoulées et les mensonges empoisonnent la vie de la démocratie. Ce que les juifs ont demandé et obtenu, les enfants de harkis le demandent » (Dominique Schnapper, « Justice pour les harkis », Le Monde du 3 novembre 1999).

* 1855 Interview au Figaro du 6 novembre 2003, propos recueillis par Anne-Charlotte de Langhe et Sophie Roquelle. C'est nous qui soulignons.

* 1856 Philippe de Gaulle, De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac (tome 2), Paris, Plon, 2004.

* 1857 Propos repris in Libération des 10 et 11 septembre 2005, p.17. Ces propos ont valu à Philippe de Gaulle d'être poursuivi en diffamation par trois anciens harkis, puis condamné le 23 mars 2006 par la cour d'appel de Montpellier à verser un euro de dommages et intérêts ainsi que 1.500 euros de frais de justice à chacun des trois harkis plaignants au motif que « connaissant parfaitement la situation des harkis, le prévenu ne peut justifier de sa bonne foi », et que « l'intention coupable est présumée car la divulgation des faits par lui livrés à la publicité était de nature à nuire à leur honneur ou à leur considération ».

* 1858 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.

* 1859 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22. C'est nous qui soulignons.

* 1860 Marianne du 3 au 9 novembre 2003.

* 1861 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.

* 1862 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22. C'est nous qui soulignons.

* 1863 Par exemple, dans sa déclaration du 16 septembre 1959, le général de Gaulle affirmait que le recours à l'autodétermination interviendrait « au plus tard quatre années après le retour effectif de la paix », « une fois acquise une situation telle qu'embuscades et attentats n'auront pas coûté la vie à 200 personnes en un an » (cité par Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 ; voir aussi la Partie 1).

* 1864 Charles de Gaulle, dans son discours du 30 octobre 1958 : « A quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays, si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner ». Dans son discours du 16 septembre 1959, dans la mesure où les conditions de « retour effectif à la paix » précédemment définies ne seraient pas respectées : « La sécession entraînerait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, l'égorgement généralisé et bientôt la dictature belliqueuse du communisme » (cité par Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 ; voir aussi la Partie 1).

* 1865 Discours de réception à l'Académie française le 10 février 2000, cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.291.

* 1866 Propos recueillis par Marc d'Anna, Nouvelle Liberté n°3, mars 1998 ; interview consultable à cette adresse : http://www.nouvelleliberte.com/archives/n3/politique.htm. C'est nous qui soulignons.

* 1867 Voir aussi l'analyse d'Alain Decaux, lui aussi membre de l'Académie française, dans cette même édition du Figaro littéraire : « Question préalable : l'humanité est-elle une qualité pour un homme d'Etat ? Apparemment, le général de Gaulle ne le pensait pas. La foi en la grandeur de la France l'emportait à ses yeux sur tout autre sentiment. (...) Il fallait désormais donner la priorité à «la grande politique», rendre à la France sa vraie place dans le monde : la première. La tragédie des pieds-noirs jetés à la mer, l'abandon des harkis à un sort affreux, cela n'était plus du ressort d'un homme qui avait à affronter une impérieuse et exaltante espérance ».

* 1868 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.

* 1869 Propos recueillis par François d'Orcival sous le titre : « Le témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est celui du FLN» », Valeurs actuelles du 7 au 13 novembre 2003, p.19. C'est nous qui soulignons.

* 1870 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

* 1871 Mohamed Haddouche, cité in Le Parisien du 10 février 2004, p.12, dans un article intitulé : « Les harkis attaquent Pierre Mesmer ».

* 1872 Anne-Charlotte De Langhe, « Les harkis portent plainte pour "crimes contre l'humanité" », Le Figaro, 29 août 2001, p.9. C'est nous qui soulignons.

* 1873 Dans une tribune libre parue dans l'édition du 8 octobre 1997 de la revue Charlie Hebdo, le dessinateur et polémiste Siné, déjà fortement engagé au moment de la guerre d'Algérie, avait livré dans des termes peu amènes pour les intéressés son opinion sur la grève de la faim initiée au même moment sur l'esplanade des Invalides, à Paris, par des enfants de harkis. Opinion illustrée par un double croquis établissant un parallèle entre, d'une part, un harki bardé de médailles saluant les couleurs et, d'autre part, un Maurice Papon hilare arborant une hypothétique Croix de fer (voir la Partie 2). A la suite de cette publication, Siné et le directeur de Charlie Hebdo avaient été condamnés à trois mois de prison avec sursis et 30.000 francs d'amende en raison du « choix des mots visant précisément les harkis et la communauté qu'ils forment, de leur caractère hautement méprisant et de leur véhémence d'invective.

* 1874 Nous l'avons vu, dans un article intitulé « Contre les harkis et contre le massacre des harkis », paru dans l'hebdomadaire Marianne n°341 du 3 au 9 novembre 2003, Marcel Péju avait clairement assimilé les anciens harkis à des « collabos » : « La question des harkis ? Soyons clairs. Pour moi, les harkis sont des collabos, c'est-à-dire des gens qui se sont faits les supplétifs de l'armée française et de la répression en Algérie. Ils ont participé à tous les crimes et en ont remis à l'occasion. Cependant, le sort qui leur a été réservé est tout à fait abominable. Je condamne absolument les massacres des harkis commis grâce à la passivité des autorités algériennes indépendantes, tout en condamnant la trahison commise par les harkis ». Par suite, après que cinq anciens harkis avaient intenté une action en diffamation contre lui, Marcel Péju était condamné le 7 janvier 2005 à 1.500 euros d'amende par le tribunal correctionnel de Marseille pour « diffamation publique envers un dépositaire de l'autorité publique », les harkis ayant eu à l'époque le statut d'auxiliaire de l'armée française. Outre l'amende pénale de 1.500 euros, le tribunal condamnait Marcel Péju à verser 1.000 euros de dommages et intérêts à chacun des plaignants. Marcel Péju avait déjà été condamné le 12 décembre 2001 par le tribunal correctionnel de Paris, pour « caricature outrageante », après qu'il avait comparé l'initiative de Jacques Chirac visant à instaurer une Journée d'hommage national aux harkis à celle d' « un chancelier allemand [qui], perdant la tête, institue[rait] une «journée d'hommage national» aux soldats de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) » (article intitulé « Hommage aux «collabos» ? » et publié dans l'hebdomadaire Jeune-Afrique L'intelligent n°2.094 du 27 février 2001). Le directeur de publication, Bachir Ben Yahmed, et Marcel Péju avaient été condamnés au paiement d'une amende de 2.286 euros et au versement d'un franc symbolique de dommages et intérêts à l'Association de soutien à l'armée française (ASAF), partie civile. Cette condamnation était assortie du considérant suivant : « Toute attaque visant l'ensemble des Harkis atteint en même temps personnellement chacun d'eux ». Un arrêt décisif au plan de la jurisprudence puisque un précédent arrêt de la Cour de Cassation de Paris, en date du 18 avril 2000, avait pour sa part stipulé que « toutes les injures se rapportant aux Français musulmans ayant servi la France au cours de la Guerre d'Algérie ne peuvent pas être considérées comme diffamatoires ou injurieuses, et qualifier ces derniers de «traîtres» ou de «collabos» relève de la simple position politique donc de la liberté d'expression »1875. Ceci étant désormais démenti, Bernard Gillis, président de l'ASAF, se félicitait « qu'on ne puisse désormais plus impunément ajouter l'insulte à l'abandon quand on parle des Harkis » (Bernard Gillis, Président de l'ASAF, La Voix du Combattant, n°1.685, mai 2003).

* 1876 Au cours de l'hiver 2000-2001, l'association « Génération Mémoire Harkis » (GMH), ainsi que huit particuliers, intentaient une action en justice pour diffamation à l'encontre de l'ancien Premier ministre Raymond Barre, à la suite de propos tenus par ce dernier en décembre 2000 au cours de l'émission « France Europe Express » sur France 3. Répondant à une accusation de Renaud Donnedieu de Vabres (alors simple député UDF, et devenu depuis ministre de la Culture dans les gouvernements Raffarin et Villepin) qui l'avait qualifié de « harki de Jospin » après qu'il eût fait part de son intention de voter l'inversion du calendrier électoral avec le groupe socialiste à l'Assemblée nationale (instauration de la présidentielle avant la législative), Raymond Barre, plutôt que de s'offusquer de l'utilisation ainsi faite du terme harki, l'avait retournée à l'encontre de ses accusateurs. Je le cite : « Vous savez comment ça se passe », avait expliqué Raymond Barre dans l'émission précitée, « vous n'aurez pas d'investiture si vous allez au secours de Jospin, [car] vous êtes les harkis de Jospin ». Mais, déplorant ainsi entendre « un certain nombre de parlementaires, et vous savez à quel parti ils appartiennent, parler de traîtres ou de gens qui font le jeu de Jospin », il ajoutait en guise de répartie : « Ce sont ceux là même qui depuis 1986 ont été les harkis de Mitterrand qui viennent dire cela ». Pour Smaïl Boufhal, président de GMH et initiateur de la plainte, « le lien [était] ainsi clairement démontré dans l'esprit de l'ancien Premier Ministre entre la qualité de harki et la qualification de «traîtres» ou de gens qui font le jeu de l'adversaire ». Après que la plainte eût été jugée recevable par le tribunal correctionnel de Rouen, Smaïl Boufhal s'était attaché, au cours de l'audience du 3 octobre 2001, à démontrer que « la réponse de Monsieur Raymond Barre à l'adresse de ses adversaires politiques avait longuement été réfléchie, soigneusement préparée, et répliquée propos pour propos ». Soulignant que cette même construction avait été utilisée par Renaud Donnedieu de Vabres, Smaïl Boufhal ajoutait : « En aucun cas il ne peut s'agir d'un simple dérapage de langage d'un simple citoyen, ne maîtrisant pas forcément tous les impacts du langage. Monsieur Raymond Barre est universitaire, homme de culture, et de surcroît ancien Premier ministre de la République. Il ne pouvait ignorer, tant l'existence de cette population que l'impact des propos incriminés sur celle-ci. Nous ne laisserons jamais banaliser de telles constructions intellectuelles ». Dans son jugement du 10 octobre 2001, le tribunal correctionnel de Rouen, s'il déboutait Raymond Barre dans sa demande en annulation de procédure, déboutait également : (1) les huit parties civiles au motif que « les plaignants n'ont pas apporté la preuve qu'ils étaient visés personnellement » ; et (2) l'association GMH au motif « qu'elle n'avait pas une antériorité statutaire de plus de 5 ans ». Profondément insatisfaits que l'affaire n'ait pas été jugée sur le fond, et décidés à ne pas laisser se banaliser un discours assimilant les harkis à des traîtres », les plaignants avaient fait appel de cette décision. Il faut noter que, depuis, tant la jurisprudence (voir la note précédente) que les textes ont évolué dans le sens d'une pénalisation accrue des injures directes et/ou des emplois détournés du terme harki, leur conférant une portée préjudicielle générale, si bien que le motif invoqué à l'encontre des parties civiles dans cette affaire (incapacité à démontrer l'existence d'un préjudice personnel) ne suffirait sans doute plus à les débouter aujourd'hui. Ainsi, l'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés stipule explicitement que « Sont interdites toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ».

* 1877 Les associations Justice Information Réparation pour les harkis (AJIR pour les harkis) et Génération Mémoire Harkis (GMH) ont déposé en février 2004 une plainte pour « apologie de crime de guerre » avec constitution de partie civile à l'encontre de Pierre Messmer à la suite de propos tenus par ce dernier au cours de l'émission « For intérieur », diffusée sur France Culture en novembre 2003. A cette occasion, l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle, en poste au moment des faits, avait reconnu que les convulsions de l'après 19 mars 1962 avaient probablement coûté la vie à « 80.000 personnes » tout en estimant que « cela [le massacre des harkis] a été un terrible malheur, un drame terrible, mais sur ce point ce que je dirais, c'est qu'il n'y a pas de guerre sans que le sang, la sueur, les larmes ne coulent » ; et il avait ajouté : « la position de la France [de ne pas intervenir militairement] était la seule possible ». Cependant, pour Mohamed Haddouche (AJIR) et Smaïl Boufhal (GMH), ce disant, « l'ancien ministre des armées confond le sacrifice suprême au champ d'honneur et les massacres perpétrés, après la signature des accords d'Evian, sur des enfants, des femmes, et des hommes sans défense, puisqu'il a ordonné le désarmement de ses soldats face à leurs ennemis » (Communiqué commun du 3 septembre 2004). Nous l'avons vu, le 25 septembre 2001, déjà, dans une interview donnée au journal Le Monde, Pierre Messmer avait établi une hiérarchie des responsabilités dans le massacre des harkis qui, par extraordinaire, incriminait davantage les harkis eux-mêmes que le gouvernement français. Je cite Pierre Messmer : « Il y a donc une hiérarchie dans les responsabilités : le principal responsable, c'est le FLN, qui a trompé les harkis et les a massacrés ; ensuite, ce sont les harkis eux-mêmes qui se sont laissé tromper ; en troisième lieu, ce sont ceux qui n'ont pas été les délivrer pour ne pas mettre en danger le cessez-le-feu » (Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde, 25 septembre 2001, p. 22 ; interview consultable en intégralité sur : http://www.chez.com/constit/harkis.html). Mais quoique ces actions aient reçu dans leur principe une forme de caution législative à la suite du vote de la loi du 23 février 2005, dont l'article 5 stipule qu'est interdite « toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d'Evian » et que « l'Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur », en l'espèce cependant, ces poursuites se sont heurtées jusqu'alors à des ordonnances de refus d'informer, les magistrats considérant que les propos visés de Pierre Messmer n'étaient pas constitutifs d'un tel délit.

* 1878 Le 19 mai 2001, au cours d'une assemblée extraordinaire du Comité national de liaison des harkis, 43 présidents d'associations s'étaient accordés sur la perspective d'une procédure pour « crimes contre l'humanité et complicité » avec constitution de partie civile. Pour étayer ces plaintes, finalement déposées le 30 août 2001 auprès du tribunal de grande instance de Paris par huit particuliers et une association membre du Comité, ce dernier avait recueilli, depuis le début du printemps, à travers la France, des témoignages de rescapés ainsi que des documents historiques tendant à démontrer l'existence en France d'un « plan concerté » visant à entraver le flux des rapatriements et à se défausser de la charge d'assurer la protection des anciens supplétifs musulmans de l'armée française au moment de l'accession à l'indépendance de l'Algérie : pour les avocats des plaignants, les autorités françaises ont « permis sciemment » le déroulement des massacres « alors qu'elles avaient une connaissance claire des intentions des auteurs principaux du crime » (Le Monde du 30 août 2001). En outre, dix harkis ont déposé plainte contre X le 8 novembre 2001 pour crimes contre l'humanité devant le procureur de Toulon, et 9 autres à Marseille.

* 1879 Propos recueillis par Anne-Charlotte de Langhe, « Les harkis portent plainte pour «crimes contre l'humanité» », Le Figaro du 29 août 2001, page 9. Voir aussi son témoignage, Boussad Azni, Harkis, crime d'État. Généalogie d'un abandon, Paris, Ramsay, 2002 : « Lorsqu'on voit le président Bouteflika, reçu en grande pompe par les officiels de la République française, n'avoir que l'invective à la bouche vis-à-vis des harkis, qui ont justement servi cette République - et se faire applaudir ; lorsqu'on constate que les manuels d'histoire utilisés en France font la part belle aux thèses du FLN, peut-être pour complaire à une population d'origine algérienne qui, faute de repères, tente de se crisper dans une attitude «héroïque» dont une fois encore les enfants de harkis feront les frais, on a envie de hurler. Ce livre est un cri, notre recours en justice en est un autre. Pour les harkis, la France était tout. Aujourd'hui, ils portent plainte, parce qu'ils refusent plus longtemps de n'être rien pour personne » (p.154).

* 1880 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

* 1881 Le Monde du 9 juin 2001.

* 1882 Ibid.

* 1883 Voir à ce sujet deux articles de Paul Thibaud : « Génération algérienne ? », Esprit, n°161, mai 1990, p.46-60 ; et « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.197-200.

* 1884 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.334-335.

* 1885 Abdelkrim Klech fut notamment à l'origine des grèves de la faim successives, sur l'esplanade des Invalides, en 1997-1998 (voir ci-dessus).

* 1886 Elise Féron et Michel Hastings, « Introduction », in Elise Féron et Michel Hasting, L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002, p.15.

* 1887 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.316.

* 1888 Charles Cadoux, « Approche politique de la grève de la faim », in Jacques de Lanversin (dir.), La grève de la faim ou le dérèglement du sacré, Paris, Economica, 1984, p.79. Charles Cadoux pointe un autre écueil potentiel quant à l'efficacité relative des grèves de la faim, à savoir les effets contre-productifs liés à leur banalisation, qui ont assurément pu jouer dans le cas d'espèce de la communauté harkie : « La grève de la faim est un moyen de pression qui, en se banalisant, perd de sa vertu exemplaire. A une époque (relativement récente) où elle était exceptionnelle, elle ne pouvait échapper à l'attention et à un certain respect. C'est moins sûr aujourd'hui » (Ibid, p.87).

* 1889 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.263.

* 1890 Cité par Jacqueline Coignard in Libération, 30 août 2001, p. 2 à 4.

* 1891 Mohamed Haddouche, membre des instances nationales d'AJIR, cité par l'AFP et Aujourd'hui en France (p.12), le 10 février 2004.

* 1892 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.349.

* 1893 Daniel Lindenberg, « De Gaulle : un procès journalistique rétrospectif », Esprit, n°300, Décembre 2003, p.196.

* 1894 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.585.

* 1895 Ainsi que le souligne Jacques Sémelin (« Remarques introductives sur la notion de crime de masse », texte présenté lors de la réunion du 8 février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2), l'enjeu de la qualification du crime n'est certes pas de sanctifier les victimes : pour asymétrique qu'il ait pu être, le massacre des harkis - ce « massacre sans bataille » (Alfred Grosser, Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989, p.48) - ne préjuge en rien de la position antérieure des victimes qui ont pu être - et ont été parfois - des bourreaux (voir à cet égard la section I.E de la Partie 1 : « Les facettes d'un comportement »). L'enjeu est ailleurs. Il s'agit de marquer la spécificité du crime, de montrer en quoi il participe d'une logique qui n'est pas simplement guerrière mais proprement politique : la visée de ce massacre n'était pas de détruire pour soumettre (les harkis ne sont plus une force à soumettre au moment où ils sont liquidés, mais des civils désarmés et dépouillés de toute protection autre que le bon vouloir des nouvelles autorités algériennes), mais de détruire pour expulser "hors du monde", autrement dit, d'éliminer tout ce qui dans les imaginaires comme sur le territoire s'inscrivait en faux contre le mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN. C'est en cela que l'enjeu de la qualification du crime, même sans issue pénale, est important pour la question du pardon : car pour pardonner, il faut s'entendre sur les torts.

* 1896 Aux dires même de l'avocat de Boussad Azni, Me Philippe Reulet, ces plaintes pour « crimes contre l'humanité » et « complicité de crimes contre l'humanité » se heurtent à un sérieux « obstacle », à savoir la jurisprudence « Boudarel ». Dans un arrêt en date du 1er avril 1993, la Cour de cassation a estimé que les persécutions et traitements inhumains infligés aux prisonniers français du Viêt-minh pendant la guerre d'Indochine n'étaient pas des crimes contre l'humanité au motif que, pour les faits antérieurs à la réforme de 1994, cette notion s'applique uniquement aux exactions commises par les « puissances de l'Axe » pendant la seconde guerre mondiale. Par suite, Me Philippe Reulet envisageait de saisir la Cour européenne des droits de l'homme.

* 1897 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.349.

* 1898 Et, ce, qu'il s'agisse, pour les premières lois d'amnistie, des responsabilités relatives à la pratique de la torture dans le cadre des opérations dites de maintien de l'ordre avant le 19 mars 1962 (jusque et y compris dans le cadre de la lutte contre l'OAS, comme l'avait d'ailleurs signalé Pierre Vidal-Naquet sur le moment) ou, pour la dernière loi d'amnistie, dite de portée générale, de la co-responsabilité liée aux massacres d'anciens harkis et aux enlèvements d'Européens après le 19 mars 1962.

* 1899 A droite, Hamlaoui Mekachera, un proche de Jacques Chirac, alors président du Conseil national des Français musulmans avant de devenir secrétaire d'État aux Anciens combattants, reconnaissait - bien loin des enjeux de fond - que « le dépôt d'une plainte me gêne en pleine turbulence électorale ». Cependant qu'à gauche, le secrétaire d'État aux Anciens combattants du gouvernement Jospin, Jean-Pierre Masseret, avait fait part de sa crainte que cette décision « vienne affaiblir la décision de rendre un hommage particulier aux harkis ». Jean-Pierre Masseret, certain que « tout responsable politique est conscient de la souffrance et des drames que les harkis ont vécus », estimait ce dépôt de plainte injustifié dans la mesure où, selon lui, les harkis étaient avant tout des « victimes de l'histoire toujours tragique de la guerre ». Un drame sans responsables, donc.

* 1900 Charles Silvestre dans L'Humanité du 21 mai 2001 ; billet intitulé : « La vérité sur les harkis, chiche ! ». C'est nous qui soulignons.

* 1901 Cf. notre analyse dans la Partie 2 de l'article de Pierre Vidal-Naquet : « La guerre révolutionnaire et le drame des harkis ».

* 1902 Ali Mimouni, membre du bureau politique du FLN, estime que le dépôt par des harkis de plaintes contre X pour « crimes contre l'humanité » ne concerne pas l'Algérie. Qualifiant cette affaire de « franco-française », il souligne que « les harkis sont bien un corps de l'armée coloniale qui était en guerre contre l'ALN, au même titre que les parachutistes de Massu, les tirailleurs et autres », et qu'il s'agissait de « supplétifs de l'armée coloniale ayant la nationalité française et agissant sous le commandement militaire français » (propos rapportés dans le journal algérien Liberté du 2 septembre 2001). Bien au contraire, nous l'avons vu, les plaintes visent des exactions qui ont été perpétrées non alors que « l'armée coloniale était en guerre contre l'ALN » mais après l'entrée en application du cessez-le-feu et l'accession à l'indépendance de l'Algérie. En outre, les anciens supplétifs et autres catégories de musulmans pro-français tués en Algérie après l'accession à l'indépendance de l'Algérie avaient été automatiquement dépouillés de leur nationalité française et des garanties afférentes. De fait, nous l'avons vu, la possibilité de recouvrer la nationalité française par déclaration d'option était réservée aux seuls anciens supplétifs qui avaient pu gagner l'ancienne métropole (voir la Partie 1). Dans ces conditions, les exactions visées par les dépôts de plaintes visent non des actes de guerre à l'endroit de soldats réguliers placés sous commandement adverse (ce que paraît vouloir signifier Ali Mimouni), mais bien des crimes d'État commis à l'encontre de populations civiles désarmées placées sous l'autorité de leurs tortionnaires. Ce que l'Algérie n'est de toute évidence pas prête à reconnaître.

* 1903 Se reporter, entre autres exemples, aux propos pré-mentionnés d'Abdelaziz Bouteflika (voir supra). 

* 1904 Il existe notamment des lois foncières et électorales discriminantes à l'encontre des anciens supplétifs (voir le chapitre I de la Partie 2).

* 1905 A Toulon, en 2003, plus de quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, un ancien harki, publiquement décoré de la médaille militaire au cours des cérémonies du 14 juillet, a été menacé de mort par son voisinage algérien, ses enfants molestés et sa famille contrainte, sous protection policière, d'évacuer définitivement la cité HLM dans laquelle elle vivait (pour les détails, voir l'introduction de cette thèse ainsi que la section II.A.2 de la Partie 3).

* 1906 Cf. Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p. 323-332.

* 1907 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.334-335.

* 1908 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.586.

* 1909 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.12.

* 1910 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.291-292.

* 1911 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

* 1912 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.588-589.

* 1913 Eric Landowski, Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, PUF, 1997, p.58-59.

* 1914 Howard Becker : « Dans notre société comme dans les autres, certains statuts l'emportent sur tous les autres. La race en est un exemple. L'appartenance - socialement définie à la race noire l'emporte sur la plupart des autres considérations de statut dans presque toutes les situations ; le fait d'être médecin, membre des classes moyennes ou femme n'empêche pas d'être traité d'abord comme un Noir et secondairement selon tel ou tel de ces statuts. Le statut de déviant (spécifié selon le type de déviance) relève de cette catégorie de statut principal » (Outsiders, études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p.56).

* 1915 Eric Landowski, Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, PUF, 1997, p.62-63.

* 1916 Howard S. Becker [1963], Outsiders, études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p.60-61.

* 1917 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.161.

* 1918 Ibid, p.150.

* 1919 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 1920 Milan Kundera [1967], La plaisanterie, Paris, Gallimard, 1985, p.414-415.

* 1921 Erving Goffman, Les rites d'interaction, Paris, Editions de Minuit, 1974.

* 1922 J. Poirier, S. Clapier-Valladon, P. Raybaut, Les récits de vie, théorie et pratique, Paris, P.U.F., 1995.

* 1923 Cf. l'article de Pierre Bourdieu, « Comprendre », in Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p.903-939.

* 1924 Pierre Bourdieu, op.cit., p.915. C'est nous qui soulignons.

* 1925 Ibid, p.920.

* 1926 Ibid, p.912-913. C'est nous qui soulignons.

* 1927 Ibid, p.920. C'est nous qui soulignons.

* 1928 G. Grunberg, E. Schweisguth, « Bourdieu et la misère : une approche réductionniste », R.F.S.P., février 1996, p.138.

* 1929 P. Bourdieu, op.cit., p.916. C'est nous qui soulignons.

* 1930 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.142.

* 1931 Ibid, p.144.

* 1932 P. Bourdieu, op.cit., p.922.

* 1933 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.139.

* 1934 Ibid, p.141.

* 1935 J. Poirier, S. Clapier-Valladon, P. Raybaut, op.cit., p.42-43. C'est nous qui soulignons.

* 1936 Ibidem. C'est nous qui soulignons.

* 1937 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.147.

* 1938 Ibid, p.149.

* 1939 R. Boudon, F. Bourricaud, « Déterminisme », Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, P.U.F., 1982, p.157-164.

* 1940 Pierre Bourdieu, op.cit., p.914.

* 1941 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.149.

* 1942 Ibid, p.142.

* 1943 Pierre Bourdieu, op.cit., p.910.

* 1944 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.142.

* 1945 Pour Gramsci, le terme praxis définit l'unité de la philosophie et de l'action pour autant que l'une et l'autre visent à la transformation du monde.

* 1946 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.143.

* 1947 Ibid, p.138.

* 1948 Ibid, p. 140-141.

* 1949 R. Ghiglione, B. Matalon, Les enquêtes sociologiques : théories et pratiques, Paris, Armand Colin, 1978, p.74.

* 1950 A. Mucchielli, Les méthodes qualitatives, Paris, Que sais-je ?, P.U.F., 1991, n°2591, p.30.

* 1951 G. Grunberg, E. Schweisguth, art.cit., p.138.

* 1952 Ibid, p.139.

* 1953 Béatrice Pouligny, « Faire la paix après un crime de masse : un défi pour l'analyse et l'intervention », colloque international « Des conflits en mutation ? », le 8 juin 2001, à l'université Paul Valéry-Montpellier III, texte de communication, p.7.

* 1954 Lors de notre première entrevue, Lahcène s'était mépris sur l'objet de celle-ci, l'assimilant a priori à une démarche de prospection dans le cadre de la mise en oeuvre d'un plan pour l'emploi.

* 1955 Jean-Claude, 31 ans, aide-soignant, que je rencontrerai quelques jours plus tard, se présentera à moi comme étant l'enfant de harki le plus diplômé vivant actuellement à Largentière.

* 1956 Article 1er de la loi de « concorde civile », chapitre 1 : « Dispositions générales ».

* 1957 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.615.

* 1958 Olivier Abel, « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993, p.65.

* 1959 Pour bénéficier des dispositions gracieuses contenues dans la loi de « concorde civile », les personnes visées doivent « aviser les autorités compétentes qu'elles cessent toute activité de terrorisme et se présenter à ces autorités » (art. 1er, chapitre 1 : « Dispositions générales ») ; elles sont également tenues de « faire une déclaration qu'elles attestent sincères de l'armement, explosifs, munitions et moyens matériels en leur possession et de les remettre aux autorités auxquelles elles se seront présentées, la même déclaration [devant] comporter, en outre, les actes qu'elles ont commis ou auxquels elles ont participé » (art. 8, chapitre 3 : « De la mise sous probation ») ; bien plus, seront éligibles au régime de la mise sous probation « les personnes qui se seront admises à participer, sous l'autorité de l'État, à la lutte contre le terrorisme » (art. 8, chapitre 3 : « De la mise sous probation »).

* 1960 Les personnes visées ne peuvent bénéficier des mesures contenues dans la loi que « dans un délai de six mois à compter de [sa] promulgation [celle-ci étant intervenue le 13 juillet 1999] » (art. 3, chapitre 2 : « De l'exonération des poursuites »).

* 1961 Petit Larousse, 1993, p. 863.

* 1962 Art. 6 de la loi de « concorde civile », chapitre 3 : « De la mise sous probation ».

* 1963 Témoignage cité in Florence Aubenas, « On change de rêve, pas de réalité », Libération, mercredi 15 septembre 1999, p. 10

* 1964 La question à laquelle étaient appelés à répondre les électeurs algériens était : « Etes-vous pour ou contre la démarche générale du président de la République visant à la réalisation de la paix et de la concorde civile ? ». Ce libellé met en balance non pas tant une manière de faire la paix (c'est-à-dire une manière de faire la paix parmi d'autres) que l'idée même de faire la paix, comme si celle-ci était instamment attachée à - ou était redevable de - l'avènement d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République algérienne. Florence Aubenas, qui rappelle que « seuls les partisans du oui ont été autorisés à faire campagne », note avec justesse que, « compte tenu de l'aspiration des Algériens à la paix et du libellé de la question », « ce référendum ressemble plus à un plébiscite qu'à une consultation démocratique » (« Un plébiscite pour le Président », Libération, jeudi 16 septembre 1999, p. 9).

* 1965 Propos recueillis par Florence Aubenas, art. cit.. Le colonel Baali Ali, l'un des porte-parole du M.A.O.L. (Mouvement algérien des officiers libres, voir infra), impute l'assassinat d'Abdelkader Hachani aux plus hauts responsables de l'état-major de l'A.N.P. : « En éliminant cet ultime "politique" du F.I.S., interlocuteur incontournable et dernière passerelle vers un règlement de fond de la crise, les jusqu'au-boutistes du pouvoir écartent toute perspective d'un règlement politique du conflit en consacrant des accords sécuritaires secrets »(Y.B. [anonyme] et Samy Mouhoubi, « Algérie : un colonel dissident accuse », Le Monde, samedi 27 novembre 1999, pp. 14-15).

* 1966 Le texte de la Charte est consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/chartereconciliation.htm.

* 1967 Il est un fait qu'un nombre grandissant de communes (de gauche surtout, mais aussi de droite) s'est associé à ces cérémonies au fil des années. Selon la FNACA, « des milliers de cérémonies se déroulent dans toute la France le 19 mars de chaque année », cérémonies auxquelles s'ajoutent « les très nombreux lieux de mémoire qui perpétuent cette date [dont 3'620 artères du 19 mars 1962 ; chiffre arrêté au 1er septembre 2005] ». La FNACA « demande au gouvernement de reconnaître officiellement le 19-mars comme Journée Nationale du Souvenir et du Recueillement, non fériée, non chômée, dédiée à la mémoire des 30.000 soldats français tombés en Afrique du Nord et à celle de toutes les victimes civiles ». Elle dit avoir le soutien de « 20.222 conseils municipaux, soit plus de 50% des communes, et agit auprès de chaque député pour qu'il dépose une proposition de loi afin que soit reconnue cette journée ». Selon la FNACA, « des milliers de cérémonies se déroulent dans toute la France le 19 mars de chaque année », cérémonies auxquelles s'ajoutent « les très nombreux lieux de mémoire qui perpétuent cette date [dont 3.620 artères du 19 mars 1962 ; chiffre arrêté au 1er septembre 2005] ». De même, pour l'ARAC, le 19-mars est « la seule date légitime pour la commémoration de la fin de la guerre d'Algérie ». Ce qu'elle justifie de la manière suivante : « Le 52ème Congrès de l'ARAC, réuni à Tremblay-en-France du 26 au 29 octobre 2005, exprime sa volonté que la commémoration du 19 Mars 1962, date du cessez le feu en Algérie, devienne une journée officielle entre les peuples Algériens et Français. Le 19 Mars 1962 est une victoire de la Paix pour laquelle, lors d'une référendum, 92% des citoyens de notre pays ont donné leur accord. De plus, le 19 Mars marque non seulement la fin officielle de la guerre et la mise en acte de la Paix, mais aussi la fin officielle de l'occupation coloniale et l'ouverture d'une ère de solidarité et de coopération entre notre peuple et le peuple Algérien. Toute commémoration de la fin de la guerre à une autre date n'a aucune référence historique et ne saurait se substituer au 19 Mars. Aussi, le 52ème Congrès National de l'ARAC appelle tous ses adhérents, tous les pacifistes, tous les partisans de l'amitié et de la solidarité avec le peuple Algérien, à être dans l'unité, massivement présents aux cérémonies commémoratives du 19 Mars 1962 ».

* 1968 Assassinats et enlèvements respectivement consécutifs de la guerre à outrance menée par l'O.A.S. contre les troupes régulières de l'armée française (et réciproquement) jusqu'à la mi-juin 1962 ; des débordements incontrôlés (à plus d'un titre, et notamment en raison de la passivité délibérée de l'armée française) du 5 juillet 1962 à Oran (où plusieurs centaines de pieds-noirs furent massacrés) ; consécutifs, enfin, des Saint-Barthélemy incessantes orchestrées par le F.L.N. à l'encontre des musulmans pro-français jusqu'au début de l'année 1963.

* 1969 Valéry Giscard d'Estaing, le 19 mars 1980.

* 1970 François Mitterrand, le 24 septembre 1981.

* 1971 Le député socialiste Jean Le Garrec, alors président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, assurait ainsi que « le 19 mars n'avait pas vocation à célébrer une victoire ou une défaite mais simplement à marquer un temps du souvenir ».

* 1972 Smaïl Boufhal, Président de Génération Mémoire Harkie, élu socialiste ; Aziz Méliani, Ancien Adjoint au Maire socialiste de Strasbourg, ancien Vice-Président de la « commission Rocard » pour les Harkis ; Hocine Chérif, ancien élu socialiste à Montpellier, Président d'association ; Said Mérabti, Ancien conseiller municipal socialiste à Vitrolles ; Amar Assas, militant Vert, Président d'association ; Hamlaoui Mekachera, ancien Délégué à l'Intégration (Gouvernement Juppé) ; Messaoud Kafi, Président National de l'UNAS ; Abdelkrim Klech, Président du Collectif Justice pour les Harkis ; André Wormser, Président du CNMF, ancien Président du CRIF ; Rabah Khélif, Président National de l'UNACFM ; Daniel Abolivier, Président National des anciens des SAS ; M. Dalloz, Président National de l'UNAC (Union Nationale des Anciens Combattants) ; William Bénéjean, Président national de l'ANFANOMA ; Mohand Hamoumou, Professeur,  Docteur en sociologie, Président de l'Association Justice, Information, Réparation (A.J.I.R.), auteur d'ouvrages sur la guerre d'Algérie et les Harkis ; Jean-Jacques Jordi, historien, auteur d'ouvrages sur l'Algérie et les Rapatriés.

* 1973 Smaïl Boufhal, Président de Génération Mémoire Harkie, élu socialiste ; Aziz Méliani, Ancien Adjoint au Maire socialiste de Strasbourg, ancien Vice-Président de la « commission Rocard » pour les Harkis ; Hocine Chérif, ancien élu socialiste à Montpellier ; Said Mérabti, Ancien conseiller municipal socialiste à Vitrolles ; Amar Assas, militant Vert ; André Wormser, Président du CNMF, ancien Président du CRIF ; Rabah Khellif, Président National des Anciens Combattants Français Musulmans ; Jean-Jacques Jordi, historien, auteur d'ouvrage sur la guerre d'Algérie et sur les rapatriés ; Mohand Hamoumou, Docteur en sociologie, Président de l'Association Justice, Information, Réparation (A.J.I.R), auteur d'ouvrages sur la guerre d'Algérie et les Harkis.

* 1974 Voir notamment Frédéric Rouyard, « La bataille du 19 Mars », in Jean-Pierre Rioux, La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990.

* 1975 Olivier Abel, « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993, p.63.

* 1976 L'opposition de droite a notamment invoqué les massacres de harkis pour refuser d'adopter la date du cessez-le-feu du 19 mars comme celle de la journée du souvenir.

* 1977 Ainsi, selon la FNACA, « les cérémonies du 19 mars 2006 ont connu un succès d'affluence considérable dans tout le pays. Des milliers de cérémonies locales et départementales ont rassemblé les anciens combattants en Afrique du Nord et la population, en présence des élus locaux ». Toujours selon la FNACA, à Paris, notamment, « près de 4.000 personnes (dont M. Bertrand Delanoé, maire de Paris), précédées de plus de 400 drapeaux, ont remonté les Champs Elysées pour participer à la cérémonie de l'Arc de Triomphe où la FNACA a ravivé la flamme au tombeau du Soldat Inconnu ».

* 1978 Olivier Abel, « Ce que le pardon vient faire dans l'histoire », Esprit, n°193, juillet 1993, p.62-63.






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote