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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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c) obstructions étatiques

La question de la "normalisation" des relations diplomatiques entre les deux protagonistes d'une guerre restée longtemps innommée de ce côté-ci de la Méditerranée, ou mythifiée de l'autre côté, est le fil d'Ariane des relations franco-algériennes depuis maintenant près de quarante ans. La "doxa normalisatrice" de Jacques Chirac, en visite d'Etat en Algérie en 2003, donne à cet égard une illustration saisissante de ce que l'expression "user d'un langage diplomatique" veut dire :

« Après l'Indépendance, des hommes de vision ont montré le seul chemin, celui de la réconciliation, du développement, de l'avenir. Malgré les obstacles et les hésitations, la coopération entre nos deux pays est devenue petit à petit une réalité. Le temps de l'indépendance ne fut jamais celui de la rupture. Le général de Gaulle, pas plus que les dirigeants du jeune Etat algérien, ne la souhaitaient ni ne l'envisageaient. Au contraire, le mot-clé devint celui de "coopération". Le lien fut maintenu, à travers des milliers de jeunes Français qui ont participé à l'aventure de la naissance d'un Etat, à travers des milliers de jeunes Algériens qui sont venus étudier et travailler en France. Notre relation s'est peu à peu affermie, sous l'autorité et l'impulsion des personnalités qui, en Algérie comme en France, ont su se rencontrer, à l'instar de Houari Boumediene et de Valéry Giscard d'Estaing, de Chadli Bendjedid et de François Mitterrand ». Et il ajoute : « Et je voudrais dire combien nous partageons votre vision d'un Islam tolérant, ouvert aux autres religions, attentif aux Eglises chrétiennes d'Algérie, avec lesquelles vous avez su préserver des liens de confiance, de respect et d'amitié »1797(*).

Le langage diplomatique a ceci de particulier - c'est sa fonction propre - qu'il ne vise pas à dire les choses telles qu'elles se sont passées mais telles qu'elles peuvent être entendues : quand bien même faudrait-il, pour ce faire, transmuer l'épopée provisoire - et somme toute anecdotique - des quelques milliers de « pieds-rouges » (et autres coopérants français) en un élan de réconciliation tel qu'il aurait suffit à panser les plaies engendrées par l'exode de centaines de milliers de pieds-noirs ; mais encore, à nouveau, jeter un voile pudique sur le drame des harkis : « Le temps de l'indépendance ne fut jamais celui de la rupture ». A l'inverse, pour l'historien Guy Pervillé, « la paix en Algérie - ou plutôt la cessation progressive des hostilités - n'a pas apporté un véritable apaisement, ni aux vaincus, ni même aux vainqueurs (...). Les relations franco-algériennes ont été bâties sur des fondations malsaines. C'est pourquoi, quarante après, elles restent à refonder »1798(*). L'écueil, ici, serait de ne vouloir se réconcilier qu'entre homologues ou entre "amis". Les voyages récurrents en Algérie des anciens soutiens français au FLN - qui furent partie prenante du conflit - ne concourent pas davantage aujourd'hui à la réconciliation des deux peuples que ne le firent leurs prises de position unilatérales au moment de la guerre d'Algérie. De même, les réconciliations protocolaires qui, chacune à son tour, prétendent refermer les blessures sans même les examiner - au prétexte qu'il faut désormais se tourner vers l'avenir - apparaissent-elles dérisoires aux yeux de ceux qui savent le poids des inimitiés. Ainsi, en dépit de la présence remarquée d'Hamlaoui Mekachera, la question de la liberté de circulation des anciens harkis n'a-t-elle été que discrètement évoquée au cours de la visite d'État de Jacques Chirac en Algérie en mars 2003 (la première d'un président de la République française depuis l'indépendance), la seule allusion publique faite à ce sujet l'ayant été devant la communauté française d'Algérie1799(*). Un point qui, pourtant, relève de la stricte application des accords d'Évian. Guy Pervillé d'ajouter, à propos de la partie algérienne : « Il est vrai que se réconcilier avec d'anciens ennemis expose au reproche de la trahison de la part de certains des siens. C'est pourquoi l'art de faire la paix est beaucoup plus difficile que celui de faire la guerre »1800(*). De fait, évoquant la visite d'État du président Chirac au printemps 2003 en Algérie (à la suite de celle du président Bouteflika en France en juin 2000), une nouvelle fois présentée par la presse française (télévisuelle notamment) comme l'indice d'une « normalisation » des relations entre les deux pays, le journaliste algérien Mustapha Hammouche, usant d'un rare accent de vérité (cette chronique lui vaudra d'être poursuivi pour « outrage au président de la République », avant d'être acquitté), avait dénoncé « la duplicité d'un sérail politique qui se gonfle des retrouvailles algéro-françaises d'un côté, et légitime d'un autre son interminable monopole du pouvoir par le péril que constitue «le parti de la France» ». Il ajoutait : « La composition même de la délégation française, qui compte, entre autres, un ministre harki [NDA : Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'État aux Anciens combattants, n'était pas harki mais officier d'active] et un juif de Constantine, se veut l'expression d'une disponibilité à reconsidérer une refondation réclamée par notre président avant d'être contrariée sitôt les caméras rangées et dès qu'il est revenu dans sa famille idéologique ». Et Mustapha Hammouche de douter ouvertement de la réalité d' « un saut qualitatif dans le rapport bilatéral » de la part d'un gouvernement « qui vit de l'épouvantail de la «main étrangère» »1801(*).

Ainsi, la question de la "normalisation" des relations diplomatiques entre la France et l'Algérie affleure celle, autrement plus sensible - et tangible, de la réconciliation entre « isolats mémoriels, [ces] mémoires particulières en lutte les unes contre les autres qui sont souvent celles des traumatisés »1802(*). « Il est vain, estime Guy Pervillé, d'espérer une réconciliation entre l'Algérie et la France sans une réconciliation à l'intérieur des deux peuples »1803(*). À cet égard, en France, plus encore que le débat entourant la réminiscence tardive des faits de torture pendant la guerre d'Algérie, c'est son orchestration médiatique qui est ici significative. Lutte frontale entre deux mémoires particulières (celle, collégiale, des intellectuels en guerre d'Algérie et celle, institutionnelle, de l'armée1804(*)), cette réactualisation soudaine d'une polémique déjà ancienne n'a fait qu'accroître, à compter de l'été 2000, le sentiment d'émiettement des requêtes mémorielles. Ainsi que le souligne fort justement Paul Thibaud, si l'équation guerre "d'Algérie = torture" venait à prévaloir dans l'opinion, c'est un autre moment essentiel pour comprendre la guerre d'Algérie qui pourrait être éludé, soit « l'échec des accords d'Évian dans une conjonction d'événements sinistres : O.A.S., harkis, exode des pieds-noirs, mise en place par la force d'un pouvoir algérien militaro-populiste »1805(*). Dès lors, la prévalence médiatique de la geste protestataire, loin de « désenclaver les mémoires traumatisées », ne ferait que nourrir la frustration ou l'acrimonie souterraines d'autres mémoires particulières :

« Désenclaver les mémoires traumatisées, réveiller la mémoire commune suppose qu'on mesure l'échec d'Evian, moment où se concentrent, où explosent tous les éléments du problème algérien. (...) Or, l'une des causes de cette mauvaise fin fut la méconnaissance, y compris de la part des négociateurs français, de la vraie nature dictatoriale et antipluraliste du FLN. Ceci pour une part, parce que la question de la torture avait été privilégiée et hypostasiée. (...) Au lieu donc de nous associer à une sorte de commémoration de nos luttes, essayons de dépasser ce qu'il y eut d'aveuglement dans ce combat contre le pire » 1806(*).

Précisément, comment faire sourdre en France et en Algérie ce qui, dans la ressouvenance du massacre des harkis, fait écran lorsqu'il s'agit de se définir collectivement par rapport à la guerre d'Algérie en général, à sa phase finale en particulier ? Car, à l'inverse du débat sur la torture, l'examen tant des attendus que des répercussions de cet épisode sur les sociétés algérienne et française semble ne pas pouvoir ou ne pas devoir avoir lieu : nul espace de délibération politique où puissent débattre de manière contradictoire les protagonistes du drame, nul espace d'intelligibilité où puisse s'exprimer publiquement le dissensus1807(*).

Ce qui fait écran, d'abord, en Algérie, c'est ce repli sur soi en forme de table rase engagé par le FLN au moment de l'exode forcé des Algériens de confession juive et catholique, et dont le point d'orgue, en quelque sorte, fut le massacre des harkis à l'été et à l'automne 1962. Or ce dernier épisode n'en finit pas, selon Daniel Sibony, de servir de « loi narcissique » à cette Algérie que l'on disait autrefois « nouvelle » ou « post-coloniale », mais qui, de fait, n'a jamais cessé de vivre dans « une sorte de panique identitaire qui s'exprime dans [une] violence «élémentaire», [laquelle] questionne les éléments constituants d'un collectif, et le ramène à cette scène «primitive» où l'on sacrifie de l'humain à la déesse primordiale »1808(*). Car si « l'Algérie et la France n'ont pas cessé l'une et l'autre de souffrir des conditions de leur séparation », c'est bien la première, estime Guy Pervillé, qui a payé le plus lourd tribut : « [durant trente ans], les dirigeants algériens ont perpétué, sous prétexte de commémorer le souvenir des héros et des martyrs, une culture de guerre et de ressentiment envers la France », si bien que, depuis 1992, « l'Algérie est déchirée par une nouvelle guerre civile entre deux camps qui prétendent également continuer le combat des moudjahidine contre le «parti de la France» »1809(*). Dès lors, s'interroge l'auteur, « quelle est la responsabilité de la commémoration obsessionnelle de la «guerre de libération» dans la répétition d'un passé sanglant ? »1810(*). (section 1)

Pour autant, souligne Guy Pervillé, la situation en tous points symétrique qui prévaut en France - cette amnésie « officiellement prônée depuis 1962 et jusqu'il y a peu »1811(*) - n'est pas non plus, d'évidence, le meilleur moyen de tourner la page. La non-réaction du président de la République française, Jacques Chirac, aux propos de son homologue algérien en juin 2000 - assimilant publiquement les anciens harkis à des « collabos » lors de sa visite d'Etat en France - est ainsi symptomatique des réticences françaises à envisager ouvertement les conséquences humaines de la politique de « dégagement » entreprise en Algérie sous l'égide du général de Gaulle. (section 2)

1) L'Algérie des "gardiens de la Révolution" ou la difficulté de s'inscrire dans une démarche de pardon sans altérer les frontières de l'identité

Quelles seraient, pour les autorités algériennes, les implications pratiques d'une politique du pardon telle que sériée dans le cadre de nos réflexions liminaires ? Certes, le fait du massacre des harkis - de toutes les façons inexpiable - n'est en lui-même pas susceptible d'être réparé : il demeure et demeurera toujours un des événements fondateurs de l'Algérie nouvelle. Cependant, l'état du rapport des forces - sociales, politiques et institutionnelles - qui y a présidé, ainsi que le type de justifications dont il est entouré, sont eux réformables. C'est là la part dévolue à la demande de pardon : non une réparation des faits (l'agresseur, s'il peut se défaire de sa morgue, ne peut ressusciter les morts), mais une réparation des termes de l'échange. A cette aune, il ne s'agirait bien sûr pas, pour les autorités algériennes, de déconsidérer le sens de l'engagement du FLN, mais bien plutôt d'accepter d'en reconsidérer - au sens le plus pragmatique du terme - l'histogenèse ; et notamment de reconnaître que cet engagement a suscité, au sein même d'une population dont le FLN revendiquait l'exclusivité de la représentation, une adversité qui avait sa raison d'être, méconnue en son temps puisque combattue non par des voies démocratiques mais au prix d'une violence sans langage1812(*) . Ce serait, en somme, récuser cette propension récurrente des vainqueurs à ajouter l'hégémonie à la victoire, à écrire l'Histoire de leur seul point de vue et à leur seul profit moral. Guy Pervillé :

« Même si l'histoire doit tenir un juste compte de l'énorme inégalité de puissance et de richesse entre les deux camps, et de leur exploitation systématique par les autorités françaises, elle ne saurait pour autant exclure a priori le rôle des méthodes de guerre et de gouvernement du FLN-ALN tendant à multiplier les traîtres pour prouver la vertu des patriotes. L'histoire de la Révolution algérienne doit prendre en considération, comme l'a fait celle de la Révolution française, l'existence de l' « anti-révolution », de la résistance du peuple aux abus de la révolution, qui ne se réduit pas à une simple contre-révolution »1813(*).

Il s'agirait ainsi, pour les autorités algériennes, de "déprivatiser" ou "d'externaliser" la figure de l'ennemi intérieur, d'extraire la symbolique officiellement attachée à la figure du harki du registre du "démonisme", pour faire des anciens harkis et de leurs enfants des interlocuteurs. Et c'est précisément dans cette capacité à "dépayser" le regard que réside l'unité conceptuelle du pardon : faire place à autre que soi et, par-là, faire place à un autre soi. Ceci n'implique pas que les parties s'accordent soudainement sur la morale de l'Histoire, mais qu'elles se fassent place les unes les autres et s'accordent à explorer conjointement la complexité de leur différend. Une telle démarche ne toucherait d'ailleurs pas seulement à la qualité des relations entre la communauté harkie et l'Algérie, mais encore à la qualité des relations au sein même du corps social et politique algérien. De fait, nous l'avons vu, le signifié attaché au massacre des harkis, à savoir le primat d'un discours de l'enfermement et d'une praxéologie de l'éradication, continue présentement de régir les comportements de préservation et de conquête du pouvoir dans ce pays : chacun des adversaires de la guerre civile actuelle prétend en effet combattre des « harkis » indignes d'avoir voix au chapitre, et que l'on peut donc tuer impunément. En ce sens, l'examen sincère et partagé de la charge traumatique héritée des violences de l'immédiat après-indépendance pourrait plus largement contribuer à objectiver les impasses liées au ressassé de la violence fondatrice et à la "névrose" de la trahison.

Mais qu'en est-il, en l'état actuel des choses, en Algérie ? Les conditions politiques du pardon - et d'une demande de pardon - sont-elles réunies ? La réponse, d'évidence, est non. Le récit hypostasié de la guerre de libération nationale1814(*) et le mythe selon lequel l'indépendance fut conquise au terme d'une victoire militaire de l'Armée de Libération Nationale (ALN) sert, aujourd'hui encore en Algérie, à justifier la mainmise de l'Armée Nationale Populaire (ANP) sur l'appareil d'État. Car pour violentes que fussent les rivalités internes au cénacle algérien, les élites au pouvoir depuis 1962 ont ceci en commun qu'elles entendent capitaliser à des fins politiques, et quoi qu'il en coûte à l'avènement d'une société ouverte, la légitimité que leur confère leur participation à la guerre de libération nationale. Le récit mythifié des origines tendant à faire accroire à l'unanimité des masses derrière le FLN, aussi bien que la stigmatisation générique de la figure du harki en tant que figure de « l'ennemi intérieur », sont autant de procédés dilatoires qui, postulant la monovalence des aspirations du corps social algérien, permettent d'imputer les ferments de division interne à d'autres que soi. Dès lors, accepter de demander pardon aux harkis, n'est-ce pas, pour les autorités algériennes, risquer d'altérer les frontières de l'identité post-coloniale et, par-là même, risquer de faire vaciller le socle symbolique sur lequel s'étayent les pratiques monolithiques du "système" depuis l'indépendance ?

A cet égard, l'analyse des enjeux éthiques et pratiques du pardon trouvent, dans le contexte de la "seconde guerre d'Algérie", des prolongements inattendus et éclairants1815(*). Ainsi, en septembre 1999 (quelques mois avant sa venue en France), le président algérien Abdelaziz Bouteflika, évoquant sa politique dite de « concorde civile »1816(*), avait laissé entendre sur une radio périphérique française (en l'occurrence « Beur FM », dont l'audience est très majoritairement le fait de populations issues de l'immigration maghrébine) que le vrai visage de "l'ennemi intérieur", bien que dissimulé sous des masques changeants, restait en définitive toujours le même :

« A l'indépendance, nous avons commis une grave erreur, nous n'allons pas la refaire. Nous avons jugé par le phénomène de la responsabilité collective. Ainsi, il y avait un harki [et] nous avons jugé toute la famille comme ayant été coupable de collaboration. Grave erreur que nous payons maintenant, car dans les maquis, il y a des enfants de harkis ».

De même, dans une interview accordée à « France Culture », le 12 septembre 1999 :

« La communauté nationale, ici et ailleurs, se doit d'assumer ses enfants, tous ses enfants. Cette erreur, au demeurant tragique, a été commise à l'indépendance de l'Algérie. Elle ne sera pas commise avec moi. A l'indépendance, nous avons traité le problème des harkis de façon collective. Nous sommes en train de payer la facture. Une partie des maquis, ce sont des enfants de harkis »1817(*).

On peut lire en filigrane des déclarations d'Abdelaziz Bouteflika une esquisse de reconnaissance des massacres qui ont suivi l'indépendance de l'Algérie, sans pour autant que les responsabilités en soient clairement définies (Abdelaziz Bouteflika se contentant de manier le "nous" de manière volontairement elliptique). Cette reconnaissance implicite de la réalité des massacres de l'après-indépendance, sinon des responsabilités qui y sont liées, et de leur caractère massif, valait-elle pardon ou prémisse de pardon à l'égard des anciens harkis et de leurs familles ? Assurément, non. Car ce que déplore ici le président de la République algérienne, ce ne sont pas en soi les violences rétorsives exercées à l'encontre des intéressés (« Nous avons jugé », dit-il, comme s'il était naturel que de tels "jugements" fussent prononcés), mais le manque de "discernement" dans l'exercice desdites violences. Un mea culpa "opérationnel" plutôt qu'une demande de pardon, en somme. Car s'il paraît signifier qu'il était parfaitement légitime de sanctionner les anciens supplétifs de l'armée française (lors même que les sévices infligés aux ancien harkis l'ont été en violation complète de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian), Abdelaziz Bouteflika suggère par contre qu'il eût été à la fois possible et préférable de s'y prendre autrement pour fléchir leurs proches parents et, ce faisant, véritablement désarmer toute velléité de réinvestissement du "modèle" paternel chez leur progéniture. Ainsi, d'une guerre d'Algérie l'autre, la chaîne d'imputabilité reste identique à elle-même : les enfants de harkis aujourd'hui, comme leurs parents hier, sont de tous les mauvais coups portés à l'Algérie (« dans les maquis, il y a des enfants de harkis »). Le lien établi entre le passé et le présent pointe ainsi moins la responsabilité propre du FLN/ALN et de leurs héritiers directs dans "l'enracinement" d'une culture de la violence en Algérie que celle, commode et récurrente, de la figure du harki, bouc émissaire évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie nouvelle (voir la Partie 2). Cependant, contexte de « concorde civile » oblige, l'assimilation des enfants de harkis aux maquisards islamistes est opérée non sur un mode uniment accusateur mais sur un mode partiellement auto-accusateur : certes, les enfants de harkis, tout comme leurs pères, sont des "monstres", mais c'est "nous" qui, par manque de vigilance ou de discernement, les avons engendrés.

Dans un schéma en tous points identiques (et sous couvert de jeter un regard lucide sur le passé), le général "en retraite" Khaled Nezzar, ex-chef d'état-major de l'ANP et ex-ministre de la Défense (l'un des personnages les plus influents en Algérie), avait - au cours d'une conférence de presse tenue en mars 2000 - estimé publiquement que « l'Etat aurait dû amnistier les harkis juste après l'indépendance pour éviter les problèmes d'aujourd'hui »1818(*). Par suite, les propos tenus trois mois plus tard par Abdelaziz Bouteflika à l'occasion de sa visite d'Etat en France, expliquant en direct à la télévision - en réponse à une question sur les entraves à la libre circulation des anciens harkis entre la France et l'Algérie - que le moment n'était pas encore venu pour les Algériens de « toucher la main d'un collabo », confirmeront avec éclat que le massacre des harkis n'était présentement pas susceptible d'être évoqué autrement que sur un mode purement instrumental en Algérie. Propos du reste confirmés mot pour mot un mois plus tard, dans une interview au Parisien, le président algérien revenant sur sa sortie du mois précédent en ces termes : « Dois-je vous dire que ma sympathie est telle pour les résistants de la France libre et mon respect tel pour l'homme du 18 juin que je ne m'imagine pas serrant la main aux collabos qui ont livré Jean Moulin »1819(*). Puis, quelques semaines plus tard, dans une interview au Figaro Magazine : « Je n'ai au fond de moi-même aucune aménité pour les collabos de quelque pays que ce soit et pour quelque cause patriotique que ce soit. Je crois avoir dit quelque part qu'il me rebuterait de serrer la main au misérable qui a donné Jean Moulin. Comment voulez-vous, sans offenser brutalement le peuple algérien dans sa dignité, que je puisse serrer la main à celui qui a donné Larbi Ben M'Hidi »1820(*).

Cette posture du président Bouteflika, se présentant en gardien de la dignité du peuple algérien dans un contexte où la démocratie est pourtant loin d'être une valeur-étalon du jeu politique algérien, n'a pu manquer d'interroger le journaliste indépendant et ancien responsable du bureau du Moyen Orient de Reportes sans frontières, Djallal Malti : « Le refus de permettre aux harkis de retourner dans leur pays natal est présenté comme une volonté populaire. Comparant les harkis aux «collabos» sous l'Occupation, Abdelaziz Bouteflika soutient que «les conditions ne sont pas encore venues pour des visites de harkis» en Algérie, car «l'opinion n'est pas mûre pour ce genre d'opération». Mais les Algériens ont-ils jamais été consultés, ou informés, sur la question ? ». Et il ajoute : « La falsification de l'histoire du pays sert de fondement idéologique au régime. En s'abritant derrière son nationalisme ombrageux, il interdit à quiconque, et en particulier à la France, de le questionner sur son absence de légitimité démocratique »1821(*).

Par de telles fins de non-recevoir, pouvant aller jusqu'à l'insulte publique (jusque et y compris sur le sol français, donc), le président de la République algérienne signifie aux anciens harkis qu'ils ne font pas - aujourd'hui encore - de bons interlocuteurs. Et, ce, moins sans doute en raison des qualités qui leur sont imputées (« traîtres », « collabos », etc.) qu'en raison de la "levée des tabous" qu'une mise à plat du différend risquerait d'entraîner. Car ce qui importe ici c'est moins l'insulte par elle-même, ce qu'elle exprime dans sa littéralité (qui n'est guère nouveau en Algérie), que ce qu'elle vise à décourager et délégitimer chez ceux qui en sont la cible, à savoir : l'expression d'une autre parole et, plus encore, d'une parole accusatrice. Il n'est qu'à voir, à cet égard, la levée de boucliers suscitée en Algérie par l'annonce conjuguée à l'hiver puis à l'été 2001, d'une part, de l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis et, d'autre part, des actions en justice pour crimes contre l'humanité intentées contre X en France par d'anciens harkis1822(*). L'ancien ministre de l'information du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Mohammed Yazid, devait ainsi déclarer au quotidien El Moudjahid qu'aucun harki n'avait été torturé en Algérie après la conclusion des accords d'Évian. Il précisait qu'aucune directive n'avait été donnée en ce sens par le FLN, sans toutefois exclure qu'il y ait eu des règlements de compte d'ordre privé. Et l'ancien ministre d'ajouter que si de nombreux harkis avaient été emprisonnés par le FLN à cette époque, c'était précisément pour leur éviter d'être massacrés1823(*). Une façon de reconnaître les faits de massacre mais sans se remettre en cause, donc. Tel est en effet l'enjeu pour les autorités algériennes : dénier le caractère systématique et planifié des violences rétorsives infligées aux harkis aux lendemains de l'indépendance. La mise en cause des "marsiens" - ces "résistants" de la 25ème heure - et la "transmutation" rétrospective des camps d'internement et de travaux forcés en "refuges" sont les corollaires obligés d'un tel déni. Mais s'il réfute l'implication du FLN en tant que tel dans l'élimination des anciens harkis au lendemain de l'indépendance, Mohammed Yazid, à l'instar de nombreux autres acteurs du champ politique algérien (voir la Partie 2), n'hésite cependant pas à user de la rhétorique de l'ennemi intérieur pour décrédibiliser ses adversaires politiques. Il aurait ainsi découvert, quarante ans après la fin de la guerre, que « certains harkis se sont glissés dans les arcanes du pouvoir et occupent aujourd'hui des postes importants [en Algérie] »1824(*). Ces deux déclarations de Mohammed Yazid, à une semaine d'intervalle, illustrent bien la dialectique de la "disparition / surexposition" des anciens harkis en Algérie : niés dans leur destinée collective (gênante à plus d'un titre pour les autorités actuelles), mais plus que jamais "promus" au rang de contre-étalons symboliques et/ou de bouc émissaires évidents pour tous les maux qui touchent l'Algérie contemporaine.

Du reste, après que le chef de l'Etat algérien avait de nouveau clairement signifié, quelques semaines seulement après sa visite d'Etat en France, cette absence de volonté de dialogue (et de réexamen des responsabilités attenantes au massacre des harkis)1825(*), les réactions engendrées en Algérie par les déclarations de Jacques Chirac à l'occasion de la première Journée d'hommage national aux harkis1826(*), le 25 septembre 2001, témoignaient de ce que le statut dévolu à la figure du harki dans l'imaginaire national algérien n'avait guère évolué depuis 1962, et ne se prêtait de toute façon guère à l'amorce d'un processus de pardon. Voici d'ailleurs ce que furent, dans les jours qui suivirent, les titres et les commentaires de la presse algérienne, tels que rapportés par le journal Le Monde, du 28 septembre 2001 : le journal arabophone du parti FLN, Saout Al Ahrar, s'emportait de ce que « la France demande à l'Algérie de s'excuser auprès des traîtres ! » ; le Quotidien d'Oran s'étonnait de ce que « Chirac charge le FLN », estimant que le président de la République française avait commis une « effronterie historique » qui lui permettait d'être « dans l'air du temps, celui de l'Occident civilisé face aux autres, les barbares ». « En l'occurrence, ajoutait ce journal, le barbare serait le FLN ». Le quotidien El Watan dénonçait pour sa part une opération électoraliste « devant un parterre d'anciens Français musulmans piteusement au garde-à-vous, supplétifs de l'armée coloniale, désarmés et abandonnés par elle dès la signature des accords d'Evian ». De même, le quotidien La Tribune estimait que « Chirac avait cru bon de capitaliser les voix [des harkis] ». Du reste, pour El Watan, la question des harkis n'est pas une affaire algérienne : ce sont des gens qui « ont choisi leur camp, leurs ennemis, leur destin, et qui - dans un excès de zèle lâche et barbare -ont commis des actions innommables contre la population civile ». Ce journal ajoutait : « Quand ces "soldats de pacotille" - l'expression est du général de Gaulle - ont été abandonnés par leurs maîtres, il était difficile de retenir les parents de ceux dont les fils et les filles ont été par eux assassinés »1827(*). Déni des anciens harkis, donc, déni de la responsabilité du FLN dans les massacres de l'après-indépendance aussi, assimilés à des « vendettas ». La tonalité de la presse n'est, sur ce sujet, guère différente de celle des autorités.

Au même moment, du reste, un communiqué diffusé par le Centre national des études et recherches sur le mouvement national et la révolution de Novembre 1954 (C.N.E.R. 54)1828(*), une structure directement placée sous l'égide du ministère des Moudjahidine, récusait que le FLN eût été à l'origine des massacres de l'après-indépendance, l'imputant aux « Marsiens, c'est-à-dire à ceux qui se sont ralliés tardivement - à l'annonce du cessez-le-feu - au combat pour la libération du pays ». Et ce communiqué d'ajouter, dans une dernière mise au point à bien des égards surprenante, que « le nombre de victimes, délibérément gonflé à 500.000 par les sources françaises (sic), oscillerait en fait entre 75.000 et 100.000 victimes »1829(*). Etonnante mise au point qui, partant de chiffres éminemment fantaisistes (les "chiffres-slogans" propagés par des acteurs associatifs en France n'ont jamais été au-delà d'un "bilan" de 150.000 victimes ; voir la Partie 1), en arrive à une estimation relativement élevée qui, prise au sérieux, discréditerait complètement - par son ampleur même - l'affirmation précédente de la non-implication du FLN et de l'ALN dans ces massacres.

Par suite, les autorités algériennes n'auront de cesse de nier que les représailles de l'après-indépendance ait pu être, de quelque manière, planifiées par - et conduites sous l'égide du FLN. Ainsi, Rédha Malek, ancien porte-parole de la délégation du FLN à Evian, reprenant point par point l'argumentaire développé avant lui par Mohammed Yazid (voir ci-dessus), estimait - lors d'une conférence-débat organisée le 1er novembre 2004 à l'occasion du cinquantenaire de la « Révolution » - que « les harkis n'ont pas été tués par le FLN » et que « le principe de non-représailles a été scrupuleusement respecté ». « Les Français, ajoutait-il, avancent le chiffre de 250.000 harkis décimés (sic). Ce qui est faux. Il ne s'agissait que de règlements de compte dans des villages ». Et de conclure, à l'instar de Mohammed Yazid : « Les autorités algériennes les ont même protégés en les mettant à l'ombre après l'indépendance pour leur propre sécurité »1830(*).

Plus récemment encore, dans une interview accordée au Quotidien d'Oran en mars 2006, Ali Haroun, ancien responsable de la Fédération de France du FLN et membre du CNRA, affirmait que « le drame des harkis n'a pas été le fait d'une politique délibérée de vengeance et de règlements de compte ». Et il ajoutait : « Jamais un ordre de vengeance n'a été donné par le FLN. J'ai été membre du Conseil national de la révolution algérienne. Je peux attester que rien de tel n'a été décidé au sein des instances de la révolution. (...) Je peux vous affirmer qu'au niveau du FLN, il n'y a jamais eu d'ordre ou d'instruction appelant à en découdre avec les harkis. Si cette décision existe, qu'on me la montre ! ». Reprenant à son compte une ligne argumentative chère à certains historiens français (voir la Partie 1), Ali Haroun affirme du reste que le FLN - en proie à de violentes luttes de faction pendant l'été 1962 -n'existait plus en tant que tel au moment de l'accession à l'indépendance de l'Algérie : « Il n'y a plus de FLN à ce moment-là. Le mouvement a explosé le 6 juin 1962 au soir de la session inachevée du CNRA Tripoli. Pendant la période incriminée, il n'y a plus de direction du FLN capable de donner des ordres applicables sur l'ensemble du territoire national et même dans ses représentations à l'étranger. Dès lors, toute une série d'initiatives et d'attitudes sont prises à l'échelon de base ou individuel. Il est regrettable que l'on amalgame entre le FLN du temps de la guerre et ce qu'il en reste au plus fort de la période trouble ». Conclusion d'Ali Haroun, en tous points identiques à celles de ses anciens condisciples : « Les plus extrémistes, ceux qui ont commis le plus de mal à l'égard des harkis, ce sont les résistants de la 25ème heure. Ceux qu'on appelle les «Marsiens» »1831(*). Nous ne reviendrons pas en détail sur les commentaires qu'appellent les propos d'Ali Haroun (voir les réponses apportées à ce type d'argumentaire dans la Partie 1). Quelques remarques simplement : (1) l'idée qu'il n'existait, au cours de l'été 1962, aucun échelon de commandement intermédiaire entre la direction centrale du FLN et « l'échelon de base ou individuel » est démenti par le fait même des luttes de factions ; (2) ces luttes de factions n'ont pas détourné les wilayas de l'optique d'une épuration mais, au contraire, ont entraîné une course à la surenchère de ce point de vue ; (3) Ali Haroun fait totalement l'impasse sur la deuxième grande vague de massacres (octobre-novembre 1962), perpétrée par l'ANP plusieurs semaines après qu'un gouvernement eût été constitué autour d'Ahmed Ben Bella et de l'état-major de l'armée des frontières (placée sous le commandement de Houari Boumediene), de même qu'il fait l'impasse sur l'existence de plusieurs dizaines de camps d'internement, de torture et de travaux forcés répartis sur l'ensemble du territoire algérien.

Cependant, ce qui importe ici, ce sont les implications évidentes d'un tel déni : le FLN n'ayant rien à se reprocher quant aux massacres de l'après-indépendance, et ceux-ci ne pouvant dès lors constituer une violation caractérisée de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian, les autorités algériennes n'entendent naturellement pas demander pardon. Du reste, ces mêmes autorités, n'ont de cesse de flétrir ouvertement les anciens harkis, signifiant clairement qu'il appartient à ces derniers - et à ces derniers seuls - d'assumer le poids de la dette ; et signifiant implicitement que si la question du pardon devait se poser un jour, elle se poserait en termes de pardon "octroyé", non de pardon "demandé". Le fait du prince, donc, telle cette politique d'artifice qui, feignant d'avoir tiré leçon du passé pour surmonter la crise actuelle, ne fait que perpétuer - d'une génération l'autre - une même logique de désignation de l'ennemi intérieur (et de fuite des responsabilités). Ali Haroun :

« On devrait dépassionner le débat. Le problème se pose moins pour les harkis - le plus jeune doit avoir 70 ans - que pour leurs enfants. A mes yeux, il faut reconsidérer autrement le débat pour deux raisons au moins. La première : on n'est jamais responsable des faits et gestes de ses parents. Deuxième raison : aujourd'hui, les enfants de harkis se sentent rejetés. Ils sont assis entre deux chaises, n'ont plus de référents et sont, hélas !, une proie facile pour l'intégrisme »1832(*).

Ce schéma dilatoire visant à assimiler les islamistes armés à des enfants de harkis (comme s'il ne pouvait y avoir de dissensions internes entre "vrais" Algériens) est en cours, nous l'avons dit, depuis le début de la deuxième guerre d'Algérie, et revient généralement en force à l'approche des échéances électorales. Il avait ainsi connu un regain spectaculaire au moment de la campagne référendaire visant à ratifier le projet de « Charte sur la paix et la réconciliation nationale ». A plusieurs reprises au cours de sa tournée pré-référendaire, à l'été 2005, le président Bouteflika avait joué de cette dialectique entre une posture de la "magnanimité" se voulant en rupture avec les temps fondateurs, et une logique de l'incrimination qui s'inscrivait dans leur continuité - dans leur pleine "filiation", devrait-on dire. Ainsi, le 8 septembre 2005, à Oran :

« Nous avons commis des erreurs à l'encontre des familles et des proches des harkis et n'avons pas fait preuve de sagesse. Nous avons suscité en eux un sentiment de haine et de rancoeur, portant ainsi un préjudice au pays ». Préjudice moral ? Certes non : « Une grande partie de la crise qu'a connue le pays est due à cette très grave erreur »1833(*).

Des propos en tous points identiques à ceux tenus par ce même Abdelaziz Bouteflika, six ans plus tôt, à l'occasion de la campagne référendaire de la « Loi de concorde civile » (voir plus haut). Puis, dans la foulée de son intervention à Oran, répondant à une question d'un lycéen, le 10 septembre 2005 à Blida :

« L'Etat n'a pas traité de manière convenable la situation des harkis. Quel est le tort des enfants de harkis aujourd'hui ? Ils peuvent venir en Algérie et repartir librement ! Ils sont les bienvenus à condition qu'ils ne créent pas la zizanie », ajoutant par ailleurs que la question des harkis proprement dits avait été « définitivement tranchée »1834(*).

Des propos d'Ali Haroun et du président Bouteflika, il ressort cette même ambiguïté calculée entre volonté de rupture avec le passé (« L'erreur serait de tenir rancoeur aux enfants de harkis »1835(*)) et éternel ressassé des antiennes fondatrices (« On devrait agir avec plus d'objectivité pour retirer cette écharde qui constitue un véritable piège »1836(*)). Avec deux constantes : l'une, allusive ou implicite, consistant à assimiler les islamistes armés visés par le projet de « Charte sur la paix et la réconciliation nationale » (et, avant cela, par la « Loi de concorde civile ») à des enfants de harkis, et donc à expliquer les impasses de l'Algérie post-coloniale non par les effets différés de la visée hégémonique et de la culture de guerre véhiculées par le FLN et ses héritiers, mais par la perpétuation d'une seule et même causalité maléfique, à savoir : l'existence d'une "cinquième colonne" uniment attachée, d'une génération l'autre, à la destruction de l'Algérie ; l'autre, très explicite, consistant à pourfendre sans faiblir la figure du harki, à la maintenir - aujourd'hui comme hier - délibérément et fermement à distance pour éviter d'attenter de quelque manière à la geste officielle de la guerre d'Algérie, la légitimation du système ne tenant - en dernière instance - qu'à la perpétuation à l'identique du roman national. Du reste, cinq jours seulement après qu'Abdelaziz Bouteflika avait déclaré (à Oran) regretter les « erreurs » commises à l'indépendance à l'encontre des familles de harkis tout en alléguant qu' « une bonne partie de la crise actuelle [était] due à ces erreurs », Saïd Barkat, ministre de l'agriculture, s'emploiera dans cette même ville d'Oran (et sous les ovations nourries du public, note la journaliste du Monde) à lever les ambiguïtés attenantes à ce discours de l'entre-deux :

« La majorité du peuple algérien est contre la venue des harkis en Algérie car ce sont des traîtres à leur pays et à leur nation. Quant à leurs enfants, ils seront les bienvenus à condition qu'ils reconnaissent de facto les crimes de leurs parents », ajoutant qu'à ses yeux les harkis étaient « des vendus et de vieux gradés de la honte »1837(*).

Des propos en droite ligne de ceux tenus par Abdelaziz Bouteflika lors de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, et qui confirment qu'en Algérie ne sont présentement réunies ni les conditions de réciprocité (quant à la reconnaissance des anciens harkis comme interlocuteurs) ni les conditions d'imputabilité (quant à la reconnaissance des responsabilités attenantes au massacre des harkis) nécessaires au cheminement et à la mise en branle d'une politique du pardon, bien au contraire puisque le poids de la dette est entièrement rejeté sur les épaules des ex-supplétifs de l'armée française, le FLN n'étant coupable - à la différence de ces derniers - d'aucun crime. Enfin, les enfants de harkis - s'ils entendent regagner et être "acceptés" en Algérie - n'ont d'autre choix que de « prétendre devenir des Algériens à part entière »1838(*), c'est-à-dire de « reconnaître les crimes de leurs parents »1839(*).

2) La France dans l'ombre d'un grand Français, ou la difficulté de faire sourdre un passé occulté sans mettre en cause la réputation consensuelle du général de Gaulle

En France, l'idée d'une reconnaissance officielle de la responsabilité de l'État français dans l'abandon au massacre des harkis - l'une des principales revendications portées par le monde associatif - se heurte à l'intangibilité d'une imagerie d'État rétive, par sa nature même, à toute forme d'examen de conscience. Certes, cette revendication se fonde sur un précédent : la reconnaissance par Jacques Chirac de la responsabilité propre de l'appareil d'État français dans la politique de persécution et dans la déportation des Juifs sur et à partir du territoire national entre 1940 et 1944. Cependant, pour ce qui a trait à la phase finale de la guerre d'Algérie, une telle revendication mettrait en jeu la réputation désormais consensuelle du général de Gaulle, et n'est sans doute pas susceptible - pour cette raison - d'être satisfaite à court ou moyen terme. Une difficulté - la difficulté d'ébranler la "statue" du général de Gaulle - dont Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière, a pleinement conscience :

« (...) Le fond, je pense, c'est que les gens... si tu reconnais ouvertement qu'il y a eu quelque chose à ce moment là, les harkis, c'est que... il s'est passé quelque chose, il y a quelque chose dans la marmite : ils vont vouloir voir ce qui s'y passe, et y'a pas toujours de belles choses... on est les premiers pour savoir ce qu'il s'est passé. Et s'il y a quelque chose, il va falloir désigner des responsables. Et comme... le premier en... pour ne pas le nommer [rires], le plus haut placé, c'est de Gaulle, donc... si tu veux, ça entraîne beaucoup trop de choses à l'heure actuelle. Ce qui risque de se passer, à mon avis, c'est que... quand on aura dépassé... disons, que tous les responsables qui étaient à ce moment là, et qui auront disparu, on pourra, peut-être, entrebâiller. Entrebâiller. Parce que je pense que le mythe de Gaulle, eh ! bien, pour le remettre en cause, ça va être un peu dur, hein ».

De fait, la politique de "sortie de crise" finalement privilégiée en la circonstance a presque toujours été présentée et louée - y compris par les adversaires politiques du général de Gaulle - pour son "pragmatisme". Parce qu'autorisant la France politique à sortir du « bourbier » algérien tout en semblant simultanément satisfaire au principe du droit à l'autodétermination des peuples, les accords d'Evian ont été présentés comme le témoignage et la condition de la « grandeur » retrouvée par les "gardiens" de la mémoire gaullienne et l'historiographie officielle1840(*), mais encore comme un « immense soulagement » par ceux qui se situent dans le sillage des "opposants" à la guerre d'Algérie1841(*). Or, l'explication globalisante selon laquelle le général de Gaulle aurait réinscrit la France dans le "sens de l'Histoire" et préservé ses intérêts "vitaux"1842(*) en parachevant le processus de décolonisation en général, en dénouant le drame algérien en particulier, n'est recevable comme telle que si elle s'abstrait des conséquences humaines imputables aux modalités pratiques d'exercice de cette politique. Le désengagement brutal de la France de toute opération de maintien de l'ordre en Algérie - à peine plus de trois mois après la conclusion du cessez-le-feu - témoigne de ce que la prévention des heurts diplomatiques avec l'Algérie prévalait clairement sur la prévention des atteintes aux personnes. Les déclarations du général de Gaulle lors du Conseil des ministres du 4 mai 19621843(*), mais encore - entre autres - la note du 24 août 1962 du commandant supérieur des forces Françaises en Algérie à l'adresse du commandant supérieur de la base logistique de Mers-el-Kébir1844(*), déjà cités dans la Partie 1, en sont de clairs témoignages. L'exaltation du "pragmatisme" gaullien (i.e. de la capacité du chef de l'Etat à dénouer politiquement le drame algérien), mais encore la célébration de la "paix" retrouvée, reposent ainsi sur l'occultation du lourd tribut payé par les musulmans pro-français et de nombreux Européens d'Algérie à la réorientation de la politique de grandeur de la France. Donc sur une grille de lecture strictement "westphalienne" des tenants et aboutissants du conflit algérien.

A l'inverse, poser la question du pardon impliquerait de rendre compte de la trame de la "disparition" des harkis, donc de faire retour sur les arbitrages éthiques ayant présidé à la politique de « dégagement » telle que visée et entreprise par le chef de l'Etat et ses ministres. Ces arbitrages, quels furent-ils ? La politique de « dégagement » commandait de découpler les dispositions touchant aux intérêts "stratégiques" de la France (bases militaires, centres d'expérimentation, gisements pétrolifères, etc.) de celles relatives à la sécurité des personnes (pieds-noirs et musulmans pro-français), de loin les plus lourdes à mettre en oeuvre. Car celles-là seules, qui - par leur nature - dépassaient le cadre proprement algérien, servaient semble-t-il la réorientation de la politique extérieure de la France. De fait, dans un monde bipolaire où les possessions impériales n'avaient plus guère valeur d'attributs de grandeur et de puissance dans le concert des nations, de Gaulle, qui s'apprêtait à retirer la France de l'intégration militaire (ou processus de planification de défense) au sein de l'OTAN, s'était persuadé que la recherche de tierces alliances - donc de meilleures relations avec le bloc des « non-alignés » - était nécessaire au maintien du rang de la France dans le monde. Dans cette optique, le maintien - même momentané - de relations étroites avec les Français d'Algérie et les musulmans non-inféodés au FLN (notamment pour s'assurer du respect de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian), était conçue par le chef de l'Etat comme une forme d'ingérence inopportune, car préjudiciable à ses desseins diplomatiques. La politique de « dégagement » impliquait, par conséquent, que la France se désengageât de l'application des dispositions relatives à la sécurité des personnes - les "opérations de police" étant la composante même du « bourbier » algérien - et s'en remette, en l'espèce, au bon vouloir du futur État algérien. Aussi, pour solennelles et rassurantes que furent les exégèses officielles au moment de la conclusion des accords d'Evian, jamais l'armée française - qui stationna pourtant en Algérie jusqu'en juin 1964 - ne reçut l'ordre d'intervenir pour secourir ceux qu'elle avait irrémédiablement "compromis". Pas davantage, elle ne reçut l'ordre d'intervenir pour secourir les milliers de pieds-noirs enlevés après l'indépendance et qui, à l'instar des harkis, connurent un sort effroyable. « Les intérêts stratégiques de la France, écrit Guy Pervillé, furent de loin les mieux respectés (...). Les dernières troupes de l'armée de terre furent évacuées en juin 1964 et toutes les bases concédées [par l'Algérie] furent rendues avant terme, au moment où le gouvernement français avait cessé de les juger indispensables (les sites sahariens en 1967, Mers-el-Kébir en 1968, Bou Sfer en 1970) ». Cependant, ajoute-t-il, « l'honneur [de la France] a, dans le même temps, souffert de l'abandon de trop de ses ressortissants et de ses partisans à des vengeances prévisibles. Les intérêts des Français d'Algérie ont été sacrifiés à ceux (énergétiques et stratégiques) de la métropole »1845(*). De fait, en dépit d'« actes contraires aux garanties d'Évian [sur la sécurité des personnes] et incompatibles avec une coopération sereine », et en dépit de « la révision permanente [des accords d'Evian] qu'exigeait l'Algérie », « De Gaulle presque seul imposa la poursuite d'une coopération qu'il voulait exemplaire [avec l'Algérie indépendante] afin de rétablir le prestige français dans le monde arabe et le Tiers Monde »1846(*). Guy Pervillé ajoutant : « Les intérêts essentiels de la France ne se confondaient plus avec ceux de ses ressortissants »1847(*). À cet égard, certaines déclarations du général de Gaulle en Conseil des ministres - outre celle du 4 mai 1962, précédemment mentionnée - sont des plus significatives1848(*).

Pour Alain-Gérard Slama, « le fondateur de la Vème République a négocié à la hâte, sans égard pour le coût humain de son impatience »1849(*). De même, pour la sociologue Dominique Schnapper, qui fut directrice de thèse de Mohand Hamoumou, « ce que nous apprennent les travaux des historiens, c'est que le chef de l'Etat ne s'embarrassait pas de considérations morales. (...) Désormais, la France, débarrassée de la dernière guerre coloniale, était libre de se consacrer à la grande politique mondiale »1850(*). Partant d'une même analyse mais aboutissant à des conclusions différentes, Paul-Marie Coûteaux, ancien gaulliste "de gauche"1851(*), actuel député européen élu sous l'étiquette du Mouvement Pour la France (MPF), président d'honneur du Rassemblement pour l'Indépendance et la Souveraineté de la France (RIF) et auteur de Génie de la France, de Gaulle philosophe (Paris, J.-C. Lattès, 2002), estime pour sa part que « derrière la question de De Gaulle, se pose celle de la France. Pour ou contre de Gaulle, c'est pour ou contre la France ou plus exactement la grandeur de la France, ce qui à mes yeux revient au même. (...) De Gaulle est le symbole de ce qui est fort et volontaire dans une période qui doute. Il incarne l'Histoire et ses risques dans un temps qui n'aime ni les risques ni l'Histoire. Toute la question est là. Est-ce qu'on accepte la France comme un objet de noblesse avec la volonté opiniâtre de faire l'Histoire en assumant ses risques, comme l'affaire des harkis ? Ou fait-on passer la France en jugement permanent en ne retenant que ses fautes ? (...) De Gaulle a consacré sa vie à une logique qui est celle de la politique. Cette logique ne va pas sans grandeur, ni sans risque. La vie aussi tue ! ». Et il ajoute : « Il est vrai que de Gaulle n'avait pas pour les Arabes en général une passion débordante ; il était comme Jeanne d'Arc qui aimait les Anglais, à condition qu'ils restent chez eux... »1852(*).

A bien des égards, le cas d'espèce de la destinée faite aux anciens harkis s'offre comme un "cas limite", illustratif des impasses fondamentales auxquelles peut se heurter la poursuite d'une politique de grandeur qui, conçue de manière essentiellement "holistique", abstrairait le rayonnement du "tout" de la somme des bien-être - de la réduction des malheurs - individuels. « L'affaire des harkis » a-t-elle vraiment été « assumée », comme le suggère Paul-Marie Coûteaux ? Ces arbitrages, cette certaine idée de la France et des fondements de la "raison d'Etat"1853(*), les responsables politiques sont-ils aujourd'hui prêts à en débattre ouvertement, et à en explorer les failles ? Une parole ou une politique du pardon à l'adresse des anciens supplétifs, au nom de l'Etat français, sont-ils envisageables ? Autrement dit, la revendication portée par la quasi-totalité des associations de harkis et collectifs d'envergure nationale, à savoir : la reconnaissance par l'Etat français de sa responsabilité propre dans l'abandon au massacre des anciens supplétifs de l'armée française (sur le modèle des propos prononcés par Jacques Chirac le 16 juillet 1995, à l'occasion du 53ème anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver1854(*)), est-elle susceptible d'être satisfaite à court ou moyen terme ? Il reste en fait nombre d'hypothèques à lever dans cette perspective. Certes, des entailles à la "carapace" confortable du "discours de la méthode" gaullien ont pu être portées ici et là, mais sans volonté véritable de créer un effet de rupture . Ainsi en va-t-il de Jacques Chirac qui, à l'occasion de la première Journée d'hommage national aux harkis, le 25 septembre 2001, reconnaissait que « la France n'a[vait] pas su protéger ses enfants », mais sans aller au-delà dans l'explication de texte, et sans davantage y revenir les années suivantes, Jacques Chirac se faisant désormais représenter par son Premier ministre (ou son ministre de la Défense) en cette circonstance. Pour sa part, Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et ancien officier de l'armée d'active pendant la guerre d'Algérie, a certes prononcé des paroles plus nettes que celles du président de la République, mais sans que celles-ci soient susceptibles de rencontrer un écho et d'être revêtues d'une portée symbolique comparables :

« L'armée française comme le FLN ne leur ont pas dit la vérité. A partir du 19 mars 1962, à chaque fois que les unités françaises se retiraient, il y avait des exactions. C'était une période curieuse, où le plus grand désordre régnait. J'ai moi-même pris l'avion et je suis rentré car je n'avais plus d'ordre ». Et il ajoute : « La France n'a pas tout entrepris pour protéger ceux qui l'avaient servie. Nous n'avons pas fait notre devoir jusqu'au bout. Je ne sais pas si aujourd'hui nous pouvons les regarder en face : c'était une responsabilité collective. Il existait à l'époque une sorte de naïveté étatique qui consistait à croire que les accords d'Evian seraient respectés. Or, le FLN n'a pas tenu parole. Et la France, elle, n'a pas suffisamment exigé le respect de ce traité alors qu'elle en avait les moyens »1855(*).

Des paroles fortes mais qui, jouant sur le registre de la « naïveté étatique » (à cette aune, les autorités auraient été prises de cours par le déchaînement des violences), se gardent d'envisager - et moins encore de reconnaître - que cette politique dite de « dégagement » fût le fruit d'arbitrages délibérés (voir la Partie 1) visant, au nom d'une certaine conception de la raison d'Etat (et en toute connaissance de cause quant aux conséquences induites), à précipiter le transfert de souveraineté et, ce faisant, à privilégier l'exercice des garanties afférentes au maintien de certains attributs de puissance (sites d'expérimentation nucléaire, gisements pétrolifères, bases d'expérimentation d'armements chimiques, bases navales, etc.) sur l'exercice des garanties afférentes à la sécurité des personnes, entièrement abandonné au bon vouloir des nouvelles autorités algériennes.

Du reste, ces quelques ouvertures ponctuelles, éminemment liées aux circonstances (dans le cas de Jacques Chirac) ou à l'itinéraire personnel des intéressés (dans le cas d'Hamlaoui Mekachera), ne sont pas grand-chose au regard du poids de la geste gaullienne (et de ses silences consacrés), ce dont témoigne la ferme résistance opposée au cheminement de « l'esprit de pardon » par l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle, Pierre Messmer, dernier protagoniste vivant du gouvernement alors en place, dont le rôle fut prééminent dans le sort fait aux anciens supplétifs (voir la Partie 1), mais encore de l'amiral Philippe de Gaulle, le propre fils du général.

Ce dernier, dans une interview parue en 2004 dans le Midi libre à l'occasion de la sortie du deuxième tome de ses mémoires1856(*) s'était élevé contre ceux qui accusent son père « d'avoir abandonné les Français d'Algérie », ajoutant : « Et puis tout le monde ne voulait pas partir, comme ces cent mille harkis qui ont rejoint l'armée algérienne »1857(*). Sans que l'on sache très bien s'il contestait par là le fait même du massacre ou s'il en imputait la responsabilité au manque de discernement des intéressés, qui se seraient en quelque sorte "jetés dans la gueule du loup".

De même (quoique usant d'autres arguments que celui du ralliement en masse à l'ALN), l'ancien ministre des Armées, Pierre Messmer, laisse rétrospectivement entendre que « beaucoup de harkis ont refusé de venir en France ». Il ajoute qu' « en restant en Algérie, ils percevaient une forte prime de démobilisation » dont ils prétendaient « profiter » pour « construire des fermes ou agrandir leurs exploitations ». Ne touchant mot de l'exégèse des accords d'Evian faite sur le moment par les autorités françaises (exégèse gonflée d'optimisme), ni des efforts déployés par ces mêmes autorités pour inciter leurs anciens serviteurs d'armes musulmans à préférer la solution du recasement plutôt que celle du transfèrement vers la France (la proposition d'engagement dans l'armée française étant par surcroît réservée aux seuls célibataires), Pierre Messmer ajoute : « Nous ne les avons pas laissés tomber. C'est eux qui, trompés par les promesses de mansuétude du FLN, ont choisi de se faire démobiliser. Très peu d'entre eux ont accepté la proposition d'engagement dans l'armée que nous leur avons faite. La raison est qu'ils n'avaient pas envie de s'éloigner de leurs villages ». Ce disant, Pierre Messmer en vient naturellement à établir « une hiérarchie dans les responsabilités » qui, par extraordinaire, pointe la naïveté des victimes elles-mêmes avant que d'incriminer la politique de « dégagement » entreprise par son gouvernement : « Le principal responsable, c'est le FLN, qui a trompé les harkis et les a massacrés ; ensuite, ce sont les harkis eux-mêmes qui se sont laissés tromper ; en troisième lieu, ce sont ceux qui n'ont pas été les délivrer pour ne pas mettre en danger le cessez-le-feu [entendre le gouvernement français] »1858(*). Une analyse qui, on l'a vu, est peu ou prou celle de l'historien Charles-Robert Ageron.

Pierre Messmer explique qu'« un accord avait été négocié et [qu']il était naturel de penser qu'il serait respecté ». Et il ajoute : « La bonne foi des signataires français a été totale »1859(*). Il précise en outre qu'« à cette époque, les chefs du FLN usaient de tact et de souplesse, affirmant aux supplétifs qu'il n'y aurait aucune représailles à leur encontre après la guerre » et que « lorsque, quelques semaines plus tard, [le FLN] a jeté le masque, le repliement des harkis a tout de suite été mis en place »1860(*). En somme, l'ancien ministre des armées, usant du registre de la bonne foi abusée, explique que les autorités françaises ont été prises de cours, rien selon lui ne pouvant laisser supposer a priori que le FLN trahirait les engagements pris à Evian. En supposant même que cette déclaration fût sincère, on s'étonne de ce que Pierre Messmer, plutôt que d'en tirer rétrospectivement des leçons sur la manière dont ont été conduites les négociations par les autorités, stigmatise l'attitude des « harkis eux-mêmes qui se sont laissés tromper ». Cette explication, qui s'autorise elle aussi d'une certaine naïveté, a d'ailleurs tout d'une construction rétrospective puisque, nous l'avons vu dans la Partie 1, les négociateurs d'Evian et leurs conseillers étaient parfaitement avertis de la duplicité du FLN. Du reste, sans souci apparent de la contradiction, Pierre Messmer déclare dans la foulée que « la question ne se posait pas en termes de confiance, car je n'en avais strictement aucune à l'égard du FLN »1861(*). Dans ces conditions, comment Pierre Messmer pouvait-il penser qu'il était « naturel » que les accords d'Évian fussent respectés s'il n'avait aucune confiance dans ses interlocuteurs ? Par surcroît, comment pouvait-il, sur ces bases, inciter ses anciens serviteurs d'armes à regagner leurs foyers ? Des confidences en parfait décalage avec le ton des tracts distribués par l'armée française à ses supplétifs au moment de leur démobilisation (« Harkis ! À l'heure de la paix, le blé vaut plus cher que les cartouches », etc. ; voir la Partie 1).

Par ailleurs, comment expliquer que les forces militaires encore stationnées en Algérie après l'indépendance ne soient pas intervenues pour secourir les harkis effectivement persécutés par le FLN, en violation ouverte des clauses de non-représailles contenues dans les accords de cessez-le-feu ? L'explication rétrospective donnée par Pierre Messmer a le mérite de la franchise : « Toute la question était de savoir si nous allions réoccuper des villages pour sauver quelques familles de harkis, au risque de relancer la guerre. Le général de Gaulle a tranché : il n'en était pas question ». Il ajoute : « Il s'agissait de savoir si nous voulions finir une guerre de décolonisation, ou si nous voulions la continuer. Il est vrai que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles. Cet épisode m'a plongé dans une grande tristesse mais, lorsqu'on gouverne, il faut choisir »1862(*).

Ces derniers propos apportent une lumière décisive sur ce que fut - officieusement - la stratégie gouvernementale à l'égard des anciens supplétifs et de leurs familles : 1) dans l'interview donnée au Monde, Pierre Messmer affirme à la fois qu' « il était naturel [pour le gouvernement] de penser que cet accord serait respecté » (registre de la bonne foi abusée), puis - sans souci apparent de la contradiction - qu'il était clair dans son esprit « que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles » (ce qui fragilise a contrario le scénario d'un gouvernement dépassé par les événements) ; 2)  il confirme en outre que la décision de ne pas secourir les harkis effectivement persécutés après l'accession à l'indépendance de l'Algérie procédait bien d'un « choix », pris au plus haut niveau, et non d'un défaut d'information ou d'une foi aveugle en l'avenir.

Le point clef, ici, c'est ce choix de « ne pas relancer les hostilités » tout en sachant que cela « pouvait avoir des conséquences terribles ». Le parti pris est clairement exposé - mais seulement rétrospectivement - par l'ancien ministre des Armées : la "paix des officines" plutôt que la paix civile. Autrement dit, le choix a consisté à sacrifier les conditions d'un retour effectif à la paix civile (en abandonnant les conditions initialement définies - de 1958 à 1960 - par le général de Gaulle lui-même1863(*)) pour hâter les conditions d'une normalisation diplomatique. Pas de période de transition, donc, mais une politique de « dégagement » (dixit de Gaulle) dont les responsables étaient parfaitement à même d'anticiper les conséquences1864(*). Un « choix » clair et délibéré (« lorsqu'on gouverne, il faut choisir » ) que ne saurait occulter le scénario de la bonne foi abusée (« Un accord avait été négocié, et il était naturel de penser qu'il serait respecté »).

Des propos qui amènent à s'interroger sur les fondements de la raison d'État qui ont prévalu à cette occasion. De fait, ce « choix » de fermer les yeux sur le massacre de dizaines de milliers d'anciens harkis et membres de leurs familles - « quelques familles de harkis », dit Pierre Messmer - plutôt que d'intervenir pour les secourir au risque de « relancer la guerre » illustre de manière dramatique ce que recouvre traditionnellement la notion de "raison d'État". Une notion tout entière contenue dans celle de "real politik" mais dont on ne peut dire - sans s'interroger au cas par cas - qu'elle est une politique "réaliste", et moins encore une politique de raison. Les explications de l'ancien ministre des Armées du général de Gaulle éclairent également d'un jour nouveau les polémiques rétrospectives autour de la notion d' « abandon », fréquemment utilisée (mais aussi contestée, par Charles-Robert Ageron notamment ; voir supra) pour qualifier la politique gouvernementale à l'égard des anciens harkis. Elles vont en tout cas dans le sens d'une intentionnalité (Pierre Messmer marque de façon insistante les « choix » qui furent ceux du gouvernement) qui étaye plutôt qu'elle ne fragilise l'emploi de cette notion.

Cependant, l'ancien ministre des Armées, s'il reconnaît a posteriori que les conséquences de la politique de "sortie de crise" prônée en la circonstance par l'exécutif français « ne furent pas toujours honorables », ne remet pas pour autant en cause la conception de la "raison d'Etat" qui avait servi de fondement à cette politique. Dans son discours de réception à l'Académie française, le 10 février 2000, il assumait ainsi ouvertement la nécessité d'abstraire les conceptions holistiques du « bien et [du] repos de la patrie » des « conséquences douloureuses et pas toujours honorables » qui découlent sur le terrain de leur mise en application : « Pour le ministre que j'étais, il est dur et risqué d'ordonner à une armée invaincue sur le terrain un cessez-le-feu et un retrait que l'adversaire a été incapable de lui imposer et, ensuite, d'en gérer les conséquences douloureuses et pas toujours honorables. (...) Il y a des guerres justes mais il n'y a pas de guerre propre et, dans les grandes crises, nul ne gouverne innocemment. Pour le bien et le repos de la patrie, doit-on prendre le risque de perdre son âme ? »1865(*). La réponse implicite que l'on devine, Pierre Messmer l'avait donnée plus clairement à Marc d'Anna, qui l'interviewait en mars 1998 pour la revue électronique Nouvelle Liberté : « Malgré tous les drames (départ d'un million d'Européens, massacre de milliers de Harkis par les Algériens), la première période, qui suit l'indépendance et qui va jusqu'à la prise de pouvoir par les "durs", les rapports franco-algériens s'inscrivaient dans le cadre d'une certaine forme de collaboration. On pouvait encore travailler ensemble. Après la signature des Accords d'Evian en effet, nous restions à Mers-el-Kébir et dans le Sahara, en conservant ainsi une base de lancement pour nos fusées ainsi qu'un terrain d'essai de nos armes chimiques. Des Centres d'essais nucléaires étaient installés à In Ekker. Pendant cette période, les rapports étaient convenables. On évitait les drames »1866(*).

A cet égard, Jean-Marie Rouart (lui aussi membre de l'Académie française), dans un article intitulé « La froideur de la raison d'Etat » publié dans Le Figaro littéraire du 27 avril 2000, prenait le contre-pied de son nouveau condisciple en soulignant que « la sensibilité d'aujourd'hui qui tend à substituer l'humanitaire au politique, les droits de l'homme à la raison d'Etat, nous fait regarder d'un autre oeil la politique algérienne du général de Gaulle ». « La question, ajoute-t-il n'est pas de réveiller le débat sur l'indépendance de l'Algérie. (...) Mais quelle indépendance et dans quelles conditions ? Toute la question est là. La population française d'Algérie installée depuis cent trente ans et les militaires qui avaient cru aux engagements et aux promesses du pouvoir politique notamment en compromettant les supplétifs indigènes, les harkis, pouvaient-ils décemment être traités aussi sommairement ? On a rayé le passé d'un trait de plume ». Et de conclure : « A ces questions de simple humanité, de Gaulle a pris le parti de répondre par la politique de l'amputation à chaud. Tout grand homme a ses limites. Le Général pressé de restaurer l'image de la France, pressé de lui faire jouer un rôle sur la scène internationale, ne voulait pas que le drame algérien retarde le moment de cet engagement sur la scène mondiale. Au-delà de la question humanitaire, il semble que de Gaulle ait pris de grandes libertés avec une question qu'il aurait dû avoir à coeur de respecter : la parole de la France. (...) L'Etat n'a pas assuré son rôle. Il s'est soustrait à sa mission essentielle qui est de sauvegarder ses nationaux et de ne pas établir de distinction entre eux »1867(*).

Inversement, donc, pour toutes les raisons précédemment exposées par l'intéressé (responsabilité première du FLN et des harkis eux-mêmes dans la tragédie de l'après-indépendance, politique de « dégagement » conforme aux intérêts "vitaux" du pays), Pierre Messmer oppose une nette fin de non-recevoir à l'idée d'une quelconque repentance de l'Etat français à l'endroit des anciens harkis : « Ma réponse est non, catégoriquement non ! Les regrets sont à exprimer d'abord par le FLN, qui a massacré les harkis. Nous n'avons massacré personne ! ». Pour les mêmes raisons, Pierre Messmer s'offusque des actions judiciaires engagées ces dernières années par certaines associations et particuliers pour « crimes contre l'humanité », et qui visent notamment les responsables de la politique gouvernementale d'alors : « On s'apercevra que cette démarche est parfaitement absurde. Aussi bien juridiquement que moralement. Si l'on suit cette logique, il faut poursuivre les dirigeants du FLN, y compris certains ministres algériens en exercice. M. Bouteflika est un ancien FLN, et je le tiens pour l'un des principaux complices des crimes commis contre les harkis »1868(*). De même, deux ans après, dans une interview accordée à l'hebdomadaire Valeurs actuelles : « S'il y a une autorité contre laquelle les harkis devraient porter plainte, c'est le gouvernement algérien et en particulier le FLN qui, à l'époque, contrôlait le gouvernement algérien. C'est le FLN qui a massacré les harkis et par conséquent, c'est lui le principal coupable. Ce que l'on peut reprocher à la France, c'est en quelque sorte la non-assistance à personne en danger. Mais s'il y a eu «crime contre l'humanité», ce crime est celui du FLN et pourtant, personne ne poursuit le FLN »1869(*).

Or, c'est précisément cette « non-assistance à personne en danger » - que Pierre Messmer semble tenir pour relativement accessoire (en tout cas non susceptible de constituer un crime et de motiver des poursuites judiciaires) - que les anciens harkis et leurs enfants souhaitent voir officiellement reconnue : non pour en minimiser la portée, mais pour entendre une parole qui rétablisse (les faits) et qui répare (les termes de l'échange). Telle n'est pas l'optique de Pierre Messmer. Dès lors, au regard de l'incommensurabilité des points de vue (donc du difficile cheminement de « l'esprit de pardon » dans les rapports entre la communauté harkie et l'Etat français), et de l'impossibilité corrélative de réparer les termes de l'échange sur d'autres bases que le modèle "assistanciel-cérémoniel", ceux qui se font les porte-voix de la communauté harkie ont de plus en plus fréquemment recours à ce que Sandrine Lefranc appelle le « tiers de justice »1870(*) : pour faire mémoire, envers et parfois contre l'Etat. En 1998 déjà, trois ans avant que le président du Comité national de liaison, Boussad Azni, ne dépose la première plainte pour crimes contre l'humanité (voir ci-dessous), Ahmed nous faisait part de son impatience d'aller au-delà du schéma assistanciel-cérémoniel afin que la question de l'imputabilité ne puisse être éludée :

« Mais moi j'aimerais qu'un jour le gouvernement de l'époque soit traîné en justice. Y'a pas eu vraiment de reconnaissance de la nation comme quoi y'avait des erreurs qui avaient été commises au moment des accords d'Evian. Bon, si tu veux Jacques Chirac, il reconnaît le sacrifice des harkis et tout, mais nulle part il dit que De Gaulle il nous a laissés tomber là-bas, que le gouvernement de l'époque il a laissé massacrer 350.000 personnes (sic). J'veux dire, pour moi c'est pas une reconnaissance, c'est presque si... si il nous distribue pas un bon point, comme ça, sans plus. Mais c'est pas ça qu'on demande. On a droit à quoi ? Un petit discours du président par lequel il reconnaît qu'on a été courageux ? C'est nos parents, nous on a rien à voir là-dedans. C'est pas ça, en fait. Oui, nos parents ils ont été courageux, et ils ont été honnêtes : ils ont tenu leur engagement envers la France. Maintenant... la France elle est loin d'avoir tenu les siens. Tant qu'il n'y aura pas une véritable reconnaissance de ce que nos parents ont fait en Algérie, ou de ce qu'ils ont subi plutôt, et de ce que, surtout, l'Etat français a fait en Algérie, c'est-à-dire l'abandon, tout ça, y'a pas de justice. Il peut pas y avoir de justice » (Ahmed).

* 1797 Discours du président de la République française, Jacques Chirac, devant le Parlement algérien (Alger, 3 mars 2003). C'est nous qui soulignons.

* 1798 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.230.

* 1799 Jacques Chirac : « J'ai rappelé à mes hôtes combien il est important que tous les citoyens français qui désirent revoir leur terre natale ou celle de leurs aïeux puissent se rendre dignement en Algérie. Et je pense bien sûr, notamment, aux Harkis » ; allocution faite devant la communauté française installée en Algérie (Alger, le 3 mars 2003) et consultable sur www.elysee.fr.

* 1800 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.311.

* 1801 Mustapha Hammouche, « Voyage politicien », Liberté, 2 mars 2003.

* 1802 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.198. C'est l'auteur qui souligne.

* 1803 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.311.

* 1804 Voir notamment Le livre blanc de l'armée française en Algérie, Paris, Editions Contretemps, 2001, oeuvre collective de 500 officiers généraux ayant servi en Algérie entre 1954 et 1962, et qui se veut une réponse explicite à ceux qui sont à l'origine de la réorchestration des débats autour de la torture pendant la guerre d'Algérie : « Officiers ayant servi en Algérie de 1954 à 1962, en notre nom et au nom de tous les hommes que nous avons commandés, morts et vivants, nous voulons apporter notre témoignage sur le rôle de l'armée à cette époque. Cela dans le double but de dépassionner les débats et de rétablir la vérité historique, masquée aussi bien par les provocations que par leurs exploitations médiatiques ».

* 1805 Paul Thibaud, « Algérie : faut-il prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p.198.

* 1806 Ibid, p.199.

* 1807 Dans son dernier ouvrage, Paul Ricoeur fait de l'expression publique du dissensus, guidée par l'esprit de pardon, la condition de « la salutaire crise d'identité permettant [au niveau de la mémoire privée et de la mémoire collective] une réappropriation lucide du passé et de sa charge traumatique » ; cf. Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 589.

* 1808 Daniel Sibony, « Algérie : une étrange violence », Libération, édition du 6 avril 1998.

* 1809 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.230-231.

* 1810 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.231.

* 1811 Guy Pervillé, op.cit., p.231.

* 1812 Il convient de rappeler, à cet égard (voir la Partie 1), que la guerre d'Algérie, loin d'être uniquement (et uniment) une guerre de décolonisation, fut (déjà) une guerre civile puisque, entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962, le ratio des victimes civiles du FLN (ventilées selon leur communauté de rattachement) est en étroite corrélation avec le rapport démographique qui prévalait alors en Algérie entre les communautés musulmane et européenne : il y eut ainsi 3.663 victimes civiles européennes des actes de terrorisme du FLN (2.788 tués, 875 disparus) pour 29.674 Musulmans (16.378 tués, 13.296 disparus), soit un Européen pour huit Musulmans. Ce ratio, établi pour la période comprise entre le déclenchement de l'insurrection et la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, ne tient pas compte des dizaines de milliers d'anciens harkis massacrés par le FLN après la proclamation du cessez-le-feu et l'accession à l'indépendance de l'Algérie.

* 1813 Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du «parti de la France» aux «anciens et nouveaux harkis» », in Charles-Robert Ageron, La guerre d'Algérie et les algériens (1954-1962), Paris, Armand Colin/Masson, 1997, p.330.

* 1814 La geste algérienne de la guerre d'Algérie participe, jusqu'à aujourd'hui, d'une vision obsolescente et dogmatique du monde, fortement empreinte d'historicisme et de messianisme. Le préambule de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005 est tout entier imprégné d'une telle vision : « La Glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954, peut-on y lire, est venue, telle une lumière dans une nuit de ténèbres, cristalliser les aspirations du Peuple algérien et le guider dans la voie du combat pour la reconquête de son indépendance et de sa liberté ». Cette vision ressortit à la fois d'un rapport onirique, fantasmatique au passé et d'une « idéologie de l'enfermement » (Mohamed Benrabah) qui en est comme le corollaire. Je cite à nouveau le préambule : « Tout en soulignant sa volonté d'ancrer l'Algérie dans la modernité, [le peuple algérien] proclame sa détermination à oeuvrer à la promotion de sa personnalité et de son identité. Le Peuple algérien appelle chaque citoyen et chaque citoyenne à apporter sa contribution au renforcement de l'unité nationale, à la promotion et à la consolidation de la personnalité et de l'identité nationales et à la perpétuation des nobles valeurs de la Déclaration du Premier Novembre 1954, à travers les générations. Convaincu de l'importance de cette oeuvre qui mettra les générations futures à l'abri des dangers d'un éloignement de leurs racines et de leur culture, il charge les Institutions de l'Etat de prendre toutes les mesures de nature à préserver et à promouvoir la personnalité et l'identité nationales, à travers la valorisation de l'Histoire nationale ainsi que dans les domaines religieux, culturel et linguistique ».

* 1815 Pour une analyse resserrée des usages détournés de la figure du harki par les protagonistes de la seconde guerre d'Algérie, voir aussi Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p. 323-332.

* 1816 Sur la politique de « concorde civile » comme contre-exemple institutionnel de la politique du pardon, voir l'Annexe n°3.

* 1817 Propos repris in El Watan, mardi 14 septembre 1999, p.4.

* 1818 El Watan, 20 mars 2000.

* 1819 Le Parisien- Aujourd'hui du 18 juillet 2000.

* 1820 Le Figaro Magazine du 2 septembre 2005.

* 1821 Djallal Malti, « Paris a la mémoire courte, Alger aussi », le 23 juin 2000 ; article consultable à cette adresse : www.mon.cplus.fr/infos/web/monde/algerie/memoire_1.htm.

* 1822 Voir ci-après la section II.B.3 de la Partie 4 : « Le strapontin judiciaire : le pardon mis en demeure ? ».

* 1823 AP, 13 mars 2002.

* 1824 El Watan, 21 mars 2002.

* 1825 « Je n'ai au fond de moi-même aucune aménité pour les collabos de quelque pays que ce soit. (...) Je crois avoir dit quelque part qu'il me rebuterait de serrer la main au misérable qui a donné Jean Moulin. Comment voulez-vous, sans offenser le peuple algérien dans sa dignité, que je puisse serrer la main de celui qui a donné Larbi Ben M'hidi ? » (Interview au Figaro Magazine, 2 septembre 2000).

* 1826 Après avoir implicitement mais fermement mis en cause le FLN (« Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus »), Jacques Chirac s'était nettement démarqué - mais plus d'un an après - des propos du président Bouteflika : « Je partage votre amertume devant certaines attitudes et certains propos. Sachez que je les condamne fermement ».

* 1827 Extraits cités par Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, 28 septembre 2001, p.34.

* 1828 Pour un bref aperçu des activités de ce centre : http://www.andru.gov.dz/programme_du_centre_national2.htm.

* 1829 Extraits cités in Le Quotidien d'Oran du 4 octobre 2001 sous le titre : « C'est l'oeuvre des «Marsiens» ».

* 1830 Rédha Malek, « La guerre de Libération nationale et l'opinion publique internationale, enjeux d'une bataille diplomatique et médiatique », communication donnée au Centre international de presse (CIP) ; extraits cités par Le Soir d'Algérie du 1er novembre 2004 sous le titre : « Rédha Malek remet les pendules à l'heure : «Les harkis n'ont pas été tués par le FLN» ».

* 1831 Interview réalisée à Paris par le correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, le 7 mars 2006, sous le titre : « Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ».

* 1832 Interview réalisée à Paris par le correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, le 7 mars 2006, sous le titre : « Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ». C'est nous qui soulignons.

* 1833 Propos rapportés par El Watan du 10 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika : «L'Algérie a été injuste avec les familles de harkis» ».

* 1834 Propos rapportés par El Watan du 11 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika à Blida : «La question des harkis a été définitivement tranchée» ».

* 1835 Bouteflika le 10 septembre à Blida ; propos rapportés par El Watan du 11 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika à Blida : «La question des harkis a été définitivement tranchée» ».

* 1836 Interview d'Ali Haroun réalisée le 7 mars 2006 à Paris par le correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, sous le titre : « Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ».

* 1837 Saïd Barkat le 13 septembre 2005 à Oran, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser ».

* 1838 Abdelaziz Bouteflika, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser ».

* 1839 Saïd Barkat, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont invités à rentrer à Alger mais à s'excuser ».

* 1840 Voici ce qu'on peut lire sur le site de la présidence de la République : « L'année 1962 marque un véritable tournant. Libéré de la guerre d'Algérie, mais non de ses séquelles (rapatriement des Français, attentats de l'OAS), le chef de l'Etat s'attache à mener une politique d'indépendance nationale renforçant ainsi le rang de la France » (http://www.elysee.fr/elysee/francais/la_presidence/la_galerie_des_presidents/v_eme_republique/charles_de_gaulle.20982.html).

* 1841 Claude Lecomte, dans L'Humanité du 19 mars 1997 : « L'annonce du cessez-le-feu le 19 mars à 12 heures en Algérie fut d'abord, ici, en France, celle d'un immense soulagement. Enfin, cette guerre allait prendre fin. (...) Ce jour est désormais celui de la fin de cette guerre, celui de la fin d'un cauchemar de près de huit années ».

* 1842 Dans le langage diplomatique courant, cette expression renvoie à celle d'"intérêts stratégiques", l'emploi de l'adjectif "vital" ne devant, à cet égard, pas prêter à confusion : il ne s'agit pas, la plupart du temps, d'y inclure la préservation des vies humaines.

* 1843 « Que personne ne doute que la France n'exercera plus aucune responsabilité, ni politique, ni de maintien de l'ordre, au plus tard six mois après le cessez-le-feu ! Que les musulmans préparent le gouvernement de l'Algérie ! Que les Européens se persuadent qu'il faut ou bien s'accommoder avec les musulmans sans que la France les protège, ou bien rentrer en France ! » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, Paris, Fayard, 1994, p.124-125. C'est nous qui soulignons).

* 1844 « Dans ma note citée en référence, j'ai attiré votre attention sur les difficultés présentées par l'arrivée en France, des ex-supplétifs et je vous demande d'inciter à n'accorder asile que dans les cas exceptionnels (...).Comme de plus, il est à craindre que le gouvernement algérien prenne rapidement ombrage de nos centres largement ouverts à ses opposants, il est nécessaire que le courant des musulmans menacés qui alimente régulièrement nos camps soit interrompu (...) ».

* 1845 Guy Pervillé, « Les accords d'Evian et les relations franco-algériennes » in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.487-489 et 492-493.

* 1846 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.227.

* 1847 Ibid, p.233.

* 1848 Lors du Conseil des ministres du 25 juillet 1962, à propos des représailles s'exerçant sur les musulmans non-inféodés au FLN (nous sommes alors au coeur de la première grande vague de représailles) : « On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France, comme tels, que s'ils couraient des dangers ! » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte, op.cit., p.196). Mais encore, au cours du Conseil des ministres du 29 août 1962 : « Il faut bien admettre que l'Algérie vit actuellement dans la confusion. Mais il est de notre devoir de faire comme si elle devait s'en sortir » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte, op.cit., p.249. C'est nous qui soulignons).

* 1849 Alain-Gérard Slama, La guerre d'Algérie. Histoire d'une déchirure, Paris, Gallimard, 1996, p.158.

* 1850 Dominique Schnapper, allocution introductive au colloque « Les harkis et la communauté nationale. Ombres et lumière », qui a eu lieu au Sénat le 22 octobre 1999 ; communication reproduite sous le titre « Justice pour les harkis » in Le Monde du 3 novembre 1999.

* 1851 Il fut membre du Centre d'Etudes, de Recherches et d'Education socialiste (CERES), un courant du Parti socialiste, puis du Mouvement des Démocrates de Michel Jobert.

* 1852 Le Figaro Magazine du 15 novembre 2003, propos recueillis par Sébastien Lepaque. C'est nous qui soulignons.

* 1853 Sur les fondements philosophiques et éthiques de cette notion, voir notamment Marcel Lamy, « Machiavel et la raison d'État », Conférence prononcée au lycée Chateaubriand de Rennes le mardi 3 décembre 2002 ; texte de cette intervention disponible à cette adresse : http://www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/lamy_machiavel.htm. Marcel Lamy part d'une définition utilitaire - et même thérapeutique - de la notion, qu'il emprunte à Platon : « Le mensonge est utile aux hommes, comme une espèce de pharmakon dont l'emploi doit être réservé aux médecins et interdit aux profanes. C'est donc aux gouvernants de l'État qu'il appartient de tromper les ennemis et les citoyens dans l'intérêt de l'État et personne d'autre n'y doit toucher » (République, III, 789 b). Il complète cette première approche - un peu trop assurée d'elle-même - par une citation plus hésitante de Jean Bodin : « Il n'est pas si aisé à juger quand un prince tient quelque chose d'un bon roi et d'un tyran. Le temps, les lieux, les personnes, les occasions qui se présentent, contraignent souvent les princes à faire choses qui semblent tyranniques aux uns et louables aux autres » (Les Six livres de la République, II, 4, publié en 1583). Voir aussi Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), Le pouvoir de la Raison d'État, Paris, P.U.F., 1992, et Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), La raison d'État : politique et rationalité, Paris, PUF, 1992.

* 1854 C'était par exemple le sens de la demande formulée par Dominique Schnapper dans son allocution introductive au colloque « Les harkis et la communauté nationale. Ombres et lumière », qui a eu lieu au Sénat le 22 octobre 1999 : « La France s'est mal conduite. Elle n'a pas respecté sa parole pour des raisons politiques. Elle a abandonné à la vengeance de ses ennemis ceux qui s'étaient engagés pour elle. Elle n'a pas su accueillir sur son territoire ceux qu'elle avait recrutés pour mener la guerre. (...) Les juifs resteront toujours reconnaissants à Jacques Chirac, président de la République, qui a reconnu la responsabilité de la France dans le statut des juifs d'octobre 1940 et dans les déportations. Jacques Chirac a compris que les fautes refoulées et les mensonges empoisonnent la vie de la démocratie. Ce que les juifs ont demandé et obtenu, les enfants de harkis le demandent » (Dominique Schnapper, « Justice pour les harkis », Le Monde du 3 novembre 1999).

* 1855 Interview au Figaro du 6 novembre 2003, propos recueillis par Anne-Charlotte de Langhe et Sophie Roquelle. C'est nous qui soulignons.

* 1856 Philippe de Gaulle, De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac (tome 2), Paris, Plon, 2004.

* 1857 Propos repris in Libération des 10 et 11 septembre 2005, p.17. Ces propos ont valu à Philippe de Gaulle d'être poursuivi en diffamation par trois anciens harkis, puis condamné le 23 mars 2006 par la cour d'appel de Montpellier à verser un euro de dommages et intérêts ainsi que 1.500 euros de frais de justice à chacun des trois harkis plaignants au motif que « connaissant parfaitement la situation des harkis, le prévenu ne peut justifier de sa bonne foi », et que « l'intention coupable est présumée car la divulgation des faits par lui livrés à la publicité était de nature à nuire à leur honneur ou à leur considération ».

* 1858 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.

* 1859 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22. C'est nous qui soulignons.

* 1860 Marianne du 3 au 9 novembre 2003.

* 1861 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.

* 1862 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22. C'est nous qui soulignons.

* 1863 Par exemple, dans sa déclaration du 16 septembre 1959, le général de Gaulle affirmait que le recours à l'autodétermination interviendrait « au plus tard quatre années après le retour effectif de la paix », « une fois acquise une situation telle qu'embuscades et attentats n'auront pas coûté la vie à 200 personnes en un an » (cité par Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 ; voir aussi la Partie 1).

* 1864 Charles de Gaulle, dans son discours du 30 octobre 1958 : « A quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays, si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner ». Dans son discours du 16 septembre 1959, dans la mesure où les conditions de « retour effectif à la paix » précédemment définies ne seraient pas respectées : « La sécession entraînerait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, l'égorgement généralisé et bientôt la dictature belliqueuse du communisme » (cité par Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 ; voir aussi la Partie 1).

* 1865 Discours de réception à l'Académie française le 10 février 2000, cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.291.

* 1866 Propos recueillis par Marc d'Anna, Nouvelle Liberté n°3, mars 1998 ; interview consultable à cette adresse : http://www.nouvelleliberte.com/archives/n3/politique.htm. C'est nous qui soulignons.

* 1867 Voir aussi l'analyse d'Alain Decaux, lui aussi membre de l'Académie française, dans cette même édition du Figaro littéraire : « Question préalable : l'humanité est-elle une qualité pour un homme d'Etat ? Apparemment, le général de Gaulle ne le pensait pas. La foi en la grandeur de la France l'emportait à ses yeux sur tout autre sentiment. (...) Il fallait désormais donner la priorité à «la grande politique», rendre à la France sa vraie place dans le monde : la première. La tragédie des pieds-noirs jetés à la mer, l'abandon des harkis à un sort affreux, cela n'était plus du ressort d'un homme qui avait à affronter une impérieuse et exaltante espérance ».

* 1868 Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.

* 1869 Propos recueillis par François d'Orcival sous le titre : « Le témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est celui du FLN» », Valeurs actuelles du 7 au 13 novembre 2003, p.19. C'est nous qui soulignons.

* 1870 Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.

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