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Musiques actuelles en milieu rural - le cas du gà¢tinais sud seine-et-marnais


par Bilitis DELALANDRE
Université Paris-Est Marne-la-vallée - Département histoire - Master 2 Professionnel « Développement Culturel Territorial » 2016
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ PARIS-EST MARNE-LA-VALLÉE

Département Histoire

MUSIQUES ACTUELLES EN MILIEU RURAL.
LE CAS DU GÂTINAIS SUD SEINE-ET-MARNAIS.

Bilitis DELALANDRE

1

Mémoire de Master 2 Professionnel
« Développement Culturel Territorial »
Dirigé par
M. Tomas LEGON
Soutenu à la session de septembre 2016

2

3

Déclaration sur l'honneur

Je soussignée, Bilitis Delalandre, déclare avoir rédigé ce mémoire sans aides extérieures ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n'a été soumis à aucun autre jury d'examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l'étranger, à l'université ou dans une autre institution, par moi-même ou par autrui.

Fait à Ury, le 10 Septembre 2016

Signature de l'étudiant

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5

Remerciements

Je remercie Jean-Baptiste Jobard et Tomas Legon pour la justesse de leurs conseils et leur bienveillance, sans lesquelles j'aurai sûrement perdu confiance.

Je tiens à remercier tout particulièrement Pierre Beltante, Véra Bezsonoff, Philippe Berthelot et Aurélien Boutet pour leurs regards experts sur les musiques actuelles et le territoire sud seine-et-marnais mais également pour leurs précieuses collaborations, leurs conseils indispensables et leur humanité, ainsi que l'équipe des associations Champ Libre et Pas Trop Loin de la Seine pour avoir éclairé mes réflexions.

Pour son aide précieuse, je remercie Fiona Forte et son talent de synthétisation.

Merci à l'équipe du Pince Oreilles pour son soutien et ses encouragements.

Et enfin, je remercie mes parents et mon entourage pour m'avoir soutenu tout au long de la réalisation de ce mémoire, leur patience est sans pareil...

Merci à toutes celles et ceux qui, de près ou de loin, ont participé à l'aboutissement de ce travail.

6

Musiques Actuelles en milieu rural.
Le cas du Gâtinais sud seine-et-marnais

7

SOMMAIRE

Introduction (p.8)

PARTIE 1

Musiques actuelles et ruralité : état des lieux. De l'Île-de-France au Gâtinais (p.27)

1. Ruralité et musiques actuelles : le contexte francilien (p.28)

2. La recherche d'une identité, la Seine-et-Marne (.p.35)

3. Portrait des musiques actuelles dans le Gâtinais (p.44)

PARTIE II

Les limites au développement des musiques actuelles dans le Gâtinais. Analyse et
compréhension des difficultés rencontrées.
(p.59)

1. Inégalités spatiales et territoriales, quels effets ? (.p.60)

2. La place des musiques actuelles dans les politiques locales (p.66)

3. Interactions entre acteurs, une autre clé de compréhension (p.76)

PARTIE III
Stratégies d'adaptation et caractéristiques des projets musiques actuelles dans le
Gâtinais. Enjeux et perspectives de développement des musiques actuelles en milieu
rural.
(p.84)

1. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives, à la marge (p.85)

2. L'utilité sociale et territoriale des projets musiques actuelles en milieu rural (p.91)

3. Enjeux et perspectives pour le développement des musiques actuelles en milieu rural (p.99)

Conclusion (p.107) Bibliographie (p.110) Sitographie (p.115) Table des matières (p.116)

Annexes (p.118)

8

Introduction

Le Gâtinais du sud Seine-et-Marne est un territoire fortement marqué par une dominante rurale, de spacieuses étendues agricoles et forestières en composent majoritairement le paysage. Situé à moins d'une heure de transport de Paris, au sein d'un département aux typologies spatiales vastes et hétérogènes à caractère majoritairement urbain et périurbain (ou rurbain) à l'ouest mais également rural dans les autres franges, le Gâtinais n'a pas les caractéristiques d'une banlieue citadine. Il regroupe en effet la majeure partie du «rural traditionnel Francilien»1 et correspond aux critères de ruralité déterminés par la FEDELIMA2. L'essentiel de l'offre musicale proposée par les communes qui le compose, semble se résumer aux traditionnels fêtes de la musique et bals du 14 juillet ainsi qu'à quelques exceptionnelles animations municipales. À l'échelle du département de la Seine-et-Marne, on observe que la répartition des services et équipements dédiés aux musiques actuelles3 (salles de concerts et de diffusion, studios de répétition et d'enregistrement, espaces de ressources et d'informations pour les musiciens, etc.) est marquée par une disparité assez nette entre les zones urbaines et rurales. La frange ouest, qui concentre 68% de la population du département et bénéficie de l'attrait de l'agglomération parisienne grâce à sa proximité, concentre la majorité de ces équipements alors qu'au nord, à l'est et au sud ces espaces dédiés sont rares voire même inexistants4, une situation entrant en résonnance avec le constat du Conseil National Supérieur des Musiques Actuelles : «les musiques actuelles sont présentes sur l'ensemble du territoire national aussi bien urbain que rural, mais se sont développées historiquement de façon inégales en matière d'aménagement, d'équipements et d'organisations des activités»5.

1 SEGESSA, DREIF, DRIAF, étude intitulée «Dynamique territoriale de l'agriculture et de l'espace rural en Île-de-France», 2005

2 L'annexe n°3 explique notamment les critères utilisés dans la définition du milieu rural et de la méthode employée pour définir notre territoire d'étude.

3 Loin de décrire une réalité musicale, l'expression « musiques actuelles » désigne davantage un champ d'intervention publique, regroupant dans une appellation les genres musicaux initialement exclus ou mal intégrés aux politiques publiques de soutien à la création et la diffusion. Elle englobe « artistiquement parlant » quatre grandes catégories d'esthétiques musicales : le jazz, les musiques traditionnelles, la chanson, les musiques amplifiées. L'annexe n°2 est consacrée à la clarification de la notion de musiques actuelles, et les débats autour de cette appellation issus d'une vision ministérielle plus que des revendications des acteurs du secteur, et propose des éléments de compréhension historiques.

4 Une situation spatiale à laquelle nous consacrerons une partie de cette étude.

5 Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, Pour une politique nationale et territoriale des musiques actuelles, 10 juin 2006

9

Urbain, rural, un clivage culturel ?

Bien qu'il existe actuellement de nombreuses politiques culturelles en termes de décentralisation et de démocratisation des musiques actuelles, on aurait aujourd'hui tendance à constater dans de nombreux cas que beaucoup des inégalités et clivages anciens qui existent entre le milieu urbain et le milieu rural perdurent. La tendance semble à la fois se confirmer tout en étant plus complexe en région parisienne où l'influence forte de la capitale a été vectrice d'une dynamisation culturelle importante du milieu rural francilien, tout en ne parvenant cependant pas tout à fait à en changer l'image que s'en font les populations urbaines. Or, il semblerait que l'ambivalence structurante rural/urbain soit une opposition définie avant tout par le regard des populations venues de la ville qui correspondrait soit à une idéalisation du rural (une campagne identifiée à un retour à la nature6), soit à une dépréciation de cet espace diffus (l'espace urbain serait un espace plus développé que l'espace rural selon une échelle d'évolution de l'humanité7).

En effet, dès la fin de la seconde guerre mondiale, le rapport à la terre des agriculteurs a connu de profonds changements en entrant dans l'ère du productivisme. L'impératif modernisateur s'impose à tout le pays jusqu'aux confins des campagnes, marquant une « rupture avec l'archaïsme technique et philosophique »8 d'alors. La culture paysanne, qui n'a plus grand-chose à voir avec la réalité industrielle d'aujourd'hui, a progressivement été renvoyée au rang de folklore ou de marchandise. Il suffit de se pencher sur les spots publicitaires pour saisir la représentation enjolivée du monde rural et de l'agriculture : l'éleveur caressant ses vaches, la laitière confectionnant avec tendresse ses yaourts, des champs verdoyants gonflés par la rosée, les légumes entrant directement dans les boîtes de conserves, etc. Avec « La Ferme des célébrités », diffusée en 2004 sur TF1, la nostalgie est à l'honneur au sein d'une ferme des années 1950 reconstituée. En plus de répandre une vision passéiste et misérabiliste des paysans et de leur travail, cette émission de téléréalité, à l'instar des publicités télévisuelles, s'attache à gommer toute forme d'industrialisation agricole, ne cadrant plus avec cet imaginaire idéalisé. On pourrait également évoquer « L'amour est dans le pré », diffusée sur M6 dès 2005, une émission consacrée à la quête amoureuse d'agriculteurs et d'agricultrices. Le « célibat et la

6 Hervieu Bertrand, Viard Jean, Au bonheur des campagnes, Paris, Éditions de l'Aube, 1996, Hervieu B. et Hervieu-Léger D., Le retour à la nature : au fond de la forêt... l'État, Paris, Le Seuil, 1979 (rééd. aux éd. de l'Aube, 2005, précédé de Les néoruraux trente ans après).

7 Henri Lefebvre, Du rural à l'urbain, Paris, Anthrophos, 1970

8 Henry Delisle, Marc Gauchée, Cultures urbaines, culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra,

2007, p.105

10

condition paysanne »9 préoccupent. Des solutions, très urbaines, sont donc proposées par de généreuses chaînes de télévision comme l'explique Nicolas de Taverne, producteur de l'émission : « il ne s'agit pas d'une galéjade mais d'un problème de société. Nous aidons la France â se repeupler »10. Ainsi les industries agroalimentaires et du divertissement, et l'industrie de masse dans son ensemble, contribuent à entretenir une vision de la ruralité bloquée dans les années 1950-1960, et le fantasme d'un cadre authentique et naturel, pourtant largement façonné par des décennies de transformations mécanisées. Parler de sentiment de ruralité serait plus pertinent que d'évoquer une culture rurale à part entière. Elle peut cependant se caractériser par un emballement, une « tendance â la nostalgie, au tout patrimoine »11 comme l'explique Pascal Ory en évoquant le besoin grandissant, depuis les années 1950, de racines, de sources sur lesquelles construire une identité, et dans cette recherche, « l'invention de la tradition », pour reprendre les termes d'Eric Hobsbawm12. Un besoin de communauté qui s'exprime en partie par une attirance pour ce qui semble faire communauté : le village, qui serait le lieu des rapports sociaux personnalisés, de la beauté et de l'équilibre. Tout le monde connaîtrait tout le monde, et c'est peut être cette perception qui, à l'ère virtuelle, nourrit aujourd'hui un esprit particulier aux campagnes, plus attirant et à préserver. Sans doute cette vision résonne dans notre imaginaire « avec la campagne des origines, la vieille civilisation rurale, et que nous aimons y voir les traces de ce passé ».13 En témoigne la politique culturelle en faveur du patrimoine, et notamment du patrimoine rural. Valéry Giscard d'Estaing traduit politiquement l'engouement des Français pour le patrimoine et lance en 1980 « l'année du patrimoine », désormais entrevu comme un bien collectif, un véritable thème identitaire. C'est ce que suggère notamment Denis Chevalier : « dans un monde fait de déplacements, d'échanges â des échelles de plus en plus vastes, c'est sans doute une des nouvelles fonctions du patrimoine que de contribuer â reconstruire du local et, ce faisant, par le jeu des redéfinitions et des identités, produire de nouvelles formes de lien social14 ». Une ligne budgétaire du ministère de la Culture est d'ailleurs créée en 1981 pour le « petit patrimoine

9 Voir à ce sujet, l'étude de Pierre Bourdieu, Célibat et condition paysanne. In: Études rurales, n°5-6, 1962. pp. 32-135.

10 Entretien dans Le Journal du dimanche, 28 août 2005.

11 Entretien avec Pascal Ory dans Cultures urbaines, culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2000, p.74,

12 Eric Hosbauwm, Terence Ranger, L'Invention de la tradition, Éditions Amsterdam, 2005

13 Hervieu Bertrand, Viard Jean, Au bonheur des campagnes, Pairs, Éditions de l'Aube, p.31

14 Denis Chevallier, Des territoires au gré du patrimoine, Montagnes méditerranéennes, Institut de géographie alpine, 2002.

11

rural »15, définis en fonction des références cultivées du ministère, on pourrait s'interroger sur l'adjectif employé : le « petit patrimoine rural », sous-entendu qu'il existerait un grand patrimoine, reconnu et classé par l'État, et donc une hiérarchie évidente. Un registre misérabiliste que dénonce Michel Duvigneau, «dès qu'il s'agit de culture en territoires ruraux, le discours se réfugie dans un vocabulaire minimaliste : petits projets, petits lieux, amateurisme, pauvreté de moyens.»16 Le ministère participerait implicitement à enfermer le monde rural : sacralisé, intouchable, héritier d'un passé commun, faisant de la campagne le lieu de l'enracinement face à la ville, lieu de la mobilité et de la modernité. Entre protection et instrumentalisation touristique, le patrimoine rural semble résumer l'essentiel de la culture rurale.

Or, les pratiques culturelles des ruraux ne peuvent se résumer qu'à un engouement pour la découverte de leur héritage culturel lors des Journées du Patrimoine. Selon un bulletin sur les « Pratiques culturelles des ruraux »17 publié en février 1985 par la Direction du développement culturel, rattachée au ministère de la Culture et de la communication, les pratiques culturelles des populations rurales étaient déjà très dynamiques : lecteurs assidus de la presse (cette pratique progressant dans les communes rurales plus vite qu'ailleurs), les ruraux seraient aussi les spectateurs les plus fidèles aux journaux télévisés, écouteraient d'avantage de musique du fait d'un meilleur équipement tout en sortant de plus en plus le soir18. Bien que ces chiffres soient encourageants, la vie culturelle rurale semble toujours souffrir d'un manque d'équipements, d'offres et/ou de visibilité (accessibilité). En effet, selon cette même enquête19: « trois personnes sur quatre vivant en milieu rural estiment qu'il n'y a pas ou peu de possibilités pour se distraire ou se cultiver dans leur commune, et ceci expliquant peut-être cela, 36% d'entre elles (29% en 1983) préfèrent pour leurs loisirs rester chez elles ». Aucune enquête de ce type,

15 Le « petit patrimoine rural » ou patrimoine rural non protégé est une ligne budgétaire du ministère de la Culture créée en 1981 à la demande du Sénat. Elle permet de subventionner des travaux de sauvegarde portant sur des édifices non protégés au titre des monuments historiques, présentant une certaine qualité architecturale et situés en milieu rural ou en zone urbaine de faible densité (églises, chapelles, lavoirs, fontaines, puits, fours à pain, etc.).

16 Duvigneau Michel, Art, culture et territoires ruraux : expériences et points de vue, Dijon, Educagri, 2002, p.45

17 « Les pratiques culturelles des ruraux », dossier réalisé à l'aide de l'enquête sur les Pratiques culturelles des Français, descriptions sociodémographiques, évolutions 1973-1981. Il s'appuie également sur les monographies réalisées avec l'aide du Services des études et recherches dans le cadre de l'opération FIC « Promotion des innovations en milieu rural. ».

18 Les fêtes foraines étant les plus fréquentées à 45%, les foires expositions à 36% et le cinéma à 30%. Alors qu'ils n'étaient que 57% en 1973 à déclarer sortir le soir, ils sont 70% en 1985, notamment pour aller diner, ou assister à un spectacle.

19 « Les pratiques culturelles des ruraux », op.cit., p.5

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spécifique aux populations rurales, n'a été entreprise depuis 1985. On peut toutefois noter que les sorties nocturnes hebdomadaires des habitants des communes rurales ont augmenté de 6% entre 1983 et 2008, tout comme les sorties annuelles en concert, qui ont été multipliées par cinq20. Mais comparé à leurs homologues parisiens, l'écart demeure21, et cela dans quasiment tous les domaines culturels. En plus de deux décennies, difficile d'envisager une véritable modification de perception des populations rurales sur l'offre culturelle, et notamment musicale, de proximité. Aussi, comment réduire ces inégalités, ce manque apparent d'offres et d'accessibilité alors que les pratiques des ruraux ne cessent de progresser ?

Des tentatives politiques pour combler ces inégalités.

La constitution d'une politique culturelle relève d'une approche double de la société et de ses évolutions. D'une part, l'on considère que les « cultures nationales », sont de plus en plus mises à mal par le phénomène de mondialisation et de transformations de nos sociétés et de l'autre, ce sont les logiques territoriales, et de gouvernance sur le territoire qui tendent vers une fin des politiques culturelles nationales. Ces approches se retrouvent et témoignent de nouveaux rapports entre le local et le global, les territoires sont de plus en plus reconnus dans leur rôle de « producteurs d'identités » et il leur revient l'élaboration des politiques culturelles22. En conclusion, l'État n'est plus le seul à définir et à piloter une politique culturelle, notamment en matière de développement territorial. Les fondements traditionnels de la politique publique en matière de culture, plus enclins à privilégier l'unité politique et culturelle du pays, se heurtent au développement des autorités et des expressions locales, aux instances politiques supranationales comme l'Union Européenne, c'est-à-dire à la multitude des niveaux de pouvoirs. Ils ne correspondent plus au monde tel qu'il est, et à la France qui vit et agit. Le sentiment d'appartenance national s'efface au regard des différences culturelles multiples, tout comme l'État, qui doit entendre et composer avec les particularités affirmées d'autres acteurs publics et privés. L'État ne conçoit plus l'espace par une division nette entre Paris et le « désert français »23, en témoigne l'apparition des premières lois sur la

20 Donnat Olivier, Les Pratiques culturelles des Français à l'ère numérique, Enquête 2008, Ministère de la culture et de la communication, La Découverte, 2009.

21 57% des parisiens intra-muros déclarent sortir une fois par semaine le soir, et ils sont 32% à déclarer avoir assisté au moins une fois dans l'année à un concert de rock ou de jazz.

22 Guillon Vincent, Scherer Pauline, Culture et développement des territoires ruraux, Travail de recherche commandité par l'IPAMAC (Institut des Parcs Naturels du Massif Central), janvier 2012, p.3

23 En référence à l'ouvrage de Jean-.François Gravier qui dénonçait la centralisation parisienne et la centralisation théâtrale trop importante à Paris. Paris et le désert français, Paris, Flammarion, 1947

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décentralisation dans les années 198024, les contrats de plans État-régions dans les années 1990, qui marquent l'entrée de l'État dans une culture du partenariat et une modification profonde de l'organisation administrative de la France. Fonction essentielle du ministère de la Culture dont le rôle est de diffuser la « culture partout et pour tous », l'aménagement culturel du territoire tend à corriger les déséquilibres territoriaux, à améliorer l'accessibilité aux équipements et à lutter contre la fracture sociale en menant des actions en direction de certains territoires défavorisés, dont les zones rurales. En découle une importance accrue donnée aux territoires et aux « logiques de projets » pour mieux répondre aux nouvelles manières de vivre des populations à l`échelle locale.

Ces nouvelles approches ont notamment été à l'origine de la loi LOADDT25 qui prévoit l'élaboration de projet d'agglomération entre EPCI26 et établissements publics. Cette loi définit les grandes orientations en matière de développement économique et de cohésion sociale sur le territoire mais offre une place mineure à la question culturelle, si ce n'est dans le cadre du « Conseil de développement » dont les représentants sont issus des « milieux économiques, sociaux, culturels et associatifs ». La culture ne semble pas être un enjeu majeur du développement des territoires. Le texte prévoit toutefois la nécessité de mettre en place de «schémas de services collectifs culturels». Selon l'article 14, ce schéma définit les objectifs de l'État pour favoriser la création et développer l'accès de tous aux biens, aux services et aux pratiques culturelles, sur l'ensemble du territoire. Mais cet accès de tous, sur l'ensemble du territoire relève quasiment de l'idéologie, en effet, toutes les populations ne sont pas concernées par l'implantation des équipements culturels, encore moins celles situées en milieu rural27.

Entre décentralisation et démocratisation culturelle, impact â relativiser

Comme le fait remarquer Jean-Michel Lucas28, il s'agit davantage de « disséminer » sur le territoire une offre culturelle instituée plutôt que de s'ouvrir sur les cultures des populations, leurs références symboliques et leurs pratiques culturelles spécifiques. Un constat qui interroge sur la politique de démocratisation de la culture, de l'accès de « tous, sur tout le

24 Loi n° 82-213 du 2 Mars 1982, dite « Loi Defferre », relative aux droits et libertés communes des départements et régions.

25 Loi n° 99533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

26 Établissements Publics de Coopération Intercommunale.

27 Jean Michel Lucas remarque que « les équipements culturels de qualité ne bénéficient pas vraiment aux quartiers périphériques des centres urbains, ni au milieu rural ».

28 Lucas Jean-Michel, « Culture, territoires et politiques publics », Uzeste Musical, 2011, p.11

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territoire » à la culture, face aux statistiques des pratiques culturelles des Français, qui ne voient pas se réduire les écarts de fréquentation entre milieux sociaux. Se pose alors la question de l'équité culturelle territoriale et de l'égal accès à la culture sur l'ensemble du territoire. Depuis 1995, le ministère de la Culture reconnait à ce propos que « les modes de consommation culturelle ne différent, entre villes et campagnes, que par la commodité d'accès29 ». Dès lors, émerge la nécessaire prise en compte des relations entre politique culturelle et territoire, sur le principe de l'égalité des citoyens devant le service public. Jean-Michel Lucas a longuement développé sur le sujet en mettant notamment en exergue le « principe de qualité » de l'offre culturelle, instituée, légitimée, et une politique d'aménagement culturel du territoire qui s'attache avant tout à diffuser et rendre accessible une culture de référence, dans « une vision dichotomique du monde de la culture » avec « ceux qui y sont et ceux qui devraient y accéder »30. D'où une stratégie d'implantation d'équipements culturels de qualité, censés être à la disposition des populations qui vivent dans des zones mal pourvues, dans le souci de défendre, voire de promouvoir, les principes et valeurs qui fondent la politique culturelle de l'État. Une logique qui s'oppose alors à une forme, moins légitime, celle de la démocratie culturelle, où l'offre culturelle n'est pas établie à l'avance par l'État, mais est le produit de la diversité des expressions, des pratiques et des univers culturels de chacun, de chaque groupe social.31 Il s'agit d'une nouvelle stratégie, qui met l'accent sur l'émancipation des groupes dominés et l'égale dignité des expressions culturelles en retenant de la culture une conception plus ethnologique et relativiste : la culture spécifique aux diverses origines et positions sociales des populations, celle exprimée par les habitants, celle de la diversité culturelle, sans hiérarchie de valeurs culturelles et artistiques. Elle reconnaît davantage la pluralité des cultures, plutôt que le droit à la culture. Du point de vue ministériel, cette stratégie interactionniste relèverait

29 Rapport d'information au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur « L'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires », Ministère de la culture et de la communication, 2006, p.15

30 Jean-Michel Lucas, « Culture, territoires et politiques publics », Uzeste Musical, 2011, p.10

31 On notera la définition de Philippe Teillet : « Elle confère à l'action de l'État non pas la mission de réduire les écarts dans le partage des "oeuvres capitales", mais la responsabilité de soutenir et de veiller au respect de la diversité des pratiques et des univers culturels. La notion de développement culturel forgée par Joffre Dumazedier au début des années soixante sert alors, par la diversité de ses interprétations, à englober tant la poursuite de la démocratisation (en mobilisant pour cela l'ensemble des ministères disposant de publics particuliers et souhaitant contribuer à leur porter la "culture" qui leur fait défaut, que la démocratie culturelle entendue comme la volonté de reconnaître la contribution de chacun et de chaque groupe social à la production de la culture de son temps et par conséquent, d'adopter un ensemble de mesures en faveur des formes culturelles propres à ces différents groupes. », Teillet Philippe, «Publics et politiques des musiques actuelles», in O.Donnat, P.Tolita, Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p159

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davantage du socioculturel ou d'une stratégie volontariste visant à diversifier les publics en adoptant des méthodes parfois proches du marketing (cibler des clients potentiels)32. Un domaine risqué selon le ministère car il participerait à enfermer les populations dans leur propre univers culturel, et perdrait sa qualité d'intérêt général. Spécificités culturelles rimeraient alors avec ghettos culturels. Aussi, l'aménagement culturel du territoire proposé par le ministère revêt toujours d'une logique publique visant à répandre les préoccupations de celui-ci, au risque de ne pas être en phase avec les attentes des habitants. La question du territoire et de la culture est alors de savoir si le territoire peut encore être entrevu sous le prisme ministériel et institutionnel caractérisé par une offre culturelle reconnue par l'État, ou peut-il être assorti aux intérêts des habitants, de leurs propres références et pratiques culturelles ? Comment peut s'organiser une offre culturelle qui serait proche géographiquement et également proche des centres d'intérêts des individus ?

Le phénomène de métropolisation et décrochage de l'État

Nombreux sont les bilans33, notamment du ministère de la Culture, qui soulignent dès la fin des années 1990, que si la France est globalement bien équipée, des inégalités territoriales demeurent entre milieu urbain et milieu rural. Le rapport d'information effectué par la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire déplore « une tendance â la métropolisation des activités culturelles qu'il s'agisse de la production ou de la consommation, et de leur concentration dans les grandes villes »34. Claire Delfosse35 constate également en 2011 qu'« équipements et activités culturels sont étroitement liés â la densité démographique et urbaine ». La politique d'aménagement de l'État que nous venons d'évoquer peut en partie expliquer ce phénomène. La priorité étant donnée aux structures d'importance et aux grands évènements, renforcée par les modes particuliers de financement de la culture. D'ailleurs, les dépenses culturelles des collectivités territoriales sont aujourd'hui supérieures à celles de l'État, et parmi elles, ce sont les villes - les communes - qui contribuent

32 Moulinier Pierre, Les politiques publiques de la culture en France, Paris, Puf (coll. Que sais-je ?), 2015, p.19

33 Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français, Paris, ministère de la Culture, La Documentation Française, 1998, 359p. ; Atlas des activités culturelles, Paris, ministère de la Culture, Documentation Française, 1998, 98p.

34 Rapport d'information au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur « L'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires », Ministère de la culture et de la communication, 2006, p.91

35 Professeur de géographie à l'Université de Lyon, « La culture à la campagne », Pour, 2011, n°208, p.44

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le plus au financement public de la culture, pour près de 60%36, financement utilisé en grande partie attribué pour la gestion directe d'équipements culturels. Spécialiste de la culture et des politiques publiques, Guy Saez écrit à ce sujet que « [..] petites ou grandes, ce sont les villes qui accueillent biens et services culturels, dans les villes que se créent, se reçoivent et se consomment les propositions artistiques et culturelles.»37. Des propos qui font échos à la position assumée par le ministère de la Culture lors de son audition par la Délégation précitée : « L'État a la responsabilité des lieux phares. Pour les autres il lui revient de déclencher les initiatives territoriales et de les soutenir. Il ne s'agit pas de récuser ici le rôle de l'État en zone rurale. Il est vrai que l'État n'y intervient pas. C'est plutôt les conseils généraux qui assument cette tâche. (..) Il est vrai aussi que l'État se concentre sur les festivals les plus lourds. »38. De tels propos tendraient à montrer un certain désengagement de l'État, ainsi qu'un désintérêt pour une part majeure du territoire, où il ne se passerait donc rien. La question de la responsabilité de l'intervention de l'État dans les territoires ruraux se pose. À croire que la politique culturelle nationale n'atteindrait pas ces territoires, laissée aux mains des collectivités, qui, adoptent des stratégies de développement culturel dans des proportions très diverses. Ce manquement étatique est-il cohérent avec son rôle supposé de « réducteur des inégalités» ? D'ailleurs, nous l'avons dit, il est courant de qualifier la ruralité par ce qu'elle n'est pas : peu peuplée, peu équipée, peu irriguée, peu connectée, peu animée, etc. ; en exagérant à peine, l'on pourrait penser que ce sont ces représentations, négatives, qui feraient la spécificité du milieu rural, et donc sa définition. L'État aurait-il choisi de maintenir cette « définition » en niant les enjeux inhérents aux attentes et besoins des populations rurales ? C'est ce que semble souligner Marc Gauchée et Henry Delisle qui écrivent : « lorsqu'on décide de partir des pratiques des

36 « L'échelon communal (communes et groupements de communes compétents en matière culturelle) reste celui qui finance le plus largement les dépenses culturelles : 60 % de l'ensemble des dépenses pour les communes et 13 % pour les groupements de communes. Les départements contribuent pour 18 % de l'ensemble des dépenses culturelles territoriales, et les régions pour 9 %. » Extrait de Les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 : 7,6 milliards d'euros pour la culture, DEPS, Mars 2014, Collection Culture chiffres. En 1993, la commune assurait près de 41 % du financement public de la culture, loin devant le département (7,3%) et la région (3%). Selon le DEPS, les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2006 comme suit : communes de plus de 10000 habitants, 4,35 milliards d'euros ; intercommunalités, 842 millions ; départements, 1,3 milliard ; régions, 555,8 millions. www.culturecommunication.gouv.fr/politiques-ministerielles/etudes-et-statistiques/lespublications, Chiffres clés 2012 et Statistiques de la culture, 2012.

37 Saez Guy, « Les collectivités territoriales et la culture », in Les politiques culturelles, Cahier français, n°348, 2009, p.10

38 Rapport d'information au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur « L'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires », Ministère de la culture et de la communication, 2006. p.24

17

populations, il est rarement question des pratiques « rurales », mais urbaines, des banlieues et jamais des campagnes, comme si le milieu rural n'était porteur d'aucune culture »39.

Les musiques actuelles, sans-frontières entre urbains et ruraux.

Pour cette étude, nous utiliserons l'expression «musiques actuelles» pour définir un champ d'interventions publiques englobant des esthétiques musicales et artistiques variées qui réunissent à la fois les musiques amplifiées, la chanson, le jazz et les musiques traditionnelles. Loin de décrire une réalité musicale, l'appellation est largement employée par les pouvoirs publics pour désigner un domaine d'intervention spécifique jusqu'alors peu ou mal soutenu par les autorités publiques. Dans un souci de simplification et parce que l'objet de ce mémoire n'est pas de questionner la pertinence de cette expression, dont nous décrirons en annexe les limites, nous emploierons le terme « musiques actuelles » pour désigner toutes formes d'initiatives et d'actions en faveur de ces musiques ou spécifiques à une politique publique40.

La musique est la pratique culturelle préférée des Français, aussi bien en termes d'écoutes que de pratiques instrumentales, en attestent les enquêtes du Ministère de la culture41. L'intérêt pour la musique n'a cessé de progresser. Entre 1997 et 2008 on note une augmentation des écoutes quotidiennes de musique : on passe de 27% à 34% de Français qui écoutent quotidiennement de la musique (en plus de la radio). Le « boom musical » des années 1970 (initié par l'arrivée de la chaîne hi-fi puis du baladeur) s'est largement prolongé avec l'arrivée du numérique : les choix et goûts culturels, à fortiori musicaux, constituent un aspect considérable de la construction identitaire, notamment chez les jeunes, qui en sont les premiers consommateurs et pratiquants42. Notons qu'au-delà des disparités géographiques et sociales observées en 1998, l'enquête menée en 2008 révèle une corrélation en matière de fréquentation d'équipements et de pratiques, notamment musicales, entre urbains et ruraux : « les taux de pratique des Parisiens ne sont guèrs supérieurs â ceux des habitants des communes

39 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines, culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p.95

40 Nous consacrons une annexe spécifique complétant la définition des musiques actuelles, ainsi qu'un bref résumé des mesures politiques prises en sa faveur.

41 La première enquête date de 1973. Les enquêtes sont menées par le DEPS (Départements des Études de la Prospective et des Statistiques du Ministère de la Culture). L'ensemble de ces données ont récemment été comparées : Donnat Oliver, Pratiques culturelles, 1973-2008. Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, DEPS, 2011.

42 15-19 et 20-24 ans sont les plus nombreux à jouer d'un instrument, (45 et 34%), à jouer ou chanter dans un cadre collectif/groupe ((20 et 12%) et faire de la musique sur ordinateur (16 et 15%), 70% des 15-24 ans écoutent de la musique tous les jours ou presque. 2008

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rurales (23% contre 16%) »4; souligne Olivier Donnat. Un constat qui atteste d'une certaine homogénéisation culturelle, certes relative, mais effective des pratiques entre urbains et ruraux. Malheureusement, les données relatives aux typologies de publics nous manquent, mais il convient de s'interroger sur les pratiques des jeunes ruraux et périurbains, trop souvent oubliés des débats publics et pour lesquels nous savons notamment que les configurations spatiales de leur lieu de vie influent sur leur propre vécu, leur mobilité, leur parcours et leur autonomie.44Aussi, la logique publique qui tend « moins â porter les oeuvres au public qu'à porter les oeuvres du public »45 trouve tout son sens dans le travail porté par les acteurs de terrain, conscients des enjeux que revêt la place des musiques actuelles dans le quotidien des Français.

Terres rurales, terres d'initiatives ...

Alors, certes, si l'on peut dépeindre une disparité forte entre l'urbain et le rural, l'on ne peut résumer l'espace rural à un désert culturel, mais à un désert nuancé dans les faits. Pierre Moulinier explique à ce propos que si le milieu rural « a bien évidemment besoin des ressources de la ville, il est souvent riche, malgré le handicap de l'éloignement et les faibles ressources financières de ses communes, d'un patrimoine important et de l'apport de ses militants bénévoles46. » Dans les villes moyennes et petites villes, il existe un potentiel appréciable d'équipements de proximité (bibliothèques, écoles de musique, salles de cinéma, etc.), qui irrigue l'espace rural. Rarement considérée comme une priorité par les politiques locales47, la culture fait pourtant de plus en plus l'objet d'initiatives publiques, sous forme d'actions culturelles, mais moins d'une véritable politique publique où les financements seraient à la hauteur d'objectifs et de modes d'interventions réfléchis et cohérents. En Seine-et-Marne, le département joue son rôle « redistributeur »48, d'irrigation culturelle au profit des campagnes, notamment via des actions de diffusion culturelle. C'est le cas par exemple de l'association départementale Act'Art, qui développe depuis plus de vingt ans les « Scènes Rurales »,

4; Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des français â l'ère numérique, enquête 2008, Ministère de la Culture et de la Communication, DEPS, La Découverte, 2009

44 Escaffre Fabrice, Gambino Mélanie, Rougé Lionel, « Les jeunes dans les espaces de faible densité : d'une expérience de l'autonomie au risque de la captivité », Société et jeunesse en difficulté, n°41, 2007

45 Teillet Philippe, «Publics et politiques des musiques actuelles», in O.Donnat, P.Tolita, Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 200;, p159

46 Moulinier Pierre, Les politiques publiques de la culture en France, Paris, Puf, (coll. Que sais-je ?), 2015, p.67

47 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action publique des petites villes. Un révélateur des politiques urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour, n°8;, 2008, p. 5

48 Delfosse Claire, « La culture à la campagne », Pour, n°208, 2011

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diffusant une programmation théâtrale toute l'année sur l'ensemble du territoire et des communes rurales. L'implication de partenaires associatifs se retrouve également au travers du dispositif « Place Aux Jeunes », lancé en 2012. Une démarche en faveur des 16-26 ans visant à accompagner leurs projets et leur participation citoyenne sur leur territoire et qui, dans le cas du sud de la Seine-et-Marne, s'appuie essentiellement sur l'association Musiqafon. Association à l'origine de projets musiques actuelles cherchant à s'adapter aux spécificités de la ruralité du sud seine-et-marnais par le biais du Musibus, un bus-concert itinérant, parcourant les villes et villages, et donnant à des centaines de groupes locaux la possibilité de se produire en public. Il faut donc compter sur la présence diffuse, mais bien réelle, de certaines associations localement ancrées, qui contribuent aux activités de diffusion, d'accompagnement des pratiques et de formation, souvent à la marge des institutions. En contrepartie de leur éloignement des circuits « habituels de diffusion », les acteurs développent des actions culturelles et des activités transversales.

... mais pas sans contraintes.

Des initiatives, souvent privées, se multiplient aux quatre coins du département, caractérisées par des modes d'implantation éphémères (festivals, concerts), itinérants (bus-concert, parcours de diffusion) et souvent transversaux, qui pallient au manque de « murs », de transports et à l'isolement de certains villages. C'est toute une dynamique locale et associative qui se développe et s'adapte aux spécificités d'une ruralité devenue source de projets. Se dessine un maillage plus ou moins visible d'acteurs, qui initient fortement pour le développement des musiques actuelles sur le territoire rural, à tous les niveaux. Mais cela ne va pas sans difficultés. À la recherche d'alternatives, les acteurs doivent mobiliser d'autres manières de faire, d'interagir, de coopérer et de composer avec leur environnement, en s'appuyant sur les acteurs en place, sur les populations locales, les élus. Les exigences budgétaires qui touchent l'ensemble du secteur associatif et culturel, mais qui sont généralement plus prégnantes dans les collectivités locales rurales, ne sont pas sans conséquences. Elles nécessitent de maîtriser de nouvelles compétences et de mobiliser des savoir-faire extérieurs. Ayant souvent une petite jauge et des finances limitées, les structures axent leur programmation sur le local, et moins sur les têtes d'affiches, d'ailleurs difficilement attirées par ces structures. Des acteurs qui, pour une large part, portent les valeurs d'éducation populaire et défendent au-delà de la dimension strictement artistique, une démarche plus large dans le sens de l'épanouissement individuel et collectif, de la cohésion sociale et du vivre-ensemble, et qui, malgré leur implication et leur

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ancrage, ne se sentent pas toujours soutenus à la hauteur des ambitions affichées par les pouvoirs publics se heurtant parfois à l'incompréhension, au manque de reconnaissance et au manque d'investissement de leurs collectivités territoriales, les rendant plus fragiles économiquement. Aussi, dès lors que l'on s'intéresse au-delà des sentiers battus que représentent les traditionnelles fêtes de villages, on assiste à une multitude d'initiatives culturelles, aux modes d'intervention originaux, qui mettent en scène des moments collectifs de culture et réinventent une certaine façon de partager et de vivre « la culture sans complexe »49. Ces initiatives existent, dispersées, isolées et peu connues, mais significatives d'une évolution démographique et sociale au sein des espaces ruraux. « La campagne n'est pas seulement un espace de nowhere (...).»50 Un phénomène qui s'explique en partie par un étonnant regain démographique dans nos campagnes.

Homogénéisation des modes de vie entre urbains et ruraux

En 1999, le rural a en effet connu une croissance de population de 0,54% par an, dépassant ainsi de moitié la croissance urbaine alors de 0,24% par an51. L'image de la campagne est si positive, que lorsqu'on interroge les Français, ils sont 42% à affirmer vivre dans le monde rural, alors qu'ils ne sont en réalité que 25% selon l'Insee, et 58% à vouloir s'installer à la campagne s'ils avaient le choix52. La conséquence d'un désir de campagne, d'une attirance pour le monde rural, qui tient majoritairement au cadre de vie, souvent idéalisé, lié aux notions de calme, de nature, de pureté et de liberté.53 Cet exode repose désormais sur d'autres fondements : nombre croissant de gens ne pouvant plus se loger près des centres urbains en raison du prix élevé du foncier, mais aussi, recherche d'un nouvel ordre écologique, d'un autre sens de la vie, tant sur le plan du bien-être que sur la construction du projet collectif, pour ne pas dire politique. Les citadins vont à la campagne, et s'y installent. Ces populations urbaines, ces « néo-ruraux », apportent avec elles leurs habitudes et besoins en matière de culture, elles ne souhaitent pas forcément une offre culturelle équivalente à celle qu'elles trouvent en ville, mais elles sont à la recherche d'une même qualité de services54. Une qualité de vie qui inclut

49 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines, culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p.112

50 Ibid. p.111

51 Recensement de la population française de 1999, INSEE

52 Atlas rural et agricole de l'Ile-de-France, DRIAF, IAURIF, 2004 et le sondage réalisé par BVA pour Doméo et Presse Régionale, en décembre 2015,

53 Hervieu Bertrand, Viard Jean, Au bonheur des campagnes, Éditions de l'Aube, 1996

54 Gauchée Marc, Paradis verts, désir de campagne et passion résidentielle, Payot, 2005.

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désormais la culture, aussi bien en termes de diffusion et la possibilité, par exemple, d'assister à des concerts ou des spectacles, qu'en termes de pratiques et d'équipements dédiés à celles-ci. De plus, il faut également considérer l'accroissement majeur des mobilités : « de 1960 â 1990, la mobilité des Français a explosé : les distances parcourues en moyenne par an et par personne ont triplé »55. Une mobilité intense qui modifie et redéfinit significativement la nature des rapports au territoire. On parle d'ailleurs d'une « multi-appartenance territoriale » pour caractériser cet éclatement des sphères de vie des habitants, notamment chez les périurbains, qui vivent continuellement entre leur lieu de résidence, de travail et de loisirs56. Des « hypermobiles » d'un côté, tributaires d'un réseau de transport efficace ou encore d'un véhicule, et de l'autre, des immobiles, « que l'exclusion sociale et économique assigne â résidence ».57 Les styles de vie et de consommation s'urbanisent jusqu'aux confins des campagnes. On s'habille, on parle et on s'équipe de la même manière, jeunes ruraux et jeunes urbains regardent la télévision, ont un téléphone portable, des écouteurs, un ordinateur, etc., mais n'accèdent toutefois pas de la même manière aux mêmes équipements et services culturels.

Ainsi, nous avons exposé certains des principaux enjeux liés au développement de la culture sur le territoire : les disparités spatiales se heurtent à des stratégies d'orientations politiques et culturelles qui s'opposent ; il persiste des inégalités d'accès, de consommation et de pratiques culturelles malgré un besoin grandissant des populations rurales en matière de culture. Aussi face à l'inégale répartition des structures de musiques actuelles en Seine-et-Marne et aux déséquilibres territoriaux, culturels et sociaux, comment peut exister et se construire une offre culturelle et musicale, qu'elle soit régulière ou permanente, et proposer des réponses aux attentes des populations, jeunes et moins jeunes, sur le territoire rural du Gâtinais ? Quelles sont les dynamiques propres à ce territoire rural en matière de musiques actuelles ? L'enjeu est de savoir si la portée des initiatives serait limitée en raison de facteurs propres au territoire (méconnaissance, isolement, problèmes de mobilités, relations parfois complexes avec les collectivités, etc.) et si, toutefois, les difficultés sont palliées par des stratégies d'adaptation propres et caractéristiques au milieu rural (initiatives privées, modes d'intervention spécifiques, etc.), et dans ce cas, si ces initiatives sont suffisantes pour contrer les inégalités et assurer une dynamique culturelle et locale essentielle.

55 Veltz Pierre, Davezies Laurent « Territoires : nouvelles mobilités, nouvelles inégalités », Le Monde, 20 mars 2005

56 Ibid. p. 2

57 Ibid. p. 5

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Méthodologie appliquée

La construction d'un corpus documentaire s'est constituée grâce au recueil d'ouvrages, d'articles, de publications scientifiques, de textes officiels, d'écrits, d'études, de rapports institutionnels et associatifs ainsi qu'au repérage dans la presse locale, régionale et nationale d'informations sur notre sujet afin de favoriser la compréhension des éléments aussi bien liés au territoire, aux politiques culturelles, aux musiques actuelles qu'aux acteurs de terrain. Les lois et textes législatifs sont également mis en évidence étant donné leur influence majeure sur la mise en place de projets, la structuration des lieux, et sur le secteur des musiques actuelles en général. Il en va de la capacité à objectiver au maximum les données recueillies pour ne pas formater ni pré-construire la réalité que nous tentons de saisir. Les connaissances acquises lors de la réalisation du précédent mémoire, ainsi que celles acquises durant mes formations universitaires (médiation culturelle, développement culturel territorial), ont évidemment enrichies ces recherches. La pertinence de cette étude, qui propose une approche à la fois sectorielle et spatiale d'un phénomène culturel local, s'était d'ailleurs confirmée au cours de travaux préparatoires et du précédent mémoire de recherche sur le sujet58, abordant principalement une analyse théorique des musiques actuelles en milieu rural et pensé pour être une amorce à cette présente étude. Il aura davantage permis de dégager les principaux éléments théoriques et pistes sur lesquels nous baserons en partie nos réflexions, que de trouver de véritables « réponses » à nos interrogations.

Afin d'être au plus près des réalités et enjeux qui concernent notre sujet, ce mémoire est alimenté par différents entretiens menés auprès d'acteurs de terrain, de professionnels du secteur ainsi que de porteurs de projets musiques actuelles sur le territoire, indispensables pour prétendre comprendre les pratiques sociales et culturelles de chaque agent, le sens qu'ils en donnent, leurs motivations, leurs objectifs, leurs difficultés et attentes. Pour la conduite de ces entretiens, nous avons favorisé la forme ouverte, ou celle du récit de vie, auprès notamment des individus moins sensibilisés aux problématiques culturelles, à la différence des professionnels. Ces entretiens libres ont visé à recueillir des données riches et significatives, en laissant la possibilité à l'enquêté d'exprimer largement ses pensées tout en permettant de reformuler les termes de nos questions. Le contrôle de ses réponses et leur comparaison ont été certes délicat, mais l'objectif est de préserver la spontanéité des propos des enquêtés. Ajoutons que cet outil qualitatif ne permet pas de mettre en évidence le rôle effectif des enquêtés dans une situation

58 Mémoire de Master 1 - « Musiques actuelles en milieu rural, le cas du Gâtinais sud seine-et-marnais », Université Sorbonne Nouvelle, 2014-2015, sous la direction de Cécile Prévost-Thomas.

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réelle, car ces phénomènes ne sont saisis «qu'après-coup». Il n'a pas été possible de travailler sur une étude plus quantitative, qui aurait pu se baser sur l'exploitation d'un questionnaire, aussi, nous avons dû nous limiter aux entretiens, au risque de n'en saisir que des réalités partielles et subjectives, que nous ne pourront généraliser.

Posture de l'enquêteur

C'est à la faveur d'événements, de concerts, de festivals, de rencontres, de débats ou de toutes manifestations collectives relatives aux musiques actuelles sur notre territoire, que l'observation participante a été essentiellement privilégiée afin de rendre compte de l'environnement, des comportements, des pratiques et des attitudes des individus «en action». C'est aussi dans la pratique et l'observation participante qu'il m'a été permis de saisir le cadre concret de l'enquête en faisant l'expérience de l'ensemble social et spatial. Mon parcours professionnel au sein du réseau des musiques actuelles de Seine-et-Marne, le Pince Oreilles, complété par mes activités musicales et associatives, ainsi que ma proximité avec ce territoire dans lequel je suis née et j'ai grandi, me donnent une certaine assise et une appréhension plus évidente et cohérente pour mener ces recherches. Coutumière de certains projets, auxquels j'ai moi-même participé, et de certains acteurs que j'ai par le passé longuement côtoyé, mon implication dans cette étude revêt d'un intérêt peut-être tout autant personnel qu'universitaire. Cette position a, de façon évidente, constitué un atout pour négocier mon droit d'entrée au sein de telles associations, de tels lieux ou de telles institutions. Que ce soit par ma posture de bénévole, d'étudiante, de stagiaire, de musicienne ou d'habitante, mon rapport au territoire et aux acteurs est de fait marqué par une réelle proximité avec mon objet d'étude. La mise à distance dans mes relations aux entretiens a pu parfois être complexe : j'étais la stagiaire la veille, la consommatrice la semaine précédente, je deviens l'étudiante-chercheuse lors de l'entretien. Les enquêtés ont pu parfois se montrer particulièrement bienveillants, voir familiers, lors d'entretiens où les interactions étaient plus aisées. De par mon parcours, je suis également de plus en plus amenée à emprunter le vocabulaire des acteurs que je côtoie. Loin d'arriver à avoir un accès complet au point de vue de l'enquêté, ma propre socialisation au sein du tissu associatif et du territoire peut toutefois rendre difficile mon désengagement pour l'analyse des données. Une étape d'autant plus complexe et nécessaire, que le champ associatif est saturé de militantisme, et a fortiori en milieu rural, où l'implication des acteurs dans les problématiques sociales et culturelles du territoire est forte. Moi-même pouvant facilement déplorer une situation, plutôt que d'envisager sa réelle nature. Mon expérience de musicienne au sein d'une

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jeune formation seine-et-marnaise, m'a également donné l'occasion de vivre les difficultés liées aux déplacements (et l'indispensable voiture parentale) ainsi qu'au manque de lieux véritablement dédiés au développement de notre pratique musicale et à sa diffusion, nous obligeant généralement à devoir jouer dans des granges, des salles polyvalentes, des terrains en plein air ou encore dans des bus-concerts, à défaut de (vraies) salles de concert. Et pourtant ce manque d'équipements n'empêchait pas les projets d'exister, tout comme les organisateurs, très impliqués et désireux de proposer des évènements de qualité, ouverts et variés. Ils s'avéreront même bénéfiques pour notre formation, en nous offrant la possibilité de perfectionner nos prestations et d'accéder par la suite à quelques scènes parisiennes. Bien sûr, nous avions le sentiment d'un décalage, d'un faussé entre ce qu'il existait « chez nous » et dans les grandes villes. Familière des lieux, j'ai pu faire l'expérience sensible de cet environnement, être confrontée aux aléas et aux avantages de vivre à la campagne ; entre l'appel de « la vraie ville » pour sortir de l'isolement et le plaisir d'une qualité de vie incomparable ; entre le sentiment d'inégalité et de privilège.

Intérêts de l'étude de cas

En s'intéressant au développement territorial culturel à travers l'étude des musiques actuelles sur un territoire rural, ce mémoire pourrait participer à l'étoffement du corpus théorique dans le domaine des musiques actuelles en proposant une étude de cas, et pourrait, éventuellement, participer à une certaine lisibilité des projets tout en complétant la multiplicité des regards et analyses dans un contexte d'incertitudes et de mutations territoriales. Le sujet s'attache à confronter les limites spatiales aux limites culturelles, sociales et politiques, en mettant en avant la réalité territoriale face aux discours publics. D'ailleurs, depuis quelques années, les réflexions sur les projets culturels et artistiques en milieu rural se multiplient. Il faut noter toute une production sociologique sur le monde rural, abordé non plus seulement en termes démographiques et quantitatifs, mais sous l'angle des évolutions économiques, des modes de vie et de la culture. Les ouvrages de Bertrand Hervieu et Jean Viard59 ou encore les travaux de Nicolas Rénahy60, auront permis de modifier une certaine vision des campagnes. La Fédération des Lieux de Musiques Actuelles, la FEDELIMA61, a notamment initié en 2008 une

59 Au bonheur des campagnes et L'Archipel Paysan, Éditions de l'Aube, 1996 et 2004.

60 Les Gars du coin. Enquête sur la jeunesse rurale, La Découverte, Paris, 2005, et « Délinquance routière, machisme et crise sociale : pourquoi les jeunes ouvriers se tuent au volant », Le Monde diplomatique, 2005.

61 Née en 2013 de la fusion de la Fédurock et du FSJ.

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étude sur les « lieux de proximité de musiques actuelles/amplifiées : l'exemple du milieu rural », une première. Plusieurs temps de rencontre entre acteurs du secteur ont alors suivi cette enquête afin de mettre en commun les expériences, les interrogations et problématiques liées au développement de leur projet sur leur territoire d'implantation62. En 2016, la fédération a créé une plateforme ressource63, la première à voir le jour sur la question culturelle en milieu rural. Alimenté par les réflexions du groupe de travail « Ruralité », mis en place en 2015, ce nouveau support se veut être un outil de partage capable de donner des appuis et données actualisées. Il témoigne d'une prise en compte concrète du sujet, jusqu'alors effleuré. Malgré cette impulsion relativement récente sur la question des musiques actuelles en milieu rural, il s'avère que peu d'ouvrages sont consacrés directement à notre sujet64. Comme le souligne Philippe Teillet65 «le faible nombre de monographies ne permet pas [...J d'exposer avec précision les conditions dans lesquelles les problèmes propres aux «musiques amplifiées» - â leurs pratiquants et publics - ont été inscrits sur les agendas territoriaux»66. Ainsi, il s'avère que les études à l'échelle nationale sont plus récurrentes. Or, nombreux sont ceux qui défendent l'intérêt d'une étude localisée, tant pour «restituer la diversité des formes possibles de l'intervention publique dans le domaine culturel qu'à mieux connaître les pratiques localisées qui ont contribué â la mise en forme des politiques nationales»67. En plus de récolter des éléments nous permettant de définir des contours généraux, il faut donner de l'importance aux particularités, aux dynamiques spécifiques, aux «jeux sociaux» qui s'organisent autour des musiques actuelles à l'échelle locale. En effet, comme le précise Emmanuel Brandl «le niveau local pose des difficultés théoriques et méthodologiques qui surgissent en regard des jeux d'influences entre l'univers politique et l'univers culturel» et «qui imposent de prêter la plus grande attention aux actions et aux interactions des acteurs politiques et culturels locaux.»68. Ainsi, c'est l'ensemble des particularités politiques, culturelles, sociales et institutionnelles qui

62 Plusieurs rencontres programmées depuis 2009.

63 http://www.ruralite.fedelima.org

64 Toutefois, les études sur la ruralité sont nombreuses, notamment dans le domaine de la géographie mais s'étendent de plus en plus aux sciences sociales.

65 Maître de conférences en science politique à l'Université d'Angers.

66 «Éléments pour une histoire des politiques publiques en faveur des «musiques amplifiées», in Ph Poirrier (dir.), Les collectivités locales de la culture. Les formes de l'institutionnalisation, XIXème et XXème siècles, Paris, Ministère de la Culture, La Documentation Française, 2002, p. 2

67 Dubois Vincent, in Institutions et politiques culturelles locales, p.40-43

68Brandl Emmanuel, in «La sociologie compréhensive comme apport à l'étude des musiques amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches empiriques, Paris : L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales », Série « Musiques et champ social », 2000, p. 259-260

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est à prendre en compte, tout en privilégiant la méthode hypothético-déductive, basée sur l'émission d'hypothèses et la prévision des conséquences, dont il faudra tenter, par la suite, d'en vérifier la véracité.

Pour mener à bien nos réflexions, cette étude s'articule en trois temps. Dans un premier temps, il s'agit d'appréhender notre territoire d'étude à travers un état des lieux des structures et des initiatives dédiées en partie ou entièrement aux musiques actuelles, à l'échelle de la région, du département et enfin du Gâtinais. Afin de saisir au mieux dans quels cadres s'inscrivent ces actions, les contextes territoriaux et sociodémographiques seront définis. Cette vision d'ensemble nous permettant d'analyser, dans un second temps, les difficultés rencontrées par ces projets en milieu rural. L'enjeu étant de dégager les principales limites au développement des musiques actuelles sur le territoire en s'attachant aux interactions, aux représentations, aux relations entre les acteurs, les collectivités territoriales et les populations. Enfin, la dernière partie rend compte des stratégies adoptées par les acteurs et des caractéristiques inhérentes aux projets musiques actuelles en milieu rural. Il s'agit de définir les spécificités et dynamiques propres aux projets dans le souci d'entrevoir les perspectives d'évolution des musiques actuelles sur le territoire.

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PARTIE 1

Musiques actuelles et ruralité : état des lieux.

De l'Île-de-France au Gâtinais.

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I. Ruralité et musiques actuelles : le contexte francilien

1.1. Campagnes et métropole.

De prime abord, difficile d'entrevoir la région Île-de-France uniquement sous sa dimension rurale. L'espace francilien est en effet marqué par la présence des plus grandes agglomérations urbaines européennes. Toutefois, une part importante de la population a le sentiment d'habiter encore à la campagne69. Et pour cause, l'Île-de-France est composée de près de 80 % d'espaces ruraux, agricoles et forestiers. Environ 60 % des communes franciliennes rassemblent moins de 2000 habitants et 46 % ont même moins de 1000 habitants, ce qui représente 839 communes rurales et plus d'un million d'habitants. Ainsi malgré ses 11 millions d'habitants, ses grandes infrastructures, son envergure de véritable métropole, l'Île-de-France peut encore être associée aux campagnes.

Le phénomène de métropolisation s'étend mais la ruralité semble malgré tout préservée, notamment dès que l'on se fonde sur l'appréciation et le sentiment des habitants face à leur territoire : la ruralité est présente, ressentie et visible. Elle est perçue et vécue par les habitants, au delà des représentations collectives. Si l'Île-de-France présente effectivement de véritables territoires ruraux, bien distincts des espaces urbains et périurbains, avec des superficies agricoles et forestières importantes, les caractéristiques mêmes du rural ont toutefois évolué. L'agriculture ne fait plus le rural. Bien qu'elle reste dominante en termes d'occupation du sol, elle n'est en effet plus le principal moteur économique de la région, et en termes de représentations, à peine 10% des Français associent aujourd'hui l'espace rural à l'agriculture ou au travail agricole70. Le développement continu et disparate des bourgs et villages franciliens, en ceinture verte et dans la couronne rurale, exprime une certaine attractivité et aspiration vers le «vivre à la campagne et travailler à la ville». À la fois espaces de vie, de travail et de loisirs, l'espace francilien, tout comme le territoire national, se compose d'espaces combinés, où la forte mobilité géographique des individus rend la distinction entre deux catégories de populations (urbaines ou rurales) caduque. Le sentiment de vivre en zone rurale ne correspond

69Atlas rural et agricole de l'Île-de-France (2004) réalisé par la Direction Régionale et Interdépartementale de l'Agriculture et de la Forêt (DRIAF) et l'Institut de la Région d'Île-de-France (IAURIF) page 7.

70 D'après l'enquête du CREDOC et INRA réalisée en 2001 pour le groupe de Prospective sur les Espaces Naturels et ruraux de la DATAR.

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donc pas forcément aux critères statistiques qui définissent le rural, fondés notamment sur les modes de vie (migrations pendulaires...).

En matière d'emploi, deux visions simplificatrices doivent d'emblée être écartées, l'une réduisant les actifs ruraux à des exploitants agricoles, l'autre à des « migrants pendulaires »71. L'espace rural francilien n'a pas échappé aux tendances lourdes qui affectent, depuis plusieurs décennies, la géographie de l'emploi : métropolisation, effondrement de l'emploi agricole, tertiarisation de l'économie. Même si la grande couronne connaît depuis quelques années un dynamisme lié au desserrement des activités du coeur de l'agglomération, les communes rurales restent largement à l'écart de ce mouvement. Influences extérieures et mutations propres déterminent donc la structuration actuelle de l'emploi rural francilien. Celui-ci se caractérise par un marché du travail restreint, n'abritant que 6% de l'emploi francilien et 10% de la population totale de la région. Les communes rurales se caractérisent également par une sur-représentation des ouvriers et artisans en écho à une sous-représentation des cadres. L'essentiel de la population active est composé, comme dans l'espace urbain, par des professions intermédiaires et des employés72.

Quelques comparaisons avec leurs homologues franciliens urbains permettent de distinguer les caractéristiques des ménages et leurs installations dans ces espaces ruraux. En 1999, les populations franciliennes rurales sont représentées majoritairement par des familles avec enfants (la moitié des ménages). L'autre moitié des ménages résidant en milieu rural est surtout composée de couples sans enfant (26,7 % contre 21,6 %) et plus rarement qu'ailleurs, de personnes vivant seules (21,6 % contre 35,9 %). Ces personnes seules sont plutôt âgées : la moitié a dépassé la soixantaine (49,6 %), contre un peu plus du tiers dans le reste de la région (35,6 %). La moitié des emménagés récents résidait déjà dans le rural ou vivait dans en milieu périurbain : 18 % ont simplement changé de logement au sein de la même commune, 21 % résidaient en 1990 dans une autre commune rurale et 10 % dans le périurbain. Les autres proviennent pour l'essentiel du coeur de l'agglomération (34 %) ou de province (14 %). Il faut noter, que ces campagnes restent sous l'influence majeure de la capitale et de son agglomération. Bien que les Franciliens n'aient pas l'impression d'appartenir à l'agglomération parisienne (72 %), ils se sentent sous l'influence de Paris (52%). Une proximité qui semble généralement bien vécue, la

71 Liée à l'étalement urbain et au phénomène de périurbanisation, la migration pendulaire désigne les individus se déplaçant quotidiennement de leur domicile à leur travail.

72 Les chiffres sont issus du recensement de la population française de 1999, INSEE.

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majorité des Franciliens s'y rendant pour des raisons culturelles73. Enfin, l'installation dans le rural francilien est souvent motivée par la recherche d'un cadre et d'une qualité de vie privilégiée, quoique l'accès à la propriété et les exigences professionnelles demeurent des critères dominants, devant l'attrait pour le prix des loyers ou encore pour les conditions de vie et d'éducation des enfants. 74

1.2. État des lieux des musiques actuelles en Île-de-France75

Région capitale, l'Île-de-France concentre une part décisive de la vie musicale du pays. La plupart des maisons de disques, des revues de presse spécialisées, des tourneurs y sont installés. De nombreux artistes ont choisi d'y vivre. Une pléthore d'amateurs y pratique la musique. Chaque semaine, on compte plus d'une centaine de concerts programmés. Cette diversité est surtout le fait d'un tissu associatif militant vivace et d'une forte concentration des professionnels du secteur privé commercial - à Paris par exemple, plus des trois quarts des

8%

8%

7%

2% 2%

5%

12% 24%

1%

Typologie des structures selon leur fonction principale

2%

29%

conservatoires, écoles de musiques, organismes de formation : 8%

producteurs de spectacles, management d'artistes : 7%

services culturels : 5% collectifs d'artistes : 2% radios : 2% labels : 1% autres : 2%

lieux de diffusion musiques actuelles : 29 % lieux pluridisciplinaires dont MJC, centres culturels : 24% studios de répétition et studios d'enregistrement : 12% organisateurs sans lieux (dont festivals) : 8%

73 D'après l'Enquête sur la perception de l'espace rural par les habitants de l'espace rural francilien, IAURIF, 2003.

74 CREDOC. Les Français et l'espace rural, mars 2001 et Enquête sur la perception de l'espace rural par les habitants de l'espace rural francilien, IAURIF

75 Essentiellement basé sur l'état des lieux des structures adhérentes établis par le RIF en 2012

31

studios de répétition sont privés. Le RIF (Confédération régionale des réseaux de musiques actuelles d'Île-de-France), recense près de 213 structures dédiées aux musiques actuelles adhérentes aux 8 réseaux départementaux76 qui composent la région francilienne. Au regard des formes juridiques de ces structures, c'est le modèle associatif qui est majoritaire (60% en 2011), et ce, historiquement, depuis le développement des réseaux musiques actuelles. Plus spécifique à la région francilienne, les structures municipales en régie directes représentent 26% des structures. La part de sociétés commerciales s'est accrue depuis l'entrée du MAP, le réseau parisien des musiques actuelles, au sein du RIF et représente 12% des structures. Enfin, les établissements publics, les sociétés coopératives et les autres formes juridiques représentent 2% des adhérents. La typologie des structures établie par le RIF, selon leur fonction principale, dresse un profil particulièrement diversifié des activités de l'ensemble des structures. Il faut préciser que la grande majorité des structures couvrent plusieurs activités : 74% des répondants déclarent développer au moins deux activités, et près de 20% d'entre eux proposent au moins 5 activités différentes.

Répartition des activités en % sur les 170 structures
répondantes

51% 51% 48% 44% 44% 41%

34% 34%

22%

12% 7% 6% 4%

88%

Au-delà de l'activité de diffusion, prégnante pour l'ensemble des établissements, on constate une part prépondérante des activités dédiées à l'accompagnement des pratiques des

76 Les 8 réseaux départementaux sont : le Combo 95, le réseau du Val d'Oise ; le MAAD93, lé réseau de Seine-St-Denis ; REZONNE, le réseau de l'Essonne ; le Réseau Musiques 94, le réseau du Val-de-Marne ; Réseau 92, le réseau des Hauts-de-Seine, Le CRY, le réseau des Yvelines ; le MAP, le réseau de Paris et le Pince Oreilles, le réseau de Seine-et-Marne.

32

musiciens, en proposant pour la plupart un soutien en matière de répétition, d'enregistrement, d'accompagnement artistique, d'information ressource, de répétition sur scène, d'accueil en résidence et d'enseignement musical. Enjeu fondamental au maintien de l'équilibre de l'écosystème musiques actuelles francilien, l'accompagnement des pratiques musicales répond au besoin croissant des groupes et musiciens amateurs ou semi-professionnels en quête d'un soutien à la fois artistique, logistique, administratif et scénique. Le RIF estime que plus de 15 000 groupes, de tous styles et de tous niveaux, résident et pratiquent en Île-de-France, ce qui représente plusieurs milliers de musiciens répartis sur l'ensemble de la région. Beaucoup gravitent autour des structures, qui tentent, via un panel toujours plus large de propositions, de répondre à leurs attentes.

Toutefois, les disparités d'implantation des équipements posent question. En 2007, le RIF constatait en effet dans son état des lieux des structures adhérentes que « la quasi totalité des structures agissent au sein des pôles urbains (91,8%) et seules deux structures sont implantées dans des communes rurales ». La dimension rurale est donc quasiment inexistante sur l'ensemble de la région en matière de développement des musiques actuelles. Un constat partagé par le réseau national, la Fédération des Lieux de Musiques Actuelles, qui en 2014, dans le cadre de son étude77 sur l'action culturelle au sein de ses structures adhérentes, a également mis en évidence une forte concentration des lieux dédiés en milieu urbain. Cette répartition par type de territoire a fait apparaître que le milieu rural ainsi que les petites villes ou villes périurbaines ne sont représentées qu'à hauteur de 18%. Au niveau du nombre moyen de représentations annuelles, les communes rurales et les petites villes ont, là encore, un total moyen nettement inférieur, à raison de 27 représentations dans le milieu rural contre 42 dans les villes moyennes, et 55 dans le milieu urbain.

1.3. Culture et pratiques musicales en Île-de-France.

Si la région francilienne est caractérisée par une forte concentration de structures et d'acteurs musiques actuelles, il convient d'élargir brièvement notre regard, et de saisir dans quel cadre « culturel » plus global les activités musiques actuelles s'inscrivent sur ce territoire. La vie culturelle en Île-de-France est particulièrement marquée par une offre foisonnante et

77 FEDELIMA, OPALE, Actions culturelles et musiques actuelles, Éditions Mélanie Seteun, (Coll. Musique et environnement professionnel), 2014

33

diversifiée, mais également très concentrée à l'échelle du pays, en témoigne les indicateurs établis par le Ministère de la Culture, qui dévoilent que la région concentre :

· 27 % des compagnies dramatiques

· 13% des scènes nationales

· 31 % des compagnies de danse

· 22 % des écoles de musiques et de danse, 22 % des enseignants et 20% des élèves

· 18 % des salles de cinéma

· 52 % des salariés du régime de l'intermittence du spectacle et 22% de la filière culturelle des collectivités territoriales

· 33 % des architectes inscrits à l'ordre des architectes et 43 % des élèves architectes

Le ministère joue d'ailleurs un rôle historique sur cette partie du territoire national, grâce à un nombre important d'équipements sous sa tutelle, on citera : la Bibliothèque Nationale de France, l'Opéra National de Paris, 4 des 5 théâtres nationaux, 11% des musées de France, 9% des monuments inscrits et classés en France (et qui reçoivent 40% des entrées payantes), 13 établissements d'enseignement supérieur, etc. À noter l'implantation des services de l'administration centrale à Paris, tels la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) ou encore les huit STAP (Services Territoriaux de l'Architecture et du Patrimoine). Sous l'influence accrue de l'attrait pour le patrimoine culturel de Paris et d'une centralité historique, la région Île-de-France est l'héritière d'un imposant ensemble d'institutions culturelles, anciennes et contemporaines, qui, naturellement, la positionne comme la première région touristique de France78.

« En moyenne plus jeunes, plus diplômés et disposant de revenus plus élevés, les Franciliens pratiquent davantage d'activités culturelles que leurs homologues de province » nous indique le rapport de l'IAURF (l'Institut d'Aménagement d'Urbanisme de la Région d'Île-de-France), Les Franciliens et la culture, réalisé en 2006. L'étude met en avant une spécificité parisienne pour expliquer l'intensité des pratiques dans la capitale. Paris étant un vivier en matière de diffusion et de création, elle attire une grande diversité de populations « non seulement aptes â multiplier les consommations mais aussi susceptibles de montrer l'exemple ». Toujours selon cette étude, la facilité d'accès aux équipements et la diversité de l'offre faciliterait la pratique, et serait renforcée par les réseaux relationnels resserrés, entretenus par des logiques d'imitation (lire, écouter, voir ce que tout le monde a lu, écouté, vu) et de

78 INSEE, CCI, L'Île-de-France, la première région touristique de France, Insee Analyses, n°20 2015

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domination (avoir une pratique jugée plus valorisante...). De plus, l'habitat parisien, moins spacieux qu'ailleurs, tendrait à favoriser la vie sociale à l'extérieur, et peut en partie expliquer l'intensité des pratiques culturelles parisiennes.

Plus d'un Francilien sur deux cumule au moins six activités culturelles 79 contre un tiers des provinciaux, la pratique artistique en amateur, qui concerne un tiers des Franciliens, est particulièrement liée au cumul d'autres types d'activités : 62% de ceux qui pratiquent des activités en amateur cumulent également d'autres activités. Une activité culturelle en appelle donc souvent une autre, en Île-de-France. La pratique instrumentale par exemple manifeste généralement un goût prononcé pour la musique et donc l'écoute musicale, chez soi ou en concert. Ceux qui cumulent le plus ont une pratique assidue et régulière et sont majoritairement jeunes (étudiants, actifs sans enfant). Le cumul croît avec le niveau d'études et de revenus ainsi qu'avec la proximité de l'offre culturelle, les Parisiens étant les plus concernés. A contrario, ceux qui cumulent moins de quatre activités, sont ceux qui passent le plus de temps devant la télévision, à raison de plus de trois heures par jour. En matière de musique, 80% des Franciliens déclarent écouter de la musique régulièrement, et 82% de ceux qui écoutent la radio préfèrent les émissions musicales aux informations. Ils sont également 27% à avoir assisté à un concert, le profil étant le même qu'en Province, à savoir plutôt des jeunes, diplômés, avec des revenus élevés. Les festivals, notamment musicaux, sont visités par au moins 8% des Franciliens, mais moins que par les provinciaux (11%). Ils semblent également plus fréquentés par les plus jeunes (11% ont entre 15 et 34 ans) et par les Parisiens (14%).

Paradoxalement, ni la forte proposition culturelle, ni la concentration d'équipements et d'offres culturelles ne garantissent à tous les Franciliens un accès équitable à la culture. En effet, selon le ministère de la Culture, la moyenne d'équipements culturels par Franciliens est inférieure à la moyenne nationale (1.51 équipements pour 10 000 habitants contre 1.66 en moyenne nationale, plaçant l'Île-de-France au 14ème rang des régions). La coexistence de zone de foisonnement culturel et de zones qui en sont dépourvues renvoie à la question des disparités territoriales en Île-de-France qui peuvent participer au renforcement des inégalités de pratiques.

79 Ces activités sont regroupées en 7 catégories de pratiquants : les téléspectateurs, les auditeurs (de radio ou de musique), les lecteurs (presse, livres et bandes dessinées), les amateurs de sorties (visites, spectacles autres que le cinéma), les amateurs de cinéma, les personnes pratiquant des activités artistiques en amateur.

35

II. La recherche d'une identité, la Seine-et-Marne

2.1. Seine-et-Marne, un pied â la campagne, un autre dans la ville

La Seine-et-Marne est le plus grand département d'Île-de-France, elle représente à elle seule près de 49% du territoire régional. En l'espace de quelques décennies, les milieux urbains et ruraux ont considérablement évolué en Seine-et-Marne. La notion traditionnelle de l'espace rural, marquée par l'activité agricole, a largement été remise en question. Alors que la population agricole était de 50% en 1946, elle ne représente pas plus de 17% de la population agricole actuelle80. Aujourd'hui, la majeure partie Ouest du département appartient à l'unité urbaine de Paris, à son agglomération. De plus, les cinq nouvelles villes, ou les trois syndicats d'agglomération nouvelle81 participent toujours plus à l'urbanisation du centre du département. L'évolution des modes de transport et de télécommunication a eu, tout comme à l'échelle nationale, une incidence profonde en matière de peuplement. À des degrés divers, le monde rural est pénétré par le monde urbain, fort peu dans les campagnes « profondes », situées loin des villes, mais de manière constante à la périphérie des centres-urbains. Aussi, avec une hausse de plus de 10% de sa population entre 1999 et 2009, la Seine-et-Marne est le département qui a connu la plus forte croissance démographique de France, et compte en 2009 plus d'1,3 millions d'habitants. Le phénomène de périurbanisation étant la principale conséquence de cette hausse, appuyé par un solde naturel positif très important (la croissance vient de l'intérieur). Une tendance qui ne ralentit pas, mais qui reste largement localisée sur la frange Ouest et au niveau des villes nouvelles. D'ailleurs, près d'un seine-et-marnais sur deux vit dans une des 31 communes de plus de 10 000 habitants, on parle d'un peuplement « métropolitain », face à un peuplement « historique » le long des deux cours d'eau qui traversent le département, la Seine et la Marne. Alors que 75% des communes ont moins de 2000 habitants et 60% ont moins de 1000 habitants, près de 80% de la population vit dans une commune urbaine.

80 Insee, Recensement agricole de 1999

81 Dans le cadre de la création du Schéma Directeur d'Aménagement de la Région Parisienne (SDARP), confiée à Paul Delouvrier par le Générale de Gaulle, en août 1961. Dans l'objectif d'organiser une banlieue en pleine expansion et structurer l'espace en créant les conditions d'équilibre entre travail et habitat, cinq villes seront créées en trois syndicats d'agglomération nouvelle : Melun-Sénart, Le Val Maubuée et le Val d'Europe.

36

Structuration urbaine en Seine-et-Marne

Source : Département de Seine-et-Manre, DADT, SIG, IAUF, 2012

Département mixte, où l'activité agricole, subsiste aux côtés d'activités industrielles ou relevant du tiers secteur, la Seine-et-Marne compose aujourd'hui entre une forte urbanité et des espaces ruraux où coexistent :

- les «campagnes des villes», d'une part, situées en zone périurbaine et distinguées par leur caractère résidentiel. Ce sont les secteurs de la ceinture verte, des vallées et des lisières de massifs forestiers. La pression urbaine y est plus forte.

- les «nouvelles campagnes», largement « tertiarisées », où la généralisation de la mobilité permet d'élargir le territoire aux fonctions productives, touristiques, résidentielles et

37

naturelles. Il s'agit typiquement des parcs naturels régionaux (PNR), qui se sont souvent constitués sur les traces des anciens pays, et des secteurs valorisés de la ceinture verte82.

La tendance seine-et-marnaise est à la diffusion résidentielle dans les aires rurales. D'un côté, ce phénomène est source de dynamisme pour les campagnes dont la population s'accroît, ainsi que les services liés au développement de l'économie résidentielle. Mais de l'autre, il conduit à la marginalisation d'espaces ruraux plus fragiles, qui s'inscrivent dans le cadre du tout automobile. Ainsi, la répartition démographique est largement disparate.

Cartographie de la densité en Seine et Marne

Source : Département de Seine-et-Marne, SIG, INSEE, 2009

82 Source : Atlas rural et agricole de l'Ile-de-France, DRIAF, IAURIF, 2004 «Pour l'Île-de-France, anneau compris entre 10 et 30 kilomètres du centre de l'agglomération parisienne, comptant 60 % d'espaces ouverts en 1999 (forêts récréatives, agriculture spécialisée...) et rassemblant 3,7 millions d'habitants.»

38

Avec 65% de communes entre 500 et 3000 habitants, 34% des communes de moins de 500 habitants et l'émiettement des zones d'habitations en une foule de micro-territoires, force est de constater que le département est partagé entre des zones urbaines et périurbaines à forte densité humaine et des zones rurales à bien plus faible densité. Avec un tissu économique fortement tertiarisé, la Seine-et-Marne totalise plus de 80% d'emplois salariés dans le commerce et les services. Le secteur de l'industrie représente un peu plus de 12% de l'emploi, suivi par les activités de transport (8%) et de construction (7,4%). Notons la part mineure de l'emploi agricole, qui représente aujourd'hui seulement 0,4% alors que les terres agricoles seine-et-marnaises, représentent actuellement plus de 57% du territoire. Particulièrement liés aux spécificités industrielles du département, les ouvriers et employés sont sur-représentés, notamment à l'Est et au Sud du département (qui possède justement un héritage industriel fort). La part des cadres reste faible comparée au reste de l'Île-de-France (15% contre 26%). Le niveau moyen de diplôme est également l'un des plus faible de la région (25% de post-bac contre 36% en Île-de-France), la majorité des actifs n'ayant pas de diplôme ou étant titulaires d'un CAP/BEP pour 58% de la population. Enfin, notons que les seine-et-marnais parcourent plus de distance entre leur domicile et leur travail que la moyenne francilienne (12km en moyenne contre 9km) et possèdent à 86% équipés d'un véhicule. La mobilité interne et véhiculée est forte (71% se déplacent en voiture dans le département pour leur travail). Les transports en commun étant majoritairement privilégiés pour se rendre en 1er couronne et à Paris.

2.2. La musique en Seine-et-Marne, de Couperin au Music-hall

Parler de musique en Seine-et-Marne, c'est d'abord faire référence à une forte tradition musicale classique et sacrée, entretenue durant des siècles par l'influence royale et parisienne. Les musiques sacrées, classiques et baroques ont largement été représentées par d'éminents musiciens, natifs ou résidants, en Seine-et-Marne : les Couperin, Forqueray ou encore Massenet, sans oublier Clément Janequin, auteur de nombreuses chansons épiques inspirées de la forêt de Fontainebleau. Les musiques traditionnelles, ou fonctionnelles, liées aux activités agricoles et ouvrières semblent avoir disparu. Seul le mouvement orphéonique83 des harmonies

83 Issu du 19ème siècle, le mouvement orphéonique concerne d'abord les chorales exclusivement masculines au répertoire grandiloquent et aux effets vocaux riches. Au 21ème siècle, ce mouvement est étendu aux ensembles vocaux et instrumentaux, type harmonie ou batterie fanfares. En Seine-et-Marne,

39

ou des batteries fanfares tente encore de faire vivre un répertoire musical militaire, patriotique ou plus contemporain.

Tout aussi prégnante en Seine-et-Marne dès les années 183084, les guinguettes sur les bords de Marne attireront de nombreux parisiens jusqu'à l'entre deux guerres. Elles se développent notamment dans les villes de Thorigny-sur-Marne, de Précy-sur-Marne ou encore de Chelles, là où l'octroi, l'impôt indirect sur l'entrée des vins, n'est pas applicable. Animées par des petits orchestres composés généralement d'un piano, de violons, et d'instruments à vent (piston et clarinette), on y danse la valse, la polka, la mazurka ou la scottish. En parallèle, les cafés-concerts se développent à Fontainebleau. Le plus célèbre d'entre eux, l'Eden Bleau, repris en 1897 par le chanteur populaire Paulus, ravira le public huppé et parisien venu assister au spectacle de music-hall où de nombreuses vedettes parisiennes se produisent. Avec l'arrivée du cinéma à la fin du 19ème siècle, les spectacles de music-hall se déroulent davantage dans les salles en introduction des projections ou lors des entractes.

En 1913, deux animateurs du célèbre cabaret « Le Lapin Agile » de Montmartre, ouvrent « L'Auberge de l'oeuf dur » à St-Cyr-sur-Morin. Chansonniers et artistes s'y déplacent, annonçant l'exode des années 1920 vers la grande banlieue. Roland Dorgelès, Francis Carco, André Warnod ou encore Pierre Mac Orlan s'y retrouvent85. Les années folles et l'arrivée de la culture américaine, portent jusqu'en Seine-et-Marne, le jazz et le music-hall. D'ailleurs, c'est à Melun et à Fontainebleau que naîtront les premiers Hots Clubs de France grâce à Hugues Panassié installé à Fontainebleau. Les grands noms du jazz défileront dans ses clubs, comme Duke Ellington dont on notera la réalisation du titre « Fontainebleau Forest ». La Note Noire à Fontainebleau, le River Boat à Avon, deux cabarets de jazz, participeront également au rayonnement du genre sur le territoire. Aujourd'hui ces établissements ont disparu, mais il convient de souligner l'engagement d'une poignée de fervents passionnés, à l'origine du festival « Django Reinhardt », créé en 1968. Si la période glorieuse du cabaret est passée, il existe encore aujourd'hui quelques établissements spécialisés en Seine-et-Marne86. Bals

l'Union Fédérale des Batteries Fanfares réunit 350 musiciens chaque année. Le premier festival international des fanfares a d'ailleurs eu lieu à Melun le 13 juillet 2016.

84 Daguenet Patrick, Musiques et fêtes, la Seine-et-Marne au rythme de Paris, Presses du Villages, 2005, p.364-370

85 Baron Evelyn, « Pierre Mac Orlan de Seine-et-Marne », in Les annales politiques et littéraires, n°236, 15 août 1920, Le petit Mac Orlan illustrée, Musée des Pays, p.24

86 Le Dock du Rire à Égreville, La Cour des Miracles à la Ferté-sous-Jouarre, L'Etoile du Montceaux à Montceaux-lès-Provins, la Guinguette l'Ermitage à Chalifert

40

populaires et cabarets survivent tant bien que mal jusque dans les années 1970, fortement concurrencés par l'émergence des discothèques où la musique enregistrée est reine.

2.3. État des lieux des musiques actuelles en Seine-et-Marne

Qu'il s'agisse de salle de concerts, de studios de répétition ou d'enregistrement, on peut constater une présence relativement forte de lieux dédiés à la diffusion ou à la pratique des musiques actuelles en Seine-et-Marne. Chaque structure diffère selon son envergure, son projet, son rayonnement et ses activités, toutefois elles participent toutes au maillage culturel territorial. Nous ne rentrerons pas dans les détails historiques de chaque projet, ni dans les facettes de leur développement. Il s'agit de dresser le portrait des structures se consacrant entièrement ou en partie au développement des musiques actuelles en Seine-et-Marne, en se basant notamment sur les membres adhérents du Pince Oreilles, le réseau des musiques actuelles en Seine-et-Marne.

7%

7%

10%

7%

0%

Typologie des structures selon leur fonction principale

7%

3%

0%

30%

29%

conservatoires, écoles de musiques, organismes de formation : 7%

producteurs de spectacles, management d'artistes : 0%

services culturels : 7% collectifs d'artistes : 7% radios : 3% labels : 0% autres : 0%

lieux de diffusion musiques actuelles : 30 % lieux pluridisciplinaires dont MJC, centres culturels : 30% studios de répétition et studios d'enregistrement : 10% organisateurs sans lieux (dont festivals) : 7%

Source : Focus 77 Les chiffres clés et les principaux enjeux des structures musiques actuelles en

Seine-et-Marne, Pince Oreilles

41

Profil des structures adhérentes au Pince Oreilles

Au sein du réseau, on compte une trentaine de membres adhérents, 12 structures dont 8 MJC/MPT, ont une vocation pluridisciplinaire, l'activité musiques actuelles n'étant pas principale. Néanmoins, 18 lieux sont spécifiquement dédiés aux musiques actuelles, bien qu'ils s'attachent plus ou moins ponctuellement à développer des activités transversales, en lien avec le théâtre, la danse, le cinéma, les arts plastiques, etc. L'une des caractéristiques principales du secteur est la pluriactivité des adhérents, qui sont plus de 70% à proposer au moins deux types d'activités. 30% des acteurs sont des lieux pluridisciplinaires, et l'on constate que la diffusion de concerts est la principale activité des lieux (contre 24% en région). En termes de structuration, 62% ont plus de 10 ans d'ancienneté, contre 45% à l'échelle régionale. La majorité des structures sont en gestion associative, à 73% ; en régies directes pour 17% ; et une part encore minoritaire sont des sociétés commerciales, une tendance en légère hausse depuis 2005. Le Pince Oreilles évalue à 135 le nombre de salariés (dont 45 enseignants), dont 94% sont en CDI et 14% des contrats sont des emplois aidés. Leur moyenne d'âge est de 34 ans, les plus de 30 ans ayant un diplôme relativement inférieur au moins de 30 ans, eux étant plus fortement diplômés. Le budget moyen consacré aux musiques actuelles est de plus de 160 000€, toutefois, plus de 70% des structures du Pince Oreilles valorisent un budget inférieur à 100000€ et 12% entre 100000€ et 300000€. Depuis 2006, les financements publics sont croissants dans les budgets de ces structures révélant une faiblesse structurelle liée au secteur : « Plus de la moitié des structures (56%) ont un budget qui dépend à plus de 66% des financements publics ». En effet, pour un certain nombre de lieux ou de projets, majoritairement non-lucratives, leur économie repose sur une économie dite plurielle, basée sur différents principes liés au marché (achat/vente, prestations), indépendantes de lui (subventions publiques), et non-monétaire (bénévolat). L'économie générée par les ressources propres des structures du réseau représente un taux moyen de 23%. Aussi, l'échelon communal est particulièrement important puisqu'il représente plus de 48% du financement soit quasiment la moitié des financements publics. Avec l'intercommunalité, la part de financement public atteint même les 70%. À noter que depuis 2002, le Conseil Départemental soutient plus d'une dizaine de structures membres au titre du dispositif LEMA (Lieux d'Expression des Musiques Actuelles), mais ce soutien ne cesse de diminuer depuis plusieurs années, avec une baisse moyenne de 5% par an et par structures.

Répartition des financements publics

48,70%

21,40%

15,60%

6,30% 5,70% 1,50% 0,90%

42

Source : Focus 77 Les chiffres clés et les principaux enjeux des structures musiques actuelles en Seine-et-Marne, Pince Oreilles - Aides Emploi-Tremplin sont incluses pour la région.

Bien que largement représentatif des acteurs de musiques actuelles sur le territoire, le Pince Oreilles ne compte pas dans ses adhérents l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le champ des musiques actuelles en Seine-et-Marne. Le Pince Oreilles en a d'ailleurs recensé plus de 240 en 2013. Peu représentés, les cafés-culturels ou café-concerts sont pourtant relativement bien répandus sur le territoire, et pratiquent plus ou moins régulièrement une activité de diffusion, généralement de groupes locaux. Un premier recensement effectué par le réseau a permis d'en comptabiliser près d'une quarantaine, mais les données, souvent changeantes, nécessiteraient un repérage plus précis et suivi. Le chantier est donc à poursuivre étant donné la dynamique qu'entretiennent ses structures en matière de diffusion et de développement de la scène locale. Enfin, il est frappant de constater que près de 98% des membres se situent sur la frange Ouest du département, le milieu rural étant très peu représenté87. Cette inégale répartition interroge à la fois le rôle du réseau en tant que représentant territorial du secteur, et bien sûr, la prédominance du monde urbain en matière d'équipements consacrés aux musiques actuelles.

Les festivals

Selon le dernier Guide des Festivals du 7788 par le Pince Oreilles, on dénombre 32 festivals en 2016. Un chiffre qui varie chaque année : beaucoup disparaissent, d'autres se créent ponctuellement, et une partie est biannuelle, voir trisannuelle, ce qui fausse légèrement la

87 En annexe n°8, la carte des adhérents membres du réseau Pince Oreilles en juin 2016.

88 Recensement auquel j'ai pu contribuer lors de mon stage au sein du réseau de novembre 2015 à juillet 2016.

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réalité festivalière annuelle. Bien qu'un renouvellement permanent des festivals soit constaté, de nombreux projets s'éteignent malgré leur ancienneté (Voulstock, par exemple, n'aura connu que 8 éditions). Notons que l'âge moyen des festivals est de 7 ans, ce qui interroge sur leur réelle pérennité. Le Pince Oreilles faisait d'ailleurs le triste constat que « parmi les 32 festivals listés en 2008, 17 n'existaient déjà plus en 2012, soit plus de la moitié... »89.

Au regard de leur répartition90, on constate qu'à la différence de la cartographie des adhérents du Pince Oreilles, ceux-ci couvrent nettement plus densément le territoire. La concentration en zone urbaine est bien moins prégnante. D'autre part, la saison festivalière s'étend globalement de début avril jusqu'au début de l'automne. Le début de la période estivale, de juin à début juillet, concentrant près d'un tiers des dates, suivi par une reprise aussi intense de la fin du mois d'août jusqu'à la rentrée scolaire. Quelques festivals ponctuent la période hivernale jusqu'au retour du printemps. Enfin, plus de 80% des festivals sont portés par des associations, plus ou moins indépendantes. En effet, pour certaines, l'implication de leur collectivité leur confère davantage le rôle d'opérateur ou de co-porteur du projet.

Pratiques musicales et accompagnement

Selon le Pince Oreilles, plus de 850 groupes ou artistes ont été recensés en 2013 sur le territoire, représentant plus de 3400 musiciens (considérant qu'un groupe est composé de 4 musiciens). Un peu moins de 12% des groupes sont constitués en association, certaines pouvant fédérer plusieurs groupes. L'esthétique rock/punk est majeure, elle est représentée par 61% des groupes, suivi par le metal/hard (16%), la chanson (14%), la pop/folk (12%), le rap/hip hop (10%), le ragga/reggae (5%), les musiques électroniques (3%), le jazz et les musiques improvisées (1%), et les autres esthétiques (7%). Sur l'ensemble des structures du Pince Oreilles, plus de 430 groupes ont été accueillis en répétition, plus de 140 en enregistrement, en résidence ou en répétition sur scène et 382 groupes ont été programmés. Les ateliers et cours d'enseignement musical ont attirés plus de 1650 musiciens. Ainsi plus de 580 groupes ont profité des équipements proposés par les 24 studios adhérents. Difficile de connaître la part de groupes amateurs, toutefois, le taux de fréquentation élevé des studios de répétition tout au long de l'année, révèle l'importance de la « dimension d'intérêt général de cette activité » et de la nécessité du travail d'accompagnement des pratiques amateurs. Le réseau dénombre d'ailleurs

89 Réseau Pince Oreilles, État des lieux. Les chiffres clés et les principaux enjeux des structures musiques actuelles en Seine-et-Marne, 2013, p.10

90 Voir la cartographie de l'année 2016 : http://www.pinceoreilles.fr/news/guide-des-festivals-du-77-82

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plus d'une cinquantaine de studios au total répartis de manière relativement hétérogène sur l'ensemble du département91, hors adhérents compris. Aussi pour l'ensemble des groupes recensés, il n'y aurait en moyenne qu'un studio pour 17 groupes seine-et-marnais. Tout en sachant que leur répartition diffère d'une zone à une autre du département, ce constat interroge également sur les conditions d'accès, plus ou moins évidentes des groupes aux équipements.

III. Portrait des musiques actuelles dans le Gâtinais

3.1. Le Gâtinais, quelle ruralité ?

« Qu'entend-on par le Gâtinais ? C'est une question difficile à éclairer, car au cours des siècles, le Gâtinais a connu trois aspects différents: - Le Gâtinais primitif, à la période franque. - L'archidiaconé du Gâtinais. - Et le Gâtinais politique qui a varié bien des fois. »92

L'Atlas rural et agricole d'Île-de-France, paru en 2004, définit le Gâtinais comme étant « un pays caractérisé par une proportion importante de terres pauvres, voire incultes, les «gâtines». Axé sur les vallées de l'Essonne et du Loing, il a fait l'objet d'une proposition avortée de département à la Révolution. Par rapport au Loing, on distingue un Gâtinais occidental et un Gâtinais oriental. Dans l'occidental, plateau de Beauce et massif de Fontainebleau s'entremêlent en clairières et crêtes boisées. L'oriental est un pseudo-bocage, un pays d'élevage et de cidre entre des bois en lanières. Le Gâtinais est une ancienne terre d'apanage, on y cultive des produits du terroir spécifiques (cresson, safran, menthe, miel...). Sa pierre, le grès, était acheminée par train pour paver Paris. Le pittoresque et la sylve du Gâtinais bellifontain ont inspiré écrivains et peintres, dont l'École de Barbizon».93

Géographiquement, le Gâtinais s'étend sur quatre départements, l'Essonne, la Seine-et-Marne, le Loiret et l'Yonne et sur trois régions, l'Île-de-France, le Centre et la Bourgogne, mais ne représente pas une entité administrative à part entière. Si l'on devait délimiter une zone naturelle, le Gâtinais irait ainsi jusqu'à la Seine au nord, à l'Yonne à l'est, à la forêt d'Orléans au sud et à l'Essonne à l'ouest. Historiquement la capitale du Gâtinais était Château-Landon, à

91 Voir en annexe n°5 la cartographie des studios de répétition et d'enregistrement en Seine-et-Marne

92 Introduction à étude de l'Abbé Crespin, « Évolutions religieuses du Gâtinais au premier millénaire » dans le Bulletin de la Société d'Émulation, n°98, novembre 1995

93 Atlas rural et agricole de l'Île-de-France, DRIAF IAURIF, 2004, p.30

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l'extrême sud de la Seine-et-Marne. Par la suite, le Gâtinais fût scindé d'Ouest en Est, la partie Ouest correspondant au « Gâtinais français », qui s'étend à tout l'arrondissement de Fontainebleau94 et à une partie du sud de l'Essonne, autour de Milly-la-Forêt, avec pour « capitale » symbolique, Nemours. Divers auteurs s'accordent sur le fait que la partie dite « Gâtinais orléanais » correspondrait à l'ancien arrondissement de Montargis, une partie importante de l'arrondissement de Pithiviers, dans le Loiret. Avec la loi dite Voynet instaurant une nouvelle division administrative en « pays », le Gâtinais fut rattaché au « Pays du Gâtinais », regroupant 75 communes rurales, proche du Gâtinais montargois ou orléanais. Aujourd'hui, plusieurs communautés de communes peuvent se rattacher à l'ancien découpage en pays, et sont employés comme principal repère pour qualifier dans cette étude le Gâtinais : Les Terres du Gâtinais, le Pays de Fontainebleau, le Pays de Nemours, Moret Seine et Loing, le Gâtinais Val-de-Loing et le Bocage Gâtinais. Depuis 1999, une large part du Gâtinais Ouest est classé « Parc Naturel Régional », sur les traces du « Gâtinais français ».

Profil sociodémographique du Gâtinais

A partir de l'étude de la SEGESA (Société d'études géographiques économiques et sociologiques appliquées) sur l'espace rural en Île-de-France95, nous pouvons clairement identifier une typologie rurale, dans laquelle un groupe particulier se rattache majoritairement à notre zone d'étude. Il s'agit du groupe 4 ou « le rural traditionnel Francilien » qui se distingue par le gradient de ruralité le plus élevé96. Ce groupe est composé de communes assez petites (750 habitants en moyenne), peu attractives, marquées par le vieillissement de sa population (avec près de 20% de retraités), et où la population étrangère est la plus faible. Ce sont également les communes les moins bien pourvues en équipements et services privés et publics, avec un maximum de deux commerces par communes. Leur structure sociale marquée par une forte présence des retraités, est cependant en train de se transformer avec le basculement des générations, un rajeunissement est en cours, avec une variation de près 2,5% de jeunes de moins de vingt ans entre 1990 et 1999. En 2009, la part de moins de vingt ans sur le territoire sud seine-

94 L'arrondissement de Fontainebleau est une division administrative qui comprend : le canton de Nemours, de Moret-sur-Loing, de Lorrez-le-Bocage, de Fontainebleau, de Château-Landon et de la Chapelle-la-Reine.

95 Étude SEGESA, DREIF, DRIAF, Dynamique territoriale de l'agriculture et de l'espace rural en Île-de-France, 2005, p.23

96 En annexe n° 6 et 7 l'ensemble des éléments de l'étude de la SEGESA permettant de définir notre zone d'étude.

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et-marnais varie d'un minimum de 22% à presque 32 % selon les communes.97 Les ouvriers sont cinq fois plus nombreux que les agriculteurs. La mobilité y est très forte avec moins de 20 % des actifs travaillant dans leur ville de résidence. Notons que le rural traditionnel francilien se distingue du rural moyen du reste du territoire français, étant donné une densité deux fois plus élevée. On peut également inclure, dans le territoire étudié, quelques «pôles ruraux et périurbains», principalement axés le long du Loing, pour une taille moyenne de 5000 habitants. Près de 80% de ces communes ont plus de 20 équipements et services. Un tiers de leur surface est agricole, mais leur gradient de ruralité reste faible. Elles sont marquées par une forte proportion de retraités, et de faibles arrivées de jeunes. De plus, on peut également observer que cinq communes sur notre territoire font partie du groupe des « bourgs ruraux nouvellement attractifs », ce qui correspond à des communes d'une ruralité marquée, qui ne comptent pas plus de 1100 habitants, pour une surface agricole qui atteint près de 60% de leur territoire. Toutefois, on constate une augmentation de nouveaux jeunes arrivants, de catégories relativement modestes (peu de cadres) ainsi qu'une croissance démographique forte (4% par an), la plus importante hors villes nouvelles. Il convient de notifier la présence de communes appartenant au « rural résidentiel aisé », autour de la Forêt de Fontainebleau, avec une forte proportion de cadres (corrélativement à un faible taux d'ouvriers), un faible taux de chômage, et un taux élevé de résidences individuelles. Si leur indice de ruralité est peu élevé, l'équipement de base est lui limité, avec seulement 7 équipements en moyenne pour 1000 habitants. Enfin, la part de villes appartenant au « rural résidentiel des classes moyennes » est également à notifier. Avec 63% de sa surface employée aux terres agricoles, son taux d'équipement est aussi faible que pour le rural traditionnel francilien. Elles se distinguent avant tout par un taux de croissance démographique variant de 3 à 2% par an. L'accession à la propriété ou encore l'attractivité du foncier ainsi que la relative proximité avec les pôles d'emploi de l'Ouest peut expliquer l'accroissement du nombre de jeunes et d'actifs (plus de 3% entre 1990 et 1et999).

Il est à noter que l'étude de la SEGESA excluait, d'emblée, une centaine de communes «non-rurales» sur notre secteur d'étude, des villes de la grande couronne à savoir : Nemours, Fontainebleau et Montereau-Fault-Yonne. Des villes que nous ne pourrons pas entièrement exclure de cette étude étant donné les liens étroits quelles entretiennent avec leurs territoires limitrophes et les dynamiques croisées. Aussi, en se basant les critères établis pour cette étude (sur les six communautés de communes embrassant actuellement les limites naturelles du

97 En annexe n°10, la répartition de la population de moins de 20 ans par communes en Seine-et-Marne

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Gâtinais98), on constate que le taux de densité moyen est deux fois plus faible que la moyenne départementale, avec 119 habitants au kilomètre carré contre 222 sur l'ensemble du département. Lors de l'élaboration de cette présente étude, il est apparu essentiel de prendre en compte l'environnement démographique pour caractériser les structures étudiées et leur environnement afin de pouvoir véritablement parler de milieu rural. La proximité du Gâtinais avec des zones urbaines et périurbaines nécessite en effet de ne pas occulter ses potentiels démographiques et sa capacité d'accueil qui pourraient être davantage associé à l'urbanité. Néanmoins, notre exploration a pu confirmer le profil rural du Gâtinais et de l'inscription des lieux dans un environnement rural ou comme étant des lieux ruraux.99

3.2. Des lieux permanents de musiques actuelles

Notre précédent état des lieux sur l'ensemble de la Seine-et-Marne a révélé une proportion extrêmement faible de structures en milieu rural. Si l'est et le nord en sont quasiment dépourvus, on peut relever la présence d'au moins trois structures, dont au moins une des activités est dédiée aux musiques actuelles de manière régulière :

La Tête des Trains, au milieu des betteraves

Lieu rural

Nombre
d'habitants

Densité

Village

Tousson

368

27,8

Intercommunalité

Communauté de Communes Les Terres du

Gâtinais

11 381

54,0

Repère

Gâtinais

135458

119,1

Située à environ 25 kilomètres de Nemours et de Fontainebleau, la Tête des Trains, association de loi 1901, peut être considérée comme l'unique café-musiques du territoire sud seine-et-marnais. L'initiative de sa création revient à Pierre Beltante, héritier du café-épicerie familial dont il rachète le fond de commerce en 1981. À l'image des nouveaux lieux alternatifs émergents de l'époque (La Dame Bleue et Le Plan, à Ris-Orangis), cet ancien formateur AFPA et bénévole associatif, décide alors d'investir les lieux en diffusant des groupes, souvent « envoyés » par des amis, eux-mêmes gérants de cafés proposant des concerts (comme Le Fond

98 En annexe n°2, la nomenclature utilisée pour saisir la typologie du Gâtinais est présentée ainsi que les éléments nous permettant d'établir le profil des lieux étudiés.

99 Aussi pour chaque établissement étudié, le profil territorial et les éléments de notre nomenclature y sont exposés.

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de la Cour, à Brie-Comte-Robert). À une époque où les concerts étaient rares dans les cafés, la Tête des Trains s'est démarquée en étant un des seuls lieux de diffusion où l'entrée était gratuite.

Au fil des années et de l'engouement pour ce nouvel espace atypique, la programmation évolue et élargie les esthétiques (jazz, blues, musiques traditionnelles, rock, reggae). En 1997, le Conseil Général de Seine-et-Marne lance sur deux mois le festival « Jeune et musique 77 ». Un évènement qui marquera l'entrée du lieu dans un nouveau niveau de structuration en développant des relations avec les autres acteurs alors en place, les prémices du réseau Pince Oreilles : les 18 Marches (à Moissy-Cramayel), la Grange de Chessy, devenue File7 (à Magny-le-Hongre), l'Écoutille (à Courtry), L'Oreille Cassée (à Combs-la-Ville), l'Empreinte (à Savigny-le-Temple). Membre de la Fédération des Foyers Ruraux de Seine-et-Marne, la Tête des Trains propose également d'autres activités culturelles et récréatives (un ciné-club, des activités pour les enfants, des cours de gym, des ateliers d'écriture, etc.) et se pose comme un acteur essentiel de la vie locale en renforçant le lien inter-social entre villages (garderie, crèche, bibliothèque, journal du village, conférences-débats, etc.).

La Tête des Trains est structurée en deux : une partie « café commercial » sous licence IV et une partie associative, typique du fonctionnement des cafés-musiques (mais qui n'a jamais bénéficié de la labellisation ministérielle). Le lieu propose à l'année près d'une trentaine de dates (à raison en moyenne d'un concert tous les samedis soir, hors période estivale) dans une salle aménagée de maximum 90 places, ou hors les murs. En 2014, elle a accueilli plus d'une trentaine de musiciens en répétition issus de différentes esthétiques (musiques traditionnelles, rap, rock, chanson française), et pour certain, les a accompagnés dans le développement de leur projet artistique, via notamment des sessions d'enregistrement. La Tête des Trains est également à l'origine du festival « La Betterave Musclée », arrêté en 2015 après quinze éditions. Programmé sur plusieurs jours, l'originalité du festival reposait notamment sur l'implication des populations qui souhaitaient accueillir des musiciens chez eux.

La Tête des Trains compte actuellement un poste de coordinateur, ancien Emploi-Tremplin, aujourd'hui soutenu par la Caisse d'Allocations Familiales dans le cadre de la « Marmite des Rencontres », agrément obtenu en 2015 au titre d'Espace de Vie Sociale. L'association a également obtenu l'agrément « Jeunesse Éducation Populaire » par la Direction Départementale de la Cohésion Sociale. Elle bénéficie depuis 2013, d'une convention triennale avec le département au titre des Lieux Culturels de Proximité et de Lieux d'Expression des Musiques Actuelles.

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La Scala, une MJC au centre de Nemours.

Lieu urbain en environnement rural

Nombre
d'habitants

Densité

Commune

Nemours

12 824

1 184,1

Intercommunalité

Communauté de Communes du Pays de
Nemours

26 397

206,7

Repère

Gâtinais

135458

119,1

À 20 kilomètres au sud de Fontainebleau, la Maison de la Jeunesse et de la Culture de Nemours, La Scala, n'est pas un lieu spécifiquement dédié aux musiques actuelles. Néanmoins, une partie de ses activités sont tournées depuis 2006 vers l'accompagnement des pratiques musicales, l'enseignement musical et la diffusion. En 2009, elle est devenue membre du réseau Pince Oreilles. Créée en 1984, il s'agit d'une association de loi 1901, rattachée au service Jeunesse de la ville de Nemours. En tant que centre socioculturel, La Scala propose une large palette d'activités artistiques (danse et arts de la scène, arts visuels et créatifs), culturelles et pédagogiques, essentiellement pratiquées dans le cadre de cours. Elle compte une école de danse, une école de musique et deux studios de répétition (salle mixte de cours de musique et de répétition). Elle tend à rayonner sur l'ensemble du canton de Nemours.

Sur la quinzaine de manifestations annuelles de la MJC, on dénombre en moyenne 3 à 6 évènements musiques actuelles par an, pour une fréquentation moyenne d'une centaine de personnes. Globalement, elle accueille environ une dizaine de groupes en répétition à l'année. Elle est d'ailleurs à l'origine du « Tremplin Jeunes Talents - Musiques Actuelles » (anciennement nommé « Les Jeunes Talents Nemouriens »), organisé chaque année en partenariat avec la ville et l'association Musiqafon, qui reçoit sur son festival, le Notown, le groupe gagnant. Les soirées « November Metal Fest », faisaient encore partie de leur programmation annuelle il y a quelques années. Installé au Châtelet, local municipal dédié aux activités de l'association, celle-ci n'a pas de lieu spécifique de diffusion. C'est généralement la salle des fêtes municipale de Nemours qui accueille les évènements.

Principalement financée par la municipalité de Nemours, en lien étroit avec le service culturel, l'association bénéficie d'une convention triennale au titre de « Lieux Culturels de Proximité ». En tant que Maison de la Jeunesse est de la Culture, elle est reliée à l'Union Départementale de Seine-et-Marne des MJC, et sa Fédération Régionale des MJC d'Ile-de-France. L'association est gérée bénévolement et emploie dans le cadre des cours, une trentaine de professeurs.

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Fontainebleau Loisirs et Culture

Lieu urbain en environnement rural

Nombre
d'habitants

Densité

Commune

Fontainebleau

14 839

86,2

Intercommunalité

Communauté de Communes du Pays de
Fontainebleau

34 089

168

Repère

Gâtinais

135458

119,1

Au nord du centre-ville de Fontainebleau, sur le Mont Ussy, FLC est, à l'instar de son homologue nemourien, une Maison de la Culture et de la Jeunesse, créée en 1963 en association de loi 1901. Elle dépend essentiellement du service Jeunesse de la municipalité de Fontainebleau, qui lui attribue un bâtiment local entièrement aménagé pour les activités de l'association. L'association regroupe plus de 1500 adhérents, principalement issus du canton de Fontainebleau. Espace pluridisciplinaire, FLC décline ses principales activités en cinq secteurs : la danse, le bien-être, les arts plastiques, la culture et les loisirs, et la musique.

Le projet musique porté par FLC repose principalement sur une large proposition de cours, de formations musicales, et d'ateliers de jeu en groupe. Il tend à soutenir les pratiques musicales amateurs par un accompagnement liant la formation, la création et la diffusion. L'aménagement et l'équipement de deux salles de répétitions (salle mixte entre cours de musique et de répétitions) bénéficient à une dizaine de groupes amateurs et professionnels toute l'année, issus ou non des formations musicales proposées. FLC tient, dans la mesure du possible, à proposer un accompagnement aux groupes adhérents, qu'ils privilégient dans leur programmation. Depuis 2009, FLC est membre du réseau Pince Oreilles, à travers leur projet dédié aux musiques actuelles, « L'Amphi ». Il s'agit d'une salle plus ou moins dédiée à la diffusion de concerts au sein de leurs locaux, l'équipement de sonorisation est limité et la morphologie de la salle est peu adaptée, mais elle représente quand même une jauge de 180 places maximum. Il y a encore quelques années les concerts étaient également diffusés à La Halle de Villars, aujourd'hui complètement réhabilité en centre de loisirs, accueillant notamment d'un complexe cinéma. Occasionnellement, le Théâtre Municipal de Fontainebleau ouvre ses portes aux concerts des élèves et des groupes adhérents au FLC. L'association organise une dizaine de dates par an dans le cadre d'une série annuelle de concerts. Depuis quelques années, FLC délocalise ses rencontres musiques actuelles chez son partenaire le Kustom Café, un bar dans le centre-ville de Fontainebleau, proposant une série de soirées musicales ouvertes à tous : « FLC fait sa Jam ». Chaque année, l'association participe aux Fêtes

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de la Musique de Fontainebleau où une scène lui est dédiée. Elle y programme généralement les élèves issus des cours de musiques actuelles, et deux groupes des studios.

Principal financeur, la mairie de Fontainebleau subventionne l'association dans le cadre d'une convention d'objectifs renouvelée tous les deux ans. Elle est d'ailleurs l'association la plus subventionnée et la plus accompagnée de la ville. Le Conseil Départemental soutien la structure en tant que « Lieu Culturel de Proximité », mais ne l'est plus au titre de « Lieux d'Expression des Musiques Actuelles ». La majorité des salariés sont représentés par les enseignants, un responsable du personnel, un agent d'accueil et un responsable administratif. L'activité musiques actuelles est essentiellement encadrée par Juliette Bonin, animatrice culturelle.

Ainsi sur les trois structures permanentes présentées, toutes relèvent du champ de l'éducation populaire et ne sont pas entièrement destinées aux musiques actuelles. La pluri-activité est la règle, bien que chaque établissement porte un projet, plus ou moins solide et cohérent, pour tenter de développer à la fois la formation, la création et la diffusion, dans le souci d'accompagner les pratiques amateurs.

3.3. Musiqafon, principale association en faveur des musiques actuelles

MusiQafon, association de loi 1901, créée en 2008, est le fruit de huit années d'expériences menées avec la précédente association, Notown, pour le développement des musiques actuelles en milieu rural, sur l'arrondissement de Fontainebleau. À l'origine, Thierry Boccanfuso, instituteur à l'école municipale de Beaumont-du-Gâtinais, décide avec plusieurs amis d'organiser un festival d'été dans sa ville de provenance, Nonville. Le projet grandit d'année en année jusqu'à constituer un des piliers de l'offre musicale dans le Gâtinais, soutenu dès 2003 par le Conseil Départemental. En 2007, l'association avait déjà organisé plus d'une cinquantaine de dates, et travaillé en partenariat avec une dizaine de villes et d'acteurs du département. La création du collectif Musiqafon en 2008, réunissant alors 6 associations et plus de 80 groupes adhérents, s'appuie sur le besoin de fédérer les acteurs en place sur le territoire et de travailler conjointement sur un projet global de développement des musiques actuelles sur le bassin nemourien. Le constat partagé d'un manque de lieux adaptés et permanents ainsi que d'une typologie territoriale complexe (grandeur du territoire, nombreuses petites communes isolées), porte l'association à mener l'ensemble de ses actions de manière itinérante. Des actions entendues comme des réponses, tant aux besoins des musiciens

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en matière de diffusion, de création, de formation et d'accompagnement, qu'aux besoins de la jeunesse désireuse d'espaces d'expressions et d'évènements qui leur ressemblent ainsi que de possibilités de découvrir d'autres voies professionnelles et culturelles. La portée des actions de l'association évolue, et dépasse la sphère artistique et culturelle qui constituait le projet initial. L'association mène notamment des actions en établissements scolaires (primaire et/ou secondaire), des actions de sensibilisation aux risques auditifs, d'autres, à portée sociale, installées dans des communes isolées, ou dédiées à des quartiers sensibles.

Notown et Musibus

Le festival Notown est historiquement le projet principal de l'association. D'abord installé en plein air dans la commune de Nonville et puis de Nemours, il est depuis 2013 en partie « couvert », dans et autour de l'enceinte de la salle des fêtes de Nemours. La programmation se revendique, originellement, quasi -exclusivement locale, dédiée à la diffusion des artistes du territoire en manque d'espace de diffusion et de contact avec le public. Les esthétiques sont variées, le rock, le reggae, le metal et la chanson étant les plus représentées. En plus de quinze éditions, le festival accueille chaque année près de 1000 spectateurs, venus découvrir une vingtaine de formations musicales qui jouent « chez elles ». Le festival se veut également pluri-artistique, ouvert aux projets plastiques, chorégraphiques ou photographiques (expositions, graff, sculpture) d'artistes, et mêmes d'artisans locaux. L'évènement rassemble en grande partie un public jeune, de 15 à 35 ans, et familial, souvent de jeunes couples et leurs enfants. En 2010, le Musibus est venu s'ajouter au festival et plus globalement au projet itinérant de Musiqafon, réalisant, concrètement, un équipement mobile. Il s'agit en effet d'une scène musicale mobile, intégrée à un camion entièrement aménagé et équipé en matériels son et lumière professionnelles, encadrés par des techniciens. De villages en quartiers, de villes en communes isolées, le Musibus se déplace toute l'année dans près d'une vingtaine de communes. Les demandes d'organisation proviennent soit des communes en direct, soit des intercommunalités (majoritairement la Communauté de Communes Moret Seine et Loing). Les demandes peuvent également venir des jeunes souhaitant s'investir sur leur territoire (artistes ou non) et qui reconnaissent l'association comme un référent pour les aider à l'organisation de manifestations culturelles à dominante musicale. L'association se revendique d'ailleurs le principal référent de la « culture locale et jeune ». Avec près d'une quarantaine de

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manifestations musicales par an, l'association a accompagné environ quatre-vingts formations musicales locales, soit près de 250 musicien(ne)s.

Depuis l'obtention de l'agrément d'Organisme Jeunesse et d'Éducation Populaire en 2013, on peut noter une orientation de l'association dans le sens des politiques initiées par le Service Jeunesse du Conseil Départemental (traduites notamment par les projets « Place Aux Jeunes 77 »), devenu son principal financeur. Les actions en direction de la jeunesse se constituent dès lors en lien étroit avec le projet de développement des musiques actuelles sur le territoire. D'où l'intensification des liens avec les établissements scolaires, les centres socioculturels et MJC, et l'ouverture à d'autres activités artistiques et culturelles. Musiqafon bénéficie également du soutien de la CAF seine-et-marnaise dans le cadre de ses actions en direction des jeunes du territoire. D'ailleurs, l'année 2016 a vu émerger l'Underground Café, un bus anglais réaménagé par l'association en centre socioculturel itinérant. À noter que l'aide apportée par la Direction des Affaires Culturelles du département permet essentiellement de financer le festival Notown. En 2015, l'association comptait trois emplois aidés (deux emplois d'avenir, et un CUI), et a accueilli deux volontaires en Service Civique.

3.4. Les festivals, entre acteurs historiques et acteurs émergents

Tout comme à l'échelle du département, les festivals au sein du Gâtinais sont relativement bien répartis sur le territoire. Chacun se caractérise de par son ancienneté, son ancrage, son esthétique et son envergure.

Festival Django Reinhardt, une institution.

C'est en 1968 que naissent les prémices du festival, à la suite d'un premier évènement hommage à l'occasion du 15ème anniversaire du décès du guitariste jazz manouche dans la ville de Samois. D'autres hommages ponctueront les années 1970, organisés par les « Amis de Samois », jusqu'à la création, en 1983, du festival annuel sur l'île du Berceau, tous les derniers week-ends de juin, à l'initiative d'un groupe d'amis regroupé autour de Jean-François Robinet, maire de Samois, et Maurice Cullage, président de l'Académie de Jazz. Rapidement, le festival s'est imposé sur le territoire comme la référence en matière de programmation jazz, d'envergure nationale et internationale, et fête en 2016, sa 37ème édition. Se structurant d'année en année, le festival reçoit désormais sur cinq jours, une vingtaine d'artistes, et s'ouvre aux jeunes talents,

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avec la « Scène ouverte des luthiers », qui donne la possibilité à un groupe de se représenter sur la grande scène l'année suivante. En moyenne, le festival attire plus de 10 000 personnes par an et près d'une centaine de bénévoles sont mobilisés. Les partenaires institutionnels, professionnels et privés sont nombreux, on notera le partenariat fort avec la commune de Samois, de 2150 habitants, le Conseil Départemental, la région Île-de-France, la Communauté de Communes du Pays de Fontainebleau (dans le cadre du programme Fontainebleau Tourisme), les villes d'Avon et de Fontainebleau.

Lagrange Festival, la ruralité â l'honneur.

À l'initiative de trois jeunes amis originaires du village de Gironville, à une quinzaine de kilomètres au sud ouest de Nemours, le festival LaGrange est né sur la ferme agricole parentale de Baptiste Combe. Et c'est justement dans la grange, que la première édition voit le jour. Couronné du succès insoupçonné de cette première édition (plus de 600 personnes), la bande d'amis s'est fédérée au sein de l'association L'Studial en 2010. Particulièrement inspiré par le festival Notown, que les amis ont toujours fréquenté, le festival LaGrange est d'ailleurs épaulé par l'association Musiqafon, qui propose depuis leur 2ème édition l'installation du Musibus, à titre de deuxième scène. Tout comme son modèle, la programmation se veut exclusivement locale, avec en moyenne une dizaine de groupes programmés, essentiellement issus du sud de la Seine-et-Marne, du Loiret et de l'Essonne, départements limitrophes. Le festival se déroule sur une ou deux journées selon les années. Les esthétiques proposées se veulent variées : rock, punk, reggae, chanson française, ska, rap. Le festival s'élargit, d'abord sur le terrain familial, au sein et autour de bâtiments agricoles aménagés (hangars, grange, garages d'engins, etc.), et s'est délocalisé en 2016 sur le parc de l'ancien château de Gironville. La fréquentation moyenne est de 700 personnes, et celle-ci semble progresser chaque année. L'équipe bénévole se compose d'une cinquantaine de locaux. Le festival est soutenu par la Communauté de Communes du Gâtinais Val de Loing, la mairie de Gironville et le Conseil Départemental.

Au Bon Coin Festival

En 2016, le Au Bon Coin festival inaugure sa deuxième édition. À l'origine, c'est l'association Pucks, présidée par Sébastien Masson qui initie le projet d'un futur festival.

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Propriétaire d'un chapiteau installé dans la commune de Thomery, à dix kilomètres de Fontainebleau, au sein duquel l'association propose des activités de cirque du printemps à fin août, il propose à une dizaine d'amis d'organiser un évènement le temps d'un week-end où le chapiteau est vacant. En l'espace d'un mois et demi, le festival Au Bon Coin s'improvise, mobilisant les compétences d'un entourage déjà sensible au monde associatif et local, tous étant également originaires du sud de la Seine-et-Marne. Sur deux jours, une dizaine de groupes locaux seront programmés, des artistes généralement proches des organisateurs. L'évènement a accueilli modestement 400 personnes. L'association Pas Trop Loin de la Seine se créé en 2015 pour assurer l'organisation du festival. L'objectif est de proposer une programmation pluri-artistique locale, même si l'élément moteur reste la diffusion musicale. Spectacles de feu, animation jeune public, friperie solidaire, ateliers éco-responsables, à terme le festival se veut être un véritable village culturel. D'ailleurs sept associations locales sont mobilisées pour la deuxième édition et près d'une quarantaine de bénévoles. La mairie de Thomery soutient logistiquement (prêt de matériels, terrain et locaux) le festival, mais n'a pu soutenir financièrement celui-ci étant donné le lancement communal du premier festival Blues et Jazz de la ville en avril 2016. Le Conseil Départemental subventionne également le festival dans le cadre du dispositif « Projets Jeunes ». L'intercommunalité Moret Seine et Loing est absente du partenariat.

Les Gâtifolies, un festival de « néo-ruraux »

Sur la route entre Boissy-aux-Cailles et le Vaudoué, à près de vingt kilomètres au sud ouest de Fontainebleau , s'est tenue en mai 2016, la première édition des Gâtifolies, clairement rattachée au territoire Gâtinais. Une initiative qui revient à l'association Champ Libre, pilotée par Christine Amara, et composée pour l'essentiel de professionnels issus du spectacle vivant (chargé de compagnie, comédien, metteur en scène, directeur artistique et technique, etc.) et résidents depuis moins d'une dizaine d'années sur le territoire. C'est dans une visée à la fois culturelle, artistique et sociale qu'ils ont décidé de s'appuyer sur leurs compétences et réseaux relationnels pour proposer sur deux jours, un festival pluri-artistique. Des performances, des installations ainsi qu'une vingtaine de spectacles, dont une partie dédiée au public jeune, sont proposés : du théâtre, dont une pièce présentée en partenariat avec les Scènes Rurales et Act'Art, du cirque, de la danse et de la musique. Deux chapiteaux de cirque ont été installés sur une parcelle de deux hectares en jachère au sein du Parc Naturel Régional du Gâtinais. La

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programmation générale n'a fait intervenir que des artistes et compagnies professionnels, non issus du territoire. En matière musicale, trois artistes ont été diffusés, dont Nosfell et Jo Dahan, artistes d'envergure nationale. La première édition a accueilli près de 800 personnes, et c'est plus d'une soixantaine de bénévoles locaux qui ont été mobilisés. Les principaux soutiens publics proviennent des communes accueillantes, Boissy-aux-Cailles et Le Vaudoué, du Parc Naturel Régional, et de la Communauté de Communes Les Terres du Gâtinais. On notera l'implication personnelle du maire de Villiers-sous-Grez, M. Chevalier.

Une nouvelle génération : le Rainforest et la Douve Blanche

L'année 2016 semble avoir été vectrice d'initiatives, notamment en matière de programmation musicale dédiée aux musiques électroniques. Le Rainforest et la Douve Blanche, organisés étonnamment le même premier week-end de juillet 2016, ont tous deux proposés une offre musicale qui s'appuyait largement sur la scène électronique parisienne. Le Rainforest a organisé sa première édition sur le site du Grand Parquet de Fontainebleau. Pour l'occasion, deux scènes ont été installées : la grande scène, recevant les formations musicales, et la « CocoBeach » exclusivement dédiée aux Djs. Mise à part une artiste locale (Myon Myon), le festival a axé sa programmation sur les têtes d'affiches nationales et internationales (Arthur H, Etienne de Crécy, Ibeyi, La Fine Equipe) et artistes émergents (Sucré Salé, Bon Voyage Organisation). Fortement inspiré des modèles festivaliers parisiens (tels le Weather Festival, We Love Green, ou Rock en Seine) le Rainforest revêt un mode de fonctionnement professionnel, alors peu rencontré sur le territoire (équipement de sonorisation et scénique d'importance, sas de sécurité à l'entrée, carte de paiement dématérialisé, accès VIP, stands de restauration professionnel, etc.) ainsi qu'un concept mobilisateur : sport, éco-responsabilité et musique (village associatif composé d'associations environnementales). En matière de financement publics, on retrouve le soutien de la Communauté de Communes du Pays de Fontainebleau et du Conseil Départemental.

La Douve Blanche est installée depuis deux éditions sur le site atypique du domaine du Château d'Égreville, à vingt kilomètres au sud-est de Nemours. À l'initiative du jeune label musical parisien Animal Records, dont un des membres est issu de la famille propriétaire du château, ce festival, programmé sur deux jours, accueille près d'une trentaine de formations, dont des têtes d'affiches (Jacques, Bagarre, Molécule), essentiellement issues de la scène électro-pop française et parisienne, ainsi que des artistes étrangers aux esthétiques rock et rap. De 17h à

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2h du matin, les groupes s'enchaînent suivi de Djs sets jusqu'au matin. Entre concept visuel, gastronomique et artistique, l'objectif affiché est d'attirer un public jeune, certainement parisien, attiré par un line-up spécifique et un cadre idyllique, à un peu plus d'une heure de Paris. Entièrement produit par le label, l'ambition du festival est de devenir le nouvel évènement incontournable de l'été parisien. Déjà bien identifié, il accueille en moyenne 1500 personnes sur deux jours. On notera l'implication promotionnelle de la ville d'Égreville, mais une relativement faible implication des populations locales.

3.5. Bars et concerts, d'autres lieux de diffusion

Faciles d'accès pour les groupes amateurs, les bars, pubs et autres cafés proposant de la diffusion sont particulièrement privilégiés pour se construire une première expérience de la scène, un premier contact avec le public. On notera l'activité régulière du « Kustom Café », un bar au centre de Fontainebleau, qui diffuse, une à deux fois par semaine, un groupe amateur ou semi-professionnel local, dans un registre majoritairement rock et chanson. Il accueille également les soirées « FLC fait sa JAM » depuis deux années. Dans une rue avoisinante, le « Glasgow », un pub irlandais, propose également des scènes ouvertes une fois par mois, et diffuse chaque jeudi des groupes, essentiellement locaux, aux esthétiques principalement rock et chanson. S'il s'agit des seuls établissements recensés sur le territoire du Gâtinais, on peut également faire remarquer la présence du BlackBird à Barbizon, et du O'Paddy à Chailly-en-Bière, deux bars situés à une dizaine de kilomètres au nord de Fontainebleau, qui accueillent régulièrement des concerts. Cet ensemble de lieux de diffusion plus alternatifs, est relativement bien identifié par certains cercles d'amateurs et de formations musicales qui cherchent à être programmé. Les conditions techniques et financières sont souvent précaires, mais ces établissements participent fortement à la construction d'une identité musicale et sociale des groupes, qui se confronte à un premier public, souvent local, susceptible de vouloir les suivre à l'avenir.

Ainsi, nous avons pu établir les caractéristiques tant géographiques que sociodémographiques qui composent notre territoire d'étude et esquisser les principaux acteurs impliqués tant dans la diffusion que l'accompagnement des pratiques musiques actuelles. Tous participent à une dynamique plus ou moins locale et pérenne qui nous permet d'envisager les éléments qui constituent aujourd'hui le paysage musical du Gâtinais. L'existence de l'ensemble

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de ses projets témoigne d'une réelle diversité d'actions de diffusion, de propositions musicales (et surtout pluri-artistiques) et d'initiatives originales. La ruralité ne semble pas empêcher à certaines idées, envies et volontés de se réaliser. Toutefois chaque projet revêt d'un rapport plus ou moins complexe avec son environnement. D'une part, il s'agit de saisir en quoi les éléments géographiques et démographiques peuvent contraindre le développement des musiques actuelles sur cette partie rurale du territoire, et de quelle manière ceux-ci participeraient à renforcer les disparités. D'autre part, dans une large partie des cas, la possible réalisation et pérennisation des projets relève de l'intérêt et de l'investissement des collectivités. L'objectif étant de mieux comprendre la manière dont les acteurs du territoire interagissent avec les pouvoirs publics locaux et dans ce cadre, d'appréhender les problématiques qui pourraient limiter leurs projets. Enfin, il s'agit d'analyser, à l'échelle locale, l'interaction des acteurs entre eux et de tenter de saisir en quoi certaines relations seraient susceptibles d'impacter le développement des musiques actuelles, ou tout du moins donner lieu à des logiques particulières.

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PARTIE 2

Les limites au développement des musiques

actuelles dans le Gâtinais.

Analyses et compréhension des difficultés rencontrées.

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I. Inégalités spatiales et territoriales, quels effets ?

1.1. L'inégale répartition des équipements facteur d'inégalité de pratiques

Nous l'avons vu, le principal constat observable sur le territoire seine-et-marnais est le déficit d'équipement au nord, à l'est, et au sud. La corrélation de ces disparités avec la nature rurale du territoire tendrait à témoigner d'un désintérêt des politiques publiques pour une part notable de la population et de ses besoins. L'enjeu des politiques étant aussi bien de répondre à la forte demande sociale en matière musicale, comme étant l'une des activités culturelles préférées des Français100, que de permettre de développer les conditions d'accès aux équipements, aux services culturels et aux lieux de proximité « avec une répartition géographique compensant les déséquilibres centre/périphérie, zones urbaines/zones rurales, Paris/régions, etc. »101.

Le Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, mis en place en 2004, à la demande des acteurs et professionnels du secteur, a souligné, dans son Plan pour des politiques nationales et territoriales concertées en faveur des musiques actuelles, l'importance des Concertations territoriales pour combler les inégalités sociales et territoriales à travers, notamment, la proposition d'élaborer les «schémas territoriaux de développement des musiques actuelles»102. Cette proposition aboutira à la circulaire du 31 août 2010, dont l'objectif est de développer les SOLIMA103 et de dégager des perspectives d'avenir pour les lieux de Musiques Actuelles. Ces schémas visent à prendre en compte l'intérêt de « l'équité territoriale », en rappelant que « le maillage territorial, permettant de répondre â la demande dans le respect des diversités des musiques actuelles, est loin d'être achevé ». Cette circulaire met en avant « les écarts territoriaux » en matière d'aménagement, de diffusion, de production et d'apprentissage, surtout en territoires ruraux.

Et c'est notamment en matière de pratiques amateurs que ses écarts peuvent générer de véritables inégalités. Concrètement cela se traduit par des constats plutôt négatifs des musiciens sur leur propre territoire : « Il manque des locaux de répétition, il manque des studios, ouais il

100 Sondage de la SACEM conduit par Sofres de mai 2005, indique que près de 74 % des Français estiment ne pas pouvoir se passer de musiques, devenues un des loisirs culturels préféré des français. En 2011, près d'un français sur deux (47%) déclare que la musique est une de leur activité culturelle préférée, la plaçant en troisième position après la lecture et la télévision.

101 Berthod-Weber, Rapport de soutien de l'état aux musiques actuelles, 1998, p.55

102 CSMA, Plan pour une politique nationale et territoriale des musiques actuelles, 2004

103 Schémas d'Orientation de développement des Lieux de Musiques Actuelles

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manque vraiment des structures d'accompagnement des artistes. Y'a pas beaucoup de structures donc euh...malheureusement, on fait du bruit, ça embête les voisins. »104 La concentration des lieux structurants sur la frange urbaine entraîne, sur le reste du département, un déficit d'accompagnement des jeunes formations musicales. Selon nos constats, le nombre d'espaces de répétition n'est que de trois : au FLC de Fontainebleau, à la MJC La Scala, et de manière moins permanente, à la Tête des Trains. Si l'on estime le nombre de groupes amateurs sud seine-et-marnais, ayant déjà une activité de diffusion, entre soixante et quatre-vingts formations musicales locales, il est difficile d'envisager que les équipements présents sur le territoire puissent accueillir à l'année l'ensemble de ses groupes. De plus, on peut remarquer que le manque de personnel dédié rend la transmission complexe. Comment former quand on ne l'est pas soi-même ?

Les dispositifs destinés au repérage et au développement des formations musicales sont eux aussi concentrés sur les zones urbaines du département et bénéficient difficilement aux groupes ruraux105. Une situation qui peut s'expliquer par la faible visibilité de ces dispositifs, et le manque de projets similaires organisés entre les seules structures du Gâtinais. Bien évidemment, ce serait à tort d'imaginer que ces structures ne souhaiteraient pas développer ce type de dispositifs, en témoigne les soirées « tremplin » et la dizaine de musiciens accompagnés chaque année dans la diffusion et l'élaboration scénique de leurs projets musicaux. Toutefois, on peut s'interroger sur la véritable portée de ses expériences comparées aux programmes « complets » proposés par les structures dédiées en matière d'accompagnement aussi bien technique qu'artistique (gestion sonore, utilisation et réglage du matériel, arrangement, coaching, prévention des risques auditifs, etc.). Les répétitions sont donc bien souvent organisées chez les particuliers, dans les sous-sols des pavillons, les caves, les granges ou les bâtiments agricoles, qui deviennent les lieux de rendez-vous des copains amateurs de musique et plus largement de leur proche entourage, leurs premiers fans.

Les mêmes difficultés se présentent en matière d'enregistrement. Passage obligé des groupes en développement, l'enregistrement d'un support sonore est une étape cruciale dans le

104 Propos recueillis d'après l'interview réalisé par l'association Musiqafon dans le cadre du projet « La culture, le 77 et moi » initié par le projet Place Aux Jeunes par le Service Jeunesse de Seine-et-Marne. Les jeunes répondants sont des lycéens de Nemours et Fontainebleau.

105 Les dispositifs recensés par le réseau Pince Oreilles sont : le Mégaphone, élaboré entre la Boîte de Concert, à Pontault Combault, et le Pub ADK à Roissy-en-Brie ; le FÔG (Formations Ô Groupes) rassemble lui L'Empreinte, à Savigny-le-Temple, Le Potomak, à Brie-Comte-Robert, L'Oreille Cassée, à Combs-la-Ville, et La Citrouille à Cesson ; et Eureka, mis en place entre Les Cuizines de Chelles, et File7 à Magny-le-Hongre.

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parcours d'un artiste ou d'un groupe. Globalement, la diffusion, la répétition et l'enregistrement sont des activités intimement liées au sein des équipements dédiés aux musiques actuelles, traduisant une volonté d'intégration cohérente et même indispensable. Les studios de répétition de type sociétés commerciales, sont généralement à l'initiative de professionnels du secteur musical, ou de musiciens désireux de répondre par leurs propres moyens à la demande locale. Il en résulte parfois un manque de visibilité et une inadéquation entre le besoin d'être accompagné et la prestation de service purement commerciale. Certains développent leur propre home studio mais cela ne va pas sans investissement, ni sans un minimum de connaissances techniques, qui bien souvent relèvent de l'autodidactie.

Aussi, il ne faut pas sous-estimer l'impact de cette situation inégalitaire sur le propre parcours des artistes et les difficultés que peuvent représenter le passage du statut d'artiste local à celui d'artiste d'envergure départemental. Une évolution qui nécessite, à un certain stade, d'être repéré, pour au moins espérer être programmé dans un espace entièrement dédié à la diffusion des musiques actuelles, en milieu urbain. Les difficultés qui en découlent, lorsque l'offre est insuffisante ou insatisfaisante, peuvent parfois alimenter un réel sentiment d'injustice. L'isolement territorial et ses conséquences en matière d'éloignement des services et des espaces de pratiques peuvent désavantager les populations rurales, et notamment les jeunes. Si inégalités de pratiques et inégalités territoriales peuvent ainsi être corrélées, elles peuvent également présenter un caractère cumulatif, notamment si l'on est jeune et rural.

1.2. Jeunesse et pratiques culturelles, quelles contraintes en milieu rural?

Nées de l'intérêt des politiques publiques pour les pratiques culturelles des «jeunes», les musiques actuelles ont initialement été investies lors d'une démarche plus large de légitimation et de construction d'une certaine catégorie de publics. Philippe Teillet106 nous expose la manière dont s'est construit l'intérêt des pouvoirs publics dans le domaine des musiques actuelles, davantage soucieux de cibler des publics que d'exiger une certaine qualité artistique : « s'est constitué au coeur de l'intervention culturelle publique un secteur dont la légitimité reposait moins sur la valeur attribuée aux productions artistiques (...) que sur le souci

106 Maître de conférences en sciences politiques. Responsable des masters professionnels "Direction de projets culturels" à l'Institut d'Études Politiques de Grenoble et "Direction d'équipements et de projets dans le secteur des musiques actuelles et amplifiées" à l'Université d'Angers. Les travaux de Philippe Teillet s'articulent autour de la question des politiques culturelles, plus particulièrement dans le champ des musiques actuelles.

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des publics identifiés comme étant majoritairement ceux de ces productions. »107 Ce secteur résulte de l'attention que portaient les politiques publiques sur des catégories de publics alors peu ou pas considérées : les publics dit « jeunes » de 16 à 25 ans, les publics des quartiers défavorisés, les publics des banlieues. Il est d'ailleurs curieux de noter qu'ici, on parle de pratiques à la fois « jeunes » et « urbaines », une association de termes qui omet ce qu'on serait alors tenté de qualifier de pratiques « jeunes et rurales ». La jeunesse rurale ne serait-elle que le réceptacle après-coup de ce qui se construit en ville ? D'ailleurs, qui dit jeunesse en difficulté sous-entend jeunes des banlieues, la « culture jeune » semble fortement entretenue dans une vision assez stéréotypée et caricaturale de la jeunesse populaire banlieusarde représentée par les rappeurs, les punks et autres blousons noirs. C'est ce que suggère Nicolas Renahy : « Les jeunes ruraux, lorsqu'ils sont pris en considération (et qu'ils ne sont pas seulement perçus comme des « ploucs »), apparaissent comme le négatif de leurs homologues urbains : moins formés, moins cultivés... »108

La Seine-et-Marne est un département particulièrement jeune. La part des 0-19 ans est de 28,3%109, le plaçant comme le troisième département le plus jeune de France. Bien que leur répartition soit, elle aussi, hétérogène, la présence forte de jeunes sur l'ensemble du territoire est effective. Variant de 22% à plus de 28% sur le Gâtinais, les jeunes représentent plus de deux seine-et-marnais sur dix en zone rurale ou périurbaine. Aussi, l'opposition entre les jeunes ruraux et urbains, au même titre que leur population entière, n'a plus de sens au regard de leur modes de vie, leurs valeurs et leurs pratiques qui s'homogénéisent autour d'un standard urbain110. Ce n'est donc pas le lieu de résidence qui modifie l'intérêt commun pour les activités culturelles et musicales, ni « pour les pratiques de sociabilité entre pairs qui constituent en quelque sorte le ciment des cultures adolescentes. »111 Les variations qui ont pu être observées entre les pratiques des urbains et des ruraux semblent, en partie, produites par les caractéristiques et configurations spatiales dans lesquelles ils évoluent, même s'ils ne sont

107 Teillet Philippe, « Publics et politiques publiques des musiques actuelles », O. Donnat, P. Tolila, Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.155

108 Renahy Nicolas, Les Gars du coin, Paris, La Découverte, p.19

109 Voir en annexe n°10, la répartition des moins de 20 ans sur le département de Seine-et-Marne

110 Olivier David, « Le temps libre des jeunes ruraux : des pratiques contraintes par l'offre de services et d'activités de loisirs », Territoires en mouvements, Revue de géographie et aménagement, n°22, 2014

111 Olivier David, op.cit, p.85

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« jamais des facteurs déterminants »112. En effet, ces tendances à l'uniformisation ne gomment pas pour autant toute influence de la variable territoriale.

L'étude de 2007 sur les jeunes dans les espaces de faible densité113 a permis de mettre en évidence différents profils, types de rapports et de modes de vie des jeunes au sein de leur territoire. Pour certains ruraux, ou périurbains, « les espaces de faible densité, représentés comme des espaces fermés, jouent un rôle de piège »114. Leur espace de vie se caractérise par des termes peu mélioratifs, notamment chez certains jeunes du Gâtinais115 : « Ça bouge pas assez, enfin dans le 77 y'a rien ! », « C'est trop tranquille, il faut casser la routine, faut bouger un peu quoi. », « Bah je trouve que ça bouge pas assez », « On est trop isolé en Seine-et-Marne en fait ». Ils reprochent surtout à ces territoires de manquer de modernité et d'activité. La ruralité fantasmée, perçue comme un paradis naturel, se heurte ici aux réalités locales, à savoir la monotonie et l'isolement. Un décalage qui renforce le sentiment d'être piégé. Comme le souligne les auteurs, « il y a comme une peur de la ligne droite toute tracée, de la routine qui se projetterait sur l'espace de vie ». Toutefois, le territoire peut aussi représenter pour ces jeunes « un rempart contre les problèmes, un gage de qualité de vie. »116 Même s'ils reconnaissent qu'il n'est pas toujours aisé de vivre à la campagne, ils s'accommodent au quotidien, font preuve de débrouillardise et élaborent leurs propres tactiques. Le territoire fonctionne pour eux comme un refuge, une enceinte loin des dangers de la ville, bien qu'ils n'y soient pas imperméables. D'ailleurs, ils regrettent les stigmates des adultes ou des politiques locales sur le caractère problématique de la jeunesse. Une situation qui renforce par ailleurs, le besoin d'autonomie et d'indépendance d'un dernier groupe de jeunes identifié par l'étude. Pour eux, ces espaces sont sources d'épanouissement et ils s'en disent fiers. Il s'agit du seul groupe identifié où s'affirme le sentiment de devoir animer ces territoires, de s'impliquer dans la vie locale par le biais d'associations. Les territoires représentent un espace des possibles, dans lequel la mobilité est adaptée, et est moins appréhendée comme une source de difficultés.

112 Escaffre Fabrice, Gambino Mélanie, Rougé Lionel, « Les jeunes dans les espaces de faible densité : d'une expérience de l'autonomie au risque de la captivité », Société et jeunesse en difficulté, n°41, 2007,

p.5

113 Ibid.

114 Ibid. p.8

115 Propos recueillis d'après l'interview réalisé par l'association Musiqafon dans le cadre du projet « La

culture, le 77 et moi » initié par le projet Place Aux Jeunes par le Service Jeunesse de Seine-et-Marne. Les jeunes répondants sont des lycéens de Nemours et Fontainebleau.

116 Escaffre Fabrice, Gambino Mélanie, Rougé Lionel, Op. Cit. p.9

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1.3. La mobilité en question.

La façon dont la jeunesse entrevoie son territoire de vie est un indicateur d'importance. Elle résulte bien sûr des configurations spatiales mais aussi des manières de maîtriser son environnement, en termes de distances aussi bien géographiques que symboliques. Aussi, la mobilité apparaît comme un enjeu majeur, capable d'influencer directement les sociabilités, notamment des jeunes, dans leur rapport aux études, à l'emploi, et à leurs loisirs.

Quand on interroge les jeunes sud seine-et-marnais sur les évolutions à entrevoir en termes d'accès à l'offre culturelle sur leur territoire, et plus globalement, en matière de service, le manque impérieux de transport est largement mis en avant : « Au niveau des transports, je trouve quand même y'a un problème. Moi j'habite dans un petit village, et c'est vrai que c'est pas évident de se déplacer â l'intérieur du département. », « Bah du transport, des activités...euh...oui...des choses qui font vraiment changer la vie de tous les jours. », « Ah, qu'est-ce qui manque...Bah en premier se serait les bus, parce que chez moi y'a pas du tout de bus », « Bah quand t'as pas de permis...bah t'es coincé. ».

Le réseau de transport sud seine-et-marnais est en effet peu dense. La ligne 34 du Seine-et-Marne Express, ligne de bus principale qui dessert cinq communes entre Melun et Château-Landon (et Égreville autre terminus), se concentre uniquement sur l'axe nord-sud parallèle au Loing. Il en est de même pour la ligne R du Transilien, qui relie les gares de Souppes-sur-Loing à Paris, mais qui ne dessert que quatre gares sud seine-et-marnaises. Les bus intercommunaux sont pour l'essentiel réservés aux transports scolaires. En matière d'horaires, les services par bus ou par voie ferroviaire n'excèdent généralement pas 23h ou minuit et pour certains 20h. Notons que le fait même de pouvoir accéder à un de ses services nécessite d'être véhiculé. Alors, certes si le problème se pose moins pour les 86% de ménages seine-et-marnais qui disposent d'au moins un véhicule, elle se pose aussi bien pour la jeunesse, que pour les plus démunis.

Avoir le permis, c'est s'offrir un avenir, c'est passer du stade d'adolescent à celui d'adulte indépendant ou tout du moins autonome. Dans les communes isolées, peu ou pas desservies, cela peut aussi dire accéder à d'autres formes de vie sociale, hors du cadre familial ou scolaire. En matière d'accès à l'offre culturelle, la dépendance à la voiture s'avère forte en zone rurale compte-tenu des horaires généralement tardifs des concerts qui corrèlent mal avec ceux des services de transports. Aussi, certains doivent compter sur un(e) ami(e), un proche ou un membre de la famille, plus ou moins enthousiasmé pour effectuer les déplacements. Les coûts de consommation d'essence ne sont d'ailleurs pas à sous-estimer. Bien que les distances à parcourir, parfois longues, soient le lot quotidien d'une partie de la population du Gâtinais,

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lorsqu'il s'agit de se rendre dans un équipement dédié aux musiques actuelles en Seine-et-Marne, elles peuvent potentiellement dissuader (par exemple, pour se rendre à L'Empreinte, à Savigny-le-Temple, salle dédiée la plus proche du Gâtinais, il faut compter, selon l'éloignement, plus d'une centaine de kilomètres à parcourir aller et retour.).

Si les distances et l'éloignement peuvent représenter un frein pour la jeunesse selon certains acteurs, comme Musiqafon, d'autres en revanche, comme Pierre Beltante de la Tête des Trains nuance toutefois cette situation : « Moi je pense que pour avoir un public plus jeune, il faut être en milieu urbain pour faire ça. Parce que le public plus jeune ici, les mecs ils ont une voiture, quand ils commencent â avoir une voiture tout ça, ils vont aller en ville, lâ où y'a de la moquette, des néons, des trucs qui flashent quoi. (...) Un gamin qu'a jamais voyagé, il préfère aller où y'a des néons, où y'a de la moquette, où ça brille quoi et de la musique qu'il aime. (...) en plus les jeunes qui pourraient venir si ils sont très jeunes faudrait qu'ils viennent en mob', d'un village â l'autre, donc lâ c'est.... Bah c'est galère. Une salle en milieu urbain, comme La Fontaine, le Potomak, du côté Cuizines, l'Oreille Cassée, tout ça, ils viennent plus facilement. ». Pour Pierre Beltante, la ville représenterait pour ces jeunes le cadre privilégié des pratiques culturelles ou festives. Un constat qui peut s'expliquer par une certaine passivité des jeunes à l'égard des activités proposées localement, ou par un manque de visibilité de l'offre en zone rurale.

Ainsi, les modalités d'accès à l'offre sont intimement liées à la maitrise de la mobilité, de son environnement social (en termes de ressources mobilisables à l'échelle de l'entourage), des configurations spatiales (en termes d'appréhension des distances) et des possibilités matériels et financières (avoir une voiture, savoir maîtriser les services de transports). Ces constats invitent à poursuivre notre réflexion sur les politiques mises en oeuvrent à l'échelle locale pour prendre en compte ces inégalités et tenter de les réduire.

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II. La place des musiques actuelles dans les politiques locales

Les années 1980 et 1990 se caractérisent, nous l'avons vu, par un développement des initiatives locales et un rôle croissant des collectivités territoriales dans le champ des politiques culturelles et d'aménagement du territoire. Cette réalité, associée au processus de décentralisation administrative et politique, est aussi une conséquence des évolutions de représentations et de perceptions. Celles-ci sont centrales dans l'appréhension des problèmes publics ainsi que dans la définition des réponses apportées.

2.1. Le poids des représentations.

« Aborder le monde rural et la politique culturelle dans le monde rural, c'est se confronter au même dialogue de sourds, ou plutôt â cette même absence de dialogue, tant ceux qui parlent son pétris de certitudes, d'images toute faites, de pensées prêtes-â-l'emploi et d'une histoire que personne n'ose vraiment finir. » 117

La mise en place de politiques locales dépend des enjeux sociaux mais aussi des représentations et des valeurs sociales portées par les acteurs institutionnels, collectifs, et même individuels. En ce sens, l'espace est un produit concret et matériel, mais aussi symbolique et idéologique dans lequel les acteurs développent des stratégies qui dépendent de leurs idées et valeurs spécifiques. On peut suggérer que la définition de politiques et de choix d'action spécifiques soit aussi influencée par une certaine subjectivité de la part des acteurs publics, tous autonomes dans leur façon de penser et de réfléchir. Les représentations, les valeurs et les croyances qui dominent au sein de la société influent aussi dans le domaine des musiques actuelles et des politiques en sa faveur. Nous l'avons vu, ce champ a été investi par les pouvoirs publics, visant en grande partie, à prendre en compte des catégories de publics jusqu'alors peu représentées, et notamment la jeunesse. Il n'est pas rare de constater que l'inscription des musiques actuelles au sein des politiques locales soit intimement liée à un projet de politique en direction de la jeunesse118. En témoigne les deux Maisons de la Culture et de la Jeunesse sur notre territoire qui portent un projet musiques actuelles ainsi que les nouvelles orientations

117 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines, culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p. 25

118 La dernière étude réalisée par la FEDELIMA sur les lieux de musiques actuelles en milieu rural et en zone urbaine en environnement rural, démontre que plus de 65% des structures bénéficient de l'agrément Jeunesse et Éducation Populaire

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prises par l'association Musiqafon, davantage tournée vers le développement des projets « jeunes ».

Toutefois, comme le souligne Florence Lefresne et Patricia Loncle, il est « impossible de traiter le [la jeunesse] aujourd'hui sans se référer aux catégories de l'action publique dans le champ de la formation, de l'emploi, de l'action sociale, du logement, de la ville...qui, peu ou prou, forgent des représentations, voire des identités sociales : « jeunes en échec scolaire », « jeunes des quartiers », « jeunes en difficultés »... »119. Ces conceptions ont tendances à stigmatiser la jeunesse en ne l'entrevoyant qu'à travers ses problèmes. Ces représentations peuvent être conjuguées, à celles, tout aussi caricaturales, des musiques actuelles et du secteur lui-même. À un niveau idéologique, la construction forte du secteur des musiques actuelles sur des valeurs d'indépendance et sur la revendication d'une certaine forme de contre-culture, peut être mal perçue par certains acteurs publics et élus locaux, en témoigne les propos de Pierre Beltante de la Tête des Trains : « Bah les élus locaux ils ne s'intéressent pas â nous ! Pour eux c'est un lieu qui est rempli de...Le conseiller général B. dit qu'il était agressé par des « harpies gauchistes ». Je ne sais pas comment il peut imaginer un truc pareil. (...) C'est des mondes parallèles tu vois. » Par ailleurs, les acteurs des musiques actuelles, revendiquant également de travailler sur des esthétiques populaires, ne sont pas, à la différence d'autres domaines artistiques, comme le théâtre, complètement légitimés par les pouvoirs publics.

Les différents acteurs interrogés lors de cette étude, ont majoritairement souligné l'influence des représentations personnelles des élus sur le domaine, et leur manque, plus ou moins important, de connaissances du secteur. La question du décalage culturel, évoquée par Philippe Berthelot, interroge le fonctionnement d'une certaine génération d'élus, qui ne se sentent pas en accord avec les projets musiques actuelles. Un décalage accentué, selon lui, en milieu rural, où l'ancienneté de certains mandats se couple à une vision conservatrice de l'action publique. Champ d'intervention relativement jeune, les musiques actuelles sont entrées tardivement dans le champ d'intervention des politiques publiques. Aussi, sans faire de corrélations trop générales, on peut toutefois concevoir cet écart générationnel et culturel au vu du profil socioprofessionnel des maires de Seine-et-Marne, qui sont représentés en majorité par des agriculteurs et retraités agricoles (17.9%), suivi des retraités du secteur privé (14.20%) et des

119 Patricia Loncle, Les jeunes : questions de sociabilité, questions de politique, La Documentation Française, Coll. Études, 2007

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retraités de la fonction publique (5.25%). Une étude120 sur les caractéristiques des maires en milieu rural, a révélé que 66,5% des élus interrogés envisagent l'action municipale comme devant participer au « maintien de l'héritage et de la personnalité traditionnelle de la commune » et à « la sauvegarde d'un cadre vie traditionnelle ». Un objectif politique qui serait susceptible d'entrer en conflit avec l'image plus « moderne » et « innovante » des musiques actuelles.

Il serait pertinent d'approfondir ces analyses sur le profil culturel des élus et leur degré d'appétence pour la culture et ses domaines afin d'apporter une conclusion objective du niveau d'influence sur les actions publiques en faveur des musiques actuelles. C'est ce que suggère d'une certaine manière Véra Bezsonoff, actuelle chargée d'accompagnement et de structuration des adhérents de la Fédélima, qui nuance l'apparent désintérêt des élus pour la culture, tout en admettant la possible influence du goût individuel : « Je ne pense pas qu'on puisse dire du coup, en milieu rural, les élus sont moins sensibilisés aux problématiques culturelles qu'en milieu urbain (...) c'est des politiques, c'est gens là ont été élus, mais effectivement ils n'ont peut être pas beaucoup de considération pour les musiques actuelles, peut-être qu'ils préfèrent l'opéra et le théâtre... » C'est également ce qu'induit le directeur de la Tête des Trains, qui considère que le désintérêt du maire local pour sa structure, peut aussi s'expliquer par ses préférences esthétiques musicales : « Le maire de Tousson il ne s'intéresse à rien... Je veux dire on l'a jamais vu â un concert. Le tango argentin ça lui plaisait alors on a fait un jour une chanteuse, elle chante l'argentine, elle chante le tango, mais ce n'est pas le tango pour danser. Donc il est venu, mais il s'est fait chier parce que ce n'était pas ça qu'il attendait... ». Néanmoins, cette posture peut parfois s'inverser de la part de l'élu et témoigner au contraire d'une appréciation personnelle positive.

Au-delà d'un déficit d'image de la jeunesse et des musiques actuelles et d'une certaine prévalence du goût culturel de l'élu sur son appréhension des équipements, c'est la dimension politique qui interroge. Les compétences des élus et de ses conseillers en matière culturelle sont relativement limitées au sein des communes rurales. Les déficits budgétaires et certaines situations de crise contraignent les collectivités dans leur marge d'action. Aussi, il convient de s'interroger sur les relations qu'entretiennent les acteurs avec leurs collectivités locales.

120 Souchon Zahn Marie-Françoise. « Les maires en milieu rural ». In: Économie rurale. N°237, 1997, Représentation politique et sociologique du monde agricole et rural français. 1ère partie, sous la direction d'Isabel Boussard et Bernard Wolfer. pp. 19-21.

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2.2. Les difficultés des collectivités locales

En milieu rural, force est de constater que les politiques culturelles sont quasi-inexistantes. Au regard des campagnes électorales locales, les rares fois où la culture est abordée, elle l'est souvent sous l'angle du tourisme, des loisirs, du scolaire ou dans une dimension sociale. Bien qu'inscrite dans la constitution, rare sont les occasions de rencontrer un candidat qui affiche la question culturelle dans son programme électoral. C'est généralement par le biais de la préservation du patrimoine, de la lecture publique ou encore de l'enseignement musical que les politiques départementales, régionales et de l'État se préoccupent de l'accès à la culture en milieu rural. Quelle que soit l'étiquette politique des élus, leur investissement dans le domaine culturel, relève davantage d'une politique de communication que d'une réelle politique culturelle121.

Les modalités d'élaboration des politiques publiques sont complexes : liant à la fois les conceptions politiques des élus locaux, leurs visions et le sens qu'ils donnent à leurs actions, et les marges de manoeuvre dont ils disposent pour appliquer le programme pour lequel ils ont été élus. De plus, il faut ajouter la difficulté pour certains élus d'anticiper les évolutions démographiques, les mutations sociales en cours, notamment dans les zones rurales influencées par la ville, qui attirent de nouveaux ménages.

Philippe Teillet et Emmanuel Négrier soulignent, en évoquant les situations départementales en France, que « si la forme est celle de la territorialisation, dans le fond il s'agit plutôt d'une déterritorialisation des politiques culturelles »122. Toute la difficulté pour les collectivités territoriales réside dans la définition d'un sens politique à donner à leur territoire. Difficulté qui se traduit par un cantonnement à un soutien ou à la construction d'équipements pour ressembler aux standards nationaux. Analysées par Erhard Freidberg et Philippe Urfalino, il apparaît que les politiques culturelles locales « bénéficie(nt) a priori d'une plus grande indépendance vis-â-vis de l'État et de ses services extérieurs »,123 traduisant une certaine forme d'autonomie des municipalités en terme de choix culturels. À la différence d'une politique culturelle menée à l'échelle nationale, les rapports entre les élus locaux et les acteurs culturels sont plus directs, mais demeurent marqués par un lien essentiellement utilitaire. En effet, la

121 Philippe Sidre, « Les habitants des milieux ruraux sont-ils exclus de la culture ? », Drôle d'époque, 05/2006, 18, p. 135

122 Négrier Emmanuel, Teille Philippe in Saez Jean-Pierre (Sous la direction de ), Un lien â recomposer , Éditions de l'Attribut, 2008

123 Freidberg Erhard, Urfalino Philippe, Le jeu du catalogue, les contraintes de l'action culturelle dans les villes, La Documentation française, 1984

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politique culturelle locale se caractérise davantage par une accumulation d'équipements et de domaines d'intervention, ce que les auteurs nomment « le jeu de catalogue », plus que par une réelle coopération, cohérente et réfléchie, entre les différents secteurs et sans véritable attention portée à leurs problématiques.

Selon Philippe Berthelot, les élus locaux considèrent généralement que le développement des musiques actuelles sur leur territoire est comme extérieur à eux, principalement lié aux jeunes ruraux qui s'autogèrent. Certains perçoivent d'ailleurs l'activité de ses acteurs musiques actuelles comme relevant de l'exploitation commerciale, des lieux lucratifs qui ne nécessitent pas d'investissement public. Peu associées dans l'imaginaire collectif, et chez certains élus locaux, au monde rural, les musiques actuelles seraient du ressort des villes et des pôles urbains.

Ainsi, la culture et son développement territorial seraient aux mains d'élus locaux dont les compétences en matière de culture demeurent relatives, individuelles et peu légitimes. Ceux-ci, nous l'avons vu, manquent de critères objectifs dans leurs choix culturels. Ils se sont généralement dotés d'équipements, des « services de base » '24(bibliothèques, école de musique) mais dans un contexte de rationalisation des dépenses, la création d'équipements s'est ralentie, donnant davantage de place aux projets moins pérennes aux aspects territoriaux et sociaux. Une évolution qui s'explique en partie par les critères de financements établis par les différents partenaires territoriaux (départements, régions, intercommunalités, Union Européenne) désormais indispensables à ces logiques de projets et de coopérations impulsées par l'État.

2.3. Financements publics, des spécificités en milieu rural

L'étude de la FEDELIMA en 2009 sur les Lieux de Musiques actuelles en milieu rural, a posé un premier bilan des enjeux et problématiques de ces structures, tout en proposant un état des lieux en termes de projets, de modèles économiques et de développement. Cette première étude sur les caractéristiques des lieux a permis de faire apparaître des différences marquantes de répartition des financements publics par collectivités entre milieu urbain et milieu rural, et de constater que les lieux en zone urbaine étaient largement plus soutenus par

'24 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action publique des petites villes. Un révélateur des politiques urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour, n°83, 2008

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leur municipalité (à 23%) que ceux en milieu rural (4%). On assiste, à l'inverse, à un fort soutien des conseils régionaux pour les lieux en milieu rural, pour un taux moyen de 17% contre 8% en milieu urbain. Les conseils départementaux semblent néanmoins subventionner les lieux urbains et ruraux dans les mêmes proportions, avec un taux légèrement plus élevé en milieu rural (10% contre 6%).

Le Pince Oreilles a révélé, nous l'avons vu, que la part financière provenant des villes était majeure puisqu'elle représente près de la moitié des financements publics des structures seine-et-marnaises. Un taux qui s'élève à 70% avec le soutien des intercommunalités. Sur les quatre lieux identifiés dans le Gâtinais, ces taux sont nettement inférieurs. Bien qu'il nous soit difficile de procéder à de véritables comparaisons représentatives, notre échantillon étant trop restreint, nous pouvons toutefois dégager quelques tendances. Les MJC sur notre territoire, qui consacrent de 5 à 15% de leur budget aux musiques actuelles, sont particulièrement dépendantes de leur municipalité, notamment en financement de fonctionnement, leur rattachement aux services municipaux, qui octroie d'ailleurs leurs locaux, explique certainement l'investissement communal estimé entre 33% et plus de 70%. Le Conseil Départemental subventionne également ces deux structures à hauteur de 41 et 20 %, au titre de Lieux Culturels de Proximité. À noter que FLC ne bénéficie plus de l'attribution au titre de Lieux d'Expression des Musiques Actuelles. La part des intercommunalités et de la région est nulle. Pour l'association Musiqafon et la Tête des Trains, le budget varie en 2014 de 140 000€ à 77 000€. Précisons qu'il est difficile d'estimer la part exacte consacrée aux musiques actuelles étant donné la diversité des actions proposées. Toutefois les deux structures sont largement associées à l'activité de diffusion des musiques actuelles. Notons que l'orientation « jeunesse » de l'association Musiqafon s'est traduite par une augmentation des actions à caractère pluri-artistique, mais pour l'essentielle, celles-ci s'appuient sur le projet Musiques Actuelles. On constate que les deux structures sont principalement subventionnées par le Conseil Départemental : à hauteur de 14 % pour la Tête des Trains (au titre de Lieux Culturels de Proximité), et de 37% pour Musiqafon (dont 33% par le Service Jeunesse du département, et 4% par la Direction des Affaires Culturelles). Les aides à l'emploi (État et CAF) représentent près d'un tiers de financements publics des deux structures. Enfin, la participation des communes est la plus faible, de 1% à 11%, tout en précisant que ce taux résulte de la participation cumulée de quatre à sept communes. Là aussi, l'implication intercommunale est inexistante. Notons également que leurs ressources propres représentent un tiers de leur budget.

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Aussi, on retrouve à notre échelle d'étude, des constats similaires en termes de répartition des financements publics des lieux en milieu rural étudiés par la FEDELIMA, notamment entre villes et départements. Le conseil départemental contribue en effet largement dans chacune des structures, étant même dans trois structures, le principal financeur. Cela conforte le rôle « redistributeur » des départements, notamment au profit des structures en milieu rural. Le bilan est le même que la fédération nationale à l'égard de la participation des villes pour les structures en milieu rural (les MJC étant entendues comme des lieux urbains en environnement rural, et sont par leur essence, dépendantes des services municipaux). Dans le Gâtinais, l'investissement des communes est même bien inférieur au reste du département, avec une moyenne de 6% contre 48,7% pour l'ensemble du département. Le manque d'implication est flagrant et résulte en partie des difficultés des communes de faible densité à contribuer financièrement aux projets culturels. On notera l'absence du conseil régional, mais également celle des intercommunalités, que l'on aurait pensées, par un phénomène de solidarité et de compensation, en faveur des territoires ruraux. C'est justement ce qui va constituer notre prochaine réflexion.

2.4. Les intercommunalités, une implication encore mitigée

Le mouvement de décentralisation des services de l'État dans les années 1980 a donné lieu à une série de réorganisations administratives sur le territoire, s'adaptant constamment aux nouvelles façons de vivre des citoyens. Après les communes, les départements et les régions, d'autres formes administratives de regroupement ont vu le jour. Créées en 1992 par la loi portant sur l'administration territoriale de la République125 (loi Joxe), les communautés de communes ont été systématisées par la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale126 (loi Chevènement), en 1999, qui instaure la création des EPCI127. Ces lois instaurent de nouvelles échelles, privilégiant l'échelon local, comme étant l'interlocuteur privilégié entre les citoyens et leur territoire. Longtemps parent pauvre de l'intercommunalité, la culture, alors incluse dans les compétences générales des collectivités, est devenue en 2015 avec la loi Notre (relative à la nouvelle organisation territoriale de la

125 Loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République

126 Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale

127 Établissements Publics de Coopérations Intercommunales

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République), une responsabilité partagée (art.103). Désormais la culture fait l'objet d'une responsabilité exercée conjointement entre les collectivités territoriales (régions, départements, EPCI) et l'État. La responsabilité n'engage pas les collectivités de façon aussi évidente qu'une compétence obligatoire ou exclusive. Il s'agit principalement de mutualiser les moyens entre collectivités dans le cadre d'un projet culturel commun. Pour les communautés de communes, qui représentent plus de 80% des communes rurales, cette mesure tend à équilibrer les inégalités budgétaires entre collectivités et à impulser une dynamique de coopération pour des projets pensés de manière cohérente sur le territoire. Ce nouveau cadre tendrait à bénéficier au financement des projets culturels, dans la mesure où l'intercommunalité prendrait le relais compensant la faible surface budgétaire de certaines communes.

Toutefois, la prise ou non de cette responsabilité par les collectivités relève de leurs propres initiatives, en effet, elles peuvent décider de ne pas faire appel à cette responsabilité, qui n'a rien d'obligatoire. Selon Philippe Berthelot, des effets pervers peuvent également résulter de certaines dispositions de la loi Notre, entre autres, celle qui ouvre la possibilité d'une délégation de l'instruction et de l'octroi de subventions comporte un risque : la tentation peut être grande pour une collectivité locale de se défausser sur des collectivités plus importantes délégataires. Un élément qui selon Philippe Berthelot pourrait participer à la concentration des moyens sur une structure identifiée, jouant le rôle de pôle sur leur territoire (exemple d'une Scène de Musiques Actuelles qui serait perçue comme largement suffisante pour irriguer une intercommunalité). Une ouverture ambiguë des intercommunalités, qui peut amener à un rétrécissement des initiatives soutenues si les collectivités ne se sont pas mobilisées, le risque étant de voir se déplacer la posture de l'État à une nouvelle centralité sur ces nouveaux échelons territoriaux ou de constater l'absence d'initiative entre eux. Pierre Marie Cugny, ancien directeur des affaires culturelles du conseil départemental, soulignait déjà lors d'un débat organisé par le Pince Oreille en 2007 à propos du manque de dialogue entre les communautés de communes : « Le grand drame, c'est de voir que les territoires ne sont pas encore motivés pour se rassembler et mutualiser les moyens, pour prendre des décisions importantes. (...) Ce sont les mentalités qu'il faut faire évoluer. »128

Sur le Gâtinais, cela se traduit par un manque de visibilité des structures et un investissement financier axé sur les projets ponctuels, les festivals. La communauté de communes des Terres du Gâtinais par exemple, est impliquée de manière disparate dans les

128 Lors du débat organisé lors du 7ème festival Watts Up en 2006, « Les musiques actuelles et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne ».

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projets de son territoire. La Tête des Trains, alors qu'elle agit de manière permanente sur sa localité, n'a jamais reçu de soutien de cette intercommunalité alors que paradoxalement plusieurs de ses communes participent au financement du projet : « Oui m'enfin, Milly-la-Forêt donne quelque chose, Malesherbes aussi et y'a quand même 7 communes dans l'intercommunalité qui donnent des subventions. C'est à prendre en compte quand même ! ». À contrario, l'intercommunalité a contribué au financement du festival des Gâtifolies. D'ailleurs pour ce dernier, l'investissement est notable pour une première édition, de l'ordre de 5000€. Son organisatrice, Christine Amara, a témoigné de l'implication décisive du maire de Boissy-aux-Cailles, également président de la commission Culture et Patrimoine au sein de l'intercommunalité. L'influence de cet élu sur le financement de ce projet, interroge sur les modalités objectives de l'intervention intercommunale et des réelles capacités de cet échelon à s'investir dans la culture de manière cohérente et équitable. Au-delà du soutien très personnel de ce maire, il est aussi apparu que le projet s'inscrivait dans un contexte de stratégies politiques tout aussi décisif : « C'était une interco qui était assez jeune, qui avait pas eu un gros projet porteur culturel et tout, ils me l'on dit après, on apportait un truc sur un plateau d'argent, d'autant plus que je sais pas si vous connaissez l'histoire des intercos mais l'été dernier une loi a été votée et les communes, les intercos inférieures â 15 000 habitants n'ont plus de légalité donc elles sont obligées de se regrouper, donc l'interco de la Chapelle enfin du Gâtinais devait se regrouper donc pour eux il fallait qu'ils arrivent, enfin c'est comme un mariage avec au moins quelque chose pour pouvoir se montrer... donc on arrivait politiquement pile poil quoi ». Un témoignage particulièrement explicite sur l'instrumentalisation politique d'un projet culturel, destiné ici à servir d'outil de valorisation à une intercommunalité naissante. L'intérêt artistique, culturel et social semble bien loin des préoccupations de cette entité en recherche.

L'association Musiqafon déplore de son côté le peu d'implication des intercommunalités sur lesquelles elle inscrit certains de ses projets : « les demandes d'organisation proviennent des communes en direct, mais rarement des intercommunalités, lorsqu'elles existent, et qu'elles se préoccupent de la Culture (essentiellement Moret Seine et Loing pour 5 â 6 événements annuels). 129» La logique du financement ponctuel observée dans l'intercommunalité des Terres du Gâtinais, se retrouve également à l'échelle du Pays de Fontainebleau, qui soutient le festival Django Reinhardt et le Rainforest, et du Gâtinais Val de Loing, qui a soutenu le festival Lagrange. Faute de véritable projet de développement culturel, il semblerait que les intercommunalités s'appuient essentiellement sur les projets portés

129 Extrait du bilan 2013 de l'association Musiqafon.

ponctuellement par les acteurs musiques actuelles locaux. Toutefois, le caractère irrégulier de l'investissement de cet échelon est à relativiser au vu des définitions territoriales encore en cours. En effet, certaines communautés de communes peinent à atteindre le seuil de 15 000 habitants exigé par la loi NOtre au 1er janvier 2017. C'est le cas notamment des communautés de communes des Terres du Gâtinais (11 648 habitants en 2016) et du Bocage Gâtinais (5348 habitants en 2016)130.

Ainsi, nous avons pu constater que les formes d'implication des collectivités dans les projets musiques actuelles sont marquées par des disparités notables entre lieux et entre territoires. En effet, plus les lieux sont excentrés de la ville, plus les financements à l'échelle locale et intercommunale sont rares, voire inexistants. Seuls les évènements temporaires semblent bénéficier de leur soutien. Sans concertation entre les acteurs et sans réelles ambitions politiques, les élus tendraient à renforcer « l'effet vitrine » que peuvent jouer les festivals, et réduiraient la pratique musicale à une simple consommation. Notons que l'implication du département est essentielle pour les structures en milieu rural, qui se revendiquent être des lieux culturels de proximité. Certes les difficultés économiques rencontrées par les communes rurales sont prégnantes mais des difficultés similaires touchent aussi les communes urbaines. De plus, il ne faut pas négliger le poids des représentations dans les prises de décisions des élus, peu sensibilisés aux enjeux du secteur. Au-delà de ses relations plus ou moins complexes avec les collectivités, il convient de recentrer notre réflexion sur les difficultés que rencontrent les acteurs à l'échelle de leur projet et dans leur propre apport au développement des projets artistiques. L'enjeu est de saisir la manière dont les acteurs musiques actuelles interagissent avec leur environnement relationnel, professionnel et local ; et de savoir si ces conditions peuvent participer à l'émergence artistique.

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130 En annexe n° 9 la carte des EPCI en Seine-et-Marne au 1er janvier 2016.

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III. Interactions entre acteurs, une autre clé de compréhension

3.1. Des « mondes locaux ».

Si en termes de dialogue avec les collectivités territoriales, les acteurs se heurtent parfois à des logiques politiques propres à l'échelle de leur localité, beaucoup s'inscrivent dans des logiques de structuration professionnelle visant à solidifier leur légitimité, et développer les échanges et savoir-faire. Comme l'a souligné Philippe Berthelot pour cette étude, « le maquis n'existe plus en milieu rural », difficile pour les acteurs d'un même territoire de ne pas se (re)connaître. Dès lors que l'ambition portée par les acteurs est d'étendre et de renforcer le rayonnement de leurs projets, le besoin de coopérations et de partenariat à plus grande échelle devient nécessaire.

Les structures dédiées partiellement ou entièrement aux musiques actuelles recensées sur le Gâtinais, à l'exception des festivals, s'inscrivent toutes dans un réseau d'acteurs, qu'il s'agisse du réseau Pince Oreilles, de la Fédération des Foyers Ruraux ou de l'Union Départementale des MJC. Cette implication témoigne à la fois d'une volonté d'intégrer un maillage de structures qui oeuvrent en faveur du développement des musiques actuelles, et de bénéficier d'un appui et de ressources aussi bien professionnelles, informationnelles et relationnelles que supposent ce type de regroupement. Cette volonté se fonde également sur le partage d'un ensemble de valeurs et de principes communs, guidés par l'intérêt général et l'égale dignité des personnes. Cette démarche, qui résulte d'une appréhension particulière de la culture et de ses enjeux au sein de la société, fait souvent écho à un engagement militant.

Le recours par l'État et les collectivités territoriales au secteur associatif, pour pallier aux insuffisances de leur administration et répondre à des enjeux publics nouveaux, a également induit des modifications dans les modes d'organisation et de gestion des associations, qui se sont peu à peu professionnalisées. 131 Une tendance qui appelle également à l'acquisition de certaines compétences, la mise à profit de savoirs existants, et au développement d'un niveau toujours plus élevé d'expertise. Aussi, il n'est pas rare de constater que les acteurs du secteur des musiques actuelles sont pour la plupart issus de niveau d'études supérieures, du professorat, du secteur culturel, de la fonction publique, etc. Président d'une association et instituteur, militant

131 Sawicki, F., Siméant, J., « Décloisonner la sociologie de l'engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, Paris, 2009

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altermondialiste actif et coordinateur de réseau, artiste et salarié associatif, le rôle des acteurs au quotidien est souvent multiple. Mais la dépendance économique aux collectivités à participer à une forme « d'institutionnalisation » du secteur des musiques actuelles à mesure que celui-ci tendait à une légitimation de l'État et à sa propre structuration. Aussi, Emmanuel Brandl analyse clairement ce phénomène expliquant que l'« on passe d'une attitude anti-institutionnelle affirmée et gonflée d'une idéologie de subversion, au fait radicalement opposé qu'il faille savoir compter sur les institutions locales132 ». Une situation qui selon lui ne va pas sans rapports de force entre membres et acteurs, ni sans effets sur les « codes symboliques de présentation de l'association qui subit une modification. Ne serait-ce que dans le vocable utilisé : on passe des « rockeurs » aux « acteurs culturels ». 133 »

L'auteur évoque également la présence à l'échelle régionale de plusieurs « mondes locaux », correspondant aux différents modes de relations entre le monde des musiques actuelle et celui des municipalités sur un territoire « dont le degré d'homogénéité est très certainement fonction de la diversité des instances de représentation de la catégorie « rock » 134». Aussi, la façon dont est conçu le secteur des musiques actuelles par ses acteurs et les intérêts qui guident leurs actions peuvent différer selon leur relation avec les collectivités. Une situation qui peut générer des conflits, ou des entraves au développement de réseaux locaux.

C'est ce que suggèrent en partie les propos de Pierre Beltante, pourtant un des premiers initiateurs du réseau musiques actuelles départemental, lorsqu'il souligne la remarque d'un autre acteur du réseau : « Et O. qui disait « Bah qu'est-ce que vous faites avec eux, c'est tous des salles professionnelles, tout ça, alors pourquoi vous voulez jouer dans la cour des grands ? ». Bah j'ai dit moi je trouve ça très bien qu'on soit avec les autres, si on leur apporte rien, eux nous apportaient... (Rire).Voilà quoi ! ». Son propos sous-entendrait qu'il existe une « cour des grands » face à une supposée « cour des petits ». Au-delà de positionner la Tête des Trains par son envergure, il ne donne pas beaucoup plus de crédit au degré de professionnalisation de celle-ci. C'est aussi ce qu'avait pu ressentir Aurélien Boutet, actuel coordinateur de la Fédération des Foyers Ruraux de Seine-et-Marne, qui dans le cadre de son association, Gadget O Phone, avait intégré le réseau Pince Oreilles : « Je suis arrivé aux Pince

132 Brandl Emmanuel, in «La sociologie compréhensive comme apport à l'étude des musiques amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches empiriques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales », Série « Musiques et champ social », 2000, p. 267

133 Ibid. p. 269

134 Ibid. p. 279

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Oreilles, ça a pas été simple parce que à l'époque fallait montrer un peu pattes blanches, fallait montrer qu'on était dans une démarche de professionnalisation etc.(...) Mais en même temps au Pince Oreilles, je m'y retrouvais pas trop parce qu'on sentait que c'était le truc qui était, enfin politiquement c'était quand même tenu par les grosses salles et moi j'avais l'impression que tu vois qu'on vivait pas forcément dans le même monde, qu'on avait pas forcément les mêmes problématiques, les mêmes attentes. » Là aussi, des décalages sont ressentis entre structures d'envergure différentes. Le fait d'avoir « sa place » au sein du réseau et de s'y sentir légitime, semble relever du niveau de professionnalisation, une exigence plus ou moins explicite, qui peut générer un sentiment de retrait, voire d'exclusion.

D'ailleurs, bien que prégnante en milieu rural, la question de la pérennité de l'emploi ne constitue pas une spécificité forte, toutefois le contexte dans lequel elle se pose, nous l'avons vu, est largement caractérisé par un déficit d'implication de l'échelon local.

En somme, la modification progressive des codes et représentations d'une partie du secteur musiques actuelles « institutionnalisée » a potentiellement généré des écarts de vision en son sein. Si l'on ne peut affirmer que ces écarts résultent d'une opposition entre milieux urbains et ruraux, force est de constater qu'elle lui est fortement associée. Dès lors, il paraît intéressant à ce stade de s'interroger sur les relations des acteurs entre eux.

3.2. Effets des interactions entre acteurs locaux.

Si les regards différent entre « mondes locaux », il est apparu par ailleurs lors de cette étude que des interactions entre, ce que l'on pourrait appeler « des figures locales », auraient des conséquences sensibles sur certains projets. C'est ce qui a pu être observé entre les deux acteurs historiques du territoire, Thierry Boccanfuso et Pierre Beltante. Au travers de l'analyse du discours, il nous est possible de distinguer l'influence des pratiques des acteurs sur certains projets musiques actuelles sur le Gâtinais

Les propos du directeur de la Tête des Trains, évoquant l'arrivée de l'association Musiqafon (alors Notown) dans le paysage musical local, nous en livre un exemple concret : « On a fait la scène locale pendant longtemps jusqu'à l'arrivée de Thierry, de Musiqafon, du Notown et tout ça, qui a vraiment fait bulldozer, c'est le mercenaire quoi. Bon en plus il partage pas Thierry. Moi je lui avais demandé qu'il me passe des groupes que je compile, il me disait « Non, c'est moi qui ai fait le démarchage », je lui répondais qu'à mon âge je ne vais pas lui faire de la concurrence, mais il disait « Non, c'est mon travail à moi, je ne donne pas comme

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ça... » .» Ici, il est intéressant de noter que l'entrée d'un nouvel acteur dans la sphère musicale locale - dans le champ (culturel) local - a généré une nouvelle dynamique qui n'est pas sans effet. La posture de l'individu semble dépasser celle du projet. Si l'on ne peut parler de véritable rapport de force, c'est le comportement propre de l'agent, quasi hégémonique, qui prend le pas sur les objectifs culturels de l'association, comme le précise Emmanuel Brandl, « les processus d'institutionnalisation entrainent dans leur mouvement la réduction de la distance sociale entre les propriétés objectives du poste et les caractéristiques sociales -les propriétés subjectives - de l'individu qui occupe ce poste ».135

Ainsi, la conséquence de l'attitude d'un seul agent, de ses conceptions propres sur la circulation des artistes, est donc à l'origine d'une réorientation notable de la Têtes des Trains en termes de programmation : « Bah après on a du orienter notre programmation différemment. On n'a pas pris les groupes locaux de Musiqafon quoi (... ) en plus les gens de toute façon qui viennent ne sont pas en mesure de payer 5 ou 10€ pour voir un groupe, parce qu'ils peuvent les voir gratuitement ailleurs, ou â la rigueur payer 5 ou 10€ pour 5 ou 6 groupes, comme fait Thierry. Quand t'as un salarié, qu'il faut que tu sortes un salaire tout le temps, tu peux pas t'amuser â programmer des jeunes groupes, qui n'attirent personne, avec un public â risque. ». On assiste ici à un changement révélateur d'une posture qui s'oppose, ou tout du moins qui s'autonomise face aux activités de Musiqafon, qui semblent, le mot est peut-être fort, concurrentielles. Les politiques tarifaires ne relèvent pas des mêmes enjeux. Si pour l'un il s'agit de proposer des évènements à moindre coûts et de permettre un accès large au public, pour l'autre il s'agit également de permettre une rémunération durable d'un salarié.

A l'échelle des relations sociales, l'influence de la personnalité d'un agent sur les orientations d'un projet extérieur à lui n'est pas à sous-estimer. De plus, il convient de remarquer la corrélation qui est faite entre le projet et les publics fréquentant les évènements de Musiqafon dans l'esprit de Pierre Beltante. De mauvaises expériences avec la scène locale ont en effet impactées sa propre vision du public : « Nous on a jamais fait de gardes du corps, de contrôle â l'entrée, etc. mais on s'est rendu compte que les groupes de reggae comme on faisait souvent, on retrouvait des bouteilles d'alcool dans la salle avec des mecs qui n'avaient rien consommé quoi... Donc après on avait dit « Défense d'entrer avec les sacs », mais ils ressortaient tous boire dans leurs voitures et revenaient, donc on s'est dit c'est pas un public éduqué qui fait

135 Brandl Emmanuel, in «La sociologie compréhensive comme apport à l'étude des musiques amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches empiriques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales », Série « Musiques et champ social », 2000, p. 265

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ça. J'ai fréquenté un peu les festivals de Musiqafon, et je pense que 80% des gars étaient comme ça. Consommateurs « beauf' » même s'ils ont des dreads. Donc nous, on a orienté notre programmation vers un public autre. On fait un concert de reggae dans l'année, et c'est bon quoi, on fait un concert de deux trois groupes du coin si y'en a qui se proposent. ». Ici, ce qui apparaît relativement stigmatisant se base à la fois sur une vision négative du public « reggae » et « local », qui ne semble pas maîtriser les codes de conduite attendu, et sur une relation forte entre ce public et celui de Musiqafon.

Bien que nos observations mériteraient d'être approfondies, car trop univoques, elles n'en demeurent pas moins révélatrices d'un jeu particulier de représentations et de valeurs. Notre regard sur les agents a pu mettre en exergue un changement qualitatif sur l'identité du lieu de la Tête des Trains (davantage tourné vers un public « éduqué », qui sait se tenir) et par opposition, un regard relativement dépréciatif sur le projet Musiqafon, et le public qu'il lui est associé. Cela renvoie également à une appréhension, encore peu valorisante, du public jeune. Aussi, peut-on envisager que ce qui se joue entre les acteurs, peut avoir des conséquences en matière de développement des pratiques musiques actuelles ?

3.3. Postures d'acteurs et impacts sur le développement de la scène locale.

Évidemment, les situations précédemment évoquées ne résument pas l'ensemble des interactions entre les acteurs, et ne peuvent refléter la diversité des rapports à l'échelle locale. Elles peuvent toutefois questionner sur les capacités de certains acteurs à influer sur le développement des musiques actuelles au sein du territoire.

En termes de valorisation de la scène locale, la Tête des Trains a de son côté choisit de ne proposer que ponctuellement des groupes locaux à la fois pour les raisons évoquées précédemment, mais également pour des questions de diffusion et de rentabilité : « On prend des groupes de l'Île-de-France, mais pas forcément de Seine-et-Marne, et en tout cas pas des gens du coin. Parce que si on fait les gens du coin, ils ont fait tous les rades du coin, donc qui va venir les écouter ici, les gars du coin mais â quel prix ? ». Des propos qui interrogent sur le rôle des lieux en matière d'accompagnement des formations musicales sur le territoire. En tant que structure fixe dédiée aux musiques actuelles sur le territoire, il est curieux de constater que celle-ci se repose, en termes de diffusion locale, sur les lieux non dédiés, type bars ou café. Cette alternative, entrevue comme une ressource pour les musiciens locaux, peut aussi représenter un

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paradoxe. S'inscrivant comme un acteur musiques actuelles, impliqué dans un réseau départemental, la Tête des Trains semble toutefois se désengager du rôle de « développeur de la scène locale ». Bien sûr, les difficultés structurelles du lieu, empêche véritablement celui-ci de prendre des risques, en programmant des groupes locaux qui n'attireraient pas de public jusqu'à Tousson. Ce choix interroge sur l'éventuel désajustement entre l'offre et la demande locale. S'agit-il de concevoir son rôle d'acteur et le projet musiques actuelles sous l'angle artistique ou sous l'angle territorial ? Le projet de la Tête des Trains semble davantage s'orienter vers une entrée artistique, c'est-à-dire qu'en termes de diffusion le lieu tend davantage à proposer une offre, de qualité, peu présente sur le territoire, comme le suggère la palette des esthétiques (musiques traditionnelles, musiques celtiques, jazz, musiques du monde, etc.) et qui s'adresse davantage à un public de connaisseurs « qui payent, qui mangent, qui boivent ». L'entrée territoriale, entendue comme la volonté de développer un projet musiques actuelles en direction des formations locales et des acteurs locaux, est moins revendiquée.

L'orientation du projet de la Tête des Trains n'ouvre donc pas réellement de possibilités aux groupes locaux d'y être diffusés, ni de profiter de son inscription dans le réseau Pince Oreilles, en matière de ressource, mais également de repérage. Si les bars et les cafés représentent des espaces de diffusion privilégiés pour les groupes amateurs, ceux-ci ne sont pas pérennes, et ne peuvent répondre aux besoins des groupes en matière d'accompagnement. Contribuer au développement de la scène locale, c'est aussi lui donner les moyens de se former. Or, au vu de la faiblesse des équipements et du rapport volontairement détaché de la Tête des Trains vis-à-vis de cette scène, le risque est de restreindre les interlocuteurs des formations musicales à des acteurs qui n'entrevoient les concerts rarement plus que comme une animation, une plus-value à leur activité commerciale136, ou de s'en référer uniquement à l'association Musiqafon.

En effet, le rôle de l'association Musiqafon devient particulièrement prépondérant, car à la différence des deux MJC présentes sur le territoire, son activité en faveur des musiques actuelles est constante et régulière. Toutefois, nous le verrons plus loin, celle-ci ne peut répondre à elle seule aux besoins des groupes. Reconnu auprès des acteurs publics en tant que référent sur le territoire, l'association peut en effet représenter le seul véritable point d'appui, aussi bien pour les groupes que pour les collectivités, au risque d'occulter les autres acteurs. Notons également, qu'à la différence des autres structures, Musiqafon ne fait plus partie du

136 Une activité qui part ailleurs est porteuse d'une économie locale qu'il serait pertinent d'analyser.

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réseau Pince Oreilles depuis 2010. De fait, il ne s'inscrit plus dans le cadre de dispositifs en direction de la scène locale et perd l'appui d'un réseau de connaissances et de savoirs susceptibles de profiter aux groupes locaux. Il ne s'agit pas de remettre en cause les compétences de l'association, mais de mettre en perspective son caractère quasi dominant sur le territoire. Le développement des musiques actuelles sur le Gâtinais doit-il être l'apanage de cette structure ? De plus, il ne faut pas oublier la dépendance de cette association aux politiques « jeunesse » du département, ce qui là encore, restreint d'une certaine manière les orientations de l'association, et son ouverture à des formations musicales qui n'entreraient alors plus dans ses critères de soutien.

Nos observations et analyses se sont attachées à rendre compte des multiples difficultés rencontrées sur le territoire du Gâtinais et des conséquences sur le bon développement des projets dédiés aux musiques actuelles. Les inégalités territoriales tendent à renforcer un déséquilibre en matière de pratique, appuyées par des visions stéréotypées des élus qui manquent de critères objectifs pour déployer une politique concertée et cohérente. De plus, en portant notre attention sur les interactions entre les collectivités locales et les acteurs musiques actuelles, nous avons pu comprendre en quoi celles-ci étaient conditionnées par des facteurs d'ordre politique et économique, les structures ayant peu de marge de manoeuvre en dehors des missions orientées par les critères de subvention. Enfin, nous avons pu mettre en relief d'autres difficultés inhérentes aux interactions entre les acteurs du secteur, à l'échelle départementale et locale. Alors que la faiblesse des équipements tendrait à un renforcement des initiatives et d'un projet partagé entre acteurs d'un même territoire, on observe à l'inverse différentes formes d'autonomisation, et de logiques individuelles, qui complexifient le développement de la scène locale et sa circulation. Notons toutefois que nous ne pouvons prétendre à l'exhaustivité dans nos observations, il conviendrait d'étendre et de diversifier les regards des acteurs, des collectivités, des publics et des groupes locaux. Néanmoins, après avoir abordé les difficultés générales, il convient dans ce contexte, de s'interroger sur la manière dont les projets réussissent toutefois à exister. L'enjeu est de saisir la manière dont ceux-ci s'adaptent à l'environnement rural, de saisir les logiques qui les caractérisent et de tenter de dépeindre les spécificités de ses projets, tout en abordant leurs perspectives d'évolution.

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PARTIE III

Stratégies d'adaptation et caractéristiques

des projets musiques actuelles dans le Gâtinais.

Enjeux et perspectives de développement des musiques actuelles en

milieu rural.

I. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives, à la marge.

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1.1. L'initiative privée, répondre aux besoins.

L'état des lieux proposé en première partie de cette étude a permis de rendre compte de caractéristiques communes. En effet, dès lors que l'on s'écarte de l'intégration des musiques actuelles aux projets culturels des MJC, il apparaît que l'essentiel des projets émane d'une initiative privée et émerge soit de la logique d'un individu, soit d'un projet collectif porté par une association. Il ne s'agit pas d'une spécificité propre au milieu rural, les initiatives privées étant tout autant relatives au milieu urbain. Toutefois, l'intérêt de rendre compte de cette caractéristique, est que ces initiatives sont généralement le fruit d'un constat partagé : la faiblesse de l'offre, le manque d'activités et d'équipements dédiés sur le territoire rural. À la frontière de l'intérêt général et de l'aventure entre amis, les projets tendent tous à répondre à des besoins communs.

La création de projets en milieu rural suppose qu'elle soit entrevue comme un espace des possibles, comme un territoire qui serait synonyme de ressources, ce dont témoigne Aurélien Boutet : « En milieu rural l'avantage c'est que t'as pas de contraintes, je dirais que quelque part tout est possible, d'ailleurs c'est un peu la raison de la dynamique des assos en milieu rural, c'est-â-dire que y'a rien enfin y'a pas grand-chose donc quelque part les gens, soit ils se bougent, soit il se passe rien et c'est pour ça qu'à mon avis, ça fait soixante ans que les foyers ruraux existent parce que ça répond â un vrai besoin. ». Les territoires ruraux seraient donc aussi des espaces propices à l'innovation, à la création, aux expérimentations en marge des cadres institutionnels, dans un rapport différent à l'espace, aux populations, aux collectivités. Ils permettent des initiatives qui auraient sans doute eu plus de difficultés à voir le jour en ville.

L'absence d'équipement peut être compensée par l'attirance de lieux a priori non dédiés à la diffusion musicale et culturelle. La réhabilitation de l'ancien café-épicerie du village de Tousson en salle de concert en est une parfaire illustration. La mise à disposition du bâti privé est d'ailleurs l'une des singularités des lieux de musiques actuelles en milieu rural, comme le confirme l'étude de la FEDELIMP. Cet espace atypique, et même « décalé », s'inscrit inévitablement à la marge des lieux plus ou moins conçus pour accueillir des animations, telles les salles des fêtes, les salles communales, et les constructions municipales locales.

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On retrouve également ce type de réhabilitation avec l'exemple du Festival Lagrange, qui se déroule sur le terrain agricole familiale. Qu'il s'agisse de la (fameuse) grange ou du hangar accueillant généralement les engins agricoles, chaque espace est réinventé, réadapté et repensé pour les besoins de l'évènement et pour l'accueil le public. Pendant plusieurs années, les groupes défilaient d'ailleurs sur le châssis d'une semi-remorque faisant office de scène principale. Les champs alentours changent de fonction et deviennent le parking, le camping ou un espace de représentation à part entière, les outils, les ballots de paille, les enrouleurs, les bobinoirs, les palettes ou encore les engins eux-mêmes sont détournés de leur fonction initiale pour devenir de véritables éléments du décor, jouant volontairement avec l'esprit du lieu et l'imaginaire de la campagne.

L'utilisation du chapiteau ou du tipi est récurrente, notamment pour les Gâtifolies et le Au Bon Coin Festival. Il renvoie bien évidemment au cirque et à un moment de festivité, et est également un outil très apprécié par les organisateurs qui peuvent concevoir leur évènement malgré le manque de structure permettant le repli en cas d'intempéries. La forme et l'esthétique originale du chapiteau en font un décor de choix, ses configurations sont très appréciées pour accueillir toutes formes de représentations et nécessite une logistique généralement moins imposante qu'une scène traditionnelle en pièces détachées.

Enfin, le choix d'un cadre atypique est également un trait commun de la plupart des initiatives, notamment festivalières. On notera que le Grand Parquet de Fontainebleau, un hippodrome implanté à la lisière de la forêt, installé sur plusieurs hectares, a accueilli pour la première fois un festival, le Rainforest. Jouant pleinement de son environnement, le festival militait d'ailleurs pour la préservation de la nature et les principes écologiques. Avec La Douve Blanche d'Égreville, c'est plus de mille ans d'histoire qui sont à l'honneur, le festival réinvestit les douves du domaine, et s'amuse des décalages entre l'offre musicale et le cadre pittoresque. On notera également l'installation du festival des Gâtifolies au sein du Parc Naturel Régional du Gâtinais, au coeur d'une clairière, le festival a pu profiter d'un terrain en jachère qu'il a réinvestit en véritable site pluri-artistique. En tant que site préservé, le festival a d'ailleurs dû respecter un certains nombres de réglementations environnementales, en termes de déchets (éco-tri, produits recyclables, toilettes sèches) et d'acoustique (limitation des décibels, orientation acoustique spécifique) afin de protéger l'habitat des espèces du PNR.

Ainsi l'espace rural apparaît comme un terreau fertile aux initiatives, investi par des individus qui s'inspirent largement de leur environnement, il est apprivoisé et mis à l'honneur

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dans chaque projet, comme en témoigne la communication visuelle des manifestations qui joue largement sur les références à l'agriculture (les tracteurs, les vaches, les champs, les silos). La culture prend des formes particulières et tentent constamment de s'adapter aux caractéristiques géographiques du territoire, toujours dans le souci de pallier aux manques d'infrastructures dédiées mais également à l'isolement. En découle la mise en place de projets itinérants.

1.2. Maîtrise de l'environnement rural par l'itinérance. L'exemple du Musibus.

La pratique ancienne de l'itinérance en milieu rural, illustrée par les Bibliobus, les troupes théâtrales itinérantes - l'art des tréteaux - et les circuits de cinémas, est toujours vivace.

Elle traduit une prise en compte historique des besoins et attentes des populations rurales en matière de culture, dans le souci de combler les inégalités de service, la faiblesse des équipements, les difficultés de mobilités, les contraintes de l'éloignement et l'isolement de certaines populations. L'itinérance favorise également une approche différente du rapport entre l'individu et la culture, les acteurs culturels passeraient en effet d'une démarche passive d'accueil dans les équipements culturels dédiés, à une démarche active de rencontre avec les habitants.

À l'initiative de l'association départementale Act'Art, les Scènes Rurales parcourent depuis plus de vingt ans les territoires ruraux de Seine-et-Marne. Elles portent chaque année une programmation théâtrale, composée de spectacles de compagnies professionnelles non issues du département, dans près d'une cinquantaine de communes. Un projet d'envergure qui mobilise une équipe permanente, et collabore avec une centaine d'acteurs sur le territoire. Si cette pratique s'inscrit dans une volonté de démocratisation culturelle - et de décentralisation - et vise à favoriser l'expérience culturelle auprès des populations rurales, l'exemple du Musibus s'attache, au contraire, à valoriser l'expression des pratiques amateurs locales.

Créée en 2010 par Musiqafon, le Musibus est le projet phare de l'association, il résulte de plus dix ans d'expérience de terrain déjà motivées par une forte volonté de proposer un projet itinérant. Cela se traduisait à l'époque par l'organisation de concerts dans une dizaine de communes toute l'année, celles-ci mettaient à disposition un local ou une salle des fêtes pour l'association, qui se chargeait généralement de l'équiper et de la sonoriser avec le matériel nécessaire. En termes logistique, cela représentait une charge particulièrement conséquente pour l'association qui devait faire face au manque de matériels adaptés pour la diffusion de concert. De plus, ne pouvant répondre aux demandes croissantes des formations musicales,

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l'association a choisi de concrétiser matériellement son projet itinérant à travers la création d'une scène mobile, le Musibus. Nous l'avons vu en première partie de cette étude, il s'agit d'un van entièrement sonorisé et équipé en matériels professionnels, toujours encadrés par un technicien. Les avantages du projet sont nombreux : il peut s'installer sur tous types de terrains, être rapidement mis en place et désinstallé ; une fois sa scène entièrement déployée, il peut recevoir jusqu'à sept musiciens (avec batterie, amplificateurs et retours). Depuis sa mise en circulation, le Musibus reçoit chaque année plus d'une soixantaine de formations et s'est implanté dans une cinquantaine de communes sud seine-et-marnaises. De plus en plus sollicité par les communes, le Musibus se revendique être un projet « clé en main » pour les collectivités, mais également pour les structures de santé et les établissements scolaires, s'implantant régulièrement dans les écoles (et participe à la diffusion des spectacles des élèves), les collèges et lycées, et donne la possibilité aux élèves de se produire sur scène avec leurs groupes, bien souvent pour la première fois.

Aussi, il constitue aujourd'hui un outil indispensable à la diffusion musicale sur le Gâtinais, ouvert à tous les niveaux de formations musicales. Bien qu'il réussisse à dépasser les contraintes géographiques, il ne peut toutefois répondre à un projet global de développement des musiques actuelles. En effet, il propose essentiellement la diffusion d'artistes locaux, et ponctuellement des répétitions encadrées, mais ne peut prétendre à un projet complet, basé sur le triptyque formation-création-diffusion. Pour Aurélien Boutet, le Musibus est « une initiative nécessaire mais non suffisante au sens où elle ne règle pas la question des pratiques amateurs par exemple, et peut, si on n'y prend pas garde, renforcer une vision utilitariste et occupationnelle des élus qui prendront le bus K clé en main » quelques fois dans l'année pour montrer qu'ils font des choses pour les jeunes mais sans s'attaquer aux problèmes de fond »137.

Si le Musibus peut permettre de répondre partiellement aux besoins des formations musicales, en s'axant sur leur diffusion, il reste encore un déficit en matière d'accompagnement (répétition, enregistrement, enseignement, info-ressource). De plus, la question de son instrumentalisation politique n'est pas à négliger. En effet, bien que pensé pour être directement mobilisé par les collectivités, le risque est que le projet soit assimilé à un simple outil d'animation municipale et que soient éclipsées les problématiques et enjeux liées au développement des pratiques amateurs sur le territoire. Toutefois, il faut préciser que

137 Extrait du dossier du Transistor n°30, « Musiques Actuelles et milieu rural, l'exemple du sud de la Seine-et-Marne », de 2010.

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l'association reste ambitieuse et désireuse de répondre de manière cohérente à ces problématiques, via notamment la création d'un nouveau projet itinérant : l'Underground Café. Mis en circulation en 2016, il s'agit également d'un bus (anglais), entièrement réaménagé en tant que centre socioculturel itinérant, l'association y a notamment installé une vynilothèque, alimentée directement par les habitants, et pouvant recevoir un groupe dans le cadre de répétitions ou d'enregistrement de maquette. Un projet qui suit les traces du Musibus, et qui ouvre encore le champ des possibles sur le territoire.

Ainsi, l'itinérance est une des réponses les plus appropriées au territoire rural du Gâtinais et constitue une des caractéristiques du développement des musiques actuelles sur ce territoire. Il convient désormais d'entrevoir une autre particularité de l'offre musicale en milieu rural : les festivals.

1.3. Le festival, une ressource nécessaire en matière de diffusion musicale

L'engouement pour les festivals ne se limite pas à quelques grandes agglomérations, il se diffuse jusque dans les petites villes et villages, et pas seulement touristiques. Certes, les festivals sont des activités ponctuelles, mais ils peuvent mobiliser des acteurs pendant toute l'année. On peut d'ailleurs citer le célèbre festival de Marciac, le festival les Vieilles Charrues à Carhaix, mais aussi un grand nombre de festivals plus modestes, qui, pour certains, ont vocation à faire connaître et diffuser les cultures du monde en milieu rural. Ils sont de plus en plus perçus comme un véritable levier au développement local, impactant économiquement, socialement et culturellement certains territoires. L'exemple de Jazz in Marciac est révélateur de cette dynamique : alors que le village de Marciac était menacé de désertification, le festival dont le maire en est aussi le directeur artistique, a notamment permis d'accroître son nombre d'habitants, de procéder à des travaux de réaménagement de la commune (financé par la région), d'attirer certains promoteurs et entreprises (Pierre et Vacances y a installé un de ses complexes), et de créer une salle de concert proposant une programmation annuelle.

Bien qu'aucun festival ne prétende aujourd'hui être de l'envergure de Jazz in Marciac, il n'en demeure pas moins qu'ils représentent sur le Gâtinais une source essentielle en matière d'offre musicale. Tous les festivals identifiés sont issus d'une initiative individuelle et collective. Bien que la moyenne d'âge de ces festivals se soit considérablement rajeunie au vu de l'arrivée récente de certains d'entre eux et la disparition de plus anciens (La Betterave Musclée par exemple, et ses 15 éditions), c'est justement cette dynamique de création qui nous interpelle. Elle

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est particulièrement révélatrice d'une envie de plus en plus accrue de participer au développement d'une offre sur le territoire. Aussi, l'on peut se demander si cette envie est motivée par de vrais besoins, comme l'exposent certains organisateurs, ou si c'est justement cette dynamique qui créée de nouveaux besoins. En effet, il apparaît que pour au moins deux festivals (Au Bon Coin festival et LaGrange festival), les organisateurs ont largement fréquenté le festival Notown et se sont appuyés sur l'association Musiqafon, en l'intégrant à leur projet. Que ce soit parce qu'ils considéraient que le festival Notown s'essoufflait, ou qu'au contraire celui-ci était un modèle à suivre, l'influence d'un tel évènement est notable sur ces initiatives. Il est alors possible d'identifier un cercle plus ou moins distinct d'habitués à l'offre musicale locale, désireux de mettre à profit cette expérience de spectateur, et bien souvent de musiciens ayant déjà participé au Notown, au service de leur propre projet. D'ailleurs, il n'est pas curieux de constater que les artistes locaux programmés par Musiqafon, le sont aussi dans les festivals Au Bon Coin et LaGrange, c'est le cas par exemple du collectif Woulaï, spécialisé dans les sound-system (dubstep, reggae/dub, musiques électroniques), que l'on retrouve régulièrement à l'affiche de ses évènements.

La saison des festivals dans le Gâtinais démarre à partir de fin mai, pour se clôturer le premier week-end de septembre. La majorité d'entre eux se concentre entre la fin du mois de juin et le début du mois de juillet, ainsi que sur les deux dernières semaines d'août. Excepté le Rainforest et la Douve Blanche, particulièrement orientés vers un public jeune (15-25 ans) et financièrement aisé (30€ l'entrée par jour), l'ensemble des festivals est ouvert à tous les âges et tend à être accessible au plus grand nombre à travers une politique tarifaire adaptée (en moyenne 5€ l'entrée, maximum de 12€). Le public accueilli est vraisemblablement local selon les organisateurs et est constitué à la fois d'un public jeune et d'un public familial. Difficile de connaître leur véritable profil étant donné le manque de données quantitatives, toutefois il est possible de dégager quelques traits et tendances. Hormis la présence de quelques têtes d'affiche d'envergure nationale ou internationale, qui motiveraient un public d'amateurs, le caractère très local de la programmation nous suggère qu'il pourrait s'agir à la fois : d'un public pour qui le festival représente une animation locale, motivé par son caractère festif et une certaine curiosité ; un public sensibilisé dont l'implantation d'un festival leur fournit l'occasion d'un sortie culturelle et pour qui leurs pratiques culturelles sont relativement développées ; un public d'habitués qui se déplacent volontairement pour un festival qu'ils ont déjà fréquenté, et dont ils souhaitent rester fidèles ; un public de « fans » pour qui la présence d'une ou plusieurs

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formations locales qu'ils connaissent ou soutiennent, souvent par le biais de leur entourage (famille, amis, proches), est une source de motivation. La programmation est relativement homogène entre les festivals, excepté pour le festival Django Reinhardt, où domine l'esthétique jazz. Ainsi, le rock, le métal, la chanson française, le reggae, le rap ou encore le hip-hop sont représentés dans les mêmes proportions dans la quasi-totalité des festivals.

A l'instar des projets itinérants, l'éphémère ou la forme festivalière apparaît comme une caractéristique prégnante en milieu rural, il s'agirait même d'une nouvelle tendance au regard des quatre nouveaux festivals créés depuis à peine deux ans sur le territoire. Si cette évolution peut traduire l'émergence d'une nouvelle dynamique, elle s'appuie à la fois sur un maillage local de plus en plus investi par une nouvelle génération d'acteurs ayant suivi et bénéficié des initiatives des plus anciens, et à la fois sur une tendance que l'on qualifierait de « néo-rurale », chargée d'une vision plus « urbaine » de l'offre, davantage inspirée des codes et des modèles plus « institutionnels » notamment en matière de communication (support répondant à une charte graphique professionnelle, développement d'un site internet, forte déclinaison des supports, plan de communication), d'équipements (scènes et matériels professionnels) et d'organisation (sas de sécurité, carte de paiement prépayée).

Il transparaît qu'à travers cette diversité d'initiatives, individuelles et collectives, marquée par l'itinérance et l'éphémère, qu'une multitude de dynamiques locales se développe. Toutefois celle-ci tend à être largement temporaire et à ne pas bénéficier tout au long de l'année, ni à la population locale, ni aux formations locales. Pourtant, ces initiatives participent non seulement à l'animation du territoire, mais recèlent aussi un véritable intérêt social et local.

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II. L'utilité sociale et territoriale des projets musiques

actuelles en milieu rural

2.1. L'interdisciplinarité comme spécificité.

Nous avons établi que la plupart des projets musiques actuelles en milieu rural sont nés d'une volonté de répondre aux attentes des populations du territoire, ressenties ou pressenties. Au fur à mesure de leur développement, le souci d'être ancré sur son territoire et d'y amener une plus value en direction des populations est une caractéristique forte des projets musiques actuelles qui se développent ainsi pas à pas, en interaction plus ou moins évidente avec leur environnement et avec les agents présents. Il faut remarquer que pour ces acteurs, il n'y a pas de référent reconnu sur un champ précis, mais une diversité d'acteurs et d'interlocuteurs institutionnels (collectivités, communautés de communes, parcs régionaux, etc.), sans véritable chef de file. Petit à petit, via les évolutions des équipes, l'ancrage du lieu, leur professionnalisation, les projets se sont inscrits dans une autre dimension, une responsabilité culturelle différente, qui a conduit progressivement à sortir du champ strictement musical, en répondant aux sollicitations de partenaires ou d'acteurs de différents secteurs sur le même territoire.

Un constat partagé par Véra Bezsonoff : « Une spécificité que je vois en milieu rural, c'est l'interdisciplinarité. Le fait de dépasser ton cadre sectoriel pour faire d'autres formes artistiques ou en tout cas travailler avec d'autres assos, qui ont d'autres formes artistiques qu'eux. Tu te retrouves souvent le seul acteur du secteur musiques actuelles, du coup quand tu veux faire du partenariat, tu vas développer des partenariats avec d'autres acteurs culturels, d'autres structures culturelles, qui seront justement dans le théâtre de rue, dans le cirque, etc., des formes hybrides. ». Si pour les MJC, l'interdisciplinarité est bien souvent l'essence même du projet, les autres acteurs n'ont pas initialement investi d'autres domaines culturels. C'est progressivement que se sont pensés des projets qui ne répondraient pas seulement aux attentes des amateurs de musique et des formations musicales. Dès lors qu'une structure s'investie dans le développement culturel de son territoire, qu'elle devient un espace de ressources en tant que seul acteur culturel, ses fonctions s'étendent à mesure que son implication croît. Le projet musiques actuelles restant sa première entrée, en revanche la nécessité d'élargir ses activités au-delà de la diffusion musicale s'impose.

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D'une part, La Tête des Trains a progressivement investi d'autres champs culturels, consciente de la nécessité de s'ouvrir à d'autres besoins devant la pauvreté des propositions culturelles sur le territoire. Son directeur conçoit d'ailleurs qu'il tend, à travers sa programmation, à être un « mini centre culturel ». L'entrée de la Tête des Trains à la fédération des foyers ruraux résulte de l'implication du lieu dans une diversité d'initiatives : « Les concerts c'était moteur, c'est ce qui fait venir les gens, mais â côté de ça on a des cours de gym, un ciné-club, pleins d'activités pour les enfants (...) donc il est évident qu'on adhère â la fédération d'éducation populaire ». L'engagement du directeur dans le mouvement d'éducation populaire est aussi révélateur d'une conception élargie de la culture et du rôle à jouer en tant que lieu culturel de proximité. Celui-ci défend l'intérêt éthique et social de la culture, entrevue comme un outil d'émancipation et d'ouverture, auprès notamment des jeunes : « La grande discussion c'est « les jeunes y choisissent, faut les laisser faire » et moi je dis non on est lâ pour leur ouvrir l'esprit, aussi bien pour la musique que pour les films, leurs montrer des choses qu'ils n'iront pas voir d'eux-mêmes et c'est vrai dans la mesure où dans les conditionnements familiaux et les conditionnements de la télé ils n'iront voir que certains trucs, et ils n'auront aucune envie de reproduire ce qu'ils ont vu lâ quoi. On a un boulot de fond â faire quoi. » Aussi, plus qu'un café-musiques ou d'un lieu de diffusion, la structure s'est peu à peu transformée en multiservice culturel rural. La polyvalence devenant une nécessité, le projet de l'association s'est naturellement ouvert à une dimension plus sociale, répondant désormais à être un Espace de Vie Sociale, soutenu par la Caisse d'Allocation Familiale de Seine-et-Marne. Le projet, intitulé « La Marmite des Rencontres », a pour objectif de concourir à l'animation de la vie sociale locale, conçu comme un support aux habitants, un outil de socialisation et de développement de la citoyenneté, favorisant les échanges, les temps de rencontres et d'implication des populations.

D'autre part, l'association Musiqafon répond également à cet élargissement au-delà de la dimension purement artistique. La portée éducative des projets de l'association est clairement revendiquée. Son déploiement au sein des établissements spécialisés et scolaires du territoire vise non seulement à favoriser l'expression des pratiques amateurs des jeunes, qu'elles soient musicales mais également plastiques, photographiques ou encore cinématographiques. Les élèves sont invités à participer à des ateliers, à créer leur propre exposition, à s'impliquer dans le montage collectif d'un projet, à travailler, sur la durée, autour d'un thème qui associe le travail d'un professeur. L'association développe ainsi des actions que l'on caractériserait de culturelles, au sens d'un processus de médiation et de transmission de certaines dispositions culturelles, qui

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respectent une série d'objectifs partagés entre l'association et l'établissement. S'il s'agit de développer d'une certaine manière le sens critique et l'expérimentation artistique des élèves, l'association tend également à diriger ses actions en matière de sensibilisation à la santé. Elle développe depuis plusieurs années des actions en partenariat avec des structures impliquées dans la prévention des risques et conduites addictives, notamment en milieu festif (Réseau Ville Hôpital Sud 77, Centre d'Accompagnement des Risques liés à l'Usage de Drogue, etc.).

En matière d'offres, il s'agit également pour la plupart des festivals, d'élargir leurs propositions artistiques à d'autres domaines, ce qui induit l'implication de partenaires issus de champs disciplinaires multiples. C'est le cas notamment du Au Bon Coin festival, dont la vocation ne s'arrête pas qu'à la diffusion musicale. L'intervention de plusieurs compagnies théâtrales, d'une troupe de cirque, de plasticiens ou encore de compagnie de danse caractérisent manifestement la volonté de proposer d'autres expériences culturelles. Le festival s'élargit à d'autres associations engagées, notamment dans le développement durable, en proposant des ateliers de pratique ou de découverte (initiation à l'hydroponie, compréhension de la chaîne de recyclage, etc.). Le festival est alors entrevu comme un temps privilégié, l'occasion de donner la possibilité aux participants d'expérimenter et de découvrir d'autres pratiques dans le souci d'élargir la simple perspective de consommation culturelle. Plus qu'une volonté de s'ouvrir à d'autres acteurs associatifs et culturels, il s'agit à la fois de valoriser une diversité d'actions locales en la centralisant sur un lieu, sur un temps et de multiplier les possibilités de rencontres entre les festivaliers et d'autres domaines. L'exemple des Gâtifolies insiste davantage sur la possibilité des populations à créer leur propre parcours artistique à travers une diversité de propositions. Un projet qui s'inscrit davantage dans une démarche de démocratisation culturelle, en suscitant l'appropriation de plusieurs formes artistiques, peut-être peu ou mal connues, via l'expérience sensible. L'apport de la culture est d'ailleurs vue par Christine Amara, l'organisatrice du festival, comme un vecteur d'enrichissement personnel et de conscientisation, comme un obstacle au repli individuel et à l'ignorance: « Dans tout être humain moi je crois enfin y'a ça, y'a ce regard de gosse, y'a cette possibilité d'être ému, d'être touché par quelque chose et c'est ça qu'il faut apporter quoi, et â l'heure actuelle c'est plus qu'indispensable, moi j'ai beaucoup insisté sur ça auprès des politiques, alors c'est pas que les attentats c'est pas ça, c'est surtout la montée du Front National, de l'obscurantisme, de la peur du voisin, de la porte fermée... »

Ainsi, cette démarche d'élargissement des activités au-delà de la diffusion, qui n'est le plus souvent pas présupposée par les structures, a permis de faire ressortir les besoins et envies

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d'acteurs locaux et de développer des projets en partenariat, et dans la co-construction. Et par effet induit, cela a permis d'impliquer d'autres personnes (enfants, publics spécifiques etc.) et de mettre en oeuvres d'autres type de projets (action culturelle, sensibilisation, jeune public, hors les murs, etc.). Les structures remplissent plusieurs rôles : pallier le manque d'équipement, permettre le développement des pratiques amateurs, contribuer à la diffusion, mais également être un vecteur de lien social et d'émancipation des individus.

2.2. Les notions de convivialité et de fête.

Si l'interdisciplinarité peut représenter une spécificité des projets en milieu rural, il apparaît que les notions de convivialité, de fête, de liens et de rencontres facilitées entre les personnes soient aussi clairement revendiquées. Souvent à l'origine d'une bande d'amis désireux de proposer une animation musicale près de chez eux, la création d'un projet musiques actuelles est souvent motivée par le désir de proposer un temps de rencontre et de partage dans une ambiance festive. Organiser un concert ne constitue pas seulement une offre de diffusion artistique, elle est bien souvent associée à la dimension de convivialité, de plaisir et de divertissement. C'est l'occasion de se retrouver dans un contexte qui échappe au cadre quotidien et à la vie ordinaire, souvent monotone. La fête se distingue de cette monotonie et suggère un temps à part, précieux, détaché des contraintes habituelles. La nature libératrice de la fête s'exprime bien souvent sous la forme d'un défoulement à la fois physique et morale, permettant de décharger l'accumulation des tensions et des difficultés quotidiennes. La fête s'inscrit dans un temps et un espace qui lui est propre.

Il s'agit également de rompre l'isolement, de se retrouver entre pairs pour partager une expérience commune dans un cadre consacré. Les notions de fête et de convivialité peuvent apparaître comme des éléments fédérateurs notamment pour les personnes impliquées dans les structures musiques actuelles. L'équipe, les bénévoles, les artistes sont particulièrement animés par ce temps festif qu'ils peuvent aussi considérer comme une satisfaction, comme la résultante d'un travail bien accompli. Si les gens s'amusent, c'est que le pari est gagné. Un regard partagé par Pierre Beltante pour qui les concerts sont aussi des temps de rassemblement, de partage entre tous les âges : « Les musiciens sont contents quoi. Donc ça apporte une satisfaction. Bon en plus, c'est quand même un public intergénérationnel, dans ce public. Ils viennent des fois en famille. Alors l'exemple type, c'est quand tu fais un truc du genre soirée Beatles ou soirée Shadows, là t'as des grand-pères, leurs fils et petit-fils. Là c'est une sortie, ils y vont en famille ».

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À l'image des fêtes de village, les concerts sont aussi l'occasion de se réunir, en famille ou entre amis, de partager et de vivre ensemble une même pratique, sans considération d'âge.

Si les objectifs du projet artistique initial sont respectés, la réussite d'un évènement offre un contentement personnel et collectif particulièrement fort. Devant la satisfaction visible des participants et la manière dont ceux-ci s'emparent de l'espace, Christine Amara témoigne de son étonnement : « Moi je dirai pas : tiens on va â l'opéra, prends ton ballon de foot...Là on n'était pas â l'opéra mais les gens pour eux le festival reste peut-être pas mal... c'était la fête (...) euh moi j'aurais préféré qu'ils viennent avec les parents, avec les paniers, les pique-niques et tout ça, ça me dérangeait pas du tout, tu vois dans l'état d'esprit, j'ai été surprise surtout voilâ... ». Il est intéressant de constater que Christine Amara récuse, d'une certaine manière, le comportement de ces festivaliers, peu respectueux des codes de conduite qu'elle considère, de par ses propres dispositions culturelles, plus adaptés. Les festivaliers investissent le site comme un espace de liberté, comme un espace de divertissement. Un comportement qui aurait probablement été tout autre au sein d'une scène nationale. Mais ici, il n'y pas de barrière, pas d'association à l'image institutionnelle et classique de la culture, pas de hiérarchie, ni de formatage des comportements au sein d'un festival pourtant porteur d'une offre culturelle revendiquée « de qualité ».

Au-delà du caractère festif, et de son émanation chez les festivaliers, l'organisatrice des Gâtifolies souligne également avec satisfaction l'expérience inédite d'un habitant peu familier d'un tel évènement : « Je crois que nous on a gagné parce que, parce que Germain par exemple l'ouvrier agricole qui a 74 ans qui est jamais sorti de son village est venu avec sa femme, sur un spectacle il est partit trop tôt parce qu'il s'embêtait, il comprenait pas et puis après ça explosait, c'était génial et le lendemain tous ses copains voilâ lui ont dit « mais pourquoi t'es parti, mais t'es con » et tout donc en fait, le lendemain, le surlendemain, il est resté tout le temps et je l'ai vu rire. ». D'un côté, il apparaît que l'organisatrice est pleinement satisfaite d'avoir permis une rencontre entre une proposition culturelle et cet homme qui semblait initialement peu habitué à cette offre, et de l'autre, on ressent l'influence des pairs sur le comportement de cet homme, alors plus réceptif et plus proche de l'offre. La proximité de l'évènement et son appropriation par une certaine catégorie de public, peu ou prou coutumier à ce type de manifestation culturelle participe, d'une certaine manière, à rompre l'isolement de certains individus, à permettre une expérience nouvelle, vécue intimement et collectivement.

Dès lors, la culture apparaît comme un vecteur de lien social et d'enrichissement personnel fort, impactant directement sur le comportement des individus. La notion de fête influe sur la

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façon de construire les propositions artistiques faites à la population, afin qu'elle puisse partager un moment festif global, qui inclue le concert, mais où elle se retrouve également associée à une ambiance conviviale et collective, au-delà du moment de diffusion, favorisant ainsi la création d'un vécu et d'une identité commune, facteurs de développement des liens sociaux. On peut ainsi parler d'un véritable espace et d'un moment de socialisation important. L'ambiance conviviale et festive participe également à une appréhension plus évidente des propositions culturelles, l'environnement social et surtout amical favorisant une approche plus décomplexée de l'offre culturelle.

2.3. Bénévolat et implication des populations locales

Un autre aspect partagé par les projets musiques actuelles sur le territoire est le développement associatif vécu comme mode d'implication de la population. En effet, ces projets, de par leur dimension associative, permettent également à la population locale de s'impliquer dans une dynamique et un processus collectif. De fait, il participe à dépasser le comportement de consommateur culturel. Dès lors, les projets revêtent la fonction d'espaces d'implication ouverts et permettent aux personnes de s'investir, de s'intégrer sur un territoire, de proposer, de partager, voire même de se réaliser notamment par une implication bénévole au sein des projets. Expérience gratifiante et citoyenne, le bénévolat est aussi indispensable aux structures, il est partie prenante de leur projet, et notamment en milieu rural. Si les compétences des bénévoles ne sont pas spécifiques au domaine culturel et musical, c'est aussi ce qui en fait leur force, n'étant pas en prise à des conceptions formalisées d'une certaine manière de faire et d'agir. Aurélien Boutet entrevoit d'ailleurs cette liberté d'agir comme essentielle au projet : « c'est des bénévoles qui interviennent, donc ça pour moi c'est la force du milieu rural et c'est aussi une force de pas être professionnalisé c'est-à- dire que les bénévoles gardent la main sur le projet associatif et ça pour moi c'est fondamental. » La capacité d'un projet à inclure des populations investies est aussi une façon d'ancrer localement un projet, qui ne se revendique plus comme la création d'une poignée d'initiateurs, mais comme un projet fédérateur, appartenant à tous. Dans la plupart des discours des acteurs de projets, le nombre de bénévoles impliqués est d'ailleurs largement souligné et justifie pour eux l'intérêt de leurs initiatives. Les projets représentent des espaces d'investissement et de construction personnelle qui dépassent alors la simple dimension affinitaire, en s'ouvrant à des milieux et des personnes qui ne se seraient pas rencontrés autrement et qui n'y seraient pas obligatoirement venues parce qu'elles y connaissent un pair. Néanmoins, cette donnée repose sur la capacité des structures à assurer

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une vie démocratique renouvelée afin de s'assurer d'une certaine diversité et éviter ni rejet, ni exclusion. C'est par conséquent une donne qui influe directement sur le portage et la transmission des projets associatifs et l'envie, de certains individus, de poursuivre voir de créer eux-mêmes leur propre projet.

L'implication même d'organisateurs nouvellement installés sur le territoire, peut favoriser une modification des points de vue et d'appréciation de leur propre statut de « néo-ruraux ». L'exemple des Gâtifolies, illustre bien cette évolution des représentations, souvent peu gratifiantes à l'égard des « guignols » parisiens, qui ont cependant réussi à « prouver » qu'ils avaient leur place : « la difficulté aussi c'était les portes fermées, voilâ on arrive et on est les parisiens, alors qu'on vient vivre ici, on vient s'intégrer dans le tissu social, des vrais néo-ruraux et non intégrés. (...) Il faut une dizaine d'années normalement, sauf que le festival en un an nous a permis de gagner cinq ans, c'est-à-dire que lâ tout c'est ouvert voilâ, une implication et puis genre ouais ils sont sérieux ceux-lâ, c'est on te juge, t'arrives t'es un guignol et puis ben tu fais beaucoup, enfin d'un certaine manière pour la commune et puis lâ t'es plus un guignol, voilâ les paysans nous l'on dit, ils nous ont vu bosser lâ pendant un an ; tout ça pour deux jours genre ah oui y'a aussi des métiers où on fait pas semblant, c'est pas rapport â l'argent et tout, c'était par rapport au travail â cette valeur du travail, ah ouais c'est des bosseurs c'est pas que des saltimbanques... lâ on a fait monter le baromètre très haut sur l'estime du monde artistique, des artistes. » Si la nature et l'intérêt des activités ne sont pas toujours compris par les habitants locaux, c'est en générant la rencontre et le dialogue ainsi qu'en rendant tangibles leurs efforts pour monter un projet que progressivement les mentalités ont évolué. La problématique de lisibilité et d'appréciation du processus d'évolution ne se pose pas dans les mêmes termes que l'on soit face à des habitants ou face à des élus locaux. Notons que l'association Champ Libre a également beaucoup insisté sur l'implication locale, en organisant en amont du festival plusieurs temps de rencontre et de présentation du projet aux habitants. Ainsi, la force de l'assise populaire, de la légitimation des projets par le regard et l'acceptation des populations elles-mêmes est une donnée essentielle pourtant rarement prise en compte par les pouvoirs publics.

De plus, les projets sont parfois amenés à remplir la fonction d'insertion professionnelle et sociale en accueillant des personnes en formation, en découverte d'activité professionnelle, voir en réinsertion. Pour l'association Musiqafon, l'essentiel des jeunes pris en formation technique ou administratif, plus globalement en formation aux métiers du spectacle, a participé en tant que spectateurs ou praticiens amateurs aux évènements organisés. La proximité effective du

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Musibus à leur lieu de vie ou parfois d'étude, a certainement stimulé des choix d'orientation qui n'auraient probablement pas existés sans ce type d'initiatives, tout comme l'envie de s'impliquer dans la vie culturelle de leur territoire138. Ils permettent également à d'autres jeunes de trouver un emploi dans le secteur de l'animation ou du spectacle en étant les seuls structures dédiées à pouvoir les accueillir sur leur territoire. C'est le cas par exemple de la Tête des Trains, qui emploi et accompagne depuis 2014 un jeune aux multiples fonctions dans le structure, devenu indispensable à la gestion quotidienne du lieu. Il s'agit également de lui donner les conditions de sa pleine réalisation professionnelle, en lui permettant de continuer en parallèle ses études en management des associations, et en lui donnant les possibilités d'être force de propositions et d'expérimentations (il est d'ailleurs à l'initiative de la Marmite des Rencontres) et d'être au coeur des problématiques du secteur (en étant un porte parole et un acteur à part entière au sein du réseau Pince Oreilles). Bien qu'il ne s'agisse que d'une poignée de jeunes accompagnés sur le territoire, il n`en demeure pas moins que les structures représentent des supports essentiels pour les accompagner dans leur avenir professionnel.

La revendication de l'utilité sociale des lieux et structures de musiques actuelles en milieu rural résulte de la fonction de palliatif au service public, les acteurs culturels développant des réponses que l'école par exemple, ou la collectivité ne proposent plus. La transmission, la découverte, le partage et la rencontre sont autant d'éléments essentiels pour l'investissement des populations, jeunes et moins jeunes, dans un projet dont ils peuvent pleinement se saisir. L'accompagnement des bénévoles ont indéniablement fait évoluer les projets vers d'autres publics et ouvert des perspectives personnelles et professionnelles pour une partie d'entre eux. Notons que l'apport en réciprocité qu'est le bénévolat n'est encore que très rarement évalué et valorisé dans l'économie des projets, alors qu'il représente un appui majeur au bon fonctionnement des structures. Ces constats constituent un enjeu capital dans la transmission et l'inscription des projets dans leur environnement, en touchant directement le vécu des personnes et des collectifs, et nécessitent, de fait, un partage de ces enjeux d'évolution et de construction. Les structures sont ainsi confrontées à un stade de développement où leur positionnement peut s'axer davantage sur une implication en tant qu'acteur de développement du territoire en partenariat avec les autres composantes déjà en place. Dès lors, il convient, à la

138 Dans son projet territorial de 2009, l'association constatait d'ailleurs l'attrait pour la jeunesse locale en terme d'investissement aux projets indiquant une évolution palpable : « Si l'on a souvent pu entendre souligner le manque d'investissement des jeunes il y a quelques années, il n'en est plus rien aujourd'hui. Les jeunes de l'arrondissement de Fontainebleau sont très nombreux à souhaiter s'impliquer dans l'organisation d'événements artistiques et l'on se doit de les accompagner. »

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vue des caractéristiques de ses projets musiques actuelles en milieu rural, de déterminer les principaux enjeux qui en découlent.

III. Enjeux et perspectives pour le développement des musiques actuelles en milieu rural

3.1. Pour le développement artistique et économique des projets.

Il nous paraît indéniable d'associer le rôle des acteurs musiques actuelles présents sur le territoire à celui de véritables agents de développement culturel local, et donc d'insister sur l'importance d'une prise en compte publique de ces initiatives, notamment en terme de développement artistique.

Même si l'on peut constater de façon globale sur les projets musiques actuelles en milieu rural, la contrainte des volumes budgétaires dédiés entièrement ou en partie, qui sont souvent peu élevés, il apparaît néanmoins que ces structures jouent un rôle effectif dans le soutien aux artistes et aux formations musicales en développement, en leur permettant notamment d'accéder à leurs premières expériences scéniques. Le sentiment d'avoir sa place, d'être soutenu et reconnu par un acteur « légitime » du secteur des musiques actuelles, apparaît comme un élément structurant pour les groupes locaux, en mal de véritable interlocuteur sur leur territoire.

De plus, s'instaurent également avec les musiciens et les groupes locaux d'autres rapports que ceux tissés au sein des « circuits habituels de diffusion », que l'on retrouverait davantage en milieu urbain. L'itinérance et la proximité de certains projets ont permis de générer une vie musicale locale, un circuit de diffusion plus alternatif, plus modeste, mais tout aussi dynamique en termes de circulation et de brassage d'une centaine de musiciens. L'accueil, la convivialité, l'implication parfois personnelle des musiciens dans les projets musiques actuelles montrent un certain attachement à ce rapport davantage qualitatif avec les structures, rapport peut-être encore trop peu pris en compte par l'environnement professionnel (producteurs, tourneurs, manageurs, etc.) qui semblent être les grands absents du développement des groupes en milieu rural. Pourtant, ces structures peuvent représenter un intérêt géographique dans la construction des tournées, en permettant une halte entre deux

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métropoles. Un constat que Philippe Berthelot au cours d'un entretien a clairement exposé : si les artistes d'une certaine renommée viennent bien moins en milieu rural étant donné le faible apport en matière de communication, d'autres, plus « volontaires », continuent de venir investir les équipements et projets, sous la forme de résidence ou d'installation régulière. Ils y trouvent de nouveaux types d'échanges avec le public, des contacts humains facilités et une source d'inspiration dans un cadre dépaysant. Toutefois, malgré ces rares « volontaires » qui souhaitent toujours venir dans les structures musiques actuelles en milieu rural, le fait est que celui-ci ne réussit pas à véritablement capter des artistes de renom, ni sembler particulièrement attirant, pour peu qu'on en ait connaissance.

Un désinvestissement qui peut encore s'expliquer par le manque de visibilité des structures, difficilement combler par un appui public, peu sensibilisé à ce type de considérations. Pourtant, il ne faut pas négliger l'économie globale que représenterait l'articulation de tournées d'artistes en milieu rural, au niveau national et plus local, via notamment la fonction de développement artistique des lieux.

Bien que cette « plus-value » en termes de développement artistique ne soit pas encore forcément mise en avant dans les projets des structures, elle pose toutefois la question de la rémunération artistique et du soutien public. Ce sujet doit revêtir une prise en compte collective, avec l'ensemble des acteurs, afin de concourir conjointement à un équilibrage territorial, économique et artistique. Le besoin de solidarité, bien que fortement partagé entre les acteurs, doit également s'appliquer à l'échelle des autorités publiques. Il s'agit de donner les moyens aux structures de s'impliquer véritablement dans l'accompagnement des groupes en développement et le soutien à l'émergence. La possibilité de rémunérer une tête d'affiche par exemple, peut permettre à la fois de diversifier et d'élargir les publics, d'assurer une meilleure visibilité du projet, et de générer, de fait, une économie qui peut impacter au-delà de la sphère de la structure (restauration, hébergement, etc.). Ce type de dynamique peut en effet donner lieu à un développement direct ou indirect de projets extérieurs (le remplissage d'un camping avoisinant par exemple), selon les besoins liés à l'activité d'une structure musiques actuelles en milieu rural. Aussi, on peut envisager la conception d'un schéma de développement qui pourrait concourir à la création d'une dynamique territoriale en dehors du tourisme estival, à l'image du festival les Vieilles Charrues. Afin de répondre à un juste financement des projets culturels et artistiques, ceux-ci ont nécessairement besoin de l'implication des élus dans la mise en oeuvre globale de ce type de schéma, ils peuvent en effet être un relais majeur dans la recherche d'autres sources de financements, dans l'incitation au partenariat d'autres acteurs

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issus du secteur commercial. En effet, ce qui se joue en parallèle des projets culturels, relève du développement économique global, et de l'apport de services sur le territoire.

Les enjeux de développement économique des projets musiques actuelles sur le territoire rural du Gâtinais restent encore à développer. Il s'agit d'affirmer la nécessité de développer le modèle économique des lieux en prenant en compte l'ensemble des mécanismes de fonctionnement du secteur musical. La précarité croissante du salariat associatif nécessite également de trouver des solutions durables à travers une meilleure appréhension publique des mécanismes de structuration. Si les retombées économiques sur la vie locale sont toujours difficiles à évaluer, il ne faut pas sous-estimer l'attractivité que peut générer un projet culturel sur le territoire. Nombreux sont les exemples qui aujourd'hui permettent d'envisager la culture comme vecteur de développement territorial et économique. Il en va de l'attrait que peut représenter un projet culturel territorialement ancré. Et c'est ce à quoi nous souhaitons prolonger nos prochaines réflexions.

2.2. Maintien d'une dynamique vitale â travers les musiques actuelles

D'autres éléments peuvent être valorisés dans le rapport économique des structures musiques actuelles à leur territoire rural. C'est ce que nous avons abordés en filigrane dans la partie précédente, c'est-à-dire la capacité des structures et de leurs projets à développer de l'attractivité sur leur territoire et de générer de manière plus ou moins directe, des retombées économiques. La mobilité accrue des individus, qui sont aussi plus enclins à se déplacer par attrait, pour une proposition artistique spécifique, peut induire une découverte du territoire, et participer à sa vie économique. De même, l'implication des producteurs locaux et des artisans non issus de la filière musicale dans certains projets, génère à la fois des retombées économiques à l'échelle locale, une valeur ajoutée au projet culturel et une inscription plus forte au sein du territoire. Sans réduire l'intérêt du projet à sa capacité de générer une économie locale mesurable, une piste intéressante serait de s'interroger sur la manière dont l'investissement publique peut se traduire en termes de retombées sous formes de dépenses locales (pour un euro investi par les politiques publiques, combien d'euros sont générés localement).

La présence d'une offre musicale diversifiée, dans un cadre atypique, qui jouerait justement sur son caractère « marginal » et décalé, peut participer à la définition d'une identité culturelle locale singulière et attractive. Aussi, à l'heure de « l'hypermobilité » et de la « multi-appartenance territoriale », l'enjeu s'il est d'abord économique, est aussi sociale et

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démographique. Si pour certains l'arrivée à la campagne n'est pas synonyme de choix, d'autres l'on investit pour y concilier harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle. L'implication de certains « néo-ruraux » en matière de projet et de développement d'une offre culturelle témoigne d'un enthousiasme certain pour investir leur territoire, et de répondre, in situ, à leur envies et besoins. Le complexe du territoire dénué de toute attractivité, peut se renverser au profit de propositions qui placent les populations dans un comportement d'acteurs plus que de consommateurs. Et même si chaque territoire rural revêt de caractéristiques propres en termes de flux migratoires, d'appréhension de ces évolutions, de dynamismes de développement et d'ouverture aux nouveaux arrivants, l'enjeu actuel du monde rural est le maintien, voir le développement, des services répondant aux besoins des populations déjà installées ou arrivantes. Comme en témoigne Philippe Berthelot, la présence d'un équipement ou d'une structure dédiée aux pratiques, à la diffusion ou à la répétition peut être déterminante dans l'installation de néo-ruraux et leur désir d'y rester. Ceci constitue donc un véritable enjeu de développement des territoires ruraux pour permettre le maintien du peuplement du territoire, dans le souci de préserver une dynamique vitale.

Si on peut parler d'attentes affirmées en termes de propositions et de pratiques culturelles de la part des urbains nouvellement installés, il ne faut pas occulter celles des populations déjà résidentes, et l'intérêt du développement culturel dans les espaces en déficit d'équipements et de services dédiées à la culture. L'enjeu pour la collectivité n'est pas seulement d'être attractive, en proposant une programmation culturelle et musicale alléchante, mais il s'agit également de tisser et solidifier les liens entre la population et leur territoire. Un enjeu d'autant plus important en milieu rural que celui-ci doit s'adapter à une métropolisation progressive et des territoires aux densités morcelées, ainsi qu'à une tendance à l'entre-soi et à un repli sur l'espace domestique139. Aussi, il ne s'agit pas pour les politiques publiques de réduire le besoin des populations à une demande de consommation culturelle, mais de considérer son intervention dans le respect de leurs droits culturels, en s'attachant concrètement aux préoccupations culturelles des populations. En effet, le droit de participer à la vie culturelle, ne peut exclure ni faire de distinction entre groupe, il s'agit de reconnaître la liberté et la dignité des cultures de chacun, en s'attachant au développement humain.

139 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action publique des petites villes. Un révélateur des politiques urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour, n°83, 2008

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De fait, il s'agit de réussir à s'inscrire dans une problématique plus large que celle des musiques actuelles, celle du politique au sens large, celle du vivre ensemble, de l'intérêt général.

3.2. La co-construction, une solution d'avenir ?

Les mutations administratives du territoire actuellement en cours, risquent d'accentuer la fragilité des structures implantées sur le Gâtinais, un territoire relativement attractif. Il devient indispensable de garantir une politique d'ensemble cohérente et généralisée. Il s'agirait s'instaurer une vraie volonté de co-construire, d'impliquer et de sensibiliser chaque partenaire institutionnel et les collectivités territoriales, les acteurs culturels, éducatifs et sociaux du territoire, ainsi que chaque partenaires relevant des acteurs et organisations professionnelles du secteur, dans le souci d'instaurer de véritables politiques partenariales et de donner les moyens de garantir l'équité territoriale.

L'élaboration de conventions d'objectifs et de moyens, pluripartites et pluriannuelles constituerait un acte fort de participation et d'engagement collectif, tout en reconnaissant les missions des acteurs culturels. Proche d'un pacte de confiance, cet outil ne devrait cependant pas se limiter à un instrument uniquement technique qui administrerait les relations entre les acteurs culturels et leurs partenaires. Il ne s'agit pas simplement de valider un projet associatif qui croiserait les politiques publiques en place, mais d'une implication réelle et partagée dans les enjeux culturels qui viendraient nourrir des intentions politiques. La posture de validation à posteriori des collectivités doit ainsi être renversée pour donner lieu à une réelle démarche de co-construction. Cela suppose également la définition d'un partenaire représentatif sur le territoire, un « chef de file » en milieu rural qui donnerait l'impulsion à ce type de démarche, ce qui dans le contexte du Gâtinais peut représenter un frein. En effet, notre analyse a permis notamment d'établir que malgré les liens générés entre structures, les dynamiques créées ou renforcées, il n'existe pas de véritable mouvement fédérateur.

Au niveau des collectivités, l'échelon le plus proche de notre territoire serait l'intercommunalité, qui représente un enjeu d'avenir dans la définition de projets co-construits, seulement la redéfinition en cours de leurs limites et de leurs politiques sur le Gâtinais représente davantage une faiblesse pour mener à bien ce type de démarche. Outre le fait que les compétences culturelles ne font pas partie de leurs compétences obligatoires, mais relève d'une responsabilité encore mal définie, la maturité politique d'un développement culturel territorial à l'échelle de l'intercommunalité ne semble pas atteinte. Les élus sont également en proie à des

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stratégies individuelles, plus enclins à défendre leurs réseaux et leur territoire individuel, l'identité et la proximité singulière de l'élu étant moins valorisées en termes de retour d'image à travers l'intercommunalité.

Dans ce contexte d'incertitudes, il apparaît que le département serait certainement en mesure d'être un interlocuteur privilégié des territoires ruraux. À l'instar des Scènes Rurales dont il est l'initiateur, il serait possible d'envisager un tel dispositif de coopération entre les projets musiques actuelles, les communes et les lieux en place, dans une dynamique permanente et soutenue. On peut toutefois déplorer le manque de politiques culturelles clairement établies par cette collectivité qui semble avoir des difficultés à véritablement incarner une identité singulière.

En somme, il s'agit de mettre en place une véritable démocratie participative. La définition des politiques culturelles ne revenant plus seulement aux mains des élus et conseillers municipaux, mais à toutes les parties impliquées, en milieu rural, plus qu'ailleurs. Il en va selon Philippe Berthelot d'une « éthique démocratique plus participative » sous l'angle de l'intérêt général, de la cohésion sociale et du vivre-ensemble.

Les Concertations Territoriales pour le développement des musiques actuelles initiées dès 2004 par la constitution du Conseil National des Musiques Actuelles donnant lieu à un texte140 en 2006 cosigné par les participants (État, collectivités territoriales et professionnels) a pour objectif « de définir les cadres des politiques territoriales, de façon concertée » entre l'État, les collectivités territoriales et les acteurs professionnelles (de terrain), à l'aide notamment des SOLIMA, les Schémas d'Orientation pour les Lieux de Musiques Actuelles. Une trentaine d'initiatives de ce type ont été lancées au niveau national. Bien que ponctuelles et éparses ces concertations ont toutefois permis de faire évoluer certains regards et postures portés sur les projets musiques actuelles. Il faudrait bien sûr rendre ce processus de concertation permanant et engager une vraie dynamique sur la durée.

Face à une organisation politique des centralités (qui se retrouve dans la loi Notre), il convient d'initier fortement une démocratie locale, non plus consultative, mais vraiment citoyenne. Toutefois, les concertations supposent un travail de réseau, des capacités d'animation, de savoir faire : mobiliser les populations, les rencontrer, parler, écouter, s'intéresser, sortir de son schéma de fonctionnement et aller aux devants. En effet, la ruralité oblige à l'imagination, à sortir des modèles tout faits. Et cela passe en partie par une lecture

140 Conseil Supérieur des Musiques Actuelles « Pour des politiques publiques nationales et territoriales en faveur des musiques actuelles », 2006

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attentive du territoire, et notamment de son histoire. Faire place au jeu de solidarité est essentiel, il s'impose même en milieu rural. Espace de tradition, de « débrouillardise », dans lequel il faut savoir s'adapter, « se serrer les coudes ». D'où, encore une fois, l'importance des allers-retours, et de la porosité des projets. Les choses seraient bien plus complexes à établir sans.

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Conclusion

Au terme de cette étude, il convient de souligner la place encore marginale et fragile occupée par les musiques actuelles dans le Gâtinais ainsi que la difficulté de développer un véritable projet musiques actuelles qui répondrait globalement aux attentes des populations et des formations musicales, amateurs ou professionnelles. Dans un territoire qui totalise des centaines de groupes et d'artistes, la situation est encore insatisfaisante pour prétendre à une équité territoriale et surtout à des conditions d'accès aux équipements adaptés et similaires sur l'ensemble du département. Toutefois les éléments abordés nous permettent sans ambigüité de conclure à l'existence d'interactions importantes, d'un maillage d'acteurs en perpétuel évolution entrant souvent en résistance face à cette situation inégalitaire. L'investissement de nouveaux arrivants, majoritairement néo-ruraux et de jeunes locaux aux côtés d'acteurs plus historiques témoigne de cette envie de faire et d'agir au sein d'un espace « des possibles », porteur d'initiatives aux modes d'intervention innovants cherchant à s'adapter à ses différentes configurations spatiales, au plus près des populations. Les initiatives analysées dans cette étude tendent à inverser le rapport de « l'offre » des collectivités territoriales pour se placer sur la notion de « réponse » qui doit intégrer la logique de l'autre. La diversification des activités, des propositions artistiques et l'élargissement à d'autres disciplines et secteurs apparaissent comme une évolution indispensable. En effet, de façon progressive, au fil de leur ancrage, les projets évoluent vers un développement de leurs fonctions, sans que ce processus soit forcément formalisé à l'origine des initiatives.

Pour les acteurs les plus anciens du territoire, leur développement a été synonyme de prise en compte graduelle des attentes non satisfaites et des besoins émergents, à mesures des évolutions démographiques et des mutations territoriales. Face au manque et à l'isolement, les structures deviennent ressources pour leur territoire et participent à une multitude de mécanismes de développement territoriaux en lien fort avec leur environnement local. On peut en outre conclure à l'existence de points communs importants entre les motivations des structures, notamment en termes d'engagement et de volonté de faire exister une offre qui ne soit pas seulement entrevue comme un bien de consommation. Si les structures sont dans l'ensemble ouvertes à tous, et apparaissent comme des espaces d'expérimentation de chacun par chacun, qui s'inscrivent nettement dans une démarche d'éducation populaire dans leurs discours et actions dans le domaine de l'accompagnement des pratiques musicales et artistiques, il importe de dépasser le discours et l'évidence supposée, et de développer une réelle réflexion

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quant à leur rôle politique, en mettant en exergue les notions de citoyenneté et de démocratie participative.

Il convient par ailleurs de souligner les effets des logiques et intérêts individuels rencontrées entre acteurs, qui malgré un tissage relativement dynamique, montrent des tendances à l'autonomisation. Le manque de véritable synergie entre acteurs du même territoire, volontaire ou involontaire, complexifie l'appréhension d'un éventuel schéma global de développement en faveur des musiques actuelles. L'on peut souligner les difficultés d'implication des réseaux et fédérations, hormis dans le cadre de demandes de soutien spécifique, pour favoriser et valoriser cette partie de la scène locale seine-et-marnaise, qui ne peut profiter des mêmes conditions de développement que sur la frange ouest du département. Il en est de même pour les institutions publiques, qui appréhendent les musiques actuelles sous l'angle de l'animation ou celui de la démocratisation de la culture mais qui n'ont, semble-t-il, pas pris conscience du potentiel de ces structures en termes d'utilité sociale. Cette approche peut être objectée par certains acteurs, comme par exemple Jean-Michel Lucas, pour qui « une association de musiques amplifiées n'a pas â se donner comme mission de régler les problèmes des quartiers en difficultés, ou de faire évoluer le système éducatif, ou de rendre les habitants plus citoyens... »141. Or, sans négliger l'importance de l'artistique et du développement des pratiques, comme cela est souvent fait par les pouvoirs publics qui instrumentalisent les musiques actuelles comme étant un moyen et non une fin par mécompréhension ou simplement par manque de volonté, il s'agit de participer à une réflexion des lieux sur leur projet, étant donné que tous ou presque se place dans cette perspective, notamment dans le cadre de leurs demandes de subventions142.

À ce titre, il est apparu que la majorité des projets musiques actuelles étudiés se caractérisent d'abord par une entrée historiquement artistique, au sens d'une activité exclusivement dédiée à la diffusion musicale ou à une esthétique particulière ; puis ont évolué vers une entrée culturelle, dans la perspective d'un équilibrage des besoins des populations en termes de diffusion et d'accompagnement des pratiques ; pour récemment investir une entrée « territoriale », à travers l'accompagnement local des projets associatifs ou individuels du

141 Dans Les Rencontres du Grand Zebrock. Une nouvelle ambition pour les musiques amplifiées/actuelles en Île-de-France, actes des Rencontres des 6 et 7 novembre 1998, Chroma, 1999, p. 26

142 A ce sujet, Franck Lepage évoque « le catéchisme des demandes de subventions : partenariat, développement local, lien social, citoyenneté, etc. » (in Le Travail de la culture dans la transformation sociale : une offre publique de réflexion du ministère de la jeunesse et des sports sur l'avenir de l'éducation populaire, La Documentation Française, 2001, p. 103)

109

territoire avec des outils adaptés. Cette dernière entrée au sein des projets en milieu rural revêt une dimension forte d'utilité sociale, comme c'est le cas pour certains lieux en quartiers périphériques, en banlieues fermées, dont les problématiques se rapprochent.

Dans cette perspective, il s'agit de trouver des voies de coopération entre les structures et les collectivités locales, dans un équilibre entre une formalisation excessive, risquant l'uniformisation, et une nébuleuse autour des projets et des valeurs. Si l'on considère plus largement ce domaine artistique, les musiques actuelles, souvent qualifiées d'urbaines, dépassent de très loin le cadre urbain. Elles épousent les évolutions de la société et c'est pour cette raison qu'elles doivent faire l'objet d'une prise en compte attentive par les politiques publiques.

110

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115

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Site du Centre d'Information et de Ressources pour les Musiques Actuelles :

www.irma.asso.fr

Site des Pôles Régionaux de Musiques Actuelles : www.pole-musiques.com

Site du Fonds de Création Musicale : www.lefcm.org

Site du Centre National de la Chanson, des Variétés et du Jazz : www.cnv.fr

Site national du Département des Études, de la Prospective et des Statistiques sur les Pratiques

culturelles des Français : www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr

Site de la FEDELIMA (Fédération des Lieux de Musiques Actuelles) : lwww.fedelima.org

Site du Conseil Départemental de Seine-et-Marne : www.Seine-et-Marne.fr

Site du réseau départemental des Musiques Actuelles, le Pince Oreilles

www.pinceoreilles.fr/

Site ressource de l'association et SMAC, le File 7 : www.file7.com

Territoire et milieu rural

Site ressource de la FEDELIMA, sur les musiques actuelles et le milieu rural :

www.ruralite.fedelima.org

Site du Ministère de la Culture et de la Communication en Ile-de-France :

www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/Drac-Ile-de-France

Site du programme de recherche «Culture et Territoire en Ile-de-France» : www.culture-et-

territoires.fr

Site de la Confédération Nationale des Foyers Ruraux : www.fnfr.org

Site de l'Union Départementale des Maisons des Jeunes et de la Culture de Seine-et-Marne :

www.udmjc77.org

Site portail des professionnels territoriaux : www.territorial.fr

Site de la Fédération Nationale des Collectivités Territoriales pour la Culture : www.fncc.fr

116

Table des matières

Remerciements (p.5)

Sommaire (p.7)

Introduction (p.8)

PARTIE I

Musiques actuelles et ruralité : état des lieux. De l'Île-de-France au Gâtinais (p.27)

1. Ruralité et musiques actuelles : le contexte francilien (p.28) 1.1. Campagne et métropole (p.28)

1.2. État des lieux des musiques actuelles en Île-de-France (p.30) 1.3. Culture et pratiques musicales en Île-de-France (p.32)

2. La recherche d'une identité, la Seine-et-Marne (p.35)

2.1. Seine-et-Marne, un pied à la campagne, un autre dans la ville (p.35) 2.2. La musique en Seine-et-Marne, de Couperin au Music-hall (p.38) 2.3. État des lieux des musiques actuelles en Seine-et-Marne (p.40)

3. Le Gâtinais(p.44)

3.1. Le Gâtinais, quelle ruralité ? (p.24)

3.2. Les lieux permanents de musiques actuelles (p.26)

3.3. Musiqafon, principale association en faveur des musiques actuelles (p.27)

3.4. Les festivals, entre acteurs historiques et acteurs émergents (p.29)

3.5. Bar et concerts, d'autres lieux de diffusion (p.30)

PARTIE II

Les limites au développement des musiques actuelles dans le Gâtinais Analyse et compréhension des difficultés rencontrées. (p.59)

1. Inégalités spatiales et territoriales, quels effets ? (p.60)

1.1. L'inégale répartition des équipements facteur d'inégalité de pratiques (p.60) 1.2. Jeunesse et pratiques culturelles, quelles contraintes en milieu rural ? (p.62) 1.3. La mobilité en question (p.65)

2. La place des musiques actuelles dans les politiques locales (p.67) 2.1. Le poids des représentations (p.67)

2.2. Les difficultés des collectivités (p.70)

2.3. Financements publics, des spécificités en milieu rural (p.71)

117

2.4. Les intercommunalités, une implication encore mitigée (p.73)

3. Interactions entre acteurs, une autre clé de compréhension (p.77)

3.1. Des « mondes locaux » (p.77)

3.2. Effets des interactions entre acteurs locaux (p.79)

3.3. Postures d'acteurs et impacts sur le développement de la scène locale (p.81)

PARTIE III

Stratégies d'adaptation et caractéristiques des projets musiques actuelles dans le Gâtinais.
Enjeux et perspectives de développement des musiques actuelles en milieu rural. (p.84)

1. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives, à la marge (p.85)

1.1. L'initiative privée, répondre aux besoins (p.85)

1.2. Maîtriser l'environnement rural par l'itinérance.

L'exemple du Musibus (p.87)

1.3. Les festivals, une ressource nécessaire en matière de diffusion musicale (p.89)

2. L'utilité sociale et territoriale des projets musiques actuelles en milieu

rural (p.91)

2.1. L'interdisciplinarité comme spécificité (p.91)

2.2. Les notions de convivialité et de fête (p.95)

2.3. Bénévolat et implication des populations locales (p.97)

3. Enjeux et perspectives pour le développement des musiques actuelles en milieu rural (p.100)

3.1. Pour le développement artistique et économique des projets (p.100)

3.2. Maintien d'une dynamique vitale à travers les musiques actuelles ? (p.102) 3.3. La co-construction, une solution d'avenir ? (p.104)

Conclusion (p.107) Bibliographie (p.110) Sitographie (p.115) Table des matières (p.116)

Annexes (p.118)

118

Annexes

1. Liste des entretiens réalisés

2. Musiques actuelles, quelques éléments de compréhension

3. Milieu rural, définitions et explorations

4. Typologie et cartographie des adhérents du réseau Pince Oreilles

5. Cartographie des studios de répétition et d'enregistrement en Seine-et-Marne

6. Typologie socio-économique des communes d'Île-de-France

7. Gradient de ruralité des communes d'Île-de-France

8. Population de la Seine-et-Marne par commune en 2011 et évolution de 2006 à 2011

9. Carte des Établissements Publics de Coopération Intercommunal au 1er Janvier 2016

10. Répartition de la population de moins de 20 ans en Seine-et-Marne

11. Schéma synthétique des interactions entre structures en faveur des musiques actuelles du Gâtinais

12. Synthèse du débat « Les Musiques Actuelles et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne ».

119

Annexe 1.

Liste des entretiens réalisés

· FÉDÉRATION DES LIEUX DE MUSIQUES ACTUELLES, NANTES

Véra BEZSONOFF, chargée d'accompagnement et de structuration des adhérents (4 Août 2016)

· UNION FÉDÉRALE D'INTERVENTION DES STRUCTURES

CULTURELLES, PARIS

Philippe BERTHELOT, président de l'UFISC et ancien directeur de la FEDELIMA (17 Juillet 2016)

· FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES FOYERS RURAUX DE SEINE-ET-MARNE, BLANDY-LES-TOuRS

Aurélien BOUTET, coordinateur du réseau (24 Juillet 2016)

· LA TÊTE DES TRAINS, TOuSSON Pierre BELTANTE, directeur (2 Août 2016)

· LES GÂTIFOLES - ASSOCIATION CHAMP LIBRE, BOISSY-AuX-CAILLES Christine AMARA, directrice artistique du festival (12 Juillet 2016)

· AU BON COIN FESTIVAL - ASSOCIATION PAS TROP LOIN DE LA SEINE, THOMERY

Hermine LHÔTE, présidente de l'association (25 Mai 2016)

A ces entretiens s'ajoutent les nombreuses discussions informelles avec certains salariés des structures membres du réseau Pince Oreilles et l'équipe du réseau ainsi qu'avec certains salariés des réseaux départementaux et du RIF. On notera d'autres temps d'échanges informels avec Thierry BOCCANFUSO, directeur de l'association Musiqafon, et les bénévoles de l'association, ainsi que certains groupes et artistes locaux, mais aussi avec l'association L'Studial et les organisateurs de LaGrange festival. S'ajoutent également plusieurs rencontres et notamment la réunion « Place Aux Jeunes » sur le territoire sud Seine-et-Marne, organisée en mai 2015 par le Service Jeunesse du département avec l'association Musiqafon avec une dizaine de jeunes sud seine-et-marnais, au centre social de Moret-sur-Loing.

120

Annexe 2. Musiques actuelles

Quelques éléments de compréhension.

Suivant la définition française, les musiques actuelles englobent plusieurs grandes familles :

? Le jazz, les musiques improvisées et genres assimilés ;

? Les musiques amplifiées (avec l'amplification électrique comme mode de production),

elles-mêmes divisées en quatre sous-familles :

? Le rock et genres assimilés, la pop, le blues et genres assimilés, la country, la

fusion ;

? Le metal et genres assimilés, le punk et genres assimilés ;

? Le hip-hop et genres assimilés, le r'n'b, le ska, le reggae et genre assimilé, le

funk, la soul ;

? Les musiques électroniques ;

? La chanson

? Les musiques traditionnelles et les musiques du monde (accompagnées d'instruments

« modernes » tels que la batterie ou la guitare basse).

De fait, sont exclues : les musiques classiques, anciennes, baroques, folkloriques et

contemporaines. Cette définition regroupe un très large éventail d'esthétiques musicales, mais a

fait longtemps débat sur la dénomination à employer et la manière de désigner ces phénomènes

musicaux de manière pertinente ?

Amplifiées ou Actuelles ?

L'appellation «musiques amplifiées» se réfère davantage aux moyens de production et aux techniques employées dans la conception d'une oeuvre musicale. Elle souligne la spécificité de certaines musiques par, notamment, leur électrification et l'amplification des instruments utilisés. Ce terme est popularisé par l'ethnologue et sociologue Marc Touché143 en 1996 qui participera à la clarification de la définition de ces musiques en les désignant comme étant :

«un ensemble de musiques et de pratiques sociales qui utilisent l'électricité et l'amplification sonore électronique comme éléments majeurs, entre autres, des créations

143 Spécialiste des pratiques concernant les musiques amplifiées, Marc Touché étudie la sociologie et l'histoire des musiques amplifiées en France. Il a ainsi mené différents travaux sur l'histoire de la répétition musicale et sur la gestion des risques auditifs pour les musiciens de musiques amplifiées.

121

musicales et des modes de vie (transport, stockage, conditions de pratiques, modalités d'apprentissage). [...J Pour reprendre les catégories de classement en vogue, le terme de musiques amplifiées représente un outil fédérateur regroupant des univers musicaux qui peuvent être très contrastés : certaines formes de musiques de chansons dites de variétés, certains type de jazz et de musiques dites du monde, de fusions ; le jazz, le rock, le rock'n'roll, le hard rock, le reggae, le rap, la techno, la house-music, la musique industrielle, la funk, la dance-musique... et tous les bricolages sonores non encore identifiés »144 .

Désigner ces musiques, sous le qualificatif «amplifiées», permet notamment de distinguer l'esthétique de certains courants musicaux comme le rock, qui exercent généralement leurs pratiques musicales à plusieurs145 et dont les techniques de production, de répétition, de reproduction ou encore de fixation sont constitutives, d'une manière générale, des pratiques de ces courants musicaux. Aussi, il s'impose de parler au pluriel, car comme l'exprime Marc Touché, « parler au singulier de la musique revient à nier qu'il existe des façons de faire, de produire, d'associer et de regrouper, de vivre des musiques [...]. ». En effet parler de « LA musique » engendre des problèmes de lisibilité et ne permet pas de regrouper une aussi importante diversité d'esthétiques et donc de pratiques.

Le terme renvoie également aux caractéristiques sonores de ces musiques, leur amplification et la gêne qu'elle est susceptible d'occasionner. Considérées comme étant plus spécifiquement destinées à la jeunesse, les musiques amplifiées ont eu, pour élément dominant et caractéristique majeure : le rock, qui peu à peu, a perdu son caractère fédérateur146 et qui ne peut plus prétendre à englober toutes les caractéristiques que l'appellation «musiques actuelles» peut permettre de réunir. Toutefois, ce terme ne fait pas l'unanimité au sein de l'environnement des chercheurs, professionnels et acteurs de terrain. En effet, l'emploi de l'adjectif «actuel» ne semble pas véritablement pouvoir désigner l'ensemble des esthétiques qui la constitue, en niant, par opposition, l'actuel à l'ancien, en dénigrant, d'une certaine manière, le «passé» de ces musiques et même leur futur.

144 Touché Marc, « Les lieux de répétitions de musiques amplifiées », in Annales de recherche urbaine, n°70, 1996, p. 58.

145 Guibert Gérôme, «Les musiques amplifiées en France», Phénomènes de surfaces et dynamiques invisibles, Réseaux, 2007/2 n°141-142, p.299

146 Teillet Philippe, «Publics et Politiques des Musiques Actuelles, in O. Donnat, P.Tolila, Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.155

122

«Musiques actuelles, terres de contrastes, ou l'histoire d'une appellation qui pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.»147

Pourquoi désigner ces musiques par leur temporalité, si ce n'est par un manque de reconnaissance restreignant leur compréhension et donc leur désignation ? Il est important de souligner les limites d'une telle appellation afin d'anticiper les possibles incompréhensions et éviter tout flou autour de sa définition. Musiques populaires, musiques urbaines, musiques jeunes, etc., jusqu'au milieu des années 1990, on employait même le terme de «musiques d'aujourd'hui», ce qui là aussi, ne permettait qu'une approche temporelle de ces musiques, une notion éphémère, de vogue, presque périssable148. Philippe Teillet parlera même d'une «incompréhension ministérielle» pour qualifier ce vaste champ de production musicale relativement unifié, mais qui, après observation, relève de multiples oppositions et différences.

Concept un peu «fourre-tout» qui manque de crédibilité et qui n'améliore pas l'image ni la nécessité d'une reconnaissance institutionnelle, l'appellation de musiques actuelles a beaucoup de difficultés à faire consensus. Toutefois, la Commission Nationale pour les Musiques Actuelles, lancée par le ministère de la Culture en décembre 1997, participera grandement à l'institutionnalisation de l'expression, qui deviendra, de ce fait, l'expression de référence des pouvoirs publics. Ainsi, malgré les débats et diverses réticences suscitées par l'appellation, celles-ci se sont atténuées, notamment auprès des professionnels, au fur à mesure par une cohabitation fréquente des termes « actuelles » et « amplifiées ». Chacun est libre d'utiliser la dénomination qui le satisfait, et il n'est pas rare de retrouver l'association « musiques actuelles et amplifiées », bien que le recours au terme de «musiques actuelles» semble aujourd'hui primer. Enfin, pour de plus amples approfondissements sur cette problématique, il convient de se pencher sur les travaux de Marc Touché149 et de Philippe Teillet150, qui ont largement contribués à la compréhension du débat. *

Reconnaissance progressive des musiques actuelles et intervention publique

C'est réellement à partir de 1981, à l'initiative de Jack Lang, puis sous la direction de Maurice Fleuret, l'année suivante (directeur de la Musique et de la Danse), que les premières

147 Rapport de la Commission Nationale des Musiques Actuelles, juin, 1998, p.14

148 Philippe Teillet, « Pourquoi un «pas de côté» ? », Volume!, 4:2, 2005, p.3

149 Marc Touché, Mémoire vive #1, Association Musiques Amplifiées, Annecy, juin 1998

150 Philippe Teillet, « « Musiques amplifiées, « Musiques actuelles », Musiques populaires », « Musiques d'aujourd'hui », etc., ou la querelle des principes de vision et de division », in Actes des 2ème Rencontres Nationales « Politiques publiques et musiques amplifiées/actuelles », La Scène, Le magazine professionnel des spectacles, Hors série, Ed. Millénaire, Avril 1999, p.115

123

mesures - fondatrices - de soutien vont être mises en place. Aide aux projets, actions culturelles en direction des fédérations d'amateurs, de fanfares ou encore de chorales, les musiques du monde, le jazz et les musiques traditionnelles profiteront des premières initiatives ministérielles. D'autres mesures marquantes verront ensuite le jour151. Il faudra attendre l'arrivée de Bruno Lion152 au cabinet du ministre de la culture, auprès de Michel Schneider, alors Directeur de la Musique et de la Danse, en 1988, pour que d'autres esthétiques constitutives des musiques actuelles soient intégrées, comme le rock, le reggae, les musiques dites alors «amplifiées». En 1991, le programme interministériel des «Cafés-Musique», soutenu par les collectivités, les politiques de la Ville et le Fonds d'Action Sociale, sera crée puis abandonné en 1995 au profit des SMAC (Scènes de Musiques Actuelles). Ces lieux sont ainsi reconnus, labellisés, subventionnés et deviennent officiellement les partenaires des collectivités territoriales. C'est un pas décisif vers la reconnaissance institutionnelle des musiques actuelles, qui investissent symboliquement les territoires et la vie des populations.

151 La Fête de la musique marquera considérablement cette volonté d'ouverture des politiques culturelles à la diversité des formes musicales, des musiciens professionnels ou amateurs. (1982, Jack Lang) ; Les prémices dès 1981, du programme Zénith, destiné à l'amélioration et à la création d'équipements et de lieux de diffusion des musiques populaires. Le Zénith du Parc de la Villette, inauguré en 1984, est la première salle du genre à voir le jour. Aujourd'hui, on en compte 17 répartis sur tout le territoire. Le projet d'un dix-huitième zénith situé à la Réunion, initié en 2008, ne trouve désormais plus le soutien de l'actuel maire ;Les mesures de soutien aux petites salles et aux festivals ; La création d'un diplôme d'Etat (DE) et d'un certificat d'aptitude (CA) pour l'enseignement du jazz et des musiques traditionnelles ; La création d'opérateurs associatifs visant à assurer, sur le terrain, la politique enclenchée, comme le Studio des Variétés, le Centre d'information du rock (le futur centre d'informations et de ressources des musiques actuelles, l'IRMA) , l'Orchestre National de Jazz ainsi que le Fond d'Actions et d'Initiatives Rock (FAIR).

Sur le plan législatif et économique, de nouvelles mesures vont venir solidifier la place essentielle de ces expressions musicales, parmi celles-ci notons notamment: la promulgation de la loi sur les droits voisins (destinés aux interprètes et producteurs de phonogrammes) de 1985 et l'extension des sociétés civiles à la gestion collective de ces droits (Jack Lang) ; la création du Fonds de Soutien Chanson Variétés et Jazz en 1986, désormais repris par le CNV151 ; la première baisse de TVA 19,6% sur la vente de disque, jusqu'alors taxée comme une marchandise de luxe à hauteur de 33,3%, initiée par François Léotard en 1987, impactera sur le secteur privé ; la mise en place du Plan Rock, en 1989, participera à la rénovation et à l'aménagement de près de 200 salles de concert sur tout le territoire.

152 Bruno Lion est une figure du militantisme pour la reconnaissance politique des musiques amplifiées et notamment du rock. Chargé de mission pour le rock et les variétés par Jack Lang en 1989, il participera au développement et à la prise en compte des pratiques amateurs et des lieux musicaux. Il est également le co-fondateur du Centre d'Information du Rock et des Variétés en 1986, devenu désormais l'IRMA, le Centre d'Information et de Ressources pour les Musiques Actuelles. De 2008 à 2010, il présidera au FCM (le Fonds pour la Création Musical).

124

Annexe 3. Milieu rural, définitions et explorations

Employé dans le sujet par sa dénomination la plus stricte : le « milieu rural » reste une

appellation ambigüe et mal déterminée en France. Selon que l'on parle de milieu rural ou d'espace rural, on ne se réfère pas aux mêmes définitions. Campagnes, paysages champêtres, terres isolées, peu d'habitants, problèmes de mobilité : la définition de la ruralité et des zones rurales ne se bornent pas aux imaginaires et représentations collectives. Aussi, nous emploierons la nomenclature établie par la FEDELIMA pour caractériser précisément la typologie des structures étudiés selon leur environnement et selon les données de densité et de démographies relatives à leur territoire d'implantation, à savoir :

? Les lieux en milieu rural sont identifiés selon le nombre d'habitant de leur collectivité, qui est égal ou en dessous de 10 000 habitants, avec une densité moyenne égale ou en dessous de 400 habitants au kilomètre carré. La prise en compte de la densité moyenne du département, ou du bassin de vie, égal ou inférieur à 100 habitants au kilomètre carré peut également représenter un repère.

? Les lieux urbains en environnement rural, sont des structures implantées dans des villes moyennes mais dont la densité de l'environnement (bassin de vie, intercommunalité ou département) est le premier critère. Ils sont divisés en deux catégories. La « grande » correspond aux lieux situés dans des collectivités de 10 000 à 40 000 habitants sur une densité égale ou inférieure à 3 000 habitants au kilomètre carré. Mais la densité de la collectivité compte peu, il convient de se référer à la densité de l'environnement, qui peut être très rural.

? Les lieux en milieu urbain sont identifiés comme étant en moyenne situés sur des communes de 170 000 habitants, pour une densité de 4300 habitants au kilomètre carré, dont l'environnement départemental de référence est composé d'une population moyenne d'un million d'habitant pour une densité de 1175 habitants au kilomètre carré. Un critère qui est toutefois nuancé par la distinction d'une catégorie « périurbaine », c'est-à-dire des communes comprenant un nombre d'habitants assez faible comparés à d'autres communes urbaines, elles se caractérisent par un nombre moyen de 20 000 habitants pour 2000 habitants au kilomètre carré pour une densité moyenne du département de 950 habitants au kilomètre carré.

Dans ce sens, nous avons établi que le rassemblement de six intercommunalités correspondantes au bassin de vie de notre territoire d'étude est le repère le plus adapté pour

125

décrire la réalité de l'environnement des structures étudiées. C'est à partir de ce repère, celui de l'intercommunalité et de la collectivité d'implantation que les structures fixes sont entrevues. L'objectif de cette nomenclature est d'établir des typologies territoriales cohérentes et proches des réalités spatiales des structures dans le souci d'analyser d'éventuelles similitudes, en termes de projets ou de problématiques.

Repère utilisé dans l'analyse environnementale des structures dans la Gâtinais.

Communauté de
Communes

Nombre de communes
adhérentes en 2014

Nombre

d'habitants en 2013

Densité de population
au km2 en 2013

Terres du Gâtinais

16

11 381

54,0

Pays de Nemours

14

26 397

206,7

Pays de

Fontainebleau

5

34 089

168

Bocage Gâtinais

8

5 204

53

Moret Seine et
Loing

22

39 150

176

Gâtinais Val de
Loing

20

19 237

56,9

Total

85

135458

119,1

*Tableau réalisé à partir des sources de l'INSEE, et de l'IAUIDF

Par la définition de l'espace rural, de ses typologies et par l'appui de carte de zonage des aires urbaines, nous expliquerons ici pourquoi le choix de « milieu rural », plutôt que « zone rurale » ou encore « espace à dominante rurale ». Depuis plusieurs décennies en France, le territoire et son découpage se basent sur la notion d'agglomération et d'unités urbaines. D'après les données de l'INSEE153, l'espace rural se définissait ainsi :

? L'espace rural, ou à dominante rurale, regroupe l'ensemble des petites unités urbaines et communes rurales n'appartenant pas à l'espace à dominante urbaine (pôles urbains, couronnes périurbaines et communes multipolarisées). Cet espace est très vaste et représente 70 % de la superficie totale et les deux tiers des communes de la France métropolitaine.

153 L'INSEE est l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques

126

Depuis octobre 2011, la définition de l'espace rural n'est plus en vigueur, il faut désormais se référer aux découpages des zones en aires urbaines154. Aujourd'hui, l'INSEE distingue deux grands types d'espaces, mais les définitions ont évolué :

? D'une part, l'espace urbain, ou espace à dominante urbaine, comme étant l'ensemble de plusieurs aires urbaines et des communes multipolarisées qui s'y rattachent. Dans l'espace urbain multipolaire, les aires urbaines sont, soit contiguës, soit reliées entre elles par des communes multipolarisées. Cet espace forme un ensemble connexe. Un espace urbain composé d'une seule aire urbaine est dit monopolaire.

? D'autre part, l'espace à dominante rurale, lui-même divisé en plusieurs sous-types : les aires moyennes, les petites aires, les autres communes multipolarisées et les communes isolées hors influence des pôles.

La notion de rural (nous parlerons de milieu rural)155 découle de la définition du découpage en unités urbaines156, puis en communes urbaines157. Une commune rurale est, par exclusion, une commune n'ayant pas les caractéristiques d'une unité urbaine, ni d'une commune urbaine. Restreintes à se définir selon un seuil de 2000 habitants, les communes ne se retrouvent pas toujours dans telle ou telle catégorie. Bernard-Henri Nicot, chercheur et ingénieur au SIRIUS

154 Définition de l'INSEE : «Une aire urbaine ou « grande aire urbaine » est un ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. Le zonage en aires urbaines 2010 distingue également :

- les « moyennes aires », ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de 5 000 à 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci.

- les « petites aires », ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle (unité urbaine) de 1 500 à 5 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci.

155 Une annexe est consacrée à la définition plus complète et référencée du milieu rural.

156 Définition de l'INSEE : «L'unité urbaine est une commune ou un ensemble de communes qui comporte sur son territoire une zone bâtie d'au moins 2 000 habitants où aucune habitation n'est séparée de la plus proche de plus de 200 mètres. En outre, chaque commune concernée possède plus de la moitié de sa population dans cette zone bâtie. Si l'unité urbaine s'étend sur plusieurs communes, l'ensemble de ces communes forme une agglomération multi-communale ou agglomération urbaine. Si l'unité urbaine s'étend sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée.» Source : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=zonages/unites urbaines.htm

157 Définition de l'INSEE : «Une commune urbaine est une commune appartenant à une unité urbaine.

Les autres communes sont dites rurales». Source :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/commune-urbaine.htm

127

de l'Institut d'Urbanisme de Paris, souligne clairement les limites de cette définition : « Le seuil de 2000 habitants utilisé pour la définition des unités urbaines ne signifie pas, bien sûr, que toutes les communes de plus de 2000 habitants sont urbaines : 577 communes rurales ont plus de 2000 habitants (44209 Treillières, en a plus de 6000). Il signifie encore moins que toutes les communes urbaines ont plus de 2000 habitants : sur les 5954 communes urbaines en 1999, un bon tiers (2023) a moins de 2000 habitants (la plus petite, 51493 Saint-Léonard dans la banlieue de Reims, en a 77). »158 Aussi, nous retiendrons une définition plus large du milieu rural, « caractérisé par une densité de population relativement faible, par un paysage â couverture végétale prépondérante (champs, prairies, forêt, autres espaces naturels), par une activité agricole relativement importante, du moins par les surfaces qu'elle occupe. »159

De manière très générale, l'OCDE160 et le Conseil de l'Europe qualifient le milieu rural comme englobant « l'ensemble de la population, du territoire, et des autres ressources des campagnes, c'est-â-dire des zones situées en dehors des grands centres urbanisés. » La porosité de cette définition ne permet pas de dégager de véritables éléments de classification. La place de l'activité agricole, entendue comme ressource du milieu rural, est majeure. Elle caractérise une certaine spécificité du milieu rural, de par ses traditions socioculturelles, ses liens avec la nature et son impact économique et environnemental. D'ailleurs, le milieu rural assure de plus en plus une fonction de détente, de dépaysement, de loisirs. Il représente un espace presque alternatif, une sorte d'exception territoriale, qui s'oppose au modèle urbain majoritaire. ...). La notion même de milieu rural ne peut plus être abordée selon des généralités communes. Les territoires dans leur ensemble se caractérisent à la fois par leurs fonctions, leurs conceptions et leurs usages très divers. Alain Lefebvre161, rappelle l'importance des représentations dans la dynamique territoriale et insiste sur deux éléments essentiels, à savoir :

- «Le territoire est un construit social et mental en évolution permanente où les représentations patrimoniales et les traces mnémoniques jouent un rôle essentiel.»

- «Le territoire se construit sur le récit des habitants et des acteurs de l'aménagement».

158 Bernard-Henri Nicot, « Urbain-rural : de quoi parle-t-on ? », document de travail, SIRIUS, IUP, UPVM, juin 2005

159 Ibid., p.6

160 Organisation de Coopération et de Développement Économique

161 Lors de son intervention en 1995 à l'Université de Toulouse.

128

Ainsi le territoire ne doit plus seulement se concevoir en termes de délimitations géographiques mais s'entrevoit sous l'angle des représentations sociales et du rapport de l'individu à celui-ci.

Le travail de Philippe Pierre-Cornet nous permet d'approfondir cet « espace rural pluriel », en proposant un classement distinguant trois différents types d'usages fait des campagnes. De cette analyse, il ressort trois figures principales :

- «La campagne ressource» : celle des productions agricoles et de l'activité industrielle relativement importantes. Elle produit notamment des ressources alimentaires («les greniers de la France») et reste économiquement viable, c'est la campagne productive.

- «La campagne cadre de vie» : celle convoitée pour ses caractères récréatifs et résidentiels. Ce sont souvent des zones périurbaines qui ont préservé leur cadre rural. Le développement touristique et la migration des urbains y sont très importants. Cela implique un étalement autour des villes, et donc un élargissement des équipements vers ces nouvelles populations (transports, commerces, écoles, etc.). Elle s'assimile avec les communes des grands pôles et les communes multipolarisées.

- «La campagne nature» : celle des espaces plus ou moins protégés (tels les parcs régionaux et réserves biologiques). Elle est importante d'un point de vue écologique et environnemental.

En termes d'éléments spécifiques aux territoires ruraux, on constate que les territoires ruraux se caractérisent par une faible densité de population, un nombre d'infrastructure peu important, un soutien relativement faible des autorités publiques, et par de fortes disparités morphologiques, en termes de mobilité, d'accès liés aux spécificités géographiques (montagnes, littoraux, plaines, etc.). Aussi, nous pouvons nous appuyer sur la typologie proposée par la SEGESA (Société d'études géographiques économiques et sociologiques appliquées) et l'INSEE en 1999, qui proposait un classement des espaces ruraux selon trois types de dynamisme, « Les trois France rurales » :

- Les « campagnes périurbaines » ou campagnes des villes, qui sont largement dépendantes des villes, en matière d'emplois, de commerces et de services. Notons, qu'en France, c'est près de 95 % de la population qui vit sous l'influence des villes. Ce qui en fait aujourd'hui une des caractéristiques prédominantes des campagnes. Ces

129

espaces peuvent être confondus avec la « campagne cadre de vie » et se retrouvent proches des grands pôles urbains et des communes multipolarisées.

- Les « campagnes fragiles » ou profondes, sont éloignées des villes et se caractérisent par un accès aux services publics et aux réseaux de transports ainsi que par une couverture téléphonique encore insuffisants. Ces espaces sont marqués par un vieillissement de leur population, un certain déclin démographique et un accueil important de retraités. Elles sont marquées par une activité agricole « vieillie et peu dense », et une part importante de travailleurs ouvriers.

- Les « campagnes et territoires ruraux dynamiques », sont plus ou moins proches des villes. Elles se distinguent par un certain équilibre démographique, résultant de leur attractivité touristique et résidentielle, au potentiel économique caractéristique.

L'actualisation permanente du découpage du territoire français et la multiplicité de ces définitions nous incite à considérer l'emploi du terme « milieu rural » comme étant le plus adapté à notre étude, à défaut d'employer celui d' « espace à dominante rurale ». Sa complexité nous permet en effet de dégager des particularités propres aux espaces étudiées (espace rural sous influence urbaine, campagne périurbaine, etc.), tout en respectant une indispensable relation à la ruralité.

130

Annexe 4. Cartographie des adhérents au réseau Pince Oreilles

Source : Pince Oreilles, Transistor n°48 - Avril à Juin 2016.

131

Annexe 5. Cartographie des studios de répétition et d'enregistrement en Seine-et-Marne

Source : Chiffres clés et les principaux enjeux des structures musiques actuelles en Seine-et-Marne, réseau

Pince Oreilles, juin 2013

132

Annexe 6. Typologie socio-économique des communes d'Île-de-France.

Source : SEGESA/DREIF/DRIAF - Dynamique territoriale de l'agriculture et de l'espace rural en Île-

de-France », 2005

133

Annexe 7. Gradient de ruralité des communes d'Île-de-France

Source : SEGESA/DREIF/DRIAF - Dynamique territoriale de l'agriculture et de l'espace rural en Île-

de-France », 2005

134

Annexe 8. Population de la Seine-et-Marne par commune
en 2011 et évolution de 2006 à 2011

Source : INSEE, Recensement 2010 -Téléatlas, Multine - 2009

Annexe 9. Carte des Établissements Publics de Coopération Intercommunale en Seine-et-Marne

au 1er Janvier 2016

135

Source : DGCL / INSEE- RP 2013 (population totale au 01/01/2016) / Préfecture de Seine-et-Marne

Annexe 10. Répartition de la population de moins de 20 ans en Seine-et-Marne

136

Sources : Département de Seine-et-Marne, SIG, DADT, 2012

La Tête des
Trains, Tousson

Champ Libre,
Festival
Les Gâtifolies, Boissy-

aux-Cailles

Bar-concerts à Fontainebleau (Kustom Café, Glasgow)

Réseau Pince Oreilles

Rainforest,
Fontainebleau

L'Studial
Festival
LaGrange,
Gironville

MJC La Scala, Nemours

MJC
Fontainebleau
Loisirs Culture

Musiqafon
Musibus, Festival
Notown, Nemours

Fédération des
Foyers Ruraux
de Seine-et-

Marne

Festi'Val en Seine, St Mammés

Asso Pas Trop Loin
de la Seine,
Au Bon Coin
Festival, Thomery

Animal Record,
La Douve Blanche
Festival, Egreville

Union
Départementale
des MJC de Seine-

et-Marne

Festival Django
Reinhardt, Samois

Prodathor
Cerfstival,
Villecerf

137

Annexe 11. Schéma synthétique des interactions entre les structures en faveur des musiques
actuelles du Gâtinais

138

Annexe 12. Synthèse du débat « Les Musiques Actuelles et l'aménagement du territoire en
Seine-et-Marne ».

« Les Musiques Actuelles et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne »

Synthèse du débat publiée en janvier 2006 par le réseau Pince Oreille, lors de la 7e édition du
Festival Watts Up.

Rencontre du samedi 17 décembre 2005.

Organisée par le réseau Pince Oreilles

Et le Conseil Général de Seine-et-Marne,

Au Chaudron, Scène de Musiques actuelles du Mée sur Seine

Modérée par Patricia Coler, rédactrice en chef du magazine « Artiste Pluriel »,

Avec les intervenants suivants :

- Jean Calvet, conseiller général délégué du Président à la culture et à la coopération

décentralisée,

- Geneviève Busch, Adjointe à la culture de la Mairie de la Ferté sous Jouarre,

- Olivier Galan, Président du réseau Pince Oreilles, et Directeur de File 7,

- Thierry Boccanfuso, Président de l'association Notown,

- Frédéric Vandromme, Président de l'association Kalifuda,

- Pierre-Marie Cuny, Directeur des affaires culturelles du Conseil Général,

- Hervé Labove, Directeur des affaires culturelles de la Communauté

d'Agglomération Melun Val de Seine,

- Yves Gruson, Directeur de l'Ecole Nationale de Musique de Bobigny.

Lors de la 7ème édition du festival Watts Up, le réseau Pince Oreilles et le Conseil Général de Seine-et-Marne ont co-organisé un débat sur « les musiques actuelles et l'aménagement du territoire ». Comme l'a souligné le conseiller général Jean Calvet, en tant qu'élu local, la 1ère question que lui pose un nouvel habitant, concerne bien souvent la musique : « Peut-on pratiquer de la musique dans votre commune ? ». L'un des enjeux des prochaines années pour les musiques actuelles et ceux qui les pratiquent, c'est que la réponse à cette question soit le plus souvent « Oui, il y a un endroit adapté où vous pouvez répéter, et une salle de diffusion à proximité d'ici ! ». On en est encore loin, car il existe en Seine-et-Marne de fortes inégalités entre les zones urbaines et rurales. Toutefois sur certains territoires, de nombreux acteurs agissent, et apprennent à travailler ensemble, à mutualiser leurs moyens, à se concerter.

Inégalité territoriale

Depuis 6 ans, la Seine-et-Marne a vu des équipements dédiés aux musiques actuelles sortir de terre : l'Empreinte (Savigny-le-Temple), File 7 (Magny-le-Hongre), et les CuiZines (Chelles). Dans le même temps, les structures de diffusion se sont organisées à l'échelle départementale en créant le réseau Pince Oreilles. Du côté des artistes, ceux qui sont attentifs à la scène locale,

139

observent que celle-ci s'est progressivement décomplexée. Des médias régionaux comme le Nouvel Observateur (pages spéciales région), la République ou le Parisien soulignent le dynamisme de la scène rock seine et marnaise. Toutefois, à y regarder de plus près, cette dynamique départementale est très inégale. La plupart des équipements sont concentrés sur les espaces les plus urbanisés de la partie ouest du 77, à proximité de la francilienne. Les territoires ruraux voient des initiatives se mettre en place. Mais, celles-ci ont du mal à s'installer dans la durée. Par ailleurs, de grandes villes comme Meaux, Melun ou Fontainebleau ne possèdent toujours pas d'équipement suffisant pour la répétition et/ou la diffusion.

Dynamisme du territoire rural

La Seine-et-Marne avec ses 514 communes, couvre près de 50 % de la surface de l'Ile-de-France. En milieu rural, des assos se démènent pour organiser des concerts. La Tête des Trains s'active ainsi depuis plus de 20 ans à Tousson. Et cette doyenne est aujourd'hui rejointe par la jeune génération. L'association Notown, ses 4 000 spectateurs annuels, et ses 35 concerts en 5 ans, prouvent qu'il y a une réalité des musiques actuelles en milieu rural. Le Collectif Kalifuda avec le festival Le Son de L'Air, démontre que l'on peut convaincre des élus locaux, et organiser un festival dans les règles de l'art : soutien des sociétés civiles, salariat de tous les artistes....

Besoins et difficultés en territoires ruraux

Mais si des projets naissent, ce n'est pas sans difficulté. Thierry Bocanfuso, Président de l'association Notown, énumère les besoins des territoires ruraux : « manque des locaux, de structuration, d'une offre culturelle et en particulier musicale, de projets sociaux et de préventions ». Et pourtant affirme-t-il « on sortira beaucoup de jeunes de leurs difficultés grâce à la culture et en particulier grâce à la musique ». Mais, parce que les musiques actuelles sont trop souvent associées à des préjugés comme la prise de drogues, la délinquance,... et parce que les forts volumes sonores qu'elles suscitent, occasionnent souvent des gênes pour le voisinage, « les élus qui souhaitent répondre aux demandes des jeunes doivent faire face à une autre partie de la population qui craint pour sa tranquillité ».

« On ne va pas attendre que les jeunes de chez nous brûlent les tracteurs ! »

« On ne va pas attendre que les jeunes de chez nous brûlent des tracteurs ! » s'écrie Thierry Bocanfuso Certains élus l'ont compris et tentent de répondre à leurs besoins. Comment ? En répondant positivement aux musiciens qui ont décidé de prendre les choses en main ; en autorisant les manifestations ; en prêtant des locaux ; et pour les plus convaincus, comme les élus de La Ferté sous Jouarre vis à vis du festival le Son de l'Air, en passant un « contrat » avec l'asso, en soutenant financièrement le projet et en mettant le personnel technique à disposition.

Expérience et professionnalisation

Même s'ils sont tous bénévoles, ceux qui s'activent, depuis quelques années font office de centres de ressources pour les moins expérimentés. Ils reçoivent toutes les sollicitations : celles « des groupes, des élus, des assos, des MJC, des éducateurs, des services sociaux... ». Thierry Bocanfuso conclut « Il serait temps de se dire que c'est un travail, le développement des musiques actuelles en milieu rural, que ça ne peut pas être que du bénévolat. On devient de

140

plus en plus professionnel par les formations, les échanges au sein du réseau. Mais qui nous donne les moyens d'y aller ? Parce que nous le professionnalisme, on attend que ça ».

« Le festival a été un événement extraordinaire. On n'avait jamais vu ça à La Ferté ! »

Des élus, en milieu rural prennent conscience de l'intérêt d'agir, comme Geneviève Busch, adjointe à la culture de la Mairie de la Ferté sous Jouarre, qui à propos du Son de l'Air ne retient pas son enthousiasme « Le Festival a été un événement extraordinaire. On n'avait jamais vu ça à la Ferté. C'était monumental ». Mais, elle admet qu'il n'a pas été facile de convaincre l'ensemble de l'équipe municipale et que le débat au sein de l'intercommunalité a été « houleux ». Pierre-Marie Cuny, directeur des affaires culturelles du Conseil Général explique qu' « en milieu rural, ce n'est pas tant les musiques actuelles qui posent souci mais le développement culturel en général ».

« Le Conseil Général ne peut en rien faire ingérence sur les décisions des élus locaux ! »

Avec « 65 % de communes entre 500 et 3 000 habitants », l'émiettement en une foule de micro territoires rend l'action des services du Conseil Général difficile. Pierre-Marie Cuny ajoute « Le Conseil Général ne peut en rien faire ingérence sur les décisions des élus locaux ». Alors que faire ? Il faut « faire évoluer les mentalités ! A l'heure actuelle, ce qu'il manque le plus en milieu rural, ce sont des séminaires de formation et de réflexion, ce ne sont pas tellement des équipements ». Jean Calvet, Conseiller Général délégué du Président à la Culture explique : « La question des élus, c'est : où va-t-on investir l'argent ? Et bien entendu, les demandes légitimes portent sur l'emploi, sur les transports. Peu d'élus prennent la responsabilité de proposer de mettre un peu moins sur les transports ou sur l'emploi, en faveur de la culture. Aujourd'hui, tenir ce type de discours dans les assemblées politiques, c'est quasiment une insulte. Mais ce n'est pas du tout aberrant. C'est une position politique à défendre. Bien entendu, l'emploi, le logement, la formation sont des priorités. Mais, une fois qu'un individu a à peu près les besoins vitaux, s'il passe le reste de ces heures libres à ne rien faire, au bout d'un moment cela pose problème ».

L'intercommunalité : un outil indispensable

Même si comme le souligne Jean Calvet « pour ce type d'activité, au niveau d'un budget comme celui du département ou de la région, la masse financière dont les musiques actuelles ont besoin n'est pas scandaleuse », pour une petite commune isolée, l'investissement peut s'avérer important. La solution évidente passe par l'intercommunalité. File 7, par exemple, a été conçu à partir d'une commande publique du Syndicat d'Agglomération Nouvelle du Val d'Europe. Plus récemment, la Communauté d'Agglomération Melun Val de Seine (CAMVS), après s'être vue transférer les principaux festivals musicaux de son territoire, a décidé d'embaucher un coordinateur « Musiques actuelles ». Petit à petit, la communauté melunaise s'empare de ce domaine artistique.

« Je compare souvent la communauté d'agglomération à un paquebot... »

Cependant, comme l'explique Hervé Labove, directeur de la CAMVS, « Cela prend du temps. Il faut apprendre à travailler ensemble ». Il raconte « je compare souvent la communauté à un

141

paquebot. C'est difficile à manoeuvrer mais une fois qu'il est lancé, il est lancé. En revanche, on y a passé beaucoup de temps. C'est un temps qui a permis de faire évoluer les mentalités. Aujourd'hui, on a des élus qui sont complètement en phase avec ce que l'on fait. Il a fallu 20 ans pour aboutir à une position commune ».

« Faut déjà que les élus se parlent ! »

Si, selon Hervé Labove, « l'intercommunalité n'est qu'un outil », en milieu rural, cet outil s'avère indispensable, car sans lui, il est impossible de réunir les moyens nécessaire au développement culturel. Seulement, comme le souligne Thierry Bocanfuso, en milieu rural, « Les communautés de communes, c'est loin d`être une réalité. Faut déjà que les élus se parlent ». Pierre-Marie Cuny corrobore : « Le drame n'est pas qu'il manque des investissements à l'est du département. Le grand drame, c'est de voir que les territoires ne sont pas encore motivés pour se rassembler et mutualiser les moyens, pour prendre des décisions importantes ».

Des mentalités à faire évoluer !

Pierre-Marie Cuny précise « Ce sont les mentalités qu'il faut faire évoluer, d'une manière sympathique et pas d'une manière trop volontariste et agressive ». Si l'on veut voir les choses évoluer, « il faudra faire de la pédagogie vers les élus, mais aussi vers la population » souligne Yannick Guillot, élu d'une commune de 800 hab. et lui-même musicien. Il faudra donc s'atteler à convaincre et à imaginer des outils efficaces. « L'exposition sur l'histoire des musiques actuelles que réalise le réseau Pince Oreilles peut servir à montrer que nos musiques ont plus de 20 ans, qu'elles ont une histoire » propose Olivier Galan, président du Pince Oreilles. Le Transistor, s'il est mieux diffusé, peut aussi servir à décloisonner monde urbain et milieu rural, et à réduire les clichés en montrant la réalité des musiques actuelles.

Thierry Bocanfuso s'interroge « L'expérience des Scènes Rurales a été de la part du Conseil général un projet volontariste. Peut-être qu'un projet de ce type pourrait aussi servir le développement des Musiques actuelles en milieu rural ? ».

On comprend bien que ce travail sur les mentalités prendra du temps. Mais, on ne peut pas, non plus, ignorer que les associations de bénévoles qui se bougent aujourd'hui, n'auront pas toujours l'énergie pour continuer, s'il n'y a pas des signes forts de reconnaissance. Vu les risques financiers et pénaux qu'elles prennent parfois, le danger de les voir disparaître, elles et leur expérience, est bien réel.

Thierry Bocanfuso questionne : « les institutions ne peuvent-elles pas se mettre ensemble pour déterminer une vraie mission de service public sur ce secteur ? ». Jean Calvet, de ce point de vue, est rassurant, puisqu'il affirme « Si vous pensez qu'il y a des choses qui doivent bouger. Profitez-en ! », et qu'il propose à tous ceux qui se sentent concernés par ces questions de lui faire parvenir « un cahier de doléances, réelles et constructives ». Ce sera fait ! Le Conseil Général aura avec le réseau Pince Oreilles un partenaire dont la maturité peut lui permettre, comme l'indique Olivier Galan, de "contribuer à la structuration des acteurs, de créer une cohésion territoriale, et de faire émerger des projets par la synergie collective", d'autant que certains outils existent déjà.

Synthèse réalisée par Vianney Marzin, Caroline Dall'O et Elsa Songis en janvier 2006.

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RÉSUMÉ.

Les musiques actuelles seraient-elles l'apanage de la région parisienne et de l'espace urbain? Quelle vie musicale dans un territoire rural aussi proche de la capitale? Quelles en sont les spécificités, les enjeux et les limites? Quelles sont les conditions de création d'une offre musicale et d'accompagnement en faveur des musiques actuelles ?

En vue d'esquisser quelques éléments de réponse, cette étude de cas examine la place des musiques actuelles à l'échelle locale, et plus particulièrement sur le territoire du Gâtinais sud seine-et-marnais, un espace à dominante rural, situé à moins d'une heure de Paris. Cette recherche a pour objectif de définir clairement les relations existantes entre les musiques actuelles, les pouvoirs publiques et les acteurs de terrain, au niveau national et local.

Nos constatations nous permettent de faire état de l'inégale considération politique de ces musiques entre espace urbain et rural, et de mettre en évidence les mécompréhensions, les représentations, les manques de moyens aussi bien matériels qu'humains destinés à l'accompagnement, la création et la diffusion sur le territoire. Il ressort, malgré tout, qu'une vraie volonté de développement culturel et musical soit partagée par de nombreux acteurs associatifs locaux souhaitant apporter une réponse qualitative et concrète aux besoins exprimés par les différents publics composant ces zones rurales. Cette volonté se traduit notamment par la mise en place d'actions de diffusion et de manifestations musicales, qui, bien que fragiles, valorisent les pratiques culturelles des habitants, créent une dynamique territoriale et sociale, et favorisent l'accès de tous à l'offre musicale à travers des modes d'interventions innovants et originaux.

Mots clés : Musiques actuelles - Milieu Rural - Seine-et-Marne - Gâtinais - Territoire - Politique Culturelle - Développement culturel local - Développement territorial - Conseil Départemental - Collectivités territoriales.






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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille